La compassion doit inspirer les prochaines mesures du Canada pour aider les demandeurs d’asile en provenance d’Haïti : Sénatrice Omidvar
Étiquettes
Depuis plusieurs semaines, environ 150 demandeurs d’asile arrivent chaque jour au Québec. La plupart d’entre eux sont des Haïtiens qui détiennent un visa des États-Unis qui leur a été accordé au lendemain du séisme de 2010 et que le président Donald Trump menace maintenant d’annuler.
Les refuges de Montréal étant bondés, il était tout à fait logique de reconvertir le Stade olympique en centre d’accueil pour les réfugiés. Cette décision de la ville et de la province est un exemple de mesure d’intervention préliminaire réaliste et altruiste qui permettra de mieux planifier la suite des choses.
Précisons tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une crise. Environ 6 500 personnes ont traversé la frontière du Québec depuis le début de l’année. Cette province et d’autres régions du Canada ont déjà connu des hausses comme celle-ci : par exemple, en 2008, 12 000 personnes sont entrées au Québec pendant la même période. Rappelons par ailleurs que ces chiffres demeurent modestes par rapport à l’ensemble de l’immigration. Le Canada compte déjà accueillir 40 000 réfugiés en 2017, ce qui ne représente que 13 % du nombre total d’immigrants par année, c’est-à-dire 300 000.
L’afflux de nouveaux arrivants pourrait toutefois se poursuivre, ce qui suscite d’importantes questions stratégiques et administratives.
Les anciennes définitions qui régissent l’accueil des réfugiés sont-elles bien adaptées à la réalité des réfugiés d’aujourd’hui ? Bien des gens soutiennent que les structures administratives actuelles ne tiennent pas compte des raisons complexes qui pourraient pousser quelqu’un à rechercher par tous les moyens un milieu sécuritaire et favorable. Les Haïtiens des États-Unis ont par exemple reçu de l’aide après le tremblement de terre, mais ils fuient aujourd’hui la menace d’expulsion et, pour certains d’entre eux, le risque d’insécurité.
Existe-t-il une meilleure façon de gérer les réfugiés de l’environnement et du climat ? Tout comme en Haïti, les conditions environnementales et politiques sont indissociables. Nous savons que les catastrophes écologiques favorisent et exacerbent l’instabilité politique et la violence. Les ONG constatent par exemple une hausse des cas de violence, notamment de femmes victimes de viol, depuis le séisme, surtout dans les camps pour personnes déplacées. Notre système d’accueil des réfugiés réussira-t-il à protéger les Haïtiens et les autres groupes qui ont besoin de notre aide ? Le Canada n’est pas le seul pays à se poser la question. En effet, les scientifiques pensent que, d’ici la fin du siècle, le climat d’une bonne partie de l’Asie du Sud pourrait être trop chaud pour les êtres humains.
Les failles du système d’immigration des États-Unis devraient-elles pousser le Canada à repenser ses façons de faire ? Les Haïtiens ne sont pas le premier groupe d’immigrants à craindre d’être traité par M. Trump d’une manière que bon nombre de Canadiens jugeraient cruelle et injuste. Pensons entre autres aux immigrants musulmans et aux immigrants sans papiers qui étaient mineurs lorsqu’ils sont entrés aux États-Unis. S’ajoutent maintenant des Haïtiens qui vivent et travaillent aux États-Unis et qui y élèvent leur famille, parfois même depuis sept ans. Pour faire les choses de façon équilibrée, il faudra peut-être continuer de s’inspirer des normes mondiales, comme les cadres d’actions multilatéraux pour les réfugiés et les migrants qui sont actuellement en cours d’élaboration, et éviter de réagir de façon impulsive aux politiques des États-Unis.
Comment gérer les entrées au Canada de façon à susciter la confiance et l’adhésion de la population ? Un premier obstacle se dresse déjà à la frontière, puisque l’Entente sur les tiers pays sûrs permet au Canada et aux États-Unis de renvoyer les demandeurs d’asile dans le premier pays sûr où ils sont entrés. En raison d’un défaut du texte, l’Entente ne s’applique qu’aux points d’entrée proprement dits. C’est ce qui explique que les Haïtiens et d’autres réfugiés traversent la frontière par les petites routes de campagne ou les champs. Cette situation est dangereuse pour les réfugiés et pourrait faire planer un doute sur l’intégrité du système d’immigration et la compassion des Canadiens.
Vient ensuite le problème du traitement des demandes d’asile. Tous les demandeurs admissibles obtiennent une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Pour que le système favorise le bien-être des personnes touchées et inspire confiance à la population, il faut absolument que le délai entre l’entrée au Canada et l’octroi ou le refus du statut de réfugié soit raisonnable. Le Québec réclame que le processus soit mieux financé. Le gouvernement fédéral devrait donner la priorité à cette demande et veiller à ce que la Commission soit accessible, équitable et efficace.
C’est sans compter aussi sur les immenses efforts locaux d’établissement et d’intégration qui sont déployés au quotidien. Montréal et les autres communautés d’accueil auront besoin de financement car elles offrent des services publics et des espaces, comme des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques, des services de transport en commun et des complexes sportifs. Montréal confirme déjà son nouveau titre de « ville refuge », qui a été adopté à l’unanimité en février. Les gens de la région donnent de leur temps et de leur argent et cherchent à créer des liens avec les nouveaux arrivants. Au cours des prochains mois, Montréal servira d’exemple aux autres communautés et aux autres ordres de gouvernement, qui devraient chercher des moyens de mettre à contribution la compassion naturelle des gens.
Il sera parfois difficile de répondre aux besoins des nouveaux arrivants en évitant totalement l’improvisation. Le gouvernement fédéral ferait bien de laisser l’initiative aux administrations municipales. Au fond, ce sont peut-être les villes qui auront les solutions immédiates menant à ce que la Loi constitutionnelle de 1867 appelle « la paix, l’ordre et le bon gouvernement. »
Ratna Omidvar est une sénatrice de l’Ontario. Elle est membre du Comité sénatorial des droits de la personne et du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.
Cet article a été publié le 4 août 2017 dans le Globe and Mail (en anglais seulement).
Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.
Depuis plusieurs semaines, environ 150 demandeurs d’asile arrivent chaque jour au Québec. La plupart d’entre eux sont des Haïtiens qui détiennent un visa des États-Unis qui leur a été accordé au lendemain du séisme de 2010 et que le président Donald Trump menace maintenant d’annuler.
Les refuges de Montréal étant bondés, il était tout à fait logique de reconvertir le Stade olympique en centre d’accueil pour les réfugiés. Cette décision de la ville et de la province est un exemple de mesure d’intervention préliminaire réaliste et altruiste qui permettra de mieux planifier la suite des choses.
Précisons tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une crise. Environ 6 500 personnes ont traversé la frontière du Québec depuis le début de l’année. Cette province et d’autres régions du Canada ont déjà connu des hausses comme celle-ci : par exemple, en 2008, 12 000 personnes sont entrées au Québec pendant la même période. Rappelons par ailleurs que ces chiffres demeurent modestes par rapport à l’ensemble de l’immigration. Le Canada compte déjà accueillir 40 000 réfugiés en 2017, ce qui ne représente que 13 % du nombre total d’immigrants par année, c’est-à-dire 300 000.
L’afflux de nouveaux arrivants pourrait toutefois se poursuivre, ce qui suscite d’importantes questions stratégiques et administratives.
Les anciennes définitions qui régissent l’accueil des réfugiés sont-elles bien adaptées à la réalité des réfugiés d’aujourd’hui ? Bien des gens soutiennent que les structures administratives actuelles ne tiennent pas compte des raisons complexes qui pourraient pousser quelqu’un à rechercher par tous les moyens un milieu sécuritaire et favorable. Les Haïtiens des États-Unis ont par exemple reçu de l’aide après le tremblement de terre, mais ils fuient aujourd’hui la menace d’expulsion et, pour certains d’entre eux, le risque d’insécurité.
Existe-t-il une meilleure façon de gérer les réfugiés de l’environnement et du climat ? Tout comme en Haïti, les conditions environnementales et politiques sont indissociables. Nous savons que les catastrophes écologiques favorisent et exacerbent l’instabilité politique et la violence. Les ONG constatent par exemple une hausse des cas de violence, notamment de femmes victimes de viol, depuis le séisme, surtout dans les camps pour personnes déplacées. Notre système d’accueil des réfugiés réussira-t-il à protéger les Haïtiens et les autres groupes qui ont besoin de notre aide ? Le Canada n’est pas le seul pays à se poser la question. En effet, les scientifiques pensent que, d’ici la fin du siècle, le climat d’une bonne partie de l’Asie du Sud pourrait être trop chaud pour les êtres humains.
Les failles du système d’immigration des États-Unis devraient-elles pousser le Canada à repenser ses façons de faire ? Les Haïtiens ne sont pas le premier groupe d’immigrants à craindre d’être traité par M. Trump d’une manière que bon nombre de Canadiens jugeraient cruelle et injuste. Pensons entre autres aux immigrants musulmans et aux immigrants sans papiers qui étaient mineurs lorsqu’ils sont entrés aux États-Unis. S’ajoutent maintenant des Haïtiens qui vivent et travaillent aux États-Unis et qui y élèvent leur famille, parfois même depuis sept ans. Pour faire les choses de façon équilibrée, il faudra peut-être continuer de s’inspirer des normes mondiales, comme les cadres d’actions multilatéraux pour les réfugiés et les migrants qui sont actuellement en cours d’élaboration, et éviter de réagir de façon impulsive aux politiques des États-Unis.
Comment gérer les entrées au Canada de façon à susciter la confiance et l’adhésion de la population ? Un premier obstacle se dresse déjà à la frontière, puisque l’Entente sur les tiers pays sûrs permet au Canada et aux États-Unis de renvoyer les demandeurs d’asile dans le premier pays sûr où ils sont entrés. En raison d’un défaut du texte, l’Entente ne s’applique qu’aux points d’entrée proprement dits. C’est ce qui explique que les Haïtiens et d’autres réfugiés traversent la frontière par les petites routes de campagne ou les champs. Cette situation est dangereuse pour les réfugiés et pourrait faire planer un doute sur l’intégrité du système d’immigration et la compassion des Canadiens.
Vient ensuite le problème du traitement des demandes d’asile. Tous les demandeurs admissibles obtiennent une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Pour que le système favorise le bien-être des personnes touchées et inspire confiance à la population, il faut absolument que le délai entre l’entrée au Canada et l’octroi ou le refus du statut de réfugié soit raisonnable. Le Québec réclame que le processus soit mieux financé. Le gouvernement fédéral devrait donner la priorité à cette demande et veiller à ce que la Commission soit accessible, équitable et efficace.
C’est sans compter aussi sur les immenses efforts locaux d’établissement et d’intégration qui sont déployés au quotidien. Montréal et les autres communautés d’accueil auront besoin de financement car elles offrent des services publics et des espaces, comme des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques, des services de transport en commun et des complexes sportifs. Montréal confirme déjà son nouveau titre de « ville refuge », qui a été adopté à l’unanimité en février. Les gens de la région donnent de leur temps et de leur argent et cherchent à créer des liens avec les nouveaux arrivants. Au cours des prochains mois, Montréal servira d’exemple aux autres communautés et aux autres ordres de gouvernement, qui devraient chercher des moyens de mettre à contribution la compassion naturelle des gens.
Il sera parfois difficile de répondre aux besoins des nouveaux arrivants en évitant totalement l’improvisation. Le gouvernement fédéral ferait bien de laisser l’initiative aux administrations municipales. Au fond, ce sont peut-être les villes qui auront les solutions immédiates menant à ce que la Loi constitutionnelle de 1867 appelle « la paix, l’ordre et le bon gouvernement. »
Ratna Omidvar est une sénatrice de l’Ontario. Elle est membre du Comité sénatorial des droits de la personne et du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.
Cet article a été publié le 4 août 2017 dans le Globe and Mail (en anglais seulement).
Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.