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Le Canada s’attaque au problème des étudiants étrangers avec des solutions simplistes qui ne marcheront pas : sénatrice Omidvar

Trois étudiants portant un sac à dos montent un escalier menant à la porte d’un immeuble que deux étudiantes sont en train de franchir.

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Les étudiants étrangers au Canada, en particulier leurs répercussions sur la situation du logement, sont devenus une cible du mécontentement suscité par diverses politiques fédérales. Il existe aussi des préoccupations légitimes quant au fait que de nombreuses personnes appâtées par des consultants peu scrupuleux se servent des études comme prétexte pour venir travailler et s’établir au Canada. 

On soupçonne de plus en plus que de nombreux intéressés ont détourné le programme des étudiants étrangers à d’autres fins que celle d’offrir une éducation de qualité aux étudiants canadiens et étrangers. Parmi ces intéressés figurent les gouvernements provinciaux, qui profitent de la manne des droits de scolarité imposés aux étudiants étrangers pour plafonner les bourses d’études et les droits de scolarité des étudiants canadiens, ruinant ainsi les universités et les collèges. Le gouvernement de l’Ontario encourage fortement les établissements privés à s’associer à des collèges communautaires pour obtenir le statut très convoité d’« établissement d’enseignement désigné ». 

Une autre tendance sur laquelle nous avons peu d’influence est la prolifération (surtout en Inde) de consultants en éducation qui facturent des frais exorbitants aux étudiants et à leurs familles pour leur fournir des conseils souvent trompeurs.

Selon des déclarations (en anglais seulement), il y a maintenant plus d’un million d’étudiants étrangers au Canada. Comme les résidents temporaires (dont les étudiants étrangers font partie) ne sont pas pris en compte dans la planification annuelle des taux d’immigration, leur croissance exponentielle est largement passée inaperçue — mais plus aujourd’hui. Maintenant, les gouvernements s’efforcent de trouver une solution. 

La solution la plus simple est de fermer la vanne. Pierre Poilievre, le chef du Parti conservateur, a proposé qu’on arrime le nombre d’étudiants étrangers au nombre de logements disponibles. Lors d’une annonce faite en janvier (en anglais seulement), Marc Miller, le ministre de l’Immigration, a plutôt proposé de faire redescendre le nombre d’étudiants étrangers qui entrent au Canada. Mais, les solutions simples n’ont pas la subtilité nécessaire pour régler des problèmes complexes. 

Pour la première fois peut-être de notre histoire contemporaine, la majorité des Canadiens a exprimé l’avis que les taux d’immigration fixés par le pays étaient « trop élevés ». Voilà qui est grave. L’immigration n’a jamais encore été un thème central de nos campagnes électorales, mais elle risque de le devenir à la prochaine élection. De toute évidence, il faut faire quelque chose. 

Le projet de M. Miller de réduire le nombre d’étudiants étrangers au Canada et de répartir les places offertes entre les provinces aura des conséquences voulues et d’autres, non voulues. Le nœud du problème réside dans le fait que M. Miller est ministre de l’Immigration, et non ministre de l’Éducation. 

Privés d’un financement stable provenant des gouvernements provinciaux, les universités et les collèges se sont progressivement tournés vers leur seule autre source de revenus : les droits de scolarité. Dans un rapport de 2022, Statistique Canada indiquait que la part des revenus des collèges provenant du financement public avait baissé de 12 % depuis 2008. Parallèlement, la part des revenus attribuables aux droits de scolarité s’était accrue de 15 %, surtout en raison de l’augmentation des inscriptions d’étudiants étrangers, qui doivent souvent payer des droits jusqu’à cinq fois plus élevés que ceux exigés des étudiants canadiens. Les établissements d’enseignement postsecondaire de l’Ontario sont devenus particulièrement vulnérables à la pression financière, et des universités telles que Queen’s font état de leurs difficultés. 

Nous avons une délicate intervention à faire, mais au lieu d’un bistouri bien affûté, M. Miller a choisi d’utiliser un instrument émoussé, ce qui laissera certainement des marques. Les établissements des bas-fonds de l’industrie, qu’il compare à des « usines à chiots », fermeront leurs portes comme ils le devraient. La restriction des permis de travail accordés aux diplômés de ces établissements limitera le nombre de ceux qui finissent par travailler pour de grandes chaînes de magasins ou d’autres commerces pour de maigres salaires. Ces chaînes vont-elles par la suite augmenter leurs salaires pour attirer le personnel dont elles ont besoin? Des Canadiens au chômage vont-ils se trouver un emploi à long terme dans les secteurs du commerce de détail, de l’hôtellerie et du tourisme? Nous n’avons pas les réponses à ces questions. 

Si les universités et les collèges ne peuvent plus compter sur les droits de scolarité des étudiants étrangers comme par le passé, il est fort possible que la qualité de l’enseignement dispensé aux étudiants canadiens en souffre. Il faut que les gouvernements provinciaux se réveillent. 

Le Groupe d’experts pour la viabilité financière du secteur postsecondaire constitué par Doug Ford, le premier ministre de l’Ontario, a proposé des idées sensées pour stabiliser le financement des universités et des collèges, y compris « procéder à un rajustement ponctuel conséquent du financement par étudiant des collèges et universités afin de compenser les variations inflationnistes des coûts qui se sont avérées inhabituellement fortes ces dernières années » et « prendre l’engagement d’appliquer des rajustements annuels plus modestes » par la suite. Ce type de recommandations doit être pris au sérieux et rapidement appliqué.

Nous sommes en proie à un problème que nous avons nous-mêmes créé, mais nous pouvons y remédier en retournant à la base de l’éducation. Nous ne devrions pas dépendre de forces extérieures pour offrir une éducation de qualité aux étudiants canadiens. Nous devrions chercher à offrir un enseignement de premier ordre aux étudiants étrangers, afin de pouvoir former des jeunes du monde entier – qui pourront ensuite ramener un peu du Canada chez eux. 

Malheureusement, dans le contexte actuel de l’enseignement supérieur au Canada, ce sont les pieds qui commandent la tête. 

La sénatrice Ratna Omidvar est présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Elle représente l’Ontario au Sénat.

Une version de cet article a été publiée le 29 janvier 2024 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.

Les étudiants étrangers au Canada, en particulier leurs répercussions sur la situation du logement, sont devenus une cible du mécontentement suscité par diverses politiques fédérales. Il existe aussi des préoccupations légitimes quant au fait que de nombreuses personnes appâtées par des consultants peu scrupuleux se servent des études comme prétexte pour venir travailler et s’établir au Canada. 

On soupçonne de plus en plus que de nombreux intéressés ont détourné le programme des étudiants étrangers à d’autres fins que celle d’offrir une éducation de qualité aux étudiants canadiens et étrangers. Parmi ces intéressés figurent les gouvernements provinciaux, qui profitent de la manne des droits de scolarité imposés aux étudiants étrangers pour plafonner les bourses d’études et les droits de scolarité des étudiants canadiens, ruinant ainsi les universités et les collèges. Le gouvernement de l’Ontario encourage fortement les établissements privés à s’associer à des collèges communautaires pour obtenir le statut très convoité d’« établissement d’enseignement désigné ». 

Une autre tendance sur laquelle nous avons peu d’influence est la prolifération (surtout en Inde) de consultants en éducation qui facturent des frais exorbitants aux étudiants et à leurs familles pour leur fournir des conseils souvent trompeurs.

Selon des déclarations (en anglais seulement), il y a maintenant plus d’un million d’étudiants étrangers au Canada. Comme les résidents temporaires (dont les étudiants étrangers font partie) ne sont pas pris en compte dans la planification annuelle des taux d’immigration, leur croissance exponentielle est largement passée inaperçue — mais plus aujourd’hui. Maintenant, les gouvernements s’efforcent de trouver une solution. 

La solution la plus simple est de fermer la vanne. Pierre Poilievre, le chef du Parti conservateur, a proposé qu’on arrime le nombre d’étudiants étrangers au nombre de logements disponibles. Lors d’une annonce faite en janvier (en anglais seulement), Marc Miller, le ministre de l’Immigration, a plutôt proposé de faire redescendre le nombre d’étudiants étrangers qui entrent au Canada. Mais, les solutions simples n’ont pas la subtilité nécessaire pour régler des problèmes complexes. 

Pour la première fois peut-être de notre histoire contemporaine, la majorité des Canadiens a exprimé l’avis que les taux d’immigration fixés par le pays étaient « trop élevés ». Voilà qui est grave. L’immigration n’a jamais encore été un thème central de nos campagnes électorales, mais elle risque de le devenir à la prochaine élection. De toute évidence, il faut faire quelque chose. 

Le projet de M. Miller de réduire le nombre d’étudiants étrangers au Canada et de répartir les places offertes entre les provinces aura des conséquences voulues et d’autres, non voulues. Le nœud du problème réside dans le fait que M. Miller est ministre de l’Immigration, et non ministre de l’Éducation. 

Privés d’un financement stable provenant des gouvernements provinciaux, les universités et les collèges se sont progressivement tournés vers leur seule autre source de revenus : les droits de scolarité. Dans un rapport de 2022, Statistique Canada indiquait que la part des revenus des collèges provenant du financement public avait baissé de 12 % depuis 2008. Parallèlement, la part des revenus attribuables aux droits de scolarité s’était accrue de 15 %, surtout en raison de l’augmentation des inscriptions d’étudiants étrangers, qui doivent souvent payer des droits jusqu’à cinq fois plus élevés que ceux exigés des étudiants canadiens. Les établissements d’enseignement postsecondaire de l’Ontario sont devenus particulièrement vulnérables à la pression financière, et des universités telles que Queen’s font état de leurs difficultés. 

Nous avons une délicate intervention à faire, mais au lieu d’un bistouri bien affûté, M. Miller a choisi d’utiliser un instrument émoussé, ce qui laissera certainement des marques. Les établissements des bas-fonds de l’industrie, qu’il compare à des « usines à chiots », fermeront leurs portes comme ils le devraient. La restriction des permis de travail accordés aux diplômés de ces établissements limitera le nombre de ceux qui finissent par travailler pour de grandes chaînes de magasins ou d’autres commerces pour de maigres salaires. Ces chaînes vont-elles par la suite augmenter leurs salaires pour attirer le personnel dont elles ont besoin? Des Canadiens au chômage vont-ils se trouver un emploi à long terme dans les secteurs du commerce de détail, de l’hôtellerie et du tourisme? Nous n’avons pas les réponses à ces questions. 

Si les universités et les collèges ne peuvent plus compter sur les droits de scolarité des étudiants étrangers comme par le passé, il est fort possible que la qualité de l’enseignement dispensé aux étudiants canadiens en souffre. Il faut que les gouvernements provinciaux se réveillent. 

Le Groupe d’experts pour la viabilité financière du secteur postsecondaire constitué par Doug Ford, le premier ministre de l’Ontario, a proposé des idées sensées pour stabiliser le financement des universités et des collèges, y compris « procéder à un rajustement ponctuel conséquent du financement par étudiant des collèges et universités afin de compenser les variations inflationnistes des coûts qui se sont avérées inhabituellement fortes ces dernières années » et « prendre l’engagement d’appliquer des rajustements annuels plus modestes » par la suite. Ce type de recommandations doit être pris au sérieux et rapidement appliqué.

Nous sommes en proie à un problème que nous avons nous-mêmes créé, mais nous pouvons y remédier en retournant à la base de l’éducation. Nous ne devrions pas dépendre de forces extérieures pour offrir une éducation de qualité aux étudiants canadiens. Nous devrions chercher à offrir un enseignement de premier ordre aux étudiants étrangers, afin de pouvoir former des jeunes du monde entier – qui pourront ensuite ramener un peu du Canada chez eux. 

Malheureusement, dans le contexte actuel de l’enseignement supérieur au Canada, ce sont les pieds qui commandent la tête. 

La sénatrice Ratna Omidvar est présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Elle représente l’Ontario au Sénat.

Une version de cet article a été publiée le 29 janvier 2024 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.

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