Aller au contenu

Le Sénat ne peut pas sérieusement jouer son rôle complémentaire de « second examen objectif » si le sénateur Harder relègue ses pouvoirs : les sénateurs Greene et Massicotte

Étiquettes

Le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Peter Harder, a récemment contribué au débat en cours sur le rôle d’un Sénat moderne en publiant un document de travail intitulé « La complémentarité : Le rôle constitutionnel du Sénat du Canada ».

En tant que sénateurs indépendants d’horizons politiques différents, qui ont tous deux à cœur un Sénat moins partisan et plus digne de confiance, nous partageons en grande partie la vision du sénateur Harder. Toutefois, certaines de ses suggestions, notamment son interprétation de la Convention de Salisbury, son appui à un veto suspensif du Sénat et les principes de base que le Sénat devrait utiliser comme lignes directrices lors de l’examen des lois gouvernementales, sont des questions qui doivent faire l’objet d’un débat plus approfondi. Ses arguments soulèvent des questions sur la façon dont le Sénat continuerait d’exercer son rôle constitutionnel en tant que chambre de second examen objectif.

Pour commencer, le sénateur Harder souligne l’importance de la Convention de Salisbury, qu’il interprète comme suit : « la Chambre haute ne s’oppose pas à la deuxième ou troisième lecture des projets de loi qui ont été soumis à l’électorat et approuvés ».

Cependant, cette interprétation est beaucoup plus large que les deux autres références faites par le sénateur Harder sur le même sujet.

Le sénateur Harder cite la sénatrice Fraser, récemment retraitée, à l’appui de son interprétation de la Convention de Salisbury. Cependant, la citation que le sénateur Harder utilise dit que « Si un gouvernement a été élu grâce à un élément précis de son programme… il ne convient pas de bloquer l’atteinte de cet objectif. »

Pour étayer davantage son interprétation, le sénateur Harder cite l’ancien leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Austin. Une fois de plus, la citation porte sur le fait que la législation proposée doit constituer « une partie fondamentale du mandat confié aux élus » pour que la convention soit applicable.

Il existe une grande différence entre la proposition du sénateur Harder voulant que le Sénat ne s’oppose pas à un projet de loi qui découle du programme électoral du gouvernement et les points de vue des anciens sénateurs Austin et Fraser voulant que le Sénat ne s’oppose pas aux projets de loi qui renferment les plus importantes promesses électorales du gouvernement. Dans ce dernier cas, la question devient donc la suivante : comment le Sénat peut-il faire la différence entre les promesses les plus importantes et les autres, d’autant plus que les priorités changent souvent?

À titre d’exemple, dans le Programme libéral de 2015, le gouvernement a fait plus de cent promesses dans un document de 88 pages. Même si la réforme électorale occupait les pages 28 à 30, la légalisation du cannabis récréatif ne faisait que quelques paragraphes à la page 61. Dans le passé, ou plus récemment, le gouvernement a vanté ces deux promesses comme étant « fondamentales », mais la réforme électorale n’a pas été introduite dans la législation alors que la légalisation du cannabis récréatif l’était. Est-ce à dire que seul le gouvernement peut déterminer à sa guise quelle promesse est fondamentale, selon son propre programme politique? 

On peut soutenir que ce débat est peut-être théorique parce que, à notre avis, le programme électoral d’un parti n’est pas le facteur le plus décisif pour déterminer la façon dont une personne vote.

Le sénateur Harder semble également appuyer le fait de limiter le Sénat à un « veto suspensif », où le Sénat pourrait seulement retarder l’adoption d’une loi gouvernementale, mais pas la rejeter. Par exemple, le sénateur Harder fait référence à l’article 47.1 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet à la Chambre des communes de contourner le Sénat en réadoptant un amendement constitutionnel conformément aux articles 38 et 41 à 43 si le Sénat n’adopte pas l’amendement dans les cent quatre-vingts jours. Il convient de noter que toute modification apportée à l’aide de cette mesure procédurale nécessite encore un appui important de la part des provinces.

En élargissant cette mesure procédurale à toutes les lois gouvernementales adoptées par la Chambre des communes, on favoriserait automatiquement la position de la Chambre des communes, quelle que soit la nature du différend avec le Sénat, ce qui priverait la Chambre haute de toute influence pour inciter la Chambre basse à envisager toute tentative d’améliorer la législation dans l’intérêt des Canadiens.

À défaut de la mise en œuvre d’un veto suspensif, le sénateur Harder énumère un ensemble de « principes de base » qui serviront de lignes directrices pour l’examen des lois gouvernementales par les sénateurs. Bien que nous soyons d’accord avec le sénateur Harder pour dire que le Sénat devrait rejeter les projets de loi du gouvernement dans des cas « exceptionnellement rares », nous ne sommes pas d’accord avec lui pour dire que les amendements du Sénat devraient se limiter seulement aux questions « conformes à l’esprit et à l’intention de l’initiative politique [du gouvernement] ».

Le sénateur Harder poursuit en disant que « si un sénateur souhaite insister sur une politique publique [différente], il devrait se présenter aux élections », laissant entendre que seules les politiques approuvées par une élection sont valides et que les sénateurs n’ont rien à ajouter au débat public. 

Nous reconnaissons que les sénateurs ne sont pas élus et nous accordons autant d’importance à la démocratie que le sénateur Harder. Cependant, nous nous demandons comment le Sénat peut sérieusement jouer son rôle complémentaire de « second examen objectif » avec un pouvoir relégué comme le suggère le sénateur Harder. Comment un amendement proposé par le Sénat dans le but d’obtenir la meilleure législation possible met-il en danger la démocratie?

Le sénateur Harder complète son document de travail en dénonçant le fait que l’opposition pose un « défi direct à la démocratie représentative » lorsque « les votes se font en bloc avec l’intention explicite de rejeter des projets de loi ». Selon lui, l’opposition a pour « but apparent de donner au public une fausse impression qu’un Sénat complémentaire, moins partisan et plus indépendant, ne peut pas travailler diligemment ou efficacement ».

Nous nous interrogeons sur l’exactitude de la façon dont l’objectif de l’opposition est présenté ici. Tous les sénateurs, y compris l’opposition, ont la responsabilité égale de veiller à ce que le Sénat s’acquitte efficacement de son devoir de second examen objectif. L’histoire nous montre que les partis de l’opposition ont agi de façon appropriée pour assurer l’application régulière de la loi au Sénat, même lorsque l’opposition y détenait une majorité.

Il nous reste encore une question générale : pourquoi le sénateur Harder est-il si préoccupé par les amendements proposés par le Sénat? Les Canadiens ne devraient-ils pas s’attendre à ce qu’un Sénat moins partisan et plus digne de confiance contribue au débat public en proposant plus d’amendements que par le passé? D’autant plus que les programmes des divers partis politiques, qui agissent et votent souvent en bloc, contrôlent de plus en plus la Chambre des communes.

Le sénateur Stephen Greene représente la Nouvelle-Écosse et préside le Comité spécial sur la modernisation du Sénat. Le sénateur Paul J. Massicotte représente la division de Lanaudière du Québec et est membre du Comité spécial sur la modernisation du Sénat.

Cet article a été publié le 21 mai 2018 dans The Hill Times (en anglais seulement).

Le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Peter Harder, a récemment contribué au débat en cours sur le rôle d’un Sénat moderne en publiant un document de travail intitulé « La complémentarité : Le rôle constitutionnel du Sénat du Canada ».

En tant que sénateurs indépendants d’horizons politiques différents, qui ont tous deux à cœur un Sénat moins partisan et plus digne de confiance, nous partageons en grande partie la vision du sénateur Harder. Toutefois, certaines de ses suggestions, notamment son interprétation de la Convention de Salisbury, son appui à un veto suspensif du Sénat et les principes de base que le Sénat devrait utiliser comme lignes directrices lors de l’examen des lois gouvernementales, sont des questions qui doivent faire l’objet d’un débat plus approfondi. Ses arguments soulèvent des questions sur la façon dont le Sénat continuerait d’exercer son rôle constitutionnel en tant que chambre de second examen objectif.

Pour commencer, le sénateur Harder souligne l’importance de la Convention de Salisbury, qu’il interprète comme suit : « la Chambre haute ne s’oppose pas à la deuxième ou troisième lecture des projets de loi qui ont été soumis à l’électorat et approuvés ».

Cependant, cette interprétation est beaucoup plus large que les deux autres références faites par le sénateur Harder sur le même sujet.

Le sénateur Harder cite la sénatrice Fraser, récemment retraitée, à l’appui de son interprétation de la Convention de Salisbury. Cependant, la citation que le sénateur Harder utilise dit que « Si un gouvernement a été élu grâce à un élément précis de son programme… il ne convient pas de bloquer l’atteinte de cet objectif. »

Pour étayer davantage son interprétation, le sénateur Harder cite l’ancien leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Austin. Une fois de plus, la citation porte sur le fait que la législation proposée doit constituer « une partie fondamentale du mandat confié aux élus » pour que la convention soit applicable.

Il existe une grande différence entre la proposition du sénateur Harder voulant que le Sénat ne s’oppose pas à un projet de loi qui découle du programme électoral du gouvernement et les points de vue des anciens sénateurs Austin et Fraser voulant que le Sénat ne s’oppose pas aux projets de loi qui renferment les plus importantes promesses électorales du gouvernement. Dans ce dernier cas, la question devient donc la suivante : comment le Sénat peut-il faire la différence entre les promesses les plus importantes et les autres, d’autant plus que les priorités changent souvent?

À titre d’exemple, dans le Programme libéral de 2015, le gouvernement a fait plus de cent promesses dans un document de 88 pages. Même si la réforme électorale occupait les pages 28 à 30, la légalisation du cannabis récréatif ne faisait que quelques paragraphes à la page 61. Dans le passé, ou plus récemment, le gouvernement a vanté ces deux promesses comme étant « fondamentales », mais la réforme électorale n’a pas été introduite dans la législation alors que la légalisation du cannabis récréatif l’était. Est-ce à dire que seul le gouvernement peut déterminer à sa guise quelle promesse est fondamentale, selon son propre programme politique? 

On peut soutenir que ce débat est peut-être théorique parce que, à notre avis, le programme électoral d’un parti n’est pas le facteur le plus décisif pour déterminer la façon dont une personne vote.

Le sénateur Harder semble également appuyer le fait de limiter le Sénat à un « veto suspensif », où le Sénat pourrait seulement retarder l’adoption d’une loi gouvernementale, mais pas la rejeter. Par exemple, le sénateur Harder fait référence à l’article 47.1 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet à la Chambre des communes de contourner le Sénat en réadoptant un amendement constitutionnel conformément aux articles 38 et 41 à 43 si le Sénat n’adopte pas l’amendement dans les cent quatre-vingts jours. Il convient de noter que toute modification apportée à l’aide de cette mesure procédurale nécessite encore un appui important de la part des provinces.

En élargissant cette mesure procédurale à toutes les lois gouvernementales adoptées par la Chambre des communes, on favoriserait automatiquement la position de la Chambre des communes, quelle que soit la nature du différend avec le Sénat, ce qui priverait la Chambre haute de toute influence pour inciter la Chambre basse à envisager toute tentative d’améliorer la législation dans l’intérêt des Canadiens.

À défaut de la mise en œuvre d’un veto suspensif, le sénateur Harder énumère un ensemble de « principes de base » qui serviront de lignes directrices pour l’examen des lois gouvernementales par les sénateurs. Bien que nous soyons d’accord avec le sénateur Harder pour dire que le Sénat devrait rejeter les projets de loi du gouvernement dans des cas « exceptionnellement rares », nous ne sommes pas d’accord avec lui pour dire que les amendements du Sénat devraient se limiter seulement aux questions « conformes à l’esprit et à l’intention de l’initiative politique [du gouvernement] ».

Le sénateur Harder poursuit en disant que « si un sénateur souhaite insister sur une politique publique [différente], il devrait se présenter aux élections », laissant entendre que seules les politiques approuvées par une élection sont valides et que les sénateurs n’ont rien à ajouter au débat public. 

Nous reconnaissons que les sénateurs ne sont pas élus et nous accordons autant d’importance à la démocratie que le sénateur Harder. Cependant, nous nous demandons comment le Sénat peut sérieusement jouer son rôle complémentaire de « second examen objectif » avec un pouvoir relégué comme le suggère le sénateur Harder. Comment un amendement proposé par le Sénat dans le but d’obtenir la meilleure législation possible met-il en danger la démocratie?

Le sénateur Harder complète son document de travail en dénonçant le fait que l’opposition pose un « défi direct à la démocratie représentative » lorsque « les votes se font en bloc avec l’intention explicite de rejeter des projets de loi ». Selon lui, l’opposition a pour « but apparent de donner au public une fausse impression qu’un Sénat complémentaire, moins partisan et plus indépendant, ne peut pas travailler diligemment ou efficacement ».

Nous nous interrogeons sur l’exactitude de la façon dont l’objectif de l’opposition est présenté ici. Tous les sénateurs, y compris l’opposition, ont la responsabilité égale de veiller à ce que le Sénat s’acquitte efficacement de son devoir de second examen objectif. L’histoire nous montre que les partis de l’opposition ont agi de façon appropriée pour assurer l’application régulière de la loi au Sénat, même lorsque l’opposition y détenait une majorité.

Il nous reste encore une question générale : pourquoi le sénateur Harder est-il si préoccupé par les amendements proposés par le Sénat? Les Canadiens ne devraient-ils pas s’attendre à ce qu’un Sénat moins partisan et plus digne de confiance contribue au débat public en proposant plus d’amendements que par le passé? D’autant plus que les programmes des divers partis politiques, qui agissent et votent souvent en bloc, contrôlent de plus en plus la Chambre des communes.

Le sénateur Stephen Greene représente la Nouvelle-Écosse et préside le Comité spécial sur la modernisation du Sénat. Le sénateur Paul J. Massicotte représente la division de Lanaudière du Québec et est membre du Comité spécial sur la modernisation du Sénat.

Cet article a été publié le 21 mai 2018 dans The Hill Times (en anglais seulement).

Étiquettes

Encore plus sur SenCA+

Haut de page