Perspectives — Du 27 au 29 mars 2018
La semaine dernière au Sénat : les nouvelles technologies et l’inégalité, les débats sur le projet de loi sur la légalisation du cannabis, les oléoducs et un premier discours.
Gouvernement
L’arrivée de technologies comme l’intelligence artificielle risque d’augmenter les inégalités de revenus et de classes si, comme c’est le cas actuellement, près de la moitié des Canadiens ne peuvent les utiliser. L’économie de certaines provinces et certains territoires pourraient en souffrir en matière d’emplois et de croissance économique si une proportion de leur population est incapable de s’adapter aux changements.
Le Canada est très bien coté sur le plan des taux de diplomation scolaire, par contre la réalité est différente lorsqu’il s’agit des compétences essentielles, comme la littératie, la numératie et la capacité de résoudre des problèmes dans un univers technologique.
Selon les enquêtes approfondies de l’OCDE, 49 % des Canadiens ont obtenu un score en dessous du niveau de compétences souhaité pour bien fonctionner en société. Cela représente 11,8 millions de personnes âgées de 16 à 65 ans. Toujours selon les données de l’OCDE colligées avec Statistique Canada, ces personnes, même celles en emploi, n’ont pas le minimum attendu de compétences nécessaires pour obtenir un diplôme d’études secondaires et se trouver un emploi décent.
Or, l’avènement de l’intelligence artificielle compliquera davantage la situation. Les experts prévoient que 50 % des emplois seront affectés prochainement par l’introduction de ces technologies. Si nous voulons permettre à tout un chacun de pouvoir en profiter plutôt que d’en subir les conséquences, il faudra encourager tout le monde d’améliorer ses compétences tout au long de leur vie. Cela exige une stratégie collective.
Ce défi est de taille. Si tous les gouvernements canadiens acceptaient de travailler ensemble afin de partager leur savoir-faire dans le domaine de la formation continue, nous pourrions envisager que les bienfaits des technologies de demain soient répartis équitablement et qu’aucun groupe ne soit laissé pour compte.
D’autres fédérations, l’Australie par exemple, ont accepté de relever ce défi. Pourquoi pas le Canada?
Opposition
Les conséquences de la légalisation de la marijuana sont graves et d’une vaste portée. La semaine dernière, le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense a entendu Len Saunders, avocat américain spécialisé en droit de l’immigration, rappeler aux sénateurs que les Canadiens qui reconnaissent avoir consommé de la marijuana risquent d’être interdits de séjour à vie aux États-Unis, même après la légalisation de la marijuana au Canada.
La semaine dernière, le ministre Ralph Goodale a comparu devant le comité, et les sénateurs ont pu lui poser des questions sur les lois transfrontalières. Les sénateurs s’attendaient à ce que le ministre rassure les Canadiens. Malheureusement, il s’est engagé seulement à travailler avec les États-Unis à régler cette question après la légalisation. Le sénateur Paul E. McIntyre a demandé au ministre pourquoi le Canada n’a pas obtenu d’assurances des États-Unis pour protéger les Canadiens à la frontière. Le ministre a répondu qu’il ne savait pas si des assurances formelles ou un accord constituent une demande réaliste.
Une ambiguïté aussi flagrante à la veille de l’adoption du projet de loi C-45 est inacceptable. Le ministre Goodale oublie-t-il que plus de 2 milliards de dollars en produits et services franchissent la frontière canado-américaine tous les jours? En fait, d’après Statistique Canada, en 2017, le nombre de voyages aux États-Unis avec nuitée effectués par des Canadiens a atteint 20,2 millions. Le témoin Lorne Waldman, avocat spécialisé en droit de l’immigration, a souligné que les parents pourraient également être tenus légalement responsables si leurs enfants avaient de la marijuana en leur possession à la frontière.
À défaut d’assurances de la part des États-Unis, des millions de Canadiens pourraient se voir refuser l’entrée aux États-Unis.
Les Canadiens méritent des réponses précises du ministre Goodale avant que ce projet de loi n’entre en vigueur.
Libéraux au Sénat
La semaine dernière, pendant la période des questions, j’ai posé des questions à l’honorable Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, au sujet des pipelines et de la nécessité de disposer d’un moyen de transporter le pétrole canadien, surtout des provinces de l’Ouest vers l’Est du Canada. Cela demeure un défi constant que de transporter le pétrole de l’Alberta vers l’ouest, de l’autre côté des montagnes, au moyen de pipelines, et il est encore plus difficile de l’acheminer vers l’est, sauf par train. En conséquence, l’Est du Canada importe plus de 750 000 barils de pétrole par jour aux fins de transformation, alors que le pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan, qui a besoin de débouchés, demeure inaccessible.
Le projet d’oléoduc Énergie Est aurait acheminé chaque jour 1,1 million de barils de pétrole vers le Canada atlantique, et ce, à un coût inférieur à celui du pétrole importé, qui est transporté par pétrolier. Ce pipeline aurait eu d’importantes retombées économiques pour le Nouveau-Brunswick, le Canada atlantique et l’ensemble du Canada. Malheureusement, l’Office national de l’énergie a modifié les critères d’évaluation à mi-parcours, ce qui a amené TransCanada à abandonner le projet à cause de l’incertitude du contexte réglementaire.
Malgré ce revers, le besoin d’un pipeline vers le Canada atlantique demeure. Le gouvernement appuie déjà ouvertement des projets de pipeline approuvés comme Keystone et l’expansion du réseau Trans Mountain; je ne vois pas pourquoi le gouvernement fédéral ne pourrait pas exprimer son appui à l’égard de la notion de transporter le pétrole de l’Ouest canadien vers l’Est autrement que par train, une méthode qui comporte ses propres risques, comme on l’a vu à Lac Mégantic. À vrai dire, un pipeline servirait l’intérêt économique et environnemental du pays tout entier.
Groupe des sénateurs indépendants
La semaine dernière, j’ai eu l’honneur de prononcer mon premier discours au Sénat. J’ai d’abord raconté l’histoire tragique d’une jeune femme autochtone et de son enfant qui ont été tués et dont la mort a été balayée sous prétexte qu’ils n’étaient que des Indiens. Cet incident s’est produit à Le Pas, au Manitoba, dans les années 1920. C’est dans ce contexte que j’ai grandi comme Autochtone au Canada et survivante des pensionnats indiens. À plusieurs égards, les problèmes que j’ai vécus étaient écrits avant ma naissance. Malheureusement, le racisme et l’oppression sont des facteurs déterminants de l’identité autochtone.
Il ne saurait y avoir de réconciliation sans reconnaissance préalable de la vérité. Comme l’affirme le sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada : « La réconciliation nécessite l’élaboration d’une nouvelle vision fondée sur le respect mutuel. »
J’ai raconté ma vérité, non pas pour blâmer qui que ce soit ni pour répandre la négativité, mais afin de promouvoir l’importance d’un effort collectif en faveur de la réconciliation.
Ce discours amorce une longue carrière intéressante et productive au Sénat. J’envisage avec enthousiasme la perspective d’y mettre à profit mes antécédents et mon expérience en vue de contribuer à élever le dialogue et à stimuler la discussion sur la réconciliation, y compris l’accès à l’autodétermination pour tous les Canadiens.