Rencontre avec la sénatrice Dawn Anderson
Pendant de nombreuses années, la mère de la sénatrice Dawn Anderson s’est fait appeler W3‑779. Cela s’inscrivait dans une politique fédérale qui a duré pendant des décennies et qui visait à effacer les noms inuits pour les remplacer par des numéros « d’identification des Esquimaux ».
Dans la culture traditionnelle inuite, le choix du nom d’un nouveau-né est profondément chargé de sens. Un aîné donne souvent le nom d’un membre de la famille, comme manière de transmettre l’héritage de cette personne et de relier l’enfant à ses ancêtres. Même si le gouvernement fédéral a supprimé l’« identification des Esquimaux » il y a plusieurs décennies, le système colonial d’attribution de noms complique toujours les choses pour de nombreux aînés inuits, comme la mère de la sénatrice Anderson.
Dans cette entrevue avec SenCAplus, la sénatrice Anderson explique qu’elle conserve un lien très fort avec les noms inuits de sa famille et décrit comment sa communauté natale de Tuktoyaktuk inspire son travail au Sénat.
Qui vous a transmis le désir et l’intérêt de participer à la vie publique?
Ce sont mes cinq enfants qui constituent ma plus grande motivation à prendre part à la vie publique. En fait, j’ai présenté ma candidature pour devenir sénatrice parce que ma fille, qui était alors âgée de huit ou neuf ans, me l’avait demandé.
Nommez une chose que la plupart des Canadiens ne savent probablement pas à votre sujet.
J’écris de la poésie et je fais du dessin au fusain. Il y a beaucoup d’artistes dans ma famille, du côté de ma mère. Ses trois frères — Bill, Eli et Joe Nasogaluak — sont passablement connus et ils utilisent toutes sortes de médiums. Les capacités artistiques semblent se perpétuer au sein de notre famille.
Selon vous, quels sont les plus importants enjeux de politique publique auxquels le Canada fait face à l’heure actuelle?
Je crois que l’un des plus importants enjeux de politique publique est la réconciliation véritable et l’établissement de relations avec les peuples autochtones. Compte tenu des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones qui remonte à près de 30 ans, il doit y avoir une véritable marche à suivre. Il faut arrêter d’en parler et prendre des mesures concrètes.
Pourquoi un plus grand nombre de Canadiens devraient-ils s’intéresser aux travaux du Sénat?
Parce que nous représentons les régions, et plus particulièrement les intérêts des minorités et des populations vulnérables. Nous venons d’horizons de plus en plus variés. Il y a maintenant 10 sénateurs autochtones au Sénat, ce qui n’est pas beaucoup, mais nous travaillons fort pour veiller à ce que les points de vue des peuples autochtones soient pris en compte lors de l’élaboration des lois fédérales.
Parfois, les lois qui viennent du Sud ont une incidence négative sur les communautés du Nord. Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir en est un exemple. Je ne peux pas soutenir ce projet de loi alors que dans les Territoires du Nord-Ouest, notre droit à la vie est déjà compromis. Je ne peux pas soutenir le droit de mourir avant que les habitants du Nord bénéficient des mêmes conditions de vie que les habitants du Sud, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et les soins de santé.
À quelle mesure législative êtes-vous la plus fière d’avoir participé jusqu’à maintenant?
Je retire de la fierté de tout ce que je fais, c’est pourquoi il m’est difficile de choisir une chose. Ce qui est important pour moi, ce sont les partenariats. Si je sais qu’un projet de loi aura des répercussions dans les Territoires du Nord-Ouest, je fais appel à différents groupes pour leur parler de l’incidence que ce projet de loi aurait sur eux. Pour moi, c’est le travail qui s’effectue en coulisses qui est le plus important.
En quoi votre travail de fonctionnaire dans le domaine de la justice communautaire et des services de police vous a-t-il préparée à votre travail au Sénat?
Mon travail consistait à défendre les personnes privées de leurs droits, les minorités et les personnes éprouvant des problèmes au quotidien. Je crois que ce qui m’a probablement le mieux préparée est ma capacité d’écouter ceux qui, bien souvent, on n’écoute pas.
Pouvez-vous me nommer un trésor caché de votre région que les Canadiens gagneraient à découvrir?
Je dirais que l’ensemble de notre territoire est un trésor caché. Je crois que les gens ne comprennent pas bien le Nord du Canada. Lorsque de nombreux Canadiens pensent au Nord, ils s’imaginent simplement un paysage aride couvert de neige, sans arbres, où vivent peu de personnes. Ce n’est pas le cas. Je crois que le territoire a beaucoup à offrir. Il est magnifique et très diversifié. Nous avons 11 langues officielles, ce que peu de gens savent.
J’ai soumis une demande de remboursement et on m’a demandé pourquoi j’avais loué un camion et non une voiture. J’étais stupéfaite. Ici, la majorité des routes sont en gravier, sauf à Yellowknife. Nous avons la route Tuktoyaktuk. C’est deux heures et demie de route, tout en gravier, un endroit où nous sommes soumis aux intempéries, y compris des tempêtes qui durent des jours et qui entraînent la fermeture de la route. Selon moi, ce sont ces petites nuances qui sont très importantes pour comprendre certains des défis, mais également certains des éléments positifs, que nous avons dans le Nord.
Pouvez-vous nommer une chanson qui vous fait toujours sourire et nous expliquer pourquoi?
Arnaq d’Elisapie, une auteure-compositrice inuite. Je ne comprends pas tous les mots parce que je ne parle pas inuktitut, mais j’en reconnais certains. Cette chanson me parle. C’est une chanson très puissante à propos des femmes. Elle me rappelle ma mère, qui est décédée il y a environ trois ans.
Avez-vous des passe-temps?
J’achète de vieilles photos de presse et des ouvrages de la Chambre des communes qui remontent aux années 1800 et au début des années 1900, sur eBay, et je mène des recherches sur les histoires derrière elles. Je crois qu’il est important de ne pas oublier le passé pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Ma tante a été dans un pensionnat de Yellowknife, à Stringer Hall, et j’ai trouvé une de ses peintures sur eBay, vendue par un professeur d’art qui l’avait gardée. C’était tout un choc de la trouver là.
C’est comme si vous aviez découvert un élément de l’histoire de votre famille.
C’est le cas. Elle l’avait signée de son nom de jeune fille, Nasogaluak. À sa naissance, ma mère a eu cinq noms inuits (aucun nom en anglais et aucun nom de famille). Dans les années 1930, le gouvernement a décidé que les Autochtones du Nord devaient avoir un autre identifiant; ils ont donc commencé à identifier les gens à l’aide de numéros. Le numéro de ma mère était le W3-779. En 1966, le gouvernement a décidé que les gens devraient avoir des noms; il a donc lancé le projet Surname. Ma mère est devenue Sarah Martha Nasogaluak. Lorsqu’elle était âgée d’environ 80 ans, elle avait besoin d’une pièce d’identité avec photo. Nous nous sommes donc rendus dans les bureaux du gouvernement, mais c’était compliqué parce que seuls ses noms inuits figuraient sur son certificat de naissance. Ici, dans le Nord, les Autochtones ont toujours du mal à obtenir des pièces d’identité adéquates lorsque leurs noms inuits apparaissent sur leur certificat de naissance, alors que c’est le Canada qui a changé leur nom.
Pourquoi êtes-vous fière d’être Inuvialuite?
Pour moi, être Inuvialuite signifie faire partie d’une famille et d’une communauté partageant une culture et une langue. Ce n’est pas un mot singulier, c’est un mot collectif. Chez moi, dans le Nord, nous n’étions pas élevés seulement par nos parents; nous étions élevés par une communauté. Nous apprenions de tous ceux qui nous entouraient. Être Inuvialuite, c’est le sentiment qu’il faut prendre soin les uns des autres et s’entraider. C’est important pour moi et je le transpose partout où je vais. Ce sont mes racines et c’est ce qui m’inspire le plus.
Articles connexes
Étiquettes
Nouvelles des comités
Rencontre avec la sénatrice Dawn Anderson
Pendant de nombreuses années, la mère de la sénatrice Dawn Anderson s’est fait appeler W3‑779. Cela s’inscrivait dans une politique fédérale qui a duré pendant des décennies et qui visait à effacer les noms inuits pour les remplacer par des numéros « d’identification des Esquimaux ».
Dans la culture traditionnelle inuite, le choix du nom d’un nouveau-né est profondément chargé de sens. Un aîné donne souvent le nom d’un membre de la famille, comme manière de transmettre l’héritage de cette personne et de relier l’enfant à ses ancêtres. Même si le gouvernement fédéral a supprimé l’« identification des Esquimaux » il y a plusieurs décennies, le système colonial d’attribution de noms complique toujours les choses pour de nombreux aînés inuits, comme la mère de la sénatrice Anderson.
Dans cette entrevue avec SenCAplus, la sénatrice Anderson explique qu’elle conserve un lien très fort avec les noms inuits de sa famille et décrit comment sa communauté natale de Tuktoyaktuk inspire son travail au Sénat.
Qui vous a transmis le désir et l’intérêt de participer à la vie publique?
Ce sont mes cinq enfants qui constituent ma plus grande motivation à prendre part à la vie publique. En fait, j’ai présenté ma candidature pour devenir sénatrice parce que ma fille, qui était alors âgée de huit ou neuf ans, me l’avait demandé.
Nommez une chose que la plupart des Canadiens ne savent probablement pas à votre sujet.
J’écris de la poésie et je fais du dessin au fusain. Il y a beaucoup d’artistes dans ma famille, du côté de ma mère. Ses trois frères — Bill, Eli et Joe Nasogaluak — sont passablement connus et ils utilisent toutes sortes de médiums. Les capacités artistiques semblent se perpétuer au sein de notre famille.
Selon vous, quels sont les plus importants enjeux de politique publique auxquels le Canada fait face à l’heure actuelle?
Je crois que l’un des plus importants enjeux de politique publique est la réconciliation véritable et l’établissement de relations avec les peuples autochtones. Compte tenu des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones qui remonte à près de 30 ans, il doit y avoir une véritable marche à suivre. Il faut arrêter d’en parler et prendre des mesures concrètes.
Pourquoi un plus grand nombre de Canadiens devraient-ils s’intéresser aux travaux du Sénat?
Parce que nous représentons les régions, et plus particulièrement les intérêts des minorités et des populations vulnérables. Nous venons d’horizons de plus en plus variés. Il y a maintenant 10 sénateurs autochtones au Sénat, ce qui n’est pas beaucoup, mais nous travaillons fort pour veiller à ce que les points de vue des peuples autochtones soient pris en compte lors de l’élaboration des lois fédérales.
Parfois, les lois qui viennent du Sud ont une incidence négative sur les communautés du Nord. Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir en est un exemple. Je ne peux pas soutenir ce projet de loi alors que dans les Territoires du Nord-Ouest, notre droit à la vie est déjà compromis. Je ne peux pas soutenir le droit de mourir avant que les habitants du Nord bénéficient des mêmes conditions de vie que les habitants du Sud, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et les soins de santé.
À quelle mesure législative êtes-vous la plus fière d’avoir participé jusqu’à maintenant?
Je retire de la fierté de tout ce que je fais, c’est pourquoi il m’est difficile de choisir une chose. Ce qui est important pour moi, ce sont les partenariats. Si je sais qu’un projet de loi aura des répercussions dans les Territoires du Nord-Ouest, je fais appel à différents groupes pour leur parler de l’incidence que ce projet de loi aurait sur eux. Pour moi, c’est le travail qui s’effectue en coulisses qui est le plus important.
En quoi votre travail de fonctionnaire dans le domaine de la justice communautaire et des services de police vous a-t-il préparée à votre travail au Sénat?
Mon travail consistait à défendre les personnes privées de leurs droits, les minorités et les personnes éprouvant des problèmes au quotidien. Je crois que ce qui m’a probablement le mieux préparée est ma capacité d’écouter ceux qui, bien souvent, on n’écoute pas.
Pouvez-vous me nommer un trésor caché de votre région que les Canadiens gagneraient à découvrir?
Je dirais que l’ensemble de notre territoire est un trésor caché. Je crois que les gens ne comprennent pas bien le Nord du Canada. Lorsque de nombreux Canadiens pensent au Nord, ils s’imaginent simplement un paysage aride couvert de neige, sans arbres, où vivent peu de personnes. Ce n’est pas le cas. Je crois que le territoire a beaucoup à offrir. Il est magnifique et très diversifié. Nous avons 11 langues officielles, ce que peu de gens savent.
J’ai soumis une demande de remboursement et on m’a demandé pourquoi j’avais loué un camion et non une voiture. J’étais stupéfaite. Ici, la majorité des routes sont en gravier, sauf à Yellowknife. Nous avons la route Tuktoyaktuk. C’est deux heures et demie de route, tout en gravier, un endroit où nous sommes soumis aux intempéries, y compris des tempêtes qui durent des jours et qui entraînent la fermeture de la route. Selon moi, ce sont ces petites nuances qui sont très importantes pour comprendre certains des défis, mais également certains des éléments positifs, que nous avons dans le Nord.
Pouvez-vous nommer une chanson qui vous fait toujours sourire et nous expliquer pourquoi?
Arnaq d’Elisapie, une auteure-compositrice inuite. Je ne comprends pas tous les mots parce que je ne parle pas inuktitut, mais j’en reconnais certains. Cette chanson me parle. C’est une chanson très puissante à propos des femmes. Elle me rappelle ma mère, qui est décédée il y a environ trois ans.
Avez-vous des passe-temps?
J’achète de vieilles photos de presse et des ouvrages de la Chambre des communes qui remontent aux années 1800 et au début des années 1900, sur eBay, et je mène des recherches sur les histoires derrière elles. Je crois qu’il est important de ne pas oublier le passé pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Ma tante a été dans un pensionnat de Yellowknife, à Stringer Hall, et j’ai trouvé une de ses peintures sur eBay, vendue par un professeur d’art qui l’avait gardée. C’était tout un choc de la trouver là.
C’est comme si vous aviez découvert un élément de l’histoire de votre famille.
C’est le cas. Elle l’avait signée de son nom de jeune fille, Nasogaluak. À sa naissance, ma mère a eu cinq noms inuits (aucun nom en anglais et aucun nom de famille). Dans les années 1930, le gouvernement a décidé que les Autochtones du Nord devaient avoir un autre identifiant; ils ont donc commencé à identifier les gens à l’aide de numéros. Le numéro de ma mère était le W3-779. En 1966, le gouvernement a décidé que les gens devraient avoir des noms; il a donc lancé le projet Surname. Ma mère est devenue Sarah Martha Nasogaluak. Lorsqu’elle était âgée d’environ 80 ans, elle avait besoin d’une pièce d’identité avec photo. Nous nous sommes donc rendus dans les bureaux du gouvernement, mais c’était compliqué parce que seuls ses noms inuits figuraient sur son certificat de naissance. Ici, dans le Nord, les Autochtones ont toujours du mal à obtenir des pièces d’identité adéquates lorsque leurs noms inuits apparaissent sur leur certificat de naissance, alors que c’est le Canada qui a changé leur nom.
Pourquoi êtes-vous fière d’être Inuvialuite?
Pour moi, être Inuvialuite signifie faire partie d’une famille et d’une communauté partageant une culture et une langue. Ce n’est pas un mot singulier, c’est un mot collectif. Chez moi, dans le Nord, nous n’étions pas élevés seulement par nos parents; nous étions élevés par une communauté. Nous apprenions de tous ceux qui nous entouraient. Être Inuvialuite, c’est le sentiment qu’il faut prendre soin les uns des autres et s’entraider. C’est important pour moi et je le transpose partout où je vais. Ce sont mes racines et c’est ce qui m’inspire le plus.