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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 4 - Témoignages du 17 février


OTTAWA, le mardi 17 février 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 heures pour étudier la mise en oeuvre et l'application du chapitre 1, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, et des lignes directrices qui s'y rapportent, soit les lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous tenons aujourd'hui notre troisième réunion dans le cadre de notre étude de la mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.

Notre témoin ce matin est Mme Betty Ann Pottruff, c.r., qui est coprésidente du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Ce groupe de travail existe depuis environ deux ans et est formé de représentants de toutes les administrations canadiennes.

Mme Pottruff est directrice de la planification et de l'évaluation des politiques au ministère de la Justice de la Saskatchewan, et occupe ce poste depuis plus de dix ans. Auparavant, elle était directrice de la direction du droit familial au ministère, et elle a aussi été chargée de plaider dans des causes de droit familial et criminel au ministère de la Justice.

Je vous souhaite la bienvenue et vous cède la parole; après votre exposé, nous aurons des questions à vous poser.

Mme Betty Ann Pottruff, c.r., directrice, Planification et Évaluation des politiques: Je vous remercie de m'avoir invitée. J'espère que les renseignements que je vous fournirai vous seront de quelque utilité. Je crois que vous avez tous reçu copie du mémoire que j'ai rédigé. Je vais m'en inspirer, mais je ne le lirai pas. Je pars du principe que les sénateurs en ont pris connaissance.

Vous avez reçu le rapport sur la mise en oeuvre dans les diverses administrations que l'on a distribué ce matin. Je n'entrerai pas dans les détails de ce document, à moins que vous ne souhaitiez en aborder certaines questions précises.

Dans le document, on énonce les mesures que les diverses administrations ont prises pour mettre en oeuvre les lignes directrices, et je peux vous fournir de plus amples renseignements sur ces mesures si vous le souhaitez. Toutefois, je ne prétends pas être experte en ce qui a trait à la législation ou aux mécanismes de mise en oeuvre dans les autres administrations.

Ma tâche, à titre de coprésidente du groupe de travail fédéral-provincial-territorial, consiste à faciliter les interventions provinciales et territoriales au sujet des problèmes de mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. À cet égard, je joue un rôle de coordonnatrice et de facilitatrice.

Comme on le précise dans la documentation et ainsi que les intervenants précédents l'ont dit, le groupe de travail se réunit normalement deux fois par année. Nous avons tenu des conférences téléphoniques régulièrement au cours des dernières années afin de nous tenir au courant et de partager les renseignements dans ce dossier.

Dès le début de leurs travaux, les membres du groupe de travail se sont rendu compte que l'une des mesures les plus fondamentales qui s'imposait était en fait de mieux renseigner les intervenants. Les avocats et les membres du public sont placés devant des choix multiples en ce qui a trait aux lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, et ils ne peuvent faire ces choix en toute connaissance de cause que si nous leur fournissons l'information et le soutien voulus. Vous constaterez que dans les plans de mise en oeuvre de toutes les administrations, on a beaucoup insisté sur l'information et l'aide, par opposition à l'aide juridique comme telle, et que dans bien des cas, une fois que les gens sont bien au fait des choix qui s'offrent à eux, ils sont en mesure de régler leurs conflits hors cour.

De plus, la plupart des administrations ont mis en place des régimes visant à aider à résoudre les différends dès le début du processus, et je songe notamment à l'importante percée réalisée par le Québec dans le domaine de la médiation. La médiation fait d'ailleurs partie des régimes mis en place dans la plupart des administrations pour renforcer leur capacité interne à cet égard.

Pour ce qui est de la mise en oeuvre, nous avons trouvé utile d'avoir pu compter sur un groupe intergouvernemental pour faciliter la mise en oeuvre. Cela nous a certes permis d'éviter le chevauchement des tâches. Par exemple, même si les travaux sont bien avancés, on s'affaire encore à produire dans certaines administrations des vidéos sur les lignes directrices relatives aux pensions alimentaires pour enfants, certains de ces vidéos s'adressant aux enfants, et l'expérience acquise par une administration peut être appliquée ailleurs, de sorte que nous pouvons utiliser plus efficacement nos ressources et établir une plus grande uniformité d'un bout à l'autre du pays en ce qui a trait aux documents d'information que nous essayons de produire.

En outre, nous avons assurément pu tirer parti de nos expériences respectives, par exemple en ce qui concerne l'établissement de règles de procédure, et cela a été très utile. Nous avons aussi partagé nos idées sur la mise en service de lignes téléphoniques sans frais, sur la meilleure façon de faciliter l'accès du public, et sur la manière d'amener les associations locales du Barreau à s'adapter aux lignes directrices en matière de pensions alimentaires pour enfants. Par exemple, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse ont conclu avec leur Barreau des ententes qui permettent d'offrir des consultations très bon marché sur les lignes directrices, 25 $ la demi-heure, consultations qui sont données par des avocats expérimentés en droit familial à l'intention de ceux qui envisagent de présenter une requête. Cela nous a donné une belle occasion de coordonner nos efforts et de veiller à ce que l'information fournie aux citoyens dans notre société où la mobilité est de plus en plus grande soit plus uniforme d'une province à l'autre.

Nous avons été en mesure de travailler ensemble pour faire des recommandations au ministère fédéral de la Justice en ce qui a trait aux modifications législatives, notamment les plus récents changements apportés aux règlements. Le financement offert par le gouvernement fédéral a été bien accueilli par les diverses administrations, dont beaucoup étaient aux prises avec des compressions ou une pénurie de ressources pendant la période visée. Dans la majorité des administrations, ces fonds représentaient une aide considérable grâce à laquelle de nouveaux services ont pu être assurés en dépit des compressions budgétaires.

La seule réserve à ce chapitre tient au fait que l'argent ne peut pas servir à financer l'aide juridique. Par conséquent, comme vous pouvez le lire dans la documentation, les administrations ont soit réduit l'accès à l'aide juridique à cause des coûts, comme on l'a fait en Colombie-Britannique, soit dû trouver de l'argent ailleurs pour financer ce service. C'est l'une des raisons pour lesquelles il était tellement important pour nous de déployer tant d'efforts dans le domaine de l'information et de l'éducation du public. Nous savions tous que nous pouvions compter sur l'aide financière du gouvernement fédéral pour nos efforts en ce sens, mais que l'argent n'était pas disponible pour financer directement l'aide juridique.

En fait, cette situation est plutôt favorable aux parties aux litiges, parce qu'elles ont la possibilité de résoudre les différends plus tôt, au lieu de concentrer toute leur attention sur les conseils que peuvent leur prodiguer les avocats et sur les résultats qu'elles peuvent obtenir en s'adressant aux tribunaux. Nous avons tenté de trouver d'autres moyens de faciliter la consultation d'avocats, par exemple en concluant des ententes avec les associations du Barreau pour abaisser les tarifs.

Pour ce qui est des répercussions positives quant aux futurs services dans le domaine du droit familial, vous constaterez en feuilletant le rapport des diverses administrations que l'on y déploie beaucoup d'efforts non pas seulement dans le domaine des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, mais de façon beaucoup plus générale dans tout le domaine du droit familial: les campagnes d'éducation des parents en matière de divorce et de séparation; les efforts visant à faire comprendre les conséquences du divorce ou de la séparation sur les enfants; et la mise en place de mécanismes de règlement des différends, de mécanismes d'aide, pour les cas les plus simples. En fait, il y a des centres d'information où les gens peuvent se renseigner sur les répercussions éventuelles de l'éclatement du mariage. Je pense que tous ces efforts se poursuivront dans la plupart des administrations après la fin de la période de mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Les régimes mis en place aideront les familles à résoudre les différends en matière de garde et de droit de visite ou d'autres problèmes familiaux. Autrement dit, les répercussions des efforts que nous avons déployés pour faire adopter ces lignes directrices seront beaucoup plus vastes et ne se limiteront pas aux pensions alimentaires pour enfants, et j'espère ardemment que ce sera le cas pour les familles qui sont confrontées à ces problèmes.

La mise en oeuvre soulève certaines préoccupations. Chose certaine, le retard dans la rédaction de la version définitive du projet de loi et dans son adoption a créé -- et continue de créer -- des difficultés aux administrations, car les provinces et les territoires devaient adapter leur propre législation à un nouvel environnement marqué par ces lignes directrices sur les prestations alimentaires pour enfants, mais étaient dans l'impossibilité d'arrêter leur décision dans ce dossier en attendant de connaître la version définitive du projet et la date de son entrée en vigueur. Comme toutes les administrations ont des calendriers législatifs différents et des processus différents pour inscrire un projet à leur menu législatif, le résultat de ce retard est que la majorité des administrations n'ont toujours pas mis en place de législation provinciale ou territoriale complémentaire. Certaines administrations y sont toutefois parvenues et les autres suivront d'ici un an.

Il en est résulté une certaine confusion parmi le grand public. Comme la plupart des gens ne connaissent pas très bien la distinction entre le divorce et les pensions alimentaires aux termes de la législation provinciale ou territoriale, ils ne savent pas très bien si ce régime s'applique ou non à leur cas. Je crains que, dans une certaine mesure, cette confusion se traduise par des erreurs au moment de faire les déclarations d'impôt, parce que les gens s'imagineront qu'à cause de changements apportés à la Loi sur le divorce, il y a eu automatiquement changement à leur ordonnance. S'ils n'ont pas cherché à se renseigner davantage et si personne ne leur a dit qu'ils doivent agir de leur propre chef pour qu'il y ait une différence dans leur traitement fiscal ou dans le montant spécifié dans leur ordonnance, ils auront des surprises.

La plupart des avocats connaissent maintenant assez bien les lignes directrices, mais je m'aperçois, à ma grande déception, qu'en dépit de plusieurs séances de formation au Barreau de la Saskatchewan, par exemple, et en dépit du fait qu'on ait fourni de la documentation au Barreau, un grand nombre d'avocats ne pratiquent pas encore beaucoup le droit familial et ne connaissent pas encore les lignes directrices aussi bien qu'ils le devraient. Il faudra poursuivre le processus de formation et de conscientisation du public. Bien qu'il se soit écoulé près d'un an depuis l'entrée en vigueur des modifications, bien des gens n'ont pas encore vraiment pris conscience des répercussions que cette loi peut avoir sur eux.

On constate aussi des retards dans les diverses administrations pour la mise en place des services et l'information du public, et tous ces retards ont vraiment affaibli l'impact de la mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. À l'heure actuelle, il est difficile d'évaluer quelles seront réellement les répercussions de ces lignes directrices. Nous n'avons tout simplement pas traité un nombre suffisant de cas. Le nombre a augmenté à mesure que les gens étaient mieux renseignés au cours de l'été et de l'automne, notamment grâce aux récentes campagnes publicitaires. Par ailleurs, quand viendra le temps de préparer les déclarations d'impôt, un autre groupe de personnes prendra probablement conscience de ces questions. Je pense que nous verrons s'accentuer l'impact de la mise en oeuvre au cours de la prochaine année.

D'autres préoccupations se font jour également. Les avocats soulèvent des questions flagrantes, des points de droit dont l'interprétation par les tribunaux n'est pas encore claire. Les pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi ont suscité certaines inquiétudes -- que nous avions d'ailleurs prévues au moment de la proclamation -- parce qu'ils exigent manifestement une interprétation et que ce n'est qu'avec le temps que cette interprétation prend forme avec la mise en place de la jurisprudence.

Un bon nombre de décisions ont été rendues dans tous les coins du pays, mettant en cause divers aspects de la législation: les circonstances spéciales; les «difficultés excessives», ce qui constitue un revenu et ce qui n'en est pas un. Ces décisions sont autant d'étapes vers une compréhension plus solide et plus commune de ces divers points. Il est encore trop tôt pour dire si la mise en place de la jurisprudence dans ce domaine suffira à atténuer les préoccupations quant à l'interprétation de ces diverses situations. Il est possible qu'il soit nécessaire d'apporter à l'avenir des modifications de fond, mais je crois qu'il est trop tôt pour se prononcer.

Il n'est pas étonnant qu'une question comme la règle de la garde partagée à 40 p. 100 suscite des préoccupations et que les gens ne sachent pas exactement comment l'interpréter. Dès que l'on insère dans la loi un pouvoir discrétionnaire, on sait qu'il faudra un certain temps pour que ce pouvoir discrétionnaire soit compris et appliqué uniformément par les tribunaux.

En fait, beaucoup d'affaires sont actuellement en instance devant la Cour d'appel de la Saskatchewan, mais à ce jour, une seule décision a été rendue par ce tribunal; il faut donc du temps pour obtenir une décision définitive en ces matières.

Pour ce qui est des lignes directrices elles-mêmes et de la loi visant leur application, nous estimons qu'à certains égards, les recours prévus pour l'application ont été très efficaces. C'est du moins l'expérience de notre régime de mise en oeuvre des ordonnances alimentaires en Saskatchewan. Nous estimons qu'une mesure comme la confiscation du passeport est une mesure extrême à n'utiliser qu'en dernier recours, mais nous l'avons pourtant utilisée à quatre reprises, peut-être à notre propre étonnement, puisque nous sommes une petite province. C'est une mesure qui nous a été très utile dans les cas de travailleurs du secteur pétrolier qui se déplacent bien sûr d'un endroit à l'autre partout dans le monde. Ce sont souvent des gens qui ont de gros paiements à faire et, comme il n'est pas facile de retrouver leurs traces, ils ne paient pas toujours leur dû. Dans leur cas, la confiscation du passeport a été un outil très efficace. Nous avons aussi constaté qu'il est très utile de disposer de renseignements supplémentaires sur le dernier employeur, et cetera.

Pour ce qui est d'éventuelles modifications ou de points qui mériteraient d'être précisés davantage, il y a notamment la question de savoir comment le revenu est déterminé selon la loi, et de déterminer si nous avons expliqué complètement toutes les diverses circonstances en cause. D'après mon expérience en Saskatchewan, il est certain qu'un problème se pose en ce qui a trait aux travailleurs indépendants et aux agriculteurs; on peut se demander si nous avons bien pris en considération toutes les questions relatives au coût des immobilisations. Actuellement, on peut déduire le coût de l'achat de terres, mais pas de machinerie agricole. Vous comprendrez que c'est un problème pour quelqu'un qui achète une moissonneuse-batteuse de 175 000 $. Quoi qu'il en soit, dans chaque compétence, des questions se posent aussi au sujet du revenu et l'on peut se demander si le règlement les prévoit toutes. Il faudra voir comment la situation évoluera à mesure que la jurisprudence s'accumulera, mais c'est peut-être un domaine où il faudra apporter à l'avenir des modifications.

Il est également clair que l'on continue de se demander si nous avons correctement identifié les circonstances spéciales, les dépenses extraordinaires, et l'on s'interroge sur l'interprétation qu'en font les tribunaux. À cet égard, la jurisprudence semble s'édifier raisonnablement bien en Saskatchewan, mais il n'est pas encore certain que nous avons apporté une solution définitive en la matière.

Quant aux difficultés excessives, nous savons qu'elles présentent un problème parce que c'est un critère complexe et que les praticiens du droit doivent l'assimiler et le comprendre à fond. Quant à savoir si ce critère est appliqué et correctement appliqué, cela reste à voir avec le temps.

Comment les tribunaux abordent-ils le problème de la garde partagée? Quels sont la procédure et les critères utilisés pour évaluer ces situations? Nous continuons assurément de suivre cela de près. Par ailleurs, le règlement comporte certaines dispositions traitant de l'échange d'information entre les parties. Les parties peuvent se mettre d'accord sur le niveau de revenu, mais cela n'élimine pas l'exigence de partager les déclarations de revenu pendant trois ans, et cetera. Chose certaine, certains tribunaux, dans certaines administrations, et surtout certains avocats, estiment que c'est inutilement lourd; que si les parties s'entendent sur le niveau du revenu, à quoi bon toute cette paperasse? Par contre, il faut rester sur ses gardes et se méfier des gens qui s'imaginent peut-être qu'ils comprennent tout, mais qui ne comprennent pas vraiment que d'autres types d'investissement ont été faits à leur insu. Dans un tel dossier, il faut mettre dans la balance d'une part un certain paternalisme de l'État qui peut décider de ce que les gens ont le droit ou sont tenus de savoir, et d'autre part la volonté de laisser les gens régler leurs affaires comme ils l'entendent, à leur propre satisfaction.

En ce qui concerne les circonstances spéciales, on craint que certains tribunaux, à cause du libellé de la loi, rendent des ordonnances qui disent «vous devrez remettre telle ou telle proportion des dépenses spéciales, sur remise des factures», au lieu de préciser un montant fixe. Il est extrêmement difficile de faire appliquer des ordonnances de ce genre par les systèmes d'application des ordonnances alimentaires, et cela veut dire que les paiements varient selon le montant des factures qui sont présentées. Dans la plupart des administrations, on estime qu'en fait, il serait préférable que les tribunaux établissent un montant spécifique au-delà duquel les parties devraient prouver qu'il y a circonstance spéciale et que cette preuve devrait consister en partie à établir le montant réel des dépenses, après quoi chacun saurait que l'engagement est d'un montant fixe. Nous suivons cette situation de près et elle nous préoccupe. Nous avons déjà des discussions à ce sujet avec la magistrature et avec le Barreau en Saskatchewan et nous essayons de faire en sorte qu'en pratique, ces dépenses soient établies à un montant précis parce que je crois qu'à long terme, il est dans l'intérêt supérieur des parties de connaître exactement le montant en question.

Ce sont là essentiellement les préoccupations dont je voulais vous faire part, et j'ajoute un dernier plaidoyer que les provinces et les autres administrations font maintenant depuis nombre d'années: à l'égard des renseignements détenus par Revenu Canada, à l'heure actuelle, les parties sont tenues de fournir certains renseignements et peuvent les obtenir sur demande en s'adressant à Revenu Canada et une partie peut accorder à un organisme d'application de la loi le pouvoir d'exiger des renseignements de ce genre d'une autre partie. Par contre, un organisme provincial d'application ne peut pas exiger que Revenu Canada lui communique ces renseignements, et il faut donc faire un détour pour obtenir les renseignements voulus. Il est possible que ce processus représente une difficulté supplémentaire pour les parties, parce qu'en tant qu'avocats, vous faites cette demande à la personne, laquelle doit répondre dans les 30 jours et laquelle doit, puisque la plupart des gens ne conservent pas de dossiers fiscaux en bon ordre, demander ce renseignement à Revenu Canada. Si la personne ne réussit pas à l'obtenir, vous la harcelez de nouveau et quand enfin le renseignement lui parvient, il finit par aboutir devant les tribunaux.

On pourrait peut-être accélérer grandement le processus si l'on permettait aux organismes provinciaux d'application de la loi de s'adresser directement à Revenu Canada pour obtenir ces renseignements, ce qui épargnerait aux parties un autre point de désaccord au sujet des demandes d'information. Les diverses administrations ont certainement signalé ce problème dans le passé en faisant valoir que le soutien et la simplification des procédures comptent beaucoup pour les parties.

Je n'avais pas l'intention de passer en revue ce rapport plus complet émanant des administrations. Si vous voulez que j'en expose les faits saillants pour chaque administration, je peux le faire.

Le président: Nous allons passer à la période des questions, si les sénateurs y consentent.

Le sénateur Jessiman: Quand vous nous avez fait parvenir ce document, intitulé: «Mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants», vous avez fait mention du rapport que nous avons reçu ce matin. Ont-ils été envoyés en même temps?

Mme Pottruff: Non. Malheureusement, nous avons dû demander aux administrations d'actualiser les renseignements les concernant et le ministère fédéral de la Justice a bien voulu s'occuper de les mettre en forme et de les faire traduire.

Le sénateur Jessiman: Notre tâche est plus difficile quand nous n'avons pas ces documents à l'avance; je n'ai pas eu la possibilité de lire celui-ci. Quoiqu'il en soit, nous allons vous interroger sur ce que nous avons ici.

J'ose croire que vous serez d'accord avec l'énoncé que je m'apprête à faire; si vous n'êtes pas d'accord, dites-le-moi. Ne convenez-vous pas que les lignes directrices ne peuvent pas étendre le sens des mots qui figurent déjà dans la Loi sur le divorce? Les lignes directrices sont adoptées en application de la Loi sur le divorce, de sorte que les mots qui sont utilisés et définis dans la Loi sur le divorce ne peuvent pas être interprétés différemment dans les lignes directrices.

Mme Pottruff: Je dirais qu'en général, l'interprétation doit se faire à partir de la loi, et non pas du règlement, mais quand on met en place un régime spécifique dans lequel un mot en particulier a un sens précis, on peut toujours s'en écarter dans le règlement. Ce serait le genre de disposition commençant par «sous réserve de».

Le sénateur Jessiman: Mais si le mot en question avait exactement le sens contraire, cela invaliderait les lignes directrices; n'êtes-vous pas d'accord?

Mme Pottruff: Il incomberait aux tribunaux de trancher en faisant l'interprétation.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que certaines affaires sont devant les tribunaux et qu'une affaire en particulier est allée en cour d'appel. Parliez-vous seulement de la Saskatchewan?

Mme Pottruff: Oui. Je suis au courant d'autres affaires ailleurs au pays, mais je ne les connais pas aussi bien.

Le sénateur Jessiman: Les cours d'appel ont-elles été saisies de l'une ou l'autre de ces affaires?

Mme Pottruff: Je suis certaine que c'est le cas de certaines affaires; je ne les ai pas suivies d'aussi près.

Le sénateur Jessiman: Aucune ne s'est rendue jusqu'en Cour suprême?

Mme Pottruff: Pas à ma connaissance.

Le sénateur Jessiman: En quoi consiste essentiellement le litige dans l'affaire dont a été saisie la Cour d'appel de la Saskatchewan?

Mme Pottruff: Je dois vérifier. Je l'ai justement ici. Ce n'était pas une affaire de grande importance. C'était l'affaire Marshall c. Marshall. L'appel avait pour fondement l'allégation voulant que le juge de première instance se soit trompé en décidant que les actifs n'étaient pas utilisés raisonnablement pour générer des revenus, et la Cour d'appel a confirmé la décision du juge de première instance.

Le sénateur Jessiman: Pouvez-vous nous dire quels critères sont appliqués pour distribuer ces 50 millions de dollars? L'argent est-il réparti au prorata?

Mme Pottruff: Fondamentalement, on s'est mis d'accord pour répartir l'argent en fonction de la population quoique des dispositions spéciales aient été appliquées pour les gouvernements territoriaux et les plus petites provinces, comme l'Île-du-Prince-Édouard, parce que l'on estimait que la répartition par habitant ne leur donnerait pas suffisamment d'argent pour prendre les mesures de mise en oeuvre nécessaires.

Le sénateur Jessiman: Procède-t-on de même pour les 13,8 millions de dollars?

Mme Pottruff: En général, oui.

Le sénateur Jessiman: Vous n'avez pas beaucoup entendu parler de cette mesure parce que la fin de l'année fiscale n'est pas encore arrivée. Quand les parents qui n'ont pas la garde et qui payent une pension aux termes des lignes directrices découvriront qu'ils ne peuvent pas déduire ce montant de leur revenu, vous constaterez peut-être qu'il y aura un plus grand nombre de cas.

Mme Pottruff: Je pense que les cas difficiles seront ceux qui payent aux termes d'une ordonnance antérieure et qui s'imaginent que quelque chose a changé depuis l'adoption de la loi. Ceux qui ont de nouvelles ordonnances ou dont la situation a changé aux termes du nouveau régime en connaissent les conséquences fiscales. Ce sont ceux qui croyaient que leur situation a automatiquement changé ou qui n'ont pas fait attention aux renseignements diffusés à leur intention qui seront surpris.

Le sénateur Jessiman: À la page 7 de votre mémoire, je lis:

Cela dit, les premières indications, du moins en Saskatchewan, semblent généralement positives et les montants des pensions alimentaires semblent doubler ou presque dans les cas où les parties décident d'aller devant la justice.

Dois-je comprendre que les gens qui recevaient 500 $ par mois par enfant avant les lignes directrices, en fonction du revenu, pourraient maintenant recevoir 1 000 $?

Mme Pottruff: En Saskatchewan, le montant des pensions était généralement de 225 $ ou 250 $ par mois. Nous avons fait nous-mêmes un examen des cas pour évaluer l'incidence des lignes directrices. Nous avions prévu que le montant des pensions pourrait augmenter globalement de 19 p. 100. Ce que nous avons constaté, dans les affaires qui sont allées devant les tribunaux, c'est que dans certains cas, le montant de la pension alimentaire a doublé. Ce n'est pas uniforme. Certains montants ont diminué, d'autres ont augmenté et d'autres encore sont restés inchangés. Quoiqu'il en soit, il en ressort que beaucoup d'ordonnances étaient grandement insuffisantes avant les lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: Dans le cas des parents qui n'ont pas la garde et qui pouvaient auparavant déduire le montant des pensions qu'ils versaient, notamment ceux qui se situent dans une tranche de revenu plus élevée, le changement a non pas doublé, mais quadruplé le montant. Une personne qui se situe dans une tranche d'imposition de 50 p. 100 et qui touchait auparavant 250 $ n'obtenait que 125 $ net. Aujourd'hui, cette somme est doublée, la personne reçoit 500 $ et ne paie pas d'impôts sur ce montant. Je ne dis pas que c'est mauvais, mais quelle en est l'incidence?

Mme Pottruff: Oui. C'est sûr que pour certaines personnes, c'est un dur retour à la réalité.

Le sénateur Jessiman: Je ne dis pas que le fait de ne pas pouvoir déduire le montant est une mauvaise politique, je dis seulement qu'elle a été mal présentée. Les couples séparés ou divorcés ont ainsi perdu quelque 600 millions de dollars. Cet argent va au gouvernement, lequel dit qu'il s'en servira pour aider les pauvres, mais il provient de couples séparés qui disposent ainsi d'autant moins d'argent en revenu. N'êtes-vous pas d'accord?

Mme Pottruff: Il est certain que les répercussions fiscales de cette mesure ont toujours posé problème. Le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille a fait des recommandations très fermes au sujet des lignes directrices, disant que s'il y avait augmentation des recettes fiscales, le surplus devait servir à aider les enfants.

Le sénateur Jessiman: Cet argent ne sert pas seulement aux enfants des couples séparés. Il peut aider les enfants de couples mariés qui sont très pauvres, et je n'ai rien contre cela. Il me semble que ce que nous faisons est injuste pour ceux qui sont séparés. Nous enlevons de l'argent aux couples séparés qui s'efforcent de subvenir aux besoins de leurs enfants et nous le donnons à des gens pauvres, qui peuvent être mariés, et je pense que c'est une responsabilité qui nous incombe à tous.

Mme Pottruff: On a toujours dit que l'un des problèmes de l'ancien régime fiscal était que seules les familles où il y a eu rupture du mariage bénéficiaient de cet avantage fiscal.

Le sénateur Jessiman: Le fait d'être séparé comporte des avantages fiscaux.

Mme Pottruff: En fait, les familles intactes qui payaient le même montant pour les enfants n'avaient aucun avantage fiscal, de sorte qu'il y avait là aussi une injustice.

Le sénateur Cohen: Maintenant que les lignes directrices sont en vigueur, quel rôle jouera à l'avenir le groupe de travail? D'éventuelles modifications viendraient-elles du groupe de travail ou bien du comité consultatif?

Mme Pottruff: Le rôle du groupe de travail est toujours de surveiller et d'appuyer la mise en oeuvre. Le financement s'étend sur une période de cinq ans et nous prévoyons que le volume d'activités continuera d'être élevé au cours des 18 prochains mois. De plus, la plupart des administrations envisagent une deuxième étape. Les lignes directrices prévoient la possibilité de mettre en place des systèmes pour recalculer les pensions et une plus grande participation des organismes provinciaux. Dans la plupart des administrations, il faudra réfléchir à tout cela et se demander s'il y a lieu de faire une telle intervention. Je pense que le groupe de travail continuera de jouer un rôle au cours des cinq prochaines années.

Pour ce qui est des modifications, je suis certaine que le groupe de travail fera part au ministère fédéral de la Justice de certaines préoccupations et suggérera des modifications visant à résoudre des problèmes d'application pratique des lignes directrices. C'est au comité du droit de la famille et au comité consultatif qu'incombe la responsabilité d'examiner la politique et les lignes directrices de la Loi sur le divorce, quoique je suis sûre que le groupe de travail sera consulté.

Le sénateur Cohen: À la dernière page de votre mémoire, vous posez des questions sur les préoccupations d'ordre pratique dans toutes les provinces et sur l'incidence globale de ce changement sur les enfants eux-mêmes. Pourriez-vous passer en revue ces questions à notre intention et peut-être nous en dire plus long sur certains points que vous connaissez bien?

Mme Pottruff: Les montants adjugés correspondent-ils à un niveau plus juste de soutien des enfants qui ne se limite pas aux nécessités de la vie? Est-ce plus juste pour les enfants et cela a-t-il permis d'améliorer leur sort? D'après les premières indications en Saskatchewan, fondées sur les rares cas qui sont allés devant les tribunaux -- et j'hésite beaucoup à fonder des hypothèses sur ces cas, car ce sont des cas d'exception -- le changement a permis d'améliorer le sort des enfants, car le montant des pensions a augmenté. Toutefois, je ne suis pas prête à dire que, globalement, le sort des enfants s'est amélioré, du moins pas tant que nous ne saurons pas si cela a permis de régler les différends plus rapidement et de changer la façon dont les gens prennent leurs décisions au sujet de la garde, du droit de visite et de la propriété des biens matrimoniaux. Nous devons consulter davantage le Barreau et tous les intervenants dans ce processus pour connaître la réponse à cette question. J'ai l'impression, d'après les appels téléphoniques que je reçois du grand public et d'avocats, que les lignes directrices ont bel et bien permis d'obtenir un taux élevé de règlements. Les appels que je reçois viennent à parts égales de payeurs et de bénéficiaires et ils veulent avoir les renseignements pertinents. Une fois qu'ils sont renseignés, ils ont tendance à être relativement neutres sur le point de savoir s'ils sont d'accord avec le montant. Lorsqu'ils ont compris le processus, il leur semble acceptable. En fait, ils sont soulagés de savoir que quelqu'un a fixé un niveau quelconque à partir duquel ils peuvent négocier.

Adjuge-t-on des montants semblables pour des enfants dont la situation est semblable? J'espère que c'est le cas si les tribunaux et les avocats appliquent effectivement les lignes directrices. Il y a encore des cas où, parce que les avocats spécialisés en droit de la famille ou les juges ne connaissent pas très bien la loi, des erreurs sont commises dans la façon de rendre les ordonnances. Cela devient toutefois moins fréquent à mesure que les gens connaissent mieux la loi, comme on pouvait s'y attendre. Dans la plupart des administrations, on ne prend aucun risque et l'on envisage encore de faire de la formation à l'intention des avocats. En tout cas, nous prévoyons de le faire en Saskatchewan.

Les lignes directrices ont-elles permis à un plus grand nombre d'enfants ainsi qu'à leur parent gardien d'échapper à la pauvreté? Il est trop tôt pour se prononcer.

Quelle a été leur incidence globale sur le mode de vie de l'enfant? Là encore, il est trop tôt pour le dire. Il faudrait examiner l'incidence globale de la division des actifs entre les membres de la famille. C'est pourquoi il faut examiner ensemble toutes les questions concernant les biens matrimoniaux, le soutien du conjoint, la garde des enfants et les droits de visite. Les familles ont toujours eu à régler ces questions. Les règlent-elles maintenant d'une façon qui est préférable pour l'enfant? Il faut vérifier.

Le sénateur Cohen: Vous dites que vous continuez votre programme de formation des avocats. Qu'en est-il de la formation des juges?

Mme Pottruff: Ils sont assurément les bienvenus s'ils veulent participer à l'une ou l'autre de nos séances de formation juridique. Normalement, les membres du Barreau participent en tant que membres du groupe d'experts. Je sais par ailleurs que le Centre canadien de la magistrature a un programme permanent de formation des juges. Dans la plupart des administrations, les juges ont bénéficié d'une journée qui leur a été accordée pour étudier la loi. Quant à savoir si chaque juge l'étudie à fond, cela dépend de l'intérêt de chacun dans ce domaine.

Le sénateur Cools: La semaine dernière, nous avons entendu un témoin, un certain Philip Epstein, qui nous a dit qu'il regrette grandement que l'on ait changé l'ancienne structure fiscale. À son avis, la plupart des membres du Barreau à Toronto, ou en tout cas ceux à qui il en a parlé, sont d'accord avec lui sur ce point.

Pouvez-vous nous faire de plus amples commentaires sur la structure fiscale?

Mme Pottruff: Il a toujours été possible de promulguer les lignes directrices aux termes de l'une ou l'autre de ces structures fiscales. Je crois comprendre que la formule aurait été plus complexe si nous avions conservé l'ancienne structure fiscale. Nous avons toujours craint que les règles de la fiscalité ne soient pas bien comprises ou bien appliquées par la majorité des membres du Barreau et de la magistrature et les ordonnances rendues par les tribunaux s'en ressentaient. Dans l'ensemble, la complexité de la situation fiscale n'était pas bien comprise et n'était pas bien prise en compte dans les ordonnances.

L'impôt continuait d'être un problème pour beaucoup de bénéficiaires de pension alimentaire pour enfants. Même si les gens savaient qu'ils devaient en conserver une partie pour payer l'impôt, en réalité, beaucoup d'entre eux avaient peine à joindre les deux bouts et l'on ne pouvait donc pas s'attendre, de façon réaliste, à ce qu'ils puissent mettre de l'argent de côté chaque mois, au lieu de le dépenser pour acheter des vêtements d'enfants et de la nourriture. À la fin de l'année, ils se retrouvaient souvent avec une énorme facture d'impôt qu'ils ne pouvaient pas payer. Cette situation aussi due en grande partie à l'insuffisance des montants accordés et au fait que l'on ne tenait pas pleinement compte de la fiscalité pour le calcul du montant de la pension.

Le régime fiscal créait beaucoup de problèmes. Il aurait toutefois été possible de faire en sorte que le régime fonctionne.

Le sénateur Cools: Vous croyez vraiment qu'il aurait été possible de faire en sorte qu'il fonctionne?

Mme Pottruff: La méthode que l'on a choisie n'est pas mauvaise parce qu'elle simplifie le processus.

Le sénateur Cools: Je vous disais simplement que, d'après le témoin entendu la semaine dernière, la majorité des membres du Barreau à Toronto voient plutôt cela comme une ponction fiscale.

Vous mentionnez sans cesse le retard dans l'adoption de la loi. De quel retard parlez-vous?

Mme Pottruff: Depuis quelque temps, nous pensions que la date cible pour l'entrée en vigueur était le 1er mai. Pour que les administrations puissent se préparer à la mise en oeuvre, il fallait que la version définitive de la loi soit en place. Nous ne pouvions pas mettre la dernière main à ce que nous dirions au public au sujet des lignes directrices relatives aux pensions alimentaires pour enfants, ou à la façon dont nous mettrions en place des programmes à cet égard, avant de connaître avec certitude la version définitive de la loi et la date d'entrée en vigueur.

Le sénateur Cools: Elle n'est pas entrée en vigueur le 1er mai? Je croyais que la date d'entrée en vigueur n'avait pas été repoussée.

Mme Pottruff: C'est exact, mais si nous ne savons pas d'ici la fin de février que le 1er mai est effectivement la date choisie, cela ne laisse pas suffisamment de temps pour embaucher du personnel, publier des documents et modifier notre propre législation.

Le sénateur Cools: Quand donc auriez-vous pu le savoir, avant l'adoption du projet de loi? Il a fallu six semaines pour adopter le projet de loi.

Mme Pottruff: Je ne remets pas en question le processus ou le temps qu'il a exigé. C'est le processus existant.

Le sénateur Cools: Y a-t-il eu des retards dans certaines régions du pays, par rapport à la date du 1er mai? Je croyais que cette date avait été respectée sans aucune anicroche.

Mme Pottruff: Tout est allé mieux que nous l'espérions, mais de dire que tout s'est passé «sans aucune anicroche» serait peut-être forcer un peu les choses.

Le sénateur Cools: À la page 11, vous dites que la confiscation du passeport a été très efficace. Pouvez-vous me dire combien de passeports ont été confisqués? Pourquoi est-ce efficace et comment s'y est-on pris?

Mme Pottruff: Je sais seulement ce qui s'est fait en Saskatchewan. Je crois que nous avons pris cette mesure dans quatre cas. Nous avions essayé tous les autres recours, mais en vain. La procédure de confiscation du passeport a été mise en branle. Une requête en ce sens ou la simple menace de faire une telle requête a suffi pour que les paiements reprennent.

Le sénateur Cools: À la page 11, vous dites que grâce à toute une série de décisions judiciaires au Canada, on a déjà commencé à aborder ces questions importantes en faisant intervenir un certain nombre de principes. Pouvez-vous nous donner une liste de ces décisions?

Mme Pottruff: J'ai seulement la liste des décisions rendues en Saskatchewan. Il existe d'autres compilations nationales. Je suis certaine que, grâce à l'aide de mes collègues du ministère de la Justice, nous pourrions vous les obtenir. Je peux vous donner la liste des décisions rendues en Saskatchewan. Elles sont annexées à un document.

Le sénateur Cools: Ma question portait seulement sur les affaires de la Saskatchewan.

À la page 13, vous proposez d'envisager d'autres formules -- avec lesquelles je suis en désaccord --, comme d'autoriser l'accès direct par les parties à l'information tenue par Revenu Canada. Comment résoudriez-vous les énormes problèmes constitutionnels que soulève cette proposition? Dans ce dossier, bon nombre des questions qui se posent sont de ressort provincial; or, Revenu Canada est un organisme fédéral.

Mme Pottruff: Je n'entrevois aucun problème constitutionnel. Il faut simplement inscrire dans la loi habilitante de Revenu Canada que certaines catégories de personnes ont le droit de demander des renseignements. À l'heure actuelle, la loi prévoit que chacun peut demander les renseignements contenus dans son dossier. Nous disons qu'il faudrait reconnaître une autre catégorie de demandeurs, qui pourrait être un organisme provincial d'application de la loi, à des fins très spécifiques et limitées. Il est évident qu'il n'est pas question d'empiéter grossièrement sur le droit à la vie privée des gens.

Le sénateur Cools: Monsieur le président, en 1984 et en 1985, quand M. Crosbie nous a proposé son projet de loi, le commissaire à la protection de la vie privée et de nombreux sénateurs ont exprimé des inquiétudes au sujet de ces propositions, qui étaient pourtant bien plus faibles que celles que l'on nous présente maintenant. Le simple fait d'envisager d'entrouvrir la porte pour accéder aux dossiers de Revenu Canada suscitait d'énormes inquiétudes. Aujourd'hui, la porte n'est plus simplement entrouverte, elle est grande ouverte. À un moment donné, nous devrions passer en revue l'évolution de ce dossier depuis 1984 jusqu'à aujourd'hui. On nous propose maintenant d'autoriser un évaluateur indépendant à s'informer directement auprès de Revenu Canada. Je propose que nous examinions cet aspect de façon distincte, pour voir quelle a été l'évolution de ce phénomène au cours des 12 dernières années.

Le sénateur LeBreton: On a déjà répondu à la première question que je voulais poser. Elle portait sur le rôle que jouera dorénavant le groupe de travail.

Ma deuxième question porte spécifiquement sur la page 12 de votre mémoire. Dans votre exposé, vous avez évoqué des problèmes qui se posent spécifiquement dans une administration. La Saskatchewan est probablement un bon exemple, car elle compte proportionnellement un grand nombre d'agriculteurs et de gens d'affaires indépendants. Vous avez donné l'exemple d'un agriculteur qui achète une moissonneuse-batteuse. J'ai supposé que vous vouliez dire par là que l'achat de cette machine agricole réduirait d'autant le revenu de cette personne qui ne serait donc plus en mesure de verser des paiements aussi importants. Toutefois, si un agriculteur achète une moissonneuse-batteuse pour des raisons qui sont douteuses, qui détermine s'il a agi de bonne foi? Peut-être l'agriculteur a-t-il simplement acheté cette moissonneuse-batteuse pour faire marcher une entreprise rentable.

Dans votre document, vous évoquez en particulier le groupe des agriculteurs et des travailleurs indépendants, c'est-à-dire les gens qui ne touchent pas régulièrement un chèque de paye et dont le revenu est par conséquent moins facile à calculer. Vous dites que c'est un problème potentiel. Quelles modifications envisageriez-vous pour régler ce problème particulier des agriculteurs et des exploitants de petites entreprises?

Mme Pottruff: Je ne suis pas prête pour l'instant à proposer des modifications précises; j'exprime simplement une préoccupation et je dis que nous n'avons peut-être pas réfléchi suffisamment à toutes les facettes de ce système. J'entends des collègues qui se disent préoccupés par le fait que l'on admet seulement les dépenses en immobilisations consacrées à la terre, et non pas les dépenses pour l'équipement. Toutefois, je suis certaine que ce n'est pas le seul aspect qui suscite des problèmes relativement aux travailleurs indépendants et à la définition de ce qu'est une déduction ou une dépense raisonnable pour une entreprise.

En fin de compte, ce sera aux tribunaux de décider de ce qui sera acceptable. C'est bien ainsi, parce que chaque situation est unique. Oui, il est vrai que quelqu'un pourrait camoufler des actifs en achetant une moissonneuse-batteuse, mais il est aussi possible que quelqu'un ait vraiment besoin d'acheter une nouvelle moissonneuse-batteuse pour faire marcher son entreprise. Je pense que la question est de savoir si nos catégories actuelles sont trop étroitement ou trop largement définies, mais nous le saurons avec le temps, à mesure qu'un plus grand nombre d'affaires feront l'objet de décisions des tribunaux.

Le sénateur LeBreton: C'est tout à fait vrai. Il faudra un bon nombre de décisions judiciaires pour établir la jurisprudence dans ce domaine. Jusqu'à maintenant, avez-vous vu suffisamment de cas de ce genre pour porter un jugement?

Mme Pottruff: Cette question a été soulevée dans deux ou trois affaires dont la Cour d'appel sera éventuellement saisie.

Le sénateur LeBreton: Je voudrais faire suite à la question que le sénateur Cools a posée au sujet de Revenu Canada. Ce passage m'a sauté aux yeux, à moi aussi. Une telle mesure résisterait-elle à une contestation fondée sur la Charte, ou bien sur notre législation en matière de protection de la vie privée? Votre groupe de travail a-t-il examiné cela sous cet angle?

Mme Pottruff: Non, mais c'est un exemple que nous donnons. Si nous voulons rationaliser la procédure, c'est un élément qui permettrait de simplifier les choses. Nous ne l'avons pas analysé du point de vue juridique, sous l'angle des divers changements envisagés. En réalité, nous demandons aux parties de faire indirectement ce qui pourrait se faire très directement.

Ce qui nous préoccupe, ce ne sont pas seulement les retards et les difficultés que subissent les parties quand elles veulent obtenir des renseignements; il y a aussi possibilité de conflit et de harcèlement entre les parties si la loi oblige l'une des parties à demander chaque année à l'autre partie des renseignements sur son revenu. On pourrait désamorcer la situation en habilitant un organisme indépendant à faire cette demande chaque année et à obtenir des précisions à même la déclaration d'impôt sur le revenu. Cet organisme pourrait alors dire qu'il n'y a eu aucun changement de revenu et qu'il n'est donc pas nécessaire de faire modifier le montant. Voilà donc les objectifs fondamentaux: la simplicité, et le besoin de désamorcer un conflit potentiel.

Le sénateur LeBreton: Je suis d'accord avec ma collègue le sénateur Cools. Je travaillais pour un célèbre fils de la Saskatchewan, John Diefenbaker, quand le numéro d'assurance sociale a été créé. Il a prédit alors ce qui arriverait: les gens n'auraient plus d'identité, n'auraient plus aucune vie privée et n'auraient même plus de nom. Il a prédit que tout le monde serait désigné par un numéro.

Je crains beaucoup que nous n'en arrivions là et je crois que chacun devrait s'en inquiéter. Nous en voyons des exemples tous les jours. Plus il y a de gens qui ont accès à des renseignements qui appartiennent à la vie privée des gens, par exemple ceux dont Revenu Canada est dépositaire, plus ces renseignements circuleront. C'est très dangereux de s'aventurer dans cette voie.

Mme Pottruff: Il est certain qu'il faut être très conscient de la nécessité d'assurer la protection de la vie privée. Je n'en disconviens pas, mais alors pas du tout. L'une des possibilités, c'est que l'accès soit accordé seulement avec le consentement de la personne visée. Actuellement, étant donné le libellé de la législation, ce serait impossible. Avec le consentement, peut-être que ce serait acceptable.

Le sénateur Cools: Je ne voulais pas évoquer la mémoire de M. Diefenbaker, mais je suis tellement contente que le sénateur LeBreton l'ait fait.

J'insiste sur ce que j'ai dit il y a quelques minutes: la proposition qu'on nous présente, ce n'est pas que les parties se renseignent mutuellement; la proposition qu'on nous fait, c'est qu'une personne indépendante, qui n'est pas l'un des conjoints, ait accès à ce renseignement. On dit ici que ce serait un évaluateur indépendant. C'est une proposition tout à fait nouvelle et je soutiens que le comité doit l'étudier très attentivement. Le fait que deux personnes sont en conflit ne justifie nullement que le gouvernement permette à une tierce partie d'avoir accès aux dossiers de Revenu Canada.

Le président: Je pense que l'on propose que l'organisme provincial chargé de faire appliquer la loi y ait accès.

Le sénateur Cools: Le problème est le même. Je propose que nous examinions attentivement le principe.

Le président: J'en conviens. Nous aurons encore une douzaine de séances consacrées aux lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. À mesure que d'autres témoins comparaîtront devant le comité, nous aurons l'occasion de comparer la suggestion qu'on nous a faite ce matin à ce que nous diront ultérieurement d'autres témoins.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ma question porte sur l'accès aux dossiers de Revenu Canada. Je crois qu'au Québec, la loi est rédigée de telle manière qu'il n'est pas possible d'avoir accès aux renseignements détenus par le ministère du Revenu de cette province. J'ignore pourquoi nous devrions tout à coup ouvrir cette possibilité.

Le sénateur Forest: Notre province soeur a fait du bon travail dans ce domaine. Quand nous avons entendu le pour et le contre de la mesure législative proposée, on a beaucoup insisté sur le fait que les lignes directrices réduiraient le nombre des litiges parce que des décisions seraient prises quant au montant des pensions alimentaires. Voici maintenant qu'on nous dit que, pour qu'il y ait jurisprudence, nous devons attendre que des affaires cheminent dans le système judiciaire, ce qui est compréhensible dans le cas d'une nouvelle loi.

Vous avez dit qu'un plus grand nombre de cas font l'objet d'un règlement. Êtes-vous surprise du nombre de litiges dont les tribunaux sont saisis?

Mme Pottruff: Non. Nous avions prévu qu'au cours des deux premières années suivant la mise en oeuvre des lignes directrices, bon nombre de cas reviendraient devant les tribunaux. Toutefois, nous avons toujours prévu que la grande majorité des cas seraient réglés hors cour. Je demeure convaincue que c'est bien ce qui se passe.

Le sénateur Forest: Vous croyez qu'il y a un nombre accru de cas qui sont réglés à l'extérieur du système judiciaire?

Mme Pottruff: Oui.

Le sénateur Forest: Y a-t-il des données qui appuient cette conviction?

Mme Pottruff: Non. C'est pourquoi nous devons continuer de suivre la situation de près. Les entretiens que j'ai eus avec des avocats m'incitent à croire que telle est la situation.

Le sénateur Forest: Bon nombre d'entre nous espéraient que cette mesure résulterait en un plus grand nombre de médiations entre les parties et que, une fois les lignes directrices en place, il y aurait moins de confrontations et un climat plus favorable à la médiation. Avez-vous une idée de l'évolution du dossier à cet égard?

Mme Pottruff: Là encore, il est trop tôt pour se prononcer avec certitude. Grâce à la campagne d'information du public et des centres d'information sur la famille que la Saskatchewan et d'autres administrations ont créés, on constate une baisse du nombre des conflits. C'est probablement attribuable à la médiation et à d'autres aspects, mais il faut étudier la question.

Le sénateur Forest: Je reviens à la question du sénateur Cools au sujet du retard. Au départ, l'échéance qu'on s'était fixée était de faire adopter la loi avant la fin de l'année, et il a fallu six semaines de plus. Est-ce la cause du retard que vous évoquez?

Mme Pottruff: En partie. C'est un processus de mise en oeuvre. Je ne remets pas en question le processus qui a été suivi, mais les conséquences pratiques sont que les administrations n'étaient pas aussi prêtes pour la mise en oeuvre que nous l'aurions voulu.

Le sénateur Cools: Mais six semaines, ce n'est rien. La dernière fois que nous avons été saisis d'un projet de loi sur le divorce, nous l'avons étudié pendant six mois ou un an; six semaines, ce n'est rien dans le cycle d'un projet de loi. J'ai trouvé qu'il avait été adopté assez rapidement.

Le sénateur Jessiman: Je suis certain que vous connaissez le rapport publié en 1996 par le groupe de travail d'examen de la justice civile du Manitoba.

Mme Pottruff: Non, mais j'en connais peut-être certains éléments.

Le sénateur Jessiman: Selon une de ses recommandations relativement à la Chambre de la famille de la Cour du Banc de la Reine, le programme d'éducation parentale est essentiel pour le mieux-être des enfants. Le groupe de travail recommande qu'il soit reconduit à titre de programme permanent et qu'il soit obligatoire de passer par ce programme avant de s'adresser aux tribunaux. Que pensez-vous d'une telle recommandation?

Mme Pottruff: Dans le cadre du processus des pensions alimentaires pour enfants, la plupart des administrations se sont penchées sur l'éducation parentale et ont inclus un tel programme dans leur processus. En Saskatchewan, nous avons envisagé de rendre obligatoires les cours d'éducation parentale. La question a été soulevée quand nous avons examiné notre division du droit de la famille. À un moment donné, cela faisait l'objet d'une recommandation du rapport remis à la fin de l'évaluation. Le Barreau n'était pas aussi convaincu qu'un programme obligatoire bénéficierait de la collaboration voulue pour assurer la participation des gens. Certaines études menées aux États-Unis arrivent à des conclusions différentes. Je pense que c'est une tendance qui émerge. Au cours des dix prochaines années, nous verrons probablement des cours obligatoires d'éducation parentale dans la plupart des administrations.

Le sénateur Jessiman: Je ne crois pas que cela existe au Manitoba.

Mme Pottruff: Ce programme a été étoffé au Manitoba.

Le sénateur Jessiman: Oui, c'est vrai. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur la conciliation et la médiation -- c'est-à-dire la médiation au sein du gouvernement et à l'extérieur?

Mme Pottruff: Je pense qu'il est terriblement important que des services de conciliation et de médiation soient à la disposition des parties pour toutes sortes de différends familiaux. Il est évident que si les gens sont forcés de passer par des procédures judiciaires, il en résulte souvent un durcissement de leurs attitudes, ce qui n'aide pas à établir un environnement dans lequel les parties pourraient continuer de travailler ensemble, et c'est souvent le cas quand des enfants sont en cause. Autrement dit, les parties doivent continuer à assumer leur situation en tant qu'unité familiale, de façon continue.

Pour ce qui est de la conciliation, par exemple, les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants offrent la possibilité de créer une agence provinciale de réévaluation. Si cette procédure est adoptée, cela pourra être l'occasion pour les parties de voir comment elles pourraient s'entendre, d'après les renseignements qu'elles reçoivent de cet organisme indépendant.

La médiation sert à dénouer des situations où il y a des questions plus générales à résoudre entre les parties. Il ne s'agit pas seulement d'établir quels sont les faits, comme dans le cas d'une conciliation. Le processus de médiation doit traiter avec toute la gamme des attitudes et des valeurs des parties, en vue d'essayer d'instaurer de meilleures relations pour amener les parties à s'attaquer aux questions avec lesquelles elles doivent composer de façon permanente, surtout la garde et l'accès.

Le sénateur Cohen: J'ai trouvé intéressantes vos brèves observations sur la coopération qui existe entre différentes provinces et les avantages qui en découlent. Peut-être pourriez-vous nous expliquer davantage quelles sont les relations entre la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan, auxquelles vous avez brièvement fait allusion en parlant de cet intervalle de 25 minutes. Je n'ai pas très bien compris, mais cela me semblait intéressant.

Mme Pottruff: Ce n'est pas seulement en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan que l'on s'est tourné vers cette solution. Je crois que l'Ontario en a fait autant, même si ce n'est pas signalé dans la mise à jour.

Quand nous avons examiné toute la question des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et la capacité des gens d'obtenir des conseils juridiques, nous avons reconnu qu'en Saskatchewan, nous fournissons davantage d'argent à notre système d'aide juridique. Toutefois, il y a toujours des gens, des travailleurs pauvres ou à faible revenu, qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique. Pour eux, le paiement d'honoraires d'avocat est un obstacle plus difficile à surmonter que pour d'autres, quoique les frais juridiques soient toujours un obstacle. Nous avons donc fait des démarches auprès de l'Association du barreau de la Saskatchewan et lui avons demandé: «Comment régler ce problème? Ce sont vos clients. Vous avez des relations avec eux. Ils ont un besoin à combler. La réputation du Barreau et du système judiciaire est en jeu». L'Association a très bien accueilli notre démarche et a reconnu qu'il fallait établir un mécanisme quelconque pour aider les gens à faire des choix. Elle a convenu que pour la première demi-heure de toute consultation, des frais minimums de 25 $ seraient imposés, mais beaucoup d'avocats ne font même pas payer cette somme. En Nouvelle-Écosse, un arrangement semblable a été pris avec le Barreau et je crois qu'en Ontario, la situation est à peu près la même.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous savez qu'au Québec, la médiation familiale est obligatoire. La Loi sur le divorce est fédérale et les autres lois sont provinciales. Le rapport Richardson prouve que la médiation a réglé 67 p. 100 des cas. Nous cherchons des solutions partout. Pourquoi ne regardons-nous pas les autres provinces qui sont à l'avant-garde? Au Québec, cela marche très bien.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela ne fait pas longtemps.

Le sénateur Ferretti Barth: Le comité qui a étudié les conséquences des cinq séances de médiation obligatoire avant le divorce a donné des résultats épouvantables. Beaucoup de cas sont résolus à l'amiable. Il faudrait étudier d'un peu plus près le cas des provinces qui ont fait des démarches favorables aux deux parties. Les cas de divorce peuvent se résoudre sans recourir à la cour et aux avocats qui coûtent très cher. Les gens ont l'occasion de se parler et se dire ce qui ne va pas. La médiation, la conciliation est un service obligatoire que les provinces doivent donner.

[Traduction]

Mme Pottruff: Je conviens certainement que la médiation est un outil puissant qui peut être fort utile pour résoudre des différends familiaux. Quant à savoir si le recours à cet outil doit être obligatoire ou facultatif, il y aurait un bon débat à faire là-dessus.

En Saskatchewan, nous avons mis en place un processus obligatoire d'examen préalable et d'orientation vers la médiation lorsque nous avons créé la division du droit de la famille en 1994. Cela voulait dire que les deux parties devaient venir rencontrer séparément le médiateur, qui leur expliquait le processus à suivre. Les parties pouvaient décider d'y recourir si elles le jugeaient souhaitable. Elles pouvaient faire appel soit au service de médiation du ministère de la Justice de Saskatchewan, soit à des services de médiation privés.

Le Barreau a estimé que c'était une ingérence dans son domaine, parce que la Loi sur le divorce exige déjà de ses membres qu'ils conseillent leurs clients au sujet de la possibilité d'une médiation. Nous avons également trouvé que cela faisait double emploi avec le programme d'éducation parentale, où il était aussi question de médiation. Par conséquent, nous avons supprimé ce règlement.

De plus, le nombre de gens qui faisaient appel à la médiation à l'issue du processus obligatoire d'examen préalable et d'orientation n'était pas sensiblement plus élevé par rapport à ce que nous avions déjà, puisque le recours à la médiation était déjà relativement fréquent. Par conséquent, il s'agit en fait d'évaluer la situation en se demandant s'il est nécessaire de déployer davantage d'efforts pour essayer d'amener les gens à faire appel volontairement à la médiation, et il faut voir comment coordonner cela avec le Barreau.

Nous devons aussi voir comment les cas sont traités dans les différentes administrations. En Saskatchewan, une conférence préalable à l'instruction est obligatoire avant que l'affaire puisse aller devant les tribunaux. Cela veut dire que les parties doivent rencontrer un juge, qui passe en revue les faits en litige et leur dit ce qui, à son avis, devrait arriver. Dans la majorité des cas, l'affaire ne va pas plus loin. Probablement moins de 10 p. 100 des cas aboutissent à un procès en bonne et due forme. Il faudrait examiner l'ensemble des divers services disponibles dans une administration donnée pour déterminer comment l'on pourrait insister davantage sur la solution non judiciaire, mais je crois que dans l'ensemble, toutes les administrations sont favorables à la déjudiciarisation et admirent grandement le modèle du Québec.

Le sénateur Cools: Nous entendons fréquemment dire que moins de 10 p. 100 des cas aboutissent à un procès. Pouvez-vous nous en dire plus long là-dessus? Ce que je comprends de cet énoncé, c'est que moins de 10 p. 100 aboutissent à un procès parce que la plupart y ont renoncé, en grande partie à cause des frais juridiques énormes. Par conséquent, c'est un fait que beaucoup de gens ne peuvent pas aller jusqu'au procès parce qu'ils n'en ont pas les moyens.

Je soutiens que pour un citoyen moyen, 50 000 $, c'est beaucoup d'argent. Je voudrais que vous nous parliez de cela. D'après moi, ce chiffre de 10 p. 100 n'est pas le vrai chiffre. Il mesure le nombre de ceux qui sont capables de soutenir une longue lutte, sur les plans financier et émotionnel, mais il ne traduit aucunement l'indice de satisfaction.

Cette question revient constamment sur le tapis, monsieur le président, et pourtant dans tous les ouvrages dont nous avons pris connaissance, par exemple le document que le sénateur Jessiman vient de citer, l'«Examen de la justice civile au Manitoba en 1996», ainsi que le document équivalent ici en Ontario, l'«Examen de la justice civile en Ontario en 1995», on revient constamment sur les coûts juridiques élevés et sur le fait que les gens sont forcés de régler parce qu'ils ne peuvent plus se permettre de continuer. Par conséquent, ce n'est pas une explication vraiment satisfaisante que de dire qu'un petit nombre de cas aboutissent à un procès. La réalité, c'est que les gens sont vidés, financièrement et émotivement. Tôt ou tard, nous devrons nous pencher sur cette situation parce que beaucoup de gens acceptent des règlements dont ils ne veulent pas vraiment.

Pourriez-vous nous donner de plus amples détails sur ce chiffre de moins de 10 p. 100 et nous dire quel est le nombre réel des cas qui aboutissent à un procès?

Mme Pottruff: Je peux seulement vous donner cette estimation de 10 p. 100, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. Vous avez tout à fait raison: je fais référence à ceux dont l'affaire donne lieu à un procès en bonne et due forme. Il n'y a aucun doute que le coût des procédures judiciaires est un obstacle pour n'importe qui; il s'agit de savoir si la personne est prête à consacrer à sa cause l'énergie émotive et l'argent qu'elle requiert. C'est donc une difficulté, mais il est clair que l'existence de l'aide juridique civile atténue ce problème pour certains plaideurs, quoique pas pour tous.

Nous devons tous nous préoccuper du coût, parce qu'un système judiciaire n'est efficace que dans la mesure où il est accessible. Par contre, il est possible que le coût du litige fasse réfléchir les gens sérieusement et les encourage à s'entendre dans certains cas. À mon avis, la situation n'est pas entièrement négative.

Néanmoins, je crois que les études sur la médiation et la conciliation montrent que les gens sont généralement plus satisfaits quand ils passent par ces étapes et qu'ils ont leur mot à dire dans le processus décisionnel, au lieu de s'en remettre à une décision rendue par un juge quand l'affaire leur est complètement enlevée des mains. C'est une réaction humaine normale et très positive. Je pense que c'est pour cette raison que dans toutes les administrations, on reconnaît qu'il faut consacrer plus de ressources aux processus non judiciaires, ceux qui, de l'avis des gens, répondent le mieux à leurs besoins.

Le sénateur Cools: Beaucoup de gens divorcent sans jamais s'adresser aux tribunaux. Je le dis franchement, ce sont eux les plus sages. Le groupe dont nous devons nous occuper, c'est celui des gens qui s'engagent dans la voie du litige et qui sont obligés d'arrêter, pour quelque raison que ce soit. Combien de gens font partie de ce groupe?

Mme Pottruff: Je ne peux même pas vous donner d'estimation, parce qu'il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu dans le règlement d'un différend. Je ne peux pas vous donner de chiffre.

Le sénateur Forest: À la page 13, vous mentionnez le critère des difficultés excessives. Bon nombre d'entre nous s'inquiétaient à ce sujet et se demandaient si cela fonctionnerait vraiment. Vous me direz qu'il est trop tôt pour se prononcer, mais quelle est l'expérience jusqu'à maintenant à cet égard?

Mme Pottruff: C'est un aspect que les avocats ont eu un peu plus de difficulté à comprendre et à appliquer. Un certain nombre de logiciels ont été conçus pour aider les gens à appliquer les lignes directrices. Ces logiciels sont particulièrement utiles pour appliquer le critère des difficultés excessives; cela donne aux parties intéressées un mécanisme pour déterminer le niveau de vie relatif des familles et les conséquences fiscales. Je pense que c'est pour cela que c'est un peu plus compliqué, mais une fois que les gens connaissent bien le logiciel qu'ils utilisent, cela devient un peu moins compliqué et ils peuvent alors en arriver à la décision fondamentale, qui consiste à dire s'il y avait dans ce couple un facteur qui créait une difficulté excessive, en conformité des lignes directrices. Vous vous rappellerez qu'il s'agit d'un processus en deux étapes. Il faut tout d'abord constater l'existence de difficultés excessives, puis établir que la famille du payeur aurait un niveau de vie inférieur. Pendant un certain temps, les gens se sont demandé comment établir ce qui constitue un «niveau de vie inférieur». Les logiciels aident à résoudre ce problème et les gens peuvent maintenant se concentrer un peu plus sur la compréhension et l'application du critère des difficultés excessives. Il semble qu'il soit appliqué.

Le sénateur Forest: Savez-vous s'il est appliqué de façon généralisée?

Mme Pottruff: Je ne crois pas du tout qu'il soit appliqué largement. Les tribunaux veillent à appliquer rigoureusement le critère des difficultés excessives.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je voudrais aborder un point sur lequel nous pourrions revenir plus tard, quand nous discuterons de nos éventuelles recommandations. Tous reconnaissent que la médiation réduit l'hostilité et aide les gens à voir la situation plus clairement. Nous sommes tous en faveur de cela. Il y a toutefois un élément de base qui manque. Je peux seulement parler du Québec, quoique je sois certaine que la situation est la même dans les autres provinces. Au Québec, à cause des lourdes compressions dans les budgets des services sociaux, nous avons plus ou moins aboli le counselling familial. Avant d'aborder les problèmes des difficultés, excessives ou pas, il faut d'abord aborder le problème du divorce et de la séparation. On n'a pas touché aux services d'aide à l'enfance, parce que cela aurait scandalisé tout le monde. Toutefois, les services qui s'adressent aux adultes sont probablement jugés moins importants. Peut-être le gouvernement devrait-il reconsidérer cette approche, afin de prévenir les ruptures familiales. Dans d'autres provinces, comme vous le savez peut-être, les services aux familles n'existent plus. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mme Pottruff: Les services familiaux, ou les services aux familles, représentent évidemment un domaine où les besoins sont presque illimités, si l'on songe à tout ce que l'on pourrait et devrait faire pour les familles. La question est de savoir quel niveau de services nous pouvons offrir ou ce que les gens peuvent se permettre.

Les divers services sont un peu plus étoffés dans certaines administrations. Je suis de la Saskatchewan et quand je vois les centres familiaux de la Colombie-Britannique, je suis quelque peu envieuse. On y trouve une gamme étendue de services pour les familles: counselling, médiation et information. Nous n'avons certainement rien de tel en Saskatchewan. Nous avons des organismes privés qui offrent du counselling. Nous n'avons pas de counselling familial financé par le gouvernement, à part les services d'aide à l'enfance.

Quoi qu'il en soit, la réponse est oui, il y a des besoins à combler pour les familles. Quant à savoir quel est le rôle de l'État et quel est le rôle des membres de la famille pour ce qui est de trouver des services adéquats, cette question mériterait d'être étudiée plus à fond. Je suppose qu'on le fera dans le cadre de processus comme les audiences du comité mixte spécial sur la garde des enfants et le droit de visite.

Dans certaines administrations, on examine aussi toute la gamme des services qui doivent être à la disposition des familles. Le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille, par exemple, a lancé un projet visant à établir quel est le meilleur modèle possible. Non pas que nous pourrions tous nous permettre de l'instaurer ni que l'État serait toujours disposé à payer pour le mettre en place, mais il s'agit de voir ce qu'il y a lieu d'encourager.

Le sénateur LeBreton: Je me reporte maintenant au rapport d'étape qui a été distribué ce matin. Dans le domaine des problèmes d'application, le Manitoba dit qu'on cherche dans cette province à simplifier et à uniformiser les ordonnances de pension alimentaire; en Alberta, on travaille de concert avec Justice Canada pour déployer des mesures d'application renforcées; au Nouveau-Brunswick, on fait une étude de faisabilité en vue de remplacer le système de tenue de livres comptables et d'application; Terre-Neuve et le Labrador travaillent aussi avec le ministère de la Justice; et l'Île-du-Prince-Édouard cherche une technologie permettant une meilleure mise en oeuvre.

Pour la province de la Saskatchewan, vous faites des déclarations très péremptoires, par exemple:

S'il est encore trop tôt pour mesurer l'incidence des lignes directrices, on prévoit que la charge de travail au service de mise en oeuvre des ordonnances de pension alimentaire augmentera de 20 p. 100 et que le taux de défaut augmentera, par rapport au niveau actuel de 24 p. 100.

Il est également question de la charge de travail à la page 33. C'est assez curieux. Vous évoquez des augmentations précises de la charge de travail, ainsi qu'une hausse du taux de paiement en défaut, alors que nous en sommes encore au début du nouveau régime, et pourtant vous venez de nous dire qu'il était encore trop tôt pour se prononcer. Je suis curieuse de savoir comment vous en êtes arrivée à ces chiffres sur l'application des lignes directrices.

Mme Pottruff: En faisant la planification de notre mise en oeuvre, nous avons compris qu'il faudrait réinscrire les ordonnances et envoyer de nouveaux avis à chacun pour leur préciser leur nouveau paiement. On peut s'attendre à ce qu'il y ait une hausse des paiements en défaut en raison de cette nouvelle activité. Les gens étaient habitués de payer un certain montant et il faut maintenant les convaincre de payer un montant plus élevé. Il faudra peut-être insuffler une nouvelle vigueur à certaines procédures d'application.

C'est une question de mise en oeuvre. On ne s'attend pas à ce que ça continue après les deux premières années. Il y aura toutefois, pendant cette période, une augmentation de la charge de travail des services de mise en oeuvre. Quant aux chiffres, il s'agit en fait de contrôler l'activité de septembre à décembre pour essayer de prédire ce qui nous attend. C'est utile pour nous car cela nous permet d'évaluer l'incidence de la mesure. Vous trouvez peut-être que nos prévisions sont exagérées.

Le sénateur LeBreton: Vous dites que c'est une mesure à court terme. Qu'avez-vous prévu dans votre système? Allez-vous faire une vérification tous les trois ou six mois? Quel est votre point de repère pour vérifier si ces prévisions se réalisent?

Mme Pottruff: Nous rédigeons des rapports au Conseil du Trésor tous les trois à six mois. Ce sera notre principal point de repère.

Le président: Il me reste seulement à remercier Mme Pottruff d'être venue ici aujourd'hui et à la remercier pour son témoignage qui, nous en convenons tous, a permis de faire la lumière sur certaines questions très importantes.

La séance est levée.


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