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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 25 février 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur le tabac (réglementation du contenu), se réunit aujourd'hui à 15 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons examiner le projet de loi S-8.

Notre premier témoin est le parrain du projet de loi. Lorsqu'il aura terminé, nous écouterons un représentant du ministère de la Santé.

Avant de donner la parole au sénateur Haidasz, je profite de l'occasion pour féliciter ce collègue, du très grand honneur bien mérité que lui a fait le gouvernement de la Pologne. Au début du mois, il s'est vu décerner l'Ordre du Mérite de la Pologne, la Croix de Commandeur avec étoile et écharpe. La cérémonie s'est déroulée au palais présidentiel de Varsovie, le mardi 17 février. Sénateur Haidasz, ce titre vient s'ajouter à toute une série de distinctions honorifiques qui vous ont été accordées au Canada et à l'étranger. Nous vous présentons nos chaleureuses félicitations pour cet hommage supplémentaire à votre carrière.

Étant le parrain du projet de loi, vous avez la parole le premier. Vous connaissez le protocole, étant donné que vous avez été ministre. Nous avons plusieurs autres témoins à entendre au sujet de ce projet de loi. Je tiens à vous signaler que lorsqu'ils auront tous comparu, d'ici un certain temps ou d'ici quelques semaines, vous pourrez, si vous le désirez, comparaître une dernière fois avant la clôture des audiences. Nous en serions heureux, même si vous aurez sans doute malheureusement quitté le Sénat d'ici là. Nous vous paierons toutefois vos frais de déplacements si vous désirez vous présenter.

L'honorable Stanley Haidasz, c.p.: Chers collègues, c'est à la fois un privilège et un honneur pour moi d'être le premier témoin à comparaître dans le cadre de l'étude du projet de loi S-8 modifiant la Loi sur le tabac, qui a été adoptée l'année dernière, au mois d'avril, juste avant les élections générales.

J'ai présenté ce projet de loi; il a été lu pour la première fois et étudié à l'étape de la deuxième lecture en décembre 1997, puis il a été renvoyé à votre comité. Permettez-moi de le situer dans son contexte.

Nous savons tous que le tabac est une substance mortelle. C'est une substance qui est considérée par les autorités médicales comme la cause ou une des causes de ce qu'on appelle les maladies liées au tabac, auxquelles on a attribué le décès prématuré de 40 000 à 50 000 personnes en 1994, dernière année pour laquelle Statistique Canada a publié des chiffres à ce sujet.

En outre, d'après un ex-employé du ministère de la Santé, qui travaille maintenant à l'Organisation mondiale de la santé, à Genève, le tabac est une substance nocive qui représente une perte directe et indirecte d'environ 21 milliards de dollars pour l'économie canadienne, d'après les chiffres pour 1987.

Tout gouvernement conscient de ses responsabilités se rend compte qu'il faut faire quelque chose pour enrayer les dommages physiques et économiques considérables que cela cause aux Canadiens.

Étant donné que je suis médecin, j'ai vu de nombreuses personnes atteintes de maladies liées au tabac. J'ai assisté au décès de personnes atteintes d'une maladie de ce type appelée carcinome pulmonaire ou cancer du poumon. C'est une mort terrible. C'était en 1950 et j'étais interne au Toronto General Hospital. J'ai été témoin de ces maladies et des décès qui mettent fin à la vie des fumeurs. Cela m'a fait une telle impression que je me suis associé à un de mes professeurs, le docteur Norman Delarue, qui était chirurgien thoracique au Toronto General Hospital -- probablement le premier de Toronto, voire du Canada -- pour dénoncer la responsabilité de la cigarette dans le cancer du poumon.

Ces 40 000 à 50 000 décès auraient tous pu être évitables. Les 21 maladies cliniques attribuées au tabac sont également évitables. Par conséquent, le coût économique direct et indirect énorme que cela représente au Canada, qui était estimé à 21 milliards de dollars en 1987, est également évitable. Pourtant, je dois malheureusement reconnaître que, depuis que nous avons pris conscience des dangers du tabac et des dommages qu'il cause, le gouvernement n'a pas eu recours à des moyens assez radicaux pour mettre un terme à ce fléau.

Que ce soit comme député ou comme sénateur, j'ai essayé à plusieurs reprises de faire adopter des projets de loi et j'ai fait partie de divers comités chargés d'examiner le problème du tabagisme. Le premier, un comité de la Chambre des communes, examinait la question de la publicité concernant le tabac. En fait, j'ai étudié la question avec des compagnons d'étude, le docteur Harry Harley et le docteur Bruce Halliday. Nous suivions les mêmes cours à la Faculté de médecine de Toronto. Nous sommes allés au même hôpital et nous avons tous été secoués de voir les conséquences du tabac sur la santé. Aucun de nous trois n'a jamais fumé. Je remercie Dieu de n'avoir jamais pris cette habitude terrible que les cliniciens considèrent comme une dépendance grave. D'après les cliniciens spécialisés dans l'étude du syndrome de la tabacomanie, c'est une dépendance aussi grave que l'héroïnomanie.

Je suis heureux d'avoir eu l'occasion de parler de mon projet de loi avant le 4 mars, jour de mon départ du Sénat, et d'exhorter tous les honorables sénateurs, et tout particulièrement les membres du présent comité, à faire quelque chose pour essayer d'enrayer ce fléau.

Vous avez probablement entendu le discours que le docteur Wilbert Keon a fait en décembre, pour appuyer mon projet de loi. Vous avez peut-être entendu également le sénateur Gigantès parler brièvement, mais avec beaucoup d'éloquence, de son contact avec les maladies liées au tabac, en phase terminale. Je leur suis reconnaissant de leur appui.

Le Canada est en avance sur les États-Unis et probablement sur tous les autres pays dans la lutte contre ce problème qui est la cause de maladies évitables. Il y a environ deux ans, la ministre fédérale de la Santé, Mme Marleau, a présenté un document stratégique sur le tabagisme. Cependant, depuis lors, il n'y a eu que la Loi sur le tabac, qui porte principalement sur la publicité et les étalages des sociétés qui produisent cette substance mortelle.

Le texte des observations que je voulais faire cet après-midi vous a été remis. Je n'ai pas l'intention de le lire, parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Je tiens toutefois à profiter de l'occasion pour parler des articles du projet de loi S-8 qui en constituent à mon avis la pierre angulaire. Les articles 2, 3 et 4 sont des propositions de modification de la Loi sur le tabac. Je veux attaquer le problème à la racine, c'est-à-dire mettre un terme à la dépendance à la nicotine qui fait que l'on ressent un besoin impérieux de fumer. Il faut évidemment s'attaquer à la teneur en nicotine des cigarettes.

J'ai assisté à une conférence sur la dépendance à Washington, il y a trois ans. Le thème principal était le tabac, une substance qui crée une accoutumance. Nous avons été impressionnés par le zèle et les connaissances de certains chercheurs américains, qui sont nettement en avance sur la Food and Drug Administration de Washington.

Le Bureau de contrôle du tabac de Santé Canada a été réorganisé et placé sous la direction d'un nouveau directeur. J'espère qu'il disposera des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre la stratégie sur le tabagisme du ministère, telle qu'elle a été exposée il y a près de trois ans par la ministre Marleau.

Je tiens à m'attaquer au noyau du problème, à savoir la teneur en nicotine. Certaines personnes tombent malades et meurent à cause du tabac, mais c'est en fait la nicotine qui est la cause première du problème. Les fumeurs deviennent d'abord dépendants de la nicotine, puis souffrent des conséquences des goudrons, surtout des goudrons carcinogènes présents dans la fumée de cigarette. Il ne faut évidemment pas oublier non plus les problèmes causés par la quantité de monoxyde de carbone émise par une cigarette allumée ni les dommages causés par les additifs que l'on trouve dans les produits du tabac.

Comme je l'ai signalé, la nicotine est une substance qui crée une accoutumance. À mon avis, elle est tellement dangereuse qu'elle devrait faire partie de la liste qui se trouve dans la Loi sur les produits dangereux et être interdite. Je ne pense cependant pas que je verrai cela de mon vivant.

L'article 3 du projet de loi S-8 propose une modification à l'article 6 de la Loi sur le tabac. Le projet de loi contient une définition du concept de «tabac reconstitué». Le tabac contient de nombreux déchets de feuilles de tabac et même des balayures de tabac ramassées sur le sol des usines qui peuvent être mélangées à d'autres matières pour ajouter du volume à des produits du tabac tels que la cigarette.

C'est une question de poids et ces déchets peuvent contenir des substances telles que de l'arsenic, des sulfures, des matières fibreuses ainsi que des dérivés cellulosiques. Ce ne sont pas des produits ni des additifs sains et ils sont par conséquent extrêmement indésirables. Il faut également les interdire en réglementant le poids et le contenu du tabac.

Le test pour reconnaître le tabac reconstitué est en fait celui qui est utilisé par les chimistes dans les laboratoires industriels comme dans les laboratoires de recherche en sciences de la santé. Comme toutes les substances sont roulées en forme de tube de cigarette, de cigarillo ou de cigare, on peut placer dans le récipient un solvant organique aussi doux que de l'acétone pour voir ce qui tombe au fond. La cellulose des plants de tabac naturel flotte en majeure partie à la surface mais des segments plus gros et distincts, des sédiments foncés, se déposent au fond. Cela signifie qu'il s'agit de tabac reconstitué. Le projet de loi que je présente limiterait la quantité de tabac reconstitué à 2 p. 100 du poids du tabac naturel se trouvant à l'intérieur du tube.

Je tiens également à définir avec plus de précision le concept de «additif du tabac» et à faire quelques commentaires à ce sujet. Lorsqu'on parle d'additif du tabac, il faut également tenir compte du papier qui entoure le produit du tabac, parce que les fabricants y ajoutent souvent divers produits chimiques. Lorsque ce papier se consume, la fumée contient d'autres toxines, en plus des goudrons. D'après les rapports que j'ai lus, la fumée de cigarette émet plus de 3 000 sortes de goudrons toxiques. Parmi ces toxines ou goudrons toxiques, les scientifiques en ont identifié une cinquantaine qui sont cancérigènes, ce qui signifie qu'ils peuvent causer le cancer de certains organes.

Certains de ces additifs sont des nitrosames, d'autres des pesticides, d'autres des agents servant à maintenir la fraîcheur, qui sont ajoutés à la cigarette ou au cigare. D'autres encore sont des humectants, qui servent à humidifier le tabac. Il faut y ajouter l'arsenic, dont j'ai déjà parlé, ainsi que toute une série d'autres substances nocives. Je n'ai pas toute la liste sous les yeux parce que les fabriques de produits du tabac considèrent la liste des additifs qu'elles utilisent comme un secret de fabrication. Elles prétendent que c'est ce qui rend le tabac agréable à fumer.

Le présent projet de loi préciserait les quantités limites à respecter pour tous ces additifs et c'est très important lorsqu'il s'agit de limiter les dommages que peut causer un produit du tabac. Mon objectif est d'essayer, par le biais de la réglementation, d'en arriver à ce que l'on fabrique un produit du tabac aussi inoffensif que possible. J'avais déjà fait une tentative lorsque j'étais à la Chambre des communes, en essayant de faire décréter que le tabac est un produit dangereux, mais c'était impossible. J'étais secrétaire de M. Basford, en 1968, lorsque nous avons proposé des modifications à la Loi sur les brevets pour permettre de fabriquer des médicaments génériques sous licence. Puisque je me suis trouvé dans l'impossibilité de faire déclarer le tabac produit dangereux, j'essaie, par l'intermédiaire du présent projet de loi, de limiter les dommages que peut causer le tabac en faisant diminuer les quantités d'éléments toxiques que contiennent les produits du tabac.

Pour les besoins du projet de loi S-8, je considère également comme un additif toute substance, comme l'ammoniaque, que l'on ajoute au tabac pour accentuer les effets de la nicotine. C'est ce que veulent les fabricants. Ils veulent que le fumeur soit dépendant de la nicotine parce que cela leur fait vendre leurs produits. Les fumeurs deviennent dépendants, parce qu'ils aiment l'arôme d'une cigarette. Les fabricants veulent surtout que les effets de la nicotine se trouvant dans leurs produits soient efficaces étant donné que c'est précisément parce qu'il est dépendant de la nicotine que le fumeur achète des cigarettes.

Parlons maintenant d'autres substances. Les produits du tabac contiennent également des composés azotés. Ces composés modifient le pH, l'acidité, de la salive du fumeur lorsqu'il est en contact avec la fumée de cigarette. La muqueuse buccale et la muqueuse de la langue sont également touchées par ces composés azotés. Comme je l'ai déjà signalé, ils augmentent l'absorption de nicotine, la substance que veulent les fumeurs, qui les incite à fumer davantage et qui les rend indirectement malades à cause des goudrons, dont certains sont des toxines puissantes, voire cancérigènes.

Même la nicotine en soi peut avoir des effets nocifs. Elle cause des angiospasmes dans les artères, qu'il s'agisse de celles qui vont aux orteils ou de celles qui vont au coeur. Les artères ont une paroi musculaire et la nicotine provoque des spasmes musculaires dans les artères et dans les veines. Le diamètre intérieur de l'artère diminue et, par conséquent, le flux du sang vers le coeur, les muscles des jambes et les autres muscles, diminue. La diminution du flux sanguin provoque des spasmes musculaires. Si les spasmes des muscles des parois de l'artère coronarienne sont trop nombreux, cela provoque une angine de poitrine, le myocarde ayant des spasmes. Cela cause une douleur terrible juste en arrière du sternum. Si la situation empire, le flux sanguin vers le myocarde peut être interrompu et le coeur peut être privé d'oxygène. Si la privation complète d'oxygène dure cinq minutes ou plus, le myocarde meurt. Si une trop grande partie du myocarde est touchée, le coeur cesse de battre et la mort s'ensuit.

J'ai parlé des composés azotés. Bien qu'ils ne représentent qu'une faible proportion du poids d'une cigarette, ils ont des effets très nocifs.

Je voudrais ensuite parler d'une définition qui se trouve dans le projet de loi, à savoir celle du terme «sel de nicotine». Elle est nécessaire dans le projet de loi parce qu'elle se trouve dans l'annexe de la Loi sur les aliments et drogues. Le ministère de la Santé utilise la même terminologie que celle que j'ai utilisée dans mon projet de loi et dans mon mémoire. C'est une autre façon de désigner une «substance nicotinique».

Cette définition nous donne des détails à son sujet, notamment en ce qui concerne sa couleur, la finesse de sa coupe, son taux d'humidité, le temps pendant lequel le tabac a été exposé à l'air pendant le séchage. Les feuilles de tabac sont en effet mises à sécher à l'extérieur après la récolte.

Il existe dans le sang humain une autre substance appelée la cotinine et les cliniciens qui veulent vérifier si une personne fumait la cigarette peuvent en mesurer la teneur. Ils n'ont pas besoin de sentir votre haleine; on peut toujours tricher. Un médecin peut faire une prise de sang dans une veine et mesurer la quantité de cotinine que contient votre sang, et vous dire quelle quantité de nicotine vous avez et même combien de cigarettes vous avez fumées.

Les compagnies d'assurance ont fréquemment recours à ce test. Certaines compagnies réduisent leurs primes pour les non-fumeurs mais il leur arrive d'obliger leurs clients à subir un test pour la cotinine. Elles veulent savoir si vous fumez parce que, dans ce cas, vous présentez davantage de risques et qu'elles veulent s'assurer par ailleurs que vous ne les fraudez pas. Si elles vous offrent une réduction de prime parce que vous aviez déclaré que vous étiez non-fumeur et que quelqu'un leur a dit que vous fumiez, elles ont le droit de vérifier si vous leur avez menti ou non.

Les scientifiques ont découvert que la cotinine est la forme bioactive ou biodisponible de la nicotine et que cette forme bioactive de nicotine s'accroche à un site transmetteur du cerveau. Il existe divers sites dans notre cerveau auxquels s'accrochent différents médicaments et il existe un site transmetteur pour la cotinine. Ce site peut être empoisonné par la nicotine ou la cotinine qui s'accroche à un site de votre cerveau qui satisfait la dépendance du fumeur. C'est ce que le fumeur veut. Il veut ressentir la sensation provoquée par la nicotine dans son cerveau parce que cela provoque chez lui une certaine euphorie ou, d'après certains fumeurs, une sensation de relaxation sous l'influence de la nicotine.

La personne qui fait de la dépendance à la nicotine a vraiment besoin de la cotinine, qui est la substance fine qui s'accroche au site de votre cerveau et vous rend dépendant tout en vous procurant une sensation d'euphorie.

Je ne m'étendrai pas sur l'Éclipse. Il en est question dans les notes que je vous ai fait distribuer. Certaines compagnies essaient de mettre au point un produit de remplacement, appelé Éclipse. Il empêche la nicotine, la cotinine et les goudrons de passer par divers moyens.

L'article 2 du projet de loi S-8 concerne l'octroi de pouvoirs à un organisme de réglementation et décrit un cadre dans lequel les autorités seront en mesure de réglementer le contenu du tabac. C'était nécessaire, parce qu'elles sont censées contrôler les cigarettes qui sont vendues au Canada et que c'est le ministère qui décide quelles substances issues de la combustion d'une cigarette sont illégales.

Je voudrais également aborder un autre aspect du problème. La plupart des gens ne supportent pas du tout l'odeur de cigare ni l'haleine d'un fumeur et cette haleine est pire chez les personnes qui consomment régulièrement du tabac à chiquer ou à priser. Ce genre de tabac peut également causer le cancer, surtout le cancer des gencives et de la langue, si l'on en fait une consommation trop fréquente.

Les fumeurs ont également certaines habitudes antihygiéniques, notamment lorsqu'ils crachent leur salive, qui peut constituer un autre danger pour la santé de leur entourage, parce qu'elle peut également contenir de nombreux virus. Ils peuvent par exemple transmettre le virus qui cause la grippe. Chaque année, plusieurs milliers de personnes contractent cette maladie et en meurent. Au cours de la grande épidémie de 1917, des millions de personnes sont décédées des suites de la grippe et celle-ci est causée par un virus.

Je passe au sous-alinéa (iii) de l'alinéa 7a), concernant les additifs tels que l'ammoniaque. Les additifs sont définis en fonction de la dépendance qu'ils engendrent ainsi que de leurs effets toxiques et le sous-alinéa (iii) a pour but de donner aux organismes régulateurs un certain pouvoir de tester les produits du tabac, pour les aider à contrôler cette substance mortelle.

Le président: Il ne nous restera bientôt plus de temps pour les questions, sénateur.

Le sénateur Haidasz: J'arrête ici, monsieur le président.

Le président: Chers collègues, il nous reste environ 10 minutes pour les questions avant de donner la parole au témoin qui représente le ministère de la Santé.

Le sénateur Forest: Monsieur le président, je voudrais que le sénateur nous expose très brièvement les changements que contient ce projet de loi par rapport au projet de loi S-5, que nous avons examiné l'année dernière.

On s'est demandé si on serait en mesure d'appliquer ce projet de loi, s'il était adopté. D'après ce que je peux comprendre, la portée du présent projet de loi est moindre que celle du projet de loi S-5 et par conséquent il devrait être plus facile à débattre.

Le sénateur Haidasz: La Loi sur le tabac, qui a été adoptée en avril 1997, contient des articles indiquant que le ministre a le droit de prendre dorénavant des règlements en ce qui concerne les ingrédients d'un produit du tabac. Je les décris brièvement. Étant donné que je suis médecin, j'essaie de faire adopter des règlements visant à contrôler la teneur en nicotine des cigarettes.

Le sénateur Forest: Faites-vous allusion aux additifs?

Le sénateur Haidasz: À la nicotine d'abord. Je souhaite faire limiter la teneur en nicotine des cigarettes à un maximum de 0,3 milligramme par gramme. Je tiens également à limiter la teneur en goudron à 0,5 milligramme et la quantité de tabac reconstitué à 2 p. 100 du poids. C'est là l'objectif principal du projet de loi. Je vais légèrement plus loin que la Loi sur le tabac qui a été adoptée au mois d'avril.

Le tabac tue depuis que la cigarette se vend au Canada. Il est grand temps de mettre un terme à ces décès prématurés ainsi qu'aux souffrances et aux pertes que cela engendre pour notre économie.

M. Gary Knight, adjoint de recherche: J'ai cru comprendre que le sénateur Forest posait une question au sujet d'un projet de loi précédant, le projet de loi S-5 et qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'une question concernant le projet de loi C-71, bien que j'estime que cette réponse l'ait aidée à comprendre.

Le sénateur Haidasz: Monsieur le président, lorsque j'ai parlé du projet de loi S-5, je parlais en réalité du projet de loi C-71, la Loi sur le tabac que vous avez adoptée au mois d'avril.

Le sénateur Forest: Moi, je parlais du projet de loi S-5.

M. Knight: En un mot, les différences entre le projet de loi S-8 et le projet de loi S-5 sont assez minimes. Vous remarquerez que vers le milieu de ce projet de loi, il n'est pas question d'une méthode de test particulière pour la fumée de cigarette. On laisse le soin à l'organisme régulateur de choisir une méthode qu'il juge efficace.

Si l'on fait cela, c'est en partie parce que nous sommes conscients du fait que d'autres méthodes sont en gestation. L'une a été mise au point par une dame qui a travaillé à Santé Canada et qui jouit d'une très bonne renommée dans les milieux de la recherche.

Une autre différence est qu'il n'est nullement question dans ce projet de loi du problème compliqué des exportations et des importations. Cette omission est due en partie aux discussions que nous avons eues quant à savoir si nous devrions nous préoccuper de défendre le projet de loi contre une contestation éventuelle devant l'Organisation mondiale du commerce ou aux termes de l'ALENA. En toute sincérité, je vous signale qu'il y a une réponse à cela; il s'agit tout simplement du fait que lorsqu'on crée des obstacles non tarifaires motivés par des préoccupations liées à la santé, on n'a pas à trop se tracasser à propos de l'ALENA. Le sénateur Haidasz voulait toutefois procéder par voie de modification directe, de façon à guider l'organisme régulateur.

Si celui-ci veut réglementer le tabac se présentant sous d'autres formes, comme le tabac à chiquer et le tabac à priser, cet alinéa le guide, comme l'a signalé le sénateur, mais ce n'est pas le principal objectif du projet de loi.

Il existe peut-être toutefois une grave omission. La dernière version de ce projet de loi destinée à être déposée et présentée en première et deuxième lectures a été préparée à la hâte et l'omission est de ma faute. Il aurait fallu en réalité parler de vente. Même si le projet de loi vise à interdire la fabrication de produits qui peuvent être nocifs parce qu'ils contiennent trop de nicotine et trop de substances cancérigènes, sous son libellé actuel, il n'interdirait pas leur vente. Il est plutôt étrange d'interdire la fabrication de ces produits au Canada tout en permettant aux Canadiens de les importer de l'étranger. Cela créerait une barrière non tarifaire susceptible de causer un préjudice à l'industrie canadienne. Ce n'est pas l'objectif du projet de loi. Je suis certain que le sénateur vous demandera d'examiner un amendement visant à ajouter les termes «ou vendus» à l'article 3, qui tend à modifier l'article 6 de la loi.

Le président: Veuillez préparer un projet de modification. Nous l'examinerons.

Merci beaucoup. Il ne nous reste plus de temps.

Chers collègues, notre témoin suivant est le docteur Murray Kaiserman, directeur du Bureau de contrôle du tabac du ministère de la Santé.

Allez-y, si vous avez un exposé liminaire à faire. Nous aurons peut-être ensuite des questions à vous poser.

M. Murray Kaiserman, directeur, Bureau de contrôle du tabac, ministère de la Santé: Honorables sénateurs, je veux vous exposer la position de Santé Canada sur le projet de loi S-8 qui vise à modifier la Loi sur le tabac.

Le sénateur Haidasz est reconnu depuis longtemps comme un fervent partisan du contrôle du tabac. Il a fait montre d'un don exceptionnel pour prévoir l'orientation que prendrait le contrôle du tabac en proposant des mesures qui se sont retrouvées dans la législation canadienne du tabac.

Le sénateur Haidasz s'est lancé dans le débat sur l'interdiction de fumer dans les lieux de travail qui sont réglementés par le fédéral et sur l'inclusion des produits du tabac dans le champ d'application de la Loi sur les produits dangereux, lorsqu'il a présenté d'abord le projet de loi S-8 en février 1986, puis le projet de loi S-4 en novembre 1986.

En présentant le projet de loi S-6 en mai 1989 et le projet de loi S-19 en décembre 1992, le sénateur Haidasz s'est fait une fois de plus le chef de file de ceux qui voulaient alors faire passer de 16 à 18 ans l'âge requis pour acheter du tabac.

Le projet de loi S-8 à l'étude, qui constitue une version plus raffinée des projets de loi S-5 et S-14, place à nouveau le sénateur Haidasz au premier plan de la lutte antitabac.

Le tabac est la première cause de décès et de maladies évitables au Canada puisqu'il tue chaque année, de diverses façons, plus de 40 000 Canadiens, hommes, femmes et enfants. Cela représente en gros 20 p. 100 de tous les décès qui se produisent annuellement. Le tabac coûte au régime de santé canadien plus de 3,5 milliards de dollars en dépenses médicales directes. On a aussi estimé que fumer coûte annuellement aux entreprises canadiennes environ 2 500 $ par fumeur, y compris à peu près deux milliards de dollars pour l'absentéisme.

On sait depuis longtemps que, pour survivre, l'industrie du tabac doit recruter de nouveaux fumeurs et que la très grande majorité des nouveaux fumeurs sont des jeunes de moins de 18 ans qui sont devenus dépendants du produit. On sait aussi depuis longtemps que les cigarettes et les autres produits du tabac sont toxicomanogènes et que la nicotine est la substance qui cause l'assuétude.

En mars 1996, Santé Canada a formé un comité d'experts sur la modification des cigarettes. On a ainsi regroupé les plus grands experts du monde en matière de modifications de la cigarette, d'épidémiologie, de nicotinisme, de conception des cigarettes et de substituts de la nicotine. C'était un comité exceptionnel puisqu'il comprenait des représentants non seulement des factions antitabac -- si je peux dire -- mais aussi de l'industrie du tabac elle-même.

Le comité d'experts a examiné plusieurs questions et fait des recommandations. Ses plus importantes constatations s'appliquent probablement à ce projet de loi et je vous les expose.

Premièrement, la nicotine est la seule composante du tabac dont il est démontré que son administration entraîne des changements physiologiques qui poussent l'usager à tenter de poursuivre sa consommation même s'il sait que c'est nocif pour lui. C'est à cause de leur assuétude à la nicotine que les fumeurs fument la cigarette en sachant que c'est nocif.

Deuxièmement, un fumeur type -- c'est-à-dire un fumeur qui est accoutumé à la nicotine -- doit pouvoir obtenir facilement une dose quotidienne d'environ 20 milligrammes de nicotine en fumant à peu près 20 cigarettes et il a tendance à choisir des cigarettes qui lui procurent entre 0,7 et 1,4 milligramme de nicotine par cigarette. Les cigarettes qui se situent en dehors de cette fourchette ne sont pas populaires.

Troisièmement, le risque de cancer du poumon est réduit de 20 à 25 p. 100 chez les fumeurs à long terme de cigarettes filtres par opposition aux fumeurs à long terme de cigarettes sans filtre. Autrement dit, l'ajout d'un filtre à la cigarette est une modification simple qui réduit vraiment sa nocivité pour le fumeur.

Quatrièmement, les modifications de la cigarette qui réduisent le rendement en goudron et en nicotine sont considérées comme bénéfiques par les fumeurs étant donné la constatation que le risque de maladies reliées au tabagisme est moins élevé chez les fumeurs de cigarettes filtres que chez les fumeurs de cigarettes sans filtre. Pourtant, il n'y a pas de lien direct entre le rendement et le risque pour la santé. Autrement dit, il y a une limite aux avantages de réduire le rendement et certaines modifications de la cigarette comme la réduction de la quantité de tabac par cigarette n'ont pas entraîné une baisse proportionnelle des risques pour le fumeur.

Le comité d'experts a aussi conclu que la réglementation devait encourager les modifications de produits reconnues comme étant susceptibles d'avoir des effets bénéfiques pour la santé. L'une des plus importantes modifications apportées aux cigarettes depuis 20 ans, outre les filtres, c'est le lancement de cigarettes «légères». Quand elles ont été mises en marché, les cigarettes légères étaient très prometteuses pour la santé publique. Ce qu'on ignorait à l'époque, c'était la façon dont les fumeurs s'adapteraient à ces produits et si les fumeurs allaient compenser en modifiant leur façon de fumer, par exemple en aspirant plus longtemps et plus profondément ou en couvrant les minuscules trous de ventilation utilisés pour diluer la fumée, annulant ainsi la plupart des avantages pour la santé. De plus, on ne comprenait pas bien dans ce temps-là comment les cigarettes étaient conçues et comment cette conception pouvait fausser l'analyse faite avec la machine à fumer.

Aujourd'hui, nous connaissons beaucoup mieux ces facteurs et l'expérience nous a appris ce qu'il faut éviter de faire quand on apporte des modifications aux cigarettes ou quand on les présente. Le principal facteur à considérer, c'est la façon dont le consommateur va réagir au nouveau produit.

Il faut que les fumeurs veuillent l'utiliser. Si le produit ne lui apporte pas ce qu'il recherche, le fumeur va soit arrêter de fumer, soit trouver un produit qui lui procurera la nicotine nécessaire. Comme l'ont montré des événements récents, les fumeurs trouvent d'autres solutions lorsque ça coûte trop cher. Il faut s'attendre qu'ils cherchent aussi d'autres solutions si leur produit préféré ne leur procure pas ce qu'ils recherchent. Donc, cela pourrait accentuer la contrebande.

Le projet de loi recèle une autre difficulté puisque les normes qu'il y est proposé d'établir dans la loi et ses règlements permettent la réduction des taux. C'est compliqué de régler le problème par voie de réglementation parce qu'on se demande alors: si le produit pourtant conforme à la norme établie par la loi n'est pas sûr, pourquoi cette norme a-t-elle été établie? On pourrait aussi se demander: si la norme a été établie, on peut considérer qu'elle est parfaite ou qu'elle est la meilleure possible, alors pourquoi la modifier? Le projet de loi pourrait empêcher l'établissement de normes encore plus strictes.

Il y a aussi un certain nombre de problèmes techniques. Le projet de loi traite la question de savoir comment les normes sont établies, mais il faut être très minutieux pour reproduire avec la machine à fumer des conditions se rapprochant le plus possible de la façon dont le fumeur fume, ce qui pourrait prendre bien plus que les six mois prévus.

Est-ce que le taux de nicotine proposé diminue réellement la capacité d'intoxication du produit? On propose un taux maximal de 0,3 milligramme de nicotine dans le tabac. On permet aussi le transfert de 100 p. 100 de cette nicotine au fumeur. Par conséquent, comme les fumeurs ne retirent jamais toute la nicotine contenue dans une cigarette, l'industrie pourra-t-elle concevoir un produit qui maximise vraiment l'efficacité en ajoutant des adjuvants qui sont réglementés mais néanmoins permis ou en utilisant une autre méthode?

Il y a aussi la question des adjuvants capables de réduire la nicotine et l'apport de nicotine au fumeur. Le cytrel en est un qui est disponible actuellement. En restreignant son usage, on pourrait perdre un effet bénéfique possible pour la santé publique.

Restreindre l'usage du tabac reconstitué pose un autre problème. On a fait de grands progrès dans la suppression de composantes toxiques se trouvant dans le tabac entier. Il y a entre autres sur le marché maintenant un produit qui réduit la quantité de nitrosamines dans le tabac. La méthode employée pour le faire ressemble à celle que le projet de loi interdira. Cette interdiction va-t-elle nous faire perdre des effets intéressants pour la santé?

Il y a une considération encore plus sérieuse. Si les fumeurs sont incapables de tirer la dose maximale ou nécessaire des cigarettes actuellement sur le marché ou de celles que propose le projet de loi, fumeront-ils plus de cigarettes? Ce serait possible.

Il y a un an environ, au moment où le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes étudiait la Loi sur le tabac, le projet de loi C-71, des représentants du ministère ont déclaré ce qui suit:

Nous voulons aussi nous assurer qu'en modifiant les taux de nicotine, compte tenu des réactions possibles avec d'autres substances contenues dans ce produit, on ne provoque pas des effets sur la santé qui seraient tout aussi nocifs.

Autrement dit, si les quelque 15 000 à 20 000 cancers qui surviennent étaient éliminés au prix d'une hausse des crises cardiaques, des maladies de coeur et des maladies respiratoires, est-ce que ce serait vraiment une réussite du point de vue de la santé publique?

Le vrai problème qui se pose quand le produit est modifié, c'est que le comportement des fumeurs et le fait que la plupart des maladies apparaissent de 20 à 40 ans après le début du tabagisme limitent sérieusement notre capacité de prédire les résultats. Ces considérations s'appliquent à toute modification du produit envisagée.

La Loi sur le tabac prévoit actuellement que le ministre a le pouvoir de fixer, par règlement, les normes du produit. Comme l'a dit le sénateur Haidasz, nous avons maintenant l'argent et les ressources nécessaires pour explorer à fond cette question en particulier. Néanmoins, nous estimons qu'avant de fixer des normes, il nous faudrait évaluer les connaissances actuelles sur les émanations du tabac, leurs effets sur la santé et toute modification possible des effets de ces émanations sur la santé. Ainsi, nous espérons pouvoir élaborer des normes pratiques qui atteindront les objectifs visés pour la santé tout en diminuant la consommation du tabac, ce qui entraînera une réduction, dans toute la mesure du possible, des effets nocifs.

En ce moment, nous ne sommes pas en mesure d'établir des normes qui pourraient ne pas obtenir les effets souhaités pour la santé. En outre, nous croyons que le faire serait aller trop loin, trop vite.

Le sénateur LeBreton: Ça nous fait beaucoup d'informations à assimiler. Vous dites qu'il serait prématuré de demander certaines des modifications suggérées dans le projet de loi parce que nous en ignorons les conséquences. Personnellement, j'ai dans ma propre famille des gens qui ont opté pour des cigarettes légères mais qui en fument deux fois plus. Vous dites que Santé Canada n'a pas de données définitives prouvant que ces modifications seraient bénéfiques à long terme.

M. Kaiserman: Je pense que personne n'aura de données définitives au départ. Au mieux, nous pouvons être en mesure d'affirmer qu'à notre avis, cette intervention va être efficace. Nous ne pouvons pas encore déclarer catégoriquement que l'intervention suggérée dans le projet de loi, c'est-à-dire restreindre la quantité de nicotine, aura l'effet recherché sur la santé. Nous ne savons pas comment les consommateurs vont réagir au produit. D'habitude, ils acceptent mal ce type de produit.

Le sénateur LeBreton: Je suis particulièrement inquiète pour les jeunes femmes qui semblent encore croire, premièrement, que fumer les rend fascinantes et, deuxièmement, que ça empêche de grossir. Si l'on propose un produit renfermant moins de nicotine, les fumeurs ne vont probablement pas l'acheter puisqu'ils recherchent de la nicotine. On ne peut pas suggérer à un jeune de 18 ans de fumer des cigarettes renfermant moins de nicotine. Il va se procurer le produit qu'il veut.

M. Kaiserman: S'il y a un marché pour le produit, il sera probablement disponible. Si les gens en veulent, il est possible que la consommation de cigarettes de contrebande atteigne des niveaux qui annuleront les effets santé de la mesure proposée.

Le sénateur Forest: Monsieur Kaiserman, avez-vous bien dit que la prise de ces dispositions réglementaires empêchera que d'autres règlements soient pris plus tard?

M. Kaiserman: Pas à long terme, mais ce sera quand même plus difficile. Quand on établit des normes fondées sur des mesures de santé, on présume qu'il faut démontrer que les effets escomptés n'ont pas été obtenus si on veut les rendre plus rigoureuses.

L'une des difficultés de ce genre de mesure, c'est qu'il faut attendre de 20 à 40 ans avant que le problème de santé se manifeste. On commence seulement à observer les changements dans les cancers du poumon, entraînés par la mise sur le marché de cigarettes légères. Comme les fumeurs ont modifié leurs habitudes depuis le lancement de ces cigarettes, les types de cancers du poumon ont changé. Le cancer est plus profond dans les poumons et il a une forme différente. Il se pourrait que ces dispositions aient le même résultat qui ne sera constaté que dans 20 ou 40 ans.

Le sénateur Forest: Est-ce parce qu'on aspire plus profondément?

M. Kaiserman: C'est exact. Nous préconisons de faire le plus d'études et de travaux possibles avant d'agir. En réalité, le ministère est d'avis que seule une cigarette éteinte est sûre pour la santé.

Le sénateur Maheu: Monsieur Kaiserman, vous dites qu'il faut attendre 40 ans avant d'observer les résultats d'une intervention. Comment justifier votre hésitation actuelle auprès des personnes que vous verrez dans 40 ans?

M. Kaiserman: Nous n'hésitons pas à agir. En vérité, il y a eu plusieurs interventions depuis le temps. Le taux de prévalence, qui était d'environ 50 p. 100 au moment du premier sondage, est tombé à environ 30 p. 100 de la population aujourd'hui. Le cancer du poumon chez les hommes a plafonné grâce aux interventions considérables et au travail fou réalisés dans le passé. On s'attend d'ailleurs qu'au cours des prochaines années, le taux de cancers du poumon chez les hommes va diminuer. Malheureusement, comme le tabagisme chez les femmes a changé, le cancer du poumon, les maladies du coeur et les décès liés au tabagisme ont augmenté chez elles.

Oui, il faut attendre de 20 à 40 ans avant de pouvoir observer les effets sur la population, mais ça vaut la peine ne serait-ce que pour sauver une seule vie. Comprenez-moi bien. Les cigarettes légères ont pu être bénéfiques pour certains fumeurs. Cependant, globalement, pour l'ensemble de la population, on ne perçoit aucun effet bénéfique. Ce que nous faisons n'amènera pas tout le monde à cesser de fumer du jour au lendemain. Mais si l'on procède globalement par l'éducation, l'information du public, la législation, la restriction de l'accès, l'application de la loi, la modification des produits et ainsi de suite, il y aura moins de gens qui commenceront à fumer et moins de gens qui continueront à le faire. Ainsi, les effets sur la santé et les coûts du tabagisme diminueront.

J'ai parlé d'un délai de 20 à 40 ans pour vous montrer le temps qu'il faudra attendre avant de pouvoir observer parmi la population les effets sur la santé. Nous ne voulons pas attendre aussi longtemps les effets bénéfiques. Nous préférons faire la meilleure prévention possible au lieu d'écarter des options.

Le sénateur LeBreton: D'après ce que j'ai pu observer, je pense que la consommation de cigarettes a diminué, n'est-ce pas?

M. Kaiserman: Le pourcentage de fumeurs a plafonné depuis 10 ans et, de plus, ceux qui fument fument moins; ils fument moins de cigarettes.

Le sénateur LeBreton: Est-ce que ça commence à se ressentir dans les services de santé, c'est-à-dire est-ce que traiter ces gens coûte maintenant moins cher?

M. Kaiserman: Ce qui commence à apparaître dans les services de santé, ce sont les fumeurs dont le tabagisme remonte aux années 50 et 60, pas ceux qui fument en ce moment. Il faudra du temps pour retrouver ceux-là dans le système étant donné l'effet à long terme du tabagisme.

Le sénateur LeBreton: Alors, ce qui est intéressant, c'est qu'il y aura probablement une pointe lorsque la génération d'après-guerre se manifestera.

M. Kaiserman: Elle a déjà commencé à apparaître dans le système. L'après-guerre correspond aux années 50 et nous arrivons à la fin des années 90. Les premiers enfants de la génération du baby-boom cheminent dans le système et on commence à observer les effets sur la santé.

Le président: Vous voyez des gens dans la soixantaine.

M. Kaiserman: Oui.

Le sénateur LeBreton: Il reste encore toute la génération des années 60 et 70 alors. Ce sera probablement incontournable.

M. Kaiserman: On commence à voir les premiers.

Le sénateur Forest: Chez ceux qui ont opté pour les cigarettes légères, est-ce qu'on voit que ça les amène à arrêter de fumer ou ça n'a pas du tout cet effet?

M. Kaiserman: D'après certaines études, certains fumeurs optent pour une réduction graduelle. Ils fument des cigarettes qui procurent 14 milligrammes de goudron et environ 1,4 milligramme de nicotine et ils commencent à diminuer leur consommation en passant à des cigarettes à rendement plus faible. C'est la stratégie qu'ils privilégient pour arrêter de fumer.

Par contre, d'autres fumeurs se disent qu'en fumant des cigarettes à rendement plus faible, ce sera moins nocif. C'est vrai s'ils ne changent pas leurs moeurs tabagiques, mais nombre de fumeurs compensent. Des gens qui devraient arrêter ou qui pourraient le faire continuent de fumer parce qu'ils se fourvoient. C'est à double tranchant. La stratégie réussit très bien à ceux qui veulent arrêter.

Le président: Le sénateur Haidasz a déposé au comité un mémoire qu'il a lu en partie. Dans ce mémoire, il renvoie à un document interne de votre ministère, dont on a appris l'existence grâce à une demande d'accès à l'information. Dans ce document, selon lui, vous prenez position en faveur de cette solution -- c'est-à-dire réglementer la concentration du tabac. Il affirme que si on ne l'a pas fait, c'est parce qu'on s'aligne à ce sujet sur la FDA à Washington où un rapport d'experts allant dans le même sens a été enterré par quelqu'un sous l'influence d'on ne sait qui.

Pouvez-vous nous éclairer? Savez-vous de quoi je parle?

M. Kaiserman: Oui, je suis bien au courant de ce rapport.

C'était un rapport à l'état embryonnaire -- ce n'était pas la première ébauche, mais sûrement pas la version définitive non plus. C'était plutôt une discussion des options en proposant d'une part la réduction de la nicotine à zéro et, d'autre part, la réduction des émanations toxiques à zéro. Les deux stratégies ont des avantages et des inconvénients. Il faut les connaître toutes les deux.

Le rapport ne renfermait aucune recommandation finale parce que ce n'était qu'une ébauche qui n'est pas sortie de mon cercle de travail immédiat. Cependant, il y était précisé que la stratégie adoptée, quelle qu'elle soit, devait s'étendre à toute l'Amérique du Nord parce que les deux principaux obstacles à surmonter seraient probablement la contrebande et l'acceptation par les consommateurs. Le rapport suggérait des façons de procéder.

Quant aux commentaires sur l'assentiment de la FDA, je ne suis pas au courant. On ne m'en a jamais parlé.

La vérité, sénateurs, c'est que je suis très fier de ce qui a été fait au Canada pour le contrôle du tabac. Aucun autre pays dans le monde n'a réalisé la même chose que nous, pris les mêmes risques ni étudié le produit comme nous l'avons fait, et ça comprend les États-Unis. En un sens, c'est gratifiant de voir les Américains nous rattraper.

Le président: Êtes-vous au courant d'une étude d'experts menée par la FDA sur ces questions, celles qu'a mentionnées le sénateur Haidasz?

M. Kaiserman: Non.

Le président: Depuis combien de temps êtes-vous au Bureau de contrôle du tabac?

M. Kaiserman: Je suis arrivé au Bureau en 1989, alors qu'il s'appelait la Section des produits du tabac; ensuite, il s'est appelé l'Unité des programmes du tabagisme avant de devenir le Bureau de contrôle du tabac en 1994. J'ai eu le privilège de diriger nos recherches sur le produit même.

Nous, les Canadiens, nous sommes les plus grands spécialistes du tabac dans le monde. Les 50 produits chimiques mentionnés par le sénateur Haidasz ont été découverts grâce à nos recherches. Nous sommes reconnus mondialement comme des experts.

Le président: Je n'ai pas votre biographie. Je crois que c'est la première fois que je vous rencontre. Êtes-vous médecin?

M. Kaiserman: Non. J'ai un doctorat en chimie et une maîtrise en administration des affaires. J'ai fait énormément de recherche et j'ai des publications sur le tabac et le contrôle du tabac.

Le président: Est-ce que vous travailliez à Santé Canada avant d'arriver au Bureau de contrôle du tabac?

M. Kaiserman: Non, j'étais au ministère des Consommateurs et des Affaires commerciales.

Le président: Ça ne se rapporte pas directement au projet de loi, mais c'est pertinent pour toute la question du tabac. Je sais que vous êtes au bureau depuis 1989 seulement, mais avez-vous une idée de l'efficacité des diverses campagnes publicitaires menées par le ministère de la Santé et du Bien-être social -- comme on l'appelait alors -- contre la cigarette? Dans la chronologie que j'ai sous les yeux, je remarque qu'en 1982, Santé et Bien-être social Canada a lancé une campagne antitabac. Puis, en octobre 1985, Santé et Bien-être social Canada a lancé une campagne antitabac de 1,5 million de dollars qui ciblait les jeunes. Est-ce que vous pensez que ces programmes de publicité ont été efficaces?

M. Kaiserman: Sénateur, je suis ici pour vous parler des questions techniques reliées au projet de loi, et de rien d'autre. En toute déférence, je ne peux pas et ne devrais pas vous faire part de mon opinion sur cette question.

Comme le ministère l'a souligné -- et je suis d'accord -- c'est une stratégie globale. Ces mesures, conjuguées à la loi et à toutes les autres actions, ont bien réussi à réduire la consommation de tabac au Canada.

Le président: Mais vous êtes le directeur, n'est-ce pas?

M. Kaiserman: Oui.

Le président: Est-ce que le Bureau a une opinion sur la question?

M. Kaiserman: Oui.

Le président: Nous aurons l'occasion d'en rediscuter. Je ne veux pas vous embarrasser. Je me demande si le ministère est arrivé à des conclusions. La réponse est-elle négative?

M. Kaiserman: Ça fait partie intégrante d'une stratégie globale.

Le président: Je le sais.

Je présume que le ministère a réalisé des études à la suite des campagnes publicitaires et que nous pourrions nous les procurer en présentant une demande d'accès à l'information. Est-ce que vous confirmez l'existence de ces études?

M. Kaiserman: Je peux vous assurer qu'elles vous seront remises. Elles sont publiques.

Le président: Nous aimerions les avoir.

Le sénateur Haidasz voudrait poser une question ou deux.

Le sénateur Haidasz: Merci, monsieur Kaiserman, pour tout le travail que vous avez fait au Canada en vue de contrer les effets nocifs du tabac. Moi aussi je voudrais vous entretenir du document mentionné par le président. Je présume que c'est celui qui est daté du 13 juin 1997.

À la page 15 de l'ébauche que j'ai sous les yeux, vous affirmez qu'il est fort probable que la réduction de la teneur en nicotine n'entraîne pas les résultats escomptés pour la santé. Vous déclarez que la réduction des toxines jumelées à la nicotine serait un moyen d'améliorer les résultats; je pense que c'est ce qu'on devrait faire. Commençons par réduire les toxines qui accompagnent la nicotine. Vous ne retirez pas votre déclaration, n'est-ce pas?

M. Kaiserman: Non. Je m'excuse. J'ai oublié d'en parler. C'était dans mes notes, mais je l'ai sauté.

L'une des forces du projet de loi c'est qu'il prévoit effectivement une réduction jumelée. C'est l'un de ses principaux avantages. Non, je ne retire pas ma déclaration.

Le sénateur Haidasz: Merci beaucoup. Ça m'encourage.

Je sais que mon projet de loi n'est pas une solution. Il n'y a probablement pas de solution, mais j'ai horreur de voir les gens continuer à fumer et à se rendre malades.

M. Kaiserman: En effet.

Le sénateur Haidasz: Mon projet de loi autorise le ministre à apporter des modifications à loisir. Cette disposition se trouve aussi dans le projet de loi C-71.

Il faut faire quelque chose et c'est un premier pas.

Vous l'avez dit, vous êtes convaincu qu'en réduisant les toxines jumelées à la nicotine, ce serait plus bénéfique pour la santé.

M. Kaiserman: C'est vrai.

Le sénateur Haidasz: J'essaie de trouver un compromis pour que soit fabriqué un produit du tabac qui soit le moins nocif possible.

Comme vous, je pense que certaines questions sont sans réponse et le resteront sans doute, mais il faut faire quelque chose. De plus en plus de jeunes fument et les jeunes femmes fument plus que les jeunes hommes. Il faut que ça cesse.

Le président: Sénateur Haidasz, que pensez-vous de l'efficacité de la publicité antitabac réalisée par le ministère? Croyez-vous que c'est un moyen efficace de lutter contre le tabagisme?

Le sénateur Haidasz: Monsieur le président, je n'ai jamais fumé mais j'ai traité de nombreux fumeurs et des membres de ma famille fument. Ce sont des nicotinomanes. Si le gouvernement ne veut pas augmenter les taxes pour dissuader de fumer, s'il ne veut pas renforcer les contrôles pour réduire la contrebande au minimum sinon l'éliminer, alors commençons par réduire la nicotine dans le tabac et les toxines. Si on le fait, il y aura moins de fumeurs. Voilà mon but. Fumer devrait être moins nocif que ça ne l'est en vertu de la réglementation actuelle.

Le sénateur LeBreton: Sénateur, voulez-vous dire que, parce que c'est une toxicomanie, toute la publicité du monde n'arrivera pas à les convaincre d'arrêter?

Le sénateur Haidasz: C'est exact. La publicité ne crée pas d'accoutumance, la nicotine, oui. C'est donc à elle que je m'attaque.

Le président: La publicité est une question accessoire dans une certaine mesure. Je l'ai regardée et j'ai cru que la campagne ciblait directement les jeunes. J'ai pensé qu'on voulait utiliser la publicité pour dissuader les jeunes de commencer à fumer. Quand j'ai vu les annonces, je les ai trouvées très impressionnantes. Je voulais seulement savoir si elles avaient eu l'effet escompté. Certains ont dit que non.

M. Kaiserman nous fera parvenir des copies des études de suivi réalisées pour le compte du ministère.

Je remercie énormément M. Kaiserman d'avoir analysé aussi minutieusement le projet de loi. Je remercie aussi le sénateur Haidasz d'avoir comparu aujourd'hui.

La séance est levée.


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