Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 9 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 28 avril 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 heures, pour examiner la mise en oeuvre et l'application du chapitre 1, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada et des lignes directrices qui s'y rapportent, soit les lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Sénateurs, je veux vous rappeler que demain, à 15 h 30, nous nous réunirons pour l'étude article par article du projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur le tabac, qui a été parrainée par notre ancien collègue, le sénateur Haidasz.
De plus, après le témoignage de notre invitée d'aujourd'hui, nous siégerons à huis clos pour discuter des travaux futurs du comité.
Nous accueillons ce matin Mme Karen Selick, avocate chez Reynold's, O'Brien, Kline et Selick, cabinet privé établi à Belleville en Ontario. Mme Selick se spécialise dans le droit dans la famille. Elle a écrit de nombreux articles traitant de questions générales, juridiques et du droit de la famille. Mme Selick nous a envoyé un mémoire, qui été distribué aux membres du comité. Je crois qu'elle va nous le présenter, après quoi nous pourrons lui poser des questions.
Bienvenue, madame Selick. La parole est à vous.
Mme Karen Selick, avocate en droit de la famille: Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître devant vous. Je sais que vous avez entendu beaucoup d'autres témoins sur la question; j'ai d'ailleurs eu l'occasion de lire rapidement la transcription de leurs témoignages. Je suis d'accord avec bien des points de vue exprimés par les autres témoins, mais je vais concentrer mes propos sur les aspects inédits de mon mémoire, auxquels j'ajouterai quelques commentaires.
Si vous avez lu mon mémoire, vous savez que je n'ai rien de positif à dire au sujet des lignes directrices. Je formule deux sortes d'objections, des objections de principe et des objections d'ordre pratique, et il y en a sept dans chaque catégorie. J'en énonce une autre dans l'introduction, sur les aspects fiscaux des modifications proposées, et j'en ferai une autre dans la catégorie des objections d'ordre pratique.
Je vais vous exposer les grandes lignes de mes observations. D'abord, et c'est probablement la critique la plus importante que je formule dans mon mémoire, j'estime que les lignes directrices sont injustes parce qu'elles sont régies par des règles injustes. C'est une question que le comité mixte itinérant est en train d'examiner. Je parle ici de toute la question du régime de garde des enfants. Je trouve, comme je le dis dans mon mémoire, que les dispositions de la loi à ce sujet sont très injustes et que les tribunaux ne les appliquent pas avec équité.
La raison qui me fait dire que le système est injuste n'a jamais été relevée par personne à ce que je sache. Quand un enfant meurt dans un accident de voiture, il est bien clair que les parents ont le droit de poursuivre le responsable et d'obtenir réparation pour cette énorme perte. Des milliers de dollars leur seront peut-être versés en indemnisation. Cette somme ne remplace pas leur enfant bien sûr, mais c'est le meilleur dédommagement que notre système juridique puisse leur offrir.
Mais qu'arrive-t-il au parent qui est privé de son enfant à la suite d'un divorce? Dans bien des cas, si le parent qui a la garde décide de déménager à l'autre bout du pays ou de compliquer l'accès de l'enfant à l'autre parent, ce dernier subit une perte, pas aussi grave que le décès d'un enfant peut-être, mais importante quand même. Le parent privé de son enfant à la suite d'un divorce ne reçoit aucun dédommagement. En fait, on lui porte un autre coup parce qu'en plus de le priver de la présence de son enfant on lui demande de verser chaque mois une pension à la personne qui l'a placé dans cette situation. Voilà pourquoi je recommande dans mon mémoire de modifier les mesures législatives sur la garde des enfants.
En droit de la famille, les biens de la famille doivent en général être partagés également au moment de la rupture du mariage. Pour la plupart des familles, du moins la plupart de mes clients, les enfants représentent le bien le plus précieux qui reste de leur union, avant la maison et les REER. Pourtant, au moment du partage des biens, la question des enfants n'est pas réglée équitablement. Habituellement, les enfants sont confiés à la garde d'un seul parent, et tant pis pour l'autre.
Selon la loi, qui a toujours été claire là-dessus, les questions d'accès et de pension alimentaire sont traitées séparément. La jurisprudence indique sans équivoque que ce n'est pas parce qu'un parent n'a pas accès à ses enfants qu'il n'est pas obligé de verser de pension. Pourtant, pour le commun des mortels, les deux réalités ne sont pas sans rapport. Et je ne crois pas que ce soit insensé d'établir un rapport entre les deux.
On croit généralement qu'on subvient aux besoins de ses enfants parce qu'on a un lien avec eux. Si on ne subvient pas à leurs besoins, c'est parce qu'on n'a pas de liens avec eux -- et ce n'est pas si fou comme attitude. Je ne crois pas que des règles plus strictes en matière d'accès et de pension alimentaire aient rendu les lois plus justes envers les parents.
Je vais vous donner un autre exemple. Quand une personne donne son enfant en adoption, elle n'a plus accès à lui; elle rompt tout contact avec lui et elle n'est plus obligée de le faire vivre. Or, beaucoup de parents perdent leur droit d'accès à leurs enfants à la suite d'un divorce, mais ils sont toujours obligés de les faire vivre.
J'aimerais maintenant parler de l'évaluation du niveau de vie. Dans les lignes directrices, le niveau de vie est évalué en fonction du revenu, ce qui pose deux problèmes. D'abord, cette méthode ne tient pas compte du capital dont disposent les parents, ce qui peut changer considérablement le niveau de vie de chacun. La qualité de vie ne se mesure pas qu'en fonction du revenu. Dans mon mémoire, je donne l'exemple d'une mère divorcée qui reçoit en héritage de ses parents une magnifique maison. Son niveau de vie va nécessairement beaucoup augmenter de ce fait, sans que ses rentrées de fonds ne l'indiquent. La simple comparaison des revenus n'est pas un bon moyen d'évaluer le niveau de vie des parents.
On est aux prises avec le même problème quand on utilise les seuils de faible revenu de Statistique Canada pour définir la pauvreté dans notre pays. On classe parmi les pauvres bien des personnes âgées qui possèdent une maison complètement payée. Elles vivent en fait très bien, mais on considère qu'elles sont pauvres parce que la pauvreté est évaluée uniquement en fonction du revenu.
L'autre problème qui découle de la façon dont on évalue le niveau de vie est le fait qu'on ne tient pas compte de la quantité de loisirs. Si je travaille 60 heures par semaine, par exemple, et que je gagne beaucoup plus que quelqu'un qui travaille 40 heures par semaine, mon niveau de vie est-il plus élevé? Tout dépend de mes valeurs, j'imagine. Si, parce que je travaille 60 heures par semaine, je n'ai pas de temps à consacrer à mes enfants, je peux considérer que je n'ai pas une bonne qualité de vie. Par contre, on pourrait dire que la personne qui a un emploi moins rémunérateur, mais plus de temps à consacrer à ses enfants pour, par exemple, bricoler et aller au parc et à la bibliothèque avec eux -- ce qui ne coûte pas très cher mais est très agréable -- a une meilleure qualité de vie que celle qui fait beaucoup d'argent, mais est toujours stressée et n'a jamais le temps de se détendre.
J'aimerais maintenant parler du fait que les lignes directrices sont mises en oeuvre surtout par voie de réglementation. S'il y a quelque chose que je conteste, c'est l'État tentaculaire et la lourdeur bureaucratique. En fait, comme je le dis dans un des articles que j'ai joints à mon mémoire, j'ai été scandalisée d'apprendre que cette politique allait être mise en oeuvre par voie de réglementation. On aurait pu prévoir un examen parlementaire tous les deux ou cinq ans; il n'y aurait pas de mesure de temporarisation dans la loi. Parce que les lignes directrices dépendent des fonctionnaires chargés de la réglementation, les Canadiens n'ont aucun moyen de faire changer les choses parce que les fonctionnaires, pas plus que les sénateurs d'ailleurs, ne sont élus. Les Canadiens n'ont aucun recours. Dans mon mémoire, j'indique que c'est un peu comme si la Loi de l'impôt sur le revenu était modifiée de manière à exiger que tous les Canadiens paient de l'impôt selon les montants fixés par règlement, ce qui laisserait tout le monde à la merci des fonctionnaires. Les choses ne devraient pas se passer comme ça au Canada, et je trouve la complaisance des Canadiens à ce sujet alarmante.
Je vais passer maintenant aux mécanismes de mise en oeuvre. Dans mon mémoire, je dis qu'ils sont «oppressifs». Je trouve effectivement qu'il est abusif de refuser de délivrer un passeport à ceux qui ne versent pas leur pension alimentaire ou qui sont poursuivis pour des arriérés substantiels. Cela me fait penser à ce qui se passait en Allemagne de l'Est, quand on empêchait les gens de traverser le mur de Berlin. À mon avis, les autorités ne peuvent empêcher les citoyens de quitter le pays à moins qu'ils aient commis un crime. Et, selon la loi, le non-versement de la pension alimentaire n'est pas un crime. Il s'agit seulement d'une dette qui relève du civil. Pour que ce soit considéré comme un crime, il faudrait changer la loi et débattre de la question au Parlement.
Ce non-versement se compare à toute autre dette accumulée au civil. Si je déclare faillite en tant qu'avocate, et que je ne verse plus leur salaire à mes employés et à ma secrétaire, leurs enfants vont en souffrir. Devrait-on pour autant me refuser un passeport? Je ne crois pas. Je ne pense pas que nous en sommes rendus là. La pension alimentaire est une obligation privée qui relève du droit civil. C'est aller un peu trop loin que de faire intervenir l'État pour punir les gens et leur refuser le droit de quitter le pays parce qu'ils ont contracté des dettes de nature civile.
J'aimerais maintenant parler de la question des logiciels. Cet aspect se rattache à la complexité, selon moi, des lignes directrices. Je pense que d'autres témoins ont soulevé cette question et je suis tout à fait d'accord avec eux. Effectivement, les lignes directrices sont tellement difficiles à appliquer qu'on nous a fortement conseillé, à tous, d'acheter des logiciels pour effectuer les calculs nécessaires.
Je n'ai pas acheté le logiciel sur le marché. J'ai conçu le mien pour mon bureau. Pour cela, j'ai dû lire les lignes directrices en détail, ce qui m'a été utile. Je trouve choquant qu'il faille acheter des logiciels pour appliquer ces lignes directrices. Cela veut dire que le citoyen ordinaire ne peut se passer d'un avocat et que l'avocat doit s'équiper. À cet égard, j'ai été particulièrement déçue de constater que la documentation du Barreau du Haut-Canada à l'intention des avocats ontariens et le manuel officiel du gouvernement sur le sujet ne citent qu'un seul des logiciels sur le marché. Trois compagnies ont en fait créé des logiciels permettant de faire ce genre de calcul. Un des concepteurs, Barry Gardiner, a témoigné devant votre comité. Il n'en a pas parlé, mais je me demande ce qu'il pense du fait qu'on fasse la promotion du logiciel de son concurrent, parce qu'il a mis au point un logiciel, appelé «Child View», qui donne d'excellents résultats. Je me demande ce qu'il pense du fait que chaque personne qui aura à se servir de ces outils connaîtra le rendement des logiciels de ses competiteurs.
Ce n'est pas équitable à mon avis parce que cela équivaut presque à appuyer le produit d'une compagnie aux dépens d'une autre.
J'ai été encore plus inquiète d'apprendre, en lisant le témoignage de M. Gardiner, que chaque logiciel donne des résultats différents, parce que les programmeurs peuvent interpréter les lignes directrices de différentes façons et arriver à divers résultats. Tant pis pour la cohérence et le traitement équitable.
Je vais maintenant aborder la question des frais complémentaires qui sont censés être calculés indépendamment de tout allégement fiscal. Récemment, j'ai reçu une brochure du ministère indiquant comment calculer l'allégement fiscal pour les frais de garde et les frais médicaux. J'ai deux préoccupations à ce sujet. D'abord, la brochure ne permet d'obtenir que des montants approximatifs parce que les tables de calcul indiquent les allégements en fonction de dépenses allant par tranche de 1 000 $ et de revenus allant par tranche de 5 000 $. Si vos dépenses ou vos revenus se situent entre deux tranches, il faut calculer à peu près les allégements sur les frais complémentaires.
L'autre aspect qui me préoccupe est la situation des parents qui paient des frais de garde sans réclamer de reçu pour fins d'impôt, et on sait qu'il y a beaucoup de gardiens d'enfants qui ne déclarent pas leur revenu et ne donnent pas de reçu. C'est un sujet de conflit entre les parents qui se demandent si l'allégement fiscal doit être pris en considération dans le calcul des frais complémentaires. Le parent qui a la garde accepte de ne pas obtenir d'allégement fiscal, mais celui qui ne l'a pas voudrait pouvoir en avoir un.
Récemment, nous avons eu à examiner, à mon bureau, la question de l'encaissement des REER. Les lignes directrices tiennent compte du revenu total qui apparaît sur le feuillet T1 et, s'il y a eu encaissement d'un REER au cours de l'année d'imposition, il est inclus dans le revenu total. Bien sûr, ce n'est pas vraiment un revenu gagné au cours de cette année-là. En fait, il l'a été dans les années précédentes, mais on n'a pas tenu compte du fait qu'il figurait dans une déclaration antérieure pour le calcul de la pension alimentaire.
L'encaissement du REER a été inclus de nouveau dans le revenu et la pension alimentaire calculée à partir de ce revenu «gonflé». Un de mes clients avait encaissé environ 40 000 $ de REER pour effectuer le versement initial sur une maison. Quand la partie adverse a reçu sa déclaration d'impôt, elle a vu là une belle occasion de faire inclure les 40 000 $ dans le calcul de la pension alimentaire.
J'ai écrit au ministère de la Justice pour lui faire part du problème. On m'a répondu qu'une disposition des lignes directrices prévoit que le tribunal peut, à sa discrétion, exclure tout montant extraordinaire inclus dans le revenu, et calculer un revenu qui soit raisonnable. L'application de cette disposition reste toutefois discrétionnaire. Dans le cas de mon client, l'avocat de sa conjointe a saisi l'occasion pour faire augmenter la pension en fonction de ces 40 000 $. Des juges pourraient voir les choses de la même façon.
Il est clair que ce revenu a été gagné au cours d'une année antérieure et qu'il avait été inclus dans le calcul de la pension de cette année-là. Dans le cas d'un couple séparé récemment, l'autre conjoint aurait probablement reçu, au moment de la répartition des biens, sa part des REER. Voilà un cas où les lignes directrices devraient être modifiées pour empêcher que l'encaissement de REER soit inclus dans le revenu total pour le calcul de la pension alimentaire.
Je suis prête à répondre à vos questions.
Le sénateur Cohen: Merci de votre exposé. Vous nous avez présenté les choses sous un angle différent à bien des égards.
Dans vos objections de principe, vous avez dit pourquoi toucher au système s'il fonctionne bien. Bon nombre des témoins qui ont comparu devant le comité se sont dits en faveur des lignes directrices, même s'ils n'étaient pas d'accord avec chacune d'elles.
Le système doit-il, à votre avis, être modifié? Si oui, quels changements doit-on y apporter? Êtes-vous tout à fait contre le principe des lignes directrices?
Mme Selick: Le système présente certaines lacunes, surtout en ce qui concerne la garde des enfants. Toutefois, je pense avoir traité le sujet à fond, et je préférerais plutôt parler des autres problèmes qui existent.
Quand j'ai dit que le système fonctionnait bien et qu'il n'y avait pas lieu de le modifier, je faisais allusion à la situation qui prévaut à Belleville, où je pratique le droit. Nous avons un juge qui a établi sa propre règle et elle est très rigide. Il l'a appliquée à Belleville et dans les comtés environnants relevant de sa juridiction. Selon le juge, la pension alimentaire mensuelle versée à chacun des enfants devait correspondre à 1 p. 100 du revenu annuel brut du parent non gardien. Il a discuté de cette formule avec l'association locale des avocats spécialisés en droit de la famille et a commencé à l'appliquer dans ses jugements. Nous étions tous au courant de la situation. Nous pouvions toujours plaider contre l'utilisation de cette règle dans les cas inhabituels, mais elle nous servait quand même de point de référence.
Tous les avocats de la région étaient en mesure d'expliquer à leurs clients la décision que le juge était susceptible de rendre et de formuler une proposition à partir de cela. Ce système était très simple et fonctionnait bien. Nous n'étions pas obligés d'effectuer tous les longs calculs qu'exigent ces lignes directrices.
Le problème, c'est que les autres régions de l'Ontario n'appliquaient pas cette règle. Toutefois, je sais que le juge recevait beaucoup d'appels des autres juges de la province qui en avaient entendu parler, et je crois qu'elle commençait à être utilisée de plus en plus.
Je ne sais pas si nous avons besoin de lignes directrices formelles. J'ai des idées très partagées là-dessus. Il y a tellement de problèmes sous-jacents que je ne sais pas si l'adoption de lignes directrices va permettre de les régler.
Le sénateur Cohen: Vous avez dit que la formule utilisée dans votre juridiction facilitait la tâche des avocats. Toutefois, est-ce qu'elle simplifiait la vie des gens qui étaient visés par cette règle?
Mme Selick: Oui, je le crois. Nous avons donné à cette règle le nom du juge qui l'a conçue. Elle s'appelle la «règle Byers». Les gens me posent souvent des questions au sujet de la règle Byers, la règle du 1 p. 100. Ils sont au courant de la situation.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Êtes-vous complètement en désaccord avec les lignes directrices? Si vous êtes complètement en désaccord à tous les points de vue, est-ce que vous avez des recommandations à faire? Je suis d'accord avec votre proposition concernant les passeports. Le passeport, c'est la dernière chose à retirer à un individu. Comme vous l'avez dit, il n'est pas un criminel. Il y a des crimes qui sont restés impunis et les gens se promènent quand même dans toutes les parties du monde. Ce n'est pas un recours à utiliser pour ceux qui ne paient pas leur pension alimentaire. Êtes-vous d'accord pour dire qu'il fallait réformer le système de versements de pensions alimentaires pour les enfants? Si oui, quel autre système recommandez-vous?
[Traduction]
Mme Selick: La solution que je propose dans mon mémoire est très radicale. La loi devrait comporter une règle par défaut qui consisterait à permettre aux parents séparés de se partager également temps de garde de leurs enfants, d'avoir la garde conjointe, à la condition que l'un des parents n'ait pas commis des actes de violence ou des agressions sexuelles à l'endroit de ses enfants, ou qu'il ne les ait pas abandonnés. C'est la règle que j'aimerais qu'on adopte. Dans ces circonstances, aucun parent ne devrait verser de pension alimentaire à l'autre pour les enfants. Si les parents se partagent également le temps de garde de leurs enfants, ils vont tous les deux pourvoir aux besoins de ceux-ci, puisqu'ils ont l'obligation morale et légale de le faire, quand ils vont se retrouver avec eux.
Il est vrai que les enfants, dans ces cas, peuvent être exposés à des niveaux de vie différents. Je ne suis pas d'accord avec l'idée que les conditions de vie dans chaque foyer doivent être égalisées. Je vous explique pourquoi dans le mémoire. Vous dites, en fait, que les enfants, dans un foyer, ne peuvent avoir accès à certains luxes parce que l'argent doit servir à maintenir un niveau de vie élevé dans l'autre foyer. Je ne suis pas d'accord avec l'idée qu'un parent verse une pension alimentaire à l'autre. Cela ne veut pas dire qu'un des parents ne pourrait pas devoir verser de l'argent à l'autre, mais on entre là dans un autre domaine. Je considère cela comme une obligation qui découle d'un contrat et d'un bris de contrat. Si deux personnes décident de se marier et de vivre ensemble et qu'ensuite une des deux parties brise le contrat en commettant un adultère ou en abandonnant la famille, alors cette personne, en raison du bris du contrat, peut être appelée à verser une indemnité en guise de dommages-intérêts à l'autre partie. Mais cela n'irait pas plus loin. Si les deux parties acceptent de se séparer d'un commun accord, alors aucune des deux parties ne devrait verser de pension à l'autre. Si un parent touche un revenu inférieur à l'autre, alors les enfants, lorsqu'ils sont avec ce parent, vont subir une baisse de niveau de vie. Voilà comment j'envisage la chose.
Pour ce qui est des passeports, je ne crois pas avoir bien compris la question.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Selon moi, le retrait du passeport en dernier recours est à la limite de l'acceptable. Avez-vous eu des preuves que le retrait du passeport a été fait de façon inappropriée?
[Traduction]
Mme Selick: Je ne connais pas de cas où le retrait du passeport a été fait de façon inappropriée. Toutefois, je suis contre l'idée même de priver une personne de son passeport. Je ne connais pas de cas précis où une telle chose s'est produite. Je trouve tout simplement inquiétant qu'on puisse même envisager de priver une personne de son passeport à cause de dettes qui relèvent du civil.
Le sénateur Lavoie-Roux: À la page 16 de votre mémoire, vous dites que les lignes directrices vont créer plus de violence entre les conjoints. Avez-vous des preuves pour confirmer vos dires?
Mme Selick: La réaction des gens, quand je leur explique la teneur des lignes directrices, me bouleverse beaucoup. Il y en a qui me disent que si la situation se détériore à ce point, ils vont quitter le pays. Il y en a d'autres qui disent, en blaguant bien entendu, qu'ils se trouveraient en meilleure posture s'ils «descendaient leur conjointe». Je trouve ces commentaires inquiétants.
Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce que vous entendez cela souvent?
Mme Selick: Pas tellement souvent, mais il y a des gens qui vont dire, en blaguant, je l'espère, qu'ils se trouveraient mieux si telle et telle personne était morte. S'ils font des commentaires de ce genre dans mon bureau, ils doivent les faire dans les bureaux d'autres avocats dans toutes les régions du pays. Les payeurs de pensions alimentaires se sentent coincés. Ils n'ont plus droit à une réduction fiscale. Ils jettent un coup d'oeil sur leur revenu et se disent: «Seigneur, je dois verser tel montant au gouvernement, et tel montant à ma conjointe. Qu'est-ce qui me reste? Pourquoi devrais-je travailler si fort?» De nombreux payeurs ont dit qu'ils vont quitter le pays. Ce sont des commentaires que j'ai entendus à plusieurs reprises.
Le sénateur Lavoie-Roux: Je n'ai pas assisté à un grand nombre de réunions sur la question. Est-ce la première fois que le comité entend ces inquiétudes, à savoir qu'il risque d'y avoir plus de violence entre les conjoints?
Le président: C'est la première fois que j'entends dire cela.
Le sénateur Lavoie-Roux: La première fois. C'est très grave.
Mme Selick: Un des témoins, le mois dernier, a parlé des gens qui menacent de se suicider. C'est une autre chose qui m'a été mentionnée.
Le sénateur Lavoie-Roux Est-ce parce qu'ils ne sont pas en mesure de faire face à leurs nouvelles obligations?
Mme Selick: Ce n'est pas tant la question de ne pas être en mesure de respecter leurs obligations que l'incertitude de leur avenir qui les préoccupe. Ils semblent tout voir en noir. «Me voici. Je n'ai plus de famille, mes enfants ne sont plus là.» Dans certains cas, ils ne pourront même pas voir leurs enfants très souvent parce que ceux-ci ont déménagé dans une autre ville. «Je travaille, je paie mes impôts, je verse une pension alimentaire à ma conjointe et aux enfants. Qu'est-ce qui me reste?» Certaines de ces personnes, lorsqu'elles analysent leur situation, sont très malheureuses, et je comprends pourquoi.
Le sénateur LeBreton: J'ai lu votre exposé et j'ai entendu votre témoignage ce matin. Je trouve que vous avez un préjugé étrange contre les femmes. Par exemple, vous avez dit, quand vous parliez de meurtre et de suicide, que certains payeurs vont dire de leur conjointe qu'il serait «préférable qu'elle soit morte». Dans votre déclaration liminaire, vous avez utilisé l'exemple d'une femme qui a dit vouloir porter un autre coup à son conjoint. Vous avez ensuite utilisé l'exemple d'une mère de famille qui reçoit une grande maison spacieuse de ses parents, ce qui est tout à fait irréaliste. Combien de parents vont donner à leur fille, qui a la garde des enfants, une grande maison spacieuse, ce qui va avoir pour effet de rehausser son niveau de vie?
Ce qui m'a le plus étonné dans votre mémoire, c'est que vous dites qu'il ne faudrait pas appliquer ces lignes directrices et tenir compte d'abord de l'intérêt de l'enfant. Vous affirmez ensuite que les enfants vont être exposés au système judiciaire.
Les garçons savent qu'une fois devenus des hommes, ils seront automatiquement défavorisés dans des cas de garde d'enfants et de pension alimentaire. Les filles se rendent bien compte que lorsqu'elles seront devenues des femmes, les dés seront pipés en leur faveur. Il ne faut donc pas s'étonner si les enfants jettent un regard cynique sur le système judiciaire.
Vous donnez une image stéréotypée des garçons et des filles. Les filles sont destinées à avoir des enfants, à rester à la maison, à se préparer à soutirer de l'argent à leur conjoint, à profiter du système. C'est l'impression qui se dégage de vos commentaires. Les gens se sont posé des questions au sujet des lignes directrices, mais ils ne les ont pas dénoncées comme vous le faites. À mon avis, l'objectif ici est d'amener les conjoints à prendre des décisions sensées, dans l'intérêt de leurs enfants, et d'assurer un accès raisonnable à ceux-ci.
Par exemple, à la page 15 de votre mémoire, point 7, sous la rubrique «Les coûts d'accès extraordinaires», vous jetez toute la responsabilité sur la femme qui décide de déménager dans une autre région «pour des raisons personnelles». Aujourd'hui, il y a des femmes qui, dans bien des cas, gagnent plus que leurs époux. Les conjoints peuvent arriver à s'entendre, si tout se fait selon les règles. C'est l'objectif que vise ces lignes directrices, aussi imparfaites soient-elles.
Combien d'hommes et de femmes comptez-vous parmi vos clients? À qui la garde des enfants est-elle confiée le plus souvent en Ontario et dans votre district de Belleville?
Mme Selick: Pour ce qui est de la question de recevoir en cadeau une grande maison spacieuse -- j'exagère peut-être -- je connais de nombreux cas où, après la séparation, les conjoints ont reçu de l'aide de leurs parents. Souvent, les grands-parents vont accueillir la mère et les enfants chez eux, de sorte que leur niveau de vie va changer considérablement. Les lignes directrices ne tiennent pas compte de ce facteur.
Je n'ai pas de préjugés contre les femmes. Les commentaires dans mon mémoire s'appliquent aussi bien aux hommes qu'aux femmes, sauf que, dans la majorité des cas, ce sont les femmes qui ont la garde exclusive des enfants.
Tous les commentaires que je fais et qui concernent le «père» pourraient s'appliquer à la «mère» si les circonstances étaient différentes et que les enfants étaient confiés au père plutôt qu'à la mère. Toutefois, dans la vaste majorité des cas, les enfants sont confiés à la mère.
Il y a sans aucun doute un préjugé en faveur des femmes. Comme je l'indique dans le mémoire, au moins trois juges dans ma communauté ont déclaré ouvertement qu'ils favorisaient les mères en matière de garde. Comment se sentent, à votre avis, les hommes qui demandent à avoir la garde de leurs enfants? Je ne crois pas que ce soit juste.
Combien d'hommes et de femmes est-ce que compte parmi mes clients? Je ne le sais pas. Je n'ai jamais fait le calcul et j'ai toujours évité de le faire. Je dirais qu'il y a sans doute plus de femmes que d'hommes parmi mes clients. Pour ce qui est des personnes qui ont tendance à se défendre elles-mêmes, il y a sans doute un plus grand pourcentage d'hommes qui ne prennent pas la peine de consulter un avocat. Je compte des clients parmi les deux groupes, et le pourcentage de femmes est probablement plus élevé que le pourcentage d'hommes. Ces jours-ci, je constate que ceux qui sont traités le plus injustement, ce sont les hommes.
Le sénateur LeBreton: Je ne crois pas nécessairement qu'il y ait un préjugé dans notre société, bien que je puisse citer des exemples de cas où le système judiciaire a affiché un parti pris contre les hommes et les femmes. Toutefois, je sais que, dans les cas de divorce et de séparation dont je consciente, les parents ont réussi à s'entendre sur la question de la garde des enfants.
Les hommes aujourd'hui assument un plus grand rôle auprès de leurs enfants. Toutefois, pour ce qui est de l'entente de garde, la plupart des parents que je connais semblent s'accorder pour dire que c'est la mère qui est mieux placée pour s'occuper des enfants, pour voir à leur éducation, à leurs besoins. Cette entente n'est pas nécessairement dictée par les tribunaux ou l'État. Elle est conclue par deux personnes qui s'entendent sur le fait que les enfants vont être pris en charge, sur une base quotidienne, par la mère. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas beaucoup de pères qui pourraient très bien remplir ce rôle, parce qu'il y en a.
Ce qui me dérange, c'est le ton que vous employez, le fait que vous agitiez le spectre du meurtre, du suicide, de la fuite vers un autre pays. On entend parler d'incidents de ce genre, mais je ne voudrais pas qu'ils deviennent la norme. Ces incidents, à mon avis, sont rares, et je n'aime pas entendre ce genre de propos dans des audiences comme celles-ci où nous essayons d'aider des personnes sensées à trouver une solution raisonnable à leurs problèmes, dans l'intérêt de leurs enfants.
Le président: Merci beaucoup, madame Selick, de nous avoir fait part de votre expérience et de vos vues sur ces questions.
J'aimerais signaler qu'aujourd'hui le 28 avril, c'est l'anniversaire de notre collègue madame le sénateur Ferretti Barth. Joyeux anniversaire, madame le sénateur Ferretti Barth.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.
OTTAWA, le mercredi 29 avril 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie auquel a été renvoyé le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur le tabac (réglementation du contenu) se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour en étudier la teneur.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Honorables sénateurs, nous avons quorum.
Chers collègues, nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur le tabac (réglementation du contenu). Ce n'est pas la première fois que nous examinons ce projet de loi. Il a franchi l'étape de la deuxième lecture au Sénat il y a un certain temps. Il a été parrainé par notre ancien collègue, l'honorable sénateur Haidasz.
Avant d'entreprendre notre étude du projet de loi S-8, sachez que notre collègue, le sénateur Di Nino, le parrain du projet de loi S-10, devrait arriver d'ici 15 à 20 minutes. Il a demandé, et j'ai provisoirement accepté en votre nom, qu'après avoir terminé notre étude du projet de loi S-8 nous poursuivions quelques minutes à huis clos instants pour discuter des futurs travaux du comité et plus particulièrement de la façon dont nous aborderons son projet de loi.
Comme vous le savez, nous sommes convenus hier de réserver du temps pour examiner le projet de loi S-10. Je crois qu'il veut nous convaincre qu'il a besoin de plus de temps, Je l'ai donc invité à venir défendre son point de vue devant les membres du comité.
Au sujet du projet de loi S-8, à notre réunion du 25 mars 1998, notre témoin, M. Eric LeGresley, de l'Association pour les droits des non-fumeurs, a abordé une question au sujet de laquelle il m'a ensuite écrit le 27 mars -- c'est-à-dire la preuve que la société Imperial Tobacco utilise la souche de tabac Y-1 et l'ammoniac dans les cigarettes qu'elle fabrique. Une copie de cette lettre vous a été distribuée et est versée au compte rendu de ce comité.
J'ai reçu depuis une lettre d'Imperial Tobacco Limitée en réponse au témoignage de M. LeGresley. Une copie de cette lettre vous a été distribuée et est versée au compte rendu de ce comité. C'est une lettre assez longue.
Sans entrer dans les détails, voici ce qu'on y dit:
1. Imperial Tobacco n'utilise pas et n'a jamais utilisé la souche de tabac Y-1 dans aucun de ses produits y compris les cigarettes Player's.
2. Imperial Tobacco n'a jamais fait l'essai de la souche de tabac Y-1.
3. Imperial Tobacco n'a jamais eu en sa possession ni utilisé la souche de tabac Y-1.
4. La compagnie a fait l'essai de l'ammoniac parce qu'on lui avait signalé que le produit était utilisé dans d'autres marchés et qu'il améliorait le goût des cigarettes. Même si Imperial a fait des essais à l'interne en ajoutant de l'ammoniac à ses cigarettes, pour en améliorer le goût, elle a décidé de ne pas l'utiliser, le goût ayant été jugé inacceptable dans le tabac de type canadien. Imperial Tobacco n'ajoute pas et n'a jamais ajouté d'ammoniac à aucun de ses produits du tabac.
5. Comme la souche de tabac Y-1 ou l'ammoniac n'a jamais été utilisé dans quelque produit fabriqué par Imperial Tobacco, on ne peut de toute évidence dire que la compagnie a fini par retirer l'ammoniac et le Y-1 de ses produits.
La lettre est beaucoup plus longue, mais il s'agit, je crois de l'essentiel du message. La balle est dans votre camp. La lettre a été versée au compte rendu du comité. En outre, nous vous avons fait parvenir un commentaire qu'a préparé Mollie Dunsmuir, de la Division du droit et du gouvernement, Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement.
Plaît-il aux honorables sénateurs que nous procédions à l'étude article par article du projet de loi S-8?
Des voix: D'accord.
Le président: L'adoption du titre est-il remis à plus tard?
Des voix: D'accord.
Le président: L'article 1 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le président: Nous avons une motion en ce qui a trait à l'article 2.
Le sénateur LeBreton propose que l'article 2 soit modifié par substitution, à la ligne 7, page 2, de ce qui suit:
«5. Il est interdit de fabriquer ou de vendre un produit du».
[Français]
Que le projet de loi S-8, à l'article 2, soit modifié par substitution, à la ligne 7, page 2, de ce qui suit:
«5. Il est interdit de fabriquer ou de vendre un produit du».
[Traduction]
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
Le président: L'article 3 est-il adopté? Il y a un amendement consécutif à l'article 3, sénateurs. Quelqu'un veut-il le proposer?
Le sénateur Keon: Je le propose.
Le président: Il est proposé par le sénateur Keon que le projet de loi S-8, à l'article 3, soit modifié par substitution, à la ligne 13, page 2, de ce qui suit:
«6.1 Il est interdit de fabriquer ou de vendre un produit».
[Français]
Que le projet de loi S-8, à l'article 3, soit modifié par substitution, à la ligne 13, page 2, de ce qui:
«6.1 Il est interdit de fabriquer ou de vendre un produit».
[Traduction]
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
Le président: L'article 4 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le président: L'article 5 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le président: Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le président: Le projet de loi dans sa forme modifiée est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Dois-je faire rapport au Sénat du projet de loi dans sa forme modifiée?
Des voix: D'accord.
Le président: Merci, honorables sénateurs.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.