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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 11 - Témoignages pour la séance du 12 mai 1998 (10 h 00)


OTTAWA, le mardi 12 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-13, Loi constituant la Fondation canadienne de responsabilité sociale de l'industrie du tabac et instituant un prélèvement sur cette industrie, se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour en faire l'étude.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous entamons aujourd'hui l'examen du projet de loi S-13, Loi constituant la Fondation canadienne de responsabilité sociale de l'industrie du tabac et instituant un prélèvement sur cette industrie. Le projet de loi a fait l'objet d'un vif débat et de beaucoup de commentaires dans les médias et ailleurs.

Nous amorçons une série plutôt intensive d'audiences à son sujet. Ce matin, nous entendrons les parrains du projet de loi, puis nous passerons à des discussions visant à vous faire prendre conscience de l'ampleur du tabagisme au Canada, problème au sujet duquel nous entendrons plusieurs témoins experts. Cet après-midi, nous accueillerons des porte-parole de l'industrie du tabac et plusieurs autres témoins qui nous feront entendre différents sons de cloche.

Entamons tout de suite l'examen du projet de loi à l'étude en cédant la parole à ses coparrains, soit nos collègues sénateurs Colin Kenny et Pierre Claude Nolin, qui nous feront une déclaration, après quoi je vous invite à leur poser des questions.

L'honorable Colin Kenny: Chers collègues, c'est un privilège d'être ici aujourd'hui, bien que j'avoue ne pas être habitué de me trouver à ce bout-ci de la table. Vous avez l'air beaucoup plus amical quand je suis à l'autre bout. Assis ici, j'en suis un peu moins sûr.

Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui? Nous sommes ici parce que 40 000 Canadiens meurent chaque année d'une maladie liée au tabac. Par comparaison, la deuxième cause de décès évitable au Canada est l'accident de la route, y compris la conduite en état d'ébriété, qui tue chaque année 4 000 Canadiens. La maladie liée au tabac, qui cause dix fois plus de morts, est la plus importante crise qu'aient à affronter les Canadiens en matière de santé.

Par ailleurs, j'aimerais soumettre à la réflexion du comité certains chiffres éloquents. Le gouvernement fédéral prélève 2,03 milliards de dollars -- soit 2 000 millions de dollars -- par année en taxes sur le tabac, mais il n'affecte que 10 millions de dollars par année à la lutte contre le tabagisme chez les jeunes. Cela revient à un demi-cent de chaque dollar que réalise le gouvernement fédéral à la vente de produits du tabac.

Il est très intéressant de noter que le gouvernement fédéral dépense 33 cents par tête d'habitant à des programmes-jeunesse et d'abandon de la cigarette et que le taux de jeunes fumeurs au Canada est de 30 p. 100. En Californie, qui a peu près la même population que le Canada, c'est 4 $ par tête d'habitant que l'on consacre, et le taux de jeunes fumeurs est tout juste en deçà de 11 p. 100 -- pensez-y un peu, un peu moins de 11 p. 100.

Je demanderais maintenant au sénateur Nolin de vous décrire le programme d'aujourd'hui.

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, cela me fait aussi plaisir de comparaître devant vous. J'ai plutôt l'habitude d'être de votre côté de la barricade, alors il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Nous avons, comme le mentionnait notre président au début de la rencontre, un programme assez chargé. Nous avons l'intention de vraiment faire le tour de la question pour que vous soyez à même de comprendre les solutions que nous vous proposons dans le projet de loi S-13.

Dans un premier temps, il sera question ce matin de vous décrire l'ampleur du problème. Il est important que vous compreniez le problème grandissant de la propagation du tabagisme chez les jeunes. Vous allez être à même de comprendre que toute la question du sous financement de la programmation qui vise à combattre le tabagisme chez les jeunes est très urgente; le taux de mortalité et les effets néfastes pour la santé rattachés à la propagation du tabagisme comparé aux autres causes de décès prévisibles. Il sera enfin question de tout l'aspect international et des dimensions historiques à cette crise de la santé.

Le deuxième panel que le comité a convié, ce sont les représentants de l'industrie du tabac. Il serait opportun de nous entendions l'opinion de ces gens puisque ce projet de loi vise à mettre en oeuvre des objectifs de l'industrie du tabac.

Dans le troisième panel, il serait opportun que le comité se penche sur des propositions et des mesures mises en oeuvre dans d'autres juridictions, principalement aux États-Unis, entre autres, en Californie et au Massachusetts. Nous aurons le plaisir d'entendre des témoins qui viendront nous expliquer comment aux États-Unis, dans les deux états que j'ai mentionnés, les autorités s'y sont prises pour combattre ce fléau.

Le quatrième panel visera toute la question psychologique. Nous essaierons de comprendre ce qui motive les jeunes, surtout les jeunes filles, à commencer à fumer. Il serait opportun qu'on comprenne que des programmes positifs ont été mis en place et qui nécessite un apport de financement soutenu.

D'autres programmes à succès ont été mis en place et ils ont dû être terminés pour cause d'un manque de financement. Il serait important que le comité comprenne ce qui motive les jeunes. Toutes les questions d'amour-propre, les questions d'influence de leurs camarades; la question de perte de poids, surtout dans le cas des jeunes filles, et, enfin pourquoi les jeunes commencent à fumer. C'est souvent un acte de rébellion envers les adultes.

Dans le cinquième panel, puisque c'est une portion importante de notre projet de loi, nous nous tournerons vers la question du financement par les compagnies de tabac des activités culturelles et sportives. Comme vous le savez, le projet de loi C-71 mettra fin, dès le 1er octobre prochain aux commandites en provenance des compagnies de tabac. Nous vous expliquerons toute la dimension économique et l'importance de soutenir de façon dégressive ces activités qui ont une importance économique, entre autres, dans l'économie québécoise.

Enfin, le dernier panel traitera des considérations techniques du projet de loi. Comment la fondation fonctionnera-t-elle? Vous aurez sûrement des questions à leur poser puisque une opinion circule à l'effet que notre projet de loi soit inconstitutionnel. Vous serez à même de comprendre pourquoi ce projet de loi est très constitutionnel.

À la toute fin, le sénateur Kenny et moi, nous nous emploierons à conclure et à répondre à toutes les questions qui auront été suscitées par les différents témoignages entendus pendant les audiences d'aujourd'hui et de demain.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Vous avez devant vous, chers collègues, un résumé du projet de loi sur la responsabilité de l'industrie du tabac. Vous devriez tous en avoir reçu un exemplaire. Il fait ressortir les grands points du projet de loi.

Le projet de loi à l'étude a deux raisons d'être. La première, c'est le fait que la Loi sur le tabac, c'est-à-dire le projet de loi C-71, ne prévoyait pas de fonds pour les jeunes. Les programmes existants sont insuffisants, et c'est ce que cherche à régler le projet de loi. De plus, la période de transition prévue pour les groupes artistiques et sportifs était trop courte. Dès le 1er octobre 1998, ils ne toucheront plus rien. Si vous regardez à la page 2 du résumé portant sur le projet de loi, vous verrez qu'il prévoit une période de transition prolongée de cinq ans, les fonds baissant de 20 p. 100 par année durant cette période, ce qui donne un délai plus raisonnable aux groupes pour trouver d'autres commanditaires.

Ce sont là, chers collègues, les raisons pour lesquelles nous parrainons le projet de loi à l'étude.

[Français]

Le président: Il reste une vingtaine de minutes avant d'entendre notre prochain témoin. Est-ce qu'il y a des questions?

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce votre intention, monsieur le président, d'inviter le ministre de la Santé à venir faire ses représentation? Est-ce qu'il a été consulté sur l'intention des deux sénateurs de présenter un tel projet de loi?

Le président: Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je laisse le sénateur Kenny ou le sénateur Nolin y répondre. Pour ce qui est de la première partie, on a déjà invité le ministre de la Santé et le ministre de l'Industrie à comparaître au comité sur ce projet de loi. Ces deux ministres sont malheureusement à l'extérieur du pays.

On a également invité des fonctionnaires du ministère de la Santé. Jusqu'à ce jour, il n'y a pas de réponse précise. On n'a pas pu préciser une date ou une heure pour la comparution du ministère.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les deux ministres ne seront pas absents trois semaines. Est-ce que le ministre Roch est sensé être absent pour une longue période?

[Traduction]

Le président: Je ne peux pas vous répondre. Je puis vous dire que les deux ministres ont été invités, que les deux ont décliné et qu'on ne sait toujours pas trop si des porte-parole de ces ministères viendront témoigner. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de réponse affirmative, bien que les invitations aient été lancées.

Le sénateur Kenny: Je répondrai avec plaisir à la question du sénateur Lavoie-Roux.

Il y a effectivement eu consultation tant avec Santé Canada qu'avec le ministère des Finances. Les deux ministères sont très au courant du projet de loi. Le président vous a dit que les porte-parole des ministères ne peuvent pas venir pour l'instant, ce qui est parfaitement exact. J'ai par ailleurs appris que les deux ministres ne prévoient pas pouvoir comparaître durant les audiences portant sur le projet de loi à l'étude et que leurs fonctionnaires ne sont pas disponibles. En somme, ils préféraient voir ce qu'on a à dire au sujet du projet de loi avant d'intervenir, s'ils le jugent nécessaire, dans l'autre Chambre.

Le sénateur Cohen: Sénateur Nolin, vous avez mentionné dans votre déclaration que, d'après certains, le projet de loi est inconstitutionnel. J'ignore si vous pouvez me répondre durant les 20 minutes qui nous sont allouées, mais avant d'entendre d'autres témoins, j'aimerais avoir une explication générale des raisons pour lesquelles on le juge inconstitutionnel.

Le sénateur Nolin: Nous aurons tout le temps voulu pour en discuter quand nous entendrons les témoins compétents à ce sujet. Je suis loin d'avoir les compétences requises pour répondre à votre question. Je me permets toutefois de préciser que le Parlement s'interroge toujours sur la constitutionnalité d'une mesure, quelle qu'elle soit. Essentiellement, ceux qui jugent le projet inconstitutionnel soutiennent que la question relève des provinces, plutôt que du Parlement du Canada. C'est là leur principale objection.

Le sénateur Kenny: Le groupe F vous parlera des aspects techniques et juridiques de la question. Le Président du Sénat s'est déjà prononcé à ce sujet. Le projet de loi à l'étude a donc été renvoyé en bonne et due forme au comité. La présidence vous le confirmera. En bout de ligne, ce sont les tribunaux qui décideront de la constitutionnalité, non pas le Sénat du Canada. Je vous demande donc de mettre cette question de côté jusqu'à ce que vous ayez entendu les témoins du groupe F. Nous avons formellement invité des experts à venir répondre à ces questions.

Le sénateur Cools: Le sénateur Kenny a déjà répondu, en partie, à mes questions, mais je tiens à rappeler au président et à mes collègues que c'est le comité qui décide de ses travaux et qu'il peut appeler à la barre ceux qu'il juge bon d'entendre. Je préférerais nettement apprendre de la bouche des deux témoins que nous avons devant nous actuellement, s'ils peuvent nous donner des faits à l'appui, ce qui les a motivés à déposer ce projet de loi. Vous êtes les premiers à comparaître, plutôt que les derniers, et voilà l'occasion rêvée pour vous d'agir en «témoins», dans le sens habituel du terme. Nous aurons d'autres questions à poser aux autres témoins. Le président prévoit certes inviter les divers ministères et ministres intéressés, et ainsi de suite.

Vous pouvez peut-être nous dire, sénateur Nolin, pourquoi vous jugez l'adoption du projet de loi à l'étude essentielle en termes politiques et sociaux.

[Français]

Le sénateur Nolin: Permettez-moi de vous répondre dans l'autre langue officielle. L'an dernier, lorsque nous avons examiné le projet de loi C-71, deux lacunes nous sont apparues évidentes. Vous vous souviendrez que le rapport du comité des affaires juridiques et constitutionnelles a fait mention de ces lacunes.

Vous comprendrez que le projet de loi C-71 a été adopté par le Sénat à la toute fin du dernier Parlement. La dimension politique est bien comprise par tout le monde. La principale lacune était un financement approprié pour une programmation positive envers les jeunes. Cette dimension était absente du projet de loi C-71. C'était une mesure principalement coercitive, une approche pénale. Le gouvernement fédéral tire son pouvoir en matière de santé de son pouvoir en matière criminelle. Cette première lacune était majeure.

[Traduction]

Le sénateur Cools: Est-ce du domaine juridique ou du domaine pénal?

Le sénateur Nolin: Du domaine pénal.

[Français]

Le sénateur Nolin: La deuxième lacune a été bien identifiée lors de l'examen du projet de loi C-71, la Loi sur le tabac. C'est toute la question de la cessation des commandites par les compagnies de tabac des événements sportifs et culturels.

Notre projet de loi tire son origine de l'identification par le comité des affaires juridiques de ces deux lacunes.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: J'attire votre attention sur le rapport déposé par le sénateur Carstairs, l'an dernier, au nom du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, au sujet du projet de loi C-71. Le comité avait recommandé que le gouvernement prenne des mesures supplémentaires justement dans les domaines dont parle le sénateur Nolin. Le comité avait en effet reconnu à l'époque que la période de transition prévue pour que les groupes se trouvent d'autres commanditaires que les fabricants de tabac était trop brève. Il avait aussi reconnu que les ressources affectées à la lutte contre le tabagisme chez les jeunes étaient insuffisantes.

Vous vous souviendrez que, lorsque j'ai déposé des modifications au projet de loi C-71, des élections ont été déclenchées. Le message venu du gouvernement était que, s'il prenait le temps d'adopter des modifications et de renvoyer le projet de loi à la Chambre, le Sénat n'aurait pas le temps de l'adopter avant la dissolution. On nous demandait de choisir entre une demi-mesure ou pas de mesure du tout. Nous voilà donc de retour, chers collègues, pour faire adopter l'autre moitié.

Nous soutenons que les 10 millions de dollars consacrés par le gouvernement à des programmes d'abandon de la cigarette et de lutte au tabagisme chez les jeunes et les autres 10 millions de dollars consacrés à l'application de la loi sont tout simplement insuffisants. Quelque chose ne tourne pas rond dans la société qui consacre 20 millions de dollars seulement à un fléau qui tue 40 000 personnes par année.

Supposez un instant que l'on compte au Canada, chaque semaine pendant un an, deux écrasements d'avion. Le nombre de décès serait de 40 000. Si les Canadiens mouraient en aussi grand nombre, nous siégerions nuit et jour pour trouver une solution. Il ne serait pas question de 120 millions de dollars, mais bien de montants astronomiques.

Durant toute la Seconde Guerre mondiale, 43 000 Canadiens seulement sont morts au front. Pourtant, 40 000 Canadiens sont tués chaque année par le plan de marketing des fabricants de tabac. Réfléchissez-y. La réaction du gouvernement ne correspond pas à l'ampleur du problème. Nous avons donc essayé de vous soumettre une solution qui vise avant tout à régler le problème du tabagisme chez les jeunes. Ce n'est pas à 43 ou à 52 ans que l'on commence à fumer, mais à 9, 10 ou 11 ans. C'est à ce groupe d'âge qu'il faut consacrer nos efforts.

Le projet de loi à l'étude cherche à atteindre les jeunes au niveau local, en combinaison avec les programmes régionaux. Nous aimerions aussi que soit mise sur pied une campagne nationale de publicité dans les médias qui aurait véritablement de l'effet. Le projet de loi à l'étude nous en fournit l'occasion.

Une injustice a été commise, dans le projet de loi C-71, à l'égard des groupes qui organisent des événements artistiques et sportifs ainsi qu'à l'égard des tabaculteurs, en ce sens que le temps qui leur était alloué pour se trouver d'autres commanditaires ou pour diversifier leurs cultures était insuffisant. On ne peut pas leur couper les vivres comme cela, au bout de 18 mois. Une période de cinq ans nous semble raisonnable. Nous leur avons demandé combien d'argent et de temps il leur fallait. C'était ce que nous pouvions leur proposer de mieux.

Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous aimerions que votre comité se pose les questions que voici lorsqu'il examinera les enjeux. Estimez-vous que la réaction est à la mesure du problème? Devrions-nous faire plus pour régler le problème, selon vous? Dans l'affirmative, le projet de loi à l'étude est-il le moyen privilégié de le faire?

Le sénateur Cools: Vous avez parlé du rapport déposé par le sénateur Carstairs. J'en ai un exemplaire devant moi. Vous faisiez allusion, je crois, au 24e rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles concernant le projet de loi C-71.

Voici les recommandations dont vous parliez:

Par ailleurs, le comité recommande fortement au gouvernement de constituer, par des moyens publics et privés, un fonds provisoire pour soutenir les groupes artistiques, culturels et sportifs pendant qu'ils cherchent des sources de financement autres que les fabricants des produits du tabac qui commanditent actuellement leurs activités.

Les Canadiens attachent de l'importance aux événements artistiques, culturels et sportifs et ne tiennent pas à les perdre. Le comité admet que, depuis cinq ans, beaucoup de groupes délaissent le parrainage des compagnies de tabac et cherchent d'autres commanditaires, et qu'ils croient qu'il y a lieu d'applaudir à leurs efforts. Mais il y a urgence dans le cas de ceux qui comptent encore sur la commandite de l'industrie du tabac et qui auront besoin de l'appui financier des secteurs public et privé au cours des trois à cinq prochaines années pour s'en affranchir.

Je tenais simplement à en faire une lecture officielle.

Le sénateur Callbeck: Ce matin, vous nous avez présenté des données statistiques très alarmantes. Je suis d'accord avec vous -- comme tous les autres, j'en suis convaincue -- qu'il faut faire davantage dans ce domaine.

C'est à l'Île-du-Prince-Édouard que l'on trouve le plus fort taux de fumeurs par province au Canada. Cette donnée nous est confirmée par une étude de Santé Canada.

Je m'interroge sur le processus. Vous avez mentionné que 60 millions de dollars allaient à des programmes mettant l'accent sur l'éducation sanitaire et le tabagisme. Comment les groupes communautaires réussiront-ils à mettre la main sur cet argent? Est-ce une question dont vous nous parlerez ce matin ou dont nous parleront d'autres témoins?

Le sénateur Kenny: Les témoins vous en parleront, mais je peux vous décrire brièvement le processus.

Une des beautés du projet de loi à l'étude, c'est qu'il impose un prélèvement, plutôt qu'une taxe. Par conséquent, les fonds vont directement des fabricants de tabac à la fondation établie dans le projet de loi. S'il s'agissait d'une taxe, les prélèvements seraient versés dans le Trésor du Canada et il faudrait à ce moment-là voter des crédits périodiquement.

Tout à l'heure, vous allez entendre un témoin de la Californie vous décrire comment les élus là-bas ont commencé à prendre l'argent de ce fonds pour l'affecter à d'autres fins.

La fondation projetée aura un conseil d'administration élu qui étudiera les demandes de fonds de groupes de tous les coins du pays. En fait, le conseil ira lui-même à la recherche de demandeurs, parce que l'un des buts est d'agir au niveau local; on vise à établir des programmes par l'intermédiaire de l'Union chrétienne de jeunes gens, des clubs de garçons et filles et des écoles.

Vous entendrez des spécialistes du domaine vous expliquer qu'il faut au départ attaquer le problème de plusieurs directions à la fois. Il n'existe pas de solution unique, de panacée, de magie qui fera cesser tous les adolescents de fumer au Canada.

Vous entendrez des témoins vous décrire les diverses raisons pour lesquelles fument les jeunes. Ils vous diront que, pour convaincre les jeunes de changer de comportement, il faut adopter toute une gamme de programmes correspondant à leurs diverses préoccupations et à leurs besoins différents.

Sénateur Callbeck, nous souhaitons que tout un train de mesures soit adopté partout au pays. Le besoin d'un moyen de faire connaître les réussites et les échecs est criant. Une des principales difficultés que nous avons constatées, le sénateur Nolin et moi, c'est que, bien que nous ayons déjà des groupes fantastiques qui font de l'excellent travail, ils sont sous-financés.

Je connais un groupe qui se charge de diffuser de l'information d'une région à une autre. Il devra fermer ses portes cette semaine parce qu'il manque de fonds. C'est insensé. Nous avons besoin de ces groupes. Notre rôle, en tant qu'élus, est de leur faciliter la tâche. Il faut aider ceux qui travaillent au sein des collectivités à mettre en place les solutions existantes qu'ils ne peuvent mettre en oeuvre par manque d'argent.

Le sénateur Callbeck: Chaque province sera-t-elle représentée au sein du conseil d'administration?

Le sénateur Kenny: Pas forcément. Les administrateurs seront élus par la fondation. Il y aura représentation des provinces, mais le projet de loi ne prévoit pas de représentants pour chaque province. Il appartiendra à la fondation de nommer et d'élire ses propres administrateurs, comme tout autre organisme.

Le président: En tant que coparrains du projet de loi, le sénateur Kenny et le sénateur Nolin ont le droit de revenir après tous les autres témoins commenter les témoignages que nous aurons entendus d'ici là.

Sénateurs, je vous remercie.

Je demanderais aux prochains témoins de se présenter à la table. Il s'agit du groupe de témoins numéro 4 qui nous entretiendra de l'ampleur du tabagisme au Canada.

Le sénateur Lavoie-Roux: J'aimerais que nous réinvitions périodiquement les ministres. Je sais que, tôt ou tard, au Sénat comme à la Chambre des communes, ils pourront exprimer leur opinion. Toutefois, il ne faudrait pas que l'adoption du projet de loi à l'étude prenne un an et demi. La fin de la session approche. S'ils viennent périodiquement, s'il y a des corrections à apporter, nous pourrons le faire.

Le président: Sénateur, si les ministres ont un emploi du temps trop chargé, le comité fera tout ce qu'il peut pour s'y adapter. Par contre, s'ils ont décidé, sur le plan politique ou stratégique, de ne pas comparaître devant le comité, il faut respecter cette décision. Il s'agit d'un projet de loi d'intérêt privé. Les invitations ont été lancées. Nous avons également précisé que, s'ils le souhaitent, ils peuvent se faire remplacer par des fonctionnaires de leur ministère. Jusqu'ici, ces ministères ne nous ont pas donné l'assurance qu'ils seraient représentés soit par les ministres, soit par des fonctionnaires.

Le sénateur Lavoie-Roux: Pourriez-vous lancer à nouveau l'invitation?

Le président: Nous leur enverrons une nouvelle invitation, dans laquelle nous leur ferons part de vos observations et des sentiments du comité.

Le sénateur Kenny: On me dit que ce n'est pas tant l'emploi du temps que l'approche qui les empêche de comparaître. Toutefois, renouvelez votre invitation, si vous jugez qu'il y a lieu de le faire.

Le président: Nous passons maintenant à un examen de l'ampleur du problème du tabagisme au Canada. Nous accueillons quatre témoins.

Vous avez la parole.

[Français]

M. Louis Gauvin, coordinateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac: Monsieur le président, je vous remercie d'avoir invité la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac à donner son point de vue sur la situation difficile du tabagisme au Québec. Je vous donnerai quelques précisions tout à l'heure. Le sénateur Callbeck de l'Île-du-Prince-Édouard faisait référence au palmarès peu glorieux de sa province. Lorsqu'elle est première, nous sommes deuxième, et lorsque nous sommes premiers, elle est probablement deuxième dans les problèmes de tabagisme au Canada. Nous vous remercions aussi de votre invitation à donner notre avis sur le projet de loi parrainé par les sénateurs Nolin et Kenny.

Je dois dire tout de suite que nous appuyons le projet de loi proposé ce matin. D'abord parce qu'il inscrit dans le sens de nos réclamations depuis notre lancement. J'aurai l'occasion de vous présenter brièvement la coalition dans quelques instants.

Actuellement c'est également la seule initiative fédérale qui offre une solution financière au problème soulevé de la commandite. Peut-être êtes-vous déjà informés que le ministre des Finances du Québec, M. Bernard Landry, a proposé de prélever à même des taxes sur le tabac une somme d'argent équivalent à 12 millions de dollars pour la verser dans un fonds qui viendrait en aide aux événements culturels et sportifs commandités au Québec. Mais cela n'est pas suffisant. On estime, au Québec, à 25 millions ce que l'industrie investit en commandite. Le projet de loi déposé ce matin serait certainement un complément très utile sur le plan financier.

Le sénateur Kenny disait tout à l'heure que le projet de loi offre une augmentation substantielle des fonds pour des programmes et des campagnes de réduction du tabagisme, qui actuellement non seulement manque d'argent mais ont beaucoup de difficulté à se mesurer aux campagnes très bien faites et amplement financées de l'industrie du tabac. Enfin, cela pourrait contribuer à la réduction de la publicité de commandites sur le tabac.

Brièvement, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a été lancée il y a deux ans par huit organismes de santé. Il y a 660 organismes et institutions qui sont membres de la coalition, qui viennent de toutes les régions du Québec. Nous avons 250 municipalités membres, des écoles, des commissions scolaires, des hôpitaux, des CLSC, des groupes de jeunes, des associations d'étudiants et des groupes communautaires.

Tous les membres de la coalition, pour devenir membres, ont complété une résolution formelle de leur conseil d'administration, et dans le cas des municipalités, du conseil de ville, qui a été dûment proposée et appuyée par les plus hautes autorités de ces institutions.

Maintenant, abordons plus spécifiquement le problème du tabagisme au Québec. Pour comprendre la situation qui prévaut, il est important de se rappeler deux événements majeurs ces récentes années. Le premier étant la baisse des taxes en 1994, qui a eu pour effet de réduire de moitié le prix du paquet de cigarette. En 1995, la décision de la Cour suprême autorisait le retour de la publicité. Ainsi 20 ans d'efforts, de prévention et d'éducation du tabagisme auprès des jeunes en particulier ont pu être annulés par ces deux décisions, ces deux événements. Même si la Cour suprême a autorisé le retour de la publicité sur les cigarettes, la commandite, elle, n'avait jamais été restreinte ou interdite. Bien sûr, elle se poursuit toujours et de plus en plus.

En fait, il est difficile avec les moyens dont on dispose pour des programmes de prévention de se mesurer, si vous voulez jeter un coup d'oeil aussi attrayantes. L'an dernier, Jacques Villeneuve portait les couleurs d'une marque de cigarettes. Alors vous voyez le héros, vous voyez la voiture du héros, qui porte les mêmes couleurs.

Le Grand Prix de Montréal reviendra cette année. À l'époque c'était Rothman's, cette année c'est le grand prix Players de Montréal. Ici on voit l'événement Players. Nous continuerons tout à l'heure, mais vous verrez que toute la ville de Montréal, mais c'est vrai sans doute pour Toronto, pour Vancouver et toutes les grandes villes canadiennes, nous avons l'impression durant certaines saisons que les villes sont devenues des paquets de cigarettes géants.

Pourquoi le sport automobile? La réponse figure sur cette acétate. On peut y lire:

The Formula 1 car is the most powerful advertising space in the world.

Rien de moins. Cette publicité est parue dans la revue Tobacco Reporter du 14 juillet 1994. Elle invite les compagnies de tabac à financer une voiture de Formule 1 parce que c'est l'espace publicitaire le plus puissant au monde et cela rapporte. Pour la modeste somme de 50 000 $, et peut-être jusqu'à 40 millions de dollars, vous pouvez avoir votre nom ou tout une voiture. Et même BAT, la grande compagnie multinationale britannique s'est même offert une compagnie, Tirel, une écurie de course automobile pour 500 millions de dollars US. Il faut tout de même que cela rapporte un peu.

Le prochaine diapositive nous montre le Grand Prix de Trois-Rivières. J'étais au Grand Prix de Trois-Rivières l'an dernier, et si vous jetez un coup d'<#0139>il vers le haut, du côté est des bras du vainqueur, un père et son fils. Il y a beaucoup d'enfants sur le site de ces événements. Cela prépare déjà les enfants à trouver normal que les compagnies de tabac investissent dans des événements de cette envergure.

Actuellement, on peut trouver dans les journaux une offre faite aux jeunes d'essayer un simulateur de voiture de Formule 1. Ils peuvent s'inscrire pour gagner un voyage au Indy Cart, en Californie. Au Canada, on estime à 60 millions le coût des commandes. Au Québec, 25 millions sont investis. Voyons quelques exemples de la façon dont les grandes villes ont l'air de paquets de cigarettes géants.

Vous avez les Internationaux de tennis Players -- cette publicité est maintenant passé maintenant c'est du Maurier. La diapositive suivante vous montre les Internationaux Matinée. Voyez les couleurs des estrades et des sièges, c'est exactement un paquet de cigarettes: vous êtes enveloppés dans un paquet de cigarettes.

Les deux diapositives suivantes vous montrent les Arts du Maurier qui subventionnent au Canada quelques 215 événements un peu partout dont les Internationaux de tennis du Maurier qui commenceront très prochainement, je crois au mois d'août.

M. Claude Cossette, un pionnier de la communication au Québec, et M. Normand Turgeon, un professeur de marketing, considèrent que la commandite fait mousser les ventes et encourage les jeunes à fumer. Claude Cossette nous raconte qu'à l'école primaire, on a lavé le cerveau des jeunes. On leur a dit que la cigarette, c'était mauvais. Mais quand ils sont dans des événements culturels et sportifs qui sont intéressants, le tabac qui était un produit mal vu, finit par acquérir des qualités positives. Si la commandite est intéressante pour les fabriquants de tabac c'est qu'elle associe des noms de cigarettes à des grands noms. Jacques Villeneuve valorisait Rothman's l'an dernier; cette année le Grand Prix Players de Montréal, ou Martina Ingis va valoriser le Grand Prix du Maurier. «D'encrasse» poumon, le tabac devient subtilement dans la tête des jeunes synonyme de performance sportive, de courage et de force. Cette forme de persuasion est sournoise parce que lorsque le jeune se détend, les produits du commanditaire finissent par acquérir les qualités de l'événement ou du héros.

Les conséquences d'un retour de la publicité et du maintien de la commandite au Québec donnent ceci: 13 000 décès par année attribuables au tabagisme, 30 par jour.

La consommation chez les jeunes de 11, 12 à 17 ans, a doublé au Québec depuis cinq ans. Elle est passée de 19 p. 100 à 38 p. 100. Il y a 200 000 jeunes qui sont maintenant accrochés à la cigarette. C'est 20 000 jeunes à chaque année. C'est un autobus scolaire de jeunes par jour qui sort d'une compagnie accrochés au tabac. Chez les filles, vous en avez 45 p. 100, presque une sur deux. À 11, 13 ans, il y en avait 12 p. 100 il y a cinq ans, aujourd'hui, il y en a 32 p. 100 qui fument et ce sont les fumeurs adultes de demain.

M. Turgeon a réalisé une enquête auprès de quelque 150 entreprises qui commanditent le tabac. Il dit que les commandites visent à augmenter les ventes. Nous en avons la certitude. Quand on lui dit que ce n'est pas ce que les manufacturiers de tabac prétendent -- sans doute viendront-ils nous le dire cet après-midi -- il affirme qu'ils ne disent pas la vérité.

Du Maurier Festival de jazz cet été, Fondation mode Matinée, Festival juste pour rire et le Festival des feux d'artifice, on retrouve tous ces événements un peu partout au Canada.

En Australie, où on suit le modèle des fondations, toutes les équipes sportives professionnelles et amateurs sont maintenant incluses dans des fondations qui leur viennent en aide et au lieu de faire la promotion du tabac, ils font la promotion d'un programme de cessation du tabagisme. On voit les quelques lettres ici: Quit smoking. On voit que ces gens sont maintenant 100 p. 100 smoke free, c'est le Australian football league. On voit ici encore une équipe de basketball de jeunes filles qui fait la promotion de slogans antitabac.

À moyen et à long terme, nous souhaitons que le projet de loi S-13 amène une moins grande visibilité des produits du tabac et peut-être qu'un jour, d'autres enfants, comme Gabriel qui a huit ans, pourront s'inspirer de Lucky Luke et menacer une cigarette en lui disant: ne fume pas sinon je te transforme en passoire. En anglais on pourrait dire: «Do not smoke or I will turn you into Swiss cheese.»

[Traduction]

Mme Cynthia Callard, directrice générale, Médecins pour un Canada sans fumée: Je précise au départ que, bien que je sois directrice générale de Médecins pour un Canada sans fumée, je ne suis pas moi-même médecin. Mon travail ne consiste pas à traiter des maladies liées au tabac. J'ai été priée par les membres de mon organisme qui passent leur journée à le faire de faire quelque chose de plus efficace et, certes, de plus humain, soit de faire de la prévention.

Quelle que soit l'ardeur que je mettrai au travail au cours de la prochaine décennie, je ne pourrai jamais accomplir ce que vous et vos collègues pouvez faire en une seule semaine.

[Français]

Je ne peux qu'appuyer ce projet de loi mais c'est vous et vos collègues qui peuvent le mettre en vigueur.

[Traduction]

En adoptant le projet de loi à l'étude, vous pouvez éviter beaucoup plus de souffrance humaine que ne le pourrait un médecin durant toute une vie. On m'a alloué 10 minutes pour parler de l'impact du tabagisme. Je n'ai pas besoin de dix minutes pour vous dire quel est l'impact ultime de la cigarette -- le tabac tue.

J'ai ici un tableau qui donne une ventilation des décès survenus au Canada cette année.

[Français]

Le tabac tue 40 000 Canadiens et Canadiennes chaque année.

[Traduction]

Le tabac tue un fumeur sur deux; il est responsable de la mort d'un Canadien sur cinq. Le tabac cause toutes les maladies qui sont énumérées sur l'emballage des cigarettes, mais ses effets ne s'arrêtent pas là. Quand on s'est rendu compte que des médicaments comme la thalidomide ou des dispositifs comme le bouclier de Dalkon, entre autres, causaient des maladies, on les a retirés du marché ou on a multiplié les mises en garde. Sur l'emballage que voici et sur tous les autres comme lui, rien ne prévient contre la gangrène, contre l'impuissance ou contre les otites chez les enfants, contre les avortements spontanés ou le cancer du col de l'utérus.

Une des difficultés de mon travail, c'est que, lorsqu'on parle de décès causés par le tabac, les gens ont tendance à perdre intérêt. On s'est en quelque sorte fait à l'idée de ces morts. Nous le savons déjà, on nous l'a dit pendant des années, ne nous embêtez plus avec cela.

Je n'arrive pas à comprendre tout à fait comment on peut accepter les morts dues au tabac. Le sénateur Kenny a parlé tout à l'heure du manque de correspondance entre le but et les moyens. Le nombre de décès attribués à l'alcool inclut les morts dues à des accidents de la circulation. Il faut donc jusqu'à un certain point organiser les données autrement. Mais, quelle que soit la manière dont vous organisez les données, le tabac est de loin la principale cause de décès que l'on aurait pu éviter.

Les chiffres sont éloquents. Chacun des 40 000 Canadiens qui meurent du tabagisme chaque année a perdu 15 ans de sa vie. Si additionnez le nombre d'années de vie perdues au Canada chaque année, cela représente 640 000 années. Si vous les mettez bout à bout et que vous reculez dans le temps, vous vous retrouvez en l'an 638 000 avant Jésus-Christ. Même si tous ceux qui meurent du sida et des accidents de la route ont dix ans -- et qu'ils ont donc une espérance de vie beaucoup plus longue --, si vous additionnez les années de vie perdues, vous n'arriverez qu'à 10 000 ou 15 000. Le tabac devance -- et de loin -- toutes les autres causes évitables de décès.

Pourquoi acceptons-nous ces décès? Supposons-nous une complicité de la part de ceux qui meurent, qu'il s'agit pour eux d'un choix? Certains de ceux qui comparaîtront devant vous ne vont pas manquer de vous présenter cet argument. J'aimerais que vous examiniez la troisième principale cause des décès -- encore une fois liée au tabagisme. Elle n'est pas liée au tabagisme primaire, mais au tabagisme secondaire. Le rapport que j'ai ici, publié il y a quatre mois environ, représente l'une des initiatives les plus importantes en matière de santé publique. Il s'agit d'une étude californienne qui examine en profondeur les causes du tabagisme secondaire.

J'ai dit que le tabac tue, mais il tue également les non-fumeurs; il les étouffe, cause la formation de plaques dans leurs artères -- ce qui entraîne des crises cardiaques et des accidents cérébrovasculaires -- il provoque le cancer du poumon. Le tabac tue un fumeur sur deux, mais tue également près d'un non-fumeur sur 5 000.

Quatre fois plus de Canadiens meurent du tabagisme que d'accidents du travail. Tous les trois jours, un bébé canadien est victime de la mort soudaine du nourrisson causée par le tabagisme à la maison. Deux nourrissons meurent chaque mois de bronchite ou de pneumonie déclenchée par le tabagisme à la maison. Il suffit d'examiner ces chiffres pour comprendre la raison pour laquelle l'industrie du tabac n'appuie pas le genre d'initiative qui permettrait de financer cette sorte de recherche sur le tabac au Canada.

Les enfants sont les plus sensibles à la fumée secondaire, à cause de la plus grande vulnérabilité de leur système immunitaire et de leurs poumons. La fumée secondaire tue non seulement les enfants, mais les rend malades. Près de 1 000 enfants tombent malades chaque jour à cause du tabagisme. La moitié des enfants canadiens vivent dans des maisons enfumées, puisque seulement 20 p. 100 des maisons canadiennes où vivent des enfants sont sans fumée.

En Californie, la situation a considérablement changé grâce aux programmes financés par ce genre de prélèvement en vigueur depuis une décennie. Vingt pour cent des maisons canadiennes sont sans fumée contre 85 p. 100 des maisons californiennes et 80 p. 100 des enfants californiens vivent dans des maisons sans fumée.

Attardons-nous quelques instants sur les enfants. Habituellement, le tabagisme vous tue lorsque vous êtes adultes, mais l'accoutumance à la nicotine est une maladie que seuls les enfants attrapent. Vous n'avez jamais vu ce graphique, bien qu'il soit fondé sur des statistiques de Santé Canada, car ce ministère ne l'a pas publié dans son rapport. Il montre que près de 30 p. 100 des filles de 13 et 14 ans -- qui sont toujours des enfants, à mon avis -- fument. Ce dont Santé Canada ne parle pas, ce sont des 14 p. 100 qui sont fumeuses débutantes. Il s'agit d'enfants qui ont fumé au cours du mois écoulé, mais qui n'ont pas fumé 100 cigarettes.

Les statistiques visant les filles de 18 et 19 ans indiquent que seulement 30 p. 100 d'entre elles fument; toutefois, ces filles sont passées du stade de débutantes à celui des jeunes qui fument tous les deux jours et à celui de ceux qui fument tous les jours. Ces jeunes filles sont alléchées par le marketing des sociétés de cigarettes, lorsqu'elles ont 13 ans, mais sont complètement accrochées lorsqu'elles atteignent l'âge de 19 ans.

Lorsque l'industrie du tabac prétend que les statistiques ne révèlent pas d'augmentation du nombre de nouveaux fumeurs, je vous renvoie à ce graphique qui provient de RJR-Macdonald Inc. C'est un document qui a transpiré et que je vais remettre à la greffière. Il ne vise pas les enfants fumeurs, mais les jeunes adultes, la tranche des 19 à 24 ans. En 1996, on s'aperçoit que les jeunes visés par le précédent sondage -- les plus âgés, 17 ans -- fument beaucoup plus, deux années plus tard.

Pourquoi les jeunes fument-ils de plus en plus? Des documents de procédure américains en expliquent partiellement la raison; le fait est que les cigarettes d'aujourd'hui créent davantage d'accoutumance. Elles sont fabriquées à partir de tabac choisi parce que proportionnellement parlant, il renferme plus de nicotine, la bonne sorte de nicotine et fournit le bon genre de nicotine libre, grâce à l'ajout d'ammoniaque et d'autres ingrédients qui en maximisent le potentiel d'accoutumance.

Ces documents de procédure américains qui font état de l'ajout d'ammoniaque m'ont incitée à avoir recours aux dispositions relatives à l'accès à l'information pour connaître les résultats de l'analyse chimique de Santé Canada.

Ce document indique que l'industrie du tabac contrôle sans contredit la quantité de nicotine dans les cigarettes. Toutefois, d'après cette étude qui est plus intéressante, les taux de nicotine que l'on retrouve dans les cigarettes sont directement reliés aux taux d'ammoniaque. D'après le scientifique, la caractéristique la plus frappante, c'est qu'il semble y avoir un rapport clair et direct entre l'ammoniaque ordinaire et la teneur en nicotine. Plus la teneur en ammoniaque est élevée, plus celle de la nicotine l'est aussi. Plus la teneur en nicotine libre est élevée, plus les cigarettes créent l'accoutumance.

Les fabricants de cigarettes pourront nier le fait qu'ils ajoutent de l'ammoniaque, mais il ne faut pas oublier qu'ils s'approvisionnent dans des usines de traitement, légalement indépendantes, qui fabriquent du tabac, le traitent et le vendent «prêt à utiliser» pour la fabrication de cigarettes.

Les enjeux de l'usage du tabac sont essentiellement ceux que l'on retrouve partout et auxquels vous êtes confrontés aujourd'hui. Le gouvernement fédéral récupère près de 10 $ sur chaque cartouche de cigarettes, ce qui n'est si mal; de ce montant, il dépense actuellement environ 10 sous pour la recherche sur le tabac. Nous vous demandons d'augmenter cette somme de 50 sous, ce qui est marginal. Ces 60 sous peuvent être utilisés à de bonnes fins.

Pour ce qui est de la question: «Qu'en est-il de la contrebande?», je vous renvoie au tableau suivant. Voilà ce qui se produirait si l'industrie du tabac devait absorber ces 50 sous au niveau de ses profits. Il s'agit des profits de l'industrie du tabac pour les deux sociétés visées. RJR est une société entièrement américaine, et ses profits ne sont pas rendus publics. Vous pouvez voir que les profits montent en flèche. La société Imperial Tobacco est celle qui occupe la première place -- 175 millions de dollars cette année et près d'un milliard de dollars de profit pour l'industrie.

La diapositive suivante vous montre ce qui arriverait à cette marge de profit si l'industrie du tabac devait absorber ce coût. Elle continuerait à faire de l'argent, cela ne changerait pas grand-chose, cette somme d'argent étant négligeable pour l'industrie du tabac tout comme pour les comptes nationaux.

Les diapositives suivantes montrent les recettes actuelles provenant du tabac. Vous remarquerez qu'elles ont considérablement diminué depuis la réduction des taxes en 1994. La diapositive suivante indique dans quelle mesure ce prélèvement pourrait influer sur la situation financière. Ce n'est pas un changement très important. Autrement dit, les ouvriers et les actionnaires ne seront pas touchés; les gens qui, par contre, seront touchés sont les jeunes qui bénéficieront de meilleurs programmes d'éducation en matière de santé et de meilleures recherches dans ce domaine, sans être bombardés de publicité sur le tabac.

Il y a deux semaines, un gouvernement provincial m'a demandé d'accompagner en Californie une délégation chargée d'une mission d'information. Ne laissez personne vous dire aujourd'hui que le modèle californien, très semblable au projet de loi S-13, ne marche pas. Pendant quelques jours j'ai parlé à plusieurs Californiens et d'après eux, ce système fonctionne très bien. Il a permis de diminuer l'usage général du tabac chez les adultes de 20 p. 100. Il a bloqué l'usage du tabac chez les jeunes, alors que rien d'autre n'a pu le faire. Il a modifié les attitudes du public au sujet du tabagisme. Grâce à ce système, les enfants sont à l'abri de la fumée chez eux et les travailleurs sont presque tous protégés de l'usage du tabac.

Il n'y a pas au Canada de possibilité de vote direct qui permettrait d'adopter un financement du genre semblable à celui de la proposition 99. Il y a par contre le Sénat et nous comptons sur vous à cet égard.

M. Gar Mahood, directeur général, Association pour les droits des non-fumeurs: Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de participer à ces audiences sur le projet de loi S-13 qui constitue une très importante initiative de santé publique. Avant de vous présenter mes commentaires, j'aimerais vous fournir quelques renseignements sur l'engagement que notre association manifeste depuis des années quant à l'élaboration des politiques canadiennes en matière de tabac.

L'Association pour les droits des non-fumeurs est un organisme de santé nationale, à but non lucratif, qui travaille à l'échelle internationale dans le domaine du contrôle du tabac. Notre organisme s'est retrouvé au premier rang des campagnes qui ont appuyé l'adoption de la Loi réglementant les produits du tabac et de la Loi sur le tabac. Les recherches effectuées grâce à notre Fondation de la lutte contre le tabac ont également joué un rôle majeur pour harmoniser les taxes canadiennes sur le tabac à celles en vigueur dans les autres pays. Ces hausses de taxes ont été le principal facteur à l'origine du recul du tabagisme au Canada au cours de la décennie avant 1991.

Vous ne le savez peut-être pas, mais les mises en garde qui apparaissent sur les paquets de cigarettes au Canada ont été créées dans nos bureaux et je crois que notre association a contribué à faire en sorte que le gouvernement les adopte, ce qui est d'ailleurs important, puisque ces mises en garde ont été reprises par d'autres pays.

Des membres de notre personnel ont travaillé comme consultants pour l'Organisation mondiale de la santé, la Banque mondiale, l'Organisation panaméricaine de la santé et personnellement, j'ai été consultant pour la campagne d'éducation en matière de santé du Massachusetts, dont il va être question aujourd'hui.

J'aimerais personnellement féliciter le sénateur Kenny d'avoir pris cette initiative. Ce projet de loi est l'une des plus intelligentes initiatives de santé publique que ce pays n'ait jamais vues. Aucun législateur canadien ne s'est engagé plus fortement que le sénateur Kenny pour diminuer la consommation du tabac.

On m'a demandé de faire des observations sur certaines initiatives internationales en matière de lutte contre le tabagisme.

Pour commencer, l'Organisation mondiale de la santé estime que le tabac tuera 500 millions de gens actuellement en vie sur la planète, tandis que Santé Canada estime qu'au moins trois millions de Canadiens seront victimes de décès prématuré, du fait que les organismes de santé, les gouvernements et les médias ne se sont pas attaqués assez agressivement aux fabricants de tabac. Les organismes de santé et les législateurs n'ont pas su confronter les sociétés de tabac dans les années 60 et 70 et cet échec a entraîné tous les décès dus au tabac que nous connaissons aujourd'hui.

Malgré tout, des changements se profilent à l'horizon. La Communauté européenne s'apprête aujourd'hui à prendre une décision sur une proposition d'interdire toute forme de publicité pour les marques de tabac, de même que toute commandite liée au tabac. La France, la Belgique et d'autres pays ont déjà mis en place une telle interdiction.

Aux États-Unis, le Congrès, les médias et l'opinion publique ont changé leur fusil d'épaule face aux fabricants de tabac. Le raz de marée a commencé avec la fuite, au Congrès et auprès du public, de milliers de pages provenant des documents de l'industrie du tabac. Avec les dizaines de milliers de pages supplémentaires qui ont fait surface au cours du processus de communication avant audience, ces documents ont révélé l'existence d'une conspiration massive, étalée sur des dizaines d'années, par une industrie désireuse de camoufler les risques liés à l'usage du tabac. Les dirigeants des sociétés de tabac aux États-Unis ont eu à témoigner sous serment devant le Congrès. Au Canada, cependant, aucun organisme législatif ne s'est jusqu'à maintenant assez soucié des jeunes pour forcer les dirigeants de l'industrie d'ici à témoigner sous serment.

Quels sont les effets de cette nouvelle information aux États-Unis? Une enquête criminelle du ministère fédéral de la Justice porte actuellement sur les parjures et les fraudes de l'industrie du tabac. Au moins cinq jurys d'accusation enquêtent également sur les activités criminelles de l'industrie et un ou deux ont déjà déposé leur rapport. La Food and Drug Administration des États-Unis a rendu un verdict historique, comme quoi la cigarette est un dispositif administrant une drogue et désormais, le tabac sera traité comme une drogue.

Par ailleurs, 41 États ont poursuivi l'industrie afin de recouvrer les coûts du système Medicaid. Ces poursuites sont fondées sur des accusations de parjure, de fraude, de conspiration et de racket. Quatre États ont opté pour des règlements hors cours de plusieurs milliards de dollars. Le règlement conclu la semaine dernière au Minnesota se chiffrait à près de 10 milliards de dollars canadiens. Un règlement équivalent pour une province de la taille de l'Ontario rapporterait plus d'un milliard de dollars canadiens par année pendant 25 ans, payés par des sociétés canadiennes.

Les sociétés canadiennes ont maintes fois nié qu'elles avaient eu ce genre de comportement, tout comme leurs homologues américains l'avaient nié avant elles, à de nombreuses reprises. Il est temps de les dénoncer. Si on le compare aux États-Unis, le Canada est maintenant très en retard.

Or, le Canada n'a pas toujours accusé un tel retard.

Avant la baisse de nos taxes sur le tabac, la consommation canadienne de tabac déclinait d'une façon inégalée par quelque autre pays que ce soit. Le leadership dont nous avons fait preuve par le passé en matière de politique et de législation fiscales a influé sur de nombreux pays. Le système canadien de mise en garde, par exemple, a été adopté par plusieurs pays.

Le principal facteur des changements sociaux liés au tabac aux États-Unis, c'est la vérité, la vérité sur les comportements de l'industrie dont, entre autres, la suppression de renseignements quant aux risques pour la santé, la manipulation du taux de nicotine et le marketing agressif ciblé sur les jeunes.

Il existe de fortes indications que presque tous les comportements des sociétés qui ont entraîné des changements aux États-Unis ont également été adoptés par les fabricants de tabac canadiens. Pourtant, les agissements de ces derniers n'ont jamais vraiment été examinés. Voilà pourquoi plus de 30 organismes de santé canadiens ont réclamé il y a un mois la création d'une commission royale d'enquête sur l'industrie.

Quelles sont les solutions? Les organismes de santé savent comment régler la situation et connaissent le plan exhaustif proposé pour la lutte contre le tabagisme. Le seul problème, c'est que jusqu'à présent, aucun gouvernement ne s'est suffisamment soucié des jeunes pour passer aux actes. Il nous faut changer l'environnement où les jeunes prennent la décision de fumer et où les gouvernements adoptent leurs politiques relatives au tabac, afin de juguler cette épidémie.

En ce moment, les jeunes sont bombardés de messages contradictoires qui sapent les messages de santé que leur donnent leurs parents, les enseignants et les éducateurs en matière de santé. Les jeunes se font dire que le tabac crée une accoutumance et le voient en vente à côté des bonbons dans tous les magasins. Les jeunes se font dire que le tabac est mortel et découvrent qu'il est vendu dans des paquets attrayants par des professionnels de la santé dans un grand nombre de pharmacies au Canada. Les jeunes se font dire que les gouvernements ne veulent pas qu'ils fument, puis ils voient des champions de course et des vedettes rocks qui vendent du tabac par le biais de commandites et d'annonces sur les autobus, dans tout le pays.

Des études ont révélé que les jeunes voient les annonces de commandite comme des annonces de tabac avant tout. Pour nombre d'entre-eux, le fait que ces annonces portent sur des événements sportifs ou autres demeure secondaire. Il est curieux que les jeunes le comprennent même si les adultes prétendent que ce n'est pas le cas.

Une partie de la solution consiste à mettre fin aux commandites de tabac et aux annonces qui en font état. Le projet de loi S-13 est une réponse intelligente au problème.

Premièrement, le projet de loi S-13 met les fabricants au pied du mur pour ce qui est d'un de leurs plus grands mensonges, comme quoi ils ne seraient pas intéressés au marché des enfants et des adolescents.

Le projet de loi S-13 crée un fonds qui aidera les groupes subventionnés par l'industrie à se rabattre sur des commandites sans tabac. Non seulement est-ce nécessaire, mais c'est aussi politiquement intelligent. Presque tous les intervenants de la santé du pays sont en faveur d'un tel fonds, tout simplement parce que cela supprimera la volatilité politique du système. Bien sûr, le problème de commandite représente un obstacle à toute politique en matière de santé.

Le projet de loi S-13 créerait un fonds de santé qui aurait de véritables chances de diminuer la consommation du tabac. Vous n'avez pas fini d'entendre parler des campagnes primées et sans précédent de la Californie et du Massachusetts. Le sénateur Kenny a déjà indiqué que le Massachusetts dépense 8 $ par habitant par année, tandis que la Californie en dépense 4 $. L'année dernière, Santé Canada a dépensé 33 sous par habitant pour la lutte contre le tabagisme.

J'ai parlé plus tôt de la nécessité d'éliminer les messages contradictoires que nous donnons à nos jeunes quant à l'industrie du tabac et à ses produits. Un élément essentiel de cette stratégie consiste à dénormaliser l'industrie du tabac, ce qui nécessite une distinction entre les produits de l'industrie du tabac et les autres produits sur le marché. Dénormaliser l'industrie, c'est aussi séparer celle-ci des autres entreprises légitimes.

Des campagnes de dénormalisation de l'industrie sont maintenant menées aux États-Unis, à la radio, à la télévision et dans les journaux. Ces campagnes révèlent aux jeunes la vérité sur les mensonges de l'industrie, sur le marketing agressif des sociétés et sur la diffusion de fausses données quant aux risques liés au tabac.

La dénormalisation de l'industrie est essentielle, parce qu'elle encourage les jeunes à se rebeller contre elle et non pas contre leurs parents ou leurs enseignants. D'après les responsables et les directeurs de publicité de Californie et du Massachusetts que j'ai rencontrés, il s'agit du plus important volet de cette campagne.

Tout aussi important, le fait de dire la vérité sur l'industrie du tabac crée un climat politique permettant l'implantation de stratégies de lutte contre le tabagisme.

Je vous ai apporté quelques exemples -- de deux minutes -- de ces annonces primées que je propose de vous montrer -- si cela vous intéresse -- à la fin de mon exposé.

Le président: Quand allez-vous conclure, monsieur Mahood? Le sénateur Kenny, moi-même et d'autres nous sommes efforcés d'éviter le plus possible tout problème d'horaire. Nous avons quatre témoins et vous disposez d'une heure pour vos exposés et vos questions. Nous n'avons pas encore entendu M. Stewart. Une douzaine de sénateurs sont présents dans cette pièce et n'ont pas l'habitude de rester inactifs. Ces séances donnent les meilleurs résultats lorsqu'il est possible de poser des questions, de recevoir des réponses et d'instaurer un dialogue entre sénateurs et témoins. Sans vouloir vous viser nécessairement monsieur Mahood, mais pour la gouverne de ceux qui vont suivre, je dois dire que nous devons respecter l'horaire. Je me suis engagé à ce que ce comité quitte cette pièce à 11 h 30, soit dans 20 minutes exactement. Si vous voulez passer à une présentation audio-visuelle de deux minutes, nous pouvons le faire. Nous entendrons alors M. Stewart, ce qui probablement nous laissera quelques minutes pour les questions.

M. Mahood: Monsieur le sénateur, je vais respecter l'horaire.

Le président: Allez-y, concluez.

M. Mahood: J'ai prévu que mon exposé ne prendrait pas beaucoup plus que 10 minutes et 30 secondes.

Je vais conclure en disant que le projet de loi S-13, excellent projet de loi, combiné à une commission royale et à une réglementation solide en vertu de la Loi sur le tabac, permettrait, à notre avis, de véritablement diminuer l'usage du tabac chez les jeunes au Canada. Nous félicitons le Sénat d'avoir poussé le projet de loi S-13 jusqu'ici et nous en encourageons l'adoption.

(Présentation vidéo)

M. Ron Stewart, président, Conseil canadien pour le contrôle du tabac: Merci de nous avoir invités aujourd'hui. Pour commencer, je désire me présenter un peu plus, je suis tout d'abord médecin, mais dans le passé, j'ai été législateur et ministre et actuellement, je suis bénévole au sein d'une organisation nationale.

[Français]

Je me présente aujourd'hui à titre de président du Conseil canadien pour le contrôle du tabac, anciennement appelé le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé, afin d'exprimer mes opinions au sujet de la question à l'étude.

L'organisme que je représente participe à la lutte contre le tabagisme depuis presque un quart de siècle. Qu'il s'agisse de questions liées au renoncement ou encore à la protection ou à la prévention, le conseil a été pendant tout ce temps à l'avant-garde de toutes les campagnes importantes de contrôle du tabac au Canada et il continue à jouer un rôle important dans la lutte contre la principale cause évitable de décès et de maladies dans notre pays.

[Traduction]

Le conseil poursuit ses efforts au moyen d'une collaboration efficace avec les principaux organismes du secteur de la santé au Canada, ainsi qu'avec les spécialistes du domaine de la lutte contre le tabagisme, en plus de conseils qui lui sont associés dans chaque province et territoire du Canada. Le conseil administre également ce qui, à mon avis, représente le bijou de notre couronne, le Centre national de documentation sur le tabac et la santé, principale source de matériel traitant des questions liées au tabac et à la santé au Canada. Cette organisation jouit d'une réputation internationale.

Mes collègues vous ont parlé des efforts valeureux du sénateur Kenny et du sénateur Nolin qui nous rassemblent ici aujourd'hui. Le Conseil canadien pour le contrôle du tabac veut d'abord déclarer sans équivoque qu'il appuie le projet de loi S-13.

[Français]

Encore une fois, le conseil veut d'abord faire enregistrer son appui inconditionnel au projet de loi S-13. Le conseil insiste sur le fait que son appui est d'autant plus ferme devant le fait que le projet de loi invite l'industrie à contribuer à un de ses propres objectifs. Combien de fois les représentants de l'industrie du tabac ont-ils déclaré comme tout le monde qu'ils ne veulent pas voir fumer les enfants et les adolescents?

Bien entendu, nous ne croyons pas l'industrie du tabac quand elle s'exprime ainsi, parce qu'elle a besoin de remplacer les fumeurs qui meurent à cause de l'usage de ses produits ainsi que ceux qui renoncent à fumer.

Le projet de loi offre donc à l'industrie l'occasion de prouver, en y consacrant son argent, qu'elle désire prévenir la dépendance des enfants du Canada vis-à-vis du tabac.

[Traduction]

Si nous comprenons bien, le projet de loi S-13 prévoit la mise sur pied d'une fondation, financée au moyen d'un prélèvement imposé aux fabricants de produits du tabac. Mes collègues vous ont parlé de l'importance d'un financement adéquat et c'est sur quoi je veux mettre l'accent aujourd'hui. Nous faisons bon accueil au projet de loi S-13, étant donné qu'il place le fardeau de la responsabilité sur les épaules de ceux qui alimentent systématiquement et sans vergogne cette crise très répandue qui se fait sentir depuis si longtemps à l'échelle mondiale dans le domaine de la santé. De plus, nous croyons parfaitement raisonnable et responsable de faire dépendre du financement accordé à la santé publique une crise d'une telle envergure dans le domaine de la santé publique, mais l'industrie qui est dans une large mesure à l'origine de cette crise, à cause de ses produits, doit être tenue responsable. Tout comme les autres intervenants, nous demandons la tenue d'une enquête publique sur l'industrie.

J'aimerais vous donner un exemple très clair de l'insuffisance du financement qui fait qu'il est impossible pour ceux qui défendent cette cause de progresser. Je dois en effet malheureusement vous annoncer cette semaine la fermeture du Centre national de documentation sur le tabac et la santé en raison d'un problème de financement.

Au meilleur de nos connaissances, nous pouvons dire que l'industrie canadienne du tabac consacre aujourd'hui au moins 120 millions de dollars à toutes sortes d'activités de promotion et 60 millions de dollars à des commandites directes. Comme l'a dit ma collègue Mme Callard, il suffit de comparer un billet de 10 $ à une pièce de 10 cents. Cela résume tout le problème.

Comme quelqu'un l'a déjà dit: Donnez-nous les outils et nous ferons le travail. Nous n'avons pas les outils nécessaires à notre disposition et nous vous prions instamment de nous les donner par l'entremise du projet de loi S-13; nous pourrons alors faire notre travail.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Gauvin, vous avez fait référence à 600 organismes québécois dont vous étiez le parapluie. Est-ce que dans ces organismes existent des groupes ayant comme principal objectif la réduction du tabagisme chez les jeunes au Québec?

M. Gauvin: Vous allez retrouver la liste de nos membres à l'annexe 1 du cahier. Oui, nous avons des groupes particulièrement reliés au Conseil québécois sur la tabac et la santé qui s'intéressent particulièrement à la question des jeunes et qui ont reçu des fonds de Santé Canada pour lancer au Québec des initiatives qui regroupent des jeunes, en particulier du niveau secondaire. Ce sont exactement ceux parmi lesquels on observe aujourd'hui les plus hauts taux de tabagisme enregistrés depuis des années chez les jeunes au Québec. Malgré les interventions du Conseil québécois sur le tabac auprès des jeunes, les activités d'éducation que cette institution a mises sur pied n'ont pas été suffisantes jusqu'à maintenant pour empêcher les jeunes d'augmenter les taux de tabagisme.

Le sénateur Nolin: C'est la principale raison qui fait en sorte que le tabagisme chez les jeunes continue à augmenter au Québec. On parle de 38 p. 100 de la population de 18 ans et moins au Québec. Dans la population féminine c'est encore plus grand.

M. Gauvin: Les prix sont très bas malgré les hausses modestes de taxes récentes. Ces acétates montrent comment cela peut être attrayant et séduisant, comment l'industrie du tabac peut se montrer attrayante et séduisante pour des jeunes qui s'identifient au courage, à la minceur, à la mode chez les jeunes filles ou à l'aventure ou aux sports extrêmes chez les jeunes. Les modestes fonds dont nous disposons n'arrivent pas à se mesurer aux fonds considérables de l'industrie du tabac et à ses techniques de marketing très séduisantes.

[Traduction]

Le sénateur Butts: J'aimerais poser une question à M. Mahood.

Vous dites qu'avant la baisse des taxes sur le tabac, la consommation canadienne de tabac déclinait d'une façon inégalée par quelque autre pays que ce soit et que, par suite de cette baisse de taxe, la contrebande de cigarettes a été sans précédent; vos chiffres sont-ils fiables?

M. Mahood: Il ne s'agit pas seulement de mes chiffres, mais des chiffres publiés par les intervenants de la santé au Canada.

Bien sûr, la consommation canadienne de tabac avait décliné d'une façon inégalée par quelque autre pays que ce soit et bien sûr, la contrebande a été importante. Toutefois, je ne pense pas que l'on puisse mettre en doute la performance des gouvernements canadiens qui ont décidé d'augmenter les taxes sur le tabac au cours de la décennie précédant la diminution de ces taxes.

Je ne connais personne qui mette en doute cette performance. En fait, le magazine britannique The Economist a publié, avant la baisse de nos taxes, un graphique indiquant le déclin extraordinaire de la consommation du tabac au Canada.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Monsieur Gauvin, le gouvernement du Québec doit déposer incessamment, avant le 15 mai, s'ils veulent le faire adopter d'ici la fin de la session, son projet antitabac. Est-ce que vous avez eu vent de son contenu?

M. Gauvin: Ma réponse s'inspire des journaux. Récemment encore, en fin de semaine, le journal Le Soleil de Québec donnait des information sur le contenu du projet de loi. Un fonds serait créé au Québec. Il contiendrait une interdiction de commandite. Les propositions du sénateur Kenny s'appliqueraient à tout le Canada. Elles viendraient certainement compléter utilement les initiatives possibles du Québec.

Le sénateur Lavoie-Roux: Selon les échos, il semblerait qu'à l'égard des jeunes, il soit beaucoup plus sévère que ne l'était le projet adopté au fédéral le printemps dernier.

M. Gauvin: Concernant la vente aux mineurs en particulier, il semble que les projets de loi se ressembleraient. Au Québec seulement, sept inspecteurs fédéraux font actuellement la visite des dépanneurs où on vend des cigarettes et c'est largement insuffisant. Aussitôt que les inspecteurs sont passés, les ventes reprennent. On observe parmi les six premières villes canadiennes qui vendent le plus aux jeunes que quatre sont du Québec. Le Québec doit absolument tenter de résoudre ce problème.

Le sénateur Lavoie-Roux: Du côté de l'éducation, on veut faire des efforts plus importants que ce que prévoyait le projet fédéral.

M. Gauvin: Oui, faire des investissements beaucoup plus considérables en termes de prévention et d'éducation.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie. Cela venait confirmer ce qu'on savait déjà mais en termes beaucoup plus précis.

[Traduction]

Le président: Merci, mesdames et messieurs les sénateurs et témoins pour cette introduction intéressante, stimulante et créative à nos audiences sur cet important projet de loi.

La séance est levée.


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