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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 12 - Témoignages pour la séance du 27 mai 1998


OTTAWA, le mercredi 27 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie auquel est renvoyé le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, se réunit aujourd'hui, à 15 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous en sommes à la troisième séance sur le projet de loi S-10 -- projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par notre collègue, le sénateur Di Nino -- qui aurait pour effet de supprimer la TPS des articles de lecture.

Nous recevons aujourd'hui des témoins de plusieurs organismes et commençons par les Performers for Literacy, organisme représenté par Sonja Smits, actrice et directrice, et par Leslie Milligan, responsable des projets spéciaux.

Madame Smits, je vous cède la parole.

Mme Sonja Smits, actrice, directrice, Performers for Literacy: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à représenter Performers for Literacy à propos d'un sujet qui me tient beaucoup à coeur. L'art que je pratique est axé sur les mots, qui sont le médium au moyen duquel je communique partout avec le public. Lire est et a toujours été pour moi un grand plaisir. Quand j'étais enfant, ma mère me faisait la lecture tous les soirs. C'était souvent le moment de la journée que je préférais. Cela m'ouvrait d'autres mondes, d'autres possibilités. Devenue actrice, j'ai maintenu cette tradition, je continue à raconter des histoires. L'alphabétisme est un élément fondamental de mon travail et de ma vie.

Notre société est en train de se transformer, et nous savons combien il est important de maîtriser la lecture et l'écriture pour réussir dans la vie. Mieux nos enfants peuvent acquérir cette capacité, mieux ils seront préparés pour leur avenir -- quelle que soit la forme qu'il prendra. Etant la première à intervenir ici ce soir et représentant une organisation nationale familiale de promotion de l'alphabétisme, je voudrais contribuer à préparer le terrain pour mieux faire comprendre pourquoi la société doit faire tout ce qu'elle peut pour valoriser et encourager la lecture.

L'analphabétisme constitue un gros problème au Canada. En 1995, l'OCDE et Statistique Canada ont constaté que, malgré l'universalité de l'accès à l'éducation, 42 p. 100 des Canadiennes et des Canadiens n'atteignent pas les normes minimales d'alphabétisme et que 34 p. 100 ne peuvent utiliser que des textes simples. Les gens qui ont un faible niveau d'alphabétisme ont trois fois plus de chances d'être chômeurs que les autres. Le coût de l'analphabétisme au Canada dépasse 11 milliards de dollars par an.

L'alphabétisme est encore plus important en période de changement technologique. Avec l'évolution rapide de l'actuelle société de l'information, ces Canadiennes et Canadiens risquent de plus en plus de devenir des chômeurs de longue durée parce que, vu la vitesse à laquelle les choses changent, les travailleurs doivent être extrêmement qualifiés et souples pour pouvoir s'adapter à l'apprentissage permanent qui est aujourd'hui la règle.

Fraser Mustard a signalé que:

Quand de profonds changements technologiques se produisent et qu'ils sont accompagnés de changements en ce qui concerne la création et la distribution de la richesse, les gens, surtout les jeunes, sont exposés à de multiples risques [...]

Ceci souligne:

[...] combien il est important de mieux comprendre comment permettre au secteur primaire de créer durablement de la richesse et de favoriser la synergie entre ce secteur et le secteur secondaire créateur de richesse. Dans le secteur secondaire, de nombreuses activités, comme certaines composantes de l'enseignement et des soins de santé et l'aide accordée aux enfants, sont des éléments clés de l'infrastructure de toutes les économies novatrices.

En outre, l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes de 1996 a signalé que:

[...] une population alphabétisée et instruite est indispensable pour qu'on puisse tirer profit du changement structurel et s'y adapter [...] L'alphabétisation a des conséquences directes sur la capacité des gens à préserver un avantage économique dans le contexte d'une concurrence intense.

L'alphabétisme ne contribue pas seulement à la réussite ou à l'échec sur le marché du travail, il constitue aussi la base du tissu social et culturel d'un pays, parce qu'il aide les gens à participer activement à la vie de la société.

L'alphabétisme est, par exemple, important pour la santé, parce que les adultes faiblement alphabétisés ont bien du mal à utiliser le système de soins de santé. De façon générale, les gens alphabétisés sont plus indépendants et jouissent d'une meilleure qualité de vie que ceux qui lisent avec difficulté.

Comme Robert Putnam, de l'Université Harvard, l'a constaté dans une étude récente, il existe une forte corrélation positive entre la lecture quotidienne et l'harmonie sociale ainsi que le sentiment d'appartenance à la collectivité.

Les programmes d'aide aux adultes sont nécessaires, mais un problème encore plus important est celui de savoir comment transformer les perspectives des prochaines générations de Canadiennes et de Canadiens et prévenir l'analphabétisme. L'éducation n'est pas, à elle seule, une solution suffisante. Il y a des liens évidents entre le niveau d'éducation et le degré d'alphabétisme, mais l'éducation ne garantit pas la conservation de l'aptitude à la lecture pendant la vie entière. La culture canadienne doit donc assurer la promotion de l'alphabétisme.

Comme l'a signalé The Ottawa Citizen, c'est une véritable culture de l'alphabétisme qui explique en partie le taux d'alphabétisme élevé en Suède. L'alphabétisme et l'analphabétisme sont tous deux cycliques. Des études ont permis de constater que l'acquisition, le maintien et l'amélioration de l'aptitude à la lecture sont étroitement liés à la pratique de celle-ci.

Comment acquiert-on les habilités nécessaires? Plus que tout autre milieu, c'est la famille qui peut contribuer à briser le cycle de l'analphabétisme. Les études réalisées révèlent clairement que les enfants qui risquent le plus d'avoir un faible niveau d'alphabétisme sont ceux qui ne reçoivent pas le soutien et la stimulation nécessaires pendant leur enfance, en particulier pendant les années qui précèdent leur scolarisation. Ce qui se passe pendant les premières années de la vie d'un enfant influence pendant longtemps de nombreux aspects de son bien-être affectif, physique et cognitif. C'est ainsi que les enfants qui n'ont pas été préparés à l'apprentissage scolaire ont plus de chances de présenter des troubles du comportement à l'école et de connaître un échec scolaire, ce qui se traduit par un faible niveau de bien-être à l'âge adulte.

La participation des parents à l'apprentissage continue d'être un complément essentiel de l'école tout au long de la période pendant laquelle un enfant fréquente l'école primaire et au-delà de celle-ci. Les experts sont d'avis que lire des textes aux enfants est la plus importante contribution à la prévention de l'analphabétisme dans la prochaine génération. Quand un parent et un enfant lisent ensemble, cela n'aide pas seulement l'enfant à renforcer son aptitude à la lecture, mais répond également à son besoin d'intérêt pour son développement. Lire avec des enfants plus vieux stimule les habilités d'écoute et de compréhension, enrichit le vocabulaire, renforce la concentration et améliore la culture générale. Quand des adultes extérieurs à la famille et des personnes que les enfants admirent insistent sur l'importance du rôle que la lecture occupe dans leur vie, cela souligne la valeur de la lecture. Les enfants qui apprennent à apprécier et à aimer la lecture ont plus de chances de continuer à lire tout au long de leur vie. De petits changements du comportement peuvent avoir d'importantes répercussions à long terme.

Que peut donc faire le gouvernement pour encourager l'alphabétisme? L'OCDE signale qu'il y a des différences importantes de niveaux d'alphabétisation entre les pays et ceci donne à penser que la politique gouvernementale peut avoir une incidence sur le niveau d'alphabétisation. On sait que l'alphabétisme est important dans la vie quotidienne et la pratique quotidienne de la lecture, de l'écriture et du calcul l'entretient et le renforce. Ce que les Canadiennes et les Canadiens font au travail, à la maison et dans leur vie sociale influence de façon déterminante le niveau d'alphabétisme de la population. Et dans la plupart des cas, le lieu de travail offre beaucoup plus d'occasions de lecture que le milieu familial.

On sait également que la prévention de l'analphabétisme permet d'éviter les coûts économiques et individuels associés aux mesures de rattrapage. À mon avis, le diagnostic est clair et le traitement est simple. Les pouvoirs publics doivent faire tout leur possible pour encourager et promouvoir la lecture.

Un premier élément clé est le message que nous transmettons. N'y a-t-il pas une contradiction fondamentale quand on cherche à avoir une société instruite et prête pour le changement alors qu'on impose une taxe sur les moyens permettant d'atteindre ce but? On sait que l'imposition de taxes décourage la consommation. C'est la raison pour laquelle on taxe lourdement les choses comme les cigarettes et l'alcool. Quand une mère va acheter un livre pour son enfant dans un magasin, que va-t-elle penser en constatant que les taxes augmentent son prix de 7 p. 100? Quand un néo-Canadien constate que le Canada impose une taxe sur les livres, quelle conclusion va-t-il en tirer sur les valeurs qui ont cours dans notre société? Si la lecture est la clé de la participation pleine et entière à la vie de la société, comment pouvons-nous justifier une taxe qui, à toutes fins pratiques, décourage l'accès au moyen même d'acquérir les habilités requises?

On vous citera aujourd'hui beaucoup d'autres statistiques sur les conséquences que l'imposition d'une taxe sur la lecture a sur tous les secteurs de la société. J'espère toutefois que vous n'oublierez pas les plus jeunes citoyens de notre pays au moment de vos délibérations.

Pour conclure, je voudrais citer un poème de Strickland W. Gillilan qui résume de façon simple et éloquente ce dont je vous ai parlé aujourd'hui:

Même si vous avez des richesses immenses,

Et de l'or à foison, des bijoux, des parures,

Vous ne serez jamais aussi riche, je pense,

Que moi, car mes parents me faisaient la lecture.

Le sénateur Di Nino: Merci, madame Smits, d'être venue aujourd'hui. Je remercie également Mme Leslie Milligan que je connais depuis longtemps.

Hier, nous avons entendu Peter Gzowski et Roch Carrier qui nous ont parlé de la valeur symbolique -- et je crois que vous en avez fait mention dans votre exposé d'aujourd'hui -- de l'élimination de cette taxe. Pourriez-vous nous en parler davantage?

Mme Smits: J'ai donné en effet l'exemple du parent qui veut acheter un livre à son enfant. Si vous partez du principe que la lecture est, pour la société, une fonction essentielle, une fonction des plus fondamentale dont nous avons besoin pour prospérer ou pour survivre, il faudrait alors la traiter comme un élément essentiel et supprimer tous les obstacles.

Le sénateur Di Nino: Si je comprends bien, vous êtes bénévole au sein de cet organisme.

Mme Smits: Oui.

Le sénateur Di Nino: De toute évidence, si vous défendez cette cause, c'est parce que vous croyez que l'alphabétisme est important pour la société -- aux plans économique, social et autre. Pensez-vous vraiment que l'élimination de la TPS sur les articles de lecture favoriserait la cause de l'alphabétisme?

Mme Smits: Je ne suis pas trop au courant des aspects financiers, mais symboliquement, cela aurait certainement un impact. Je dirais plus directement que j'ai été choquée, lorsque la taxe a été imposée initialement. D'après moi, c'était quelque chose de terrible, parce que cela transmettait un message erroné au sujet de la valeur que nous attachons à l'alphabétisme.

Le sénateur Di Nino: Pensez-vous que si nous éliminons la taxe, plus de gens achèteront plus d'articles de lecture et liront donc davantage?

Mme Smits: Je crois que cela indiquerait que l'alphabétisme est quelque chose de très important. Bien sûr, nous avons besoin d'argent pour ceci, pour cela, pour diriger notre pays, mais l'alphabétisme est si important qu'il faut supprimer cette taxe, puisqu'il s'agit d'un besoin fondamental de la société auquel nous voulons répondre. Cela transmettrait un message très important au pays quant à la valeur de l'alphabétisme et de la lecture. Symboliquement, une telle mesure, à elle seule, est donc extrêmement importante.

Le sénateur Johnstone: Pourriez-vous nous expliquer davantage ce que vous entendez par le fait que l'alphabétisme et l'analphabétisme sont cycliques?

Mme Smits: Par exemple, si l'un de vos parents est analphabète et ne peut vous lire d'histoires à la maison, vous n'aurez pas autant de chances en matière de lecture, d'alphabétisme. Cela perpétue le cycle de l'analphabétisme.

J'ai eu la chance d'avoir un parent qui me lisait des histoires et qui m'a fait connaître les livres; or, si la société favorise la lecture et l'alphabétisme et en souligne l'importance et la valeur, cela me permettra à devenir alphabète.

C'est ce que je voulais dire par «cycliques».

Le sénateur Maheu: Pouvez-vous confirmer ce que d'autres témoins nous ont dit hier? Ils nous ont informé que les groupes de défense de l'alphabétisme ne paient pas de taxe sur les articles de lecture qu'ils achètent pour l'enseignement, les bibliothèques, les écoles.

Mme Leslie Milligan, responsable des projets spéciaux, Performers for Literacy: Je ne peux pas vous répondre, car les livres que nous recevons nous sont donnés par des éditeurs, ainsi que par nos commanditaires. Je ne pense pas que nous ayons jamais eu à acheter de livres.

Le sénateur Maheu: Que signifierait la suppression de la taxe dans ce cas particulier pour un groupe comme le vôtre?

Mme Milligan: Cela serait très important pour nos clients, pas pour nous -- nos clients étant les enfants avec lesquels nous travaillons. Nous intervenons auprès d'enfants de tout le pays qui viennent de divers genres de foyers -- des foyers monoparentaux, des foyers qui dépendent du bien-être et des foyers où les deux parents travaillent et affectent la plupart de leur revenu à la garde des enfants. La situation de tous n'en serait que plus avantageuse si les parents pouvaient acheter un livre sans payer une taxe de 7 p. 100 et si au moins quelques-uns de ces parents achetaient quelques livres pour ces enfants nécessiteux.

Le sénateur Maheu: Comment définissez-vous les articles de lecture? Y incluez-vous les magazines qui dépendent strictement de la publicité? Y incluez-vous les CD-Rom utilisés sur l'autoroute électronique?

Mme Milligan: L'organisme Performers for Literacy s'occupe des enfants. Certains magazines d'enfants qui sont publiés seraient inclus, mais nous parlons essentiellement des livres pour enfants. Nous incluons tout ce qui est susceptible d'encourager les enfants à lire.

Le sénateur Maheu: Vous êtes-vous demandé si les CD-Rom devaient être non imposés?

Mme Milligan: C'est le genre de chose que nous planifions pour l'avenir, mais il est difficile de trouver le financement nécessaire. Il faudrait d'abord acheter des ordinateurs.

Mme Smits: Notre organisme n'est pas encore assez riche pour le faire.

Le sénateur Maheu: Beaucoup d'ordinateurs sont donnés. Nous allons nous pencher sur la question.

Le sénateur LeBreton: Lorsque Peter Gzowski est venu témoigner hier, il a donné l'image d'une pyramide dont la base -- qui est large -- représente les familles à faible revenu, c'est-à-dire les familles à revenu fixe. C'est là que l'on retrouve les taux les plus élevés d'analphabétisme. Les enfants dont vous vous occupez appartiennent-ils davantage à ces tranches de faible revenu?

Mme Milligan: Théoriquement, oui. Toutefois, nous intervenons auprès des enfants qui viennent nous voir.

Le sénateur LeBreton: Appartiennent-ils la plupart à des familles à faible revenu?

Mme Milligan: Les enfants proviennent de toutes les catégories de revenu.

Mme Smits: Je suis étonnée par le nombre de personnes qui ne lisent pas d'histoires à leurs enfants à la maison. Cela n'a rien à voir avec les taxes.

Le sénateur LeBreton: C'est aussi un fait de société, car les gens sont trop occupés. Ils essayent de survivre et n'ont tout simplement pas le temps.

Mme Smits: Je crois que vous avez raison.

Mme Milligan: M. Fraser Mustard est l'un des plus grands spécialistes du développement des jeunes enfants en Amérique du Nord. Il a fait des recherches approfondies dans certains des vieux quartiers pauvres de New-York. D'après ses recherches, si vous n'arrivez pas à intéresser les enfants à la lecture, à l'écriture et à l'apprentissage avant l'âge de 12 ans, c'est quasiment trop tard.

Le sénateur LeBreton: Êtes-vous en train de nous dire que ces études ont été faites essentiellement aux États-Unis?

Mme Milligan: Non. M. Mustard est canadien, mais son associé est probablement américain. Il s'agit des centres qui produisent toujours les meilleurs travaux de recherche. En ce qui concerne l'apprentissage, il n'y a pas beaucoup de différence entre un enfant américain et un enfant canadien. Cela nous prouve que notre intervention auprès des enfants d'âge préscolaire est essentielle et que nous avons nécessairement besoin de livres pour faire ce travail.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites que les enfants doivent lire dès leur tout jeune âge et que les familles doivent acheter des livres. Vous avez parlé aussi des bibliothèques d'écoles. Votre préoccupation et celle des autres témoins que j'ai entendus concerne les enfants, les écoles, les étudiants en général. Cette suppression de la TPS est bienvenue pour les articles de lecture pédagogique. Pour les autres articles de lecture comme les revues pornographiques, de violence et autres que les enfants peuvent se procurer, je pense qu'il serait peut-être souhaitable que la TPS soit maintenue. Pour les articles de lecture pédagogique pour l'instruction des enfants, qu'elle soit supprimée. C'est toujours quelque chose qui va freiner la curiosité des adolescents, des enfants. Croyez-vous qu'il serait souhaitable que l'on enlève la TPS sur les articles pédagogiques pour les jeunes et non sur les autres articles de lecture de loisir?

[Traduction]

Mme Milligan: Les articles de lecture pédagogique sont trop limités. Dans notre organisme, nous nous servons essentiellement de livres pour enfants. Je ne peux parler que de notre expérience.

Mme Smits: Je ne peux pas parler de la performance de l'alphabétisé. En tant que parent, le débat dans les écoles porte sur ce que lisent les enfants. Par exemple, il y a eu toute une controverse au sujet de la collection Frisson -- il s'agit d'histoires d'horreur. On a soutenu que les enfants aimaient ces livres et qu'ils les lisaient. En fait, les enfants qui normalement ne lisent pas, lisent ces livres. Le concept de littérature ou de situation d'apprentissage varie d'une personne à l'autre. Il est à mon avis assez difficile de faire la distinction entre divers articles de lecture.

Le président: Nous devons maintenant conclure et je vous remercie, madame Smits et madame Milligan.

Honorables sénateurs, après avoir entendu les témoins d'aujourd'hui, j'avais espéré passer à l'étude article par article de ce projet de loi. Cela ne sera pas possible, car le gouvernement a maintenant indiqué qu'il aimerait que le secrétaire parlementaire du ministre des Finances, M. Tony Valeri, puisse venir témoigner devant notre comité. Comme vous le savez, nous avons déjà reçu des fonctionnaires du ministère des Finances, mais j'imagine que M. Valeri se propose, au nom du gouvernement, de nous parler des répercussions politiques générales de ce projet de loi.

Le mieux que nous puissions faire, c'est de prévoir sa comparution un mardi matin à 10 heures et j'ai prévu en théorie une demi-heure à cet effet. Nous pourrions ensuite poser des questions et entendre le sénateur Di Nino comme dernier témoin, puisque, en tant que parrain du projet de loi, il en a le droit. Puis, si vous le désirez, nous pourrions passer à l'étude du projet de loi article par article. Cela se fera mardi matin à 10 heures.

Il y a un autre point. Le comité directeur est composé pour l'instant de votre président et du sénateur Stollery. Il nous faut un troisième membre du Parti libéral pour compléter le comité. On me dit que les libéraux au sein du comité et le bureau du whip du gouvernement ont proposé le nom du sénateur Maheu. Êtes-vous d'accord?

Des voix: Oui.

[Français]

Le président: Notre prochain témoin est le représentant de la Fédération canadienne des étudiants et étudiantes, M. Jocelyn Charron, coordonnateur des relations avec le gouvernement.

[Traduction]

Nous allons également entendre M. Larry Wong, directeur de la librairie de l'Université de la Saskatchewan, ainsi que Mme Sheryl McKean, de la Canadian Booksellers Association, qui n'en est pas à sa première présence ici puisqu'elle était parmi nous, hier.

[Français]

M. Jocelyn Charron, coordonnateur des relations avec le gouvernement, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants: Je vais faire ma présentation en français et par la suite, je pourrai répondre aux questions en français ou en anglais selon votre bon plaisir.

Je vous remercie de nous avoir invité à ce comité pour faire une présentation et je vous remercie aussi d'avoir invité les libraires qui oeuvrent sur les campus. Ils ont des choses importantes à vous dire.

Comme vous le savez, les étudiants du postsecondaire achètent leurs propres manuels scolaires ce qui occasionne très souvent de grandes dépenses.

Les étudiants du niveau postsecondaire ont été gravement touchés par l'introduction de la TPS. Comme vous le savez la TPS a été la première taxe sur les livres dans toute l'histoire du Canada. Il n'y avait presque pas de taxes de vente cachées incorporées au prix des manuels scolaires parce que les livres étaient exemptés de cette taxe de fabrication à chaque étape de la production. Aussi, les étudiants ont donc subi une augmentation des prix de 7 p. 100.

Comme vous le savez également, le gouvernement a porté à 100 p. 100 la remise de TPS aux établissements admissibles du secteur public sur les achats de livres et de certains périodiques. C'est bien utile pour les élèves des cycles élémentaire et secondaire, et, indirectement, cette mesure aide les étudiants du niveau postsecondaire en aidant les bibliothèques. Or, les conséquences de cette remise sont grandement diminuées par des années de réduction budgétaires imposées par les établissements et les augmentations du nombre d'étudiants inscrits. Or, même avec une remise augmentée, la plupart des bibliothèques universitaires et collégiales seront plus mal en point l'année prochaine que cette année.

Vous avez entendu le ministre des Finances annoncer que le gouvernement a augmenté le crédit d'impôt à l'éducation, qu'il a amélioré les règles visant les régimes enregistrés d'épargne-éducation et lancé la Fondation pour les bourses du millénaire. Malheureusement, les crédits d'impôt sur le revenu ainsi que les régimes enregistrés d'épargne-éducation sont utiles surtout aux étudiants qui sont entretenus par un parent ou un conjoint ayant des revenus imposables importants.

Quand à la Fondation pour les bourses du millénaire, nous avons de sérieuses réserves à son endroit et vous les trouverez dans le mémoire que nous avons présenté au comité permanent des finances de la Chambre des Communes. Pour les besoins de notre présentation ici, nous nous contenterons de dire que la fondation offrira certainement un soutien qui bénéficiera à de nombreux étudiants, surtout si les bourses sont octroyées en fonction des besoins et non sur la base du mérite scolaire. Il faut se rappeler que la fondation a été créée dans le contexte d'une réduction du financement direct des établissements, de la déréglementation des frais de scolarité qui a déjà eu pour effet d'augmenter les frais de scolarité jusqu'à 20 000 $ pour certains programmes. Pour obtenir désormais un diplôme, il faut souvent avoir le soutien d'un membre de la famille doté d'un très confortable revenu ou bien de s'endetter pour des années.

Je vous dis tout cela parce qu'il y a un contexte dans lequel évidemment la taxe sur les manuels scolaires a été mise en place. Ce contexte explique un peu les difficultés que les étudiants et les étudiantes ont lorsque vient le temps de s'acheter des manuels scolaires. Les bourses du millénaire ne remédient pas aux effets néfastes de la TPS imposée aux livres. Les nouveaux fonds représentés par les bourses du millénaires seront complètement absorbés par l'augmentation des frais de scolarité et l'augmentation de l'endettement étudiant suite aux compressions précédentes du gouvernement, tant au niveau fédéral et provinciaux. Dans ce contexte, la TPS sur les manuels scolaires fait doublement mal: en ajoutant des frais additionnels à l'éducation, elle pénalise les étudiants et en réduisant le nombre de manuels que ceux-ci peuvent se permettre d'acheter, elle abaisse la qualité de l'instruction que les étudiants s'efforcent d'obtenir.

Mon collègue, Larry Wong, directeur de la bibliothèque de l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon, peut vous dire que la TPS affecte les achats des étudiants et que les étudiants devront se passer d'un ou de plusieurs des manuels exigés à cause de la TPS. Lorsqu'un étudiant dépense des centaines de dollars pour des manuels à chaque trimestre, la TPS à elle seule peut représenter le prix d'un ou plusieurs livres. Cette mauvaise taxe empêche les étudiants de s'acheter des ouvrages nécessaires. Il y a pire. Cette taxe va à l'encontre du but recherché et coûtera cher à notre pays à l'avenir. Votre collègue parlementaire, Mme Marleau, la ministre de la Coopération internationale dira que si la TPS doit être imputée aux documents de lecture, comment pouvons-nous nous attendre à ce qu'une autre génération de personnes soit plus éduquée et qu'elle puisse faire concurrence dans le monde?

On nous a aussi dit qu'il était question que le projet de loi S-10 soit amendé afin d'y inclure une référence au matériel didactique qu'utilise les étudiants et les étudiantes ayant des déficiences. Nous approuvons en principe cette idée et nos membres souhaitent que les sénateurs aillent de l'avant.

Enfin, j'aimerais dire un mot à l'appui des groupes d'alphabétisation qui se sont présentés ici. Ils vous ont dit qu'ils voient dans ce projet de loi une étape importante dans l'amélioration de la littérature au Canada. Il me semble que ce sont des experts dans ce domaine et non le ministre des Finances. Je vous engage vivement à les écouter et vous remercie encore de nous avoir reçu aujourd'hui.

[Traduction]

M. Larry Wong, directeur, librairie de l'Université de la Saskatchewan: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous. Notre librairie appartient à l'Université de la Saskatchewan, qui en assure également l'exploitation. Je suis donc un employé de cette université. L'établissement accueille environ 15 000 étudiants à temps plein et 8 000 étudiants à temps partiel qui suivent au moins un cours. Gailmarie Anderson et Sheryl McKean, de la Canadian Booksellers Association, vous ont présenté, hier, notre position formelle. J'aimerais, pour compléter cet exposé, vous faire part de ma propre expérience concernant la taxation des livres. Par «livres», j'entends les manuels, soit les livres d'intérêt général, et les ouvrages savants.

Nos principaux clients sont les étudiants. Nous considérons les membres du corps enseignant comme des collègues, des associés. Ils donnent des cours, et nous leur fournissons les outils dont ils ont besoin pour enseigner leur matière. Au cours du dernier exercice financier, les ventes de manuels scolaires ont atteint plus de 376 460.40 $. Selon toute probabilité, 99 p. 100 de nos ventes se font auprès des étudiants, les non-étudiants étant peu susceptibles d'acheter de tels articles. Ces 376 000 $ viennent donc directement de la poche des étudiants. La vente de livres d'intérêt général et d'ouvrages savants a, quant à elle, rapporté 70 000 $. L'année dernière, la vente de livres usagés a totalisé 564 000 $. Toutefois, en raison des modalités d'inscription aux fins de la TPS, nous ne pouvons pas percevoir de taxe sur les livres usagés.

À l'heure actuelle, la province de la Saskatchewan ne perçoit aucune TVP sur les livres, peu importe la catégorie à laquelle ils appartiennent. Le gouvernement a essayé d'imposer une telle taxe il y a quelques années, mais il a dû mettre fin à l'expérience au bout de trois mois en raison de la réaction négative du public. En effet, au cours de cette période, les libraires de la Saskatchewan ont vu leurs ventes baisser de 8 à 10 p. 100. Le public a protesté et la taxe a été supprimée. Les ventes ont repris à partir de ce moment-là. Je pense qu'il y a une leçon à tirer de cette expérience.

Comme l'a indiqué la Canadian Booksellers Association dans son mémoire, la vente de manuels scolaires a accusé une baisse au fil des ans. Je parle ici de ventes à l'unité. Par exemple, sur une classe de 100 étudiants, 70 p. 100 seulement vont acheter le manuel. Le 30 p. 100 qui reste va partager une copie avec d'autres, faire des photocopies illégales ou se débrouiller sans livre parce qu'il ne peut se permettre de l'acheter. Il s'agit là d'un problème sérieux.

Les étudiants qui ont besoin d'une aide financière pour payer leur loyer et acheter de la nourriture peuvent obtenir un prêt sans intérêt de l'université. Nous appelons cela un prêt d'urgence. Or, ces types de prêts ne cessent d'augmenter d'une année à l'autre. À notre avis, l'élimination de la TPS aidera ces étudiants à acheter, à tout le moins, les manuels dont ils ont besoin.

Nous avons constaté que les étudiants de première année n'achètent pas leurs manuels en septembre, quand ils devraient le faire, mais en décembre, car c'est à ce moment-là qu'ont lieu les examens.

Certains cours se donnent de septembre à avril. Or, d'après la politique en vigueur à la librairie, les étudiants ne peuvent, en avril, retourner les livres qu'ils ont achetés. En effet, nous voulons les empêcher d'acheter un livre, de le lire, de l'étudier et ensuite de le retourner dans un délai de sept jours. Nous vendons de nombreux livres en avril. Nous demandons aux étudiants pourquoi ils les achètent à ce moment-là alors qu'ils auraient dû le faire en septembre. Ils nous répondent qu'ils en ont besoin pour l'examen, qu'ils ont enfin réussi à économiser l'argent nécessaire pour l'acheter. Ils vont nous le revendre, probablement tout de suite après l'examen, à 50 p. 100 du prix original, mais ils en ont besoin.

Il y a des étudiants qui ne peuvent se permettre d'acheter le manuel même en avril. Ils vont venir l'étudier sur place pendant quelques jours, debout dans l'allée. C'est pour cette raison que nous n'avons pas de fauteuils. L'élimination de la taxe de 7 p. 100 permettra sans aucun doute à certains étudiants d'acheter les livres dont ils ont besoin.

Nous avons un système qui est sacré, mais que nous sommes en train de détruire petit à petit. Bientôt, il ne restera plus rien. L'élimination de la taxe de 7 p. 100 aidera le système à survivre, et à nos étudiants de s'instruire en achetant des manuels.

Pour terminer, je vous dis ceci: supprimez la TPS sur les livres.

J'aimerais poser une question aux membres du comité. Il y a un parlementaire qui aurait dit que la nourriture n'est pas assujettie à la TPS parce qu'il s'agit d'une chose essentielle à la vie. Or, les livres le sont aussi. Les jeunes en ont besoin pour développer leur esprit.

Je me demande quand ce parlementaire va joindre le geste à la parole.

Mme Sheryl McKean, directrice exécutive, Canadian Booksellers' Association: Je désire brièvement faire trois commentaires importants. D'abord, la TPS a un effet préjudiciable puisqu'elle pénalise les Canadiens à faible revenu. Deuxièmement, le maintien de la TPS constitue un manquement à la promesse faite aux Canadiens. Troisièmement, les livres sont uniques, éternels. On peut les utiliser à maintes et maintes reprises dans le but pour lequel ils ont été conçus, dans leur condition originale, sans aide aucune. Voilà pourquoi nous croyons que la TPS devrait être éliminée.

Le sénateur Di Nino: J'aimerais remercier les témoins pour leurs exposés. Le comité a entendu le point de vue de plusieurs personnes et il y a une question qui revient tout le temps. Elle porte sur la définition de l'expression «article de lecture». Qu'est-ce qu'un livre? Puisque vous oeuvrez dans ce domaine, vous pouvez peut-être nous éclairer là-dessus.

M. Wong: Certainement, sénateur. Pour nous, un livre, c'est un livre. S'il comporte une série de pages et une couverture, c'est donc un livre. Or, les revues et les journaux ne sont pas, à notre avis, des livres. Ils font partie d'une autre catégorie. Pour ce qui est de savoir si cette catégorie devrait être taxée ou non, c'est une toute autre question. Comme nos étudiants ne s'en servent pas, ils présentent peu d'intérêt pour nous en tant que librairie universitaire. Je lis les journaux tous les jours et j'achète la revue Time. Si je n'ai pas ma revue Time, les choses vont mal.

En Saskatchewan, nous vendons un livre publié par la maison McGraw-Hill qui s'intitule Principles and Practices of Internal Medicine. Il est imprimé soit en deux volumes, soit en un seul, qui fait quatre pouces d'épaisseur. Il est publié tous les cinq ans et coûte 200 $ pièce. L'année dernière, le livre a été publié sur CD ROM. L'emballage est le même. Vous l'ouvrez et il n'y a rien à l'intérieur, sauf un CD ROM. Le gouvernement de la Saskatchewan considère cet article comme un logiciel, un produit qui est donc taxable, et je trouve cela tout à fait normal.

Ce gouvernement taxe également les livres enregistrés sur audiocassettes. Or, une audiocassette, ce n'est pas un article de lecture. Vous ouvrez une boîte à l'intérieur de laquelle vous trouvez une cassette. Cet article est taxable, et nous n'avons rien à redire à cela. Sénateur, pour répondre à votre question, si l'article ressemble à un livre, c'est donc un livre.

Le sénateur Di Nino: Et se cela sent comme un livre, c'est donc un livre.

M. Wong: Exactement.

Le sénateur Di Nino: J'aimerais aborder une autre question qui a été soulevée lors de nos discussions. Certains livres ou certains articles de lecture ne devraient pas, d'après certaines personnes, être utilisés par la société. Il y a des livres qui sont racistes, comme ceux d'Ernst Zundel, et il y a des revues, des ouvrages qui sont pornographiques. Vous avez parlé des livres qui sont reliés, ainsi de suite. Or, il y a des livres qui, d'après certaines personnes, seraient considérés comme étant pornographiques ou racistes.

Que proposeriez-vous dans ce cas-là? Quels conseils nous donneriez-vous pour nous aider à déterminer s'il y a lieu d'éliminer la taxe sur les articles de lecture?

M. Wong: Les gens qui fréquentent les librairies universitaires ont, en général, l'esprit ouvert. Vous avez des gens qui vont acheter des livres sur l'avortement, et d'autres qui vont acheter des livres pro-vie. Toutefois, chaque groupe va me faire la morale pour une raison ou une autre, et je vais me retrouver coincé entre les deux. Nous essayons de vendre des livres qui représentent les deux points de vue. C'est une question de choix. Si j'ai bien compris, le matériel pornographique est visé par le Code criminel. Ce n'est à moi de décider si ce genre de matériel est adéquat ou non.

On pourrait dire la même chose des articles de lecture qui intéressent les homosexuels et les lesbiennes. La vente de ces livres ne pose aucun problème sur notre campus. Nous avons reçu du président d'une association une lettre agréable dans laquelle il nous remerciait d'offrir ces livres. Nous sommes assez ouverts.

Pour ce qui est de la pornographie infantile, à mon avis, quiconque distribue ce genre de matériel devrait être passé au goudron et à la plume et expulsé de la ville. Pour ce qui est de savoir si je peux distribuer ces livres ou non, il revient aux législateurs de décider. Il y aurait sans doute des manifestations de la part des étudiants si je vendais des articles de ce genre de mon propre gré.

Le sénateur Di Nino: Vous avez dit que la Saskatchewan ne taxe pas les livres. Est-ce qu'il y a des provinces qui le font?

Mme McKean: Non, à notre connaissance, aucune province ne le fait. Il y a, bien entendu, la TVH, mais c'est une tout autre question.

Le sénateur Di Nino: Mis à part la taxe de vente harmonisée qui a été introduite récemment dans certaines provinces de l'Atlantique, savez-vous si d'autres provinces appliquent une taxe de vente provinciale sur les livres?

M. Wong: Je peux vous citer le cas d'un autre pays qui impose une telle taxe. Nous avons un grand collège de médecine vétérinaire, le seul dans l'Ouest canadien, et le deuxième en importance au Canada. Il est fréquenté par de nombreux étudiants étrangers, dont des étudiants allemands, qui achètent de vastes quantités de livres et les rapportent avec eux pour ne pas avoir à payer la TVA. Ce livre, parce qu'il n'est pas disponible en allemand, se vend deux fois plus cher en Allemagne. Les étudiants apportent une valise supplémentaire pour la remplir de livres. Que peut-on dire de plus d'un pays qui impose une taxe qui oblige les étudiants à passer des livres en contrebande dans leur propre pays?

Le sénateur Maheu: Monsieur Wong, vous avez dit, dans votre réponse au sénateur Di Nino, que le matériel pornographique devrait être visé par le Code criminel. Nous sommes ici pour discuter de taxes. Est-ce que ce matériel devrait être assujetti à une taxe ou non?

Vous avez raison de dire qu'un livre est un livre et qu'il constitue un article de lecture. Je suis tout à fait d'accord avec vous.

M. Wong: Si, à titre de parlementaires, vous dites que le livre peut être importé au Canada et qu'il n'est pas visé par le Code criminel, je dirais alors qu'il ne peut pas être taxé. Il est très difficile pour nous de déterminer ce qui devrait être taxé. Ce devrait être tout ou rien.

Le sénateur Maheu: À votre avis, est-ce que les revues dont la survie dépend des recettes publicitaires devraient être taxées?

M. Wong: Personnellement, je crois que les revues et les journaux devraient être taxés, parce qu'ils ne constituent pas un bien de première nécessité. Les gens qui lisent les journaux vont payer la taxe, qui n'est pas tellement élevée. Toutefois, de manière générale, les étudiants inscrits en première année de chimie doivent acheter un manuel qui coûte 10 $, un guide qui en coûte 25 $, un manuel de laboratoire qui en coûte 15 $ -- sans oublier tous les frais de laboratoire qu'ils doivent assumer.

Le sénateur Maheu: À combien s'élève votre marge sur vos produits? Quelles mesures avez-vous prises pour aider les étudiants de l'université?

M. Wong: D'abord, c'est l'université qui est le propriétaire-exploitant de la librairie. Nous avons, pendant des années, fait des économies pour agrandir nos locaux. Le recteur, qui voulait un nouveau système de circulation entre bibliothèques, a décidé, un après-midi, d'aller chercher 1,5 million de dollars dans notre fonds d'immobilisations pour le consacrer à la mise sur pied du nouveau système. Nous n'avons pas protesté. En fait, nous avons trouvé l'idée excellente. Pendant les trois semaines qui ont suivi, je ne me suis pas acheté un seul café parce que tous les libraires venaient me voir pour me remercier de mon geste généreux. Bien entendu, je suis resté en état de choc après avoir perdu 1,5 million de dollars.

Il y a plusieurs années, les étudiants de l'Alberta ont réalisé un sondage sur le prix des livres. Habituellement, les manuels ne se vendent pas cher, puisqu'on obtient un rabais de 20 p. 100 sur ceux-ci. La plupart des livres viennent de Toronto. S'ils se vendent 70 $ à Toronto, nous allons le vendre 70 $ en Saskatchewan et c'est nous qui assumons les frais de transport.

La plupart de mes collègues soutiennent qu'une librairie universitaire, pour être rentable, doit avoir une marge de 22 p. 100. Nous nous attendons à perdre 2 p. 100 chaque fois que nous vendons un livre. Cela ne nous pose aucun problème, du moment que les frais de transport représentent environ 2 p. 100 du prix du livre. Or, ces frais ont augmenté et représentent parfois entre 5 et 7 p. 100 du prix du livre. Nous perdons donc beaucoup d'argent avec les manuels. Si nous arrivons à survivre, c'est parce que nous vendons des livres usagés et des livres d'intérêt général qui ne sont pas des manuels scolaires, mais qui sont utilisés dans une salle de classe.

Les livres neufs comptent pour environ 58 p. 100 de notre chiffre d'affaires. Nous vendons également beaucoup de vêtements. Nous cherchons à réaliser un bénéfice d'au moins 40 ou 45 points sur ceux-ci, et malgré cela, nos prix sont très avantageux par rapport à ce que l'on paie au centre-ville. Ces ventes nous aident à faire marcher la librairie.

Nos coûts d'exploitation sont élevés. Notre personnel est syndiqué. Un commis de niveau 1 gagne 10,95 $ l'heure, plus un autre 5 ou 6 $ en avantages sociaux. Ce qui nous a fait beaucoup de mal l'année dernière, ce sont les indemnités pour accident du travail, qui ont doublé en 24 heures. En fait, elles avaient un effet rétroactif de trois mois. Cela nous a coûté très cher.

Le président: Donc, les autres articles que vous vendez compensent les pertes que vous subissez sur les manuels.

M. Wong: Exactement.

[Français]

Le sénateur Maheu: Vous avez, entre autres, mentionné que les groupes d'alphabétisation se plaignaient. N'est-il pas vrai que les groupes communautaires, les bibliothèques et les écoles ne paient pas de taxe sur leurs livres? Vous avez aussi mentionné les bourses, cela n'a rien à voir avec la taxe. Pourquoi avez-vous mentionné les groupes des communautés alors qu'ils ne paient pas la taxe sur les livres?

M. Charron: Je pense que notre appui aux groupes d'alphabétisation est de nature assez générale. Comme étudiant, la culture, les idées et la diffusion des idées constituent notre pain quotidien. Avant d'arriver à l'université ou au collège, il y a tout un parcours que nos membres font. Je pense qu'il est dans notre intérêt comme association et aussi comme société d'encourager la lecture par tous les moyens car cela fait partie d'un phénomène plus général de diffusion de la culture. C'est un appui de cet ordre que nous avons donné aux groupes d'alphabétisation. Ces groupes comme les librairies ou les bibliothèques peuvent ne pas payer la TPS sur les livres mais les individus et les personnes qui doivent acheter les livres paient la TPS. Leur intervention était justement un appel aux sénateurs afin que cela cesse. C'est aussi ce que nous approuvons dans leur intervention.

Le sénateur Maheu: Lors de votre intervention, quant à moi, vous avez laissé entendre que tous les groupes dans notre communauté paient la TPS, surtout dans la communauté québécoise où il y a plus de 700 nouveaux livres en français. Cela n'est pas vrai. Je voulais simplement le mentionner car vous avez laissé entendre qu'ils payaient la TPS, ce qui n'est pas le cas.

[Traduction]

Le sénateur Johnstone: J'aimerais féliciter les témoins pour la qualité des exposés que nous avons entendus, hier et aujourd'hui. Je me suis demandé si la taxe de 7 p. 100 influençait vraiment la décision d'une personne d'acheter ou non un livre. Or, d'après vos chiffres, les ventes diminuent lorsqu'on applique la TPS, et augmentent lorsqu'on la supprime. D'après ce qui a été dit jusqu'ici, la TPS a un impact considérable sur les ventes.

M. Wong: C'est exact. Par exemple, quand je me rends à Saskatoon, je lis habituellement un ouvrage de fiction à l'allée, et un autre au retour. Je lis beaucoup. On pouvait, dans le passé, acheter un livre pour 5,95 $. Aujourd'hui, il faut payer 9,95 $, plus les taxes, ce qui n'aide pas. Après un certain temps, au lieu d'acheter cinq livres, j'en achète trois.

Mme Charron: Je travaille pour la fédération en tant que lobbyiste. Cela fait sept ou huit ans que je n'ai pas remis les pieds dans une salle de classe. Je me suis rendue récemment à l'Institut ophtalmologique de l'Hôpital général d'Ottawa. Je cherchais des livres parce que je voulais en savoir plus sur l'affection que j'avais à l'oeil. J'ai sursauté quand j'ai vu le prix de ceux-ci. Payer une taxe de 7 p. 100 sur ces livres, c'est beaucoup, surtout si vous devez en acheter plusieurs. Pour nos membres, c'est énorme. Oui, ils vont devenir des médecins -- et on peut peut-être taxer leur BMW une fois qu'ils pratiqueront la médecine -- mais, entre-temps, laissez-les acheter les livres dont ils ont besoin.

Le président: Merci.

[Français]

Le Président: Notre prochain témoin est M. Hervé Foulon, président des Éditions Hurtubise HMH Ltée. Bienvenue, monsieur Foulon, vous avez la parole.

Hervé Foulon, président, Éditions Hurtubise HMH Ltée: J'ai le plaisir de travailler dans l'édition depuis 25 ans, c'est donc un métier qui m'est assez familier. Le problème de la taxe sur le livre m'est aussi malheureusement familier puisque j'ai eu l'occasion de présider la coalition contre toute taxe sur le livre en 1990-1991, au moment où la taxe avait été imposée au fédéral et où elle avait risquée de l'être au provincial.

Le discours que l'on tient est toujours le même. Notre discours à l'époque disait: taxer le livre, c'est imposer l'ignorance. En tant qu'éditeurs et participants à l'industrie du livre, nous sommes absolument indispensables à la création du livre pour qu'il soit le plus accessible possible à tous. C'est encore le moyen le plus facile et le moins coûteux de pouvoir offrir la formation et la culture à un maximum de personnes.

On avait rappelé à un moment d'ailleurs la Charte du livre de l'UNESCO qui dit à propos du livre que chacun a le droit de lire, que les livres sont indispensables à l'éducation et que la société a le devoir de créer les conditions propres à favoriser l'activité créatrice des auteurs. Elle disait également qu'une saine industrie nationale de l'édition est indispensable au développement national et que les conditions favorables à la fabrication des livres sont indispensables au développement de l'édition.

On veut absolument mettre de l'avant tous les moyens pour favoriser la lecture. Dans mon entreprise, j'ai eu l'occasion de travailler d'assez près avec les gens de l'édition en Afrique. On s'aperçoit que dans ces pays, les livres ne sont pas taxés et cela a toujours été fait à la demande, entre autres, des pays du nord qui sont là pour les aider. On voit donc l'effort qui est fait pour mettre à la disposition des enfants et des adultes les ouvrages d'éducation ou d'ordre général. Lorsqu'on parle d'alphabétisation et de culture, je ne pense pas qu'il faille en rester uniquement aux manuels scolaires. Il faut tenir compte du livre en général et pouvoir le rendre disponible à tous et chacun et ce au moindre coût.

En imposant une taxe sur le livre, on s'aperçoit que ce sont en premier les personnes qui ont le moins de moyens qui vont les premiers subir cette taxe. Les gens qui ont le plus de moyens arriveront toujours à s'acheter les livres dont ils ont besoin. Ceux qui ont les moyens les plus faibles vont se trouver forcément pénalisés. Éventuellement, là où ils achèteraient peut-être deux ou trois livres, ils ne vont en acheter qu'un ou deux.

Toute la promotion de notre culture et de notre identité à travers le livre est absolument essentielle. L'imprimé reste encore le support privilégié. Je ne veux pas reprendre ce qui a pu être dit.

Le sénateur Maheu: Quand j'entre à la librairie Monet, j'en ressors avec un paquet de livres pour les enfants. Hier on a entendu qu'on imprimait 700 livres par année au Québec. Il me semble que c'est beaucoup, mais on n'imprimerait pas tant de livres si les ventes ne se faisaient pas.

Les groupes communautaires et les intervenants en alphabétisation, entre autres, qui devraient être affectés par les taxes n'en paient pas. D'après vous est-ce qu'on ne dramatise pas un peu la situation? Est-ce vous avez vraiment de la difficulté à vendre vos livres? Est-ce qu'ils restent sur les tablettes? Votre problème, est-ce la vente des livres ou une préoccupation pour la littérature?

Foulon: Je ne pense pas qu'on puisse envisager le problème de cette manière. Dans une maison d'édition, on va être amené à imprimer différentes sortes de livres. Cela va du livre de cuisine jusqu'au roman et à l'essai. C'est le cas de notre maison où nous avons une production diversifiée et où on fait également du scolaire. Je ne me permettrai jamais de dire qu'il y a trop ou pas assez de titres publiés. Toute personne qui a quelque chose à dire doit pouvoir trouver quelqu'un qui puisse l'éditer. Ensuite l'éditeur doit juger si, effectivement, cela peut avoir un intérêt quelconque. Je ne me permettrai certainement pas de dire qu'il y a trop ou pas assez de titres. Je me souviens seulement qu'il n'y a pas si longtemps, les auteurs et les écrivains avaient du mal à trouver des éditeurs afin de pouvoir mettre leurs écrits à la disposition du public. Je ne pense pas qu'il faille dire aujourd'hui qu'il y en a trop. J'aurais trop peur qu'on retourne à ce que l'on a pu connaître il y 20 ou 30 ans, ce qui serait dommageable. Au Canada, le gouvernement a participé énormément au développement de l'industrie du livre parce qu'il voyait la nécessité de mettre à la disposition de tous les Canadiens le livre.

L'importance de cette industrie tient justement à sa diversité et à son nombre. Cela est d'autant plus important qu'aujourd'hui, on peut se targuer d'avoir une industrie qui fonctionne malgré ses hauts et ses bas comme n'importe quelle industrie. Le problème de la taxation affecte beaucoup plus le lecteur. Il faut que le lecteur soit pénalisé. On parle actuellement du fait, et cela se dit encore fréquemment à l'occasion de différents discours, qu'il y a des problèmes d'éducation et d'alphabétisation. Près de 40 p. 100 de jeunes décrochent à la fin du secondaire. Un nombre important d'adultes retombent dans un certain «illettrisme» parce qu'ils perdent l'habitude de lire.

Si le goût de la lecture n'est pas forcément quotidien chez ces personnes et qu'en plus on leur met un coût supplémentaire de 7 p. 100, vous aurez des personnes, comme je vous le disais tantôt, qui au lieu d'acheter trois livres n'en achèteront qu'un. On ne lira jamais assez de livres.

Le sénateur Maheu: Qu'est-ce qu'un livre pour vous? Qu'est-ce qu'on devrait taxer: les magazines, les CD-Rom, et cetera?

Foulon: Je parle de matériel imprimé.

Le sénateur Maheu: Tout matériel imprimé?

M. Foulon: Oui, tout matériel imprimé aide à la lecture. Tantôt on parlait de certaines catégories de livres ou de revues. Je ne voudrais pas me faire juge en ce domaine. Est-ce qu'aujourd'hui vous souhaiteriez qu'on taxe les oeuvres de Sade et qu'on ne taxe pas d'autres classiques? Je ne voudrais pas du tout m'engager dans ce discours. Déterminer ce que les enfants doivent acheter nous conduit à un débat d'éducation. Le législatif détermine s'il faut taxer ou pas le livre. Les parents décident si les enfants doivent lire ceci ou cela.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: J'aimerais vous poser une question au sujet du marché des livres de langue française au Canada.

Je présume que, comme ce marché est limité, la distribution de livres de langue française est, elle aussi, limitée. Est-ce que cela a un impact sur le prix? Est-ce que, au Canada, le coût d'impression d'un livre de langue française est plus élevé que le coût d'impression d'un livre de langue anglaise?

[Français]

M. Foulon: C'est certain que dès qu'on parle de marché, plus vous pouvez imprimer d'exemplaires d'un même titre, plus vous avez de chances de pouvoir diminuer le coût, donc le prix de vente. Pour le marché francophone, cela peut varier si on parle de livres scolaires ou de livres de littérature. Ce sont des marchés très différents quantitativement parlant. Si on parle du marché littéraire, que ce soit de littérature générale ou jeunesse, autant il a pu augmenter au Québec parce que l'édition québécoise, l'édition canadienne francophone a pris plus d'importance que par le passé par rapport aux livres importés, autant on a vu des ouvrages pour l'enseignement du français et des ouvrages de soutien de lecture pour le français, par exemple, en immersion ou en langue seconde qui ont diminué.

Les marchés francophones ou de français langue seconde dans les autres provinces on eu, ces dernières années, tendance à diminuer. C'est un fait. Dans quelle proportion? C'est difficile à dire. Des programmes ont, à un certain moment, aidé à la diffusion ou à la publication de certains ouvrages en français dans certaines provinces. Ils ont disparu ou ont été réduits. Peut-être vont-ils revenir. Cela fait partie des aléas financiers que l'on peut connaître, mais aujourd'hui, c'est le cas. Il est certain que, hors Québec, le marché a diminué.

Au Québec, on a un taux de lecture qui, d'une manière générale, a augmenté, mais il faut étudier où il a augmenté et dans quel type de lecture. On s'aperçoit que des jeunes enfants à l'école lisent davantage grâce à des bibliothèques qui ont pu comparativement depuis 20 ans se développer et offrir aux enfants beaucoup plus d'opportunité de lecture. Par contre, on s'aperçoit que dès que ce travail à l'école cesse, par exemple, avec des enfants à partir de 15, 16 ans, là, vous avez une baisse de lecture. C'est un peu choquant, on peut dire le mot. Il y a un premier travail de sensibilisation qui se fait et qui n'est pas soutenu pour différentes raisons. On s'aperçoit que l'âge de 15, 16 ans correspond déjà au premier grand taux de «décrocheurs» à la fin du secondaire. C'est un peu la situation que l'on vit actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Nous sommes conscients que la simple abolition de la TPS sur les livres ne résoudra pas tous les problèmes d'analphabétisme. Cependant, en ce qui concerne la lecture de détente, en termes symboliques aussi bien que réels, si nous éliminions ce coût supplémentaire, plus de gens liraient-ils pour se détendre?

[Français]

M. Foulon: Je pense que oui. Nous venons juste de vivre un sommet au Québec sur le livre et la lecture. On y a mentionné qu'aucune décision qui pourrait être prise à la suite de ce sommet ne doit en aucun cas augmenter le prix du livre. Quand vous regardez les dépenses dans les ménages, une étude est en train de se faire actuellement pour savoir ce qu'un ménage dépense dans des produits non obligatoires quotidiennement: le vidéo, les cigarettes et le livre. On s'aperçoit que le livre a une toute petite place. Il y a toute une motivation à créer auprès des gens pour les pousser vers la lecture et l'achat du livre. C'est la lecture, mais c'est également l'approche du produit livre. Il ne faut pas commencer en augmentant le prix du livre.

Si déjà les gens ont du mal de tenir le tête hors de l'eau, ne mettez pas la main en plus dessus pour l'enfoncer complètement. Au contraire, essayez de leur tendre la main. Toute aide qui diminuera le prix du livre sera un bienfait.

À l'époque de l'application de la TPS, en 1991, une étude par Coopers & Lybrand mentionnait que 1 p. 100 d'augmentation des coûts du livre pouvait avoir des répercussions à la baisse de l'ordre de 2 à 2,5 p. 100. Cette étude provient d'un bureau sérieux. On pourrait certainement avoir une récupération de ces données.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: J'ai une autre question à vous poser, si vous le permettez. La TPS est entrée en vigueur en 1991. Elle s'appliquait aussi au livre. Pourriez-vous étoffer certaines de ces affirmations? Seriez-vous capable de nous dire combien coûtait un livre de détente ordinaire, soit en reliure, soit en format de poche, en 1991 et combien il coûte aujourd'hui, en 1998? Nous pourrions alors voir quel effet a eu la taxe. Avez-vous un chiffre à nous donner?

[Français]

M. Foulon: Je ne sais pas si cela serait forcément représentatif parce qu'il y a, entre 1991 et aujourd'hui, une foule de facteurs qui sont entrés en ligne de compte. Le prix du papier a énormément évolué par exemple. Qu'est-ce qui est imputable particulièrement à la taxe, à la fluctuation du prix du papier, à l'augmentation de la main-d'oeuvre, et cetera? Par contre, le nombre de titres publiés en moyenne est resté le même, voire, a pu augmenter. Par contre, les tirages moyens de chaque livre, eux, ont diminués. Là où on pouvait imprimer régulièrement une moyenne de 4 000 ou 5 000 livres, je parle au nom des éditeurs francophones, on tombe à des moyennes de 1 500, 2 000, 2 500 livres. C'est un fait important. Les éditeurs et les distributeurs dans toute la chaîne du livre, se basent maintenant sur des ventes globales pour pouvoir rencontrer leur rentabilité.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Sans vouloir influencer votre réponse, j'aimerais savoir quel est le coût moyen d'un livre, en y incluant la taxe de 7 p. 100. Combien aurait dépensé monsieur ou madame Tout-le-monde à l'achat de livres à la fin de l'année si cette personne en avait acheté un par mois?

[Français]

M. Foulon: Le moindre roman adulte coûte actuellement dans une librairie entre 20 et 25 $ facilement; pour le secteur de la jeunesse, cela va être un peu différent. Je parle surtout du roman d'ici. Si on parle d'importation, le coût va être plus élevé parce d'autres facteurs entrent en ligne de compte comme les taux de change, et cetera. Le livre jeunesse a réussi à être maintenu à un prix plus bas. Le livre jeunesse au Québec est de l'ordre de 7, 8 $.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Donc, si vous êtes un lecteur assidu, le coût des livres sera élevé à la fin de l'année.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai besoin de clarifications. Votre préoccupation est la même que celle des témoins qui sont venus ici, il s'agit des étudiants. Est-ce vrai?

M. Foulon: Oui.

Le sénateur Ferretti Barth: Disons que la taxe va empêcher les étudiants de s'acheter des livres qui vont coûter trop cher avec cette taxe. Je me rappelle qu'en Europe quand j'étais étudiante, nous avions une carte d'identité étudiante. Cela nous permettait d'aller au cinéma et au théâtre à un prix réduit. Ici on pourrait peut-être adopter cette formule de carte d'identité pour les étudiants afin leur permettre de ne pas payer la taxe sur les livres scolaires ou pédagogiques. Nous voyons même que les personnes âgées peuvent obtenir une réduction sur le transport avec la carte soleil. En ce qui concerne les étudiants, les écoles auraient peut-être un moyen pour ne pas leur faire payer la taxe sur les livres. C'est une idée qui peut être considérée.

Vous avez dit que l'on a perdu l'habitude lire. Est-ce en conséquence de la taxe ou parce que la télévision a envahi la maison? Vous avez dit que dans les articles nécessaires à une famille, il y a les choses qu'on peut faire en moins. Qu'on achète de moins en moins de cigarettes et de livres. La cigarette, on ne peut pas la remplacer par un morceau de bois, mais la lecture d'un livre peut l'être par des émissions de télévision. Vous avez vu combien de mères mettent leurs enfants devant la télévision! Vous ne pouvez pas dire à un enfant de six ans: prends un livre et commence à lire. Non, il veut regarder les dessins animés. La télévision a fait beaucoup de mal. Vous me dites que la taxe est entrée en vigueur en 1991?

M. Foulon: Début 1991, oui.

Le sénateur Ferretti Barth: Tout le monde a une grande préoccupation vis-à-vis cette taxe, est-ce que vous avez des statistiques pour nous dire: vous voyez ce que vous avez fait, chers parlementaires, avant 1991, le nombre de lecteurs était comme cela et maintenant avec la taxe, de 1991 à aujourd'hui, nous n'avons plus de lecteurs. C'est pour cela que notre industrie du livre est à la baisse?

M. Foulon: Je vais répondre tout de suite à votre question à propos de la télévision. Ce n'est pas l'éditeur qui vous répondra, mais bien le père de famille de quatre enfants. Je m'oppose tout de suite à ce que vous avez dit.

Le sénateur Ferretti Barth: Écoutez, monsieur, mon mari était obligé de fermer la télévision à clé pour permettre aux enfants de prendre leurs livres d'école. C'était la génération de la télévision.

M. Foulon: La télévision peut avoir un rôle bénéfique sur la lecture. Nombre de livres, cela a été prouvé, ont pu parfois connaître des succès: soit on en parlait à une émission littéraire, soit un film ou un téléroman était tiré d'un roman diffusé à la télévision. Il suffit de voir le succès qu'a pu remporter Arlette Cousture avec Les filles de Caleb. Elle a eu un premier succès, ensuite la série a été diffusée à la télévision et le livre s'est vendu davantage tout de suite après. Je ne condamne pas du tout la télévision comme vous le faites. Je condamne parfois l'utilisation que certaines personnes peuvent en faire. Cela peut être général pour une multitude de produits et services. Il y a des choix judicieux à faire. On ne pourra pas se mettre à la place des personnes. Il faudrait, à ce moment, donner un rôle à l'éducation. L'éducation d'ailleurs qui reste, d'après ce que l'on entend surtout ces derniers temps, une des priorités du gouvernement.

Votre première question était à propos des étudiants. Je ne parlais pas seulement des étudiants. Pour moi le livre s'adresse à tout le monde. Il y a naturellement des étudiants, des enfants, des adultes. Il y a des personnes adultes qui vont à l'enseignement pour les adultes. Je pense que l'éducation est quelque chose de quotidien. Vous avez l'éducation traditionnelle qui se donne à l'universités et puis vous avez toute autre éducation. On apprend, tout au long des années, une multitude de choses en dehors des cours. Le rôle principal des livres est là. C'est de pouvoir fournir aux personnes adultes, jeunes et retraitées toute une information technique, culturelle, politique ou autre par l'entremise de la lecture. Cela s'adresse à tout le monde. Plus on augmente le prix du livre, plus vous réduisez l'accessibilité aux livres à certaines personnes .

Le sénateur Ferretti Barth: Quelle catégorie de gens?

M. Foulon: Les personnes moins bien nanties, forcément.

Le sénateur Ferretti Barth: Est-ce que ce sont des étudiants? Qu'est-ce que vous pensez de la carte d'identité?

M. Foulon: Je ne parle pas des étudiants.

Le sénateur Ferretti Barth: La préoccupation de certains témoins était que les étudiants n'avaient pas les moyens de s'offrir des livres de loisir et autres. On pourrait remédier à cela.

M. Foulon: Le cas des étudiants est vrai, mais ce n'est pas seulement vrai pour les étudiants. C'est vrai pour tout le monde. Je connais énormément de personnes qui hésitent à acheter un livre et ce sont des personnes qui ont 40, 50, 60 ans qui se disent: ce livre coûte 25 $, ce 25 $ j'en ai besoin éventuellement pour faire autre chose.

Le sénateur Ferretti Barth: Vous savez les livres c'est comme la cigarette; si vous voulez en prendre moins, vous en prenez moins. À moins de ne pas être capable, vous continuez à fumer. Le goût de la lecture est individuel et personnel.

M. Foulon: Je vais vous dire que oui le livre est pareil à la cigarette. Le goût vient avec l'habitude. Donnons aux gens tous les moyens pour qu'ils en prennent l'habitude.

Le président: Nous vous remercions monsieur Foulon de votre témoignage en tant qu'éditeur et en tant que père de quatre enfants.

[Traduction]

Le président: Mme Barbara Clubb, bibliothécaire en chef de la Bibliothèque publique d'Ottawa, peut-elle maintenant avancer à la table? Mme Clubb, nous sommes heureux de vous accueillir au sujet de cet important projet de loi d'initiative parlementaire qui suscite beaucoup d'intérêt. Nous disposons d'environ une demi-heure pour entendre votre exposé et pour nous entretenir avec vous. Vous avez la parole.

[Français]

Mme Barbara Clubb, bibliothécaire en chef, Bibliothèque publique d'Ottawa: Bonjour, je suis très heureuse d'être ici parmi vous aujourd'hui.

[Traduction]

Je tiens à vous remercier de m'avoir invitée et de prendre la peine d'entendre les doléances des bibliothèques et des clients de bibliothèques. Comme vous en êtes probablement conscients déjà, les bibliothèques ont très peu à gagner, sur le plan pécuniaire, du projet de loi à l'étude. Comme vous le savez aussi, le gouvernement a aussi exempté la plupart des bibliothèques de la TPS sur le livre en portant à 100 p. 100 les remboursements de TPS auxquels ont droit les établissements du secteur public, à l'achat de livres et de certains périodiques. Ce fut une nette amélioration, et nous applaudissons l'initiative du gouvernement. Je crois que des félicitations s'imposent et je sais que le sénateur Di Nino l'a dit au comité.

Je suis ici aujourd'hui pour prêter main-forte aux autres témoins, particulièrement aux porte-parole des groupes d'alphabétisation qui vous demandent de passer à l'étape logique suivante, soit d'abolir la TPS payée par les consommateurs canadiens à l'achat de livres et de périodiques.

Les bibliothèques publiques et tous les autres genres de bibliothèque sont la ligne de front où se livre la lutte pour la littératie au Canada et où a lieu le débat sur la TPS. Nous offrons aux Canadiens -- dont l'aptitude à la lecture varie énormément -- , y compris à un grand nombre de nouveaux lecteurs, de personnes qui apprennent une langue seconde et, en particulier, à des néo-Canadiens, des livres de qualité supérieure qui sont à la fois intéressants et adaptés à leur niveau. De nombreuses bibliothèques abritent et appuient des programmes de littératie axés sur les besoins de la collectivité. À la Bibliothèque publique d'Ottawa, nous avons une salle de tutorat que l'on peut réserver et nous mettons à la disposition des parents et des tout-petits plusieurs collections spécialisées d'alphabétisation.

La demande de livres capables de soutenir l'intérêt du nouveau lecteur, de celui qui apprend une langue seconde et du néo-Canadien tout en l'instruisant a connu une croissance exponentielle au cours des dernières années. Simultanément, le nombre d'utilisateurs de la bibliothèque qui font appel à ces ressources parce qu'ils n'ont pas les moyens de s'acheter eux-mêmes les livres a augmenté. La TPS de 7 p. 100 a très durement frappé cette clientèle. Comme vous l'ont dit d'autres témoins, les Canadiens à très faible revenu consacrent une plus grande part de leur revenu à l'achat de livres que les Canadiens à revenu élevé. On peut donc dire que la TPS prélevée sur le livre est une taxe régressive.

On vous a aussi dit que le meilleur indice de l'aptitude à lire est la présence de livres à la maison. Même si je suis bibliothécaire en chef d'un établissement qui prête des livres, j'estime qu'il est tout aussi important de pouvoir en acheter pour se monter une bibliothèque personnelle chez soi.

Certains utilisateurs de la bibliothèque empruntent nos livres simplement parce qu'ils refusent, par principe, de payer une taxe sur le livre.

Il faudrait souligner que les bibliothèques paient de la TPS sur certains livres. Le remboursement accru de la TPS ne s'applique qu'aux livres et aux périodiques comportant moins de 5 p. 100 de publicité, qu'elle soit payée ou pas. La plupart des publications érudites, des revues littéraires et des publications sans but lucratif contiennent plus que les 5 p. 100 de publicité alloués et ne donnent donc pas droit au remboursement.

Les journaux aussi sont explicitement exclus du remboursement. Comme vous le savez, les journaux occupent une place importante dans les services offerts par une bibliothèque. L'abonnement à une demi-douzaine de journaux peut être très coûteux. Les journaux de l'étranger peuvent être particulièrement utiles aux néo-Canadiens. En tant que bibliothèque publique dont le budget d'acquisition n'a pas augmenté depuis au moins six ans, nous constatons que l'offre de services au nombre grandissant de néo-Canadiens qui utilisent la Bibliothèque publique à Ottawa commence à dépasser nos moyens.

La TPS prélevée sur les journaux et les périodiques continue d'être à la fois une source de friction et une ponction sur notre budget. De plus en plus, nous la voyons comme un obstacle d'importance à la prestation de services aux Canadiens, plus particulièrement à la population d'Ottawa, qui ont le moins les moyens d'acheter ces livres.

Enfin, les bibliothèques sont le centre des débats publics dans beaucoup de collectivités. Notre vocation n'est pas politique. Nous nous efforçons de mettre à la disposition de tous de l'information juste et impartiale pour débattre de questions d'intérêt, tout comme le fait la Bibliothèque du Parlement pour les parlementaires. Dans ce rôle, nous entendons souvent le point de vue de citoyens concernant diverses questions d'actualité, et nous continuons certes d'entendre leurs vues au sujet de la TPS prélevée sur le livre parce que ceux qui empruntent les livres des bibliothèques publiques sont souvent les mêmes qui en achètent dans les librairies.

D'après nous, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de conflit ou de concurrence entre les bibliothèques et les librairies. Au contraire, il existe une espèce de symbiose permanente entre les deux.

Les Canadiens n'acceptent pas que le livre soit taxé et ils n'ont pas oublié que tant le régime actuel que le régime précédent ont promis d'abolir la TPS sur le livre. Ils attendent que cette promesse se matérialise.

La Bibliothèque publique d'Ottawa a fort bien accueilli le premier train de mesures pris en vue de tenir cette promesse, soit d'exempter de la TPS les bibliothèques publiques à l'achat de la plupart des livres. Je sais qu'il est impossible au gouvernement fédéral d'exiger que cet argent soit réaffecté aux acquisitions. Je sais que nous n'avons pas l'obligation morale de le faire. Je n'ai pas sondé mes collègues pour savoir ce qui était arrivé à cet argent, mais je sais que le jour où cette annonce a été faite en 1996, tous les bibliothécaires en chef auxquels j'ai parlé étaient en train de faire un calcul mental pour savoir de combien de fonds additionnels ils disposaient dans leur budget d'acquisition.

Dans notre cas, ce montant oscillait aux alentours de 38 000 $. Je puis vous assurer que la majorité de ces fonds sont allés à des acquisitions dont on avait particulièrement besoin. La littératie est l'un des domaines où les besoins étaient criants; les ressources mises à la disposition des personnes handicapées en est un autre.

En guise de conclusion, j'aimerais vous remercier de m'avoir permis de prendre la parole. Je vous remercie aussi de m'avoir écoutée en tant que représentante des bibliothèques publiques canadiennes, plus particulièrement des 41 bibliothèques publiques du Canada qui, ensemble, répondent aux besoins de plus de 11 millions de personnes et qui ont à leur disposition tout un réseau de ressources pour offrir des livres aux Canadiens. Ce réseau y gagnera si l'autre série de mesures visant à abolir la TPS sur le livre est prise.

Le président: Madame Clubb, je vous remercie. Ai-je bien compris que l'une des difficultés causées par l'initiative annoncée par M. Martin dans son budget de 1996 -- qui prévoit le plein remboursement de la TPS -- est qu'elle n'inclut pas les journaux? De plus, essayez-vous d'offrir des journaux étrangers aux néo-Canadiens qui fréquentent votre bibliothèque?

Mme Clubb: Vous avez bien compris.

Le président: Pourquoi payez-vous la TPS sur ces journaux?

Mme Clubb: Certains de ces journaux sont publiés au Canada et certains autres sont achetés à l'étranger. Tout dépend de ceux que nous achetons.

Le président: Ils ne sont donc pas forcément importés, mais plutôt publiés dans une langue étrangère?

Mme Clubb: C'est cela. Ils sont rédigés dans une langue étrangère.

Le président: En ce qui concerne les journaux venus de l'étranger, un des arguments invoqués en faveur de l'abolition de la TPS sur les magazines, c'est qu'il y a beaucoup de dispersion; le gouvernement ne touche pas grand-chose sur les abonnements canadiens à des revues étrangères à moins que ces éditeurs ne s'enregistrent et ne versent la TPS. Payez-vous la TPS sur un grand nombre de journaux de langue étrangère?

Mme Clubb: Je n'ai pas les chiffres exacts, bien que je puisse certainement vous les obtenir. Nous sommes abonnés à un nombre considérable de publications en langue étrangère. Comme nous sommes toujours à la recherche d'un moyen moins coûteux d'offrir le service, nous envisageons la possibilité de les offrir sur Internet, ce qui les soustrairaient au fisc. Nous envisageons la possibilité d'annuler nos abonnements aux imprimés.

Le président: Combien de ces journaux en langue étrangère se trouvent sur Internet?

Mme Clubb: Ils ne s'y trouvent pas tous, mais ils sont de plus en plus nombreux. Voilà ce qu'il faut aux néo-Canadiens durant la période de transition, de pouvoir obtenir des nouvelles de chez eux.

Le président: J'ai une deuxième question rattachée à une question que pose couramment le sénateur Maheu au sujet de l'exemption du livre et du magazine de la taxe de vente. Comme d'autres, elle fait une distinction entre les livres et magazines ordinaires et ceux que l'on pourrait considérer comme étant pornographiques, obscènes, racistes, et ainsi de suite. Je suppose que le remboursement de la taxe sur les livres auquel vous avez droit s'applique à tous les livres. Je suppose par ailleurs que, puisque vous dirigez une bibliothèque publique, votre collection comprend des livres qui pourraient déplaire à certains, des publications pornographiques ou racistes.

Mme Clubb: C'est effectivement possible. Je précise qu'au départ, nous avons une politique concernant le choix des livres que nous acquérons, politique qui est approuvée par notre conseil. Nos administrateurs sont nommés par le conseil municipal, et le maire en est actuellement un. De plus, tout membre de la collectivité opposé à ce qu'il y a dans notre collection peut recourir à un processus de dépôt de plainte, comparaître devant le conseil et en demander le retrait.

Plusieurs fois, nous avons retiré un livre de notre collection parce que, après l'avoir examiné, nous avons jugé que, s'il avait peut-être sa place dans notre collection il y a cinq ou dix ans, ce n'était plus le cas, et ce pour plusieurs raisons. Par conséquent, notre politique n'est pas à ce point rigide que certaines acquisitions demeurent à tout jamais dans la collection. Nous essayons de mettre en oeuvre et de respecter une politique très libérale de liberté intellectuelle, mais pas au point de sembler vouloir jouer à l'autruche.

Le président: Un livre qui se réchappait grâce à une certaine valeur culturelle il y a cinq ans ne l'a peut-être plus aujourd'hui?

Mme Clubb: C'est juste. Notre processus de sélection des livres pour enfants, en particulier, est très compliqué. Chaque livre pour enfants qu'achète notre bibliothèque est lu par le personnel avant son acquisition. Par conséquent, nous ne faisons pas nos acquisitions dans le cadre de commandes en cours, comme le font certaines bibliothèques. Nous choisissons avec beaucoup de soin chaque acquisition parce que nos ressources sont limitées et que nous avons beaucoup de lecteurs.

Nous sommes conscients que la société à laquelle nous offrons des services évolue et que les goûts changent. Récemment, nous avons retiré de notre collection des livres qui étaient tout à fait convenables il y a 15 ans, mais qui ne le sont plus. Les bibliothèques ont retiré de leurs tablettes beaucoup de livres parce qu'ils étaient racistes ou trop sexistes. Cette pratique de passer en revue la pertinence des livres est courante. La bibliothèque est comme un être humain. Il lui arrive de commettre des erreurs. Heureusement, cela n'arrive pas souvent.

Depuis les deux ans et demi que je suis bibliothécaire en chef, le conseil n'a pas été saisi d'une seule question de censure. La collectivité d'Ottawa est très libérale.

Le sénateur Di Nino: Madame Clubb, vous venez de dire que la collectivité de la région est très libérale -- avec un petit «l» manifestement. Les normes seraient-elles différentes ailleurs au pays?

Mme Clubb: Oui.

Le sénateur Di Nino: Par conséquent, ce qui est acceptable dans votre bibliothèque pourrait ne pas l'être ailleurs au pays, n'est-ce pas?

Mme Clubb: C'est possible, effectivement.

Le sénateur Di Nino: Par conséquent, selon l'endroit où l'on se trouve au pays, il serait très difficile de définir ce qui est acceptable comme imprimé et ce qui relève de certaines catégories, par exemple des ouvrages racistes, pornographiques, et ainsi de suite. La définition serait à tout le moins controversée.

Mme Clubb: Effectivement. C'est un peu comme les terminaux vidéo et la danse-contact.

Le sénateur Di Nino: Je vous remercie de cet exemple. Vous avez mentionné un montant de 38 000 $. Était-ce la moitié du montant ou sa totalité?

Mme Clubb: Cela représenterait la moitié, soit notre nouveau pouvoir d'achat.

Le sénateur Di Nino: Je veux être certain de comprendre ce que cela représente pour une bibliothèque comme la vôtre. Pareil montant est-il important ou modeste, considérable ou faible?

Mme Clubb: Notre budget total d'acquisitions est de 1,6 million de dollars.

Le sénateur Di Nino: Chaque année?

Mme Clubb: Chaque année, oui. Vous comprendrez donc aisément qu'un montant de 38 000 $ ne représente qu'un très faible pourcentage du budget. Toutefois, chaque sou compte. Nous faisons plusieurs levées de fonds pour amasser quelques milliers de dollars par-ci et quelques milliers de dollars par-là. Quand 38 000 $ nous tombent tout d'un coup du ciel, c'est une véritable manne.

Le sénateur Di Nino: En réalité, le montant est d'environ 76 000 $, puisque celui de 38 000 $ ne représentait que la moitié, n'est-ce pas?

Mme Clubb: Les fonds nouveaux dégagés par le plein remboursement de la TPS ont totalisé 38 000 $.

Le sénateur Di Nino: Cela a une grande influence sur ce que peut faire la bibliothèque.

Mme Clubb: Tout à fait.

Le sénateur Di Nino: Vous avez aussi parlé de journaux étrangers rédigés en anglais et en français. Cela inclut-il les magazines? Êtes-vous abonné à des périodiques?

Mme Clubb: À des milliers de titres.

Le sénateur Di Nino: À des milliers de titres?

Mme Clubb: Oui.

Le sénateur Di Nino: Représentent-ils une partie importante des services offerts par la bibliothèque à sa clientèle?

Mme Clubb: Oui. Ils relèvent de la catégorie «éducation et loisirs». Nous offrons toute une gamme de magazines et de périodiques, dont bien sûr les magazines courants ou mensuels, mais aussi toute une gamme de périodiques savants.

Le sénateur Di Nino: Il est question ici de journaux, de magazines et de périodiques.

Mme Clubb: C'est cela.

Le sénateur Di Nino: Certains d'entre eux sont-ils aussi publiés en langue étrangère?

Mme Clubb: Oui.

Le sénateur Di Nino: Certains d'entre eux sont-ils imprimés au Canada et d'autres, pas?

Mme Clubb: C'est cela. Les principales langues étrangères sont le chinois, le vietnamien, l'arabe et le russe. Nous achetons beaucoup de périodiques publiés dans huit langues différentes.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous une idée de ce que les bibliothèques de Toronto doivent tenir comme périodiques pour répondre aux besoins de leur clientèle?

Mme Clubb: Beaucoup plus que nous.

Le sénateur Di Nino: Cet élément n'est donc pas une faible composante ou une partie insignifiante du service. Quand vous additionnez les périodiques, les revues et les journaux offerts en plusieurs langues, ils sont peut-être au nombre de huit à Ottawa, mais ils pourraient atteindre 80 à la bibliothèque centrale de Toronto. Cela représente une partie importante de la collection de la bibliothèque.

Mme Clubb: C'est juste. Je vous en donne un petit exemple. Parmi les 4 millions presque d'ouvrages que fait circuler notre bibliothèque, 3 p. 100 sont en chinois et 11 ou 12 p. 100 environ en français.

Le sénateur Di Nino: L'abolition de la TPS sur ces abonnements aurait des répercussions importantes sur votre budget.

Mme Clubb: Oui. Prenons le chinois, par exemple. Nous recevons des dons de l'ambassade de Chine, du bureau économique et culturel de Taipei et de la communauté chinoise. Ce que nous achetons en chinois est différent de ce qu'on nous donne. Nous ne pourrions pas nous en tirer sans une combinaison des deux. Toutefois, nous n'arrivons tout simplement pas à répondre à cette demande particulière.

Le sénateur Di Nino: Enfin, vous avez dit que vous étiez ici davantage pour prêter main-forte aux autres qui sont plus directement visés par cette question. Je me demande si vous pouvez répondre à une question que j'ai posée plusieurs fois à d'autres. Quel serait le sens symbolique, d'après vous, pour le Canada et les Canadiens de l'abolition de la TPS sur la lecture?

Mme Clubb: Cela leur laisserait certes plus d'argent pour s'acheter des livres qui favorisent l'apprentissage. Plusieurs études révèlent que, plus l'enfant lit tôt, mieux il est et mieux il se débrouillera dans la vie.

Selon des études, le plus important facteur d'influence est la lecture faite aux enfants à la maison. C'est la principale clé de leur réussite scolaire et pécuniaire. Si les parents sont incapables d'acheter des livres à utiliser à la maison, l'enfant n'apprend pas à lire avant d'aller à l'école.

C'est peut-être aller un peu trop loin, mais tout cela fait partie de la Convention relative aux droits de l'enfant, du soutien au monde de l'enfance et à la vie des enfants jusqu'à l'âge adulte. Si l'on diminuait encore l'impact de la TPS, le gouvernement du Canada et les Canadiens contribueraient énormément à faciliter l'apprentissage des enfants et des nouveaux venus, contribution que les bibliothèques feraient connaître dans le monde entier.

Le sénateur Maheu: Je vous remercie de votre exposé. Je tenais à vous citer une de mes collègues et à vous renvoyer à certaines déclarations qu'ont faites les témoins. Ils décrivaient ce qu'ils estimaient être du matériel de lecture. Selon certains, l'ordinateur n'est pas du matériel de lecture, de sorte que la taxe devrait continuer de s'appliquer. D'autres par contre estiment qu'il faut éviter de taxer quoi que ce soit qui a rapport avec ce que nous lisons.

Mes collègues et moi sommes d'accord sur de nombreux points. Je suis contre l'abolition de la TPS sur le matériel pornographique si on la maintient sur les couches. C'est ce qu'a dit l'honorable sénateur en Chambre, lorsqu'elle a répliqué à la déclaration du sénateur Di Nino. Elle a ensuite demandé s'il fallait taxer le matériel informatique et les CD-Rom. Elle a dit avoir visité, à Rankin Inlet, une classe de jeunes enfants qui apprenaient à lire l'anglais à l'ordinateur. Ce n'était pas du matériel imprimé tel que nous le définissons et que le définissent de nombreux témoins. Il s'agissait en fait d'un CD-Rom. Cela serait-il considéré comme du matériel de lecture? Faudrait-il l'exempter de la TPS? En tant que bibliothécaire, en tant que personne qui travaille avec des programmes d'ordinateurs, des livres et d'autres imprimés, à quel point croyez-vous que la définition du matériel de lecture doive être générale?

Mme Clubb: Comme vous le savez peut-être, Bill Gates a créé la Gates Library Foundation pour appuyer l'introduction des ordinateurs dans les bibliothèques publiques. La Bibliothèque publique d'Ottawa a été l'une des premières à recevoir de pareils fonds dans le cadre du programme antérieur intitulé «Libraries Online». La nouvelle fondation affectera environ 400 millions de dollars à des bibliothèques publiques pour l'achat d'ordinateurs destinés expressément au public. Nous avons rencontré les dirigeants de la fondation pour la première fois à Ottawa, la semaine dernière, en vue d'en établir le volet canadien.

En rapport avec cette initiative qu'il a prise avec son épouse, Bill Gates, auquel on a demandé lequel, du livre ou de l'ordinateur, une bibliothèque ou une famille devait acheter si elle en avait les moyens, il a répondu sans hésiter: «Achetez un livre». C'est aussi mon opinion.

Toutefois, il ne faudrait pas se leurrer et croire que le seul outil d'apprentissage est l'imprimé. Un document d'Industrie Canada révèle que le gouvernement souhaite de plus en plus prendre le virage de l'autoroute de l'information. Le présent gouvernement s'est fixé comme objectif de rendre disponibles d'ici l'an 2000 sous forme électronique et, parfois, seulement électronique 25 p. 100 de ses biens et services, plus particulièrement de ses publications. C'est beaucoup de papier qui ne sera jamais imprimé, beaucoup d'ouvrages qui ne seront pas achetés.

Les bibliothèques sont des établissements de dépôt sélectif, de sorte que nous obtenons une partie de ces publications sans frais. Par contre, beaucoup de gens doivent payer pour les obtenir. Si désormais la seule façon de les obtenir est sous forme électronique, la société et le gouvernement auront un problème parce que les deux tiers presque du pays sont habités par des personnes qui n'ont pas d'ordinateur à la maison. Par conséquent, la solution initiale consiste à leur donner accès aux ordinateurs dans les bibliothèques publiques. Il existe donc une relation symbiotique entre le gouvernement et le réseau de bibliothèques publiques visant à offrir l'accès aux publications électroniques.

Nous consacrons 15 p. 100 environ de notre budget d'acquisition de 1,6 million de dollars à l'achat de produits et de services électroniques, y compris des CD-Rom et des livres-cassettes. De plus, nous sommes en train d'examiner toute la question de l'acquisition de bases de données sous licence. Cela signifie qu'il faudra acheter une licence donnant accès à certaines bases de données, par exemple dans le domaine de la santé, et que nous mettrons ensuite ces bases de données à la disposition du public sans frais. Ces services sont tous taxés et, par conséquent, encore plus coûteux.

En guise de conclusion, je dirais que nous sommes d'accord pour abolir la taxe sur les documents qui ne sont pas à lire et qui ne sont pas imprimés. De plus en plus, c'est dans ces documents que les gens se procurent leurs informations. Cela ne signifie pas qu'ils ne les lisent pas. Le plus souvent, cette information n'est pas offerte sous forme de tableaux, mais de textes. La seule différence, c'est qu'elle se trouve sur un écran d'ordinateur. De plus en plus, nous constatons que, bien qu'ils soient ravis d'avoir l'information à l'écran, les gens ne peuvent résister à l'envie de l'imprimer. En fin de compte, c'est une façon pour eux d'obtenir un imprimé plus vite.

Je suis consciente que la question de la pornographie a fait des vagues dans le passé. Je ne connais pas les chiffres exacts concernant les dépenses affectées au matériel pornographique par opposition à tous les autres genres de documents à lire. Ma seule préoccupation, c'est que l'on ne pénalise pas tous les lecteurs de matériel non pornographique à cause d'un petit groupe.

Comme je n'ai pas fait de recherche à ce sujet particulier, je dis ça comme ça. Je ne crois pas que l'abolition de la taxe sur le matériel pornographique ou son maintien ait une très grande influence sur la quantité de publications pornographiques achetées.

Le président: Je vous remercie de cet exposé.

Je remarque que nous avions réservé 15 minutes pour entendre le Don't Tax Reading Coalition. En fait, les porte-parole de cet organisme avaient offert de revenir si nous avions besoin de précisions techniques ou si nous avions des questions au sujet de leur témoignage. Je serais enclin à renoncer à les faire témoigner à nouveau. Nous avons déjà fait circuler l'information de l'OCDE dont il avait été question quand ils étaient ici. Le sénateur Di Nino sera notre dernier témoin. Je crois qu'ainsi, nous pourrons boucler nos travaux mardi prochain.

Si quelqu'un a d'autres informations à nous communiquer, il peut le faire par écrit. Nous la ferons circuler auprès des membres du comité.

Le sénateur Di Nino: Monsieur le président, je puis vous dire que les porte-parole de Don't Tax Reading Coalition avaient offert de revenir parce que, lors de leur témoignage, le 6 mai dernier, la distribution de leur documentation avait posé un problème et qu'ils avaient été incapables de finir leur exposé. Toutefois, si les membres du comité estiment qu'ils disposent de suffisamment d'informations, étant donné particulièrement le mémoire reçu, cela ne me pose pas de problème.

Le président: Nous avons ce document et, si quelqu'un a des questions au sujet du témoignage, il peut les poser par votre intermédiaire ou par écrit. Tenons-nous en à cela pour l'instant.

La séance est levée.


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