Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 14 - Témoignages pour la séance du 9 juin 1998
OTTAWA, le mardi 9 juin 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 heures pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Colin Kenny (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président suppléant: Honorables sénateurs, nous entendrons Mme Brenda Chamberlain, secrétaire parlementaire au ministre du Travail, et M. Michael McDermott, sous-ministre adjoint principal, Revue législative.
Mme Chamberlain, secrétaire parlementaire au ministre du Travail: D'abord, j'aimerais vous remercier de m'avoir invitée aujourd'hui. J'informe les membres du comité que le ministre MacAulay est à Genève. Il aurait aimé être ici aujourd'hui, mais il est à l'OIT. Je sais qu'il sera rentré à temps pour l'étude article par article qu'effectuera le comité vers le 17 juin.
Je suis honorée de témoigner devant vous aujourd'hui, à cette étape du débat parlementaire sur ce projet de loi très important qui vise à modifier la partie I du Code canadien du travail. Ceux d'entre vous qui ont siégé au comité durant la dernière Législature connaissent probablement les principaux éléments du projet de loi, parce qu'il se fonde sur son prédécesseur, le projet de loi C-66, qui s'est rendu à la troisième lecture au Sénat avant de mourir au Feuilleton, en raison du déclenchement des élections.
L'automne dernier, nous l'avons déposé à nouveau sous le numéro C-19. Il a été débattu en profondeur à la Chambre et en comité et a été adopté récemment en troisième lecture.
Lors de la deuxième lecture au Sénat, le sénateur Maheu a fait récemment une bonne description du contenu du projet et loi et indiqué notamment comment nous avons dissipé les inquiétudes soulevées par les sénateurs lors du débat sur le projet de loi précédent. Aujourd'hui, j'aimerais revenir un peu en arrière pour prendre un peu de recul et situer le contexte du monde complexe des relations du travail.
La partie I du Code canadien du travail s'applique à quelque 700 000 employés, dont environ la moitié sont visés par une convention collective. Un grand nombre d'entre eux travaillent dans les secteurs clés des transports et des communications, deux secteurs importants pour le tissu économique du pays et où les conditions de travail changent très rapidement. Il n'est donc pas étonnant de pouvoir trouver facilement des sujets de désaccord lorsqu'on tente de modifier la législation, mais tentons d'abord de trouver les aspects sur lesquels nous nous entendons tous.
Nous avons une tradition de liberté des négociations collectives qui remonte au début du siècle. Les Canadiens ont toujours cru au droit des parties de négocier librement les conditions d'emploi et la rémunération et d'imposer comme sanction ultime la grève ou le lock-out. Je suis convaincue que toutes les personnes ici présentes s'entendent sur ces principes fondamentaux de la démocratie canadienne. Nous pouvons nous entendre sur le fait que, dans l'ensemble, ce système a remporté plus de succès qu'essuyé d'échecs. Plus de 95 p. 100 des ententes sont conclues sans les perturbations qu'occasionne une grève ou un lock-out.
Nous pouvons aussi nous entendre sur le fait que, ces dernières années, le monde du travail a évolué plus rapidement et plus profondément que jamais. Le commerce planétaire, la restructuration des sociétés et les progrès rapides de la technologie et des télécommunications ont eu des conséquences sur chacun d'entre nous. Il est difficile de trouver un milieu de travail qui n'a pas senti les effets de l'informatique. Nous avons même changé notre façon de nous exprimer pour décrire des procédés de travail et de fabrication qui n'existaient pas il y a une décennie.
Enfin, nous pouvons nous entendre sur le fait que, puisque notre façon de nous exprimer, notre travail, nos structures sociales, voire même notre vie familiale se modifient, nos lois aussi doivent changer pour tenir compte des nouvelles réalités.
Les modifications apportées dans le projet de loi C-19 tentent justement d'actualiser la législation ouvrière fédérale pour qu'elle entre de plain-pied dans le XXIe siècle.
Affirmer qu'il y a eu de vastes consultations serait bien peu dire. Nous sommes arrivés là où nous sommes actuellement à l'issue d'un processus qui a commencé il y a près de trois ans. Sous la direction du Groupe de travail Sims, créé à la fin de juin 1995, des consultations publiques ont été organisées au Canada à l'automne de cette année-là. La liste des groupes intéressés qui ont témoigné en personne ou présenté des mémoires comprend tout le gratin du monde patronal et ouvrier au Canada.
Les fédérations provinciales du travail, les conseils d'entreprises et d'employeurs, les syndicats et les organismes nationaux du travail, les employeurs fédéraux, les groupes de la fabrication et des communications et les chambres de commerce ont tous eu voix au chapitre. Le rapport du Groupe de travail Sims a ensuite jeté les bases de la rédaction et du dépôt du projet de loi C-66 et de son successeur, le projet de loi C-19, qui a fait l'objet d'un débat approfondi à la Chambre et en comité. Qu'il s'agisse des consultations avec les experts, les intéressés, le public et les parlementaires, je pense qu'on peut affirmer sans se tromper que les dispositions de ce projet de loi ont été débattues en profondeur.
Je serai la première à reconnaître que le projet de loi C-19 porte sur certains sujets épineux. Les relations de travail dans un pays aussi vaste et varié que le Canada ne se prêtent pas à des solutions rapides, en particulier quand on tente de comprendre les deux côtés de la médaille.
C'est pourquoi ce projet de loi, qui modernise les conditions dans lesquelles les parties négocieront, revêt une si grande importance. La partie I du Code canadien du travail a toujours tenté de trouver un équilibre entre les droits et les responsabilités des employeurs, des syndicats et des employés, et à prévoir des processus et des mécanismes équitables pour résoudre rapidement les différends. Il touche à certaines des questions difficiles que vous avez soulevées l'an dernier et tout récemment encore.
Ainsi, le Groupe de travail Sims a déclaré qu'il ne faudrait pas interdire de façon générale le recours à des travailleurs de remplacement, et il n'y a pas d'interdiction de ce genre dans le projet de loi. Il y a une possibilité d'interdiction très précise. Nous sommes du même avis que le Groupe de travail Sims et croyons qu'il faut interdire le recours à des travailleurs de remplacement pendant un un conflit, lorsque la preuve est faite que cette pratique vise à miner la capacité de représentation du syndicat et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation. Le Groupe de travail recommandait en outre que, lorsqu'il est établi que le recours à des travailleurs de remplacement constitue une pratique déloyale, le Conseil soit habilité à interdire le recours à ces travailleurs, et nous avons pris des mesures en ce sens.
Au cours de vos discussions, le sénateur Maheu a décrit de manière assez détaillée la question de l'accréditation syndicale prévue à l'article 46. Cet article permet au Conseil d'accréditer un syndicat lorsqu'un employeur a eu recours à une pratique de travail déloyale. Je ne répéterai pas les raisons exposées avec brio par le sénateur pour démontrer l'équité de cette disposition, si ce n'est pour ajouter que personne ne devrait profiter de ses écarts de conduite, surtout quand il s'agit d'une pratique de travail déloyale.
En ce qui concerne la manutention des grains, nous convenons qu'aucun consensus n'a été établi, mais tout le monde reconnaît que nous devions mettre fin au mauvais usage du Parlement par les parties qui nous demandaient d'intervenir pour régler leurs problèmes. Le projet de loi C-19 exige donc le maintien des services aux navires céréaliers en cas d'arrêt du travail dans nos ports. J'ajoute que cette disposition est appuyée sans réserve par nos producteurs de céréales et par l'industrie céréalière, ceux-là même que nous essayons de protéger par cette disposition. Son efficacité sera examinée après la prochaine série de négociations collectives des débardeurs de la côte Ouest.
Le débat sur ces dispositions ainsi que sur toutes les autres dispositions du projet de loi C-19 revient toujours à la question de l'équilibre. Nous devons donc nous demander si, toutes choses étant égales par ailleurs, ce projet de loi présente un ensemble équilibré de processus et de procédures applicables au monde complexe des relations de travail au Canada. À titre de parlementaires et de législateurs, nous devons adopter cette attitude, surtout lorsque les questions sont épineuses. Si nous ne pouvons être les garants de l'équilibre et de l'équité, qui le sera, je vous le demande?
Le projet de loi relève ces défis. Il est juste et équilibré. Il améliore le cadre des négociations collectives et favorise la collaboration entre les employeurs et les employés. J'ai hâte d'en discuter avec vous aujourd'hui.
Le sénateur Kinsella: Madame Chamberlain, merci de votre exposé.
Je rappelle d'abord que nous pouvons poser des questions relatives à une politique du gouvernement uniquement lorsqu'un secrétaire parlementaire ou un ministre comparaît devant nous. Lorsque nous entendons des fonctionnaires, il est généralement considéré déplacé de poser des questions sur les politiques gouvernementales. Étant donné que vous êtes notre premier témoin, vous pouvez parler des questions de politique.
Je ne sais pas si vous avez suivi le débat sur ce projet de loi lors de la deuxième lecture. L'une de nos craintes était le fait que, à notre grand étonnement, ce projet de loi, ainsi que la tentative de moderniser le Code canadien du travail afin qu'il entre de plain-pied dans le XXIe siècle, pour reprendre votre expression, ne modernisera pas du tout le Code canadien du travail puisqu'il est truffé d'expressions sexistes.
Le gouvernement du Canada n'a-t-il pas pour politique d'éviter de rédiger des lois dans une langue sexiste? C'est une politique que tous les gouvernements du Canada ont adoptés, et avec vigueur, depuis le milieu des années 80.
Mme Chamberlain: Je comprends votre inquiétude, sénateur. J'ai été informée que le projet de loi C-19 a été rédigé en termes généraux, non sexistes. Je sais que cette question vous préoccupe. J'aimerais bien savoir exactement quelles dispositions vous inquiètent.
Ce projet de loi est conforme à la politique de Justice Canada qui vise à rédiger les nouvelles lois dans un langage non sexiste. Il y a des différences entre les versions anglaise et française, mais les principes généraux s'appliquent.
Je demanderais à Michael McDermott de donner des explications sur ces deux aspects. Nous croyons que le projet de loi dissipe vos inquiétudes.
M. Michael McDermott, sous-ministre adjoint principal, Revue législative, Partie I du Code canadien du travail, ministère du Développement des ressources humaines du Canada: Monsieur le président, les rédacteurs du projet de loi ont tenté d'utiliser un langage non sexiste. J'en ai été assuré par le rédacteur de Justice Canada. Ainsi, il y aura désormais un président du conseil qui sera désigné «chairperson» en anglais, plutôt que «chairman» comme le prévoit le Code actuel.
Le Code actuel n'est modifié que dans la mesure où le projet de loi en modifie le fond. Il n'y a pas d'autres modifications à ce code, qui existe depuis assez longtemps, comme vous le savez, sénateur Kinsella.
Le sénateur Kinsella: Les honorables sénateurs constateront que l'article 3 du Code de travail est modifié par le projet de loi C-19. Dans la version anglaise de l'alinéa 3(1)b) du Code, au lieu d'employer un mot «fisher», par exemple, on emploie, «fisherman». Les articles 105, 106 et 107 du Code renvoient «au» ministre et à ce qu'«il» peut faire.
Les rédacteurs du ministère de la Justice ont-ils rédigé le projet de loi en fonction des instructions écrites du ministère du Travail ou vos avocats ont-ils rédigé ce projet de loi?
M. McDermott: Les rédacteurs de Justice Canada en ont fait la rédaction, en collaboration avec les services juridiques de DRHC et avec l'aide du personnel de DRHC.
Le sénateur Kinsella: Les instructions concernant la rédaction venaient de Travail Canada, n'est-ce pas?
M. McDermott: Oui, comme c'est le cas habituellement, monsieur.
Le sénateur Kinsella: Dans ces instructions, l'intention du gouvernement, exprimée dans le discours du Trône, consistait à «moderniser» le Code du travail. Le fait que cette mesure vise à moderniser le Code canadien du travail a été souligné par le ministre Gagliano avec le projet de loi C-66, le ministre MacAulay avec le projet C-19, la secrétaire parlementaire il y a un instant et ma collègue, le sénateur Maheu dans son discours. Si les instructions données par Travail Canada au ministère de la Justice visaient à rédiger ces modifications de manière à moderniser le Code du travail, comment expliquez-vous cette omission et le fait qu'on a remis au ministre un projet de loi qui n'apporte pas ces corrections?
M. McDermott: Monsieur le sénateur, je crois qu'il est très conforme à toutes les autres lois existantes qui sont modifiées. Ce qui est modifié l'est en employant des termes non sexistes. Vous avez cité l'article 105 du Code. Cet article est modifié par une nouvelle numérotation, et un paragraphe supplémentaire est ajouté. La politique de Justice Canada, qui détermine les termes employés, consiste à ne pas changer l'article 105, parce qu'il s'agit uniquement d'un changement de numéro et non d'un changement de politique.
Le sénateur Kinsella: Si je comprends bien notre régime de gouvernance parlementaire, le gouvernement exprime d'abord sa politique et le programme qui en découle dans son discours du Trône. Le gouvernement dit: «Voici notre programme, qui repose sur les principes de politique suivants.» Le principe de politique qui a été énoncé à maintes reprises est que le gouvernement souhaite moderniser le Code canadien du travail. Il ne s'agissait pas de moderniser certaines modifications, mais de moderniser le Code canadien du travail. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu'on n'a pas examiné sérieusement le Code canadien du travail depuis 25 ans.
Si nous examinons le Code canadien du travail pour la première fois depuis 25 ans, alors pourquoi n'avez-vous pas présenté à votre ministre une révision des articles que vous modifiez par le projet de loi C-19? Pourquoi ne dites-vous pas également que vous devez dépoussiérer de nombreux articles qui, techniquement, ne sont pas visés par le projet de loi C-19? Il y a plus d'une quinzaine d'erreurs de rédaction dans les articles modifiés par le projet de loi C-19. Pouvez-vous me donner une explication?
M. McDermott: Je crois, sénateur, que les articles pouvant vraiment faire l'objet de modifications pour des raisons de politique ont été dépoussiérés et qu'on a supprimé tout langage sexiste. Je le répète, nous avons maintenant en anglais un «chairperson» du Conseil, ce qui n'était pas le cas auparavant. Le Code canadien du travail a été modifié pour la dernière fois en profondeur en 1973. Il y a eu quelques modifications depuis, en 1978 et en 1984, mais elles n'étaient pas aussi profondes.
Le libellé du projet de loi C-19 est devenu non sexiste. Il y a cependant un article, je ne me souviens plus lequel, où les mots «he or she» sont employés. Des efforts ont été déployés pour éviter d'utiliser des pronoms d'un genre ou d'un autre. Nous avons observé ces règles.
Je me soucie de la définition de ce qui peut être changé. On nous a dit que la politique de Justice Canada consiste à rédiger toute nouvelle loi, une loi qui n'existait pas du tout auparavant, de manière non sexiste et que les projets de loi de modification sont non sexistes eux aussi. Mais les lois existantes ne seront pas touchées. Modifier toutes les lois de la sorte serait une entreprise gigantesque.
Le sénateur Kinsella: Le témoin affirme que ce serait une entreprise gigantesque de rendre les lois existantes non sexistes. Je crois pour ma part que le nombre de modifications nécessaires serait limité.
Si nous avons une certaine marge de manoeuvre en ce qui concerne les délais proposés pour examiner ce projet de loi, nous aurions peut-être assez de temps pour apporter des changements visant à rendre non sexistes les articles du Code visés par le projet de loi C-19 ainsi que ceux qui ne le sont pas. Quoi qu'il en soit, c'est une question qui me préoccupe beaucoup.
Les sénateurs qui croient que leur rôle consiste notamment à faire le ménage dans les lois prennent cette question au sérieux. À moins que le gouvernement n'indique qu'il n'a plus comme politique de rédiger des lois en des termes non sexistes, nous devrons apporter ces modifications.
En ce qui concerne maintenant une question de fond, la secrétaire parlementaire a parlé du processus d'accréditation prévu à l'article 46 et par lequel le nouveau Conseil canadien des relations industrielles peut accorder l'accréditation à un syndicat en cas de pratique du travail déloyale. Même si la majorité votait dans l'autre sens, le Conseil pourrait imposer une accréditation en accord avec le vote minoritaire. Autrement dit, l'article 46 permet à ce Conseil canadien des relations industrielles de passer outre à la démocratie.
Ma question s'adresse donc à la secrétaire parlementaire: Avez-vous lu le dix-septième rapport du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été déposé au Sénat le 25 avril 1997 et que vous avez mentionné dans votre déclaration? Avez-vous lu la partie où les sénateurs prennent position sur les dispositions relatives à l'accréditation et au pouvoir de passer outre à la démocratie?
Mme Chamberlain: Je n'ai pas lu ce rapport, mais je connais les préoccupations du sénateur dans ce domaine.
Le sénateur Kinsella: Mes préoccupations sont celles de mes collègues du Sénat, qui appuient majoritairement le gouvernement. En ce qui concerne l'accréditation, ils ont donné des conseils précis. Dans les Journaux du Sénat, ces conseils se trouvent aux pages 1284 et 1285 du 25 avril 1997.
Les honorables sénateurs ont fait observer que, selon eux, le gouvernement cherchait à donner au Conseil canadien des relations industrielles un pouvoir extraordinaire. Les sénateurs ont déclaré que cette disposition doit être réservée aux cas de conduite vraiment intolérable de la part de l'employeur.
Pensez-vous que cette disposition ne serait appliquée par le Conseil que lorsqu'une conduite intolérable serait appréhendée?
Mme Chamberlain: Oui, sénateur. Sans vouloir vous contredire, tout le monde se préoccupe de cette disposition du projet de loi.
J'ai assisté à de nombreuses séances sur le projet de loi. Une avocate qui a témoigné en a discuté en détail. Son interprétation de cette disposition du projet de loi était que si un employeur a recours à l'intimidation, notamment par des licenciements ou des rétrogradations, contre les employés qui risquent de former un syndicat, il n'y a pas beaucoup d'autres recours. De nombreux employeurs paieraient volontiers une amende plutôt que d'avoir un syndicat. Imposer des amendes aux employeurs ne réglera pas le problème. Le gouvernement du Canada doit prendre position vigoureusement dans ce domaine. Il faut laisser la démocratie s'exercer.
En réponse à votre question, cette disposition serait réservée uniquement aux cas extrêmes où l'on aurait fait la preuve de l'intimidation.
Le sénateur Maheu: Je suis particulièrement perturbée par les remarques sur les expressions sexistes dans les lois. L'article 33 de la Loi sur l'interprétation ne vise que les dispositions des lois qui sont modifiées. Je ne suis pas certaine d'avoir été convaincue par les réponses que j'ai reçues aujourd'hui.
En ce qui concerne le français, il faut faire la distinction entre le sexe et le genre des mots. Je tiens à ce que ce soit clair dans le compte rendu, parce que je n'ose pas croire que notre gouvernement -- je sais que ce n'est pas le cas -- est devenu soudainement très sexiste dans la rédaction des lois.
Le genre d'un mot n'est pas lié au sexe en français. Ainsi un homme peut être désigné «une personne», ce qui englobe aussi les femmes. Les noms de genre masculin tels que président, ministre et médiateur ne désignent pas, en français, le sexe de la personne qui occupe le poste. M. McDermott a déjà mentionné que le mot «chairman» a été remplacé par «chairperson». «He or she» n'a pas vraiment d'importance en français.
On tente peut-être de donner l'impression que le gouvernement est sexiste et je ne suis pas du tout d'accord. Je veux que ce soit bien clair et que le compte rendu indique bien que si nous avons oublié quelque chose, nous devrions proposer immédiatement une modification et corriger la situation.
J'ai demandé à notre collègue de revenir sur la question de l'accréditation. Même si vous avez indiqué qu'aucun autre endroit au Canada n'est dans la même situation, j'aimerais m'assurer à nouveau que l'Alberta, le Manitoba, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve prévoient des votes secrets obligatoires sur la représentation. On n'a rien dit à propos de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard ou du Québec, qui ne prévoient pas des votes obligatoires. Pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet, s'il vous plaît?
On m'a remis hier un document indiquant que l'Ontario a déposé un projet de loi le 4 juin. Une modification enlèverait à la Commission des relations de travail de l'Ontario le pouvoir d'accorder une accréditation à un syndicat qui fait une demande d'accréditation lorsque le vote de représentation est négatif, même lorsqu'il y a eu une conduite déloyale de la part de l'employeur.
Cette disposition existe en Ontario depuis 20 ans et l'Ontario l'abrogerait, à cause d'une affaire, l'affaire Wal-Mart. Wal-Mart semble être contre les syndicats, c'est une autre question qui me dérange. En ce qui concerne l'accréditation, je vous demande de donner des précisions sur les provinces qui la permettent et celles qui ne la permettent pas.
Mme Chamberlain: Je parlerai d'abord du vote obligatoire, parce que je sais que le comité se préoccupe vraiment des gens. L'appui majoritaire a toujours été et restera le principe de base de l'accréditation syndicale. Le Groupe de travail Sims a constaté que le système des cartes de membre s'est révélé être un moyen efficace de connaître les désirs des employés et il recommandait que le pouvoir du Conseil d'accorder une accréditation en fonction de l'appui majoritaire soit maintenu, tout comme le pouvoir actuel du Conseil de tenir un scrutin de représentation dans tous les cas.
Le système des cartes de membre a l'avantage d'exiger l'appui majoritaire de tous les employés faisant partie d'une unité de négociation et pas seulement de ceux qui participent au scrutin. Il réduit également les risques d'obstruction aux désirs des employés par l'employeur. Le maintien des pouvoirs actuels du Conseil en ce qui concerne la tenue d'un scrutin de représentation faisait partie de l'ensemble des recommandations du Groupe de travail et que les employeurs et les employés ont acceptées, les considérant justes et équilibrées.
Vous avez tout à fait raison au sujet des cinq provinces qui prévoient de telles dispositions. Elles estiment évidemment qu'il s'agit d'un élément important. Elles reconnaissent que des employeurs ont parfois recours à l'intimidation. C'est peut-être un peu difficile à croire, mais pour certains dirigeants, la formation d'un syndicat n'est pas une idée réjouissante, loin de là. Ils feront n'importe quoi pour empêcher la formation d'un syndicat.
Nous devons comprendre ce principe lorsque nous adoptons des lois, et c'est précisément pour cette raison que nous avons inclus les dispositions qui se trouvent dans le projet de loi, afin de permettre le mouvement et l'équilibre. Nous croyons également que, de la façon dont nous l'avons conçu, le Conseil jouera un rôle crucial pour être informés lorsque se produisent des infractions de ce genre. Ceux qui seront nommés au Conseil doivent posséder de vastes connaissances qui, selon nous, seront un facteur clé pour corriger la situation lorsque des gens posent des actes qu'ils ne devraient pas poser.
Le sénateur Maheu: Et la langue sexiste, qu'en dites-vous?
Mme Chamberlain: Là encore, nous n'avons pas changé le libellé de la loi existante, mais nous croyons que le projet de loi C-19 n'est pas sexiste. Il est conforme à la politique de Justice Canada concernant la rédaction de nouvelles lois. Mais je comprends très bien vos préoccupations, en particulier en tant que femme, et je sais que nous voulons que la loi soit rédigée correctement.
Le sénateur DeWare: Dans ce projet de loi, on emploie assez souvent l'expression «pratique de travail déloyale». Elle est employée dans le contexte des travailleurs de remplacement et de l'accréditation, par exemple. Pourquoi a-t-il fallu ajouter cette expression dans le projet de loi? Pouvez-vous nous donner des exemples de pratiques déloyales dans les ententes ou les négociations collectives?
M. McDermott: Le conseil fédéral et les commissions provinciales des relations du travail ont établi une importante jurisprudence en ce qui concerne les pratiques déloyales. Ne pas négocier de bonne foi est une pratique déloyale qu'on voit assez souvent.
Vous vous souviendrez peut-être des événements tragiques entourant le conflit à Royal Oak il y a quelques années, à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. La pratique déloyale qui a été employée là-bas a consisté à refuser d'appliquer les recours relatifs aux griefs et aux congédiements, par exemple. En ce qui concerne les accréditations, nous avons vu quelques pratiques déloyales dans le secteur du transport aérien, où l'on a résisté aux efforts des employés qui voulaient s'organiser ou encore, lorsque les employés ont été organisés, on a pris tout son temps pour retarder la conclusion d'une première convention collective. Il s'agit de ce genre de pratiques.
Divers termes sont employés pour décrire des pratiques déloyales. Il y en a un bien connu qui vient d'Eastern Provincial Airways. On a inventé l'expression «horizon fuyant». Au cours des négociations, le syndicat était prêt à accepter les conditions de l'employeur après un arrêt de travail mais il a constaté que l'horizon avait été repoussé. Ce qui était sur la table auparavant avait disparu. Il a été établi qu'il s'agissait d'une pratique de travail déloyale.
Chaque cas de pratique déloyale est unique en son genre et le Conseil tranche la question en se fondant sur les faits.
Le sénateur DeWare: Je trouve que ce projet de loi donne beaucoup de pouvoir au Conseil, qui peut faire à peu près tout ce qui lui plaît.
Combien d'organisations qui relèvent actuellement de la loi -- secteur bancaire, transports -- ne sont pas déjà syndiquées?
M. McDermott: De 30 à 35 p. 100 des travailleurs canadiens sont syndiqués. Au fédéral, le taux s'approche de 50 p. 100.
Le sénateur DeWare: Les travailleurs qui relèvent du gouvernement fédéral?
M. McDermott: Uniquement ces travailleurs, qui représentent environ 6 p. 100 de la population active. Sur les quelque 15 millions de travailleurs qui existent au pays, environ 700 000 seulement relèvent du gouvernement fédéral ou tout au moins de la partie I. La fonction publique fédérale ne relève pas de la partie I.
Le sénateur DeWare: Vous dites qu'environ 50 p. 100 sont syndiqués actuellement?
M. McDermott: Cinquante pour cent des 6 p. 100.
Le sénateur DeWare: Quand nous nous sommes penchés sur le projet de loi C-66, ceux qui sont venus témoigner au comité s'inquiétaient beaucoup des travailleurs de remplacement et, comme vous le savez, cette question est encore sur le tapis. Ils nous ont donné l'impression à l'époque qu'ils étaient disposés à accepter la recommandation du Groupe de travail Sims au sujet des travailleurs de remplacement. Je crois que c'était bien évident.
Pouvez-vous m'expliquer pourquoi, si on est parvenu à un consensus au sein du Groupe de travail Sims au sujet des recommandations, vous n'en avez pas tenu compte dans cette modification du projet de loi?
Mme Chamberlain: Nous l'avons fait. Tel que recommandé par la majorité des membres du Groupe de travail Sims, le projet de loi n'interdit pas de manière générale le recours à des travailleurs de remplacement. C'est d'ailleurs l'un des changements qui ont été apportés depuis le projet de loi C-66.
Le sénateur DeWare: Ce n'est pas ce qu'on lit. Ce n'est pas interprété ainsi. Vous n'avez pas employé les mêmes termes que dans le rapport du Groupe de travail Sims.
Mme Chamberlain: Je laisse M. McDermott répondre. Je crois que le libellé a changé.
Le sénateur DeWare: Pas selon ce document. Il est question des travailleurs de remplacement à l'article 94.
M. McDermott: Sénateur, ce n'est pas une interdiction générale et vous ne trouverez pas dans le projet de loi C-19 d'interdiction générale du recours aux travailleurs de remplacement. Vous trouverez une interdiction particulière dans les cas où les travailleurs de remplacement visent à miner la capacité de représentation d'un syndicat. En termes simples, que les rédacteurs de lois trouveraient peut-être un peu trop crus, cette disposition désigne l'«antisyndicalisme».
Le sénateur Gigantès: Pourquoi les termes simples sont-ils crus?
M. McDermott: Je n'ai pas dit qu'ils l'étaient. J'ai dit qu'on pourrait penser qu'ils le sont. Il ne convenait peut-être pas de parler d'antisyndicalisme, sénateur.
Le sénateur DeWare: Le rapport Sims recommande qu'on n'interdise pas de façon générale le recours à des travailleurs de remplacement. C'est la première phrase. Puis, il est question du recours à des travailleurs de remplacement pendant un un conflit, lorsque la preuve est faite que cette pratique vise à miner la capacité de représentation du syndicat.
Je trouve que c'est mal défini et que c'est ce qui explique nos préoccupations. Comment définit-on «lorsque la preuve est faite» et comment sait-on que la pratique vise à miner la capacité de représentation?
Ma crainte est la suivante. N'importe qui, n'importe quel syndiqué peut affirmer que l'employeur fait preuve de mauvaise foi ou emploie des pratiques déloyales. Mon expérience -- et la vôtre également -- démontre que les syndicats de notre pays sont très bien organisés et très bien préparés. Ils jouissent d'appuis énormes. Ils seront très actifs au sein de ce Conseil des relations industrielles composé à moitié de représentants des employeurs et à moitié de représentants des employés. Ils affirmeront qu'il s'agit d'une pratique déloyale et ils auront le dernier mot. Le Conseil tranchera.
À mon avis, on n'aura pas recours à des travailleurs de remplacement au Canada en vertu de ce projet de loi, à cause de la façon dont il est rédigé.
Mme Chamberlain: Il ne fait aucun doute que les syndicats sont très bien organisés. Mais il y a une raison à cela dans notre magnifique pays. Des employeurs ne traitaient pas bien les employés. Des employeurs ne se comportaient pas comme il faut.
Le sénateur DeWare: Je suis d'accord avec vous.
Mme Chamberlain: Le gouvernement du Canada a un rôle à jouer dans ces circonstances. Par contre, il ne faut pas faire l'erreur de croire que les employeurs ne sont pas bien organisés, qu'ils n'ont pas de grands réseaux et n'exercent pas un énorme pouvoir, en particulier sur leurs employés. Les syndicats ont été créés pour aider les employés à s'imposer. Je peux comprendre et apprécier vos préoccupations concernant la composition du Conseil, mais je pense qu'il y aura un équilibre; comme vous l'avez déclaré, il y aura des représentants des employés et des représentants des employeurs, des gens ayant des compétences juridiques et d'autres des compétences en relations industrielles.
Nous espérons que le Conseil sera équilibré. Quand il y a un équilibre, il y a aussi une énorme responsabilisation. Je ne crains pas du tout ce conseil.
Le sénateur DeWare: Vous savez qu'il a été prouvé et écrit dans notre documentation que les employés estiment qu'il ne devrait jamais y avoir de travailleurs de remplacement.
Mme Chamberlain: Les employeurs estiment qu'il devrait toujours y en avoir. C'est l'envers de la médaille.
Le sénateur DeWare: Au Canada, des compagnies ont fait faillite à cause d'une grève qui les a empêchées de fonctionner et qui leur a donc fait perdre des contrats. Quel a été le résultat? Des emplois ont été perdus. Des gens ont perdu leur emploi et leurs avantages sociaux. Évidemment, nous ne voulons pas que cela se reproduise.
C'est le libellé qui pose problème. On affirme d'abord qu'il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d'un syndicat... Si vous aviez repris la formulation du rapport Sims, vous vous en seriez probablement sortis. Pouvez-vous définir ce qu'est un «but établi»?
M. McDermott: «Établi» est l'un des mots qui ont été ajoutés, afin qu'il ne fasse aucun doute que le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Ce mot ne se trouvait pas dans le projet de loi C-66.
Le sénateur DeWare: Le rapport Sims dit qu'il faut faire la preuve que le recours à des travailleurs de remplacement vise à miner la capacité de représentation du syndicat. Vous n'avez pas formulé l'article de cette façon. Vous soutenez que vous avez inclus la disposition, mais la formulation est différente.
M. McDermott: Nous n'avons pas repris le libellé exact du rapport Sims, mais nous avons utilisé les mêmes mots, peut-être pas dans le même ordre, cependant. Je ne crois pas que cela change le sens. Les ETCOF, le principal groupe d'employeurs fédéraux, ont demandé ces types de changement et se sont déclarés satisfaits du projet de loi actuel.
Nous avons aussi ajouté «et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation», ce qu'on trouve également dans les recommandations du rapport Sims.
Le sénateur DeWare: Vous constaterez probablement dans nos séances que les gens ne sont pas encore contents du libellé.
M. McDermott: Certains se sont toujours montrés insatisfaits, mais je faisais allusion au principal groupe d'employeurs fédéraux, les ETCOF.
Le sénateur Johnstone: Je vous souhaite la bienvenue ce matin. Il est intéressant d'entendre vos arguments. Je crains de percevoir un préjugé favorable aux syndicats et cela me préoccupe. La syndicalisation peut être imposée aux travailleurs, qu'ils le veuillent ou non, si je comprends bien le projet de loi C-19. Je ne voudrais pas que cela arrive. Dans un pays démocratique, les travailleurs devraient avoir le droit de décider par eux-mêmes.
Je suis un peu réconforté par le fait que le projet de loi n'interdit pas les travailleurs de remplacement, mais il est très vague en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil des relations du travail. Moi aussi, je me soucie de l'équilibre. Mais les pratiques déloyales peuvent provenir des deux camps, pas seulement de l'employeur, des syndicats également. Je sais qu'il est très difficile de parvenir à cet équilibre, mais c'est l'objectif du projet de loi.
Je ne sais pas si vous voulez revenir sur ces questions. On en a déjà discuté, mais je voulais seulement mentionner que je m'en préoccupe.
Mme Chamberlain: Merci. Je suis contente d'entendre vos préoccupations. Vous n'êtes pas le premier à les exprimer, nous les avons entendues au cours de nos audiences, nous aussi. Mais permettez-moi de vous faire une confidence. Au cours de toutes les audiences auxquelles j'ai assisté, il y avait toujours un appui général à ce projet de loi. Tous les groupes qui sont venus ont exprimé des préoccupations relatives à un domaine en particulier, mais du même souffle, ils affirmaient tous que si leurs préoccupations étaient dissipées, ils appuieraient le projet de loi.
Cela me confirme que nous avons trouvé un juste milieu, parce que, dans chaque groupe, quelqu'un s'opposait à un aspect ou à un autre. L'un aimait les dispositions relatives à la manutention des grains, l'autre pas; l'un aimait les dispositions concernant les travailleurs de remplacement, l'autre pas. Il n'y a pas eu de rejet de l'ensemble du projet de loi. Je le répète, j'ai confiance dans la composition du Conseil. Je sais que ceux qui s'opposent à ce projet de loi demandent ce qui arrivera si le Conseil prend telle ou telle décision. C'est une possibilité, mais à titre de législateurs, nous ne voulons certainement pas imposer une règle qui ne fonctionnera pas. Nous disons que nous ferons appel à des gens qualifiés et compétents dans ce domaine, qui seront en mesure d'évaluer chaque cas.
Je pense que c'est dans cette direction qu'il faut aller. Je ne peux pas imaginer d'autre façon de procéder. Vous pensez peut-être que j'ai un penchant en faveur des syndicats. Je crois en l'équité, sénateur. Je crois en la base populaire. Je crois aux travailleurs, mais comme l'a indiqué le sénateur DeWare, nous devons aussi tenir compte des employeurs qui risquent de faire faillite, qui auraient moins d'emplois à offrir. Ce sont toutes des questions très importantes. Je pense que le projet de loi a apaisé un grand nombre de craintes. En ce qui concerne les travailleurs de remplacement, nous ne les avons pas interdits, nous avons laissé une porte ouverte pour que les employeurs puissent recourir à eux.
À mon avis, c'est un projet de loi bien ficelé. Comme l'a indiqué M. McDermott, les ETCOF, le groupe des employeurs fédéraux, l'appuient. Au fil de vos travaux, j'espère que vous entendrez la même chose -- un appui généralisé pour le projet de loi. Vous entendrez des propos négatifs de gens dont les intérêts portent sur un aspect en particulier. Mais vous entendrez aussi à quel point le projet de loi a du bon dans son ensemble et c'est un indice important.
Le sénateur Cohen: Madame Chamberlain, vous avez déclaré que, dans l'intérêt de l'équité, l'article 87.7 de la loi exige que la manutention des grains ne soit pas touchée durant les conflits ouvriers portuaires; or, de nombreuses industries autres que celle des céréales trouvent ce traitement préférentiel injuste. Des industries comme les pâtes et papiers et les mines craignent que le projet de loi ne fausse la dynamique classique de la négociation collective, prolonge les grèves, retarde indûment l'expédition de leurs exportations et résulte peut-être, en longue période, en des règlements coûteux,
L'article présuppose que les grains ont un statut spécial. Le ministère peut-il nous démontrer que le statut des grains est affirmé dans la loi ou nous donner un précédent juridique? En outre, que pensez-vous de l'affirmation que le gouvernement fédéral fait de la discrimination contre les denrées autres que les grains?
Mme Chamberlain: Il ne fait aucun doute que c'est un aspect litigieux du projet de loi. Cette disposition a été ajoutée parce que nos producteurs de céréales ont été tenus en otage, pour ne rien vous cacher.
Vous avez indiqué un article en particulier. Au cours du débat, j'ai parlé des grains et des déclarations qui se trouvent à l'article 55 de la Loi sur les grains du Canada et à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. En raison de ces déclarations, les silos à grain et les minoteries constituent des ouvrages à l'avantage général du Canada et leurs relations du travail sont assujetties à la partie I du Code canadien du travail.
Vous affirmez que les grains font l'objet d'un traitement spécial. Je vais vous répondre. Ce n'est pas nous qui avons demandé qu'ils aient un traitement spécial. On provoquait l'intervention du Parlement afin d'éviter de négocier. Il faut corriger cette situation d'une façon ou d'une autre. Nous avons rédigé un projet de loi qui tente d'y parvenir.
J'attire votre attention sur le fait que nous allons réexaminer la question dans un an pour voir comment les choses se passent, si tout fonctionne comme nous l'espérons. L'un des membres de l'opposition a déclaré que nous agissons ainsi parce que nous ne savons pas si ce que nous faisons est bien. Je vois la question bien autrement. Nous agissons ainsi parce que nous pensons qu'il convient, quand on prend une mesure de ce genre, de laisser passer un peu de temps et de voir comment les choses se déroulent. Nous avons la promesse du ministre à ce sujet. Vous pouvez le lire dans le hansard. Il est important de venir en aide des agriculteurs dont les expéditions sont continuellement retardées, et c'est exactement ce que nous tentons de faire.
Le sénateur Cohen: Je ne nie pas l'importance de l'industrie céréalière, mais vous constaterez peut-être au bout d'une année que les autres industries que vous écartez actuellement vous feront les mêmes récriminations et les mêmes demandes que vous faisait auparavant l'industrie céréalière.
Étant donné que certains syndicats ont indiqué durant les audiences publiques sur le projet de loi C-66 qu'ils accepteraient volontairement de continuer la manutention des grains en cas d'arrêt du travail, cette disposition est-elle vraiment nécessaire?
M. McDermott: Elle se rapporte en réalité au port de Vancouver et aux autres ports de la côte ouest. L'International Longshoreman and Warehouseman's Union a habituellement offert de manutentionner les grains en cas d'arrêt du travail dans le port, qu'il s'agisse d'une grève ou d'un lock-out, mais la British Columbia Maritime Employers Association a refusé de les laisser faire.
Le sénateur Cohen: Je vous souhaite bonne chance, mais j'ai des doutes. À en juger par le courrier que nous avons reçu, je pense que vous entendrez parler d'un grand nombre de ces groupes à la fin de l'année.
Mme Chamberlain: Merci. Je comprends vos objections.
Le sénateur Gigantès: L'une de mes objections générales a trait à la langue employée. Vous m'avez déjà entendu à ce sujet, monsieur. La langue doit être claire. Il n'est pas nécessaire de s'exprimer en jargon. Les gens devraient pouvoir comprendre sans avoir besoin d'un avocat. Ce projet de loi sent le jargon à plein nez, à mon avis.
Si le Sénat a réussi à présenter un rapport sur le projet de loi qui a précédé celui-ci et qu'il s'agit d'un rapport soigné et unanime qui ne sape pas l'esprit ni l'intention du projet de loi, est-ce vraiment trop vous demander que d'accorder plus d'attention aux souhaits de la chambre haute? Le Sénat peut bloquer les projets de loi et il l'a déjà fait. Quand vous recevez un rapport unanime, ce n'est pas un document frivole, ni partisan, c'est quelque chose que le Sénat a étudié avec soin en y mettant du temps et qu'il a rédigé pour améliorer la loi. Vous agissez comme si nous ne l'avions jamais écrit. Et si vous acceptez que nous l'avons écrit, vous pensez que nous n'avions probablement pas toute notre tête. Adopter cette attitude à l'égard du Sénat ne vous aidera pas, ni vous ni aucun autre ministère.
M. McDermott: Voulez-vous que nous répondions?
Le président suppléant: Vous êtes libres de le faire, si vous le voulez.
M. McDermott: Sénateur, je peux vous assurer que nous n'avons pas du tout ignoré le rapport. La première recommandation du rapport portait sur les travailleurs de remplacement. À notre avis, nous l'avons reprise intégralement. Elle disait que vous recommandez fortement que le Conseil canadien des relations industrielles applique et interprète la loi en tenant compte de la recommandation majoritaire du Groupe de travail. En réalité, nous sommes allés beaucoup plus loin dans cette disposition, qui ne figurait pas dans le projet de loi C-66, monsieur. Les mots supplémentaires que j'ai indiqués ont été ajoutés.
Le gouvernement accepte l'accréditation comme recours, mais le ministre a acquiescé à la demande du comité et s'engage à surveiller de près l'application pratique de cette disposition. Des modifications ont aussi été apportées en ce qui concerne les travailleurs à distance.
Le sénateur Gigantès: Quand nous avons discuté de l'article 94 de la loi, vous avez déclaré que le libellé est différent, mais que le sens est plus ou moins le même.
M. McDermott: Les différences sont extrêmement minces.
Le sénateur Gigantès: Si les différences sont extrêmement minces et que le sens est le même, pourquoi ne pas garder le libellé que le Sénat avait recommandé? Pourquoi le tripoter?
M. McDermott: Je pense qu'il y a une différence avec la recommandation du Groupe de travail. Nous avons ajouté le mot «établi» La disposition commence par «Il est interdit à tout employeur». C'est une interdiction, alors elle commence par ce qu'il ne faut pas faire. Puis, on ajoute le mot «établi», qui ne se trouvait pas dans la version précédente mais qui existait dans la recommandation figurant à la page 131 du rapport du Groupe de travail.
Le sénateur DeWare: La formulation est différente. Que signifie un «but établi»?
M. McDermott: Le mot «établi» a été ajouté pour clarifier le fardeau de la preuve. Il ne fait aucun doute que, selon ce libellé, le fardeau de la preuve incombera au syndicat qui demande une décision à ce sujet.
Mme Chamberlain: Cela renforce votre argument, sénateur DeWare.
M. McDermott: Ne figuraient pas non plus dans le projet de loi précédent les mots «et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation», ce qui renforce le fait que des travailleurs de remplacement peuvent être utilisés mais pas pour miner la capacité de représentation du syndicat. Dans la version anglaise antérieure, on employait le mot «representative» plutôt que «representational».
La notion de «représentation» est bien connue dans le milieu syndical. Un syndicat demande des droits de représentation. Il est tenu de représenter équitablement tous les membres des unités de négociation. C'est un domaine bien connu en jurisprudence.
Le sénateur Callbeck: Il en a peut-être été question avant que j'arrive, parce que je suis arrivée un peu en retard, mais je m'interroge sur la composition du Conseil.
Selon le projet de loi, le président et le vice-président doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des relations industrielles. Le Groupe de travail recommandait que tous les membres aient des compétences dans ce domaine, et que d'autres facteurs soient pris en considération, par exemple, la représentation régionale, la langue et l'équité.
Il s'agit d'un conseil très important, qui a de grandes responsabilités. Quelles sont les compétences exigées de ses membres?
M. McDermott: Le président et le vice-président doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des relations industrielles, ce qui signifie normalement qu'ils ont exercé des fonctions dans le milieu juridique ou des fonctions d'arbitrage -- autrement dit, que ce sont des parties neutres respectées. Certains d'entre eux auront enseigné, d'autres auront oeuvré dans le domaine par le passé, que ce soit pour représenter les syndicats ou les employeurs et seront partis dans le secteur privé ou seront devenus neutres. Ils devront posséder des compétences standard dans le domaine des relations industrielles, que ce soit par de nombreuses années de travail ou par des études quelconques, par exemple un diplôme en droit ou une expérience connexe dans l'enseignement.
Les membres du conseil ne sont pas tenus d'avoir la même expérience et les mêmes compétences. Il est prévu que le ministre consultera les employés et les employeurs pour obtenir des noms de candidats à des postes autres que ceux de président et de vice-président -- autrement dit, des membres représentant les employés et les employeurs. Dans ces cas, il est prévu que les employés et les employeurs recommanderont des candidats qu'ils estiment aptes à les représenter.
Il se pourrait que l'expérience et les compétences dans le domaine des relations industrielles ne soient pas toujours une caractéristique chez ces membres. Ils apporteront au Conseil l'expérience des industries fédérales. On pourrait y trouver, par exemple, quelqu'un qui a passé toute sa vie dans l'industrie ferroviaire et qui connaît les pratiques de cette industrie. Cette personne apporterait des connaissances pratiques au Conseil, tandis que les autres apporteraient des compétences juridiques ou économiques plus officielles, par exemple. Par le mariage de ces compétences et de cette expérience, nous espérons trouver le juste équilibre entre l'expérience et les connaissances pratiques.
Le sénateur Callbeck: Les facteurs mentionnés par le Groupe de travail Sims, à savoir l'équité, la représentation régionale et la langue, seront-ils pris en considération?
M. McDermott: Le gouvernement du Canada le fait toujours. Quand il fait des nominations à ce genre de tribunaux, le gouvernement cherche toujours à assurer une bonne représentation selon la région, le sexe, la langue, les capacités, et cetera. Je crois que le ministre a l'intention de procéder ainsi lorsqu'il fera ses recommandations au gouverneur en conseil concernant les nominations au Conseil des relations du travail.
Le sénateur LeBreton: Ma question va dans la même veine que les observations du sénateur Cohen. La manutention des grains semble être un volet très important du projet de loi. Le ministère du Travail a-t-il demandé au ministère de la Justice une opinion juridique concernant le statut particulier accordé aux grains dans ce projet de loi? Je ne crois pas que les grains soient mentionnés expressément dans une autre loi en vigueur actuellement.
Mme Chamberlain: M. McDermott répondra à votre question concernant le ministère de la Justice, mais je tiens à vous dire ceci: les grains sont actuellement la seule denrée qui peut déclencher une intervention parlementaire.
L'argument du sénateur Cohen selon lequel d'autres secteurs demanderont le même traitement devra être évalué, mais les grains sont le produit le plus important. Lorsque je vous ai donné les chiffres en cause, je vous ai expliqué l'importance que revêtent à nos yeux les céréales au Canada.
Ce diagnostic, qui a été porté par une commission d'enquête industrielle, a été confirmé à maintes reprises par les témoins qui sont comparus devant le comité permanent et qui ont admis compter sur les grains et uniquement sur les grains. Contrairement aux producteurs d'autres matières premières, les producteurs de céréales n'ont aucun lien avec les employeurs des débardeurs de la côte ouest et aucune influence sur les négociations avec les débardeurs.
M. McDermott répondra à votre autre question.
M. McDermott: Lorsqu'il rédige un projet de loi, le ministère de la Justice détermine s'il y a des illégalités ou des contradictions possibles avec les autres lois. Il n'en a certainement pas trouvé dans ce cas-ci.
En ce qui concerne le statut des grains, les silos ne relèveraient pas de la compétence fédérale si ce n'était des déclarations auxquelles Mme Chamberlain a fait allusion, ainsi que des déclarations contenues dans la Loi sur le grain du Canada et la Loi sur la Commission canadienne du blé. Les silos à grain, les usines de nettoyage des graines et les minoteries, par exemple, sont des ouvrages à l'avantage général du Canada. Je n'ai pas de formation en droit, mais je crois que la participation du gouvernement fédéral dans le secteur des grains repose en partie sur ces déclarations et sur d'autres facteurs tels que le pouvoir en matière de commerce.
Le sénateur Gigantès: Je me souviens d'une fois où trois sous-ministres adjoints du ministère de la Justice ont interprété une disposition de trois manières différentes devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Le sénateur Bryden avait alors fait remarquer qu'il pourrait faire fortune s'il démissionnait du Sénat et retournait à la pratique privée du droit pour ne s'occuper que des affaires liées à cette disposition. Je vous en prie, n'ayez pas une confiance aveugle dans les avocats.
Le sénateur Johnstone: J'ai une grande préoccupation dont il n'est pas question ici, sauf pour les céréales.
Nous ne pouvons pas nous permettre des conflits de travail qui nous empêchent de remplir nos engagements à l'exportation -- non seulement pour les céréales mais aussi pour d'autres marchandises -- et qui nous empêchent de faire parvenir nos exportations à destination dans les délais prévus. Cela m'inquiète beaucoup et c'est une question qui devrait inquiéter tout le pays. J'aimerais qu'on songe à une expansion, et pas seulement aux grains -- encore que je n'aie pas d'objection à ce que les grains reçoivent un traitement spécial.
Le sénateur Cohen: Les grains sont la clé et la justification de toute la loi. Pourquoi, dans ce cas, se limite-t-on à la manutention des grains dans les ports et n'inclut-on pas aussi les chemins de fer et les silos à grain, qui sont aussi touchés par le transport des grains de la ferme jusqu'au port d'exportation?
Mme Chamberlain: Jusqu'ici, le problème s'est posé dans les silos à grain et dans les ports. Nous tentons de résoudre ce problème.
Le sénateur Cohen: Pensez-vous que le projet de loi atténuera ce problème?
Mme Chamberlain: Nous le croyons. Tous les témoignages que nous avons entendus nous incitent à le croire. Mais il y a une justification au mécanisme d'examen dans un an, afin de nous assurer que nous sommes sur la bonne voie.
En tant que gouvernement, nous devons tenter de trouver une solution à ce problème. C'est un problème grave dont souffrent nos producteurs de céréales. Nous pensons avoir le devoir d'essayer de le régler. C'est ce qui nous motive.
Le sénateur Johnstone: En tant que pays, nous avons le devoir de livrer nos produits à temps. Nous ne pouvons pas exister si nous ne le faisons pas, parce que certains pays iront s'approvisionner ailleurs. Pourquoi n'en est-il pas question dans le projet de loi C-19? Je pense qu'il faudrait s'attaquer à ce problème.
M. McDermott: Le projet de loi C-19 ne supprime pas le droit de grève ou de lock-out dans les ports ou dans le secteur de la manutention des grains. Il oblige un nombre relativement limité de débardeurs de continuer à servir les navires céréaliers en cas d'arrêt du travail dû à une grève ou à un lock-out dans les ports. Il s'appliquerait aux industries connexes telles que les remorqueurs. Il s'appliquera surtout aux ports de la côte ouest parce que c'est là que le problème est devenu le plus grave.
Au cours des 25 dernières années, il y a eu environ neuf arrêts du travail dans les ports de la côte ouest, dont sept ont exigé une loi spéciale pour qu'ils prennent fin. La dernière fois, le ministre du Travail de l'époque a institué une commission d'enquête industrielle, qui a déterminé que les céréales avaient été utilisées pour provoquer l'intervention du Parlement. Les parties ne se sont pas entendues sur les mesures spéciales recommandées par la commission d'enquête. Le gouvernement a examiné la question et l'a renvoyée au Groupe de travail Sims, qui a fait une suggestion dont s'inspire le projet de loi. Les débardeurs et les manutentionnaires céréaliers -- à la fois les employeurs et les syndicats -- conservent tous leurs droits de négociation collective. Mais les grains ne pourront plus déclencher l'intervention parlementaire en cas de grève ou d'arrêt du travail chez les débardeurs. Appliquer cette mesure à toutes les autres marchandises qui passent dans le port aurait supprimé en pratique les droits de négociation collective, notamment le droit de déclencher un arrêt du travail légitime.
Le sénateur Kinsella: J'aimerais attirer l'attention sur l'intérêt que nous portons à l'article 46 du projet de loi, à la page 35, qui porte sur l'accréditation malgré la volonté contraire exprimée par la majorité des membres d'une association d'employés. Il s'agit de la disposition du projet de loi la plus importante du point de vue de la liberté civile, à mon avis. Je veux m'assurer que nous comprenons tout à fait ce que nous ferons.
Quel est le problème qu'on tente de résoudre? Quel est le mal qu'on cherche à guérir?
Mme Chamberlain: Parlez-vous de l'accréditation comme recours?
Le sénateur Kinsella: Je parle de l'article 46, qui donne au nouveau Conseil canadien des relations industrielles le pouvoir d'accorder une accréditation à un agent de négociation exclusif pour qu'il représente un groupe d'employés, malgré la volonté contraire exprimée par ces employés.
Mme Chamberlain: J'ai déjà tenté d'expliquer cet article. Je vais essayer à nouveau. Il arrive que des employeurs ne veulent à aucun prix la formation d'un syndicat. Il arrive que les employés soient intimidés. On peut leur dire qu'ils risquent de perdre leur emploi ou que les dirigeants syndicaux seront renvoyés. On peut les affecter soudainement au quart de nuit plutôt qu'au quart de jour. On peut leur confier des tâches qu'ils n'ont jamais exécutées auparavant et qui ne font pas appel aux compétences qu'ils ont appris à utiliser.
Le sénateur Kinsella: Nous comprenons le mal. La question qui se pose est quelle est la meilleure façon de contrer cette pratique déloyale et inacceptable? Quelles étaient les autres solutions pour guérir ce mal?
Mme Chamberlain: M. McDermott peut décrire les autres solutions, mais je décrirai le remède, tel que nous le voyons.
Bien des gens ont été traités injustement au travail. Certains affirment qu'un deuxième scrutin secret réglera tout. Il est naïf de croire que lorsque les employés ont été menacés, intimidés, contraints et effrayés, un deuxième scrutin réglera le problème.
En réalité, si un employeur a recours à l'intimidation pour empêcher la formation d'un syndicat, la seule vraie solution consiste à accorder l'accréditation, parce que c'est ce que l'employeur a voulu éviter par ses mesures d'intimidation. Autrement, on ferme les yeux sur le recours à l'intimidation. Je crois fermement que nous ne devons pas permettre que cela arrive au Canada.
M. McDermott: Il existe d'autres solutions, parce que le Conseil peut ordonner un scrutin en tout temps. De la façon dont le Code canadien du travail est structuré, si on présente au Conseil une demande d'accréditation acceptée par plus de 35 p. 100 mais moins de 50 p. 100 des membres de l'unité de négociation, le Conseil doit ordonner un scrutin. Si plus de 50 p. 100 des membres ont signé la demande, le Conseil peut accorder l'accréditation sans scrutin. Cette disposition est conforme à ce qui se passe dans cinq provinces environ.
Les gens disent que cela paraît antidémocratique, mais on voit qu'il n'en est rien quand on comprend que les employés ont exprimé leur désir et ont généralement versé une cotisation. La plupart du temps, ils ne sont pas en concurrence avec un autre syndicat à cette étape. D'ailleurs, si deux syndicats demandaient l'accréditation, le Conseil ordonnerait inévitablement un scrutin pour les départager. La plupart du temps toutefois, un syndicat se présente avec des indications des employés montrant que ces derniers souhaitent être représentés et le Conseil est libre d'accorder l'accréditation sans scrutin.
En cas de doute, le Conseil se réserve le droit d'ordonner un scrutin et cette disposition n'est pas modifiée. Le projet de loi C-19 n'y changerait absolument rien.
Cinq provinces, dont l'Ontario, qui étudie actuellement une modification législative, prévoient des mesures d'accréditation comme recours dans leurs lois. Il s'agit de la Colombie-Britannique, de l'Ontario, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
On me dit que la Commission des relations de travail de l'Ontario entend tous les ans près de 1 000 affaires relatives à l'accréditation. Depuis huit ans, l'Ontario a invoqué la disposition d'accréditation comme recours moins de cinq fois par année. Cette disposition est invoquée très rarement et seulement dans les cas les plus graves.
L'article 46, qui modifie l'article 99, est une disposition discrétionnaire. Il prévoit que le Conseil peut mais n'est pas tenu d'accorder l'accréditation. Le Conseil déterminerait, en se fondant sur les faits, s'il convient d'accorder l'accréditation sans que l'appui de la majorité ait été établi, s'il concluait que des pratiques déloyales ont empêché de déterminer les désirs réels des employés et que, n'eussent été de ces pratiques déloyales, le syndicat aurait obtenu un appui majoritaire.
Le sénateur Kinsella: Pour revenir aux questions du sénateur Callbeck concernant la composition du Conseil, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire est un pouvoir énorme quand il va à l'encontre de la volonté des gens exprimée dans un scrutin secret.
Comme vous l'avez indiqué, le projet de loi prévoit que le président et le vice-président doivent posséder de l'expérience et des compétences dans le domaine des relations industrielles. Mais les compétences exigées des autres membres ne sont pas définies. Comment pourra-t-on s'assurer qu'ils connaîtront les règles de la justice naturelle?
Le projet de loi S-5, visant à modifier la Loi sur les droits de la personne, portait sur la nomination des membres au Tribunal canadien des droits de la personne, qui constitue un tribunal administratif, tout comme le Conseil canadien des relations industrielles proposé. Connaissez-vous les compétences exigées des membres du Tribunal canadien des droits de la personne?
M. McDermott: Je crois qu'on insiste beaucoup sur les compétences juridiques.
Le sénateur Kinsella: Ils devaient être membres du Barreau, ce à quoi certains d'entre nous s'objectaient, parce que nous pensions que d'autres personnes ont une grande expérience de la justice naturelle et de grandes compétences dans le domaine des droits de la personne. Mais le gouvernement a réussi à nous convaincre que les membres du Tribunal doivent être membres du Barreau, étant donné le pouvoir discrétionnaire dont jouit le Tribunal. Si le Conseil canadien des relations industrielles obtient le pouvoir d'imposer ce recours, qui constitue peut-être le recours le plus extrême parmi la myriade de recours qui existent dans le domaine des relations du travail, il faudrait s'assurer que le Conseil possède de l'expérience et est sensible aux principes du droit administratif et de la justice naturelle ainsi que des relations du travail. Voyez-vous ce qui m'inquiète?
M. McDermott: Très bien, parce que le Conseil sera examiné en fonction précisément de l'exercice de la justice naturelle. Le Conseil actuel, par exemple, compte des avocats mais aussi des membres qui ne sont pas avocats. Au fil des années, il y a eu des vice-présidents qui n'avaient pas de formation en droit mais qui ont quand même été très efficaces. Il y a aussi des conseillers juridiques au sein du personnel du Conseil, de sorte que le Conseil est très conscient de la justice naturelle. Je le répète, cela fait partie des aspects sur lesquels peuvent porter les examens judiciaires si le Conseil ne s'y conforme pas.
Le sénateur Gigantès: Je fais allusion aux observations du sénateur Kinsella et du sénateur Johnstone. Je peux citer l'exemple d'une entreprise de taxi. Un chauffeur de taxi qui ne voulait pas que le syndicat soit accrédité s'est vanté à moi des moyens employés pour empêcher l'accréditation. Il a déclaré que les chauffeurs qui voulaient se syndiquer devaient faire le sale boulot et que certains ont dû payer des amendes. Ce qu'a raconté Mme Chamberlain arrive vraiment.
Il me paraît important qu'il existe un certain pouvoir discrétionnaire quelque part pour empêcher qu'on intimide des gens dont les ressources sont parfois limitées. Ainsi, un chauffeur de taxi paie 525 $ par semaine pour avoir le droit d'utiliser une voiture de taxi. Il ne possède ni le taxi ni le permis. Il peut être intimidé, renvoyé ou conduire une voiture en mauvais état. Il faut une protection. Dans ce cas-ci, l'accréditation n'a pas été accordée parce que tous les chauffeurs qui voulaient se syndiquer ont été renvoyés.
Le sénateur Maheu: J'ai une remarque rapide sur les syndicats. Au Québec, il suffit de penser à McDonald. Le syndicat est arrivé et le restaurant a fermé, un point c'est tout. C'est un peu déconcertant.
Le sénateur Gigantès: Un seul restaurant.
Le sénateur Maheu: Les employés ont voté en faveur du syndicat et l'entreprise a fermé ce restaurant. Je crois que ce qu'a raconté Mme Chamberlain est très vrai.
J'aimerais aborder une autre question. Quand nous étudiions le projet C-66 et quand on m'a interrogée en chambre sur le projet de loi C-19, certains ont indiqué qu'il y avait une vaste opposition à la disposition qui permet au Conseil de modifier les conditions relatives à l'ancienneté. Je pense en particulier aux transporteurs aériens, Nous devrions peut-être examiner les dispositions du projet de loi C-19 qui permettaient au Conseil de rendre des décisions en matière d'ancienneté et sur d'autres aspects, lorsqu'il y a une structuration des unités de négociation et que les parties ne parviennent pas à s'entendre.
Pouvez-vous ou McDermott peut-il me dire si quelqu'un d'autre que les représentants d'Air Canada ont soulevé des objections à propos de cette disposition? Si je me souviens bien, dans le cas du projet de loi C-66, un seul groupe, l'Association des pilotes d'Air Canada, s'était opposé.
Mme Chamberlain: Oui, sénateur. Un seul groupe s'est opposé à cette disposition au cours de toutes les audiences et il s'agissait effectivement d'Air Canada.
Je pense que nous devons comprendre clairement la situation. Là aussi, le Conseil a un pouvoir discrétionnaire. On craint que le Conseil prenne un jour une décision dans ce domaine. Mais nous devons comprendre que le Conseil n'a pas pour mission d'intervenir. Il n'intervient qu'en dernier recours et uniquement s'il y a eu des pratiques déloyales ou si quelque chose a mal tourné.
Un électeur de ma circonscription a téléphoné à un pilote d'Air Canada à ce sujet. Il était très inquiet et nous avons discuté un bon moment. Il m'a dit: «Brenda, nous sommes prêts à nous battre pendant 50 ans s'il le faut à ce sujet. Nous ne voulons pas de règlement et nous nous battrons pendant 50 ans.»
Nous avons une responsabilité, à titre de gouvernement, de nous assurer que les gens ne se battent pas pendant 50 ans. Nous devons nous assurer qu'un mécanisme est en place afin qu'une décision se prenne à un moment donné. C'est tout ce que signifie cette disposition. Elle ne dit pas que cela arrivera nécessairement. Elle donne au Conseil le pouvoir d'intervenir à un moment donné afin de contribuer à trouver un mécanisme de règlement des différends. Le Conseil ne rendra peut-être jamais de décision, mais il serait habilité à trouver un mécanisme de règlement des différends. Je pense que c'est très important. Je ne crois pas que nous pouvons nous en laver les mains et affirmer simplement qu'ils peuvent se battre pendant 50 ans.
M. McDermott: Je conviens que nous n'avons entendu que l'Association des pilotes d'Air Canada sur cette question.
Lorsque le projet de loi C-66 a été déposé à la Chambre des communes, il était libellé un peu différemment. Les employeurs fédéraux ont exprimé leur crainte que le Conseil puisse se mêler de trop de choses, notamment des modifications apportées aux conventions collectives dans certaines situations. Le libellé a été modifié pour donner des exemples des types de dispositions que le Conseil peut modifier lorsque des unités de négociation fusionnent et que diverses conventions collectives doivent être conciliées et probablement fusionnées en une seule. Les exemples les plus évidents sont les dates de fin d'une entente collective et des questions comme les listes d'ancienneté. Il y a actuellement des gens qui figurent sur différentes listes d'ancienneté mais qui sont membres de la même unité de négociation. Les ETCOF, le groupe des employeurs fédéraux qui a participé aux consultations sur le projet de loi, se sont déclarés satisfaits que cette modification ait été apportée à l'étape du comité par suite d'une modification proposée par le gouvernement.
Le sénateur Maheu: Par contre, quelqu'un m'a raconté qu'afin de répondre aux exigences concernant l'ancienneté, un pilote de DC-8 pourrait passer devant un pilote de 747. C'est inquiétant. Je ne pense pas que cela puisse arriver. Quel est le risque que cela se produise? Je pense que c'est ridicule.
M. McDermott: Je crois que les règlements de Transports Canada ainsi que la politique du transporteur empêcheraient cela d'arriver. Un pilote ne peut piloter que le type d'aéronef pour lequel il est qualifié. Mais la disposition relative à l'ancienneté permettrait peut-être aux pilotes de faire une demande et d'être formés en conséquence.
Soit dit en passant, je pense qu'un pilote de 747 qui piloterait un Dash-8 à destination de Toronto Island aurait peut-être du mal à atterrir cette courte piste.
Le président suppléant: Au nom du comité, je remercie nos témoins de ce matin. Nous vous remercions de votre témoignage.
La séance est levée.