Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 15 - Témoignages pour la séance du 12 juin 1998
OTTAWA, le vendredi 12 juin 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 14 heures pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous en sommes à notre troisième séance à exercer le mandat qu'on nous a confié d'amender le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Nous entendrons aujourd'hui quatre groupes de témoins. Chacun d'eux disposera de 30 minutes pour faire une brève et succincte déclaration d'ouverture, et discuter ensuite avec les membres du comité.
Nos premiers témoins sont des représentants de la Western Grain Elevator Association.
M. Ed H. Guest, directeur exécutif, Western Grain Elevator Association: Honorables sénateurs, je regrette que le mémoire que nous avons remis au greffier soit en anglais seulement. Nous avons eu peu de temps pour nous préparer. Ce n'est pas un prétexte, c'est notre excuse.
Le président: Je comprends. Allez-y.
M. Guest: Notre association existe depuis la fin des années 1800. Nous représentons les dix sociétés céréalières qui possèdent 99 p. 100 des silos de collecte dans l'Ouest du Canada et qui approvisionnent la côte ouest. Nous sommes propriétaires de la totalité des terminaux de la côte ouest qui acheminent aux navires le grain que nous exportons à nos divers clients du monde entier.
En 1957, la Western Grain Elevator Association a formé un sous-groupe, qui s'appelle la British Columbia Terminal Elevator Operators Association. Cette association s'occupe des négociations collectives de nos sociétés de Vancouver.
Notre association appuie les modifications au Code pour que les conflits impliquant des secteurs autres que l'industrie céréalière ne viennent pas bloquer l'approvisionnement en grain. Dans l'ensemble, ces modifications se retrouvent au paragraphe 87.7 du Code proposé, qui prévoit le maintien des services aux navires céréaliers durant un conflit touchant les grains. Nos remarques se limiteront à cette partie du projet de loi.
Tout le monde reconnaît l'importance de l'industrie céréalière pour le Canada. Le grain représente environ 20 p. 100 de l'activité des ports de la côte ouest, soit un chiffre d'affaires d'environ 3,5 à 4,5 milliards de dollars. Le Code canadien du travail s'applique au grain, et pas à d'autres marchandises assujetties à la Loi constitutionnelle, parce que les élévateurs à grain ont été réputés dans l'intérêt général du pays et sont donc soumis à des obligations différentes.
Des problèmes surgissent lorsque des conflits dans d'autres secteurs industriels touchent l'approvisionnement en grain. Ces conflits ne sont pas le fait des forces concurrentielles mondiales touchant l'industrie du grain et ne peuvent être résolus par les forces économiques en jeu entre les intervenants du secteur céréalier. Plutôt, les conflits qui n'ont rien à voir avec notre secteur peuvent amener l'industrie du grain, comme on l'a dit, à être prise en otage.
Il y a environ trois ans, la Commission d'enquête industrielle chargée d'examiner les ports de l'Ouest a conclu que l'industrie du débardage avait mis à profit son pouvoir d'interrompre les exportations de grain et en avait fait sa carte maîtresse. Les commissaires ont déclaré avoir l'impression que les négociations collectives chez les débardeurs se réduisaient à un jeu qui ressemblait plutôt au poker, l'atout en réserve étant le pouvoir d'interrompre les exportations de grain. Jouer cette carte garantit presque automatiquement l'intervention rapide du Parlement, réduisant ainsi le risque que courent les parties d'avoir à composer avec un arrêt de travail prolongé. Pendant tout ce temps, elles manoeuvrent pour se placer avantageusement et se préparer à l'inévitable intervention d'une tierce partie. La négociation collective, en soi, n'existe plus.
La commission a conclu que les exportations de grain étaient souvent affectées, parce que les débardeurs ne réussissaient pas à négocier une convention collective. Au cours des dix dernières années, il y a eu quatre arrêts de travail dans l'industrie du débardage, dont trois auxquels l'intervention du gouvernement fédéral a mis fin. Nous constatons que le paragraphe 87.7 proposé ne s'applique qu'aux débardeurs.
Il existe d'autres secteurs du système où les négociations aboutissent, y compris dans nos terminaux, où des intérêts économiques sont en jeu des deux côtés. Certains ont dit que cette disposition porte sur tous les syndicats de manutentionnaires de grain. Ce n'est pas le cas. Le paragraphe 87.7 concerne les débardeurs, et c'est un problème que l'on n'arriverait pas actuellement à résoudre par les négociations collectives.
Nos membres soutiennent qu'il est essentiel que les conflits entre parties d'autres industries se limitent à ces dernières sans toucher l'industrie du grain. Que l'industrie du grain soit prise en otage dans des conflits entre d'autres industries nuit énormément à la compétitivité du Canada et à sa réputation de fournisseur de grain sur les marchés mondiaux.
À notre avis, le paragraphe 87.7 forcera les parties à négocier sérieusement, ce qui est le but du Code canadien du travail. Le Canada doit conserver ses clients en dépit de la concurrence internationale accrue, et surtout, démontrer que notre pays est un fournisseur de grain fiable. Or, le plus grand danger de l'industrie du grain provient du doute que pourraient avoir nos clients sur notre fiabilité comme fournisseur.
Dans de nombreux rapports sur les clients de grain canadien, on fait état de l'inquiétude suscitée par la situation de la côte ouest. La fiabilité du Canada a également été soulevée aux plus hauts niveaux du gouvernement. Par exemple, on en a fait état à notre premier ministre lors de sa visite en 1995 aux grands pays d'Amérique latine. De même, la Chine a dit s'inquiéter de plus en plus de la fiabilité des livraisons au ministre de l'Agriculture en 1994, et aussi au premier ministre en 1995.
Les parties intéressées entendues, la Commission d'enquête industrielle a décidé qu'il fallait protéger les manutentionnaires de grain des conflits externes, c'est ce que vise le projet de loi.
Pour y arriver, la mesure législative vise à empêcher les débardeurs d'utiliser le grain comme atout. Ainsi, dans les conflits impliquant les débardeurs, les services assurant normalement l'amarrage, le chargement des navires céréaliers et leur appareillage doivent être maintenus.
En toute déférence, nous considérons sensé de traiter l'industrie du grain de cette façon pour maintes raisons, y compris son utilisation éventuelle comme atout de réserve. Dans cet ordre d'idée, la Commission d'enquête industrielle a également conclu que la prise en otage de l'industrie du grain avait causé des préjudices aux débardeurs. L'industrie du grain a été déclarée d'intérêt général pour le pays dans la Loi constitutionnelle. En fait, on reconnaît que le grain justifie une loi différente, loi qui a déjà été adoptée.
Par l'adoption de la Loi sur les grains du Canada, de la Loi sur la Commission canadienne du blé et du projet de loi adopté hier, tant la Chambre des communes que le Sénat ont reconnu que l'industrie du grain est d'intérêt général pour le Canada. Réserver au grain un traitement différent de celui des autres denrées dans nos lois n'est pas une nouveauté, mais est conforme aux dispositions des lois actuelles sur le grain.
Après avoir examiné ces questions en détail, la Commission d'enquête industrielle sur les ports de la côte ouest et le Groupe de travail Sims ont décidé que la manutention des grains devait être isolée des autres conflits.
Le projet de loi cherche simplement à répondre à un besoin inhérent à l'industrie du grain. L'objet de ce projet de loi est de créer un milieu propice à la négociation qui favorise des négociations équilibrées entre l'employeur et l'employé, assurant ainsi une situation où on trouve une entente dans la plupart des renouvellements de convention collective. Le projet de loi ne fait qu'enlever l'industrie du grain du jeu de la négociation entre les deux parties.
À cet égard, la formule prévue au paragraphe 87.7 constitue le compromis dont avait parlé le Groupe de travail Sims. De plus, le gouvernement a dit qu'il surveillerait l'application de cette mesure et son utilité. À signaler aussi qu'en ôtant du jeu le grain lors de conflits dans d'autres industries, le projet de loi y facilitera les négociations collectives.
Enfin, il ne faut pas oublier que le paragraphe 87.7 constitue un engagement qu'a déjà pris le Canada à l'égard d'autres pays. Par exemple, M. Hehn, président de la Commission canadienne du blé, a eu récemment l'occasion de discuter des changements proposés au Code canadien du travail avec le Japon, l'un de nos principaux clients. L'organisation alimentaire japonaise s'est dite très heureuse de cette disposition, tout comme les clients au Japon. Si le Canada ne donnait pas suite à cette mesure législative, après l'avoir promise à nos partenaires commerciaux, nous enverrions alors aux autres pays le message que le Canada ne se soucie pas de leur besoin d'avoir un fournisseur fiable de denrées alimentaires, ce qui ternirait certainement la réputation de notre pays à l'étranger.
Nous avons envoyé le bon message aux acheteurs de denrées alimentaires canadiennes. Si nous tardons à appliquer cette loi, on peut craindre que nos clients en concluent qu'on ne se soucie guère d'eux, et qu'ils cherchent ailleurs d'autres sources d'approvisionnement.
Nous vous incitons à adopter cette mesure le plus rapidement possible afin qu'elle ait force de loi.
Le sénateur Kinsella: Ma première question est simplement une question d'ordre général. Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne l'application du paragraphe 87.7 au grain dans les ports. Cette disposition ne devrait-elle pas s'appliquer aussi au transport ferroviaire et au camionnage? Si on veut assurer le transport du grain, il faut l'acheminer des élévateurs au port. Avez-vous discuté de cette question au sein de votre association?
M. Guest: Nous n'avons pas pris le temps d'analyser si cette disposition devrait ou ne devrait pas être appliquée à d'autres industries. Deux groupes d'experts ont examiné la situation du grain sur la côte ouest, nous avons participé à ces discussions, tout comme ceux qui s'opposent au paragraphe 87.7. Il faudrait procéder à une étude semblable avec les chemins de fer et les autres intervenants pour ce qui est de cet aspect du transport. Tout le monde a eu l'occasion d'exprimer son opinion, ce qui nous a permis de comprendre ce qui se passait et pourquoi. Nous n'avons pas étudié la situation avec les chemins de fer.
M. Murdoch MacKay, directeur général, Division des services de terminaux, United Grain Growers Ltd, Western Grain Elevator Association: L'Association croit aux négociations collectives sans entraves. Les chemins de fer et leurs syndicats négocient librement. Pour ce qui est des débardeurs, nous, les sociétés céréalières, ne participons pas à leurs négociations et de ce fait nous n'y exerçons aucune influence. Nous sommes les otages là-dedans. C'est, je crois, l'impression qu'ont eue tous ceux qui ont participé à l'enquête, c'est-à-dire que le grain leur sert d'atout en réserve. Nous ne croyons pas que les autres secteurs, le secteur ferroviaire notamment, le fassent.
Le sénateur Kinsella: C'est parce qu'il n'y a pas que le grain pour eux.
M. MacKay: Oui, et nous croyons que leurs négociations collectives sont libres, si bien que le grain ne peut pas leur servir d'otage.
Le sénateur Kinsella: Certains ont exprimé des réserves sur cette disposition et soutiennent que, s'il y a arrêt de travail au port, les débardeurs seront affectés à la manutention du grain, ce qui, d'une certaine façon, assurera leur salaire de grévistes et pourrait empêcher un règlement rapide du conflit. Cet argument nous a été présenté. Avez-vous examiné cette question, pouvez-vous y répondre, ou faire des observations?
M. MacKay: Dans la plupart des conflits antérieurs, les débardeurs ont offert d'assurer la manutention du grain, mais du grain seulement. Les conflits ont abouti à des lock-out par l'association des employeurs. Dans ce cas, je crois, le syndicat reconnaît l'importance du grain. Quant à dire que nous allons subventionner les syndiqués, le même argument pourrait être avancé dans d'autres conflits de travail. Par exemple, en cas de grève des infirmières, certaines infirmières continuent de travailler pendant que leurs collègues sont en grève. Ce genre de situation est tout à fait courant.
Le sénateur Kinsella: Si votre principale préoccupation est d'acheminer le grain à sa destination finale en passant par le port, et d'empêcher qu'il soit pris en otage comme ça s'est déjà produit, cette disposition devrait vous satisfaire. Est-ce que vous vous opposeriez à ce que le Ministre ou la commission ait le pouvoir discrétionnaire d'y ajouter des denrées si les circonstances le justifiaient?
M. Guest: Nous avons deux raisons de vouloir exclure le grain des conflits, mais nous souhaitons surtout continuer d'exploiter les marchés au comptant parce que des forces économiques sont en jeu. Par ailleurs, nous défendons fermement les négociations collectives. Si le grain est exclu, la manutention des autres denrées fera l'objet de négociations collectives convenables. Pour ce qui est des agriculteurs, on compte de 100 à 140 000 détenteurs de carnets de permis, autrement dit, 140 000 petites entreprises individuelles. Sur la côte ouest, la plupart de ceux qui mènent les négociations du côté patronal proviennent de grandes entreprises beaucoup mieux en mesure de veiller à leurs propres intérêts économiques que les agriculteurs individuels.
Le sénateur Fitzpatrick: Mes questions concernent les acheteurs d'autres denrées. Je comprends ce que vous avez dit au sujet de la fiabilité des approvisionnements en grain. Je présume que les acheteurs d'autres denrées voudraient bien avoir un approvisionnement sûr, eux aussi. Certains pourraient prétendre qu'accorder cette exemption au transport du grain pourrait prolonger les conflits, et ainsi perturber l'approvisionnement d'autres denrées.
Je représente la Colombie-Britannique, d'où proviennent beaucoup d'autres marchandises ou qui sont expédiées à partir de cette province. Certains estiment qu'il s'agit d'une sorte de discrimination à l'encontre d'autres industries. À votre avis, la nécessité d'adopter cette exemption pour le grain l'emporte-t-elle sur ces autres considérations?
M. MacKay: N'oublions pas ceci: cette question a été soumise à des experts des relations du travail. Ils ont examiné le cas de la côte ouest. Je parle ici du rapport de la Commission d'enquête industrielle rédigé par M. Grey Owl et M. Jamieson, et celui du Groupe de travail Sims.
Ces messieurs ont mené une étude en profondeur, ont consulté des débardeurs et des gens d'autres industries. Tout le monde leur a signalé que les négociations entre les débardeurs et l'association des employeurs n'étaient pas de vraies négociations. Dans leurs rencontres, les deux parties sont conscientes de l'importance du grain. Si son transport est menacé, les deux parties savent ce qui se produira. Le gouvernement fédéral interviendra pour les ramener de force au travail.
Elles se disent que si l'on soustrait le grain aux négociations, les forçant ainsi à s'entendre, les résultats seront fructueux et significatifs, ce que le projet de loi tente de faire ici. À mon avis, c'est ce que veulent les Canadiens. On mènera alors des négociations sérieuses pour résoudre le conflit plutôt que de voir deux parties manoeuvrer constamment pour être dans une bonne position lorsque le gouvernement interviendra et désignera un médiateur ou un arbitre pour régler le problème. Si le grain est exclu, vous verrez que les négociations progresseront bien plus sérieusement que ce n'est le cas aujourd'hui. Selon moi, on n'aura pas le même problème pour d'autres marchandises.
Le sénateur Fitzpatrick: Je comprends ce que vous avez dit des études menées, mais croyez-vous que les industries qui produisent d'autres denrées soient de cet avis?
M. Guest: Non, elles ne le sont pas. Leurs représentants seront ici aujourd'hui pour vous le dire. Ils ont déjà comparu pour dire exactement la même chose.
À leur place, j'adopterais la même position parce que je voudrais le meilleur scénario possible pour moi. Peu importe pour qui je travaille, je voudrais le meilleur scénario possible.
Des gens plus compétents que moi comme MM. Jamieson et Sims ont examiné la question. Ils ont tous conclu que le paragraphe 87.7 proposé constitue le meilleur compromis qui soit. En fait, leur première réaction a été de chasser les débardeurs des navires céréaliers, un point c'est tout. Le compromis a été de ne pas leur permettre d'empêcher le transport du grain à cause de la grève.
M. MacKay: Le point de vue donné au départ était que les débardeurs ne devraient pas s'occuper du grain, qu'il ne devrait pas y toucher du tout. Nous autres, de l'industrie du grain, avons dit que nous n'avons pas à être assujettis à ce genre de scénario. Cela pourrait devenir très difficile parce que le syndicat des débardeurs croit que c'est son travail et qu'il y a droit.
Je suis persuadé qu'il y aurait de la violence si nous, de l'industrie du grain, décidions d'établir nos propres sociétés de débardage pour charger les navires ou de les faire charger par notre propre syndicat. On assisterait à de la violence sur la côte ouest. Nous ne voulons pas ôter des emplois à ceux qui travaillent dans le débardage.
Nous sommes d'accord avec la Commission d'enquête industrielle que ce compromis était de loin préférable à la création de notre propre syndicat de débardeurs et ensuite d'avoir des problèmes. Nous ferions alors probablement appel au ministre du Travail pour qu'il nous aide à créer notre propre société de débardage pour ces navires. Nous avons accepté ce compromis, et nous voulions qu'on s'en tienne à ça.
Le sénateur Maheu: Petit à petit, j'en apprends beaucoup sur le grain. Je viens du Québec, et je dois admettre que je ne connaissais rien là-dessus.
J'ai entendu d'autres témoins dire que le Canada n'a pas le même mécanisme d'entreposage du grain que les Américains. Pouvez-vous m'expliquer combien de temps met le grain à se dégrader et quel effet ont sur nous les grèves et les lock-out? J'ai l'impression que chaque fois que les transporteurs de grain se mettent en grève, le gouvernement doit intervenir. C'est un abus, c'est exercer des pressions excessives sur le gouvernement. Si nos propos n'étaient pas consignés, j'utiliserais un autre terme pour décrire ce qui se passe lorsqu'il s'agit du grain. Le grain est toujours invoqué dans les lois de retour au travail. Pouvez-vous donner des détails sur le risque de dégradation et, par conséquent, sur vos exportations?
M. MacKay: Si le gouvernement intervient dans une grève ou un lock-out dans le secteur du grain, ce n'est pas, d'après moi, à cause du risque de dégradation. C'est plutôt à cause de l'impact de la grève sur les quelque 100 000 agriculteurs de l'Ouest canadien.
Une grève interrompt le transport du grain, que ce soit au port ou ailleurs. Elle prive l'agriculteur qui s'est donné la peine de récolter du grain, de le livrer à l'élévateur et d'être payé. Les agriculteurs de l'Ouest canadien ont perdu leur source de revenu, et c'est, pour eux, le seul moyen dont ils disposent. C'est pourquoi l'industrie du grain relève du Code canadien du travail, et qu'elle est considérée comme un service essentiel au pays. On veut protéger les 100 000 agriculteurs de l'ouest du Canada. Leur seule façon de gagner de l'argent est de livrer du grain au silo de collecte. S'il y a grève ou lock-out, le processus s'interrompt. Les silos de collecte se remplissent et les agriculteurs ne peuvent plus continuer de livrer leur grain. Nous devons assurer le roulement continu du grain.
M. Guest: Le pendant de tout cela, c'est le marché. Les acheteurs de grain n'achètent pas quelque chose dont ils peuvent se passer. Ils achètent une denrée alimentaire. S'ils sont en rupture de stock du fait du Canada, ils chercheront à s'approvisionner ailleurs. Et si le fournisseur est sûr, ils continueront à lui passer leurs commandes. Vous n'allez pas à une épicerie aux étagères vides. Vous choisissez celle où on offre quelque chose. Le grain est un produit de base, c'est aussi simple que cela.
Le sénateur Chalifoux: Je m'intéresse au marketing. Vous avez répondu en partie à la question que je voulais poser. Quel effet une grève a-t-elle sur le marketing du grain et sur les contrats passés par la Commission canadienne du blé?
M. MacKay: En cas de grève, la commission peut invoquer la force majeure. Par exemple, elle a conclu un contrat de livraison entre le 1er et le 30 juin. Si elle peut invoquer la force majeure, elle évite les pénalités. Cependant, une fois la grève terminée, elle doit livrer tout le grain. Si la grève a duré dix jours, son contrat sera prorogé d'autant.
M. Guest: Vous avez peut-être entendu parler de M. Estey qui est en train de faire une étude. Bien des années avant, M. Hall a fait aussi une étude. Aucun des ports ne peut doubler la quantité de grain qui est actuellement manutentionnée. Autrement dit, si dix jours sont perdus, ils sont réellement perdus.
Le président: Nous devons nous arrêter là-dessus. Merci, messieurs.
Notre témoin suivant est M. Gerald D. Chipeur.
Monsieur Chipeur, je sais que vous avez comparu devant d'autres comités à différentes reprises. En fait, vous avez comparu devant le comité de la Chambre des communes sur ce projet de loi. J'ai oublié de vous le demander, et je dois vous le demander maintenant: représentez-vous des clients aujourd'hui? Si oui, qui sont-ils?
M. Gerald D. Chipeur, avocat, Milner Fenerty, Barristers and Solicitors, Calgary: Oui, je représente des clients. Je vous en ai remis une liste. C'est la même liste que j'ai remise au comité de la Chambre des communes. Je suis ici cet après-midi au nom des Chambres de commerce de l'Alberta, de Calgary et d'Edmonton, d'Echo Bay Mines Ltd d'Edmonton, de Syncrude Canada Ltd de Fort McMurray et de Diavik Diamond Mines Inc., de Yellowknife.
Le président: Eh bien, vous avez la parole, maître.
M. Chipeur: Vous pourrez lire en fin de semaine le détail des documents que je vous ai remis. J'aimerais maintenant vous présenter les trois questions dont je voudrais vous entretenir cet après-midi. Je répondrai ensuite aux questions sur ces éléments, ou sur tout autre sujet qui pourrait être soulevé dans le contexte du projet de loi C-19.
Trois questions nous préoccupent. La première est le principe démocratique qui a toujours régi les relations de travail au Canada. Le projet de loi C-19 frappe au coeur même de ce principe démocratique en accordant au conseil des relations industrielles proposé le pouvoir de l'emporter sur la volonté d'une majorité d'employés qui, par voie de scrutin, ont bel et bien refusé d'homologuer un syndicat. Il permet également au conseil des relations industrielles d'accréditer un syndicat sans vote majoritaire.
Outre ces considérations politiques générales, ce principe nous cause de fortes réserves sur le plan constitutionnel. C'est comme si les députés, ou ceux qui veulent le devenir, pouvaient faire du porte à porte pour recueillir des cartes, et être déclaré gagnant ou gagnante selon le nombre de cartes recueillies. Je pense qu'en pareil cas, tout le monde réussirait à obtenir un appui de la majorité, sachant ce que je sais de la nature humaine.
Plus important encore, c'est comme si le perdant d'une élection pouvait s'adresser à un tribunal indépendant et dire: «Je ne crois pas que les résultats du scrutin reflètent correctement l'opinion des commettants. Vous n'étiez pas là, mais je tiens à ce que vous sachiez ce que pensaient les électeurs et je voudrais que vous écartiez vos opinions et acceptiez celles des électeurs.»
On pourrait dire: «C'est un terrible affront aux partis politiques du Canada de permettre à un parti indépendant de réussir ainsi à imposer son point de vue.» C'est exactement ce que propose le projet de loi C-19. Le conseil des relations industrielles interviendrait pour dire aux employés: «De toute évidence, vous ne saviez pas ce que vous faisiez. Nous ne sommes nullement convaincus de votre aptitude à prendre une décision. Nous l'annulons et nous vous imposerons une association. C'est là que la Charte entre en ligne de compte.
La Charte garantit la liberté d'association tout comme la liberté de ne pas s'associer à un organisme. Dans le domaine du travail, on a toujours accordé préséance à la démocratie et, si la majorité des employés veulent s'associer à un syndicat, on permet à cette unité de négociation de s'y associer. Si la majorité décide le contraire, alors on ne lui impose pas le syndicat. Le conseil des relations industrielles sera dorénavant en mesure d'obliger un employé à s'affilier à un syndicat contre sa volonté, voire contre la volonté de la majorité. Il existe maints exemples en Ontario et en Colombie-Britannique où les conseils des relations du travail ont abusé de ces pouvoirs -- au point que la semaine dernière, le gouvernement de l'Ontario a déposé un projet de loi pour révoquer ce genre de disposition dans cette province.
Je ne donnerai pas davantage de détails là-dessus, mais la jurisprudence de la Cour suprême du Canada est claire. Je vous renverrai à la page 11 d'un document d'information de 21 pages sur la constitutionnalité de cette disposition. Je ne vous ennuierai pas avec les arguments constitutionnels à moins qu'on me pose des questions précises à ce sujet, mais à la page 11, on discute en détail de ce que la Cour suprême du Canada a dit sur la liberté d'association. Il ne fait aucun doute que la Cour suprême du Canada supprimerait ce genre de disposition si on l'en saisissait.
La deuxième question que nous aimerions aborder avec le comité concerne la liberté économique. Ce problème a été mis en lumière par votre comité l'an dernier lorsqu'il étudiait le projet de loi C-66. Vous avez dit qu'il n'existe aucune raison pour qu'un employeur ne continue pas d'exploiter son entreprise, même lors d'une grève par ses employés. Et qu'il s'agissait d'une décision d'affaires légitime de l'employeur.
Le projet de loi C-19 permettrait au conseil des relations industrielles de dire: «Non, ce n'est pas une option légitime. Nous vous empêcherons d'engager des travailleurs suppléants lorsque vos employés réguliers se mettront en grève.» Pour les petites entreprises, les conséquences de cette situation sont catastrophiques, particulièrement dans le nord du Canada où ce projet de loi régira tous les employeurs, et pas seulement les grandes sociétés de transport et de communications nationales.
Voilà une des choses qui nous préoccupent au plus haut point pour les employeurs du Nord. Si un employeur unique n'est pas en mesure de transférer ses activités ailleurs au pays dans des régions où il n'y a pas de grève, il devra alors céder aux exigences du syndicat, faire faillite ou quitter les affaires. C'est aussi net que cela.
Enfin, s'agissant de la compétitivité internationale, le projet de loi pose un certain nombre de problèmes techniques qui méritent d'être étudiés plus en détail parce qu'ils ont un impact que l'on commence seulement à percevoir. Cette question est ressortie entre le moment où nous avons comparu au comité de la Chambre des communes et aujourd'hui. Dans nos discussions avec l'industrie, nous avons conclu que les règles canadiennes seront dorénavant différentes de celles des États-Unis pour ce qui est de la capacité du Ministre de retarder la publication du rapport du conciliateur qui amènerait l'une des parties à prendre une mesure quelconque.
Auparavant, aux États-Unis et au Canada, principalement dans le domaine des transports aériens et ferroviaires, le gouverneur pouvait retarder la publication d'un rapport afin que les parties puissent discuter du problème entre elles et y trouver une solution. Tant que les parties progressaient, le gouverneur avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre le rapport public et d'imposer une épreuve de force.
Malheureusement, en application du projet de loi C-19, la situation au Canada changera et on ne pourra retarder la publication d'un rapport que pendant 81 jours. Après cette période, le rapport devra être rendu public. Quelles que soient les conséquences de cette mesure, l'industrie s'en ressentira. Ce qui nous inquiète, c'est que nous allons perdre des marchés au profit des États-Unis parce que lorsqu'il y a des conflits de ce genre, c'est-à-dire lorsqu'il y a eu des grèves dans le passé, les entreprises sont allées s'implanter au sud de la frontière.
J'aimerais maintenant vous donner un certain nombre de bonnes raisons d'étudier davantage le projet de loi C-19 et d'examiner attentivement les amendements que nous avons soulignés.
Premièrement, trois ans se sont écoulés, il y a eu des élections générales depuis que le rapport «Vers l'équilibre» a été rédigé, rapport sur lequel est basé le projet de loi C-19. En politique, c'est toute une vie. Le comité du Sénat n'a pas été consulté -- ni au moment de l'étude du projet de loi C-66 ni du projet de loi C-19. Ni votre comité ni aucun autre comité parlementaire n'a été consulté pour donner son opinion sur les dispositions que devrait renfermer le projet de loi et sur certains des problèmes. Il n'y a pas eu d'échange. On nous a seulement mis devant le fait accompli, c'était à prendre ou à laisser.
Deuxièmement, le comité du Sénat a recommandé trois amendements la dernière fois. Un seul a été adopté à contrecoeur, et seulement au comité de la Chambre. Le ministre a refusé les deux autres.
Troisièmement, il n'y a pas de consensus entre l'industrie et les syndicats. Le projet de loi ne reflète pas un équilibre mais un déséquilibre, et les conséquences pour l'économie canadienne sont importantes.
Le sénateur Beaudoin: Je crois savoir, monsieur le président, que nous aurons la possibilité d'examiner la question de l'indépendance de la magistrature la semaine prochaine. Certains l'ont soulevée. Le Bâtonnier du Québec a fait part de sa préoccupation à cet égard. Je m'en tiendrai aujourd'hui à la question de la liberté d'association.
Si je comprends votre raisonnement, la situation actuelle n'est pas contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, mais si le projet de loi est adopté, il pourrait causer certains problèmes pour l'application de la disposition sur la liberté d'association.
Est-ce parce que le scrutin n'est pas secret ou parce qu'il n'y a pas de façon décisive de connaître exactement l'opinion de la majorité des employés?
M. Chipeur: Les deux. Le projet de loi pose deux problèmes concernant le scrutin majoritaire. Premièrement, actuellement et à l'avenir, on pourrait utiliser les cartes et non le scrutin majoritaire pour établir l'accréditation. C'est une formule problématique et nous aimerions que des changements y soient apportés. Le problème existe déjà, et continuera si le système n'est pas modifié.
Le nouveau problème qui se pose concerne le pouvoir accordé aux conseils des relations industrielles d'imposer l'accréditation, même lorsqu'une majorité d'employés ont exprimé, par voie de scrutin, la volonté contraire. Il y a beaucoup de cas en Ontario et en Colombie-Britannique où les conseils des relations du travail, à qui on avait accordé ce pouvoir, l'ont exercé. Ils disent qu'on n'y recourra que dans les cas de pratique déloyale de travail. Nous disons que cela est vrai, mais si pratique déloyale il y a, que la punition soit proportionnelle au crime. Si l'employeur a violé la loi, qu'il soit puni. Qu'on prenne une injonction, qu'on accorde des dommages et intérêts, que des pénalités soient imposées à l'employeur mais pour la simple raison qu'il a agi illégalement, il ne faut pas pour autant priver les employés de la liberté de prendre la décision éclairée de s'inscrire ou non à un syndicat en particulier.
À notre avis, les motifs invoqués dans les arrêts Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Lavigne de la Cour suprême du Canada indiquent très clairement que les employés ont la liberté de s'affilier ou non à un syndicat, et leur décision de ne pas s'affilier ne peut être cassée que pour de bonnes raisons.
Certes, une majorité d'employés qui par scrutin décident de s'affilier à un syndicat constitue une bonne raison parce que cela vient régulariser les relations de travail. Cela permet aux employés et aux employeurs en général de régler les différends par voie de négociation collective. Cependant, lorsque la position d'une minorité est imposée à la majorité, le bien-fondé de passer outre aux intérêts de ces employés et de les forcer à s'affilier à un syndicat n'existe plus.
Donc, les arguments invoqués dans les deux décisions de la Cour suprême du Canada qui permettaient d'invoquer l'article 1 et la justification dans une société libre et démocratique n'existeraient plus en vertu du projet de loi C-19. Parce que le seul motif permettant de priver l'employé de sa liberté d'association ne serait pas une décision prise par l'employé, mais une décision de l'employeur qui n'a rien à voir avec le premier. Il n'y a pas de lien et, vous vous en souviendrez, en vertu du critère de l'article 1, il doit y avoir un lien rationnel entre la restriction d'une liberté et le droit en question.
Nous croyons véritablement qu'il y a ici un élément contraire à la Charte. C'est un problème qui existe actuellement en Ontario et en Colombie-Britannique. Vous n'avez qu'à examiner ce qui se passe dans ces provinces pour voir comment la majorité des employés ont été privés de leurs droits.
Cela est particulièrement important dans le Nord -- d'où viennent nos clients -- parce qu'une minorité d'employés du Sud se joignent aux employés du Nord pendant un certain temps l'été, par exemple. Avec ce genre de loi, il est possible que cette minorité d'employés du Sud imposent leur syndicat à la majorité des employés du Nord qui vivent là de façon permanente.
Cela ne favorisera pas des relations de travail harmonieuses et la volonté des employés ne sera pas respectée.
[Français]
Le sénateur Maheu: Monsieur Chipeur, dans votre mémoire présenté au comité de la Chambre des communes, vous écrivez que seulement deux juridictions donnent des pouvoirs semblables à leur conseil. D'après l'information que j'ai reçue, ce sont cinq juridictions: l'Ontario, la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.
Vous citez dans votre mémoire une décision récente du Conseil des relations du travail de la Colombie Britannique dans l'affaire de Wal-mart, qui, selon vous, est un bon exemple de l'utilisation inappropriée de ce pouvoir. Or le conseil n'a pas utilisé son pouvoir pour renverser les résultats d'un scrutin; l'union avait demandé l'accréditation sans avoir le soutien minimum requis pour obtenir un scrutin. L'employeur a été jugé pour avoir utilisé des pratiques de travail déloyales.
Le syndicat n'a pas obtenu l'appui de la majorité dans ce cas et n'a pas été accrédité. L'arrêt Wal-Mart est le seul cas à ma connaissance. Le conseil de l'Ontario possède ce pouvoir depuis 1975, et encore là une décision de la cour ne peut être considérée comme la preuve d'un abus généralisé.
[Traduction]
M. Chipeur: Les exemples de la Colombie-Britannique que nous pourrions vous citer sont exactement les mêmes que ceux de l'Ontario. Le problème de Wal-Mart en Colombie-Britannique est l'un d'entre eux, mais celui dont j'ai parlé dans mes commentaires du début, c'était le Wal-Mart de l'Ontario.
Dans ce cas, les deux tiers des employés ont clairement rejeté l'accréditation. En disant: «Je ne veux pas répondre à votre lettre. Je ne veux pas vous dire ce que je ferai si les employés du magasin se syndicalisent.», l'employeur a été déloyal. Les employés ont suivi les conseils de leurs avocats qui, dans une certaine mesure, leur ont causé des ennuis en leur recommandant de ne rien dire. Cela touche pratiquement à la liberté d'expression. Néanmoins, ce qui s'est produit par la suite est très révélateur.
L'employeur et le syndicat ont négocié une convention collective qu'ils ont soumise au vote des employés. Les employés l'ont rejetée. Ce faisant, ils ont conservé le statu quo, c'est-à-dire une relation directe entre l'employeur et les employés et les conditions de travail qu'ils avaient. Le syndicat a été laissé à l'écart.
Voilà la preuve que ce genre de disposition est tout à fait inutile lorsqu'un groupe d'employés connaît le droit du travail et sait tenir tête à ce genre de décision. Ils ont dit à la Commission des relations du travail qu'ils savaient parfaitement bien ce qui était au mieux de leurs intérêts, et qu'ils ne voulaient pas que le Conseil décide pour eux. C'est exactement ce qu'ils ont dit en rejetant la convention collective, en dépit de la position du Conseil des relations du travail.
Le sénateur Maheu: Je ne pense toujours pas que cette décision unique constitue une preuve d'abus courant.
M. Chipeur: Toutes les décisions prises en Colombie-Britannique sont des décisions où l'accréditation a été accordée par pure feinte. À mon avis, rien ne prouve que cela ait un impact sur les pratiques prétendues déloyales de l'employeur. Il s'agissait d'un conseil qui estimait préférable d'accorder l'accréditation dans ce cas, qui était disposé à le faire en dépit de ce que les employés mêmes voulaient ou croyaient.
Le sénateur Maheu: Vous parlez de la Colombie-Britannique?
M. Chipeur: Oui.
Le sénateur Maheu: Je croyais savoir que le syndicat avait demandé l'accréditation sans l'appui minimum nécessaire pour tenir un scrutin.
M. Chipeur: C'est exact. Le syndicat a ensuite perdu le vote, ce qui prouve que le Conseil des relations du travail estime que les employés ne savaient pas ce qu'ils faisaient, et qu'il est mieux placé qu'eux pour décider. Dans ce cas, les employés encore une fois disent au conseil qu'il a tort et qu'ils ne veulent pas l'accréditation.
Le sénateur Maheu: C'est parce qu'ils n'ont pas eu les voix nécessaires pour être accrédités, si l'information dont je dispose est exacte.
M. Chipeur: C'est vrai.
Le sénateur Maheu: On ne leur a pas accordé l'accréditation parce qu'ils n'avaient pas recueilli l'appui de la majorité, et c'était la décision du conseil.
M. Chipeur: Exact. Cependant, la décision initiale du conseil a été d'ordonner le scrutin en dépit du fait que les employés n'avaient pas l'appui initial nécessaire, n'ayant pas le nombre de cartes nécessaire.
Le sénateur LeBreton: Le sénateur Maheu a dit que cinq provinces avaient adopté une disposition semblable et le témoin pour sa part a dit deux. Qu'en est-il?
M. Chipeur: Il va falloir que je revoie les lois. Je pense qu'il y en a deux. D'autres provinces ont peut-être modifié leur loi depuis la dernière fois que j'ai vérifié. Il y en a peut-être cinq. Je ne m'attarderai pas à ça.
Le sénateur Kinsella: Le problème de fond le plus grave concerne l'article 46; j'ai dit lors du débat en deuxième lecture que c'était passer outre à la démocratie. Je suis stupéfait qu'on n'ait pas attiré l'attention des Canadiens là-dessus.
Pourriez-vous nous donner à nouveau les grandes lignes de l'argument selon lequel, d'après vous, cette disposition est contraire à la liberté d'association prévue dans la Charte? Quand je suis intervenu là-dessus, j'ai dit que cela minait la liberté de choix ou la liberté de vote.
À la page 12 de votre mémoire, vous parlez de l'opposition des juges La Forest et McLachlin aux accréditations forcées, comme le prévoit la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies. Je suis d'autant plus préoccupé que l'on retrouve dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques une disposition identique qui constitue une obligation pour le Canada en tant que signataire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et qui porte sur le même sujet.
Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez dans votre mémoire sur les droits de la personne de même que votre préoccupation à propos de l'article 2?
M. Chipeur: En vertu du droit international, le Canada est tenu de respecter le Pacte international. Cependant, et cela est plus important encore, nos lois municipales -- les lois locales -- doivent se conformer à l'article 52 de la Charte canadienne des droits et libertés selon laquelle toute loi contraire à la Charte est nulle et non avenue.
En quoi le projet de loi C-19 ne touchera-t-il pas à ce domaine? Quand un Conseil des relations du travail utilise le pouvoir qui lui est conféré pour passer outre à un vote majoritaire d'employés qui refusent l'accréditation, c'est violer la garantie de liberté d'association. Apparemment, l'article 2 de la Charte garantit la liberté d'association tout comme celle de ne pas s'associer.
Si la majorité des employés ont décidé de ne pas s'affilier à un syndicat, alors, leur affiliation forcée violera leur droit de ne pas s'associer. Le critère que les tribunaux utilisent toujours sous l'article 1 de la Charte est le suivant: cette atteinte est-elle raisonnable dans une société libre et démocratique?
Le principe démocratique, le libre choix exercé de façon démocratique a permis aux tribunaux de dire dans le passé «qu'imposer un syndicat lorsque la majorité est d'accord et obliger un employé à négocier une convention collective par l'intermédiaire d'un syndicat lorsque la majorité appuie le syndicat, après libre choix, est conforme à l'article 1 qui prévoit qu'on peut imposer des limites à un droit si on le fait en exerçant sa liberté de choix et en respectant les principes démocratiques». Dans ce cas, la liberté de choix de l'employé et les droits démocratiques de tous les employés sont usurpés par un conseil indépendant qui n'est pas en cause, n'est pas là et n'est pas en mesure d'imposer sa décision de façon qui soit conforme à l'article 1 de la Charte.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que le critère de l'arrêt Oakes n'inclut pas également l'interférence minimale pour atteindre l'objectif?
M. Chipeur: Si. Cependant, nous n'en sommes pas encore là parce qu'il n'y a pas ici d'objectif qui puisse justifier de priver la majorité des employés de leurs droits, sinon de dire aux employés: «Vous êtes manipulés par l'employeur. Vous n'êtes pas aptes à prendre une décision, donc, vos décisions doivent être écartées.» Je crois que personne n'oserait, sur le plan politique ou juridique, dire à un groupe d'employés qu'ils ne sont pas aptes à faire un choix libre et que le Conseil devrait décider à leur place.
Je ne crois pas qu'on en soit même à l'atteinte minimale à un droit. Rien ne justifie cela au départ. Il n'existe pas de lien rationnel ni de justification permettant d'imposer ce genre de restriction.
Le président: Je dois m'excuser auprès du sénateur Chalifoux et du sénateur Johnstone. On manque tout simplement de temps.
M. Chipeur: Monsieur le président, si des sénateurs veulent m'envoyer leurs questions par télécopieur, je me ferai un plaisir d'y répondre dans un délai de 24 heures et vous pourrez en distribuer des exemplaires aux membres.
Le président: Libre à vous, monsieur. Je dois respecter nos contraintes de temps.
Si la liste des sénateurs est trop longue, je dois vous interrompre, vous et les témoins.
Nous entendrons maintenant les représentants du Business Council of British Columbia.
M. Jerry Lampert, président-directeur général, Business Council of British Columbia: Je vous remercie de nous permettre de comparaître. Je sais qu'il a été assez difficile d'organiser cette séance, j'apprécie donc l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui.
Je prendrai quelques minutes pour vous décrire le Business Council of British Columbia. Le conseil a été créé en 1966 en tant que conseil des employeurs. Il s'agissait d'un regroupement d'entreprises du domaine des ressources naturelles s'intéressant aux problèmes nouveaux en matière de relations industrielles. Depuis, le conseil a élargi son rôle et est devenu le porte-parole des plus grandes entreprises de la province. Oui, nous nous concentrons sur les relations de travail, mais également sur de nombreuses autres questions. Nous intervenons constamment dans les débats économiques, nous traitons de ces questions avec le ministère des Finances et d'autres ministères ici à Ottawa mais je dois admettre que nos principaux interlocuteurs sont l'Assemblée législative et le gouvernement de la province.
Nous comptons actuellement 165 membres qui sont actifs dans tous les grands secteurs de l'économie de la Colombie-Britannique, ce que nous vous décrivons dans notre mémoire. Vingt-quatre de nos membres sont des entreprises sous réglementation fédérale et mon collègue Frank Pasacreta est président de ce groupe. Les entreprises membres et les associations affiliées du Business Council of British Columbia créent ou offrent le quart de tous les emplois de Colombie-Britannique.
Nous surveillons constamment les négociations collectives en Colombie-Britannique. Je vous ai distribué un exemplaire du dernier numéro de notre bulletin mensuel des relations industrielles. Nous publions ce bulletin depuis de nombreuses années. Non seulement nos membres, mais de nombreux autres groupes estiment que ce bulletin constitue un compte rendu mensuel et influent de l'état des relations du travail en Colombie-Britannique. Notre ministre du Travail est abonné à ce bulletin tout comme la Fédération du travail de la province. Nous sommes fiers de les compter parmi nos abonnés.
En Colombie-Britannique, nous comparaissons souvent comme intervenants au nom des gens d'affaires lors des délibérations du Conseil des relations du travail de la Colombie-Britannique et nous discutons des questions relatives au Code du travail et des normes d'emploi chez nous.
Dès le début, nous avons participé à l'examen des changements apportés au Code canadien du travail. Dans le cas du projet de loi C-19, nous avons comparu devant le comité permanent de la Chambre des communes. Nous avons rencontré le ministre du Travail, son personnel et les fonctionnaires du ministère à qui nous avons soumis des documents.
Nous voulons aborder aujourd'hui deux questions importantes qui figurent dans notre mémoire. L'une concerne le traitement accordé au grain dans la loi, l'autre, les droits et obligations des entreprises remplaçantes. J'invite les membres du comité à examiner notre mémoire en détail. Plutôt que de lire ce mémoire chapitre par chapitre, j'aimerais procéder de façon un peu différente, peut-être est-ce un peu provocateur, et vous décrire une situation qui pourrait se produire, selon nous, si le projet de loi C-19 est adopté sans amendement en ce qui concerne les dispositions très importantes touchant le grain. Le scénario est le suivant:
La convention collective actuelle arrivera à échéance le 31 décembre 1998. Les négociations collectives commenceront cet automne. Étant donné la nouvelle importance accordée au grain dans le projet de loi C-19, nous croyons que les syndicats se présenteront à la table et seront en mesure d'exercer des pressions extraordinaires sur les employeurs pour les obliger à satisfaire à leurs diverses revendications. Les employeurs seront incapables de le faire. Nous savons tous que le monde d'aujourd'hui est très concurrentiel et qu'il ne sera tout simplement pas possible de satisfaire à certaines de leurs revendications. Les syndicats vont exercer des moyens de pression ou, en fait, de fil en aiguille, il s'ensuivra un lock-out au port.
Le port de Vancouver et tous ceux de la côte ouest interdisent toute activité sauf le transport du grain. Les syndiqués travailleront à tour de rôle, ce qui leur permettra de continuer d'être rémunérés sur une base horaire. En outre, ils toucheront leur indemnité de grève. Absolument rien n'oblige les syndicats à retourner à la table et à négocier de bonne foi.
Entre-temps, les produits fabriqués en Colombie-Britannique ne sont pas acheminés par le port. Le bois de construction, les pâtes et papiers, les produits pétrochimiques, la potasse, les métaux, les articles électroniques, les produits manufacturés et les dérivés du poisson restent au port et ne bougent pas. Du même coup, les marchandises n'entrent pas au port. Certaines de celles-ci sont des matières brutes dont ont besoin les entreprises de Colombie-Britannique et celles d'autres régions du pays qui dépendent d'elles pour leur travail de transformation. Un bon exemple est celui de Cominco, qui compte sur les concentrés de plomb et de zinc provenant de l'Alaska. Dans ce scénario, ces matériaux n'arrivent pas au port. Il est fort possible qu'une grande industrie de l'intérieur soit forcée de mettre un terme à ses activités.
La pression monte constamment. Pour ce qui est des produits de la Colombie-Britannique, les contrats internationaux ne sont pas respectés, ce qui devient un problème commercial énorme. Cela mine la réputation des fournisseurs de la Colombie-Britannique et celle du Canada en général en tant que fournisseur sûr de marchandises. À notre avis, tout cela cadre mal avec les démarches d'Équipe Canada que le premier ministre défend si fièrement depuis des années.
Que se passe-t-il en fin de compte? Ou bien on demandera de nouveau au Parlement d'intervenir pour régler le problème, ou bien la Colombie-Britannique subira un désastre économique. Soustraire le grain aux pressions exercées pour maintenir la paix dans les relations industrielles peut sembler une bonne idée dans les coulisses d'Ottawa. Pour les ports de la côte ouest, par contre, où ça compte vraiment, la mesure n'est absolument pas pratique, elle est mal pensée et ne règle pas le problème.
Beaucoup ont employé ici l'expression «atout en réserve». Si vous adoptez le projet de loi C-19 dans sa forme actuelle concernant le transport du grain, il n'est pas question d'un atout en réserve, mais on voit bien que les jeux sont faits d'avance en faveur des syndicats. L'idée de soustraire le grain a été décrite comme une expérience non maîtrisée en matière de relations de travail.
En Colombie-Britannique, nous ne croyons pas que nous devrions constituer le banc d'essai, mais c'est ce qui arrivera. Nous n'arrivons pas à croire que vous voulez que nous servions de cobayes. Ne nous méprenons pas. Une fois de plus, les emplois de la Colombie-Britannique et les possibilités d'affaires dans notre province seront les victimes si ce projet de loi est adopté.
Nous avons une proposition de rechange. Nous ne sommes pas ici simplement pour nous plaindre et pour nous chamailler. Notre proposition se trouve dans notre mémoire. Je cède la parole à mon collègue Tim McEwan qui vous la résumera.
M. Tim McEwan, analyste principal -- politiques, Business Council of British Columbia: Honorables sénateurs, votre comité a récemment reçu une proposition de rechange sur les intérêts de l'employeur soumise au ministère du Travail en septembre dernier. Essentiellement, cette proposition vise à remplacer le paragraphe 87.7 du projet de loi, la disposition sur le grain, par une forme de pouvoir discrétionnaire permettant au ministre de désigner un conseiller spécial ou un groupe consultatif pour surveiller l'évolution des négociations du secteur portuaire et faire rapport sur les effets prévus de tout arrêt de travail éventuel. Sur la foi des recommandations du conseiller spécial, ou du groupe consultatif, le ministre pourrait déterminer si l'arrêt de travail risque de nuire à l'intérêt public. Le ministre pourrait alors prendre diverses mesures décrites dans notre mémoire.
Le ministre pourrait invoquer un délai de réflexion, des restrictions au droit de grève et de lock-out, nommer un médiateur ou exiger que les parties entament une forme de médiation ou d'arbitrage. En dernier recours, le ministre pourrait songer à l'arbitrage par sélection, par intérêt ou à tout autre mécanisme de règlement des différends qu'il estime approprié à la situation.
L'irrésistible attribut de la proposition de rechange est de préserver l'égalité de traitement de toutes les marchandises transitant par les ports de la côte ouest et les autres et de ne pas conférer à une marchandise, y compris le grain, de traitement préférentiel comme le prévoit le paragraphe 87.7 du projet de loi C-19.
S'agissant maintenant d'une autre question, le comité du Sénat sait que M. le juge Estey est en train d'examiner le système de transport du grain de la ferme au port. M. Estey a récemment publié son rapport provisoire. Ce dernier inventorie essentiellement les problèmes qu'éprouvent les intervenants dans le système de transport du grain. Entre autres problèmes cités à la page 18 du rapport se trouve la disposition du projet de loi C-19 sur le grain.
Compte tenu du fait que cette disposition a été établie comme source de problème, nous considérons prématuré de l'inclure au paragraphe 87.7 du projet de loi. Nous estimons aussi qu'en cette affaire le ministre du Travail et son personnel ont mis la charrue devant les boeufs.
J'aimerais vous parler brièvement de l'autre question soulignée dans notre mémoire. Comme l'a dit M. Lampert, le paragraphe 47.3 du projet de loi porte sur les droits et obligations des entreprises remplaçantes. Cette disposition accorde au gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre du Travail, le pouvoir de désigner les industries sous réglementation fédérale qui seraient tenues, dans leurs contrats de service, d'offrir des salaires au moins égaux à ceux payés par l'entrepreneur précédent.
Nous estimons que l'adoption de cette disposition saperait la négociation collective libre et le système de soumission ouverte dans le vaste secteur sous réglementation fédérale ou dans ceux auxquels le gouverneur en conseil appliquerait la disposition. Compte tenu de la concurrence sans cesse croissante que doit affronter la Colombie-Britannique -- et M. Lampert en a parlé tout à l'heure -- nous croyons qu'il s'agit d'une mauvaise politique gouvernementale.
Je cède maintenant la parole à M. Pasacreta.
M. Frank Pasacreta, président, Forum des employeurs sous réglementation fédérale, Business Council of British Columbia: Honorables sénateurs, je suis très heureux d'être ici cet après-midi. J'aimerais que vous gardiez une chose bien à l'esprit pendant mes commentaires: le paragraphe 87.7 proposé ne provient d'aucun des rapports que vous avez devant vous, ni du rapport du Groupe de travail, ni du rapport de la Commission d'enquête. J'attirerai votre attention sur le rapport du Groupe de travail et sur ses recommandations particulières à la fin de mes observations.
J'espère vous donner le point de vue d'une personne qui a assisté, en tant que représentant de l'employeur, à toutes les réunions de ce comité, que je me permettrai d'appeler le comité du consensus. C'est dans ce contexte que je ferai mes observations.
Je suis particulièrement préoccupé par l'impression qui s'est formée -- et je crois que c'est votre impression aussi -- qu'on avait fait toutes sortes de consultations sur le paragraphe 87.7 proposé. C'est tout simplement faux. Il n'y a pas eu de consultations sur cette question dans aucun groupe, à ce que je sache, certainement pas des consultations poussées. La question n'a pas été discutée au comité patronal-syndical. Essentiellement, ce dernier a été invité à présenter les problèmes que le patronat et les syndicats estimaient devoir être abordés dans le Code du travail, et c'est ce qu'il a fait. On y a consacré beaucoup de temps lors de ces délibérations, la question du grain n'était pas au premier rang, elle ne figurait pas au programme et n'a pas été discutée.
Les représentants patronaux et syndicaux de ce groupe de consensus n'ont pas discuté du grain lors de leurs délibérations. Ils ont longuement discuté de la restructuration du Conseil canadien des relations du travail et du droit des grévistes de reprendre le travail à la fin de la grève. Ils ont abondamment parlé des travailleurs suppléants et d'autres questions, mais du grain, pas un mot.
Nous avons présenté au groupe de travail des recommandations qu'il a acceptées. Bon nombre d'entre elles portaient sur les modifications au Conseil canadien des relations du travail et à son organisation. Après la publication du rapport du groupe de travail, on a tenu un certain nombre de réunions dans tout le pays pour discuter de son contenu. Il n'a guère été question du grain, et je vais vous dire pourquoi.
Voudriez-vous regarder à la page 95; le groupe de travail avait ceci à dire sur la question du grain et les diverses consultations qui avaient eu lieu jusqu'alors. Voici sa conclusion:
Encore que nous ayons examiné ces recommandations le mieux possible compte tenu de nos contraintes de temps, pour leur donner la considération qu'elles méritent, il est absolument essentiel d'étudier davantage leurs recommandations et les nôtres sur la question fondamentale de la négociation dans les ports de la côte ouest.
Les auteurs poursuivent ainsi:
Le ministre du Travail s'est déjà engagé à mener des consultations sur nos recommandations.
Les auteurs ont adopté la recommandation et l'ont placée dans l'encadré de cette page:
Le ministre du Travail devrait entreprendre des consultations avec les syndicats, le patronat et les autres intervenants sur toute la gamme des recommandations formulées par la Commission d'enquête sur les relations industrielles dans les ports de la côte ouest.
Aucune de ces consultations n'a eu lieu, à ce que je sache.
L'Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique n'a pas été consultée, ni nos membres. Le Business Council of British Columbia n'a pas été consulté, ni ses membres. Si des consultations ont eu lieu, elles se sont faites dans le vide.
En fait, nous ne savions pas que cette disposition allait être intégrée à la loi avant de prendre connaissance du projet de loi C-66. Dites-moi alors: faut-il s'étonner que nous nous y opposions? Faut-il s'étonner que nous soyons déçus de la tactique? Nous croyions savoir que cette question ferait l'objet d'autres consultations, qu'une question aussi importante serait examinée beaucoup plus attentivement qu'elle ne l'a malheureusement été à ce jour.
Je conclus en vous incitant à donner suite aux suggestions du groupe de travail et à vous assurer que cette question soit débattue sérieusement. À cet effet, nous vous exhortons à renvoyer le projet de loi à la Chambre en ayant supprimé le paragraphe 87.7.
Le sénateur LeBreton: Lorsque M. Dufresne, président de l'International Longshoremen's & Warehousemen's Union, a comparu devant nous, il a parlé de la possibilité d'assurer le transport du grain pendant que se poursuivraient les négociations collectives. Je lui ai demandé ce qui inciterait les parties à conclure une entente; autrement dit, si votre scénario se produisait, le transport d'autres marchandises ne serait-il pas affecté et ne risquerions-nous pas de retarder tout le système? À un moment donné, quelqu'un a dit que le grain peut se dégrader et que d'autres choses peuvent être stockées. Cependant, allez dire cela aux expéditeurs de potasse. Le minerai reste dans la terre pendant des millions d'années, mais une fois sur le quai, il ne fait aucun doute qu'il risque de se dégrader. La réponse que m'a donnée M. Dufresne est que durant la négociation collective, toutes les marchandises peuvent -- il l'a dit et je le souligne -- continuer d'être acheminées.
N'y a-t-il pas un véritable danger que même si le projet de loi assure le transport du grain par l'entremise des ports, cela puisse ralentir les choses, compliquer encore les négociations collectives et empêcher l'acheminement d'autres produits par les ports?
M. Pasacreta: Je crois que vous décrivez la situation de façon claire et exacte. Seuls les produits céréaliers manutentionnés par les terminaux continuent d'être acheminés durant une grève. Les produits agricoles manutentionnés par les autres terminaux au port de Vancouver et ailleurs cessent de l'être. Dans la mesure où ces produits sont périssables, les fourrages, la luzerne et tous les autres types de provende resteraient sur place à cause des piquets de grève. Des marchandises sensibles à la température comme la potasse, les pâtes et papiers continueraient aussi d'être exposées aux éléments et, à un moment donné, se détérioreraient. Les produits réfrigérés seraient aussi à risque. Lorsqu'on met des denrées alimentaires dans un réfrigérateur, on en prolonge la vie utile, mais seulement pendant un temps. Nous faisons transiter beaucoup de produits réfrigérés dans des conteneurs frigorifiques et ils continuent de se détériorer pendant que se poursuit la grève.
Si on continue d'acheminer le grain, nous croyons qu'avec un maximum de 20. p. 100 des effectifs à Prince Rupert qui continuent de travailler, et 10 p. 100 à Vancouver, il est fort probable que la rotation des travailleurs dans ces ports prolongera encore les conflits de travail plus longtemps que par le passé.
On se fait des idées fausses sur les grèves. Il y a eu une seule grève des débardeurs et des compagnies membres de la Colombie-Britannique au cours des 12 dernières années, et non pas les nombreuses grèves dont on a parlé. Je vous demande de compter le nombre de grèves qui ont perturbé le transport du grain jusqu'au port de Vancouver. Les terminaux céréaliers ont été en grève. Les chemins de fer ont fait la grève deux fois depuis 1987. La Fédération de la Colombie-Britannique a fermé le port une fois durant cette période. Le terminal céréalier de Prince Rupert a été fermé une fois durant cette période et les inspecteurs de grain du gouvernement canadien ont été en grève une fois aussi. C'est une loi qui a obligé chacun de ces groupes à retourner au travail. Si on veut vraiment empêcher que le transport du grain soit perturbé, il y a beaucoup plus de fautifs dans le décor que ceux qu'emploient les compagnies membres de mon association.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que le transport du grain représente 13 p. 100 du volume qui transite par le port?
M. Pasacreta: Oui, et les autres marchandises, 87 p. 100. La répartition est d'environ 30 milliards de dollars au total dont 4 milliards pour le grain.
Le sénateur LeBreton: Vous ne croyez pas que les autres marchandises seront acheminées?
M. Pasacreta: Non, elles ne le seront pas.
Le sénateur LeBreton: Même si elles pourraient l'être.
M. Pasacreta: Leur transport sera interrompu.
Le sénateur Fitzpatrick: Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce que je voudrais, c'est permettre aux entreprises de Colombie-Britannique d'améliorer leur situation et de prendre de l'expansion. J'ai du mal à accepter le principe d'accorder un traitement préférentiel en soi, et surtout à une seule industrie. Vous avez parlé de l'effet de cette disposition sur la main-d'oeuvre de la côte ouest et sur les autres industries. J'aimerais discuter de ses retombées sur les ports de la Colombie-Britannique.
Depuis un an environ, l'aéroport est privatisé. Nous avons vu la croissance remarquable de l'industrie aérienne encadrée sur place par l'infrastructure nécessaire. Nous venons d'adopter le projet de loi C-9 qui offre la même possibilité aux ports. Veuillez donc expliquer au comité les résultats nuisibles que, selon vous, cette disposition pourrait avoir sur le port si le grain et les autres marchandises étaient acheminés par d'autres ports de la côte ouest. En outre, quels ports seraient touchés?
M. Lampert: Vous avez tout à fait raison. Nous sommes très fiers des changements qui se produisent chez nous. Nous décrivons Vancouver comme la porte d'entrée du Pacifique ou la porte d'entrée au Canada.
Notre port n'a cessé de prendre de l'expansion dans la manutention de divers produits. Il y a toujours risque, si une grève se prolonge, que les améliorations que nous avons connues nous soient ravies par d'autres ports de la côte ouest. Seattle n'est pas très loin, ni Portland, en Oregon. En fait, nous disons dans notre mémoire que lorsqu'il y a eu grève, les producteurs ont pu transiter certains produits. Mais il est difficile par la suite de faire revenir la clientèle de ces producteurs dans notre port.
M. Pasacreta: Ce n'est pas seulement que les producteurs trouvent un autre moyen d'expédier le produit, c'est que les acheteurs trouvent d'autres producteurs. Quand vous parlez de produits canadiens, le véritable risque n'est pas qu'ils oublient le port et s'adressent à un système ferroviaire puis à un port américain, mais bien plutôt qu'ils trouvent un autre fournisseur. Voilà la véritable inquiétude.
Le transport par conteneurs est une activité précaire. Dès qu'il y a menace de perturbation, les conteneurs à destination du Canada sont détournés vers les États-Unis, en particulier vers Seattle et Tacoma.
Le risque, pour les produits en vrac et les produits agricoles que nous manutentionnons, est que les clients trouvent d'autres sources d'approvisionnement. S'ils en trouvent d'autres, comme dans certains cas, ils ne nous reviennent pas; voilà le problème, et non pas qu'ils trouvent d'autres moyens de transport. Le risque est grand que cela se produise, mais le souci majeur est qu'ils achètent leurs pâtes et papiers, leurs produits forestiers et agricoles à d'autres fournisseurs.
M. Lampert: Le port de Vancouver jouit de la réputation croissante à l'échelle internationale d'être un excellent centre d'affaires. Mais cette réputation peut être sérieusement menacée si nous fermons le port pendant une période prolongée. Cela ne fait aucun doute.
M. Pasacreta: Le volume des conteneurs transitant par le port est passé de 250 000 tonnes il y a 12 ans à 750 000 aujourd'hui. Nous disposons d'un autre terminal à conteneurs pour accueillir ces marchandises.
Le sénateur Chalifoux: Avez-vous des preuves que le paragraphe 87.7 proposé causera des arrêts de travail plus longs dans les ports de Colombie-Britannique?
M. Pasacreta: Nous n'en avons jamais fait l'expérience, alors il ne s'agit ici que de spéculations et d'hypothèses. Cependant, presque toutes les industries qui ont comparu devant votre comité, à ce que je sache, ont dit la même chose, sauf pour le grain.
Le sénateur Chalifoux: Les ETCOF, les Employeurs des transports et communications de régie fédérale, ont dit au comité mercredi qu'à leur avis, le projet de loi C-19 constitue un compromis acceptable, et nous ont exhorté à adopter le projet de loi. Combien de vos membres sont des employeurs de régie fédérale et assujettis au Code? La majorité d'entre eux sont-ils membres des ETCOF?
M. Lampert: Pour le Business Council of British Columbia, 24 de nos compagnies sont de régie fédérale. Toutes les compagnies membres du Business Council of British Columbia appuient notre position sur le projet de loi.
Le président: Merci, messieurs les témoins.
Nous entendrons maintenant le président de la Chambre des mines des Territoires du Nord-Ouest, M. Doug Willy.
Bienvenue. Merci d'avoir attendu et de nous avoir supportés en ce long vendredi après-midi. À vous la parole.
M. Doug Willy, président, Chambre des mines des Territoires du Nord-Ouest: Je vous remercie de l'invitation, même si le préavis était plutôt court. Veuillez m'excuser si je ne suis pas aussi alerte qu'à l'habitude, j'ai dû passer la nuit dans l'avion en provenance de Yellowknife.
Je n'expliquerai pas mon mémoire en détail. J'espère que vous avez tous eu la chance de le lire. Je soulignerai seulement quelques éléments. J'ai présenté un témoignage semblable au comité de la Chambre des communes il y a quelque temps, comme l'ont fait un certain nombre d'associations autochtones des Territoires du Nord-Ouest. Nous comptons des membres au conseil d'administration de ces organisations si bien que nos commentaires représentent aussi, on l'espère, l'opinion des collectivités autochtones.
Ce projet de loi est important pour les Territoires du Nord-Ouest parce que le Code canadien du travail ne porte pas seulement sur les transports, les services bancaires et l'industrie de l'uranium. Quiconque travaille dans les Territoires du Nord-Ouest est assujetti au Code. Il ne nous est pas loisible de faire nos propres lois, nous sommes donc obligés de composer avec ce que le gouvernement fédéral nous sert.
Actuellement, l'exploitation minière est l'industrie majeure des Territoires du Nord-Ouest. Il n'y a rien d'autre, pas de produits agricoles, pas de grain à transporter. Nous avons les produits miniers. Par suite des récentes initiatives du gouvernement fédéral concernant les peuples autochtones, nous estimons que l'exploitation minière est la seule activité qui puisse leur donner un statut égalitaire au Canada.
Vous allez peut-être dire que nous nous servons des peuples autochtones pour faire passer un message. C'est un fait dans les Territoires du Nord-Ouest, comme dans quelques autres provinces du Canada, que si nous continuons d'exploiter les mines, il faudra le faire en partenariat avec les peuples autochtones. À mesure que les revendications territoriales se règlent, les gisements à exploiter se trouvent sur des terres qui appartiennent aux peuples autochtones.
Nous n'avons actuellement que quatre mines en exploitation dans les Territoires du Nord-Ouest; trois sont syndiquées, l'une ne l'est pas. En ce moment même, la mine Con à Yellowknife est en grève. Même si le prix de l'or a diminué au point de pratiquement atteindre son plus bas niveau depuis huit ans, le syndicat représentant les employés de cette mine a décidé d'aller en grève il y a trois semaines. Très bientôt, 400 personnes seront sans doute sans travail.
À propos de cette mine ouverte depuis 66 ans, seuls quatre employés sont autochtones. En quoi cela cadre-t-il avec le projet de loi? Pour une nouvelle mine des Territoires du Nord-Ouest actuellement, on ne trouve pas de journaliers, d'ingénieurs professionnels, de géologues professionnels à engager sur place. Nous devons les faire venir du Sud. Par conséquent, la disposition sur l'accréditation d'office et la signature de cartes est très importante. Si une nouvelle société voulait engager 400 employés, dont seuls 50 ou 60 seraient des hommes de métier du Sud, ces derniers pourraient entreprendre une campagne pour faire croire que la mine est coupable de pratiques de travail déloyales et se faire accréditer en vertu de la nouvelle loi. On pourrait syndiquer 450 employés autochtones qui rejettent le syndicat en raison de cette nouvelle disposition de la loi.
M. Clem Paul, président de la Northwest Métis Alliance Presentation, l'a fait remarquer au comité de la Chambre des communes. Il a indiqué très clairement que cette disposition ne les avantageait pas.
Quant aux travailleurs suppléants, deux des mines exploitées actuellement dans les Territoires du Nord-Ouest ne disposent que des trois mois de l'année où elles peuvent expédier et recevoir des marchandises. Supprimer l'embauche de travailleurs suppléants durant cette période constitue réellement un avantage injuste et fait disparaître toute possibilité de négociation qui puisse exister.
Toutes les mines qui seront ouvertes dorénavant seront des exploitations à accès aérien. Il y a quelques années, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a dit aux représentants de l'industrie qu'il ne voulait plus que soient construites des villes minières. Pine Point a fermé, Uranium City aussi. Depuis, toutes les mines exploitées recourent à l'accès aérien.
La nouvelle mine de diamants BHP compte, pour son réapprovisionnement d'environ 120 millions de dollars par an, sur une route d'hiver ouverte de huit à dix semaines. Une loi qui limiterait alors ses activités serait injuste. La question n'est pas de savoir si on le fera ou non. Le problème est de savoir si on ferme la mine pendant un an.
Dans les Territoires du Nord-Ouest actuellement, il ne se fait absolument aucune exploration autre que la recherche de diamant. Cela s'explique par diverses raisons, entre autres le faible prix de l'or et le coût élevé de toute exploration là-bas. Nous savons que nos coûts sont au moins de 35 p. 100 plus élevés que partout ailleurs au Canada. C'est un problème de nature économique. Nos coûts sont élevés. Si vous avez lu le rapport de l'Institut Fraser sur l'économie et l'exploration minière au Canada, publié il y a quelques mois, vous savez que les Territoires du Nord-Ouest se classent comme la principale région où faire de l'exploration en raison de leur potentiel. Cependant, c'est le pire endroit après la Colombie-Britannique pour les investissements. Adopter cet amendement au Code canadien du travail ne fera que nous compliquer l'existence, en raison de la clause d'accréditation et de celle des travailleurs suppléants.
Si le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest avait le pouvoir de faire ses propres lois en ce domaine, il ne fait aucun doute qu'elles ne ressembleraient en rien aux amendements du projet de loi C-19. Cependant, tant que nous n'aurons pas fait nos preuves -- lorsqu'il sera viable sur le plan économique de devenir une province -- nous n'aurons jamais ce pouvoir.
Le président: Oh non.
M. Willy: Nous vous demandons d'écouter ce que les Territoires ont à dire. Nous sommes un groupe différent. Lors des consultations, on est venus seulement une fois dans le Nord. Nos membres sont répartis dans tous les Territoires du Nord-Ouest. Si quelqu'un annonce qu'il viendra en ville pour une réunion d'une journée, il peut en coûter 3 à 5 000 dollars à l'un de nous pour aller à Yellowknife y assister. Notre représentation est le fait des mêmes personnes qui parlent tout le temps et s'imaginent qu'il s'agit d'une seule grosse compagnie qui prend la parole à tout coup, mais ce n'est pas le cas.
Le président: Cela est très utile. Merci beaucoup. À propos de ce que vous avez dit, je ne sais pas si vous êtes au courant -- et même si vous l'êtes, vous n'êtes pas en cause -- mais les Territoires du Nord-Ouest ont eu l'occasion de prendre en main les relations de travail, il y a quelques années. Pour quelque raison que ce soit, ils l'ont laissé passer. Le saviez-vous?
M. Willy: Nous pourrions probablement parler assez longuement de cette question. C'est une autre histoire.
Le président: Je ne connais pas les détails, mais mon souvenir est exact.
Le sénateur Kinsella: Qui était ministre des Affaires gouvernementales?
Le président: Ce n'était pas moi, c'est bien avant mon temps. C'était un autre gouvernement.
Le sénateur Chalifoux: Merci beaucoup, messieurs les témoins, de votre exposé très informatif. J'ai parlé des Métis de North Slave, de Clem Paul et de Sholto Douglas parce qu'ils semblent se soucier à juste titre des possibilités d'emploi pour les peuples autochtones compte tenu de cette loi. Les Autochtones représentent la majorité de la population des Territoires, donc un bon partenariat s'impose.
J'aimerais savoir ce que vous pensez particulièrement des revendications territoriales du Sahtu et des Gwich'in. Je crois que la mine Diavik est située sur leur territoire et ils sont très inquiets. Pourriez-vous nous en parler?
M. Willy: En tant qu'Autochtones, nous avons connu des problèmes dans le passé en faisant affaire avec des compagnies régies par des conventions collectives. Une convention collective porte sur la formation, l'éducation, la promotion, et cetera, des employés. Si une convention collective existe, on ne peut privilégier l'embauche des Autochtones, ce qui les ennuie plus que tout.
Les incidents qui se sont produits au Canada avant la convention collective le démontrent. Les deux mines locales, la Giant et la Con, en sont la preuve. Ni chez l'une ni chez l'autre les membres des Premières nations ne représentent 1 p. 100 de leurs employés, même après 40 et 66 ans d'exploitation. Nous tâchons, avec la mine Diavik, la mine BHP et d'autres, de mettre sur pied des programmes de traitement préférentiel pour intégrer la main-d'oeuvre locale aux effectifs. Ce qui inquiète, c'est que cette possibilité ne disparaisse à nouveau si le projet de loi est adopté et qu'on permette à un syndicat inconnu de s'installer.
Le sénateur Chalifoux: Quelle disposition de la loi vous inquiète principalement?
M. Willy: La section portant sur l'accréditation d'office sans la tenue d'un scrutin.
Le sénateur Chalifoux: C'est le paragraphe 87.7. Merci.
Le sénateur Kinsella: Le gouvernement veut moderniser le Code canadien du travail. Je suis étonné du peu de cas qu'on fait de la situation des Autochtones et des femmes. On nous a donné très peu de temps pour examiner ce projet de loi au Sénat. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu de mesure législative qui ait tant besoin d'être revue. J'espère que nous pourrons trouver le temps de le faire.
Pourriez-vous nous parler un peu plus de cette question?
Le nouveau conseil canadien des relations industrielles disposerait de nombreux autres recours s'il découvrait des pratiques de travail déloyales. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas considéré cette façon de procéder suffisante? Pourquoi a-t-il imposé cette clause qui permet de passer outre au principe démocratique, comme je l'appelle?
M. Willy: Nous n'en savons rien. Cependant, nous pouvons vous donner un exemple dans les Territoires. Essentiellement, nous sommes d'accord avec M. Chipeur.
Quelques-unes de nos compagnies membres sont de celles qui ont eu recours aux services de Milner Fenerty. Les travailleurs de l'acier ont tenté de syndiquer la mine Echo Bay au cours des deux dernières années et demie. La compagnie a été accusée d'un certain nombre de pratiques de travail déloyales. Alors, ils ont demandé la tenue d'un scrutin. Environ 76 p. 100 des employés ont voté contre la syndicalisation. Si nous comprenons bien le projet de loi, on n'aurait pas eu à voter. Le conseil des relations industrielles aurait pu l'accréditer automatiquement même si 76 p. 100 des employés étaient contre.
À notre avis, l'ancien système fonctionnait bien, même si dans certains cas on s'expliquait mal les décisions du conseil. C'est tout ce que je peux dire. J'envisage la question de façon pratique, c'est-à-dire du point de vue des relations avec les différentes collectivités. C'est pourquoi nous avons des gens comme M. Chipeur qui s'occupent du côté juridique des choses.
Nous sommes tout à fait d'accord qu'il faut apporter des changements au Code canadien du travail. Nous l'avons dit à la première page de notre mémoire. Là n'est pas la question. Aucune consultation n'a été menée dans les Territoires du Nord-Ouest: voilà le problème. Nous avons eu une seule journée pour donner notre opinion sur le projet de loi. Nous aurions voulu aborder divers autres points. Par exemple, le Code canadien du travail ne prévoit toujours pas l'accès aérien aux mines. Il reflète encore un contexte qui existait il y a 25 à 40 ans. De plus, les journées de travail de huit heures sont chose du passé. On fait maintenant des journées de sept heures et demie dans les mines à accès aérien. Le Code laisse toujours de côté un certain nombre de situations de ce genre. Il faudrait une refonte complète et sérieuse du Code.
Le sénateur LeBreton: La disposition sur les travailleurs suppléants doit vous inquiéter considérablement dans le Nord.
M. Willy: Cette disposition a été insérée dans le projet de loi en réaction instinctive à une grève à la mine Giant il y a quelques années. Dans le Nord, nous estimons qu'il n'y aurait jamais eu de grève si le ministre du Travail était intervenu plus tôt. C'est une réaction à retardement.
Ce genre de situation ne se répétera jamais. La situation était beaucoup plus complexe qu'elle ne semble maintenant.
Le président: Certainement. Je m'en souviens très bien.
M. Willy: Nous avons rencontré toutes les compagnies d'exploitation de mines à accès aérien et les compagnies du Grand Nord qui utilisent les barges. Nous avons examiné le projet de loi sur les travailleurs suppléants et nous ne savons pas comment nous pourrions respecter ses dispositions. À un moment donné, il faut dire: «Nous devons fermer la mine pour un an. Nous devons licencier tout le monde.» On pourra reprendre le travail la saison prochaine. Nous n'avons rien trouvé de mieux.
Le président: Y a-t-il d'autres questions ou commentaires? Sinon, je tiens à vous remercier beaucoup d'avoir comparu cet après-midi.
La séance est levée.