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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 20 - Témoignages du 24 novembre 1998


OTTAWA, le mardi 24 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 10 heures pour examiner le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Collègues, nous avons devant nous aujourd'hui le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise. Comme vous vous en souviendrez, il s'agit du projet de loi d'initiative parlementaire du sénateur Di Nino, et qui aurait pour effet d'éliminer la TPS sur les articles de lecture. Permettez-moi, avant que nous ne commencions, de vous faire un petit historique. Le projet de loi a été lu pour la première fois au Sénat le 3 décembre 1997. Le débat tendant à la deuxième lecture a eu lieu en février et mars. Le projet de loi a été lu une deuxième fois le 19 mars et a été renvoyé au comité. Le comité s'est réuni quatre fois en mai et juin. Nous avons entendu 16 témoins, y compris l'auteur du projet de loi ainsi que des représentants de diverses organisations, dont des ministères fédéraux. Finalement, le 3 juin, nous avons fait rapport du projet de loi au Sénat sans amendement.

Le débat de troisième lecture a eu lieu en juin dernier, et c'est à cette époque-là que le sénateur Maheu a proposé un amendement en trois parties qui aurait eu pour effet de maintenir la TPS sur tout article de lecture dont la vente, l'acquisition ou la visualisation comportent des restrictions imposées par la loi quant à l'âge des personnes en cause; qui est obscène au sens de l'article 163 du Code criminel ou est de nature pornographique; ou qui comporte plus de 5 p. 100 de publicité. Cet amendement a été déposé au Sénat. Notre ami le sénateur Di Nino a fait savoir qu'il acceptait les deux premières parties de l'amendement du sénateur Maheu, mais qu'il s'opposait à la partie de son amendement qui aurait maintenu la TPS sur les articles de lecture comportant plus de 5 p. 100 de publicité. Le sénateur Di Nino a déposé un sous-amendement à cet effet au Sénat, après quoi le gouvernement, parlant par l'intermédiaire du leader suppléant du gouvernement au Sénat, la sénateur Carstairs, a proposé et obtenu que le tout soit renvoyé au comité pour une étude plus approfondie.

Ce que le comité a devant lui ce matin -- et cela va durer quelques jours -- ce sont l'amendement en trois parties proposé par la sénateur Maheu ainsi que le sous-amendement proposé par le sénateur Di Nino.

[Français]

Comme d'habitude, nous aurons 90 minutes à notre disposition ce matin, et nous l'avons partagé également entre trois témoins dont le premier sera M. Yvon Goulet, statisticien en chef adjoint, Communications et opérations, de Statistique Canada. Monsieur Goulet, vous avez la parole.

[Traduction]

M. Yvon Goulet, statisticien en chef adjoint, Communications et opérations, Statistique Canada: Monsieur le président, je suis très heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de m'adresser à vous et de répondre à vos questions.

[Français]

Le comité se préoccupe de l'incidence que pourrait avoir la modification de la Loi sur la taxe d'accises proposée dans le projet de loi S-10, sur la vente des publications de Statistique Canada en particulier. En 1997-1998, le Bureau a publié 210 titres différents, qui lui ont rapporté approximativement 2,5 millions de dollars. Nous nous attendons à des chiffres comparables pour 1998-1999. Nous n'estimons pas que l'aboliton de la taxe d'accises sur les ventes d'articles de lecture aura une incidence sur le programme de publication de Statistique Canada. Voici pourquoi:

[Traduction]

Un examen de notre clientèle révèle que les entreprises comptent pour 43 p. 100 de nos ventes, les différents paliers gouvernementaux pour 29 p. 100, les étudiants et les milieux de l'enseignement pour 9 p. 100 et les autres pour 19 p. 100.

À notre avis, la vente de publications aux entreprises et aux administrations publiques des différents paliers ne sera pas touchée par les mesures fiscales proposées. Les milieux de l'enseignement, y compris les étudiants de tous les niveaux, les enseignants et les chercheurs, ont déjà accès gratuitement ou à prix réduit aux renseignements produits par Statistique Canada grâce à divers moyens que je vais maintenant vous expliquer.

[Français]

Nous avons un système que l'on appelle ESTAT, qui est un CD-ROM de statistiques, comprenant également des fonctions logicielles qui s'adressent à la clientèle des écoles secondaires. Le système de bibliothèque de dépôt offre gratuitement aux utilisateurs l'accès à toutes nos publications.

Nous avons, de plus, une initiative de démocratisation des données grâce à laquelle les étudiants, les enseignants et les chercheurs de niveau collégial et universitaire ont gratuitement accès à nos renseignements.

Nous avons, enfin, un programme de réduction où les étudiants et le milieu académique peuvent acheter nos publications avec un rabais de 30 p. 100.

[Traduction]

Tous ces mécanismes d'accès expliquent pourquoi seulement 9 p. 100 de nos publications sont achetées par cette clientèle. Cela n'est pas forcément représentatif de l'utilisation qu'elle en fait, mais parce qu'elle y a librement accès par d'autres moyens, elle n'est pas obligée d'en acheter beaucoup.

Enfin, il convient de souligner que des études de marché menées auprès de nos utilisateurs ont fait ressortir qu'ils préfèrent obtenir leurs renseignements statistiques par voie électronique. En conséquence, la tendance à la baisse des ventes de publications imprimées va sans doute aller s'intensifiant.

[Français]

Voilà en bref comment nous évaluons l'incidence de la mesure fiscale proposée sur les ventes de publications de Statistique Canada.

[Traduction]

Je me ferais maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Di Nino: Bienvenue, monsieur Goulet. Good morning. Permettez-moi de vous poser une question dans le but de tirer quelque chose au clair aux fins du procès-verbal. De quels genres de publications parle-t-on ici?

M. Goulet: Nous avons en gros deux types de publications chez Statistique Canada. Un certain nombre d'entre elles sont hautement spécialisées et de portée très étroite: je citerai à titre d'exemple des publications portant sur la production du blé, les produits laitiers ou les ventes de véhicules motorisés. Il s'agit de publications très ciblées et qui s'adressent à une clientèle spécialisée, par exemple des producteurs ou des gens qui travaillent aux côtés de producteurs.

D'autres publications seraient davantage des compendiums. Ce sont des ouvrages de nature plus générale et qui présentent, je dirais, un plus grand intérêt général: un exemple serait Tendances sociales canadiennes, qui traite des différentes questions sociales qui se posent dans la société. Ces ouvrages attirent donc une plus vaste clientèle. Nous avons certains compendiums économiques qui passent en revue l'économie, les principaux indicateurs et qui font le lien entre tout cela. Ils ont un style et une matière qui sont plus génériques et ils attirent donc une clientèle plus importante. Ce sont là les deux catégories de publications.

Évidemment, celles qui sont très spécialisées ont un faible tirage. Cela est évident. Celles qui sont d'ordre plus général sont ce que nous appelons nos publications vedettes. Elles jouissent d'un bien plus vaste public.

Le sénateur Di Nino: De façon générale, les publications de cette dernière catégorie sont utilisées par des institutions ou par d'autres organisations qui diffusent ensuite les renseignements qu'elles contiennent. Cette affirmation est-elle largement juste?

M. Goulet: Vous voulez parler de la catégorie plus générale?

Le sénateur Di Nino: Oui.

M. Goulet: Les publications de type compendium sont redistribuées. Bien évidemment, du fait qu'elles soient de nature plus générale, elles vont intéresser les gens. Par exemple, si vous analysez l'économie, alors vous irez chercher la publication qui traite de façon générale de l'économie et qui vous fournira des renseignements sur le chômage, le coût de la vie, la production et la productivité. Vous aurez un tableau général. Si, donc, vous travaillez pour une institution financière, cette publication vous intéressera.

Si vous travaillez pour une organisation à caractère social, alors ce sera la publication Tendances sociales canadiennes qui vous intéressera.

Le sénateur Di Nino: Serait-il juste de dire que la plupart des Canadiens obtiendraient ces renseignements au moyen de publications telles les revues et quotidiens, qui assureraient la diffusion du gros de ces données? Seriez-vous d'accord avec moi là-dessus?

M. Goulet: Je conviendrais qu'en fait la plupart des Canadiens prennent connaissance des renseignements que nous compilons au moyen des quotidiens.

Le sénateur Di Nino: Aurais-je également raison de supposer que le gros de vos publications ne seraient pas particulièrement intéressantes ni même utiles, directement, aux yeux du Canadien moyen, autrement que par la voie de leur diffusion et de leur analyse dans les quotidiens, les revues et le reste?

M. Goulet: Précisément. Vous avez tout à fait raison. Nous diffusons chaque jour Le quotidien. Nous y traitons des principaux points d'intérêt dans nos publications et ces points sont toujours largement utilisés par les journalistes dans la préparation d'entrefilets ou d'articles, dans les pages financières ou dans d'autres cahiers, parce qu'on y traite de questions sociales. Les Canadiens obtiennent pour la plupart les renseignements que nous diffusons dans les journaux et les revues.

Le président: Monsieur Goulet, avez-vous des statistiques qui seraient pertinentes aux fins de notre étude et indiquant s'il y a eu une chute du côté des ventes de vos publications dans la période précédant l'imposition de la TPS, qui remonte, je pense, au 1er avril 1991, et dans la période écoulée depuis?

M. Goulet: J'avais bien compté que vous alliez me poser cette question, et j'ai donc entrepris hier d'examiner les chiffres. Nous n'avons relevé aucune réduction dans les ventes lors de l'imposition de la taxe. Nous avons constaté une tendance à la baisse dans les ventes, mais cela n'est pas lié à la TPS mais plutôt au fait que les gens veulent davantage recevoir leur information par voie électronique. Les gens qui utilisent ces renseignements pour leur travail préfèrent les obtenir par voie électronique, car ils peuvent tout simplement télécharger les données sur leur ordinateur et continuer d'y travailler, sans quoi il leur faut réentrer les données.

Le président: Vous êtes donc en train de dire que l'application ou non de la TPS à vos publications n'a aucune incidence.

M. Goulet: Oui.

Le président: Par conséquent, pour que ce soit bien clair, en ce qui concerne Statistique Canada, je présume que vous ne publiez rien dont la vente, l'acquisition ou la visualisation comporte des restrictions imposées par la loi quant à l'âge des personnes en cause, n'est-ce pas?

M. Goulet: Non.

Le président: Vous ne publiez pas d'articles de lecture qui sont obscènes au sens de la l'article 163 du Code criminel?

M. Goulet: Pas que je sache.

Le président: Vous ne vendez pas de publicité à l'intérieur de l'une quelconque de vos publications?

M. Goulet: Nous ne vendons pas de publicité. Nous faisons de la publicité pour nos propres publications. Il s'agit de publicité latérale: nous proposons, dans certaines publications, d'autres publications de chez nous.

Le président: Pour le dernier exercice financier pour lequel des statistiques sont disponibles, vous avez vendu pour 2,5 millions de dollars de publications, et vous en avez remis 7 p. 100 au ministère des Finances.

M. Goulet: Oui.

Le sénateur LeBreton: J'aimerais enchaîner là-dessus avec une question. En d'autres termes, votre clientèle est une clientèle d'élite, et nombre de vos clients obtiennent la documentation qu'ils veulent par voie électronique. Par conséquent, il n'y aurait pas de déplacement d'un côté ou de l'autre du fait de la TPS. Vous avez une clientèle sélecte. Ces personnes vont obtenir et obtiennent la documentation qu'elles veulent, avec ou sans TPS.

M. Goulet: L'on sait que les entreprises achètent des livres. Je n'ai pas de ventilation en fonction de la taille des entreprises, mais si vous parcourez la liste des noms des acheteurs, vous verrez qu'il s'y trouve de grosses sociétés. Le fait qu'il y ait une taxe de deux ou de trois dollars sur un livre ne va pas empêcher la Banque Royale de l'acheter si elle en a besoin. L'on constate que les entreprises sont graduellement en train de s'équiper et de s'organiser pour recevoir les publications par voie électronique. Nous voyons ce mouvement s'accélérer. En conséquence, lorsqu'elles recevront ces renseignements par voie électronique, il leur faudra payer la TPS car c'est taxé à l'heure actuelle.

Le sénateur LeBreton: Vos autres systèmes de cueillette de données ou de statistiques vous ont-ils fourni des statistiques indiquant que la TPS a eu une incidence sur l'industrie de l'édition ou sur la capacité des Canadiens d'acheter des livres?

M. Goulet: Malheureusement, je ne peux pas vous confirmer quelle est la situation. L'enquête sur les dépenses des consommateurs montre que les gens qui fréquentent un établissement éducatif consomment plus d'ouvrages écrits car il leur faut acheter livres et manuels. Je ne peux pas conclure de cette enquête que la TPS les empêche d'acheter ce dont ils ont besoin.

Le président: Le comité va recevoir plus tard ce matin un porte-parole de Chapters. Nous avons le texte de son exposé. Il y dit que la vente de livres a subi en 1991 une diminution d'environ 10 p. 100 attribuable à l'imposition de la TPS sur les articles de lecture. Il fait état d'une étude effectuée par Coopers & Lybrand en 1986 pour le compte du ministère fédéral des Communications afin d'évaluer le rapport entre le prix des livres et la résistance des consommateurs. Il dit qu'en amplifiant sur les constatations de cette étude, l'on peut conclure que la TPS de 7 p. 100 a probablement causé une chute dans la vente de livres se rapprochant davantage de 15 ou 20 p. 100. Je présume que Statistique Canada est en mesure de vérifier ou de réfuter ces chiffres.

M. Goulet: Il me faudra vérifier cela. Je n'ai pas les chiffres en tête. Je ne peux pas vous les citer. Nous avons une enquête sur le secteur du livre et nous pourrons certainement trouver les chiffres. Je pourrai sans doute les fournir au comité, si cela peut vous être utile.

Le président: Je pense que le comité serait très intéressé de recevoir les résultats officiels, le verdict officiel, de Statistique Canada qui, comme nous le savons tous, est un organisme très réputé auquel font à très juste titre confiance les Canadiens. Nous aimerions avoir les données que vous avez relativement à cette question.

Le sénateur LeBreton: C'est précisément ce qui m'intéresse. J'aimerais suivre l'évolution pendant cette période et voir s'il y a eu une baisse et si l'on pourrait définitivement l'attribuer à l'application de la TPS ou autre.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: À la première page de votre mémoire, vous donnez le profil de votre clientèle. Je note que les divers paliers de gouvernement compte pour 29 p. 100 de votre clientèle. Ils paient la TPS?

M. Goulet: Oui.

Le sénateur Lavoie-Roux: Pourquoi imposer des frais à un palier de gouvernement pour le donner à un autre? Finalement, c'est de l'argent qui tourne en rond. Quel est l'objectif de ceci? Il me semble qu'il ne devrait pas y en avoir.

M. Goulet: Vous me demandez une opinion. Cela dépasse mes compétences. J'ai des opinions en tant que Canadien.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est ce que je veux avoir.

M. Goulet: J'imagine que pour la simplicité d'opération de la taxe, on a préféré avoir une application générale plutôt qu'une application qui dépend de qui achète. J'imagine que c'est ce principe qui a guidé l'application de cette taxe. C'est vrai, si le ministère des Finances achète un bouquin chez moi, je lui charge la TPS, je la rembourse au ministère du Revenu et le ministre des Finances compte cela comme étant un revenu de la taxe.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela fait une comptabilité qui n'est pas nécessaire, qui pourrait être évitée et qui représente certains frais.

M. Goulet: Oui, c'est indéniable.

Le sénateur Murray: Le temps alloué à ce témoin est épuisé. Au nom du comité, monsieur Goulet, je vous remercie de votre témoignage.

M. Goulet: Je me ferai un plaisir de faire parvenir au comité les statistiques que vous m'avez demandées.

[Traduction]

Le président: Collègues, pendant les 30 prochaines minutes, nous allons entendre la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, dont la représentante ici ce matin est Denise Doherty-Delorme. Bonjour, madame Doherty-Delorme. Bienvenue au comité. Nous allons entendre votre présentation liminaire après quoi j'inviterai les sénateurs à ouvrir la discussion et à vous poser des questions. Allez-y, je vous prie.

Mme Denise Doherty-Delorme, recherchiste, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants: La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants représente plus de 400 000 étudiants de partout au pays et qui fréquentent des établissements postsecondaires de langue française et de langue anglaise. Nous avons de nombreuses fois comparu au sujet de cette question. Vous tous savez, je pense, quelle est notre position. Nous sommes donc de nouveau ici devant vous pour discuter d'une question qui intéresse de très près les étudiants, soit la taxation de tous les articles de lecture. Le projet de loi S-10 a été lu pour la première fois il y a plus d'un an et l'on en discute toujours. La fédération a comparu la dernière fois en mai de cette année. La fédération n'a pas changé sa simple requête: la suppression de la TPS sur tous les articles de lecture, tout particulièrement les manuels.

Comme vous le savez, les étudiants postsecondaires achètent eux-mêmes à grands frais leurs manuels et autres articles de lecture. La semaine dernière, j'ai demandé aux membres de la fédération de me dire combien d'argent ils consacrent en moyenne chaque année aux manuels. Le total varie entre 300 $ et 2 700 $. Si vous ajoutez la TPS à ce dernier chiffre, cela atteint presque 200 $.

Ces 200 $, pour un étudiant qui a un budget limité, représentent deux mois de services de transport en commun, peut-être deux semaines de nourriture et l'impossibilité d'acheter d'autres manuels qui lui sont nécessaires dans le cadre de ses études.

Les étudiants de niveau postsecondaire ont été durement frappés par l'introduction de la TPS. Comme vous le savez certainement, la TPS a été la toute première taxe dans l'histoire du Canada à être appliquée aux livres. Il n'y avait presque pas de taxes sur les ventes des fabricants (TVF) cachées dans le prix des manuels car les livres étaient exonérés de la TPS à presque chaque étape de la production; les étudiants ont donc été frappés d'une augmentation immédiate de 7 p. 100.

Par ailleurs, le coût des manuels a augmenté plus rapidement que le coût moyen des biens et services, exception faite des frais d'inscription et des autres frais liés à la fréquentation d'un établissement éducatif postsecondaire. La fédération, ainsi que d'autres groupes, avaient prédit que le coût des manuels avant taxes allait augmenter par suite de l'introduction de la TPS. Cette augmentation du prix est bel et bien venue, le résultat étant, comme je l'ai déjà mentionné, que les étudiants vivant avec un budget limité doivent, du fait d'avoir à payer la TPS sur les manuels qu'ils achètent, se passer d'un certain nombre d'autres ouvrages. Pour les maisons d'édition canadiennes de manuels, ces pertes de ventes augmentent le coût unitaire et, partant, le coût supplémentaire est répercuté sur le consommateur, soit l'étudiant.

La fédération aimerait souligner que depuis 1993, 7 milliards de dollars ont été retranchés aux paiements de transfert versés aux provinces au titre de l'éducation et de la formation postsecondaires. Aucune des mesures annoncées dans le budget fédéral de 1998 n'aidera les étudiants face à la hausse des frais d'inscription et frais annexes ou à l'augmentation du coût des manuels due à ces coupures. En ce qui concerne l'amendement proposé visant à exclure de la détaxation les articles de lecture comportant plus de 5 p. 100 de publicité, cela aurait une incidence néfaste sur les journaux publiés par les étudiants d'universités et de collègues communautaires de taille petite et moyenne. Une part importante des revenus de ces journaux d'étudiants provient du versement des frais d'adhésion obligatoires aux syndicats étudiants. Il ne s'agit pas là d'abonnements. Il est illégal d'appliquer la TPS aux cotisations aux syndicats étudiants. C'est là une chose pour laquelle la fédération s'est battue et qu'elle a obtenue lors de l'introduction de la TPS: les frais d'inscription et les autres frais d'éducation connexes sont exonérés de la TPS. Les journaux commerciaux peuvent appliquer la TPS aux abonnements et aux ventes unitaires. Les journaux d'étudiants ne le peuvent pas.

De façon générale, les plus gros journaux avec les plus gros revenus en provenance de publicité ne seront sans doute pas touchés par l'amendement proposé. Les journaux plus gros et plus rentables perdront une plus petite part de leur budget d'ensemble au titre de la TPS. Cela n'est pas vrai dans le cas des journaux de taille petite et moyenne. Par ailleurs, nombre de publications sans but lucratif et de plus petites publications commerciales souffriront si l'amendement tel que proposé est adopté. En effet, les étudiants comptent sur ces plus petites publications pour publier leurs travaux et ils s'en servent comme outils de communications entre eux.

Même s'il est vrai que certaines des très grosses maisons d'édition dans ce pays ne paient peut-être pas leur juste part d'impôts, la fédération estime qu'il serait préférable, dans cette situation, de modifier le régime fiscal en matière d'impôt sur le revenu des corporations. En effet, le régime fiscal applicable aux sociétés pourrait être rendu plus progressif si l'on supprimait tout le cocktail de dispositions en matière de reports d'impôt, de crédits d'impôt et de déductions qui sont aujourd'hui autorisés pour les sociétés mais non pas pour les étudiants. Nous vous soumettons respectueusement que l'amendement et le sous-amendement devraient être ratifiés et que la TPS devrait être supprimée une fois pour toutes pour tous les articles de lecture.

Le président: Je pense que vous reconnaissez le sénateur Di Nino, qui est l'auteur de ce projet de loi. Avant de lui donner la parole, j'aimerais vous poser une question, pour résumer un peu les choses. Vous avez dit que vous aimeriez que les amendements soient ratifiés. Je ne le pense pas. C'est le sous-amendement qui supprimerait la TPS applicable à la plupart des articles de lecture. Vous rejetteriez l'amendement du sénateur Maheu, qui aurait pour effet le maintien de la TPS pour les articles de lecture comportant plus de 5 p. 100 de publicité.

Mme Doherty-Delorme: C'est exact.

Le président: Qu'en est-il des deux autres parties de son amendement, qui maintiendraient la TPS pour tous les articles pour lesquels il y a des restrictions imposées par la loi quant à l'âge des personnes en cause et pour tous les articles qui sont de nature obscène ou pornographique? Avez-vous une opinion là-dessus?

Mme Doherty-Delorme: La fédération n'a pas de politique à l'égard de ces deux questions. Lorsque nous nous y sommes penchés, nous avons compris que s'il est illégal de vendre ces articles au départ, la TPS ne peut pas y être appliquée. Cette partie de l'amendement serait sans doute rejetée, tout comme celle portant sur les autres articles. À ce stade-ci, nous ne comprenons pas pleinement le rôle des CD-ROM dans l'expérience de l'apprentissage et nous n'avons pas pris position sur la question de savoir si ces produits devraient ou non être exonérés de la TPS.

Le président: Le principal objet de votre comparution ici aujourd'hui était de nous parler des manuels, n'est-ce pas?

Mme Doherty-Delorme: Oui, de tous les livres. Encore une fois, nous représentons des étudiants, mais nous sommes également sensibles à la situation des familles à faible revenu qui doivent acheter ou devraient acheter des articles de lecture pour leurs enfants et pour elles-mêmes. Nous nous inquiétons pour ce segment de la population également.

Le sénateur Di Nino: Merci d'être venue. J'apprécie l'appui que vous donnez au projet de loi. Nous tentons de corriger un tort qui a été fait lorsque nous avons adopté la TPS, et je suis de ceux qui ont participé à son adoption. Nous demandons au premier ministre et au gouvernement du Canada de respecter la promesse qu'ils ont faite aux Canadiens lors des élections de 1993 et depuis, et même, je pense, lors des élections de 1997. J'apprécie le fait que vous soyez venue ici pour appuyer mon initiative.

Dans votre exposé, vous avez parlé d'un certain nombre de choses que j'aimerais que l'on quantifie. Vous avez dit que le coût des manuels avait sensiblement augmenté. Pourriez-vous nous donner un chiffre? Pourriez-vous nous quantifier cela?

Mme Doherty-Delorme: Non, je le regrette, mais je ne le peux pas. Statistique Canada n'a pas ces renseignements et certaines des données sont la propriété d'autres intérêts et nous n'y avons pas accès. Tout ce dont je dispose ce sont les renseignements fournis par des étudiants relativement au montant qu'ils ont dépensé.

Le sénateur Di Nino: Vous appuyant sur votre propre expérience, de combien le prix des manuels a-t-il augmenté depuis que vous achetez des livres dans le cadre de vos études?

Mme Doherty-Delorme: Tout d'abord, j'ai été diplômée en 1986. J'achète aujourd'hui des manuels pour mes fils. On ne peut pas comparer le coût des manuels, car on passe d'une année à une autre. Vous n'achetez jamais le même livre d'économie d'une année à l'autre, alors il est très difficile de cerner le coût. En tout cas, lorsque j'étais aux études, il était inouï de payer un manuel 150 $, mais c'est aujourd'hui courant.

Le sénateur Di Nino: Il n'y a aucun doute dans votre esprit que les coûts ont augmenté.

Mme Doherty-Delorme: Définitivement.

Le sénateur Di Nino: Qu'en est-il des frais d'inscription? Avez-vous des statistiques sur les frais d'inscription pour les quelques dernières années?

Mme Doherty-Delorme: Nous avons toutes les statistiques en ce qui concerne les frais d'inscription. Depuis 1993, ils ont augmenté de 45 p. 100. C'est bien au-delà de l'indice des prix à la consommation. En fait, la situation en ce qui concerne les frais d'inscription est devenue un cercle vicieux. Certaines des provinces aimeraient adopter une formule en vertu de laquelle les frais d'inscription augmenteraient au rythme de l'inflation, mais la seule chose qui alimente la roue de l'inflation à l'heure actuelle c'est le coût des frais d'inscription et des articles de lecture. Le taux de l'inflation est aujourd'hui de 2 p. 100, mais les frais d'inscription ont augmenté de 10 p. 100 à 20 p. 100, selon la province, et leur augmentation alimente l'inflation. La situation au Québec a été très stable. Les frais d'inscription y sont gelés depuis trois ans, et c'est également le cas en Colombie-Britannique. Ces deux provinces ont à elles seules suffi pour que les frais d'inscription moyens au pays ne reflètent pas le prix véritable. Certaines écoles de Nouvelle-Écosse demandent plus de 4 000 $ par an au seul titre des frais d'inscription.

Le sénateur Di Nino: Pendant le débat et les discussions en comité au sujet du projet de loi S-10, nous avons entendu et de la bouche de fonctionnaires du ministère des Finances et de certains de mes collègues d'en face qu'ils pensent qu'il y a de meilleurs moyens de régler la question de l'escalade des coûts pour les étudiants, et tout particulièrement des étudiants de niveau postsecondaire. Avez-vous vu des initiatives de l'actuel gouvernement visant à alléger le fardeau des coûts supplémentaires que doivent payer au Canada les personnes désireuses d'avoir une éducation?

Mme Doherty-Delorme: Le dernier budget comportait deux initiatives positives. Tout d'abord, une bourse d'études pour les personnes ayant des personnes à charge. D'autre part, il y a eu une petite augmentation du financement pour les conseils de recherche. Cependant, ces deux initiatives n'effacent pas les 7 milliards de dollars qui ont été retirés du secteur postsecondaire et du secteur de la formation. La tendance maintenant est de consentir une aide financière à certaines personnes en particulier, au lieu de financer le programme dans son ensemble. Le programme de bourses du millénaire injectera 2,5 milliards de dollars au cours des dix prochaines années, mais, là encore, cela n'a rien à voir avec les 7 milliards de dollars qui ont déjà été enlevés. Cette perte de 7 milliards de dollars est répercutée sur les provinces, qui la répercutent sur les institutions, qui la répercutent sur les étudiants au moyen de taux d'inscription accrus.

Le sénateur Di Nino: Combien d'étudiants bénéficieront de ces deux petites mesures que vous avez mentionnées?

Mme Doherty-Delorme: Vraisemblablement 200 000.

Le sénateur Di Nino: Sur un total de 400 000.

Mme Doherty-Delorme: Notre fédération représente 400 000 étudiants. Il y en a en tout 1,5 million.

Le sénateur Di Nino: C'est vraiment un très petit nombre.

Mme Doherty-Delorme: Oui.

Le sénateur Di Nino: J'aurais une dernière question à vous poser. Le noeud de cette ronde d'audiences concerne une différence d'opinions entre mes collègues et moi-même sur la question de savoir si la TPS devrait être supprimée pour les livres ou pour tous les articles de lecture. Vous avez parlé de l'importance pour les étudiants d'autres articles de lecture. Vous pourriez peut-être faire ressortir de nouveau le fait que si la TPS applicable aux livres était supprimée, cela vous rendrait service.

Mme Doherty-Delorme: C'est le cas.

Le sénateur Di Nino: De quelle façon cela aide-t-il les étudiants de pouvoir acheter meilleur marché revues, journaux, et cetera?

Mme Doherty-Delorme: Tout d'abord, il y a les journaux que publient les étudiants. Cela coûte cher de sortir un journal. C'est un moyen de communication interne entre le syndicat étudiant et les étudiants de différentes facultés. En fait, Margaret Laurence a fait ses premières armes travaillant pour les journaux des étudiants de l'Université du Manitoba. De nombreux artistes, écrivains, architectes et chercheurs en herbe commencent en publiant un article dans une revue ou un journal sans but lucratif ou dans une revue ou un journal à petit tirage. Ce sont des tribunes où ils peuvent présenter leurs idées et communiquer entre eux, et c'est très important pour eux. Dans mon travail de recherchiste pour la fédération, je nous abonne à un assez grand nombre de revues qui ne sont pas pour le grand public. L'effet de la TPS sur notre budget limité est important. Nous ne pouvons qu'extrapoler pour avoir une idée de l'incidence que cela peut avoir sur les étudiants eux-mêmes.

Le sénateur Butts: J'ai quelques questions très simples. N'est-il pas vrai que tous les étudiants ont droit au remboursement de la TPS?

Mme Doherty-Delorme: Oui, mais le remboursement intervient après coup, une fois qu'ils ont payé la TPS. Beaucoup d'étudiants vivent d'un chèque à l'autre ou grâce à un prêt d'étudiant, et le remboursement de la TPS intervient trop tard dans l'année pour compenser l'inconvénient.

Le sénateur Butts: Apparemment, ce n'est quand même pas négligeable. Maints étudiants que je connais sont très heureux de toucher le chèque lorsqu'il arrive. Je ne sais pas si ce décalage est aussi important que vous le dites. En outre, je pense que le prix des livres augmente comme il l'a toujours fait, indépendamment de la TPS.

Avez-vous une idée de la proportion des manuels qui ne sont pas renouvelés chaque année? Vous pouvez acheter un manuel d'occasion, ce qui représente une grande industrie dans mon université, et ce à moins de la moitié du prix du livre neuf. Quantité de cours n'exigent pas l'achat de livres neufs chaque année.

Mme Doherty-Delorme: Non, nous n'avons pas de statistiques sur la proportion de la bibliothèque personnelle d'un étudiant qui peut provenir d'un magasin de livres d'occasion. Selon notre expérience, les livres vendus dans ces magasins universitaires coûtent plus que la moitié du prix. Beaucoup sont vendus au prix plein moins la taxe parce qu'il y a une pénurie de livres d'occasion ou parce que les étudiants se disent que l'économie de la TPS représente une différence suffisante et qu'ils pourront ainsi récupérer ce que le livre leur a coûté la première année.

Le sénateur Butts: Vous n'avez pas parlé aux étudiants de la côte Est, car la situation n'est pas ce que vous dites là-bas. Je vous remercie.

Le sénateur Cohen: Nous avons la double taxe dans les provinces atlantiques. Nous payons 15 p. 100. Cela pénalise les étudiants. Étant donné que nos taux d'alphabétisme sont très élevés comparés aux autres provinces, je pense que c'est une considération importante à faire valoir dans ce débat.

Le sénateur Butts: Sauf que nous ne parlons ici que de la TPS.

Le sénateur Cohen: Nous parlons aussi de dollars.

Le président: Nous ne nous sommes pas penchés sur l'effet que ce projet de loi aurait sur la taxe de vente harmonisée (TVH) dans les trois provinces atlantiques qui la pratiquent. Faudrait-il conclure un accord spécial avec ces provinces au sujet de leur taxe sur les articles de lecture?

Le sénateur Di Nino: Évidemment, monsieur le président, c'est là une question juridique à laquelle aucun d'entre nous ici, du moins à ce stade, ne peut répondre, hormis pour dire que si la TPS est supprimée, ces manuels, ces journaux et ces magazines coûteront 7 p. 100 moins cher, à tout le moins. J'ai l'impression que si nous pouvions faire adopter ce projet de loi, si le gouvernement du Canada accepte d'adopter ce projet de loi à la Chambre des communes, il y aurait un fort mouvement, à mon avis, en vue de supprimer la taxe de vente provinciale sur les articles de lecture dans les provinces où l'harmonisation a, dans la pratique, imposé un fardeau supplémentaire de 7 p. 100 à 15 p. 100 sur les manuels, les magazines et autres articles de lecture.

Le président: Je suppose que la TVH s'applique dans ces trois provinces. Elle est de 15 p. 100 dans votre province.

Le sénateur Cohen: Oui.

Le président: Madame Doherty-Delorme, êtes-vous informée de cette situation?

Mme Doherty-Delorme: Certainement, la TVH est appliquée au complet à tous les manuels.

Le sénateur Di Nino: Peut-être Mme Doherty-Delorme pourrait-elle nous donner de plus amples précisions sur l'analphabétisme au Canada. On dit que de 38 p. 100 à 45 p. 100 des Canadiens sont considérés comme pratiquement illettrés, selon la définition du terme. Les témoins précédents nous ont dit également que la plus grande cause d'illettrisme dans tous les pays est le manque de livres dans l'enfance. Avez-vous des avis à ce sujet? Est-ce que votre fédération aurait fait quelques études là-dessus?

Mme Doherty-Delorme: Certainement. Le volet de l'éducation postsecondaire qui connaît la plus grosse croissance est celui des étudiants adultes. La moitié des étudiants adultes ont des enfants, dont la moitié sont dans l'enseignement postsecondaire. Cela revient à imposer certains de ces étudiants deux fois, car ils doivent acheter leurs propres manuels en payant la TPS ou la TVH. En outre, ils connaissent l'importance d'avoir des livres pour leurs enfants et ils en achètent et là ils doivent de nouveau payer la TPS.

Un ménage ordinaire contient pour environ 600 $ de livres pour enfants, et je parle là d'un foyer capable d'enseigner l'amour de la lecture et des livres. Les très jeunes enfants abîment souvent ces livres ou les mangent, ce genre de choses. Il faut pousser à lire à un très jeune âge. Les étudiants adultes nous disent que la combinaison de toutes les majorations, qu'il s'agisse des droits de scolarité ou autres redevances ou de la TPS sur leurs manuels, fait qu'ils ne sont plus en mesure d'acheter les livres dont leurs enfants auraient besoin.

Comme je l'ai déjà dit, nous nous soucions non pas de ces étudiants qui peuvent acheter tous les livres qu'ils veulent, mais des nombreux étudiants qui dépendent de prêts soit fédéraux soit provinciaux. Ils rembourseront leurs dettes pendant 10 ou 15 ans après leur diplôme. Beaucoup d'étudiants remboursent encore leurs prêts d'études bien après que leurs propres enfants aient entamé eux-mêmes des études postsecondaires. Cela nuira à la capacité de ces derniers à acheter leurs manuels aussi.

Le sénateur Roche: Comme vous le savez, monsieur le président, je n'étais pas membre du comité lorsque ce projet de loi a été étudié la première fois. En félicitant le sénateur Di Nino de son initiative, je dois tout d'abord déclarer un conflit d'intérêt en tant que professeur d'université et auteur, encore que cela n'a guère d'importance car aucun de mes livres ne rapporte suffisamment pour me gêner.

Le président: Vous êtes également sénateur de la seule province du Canada qui n'a pas de taxe de vente provinciale.

Le sénateur Roche: C'est un facteur que nous laisserons pour une autre occasion, monsieur le président. Je tiens à déclarer mon soutien total à ce projet de loi et je veux féliciter le témoin et dire à Mme Doherty-Delorme que je suis d'accord avec chacune de ses paroles. J'espère que ce projet de loi sera adopté très rapidement. Nous avons imposé un fardeau supplémentaire choquant aux étudiants en leur faisant payer la TPS sur les manuels que nous les obligeons à acheter pour s'instruire.

Ce projet de loi a mon appui sans réserve.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Ce que vous avez exposé tantôt a beaucoup d'importance, surtout pour les étudiants. Le projet de loi présenté par le sénateur Di Nino a mon appui. Il est louable qu'il ait pensé aux gens qui ont besoin de livres ou de matériel de lecture pour leur croissance personnelle et pour améliorer leurs connaissances.

Avec l'abolition de la TPS sur le matériel de lecture -- journaux, livres, et cetera -- comment pensez-vous que le gouvernement, qui va y perdre entre 120 et 425 millions de dollars, réagira?

C'est bien que la TPS soit enlevée sur le matériel de lecture, mais pas dans le cas des grandes maisons d'édition qui ont plus de 5 p. 100 de publicité qui rapporte beaucoup d'argent. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de laisser ce troisième amendement à la loi? Si on maintient la taxe pour ces grandes maisons d'édition, qui ont plus de 5 p. 100 de publicité et qu'on l'abolisse pour les petites maisons d'édition, on pourrait récupérer 125 millions de dollars environ sur les 320 millions qui seraient perdus autrement.

Si nous adoptons le troisième amendement, les petits journaux communautaires et ethniques vont aussi être pénalisés, mais nous pourrions étudier ce problème plus tard. On pourrait apporter les modifications nécessaires pour favoriser la publication des petits journaux communautaires qui survivent grâce à la publicité de leur quartier. Si nous gardons le troisième amendement, cela va aider le gouvernement et les grandes maisons d'édition n'en seront quand même pas si pénalisées que cela.

Mme Doherty-Delorme: Il y a vraiment un problème de taxes sur les corporations dans ce pays. En ce qui concerne le déficit de la dette, il a été prouvé par Statistique Canada, après plusieurs recherches, que le gouvernement n'avait pas l'habilité d'amasser l'argent dont il a besoin.

Premièrement, on devra changer le système de taxe sur les corporations et enlever toutes les provisions qui laissent impayée la portion de taxe qu'ils devraient payer. On va commencer par ce moyen.

Si on garde l'amendement qui propose d'enlever la TPS sur les publications de revues et de journaux qui ont plus de 5 p. 100 de publicité, cela va nuire exactement aux petits journaux.

Le sénateur Ferretti Barth: Il faut aussi comprendre que nous vivons dans une société multiculturelle. On utilise ces journaux communautaires pour envoyer des messages ou aviser des changements aux lois, et cetera.

Mme Doherty-Delorme: La TPS n'attaque pas l'éditeur mais l'acheteur.

Le sénateur Ferretti Barth: Si j'ai quelque chose à vous transmettre et que vous voulez la connaître, vous devez payer?

Mme Doherty-Delorme: Oui. La TPS n'est pas le moyen qu'on devrait utiliser pour faire en sorte que les corporations, qui font des profits dans ce pays paient ou non leurs taxes. Il y a d'autres moyens et c'est la taxe sur les coopérations.

Le sénateur Ferretti Barth: Ce n'est pas une chose qui concerne cette loi-ci.

Mme Doherty-Delorme: Je l'ai présentée, parce que c'est la meilleure façon de les cibler. Au Québec, les petites publications pour enfants -- dont on se sert beaucoup à l'école -- comme J'aime lire, par exemple, sont sujettes à la TPS. Ce n'est pas l'éditeur qui paie la TPS, mais les parents lorsqu'ils abonnent les enfants à ces publications.

Le sénateur Ferretti Barth: Si on présente la loi avec l'amendement de 5 p. 100 de publicité seulement, le gouvernement est plus en mesure d'accepter les projets. Ce que nous prenons d'un autre côté, sera enlevé d'un autre. Le gouvernement ne peut pas, en ce moment, renoncer à ces revenus.

Mme Doherty-Delorme: Si c'est garanti que le gouvernement enlèvera la TPS sur les livres, on dira oui, mais enlever la TPS sur tout le matériel de lecture, que ce soit un gros profit ou non, c'est secondaire. Mais on aimerait qu'elle soit enlevée sur tout le matériel de lecture.

Le sénateur Ferretti Barth: Avec le troisième amendement? Le 5 p. 100? Tous ceux qui ont de la publicité supérieure à 5 p. 100 doivent payer la taxe.

Mme Doherty-Delorme: Non. J'ai dit qu'on devrait accepter le sous-amendement qui enlève l'amendement relatif au 5 p. 100.

Le sénateur Ferretti Barth: Je ne suis pas d'accord.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, madame Doherty-Delorme. Je suppose que c'est votre première comparution devant un comité sénatorial. J'espère que vous l'avez trouvée relativement peu douloureuse.

Mme Doherty-Delorme: Oui. Il n'y a pas de cicatrice.

Le président: J'aimerais dire un mot au sujet d'un élément de la discussion qui s'est déroulée il y a quelques minutes entre le sénateur Ferretti Barth et Mme Doherty-Delorme. Il s'agit du manque à gagner qui résulterait de ce projet pour le Trésor. L'une des choses frustrantes pour un comité traitant d'une question comme celle-ci est l'écart entre les estimations du manque à gagner qui nous sont fournies. Le ministère des Finances, soit celui qui est censé savoir et pouvoir prouver ses dires, annonce que le manque à gagner résultant du projet de loi du sénateur Di Nino serait de l'ordre de 300 millions de dollars. Cette estimation a été contestée par divers partisans du projet de loi. Certaines personnes ayant comparu devant le comité estiment plutôt le chiffre à 120 millions de dollars. L'écart est plus que du simple au double.

Nous reprendrons l'examen de ce projet de loi le 8 décembre. Le comité voudra peut-être se pencher là-dessus. En outre, je vous recommande de lire le document de recherche que vient de produire notre ami Terry Thomas, de la Bibliothèque du Parlement. J'avoue ne l'avoir lu que ce matin parce qu'il y avait une panne d'électricité hier soir dans mon coin de la vallée de l'Outaouais. Je n'ai donc pas pu le lire plus tôt. Il est excellent. J'attire en particulier votre attention sur un problème de compétence potentiel que présente l'un des amendements et sur un autre problème constitutionnel potentiel, mettant peut-être en jeu la Charte, s'agissant de la définition de pornographie et ce genre de choses en rapport avec les amendements du sénateur Maheu. Je vous en recommande donc la lecture puisque nous allons de nouveau nous réunir le 8 décembre sur ce projet de loi.

Nous entendrons maintenant M. Lawrence Napier Stevenson, qui est le président-directeur général de Chapters Inc., poste qu'il a occupé lorsque la société a été formée en avril 1995 par fusion entre SmithBooks et Coles. Chapters, comme vous le savez, est le plus gros détaillant de livres au Canada et le troisième plus gros en Amérique du Nord, avec plus de 300 magasins répartis dans toutes les provinces.

M. Stevenson est diplômé de la Harvard Business School et du CMR de Kingston, il est titulaire d'une MBA, a travaillé pendant neuf ans comme expert-conseil en capital-risque chez Bain & Company, où il occupait le poste de directeur général pour le Canada avant son départ en 1993. Il est membre de diverses organisations caritatives dans le domaine de l'éducation et de la culture et il préside actuellement le Conseil canadien du commerce de détail.

M. Stevenson nous fera une brève déclaration liminaire. Il a eu l'amabilité de nous en faire parvenir des copies. Nous en avons eu un bref aperçu préalable lorsque j'en ai cité un passage dans une question à un témoin précédent. J'espère que vous ne m'en voulez pas, monsieur Stevenson.

M. Lawrence Napier Stevenson, président-directeur général, Chapters Inc.: Pas du tout, monsieur le président.

Le président: Vous avez la parole. Nous allons vous écouter et vous poserons ensuite des questions.

M. Stevenson: Merci, monsieur le président. Au nom de nous tous chez Chapters, j'aimerais tout d'abord remercier le comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de me donner l'occasion de parler de la TPS sur les articles de lecture.

L'imposition de la TPS sur les articles de lecture en 1991 a porté un rude coup aux Canadiens et en particulier à l'industrie canadienne du livre. Nous considérons qu'il est quasiment impensable que le Canada -- un pays reconnu et respecté à l'échelle internationale pour la diversité de sa culture, la qualité et l'accessibilité de son système éducatif et le caractère progressiste et stable de sa vie politique et de son économie -- soit l'un des seuls pays industrialisés à taxer la lecture.

L'industrie du livre en général a subi en 1991 une diminution d'environ 10 p. 100 -- et c'est le chiffre que vous avez cité, monsieur le président -- une baisse estimative de 10 p. 100 de ses ventes que l'on peut attribuer en partie à l'imposition de la TPS sur les articles de lecture. Ce chiffre est confirmé par l'étude effectuée par Coopers & Lybrand en 1986 pour le ministère fédéral des Communications, soit avant l'imposition de la TPS. Elle portait sur la relation entre le prix des livres et la résistance des consommateurs aux majorations du prix des livres, pour déterminer l'effet qu'aurait une augmentation de prix de 7 p. 100, soit le montant de la TPS. Si l'on extrapole les conclusions de l'étude, la TPS elle-même aurait pu entraîner une chute de 15 p. 100 à 20 p. 100 des ventes de livres, chiffre difficile à vérifier car d'autres variables ont pu jouer, notamment la conjoncture économique à l'époque. Des études d'élasticité semblables réalisées par Woods Gordon et d'autres confirment l'incidence du prix des livres sur les ventes.

[Français]

La TPS est la toute première taxe historiquement à être perçue sur les livres. Une grande majorité de Canadiens, nombre d'entre eux n'appartenant pas à l'industrie du livre, s'opposent à cette taxation et s'entendent sur le fait que le livre est un bien de consommation distinct qui, par principe, devrait être exempt de toute taxation fédérale ou provinciale. Nombreux sont les pays ayant un système de taxation similaire à la TPS dont l'Angleterre, l'Irlande, la Norvège et le Portugal, qui exempte le livre de toute taxation.

[Traduction]

Nous considérons que la taxe sur la lecture est régressive et frappe surtout les Canadiens les plus pauvres. Ceux-là même qui ont besoin d'encouragement pour améliorer leurs capacités de lecture se voient dissuadés de lire. Selon Statistique Canada, les foyers moins nantis consacrent une proportion plus élevée de leur revenu à l'achat d'articles de lecture que les foyers à revenu plus élevé. Des études montrent que le principal facteur de développement des capacités de lecture et de l'amour de l'apprentissage chez les enfants est la présence de livres à la maison.

La recherche confirme également l'importance de tous les types d'ouvrages, depuis les romans à l'eau de rose jusqu'aux manuels pratiques et aux périodiques. Nous avons pu le constater de première main grâce à notre partenariat avec le Collège Frontière, qui est le plus ancien organisme d'alphabétisation au Canada et avec lequel nous collaborons pour appuyer et améliorer l'alphabétisme au Canada.

L'un des témoins précédents a cité quelques chiffres. Plus de 5 millions d'adultes canadiens ne savent ni lire ni écrire ni calculer suffisamment bien pour faire face aux exigences de la vie quotidienne. La TPS sur les articles de lecture est une taxe sur la lecture elle-même et elle décourage l'alphabétisation. J'ai l'impression que nous admettons tous que les Canadiens ont besoin de nourriture, d'un logement et de soins de santé pour survivre. Mais il leur faut aussi les compétences nécessaires pour acquérir ces nécessités. D'ici l'an 2000, 60 p. 100 des emplois créés au Canada exigeront une capacité de lecture de niveau collégial. Il faut donc éliminer les facteurs qui nuisent à l'apprentissage de la lecture.

La TPS sur les articles de lecture existe depuis 1991 et pourtant, presque huit ans plus tard, les clients nous en parlent encore constamment. J'entends ces doléances chaque jour dans mes magasins. Les lecteurs canadiens en sont toujours indignés. Parfois, ils oublient que nous avons encore une taxe sur la lecture, jusqu'à ce qu'ils retournent acheter un autre livre. Les Canadiens qui aiment lire n'accepteront jamais ou, à mon avis, ne se résigneront jamais au fait que la TPS est imposée sur la lecture. Des millions de Canadiens, dont bon nombre sont nos clients, ont écrit des lettres, signé des pétitions et envoyé des cartes postales pour dire leur indignation devant l'imposition de la TPS sur les livres et les magazines.

La suppression de la TPS sur les livres donnerait un énorme coup de pouce à la culture canadienne. L'industrie du livre, comme vous le savez peut-être, est en expansion depuis quelques années. L'ouverture de librairies à grande surface par Chapters et d'autres compagnies canadiennes a élargi le bassin des lecteurs. Les auteurs canadiens reçoivent, à l'échelle nationale et internationale, une reconnaissance jamais vue auparavant. L'actuelle vague d'intérêt à l'égard de la lecture en général, et en particulier à l'égard des écrivains canadiens, font que le moment est idéal pour annoncer la suppression de la TPS sur les articles de lecture. Cela pourrait représenter le coup d'accélérateur qui propulserait le secteur canadien du livre au niveau suivant.

Chapters félicite l'honorable sénateur Di Nino d'avoir déposé le projet de loi S-10 au Sénat il y a presque un an, ainsi que l'honorable sénateur Maheu du travail qu'elle a consacré à son examen et à l'élaboration de ses amendements. Le comité se penche particulièrement sur un élément de l'amendement du sénateur Maheu, la disposition qui exclurait à toutes fins pratiques les magazines et les journaux de la détaxation.

En tant que premier libraire du Canada, Chapter donne la priorité aux livres. Vous pourriez donc considérer que nous préférerions 80 p. 100 d'un pain à pas de pain du tout. Cependant, nous vendons également des magazines et des journaux et nous savons combien ces articles contribuent à l'apprentissage de la lecture. Nous pensons donc que tous les articles de lecture devraient être exonérés de la TPS. Mais si votre comité choisissait d'adopter tel quel l'amendement du sénateur Maheu, le projet de loi S-10 resterait néanmoins un pas dans la bonne direction du fait qu'il supprimerait la TPS sur les livres.

Au nom de Chapters, j'exhorte le Sénat à adopter le projet de loi S-10. Cela fait quelque temps qu'il est à l'étude. La capacité de lire contribue à la vitalité de notre démocratie en permettant à la population de participer à la vie politique. Nous pensons que l'accessibilité et l'abordabilité des livres sont essentielles à l'épanouissement et à la vitalité tant de notre culture que de notre économie.

Le président: Monsieur Stevenson, vous dites que l'industrie du livre en général a essuyé en 1991 une chute estimative de 10 p. 100 de ses ventes, attribuable en partie à l'imposition de la TPS sur les articles de lecture. Nous sommes en 1998. Que s'est-il passé dans l'intervalle? Est-ce que les ventes ont remonté? Qu'est-il advenu du niveau des ventes dans l'intervalle?

M. Stevenson: C'est une très bonne question, sénateur. Chaque fois que je cite des statistiques sur l'industrie des livres, je mets en garde contre leur incroyable manque de fiabilité. J'ai entendu quelqu'un poser la question au témoin précédent de Statistique Canada. Il y a diverses raisons à ce manque de fiabilité, mais il en est deux principales. Statistique Canada regroupe les livres et la papeterie dans une seule catégorie de produits, ce qui signifie que nombre des données sur l'évolution des chiffres de vente d'une année sur l'autre englobe les stylos, les calepins et ce genre de choses vendus dans des magasins comme Grand & Toy.

La deuxième raison est la variable introduite par les importations qui, dans l'ensemble, ne sont jamais saisies par Statistique Canada. On fait des estimations, mais Statistique Canada sera le premier à reconnaître qu'il ne sait pas si un paquet franchissant la frontière contient ou non un livre. Je mets toujours en garde mes interlocuteurs en leur disant que 10 p. 100 est le meilleur chiffre que j'ai pu établir dans mes entretiens avec nos éditeurs sur ce qui s'est effectivement passé en 1991. Il faut tenir compte aussi du ralentissement économique intervenu la même année. Par conséquent, plusieurs variables ont influé sur la vente de livres.

Il y a donc eu cette chute ponctuelle. Si nous considérons nos chiffres de vente sur cette époque, notre chiffre d'affaires a été à peu près stagnant de 1992 jusqu'en 1996. Il y a eu une petite augmentation, mais due principalement à la hausse des prix plutôt qu'à l'augmentation du nombre de livres vendus. Le nombre de livres est resté stagnant, et il y a eu une augmentation de prix de 2 p. 100 environ par an. Le prix tant des livres de poche que des livres reliés a augmenté. Ainsi, le chiffre d'affaires donnait l'impression d'augmenter de 2 p. 100 par an, mais les ventes de livres étaient stagnantes.

Depuis 1996, on assiste à une augmentation assez forte, supérieure à 10 p. 100 au Canada. Je pense que cette croissance est déterminée par trois facteurs qui n'ont manifestement rien à voir avec la TPS, puisque celle-ci existait avant 1996 et existe toujours. Nous avons de la chance. Je ne sais pas si nous avons jamais eu dans notre pays autant d'excellents auteurs renommés à l'échelle internationale. Nous avons simplement une grande quantité d'excellents ouvrages tant romanesques que documentaires.

Deuxièmement, il y a un intérêt croissant pour le livre. Le Calgary Herald a presque doublé sa rubrique de critique littéraire. Les gens lisent davantage de critiques et d'articles sur des livres. Troisièmement, le réseau de librairies a connu une expansion massive. Nous-mêmes avons investi plus de 200 millions de dollars dans la construction de librairies qui, au lieu de proposer 10 000 titres, ont en rayon 120 000 titres. Les Canadiens sont ainsi exposés à une gamme de livres beaucoup plus grande.

Le président: D'après ce que j'entends dire, ce sont des librairies conviviales.

M. Stevenson: Oui, je l'espère.

Le sénateur Di Nino: Je vous remercie, monsieur Stevenson, d'être venu et de participer à nos travaux. Je pense avoir bien isolé le problème. Je pense que, de manière générale, les deux côtés du Sénat sont partisans de la suppression de la TPS sur les livres. La question est de savoir si nous devons aller jusqu'au bout du chemin, comme je le pense et le propose, en supprimant la TPS sur tous les articles de lecture. Cela ne va pas sans quelques problèmes. Je comprends assez bien mes collègues d'en face. Je ne pense pas que Penthouse devrait être traité de la même façon que Zdorov!, la voix ukrainienne, ou Up North. Cela nous pose un problème très épineux. Puisque vous êtes là, j'espère que vous pourrez nous faire part de votre pensée et de votre avis.

De ce côté-ci de la table, nous pensons que la littératie au Canada est mal servie -- en fait, elle est très desservie -- par la TPS sur les articles de lecture.

À mon sens, on peut améliorer la littératie non seulement en allant chez Chapters pour acheter quelques livres mais aussi en allant chez Chapters pour acheter d'autres publications non définies comme livres, et je songe particulièrement aux magazines et journaux en langues étrangères. Je ne sais pas combien il y en a, mais il y en a certainement des centaines, voire des milliers, qui sont publiés dans ce pays par de petits entrepreneurs locaux qui se débattent dans les difficultés. Ils sont habituellement le rédacteur, l'éditeur et le vendeur d'espaces publicitaires. Je pense que la TPS nuit à ce genre de publication. De même, à mon avis, comme je l'ai déjà dit, il y a toutes sortes de publications. Je cite en vrac Artsatlantic, Que Pasa, un journal en langue espagnole, Mix, un magazine pour artistes assez inhabituel, UpHere, magazine publié par des gens admirables du Nord pour le Nord.

Je pense que si l'on n'englobe pas ces publications, ainsi que les journaux locaux de trois, cinq ou six pages dans la définition, la littératie sera mal servie dans ce pays. Qu'en pensez-vous? Dites-nous votre avis.

M. Stevenson: Tout d'abord, je préférerais que tous les articles de lecture soient exonérés. Nombre des auteurs qui écrivent dans ces périodiques écrivent ensuite des livres. Les auteurs forment une seule et même communauté. Il est également très clair que le premier contact de certains avec la lecture n'est pas l'achat d'un livre relié de 39 $. Ce peut être l'achat d'un magazine de moindre prix. Cela dit, j'aimerais dire deux choses. L'une est que la TPS devient plus lourde lorsque le prix de l'achat augmente, vu que c'est un pourcentage. Lorsque quelqu'un achète un livre à 3,95 $, 4,95 $ ou 5,95 $, la TPS semble susciter moins de réticence. Nous l'avons remarqué pour la première fois lorsque les livres de poche ont commencé à atteindre 9,99 $. Tout d'un coup, l'ajout de la TPS fait que le client paye plus de 10 $, et l'on commence à constater une forte résistance au prix. Vous demanderez quelle est la différence entre 8,99 $ plus 7 p. 100 et un prix tout compris de 9,99 $. 8,99 $ plus TPS vous met au-dessus de 10 $. Il y avait moins de résistance à des niveaux de prix inférieurs. Une fois que l'on approche de 39 $ pour un livre relié, lorsqu'on ajoute la TPS, cela devient un achat pas mal onéreux.

Cela dit, je préférerais la moitié d'un pain maintenant au lieu que les Canadiens continuent à payer la TPS sur les livres pendant que le débat se poursuit. Je m'en remets à votre comité, mais à mon avis vous êtes mieux placés que moi pour trouver les compromis. Ces compromis mettent en jeu des montants qui vont à différentes causes. Je trouve que la lecture est une excellente cause mais je suis partial parce que libraire. J'adorerais que la TPS soit supprimée sur les deux, mais je préfère qu'elle le soit sur les uns maintenant, quitte à poursuivre la discussion sur la suppression ultérieure sur les autres, plutôt que d'attendre encore deux ans.

Le sénateur Di Nino: Lorsque Peter Gzowski a comparu, je lui ai demandé quelle serait la valeur symbolique de la suppression de la TPS sur les articles de lecture. Il nous a donné une réponse que j'ai trouvée très convaincante. Aimeriez-vous tenter une réponse, vous aussi?

M. Stevenson: J'ai la chance de collaborer à une organisation qui s'appelle le Collège Frontière. Je siège à son conseil d'administration. Une chose qui me paraît évidente est que l'investissement dans l'éducation en général rapporte énormément, encore que le rendement soit difficile à quantifier. Un dollar dépensé pour quelque chose comme le Collège Frontière rapporte sept fois plus au pays, je pense. Par conséquent, si vous estimez que l'exonération nous coûterait de l'argent, je prétends que c'est là un excellent investissement dans l'avenir de ce pays puisqu'on encouragerait ainsi les gens à apprendre à lire et à améliorer leurs aptitudes de lecture.

Je trouve que taxer les livres représente un message très bizarre, particulièrement au Canada. J'ai toujours été très fier de notre attitude envers l'éducation, comparé à nos voisins du sud. Le coût de l'éducation chez nous, comparé aux États-Unis, montre que nous lui faisons la part belle. Ayant fait des études des deux côtés de la frontière, je connais le coût de ces normes et systèmes éducatifs. Si nous supprimions la TPS sur les articles de lecture, ce serait un témoignage de notre désir que tous les Canadiens sachent lire et puissent perfectionner leurs aptitudes à la lecture. Je trouve que c'est très important. Assujettir les articles de lecture à la TPS constituait un message très étrange. Nous pouvons le corriger en exonérant les livres.

Le sénateur LeBreton: J'ai une question qui fait suite à celle du sénateur Di Nino. Vous dites que vous aimeriez l'exonération de tous les articles de lecture mais que vous accepteriez que seuls les livres soient exemptés. Est-ce que cela ne causerait pas un problème énorme aux librairies de Chapters, et encore plus aux petites librairies, si les livres étaient exonérés, mais pas les magazines? Est-ce que cela ne créerait pas un énorme problème aux libraires?

M. Stevenson: Pas réellement. Notre système de point de vente nous permet de le faire. Nous pouvons le faire par province. Nous pourrions le faire par magasin, s'il le fallait. Il est conçu de manière à calculer le prix en fonction des règles applicables. Je dirais que c'est même plus facile pour une petite librairie. L'un des problèmes est que nous avons un seul système de point de vente national. C'est plus difficile lorsqu'il faut commencer à différencier par région, et c'est à ce niveau que la taxe harmonisée nous a posé quelques problèmes. Nous aurions pu avoir une situation où un livre aurait eu dix prix différents, si chaque province avait retenu un taux différent. C'est un plus gros problème pour une organisation nationale que pour un libraire qui a un ou deux magasins dans une même province. Non, nous pourrions nous accommoder de cela.

Le sénateur LeBreton: Ne serait-il pas plus simple d'enlever la TPS sur le tout?

M. Stevenson: Ce serait plus simple, mais il ne s'agit en fait que de modifier quelques lignes de code dans notre système de point de vente.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Dans votre exposé, vous dites que l'industrie du livre est en pleine croissance. Certaines maisons d'édition ouvrent des succursales ailleurs. Les gens disent qu'en raison de la TPS, ils lisent moins et les livres leur sont moins accessibles. Si, par exemple, un fabricant de chapeaux voulait prendre de l'expansion et s'installer ailleurs avec d'autres manufacturiers, cela voudrait donc dire que les gens aiment de plus en plus porter des chapeaux. Ce n'est pas la TPS qui freine la croissance de la demande.

Je suis d'accord avec le principe de la loi. Il faut être logique. L'industrie du livre est en pleine croissance. Si vous pensez que vous devez ouvrir d'autres maisons d'édition, cela veut dire que la demande pour le livre est là. Ce n'est pas la TPS qui a empêché ce désir d'apprendre.

La taxe sur les livres, comme le sénateur Di Nino le disait, s'applique aux gens à faible revenu et aux étudiants. On ne doit pas taxer une chose essentielle comme la nourriture. Il faut trouver un moyen pour éliminer la taxe sur les livres, dans sa grande complexité, ce n'est pas acceptable. D'autres nations l'appliquent mais le contexte est différent pour elles.

Il faut être aussi conscient que si le gouvernement conservateur a imposé cette taxe, c'était pour récupérer des sous. Les amendements à la loi sont corrects mais ne cherchons pas à pénaliser nos gouvernements. Indirectement, nous pénalisons nos concitoyens parce que si le gouvernement perd 320 millions de revenus, il ira les chercher ailleurs.

On dit que les grandes maisons d'édition font beaucoup de publicité. Alors cherchons à récupérer quelque chose de ces grandes institutions. Si nous présentons un projet de loi au gouvernement qui lui fait perdre 320 millions qu'il pourra récupérer avec les grandes maisons d'édition qui vont payer la TPS sur une publicité supérieure à 5 p. 100, alors le gouvernement sera plus flexible pour étudier ce projet de loi. Le projet de loi du sénateur Di Nino aura peut-être plus de chances d'être adopté.

[Traduction]

M. Stevenson: Voyons si je peux répondre. Je ne connais pas assez les enjeux politiques pour savoir ce qui pourra passer et ce qui ne le pourra pas. Je m'en remets pour cela à votre comité. J'ai observé suffisamment la vie politique pour savoir que je n'en sais pas grand-chose. Je formulerais deux remarques. Je ne peux pas présenter l'industrie du livre comme un secteur en péril. Ce n'est pas la situation aujourd'hui. C'est un secteur plutôt dynamique. Les éditeurs et les détaillants se portent probablement mieux qu'ils ne l'ont fait pendant très longtemps. La TPS n'est pas un facteur à cet égard.

Le secteur était dans une très mauvaise passe en 1992 et 1993. Je pense que la TPS a été l'une des variables qui a fait du tort à l'industrie du livre. Depuis, elle a repris le dessus. Je ne sais pas si ceux qui disent que la TPS n'a pas touché les livres peuvent invoquer ce qui s'est passé entre 1995 et 1998 pour étayer leur affirmation. La variable était là en 1995 et elle l'est toujours en 1998, et le secteur est devenu viable pour toute une série de raisons indépendantes de la TPS. Voilà ma première remarque.

Je vais préfacer la suivante en disant que je suis partial. Aussi important qu'il soit de ne pas assujettir à la TPS les aliments, les soins de santé et les nécessités de la vie, je préférerais enseigner à quelqu'un à pêcher car ainsi cette personne pourra acheter bon nombre de ces nécessités. Je trouve désolant de voir certains enfants dans nos écoles en quatrième, cinquième et sixième années qui ne savent toujours pas lire. C'est une erreur pour notre pays de tolérer cela. La lecture en est une cause parmi d'autres. D'autres facteurs sont le système éducatif et beaucoup d'autres choses, tel que le soutien que nous donnons aux parents, mais je trouve que taxer la lecture constitue un message totalement erroné à envoyer au public, sur le plan de l'importance de l'acquisition des aptitudes fondamentales.

Le sénateur Butts: Je suis un peu réticente à établir un lien absolu entre les ventes de livres et la littératie. Dans ma région, au moins, nous avons une forte augmentation de la circulation des livres dans les bibliothèques publiques et universitaires. Nous avons des programmes dans les bibliothèques publiques, les samedis matins, où les enfants peuvent apprendre à lire et entendre des lectures de vive voix. Tous ces programmes suppléent à l'achat effectif de livres. Je crains que les études qui assimilent la vente de livres à la littératie omettent quelque chose.

M. Stevenson: Je ne conteste rien de ce que vous dites. Je ne connais guère d'études qui établiraient un lien direct entre les ventes de livres et la littératie. Cependant, l'existence de livres tant à la maison que dans les bibliothèques m'apparaît un facteur assez logique. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est les deux. Je sais que la bibliothèque près de chez moi, qui était ouverte toute la fin de semaine, ne l'est plus, pour des raisons budgétaires. De ce fait, mes enfants doivent lire un peu plus à la maison qu'auparavant. Je pense que les deux sont complémentaires. Je pense que les bibliothèques sont aussi importantes, voire plus, pour la littératie que les ventes de livres.

Le sénateur Butts: Je répète simplement que c'est à la collectivité de faire en sorte que la bibliothèque reste ouverte. Les enfants pauvres n'auront pas de livres de toute façon, avec ou sans TPS. Les gens qui ont les moyens d'acheter les livres peuvent probablement payer la TPS.

M. Stevenson: Il y avait un article dans The Ottawa Citizen expliquant ce qu'il faut pour se faire mettre à la porte d'un magasin Chapters. La culture Chapters veut qu'un client puisse s'asseoir et lire des livres pendant deux heures. Beaucoup d'enfants le font chez nous. Ils n'ont pas accès aux bibliothèques ou leurs bibliothèques n'ont pas les livres. Vous n'êtes pas forcé d'acheter les livres. Nous ne vous forçons pas à les acheter. Appréciez les livres. Si vous n'avez pas les moyens de les acheter, lisez-les dans nos magasins.

Le sénateur Butts: Il y a des adultes qui le font aussi.

Le sénateur Cools: Je veux féliciter M. Stevenson et Chapters de leur travail. J'ai observé que tout le monde va chez Chapters, où il y a ces fauteuils confortables et un café où tout le monde peut s'asseoir quelques heures et parcourir les rayons. Je veux vous féliciter, vous et votre compagnie, de bien faire votre travail et de démontrer que la vente de livres peut rapporter. On considérait auparavant que les librairies ne pouvaient pas rapporter. Je ne vous avais pas encore rencontré, mais je suis souvent allée dans vos magasins.

Je précise, monsieur Stevenson, que je suis moi-même grande lectrice. Je viens d'une culture où la lecture est très importante. En fait, l'île où je suis née, la Barbade, a le plus fort taux d'alphabétisation au monde, ce qui est assez remarquable pour une ancienne colonie et un pays sous-développé. Je n'avais jamais rencontré d'analphabète avant mon arrivée au Canada. Je n'avais pas idée que des gens pouvaient ne pas savoir lire avant mon arrivée ici.

Quoi qu'il en soit, l'objet de mon intervention n'est pas tant la littératie que de féliciter votre compagnie pour avoir créé cette ambiance merveilleuse où les gens peuvent acheter des livres en prenant leur temps. J'arrive à un âge où il est bon de pouvoir s'asseoir.

Le président: Là-dessus, monsieur Stevenson, je vous remercie. Votre témoignage a été très intéressant. Nous avons beaucoup apprécié votre participation à nos travaux.

La séance est levée.


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