Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 21 - Témoignages du 25 novembre 1998
OTTAWA, le mercredi 25 novembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, cet après-midi notre témoin est Robert Barnard, fondateur de d-Code, société d'expertise-conseil en stratégies et de recherche d'idées qui aide ses clients à attirer et à retenir ce que l'on appelle «la génération Nexus», c'est-à-dire les Canadiens âgés de 18 à 35 ans. d-Code adopte une approche holistique pour comprendre la génération Nexus en tant que consommateurs, employés et citoyens.
Avant d-Code, Robert Barnard a fondé «Génération 2000», organisme national de jeunesse destiné à inciter les jeunes à s'impliquer davantage dans le développement du Canada par l'action communautaire. Génération 2000 a visité plus de 1 200 écoles secondaires et pris contact avec plus de 750 000 étudiants entre 1992 et 1995.
Le passé entrepreneurial de M. Barnard comprend également une compagnie de vêtements, appelée Osprey Reef, qu'il a exploitée de 1987 à 1991. En chemin, d'après les notes biographiques que j'ai en mains, il a livré à la fois des fausses dents et des pizzas -- pas en même temps cependant -- travaillé comme caissier de banque, enseigné le tennis et vendu des parts de membre dans un club de golf.
Actuellement, M. Barnard siège au conseil d'administration de la St. Steven's Community House et a été administrateur de Centraide du Grand Toronto. Pour sa contribution à l'implication de la jeunesse, il a reçu un prix du chapitre de Toronto des Clubs de garçons et filles du Canada et a été nommé parmi les «100 Canadiens à surveiller» par le magazine Macleans en 1993. En 1997, il a été choisi parmi les «40 vedettes de moins de 40 ans au Canada».
M. Barnard détient un baccalauréat en géographie de l'Université de Western Ontario. Il est le coauteur d'un ouvrage intitulé: Chips and Pop: Decoding the Nexus Generation, qui a été publié très récemment par la maison d'édition Malcolm Lester Books, et il revient tout juste d'une tournée nationale de promotion de son livre, à moins qu'elle ne soit pas terminée.
Nous sommes ravis de l'avoir parmi nous aujourd'hui car il est éminemment qualifié pour nous donner une perspective de ce que l'on appelle «la génération Nexus».
Monsieur Barnard, je vous prierais de bien vouloir nous présenter votre exposé, après quoi nous passerons à la séance de questions.
M. Robert Barnard, président et fondateur, d-Code Inc.: Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de vous présenter mon point de vue cet après-midi. Ce fut un grand moment pour moi de monter à pied jusqu'aux édifices du Parlement en sachant que j'allais vraiment m'adresser aux membres de votre comité. J'espère simplement que mes propos vous intéresseront et j'ai bien hâte d'entendre vos questions.
Hier, alors que je naviguais sur l'Internet en préparation de cette rencontre, j'ai remarqué qu'un nouveau film était disponible. Je suis convaincu que la plupart d'entre vous ont déjà vu ou tout au moins entendu parler du film «La guerre des étoiles». Il y a un nouveau film «La guerre des étoiles» qui va sortir au printemps prochain, et tout à fait par hasard le site numéro un sur l'Internet hier était «La guerre des étoiles». En fait, il y avait une longue file d'attente pour visionner une avant-première de 30 minutes du nouveau film «La guerre des étoiles», mais je l'ai téléchargé aujourd'hui, si bien qu'à la fin, si nous avons quelques minutes, je pourrai vous le montrer en primeur, afin que vous puissiez dire à vos enfants et à vos petits-enfants que vous l'avez vu ici les premiers.
À propos de la cohésion sociale, j'ai trouvé intéressant que tant de gens qui naviguent sur l'Internet, dont bon nombre de jeunes, veulent voir quelque chose sur l'espace et la technologie, et j'ai pensé que c'était révélateur que l'Internet était de toute évidence hier un lieu de rencontre pour les jeunes.
Les quelques notes que j'ai rédigées pour vous aujourd'hui reposent sur ce que j'ai appris au cours des 10 dernières années en travaillant avec les jeunes au Canada et aussi sur ce que je sais à titre de coauteur de cet ouvrage qui vient tout juste d'être publié.
Tout d'abord, j'aimerais attirer votre attention sur les transparents, dont je ferai mention dans mon exposé. Les gens se demandent «Qu'est-ce que la génération Nexus»? La définition la plus simple de la génération Nexus est la suivante: ce sont les gens nés au Canada entre le début des années 60 et la fin des années 70 -- autrement dit qui sont âgés entre 18 et 35 ou 36 ans. Vous pourriez dire que c'est une fourchette d'âge assez large, mais nous constatons beaucoup de cohérence dans ce groupe d'âge.
Un autre aspect de notre travail à d-Code est le fait d'envisager cette génération d'une façon très holistique. Nous ne la considérons pas uniquement comme des consommateurs, mais aussi comme des employés et des citoyens, ce qui nous donne un tableau beaucoup plus global de cette génération.
Dans les témoignages qui vous ont été présentés au cours de vos onze réunions précédentes, vous avez entendu l'expression «génération X»; si je ne devais vous laisser aujourd'hui qu'un seul message, j'aimerais que vous repartiez en sachant que la génération n'aime pas vraiment cette expression, parce qu'elle est utilisée abusivement et très déroutante.
Michael Adams, qui est déjà venu témoigner devant vous, parle de la génération X comme des gens âgés de 16 à 39 ans. Un autre démographe canadien célèbre, David Foot, parle de la génération X comme des gens qui sont actuellement âgés de 30 à 36 ans. Lorsque Douglas Copland a écrit son livre sur la génération X, il parlait en fait des gens qui ont aujourd'hui entre 30 et 40 ans. La génération X pourrait donc se situer quelque part entre 16 et 40 ans; nous ne savons pas où elle se trouve.
L'expression «génération X» est assez négative. Même au cours de certains des témoignages, j'ai remarqué que la perception de cette génération était très négative, et je vous citerai plusieurs expressions: génération piégée, génération dés<#0139>uvrée, génération apathique, génération cynique, génération indolente et génération déloyale. C'est ce qui caractérise la génération X: elle est perdue et confuse. Même la lettre «X» désigne une «mauvaise réponse» ou une «inconnue», et lorsque vous la comparez au terme «boom», dans «baby boom», qui signifie «prospérité», «à grande échelle», il n'est pas surprenant que la génération n'aime pas ce terme.
Dans notre organisme, il y a une autre raison pour laquelle nous n'utilisons pas ce terme, parce que nous n'estimons pas qu'il décrit de façon équitable la réalité. Après 10 ans de travail avec la génération, à mettre sur pied des organismes avec ou sans but lucratif, nous avons constaté que la génération est un groupe très différent, un groupe que nous appelons «Nexus», ce qui signifie «passerelle» ou «lien» ou «relier» -- et cette génération relie des choses très intéressantes.
Tout d'abord, elle est née tout à fait par hasard pendant la période de transition entre l'âge industriel et l'âge de l'information; c'est la seule génération née exactement au cours de cette période de transition si bien qu'elle peut se souvenir d'une époque précédant les télécommandes, les magnétoscopes et les jeux vidéo, mais représente en réalité la première génération qui a grandi avec des ordinateurs dans les écoles.
C'est également une passerelle entre les générations, entre les «baby boomers» et leurs propres enfants, qui ont généralement moins de 18 ans aujourd'hui; ceci est donc un autre point de connexion. De toute évidence, toutes les générations ouvrent également une sorte de fenêtre sur l'avenir, parce qu'elles relient toutes les sociétés à la destination du futur. Nous pensons que c'est une façon plus descriptive de dépeindre une génération de gens qui sont actuellement surtout dans la vingtaine et au début de la trentaine.
Qu'est donc la génération Nexus? Permettez-moi de vous lancer quelques pistes de réflexion. Nous constatons à l'heure actuelle que cette génération constitue un groupe de gens très motivés qui pensent avoir le contrôle sur leur vie. Nous la considérons comme une génération sceptique, qui est à la recherche de la vérité, mais qui n'est pas forcément cynique et ne rejette pas tout. Au contraire, c'est une génération optimiste.
En fait, en réponse à la question que nous avons posée à ses membres, ils estiment qu'ils s'en tireront mieux financièrement que leurs parents, nouvelle que vous n'avez pas beaucoup entendue dans les médias. N'oubliez pas qu'il s'agit de la première génération de gens qui devraient s'en tirer moins bien que leurs parents, mais ils ne sont pas d'accord avec cela; c'est un groupe plutôt optimiste.
À certains égards, c'est une génération très stratégique. Nous avons constaté que même les personnes qui ont des employés à temps partiel ne travaillent pas uniquement pour l'argent; elles travaillent en réalité pour apprendre, pour passer à l'étape suivante, pour se préparer pour leur prochain emploi qu'elles obtiendront.
C'est une génération adaptable. Elle s'est déplacée partout au pays et a fait le tour du monde. Elle a appris à s'adapter à des périodes de changement très rapide, et c'est une génération avisée, en ce qui concerne sa consommation des médias.
Cette génération possède ce que nous appelons des gènes transgénérationnels et un conditionnement transgénérationnel. Permettez-moi de vous expliquer rapidement ce que j'entends par là. Chaque génération jeune présente certaines caractéristiques qui sont plus ou moins constantes, comme la naïveté, la rébellion, l'insouciance et une recherche de la stabilité. Si vous repensez à vos propres années d'adolescence, puis lorsque vous étiez dans la vingtaine et au début de la trentaine, je crois que vous admettrez que ces adjectifs auraient pu servir à décrire votre génération -- naïve, rebelle, insouciante et exploratrice.
Tout comme les générations antérieures, cette génération voit tout avec naïveté avec un regard nouveau et rafraîchissant; la naïveté aide à créer des sociétés comme Netscape et Microsoft, mais elle signifie également que les gens pensent qu'ils sont les premiers à tout faire et que rien d'autre n'est jamais arrivé avant qu'ils soient là. C'est une génération qui est rebelle; rebelle contre les institutions, contre les parents, contre beaucoup de choses. Vous pouvez constater la montée de ce modèle. La génération est également insouciante, qu'il s'agisse de pratiquer des sports extrêmes ou de simuler une collision sur la route; comme chaque génération jeune, elle est insouciante à maints égards et, évidemment, comme toute génération jeune, elle est également à la recherche d'un sentiment d'appartenance, et c'est capital.
Il est très important que vous compreniez bien qu'il s'agit d'une génération qui peut présenter ces mêmes caractéristiques, mais d'une façon différente. Le conditionnement intervient en fonction des éléments qui vous entourent. À mesure que vous grandissez, c'est durant vos années formatrices que certains événements cruciaux façonnent vraiment votre caractère.
Pour la génération Nexus, l'apparition des puces d'ordinateur a été un élément très important de ce processus. Leur utilisation dans les jeux vidéo a rendu les jeux plus attrayants il y a bien longtemps. Vous vous rappelez peut-être du jeu «Pong», avec des raquettes qui frappaient un objet sans arrêt? C'est le premier jeu vidéo qui a véritablement utilisé une puce. Les ordinateurs utilisés à l'école étaient des jouets, quelque chose d'amusant. L'ordinateur était un outil d'apprentissage, pas quelque chose qui vous prenait votre emploi.
Pour cette génération, il existe donc un lien très étroit avec les puces d'ordinateur et aussi avec la culture pop et les médias. C'est la première génération qui a grandi avec deux téléviseurs à la maison, avec la télévision par câble et la télévision mondiale. La mondialisation et l'afflux des immigrants sont importants. La génération la plus diversifiée qui se retrouve actuellement sur le marché du travail est la génération Nexus; c'est à cause des modèles d'immigration ainsi que de son appréciation de la mondialisation à travers les médias -- les réseaux mondiaux comme News World et CNN. Les médias mondiaux instantanés sont venus à eux alors qu'ils traversaient leurs années formatrices.
Paradoxalement, cependant, leurs années formatrices ont également été instables, parce qu'au moins le tiers des membres de cette génération ont vécu le divorce de leurs parents avant d'avoir 20 ans; si vos parents n'ont pas divorcé, c'est probablement arrivé aux parents de vos amis. Cela a eu une incidence considérable. Ensuite, il y a également eu l'arrivée du sida. En plein milieu, alors qu'ils arrivaient à l'adolescence et au début de la vingtaine, le sida est entré en scène. Un autre élément d'instabilité a été provoqué par la guerre froide; au début, elle était présente et, ensuite, elle a disparu. Toutes sortes de choses ont créé une instabilité durant leurs années formatrices.
En ce qui concerne la génération Nexus et la famille, nous constatons ce que nous appelons une période de liberté prolongée. Cette génération se marie plus tard, a des enfants plus tard et achète des maisons beaucoup plus tard. L'acheteur de maison moyen au Canada a aujourd'hui 38 ans; il y a 15 ans, il avait environ 25 ans. Il y a donc une période de liberté assez prolongée. Aspirant à des résultats traditionnels, ils veulent encore se marier, avoir un ou une partenaire pour la vie et avoir des enfants, mais ils le font tout simplement plus tard. Comme résultat de cette période de liberté prolongée, ils constatent également que les amis deviennent beaucoup plus importants à certains égards que la cellule familiale traditionnelle; dans de nombreux cas, les amis font donc office de famille.
Au sens communautaire, la mobilité est un facteur important pour la génération Nexus, parce que le fait d'avoir quitté la maison pour trouver un emploi ou pour poursuivre des études crée toutes sortes de défis en vue d'établir des liens avec les gens que vous connaissez et de développer des amitiés et des réseaux. Par exemple, un homme, dans notre bureau, a vécu à huit endroits différents au cours des cinq dernières années et a occupé trois emplois différents et eu trois adresses différentes de courrier électronique. Chaque fois qu'il a déménagé, c'était vers un nouveau lieu de résidence, un nouveau lieu de connexion et un nouveau lieu de création d'amitiés; ce genre de situation crée des défis.
Fait assez intéressant, le milieu de travail devient un nouveau pivot communautaire crucial pour cette génération et il remplace vraiment bon nombre des collectivités types. Souvent, le premier endroit où les gens se rendent régulièrement, lorsqu'ils déménagent dans une nouvelle ville, est leur lieu de travail, que ce soit à temps partiel ou à temps plein, parce que c'est là qu'ils trouvent leur cohésion sociale.
Il se produit également un «rassemblement». Je veux dire par là que les gens de cette génération se rassemblent. Vous avez vu la poussée des cafés partout au pays, comme les cafés Second Cup et Starbucks. Des rencontres se déroulent non seulement dans ces cafés, mais également sur l'Internet par l'intermédiaire des cafés virtuels. J'ai remarqué, lors d'une enquête récente, qu'environ 50 p. 100 des membres de la génération obtiennent leur information sur l'Internet, alors même s'ils n'ont pas d'ordinateur, ils trouvent un endroit propice.
En ce qui concerne la génération Nexus et l'État, les gens de cette génération apprennent pendant leurs années formatrices que l'État s'est détourné d'une position de «fournisseur-constructeur», dont ils se souviennent à l'époque de leur tendre enfance, vers une stratégie davantage axée sur la réduction du déficit, à mesure qu'ils sont entrés dans leurs dernières années formatrices. Les sources d'emploi au gouvernement se sont taries et il n'y a plus personne dans leur génération qui travaille au gouvernement et leur communique ce qu'il fait. Dans la réalité, cette invisibilité du gouvernement a créé, à certains égards, une attitude de débrouillardise. Je dirais que ce n'est pas une génération du «moi», mais une génération débrouillarde, qui sont deux choses différentes, et nous pourrons en parler pendant la période de questions.
À notre avis, plusieurs défis mériteraient votre attention. Tout d'abord, une partie de la génération Nexus s'est retirée des institutions traditionnelles, dont le gouvernement, le droit de vote, la famille et la collectivité, et c'est un groupe crucial à étudier. Nous savons également que les membres de cette génération croient que les gouvernements sont inappropriés et ils se sont donc déconnectés de tous les gouvernements, qu'ils soient fédéral, provincial ou local. Ils ne voient aucune autre option que de se débrouiller par eux-mêmes.
Ceci s'applique également à leur propre planification de la retraite. Ils le font eux-mêmes. Vous pourriez avoir la surprise d'apprendre qu'il y a deux ans la génération des «baby boomers» a versé jusqu'à 9 milliards de dollars dans des REER. Pour la génération Nexus, 4,5 milliards de dollars ont été investis dans des REER. La première chose qu'ils espèrent acheter au cours de la prochaine année est un REER -- pas une maison, pas une voiture, pas un stéréo, mais un REER.
Certaines options s'offrent à la génération Nexus. Par exemple, elle bâtit une cohésion sociale, mais elle le fait à sa manière; elle le fait par le biais de certaines des rencontres dans les cafés, par le milieu de travail et par l'entrepreneuriat.
La génération Nexus est également assez fière de l'État-nation. Cela dépend peut-être un peu de votre lieu de résidence au pays. Les jeunes du Québec, par exemple, s'identifient davantage au Québec qu'au Canada; mais même si vous regardez la culture des randonneurs, toute personne qui se considère canadienne épingle un drapeau sur son sac à dos et s'en va parcourir le monde avec une incroyable fierté d'être Canadien. Ils ont également une influence au niveau communautaire en se portant bénévoles en très grand nombre et avec l'intention de faire du bénévolat et des dons au niveau communautaire où ils estiment pouvoir avoir une influence.
Voici quelques répercussions pour le gouvernement du Canada. Tout d'abord, il doit prouver sa pertinence, faire en sorte que les gens pensent savoir pourquoi il existe et ce qu'il fait. Il lui faut créer une vision convaincante leur permettant de ressentir qu'ils font partie de quelque chose et éprouvent un sentiment d'appartenance, et autour de laquelle ils peuvent se rallier. Enfin, d'après tout ce que j'ai dit, il s'agit d'une génération, surtout dans le contexte de votre comité, qui pourrait être le plus grand partenaire du Canada. C'est une génération mondiale, une génération avisée sur le plan technologique et une génération qui vit la réalité du nouvel âge de l'information. Son comportement est souvent un bon reflet de l'orientation que prend la société et le fait d'utiliser la génération Nexus comme un partenaire est vraiment, je pense, le message crucial que je voulais vous transmettre aujourd'hui.
Le sénateur LeBreton: J'ai été fascinée par votre commentaire lorsque vous avez dit il y a quelques instants que cette génération avait investi 4,5 milliards de dollars dans des REER. Alors, est-ce que cela vient étayer la théorie selon laquelle il s'agit d'une génération débrouillarde et qu'elle se voit en train de prévoir sa propre retraite par opposition aux régimes de pension du gouvernement? Quelles sont les ramifications avec des questions comme les soins de santé et l'éducation? Comment aborde-t-elle ces domaines, pour ce qui est de se tourner vers l'avenir et de savoir où elle se dirige?
M. Barnard: Selon un sondage, dont j'ai lu récemment les résultats, qui demandait aux gens ce qu'ils feraient avec le surplus budgétaire et où ils investiraient l'argent -- l'utiliseraient-ils pour rembourser la dette, réduire les impôts ou restaurer les programmes sociaux? --, cette génération a répondu le plus souvent «Restaurer les programmes sociaux». C'est une génération qui se préoccupe beaucoup de l'éducation et aussi de la santé. Cela peut paraître surprenant, étant donné qu'elle ne figure pas à l'heure actuelle parmi les utilisateurs du régime de soins de santé, car les jeunes générations ne le font généralement pas, mais elles sont préoccupées.
Il existe des clivages au sein de la génération. En règle générale, lorsque vous vous tournez vers la tranche la plus jeune de la génération, vous obtenez une acceptation légèrement meilleure, je dirais, des frais aux usagers et des régimes de soins de santé à deux niveaux. C'est une génération qui fait face à des augmentations phénoménales des frais d'inscription dans les universités; il y a eu une augmentation d'environ 100 p. 100 au cours des trois dernières années ou à peu près. Pour cette raison, les gens éprouvent beaucoup de frustration et se demandent comment ils vont réussir à s'en sortir, et ils se concentrent par conséquent vraiment sur un avenir axé totalement sur la débrouillardise.
Le sénateur LeBreton: C'est très intéressant d'avoir obtenu de telles réponses à ce sondage parce que cela nous ramène au point que vous avez soulevé à propos de la connotation négative de la soi-disant génération X et de l'impression qu'ont certaines personnes qu'ils sont la génération du «moi», qu'ils ont vraiment la mentalité du genre «tout va très bien», ne se préoccupent pas d'autrui et ont des points de vue plus à droite, pour ce qui est des questions financières.
J'aurais pensé que, s'ils avaient prêté attention à la perception du public, ainsi qu'aux témoignages présentés devant notre comité, ils auraient répondu la réduction du déficit, mais il est clair que ce n'est pas le cas.
M. Barnard: Cela ne veut pas dire que le déficit n'est pas une question importante pour eux. Toutefois, le message que je veux faire passer aujourd'hui, c'est que nous ne devrions pas considérer qu'un seul sondage donne la réponse. Nous essayons d'étudier le plus grand nombre de sondages possible, ainsi que des entrevues, et nous travaillons avec un réseau de jeunes dans tout le pays pour obtenir leurs points de vue afin de ne pas nous fier uniquement aux statistiques qui sont publiées. Ce que nous constatons, c'est qu'il y a assurément des noyaux d'une sorte de conservatisme à cet égard.
Il y a définitivement des noyaux de jeunes qui mènent la révolte financière. Il y a des noyaux de jeunes qui mènent la révolte sociale mais, dans ce cas, nous ne les voyons pas beaucoup loucher vers une attitude du genre «moi d'abord et les autres ensuite». En fait, même dans le domaine spirituel, ils représentent la génération la plus susceptible de croire en quelque chose de plus grand qu'eux, ce qui est intéressant. Si vous faisiez partie d'une génération du «moi», alors vous ne croiriez pas en une quelconque puissance supérieure, et pourtant cette génération est très susceptible de le faire.
Le sénateur LeBreton: Y a-t-il une différence perceptible entre cette génération dans le contexte canadien et dans le contexte américain? Même si nous vivons tous sur le continent nord-américain, y a-t-il une perspective différente de la part des deux groupes différents ou est-ce la même?
M. Barnard: Nous effectuons également des travaux aux États-Unis et nous remarquons un esprit un peu plus matérialiste dans le groupe Nexus aux États-Unis, et une proportion plus forte, plus grande de gens qui seraient influencés par la religion aux États-Unis comparativement au Canada. Ce que nous avons constaté au Canada au fil des ans, et j'emprunte les paroles de Michael Adams qui vient d'en parler très récemment, et cela se retrouve également un peu dans nos travaux transgénérationnels, mais ce que nous avons constaté au Canada au fil des ans, c'est qu'il y a eu une fréquentation à la baisse et que la religion a eu une influence décroissante sur cette génération et aussi sur les «baby boomers». Aux États-Unis, il n'y a pas vraiment eu de changement.
Le président: Je voudrais parler des 4,5 milliards de dollars investis dans des REER par la génération Nexus. Nous parlons de gens âgés actuellement de 18 à 34 ans; est-ce exact?
M. Barnard: À peu près.
Le président: Permettez-moi de vous donner trois raisons possibles d'une telle situation. Premièrement, ils n'ont pas confiance que l'État s'occupera d'eux lorsqu'ils vieilliront; deuxièmement, ils sont de plus en plus des travailleurs autonomes et ne cotisent donc pas à des régimes de pension de compagnies; troisièmement, ils sont très avisés et connaissent un très bon moyen de réduire leurs impôts lorsqu'ils s'en aperçoivent, à savoir le REER.
Y avez-vous réfléchi suffisamment ou avez-vous étudié la question suffisamment en détail pour pouvoir accorder une pondération relative à ces trois motifs, ou bien ai-je oublié quelque chose?
M. Barnard: Je pense qu'il s'agirait des trois raisons principales; je n'ai aucune pondération particulière, mais elles sont probablement proportionnelles. L'élément important est le groupe des travailleurs autonomes; plus je vois et parle à des jeunes, plus je me rends compte qu'ils se dirigent vers un avenir entrepreneurial. C'est un groupe qui, pour son choix de carrière, fait passer l'esprit d'entreprise en premier lieu au chapitre des carrières souhaitées; par exemple, devenir avocat est le cinquième choix parmi leurs aspirations. Bon nombre des carrières traditionnelles sont en chute libre. Être un entrepreneur est un choix souhaitable car même si cela crée, d'un côté, une instabilité dans l'esprit de certaines personnes, d'un autre cela vous donne le contrôle sur votre propre avenir et c'est une génération de gens qui pensent qu'autrement, ils n'exerceraient peut-être pas de contrôle sur leur propre avenir.
C'est une génération à laquelle on a toujours dit qu'il suffisait d'étudier pour obtenir un emploi, et puis nous avons vécu deux récessions et la situation ne s'est pas vraiment matérialisée pour eux, alors ils pensent quasiment qu'ils doivent se prendre en mains sur le plan des affaires, et qu'ils doivent également se prendre en mains sur le plan de la retraite.
J'ai lu récemment un article sur les sujets dont ils aimeraient entendre parler aux nouvelles. En tête de liste, on trouve les finances personnelles. Ils arrivent en tête parmi les groupes qui souhaitent entendre parler des finances personnelles; il s'agit peut-être donc d'un groupe qui devient plus avisé et, pour bon nombre d'entre eux, je pense que c'est une bonne idée. S'ils pensent que le RPC n'existera plus pour eux, alors la meilleure chose que nous puissions faire, en tant que société, c'est de les encourager à commencer à investir dès maintenant, car cela finira par les aider au moment où ils en auront le plus besoin, c'est-à-dire dans une quarantaine d'années.
Le président: Et cela les aide actuellement au niveau de leur obligation fiscale, n'est-ce pas?
M. Barnard: Absolument.
Le sénateur Butts: J'ai simplement quelques petits éléments qui s'emmêlent dans ma tête et j'aimerais les éclaircir avec vous. Je me reporte principalement aux documents que vous avez distribués plutôt qu'aux transparents. À la page 2 de votre document, vous dites qu'ils se méfient à la fois des médias et des politiciens. Je trouve le mélange étrange, de se méfier des deux à la fois. Tout d'abord, les deux se trouvent au plus bas dans les sondages de popularité, mais s'ils se méfient des politiciens, c'est parce qu'ils tirent l'information des médias; alors comment peuvent-ils se méfier en même temps des médias?
M. Barnard: À mon avis, ils constatent qu'ils peuvent utiliser les médias pour obtenir l'information et ils ne font pas forcément confiance aux médias pour leur donner la bonne information. Ils doivent partir à la recherche de tous les types de médias différents. Ce que nous constatons dans leur consommation des médias, par exemple, c'est qu'ils utilisent toutes les formes de médias pour trouver la vérité. Ils sont très sceptiques à propos des médias, mais pas cyniques. Pour cette génération il est vrai que, dans la liste des carrières souhaitables, celle de «politicien» figure à l'avant-dernier rang. Malheureusement, celle de «vendeur à commission» vient au dernier rang, mais toutes les autres passent avant, et l'un des points intéressants à noter est que la carrière de directeur d'un organisme sans but lucratif figure assez haut sur la liste, si nous parlons de redonner quelque chose à un niveau communautaire.
Les gens sont beaucoup plus susceptibles de croire qu'ils devraient <#0139>uvrer dans le monde sans but lucratif, et figurer parmi les dirigeants dans ce secteur, plutôt que d'être dans l'arène politique. C'est une génération qui ne s'implique pas dans les partis politiques autant que d'autres jeunes générations l'ont fait.
Oui, vous pourriez avoir raison de dire qu'à certains égards les médias font naître la méfiance, mais c'est une génération très avisée à l'égard des médias, alors elle ne croit pas tout ce qu'elle voit à la télévision. Ce qu'ils ont également pu constater, c'est que les politiciens et les gouvernements prennent des engagements et ne les tiennent pas, et j'imagine que les médias sont là pour l'immobiliser pour eux noir sur blanc.
À certains égards, on se trouve en présence d'une sorte de spirale à l'heure actuelle, par le fait que même si les membres de cette génération représentent, ou pourraient représenter, environ 40 p. 100 des électeurs, ils ne votent pas dans la même proportion et, par conséquent, s'ils ne votent pas, les politiciens, c'est mon impression d'après ce que j'ai pu constater, ne parlent pas vraiment à cette génération. Ou bien ils n'envisagent pas les enjeux qui sont importants pour cette génération ou bien ils ne rendent pas les enjeux suffisamment pertinents pour que cette génération s'engage; et si quelqu'un ne déploie pas beaucoup d'efforts, alors vous ne faites pas non plus beaucoup d'autres efforts par la suite, j'imagine.
C'est ma réponse concernant leur sentiment à l'égard des politiciens et des médias. Cela répond-il à votre question?
Le sénateur Butts: Le cercle vicieux tourne peut-être dans un autre sens, mais leur méfiance à l'égard des politiciens signifie peut-être qu'ils ne votent pas du tout, ou bien cela pourrait-il signifier qu'ils votent contre les candidats en place pour les éjecter?
M. Barnard: À l'heure actuelle, bon nombre d'entre eux ne votent pas du tout. Au cours de la dernière élection, parmi les jeunes qui votaient pour la première fois, seulement 60 p. 100 environ ont voté et, parmi eux, seulement 5 p. 100 s'intéressaient de près à l'élection. Il peut y avoir une foule de raisons pour lesquelles les membres de cette génération ne votent pas, mais le fait est qu'ils n'ont tout simplement pas d'affinités avec les politiques du gouvernement ou avec les représentants des politiques du gouvernement.
Le sénateur Butts: Cela a-t-il un lien avec une autre déclaration que vous avez faite, à savoir qu'ils ne sont pas très préoccupés par l'argent. Je soupçonne qu'au cours des dix prochaines années de leur vie, ils changeront leur fusil d'épaule dans ces deux cas. Pouvez-vous faire des prévisions à ce sujet?
M. Barnard: Je n'ai pas dit qu'ils ne se souciaient pas de l'argent; c'est tout simplement qu'ils sont davantage préoccupés par leur carrière à cette époque de leur vie que par le salaire qu'ils obtiennent, même en faisant un travail à temps partiel. Lorsque nous travaillons avec nos clients sur des programmes de rémunération, nous constatons qu'ils espèrent un traitement ou un salaire équitable, et une fois qu'ils parviennent à obtenir ce traitement ou ce salaire équitable, alors d'autres choses deviennent plus importantes pour eux, comme l'apprentissage.
C'est une génération qui embrassera plusieurs carrières au cours de sa vie et, dans la plupart des cas, ils souhaitent en réalité mener plusieurs carrières au cours de leur vie. Ils ont dû se préparer pour cela et, parfois, il faut mettre de l'argent de côté pour que cette prévision se réalise à long terme, parce qu'ils veulent être employables à long terme.
Le sénateur Butts: Ce qui m'intéresserait, c'est que vous puissiez me donner une véritable définition du mot collectivité.
M. Barnard: C'est un mot très difficile à définir de nos jours. Je pense que, pour moi, la «collectivité» est un endroit où les êtres humains interagissent et où ils peuvent demander un soutien lorsqu'ils en ont besoin.
Le président: Mais cela ne doit pas forcément être un lieu géographique.
M. Barnard: Non.
Le président: Elle peut transcender la géographie.
M. Barnard: Oui.
Le sénateur Butts: Ou bien les gens parlent de communautés d'intérêt; est-ce davantage ce genre de choses?
M. Barnard: C'est possible. J'ai entendu une histoire fantastique à cet égard l'autre jour. C'est un peu un cas extrême mais, dans un groupe de discussion sur l'Internet, qui était composé uniquement de chercheurs ayant une communauté d'intérêt, l'un d'entre eux a vraiment eu une crise cardiaque pendant qu'il était en ligne, et il a tapé sur son clavier qu'il avait des problèmes. Quelqu'un de San Francisco a téléphoné à l'ambulance à Detroit pour qu'elle se rende à son domicile.
Pour moi, la «collectivité» est un lieu d'interaction humaine où, lorsque vous en avez besoin, vous pouvez obtenir un soutien, et cette anecdote en est évidemment l'exemple suprême. À bien des égards, l'Internet n'est accessible qu'à un groupe restreint dans la société à l'heure actuelle mais il deviendra accessible à bien plus de gens au fur et à mesure que nous progresserons au cours des deux ou trois prochaines années. Ce pourrait être un lieu formidable pour rencontrer des gens et la première étape pour développer ce genre de collectivité, c'est d'établir ces liens humains et de faire ces interactions humaines; je dirais donc que c'est plus souvent une influence positive qu'une influence négative.
Le sénateur Butts: Vous dites qu'ils ont une vision et un sentiment de la collectivité. Si la collectivité est un endroit, comme vous le dites, seriez-vous d'accord qu'il pourrait s'agir du lieu de travail encore plus que de l'Internet?
M. Barnard: Oui, encore plus, je pense.
Le sénateur Butts: Vous parlez de leur grand désir d'avoir des caféterias et des choses du genre.
M. Barnard: Le café est un bon stimulant pour la conversation pour cette génération -- pour toutes les générations.
Le sénateur Butts: Ils y vont cependant davantage pour la conversation que pour le café.
M. Barnard: Absolument. Le lieu de travail est un exemple fascinant de renforcement de la collectivité, et c'est différent d'il y a 15 ou 20 ans alors que les gens quittaient le travail et allaient retrouver leur famille à la maison. C'est une génération de gens qui n'ont essentiellement pas de famille à retrouver à la maison en quittant le travail, alors ils restent au travail ou sortent avec leurs collègues de travail.
L'une des choses que nous faisons actuellement, c'est d'essayer de promouvoir les activités sociales en milieu de travail. En fait, nous avons rédigé un article dans le Globe and Mail il y a deux ou trois jours sur la façon dont les entreprises devraient essayer de favoriser ces activités sociales et une cohésion sociale en milieu de travail parce que c'est une excellente occasion de renforcement communautaire pour la génération; cela aidera également les entreprises à conserver leurs employés, si bien que l'avantage sera double.
Le sénateur Butts: Mais on peut présumer qu'ils se marieront plus tard, si bien qu'ils auront une famille.
M. Barnard: Oui. Étant moi-même jeune marié, je peux vous dire que certains d'entre nous se marient.
Le sénateur Butts: Il me semble que vous avez dit qu'ils explorent la spiritualité; pourriez-vous me dire si c'est par simple curiosité ou par intérêt véritable?
M. Barnard: Je dirais que c'est un intérêt véritable. Même si la fréquentation des églises diminue, nous ne constatons aucune baisse de la spiritualité au sein de cette génération; je crois donc que c'est un intérêt véritable.
Le sénateur Poy: Je trouve votre exposé très intéressant parce que vous avez décrit nos trois fils. Ils sont tous dans cette fourchette d'âge. Par conséquent, il y a un certain nombre de choses sur lesquelles j'aimerais faire des commentaires. Lorsque vous parlez des randonneurs, lorsque les jeunes Canadiens voyagent, d'après mon expérience, ils ont toujours un drapeau canadien sur leur attirail parce qu'ils ne souhaitent pas être identifiés aux Américains. Votre expérience est-elle semblable?
M. Barnard: C'est en grande partie vrai. Toutefois, c'est aussi une question de fierté, en sachant que, lorsque vous voyagez à l'étranger, quiconque verra votre drapeau vous reconnaîtra comme un Canadien, pas comme un Américain simplement parce que vous parlez anglais. À 18 ans, j'ai voyagé avec mon sac à dos pendant six mois, avec mon drapeau canadien épinglé sur mon sac, et il n'y avait rien de mieux que d'entendre quelqu'un dire: «Ah, le Canada, très bien. J'ai entendu dire que c'est un endroit magnifique; j'ai entendu beaucoup de bonnes choses sur le Canada«. Ce genre de communication fait très rapidement le tour au sein de la génération. C'est presque rendu au point où nous devrions distribuer gratuitement des drapeaux canadiens aux aéroports, à coudre sur les sacs -- ou peut-être même avoir des gens qui les cousent à l'aéroport. Ce pourrait être encore mieux.
Le sénateur Poy: Le Canada est un pays très populaire; tout le monde éprouve de bons sentiments à son égard. Je suis d'accord que cette génération est socialement et environnementalement très responsable, ce qui est définitivement un avantage. Lorsque vous disiez d'eux qu'ils étaient cyniques à l'égard des politiciens et de la politique, je pense que c'est le cas. Je dois dire à nos fils que des gens sont morts pour obtenir le droit de vote et leur demander pourquoi ils ne prennent pas cela plus au sérieux. À votre avis, que peuvent faire les politiciens pour rejoindre vraiment cette génération?
M. Barnard: Je pense que cela revient aux trois points que j'ai mentionnés, le dernier étant le plus crucial pour moi. Il y a une occasion extraordinaire pour cette génération d'ouvrir une fenêtre sur l'avenir. Nous avons l'impression, en voyant les communications et les programmes qui viennent du gouvernement, que cette génération est un peu considérée comme un bénéficiaire de mesures charitables. «Ils sont tous au chômage; ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes; nous ferions mieux d'aider ces pauvres enfants». Il y a presque un sentiment que toute la génération est composée de «squeegeurs».
Le sénateur Poy: Mais ce n'est pas vrai.
M. Barnard: Non. J'ai remarqué qu'on avait fait mention à cinq reprises, je pense, au cours des onze dernières séances, des «squeegeurs», peut-être même davantage, et je n'ai pas vu une seule fois le mot «entrepreneur».
Le sénateur Poy: En réalité, l'élément le plus important c'est que c'est une génération d'entrepreneurs; vous avez absolument raison de dire que c'est leur premier choix. Je le constate au sein de notre famille. La raison de cela, c'est qu'ils ont plus de choix que ma génération. Notre génération devait choisir parmi des professions bien définies et c'était tout. La génération d'aujourd'hui peut faire absolument tout ce qu'elle veut et en réalité se créer son propre travail. Ce serait un message très important que le gouvernement devrait saisir, n'est-ce pas?
M. Barnard: Assurément, et je pense que c'est ce qui se passe à certains égards. Il existe plusieurs nouveaux programmes fantastiques, tant fédéraux que provinciaux, qui aident les jeunes entrepreneurs à travers le pays. Des programmes comme Avantage Carrière aident à opérer un rapprochement. Il existe un nouveau programme fédéral qui envoie des jeunes en Amérique du Sud pour aider les entreprises et les gouvernements à se brancher sur l'Internet. Il y a donc de bonnes choses qui se passent là-bas. Néanmoins, il faut modifier le sentiment global et passer de mesures charitables à un partenariat valable en ces temps d'innovation, à mesure que nous progressons dans l'âge de l'information.
Nous devons toujours nous préoccuper des jeunes à risque. Nous devons nous préoccuper des «squeegeurs». Cependant, si nous oublions d'investir, à l'autre bout de l'échelle, dans les entrepreneurs et de les appuyer et de les reconnaître pour leurs réalisations -- les entrepreneurs à la fois dans le secteur avec ou sans but lucratif, ainsi que dans le secteur public -- alors nous ratons une occasion de faire avancer les choses rapidement.
Je peux citer dix entreprises différentes qui viennent tout juste d'embaucher une centaine de jeunes pour les amener vers le futur. Ces jeunes créeront l'économie du futur. C'est là que les politiciens peuvent offrir un lien, en demandant à la génération Nexus des conseils, de vrais conseils, pas pour les utiliser comme un comité de rétroaction. Plus tôt, j'ai dit que les gouvernements et les politiciens doivent prouver leur pertinence, ce qui signifie que les conseils, et cetera, recueillis auprès des jeunes doivent se retrouver dans les politiques et les décisions.
Le sénateur Poy: Un dernier commentaire à propos du spiritisme. Vous avez dit que la fréquentation des églises est en baisse chez les jeunes d'aujourd'hui. Je constate beaucoup de spiritisme. Accepteriez-vous de faire un commentaire sur le fait que de plus en plus de jeunes, ou de gens de cette génération, s'éloignent du christianisme et se tournent vers le bouddhisme?
M. Barnard: Honnêtement, je n'en sais rien. En général, cette génération a grandi parmi un grand nombre de religions différentes présentes à l'école. Dans ma classe, au centre-ville de Toronto, à l'école secondaire, les réfugiés de la mer vietnamiens sont arrivés dans notre quartier, et certains d'entre eux fréquentaient mon école. Ils avaient une façon différente de la mienne de regarder le monde. C'est un exemple de ce qui s'est passé partout au pays. Pendant les années formatrices de la génération Nexus, le courant d'immigration a vraiment été mondial, ce qui a signifié des changements intéressants non seulement à l'épicerie mais également dans les démonstrations de la spiritualité.
À certains égards, nous l'appelons la «spiritualité de portefeuille», par le fait que c'est un peu une spiritualité avec la possibilité de choisir. Certaines personnes aiment le yoga. Il y a un grand choix de méthodes spirituelles. Cette génération peut choisir ce qui lui convient et ce qui convient à sa personnalité.
Le sénateur Poy: Vous constatez également une véritable montée du végétarisme et de la méditation, de pair avec la spiritualité.
M. Barnard: Oui. Il existe de nombreuses formes de spiritualité. Qu'elles connaissent une croissance ou non, je n'ai pas les statistiques exactes, mais nous en entendons assurément parler plus souvent.
[Français]
Le sénateur Lavoie-Roux: Je voudrais dire à ma collègue que c'est en France que le bouddhisme est le plus en effervescence. Nous sommes ici pour étudier la cohésion sociale. Vous nous avez laissé entendre que la génération des «baby boomers» était quelque chose de fantastique, je ne suis pas sûre de cela.
Il n'a jamais été facile pour les jeunes de savoir où ils allaient, de tailler leur place et pourtant il y a plus de ressources financières aujourd'hui qu'auparavant. Je comprends qu'il y en a beaucoup qui sont laissés de côté, mais il reste que dans l'ensemble les ressources en éducation et en formation sont beaucoup plus nombreuses qu'elles ne l'étaient. La génération X, que vous appelez la génération Nexus, leur offre-t-on de meilleurs instruments pour préparer leur avenir? Ces gens conserveront-ils une cohésion sociale entre eux?
[Traduction]
M. Barnard: Permettez-moi de revenir à la première partie de vos commentaires. Je suis d'accord avec vous que chaque génération de jeunes traverse une certaine dose d'instabilité pendant ses années formatrices et, à certains égards, cela modifie seulement son apparence. Je peux vous raconter des choses sur mon père et mon grand-père, à propos de leurs années formatrices. Mon père a grandi pendant la guerre et mon grand-père a fait la Seconde Guerre mondiale. De toute évidence, ces expériences ont donné lieu à beaucoup d'instabilité. Quand la génération des «baby boomers» a grandi, il y avait la menace d'un holocauste nucléaire.
Dans mon exposé, je faisais davantage allusion au front économique, à savoir que les «baby boomers» ont connu une prospérité constante durant leurs années formatrices. Il n'y a eu que de petites dépressions, d'après ce que j'ai vu dans les données économiques. En règle générale, les membres de cette génération qui ont suivi des études post-secondaires ont trouvé un emploi dès leur sortie de l'école. Je ne peux cependant pas parler pour les générations antérieures, au cours de la Crise de 1929 cela ne serait pas arrivé.
Bon nombre de membres de la génération Nexus ont eu quelques défis à relever, pour ce qui est de trouver un emploi, même s'il y avait une garantie implicite qu'ils obtiendraient un travail pourvu qu'ils aient de l'instruction. C'est la génération la plus instruite qu'on n'ait jamais eue; bon nombre d'entre eux ont fait des études post-secondaires, ce qui est une bonne chose pour le pays.
La deuxième partie de votre question, celle concernant la cohésion sociale, parlait -- laissez-moi m'assurer que j'ai bien compris la traduction -- parlait de la formation technologique et de l'aptitude à développer une cohésion sociale à mesure que nous progressons dans l'avenir. Est-ce exact?
Le sénateur Lavoie-Roux: Laissez-moi vous expliquer. La génération X a ses propres problèmes. Par exemple, nous savons que le taux de suicide a augmenté au sein de cette génération même si elle a disposé de beaucoup plus de possibilités que la génération précédente. Par exemple, elle a bénéficié d'une meilleure formation, d'un point de vue technologique, disposé de meilleures ressources, et cetera.
Sans se soucier des choix qu'elle a faits, cette génération a-t-elle développé une cohésion sociale et pourra-t-elle la conserver et même l'étendre à la génération qui l'a précédée ou qui la suivra?
M. Barnard: Je pense qu'elle développera la cohésion sociale et qu'elle est en train de la développer. Souvent, elle paraît différente de la cohésion sociale du passé, mais tous les êtres humains en ont besoin pour survivre. Par conséquent, ils trouveront leur voie dans le nouvel âge de l'information. Oui, cette génération a définitivement eu beaucoup de possibilités lorsqu'elle a grandi. Quand je m'occupais de Génération 2000, nous avons sillonné le pays et visité plus de 1 200 écoles secondaires. Nous avons rencontré quelque 750 000 jeunes sur une période de quatre ans. L'un des commentaires que nous avons entendus à maintes et maintes reprises était que les jeunes s'ennuyaient beaucoup. Nous les avons regardés et nous leur avons demandé: «Comment pouvez-vous vous ennuyer? Vous avez des arénas, des jeux vidéo, toutes ces choses qui vous entourent». À certains égards, la génération Nexus semble passive. Ce que j'espère, c'est que nous pourrons inciter les membres de la génération à bâtir quelque chose, pour leur faire sentir qu'ils font partie de quelque chose, au lieu de leur donner des jouets pour s'amuser. C'est vraiment la direction dans laquelle nous devons aller et cela favorisera la cohésion sociale. Prenez, par exemple, le bon vieux temps de la construction d'une grange. Ce type d'activité contribuait à la cohésion sociale dans une collectivité à cette époque particulière. Que sera la «construction d'une grange» de la génération Nexus? Peut-être que c'est l'entrepreneuriat. L'idée de bâtir une entreprise ressemble, à certains égards, à la construction d'une grange: il faut amener les gens ayant les bonnes compétences, qui vous aideront à bâtir la fondation et la structure. Vous aurez toujours une dette envers ces personnes; vous aiderez toujours les personnes qui vous ont appuyé lorsque vous avez essayé de bâtir votre propre entreprise. Je suis certain qu'il y en aura d'autres en cours de route. Certaines personnes disent que les membres de cette génération sont surexcités parce qu'ils ont eu tant de télévision, tant de médias et tant de possibilités en apparence. Pourtant, leurs possibilités de construire des choses dans la société ont parfois été limitées, soir parce que leur aptitude, à cause de leur âge, à construire quelque chose ne coïncidait pas avec les besoins du gouvernement de bâtir quelque chose, ou pour d'autres raisons. J'espère donc, à mesure que nous avancerons dans le temps, qu'il y aura davantage de possibilités de construire, que ce soit des entreprises ou des pays, et que tout cela rassemblera les gens et bâtira une cohésion sociale au sein de la génération.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites que la génération X ne croit pas au gouvernement, mais vous dites qu'elle est prête à faire tout par elle-même. Lorsqu'un jeune devient un jeune entrepreneur, est-ce qu'il ne profite pas des programmes du gouvernement? Vous savez bien que le gouvernement a mis à la portée des jeunes des programmes qui les soutiendront au commencement d'une petite entreprise. Ils ont même des cours de formation. Dans l'exposé que vous avez fait, tout est négatif. Au niveau des valeurs, je me demande quelle différence retrouvons-nous aujourd'hui entre les «baby boomers» et la génération X? Quelles sont les valeurs qui vous tiennent le plus à coeur?
Vous avez dit que vous êtes parti à 18 ans et que vous étiez fier de montrer le drapeau du Canada sur votre sac. Les gens ont dit: «Le Canada, le plus beau pays du monde». Vous avez fait de bonnes choses. Vous avez construit ce pays ici et aujourd'hui vous êtes là. Vous dites également qu'à l'école que vous avez décrite, les jeunes étudiants sont sans aucune aspiration. Aujourd'hui, ces jeunes ont-ils trop d'aspirations? Ils ont l'accessibilité d'aller où ils veulent. C'est tout ce qu'ils veulent avoir. Est-il possible que pour la génération X, la famille n'ait pas un rôle important? L'important pour ces jeunes, est-ce seulement Internet? Est-ce que toutes les choses techniques ont pris la place de la famille? Allez-vous retrouver l'émotion et les sentiments dans un bar, dans un café? Je ne pense pas que cette génération X sera comme cela. Le portrait que vous en avez fait me déplaît beaucoup.
Les gouvernements ont de grandes préoccupations pour la jeunesse, pour votre génération. Dans la cohésion sociale, nous nous intéressons à beaucoup de choses. De quelle façon la génération X affrontera-t-elle le vieillissement de la population? Avez-vous pensé au vieillissement de la génération? Va-t-on faire une autre génération que l'on appellera la génération Z? Je vais laisser répondre le témoin. Peut-être l'ai-je perçu comme négatif. J'ai de jeunes filles moi aussi et elle ne sont pas devenues entrepreneurs, elles ont toutes une bonne situation. J'ai travaillé pendant plus de 25 ans pour les personnes âgées dans les communautés culturelles et je peux vous dire que les valeurs de la famille sont encore présentes. Vous devez continuer à les conserver. Vous ne perdrez jamais la famille. Pouvez-vous dire quelque chose?
[Traduction]
M. Barnard: Je dois avouer qu'habituellement, les gens disent plutôt que je suis trop positif, alors il est bon d'avoir un petit peu d'équilibre dans mes propos. J'estime que mon message est à la fois positif et négatif. Permettez-moi de revenir au début de vos commentaires. J'ai pris des notes très rapidement, alors j'ai peut-être oublié quelque chose; n'hésitez pas à me le dire.
Le gouvernement fait beaucoup de choses pour les jeunes. Il a été un promoteur important pour m'aider à lancer mon organisme en 1991, Génération 2000. Il a contribué à notre capacité d'aller parler aux jeunes, de fait à en rencontrer 750 000. Les gouvernements aident les entrepreneurs. Toutefois, en tant qu'entrepreneur, je dois dire que j'ai lancé mon entreprise avant de savoir que le gouvernement m'offrait de l'aide. L'une de mes passions consiste à améliorer la communication entre le gouvernement et les jeunes.
Devant un choix, les jeunes préféreront la bonne communication à la mauvaise communication. Il existe ici d'excellents véhicules de communication, que ce soit sous forme d'annonceurs ou d'organismes avec ou sans but lucratif. À mon avis, le gouvernement est l'un des pires communicateurs à l'égard de ce groupe, et j'étudie la chose depuis maintenant près de quatre ans.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Il faut faire des pas en avant plutôt que des pas en arrière. Voulez-vous créer une société dans une société? Vous n'avez pas besoin d'un gouvernement, d'une famille. Ce dont vous avez besoin, c'est la communication, l'Internet et le contact avec l'extérieur du monde, les autres nations. Vous, dans le coeur du Canada, quelle place allez-vous prendre? Est-ce que vous allez faire une société X dans une société canadienne? Expliquez-nous cela. Je vous sens Canadien, et je ne veux pas vous considérer comme étant une personne différente. On ne peut pas être différent dans une nation.
[Traduction]
M. Barnard: Je ne pense pas que nous soyons différents de la manière dont vous le dites. Cette génération n'arrive pas massivement sur l'Internet pour trouver sa famille. Ce n'est pas ce que je voulais dire.
Les membres de cette génération cherchent des produits de remplacement pour la famille, soit parce que leur famille est brisée -- n'oubliez pas que 30 p. 100 de leurs familles sont éclatées. Par chance, ma famille ne l'a pas fait, pas plus que les familles de bon nombre de mes amis, mais c'est une réalité pour bien des membres de cette génération. En outre, il y a des motifs économiques, le fait que beaucoup d'entre eux doivent obtenir deux diplômes pour trouver l'emploi souhaité. Cette génération ne se marie pas aussi jeune que les autres générations -- et nous ne pouvons pas leur dire de se marier plus tôt et de fonder leur famille plus tôt. Ils créent effectivement un milieu de type familial, souvent avec leurs amis. En conséquence, bien que leur idée de la famille ne soit peut-être pas celle de la famille traditionnelle, la famille fait encore énormément partie de la génération. Il ne s'agit peut-être pas d'une mère qui reste à la maison, d'un père qui travaille en dehors du foyer, d'un chien et de deux enfants. Cette génération doit s'adapter à une réalité très différente en ce qui concerne la famille.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Je suis d'accord avec vous. Si, dans une société moderne, on peut changer l'encadrement de la famille, cela ne veut pas dire que les valeurs de la famille ne demeurent pas. Vous avez dit qu'il y a des familles qui se sont brisées, vous avez compris cette situation. Allez-vous essayer de reconstruire cette force, ces valeurs, ces principes? C'est très important.
[Traduction]
M. Barnard: Ce fut ma mission personnelle. Une personne qui met sa vie en veilleuse à l'âge de 23 ans pour lancer un organisme sans but lucratif n'est pas très typique de la génération du «moi». Dans bien des cas, ce que nous avons essayé de faire c'est de rassembler la génération pour l'aider à contribuer au développement du Canada.
J'aide aussi le gouvernement à communiquer à ce groupe, alors je suis très proche de la question de favoriser la communication entre les gouvernements et les jeunes. Pour moi, il est primordial que le gouvernement communique avec ce groupe de personnes. Le gouvernement crée des programmes novateurs pleins de bon sens pour cette génération, pas pour les générations passées de jeunes. Il est également important qu'il apprenne de nouvelles techniques de communication avec ce groupe parce que ce n'est pas le même groupe de jeunes qui étaient au pays il y a 20 ans.
L'un de nos plus grands défis, c'est que la plupart des membres de cette génération ne sont pas représentés au gouvernement. Ils ne sont pas représentés à la Chambre des communes, ils ne sont pas représentés au Sénat et ils ne sont pas représentés dans la fonction publique. Seulement 6 p. 100 des fonctionnaires fédéraux ont moins de 30 ans, et ce chiffre englobe les travailleurs contractuels, les travailleurs à temps partiel, et cetera. Les gens qui, en réalité, élaborent, produisent et dirigent les programmes ne font donc pas partie de la génération.
Le président: Ce point a justement été soulevé par un témoin récent, Derek Burney, qui a été sous-ministre fédéral et ambassadeur, et qui est actuellement président de Bell Canada International. C'est un fonctionnaire de longue date. Il a souligné que la fonction publique fédérale, en tant que facteur de la cohésion sociale nationale et de l'unité nationale, ne joue plus le rôle qu'elle avait, précisément pour la raison que vous venez de mentionner, à savoir que votre génération n'est pas représentée. Il y a en tant de coupes et de compressions, et tout le reste, qu'il n'y a plus d'emplois pour eux et nous payons pour cette situation de plusieurs façons, y compris celles que vous avez mentionnées.
M. Barnard: Je tiens à vous dire que lorsque j'ai fait le tour de l'Europe, j'étais très conscient du fait que mon grand-père avait contribué à m'offrir cette occasion de voyager, en me donnant ce coup de pouce. Les jeunes ont conscience de cela. Je ne ressens pas, chez les jeunes, une attitude insouciante à l'égard de ce que leurs grands-parents font ou ont fait.
En fait, dans un autre sondage que j'ai examiné, cette génération pensait vraiment pouvoir apprendre quelque chose des aînés. Ce qui était intéressant, c'est que les vieillards ne pensaient pas qu'ils pouvaient enseigner quelque chose à leurs petits-enfants. C'était plutôt le contraire, c'est-à-dire que les petits-enfants voulaient vraiment apprendre du passé. Toutefois, les gens qui, de certaines façons, représentaient l'histoire du pays ne pensaient pas pouvoir communiquer cela aux jeunes. Je pense que la porte est ouverte à ce genre de collaboration.
En ce qui concerne le vieillissement de la population, s'il y a un message que nous répétons sans cesse dans notre entreprise, c'est que la seule façon de réussir passe par la collaboration entre les générations, pas par un conflit entre les générations. C'est pour cette raison que je parle toujours de la «génération Nexus» et jamais de la «génération X». Je pense que l'expression «génération X», et tout ce qu'elle englobe, crée une division entre les générations. Si on vous disait pendant quatre ou cinq ans que vous êtes une génération déprimée, perdue, désorientée et dés<#0139>uvrée, vous pourriez commencer à le croire. D'un autre côté, vous pourriez simplement dire: «Ce n'est pas moi et cela n'a aucun rapport avec l'un de mes amis. Nous devons créer notre propre personnalité et bâtir pour l'avenir». Je pense donc que la collaboration nous aidera à traverser des périodes assez intéressantes au cours des deux ou trois prochaines années.
[Français]
Le sénateur Gill: Je dois vous dire que j'aime beaucoup votre description des jeunes. Selon mon point de vue et mes connaissances, je crois qu'elle est assez juste. Par contre, je n'ai pas l'impression que les jeunes sont intéressés à connaître ce que sont les autres générations ou à identifier les forces et les faiblesses des générations avec qui ils doivent transiger, c'est-à-dire les générations plus vieilles, les gens au pouvoir, les parents et les professeurs. Y a-t-il un intérêt chez les jeunes de connaître davantage les gens avec qui ils doivent transiger, parler et discuter?
Dans le tableau numéro 11, on dit: «Nexus sees no option but to do-it-yourself». Cette autonomie devient un problème pour essayer de connaître ce que l'autre génération peut désirer et savoir. La préoccupation des gens de mon âge et ceux qui sont plus jeunes, c'est de savoir ce que les jeunes veulent. Je pense que tout le monde travaille pour établir une qualité de vie ou un environnement convenable pour nos jeunes. Tout le monde pense que nous avons fait notre possible pour créer un tel environnement mais les jeunes disent que cela ne cadre pas. J'ai un peu de difficulté avec cela parce que je ne sais pas si la jeunesse est motivée à le faire. Nous devons savoir comment cette génération peut mieux comprendre les jeunes.
[Traduction]
M. Barnard: Quand vous dites que cette génération est très indépendante, c'est en partie vrai. Sa nature indépendante, ou ce que nous appellerions sa nature «débrouillarde», est, à certains égards, un fruit de ses expériences formatrices. Souvent, ces jeunes devaient faire le magasinage, s'ils venaient d'une famille désunie. Ils devaient souvent assumer un rôle parental, s'occuper de leurs frères et s<#0139>urs plus jeunes, et cetera.
À mesure qu'ils progressent dans la vie, ils se disent qu'il vaut mieux jouer la prudence. Pour ce qui est des politiques publiques, comme le RPC, ils peuvent penser que ce n'est probablement pas une mauvaise idée pour eux de s'occuper de leurs affaires, qu'il n'y a pas suffisamment de ressources là-dedans pour protéger ces politiques. Je ne comprends pas très bien pourquoi c'est quelque chose qui les enthousiasme vraiment, pourquoi ils sont passionnés par le fait d'avoir à faire quelque chose pour eux-mêmes -- à l'exception de leurs pensions, d'assumer les coûts des soins de santé, et cetera. C'est davantage l'influence de leur entourage, mais en soi ce n'est pas forcément un élément positif. Je pense que l'entrepreneuriat est positif, que le lancement de votre propre entreprise est un élément positif.
Dans le peu de temps qui me reste, il m'est difficile de vous dire exactement ce qui les motive, mais ils s'intéressent probablement aux mêmes choses que chaque génération. Ils s'intéressent à trouver un emploi qu'ils aiment; ils s'intéressent à trouver un ou une partenaire pour la vie; ils s'intéressent à créer un meilleur environnement pour leurs enfants. En outre, ils se croient capables de le faire.
Dans vos remarques, j'ai eu l'impression que vous ressentiez qu'ils étaient traités injustement et qu'ils n'apprécient pas les choses que nous avons au Canada. Je ne suis pas d'accord. Je pense que cette génération apprécie ce qu'elle a. Il y en a bien quelques-uns, que vous pourriez voir à la télévision ou entendre à la radio, qui pourraient dire «Nous en voulons plus; nous en voulons plus; nous en voulons plus». Toutefois, cette génération ne proteste pas dans les rues. Elle est très optimiste; en tant que groupe, elle pense que les choses vont relativement bien. Oui, il y a des jeunes qui sont pris au coin des rues et chaque pays devrait se préoccuper des problèmes touchant l'emploi des jeunes. Toutefois, beaucoup de jeunes Canadiens font preuve d'optimisme à l'égard de leur avenir, même s'ils ne sont peut-être pas optimistes à l'égard de l'avenir du Canada.
À mesure que nous avançons, je ne lancerais pas la perception que cette génération est fâchée ou frustrée. Au lieu de parler de «frustration», une meilleure façon d'exprimer ses sentiments consiste peut-être à dire que cette génération est «déconnectée du gouvernement» parce qu'il n'y a pas eu de communication entre le gouvernement et cette génération, ce qui a pu provoquer une frustration. Les statistiques révélant si cette génération pense que les gouvernements font du bon travail ne sont pas différentes de celles des autres segments de la société. Cependant, il faut un point de départ permettant à cette génération de pouvoir apporter quelque chose au Canada, et les jeunes ont besoin d'être reconnus pour leur contribution. À l'heure actuelle, à cause de stéréotypes -- à l'effet qu'ils sont fâchés, frustrés, sans emploi -- je ne pense pas qu'ils sont reconnus pour la contribution qu'ils peuvent faire.
C'est une génération optimiste, motivée et quelque peu sceptique -- sceptique est une recherche de la vérité, cynique est un rejet absolu de tout. C'est une génération sceptique. Elle veut trouver la vérité, elle veut trouver du travail et elle veut bâtir un pays mais, à certains égards, il n'y a pas beaucoup de gens qui le lui demandent.
[Français]
Le sénateur Gill: Il n'y a pas un rejet total de la société de la part des jeunes. Il y a des valeurs que vous ne voulez pas recevoir des plus âgés, par exemple le travail. Tout le monde veut travailler mais pas tous avec la même ardeur, avec la même intensité, avec les mêmes heures, plutôt un travail qui pourrait permettre de travailler cinq à six heures par jour. Les jeunes, pour la plupart, ne sont pas prêts à travailler dix heures par jour pour un emploi convenable.
[Traduction]
M. Barnard: Je ne suis vraiment pas d'accord. Lorsque nous examinons toute l'information qui nous parvient, elle nous dit que cette génération travaille aussi fort que n'importe qui. Si cette génération a l'esprit d'entreprise -- quiconque a, un jour, lancé une entreprise sait que c'est un engagement de tous les instants, et chaque jeune qui souhaite lancer une entreprise le sait. Ils veulent apporter leur contribution et faire partie de quelque chose, et si la seule possibilité qui s'offre à eux de le faire consiste à lancer leur propre entreprise, alors c'est vraiment par cela qu'ils seront attirés. Si d'autres gens, d'autres organismes s'ouvrent -- et des tas d'organismes se sont ouverts à ce groupe particulier -- ce groupe sera présent; et une fois qu'il aura pris un engagement et sentira qu'il appartient à quelque chose, il travaillera tout aussi fort ou plus fort que quiconque dans le bureau.
Le président: Étant donné le pourcentage assez élevé de membres de votre génération qui viennent de familles désunies, devrions-nous anticiper une nette diminution des taux de divorce, et cetera, avec votre génération?
M. Barnard: Je l'espère. Je ne le sais pas. Il est un peu trop tôt pour le savoir car ils se marient plus tard. Les cinq prochaines années nous donneront un indice. Je ne suis pas familier avec les modèles de divorce, mais si les gens doivent divorcer au cours des deux premières années, ils n'auront vraisemblablement pas d'enfants; par conséquent, si vous devez divorcer, ce n'est pas un mauvais moment pour le faire. Nous ne saurons probablement pas avant 10 ans environ si un revirement est en préparation.
Le président: Êtes-vous en désaccord avec Michael Adams qui a caractérisé votre génération comme ayant une perspective sociale darwiniste, pour la survie du plus fort?
M. Barnard: J'ai lu le livre de Michael et je lui ai beaucoup parlé de cette génération. Lorsqu'il envisage le darwinisme social, il parle d'une composante de la génération. Il a en réalité étudié cinq segments de cette génération particulière, et c'est l'un d'eux, et c'est un segment relativement fort. Là où nous sommes d'accord à propos de l'indépendance, nous pourrions être en désaccord quant à savoir où elle mène, et s'il s'agit d'une indépendance souhaitée ou si c'est une indépendance inhérente, comme le résultat des facteurs qui étaient présents durant les années formatrices. Je pense que oui, que ce groupe est une génération débrouillarde, mais je ne pense pas que ce soit forcément une génération qui prône la survie du plus fort.
Le président: Vous parlez de la génération en termes de consommateurs, ce qui signifie qu'ils achètent des choses, en termes d'employés, ce qui signifie qu'ils ont des emplois, en termes de citoyens, ce qui signifie qu'ils sont technologiquement alphabètes et plus privilégiés. Qu'en est-il de ceux dont vous avez parlé qui sont sans emploi et moins privilégiés, et peut-être isolés ou exclus? À qui incombe-t-il de les aider? Est-ce leur responsabilité, est-ce le rôle de l'État, ou est-ce le rôle de ceux de votre génération qui sont plus privilégiés de le faire d'une façon directe, plutôt que par l'intermédiaire de l'État?
M. Barnard: Il faut espérer que cela incombe à tous ces gens. C'est le rôle de l'État de se rendre compte que l'argent qu'il perçoit devrait servir à aider ceux qui sont moins privilégiés.
Le président: Vous n'avez aucune objection à payer des impôts à cette fin.
M. Barnard: Pas du tout. Et c'est également la responsabilité des membres de la société, que ce soit ma génération ou d'autres générations, d'aider les gens. Des organismes incroyablement novateurs sont dirigés par des gens de la génération Nexus qui font tout simplement cela, et nous avons ces gens dans notre groupe aussi. Même une personne qui se trouve au coin de la rue est un consommateur et, espérons-le, un citoyen. À l'heure actuelle, ce ne sont pas des employés, mais pour moi ils sont tout aussi pertinents pour le travail que nous faisons que n'importe qui d'autre dans la société.
Le président: Vous considérez que cela fait partie de votre travail de communiquer avec eux.
M. Barnard: Absolument. Dans mon discours sur le chômage des jeunes, l'un de mes messages clés est que si nous continuons à traiter les gens comme s'ils ne sont plus rien et ne vont nulle part, ou qu'ils sont perdus et désorientés, alors ces jeunes commenceront à le croire. Ce que j'espère voir ma génération faire, c'est étudier la possibilité de l'avenir et essayer d'entraîner ces gens en vue de créer cet avenir.
Le président: Avez-vous déjà réfléchi aux tensions éventuelles entre les générations? Vous savez mieux que moi que d'ici peu, un nombre relativement faible d'entre vous devra pourvoir aux besoins d'un nombre assez grand d'entre nous. Qu'en pensez-vous?
M. Barnard: Je ne connais pas les chiffres exacts, mais c'est une chose sur laquelle je veux me pencher quelque peu. Dans la génération Nexus, comme nous l'avons caractérisée, il y a environ 8 millions de Canadiens. En fait, au Canada, les plus jeunes membres du «baby boom», que nous qualifierions en réalité de génération Nexus en raison de leur date de naissance et du genre d'expériences formatrices qu'ils ont reçues, représentent son segment le plus large, qui est légèrement différent de celui des États-Unis. Par conséquent, les signaux d'avertissement concernant le départ en retraite soudain de nombreux «baby boomers», je n'y crois pas. Je regarde aussi les enfants des «baby boomers» qui ont moins de 18 ans, constituant également une très vaste génération, qui arriveront sur le marché du travail à mesure que nous progresserons. Ces trois générations, qui se trouveront sur le marché du travail un peu en même temps, devront s'entendre sur la façon dont nous allons progresser.
Avec la poursuite des courants d'immigration, avec les gens de la génération Nexus qui auront également des enfants, je ne pense pas que ce soit une cause perdue. Les «baby boomers» ne sont pas trois fois plus nombreux que la génération Nexus ou que la génération de leurs enfants. La génération des «baby boomers» est un peu plus nombreuse, alors les signaux d'avertissement ne sont peut-être pas aussi justifiés. Toutefois, je crois que les êtres humains ont l'habitude de relever le défi, et j'espère que la génération Nexus, la génération du «baby boom» et d'autres générations se rassembleront pour trouver ces solutions.
Le président: Vous nous avez accordé 90 minutes des plus intéressantes. Merci beaucoup.
La séance est levée.