Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 21 - Témoignages du 1er décembre 1998
OTTAWA, le mardi 1er décembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour examiner les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous en sommes aujourd'hui à notre douzième séance tenue conformément à notre mandat relatif à l'étude de la cohésion sociale au Canada. Comme je l'ai dit au témoin en privé, la séance de ce matin pourrait marquer un tournant décisif. Au cours des séances préalables, nous avons entendu beaucoup de témoignages -- certains anecdotiques -- au sujet des clivages dans notre société et de la polarisation des emplois et des revenus par suite des pressions causées par la mondialisation et la technologie. Ce matin, nous recevons un témoin qui, loin de se lancer dans des spéculations ou des anecdotes, connaît parfaitement bien les faits.
M. John Myles est maître de recherche au département de sociologie de la Florida State University et actuellement chercheur universitaire invité à Statistique Canada. Il a été professeur de sociologie à l'Université Carleton jusqu'en 1992. Ses domaines de recherche comprennent la politique sociale comparative et, depuis le milieu des années 80, la répartition des gains et du revenu familial au Canada. En 1996, il a été lauréat du prix Harold Adam Innis pour le meilleur livre en sciences sociales canadiennes. M. Myles est membre élu de l'American National Academy of Social Insurance et agrégé en recherche à l'Institut Caledon d'Ottawa.
Après cette brève introduction, je cède la parole à M. Myles, qui a une déclaration liminaire assez courte à nous faire, après quoi nous inviterons les sénateurs à faire leurs observations et à poser des questions.
M. John Myles, chercheur universitaire invité, Statistique Canada: Monsieur le sénateur, mesdames et messieurs les sénateurs, concitoyens canadiens, merci de me recevoir ce matin. Je devrais indiquer dès le départ qu'aucun professeur universitaire ne croit pouvoir dire quoi que ce soit en l'espace de 10 minutes, si bien que j'ai pris la liberté de vous laisser quelques articles que vous pourrez lire le soir chez vous.
Depuis un peu plus d'une dizaine d'années, je fais de la recherche à Statistique Canada sur des sujets liés à l'évolution du monde du travail, à l'inégalité des salaires et à son impact sur la famille canadienne. Ce matin, j'aimerais souligner certaines des questions qui m'intéressent et qui, je l'espère, vous intéressent également. Je devrais ajouter que je m'adresse à vous ce matin non en tant que représentant de Statistique Canada, mais plutôt en tant que chercheur universitaire et Canadien intéressé.
Pour commencer, j'aimerais passer un peu de temps à faire ressortir les liens entre le monde du travail, l'inégalité et la question qui intéresse le comité, à savoir la cohésion sociale. Mon hypothèse de départ n'est pas originale. Pratiquement tous les théoriciens de la démocratie, des Grecs à John Stuart Mill, reconnaissent que le bien public ne peut se développer que dans une société dont les membres sont égaux. Dans toutes les économies modernes de marché, l'inégalité commence sur le marché du travail et apparaît dans les chèques de paye que les travailleurs et les travailleuses reçoivent à la fin de la semaine ou du mois.
L'inégalité des salaires au Canada est élevée par rapport aux autres pays, pas aussi élevée qu'aux États-Unis, mais beaucoup plus que dans des pays comme l'Allemagne, la Hollande ou les pays scandinaves. Au Canada, un salarié à revenu élevé gagne presque quatre fois plus qu'un salarié à faible revenu, alors que le rapport en Scandinavie est de deux à un et, en Allemagne, de trois à un. Je tends à considérer ces rapports comme une mesure de la distance sociale entre quelqu'un qui se trouve presque en haut de l'échelle et quelqu'un qui se trouve presque en bas de l'échelle. Nous ne parlons pas ici de l'écart entre un PDG et une femme de ménage, mais plutôt de la différence entre un professeur titulaire ou un cadre supérieur et une secrétaire débutante. Ces différences s'expliquent par le fait que le salaire relatif de la secrétaire, du commis ou de l'ouvrier en Allemagne ou en Suède est plus élevé qu'au Canada ou qu'aux États-Unis, et correspond à près de 70 p. 100 du salaire moyen en Europe contre près de 45 p. 100 du salaire moyen au Canada. Je vais sous peu vous en exposer une des raisons.
D'après le tableau que vous avez devant vous, lorsque l'inégalité des salaires est faible, les gens sont tout à fait prêts à contribuer aux programmes sociaux publics. J'essaye toujours d'expliquer à mes étudiants que ce n'est pas parce que les Suédois et les Allemands héritent à la naissance d'une dose d'esprit civique ou de solidarité sociale; au contraire, les Suédois et les Allemands, à cause d'une faible inégalité des salaires, se redistribuent simplement l'argent à eux-mêmes, s'offrant des biens publics dont tous et chacun bénéficient à un moment donné de leur vie. Il est mathématiquement relativement simple de démontrer que lorsque les inégalités des revenus marchands, les inégalités des salaires sont importantes, les conflits en matière de répartition risquent d'être beaucoup plus intenses. C'est la raison pour laquelle je suis préoccupé par le marché du travail. Dans les sociétés où cette inégalité est marquée, l'État doit jouer les Robin des bois et, bien qu'il s'agisse d'un personnage mythique populaire, l'espérance de vie de Robin des bois est courte.
Peut-être pourrais-je mieux vous convaincre de cette réalité en examinant certaines des tendances que l'on retrouve au Canada. La courbe supérieure du tableau 1 représente l'augmentation de l'inégalité de la répartition des revenus marchands entre les familles canadiennes depuis 1980, l'inégalité des chèques de salaire que les parents ramènent chaque semaine à la maison. Cette courbe est clairement et considérablement ascendante depuis le début des années 80.
La courbe du bas, par contraste, fait ressortir des points positifs. En accordant aux familles à faible revenu de plus gros transferts sociaux, ce qui, bien sûr, se traduit par une augmentation des impôts pour les familles à revenu élevé, le Canada a plus ou moins été en mesure de stabiliser la répartition du revenu au cours de la plupart de cette période. Soit dit en passant, nous observerions les mêmes tendances si nous examinions les statistiques relatives au faible revenu ou aux taux de pauvreté.
Ces dernières années toutefois, on peut voir que le système est en perte de vitesse alors que le rôle de Robin des bois joué par l'État devient de plus en plus important année après année. L'inégalité et les niveaux de faible revenu ont légèrement augmenté depuis 1994, période où nous aurions pu normalement nous attendre à ce qu'ils diminuent par suite de l'évolution du marché du travail. Les familles à faible revenu n'ont pas bénéficié proportionnellement de l'augmentation des revenus et les transferts sociaux ont diminué.
Je devrais également mentionner que les jeunes familles canadiennes ont probablement fait tout ce qu'elles pouvaient pour compenser ces tendances. Jusqu'à la fin des années 80, la diminution des salaires des jeunes gens, pères de jeunes enfants, a été largement compensée par le fait qu'un plus grand nombre de mères et d'épouses occupaient un emploi rémunéré et avaient tendance à travailler un plus grand nombre d'heures. Les jeunes couples avaient aussi moins d'enfants -- si bien que le budget familial allait plus loin -- et les avaient à un âge plus avancé, quand leurs salaires étaient plus élevés. Bien sûr, ces tendances ont des limites supérieures et inférieures et les taux de fertilité ne peuvent pas continuellement baisser; il semble que nous ayons maintenant atteint ces limites.
Je voudrais ce matin souligner deux stratégies susceptibles de renverser la situation, qui permettraient aux familles à faible revenu d'augmenter leurs revenus. La première vous est bien connue: il s'agit de faciliter l'entrée des jeunes parents, notamment les parents de familles monoparentales, sur le marché du travail et aussi de leur permettre de rester employés. Cela signifie qu'il faut non seulement offrir des services de garde d'enfants plus adéquats, mais aussi proposer de meilleures politiques en matière de congé parental pour faciliter le retour des jeunes parents sur le marché du travail.
La deuxième façon dont on peut aider les familles à accroître leur revenu est consiste à faire en sorte qu'une fois que leurs membres participent au marché du travail, ils possèdent les qualifications qui leur permettent d'avoir des salaires plus décents. Lorsque je parle de qualifications, je ne parle pas de la crème du marché du travail, les ingénieurs, les scientifiques ou les gestionnaires. En fait, les récentes discussions relatives à la «fuite des cerveaux» ne sont, selon moi, que des diversions qui nous détournent d'un problème beaucoup plus grave concernant l'autre extrême du marché du travail, à savoir les membres les moins qualifiés de la population active.
Si l'inégalité des salaires est importante au Canada et aux États-Unis, c'est à cause de l'inégalité marquée de la répartition des aptitudes professionnelles indispensables à toute participation à une économie moderne reposant sur l'information. Nous disposons maintenant d'excellentes données sur ce sujet. Près d'un cinquième de la population adulte canadienne, soit deux fois le pourcentage que l'on retrouve en Europe, est incapable d'extraire et d'utiliser l'information que renferment des documents simples. Si vous voulez, je pourrais vous donner au cours de la discussion des exemples de ces documents. Depuis longtemps, les politiques canadiennes et américaines en matière d'éducation et de formation tendent à s'intéresser politiquement et financièrement aux meilleurs, soit 20 p. 100 des étudiants. Le Fonds du millénaire pourrait en être un exemple. Les 20 p. 100 qui se trouvent en bas de l'échelle sont livrés à eux-mêmes.
À long terme, j'aimerais que vous réalisiez que pour résoudre le problème de l'inégalité des salaires, il faut résoudre celui de l'inégalité des compétences parmi les travailleurs canadiens.
Permettez-moi de conclure en soulignant que les problèmes liés à une inégalité plus marquée sont plus difficiles à régler aujourd'hui, alors que les revenus réels stagnent, voire même chutent. À l'époque de l'âge d'or des années 50 et 60, lorsque j'étais jeune, la taille du gâteau augmentait, les riches s'enrichissaient, mais les pauvres s'enrichissaient également. Lorsque la taille du gâteau n'augmente pas, on sait que par définition, les gains de certains se traduisent par les pertes d'autres. Pour cette raison, les conflits en matière de répartition tendent à devenir plus intenses. Les stratégies que j'ai soulignées ce matin visent à augmenter de nouveau la taille du gâteau, d'une façon toutefois qui avantage les familles dont la part du gâteau a diminué.
Le sénateur Cohen: Vous avez dit que l'inégalité commence sur le marché du travail et que parallèlement à cette inégalité, nous assistons à une augmentation de la distance sociale entre «nous» et «eux». Que pouvons-nous donc faire pour nous assurer que l'emploi de longue durée ne mène pas à l'isolement social et à l'effondrement de nos réseaux sociaux? Ces réseaux sociaux sont en effet ce qui lie les particuliers à leurs collectivités.
M. Myles: Pourriez-vous préciser, parlez-vous de l'emploi de longue durée?
Le sénateur Cohen: Oui. Je m'inquiète également de la façon dont les gens deviennent socialement isolés. Ils deviennent presque invisibles lorsqu'ils arrivent à un certain niveau, et ceux qui travaillent dans de grandes sociétés et dont les revenus sont élevés ont une vision étroite des choses. J'aimerais savoir comment nous pourrions régler ce problème, puisque tout pourrait s'effondrer. Que pouvons-nous faire?
M. Myles: Tout d'abord, permettez-moi de récapituler ce que vous voulez dire. Lorsque des gens ne font plus partie du marché du travail pendant de longues périodes, pour quelque raison que ce soit -- par exemple à cause du chômage ou parce qu'une jeune mère s'occupe de ses enfants pendant deux ou trois ans -- leur capital humain, ce que les économistes appellent leur expérience de travail et leurs contacts avec le marché du travail, tend à s'atrophier. Plus on reste sans travailler, plus il est difficile de revenir sur le marché du travail, et certainement, plus il est difficile de retrouver un salaire raisonnable du point de vue des familles en question. Le même problème se pose actuellement de manière aiguë en Europe.
Certaines des propositions que je vous invite à envisager ce matin visent à essayer de faire en sorte que ces personnes restent en contact avec le marché du travail par l'entremise, dans le cas de la jeune mère, de meilleurs programmes de congé parental. Le congé parental vise essentiellement à ne pas faire perdre aux parents la réalité du marché du travail lorsqu'ils s'occupent de leurs enfants. Faciliter leur retour sur le marché du travail est une façon de le faire.
Le deuxième point que j'essaie de souligner, le problème de l'acquisition des compétences, est également crucial. Je ne parle pas simplement de programmes de recyclage. Dans le contexte des programmes des écoles primaires et secondaires, il faut penser aux connaissances mathématiques et aux capacités de lecture et d'écriture de ceux qui arrivent à la fin de leur adolescence, ainsi qu'aux possibilités qui s'offrent à eux sur le marché du travail. Il vaut mieux par exemple pouvoir supposer qu'un diplômé de l'école secondaire est en mesure de lire un document contenant du calcul intégral -- comme c'est le cas en Allemagne -- plutôt que s'inquiéter au sujet des connaissances arithmétiques de base d'un ouvrier.
Au fur et à mesure que progresse la carrière professionnelle, lorsque les gens arrivent à 20, 30 et 40 ans, je crois qu'il faut de nouveau trouver des moyens de maintenir les contacts avec le marché du travail. C'est l'un des principaux objectifs des programmes de recyclage, lorsqu'ils sont pertinents; ces contacts sont maintenus si ces programmes ne sont pas simplement des cours en salle de classe, mais s'ils se rapportent plutôt au monde réel du travail, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe. Ces contacts avec le marché du travail peuvent durer même au cours de périodes de chômage.
Le sénateur Cohen: Autant que je me souvienne, il y a plusieurs années lorsque l'on a examiné toute la question de l'assurance-emploi et que l'on a redonné aux provinces compétence en matière de formation professionnelle, il n'y avait pas de normes nationales. S'agit-il d'une lacune? La formation existe, mais peut-être ne correspond-elle pas aux exigences du marché du travail.
M. Myles: Je ne suis pas bien placé pour parler des mesures récentes prises par les provinces. La plupart du travail que j'ai fait porte à croire qu'il ne s'agit pas d'un nouveau problème, mais plutôt d'une tradition canadienne de longue date qui remonte à la période d'après-guerre.
Lorsque le Canada a eu besoin d'hommes de métier qualifiés à ce moment-là, lorsque nous avons eu besoin d'outilleurs-ajusteurs, nous sommes allés les chercher en Europe plutôt que de former des Canadiens à ce genre de métier. Nous n'avons pas mis en place l'infrastructure nécessaire en matière de formation ni non plus opté pour une tradition de formation comme nous aurions probablement dû le faire à ce moment-là. Je crois fermement au rôle des institutions historiques et à leur pérennité. C'est ce qui ressort véritablement maintenant de l'écart entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Je crois que nous n'avons pas les compétences voulues aujourd'hui, à la fin du XXe siècle, pour traiter de nombre de ces problèmes. Je ne serais pas porté à accuser un gouvernement provincial en particulier; il s'agit simplement d'une bonne vieille tradition canadienne.
Le sénateur Cohen: Nous devrions nous pencher sur cette question.
Le sénateur Poy: Monsieur Myles, vous avez dit que des diplômés n'ont pas les compétences voulues pour comprendre certaines choses, voire même des documents. Cela s'explique-t-il par le fait que nous avons laissé tomber il y a quelques années les trois clés du savoir? Qu'en pensez-vous?
M. Myles: Je ne suis pas pédagogue, j'enseigne dans une université, mais je ne suis pas spécialisé dans le domaine de l'enseignement primaire et secondaire. J'aimerais vous répondre un peu de la même façon que j'ai répondu à la question précédente. J'en reviens de nouveau à mon enfance. Au Canada et aux États-Unis, nous avons toujours eu et continuons d'avoir un genre de préjugé culturel et peut-être s'agit-il d'une caractéristique des cultures anglo-saxonnes; nous pensons en effet que seuls ceux qui vont faire des études postsecondaires sont compétents. Soit vous franchissez cet obstacle soit vous ne le franchissez pas.
Lorsque des économistes nord-américains, y compris des économistes canadiens, calculent la répartition des compétences, les ressources en capital humain de la population active, ils prennent en général comme mesure le rapport entre diplômés universitaires et diplômés de l'école secondaire. Cela montre bien que d'après nous, les compétences de ceux qui n'ont pas fréquenté l'université ne sont pas très élevées.
Historiquement et d'après les chiffres que je vous ai donnés, c'est exact. Toutefois, d'autres pays ont tout fait pour s'assurer que les jeunes gens qui font 10 ou 12 années d'études se retrouvent avec un niveau d'alphabétisation et des capacités au calcul beaucoup plus élevées que le jeune Nord-américain moyen. Je crois que c'est seulement à cause de ces récentes études sur l'alphabétisation que nous avons une indication du faible niveau d'alphabétisation. On les appelle études sur l'alphabétisation, ce qui est trompeur. Il faudrait plutôt parler du niveau d'alphabétisation. Les chiffres que je vous ai donnés ne se rapportent pas à l'analphabétisme, mais plutôt à un faible niveau d'alphabétisation.
Le sénateur Poy: Dans le cadre de votre profession d'enseignant, vous avez certainement pu constater un faible niveau de littératie chez de nombreux étudiants et diplômés d'université.
M. Myles: Vous touchez là le sujet de prédilection des plaintes des professeurs d'université du Canada et des États-Unis. C'est attribuable en partie au fait que la proportion de diplômés du secondaire qui font des études universitaires maintenant est beaucoup plus élevée qu'il y a 30 ans. Lorsque j'étais à l'université, c'était encore rare. À l'époque où j'ai fait mes études, il n'y avait peut-être que 12 p. 100 des étudiants qui poussaient leurs études jusqu'à l'université, donc elles récoltaient la crème des étudiants du secondaire. Les professeurs d'université des années 60 ont de bons souvenirs de ce qu'était l'enseignement à cette époque. Maintenant que 40 ou 50 p. 100 des diplômés du secondaire font des études universitaires, c'est très différent.
Le président: Voulez-vous dire que les standards ont chuté, monsieur Myles?
M. Myles: Je dirais que nous avons maintenant affaire avec une population tout à fait différente. Le défi n'est plus le même. Avec 50 p. 100 des jeunes qui font maintenant des études universitaires, le niveau de compétence de chacun à l'entrée à l'université est tout autre que ce qu'il était en 1960, lorsque seulement 12 p. 100 des étudiants se rendaient jusqu'à l'université.
Le président: C'est vraiment une terrible accusation portée contre le système d'enseignement de notre pays, ne trouvez-vous pas? Pratiquement tout le monde, au Canada, est scolarisé et nous sommes à peu près les seuls à consacrer une telle part de notre PNB à l'éducation. Vous nous donnez une statistique des plus choquantes en nous disant qu'un cinquième de nos adultes sont analphabètes.
M. Myles: À mon avis, c'est scandaleux, mais je ne crois pas que ce soit nouveau. Ce n'est pas le fait de la baisse des standards de notre système d'éducation. C'est plutôt lié au problème dont je parlais plus tôt, cette répugnance qu'a depuis toujours le Canada à former les outilleurs ajusteurs. Notre système d'éducation, lui, ne s'intéresse depuis toujours qu'aux 20 ou 30 p. 100 de nos étudiants les plus doués et ne se préoccupe pas assez des 20 ou 30 p. 100 qui ont le plus de difficulté.
Le président: Si plus de personnes entrent à l'université, c'est que vos exigences d'admission ont baissé au fil des années.
M. Myles: C'est bien possible.
Le président: C'est plus facile d'y entrer et plus facile d'en sortir.
M. Myles: Ces mesures du niveau de littératie ne font pas que désigner les faibles niveaux d'alphabétisation, mais aussi les plus hauts, et les Canadiens situés dans la partie supérieure de l'échelle s'en sortent tout aussi bien que les Européens. Ils ont tout aussi bonne réputation au Canada que les étudiants de l'Allemagne, de la Suède ou des Pays-Bas. Les 20, 30 ou 40 p. 100 de nos étudiants qui obtiennent les meilleurs résultats soutiennent très bien la comparaison avec les normes internationales.
Ce sont les 20 ou 30 p. 100 de la partie inférieure de l'échelle qui posent réellement un problème. Je ne crois pas que nous ayons pris ce problème suffisamment au sérieux et je pense que nous avons de bonnes raisons pour cela, qui sont ancrées dans notre histoire.
J'oeuvre aussi dans le domaine des relations industrielles. Les employeurs nord-américains, particulièrement dans le secteur de la fabrication, ont créé les processus de production en partant du principe que la main-d'oeuvre aurait des compétences assez limitées. Ils n'ont pas exigé de leurs employés les mêmes compétences qu'exigent les employeurs européens. Au lieu de cela, nous nous sommes appuyés sur une infrastructure de supervision beaucoup plus lourde, pour contrôler des ouvriers relativement peu qualifiés dans nos usines et dans nos manufactures. Ces problèmes ne sont donc pas nouveaux.
Le sénateur Poy: Vous avez cité l'Allemagne et la Hollande en exemple du système européen. À part les motifs historiques, pourquoi le Canada n'a-t-il pas suivi leur exemple? Pourquoi envoyons-nous des gens acquérir une formation en Europe? Ce serait beaucoup plus économique et beaucoup mieux pour le Canada d'être en mesure de former ses citoyens.
Je conviens avec vous que tout diplômé du secondaire ou même du secondaire de premier cycle qui veut travailler doit pouvoir comprendre des directives, lire, prendre des mesures et faire des calculs. Même dans le plus simple des métiers de la construction il faut pouvoir faire tout cela.
M. Myles: Nos motifs historiques ne sont pas difficiles à comprendre. Cependant, c'est une autre question que de savoir comment ils peuvent résister au temps et s'appliquer encore dans notre société contemporaine. Ce que je dis ici aujourd'hui n'est pas nouveau. Lorsque je faisais mes études de premier cycle à l'Université Carleton, dans les années 60, j'ai entendu le même argument de la bouche de l'un de mes professeurs les plus distingués de l'époque, John Porter, dont beaucoup d'entre vous se souviennent certainement.
La question qui se pose, c'est pourquoi n'avons-nous encore rien fait pour corriger la situation? Je n'ai pas de réponse savante à donner à cette question. Il me semble que nous ne nous sommes pas beaucoup efforcés d'y répondre. Je crois que c'est dans notre culture de tenir pour acquis que, pour avoir de l'instruction, il faut aller à l'université.
Le sénateur Poy: Et qu'arrive-t-il de ceux qui n'y vont pas?
M. Myles: Nous ne pensons pas que l'instruction a autant d'importance pour ceux qui ne se font pas d'études universitaires; autrement dit, nous ne nous préoccupons pas tant des compétences de ceux qui en ont moins. Notre système de relations industrielles, qui est assez rigide, est un peu responsable de cet état de faits. C'est particulièrement le cas dans le secteur manufacturier de l'économie canadienne, où il y a un groupe d'institutions qui sont organisées en fonction d'une main-d'oeuvre relativement peu qualifiée.
Nous avons comparé le système de relations industrielles et les compétences des travailleurs, des employeurs, des superviseurs, et cetera, du secteur industriel européen et nord-américain. Les données avec lesquelles j'ai travaillé, qui datent du début des années 80, ne sont plus très actuelles. Elles démontrent cependant que les employeurs ont organisé leur processus de production et ont élaboré une série de pratiques industrielles en partant du principe que leurs employés n'auraient pas de très grandes compétences.
De nombreuses recherches nous ont appris qu'à un poste qui exige peu du travailleur, son aptitude à apprendre s'atrophie. C'est-à-dire que si l'emploi n'exige pas d'efforts de votre part sur le plan intellectuel et cognitif, au bout d'un certain temps, votre capacité cognitive, y compris votre capacité d'apprendre et d'acquérir de nouvelles compétences, s'atrophie aussi. C'est presque stimulé par la nature de notre système d'emploi, au Canada.
Le sénateur Poy: Vous avez parlé d'inégalité des compétences. Que vouliez-vous dire par là? Comment y pallier? Est-ce que cela dépend de qui veut acquérir quelle compétence?
M. Myles: Je vais vous donner un exemple. J'ai lu une recherche assez intéressante, qui compare les résultats d'étudiants de 13 ans à des examens de mathématiques avec la situation de ces mêmes personnes à l'âge de 30 ans. Cette recherche portait sur divers pays, et la répartition entre les uns et les autres est presque parfaitement égale. Vous avez certainement tous lu dans les journaux des articles sur les notes moyennes des élèves des écoles secondaires de divers pays en mathématiques, ou en connaissances linguistiques, où on disait que le Canada se situait à un niveau supérieur par rapport à tel pays, mais à un niveau inférieur par rapport à tel autre. Nous avons tendance à nous concentrer sur la moyenne, sans vraiment donner d'importance à la ventilation réelle des notes qui donnent cette moyenne. Notre problème, au Canada, même plus qu'aux États-Unis, c'est que l'écart des compétences sur les plans de la littératie et des mathématiques est énorme. Voyez les États-Unis. Il y a les plus grands spécialistes en fusées d'un côté, des universités Harvard et autres et, de l'autre côté, l'un des pires systèmes d'éducation dans les ghettos. Le système crée ces extrêmes, et elles deviennent évidentes lorsque ces gens entrent sur le marché du travail.
Les problèmes du Canada, n'ont pas la même ampleur que ceux des États-Unis et, pour cela, nous avons de la chance. Je pourrais parler un peu de la manière dont nous y sommes parvenus ces derniers temps, parce que nous avons aussi quelques réussites à notre actif.
Le sénateur LeBreton: Vous avez dit que ce qu'il faudrait pour que la situation change, c'est mieux aider les jeunes parents à entrer sur le marché du travail. Vous avez parlé de garde d'enfants et de congés parentaux. Comment traiter ce besoin réel, puisqu'il est réel, avec le mode de pensée actuel sur la réduction des impôts, et cette attitude de «tout va bien, madame la marquise» des gens qui ne pensent qu'à leur propre situation? Comment, à votre avis, est-ce que la réduction des impôts s'insère dans cela, c'est-à-dire dans quelle mesure les impôts devraient-ils être réduits aux dépens du financement des programmes?
M. Myles: Permettez-moi de faire un commentaire, tout d'abord, à propos de la demande de réduction des impôts. Au départ, je m'efforçais de tenir compte des pressions exercées en faveur d'une réduction des impôts. Si vous vous rappelez bien cette ligne montante de l'inégalité du marché, c'est exactement le genre de situation dont j'ai parlé qui engendre une résistance croissante à la contribution au bien public, si on veut. Par conséquent, je ne suis pas bien surpris de constater une résistance croissante du public devant l'augmentation des impôts, ou la demande de réduction des impôts.
La première réponse que je peux donner à votre question, ou la première tentative de réponse c'est que nous nous trouvons dans une situation ardue, bien plus ardue que celle des pays où l'écart entre les salaires est beaucoup plus mince. Pour moi, lorsqu'on se trouve une situation difficile, il faut travailler plus fort. Je m'appuie, pour répondre à ce genre de questions, sur un économiste du travail suédois, maintenant défunt, qui s'appelait Gösta Rehn. Il a exercé une grande influence sur l'évolution de la politique du marché du travail et de la politique sociale de la Suède de l'après-guerre. Son grand secret a toujours été de chercher ce qu'il appelait une solution à la somme positive, une solution où on ne peut que gagner. Je crois que la seule façon de persuader les gens que cela vaut la peine de faire un effort collectif est de trouver des solutions qui ne font pas que sembler plausibles, mais qui sont avantageuses pour tout le monde.
C'est pourquoi j'ai insisté sur les stratégies qui visent principalement à aider les familles et les bas salariés à augmenter leurs revenus. Il faudra consentir des investissements sociaux, mais pas uniquement de la part du gouvernement. Il incombe aussi aux entreprises d'intervenir. Les politiques relatives à la garde des enfants et aux congés parentaux devraient figurer au nombre des principales préoccupations des entreprises canadiennes, des sociétés de notre secteur privé. Je ne suis pas particulièrement en faveur des programmes de travail obligatoire, mais l'un des avantages de certains d'entre eux, mais pas de tous, c'est qu'en établissant le lien entre les gens et le marché du travail, on les aide à accroître leur revenu. Même les réformes les plus draconiennes, aux États-Unis, ont rapidement démontré que pour aider les gens à entrer sur le marché du travail, il faut aussi faire des investissements sociaux. Si on veut que la jeune mère de 25 ans qui a un enfant à la maison puisse travailler, il faut lui offrir un moyen de s'occuper de son enfant.
Je préférerais que les deux suggestions que je viens de faire servent plutôt d'espèce d'exemples. Je crois qu'il y a encore moyen pour les secteurs privé et public d'investir pour aider les gens, surtout lorsqu'on peut voir que ces investissements auront réellement un effet positif sur les revenus à long terme de certaines personnes qui, probablement, auront des revenus plus élevés et seront moins dépendantes de l'État au bout du compte.
Le sénateur LeBreton: Par conséquent, c'est un programme d'éducation du public dans son ensemble.
M. Myles: Je crois que c'est aussi dans la manière dont nous commençons à encourager les gens à penser à la façon d'en aider d'autres à augmenter leurs revenus. C'est souvent lié à un programme conservateur, avec un très petit «c», à tort, il me semble. Je crois qu'il faut aider les gens à augmenter leurs revenus. Il est fini le temps où maman doit retourner à sa cuisine.
Le sénateur LeBreton: Dieu merci.
Le sénateur Johnstone: Vous avez parlé de l'État qui joue au Robin des bois. Vous avez aussi souligné que les paiements de transfert ralentissent. En admettant qu'il y aura toujours des provinces à la traîne, pourriez-vous nous exposer des solutions?
M. Myles: Vous voulez dire sous la forme de paiements de transfert?
Le sénateur Johnstone: Si l'État devait jouer un rôle moins important et que les paiements de transfert continuent de ralentir, quelles solutions y a-t-il?
M. Myles: Permettez-moi de me faire bien comprendre. Ce que je dis, c'est que l'une des raisons du ralentissement de la croissance des paiements de transfert est l'augmentation de l'écart entre les revenus. Il ne faudrait pas que ce ralentissement persiste encore longtemps. Les transferts de paiements continueront de baisser si nous permettons à l'écart des revenus d'augmenter au Canada et si nous laissons croître la répartition des revenus marchands.
Songez, par exemple, à une petite communauté qui voudrait se munir d'une bibliothèque publique. La population de cette petite communauté se compose de quelques personnes très riches et beaucoup de gens très pauvres. Comment réunir les fonds pour la bibliothèque? Comme l'a dit Willie Horton, il faut chercher l'argent là où il est. Il faut obtenir une très grosse somme de quelques personnes aisées. Les gens au faible revenu n'ont pas beaucoup à donner pour financer la bibliothèque publique. Les personnes aisées diront: «Merci, mais je peux acheter tous les livres que je veux pour bien moins que ce que vous me demandez de payer en taxes». À mon avis, si l'écart des revenus continue de se creuser, nous serons confrontés à un problème insoluble; la résistance à l'impôt continuera de croître.
D'un autre côté, il ne faut pas croire que nous devons laisser l'écart des revenus continuer de se creuser éternellement. Cela susciterait des problèmes insolubles pour nous, mais c'est de là que doit partir notre réflexion. En fait, jusqu'au milieu des années 90, le Canada a pris des mesures assez intéressantes et probablement assez efficaces pour corriger et neutraliser certains des changements survenus sur le marché de la main-d'oeuvre. Rien que la comparaison entre les tendances des marchés canadiens et américains ces 20 dernières années est assez surprenante. Par exemple, nous avons fait bon usage de nos ressources, avec le développement du programme de prestations fiscales pour enfants et de l'avantage fiscal national. C'est une mesure innovatrice très importante comparativement aux dispositions sociales traditionnelles. Sur ce plan, nous avons fait beaucoup plus que les États-Unis.
Cependant, à long terme, nous ne pourrons pas toujours compter sur ce genre de solutions. Le système de transferts ne peut pas continuer de subir tout l'impact d'un marché de l'emploi qui perd les pédales. Je n'ai pas de solution. Il y a beaucoup à faire, mais je crois que l'objectif premier est d'aider les familles à faible revenu à améliorer leur situation sur le marché de l'emploi. Si nous y parvenons, le problème de l'augmentation des recettes fiscales aux fins des transferts sociaux se réglera de lui-même. Avec l'augmentation de leurs revenus, ces familles auront plus d'argent pour payer plus d'impôts. Il sera moins nécessaire de redistribuer les recettes fiscales aux familles à faible revenu. On peut faire plus avec les recettes publiques lorsque l'écart est faible que lorsqu'il y a une très grande inégalité.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Après votre exposé et vos réponses, j'aimerais vous poser une question simple. Est-ce que vous pensez qu'il sera possible d'établir la cohésion sociale?
[Traduction]
M. Myles: Parlez-vous de cohésion sociale dans les relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux?
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Après avoir entendu plusieurs témoins, je me demande si cette cohésion sociale sera possible. Dans ce contexte, beaucoup de problèmes se présentent. Est-ce que le monde est prêt à suivre les directives d'un gouvernement? Ne serait-ce pas le temps que le gouvernement cesse de jouer le rôle de père de famille et redonne à la population une partie des impôts pour que chaque famille, chaque individu gère lui-même ses revenus selon ses besoins particuliers.
Quand on pense que l'on va donner cinq dollars par enfant aux garderies, il serait préférable d'avoir une déduction, un montant qui revient chaque année à la famille monoparentale ou non. Il faut donner la responsabilité de se gérer pour avoir une condition de vie meilleure, selon ses besoins.
Avec toutes ces nuances que nous retrouvons dans le contexte social, vous qui êtes un expert, pensez-vous qu'il sera possible, dans les années futures, d'avoir une cohésion sociale au Canada?
[Traduction]
M. Myles: Votre question est double. Premièrement, dans le cadre des discussions actuelles sur la cohésion sociale, des préoccupations ont été soulevées relativement aux administrations publiques et aux divergences, dont nous sommes tous très conscients, entre l'État et les provinces, entre le Québec et le reste du Canada, et cetera. Je ne pense pas être particulièrement qualifié pour en discuter, et je ne tiens d'ailleurs pas à aborder ce sujet-là ce matin.
J'en arrive au deuxième point que vous soulevez, à savoir que le rôle de Robin des Bois assumé par l'État correspond à une forme de paternalisme. Je crois qu'on peut facilement penser de la sorte dans les cas où un gouvernement se montre très distant envers sa population. Quelqu'un m'a demandé où je me situe du point de vue politique. Il m'arrive parfois de dire que je suis un démocrate. Non pas un démocrate avec un grand «D», comme aux États-Unis, mais un partisan de la démocratie. Je fais ma part en collaborant notamment avec les autres citoyens pour mettre en place un bon gouvernement et des établissements publics. Si je crois que ce gouvernement ne me représente pas, je dois faire quelque chose à ce sujet. La démocratie, c'est, en fait, les gens qui prennent leurs responsabilités.
La question qu'il faut alors se poser est la suivante: dans quelle mesure notre démocratie est-elle démocratique? Nous sommes aux prises avec de nombreux problèmes, dont certains découlent de l'inégalité des salaires, dont j'ai déjà parlé. D'autres sont attribuables à d'autres genres de divisions à caractère historique, régional et ethnique propres au Canada.
Permettez-moi de vous parler brièvement de l'inégalité et de la démocratie. C'est aux États-Unis, où l'inégalité est la plus criante, qu'on enregistre depuis toujours la plus faible participation au scrutin du monde occidental. La raison en est assez évidente. Les Américains les plus pauvres ne s'intéressent pas beaucoup à leur gouvernement. Ils considèrent plutôt que l'État intervient dans leur vie. En fait, lorsque je discute aux États-Unis de la politique en matière de pauvreté, je le fais habituellement avec des gens à Washington, des universitaires et des gens bien intentionnés qui parlent de ce qu'«ils» feront pour «les autres».
J'ai commencé par une proposition de base qui est ma réponse à votre question: la démocratie repose sur une faible inégalité. En laissant s'accroître l'inégalité, vous sapez les conditions propices à la démocratie. Cela ne veut pas dire que l'inégalité des salaires, l'inégalité matérielle est la seule condition qui fait que les gens ont l'impression que leur gouvernement a peu à voir avec eux. Les autres genres de clivages auxquels nous avons fait allusion sont tout aussi importants.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Vous avez parlé de l'alphabétisation. Les gens de plus en plus ont accès à des emplois rémunérés. Je veux revenir aux années 1970. Des ouvriers travaillaient à la Ville de Montréal. Il y avait du travail pour tout le monde, même pour les nouveaux immigrants. Les contremaîtres disaient: tu dois faire cela et cela, simplement comme un robot. Qu'est-ce qui arrivait après? Il y avait cette nécessité d'avoir des gens bien formés. Le problème de l'analphabétisme était courant. Qu'est-ce qu'on a fait? On a obligé les ouvriers à se préparer et avoir une carte de compétence. Il fallait beaucoup d'heures de travail pendant des années pour garder son emploi.
Cette course à l'égalité du travail est déjà commencée depuis des années. Maintenant, nous sommes au courant de la problématique et nous voulons tout régler. Nous l'avons déjà fait petit à petit, est-ce exact?
[Traduction]
M. Myles: Je vous ai donné quelques mauvaises nouvelles. Pour vous encourager, laissez-moi vous donner quelques bonnes nouvelles histoire de changer le rythme. Si nous jetons un coup d'oeil aux données transnationales sur l'alphabétisme, quelque chose de très troublant et triste ressort dans le cas des États-Unis. Aucune différence n'apparaît dans les groupes d'âge en ce qui a trait aux taux d'alphabétisation. Autrement dit, les jeunes gens qui sortent de l'école en 1990 ne sont pas plus alphabétisés que les personnes dont l'âge se situe entre 55 et 64 ans. Et cela, même après des hausses massives du taux de fréquentation scolaire au fil des ans.
Par contre, au Canada, nous avons fait de véritables gains. C'est-à-dire que si nous comparons les groupes des gens plus âgés aux groupes des gens plus jeunes, nous pouvons constater de véritables gains à travers les générations. Tout va bien de sorte qu'on peut dire la tasse est à moitié pleine, pas seulement à moitié vide. Les faibles taux d'alphabétisation chez nos jeunes gens sont encore deux fois plus élevés qu'en Europe. Cependant ils sont encore inférieurs à ceux des États-Unis.
Le président: Y a-t-il un écart régional important ou un écart provincial important au Canada dans ce que vous appelez le scandale national?
M. Myles: Pouvez-vous répéter votre question?
Le président: Y a-t-il un écart important entre les régions ou les provinces?
M. Myles: Je ne peux répondre à cette question, sénateur Murray. Je n'ai pas examiné la ventilation régionale en ce qui concerne ces chiffres, en toute franchise, parce que là n'était pas l'objet de mon travail.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Je suis originaire de la Suisse italienne. En Europe, il y a beaucoup d'institutions scolaires pour les arts et les métiers qui sont reconnues. Les jeunes qui ne veulent pas faire d'études supérieures choisissent ce genre d'école en fonction du métier qui leur convient. Ils y reçoivent une formation théorique et pratique avec remise de diplômes à la fin de leurs études. En Amérique du Nord, je ne sais pas si ce type d'institution existe.
Je retrouve ici une grande volonté de la part des parents d'envoyer leurs enfants à l'école. Ils font toutes sortes de sacrifices pour que les enfants deviennent médecins, ingénieurs, avocats, et cetera. C'est vraiment une manie. Les universités et les collèges donnent ainsi à notre société beaucoup de professionnels. Cette abondance amène toutefois un exode des cerveaux, parce que ces gens ne trouvent pas de débouchés, et cetera. Que faut-il faire?
[Traduction]
M. Myles: Le phénomène que vous décrivez ressort souvent, bien sûr, dans le cadre de discussions portant, par exemple sur le système d'apprentissage allemand. Dans ce pays presque 80 p. 100 des jeunes Allemands obtiennent un jour ou l'autre une compétence professionnelle par l'entremise du système de l'enseignement postsecondaire ou du système d'apprentissage. L'acquisition de ces compétences leur permet d'établir des liens avec le marché du travail vu les employeurs participent à ces programmes. Il est certes vrai que les jeunes travailleurs allemands n'assument pas le fardeau des problèmes avec lesquels l'Allemagne a été aux prises au cours de la dernière décennie alors qu'en Amérique du Nord ce sont surtout les jeunes travailleurs qui écopent.
Certaines personnes estiment que nous devrions peut-être essayer d'importer ce système. Certaines composantes conviendraient. Je croirais un peu utopique d'importer ce système d'un seul coup en Amérique du Nord. Nous faisons au Canada des expériences du même genre, les programmes travail-études offerts par nos universités et nos écoles secondaires canadiennes qui tentent de mettre les jeunes en rapport avec le marché du travail pendant qu'ils étudient.
Permettez-moi de répondre à la deuxième partie de votre intervention. Pourquoi les parents canadiens, surtout ceux de la classe moyenne, seront malheureux ou contrariés si leur enfant n'obtient pas au moins un baccalauréat et de préférence un certificat d'études supérieures? Cela nous ramène au tout premier point que j'ai fait ressortir au sujet de la structure des salaires au Canada. Si, pour toucher un salaire convenable, l faut absolument se retrouver au sommet de la pyramide de distribution, les parents ont tout à fait raison de pousser leurs enfants en sens.
Il se peut que je mon autre comparaison vous choque. Je vis dans le sud des États-Unis depuis quelques années. Un petit américain qui dit à ses parents qu'il veut devenir professeur, c'est un peu comme s'il leur disait qu'il veut entrer en religion. Dans le sud des États-Unis, les professeurs ne sont pas très bien payés. Leur salaire ne permet pas, comme c'est le cas ici, d'assurer à une personne ou à une famille un mode de vie raisonnable, même au niveau de celui de la classe moyenne. Leur travail est presque considéré comme une oeuvre de charité. Les salaires sont très bas. Les parents ne veulent pas que leurs enfants se lancent dans l'enseignement. Les salaires des enseignants au Canada sont beaucoup plus élevés, somme toute, qu'ils le sont aux États-Unis et leur travail est considéré ici comme une profession respectable.
Si un employé de bureau ou un travailleur de secteur tertiaire touche un salaire si bas que les parents ne s'attendent pas à ce que leur enfant soit en mesure de vivre convenablement, je crois que cette attitude se répétera. En d'autres mots, les faibles salaires versés à ces niveaux renforcent la croyance voulant que seuls les gens peu spécialisés, les incapables, occupent ces emplois. C'est la raison pour laquelle nous consacrons tout notre temps à essayer de munir nos enfants de doctorats.
Le sénateur Cohen: Je veux appuyer quelques-unes de vos déclarations. Vous avez parlé des 20 p. 100 d'écoliers du peloton de tête qui obtiennent toute l'attention. Je suis vraiment horrifiée du fait que les 20 p. 100 d'écoliers qui se trouvent dans le peloton de queue n'obtiennent pas l'attention dont ils ont besoin. Dans les années soixante-dix, mon fils enseignait. Les classes étaient réparties en A, B et C. On avait dit à mon fils de ne pas concentrer ses efforts sur les élèves du C parce qu'ils ne réussiraient pas mais de privilégier ceux du A. Il a choisi ceux du C. C'est à cette époque qu'est paru le livre de Toffler, Le choc du futur. Il en a discuté avec ses élèves du groupe C. Alors qu'on les avait totalement ignorés, leur soif et leur besoin d'apprendre étaient absolument surprenants. Cette situation s'est répétée. Après six mois, il a renoncé à enseigner. Il m'a dit que c'était futile étant donné cette attitude profondément ancrée.
Malheureusement, nous voici dans les années 90 et vous nous dites que la situation n'a pas beaucoup changé. Je crois qu'il faut absolument nous attaquer à la tâche. En ce qui concerne nos statistiques alarmantes concernant l'analphabétisme, je crois, monsieur le président, que vous devriez jeter un coup d'oeil aux ventilations régionales que vous avez demandées. Cet analphabétisme pourrait être la source de bien des problèmes qui se posent dans le domaine du chômage.
Vous avez aussi parlé du fait que les pauvres n'exercent pas leur droit de vote. Je travaille beaucoup dans ce domaine. Les pauvres n'ont pas l'impression d'avoir droit au chapitre. Nous n'avons jamais entendu parler d'un politique dont le programme est axé sur les pauvres. Ce qui est étonnant c'est que, lorsqu'un politique travaille avec les pauvres, ceux-ci ne croient pas à leur chance. Ils ne peuvent croire que quelqu'un veut être leur porte-parole. Je crois qu'un grand nombre de politiques devraient prêter attention aux pauvres parce qu'il s'agit d'un groupe qui ne cesse de prendre de l'importance. Personne ne prend leurs préoccupations au sérieux.
J'aimerais apporter une précision au sujet des collèges communautaires. Dans ma province, c'est-à-dire au Nouveau-Brunswick, presque 90 p. 100 des diplômés des collèges communautaires, où l'on offre de la formation professionnelle, se trouvent un emploi alors que les diplômés d'université qui ont obtenu leur baccalauréat en arts ont du mal à se caser et passent leur temps à retourner aux études pour aller chercher un autre diplôme. Cela aurait tendance à prouver ce que vous nous avez dit ce matin, renseignements que j'ai d'ailleurs trouvés fort utiles.
M. Myles: Nous commettrions une grosse erreur si nous accusions le programme d'études et les enseignants pour les problèmes qu'éprouvent nos étudiants moins qualifiés. Les établissements d'enseignement ne sont pas les seuls responsables de la situation. Il ne faut pas oublier que les cours donnés sont fonction des exigences de la société et des employeurs. Les employeurs leur disent-ils: «Nous avons besoin de bons commis et nous les paierions davantage s'ils pouvaient faire ceci, cela ou encore les deux»? Je peux vous dire d'expérience que, lorsque j'engage un assistant à la recherche, si je sais que je peux obtenir du vrai bon travail de cet étudiant, je suis tout à fait disposé à lui verser 10 $ de l'heure plutôt que le salaire minimum.
Le président: Que vouliez-vous dire lorsque vous avez parlé d'un marché du travail débridé?
M. Myles: La discussion peut se faire à plusieurs niveaux. Je crois énormément au jeu du marché. Le principe du marché est une merveilleuse idée. Les marchés sont très efficaces pour livrer des bananes à Winnipeg à Noël et pour mettre des dindes sur nos tables à l'Action de Grâce. Les marchés sont efficaces comme lieux d'échange de marchandises, c'est-à-dire de produits que l'on destine à la vente. Toutefois, les êtres humains ne sont pas des marchandises. Du moins, ce sont des genres de marchandises très différents. Quand on commence à agir et à penser comme si nos gens, nos travailleurs, nous-mêmes, étions simplement la somme totale de la valeur de nos marchandises et quand nous laissons un marché sans entrave contrôler nos destinées, c'est là que nous avons un marché débridé.
Je ne crois pas que nous ayons jamais eu un marché du travail pur. Cela n'a jamais existé. Nous réglementons constamment le marché du travail jusqu'à un certain point. Si vous permettez à la spirale de l'inégalité des revenus toujours plus élevés de persister suffisamment longtemps, vous vous retrouverez dans le pétrin et vous serez aux prises avec des maux probablement irréversibles. C'est ce que je voulais dire quand j'ai parlé du marché débridé. Aux États-Unis, actuellement, il est extrêmement difficile de régler des problèmes justement parce que le niveau d'inégalité est déjà si élevé. En d'autres mots, quand vous avez laissé le génie sortir de sa bouteille, il est très difficile de la lui faire réintégrer.
Quand je vois cette tendance s'accentuer au Canada, je m'inquiète parce que, si elle se maintient, je sais qu'il sera difficile de l'inverser.
Le président: Je devrais le savoir, mais dans quel champ de spécialisation avez-vous fait votre doctorat?
M. Myles: En sociologie.
Le président: Quand vous dites que, si nous permettons à ces tendances de se maintenir, le résultat final sera de l'inégalité, parlez-vous de l'opinion publique ou de la réglementation gouvernementale? La solution se trouve-t-elle dans la fiscalité? Vous avez laissé entendre ailleurs dans votre exposé que la redistribution du revenu par le gouvernement était d'une utilité limitée pour combattre ce phénomène.
M. Myles: Ce n'était pas ce que je voulais laisser entendre. Je disais que vous aurez tôt épuisé la capacité des transferts fiscaux de régler ce problème. Vous pouvez appliquer un pansement, mais si le mal continue de s'aggraver, vous aurez besoin de plus en plus de pansements. À un certain moment donné, vous manquerez de pansements. Nous avons à notre disposition tout un coffre d'outils dont nous nous sommes toujours servis pour réguler le marché.
Le président: Quand vous dites «nous», désignez-vous le gouvernement?
M. Myles: J'y inclus le gouvernement. J'y inclus aussi les syndicats. J'y inclus les grandes entreprises et les associations patronales. Bien des institutions organisent le marché du travail.
Le président: Vous avez mentionné la prestation nationale pour enfant. Il s'agit-là d'un nouvel accord qui s'est ajouté à des mesures prises plusieurs années auparavant par le gouvernement précédent. La prestation pour enfant au sujet de laquelle se sont entendus le gouvernement actuel et les provinces est, je crois, une bonne politique sociale et un exemple de bonnes relations fédérales-provinciales. Son grand avantage, si j'ai bien compris, est qu'elle incite les assistés sociaux à intégrer le marché du travail ou, si je puis l'exprimer autrement, elle élimine certains des obstacles à cette intégration. Y a-t-il de meilleurs moyens de le faire?
M. Myles: Je suis un partisan réticent de la prestation fiscale pour enfant, bien que cette réticence ne vise pas le court terme. Je crois qu'elle a fait ses preuves. Elle représente une amélioration considérable par rapport aux anciennes lois d'assistance sociale, qui interdisaient essentiellement aux prestataires de travailler.
Le président: L'arrangement permet aux provinces, si elles le souhaitent, d'éliminer les obstacles parce qu'elle leur laisse la marge de manoeuvre fiscale nécessaire pour le faire.
M. Myles: Elle permet aux familles à faible revenu d'améliorer leur niveau de vie réel quand les adultes vont travailler. C'est là une amélioration d'importance selon moi. On pourrait certes faire mieux encore, mais c'est déjà une nette amélioration. Le long terme m'inquiète un peu parce qu'un autre avantage de la prestation nationale pour enfant et du crédit d'impôt initial pour enfant était qu'ils étaient financés en réalisant des économies ailleurs dans le régime s'appliquant aux enfants.
Le président: Les économies sont venues en partie de l'abolition des allocations familiales.
M. Myles: Elles ont été réalisées à partir des allocations familiales plus les déductions fiscales pour enfant qui existaient dans les années 80.
Le président: Fort bien. Qu'avez-vous à redire à cela?
M. Myles: J'estime que ce fut là une merveilleuse rationalisation du système de soutien des familles.
Le président: En termes de politique constructive, croyez-vous que ce fut une erreur d'abolir la déduction fiscale pour enfant?
M. Myles: Non, pas du tout.
Le président: J'en étais sûr.
M. Myles: Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que nous avons été capables de le faire en partie parce que nous avons pu réaliser des économies ailleurs dans le budget social et les investir dans la prestation pour enfant.
Le président: Qu'y a-t-il de mal à cela?
M. Myles: C'était tout ce qu'il y a de bien. Toutefois, je m'inquiète de ce qui se produira la prochaine fois. Dans cinq ou 10 ans, si nous souhaitons à nouveau accroître la prestation nationale pour enfant à la lumière d'inégalités encore plus fortes sur le marché du travail, il faudra y injecter de nouveaux fonds, de nouvelles recettes, de nouveaux impôts.
Le président: Ce n'est pas mon rôle de défendre le gouvernement actuel, mais il a débloqué 2,4 milliards de dollars à cette fin sur plusieurs années.
M. Myles: Je ne peux que l'en féliciter. Toutefois, je crains un tout petit peu qu'en raison de cet avantage fiscal national, on juge à Ottawa qu'on en a fait assez pour les Canadiens à faible revenu et qu'il est temps de permettre à la classe moyenne de respirer un peu. Je ne suis pas opposé à l'idée d'investir davantage dans le Fonds du millénaire, par exemple, ou dans les soins de santé. Je ne suis pas contre ces programmes, mais je crains que les priorités ne changent du tout au tout quant aux groupes auxquels on veut plaire au cours des prochaines années.
Le président: Comme vous l'avez vous-même fait remarquer, il y a eu amélioration dans des domaines comme la prestation pour enfant parce que le gouvernement a aboli, il y a quelques années, l'allocation familiale universelle et a transformé la déduction fiscale en une prestation plus progressive. Si vous combinez l'abolition de ces avantages au fait que les revenus réels sont stagnants ou qu'ils reculent, vous pouvez comprendre l'inquiétude de certains membres de la classe moyenne et le désir de la classe politique de la dissiper. On ne peut pas toujours aller dans le même sens.
Le sénateur Cohen: Le programme de la prestation fiscale pour enfant est certes un pas dans la bonne direction. Cependant, j'aimerais souligner qu'il serait beaucoup plus efficace de l'indexer au coût de la vie parce que, chaque année, elle perd un peu de sa valeur.
M. Myles: Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Cohen: De plus, dans certaines provinces, une fois que la prestation a été touchée, la province la déduit des prestations qu'elle verse aux pauvres. Par conséquent, elle améliore peut-être le sort des travailleurs pauvres, mais elle n'aide certainement pas ceux qui vivent dans l'indigence. Ce sont là deux domaines où l'on pourrait améliorer le programme de la prestation fiscale pour enfants, quand nous le réviserons.
Le président: Je suis heureux que vous ayez mentionné le rôle de l'entreprise privée et des entreprises en particulier en ce qui concerne par exemple les garderies, les congés parentaux et, bien sûr, la formation professionnelle. Avez-vous entendu parler de nouvelles écoles de pensée au sujet du défi qu'a à relever l'entreprise privée actuellement et plus tard et concernant de nouvelles méthodes qu'elle pourrait adopter?
M. Myles: La pensée la plus innovatrice peut-être dans ce domaine se fait -- oserai-je le dire -- aux États-Unis, en partie, je crois, parce que ceux que ces questions préoccupent perdent l'espoir que des solutions viendront d'ailleurs. Les grandes entreprises américaines en particulier ont mené des expériences fort intéressantes en matière de politique familiale, tant en termes d'horaires de travail que d'arrangements pour obligations familiales et d'autres formes d'appui aux employés.
On a aussi effectué d'excellentes études de recherche dont je pourrais vous fournir les coordonnées.
Le président: J'aimerais bien que vous le fassiez. Ce serait utile.
M. Myles: Il existe des modèles dont nous pourrions nous inspirer. Je suppose que mes collègues des États-Unis craignent que ces expériences intéressantes n'aient tendance à être faites par les entreprises d'avant-garde, celles qui sont très grandes et qui réussissent bien. Le problème consiste à trouver des moyens d'appliquer ces projets à l'ensemble des autres entreprises. La question est de savoir si ces travaux intéressants menés aux États-Unis iront au-delà du stade expérimental. Par contre, je trouve que c'est une très bonne idée de faire contribuer l'entreprise privée à la solution aux problèmes.
Le président: N'y incluriez-vous pas également le secteur bénévole?
M. Myles: Le secteur bénévole joue un rôle important. Je crains toutefois qu'il ne serve de prétexte à l'entreprise privée pour ne pas s'impliquer. Il faut que ceux qui ont les ressources, ceux qui ont l'influence, s'intéressent à ces questions. S'ils ne sont pas inclus et s'ils n'y participent pas activement, j'aurais très peu d'espoir. Le secteur bénévole joue certes un rôle important, mais je commencerais par recruter les poids lourds.
Le président: Il se peut que le gouvernement et le secteur bénévole aient un rôle à jouer ailleurs que dans les grandes sociétés, auprès de la petite et moyenne entreprise.
M. Myles: Je ne crois pas que le rôle du gouvernement consiste seulement à accroître les impôts et à dépenser de l'argent. Il faudrait qu'il mobilise les diverses couches de la société, qu'il facilite leur concertation et qu'il joue le rôle de chef démocratique.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur Myles, que pensez-vous de cette introduction des grands magasins comme Loblaws ici au Canada? Y aura-t-il des répercussions dans les secteurs des petites entreprises?
[Traduction]
M. Myles: Me demandez-vous ce que je pense des grandes entreprises par rapport aux petites?
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: C'est vraiment quelque chose d'épouvantable.
[Traduction]
M. Myles: J'avoue avoir un préjugé. Mon père était gérant d'un de ces grands magasins. Cette préoccupation existait déjà dans les années 20 quand il a lui-même commencé. Je ne suis donc pas la personne la plus objective pour commenter ce genre de problème.
Le président: Je crois que nous magasinons tous dans ces grands magasins.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Myles. Vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion, ce matin.
La séance est levée.