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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 22 - Témoignages du 8 décembre 1998


OTTAWA, le mardi 8 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour examiner le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour chers collègues. Nous étudions ce matin le projet de loi S-10, qui est proposé par le sénateur Di Nino et qui vise à exempter les articles de lecture de l'application de la taxe sur les produits et services. D'une façon plus précise, il s'agit d'un amendement proposé au Sénat par le sénateur Maheu et d'un sous-amendement proposé par le sénateur Di Nino. C'est relativement à cet amendement et à ce sous-amendement que nos témoins, qui sont assez nombreux, comparaissent aujourd'hui, tout en devant composer avec des contraintes de temps, comme nous le savons tous.

La dernière fois que nous nous sommes réunis, nous avons eu une discussion sur l'incidence de la taxe de vente harmonisée, c'est-à-dire la TPS plus la taxe de vente provinciale, dans les provinces qui ont harmonisé leur taxe provinciale à la TPS, à savoir le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. La question qu'on se posait était celle de savoir si la taxe de vente pleinement harmonisée s'appliquait aux articles de lecture. La réponse est que celle-ci ne s'applique pas, du moins en ce qui a trait aux livres. En d'autres mots, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, la taxe de vente provinciale n'est pas imposée sur les livres. Cette taxe peut être imposée pendant une nanoseconde, mais une remise est accordée au point de vente, de telle sorte que seule la TPS de 7 p. 100 est imposée aux livres dans ces provinces. Notre ami Terry Thomas de la Bibliothèque du Parlement m'a écrit une lettre à ce sujet. Je vais la faire traduire, puis j'en distribuerai copie à tous les membres du comité.

Sans plus tarder, j'invite maintenant nos premiers témoins, qui représentent la Don't Tax Reading Coalition. Ces personnes sont des visages familiers ici, presque de vieux amis. Je vous cède la parole.

Mme Jacqueline Hushion, présidente, Don't Tax Reading Coalition: Bonjour, sénateurs. Il y a deux semaines, nous avons comparu devant le comité des finances de la Chambre des communes, présidé par Maurizio Bevilacqua. Le comité a confirmé qu'il appuyait notre position portant que les articles de lecture devraient être exempts de taxe. Le même soir, le gouverneur général rendait hommage aux meilleurs auteurs de la littérature canadienne, à Rideau Hall. Ce fut une très belle journée.

Nous sommes heureux de comparaître de nouveau devant vous pour témoigner au sujet du projet de loi S-10 et plus particulièrement de l'amendement proposé par le sénateur Maheu. Le sénateur a longuement réfléchi à la modification qu'elle propose. Nous l'en félicitons, de même que le sénateur Di Nino, qui a présenté cet important projet de loi.

Le débat en troisième lecture sur le projet de loi S-10 a clairement fait ressortir que les deux partis s'entendent sur les valeurs centrales du projet de loi. Maintenant, le débat s'est rétréci pour porter sur une question plus restreinte: le taux zéro doit-il s'appliquer aux revues et journaux aussi bien qu'aux livres, comme il a été promis au départ et de façon répétée, ou bien y a-t-il de bonnes raisons pour refuser aux lecteurs de périodiques la réduction de taxe promise?

Nous estimons qu'il n'y a pas de bonnes raisons pour pénaliser les lecteurs de revues et de journaux, et que le projet de loi est plus solide, qu'il est une mesure aux principes plus forts si on écarte la clause des 5 p. 100. En conséquence, nous demandons respectueusement au comité d'approuver le projet de loi et l'amendement, de même que le sous-amendement du sénateur Di Nino. Nous aimerions que le comité vote de façon affirmative relativement à trois points: le sous-amendement du sénateur Di Nino, l'amendement du sénateur Maheu, et le projet de loi proprement dit.

Nos arguments en faveur d'un tel appui se fondent sur les facteurs énoncés ci-après. Premièrement, la majorité des pays ne taxent pas les revues et les journaux. L'amendement proposé violerait la promesse indéniable faite par le gouvernement d'exempter de la taxe toutes les publications. Le fait de détaxer tous les articles de lecture qui renferment de la publicité serait un investissement peu coûteux dans l'intérêt du Canada et des Canadiens. Le taux de taxe de 7 p. 100 sur les revues et journaux, et de 15 p. 100 dans les provinces qui ont harmonisé leur taxe, est le plus élevé parmi les membres du G-8.

En Europe occidentale, aucun pays n'impose le plein taux de la taxe aux journaux et aux revues. Le plus souvent, ces articles sont exemptés de la taxe. Pas un seul pays de l'OCDE ne pratique la discrimination contre les publications en fonction de leur teneur en publicité. La promesse faite par le gouvernement d'exempter de la taxe les articles de lecture s'est toujours étendue expressément aux revues et aux journaux. L'excellent document d'information rédigé par la Bibliothèque du Parlement dit qu'un engagement politique a été pris au sujet du taux zéro de la taxe sur les publications mais signale qu'il y a eu quelque confusion quant à savoir si la promesse en question avait été faite par une personne, un groupe parlementaire ou un congrès de parti. Dissipons toute confusion. Elle a été faite par les trois.

L'engagement original a été pris en 1990 par des parlementaires libéraux pris individuellement. En novembre 1990, le sénateur Hébert et le sénateur Fairbairn ont mené un débat pour appuyer un amendement proposé à la TPS, afin que les articles de lecture soient exempts de la taxe. En fait, le libellé de l'amendement était identique au projet de loi S-10 qui est devant vous aujourd'hui. En 1991, le chef de l'opposition, aujourd'hui premier ministre, a réitéré cette promesse. Par la suite, le groupe parlementaire libéral, regroupant les députés et les sénateurs, a présenté une résolution prioritaire au congrès d'orientation du Parti libéral. Cette résolution réaffirmait les principes historiques de l'exonération des publications de toute taxe et promettait de supprimer la TPS sur les publications. L'actuel ministre des Finances se trouvait alors dans la salle et la résolution a été adoptée à l'unanimité.

Le sénateur Maheu nous a aussi écrit à l'époque, immédiatement avant les élections de 1993. Elle disait: «La TPS sur les livres, les revues et les journaux devrait être supprimée. Ce n'est pas simplement une question de savoir si nous pouvons nous le permettre; c'est le principe voulant qu'on ne taxe pas la lecture.» Nous sommes très reconnaissants au sénateur Maheu d'avoir suscité le dialogue dans le cadre des délibérations du comité. Ce dialogue nous a tous fait réfléchir. Nous savons dans quel sens cela va. L'engagement politique est indéniable.

Nous voulons aussi voir combien il en coûterait chaque année au Trésor fédéral de tenir cette promesse. Nous estimons que toute la TPS perçue sur la vente des livres, revues et journaux -- exclusion faite de la taxe sur les recettes publicitaires qui, nous en convenons, devraient continuer d'être assujetties à la taxe -- s'élève à environ 200 millions de dollars. Le ministère des Finances évalue ce montant à 300 millions de dollars. Cette estimation nous laisse vraiment perplexes. Ce chiffre de 300 millions de dollars supposerait que nos trois secteurs d'édition font des ventes totalisant 4,5 milliards de dollars au niveau du consommateur. Nous faisons respectueusement valoir au ministère des Finances que si notre industrie était deux fois plus importante qu'elle ne l'est, nous le saurions.

Si, au moment d'adopter le projet de loi S-10, les chiffres sont une considération aussi importante que le respect des engagements pris, je vais demander à David Hunt de vous présenter nos données.

M. David Hunt, directeur national, Don't Tax Reading Coalition: Nous voulons aujourd'hui traiter de trois questions qui ont été soulevées au cours des délibérations sur ce projet de loi, et en particulier lors des audiences du 27 novembre. Premièrement, quel est le montant de la TPS perçue annuellement sur les ventes d'articles de lecture? Deuxièmement, une taxe sur la lecture est-elle régressive? Cette question a été abordée dans l'excellent document d'information rédigé par la Bibliothèque du Parlement. Troisièmement, que voulons-nous dire lorsqu'on laisse entendre que le projet de loi S-10 sera plus profitable aux petits éditeurs qu'aux plus gros?

La plus récente étude sur les dépenses des familles canadiennes a été publiée par Statistique Canada le 28 juillet 1998, soit après que le projet de loi a été présenté à l'étape de la troisième lecture. Les chiffres les plus récents sont aussi les plus élevés, parce que, de toute évidence, les ventes augmentent à chaque année. Les dépenses annuelles des Canadiens en livres, revues et journaux incluent environ 900 000 $ en ventes de publications commerciales et environ 600 000 $ en ventes de manuels de niveau postsecondaire. Le total des ventes au niveau des consommateurs s'élève à environ 3 milliards de dollars. Ce montant inclut un certain nombre de ventes qui, en vertu du projet de loi S-10, ne seraient pas exemptées de la taxe. J'ai ici des copies de ces données que je vais distribuer plus tard.

Statistique Canada considère comme des livres les annuaires industriels, les plans de rue, les livres en blanc, les livres à colorier, les albums de timbres et de pièces de monnaie. Revenu Canada a déjà dit que ces articles ne seraient pas visés par le projet de loi S-10. Les livres incluent aussi les importations directes faites par des ménages, dont un grand nombre, comme vous le savez, ne sont pas assujetties à la TPS. Sont également inclus les achats faits auprès de petits fournisseurs, les ventes inférieures à 30 000 $ par année, et les livres achetés dans le cadre de ventes organisées par des oeuvres de bienfaisance, de ventes de livres d'occasion par des institutions, et ainsi de suite. Nous avons estimé que ces ventes représentent environ 12,5 p. 100 du marché total. Ce chiffre est, selon nous, conservateur, et se traduit par un montant total d'environ 203 millions de dollars. C'est là le montant total de la TPS nette perçue sur les articles de lecture qui seraient exempts de la taxe en vertu du projet de loi S-10.

Le ministère des Finances parle de 300 à 400 millions de dollars, un montant très exagéré. Cela correspond au montant de la TPS perçu sur les ventes publicitaires annuelles dans les périodiques et journaux, toujours selon une publication conjointe de Statistiques Canada et d'Industrie Canada, intitulée: Statistical Review Information Technology and Content Industries. Le gouvernement encaisse 200 millions de dollars en recettes provenant de l'application de la TPS aux ventes de publicité dans les journaux et magazines, ce qui correspond à peu près au montant visé par le projet de loi S-10. Comme vous pouvez le voir, les recettes provenant de l'application de la TPS aux ventes de publicité sont plus élevées que le montant de la taxe provenant des ventes d'imprimés pour ces deux catégories.

Ces industries vous demandent d'exempter de la taxe moins de la moitié de leurs recettes totales, ce qui correspond à l'engagement pris par le gouvernement et par les parlementaires.

On nous a demandé d'expliquer comment nous avions obtenu les montants des hausses de taxe compensatoires qui résulteraient de l'abolition de la taxe. Comme vous pouvez le voir ici, nous avons établi trois tableaux. En ce qui concerne le montant total de la TPS dont le gouvernement se priverait dans le cas des livres, périodiques et journaux, nous revenons à une estimation de 203 millions de dollars relativement à la réduction totale de recettes provenant de la taxe. L'exemption engendrerait de nouvelles ventes annuelles d'une valeur de 96 millions de dollars pour les livres, 41 millions pour les imprimés et 55 millions pour les journaux.

Lorsque l'industrie de la publication accroît ses recettes, le nombre d'emplois augmente. Plus de 1 000 nouveaux emplois ont été créés dans notre secteur. Il y a une relation causale directe. Le sujet a fait l'objet de nombreuses études. Nous avons établi un modèle qui pose comme hypothèses un taux d'imposition personnel de 40 p. 100, des économies d'assurance-emploi de 15 000 $ pour chaque emploi créé, et nous avons abouti à un montant approximatif de 29 millions à 30 millions de dollars d'économies en charges sociales et assurance-emploi.

Nous avons appliqué ces chiffres à notre modèle économique. Voici où va l'argent de nos industries conjointes: les coûts des biens vendus, les redevances, les honoraires des pigistes versés aux écrivains canadiens et pigistes, et cetera. Il s'agit des recettes fiscales provenant des profits des fournisseurs dans ces industries. Ce modèle ne tient pas compte de l'amélioration de l'emploi dans les industries en amont. Il vise seulement les emplois directs créés dans le secteur de l'édition et les recettes fiscales provenant des nouveaux profits des fournisseurs. Comme vous pouvez le voir, il s'agit d'un pourcentage relativement faible, mais qui représente tout de même 15 millions de dollars.

En définitive, nous céderions 203 millions de dollars en recettes provenant de la TPS, mais on enregistrerait des gains au chapitre de l'impôt sur le revenu et des réductions d'assurance-emploi à cause de l'amélioration de l'emploi, de nouvelles recettes fiscales provenant de l'impôt sur les profits des sociétés en amont et de l'industrie, d'une réduction des coûts de perception, estimés à 10 p. 100 de l'impôt marginal perçu auprès de notre industrie. La perception de l'impôt dans cette industrie est très coûteuse pour Revenu Canada, comme le ministère le reconnaît lui-même. Nous estimons le montant total net des gains provenant de la réduction nette des taxes à 138 millions de dollars. Selon nous, c'est ce que coûterait l'application de la détaxation des imprimés, une mesure souvent promise.

Encore une fois, pour bien illustrer le contraste, je rappelle que ce montant correspond à moins de 10 p. 100 de la réduction totale des impôts sur le revenu des particuliers que le ministre des Finances a déjà promis d'annoncer dans le budget de février. Il a promis de réduire les impôts de 1,5 milliard à 2 milliards de dollars. Dans son édition de ce matin, le Globe and Mail avançait le chiffre de 1,9 milliard de dollars. Nous croyons, en toute humilité, que vous devriez commencer par faire ce que vous avez déjà promis.

Est-ce que l'application d'une taxe aux imprimés est une mesure régressive? Le document de la Bibliothèque du Parlement, que nous avons reconnu à plusieurs reprises comme un excellent document, semble avoir mal compris ce que nous voulions dire au sujet du pourcentage de leur revenu que les ménages consacrent à l'achat d'imprimés. Cela correspond à la définition de régressivité et de progressivité.

Ce tableau illustre les résultats d'une étude concernant les dépenses de chaque famille au Canada. Il indique que les familles ayant un revenu de moins de 10 000 $ consacrent un pourcentage plus élevé de leur revenu à l'achat d'imprimés. Ce pourcentage chute sensiblement dans le cas des revenus familiaux de plus de 90 000 $. La courbe du tableau est inversée dans le cas d'un certain nombre d'autres catégories de produits de consommation. C'est notamment le cas des vêtements et des transports. Dans le cas du logement et de l'éducation, et dans d'autres secteurs de consommation, les familles à revenu plus élevé dépensent un pourcentage plus important de leur revenu à ces catégories que ne le font les familles à faible revenu.

Les imprimés, ainsi que l'alimentation et le logement, sont trois des rares catégories où le contraire se produit, c'est-à-dire où la courbe va dans cette direction et où les familles à revenu plus faible dépensent un pourcentage plus élevé de leur revenu dans ces catégories que les familles à revenus élevés.

On nous a également demandé d'expliquer notre argument selon lequel les publications à tirage restreint bénéficieront davantage d'une exemption de la taxe que les publications à tirage élevé. Essentiellement, cela illustre l'incidence qu'aurait l'exemption sur le budget d'une maison d'édition, comparativement au pourcentage des recettes d'édition provenant de la publicité. C'est pourquoi la pente est parfaitement droite. Cette extrémité-ci correspond aux publications qui contiennent très peu de publicité. Ici, on voit un exemple de publications qui dépendent entièrement de la publicité et qui, par conséquent, ne comportent pas de coûts de vente applicables à chaque exemplaire. Dans ce cas, il n'y aurait évidemment pas de gains, ce qui explique le croisement des courbes. Ces deux fourchettes ne sont que des exemples.

Nous avons ici l'exemple d'une publication à tirage restreint, qui tire entre 10 p. 100 et 25 p. 100 de ses recettes de la publicité. Cette catégorie correspond à un groupe très nombreux de publications, notamment les imprimés artistiques, littéraires, sociaux, ethniques, les publications d'intérêt local ou traitant d'ethnologie, de folklore, et cetera. Ces publications tirent leurs revenus de la publicité. Comme vous pouvez le voir, les gains provenant d'une exemption de la taxe correspondraient à environ 5 p. 100 à 6,5 p. 100 de leur budget, alors qu'une publication à tirage plus élevé, qui tire une part plus importante de ses revenus de la publicité, entre 50 p. 100 et 70 p. 100, réaliserait un gain net de 2 p. 100 à 3,5 p. 100; c'est tout de même un montant appréciable. Les Canadiens n'ont guère avantage à s'abonner à une publication qui tire un pourcentage élevé de ses revenus de la publicité, comme c'est le cas des revues L'actualité et Maclean's. Par ailleurs, la publication elle-même ne retire guère d'avantages de cette situation puisqu'elle compte sur des ventes de publicité qui continueront d'être assujetties à la TPS.

En définitive, nous soutenons qu'une publication qui tire un pourcentage plus élevé de ses revenus des ventes de publications bénéficiera davantage d'une exemption de ses ventes. Une publication qui tire un pourcentage plus élevé de ses revenus de la publicité, mais qui se vend tout de même, bénéficiera proportionnellement moins d'une exemption. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de prévoir un autre mécanisme dans la loi. Il existe déjà un mécanisme puisque l'exemption des ventes d'imprimés incite les éditeurs à tirer une part accrue de leurs revenus des ventes directes aux Canadiens.

Le président: Merci, monsieur Hunt. Je demanderais aux honorables sénateurs de bien vouloir attendre que nous ayons entendu tous les témoins avant de poser leurs questions. Je regrouperai ensuite tous les témoins pour qu'ils répondent à nos questions.

Bonjour, monsieur Saunders. Je présume que vous avez une brève déclaration liminaire. Vous avez la parole.

M. Craig Saunders, coordonnateur national, Canadian University Press: J'ai effectivement une déclaration liminaire. Je présume que vous avez lu le mémoire que j'ai envoyé. J'en résumerai les principaux éléments. Tout d'abord, je vais vous parler de façon générale de l'organisation que je représente, car je ne crois pas que nous ayons déjà témoigné devant votre comité ni fait d'exposé.

La Canadian University Press est la plus ancienne organisation nationale de journaux étudiants au monde. Elle a été fondée à Winnipeg, en 1938. Notre organisation regroupe aujourd'hui un peu plus de 50 des 150 journaux étudiants publiés au Canada.

En ce qui concerne les effets de la TPS, la situation est différente pour les journaux étudiants parce qu'ils fonctionnent de façon quelque peu différente des journaux et périodiques. Les journaux étudiants comptent sur deux sources de financement. L'une est la publicité, comme les autres journaux. Toutefois, nous ne comptons pas sur les abonnements. Les journaux étudiants sont souvent publiés par des organisations étudiantes, comme un syndicat étudiant ou un conseil étudiant. Ils constituent parfois des organisations indépendantes à l'intérieur de l'université, de sorte que la contribution des étudiants au journal de leur campus se fait sous forme de droits qui sont exemptés.

Lorsqu'un périodique ou un journal facture et reçoit ses revenus, il encaisse normalement les revenus provenant de la TPS pour la publicité, les abonnements et les ventes en kiosque. Les journaux étudiants n'encaissent pas les recettes de la TPS dans le cas des abonnements; ce serait impossible.

Les journaux étudiants constituent une partie intéressante et importante de la culture canadienne et tout particulièrement de la culture universitaire. Ils sont les lieux privilégiés où l'on débat de nombreuses idées. Ils offrent un moyen de discussion au sein des milieux universitaires et sont souvent la seule voix dont disposent les étudiants pour discuter entre eux. Les journaux étudiants sont aussi des journaux communautaires. Ils servent une communauté universitaire, collégiale mais également l'ensemble des citoyens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des campus.

J'indiquais dans mon mémoire que le journal The Carillon de l'Université de Regina, dont j'ai été le rédacteur, était le second journal en importance de la ville; il comptait 4 000 lecteurs. Cela peut paraître peu, mais ce journal a beaucoup d'influence au Canada. C'est la plus importante école de formation pour les nouveaux journalistes dans notre pays. Des milliers d'étudiants participent à la presse étudiante. Je puis affirmer que le nombre d'étudiants qui participent aux journaux étudiants est probablement de loin supérieur au nombre d'étudiants qui sont inscrits aux programmes de journalisme, et je ne dis pas cela pour diminuer la valeur de ces programmes.

Mon mémoire rappelle que de nombreux éminents Canadiens ont fait partie de la presse étudiante, notamment M. Peter Gzowski, des sénateurs, anciens et actuels, beaucoup d'éminents journalistes, des politiciens de premier plan et de nombreux auteurs de premier ordre. Comme vous pourrez le voir, je débute par une citation de Margaret Laurence qui, pour moi, explique très bien l'importance de la presse étudiante au Canada. Elle permet aux gens d'acquérir la confiance, la compétence et la capacité de se faire connaître par leurs écrits, de s'exprimer, de découvrir et d'approfondir des idées.

Comme je le disais plus tôt, les journaux étudiants ne se financent pas par les frais d'abonnement. Aussi, lorsque la TPS a fait son apparition, elle a davantage nui aux journaux étudiants qu'à de nombreuses autres publications. Un bon nombre, parmi ces dernières, pouvaient récupérer le montant de la TPS en refilant le coût aux consommateurs, dans le prix d'abonnement, ou en le répercutant sur la publicité. Les journaux étudiants ne peuvent pas faire cela et je ne pense pas qu'ils devraient pouvoir le faire.

De nombreux journaux ont, de ce fait, aussitôt perdu une partie importante de leur budget d'exploitation. En fait, les droits payés par les étudiants ont contribué directement à payer la TPS car nous devions, du jour au lendemain, payer plus cher des services comme l'impression.

Si vous examinez la feuille de calcul que vous devriez avoir reçue avec le mémoire, vous verrez qu'il n'existe pas de journal étudiant typique. J'ai essayé de les regrouper en trois catégories: les grands journaux, les journaux moyens et les petits journaux. La liste n'est certes pas exhaustive et je m'en excuse. Aucun journal étudiant n'a de contenu publicitaire typique ou n'affecte de pourcentage typique de son budget à telle ou telle activité. Ce sont tous des journaux très différents, très diversifiés. J'ai constaté que les journaux étudiants qui ont un tirage plus important ont souvent été les moins durement frappés. Les revenus qu'ils ont perdus lorsque la TPS a été instituée représentaient une part de leur budget beaucoup plus faible que dans le cas des petits journaux.

J'ai également remarqué que plus un journal contient de publicité, moins il subit le contrecoup de la TPS parce qu'il est en mesure de récupérer un pourcentage plus élevé du coût de la TPS dans ses recettes de publicité. Aussi, les journaux étudiants qui sont les plus durement touchés sont les journaux à petit tirage dans les petites communautés, qui reposent souvent sur une main-d'oeuvre bénévole et une clientèle locale. C'est pourquoi la TPS a eu des effets négatifs sur divers journaux étudiants. Certains, grands ou petits, éprouvent actuellement de la difficulté à survivre. La solution ne consiste pas à hausser les droits payés par les étudiants et, franchement, je ne crois pas que la plupart des journaux étudiants envisageraient cette solution avec enthousiasme.

Les effets d'une exemption de la TPS peuvent sembler insignifiants, allant de quelques dollars à quelques milliers de dollars, mais quelques milliers de dollars représentent beaucoup d'argent pour un journal étudiant. Lorsque j'étais directeur-rédacteur en chef du Carillon, je touchais 400 $ par mois pour assurer la direction de ce journal communautaire. Mon directeur de l'information faisait moins de la moitié et travaillait entre 40 et 50 heures par semaine. En fait, les employés d'un journal étudiant sont, ni plus ni moins, des bénévoles.

J'ai inclus la colonne des salaires pour montrer l'effet compensatoire que cela peut avoir, bien qu'ils soient répartis entre plusieurs douzaines d'étudiants pour chaque journal. Le journal le plus important, The Varsity, compte probablement bien au-delà de 100 employés et bénévoles. Il s'agit sans doute du plus important journal étudiant, ou du moins un des trois plus importants.

Dans le cas de petits journaux où personne n'est rémunéré, ou dont les employés ne touchent que des honoraires très modestes, comme dans le cas du Carillon, un montant de 2 000 $ ou même 1 500 $ permettrait d'embaucher un réviseur pour une année, ou encore un directeur artistique. Dans le cas du journal The Martlet, l'économie de 2 000 $ qui serait réalisée est probablement supérieure au salaire que touchait l'ancien directeur de la section poésie, W.P. Kinsella. Il s'agit donc d'un montant très important.

L'application d'une exemption à la presse étudiante, qui fait partie de la communauté universitaire, comporterait un coût négligeable, probablement moins de 100 000 $ pour les 150 journaux étudiants au Canada. Du point de vue de la TPS, c'est très peu, mais pour les étudiants et leurs journaux, ce montant représente une part importante de leur budget, qu'ils financent avec leur propre argent. Ces journaux leur permettent de s'exprimer et leur offrent une tribune de débat. Je crois que les journaux étudiants ont joué un rôle important dans l'évolution politique et culturelle de notre pays.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Saunders. Je me permets de vous faire une observation personnelle. La toute première fois que je suis venu à Ottawa, il y a de cela quelques années, c'était à titre de délégué à une conférence de la presse universitaire canadienne, qui se tenait dans une salle de réunion d'un comité sénatorial. J'étais alors l'un des rédacteurs de l'hebdomadaire de l'Université Saint Francis Xavier.

Nous entendrons maintenant les représentants de la Canadien Magazine Publishers Association, nommément M. Rick Boychuk, rédacteur en chef de Canadian Geographic et M. Jean Paré, éditeur de L'actualité.

Monsieur Paré, vous avez la parole.

[Français]

M. Jean Paré, éditeur, L'actualité: Je m'appelle Jean Paré. Je suis membre de la Canadian Magazine Publishers Association, de Magazines Canada et de presque toutes les associations de magazines, mais je ne parle pas en leur nom puisque je n'en suis ni le président, ni le délégué.

Je suis président de la section française des magazines McLean Hunter Limitée et je peux parler au nom de mes collègues de McLean Hunter. Vous avez devant nous des notes écrites qui ont été préparées. Je ne vais pas vous faire l'injure de les répéter. Je sais que votre temps est précieux et j'aimerais passer à travers ces notes en ajoutant certaines considérations qui naissent de mon expérience de 25 ans dans le domaine de l'édition de magazines.

Je trouve que le projet de loi est conceptuellement extraordinaire et sain, en ce sens qu'il vise à corriger une erreur qui a été faite lors de l'adoption de la TPS il y a quelques années. Le Canada avait assez peu d'expérience avec cette taxe à la valeur ajoutée et on s'est mal rendu compte de l'effet négatif qu'elle aurait sur certains secteurs tels l'information, la lecture et la culture. Je parle des livres mais également des périodiques, étant donné le volume en argent et en tirage.

Pour vous donner un exemple de ce qui s'est produit depuis l'adoption de la TPS, le tirage de tous les magazines au Canada a diminué considérablement. Cela s'est produit en pleine récession, ce qui n'a pas aidé, mais je ne dirais pas que c'en est la principale cause. J'ai pu vivre les effets de la TPS, année après année, au moment de notre planification de vente d'abonnements. Pendant trois années consécutives, les magazines canadiens n'ont pas pu augmenter leur tarif d'abonnement pour suivre l'inflation. Non seulement ont-ils perdu du tirage, mais la capacité de croissance et la capacité d'investissement dans leur contenu rédactionnel en ont été réduites.

La TPS n'est pas la seule cause. Quand nous voyons la différence entre ce qui s'est passé aux États-Unis et ce qui s'est passé au Canada, nous pouvons mesurer les effets négatifs ou pervers de cette loi qui, par ailleurs, était assez bonne, avec la création d'une taxe à la valeur ajoutée, pour que nos magazines l'appuient. Le problème, c'était l'application de cette taxe.

Dans votre projet de loi, il y a une proposition d'amendement et cet amendement n'amende pas le projet de loi. Cet amendement détruit la quintessence du projet de loi parce qu'il nous amènerait, s'il était adopté, à répéter l'erreur qui a été commise lors de l'adoption de la TPS il y a quelques années.

Je vous ai dit que nos magazines avaient été touchés. Pendant ce temps, alors que le nombre de magazines au Canada n'augmentait presque pas et que les tirages diminuaient, nos concurrents étrangers augmentaient considérablement leurs tirages au Canada car ils étaient en mesure d'échapper à l'application de la TPS. Nous estimons que 70 p. 100 des titres de magazines étrangers vendus au Canada ne collectent pas la TPS, ne la paient pas. S'ils la collectaient, ils la garderaient pour eux puisqu'ils n'ont pas de bureau au Canada.

L'amendement proposé à votre projet de loi, visant à n'exempter que les livres et les magazines qui contiennent moins de 5 p. 100 de publicité ou qui n'en contiennent pas, repose sur l'idée que la publicité n'est pas une activité culturelle ou informative valable et qu'on ne peut pas la détaxer. La publicité dans les périodiques est taxée par la TPS et continuerait donc de l'être. La seule chose qui ne le serait pas serait la vente du magazine aux lecteurs proprement dits. De cette façon, on peut dire que la détaxe proposée est une détaxe sur le contenu rédactionnel.

D'autres vous diront que cette taxe serait aussi difficilement applicable qu'une taxe qui viserait à taxer différemment des produits alimentaires selon le taux de sucre ou le taux de gras. Imaginez-vous les problèmes d'un détaillant qui a des livres, des magazines et des journaux avec différents niveaux de publicité! Cela m'apparaît difficile.

Je voudrais surtout vous dire que les grands magazines ne sont pas moins méritants que les journaux universitaires, les magazines culturels à petit tirage, les publications ethniques ou les publications d'intérêt. Je dirais qu'ils sont essentiels à l'existence des plus petits magazines. Ils sont essentiels à la santé de l'industrie des périodiques en général.

Les magazines sont les endroits où les éditeurs et les auteurs des articles de petites publications gagnent leur vie. Ce sont des endroits où ils apprennent à travailler. Les grands magazines, les grands journaux et les grandes publications sont souvent les sources, l'endroit où naissent les futurs éditeurs de magazines, et on pourrait difficilement s'en passer. Les grands magazines supportent également les associations canadiennes de publication. Les petits périodiques très spécialisés n'ayant pas de revenus publicitaires ne sauraient se passer de ces associations.

Les magazines sont certainement aussi méritants que les livres. Je lis beaucoup de livres, j'en achète beaucoup et j'encourage tout le monde à en lire. Nous faisons aussi la publicité des livres dans nos magazines. Mais il y a une sorte de mythe qui voudrait que le livre soit un outil de communication, de culture et d'information supérieur aux périodiques.

Dans la réalité, les périodiques, les journaux, les magazines, les revues, quels qu'ils soient, sont le principal moyen qu'ont les Canadiens de s'informer pour comprendre l'identité de leur pays et la développer, pour trouver toutes les ressources intellectuelles, trouver les idées qui vont leur permettre de faire leur propre vie, de faire leur vie avec leurs concitoyens, d'avoir une activité politique et socioculturelle.

Les périodiques sont le principal lien entre les 30 millions d'habitants de ce pays, qu'ils soient de langue anglaise ou de langue française. Les grandes publications, sous prétexte qu'on y trouve de la publicité et une très grande diversité de contenu et qu'ils ne sont pas très spécialisés, ne sont pas moins essentielles à cette communication entre les Canadiens. Je dirais même qu'elles le sont davantage.

Je pense que les grandes publications rejoignent plus de gens et, parce qu'elles rejoignent plus de gens, qu'elles établissent un savoir commun, une identité commune. Un pays ne peut pas reposer uniquement sur de petits moyens de communication spécialisés. Ils sont essentiels à la formation, à l'instruction et à l'information de ces groupes, mais aucune de ces petites publications n'établit de lien entre les individus. Ce sont les journaux et les grands magazines qui établissent ce lien et ils le font avec un contenu rédactionnel qui témoigne de leur souci d'être au service de la collectivité, et non seulement de faire de l'argent en distribuant de la publicité.

Pour nous, la publicité n'est pas notre raison d'être, c'est notre moyen d'être. Notre raison d'être est de rejoindre nos lecteurs. La publicité est le moyen par lequel nous achetons à des auteurs canadiens, à des journalistes canadiens, à des photographes canadiens, à des illustrateurs canadiens, à des designers de mode canadiens. Nous achetons le contenu des magazines grâce aux revenus publicitaires.

Pour la plupart des magazines, les revenus publicitaires comptent pour 80 à 100 p. 100 et pour 60 p. 100 pour les magazines qui ont le plus grand succès. Dans le cas de L'actualité, de Châtelaine et de quelques autres magazines de notre maison, 60 p. 100 des revenus proviennent de la publicité. Sans la publicité, il n'y a pas de magazines et il n'y a plus cette communication entre Canadiens.

Dans les magazines, il n'y a pas que des histoires superficielles dont on pourrait se passer. Certains s'adressent aux jeunes et aux adolescents. Voici un magazine qui s'appelle OWL et qui s'adresse aux enfants d'âge scolaire. Une version française appelée Hibou est distribuée dans les écoles pour les enfants de langue française du Canada.

Que font des magazines comme L'actualité? Ils entrent dans les écoles. C'est la preuve de la valeur culturelle, informative, politique et sociale des magazines. Nous avons un programme pédagogique intitulé: «In School Program» parce que certains de nos magazines l'ont aussi pour les écoles de langue anglaise. Plusieurs milliers d'écoliers reçoivent notre magazine sous la direction de leurs professeurs. Ils ont des prix spéciaux et paient 50 cents par numéro. C'est plus bas que le prix de production. Nous fournissons ces magazines aux écoles et dans l'ensemble du Canada, je pense que 50 000 enfants utilisent ces magazines pour l'apprentissage de la langue. L'actualité est l'argument utilisé à l'extérieur du Québec pour l'apprentissage du français langue seconde, souvent dans les écoles d'immersion. Il faut aussi engager des pédagogues, des spécialistes, des professeurs pour rédiger les cahiers de travail qui sont adressés aux enseignants ainsi que les cahiers de travail pour les enfants. Ce sont véritablement des publications qui sont utilisées à des fins d'enseignement dans les écoles.

Je pourrais donner l'exemple de Géographica, un petit magazine qui commence à exister et qui éprouve beaucoup de difficultés. L'absence de publicité représente un problème, surtout pour un magazine qui veut faire entrer la notion du Canada dans chaque foyer, sa réalité géographique. Nous pouvons constater à quel point quelque chose d'aussi superficiel que la publicité est aussi essentiel que le pain, le beurre et le lait sur la table.

Le président: Je m'excuse de devoir vous interrompre. Nous avons d'autres témoins à entendre et après les avoir entendus, nous vous inviterons de nouveau à la table pour une plus longue discussion.

[Traduction]

Le président: Monsieur Boychuk, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Rick Boychuk, rédacteur en chef du magazine Canadian Geographic, Canadian Magazine Publishers Association: Je tenterai d'expliquer l'importance des périodiques au Canada et leur contribution au développement ou devrais-je plutôt dire au maintien de l'identité canadienne.

Créée il y a 25 ans, la Canadian Magazine Publishers Association regroupe maintenant au-delà de 270 publications canadiennes, qui traitent de sujets canadiens à l'aide d'illustrations, d'images, de cartes et d'autres oeuvres originales produites par des Canadiens.

Nous appuyons le projet de loi qui vise à exonérer les imprimés de la TPS. Nous nous réjouissons de constater que la formulation du projet de loi S-10 est identique à celle proposée par les sénateurs Jacques Hébert, Royce Frith et Joyce Fairbairn en guise de modification à la loi portant création de la TPS.

Nous sommes particulièrement fiers d'appuyer le projet de loi S-10, dont est saisi votre comité, qui a consacré beaucoup de temps récemment au problème de cohésion sociale au Canada. Il est utile de rappeler ce que disait le rapport de la Commission royale d'enquête O'Leary à ce propos. Ce qu'on disait alors à propos de l'industrie des périodiques est encore vrai aujourd'hui, à savoir que «c'est en grande partie à nos périodiques, à nos revues, grandes et petites, qu'incombe la tâche de faire consciemment appel à la nation, de chercher à expliquer le Canada à tous les Canadiens, de donner un sentiment d'unité à nos collectivités dispersées».

Il ne fait aucun doute que les périodiques jouent un rôle unique pour favoriser l'alphabétisation au Canada et aider les Canadiens à voir le monde à travers des yeux de Canadiens.

J'ai apporté avec moi aujourd'hui un exemplaire de notre dernier numéro de Canadian Geographic. En plus de jeter un coup d'oeil sur le répertoire des membres dont j'ai parlé tout à l'heure, j'espère que vous prendrez un moment pour le parcourir. Je ne veux pas faire ici de publicité gratuite, je veux simplement souligner l'importance des magazines canadiens pour expliquer le Canada aux Canadiens.

Le Canadian Geographic a été fondé en 1930 par la Société géographique royale du Canada. Notre tirage payé atteint les 240 000 exemplaires. Notre périodique est le seul au Canada à compter un cartographe à temps plein parmi ses employés. Il y a quelques années, nous avons lancé, en collaboration avec M. Paré, un périodique de langue française.

Les recettes de publicité sont indispensables à la réussite du périodique. Cette publication contribue à soutenir toutes sortes d'activités, y compris des expéditions, la recherche scientifique et, en particulier, des programmes pédagogiques dans les écoles. Grâce à l'aide d'un publicitaire d'importance majeure et à la collaboration du Gouverneur général, M. Roméo LeBlanc, nous avons récemment distribué une nouvelle carte du Canada dans toutes les classes de 16 000 écoles au Canada. Ce n'est là qu'une des nombreuses façons dont nous contribuons, comme de nombreux autres périodiques canadiens, à aider les Canadiens à mieux comprendre leur pays.

Notre prochain numéro contiendra une carte détaillée du Nunavut, qui comprendra de tout, des zones de végétation aux communautés.

Nous croyons que c'est ce que vise l'actuel projet de loi, c'est-à-dire rejoindre les Canadiens au moyen de renseignements accessibles et susceptibles de les intéresser, en faisant appel à des textes, des illustrations et des schémas pour assurer un traitement hautement intelligible du sujet.

Nous nous opposons à la modification visant à limiter l'exonération de la TPS pour les Canadiens qui veulent lire des publications ayant plus de 5 p. 100 de contenu publicitaire. Cette modification ne tient pas compte du rôle important que joue cette vaste gamme de magazines pour rejoindre les Canadiens et les inciter à lire.

La semaine dernière, l'un des plus éminents observateurs canadiens de l'industrie culturelle, M. Rick Salutin, qui est chroniqueur au Globe and Mail et qui a comparu devant un comité de la Chambre des communes il y a deux semaines, déclarait ce qui suit au sujet des périodiques, et je suis d'accord avec lui. Il disait: «Je crois que les périodiques sont le moyen le plus important pour une société de discuter d'elle-même. Les journaux vont trop vite. Il faut les rédiger trop rapidement, on les lit à toute vitesse et aussitôt lus, aussitôt disparus. Les livres sont trop longs et leur publication tarde trop. Les périodiques laissent aux auteurs le temps voulu pour réfléchir et écrire sur un sujet avant qu'il ait cessé de susciter de l'intérêt. Les périodiques restent à la maison pendant une semaine ou même un mois (et plus longtemps encore, j'espère, dans notre cas) et les lecteurs peuvent s'y attarder. Les Canadiens le savent et je crois que c'est pour cette raison qu'ils aiment beaucoup les périodiques. S'ils en ont la chance, ils les lisent.»

Le président: Vous publiez un excellent périodique et j'invite les sénateurs qui ne sont pas abonnés au Canadian Geographic à le faire. C'est une excellente idée de cadeau. J'ai lu votre récent matériel publicitaire à ce sujet. Les éditoriaux que signe M. Paré chaque semaine méritent d'être lus. Il en dit plus en quelques mots que la plupart des journalistes.

Mme Jane Cooney, présidente sortante, Canadian Booksellers Association, propriétaire, Books for Business: Je suis heureuse de discuter du projet de loi S-10 avec vous et de parler, en particulier, de l'amendement proposé au projet de loi par le sénateur Maheu. Notre position est claire. Nous ne sommes pas en faveur de l'amendement relatif au 5 p. 100 de contenu publicitaire. Le projet de loi constituera une mesure plus forte et plus réfléchie sans cette disposition. Selon nous, la détaxation de tous les imprimés, comme l'ont expressément promis non seulement le gouvernement mais également le sénateur Maheu, serait de l'argent bien investi. En agissant autrement, le gouvernement tromperait la confiance des Canadiens, qui croient dans les promesses qu'il leur a faites à ce sujet.

Nos observations traiteront brièvement de quatre grands sujets. Premièrement, les périodiques et journaux occupent une partie importante des rayons des librairies; deuxièmement, les périodiques et journaux sont des outils d'alphabétisation importants, en particulier chez les jeunes et les Néo-Canadiens; troisièmement, l'amendement proposé serait préjudiciable à la culture canadienne et à la cohésion sociale; et quatrièmement, l'amendement proposé irait à l'encontre de la promesse qu'a clairement faite le gouvernement de détaxer les imprimés, y compris les périodiques et journaux.

La Canadian Booksellers Association représente plus de 1 300 librairies de toutes les régions du Canada, de St. John's à Victoria en passant par Yellowknife. Les librairies vendent des articles de lecture, y compris des magazines et des journaux, de tout le Canada et du monde entier. On peut trouver dans ma propre librairie, Books for Business, à Toronto, un large éventail de magazines et de journaux locaux, nationaux et internationaux. Ces magazines et journaux contiennent de l'information utile à nos clients, qui sont des professionnels, des enseignants de niveau secondaire, des professeurs d'université, des libraires, des agents de formation des ressources humaines, et cetera, pour s'acquitter de leurs fonctions, informer leurs étudiants et gérer leurs entreprises de façon plus productive.

Nous estimons que ces magazines et ces journaux sont une partie intégrante et importante de notre commerce et surtout un élément clé de notre mission, qui consiste à fournir à nos clients de l'information écrite à jour et du divertissement, sous une forme pratique et économique.

De plus, les libraires ont pu constater l'importance des magazines et des journaux dans le processus d'alphabétisation. Les clients qui entrent dans notre librairie pour acheter des magazines et des journaux finissent souvent par acheter des livres. Cela est particulièrement vrai des jeunes lecteurs, des Néo-Canadiens et des nouveaux lecteurs.

Pour beaucoup de ces gens, acheter un livre, c'est investir, tant de l'argent que des émotions. Les magazines et les journaux sont plus accessibles et ouvrent une porte sur le monde de l'imprimé. Nous ne nous fondons pas uniquement sur nos observations pour affirmer cela. Tous les travaux de recherche confirment l'importance des magazines et des journaux dans le processus d'alphabétisation et l'acquisition du goût de la lecture. Il ne reste qu'à souligner que les représentants des groupes d'alphabétisation comptent parmi les plus ardents opposants à l'élimination des magazines et des journaux du projet de loi.

Honorables sénateurs, écoutez-les; ce sont des experts en la matière.

Nous avons entendu aujourd'hui les représentants de la Canadian Magazine Publishers Association et de la Canadian University Press parler de l'importance culturelle des périodiques. Nous partageons leurs sentiments.

Finalement, on vous a rappelé aujourd'hui toutes les promesses du gouvernement sur la question, et les magazines et les périodiques ont toujours été inclus. Tout le monde, du caucus parlementaire libéral au congrès d'orientation libéral, jusqu'au sénateur Maheu et à la ministre actuelle du Patrimoine canadien de même que le premier ministre lui-même, a promis clairement et avec insistance que la taxe sur les livres, les magazines et les journaux serait ramenée à zéro dès que le budget serait équilibré et que des réductions d'impôt seraient possibles.

Les Canadiens s'en souviennent. Cette promesse n'est pas devenue caduque tout simplement parce qu'elle a été repoussée. Pratiquement tous les jours depuis le 1er janvier 1991, nous nous sommes plaints de l'application de la TPS aux livres, aux magazines et aux journaux que nous vendons. Chaque jour, des clients nous demandent si le gouvernement avait vraiment promis d'exempter les articles de lecture de la TPS. Dernièrement, nous répondons que oui, mais qu'il nous faut attendre de voir s'il tiendra sa promesse.

Mme Sheryl McKean, directrice générale, Canadian Booksellers Association: Je suis ici pour répondre aux questions et pour appuyer la position très bien défendue par Mme Cooney.

M. F.C. Larry Muller, président, Educational Resources Group, Canadian Publishers' Council: Lorsque j'ai reçu l'invitation du sénateur Di Nino, j'ai lu le hansard, ce que je n'avais jamais fait jusque-là. Ce fut une expérience révélatrice. J'ai été étonné de constater que tant d'éléments de preuve probants aient suscité si peu d'action en sept ans.

Je ne pouvais pas imaginer ce que je pourrais apporter de nouveau au débat. Cependant, j'ai réfléchi et j'ai pensé qu'un élément capital avait été laissé de côté dans toutes les discussions: nous ne reconnaissons pas la lecture pour ce qu'elle est réellement et nous la traitons comme si c'était quelque chose d'autre.

Dans la pièce d'Oscar Wilde, L'Éventail de Lady Windermere, -- qui, en passant, a connu un vif succès à Niagara-on-the-Lake cette année -- Lord Darlington définit un cynique comme étant «un homme qui connaît le prix de tout, mais la valeur de rien». Cette pièce de théâtre a été écrite en 1891. Cent ans plus tard, dans un livre intitulé: The Hungry Spirit, le grand commentateur, analyste et prophète des pratiques commerciales britannique Charles Handy déplorait la tragédie qui consiste à appliquer les paradigmes de l'économie à tous les secteurs de la vie en société, y compris aux hôpitaux, aux prisons, à l'aide sociale et à l'éducation.

Les intrants et les extrants, les coûts et les revenus sont devenus la mesure de toute chose. Je crois que ces écrivains dénonçaient la transformation en produits de tous les aspects de la vie en société. Mettez un prix sur tout -- animal, végétal, minéral et spirituel -- et vous n'avez plus à vous inquiéter de ce dont il s'agit ni de ce que cela signifie dans la vie des gens. Une fois un prix fixé, on peut déterminer la taxe.

Entre la pièce d'Oscar Wilde et le livre de Charles Handy, le monde a vécu des cataclysmes d'une horreur inimaginable. Des Canadiens ont versé leur sang, non seulement à la guerre, mais également dans le cadre de missions de maintien de la paix, pas pour de l'argent, mais pour les valeurs humaines que sont la décence, la dignité, la tolérance, la liberté politique, le respect des autres et la liberté d'expression. Quel prix attribueriez-vous à cela? Si nous pouvions mettre un prix sur ces valeurs, nous pourrions évidemment les taxer.

À mon humble avis, les articles de lecture ne sont pas un produit; ils ne sont pas taxables. Ils font partie de ce qui nourrit l'esprit humain et de ce qui donne un sens aux valeurs pour lesquelles nous vivons et nous mourons. Ces articles sont si puissants que les dictateurs les brûlent sur les places publiques, emprisonnent leurs auteurs et détruisent ceux qui les produisent.

Les livres, les journaux et les magazines sont ce qui forment le «marché des idées» de John Stuart Mill, le forum public et le lieu de débats qui rendent possible la vie démocratique et civilisée.

Vous avez entendu des histoires déchirantes sur les 45 p. 100 de Canadiens qui sont des illettrés fonctionnels. Si nous voulons épargner le même sort à une nouvelle génération, nous devons rompre le cycle. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour donner aux livres et aux magazines une présence réelle dans les foyers. Des millions d'enfants canadiens vivent sous le seul de la pauvreté. Il est presque certain que, si ces enfants ne sont pas initiés à la lecture, nous aurons encore 45 p. 100 d'adultes qui ne pourront pas jouer le rôle qui leur revient dans notre société et qui ne pourront pas tirer le maximum d'eux-mêmes.

Reconnaissons que la vraie lecture revêt différentes formes: ce peut être le cahier des bandes dessinées des journaux du samedi matin, des albums de bandes dessinées ou mieux encore, des magazines stimulants comme Owl; des catalogues de Noël avec leurs descriptions de ce que le Père Noël apportera; des instructions d'assemblage d'un jouet; d'anciennes séries passionnantes comme les Hardy Boys ou Nancy Drew ou encore de plus modernes comme les Animorphs; des magazines sur les automobiles et les vedettes du rock; et enfin, un article spécial ou une oeuvre littéraire qui illuminera la vie d'un enfant. Nous avons besoin d'un choix de lectures très large, sans contraintes et captivant pour lancer les enfants dans une aventure qui durera toute leur vie.

Les meilleurs lecteurs font les meilleurs étudiants. Tous les enseignants savent cela, mais les meilleurs lecteurs sont presque tous le produit de leur milieu familial, pas de leur milieu scolaire. Les maisons bien pourvues ont beaucoup de livres, de magazines et d'autres articles de lecture et un ou des parents qui font la lecture à leurs enfants. Les maisons mal loties n'ont pratiquement rien à lire et un ou des parents qui sont incapables de partager l'expérience de la lecture avec leurs enfants.

J'ai ici un livre intitulé: Everybody's Favourites: Canadians talk about books that changed their lives. Je voudrais vous lire une citation d'un seul des écrivains:

L'histoire était The Lion, the Witch and the Wardrobe, par C.S. Lewis. J'ai commencé à lire après l'école, à 4 heures, un mardi, et j'ai terminé le livre le lendemain matin. Je n'ai pas dormi de la nuit. Cependant, le beau paradoxe de ce livre et de toutes les histoires de Narnia, c'est que, en sacrifiant quelques heures de sommeil, j'ai été éveillé tout le reste de ma vie.

C'est l'héritage que je voudrais, comme vous tous, j'en suis convaincu, léguer à tous les enfants canadiens. Cet héritage, dépend, dans une très large mesure, de la volonté du gouvernement de tenir la promesse souvent réitérée d'abolir la taxe sur la lecture. Ne pourrions-nous pas une fois pour toutes clore un très triste chapitre de notre vie nationale et culturelle? Ne pourrions-nous pas enfin ramener à zéro le taux de la TPS sur les articles de lecture?

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais féliciter tout le monde pour leur travail et leur résumé de la situation. Monsieur Paré, vous avez affirmé que les magazines pouvaient favoriser l'identité canadienne. J'ai vu la revue L'actualité et j'ai remarqué que, dans ces magazines, on retrouve des articles de toutes tendances.

Ces magazines favorisent l'identité canadienne, mais je présume qu'à l'occasion, ils puissent favoriser autre chose. Est-ce que cela peut également favoriser l'unité canadienne? À tout cela, il y a un prix à payer, et le gouvernement pénalise au lieu de favoriser les publications. J'aimerais avoir votre point de vue.

M. Paré: L'intégrité du Canada ne signifie pas que tout le monde doive penser la même chose. Il y a les gens de gauche, les gens de droite, des gens plus traditionnalistes. Un pays, c'est aussi une immense discussion. Si nous n'avons ni magazines, ni journaux, si nous n'avons pas les livres qu'il faut pour mener ces discussions, je me demande si nous avons un pays. Je rentre d'un voyage d'affaires à San Diego et dans d'autres villes de la côte Ouest américaine. J'ai su que j'étais au Canada en montant dans l'avion quand j'ai vu des gens lire Report on Business, Canadian Business, Maclean's, Châtelaine, tous des magazines canadiens, alors que dans les avions américains, il n'y avait aucun magazine canadien. J'ai su que j'étais au Canada quand je suis entré à l'aéroport et que j'ai vu les magasins de journaux et de périodiques, où à peu près la moitié des titres visibles étaient canadiens et parlaient des choses de mon pays, de ma province, de ma ville, de mon village.

Certains de ces magazines parlent de politique, de culture. J'en ai acheté un qui parle d'agriculture. Ce magazine a 90 ans cette année et quand je l'ai acheté, il y a dix ans, il était au bord de la faillite. Je l'ai acheté pour deux raisons: parce que j'ai appris à lire en lisant des articles sur les vaches Jersey et sur les bêtes à patate. C'est la preuve qu'une bonne publication peut servir à toutes sortes d'usages. J'ai voulu l'acheter aussi parce que j'estime que les cultivateurs d'un pays ont besoin de se parler et d'apprendre les mêmes choses. Ils ont besoin de communiquer.

Pendant cinq ans, ce magazine n'a pas fait de profits et nous n'avons pu le sauver que parce qu'une grande maison d'édition a pu traverser le désert et, avec son «know how», le réorganiser. Aujourd'hui, c'est un magazine dispendieux car il s'adresse à peu de gens, qu'il est très spécialisé et coûteux à produire.

Parce que l'abonnement est dispendieux, la taxe sur ce magazine s'adressant aux fermiers est beaucoup plus élevée que la taxe sur un magazine d'intérêt général, moins dispendieux. Nous constatons que la TPS sur les magazines ne touche pas tous les citoyens de la même façon. Elle touche davantage les gens qui doivent acheter des magazines plus coûteux.

Oui, tous les magazines contribuent à l'identité de ce pays parce que tous les Canadiens ne sont pas d'accord avec les politiques canadiennes. Il y en a même qui préconisent des politiques destructrices du Canada mais au moins, ils parlent du Canada, et non des autres pays et des États-Unis.

[Traduction]

Le sénateur Poy: Je tiens à féliciter toutes les personnes présentes aujourd'hui pour leur exposé. Je crois personnellement à la liberté d'expression. Peu importe ce que les autres disent, nous échangeons des idées et je suis donc fermement convaincue qu'il ne devrait pas y avoir de taxe sur les articles de lecture. C'est ce que je tiens à dire aujourd'hui.

Le sénateur Di Nino: C'est une journée très intéressante. Pendant que vous parliez, je me demandais quelles questions intelligentes je pourrais poser après vos brillants exposés.

La semaine dernière, j'étais à Taiwan pour observer le processus démocratique, qui en est encore à ses premiers balbutiements dans ce pays. Je me suis vraiment rendu compte que j'étais revenu chez moi aujourd'hui, lorsque j'ai entendu M. Muller parler de la capacité d'être informés dans une société libre, ce qui se fait probablement davantage par les magazines et les journaux que par les livres. C'est particulièrement le cas dans un pays où la loi martiale était encore en vigueur en 1987. Vous avez vraiment fait valoir un argument qui n'avait peut-être pas été abordé au cours des longues discussions que nous avons eues sur le projet de loi S-10. Je vous en remercie.

J'aimerais, à l'intention de ceux qui reliront nos délibérations un jour, que vous vous étendiez davantage sur ce que veut dire la lecture dans une société, particulièrement dans une société libre, dans un monde démocratique.

M. Muller: Nous nous souvenons tous du rôle des samizdats en Union soviétique, de ces presses mécaniques installées dans des caves pour imprimer et diffuser les idées. L'Archipel du Goulag, comme d'autres ouvrages, a été diffusé en samizdat. Cependant, les périodiques qui peuvent faire connaître une idée maîtresse à beaucoup de gens constituent un instrument fondamental pour parvenir à la liberté, sensibiliser la population et susciter des débats informés.

C'est pourquoi, en tant qu'éditeur de livres, je suis très mal à l'aise lorsque nous faisons des distinctions entre les journaux, les magazines et les livres. Pour moi, tous s'inscrivent dans un continuum. J'ai fréquenté tous ces médias. J'ai trouvé à apprendre dans chacun et c'est à leur lecture que j'ai appris à penser. Je ne pourrais pas supporter qu'ils soient divisés.

Le sénateur Di Nino: À part la reliure, quelle est la différence entre un magazine et un livre?

M. Boychuk: Il faut longtemps pour écrire un livre. Il faut deux ans de recherche et d'écriture. Après cela, il y a toutes les étapes de la publication pour un lancement au printemps ou à l'automne. Les magazines peuvent se raccrocher au discours de l'heure beaucoup plus rapidement qu'un livre et peuvent également mettre à contribution des éléments visuels. Dans notre cas, et dans le cas de beaucoup de magazines, on intègre l'imagerie, la cartographie et le texte. Nous offrons aux lecteurs beaucoup d'angles sous lesquels aborder un sujet, nous leur permettons de le situer dans son contexte et, dans notre cas, dans sa région.

Les livres font beaucoup plus appel au texte que les magazines, qui ont une forte dimension visuelle. Il y a évidemment les beaux livres grand format, mais les divisions sont beaucoup plus nombreuses dans le monde de l'édition de livres que dans celui de l'édition de magazines. Si vous avez un beau livre, ce n'est pas nécessairement le texte qui vient vous chercher. Les romans comme les oeuvres non romanesques ne sont pas nécessairement publiés dans des livres.

Un des grands griefs que je fais aux livres, c'est qu'ils ne contiennent pas assez de cartes.

Mme Cooney: La convivialité des magazines et des journaux est très utile pour gagner de nouveaux lecteurs et encourager les Néo-Canadiens à se familiariser avec l'imprimé au Canada. Les magazines et les journaux parlent de sujets de l'heure, bien sûr, mais, à côté de cela, ils sont plus faciles à manipuler, il y en a davantage et ils sont moins chers, ce qui en fait des moyens plus faciles d'accéder à la lecture que les livres.

M. Paré: Je dirais qu'il n'y a pas de mur entre les livres et les magazines. Les magazines et les périodiques -- les médias en général -- seraient beaucoup plus pauvres sans les livres.

Un livre est un moyen d'expression très personnel. Tous mes journalistes ont écrit des livres. Ils le font pendant leurs fins de semaine, leurs vacances et la nuit. C'est un moyen d'expression personnel. Ils font cela parce qu'ils croient en ce qu'ils écrivent et qu'ils veulent s'exprimer. Lorsqu'ils écrivent pour le magazine, c'est différent, car là, ils communiquent. Ils écrivent en pensant au lecteur. Ils anticipent les questions avant même qu'elles soient posées et y répondent. Cependant, ils utilisent leurs livres et ceux des autres.

Si vous êtes un lecteur, vous savez qu'un auteur sera invité à la télévision ou à la radio et interviewé dans des magazines.

[Français]

Les livres sont souvent la source du matériel mais les médias sont chambre d'écho, ils sont la tribune de tous ces gens. J'ai traduit Marshall McLuhan, un grand savant canadien, et je sais exactement combien de ses livres ont été vendus. C'est très peu.

Tout le monde connaît Marshall McLuhan. Ses idées ont été très largement diffusées, utilisées et ont enrichi toute la classe intellectuelle et tous les médias et ceci, grâce aux médias, aux magazines, aux journaux et à la télévision.

Je trouve que les médias et les livres travaillent conjointement. C'est Marshall McLuhan qui faisait remarquer que la démocratie est la diffusion très générale du savoir et contemporain de l'imprimé. Cela a été inventé avec Gutenberg et risque de disparaître le jour où l'imprimerie disparaîtra.

[Traduction]

Le sénateur Cohen: Je suis très impressionnée. Vous m'avez donné matière à réflexion. Certains exposés étaient presque de la poésie.

Le Canada vient juste d'être rabroué à Genève en raison de son taux de pauvreté. J'ai relevé que, dans son article, M. Muller déclare: «Cette année, les pays d'Afrique orientale, le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe, des pays dévastés matériellement et financièrement, vont tous abolir les droits de douane et les taxes sur la valeur ajoutée sur les livres de sorte qu'il n'y aura plus d'obstacles placés par le gouvernement entre les enfants et la possibilité de lire.»

Comme vous dites, les Canadiens devraient vivre selon leurs valeurs. Nous ne devrions pas nous placer dans une position où le monde nous dira: «Voyez ce que vous avez fait aux pauvres. Voyez maintenant ce que vous faites à l'alphabétisation au Canada». Il me fallait dire cela.

M. Muller: La même chose est vraie en Amérique latine, où le taux de pauvreté atteint des proportions désespérantes. Aucun des pays d'Amérique latine ne taxe les articles de lecture.

M. Hunt: Cette année, l'Indonésie et la Russie ont aboli leur taxe sur la valeur ajoutée sur les articles de lecture. Ces pays ne connaissent pourtant pas le luxe des excédents budgétaires.

Le sénateur Cohen: Quitte à dire une évidence, je dirai que nous devons joindre l'acte à la parole.

Mme Hushion: L'Argentine a décidé de ne pas taxer la lecture. Il y a eu un grand débat sur la question dans ce pays, mais il est maintenant terminé.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Il me fait plaisir d'être ici et d'écouter vos propos. Je suis d'accord avec la loi présentée par le sénateur Di Nino. Dans la loi, nous disons qu'il y a trois amendements, et je resterai fidèle au troisième amendement proposé par le sénateur Maheu. Il s'agit d'enlever la taxe sur tout le matériel de lecture et de la laisser pour les magazines qui comptent plus de 5 p. 100 de publicité.

C'est un contrepoids pour le gouvernement afin qu'il ne perde pas complètement ce revenu. Vous parlez des livres, des magazines et des livres pour les enfants et, en maintenant le troisième amendement, je pense qu'il n'y aurait plus de problème. Afin de faire les choses graduellement, le troisième amendement pourrait lui aussi être amendé avec le temps.

Vous avez beaucoup parlé des problèmes de lecture. Depuis que je suis ici au Canada, et surtout au Québec, j'ai beaucoup travaillé avec des familles démunies et nous avions des problèmes pour acheter des livres pour les enfants, des magazines ou autre chose.

Pensez-vous que la taxe de 7 p. 100 sur les revues et les journaux priverait de façon significative les enfants de l'initiation à la lecture? Je veux absolument faire comprendre une chose. C'est une loi que les conservateurs ont adoptée sur le matériel de lecture. À l'époque, il n'y avait pas eu de reproches faits à l'endroit du gouvernement mais maintenant, nous nous retrouvons avec ce projet de loi. Je vous félicite de votre initiative, mais en tant que membre du Parlement, je pense qu'il faut le faire graduellement. Nous ne pouvons pas tout éliminer d'un seul coup.

Je crois que pour les livres, on ne paye pas la TPS. Il y aurait une taxe sur les magazines et les périodiques ayant plus de 5 p. 100 de publicité. Les périodiques renferment beaucoup de publicité, et vous ne pouvez pas éliminer la TPS.

Le président: Quelle était votre question?

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai ressenti beaucoup d'inquiétude au sujet de la nature des livres, en particulier les livres pour enfants. Je disais que je n'ai pas rencontré cette diminution de la lecture. Ma question s'adresse à M. Muller.

M. Muller: Je vais répondre en anglais parce que mon français est très limité. Je ne veux pas assassiner votre belle langue.

[Traduction]

Vous avez posé plusieurs questions. Dois-je tenter d'y répondre une par une? Vous avez parlé d'une abolition graduelle de la taxe, en conservant une taxe de 5 p. 100 sur les magazines. Je trouverais cela moralement blessant. Le gouvernement, le premier ministre, le ministre des Finances et tous les autres ont convenu que les articles de lecture devaient échapper à la taxe. Je ne vois aucune raison, ni morale ni logique, d'appuyer une mesure donnant à entendre que les articles de lecture comptant plus de 5 p. 100 de publicité entrent dans une catégorie inférieure et devraient être pénalisés. C'est grâce à la publicité que beaucoup de magazines de qualité peuvent exister. Sans publicité, ils n'auraient tout simplement jamais vu le jour ou n'auraient pas pu survivre.

Lorsque j'étais enfant, j'aimais lire les publicités. Je trouvais que lire toutes ces choses merveilleuses m'aidait à mieux lire. En vieillissant, on devient plus malin, mais il reste que la publicité fait partie de l'apprentissage de la lecture,

Une promesse a été faite. Si vous me permettez, je citerai le fameux Sam McGee, de Robert Service: «Une promesse faite est une dette non remboursée.» Le gouvernement a promis d'abolir la taxe. Je trouve inacceptable de dire qu'on l'abolira presque toute, qu'on l'abolira en partie ou qu'on en laissera une partie. C'est mon opinion personnelle.

Deuxièmement, est-ce que cela priverait les pauvres? Nous avons au Canada une gamme étonnante et merveilleuse d'articles de lecture. Avec 31 ans d'expérience dans le monde de l'édition, je peux dire que, pour chaque pourcentage ou deux d'augmentation des prix, on observe une diminution des ventes correspondante, ce qui signifie que les magazines atteignent moins de monde qu'ils le pourraient. Je ne vois rien de plus important au Canada que la multiplication dans toute la mesure du possible des merveilleuses expériences de lecture à la maison. Donc, si je pouvais réduire mes prix ne serait-ce que de cinq sous, je le ferais. Nous devrions oublier cette question de publicité et penser seulement à la nécessité absolue d'amener les enfants à la lecture. C'est ce que je crois personnellement.

Le président: Vous êtes saisis d'un amendement proposé par le sénateur Maheu et d'un sous-amendement proposé par le sénateur Di Nino. Sénateur Di Nino, voulez-vous prendre une minute pour expliquer le but de votre sous-amendement?

Le sénateur Di Nino: Tout d'abord, je remercie mes collègues, dont bon nombre ont appuyé le projet de loi publiquement et en privé. Je pense que les amendements visaient à retarder l'étude du projet de loi et, si le Sénat adoptait celui-ci, à entraîner son rejet à l'autre endroit. Le projet de loi créerait en effet des complications, la bibliothèque ayant expliqué certaines d'entre elles dans son mémoire.

L'amendement proposé par le troisième parti porte réellement atteinte à un aspect important et crucial du programme d'alphabétisation de notre pays. Lorsque j'ai soulevé la question de la différence entre un livre et un magazine, j'ai dit que les deux ont un objectif qui est sensiblement le même. Ils servent tous deux à éduquer, à informer et à divertir de diverses manières, mais c'est certainement là leur objectif.

C'est une insulte de vouloir réserver un traitement différent à un segment de cette importante composante du système démocratique, un segment qui vise à éduquer, à informer et à divertir nos concitoyens, aussi bien les enfants que ceux qui ont eu suffisamment de chance pour atteindre mon âge. C'est une insulte pour de nombreux Canadiens.

Cela revient à dire qu'on réserve un traitement de deuxième ordre aux 1 500 magazines, dont 270 appartiennent à la Canadian Magazine Publishers Association.

C'est une insulte pour ceux qui produisent, dans notre pays, des centaines de publications dans une troisième langue. Ils n'importent pas de publications de l'étranger, mais en publient de l'Atlantique jusqu'au Nord et au Pacifique. Beaucoup d'entre nous connaissons certains d'entre eux, et certains d'entre nous connaissons bon nombre d'entre eux. Souvent, ces personnes travaillent huit jours par semaine et 26 heures par jour pour essayer de présenter un message, d'éduquer ou d'informer à leur façon les membres de leur collectivité. Ils sont des centaines, voire des milliers, d'un océan à l'autre, et c'est une insulte de considérer leurs publications comme des publications de deuxième ordre.

Si vous me le permettez, je veux prendre un instant pour répondre au sénateur Ferretti Barth.

Le président: Nous n'avons pas beaucoup de temps. Il ne faut pas que vous fassiez d'obstruction à l'égard de votre sous-amendement. J'aimerais que vous expliquiez son but.

Le sénateur Di Nino: Nous croyons qu'il est inopportun de taxer tous les articles de lecture. Le gouvernement actuel et bon nombre de ses prédécesseurs se sont engagés à détaxer tous les articles de lecture et non pas seulement une partie d'entre eux. C'est tout.

Le président: Le sénateur Maheu avait proposé un amendement selon lequel tout article de lecture contenant plus de 5 p. 100 de publicité resterait assujetti à la TPS. Vous voulez retrancher cela de son amendement?

Le sénateur Di Nino: Absolument.

Le président: Chers collègues, vous être saisis de l'amendement proposé par le sénateur Maheu et du sous-amendement proposé par le sénateur Di Nino. Dois-je lire le sous-amendement ou puis-je en être dispensé? Tout le monde a une copie du sous-amendement du sénateur Di Nino?

[Français]

Le sénateur Gill: Est-ce l'ordre de renvoi que nous venons de recevoir de Paul Bélisle?

Le président: Oui. C'est un extrait de l'ordre de renvoi du Sénat. Vous connaissez l'histoire de toute cette affaire, sénateur Gill?

Le sénateur Gill: Oui, monsieur le président. Je commence à comprendre, non seulement la question actuelle, mais le jeu des comités, le jeu politique. Je dois apprendre, je suis un nouveau sénateur. Je dois saisir le plus rapidement possible la démarche des comités sénatoriaux. J'essaie aussi de comprendre les amendements qui sont apportés, les à-côté et les dessous politiques.

Le président: Sénateur, il y a déjà quelques mois, ce comité a renvoyé le projet de loi S-10 au Sénat sans amendement. En Chambre, le sénateur Maheu a proposé un amendement et le sénateur Di Nino a proposé un sous-amendement. Dans sa sagesse, le Sénat nous a renvoyé l'amendement et le sous-amendement. Il relève de nous aujourd'hui de voter d'abord sur le sous-amendement, et ensuite sur l'amendement du sénateur Maheu.

[Traduction]

Comme vous m'avez dispensé de la lecture, le vote portera sur le sous-amendement du sénateur Di Nino. Je vais demander à la greffière si tous les sénateurs qui prennent place à la table sont membres du comité. Oui. Je vais lire vos noms en ordre alphabétique et je vous inviterais à vous prononcer pour ou contre le sous-amendement du sénateur Di Nino, ou à vous abstenir. Sénateur Butts?

Le sénateur Butts: Contre.

Le président: Sénateur Cohen?

Le sénateur Cohen: Pour.

Le président: Le sénateur Cools est absente. Sénateur Ferretti Barth?

Le sénateur Ferretti Barth: Contre.

Le président: Sénateur Gill?

Le sénateur Gill: Contre.

Le président: Sénateur Johnstone?

Le sénateur Johnstone: Pour.

Le président: Sénateur LeBreton?

Le sénateur LeBreton: Pour.

Le président: Sénateur Di Nino?

Le sénateur Di Nino: Pour.

Le président: Sénateur Poy?

Le sénateur Poy: Pour.

Le président: Cinq pour et trois contre. Je déclare le sous-amendement adopté. Nous allons maintenant mettre aux voix l'amendement du sénateur Maheu, tel que modifié par le sénateur Di Nino. Sénateur Butts?

Le sénateur Butts: Contre.

Le président: Sénateur Cohen?

Le sénateur Cohen: Pour.

Le président: Sénateur Ferretti Barth?

Le sénateur Ferretti Barth: Contre.

Le président: Sénateur Gill?

Le sénateur Gill: Contre.

Le président: Sénateur Johnstone?

Le sénateur Johnstone: Pour.

Le président: Sénateur LeBreton?

Le sénateur LeBreton: Pour.

Le président: Sénateur Di Nino?

Le sénateur Di Nino: Pour.

Le président: Sénateur Poy?

Le sénateur Poy: Pour.

Le président: L'amendement modifié est adopté par cinq voix contre trois. Je vais informer le Sénat que le comité sénatorial a accepté l'amendement du sénateur Maheu et le sous-amendement du sénateur Di Nino. Je vous remercie, chers collègues. Nous nous rencontrerons demain, lorsque le Sénat s'ajournera, mais pas avant 15 h 30, au sujet de notre étude sur la cohésion sociale.

La séance est levée.


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