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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 22 - Témoignages du 9 décembre 1998


OTTAWA, le mercredi 9 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour étudier les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre témoin aujourd'hui est le professeur John F. Helliwell du département d'économie de l'Université de la Colombie-Britannique. Avant de commencer, je veux donner quelques notes biographiques au sujet du professeur Helliwell. Celui-ci a étudié à l'Université de la Colombie-Britannique et à Oxford, où il a été boursier de la fondation Rhodes, avant de revenir à l'Université de la Colombie-Britannique, qui est son port d'attache depuis 1967. Ses récents travaux de recherche ont porté sur la macro-économique comparative et la croissance, notamment l'influence de la transparence et des institutions. De 1991 à 1994, M. Helliwell a été professeur invité à la chaire d'études canadiennes Mackenzie King, à l'Université de Harvard. En 1995-1996, il était de retour à Harvard, à titre de boursier Fulbright. Il est attaché de recherche au National Bureau of Economic Research et officier de l'Ordre du Canada. Sa dernière publication est un ouvrage intitulé: How Much Do National Borders Matter? publié en août 1998.

Le professeur Helliwell a déposé un mémoire passablement complet et intéressant au comité. Il va faire un bref exposé, puis nous passerons aux questions et observations.

Professeur Helliwell, vous avez la parole.

M. John F. Helliwell, O.C., professeur, département d'économie, Université de la Colombie-Britannique: Merci, monsieur le président. C'est un plaisir d'être avec vous ici.

[Français]

C'est un grand plaisir d'être ici parmi vous et de présenter les données de nos recherches.

[Traduction]

Le mémoire est plutôt une étude très sélective des recherches faites dans un domaine auquel je m'intéresse et qui me semble important, ou que d'autres ont effectuées et qui ont trait aux questions sur lesquelles vous vous penchez. Mon premier point a trait à la recherche sur le capital social et aux liens entre celui-ci et la croissance économique. La définition particulière du capital social auquel je fais allusion a ses racines dans des documents auxquels je me suis intéressé et correspond à un ensemble de normes qui permettent aux sociétés, lorsqu'elles appliquent ces normes, de mieux fonctionner. D'une façon typique, le capital social correspond à la mesure dans laquelle les gens disent qu'ils font confiance aux autres en général, et à la mesure dans laquelle ils participent à toute une gamme d'institutions horizontales, le plus souvent, mais pas toujours, dans le secteur bénévole.

Certains des premiers travaux effectués dans ce secteur ont incité Robert Putnam à s'intéresser à cette question. Celui-ci a effectué une étude d'une durée de 20 ans en Italie. J'ai commencé à m'intéresser à ce dossier parce que j'ai eu connaissance du contenu du livre, sous forme d'exposés, avant que celui-ci ne soit publié.

M. Putnam a montré que les régions de l'Italie où le capital social était plus élevé, compte tenu des critères de mesure susmentionnés, avaient en fait des taux de satisfaction plus élevés à l'égard du gouvernement. Selon des études, la notion de meilleur gouvernement était liée à des critères tels que des réponses plus rapides et meilleures au téléphone. Ces régions avaient aussi des niveaux de vie économique beaucoup plus élevés. À l'époque, j'avais appris que certains éléments donnaient à penser que les niveaux de revenu des régions du sud de l'Italie convergeaient vers ceux du nord du pays. Par conséquent, je me suis demandé s'il était vrai que le capital social était bon pour la croissance. Pour le savoir, il était nécessaire de combiner les forces de la convergence que nous avons constatée partout dans le monde -- les pays pauvres rattrapant les pays riches -- et le fait que les mesures du capital social étaient beaucoup plus élevées dans le nord que dans le sud de l'Italie.

Nous avons découvert que si nous mettions tous les morceaux ensemble, il était possible d'établir que, toutes autres choses étant égales, les régions de l'Italie qui avaient des niveaux de capital social plus élevés connaissaient une croissance plus grande. En 1980, lorsque de nouveaux pouvoirs ont été dévolus aux gouvernements régionaux de l'Italie, les régions qui, selon ces mesures, avaient des niveaux de capital social plus élevés ont utilisé ces nouveaux pouvoirs à meilleur escient et ont connu une croissance plus grande. Évidemment, étant donné que ces régions étaient déjà les plus riches, l'écart entre les riches et les pauvres s'est élargi, puisque les régions jouissant d'un niveau de capital social plus élevé se sont retrouvées avec des pouvoirs qu'elles pouvaient utiliser mieux que ne le faisaient les régions ayant un capital social moins élevé. On suppose que la convergence redémarre une fois que ces nouveaux pouvoirs ont été assimilés.

Les tentatives faites pour effectuer des études comparables entre les provinces canadiennes, entre les États américains et entre les pays industrialisés n'ont pas permis d'établir des liens aussi étroits entre les critères de mesure du capital social et la croissance économique, même s'il demeure vrai que les régions ayant des niveaux de revenu plus élevés ont tendance à avoir des mesures plus élevées de capital social. Dans mon mémoire, je traite de façon assez détaillée des liens entre les institutions démocratiques, le capital social et la croissance. Je ne vais toutefois pas traiter de cette partie, afin que mon exposé demeure bref.

La partie suivante du mémoire traite de la scolarité. Nous avons découvert par le biais de recherches empiriques traitant expressément de données pour le Canada et les États-Unis, que le niveau de scolarité d'une personne est le facteur le plus déterminant de la confiance en autrui et de l'engagement dans des activités communautaires. Comme je le mentionne dans le mémoire, la notion voulant qu'un niveau d'instruction plus élevé soit une bonne chose à tous les niveaux a été contestée par des politicologues américains influents. Ceux-ci ont fait valoir que le niveau de scolarité est peut-être plutôt un outil de tri, et que ceux qui ont des niveaux d'instruction relativement élevés peuvent atteindre des postes de direction. Ceci signifierait que même si les niveaux moyens d'instruction sont plus élevés, il n'y a pas une hausse correspondante au niveau du capital social.

Je suis heureux de dire que les recherches que j'ai faites avec Putnam sur cette question -- nous utilisons de très grands échantillons de données provenant des États-Unis -- appuient la notion selon laquelle la plupart des mesures du niveau de participation augmentent en même temps que le niveau de scolarité d'une personne et de celui des autres membres de la société, pourvu que le niveau d'instruction relatif soit correctement défini. Ainsi, lorsque les niveaux généraux de scolarité augmentent, la confiance et la participation tendent toutes deux à augmenter.

Un nombre de plus en plus grand de documents traitent d'une autre question qui vous intéresse, à savoir les liens entre l'inégalité, l'insécurité, les mesures du rendement économique, le capital social et l'état de santé. Un lien a été constaté entre l'inégalité et la répartition du revenu et le niveau de croissance économique entre les pays. Jusqu'à maintenant, il existe beaucoup moins de données relativement à la situation entre les États et les provinces, bien que ces données puissent exister. Il y a lieu de croire que l'état de santé moyen est pire lorsque les inégalités de revenus sont plus marquées. Il semblerait aussi que le niveau de capital social soit encore une fois mesuré par la confiance et la participation, et que celui-ci soit plus bas lorsque les niveaux d'inégalité sont plus grands.

Je passe maintenant à diverses institutions gouvernementales importantes. Naturellement, celles qui assurent un accès efficace et équitable à des services d'éducation et de santé sont importantes. Il existe aussi un lien concret entre l'état de santé et les mesures de confiance et de participation pour augmenter les autres liens indirects.

Une partie de ce travail a trait à ce qui doit être fait pour assurer la transition d'une société non démocratique plus pauvre au genre de société que nous avons. Je constate qu'au moment de la transition en Europe de l'Est, le rôle crucial joué par les institutions centrales de la société civile dans le succès de cette transition n'a été bien compris. Un grand nombre ont cru que le fait de faire tomber le mur de Berlin, de se débarrasser du Parti communiste et de mettre en place des marchés libres serait suffisant pour assurer une transition saine. Comme vous le savez, les niveaux de revenu moyen par habitant dans les pays qui sont censés subir une transition ont chuté d'environ 50 p. 100, et il y a aussi eu des différences énormes entre ces pays. C'est une période très difficile.

Même si les niveaux d'instruction étaient vraiment très élevés dans tous ces pays, on a prédit une transition très rapide en fonction des critères conventionnels. Celle-ci ne s'est pas produite, parce que le capital social auquel vous et moi faisons allusion n'existait tout simplement pas.

Quels éléments clés du capital social faisaient défaut? Premièrement la confiance. Les niveaux de confiance étaient très faibles. La primauté du droit, qui est souvent un substitut pour la confiance et parfois un complément à celle-ci, était absente. Il n'y avait aucune structure pour l'administration de la justice.

En l'absence de ces institutions légalistes, si le niveau de confiance était suffisamment élevé, le vide institutionnel suscitait des efforts communs qui n'ont pas toujours été aux dépens du voisin au cours de la période où les institutions étaient établies en collaboration. Sans cette confiance, sans ce sens d'un but commun, sans suffisamment de valeurs communes, le vide était comblé par ce qu'on pourrait appeler la racaille. L'industrie la plus prospère de la Russie s'est trouvée à être la mafia plutôt que tout autre secteur dans lequel nous croyions qu'elle avait un avantage comparatif. L'expérience post-transition dans les anciens pays du Rideau de fer a confirmé aux personnes qui le savaient en principe que les institutions et des mesures plus douces d'efficacité d'une société civile sont beaucoup plus importantes qu'aucun d'entre nous n'aurait pu le croire. La leçon a été pénible et il faudrait en tenir compte.

Enfin, je vais dire un mot sur la mondialisation et sur la question de savoir si elle gêne les politiques nationales qui visent à atteindre des niveaux supérieurs de capital social, de cohésion, de redistribution, d'égalité et une variété de mécanismes dont j'ai déjà parlé ou, pour être très pratique, des systèmes de soins de santé et des mesures de protection sociale qui appuient un sens de la cohésion sociale et qui en dépendent.

La compétition internationale et l'économie mondiale ont servi en général à dire que la compétitivité exige que nos systèmes soient aussi bon marché, en ce sens que nos taux d'imposition doivent être aussi bas, que ceux des pays avec lesquels nous entretenons de sérieuses relations commerciales. Le gros de la recherche que nous avons menée sur l'incidence des frontières nationales indique exactement le contraire. Il montre que la structure des économies nationales est au moins dix fois plus serrée que la structure transfrontalière. Cela signifie qu'il y a en gros dix fois plus de possibilités d'avoir des politiques nationales indépendantes que la plupart des personnes, des dirigeants politiques ou que qui que ce soit d'autre ne le croyaient il y a seulement deux ou trois ans.

Cela ne veut pas dire que les gouvernements peuvent faire des choses qui ne sont pas dans l'intérêt supérieur de leurs électeurs ou les mal faire, mais qu'ils peuvent beaucoup plus faire des choses que veulent leurs électeurs et cela, sans avoir l'impression qu'ils doivent copier ce qui se fait dans d'autres pays.

Je cite des données concernant les mesures de protection sociale, par exemple, au Canada et aux États-Unis, qui montrent qu'elles sont extraordinairement différentes les unes des autres. Une étude menée au milieu des années 80 montre que si les règles canadiennes avaient été appliquées aux États-Unis, elles auraient réduit de plus de la moitié la pauvreté. En outre, les règles canadiennes auraient considérablement haussé le coût des mesures de protection sociale aux États-Unis. Les mesures de protection sociale traditionnelles, y compris l'assistance sociale, coûtaient quelque 1,7 p. 100 du PIB aux États-Unis au milieu des années 80. Au Canada, elles représentaient 4,7 p. 100 du PIB, je crois.

Toutefois, bien que le système canadien de soins de santé soit considéré, du moins par les Canadiens, et à juste titre, je crois, comme meilleur que le système américain et bien que le système canadien couvre toute la population plutôt que seulement 85 p. 100 de celle-ci, le système américain coûte approximativement de 3 à 4 p. 100 du PIB de plus que le système canadien. Le coût combiné des mesures de protection sociale et du système de soins de santé, que je considère aussi comme un programme de protection sociale, représente le même pourcentage du PIB au Canada et aux États-Unis, même si les deux aspects du système canadien sont plus vastes et offrent une meilleure couverture et une bien plus forte réduction de la pauvreté qu'aux États-Unis.

Personne ne voudrait peut-être voter contre ce système tel que je le décris, car ce qu'il coûte en pourcentage du PIB n'est pas plus cher que le système américain, mais il ne fait aucun doute que d'autres mesures coûtent plus cher au Canada qu'aux États-Unis. Ce que je veux faire valoir, c'est que tant que les électeurs et les contribuables veulent les appuyer et obtiennent ce qu'ils considèrent comme collectivement une bonne valeur pour leur argent, il est inutile de regarder ce qui se fait chez les voisins.

Plus, je ferai remarquer en terminant qu'un débat sur le lien entre les impôts et l'exode des cerveaux, qui est une façon d'insister sur le fait qu'il est difficile au Canada de faire les choses autrement qu'aux États-Unis, est beaucoup plus de pure forme que réel. Je rapporte que le nombre de Canadiens d'origine vivant aux États-Unis est à la baisse depuis 15 ans et qu'il continue de chuter d'une année à l'autre, de telle sorte que le nombre de personnes qui quittent aujourd'hui le Canada pour les États-Unis n'est pas aussi important que celui des Canadiens d'origine qui meurent aux États-Unis.

[Français]

Le sénateur Robichaud: J'aurais aimé avoir plus de temps pour étudier votre présentation. Je ne fais que remplacer un membre régulier de ce comité, mais je dois dire que votre présentation contient énormément d'information qui prendrait du temps à assimiler. Vous parlez de la mondialisation.

[Traduction]

Vous parlez de mondialisation. Vous dites qu'elle donne plus de latitude aux gouvernements. Auriez-vous l'obligeance d'expliquer cela un peu?

[Français]

M. Helliwell: Mondialisation est le terme en français, mais j'ai une expression en anglais.

[Traduction]

La mondialisation est plus de la blague qu'un fait. Ce n'est pas la mondialisation qui facilite la politique, mais son absence. Les économies nationales ont une intégrité et une structure qui sont maintes fois plus serrées que les liens internationaux entre les pays.

La plupart des gens croient que ce n'est pas vrai. Par exemple, des études montrent que la plupart des gens croient que les liens commerciaux entre les provinces canadiennes et les États américains sont encore plus serrés que les liens existant entre les provinces canadiennes elles-mêmes. Les statistiques montrent le contraire; même après le fort accroissement des échanges qui a suivi la signature de l'ALE, les provinces canadiennes font 12 fois plus de commerce entre elles qu'elles n'en font avec des États américains de taille et d'éloignement similaires.

D'autres pays présentent des structures nationales aussi serrées. Par conséquent, c'est l'absence de mondialisation qui donnent aux pays une plus grande latitude pour choisir leur propre politique et agir de façon plus indépendante qu'on ne le croit, car les gens croient que les liens internationaux sont plus serrés qu'ils ne le sont en fait.

[Français]

Le sénateur Robichaud: La mondialisation n'est-elle pas la cause de la situation alarmante que nous connaissons dans l'agriculture actuellement, à cause de la crise asiatique? Cela ne facilite pas le rôle du gouvernement dans une telle situation. Vous semblez dire que cette mondialisation n'existe pas. Je m'y perds un peu.

M. Helliwell: Il y a sans doute une augmentation très forte des liens globaux et internationaux. Même si l'État actuel est un état dans lequel la nation reste assez distincte, il existe des liens.

[Traduction]

Il y a aussi un différend dans la documentation sur la mesure dans laquelle l'inégalité croissante entre les individus est due à l'accroissement du commence international. Une autre théorie veut qu'elle soit imputable au progrès technique qui favorise les personnes instruites plus que les autres. Ce débat n'est pas près de finir. La plupart des gens croient que l'inégalité peut être en partie due au commerce international, mais pas en très grande partie.

Oui, il se peut que l'accroissement du commerce et des liens internationaux ait exacerbé les disparités de revenu dans les pays riches. Le problème, toutefois, c'est que l'écart entre les revenus s'est élargi même dans les pays pauvres. Il n'est donc pas facile de dire que c'est seulement parce que les emplois à moyen et à faible revenu ont été enlevés et envoyés dans les autres pays puisque, en un sens, ils n'y sont pas arrivés.

Je devrais vous dire un mot à propos de la crise asiatique et de la présente crise mondiale, dont il a été beaucoup question à la réunion de l'ONU à laquelle j'ai participé hier. Comment se fait-il que la recherche dont je vous ai parlé et qui montre que les économies nationales sont très indépendantes reflète ce qui semble être une situation de presque contagion de type «réaction en chaîne»? Je dirais, je suppose, que le degré de contagion et la mesure dans laquelle les problèmes bancaires de la Thaïlande sont devenus les problèmes bancaires de la Corée, de la Malaisie et de la Russie, et partant du Brésil, ne dépendent tout simplement pas des liens économiques. Les liens économiques réels de commerce et de mobilité des capitaux entre ces pays dans certaines de ces régions sont pour ainsi dire nuls. Toutefois, la combinaison d'une fragilité financière et d'un manque d'institutions dans deux ou trois pays a mené à une grave crise bancaire qui, à son tour, a amené des pays qui avaient été touchés ou non à demander si des problèmes similaires pouvaient exister ailleurs.

L'écart entre les risques que courent les pays forts et les risques que courent les autres pays s'est rétréci au point où il était minime. Tout ce qu'il a fallu, c'est un pays aux prises avec un problème grave et tous ceux qui avaient accordé des prêts aux pays en développement ont immédiatement commencé à hausser leur prime en fonction du risque, ce qui incité des gens à retirer les fonds investis dans un certain nombre de pays et d'autres à réclamer le remboursement de certains prêts. Si vos actifs à long terme sont financés au moyen de dettes à court terme dont le remboursement est exigé, vous êtes en difficulté. Le problème s'est propagé, mais pas en raison des véritables liens économiques. On peut dire, en partie, que les idées ont fait leur chemin et que la perception des risques associés aux prêts consentis aux pays en développement a changé et que tout cela a eu un effet d'enchaînement.

Le sénateur Johnstone: Monsieur Helliwell, je voudrais, moi aussi, vous souhaiter la bienvenue aujourd'hui. J'ai lu votre étude intitulée: Combining Social Cohesion and Sustainable Growth avec énormément d'intérêt et j'en ai souligné quelques extraits.

J'ai retenu entre autres que vous semblez croire qu'il existe une corrélation entre l'éducation supérieure et le succès dans le monde des affaires. Je voudrais aborder cette question pour signaler qu'il peut y avoir des exceptions. Je pense à Ross Perot, aux États-Unis, dont les enseignants pensaient qu'il était si bête qu'il ne réussirait jamais dans sa vie. Il ne sera probablement jamais président, mais il a certainement excellé dans le monde des affaires. William Gladstone était si nul en arithmétique que son enseignant n'attendait rien de bon de lui et pourtant il fut l'un des premiers ministres de la Grande-Bretagne dont nous nous souvenons encore aujourd'hui.

Je remarque que vous avez été chercheur universitaire au Nuffield College. Nous avons donc quelque chose en commun, puisque j'ai moi-même été chercheur à cet établissement en 1955. Lord Nuffield vivait encore à l'époque. J'ai eu le bonheur de dîner avec lui un soir. J'ai donc pu discuter avec lui pendant deux heures et demie. Il s'est présenté comme «un simple fils d'agriculteur dans le fond», même si, déjà, il avait fait des dons totalisant 80 millions de dollars canadiens. Il a vécu encore quelques années après cette rencontre et a continué, avec lady Elizabeth, à faire des dons.

Son père était un ouvrier agricole. Lord Nuffield s'est lancé dans les affaires pour une raison et une raison seulement: il avait demandé à son patron un salaire de cinq shillings par semaine et sa demande avait été rejetée. À l'âge de 14 ans, il avait déjà son propre commerce, comme vous le savez; il transformait des vélos en motocyclettes, en MG. Au moment où je l'ai rencontré, il était propriétaire et président de la troisième plus grande compagnie automobile au monde à l'époque, la British Motor Corporation.

Je voulais simplement vous demander si vous croyez qu'il peut y avoir des exceptions et si nous ne devrions pas tenir compte des gens qui ont des compétences spéciales, mais qui peuvent nous sembler bêtes.

M. Helliwell: Je n'ai pas connu lord Nuffield, même si j'ai été placier à ses funérailles.

Il serait très regrettable de confondre l'éducation et l'instruction formelle. Les plus grandes leçons que nous pouvons apprendre nous viennent de notre expérience de la vie, de nos relations avec les autres et des livres que nous lisons. En fait, les discussions sur le capital social et des questions du genre que vous tenez prouvent clairement que les valeurs qui nous sont inculquées dans nos familles et dans nos collectivités et les connaissances acquises en milieu de travail correspondent aux modes d'éducation les plus importants.

Si l'instruction scolaire fonctionne bien, elle nous apprend à apprendre. Elle ne nous donne pas toutes les connaissances nécessaires pour mener une bonne vie, diriger une entreprise prospère, ainsi de suite. Elle nous aide à faire un bout de chemin. Une bonne école ne remplace pas une bonne famille, pour nous éduquer et nous permettre de développer notre capacité à apprendre.

Les plus chanceux d'entre nous viennent de bonnes familles, vivent au sein d'une bonne collectivité et fréquentent de bonnes écoles. L'amélioration de ces trois conditions profiterait à tous. Les gens qui ont des compétences de base suffisantes et un peu de chance à ces trois niveaux réussiront bien. Même si, lorsqu'on veut mesurer l'éducation, on parle du nombre d'années de scolarité, ainsi de suite, parce que c'est tout ce qui est possible de mesurer, il serait erroné de croire que c'est la chose la plus importante ou encore que c'est la seule chose importante.

Le sénateur Johnstone: Je vous remercie pour ces précisions. J'aimerais pouvoir rester et vous poser d'autres questions, mais je suis persuadé que les autres sénateurs le feront. Je dois assister à la séance d'un autre comité qui sera, j'en suis sûr, beaucoup moins intéressante que celle-ci.

Le sénateur Butts: Je voudrais poser une ou deux questions pour mettre certaines choses au point. Je suis très surprise par les statistiques qui montrent que l'immigration de sortie vers les États-Unis a diminué, parce que nous entendons tellement parler de l'exode de nos grands cerveaux. Je me demande si vous avez une ventilation des gens qui vont s'établir aux États-Unis. S'agit-il de professionnels, de gens qui ont fait des études supérieures? Y a-t-il eu augmentation dans le groupe des scientifiques et des médecins? Avez-vous des statistiques par catégorie de travailleurs?

M. Helliwell: Je peux vous fournir quelques renseignements à ce sujet. Selon Statistique Canada, les principaux groupes professionnels chez qui on a observé récemment une hausse de la migration de sortie sont les médecins et les infirmières. Comme vous pouvez l'imaginer, les membres de ces professions ont leurs propres raisons pour partir, qui ont trait aux politiques adoptées. Naturellement, personne ne prétend qu'il y a pénurie de médecins au Canada. Les demandes d'admission aux écoles de médecine sont plus nombreuses que jamais et les candidats aux postes de résidents dans les hôpitaux sont également plus nombreux que jamais.

La migration récente des infirmières s'explique en grande partie par les compressions budgétaires imposées dans deux provinces, qui ont laissé de nombreuses infirmières sans emploi. Dieu merci pour ces infirmières et pour les patients du monde entier, elles ont pu se trouver du travail aux États-Unis. Dans un monde meilleur, aucun membre de ces deux groupes professionnels n'aurait eu à quitter le pays, mais vous pouvez comprendre pourquoi certains ont dû partir.

Pendant longtemps, il y a eu des programmes compliqués d'échanges chez les enseignants et les étudiants en médecine entre nos deux pays, ce qui explique que de nombreux professionnels de la santé font, dans une certaine mesure, carrière dans les deux pays. En général, ceux qui préfèrent un certain genre de pratique peuvent avoir plus tendance à opter pour un pays que pour l'autre. À long terme, il est peu probable que l'offre pose un problème permanent, bien qu'on puisse avoir du mal à court terme à réembaucher les infirmières qui ont quitté le pays et à les recycler lorsque la situation financière s'améliorera. Toutefois, il est préférable qu'elles occupent un poste intéressant et rémunéré aux États-Unis plutôt que de demeurer au chômage au Canada.

Pour ce qui est des autres groupes professionnels visés, on a entendu parler des informaticiens. Selon Statistique Canada, il a un plus grand nombre de travailleurs de formation scientifique et de gestionnaires qui viennent s'établir au Canada qu'il n'y en a qui quittent le pays, bien que, comme dans bien d'autres catégories professionnelles, il y a un plus grand nombre net d'immigrants qui viennent de l'étranger pour s'établir au Canada qu'il y a de Canadiens qui vont travailler aux États-Unis. Nous observons cette tendance depuis un siècle et même plus, et je ne vois rien d'inhabituel à ce niveau pour le moment. Même pour les catégories de travailleurs hautement spécialisés, les données de Statistique Canada semblent indiquer un gain net pour le Canada.

Les gens qui immigrent aux États-Unis sont plus instruits que la moyenne. Naturellement, nous savons, en général, que plus leur niveau d'instruction est élevé, plus les gens ont tendance à immigrer. Cette observation s'applique tant à la migration interprovinciale qu'à la migration entre le Canada et les États-Unis. Il n'y a donc rien de surprenant là-dedans.

Nous effectuons une enquête auprès de tous les diplômés de l'Université de la Colombie-Britannique, selon leur discipline et leur grade, pour déterminer où ils vivent actuellement. Lorsque nous l'aurons terminée, il nous sera probablement possible de vous donner des précisions à ce sujet, du moins pour les diplômés d'une université.

Le sénateur Butts: J'ai lu que la migration de sortie des médecins spécialisés s'explique par le fait que les États-Unis se sont concentrés pendant longtemps sur la formation d'omnipraticiens, tandis que nous faisions le contraire. Maintenant que la tendance a été renversée, les Américains formeront assez de spécialistes pour ne pas avoir à recruter les nôtres.

M. Helliwell: Je pense que c'est l'inverse qui arrive. Je pense que les Américains n'ont pas produit suffisamment d'omnipraticiens et que la demande à cet égard est maintenant plus importante là-bas. Je pense que ce sont des omnipraticiens canadiens qui déménagent, mais je peux me tromper.

Le sénateur Butts: Évidemment, il y a là-bas beaucoup plus de fonds pour la recherche médicale parce que le financement vient des sociétés, pas du gouvernement. Comme la plupart de ces sociétés n'ont pas leur siège social chez nous, nous ne pouvons obtenir le même financement.

M. Helliwell: C'est certainement un constat que nous faisons par rapport au personnel médical associé aux universités. C'est indiscutable. Il est vrai que, dans les universités, il y a généralement plus de fonds qui sont consacrés à la recherche là-bas, qu'ils viennent des gouvernements ou de l'industrie, mais particulièrement de cette dernière. Il y a davantage de fonds de dotation là-bas. Pour les chercheurs, cela a constitué un atout supplémentaire.

Le sénateur Butts: Votre conclusion m'a aussi vivement intéressée. Vous dites que votre principal message ne concerne pas simplement la portée des politiques nationales, mais leur nécessité. Je me demande ce que vous incluriez dans les politiques nationales qui concernent les institutions dont vous parlez. Par exemple, il est question des rencontres des provinces et de ce qu'elles se plaisent à appeler l'union sociale. Je ne sais pas combien de politiques nationales pourraient ressortir d'un plan comme celui-là, étant donné que les provinces auront la possibilité de se retirer. Si quelqu'un décide de se retirer, s'agira-t-il quand même d'une politique nationale?

M. Helliwell: Je suis de ceux qui pensent qu'il y a une différence entre une politique nationale et une politique du gouvernement fédéral. Je crois que, dans un sens, ce qui importe pour les citoyens, ce sont les liens entre les systèmes en place. On dit souvent, au sujet des soins de santé, que c'est un niveau raisonnable de transférabilité, d'universalité et de comparabilité des normes qui caractérise le système national, ce qui laisse beaucoup de place pour les différences entre les provinces. On peut faire valoir la même chose à l'égard des autres systèmes.

Les soins de santé sont particulièrement importants parce que tous les sondages révèlent que les Canadiens les considèrent comme la caractéristique la plus importante de leur pays. C'est peut-être parce qu'ils essaient trop de définir le Canada en fonction de ses différences par rapport aux États-Unis. Le système de soins de santé du Canada ressemble à celui de nombreux pays industrialisés, mais il est devenu une sorte de symbole pour les Canadiens. Le menacer, c'est porter atteinte à l'idée que les gens se font de leur citoyenneté.

Le sénateur Butts: Évidemment, un autre facteur à prendre en considération, c'est le fait que les provinces démunies ne pourraient, seules, se permettre un tel système. Elles préfèrent l'obtenir d'Ottawa plutôt que de s'en priver.

M. Helliwell: Je fais un peu l'éloge de cela dans ce document, et j'en ai rédigé beaucoup d'autres qui traitent du système canadien de redistribution entre les provinces. L'efficience, la portée et l'efficacité des paiements de péréquation canadiens sont inégalées ailleurs dans le monde. Il faudrait louer cela comme une importante institution nationale du Canada. À mon avis, cela permet de faire abstraction des considérations régionales pour tous les autres programmes de dépenses. Ceux-ci peuvent être exécutés en fonction d'autres facteurs, si l'on a mis en place un bon système de redistribution intergouvernementale.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Professeur, vous avez parlé de l'Italie. Dans le nord de l'Italie, avec le «Social Capital Economy», nous sommes arrivés à avoir un meilleur gouvernement. Je suis originaire de l'Italie et je peux vous dire que le gouvernement italien est très fragile. C'est un peu le caractère des gens de la Méditerranée. Les Italiens vivent bien. Ils jouissent d'un standing de vie exceptionnel. Je n'ai pas eu l'occasion de m'apercevoir qu'il y avait en Italie une cohésion sociale. Vous dites que le nord et le sud sont complètement divisés. Même si au nord, nous connaissons le progrès économique et commercial, le sud reste encore démuni, malgré les efforts déployés pour faire en sorte que les gens s'instruisent et se retrouvent au même niveau que les gens du nord. C'est très difficile. C'est aussi une question de culture.

En ce qui concerne le Canada, certains des témoins que nous avons entendus comparaient toujours le Canada à d'autres pays. Pour le moment, c'est notre problème à nous. Vous avez dit qu'il y a un manque de cohésion sociale aujourd'hui à cause de plusieurs facteurs majeurs. Je parle du Canada avec toutes ses provinces, avec la diversité des peuples que nous avons. Selon vous, quelles sont ces causes majeures qui empêcheraient une cohésion sociale au Canada?

M. Helliwell: Il est difficile d'identifier exactement quels sont les risques les plus grands. Il y a des risques dans le futur.

Le sénateur Ferretti Barth: Vous pouvez parler anglais. Je comprends bien l'anglais, mais je ne m'exprime pas très bien dans cette langue.

[Traduction]

Dans les secteurs de la santé et de l'éducation, les risques résident peut-être plus dans l'avenir que dans le passé. Des chercheurs ont étudié le sentiment d'appartenance à une collectivité de concitoyens, leur degré de confiance mutuelle et la confiance qu'ils ont en leurs gouvernements. La confiance que les citoyens ont dans leurs gouvernements a chuté considérablement, mais elle a baissé beaucoup moins au Canada que dans d'autres pays.

On s'inquiète de l'avenir, même si, au Canada, il n'y a pas de preuves aussi flagrantes qu'aux États-Unis d'une baisse importante du capital social. Comparativement à l'Italie, où il y a eu une certaine convergence des niveaux de vie entre le Nord et le Sud, la convergence au Canada date de plus longtemps et est plus continue. Le Canada n'est pas un pays qui a échoué et qui veut repartir à neuf. C'est un pays où, selon ces mesures, il existe une certaine fragilité, pour reprendre votre expression, mais où il ne règne pas un désordre complet.

Les gens s'inquiètent de l'augmentation du nombre de familles éclatées. Pourquoi? Parce qu'un certain nombre de mesures du capital social donnent à penser que le divorce est terrible pour les personnes et les enfants en cause, aussi bien pour la première génération que pour la deuxième. C'est une des tendances qui est en hausse plutôt qu'à la baisse. Si quelque chose de préjudiciable est en hausse, alors on s'en inquiète.

Certaines indications d'une inégalité croissante masquent deux choses. Un changement très positif vient de ce que la pauvreté parmi les personnes âgées est quatre fois moins répandue qu'il y a 30 ans. Ce problème était énorme, et il est maintenant très petit. Cependant, la pauvreté chez les jeunes et les familles monoparentales s'est accrue. Même si leur groupe n'augmente pas, les jeunes sont très touchés par la pauvreté. Le nombre de familles monoparentales est à la hausse, et la pauvreté ainsi que les faibles niveaux de capital social sont importants.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous savez qu'il y a beaucoup de disparités dans notre communauté, dans notre société. Le gouvernement fait des efforts pour éliminer les disparités. Vous avez vu l'équité salariale. Il y a aussi les réformes des lois comme la Loi sur le divorce et l'accessibilité aux visites des enfants. Il y a beaucoup de choses que le gouvernement fait pour que notre société se retrouve sur un pied d'égalité. J'ai peur. Sera-t-il possible de vivre tous sur la même ligne horizontale? Il n'y aura plus de gens non instruits, ils seront tous éduqués. Cela me fait un peu peur. Cette cohésion sociale me fait un peu peur. Je préfère un peu de diversité pour voir du mouvement, de l'excitation, de la motivation de faire quelque chose. Même les groupes bénévoles ont fait des choses remarquables. Dans le futur, allons-nous encore voir des choses remarquables?

[Traduction]

Les disparités ne sont pas sur le point de disparaître. L'égalité n'est pas sur le point d'arriver. Lorsque mes étudiants se plaignent trop de leur sort ou du sort des pauvres au Canada, je leur explique la situation dans d'autres pays.

L'égalité à l'échelle mondiale n'est pas chose faite, même par rapport à un niveau de vie fondamental et à des conditions d'existence dans un milieu soutenable du point de vue environnemental et social. Nous devons accepter cela comme un énorme défi. Quant au risque que l'existence devienne terne si tous les défis sont atteints, je vais attendre qu'il soit plus imminent avant de commencer à m'en inquiéter.

Le sénateur Poy: Professeur Helliwell, vous avez dit que le capital social est une combinaison du degré de confiance que les gens ont entre eux ainsi que par rapport au gouvernement et du degré de participation du secteur bénévole. Il est facile d'évaluer la participation de ce secteur. Il est également facile d'évaluer la confiance entre la population et le gouvernement. Comment mesurez-vous la confiance des gens entre eux?

M. Helliwell: Comme c'est souvent le cas, on s'appuie notamment sur ses prédécesseurs pour établir des comparaisons. Depuis 50 ans, il y a une question classique que l'on pose à des gens de partout dans le monde, dans le cadre de différents sondages. Cette question est la suivante: En général, croyez-vous que l'on peut faire confiance aux gens ou que l'on n'est jamais trop prudent? Il s'avère que les hommes répondent positivement à cette double question plus souvent que les femmes. Cependant, si l'on écarte la question complémentaire et que l'on demande simplement si, d'une manière générale, on peut faire confiance aux gens, les femmes répondent plus positivement que les hommes, ce qui signifie, bien entendu, que les femmes sont plus prudentes que les hommes.

Voici donc où je veux en venir: La question que l'on pose et ceux à qui on la pose importent, mais les réponses sont assez comparables d'un pays à l'autre et dans le temps. Les gens posent toutes sortes de questions différentes pour voir quels résultats ils obtiennent et pour savoir ce qui explique les différences entre les hommes et les femmes et d'autres sortes de distinctions.

Selon les régions et les pays, le niveau de confiance varie beaucoup. En Union soviétique, la confiance est faible. Elle est élevée en Chine et dans les pays nordiques. Au Canada, elle est assez grande.

Le sénateur Poy: Pourquoi croyez-vous que la confiance est aussi élevée en Chine?

M. Helliwell: Je n'en sais rien.

Le sénateur Poy: Qui a-t-on interrogé?

M. Helliwell: Je devrais être plus au courant que je ne le suis. Je ne connais pas les détails de ce sondage particulier.

Le sénateur Poy: Si le niveau de confiance à son endroit est faible, comment le gouvernement peut-il l'accroître? Que peut faire le gouvernement canadien pour l'augmenter?

M. Helliwell: Ce qui intéresse surtout le gouvernement, à titre d'institution, c'est à quel point on l'estime digne de confiance. Il y a eu une chute du degré de confiance envers le gouvernement, et cette chute est supérieure à celle constatée par rapport au niveau de confiance générale des gens.

Par conséquent, du point de vue du gouvernement, la première chose à faire, c'est de veiller, autant que possible, à tenir ses promesses. Il y a toute une gamme de problèmes qui ont trait à l'honnêteté et à la franchise, des problèmes qui sont directement liés à la confiance que les gens ont dans leurs gouvernements.

Le gouvernement qui fonctionne en créant des clivages -- et parfois, en période électorale, les politiciens créent des clivages lorsque cela semble efficace pour établir une distinction entre «nous» et «eux» -- ce genre de gouvernement réduit probablement le niveau de confiance entre les groupes de citoyens, dans l'ensemble de la population. Il est souvent possible de créer un démon. La xénophobie existe entre les pays, mais elle peut aussi se manifester au niveau interne, selon des considérations linguistiques ou culturelles ou des niveaux de scolarisation ou de revenu. Il arrive qu'un gouvernement tombe dans le piège de l'exploitation, afin de s'occuper d'un groupe d'intérêt pour recueillir un nombre critique d'appuis dans les sondages. Cela a probablement un effet corrosif sur le niveau général de confiance dans la société, même si cela peut paraître utile à court terme.

Le sénateur Poy: Êtes-vous en train de dire que le gouvernement pourrait être à l'origine d'un manque de confiance entre les individus, et non pas simplement entre la population et lui? C'est le climat qu'il crée?

M. Helliwell: Je le pense.

Le sénateur Poy: Vous avez parlé de l'inégalité croissante qui est attribuable non pas à une augmentation du commerce international, mais à une insuffisance à ce chapitre. Pourriez-vous expliciter cela?

Le président: Vous avez parlé d'une mondialisation insuffisante.

M. Helliwell: Ce que j'espérais avoir dit, c'est que la mondialisation insuffisante ou le faible niveau de mondialisation a pour effet que les économies nationales sont plus indépendantes qu'elles ne pensaient l'être. Cela, en soi, n'a pas créé d'iniquités; celles-ci ne sont pas causées par une mondialisation insuffisante. Il n'y a que des preuves limitées qui tendent à démontrer que la mondialisation a créé des iniquités. Le débat se poursuit quant au degré d'influence que cela a eu.

Le sénateur Poy: En d'autres termes, pour l'instant, la mondialisation a très peu de choses à voir avec le capital social ou la cohésion sociale. Est-ce là ce que vous dites?

M. Helliwell: Permettez-moi d'apporter des précisions. Il y a certaines preuves de l'existence d'un lien entre le commerce et l'inégalité de revenus, mais son importance reste à établir.

Le président: Cela se vérifie-t-il à l'intérieur d'un pays?

M. Helliwell: Oui. Il est clairement prouvé que l'iniquité est préjudiciable à la croissance. Il y a toutefois certaines preuves selon lesquelles le capital social, la confiance et la participation seraient moins élevés chez ceux qui ont eu accès à la télévision pendant leurs années de croissance. Pourquoi? C'est notamment parce que la télévision mobilise une partie de leur temps. On ne peut passer du temps avec les autres quand on regarde la télévision. Par ailleurs, il se peut aussi que le contenu des émissions et le genre de message qu'elles véhiculent y soient pour quelque chose.

Une grande partie du message qui est maintenant si facilement et si rapidement accessible nous vient de loin, et il porte probablement atteinte au sentiment de bien-être et à la confiance des gens ou il fournit la preuve de l'existence d'autres cultures. Souvent, ce ne sont pas les meilleurs aspects des gens qui sont dépeints. On nous présente plutôt des gens qui se tirent dessus. Cela réduit la connaissance que l'on a de la société et, par conséquent, la capacité de sympathiser avec les membres de sa collectivité. Dans ce sens, la diffusion mondiale de l'information peut comporter certains aspects négatifs.

Je suis sûr qu'il y a certains aspects positifs, notamment par rapport à l'édification d'une collectivité mondiale, mais il peut y avoir des forces de fragmentation par rapport à la cohésion communautaire au niveau local. Certaines preuves donnent à penser que ceux qui ont grandi avant l'avènement de la télévision présentent des degrés de confiance et de participation supérieurs à ceux qui n'ont pas eu autant de chance.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Le capital social, c'est tout ce réseau d'organisations auquel les gens participent et s'unissent. À quel endroit placez-vous la famille? Si nous parlons de la famille, à quel endroit placez-vous l'Église comme structure qui nous rassemble et qui maintenant, dans certains endroits du pays, joue peut-être un rôle un peu diminué par rapport à ce que j'ai connu. A-t-on remplacé ce vide, si vide il y a?

[Traduction]

M. Helliwell: J'ai dit que l'éclatement des familles était mauvais pour les individus, non seulement sur le plan économique, mais aussi par rapport à leur confiance et à leur participation. Cela permet de supposer que la famille, lorsqu'elle est fonctionnelle, contribue beaucoup à la mise en oeuvre et au maintien d'activités et d'attitudes de cette nature.

Quant à savoir si l'appartenance à une Église a des répercussions positives ou négatives sur la confiance, ce n'est pas tout à fait clair. Il est vrai que la participation à des organisations religieuses n'évolue pas exactement comme celle à d'autres types d'organisations. Mon opinion personnelle, et elle n'est pas fondée sur des recherches, c'est que tout dépend probablement de l'Église et du genre de participation qui sont en cause. De nombreuses Églises ont joué un rôle important au sein des collectivités; parfois, elles sont le centre de la collectivité. D'autres ont parfois créé des scissions dans les collectivités, alors que certaines ont été des organisations plus officielles.

La fréquentation d'une Église a baissé considérablement. Au chapitre de l'appartenance à une Église, la situation est très différente au Canada et aux États-Unis. La participation aux activités d'une Église est nettement plus élevée aux États-Unis qu'au Canada. En revanche, l'adhésion à un syndicat est plus importante au Canada qu'aux États-Unis.

Quel est l'effet de cette participation aux activités d'une Église qui est supérieure aux États-Unis? Je n'en suis pas certain, et je ne sais pas vraiment comment on peut le déterminer. Cependant, à mesure que ces institutions évoluent, il est important d'essayer de mieux comprendre ce qui se substitue à elles, là où elles ont accompli de grandes choses.

Le sénateur Robichaud: Quel rôle les médias ont-ils joué par rapport au sentiment de confiance générale que les individus éprouvent entre eux et à l'égard d'institutions comme les gouvernements? Avez-vous une opinion là-dessus?

M. Helliwell: Je n'ai pas de conclusions de recherches à livrer, mais j'ai une inquiétude personnelle. Pour avoir suivi leur évolution depuis 20 ou 30 ans, je pense que ce qu'il faut reprocher aux médias, c'est d'avoir raccourci la durée d'attention que mobilise un reportage ou un sujet tout en s'employant davantage à créer des conflits même lorsqu'ils n'en existaient pas à l'origine.

Je me suis souvent entretenu avec des producteurs qui voulaient désespérément que j'adopte une opinion contraire afin de m'opposer à un autre participant à une émission. Ils ne voulaient pas se faire dire qu'il y avait généralement un fort consensus en faveur de X ou de Y, ou que c'était un dossier compliqué qui nécessitait certaines nuances.

Récemment, les médias de Vancouver ont traité de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Ils ont présenté deux opinions opposées à l'égard de l'AMI, celle de l'Institut Fraser, qui était en faveur de l'accord, et celle du Conseil des Canadiens, qui s'y opposait. Dans ce reportage, on n'a présenté aucune information sur l'AMI ou ses enjeux. Le contenu éducatif de ce reportage était nul. Le reportage était axé sur la divergence d'opinions et sur les divisions.

Les médias peuvent présenter un reportage de manière à livrer un message sous-entendu et à donner ainsi l'impression que le sentiment de dissidence sociale est supérieur à ce qu'il est en réalité. Souvent, les gens s'inspirent de la fiction plutôt que de la réalité, et s'ils ont l'impression que le conflit est normal, ils ont plus tendance à adopter un comportement conflictuel. Il y a suffisamment de preuves psychologiques pour étayer cela. J'ai bien peur que mes craintes ne soient fondées.

Le sénateur Robichaud: Cela aurait-il un effet direct sur la confiance?

M. Helliwell: Cela aurait un effet direct sur la confiance de l'individu envers la société.

Le président: Ce fut un après-midi intéressant pour nous tous. J'aimerais que nous ayons plus de temps pour parler davantage de vos idées sur la mondialisation. Ce que certains d'entre nous comprennent de la mondialisation, c'est la capacité de certaines entreprises de déplacer, à leur guise, leurs installations de production dans diverses parties du monde, dans des régions où les coûts sont moins élevés. Par conséquent, il n'est pas aussi impérieux que les entreprises maintiennent une main-d'oeuvre permanente ou intégrée. Il s'ensuit donc un nombre croissant de personnes qui, dans notre pays, ont des emplois à temps partiel, qui n'ont guère de sécurité d'emploi et d'avantages sociaux et qui gagnent des salaires peu élevés. À l'opposé, il y a un autre groupe de la population active qui a des emplois relativement sûrs et bien rémunérés, assortis d'avantages sociaux raisonnables. Bon nombre attribuent à la mondialisation et à la technologie le phénomène de la proportion croissante de la population active qui occupe des emplois temporaires, à temps partiel et peu rémunérés.

L'autre aspect de la mondialisation qui s'intensifie constamment, ce sont les fameux mouvements de capitaux, les mouvements instantanés de capitaux dans le monde entier et la capacité des fonds de couverture, épaulés par les banques et d'autres spéculateurs, d'anéantir complètement des économies nationales. C'est ce qui s'est produit en Asie ces derniers mois.

Je ne dirais pas que les gouvernements de ces pays ont beaucoup de marge de manoeuvre. Ils ont la liberté de faire ce que le FMI leur enjoint de faire. J'ai l'impression que, dans une large mesure, ils n'étaient pas vraiment responsables du problème. Vous voudrez peut-être, à titre d'économiste professionnel, me corriger si je me trompe. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Dans votre mémoire, vous citez le professeur Tobin. Je suppose que c'est le même professeur Tobin qui est devenu célèbre pour avoir proposé la taxe Tobin. Jusqu'à maintenant, cette proposition n'a pas été mise en application pour une raison ou une autre, peut-être parce que les États-Unis n'étaient pas intéressés.

La question qu'il convient de se poser, c'est celle de savoir s'il s'agissait d'une forme de taxe Tobin imposée à l'égard des mouvements de capitaux ou si une composante sociale a peut-être été incluse dans les traités commerciaux. On a peut-être, à tort, attribué à la technologie et à la mondialisation l'effondrement économique et social. Si ce n'est pas juste, vous pouvez certainement nous le dire.

Tout pays qui adhère à un traité commercial renonce à une partie de sa souveraineté. En adhérant à un traité commercial, un pays accepte volontairement certaines contraintes par rapport à sa liberté d'action. Au cours des dix dernières années, nous avons conclu l'accord de libre-échange avec les États-Unis ainsi que l'ALENA et nous avons adhéré à l'OMC, le successeur du GATT.

Nous avons été saisis, non pas du point de vue législatif, mais dans l'optique gouvernementale et sur le plan de l'opinion publique, du projet d'Accord multilatéral sur l'investissement. Croyez-vous que les contraintes que nous avons acceptées en concluant ces traités, et même par l'entremise de l'AMI, sont tout à fait légitimes? Ont-elles été avantageuses pour notre économie ou limitent-elles peu notre liberté d'action gouvernementale?

Enfin, il y a toute la question de l'écart de productivité qui se traduit par le coût plus élevé que l'on assume en faisant des affaires dans notre pays. Évidemment, dire qu'il coûte plus cher de faire des affaires, c'est une façon polie de dire que les impôts sont plus élevés.

Il y a ensuite toute la question du capital social. Si c'est comme n'importe quelle autre forme de capital, y a-t-il un risque que les gens puissent le garder en réserve et que ceux qui le possèdent veuillent empêcher les autres d'en jouir?

S'il y a vraiment un ensemble de collectivités dans notre pays, est-il question de cohésion sociale dans une multitude de collectivités? Cela équivaut-il à une cohésion sociale dans l'ensemble de notre pays?

M. Helliwell: Permettez-moi d'abord de répondre aux questions concernant le capital social et la cohésion. Comme votre question le sous-entend, il est tout à fait juste d'envisager son existence dans des collectivités de toutes dimensions. Putnam souligne l'importance du contact direct dans les collectivités.

Dans l'optique nationale, une des raisons pour lesquelles les échanges commerciaux et les mouvements de capitaux au niveau national sont beaucoup plus rigoureux qu'au niveau international, c'est parce qu'il y a un ensemble d'informations qui sont mises en commun, un niveau de confiance et des institutions qui font qu'il est moins coûteux et moins risqué de faire affaire avec des gens que l'on connaît et en qui l'on a confiance qu'avec des étrangers.

Les capitaux étrangers sont arrivés trop rapidement dans ces pays qui ont éprouvé des difficultés. Cela leur a conféré des taux de change surévalués et beaucoup plus de capitaux qu'ils ne pouvaient en employer; lorsque quelque chose a ensuite cloché soudainement, tout le monde a essayé de se retirer. Une des raisons pour cela, c'est que ces capitaux sont arrivés en dernier et que les investisseurs ne savaient pas dans quoi ils investissaient. Ils se sont donc trouvés en difficulté. Généralement, les capitaux de l'étranger arrivent en dernier et ils sont les premiers qui sont retirés, ce qui cause parfois plus de problèmes que cela n'en règle.

Les pourparlers d'hier, à l'ONU, portaient justement sur la mobilité des capitaux et sur la configuration des institutions financières internationales; je peux donc vous parler un peu de l'expérience des pays touchés et de l'opinion perçue à cet égard. Tout d'abord, du point de vue fiscal, un traitement adéquat des mouvements de capitaux internationaux serait beaucoup plus efficace qu'une taxe comme celle proposée par Tobin, mais il serait difficile à réaliser. Par ailleurs, si ces capitaux sont si répandus, c'est notamment parce que les bénéfices qu'ils génèrent font souvent également l'objet d'un paradis fiscal, ce qui doublent les bénéfices par rapport à ce qu'ils devraient être ou à ce qu'ils auraient été dans un autre secteur d'activité. Il serait important d'adopter ce nouveau genre de traité international, une sorte de traité qui harmoniserait les impôts sur le revenu provenant des capitaux. Les pays cesseraient ainsi d'être à la merci de la mobilité des capitaux dont vous parlez, et ils auraient simplement des taux d'imposition beaucoup moins élevés sur les revenus provenant des capitaux et de la main-d'oeuvre, cette dernière étant moins mobile que les capitaux. Il faut donc des taux d'imposition qui sont moins élevés pour empêcher les mouvements de capitaux. À l'échelle internationale, il serait préférable que tous les pays aient des niveaux d'imposition des capitaux et des revenus qui soient plus égaux.

Certains étaient d'avis que le problème que posaient les pays asiatiques, du moins en partie, n'était lié ni au volume ni à la mobilité des capitaux, mais plutôt au fait que les banques qui accordaient des prêts aux pays du sud-est asiatique et celles qui contractaient des emprunts n'avaient pas appliquer les règles de prudence concernant les risques associés aux investissements à l'étranger. Le problème était attribuable, en partie, aux normes internes ainsi qu'à de mauvaises décisions de la part des banquiers. Les banques composaient avec des taux de change relativement stables et ne comprenaient pas les risques associés à un portefeuille de devises étrangères sans contrepartie équivalente.

Donc, tout le monde conviendrait que la mobilité au niveau international serait moindre si les banques veillaient à l'équilibre des comptes de devises étrangères, comme le font nos banques. On reconnaît désormais qu'une meilleure réglementation et une meilleure compréhension des risques associés au taux de change auraient pu éviter le problème, tout comme la crise de 1929 aurait probablement pu être évitée si on n'avait pas acheté autant sur marge à l'époque. Par conséquent, les institutions de la prochaine génération sont conçues pour régler les problèmes de la génération précédente. Des changements institutionnels sont apportés dans ces pays.

La semaine dernière, j'ai participé à un congrès, en Malaisie, qui abordait ces questions. Il est clairement ressorti de ces discussions que ces pays étudient actuellement les questions de gouvernement d'entreprises, de structure, de réglementation et de surveillance des secteurs bancaires et qu'ils ne veulent plus être pris au dépourvu.

La Malaisie a également adopté toute une série de restrictions s'appliquant à la mobilité des capitaux étrangers dans le but de veiller à ne plus servir d'otage à l'avenir, peu importe le régime qu'elle décide d'adopter. Pour la plupart des pays, il sera logique d'imiter le Chili et d'appliquer une taxe sur les entrées de capitaux à court terme. Cela empêchera les pays qui font tout pour plaire de devenir les enfants chéris des marchés financiers et d'attirer, par conséquent, tous les capitaux, ce qui provoque la hausse des devises et dérègle la balance commerciale, ce qui entraîne, ensuite, du chômage suivi d'un déséquilibre des transactions courantes, faisant chuter les devises et déclencher de nouveau le cycle. Par conséquent, pour briser ce cycle, il faudrait tout d'abord imposer une taxe sur les entrées de capitaux à court terme dès qu'ils entrent dans un pays. Cela n'a pas tellement d'importance pour un pays comme le Canada; toutefois, cette pratique pourrait être adoptée dans un plus grand nombre de pays. Il est trop tôt pour se prononcer, mais c'est ce que j'ai retenu de ces discussions.

Passons maintenant à l'AMI, qui a suscité la controverse. J'ai mentionné le manque de renseignements diffusés à la population. Les médias ont débattu de la question sans livrer d'information au lieu d'aborder les vraies questions. Avant l'annulation de l'AMI, si on m'avait demandé mon avis, j'aurais déclaré: «L'AMI est mort, mais parlons des questions qui pourraient en inciter certains à vouloir un AMI et qui pourraient se retrouver dans un AMI.»

L'AMI, sous la forme qu'il prenait, était en fait une charte des droits des entreprises qui investissent. Ceux qui excellent dans la rédaction de chartes des droits en font des chartes des droits et des responsabilités. Il faut inclure à la fois les droits et les responsabilités.

Vous avez dit que les normes en matière de main-d'oeuvre étaient très importantes. Les normes environnementales sont importantes, tout comme les normes sociales. Ce serait très facile. J'avais l'habitude de déclarer aux écologistes que la meilleure façon de faire respecter des normes environnementales internationales était de les inscrire dans un code de déontologie des investisseurs directs. Ce code préciserait qu'aucun pays ne peut se lancer dans un projet d'investissement direct dans un autre pays qui pourrait représenter des risques en matière environnementale, parce que les pays s'engageraient à ne pas appliquer des normes environnementales inférieure à certaines normes internationales reconnues. Ces normes reconnues pourraient ne pas être aussi élevées que les normes appliquées dans le pays des investisseurs, et les investisseurs pourraient décider de respecter des normes plus sévères, mais au moins ils ne pourraient se soustraire aux normes internationales. On pourrait adopter un code similaire pour les normes sociales et les normes en matière de main-d'oeuvre.

S'il existait un AMI établissant les règles de base pour les investisseurs, afin que les investisseurs n'aient pas tendance à contourner les normes environnementales, puisqu'aucun de leurs rivaux ne serait autorisé à le faire, bien des gens seraient disposés à agir de façon responsable sur le plan social. La clé du succès est d'établir des règles qui, de l'avis de tous, rendraient le monde meilleur, puis d'offrir des garanties que tout le monde respecterait ces règles. Tout le monde doit respecter les mêmes règles du jeu.

Voilà, au niveau international, ce que donnerait l'ordre social qu'examine votre comité. Un AMI bien conçu pourrait jouer un rôle important. Il serait différent de l'AMI qui était proposé. Il pourrait avoir des répercussions et des conséquences différentes, mais pourrait contribuer à définir un meilleur ordre mondial que celui vers lequel nous nous dirigeons.

J'ai répondu à toutes vos questions, sauf celle qui portait sur les lacunes au niveau de la productivité. J'ai consacré beaucoup de temps à cette question. Toutefois, il m'est impossible d'en parler cet après-midi.

Le président: Pour ce qui est de l'ALE, de l'ALENA et de l'OMC, croyez-vous que les contraintes que nous avons acceptées en signant ces accords ou en nous joignant à cette organisation sont appropriées, bonnes pour l'économie, ou qu'elles n'ont aucune incidence sur la liberté d'action dont jouit notre pays?

M. Helliwell: Dans l'ensemble, l'OMC, d'un point de vue global, est très bonne, pas mauvaise du tout. Les gains que peut en tirer le Canada sont presque assurément supérieurs au coût que cela entraîne. Pour ce qui est de l'ALE, c'est moins clair. L'ALE a suscité plus d'échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis que quiconque aurait pu l'imaginer. Toutefois, les gains en productivité qui étaient censés découler de cet accord ne se sont pas encore concrétisés.

Nous expliquons la situation ainsi. Étant donné le volume antérieur des échanges commerciaux entre nos deux pays -- même s'il ne représentait qu'une fraction du commerce interprovinciale -- nous avions probablement déjà tiré les principaux avantages de ces échanges commerciaux, ce qui fait que l'augmentation du volume des échanges commerciaux observée par la suite n'a pas eu de grande incidence sur la productivité. Il est trop tôt pour en être sûr.

Si c'est le cas, cela signifie que l'ALE n'a pas donné grand-chose. S'il n'a pas produit des gains importants, ce n'est qu'un accord bilatéral spécial qui n'a pas tellement profité au reste du monde et qui appartient par conséquent aux mesures qui n'ont pas fait tellement de différence.

Le président: La même chose vaut pour l'ALENA.

M. Helliwell: L'ALENA est plus important, pas pour le Canada, mais pour le Mexique, parce qu'il représente une mesure très importante pour le Mexique, qui pourrait avoir des répercussions en Amérique latine.

Le président: Monsieur Helliwell, nous vous remercions beaucoup pour la discussion très stimulante et intéressante que nous avons eue cet après-midi.

C'est la dernière séance que nous tenons avec les fêtes. Permettez-moi de profiter de l'occasion pour souhaiter à chacun d'entre vous et à votre famille un joyeux Noël et une bonne et heureuse année. J'offre également mes souhaits à notre greffier et à tous les membres du personnel qui font tant pour nous rendre la vie plus facile et agréable.

La séance est levée.


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