Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 23 - Témoignages du 9 février 1999
OTTAWA, le mardi 9 février 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 04 pour étudier les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, ce matin nous poursuivons notre étude de la cohésion sociale au Canada et nous allons commencer notre examen de la nature changeante des relations entre les citoyens et l'État. Nos témoins sont Mme Rhonda Ferderber, gestionnaire de La Société que nous voulons au Réseau de la famille des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques Inc., et M. David Shulman, du Réseau d'éducation de la démocratie. La Société que nous voulons est un mécanisme de dialogue et de partenariat publics, sous l'égide des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, qui est destiné à aider les Canadiens à comprendre les enjeux de la politique sociale et à clarifier leurs valeurs fondamentales.
Mme Ferderber s'efforce d'élargir la portée du dialogue public en offrant du matériel et des mécanismes plus globaux et accessibles et d'élargir la base de participation au projet pour faire en sorte que La Société que nous voulons témoigne de la diversité sociale et culturelle du Canada.
M. Shulman est professeur en études sociales et membre du Réseau d'éducation de la démocratie, réseau national d'enseignants voué à l'acquisition de compétences en participation communautaire. Il a été consultant et conseiller auprès de gouvernements, de fondations et de conseils scolaires dans le domaine de la planification, de l'application et de l'évaluation des programmes de participation des citoyens à l'intention des jeunes et des adultes. Il a récemment dirigé une consultation d'envergure nationale sur l'avenir de l'immigration pour le compte de Citoyenneté et Immigration Canada, coordonné une série d'ateliers sur la défense des adultes dans les programmes d'autonomie fonctionnelle et cosigné un rapport sur l'engagement des citoyens de la Ville de Toronto récemment fusionnée.
Une question qui vient presque immédiatement à l'esprit de ceux et celles d'entre nous -- et il y en a encore -- qui sont ici en raison de leurs antécédents politiques, incite à se demander où les partis politiques se sont fourvoyés à titre d'élément vital de la démocratie parlementaire représentative, mais je devance ma pensée et les exposés de nos témoins. Je ne m'attends pas forcément à ce qu'ils abordent cette question dans leur exposé d'ouverture, même si nous voudrons peut-être l'aborder avec eux par la suite.
Mme Ferderber et M. Shulman souhaitent faire un court exposé d'ouverture, après quoi nous ouvrirons le débat pour un dialogue avec mes collègues.
Mme Rhonda Ferderber, gestionnaire, La Société que nous voulons, Réseau de la famille, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques Inc.: J'apprécie l'occasion qui m'est donnée de me joindre à vous ce matin pour la discussion sur les nouveaux rapports entre les citoyens et l'État et pour la possibilité de contribuer à vos travaux sur les dimensions de la cohésion sociale. Je crois que mon rôle aujourd'hui consiste à partager avec vous mon expérience dans le domaine, certains diraient même le «terrain miné», de la consultation publique pour vous livrer en quelque sorte certaines réflexions sur mon expérience pratique.
Aux fins de ma présentation d'aujourd'hui, je m'appuierai sur l'expérience que j'ai accumulée au Forum national sur la santé et sur l'expérience que je tire de ma participation actuelle au projet de dialogue public sur La Société que nous voulons, dont le sénateur Murray a fait mention un peu plus tôt.
Avant ma présentation, je vous ai remis quelques pièces documentaires pour vous donner matière à réflexion. Il s'agissait d'une étude de cas sur les délibérations du Forum national sur la santé, d'une brochure descriptive du projet, d'un bulletin d'information et de quelques extraits de la trousse de dialogue public mise au point pour La Société que nous voulons. Ce matin, j'ai remis au greffier de votre comité quelques autres documents qui me semblent pertinents pour vos délibérations et pour vos travaux dans le domaine de la cohésion sociale. Ces documents sont deux études des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques Inc. (RCRPP) intitulées: «Securing the Social Union» de Kathy O'Hara et «Les contours de la cohésion sociale: l'état de la recherche au Canada» de Jane Jenson. Comme dernier document à consulter, j'ai remis la nouvelle trousse de dialogue qui vient d'être publiée.
Ces deux expériences que j'évoquerai sont des exemples limpides qui témoignent de l'intérêt profond que suscite parmi les gens l'occasion de se réunir pour discuter de questions qui les préoccupent et pour se faire entendre. Ils fournissent de bonnes indications des avantages qu'on peut retirer d'une simple expérience de participation à un dialogue public.
Des appels se font entendre actuellement en vue d'améliorer l'accessibilité des citoyens au processus d'élaboration des politiques publiques. Dans le cadre de commentaires présentés lors d'une conférence récente sur la participation des citoyens, l'ancien greffier du Bureau du Conseil privé s'est exprimé en ces termes:
Les citoyens entendent jouer un rôle direct, significatif et influent sur le plan de l'orientation des politiques et des décisions qui les touchent. Ils veulent se faire entendre. Et ils veulent que leurs dirigeants s'engagent à tenir compte des points de vue exprimés par les citoyens lorsqu'ils prennent des décisions.
Il a poursuivi en disant:
Il s'ensuit que les citoyens entendent reprendre la place qui leur revient dans la société civile. Ils veulent travailler de concert avec les responsables des institutions démocratiques concernant ces enjeux dont ils ressentiront les effets.
Lors de sa présentation devant ce comité en octobre dernier, Jane Jenson a parlé des cinq dimensions de la cohésion sociale: appartenance, insertion dans l'économie de marché, participation, reconnaissance et légitimité.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui est celui de la participation qui est pertinent pour les questions de légitimité et d'appartenance. La participation au processus politique donne l'impression aux Canadiens que leur voix comptera, que quelqu'un s'intéressera à leur opinion. Cette impression contribue en retour à susciter un sentiment d'appartenance à une communauté plus vaste. Tant la participation que le sentiment d'appartenance donnent au processus et aux institutions politiques une plus grande légitimité aux yeux des électeurs et des citoyens.
Je vais vous parler de deux formes de participation: la consultation, qui est la forme plus traditionnelle, et le dialogue public. Je voudrais simplement faire quelques brefs commentaires sur le dialogue public. Qu'est-ce que c'est et à quoi sert-il? À mon avis, le dialogue public consiste à trouver de nouveaux moyens de faire participer les citoyens et il peut revêtir de nombreuses formes, dont des assemblées constituantes, des panels de citoyens, des discussions autour de tables de cuisine ou des rencontres de dialogue public comme celles que nous organisons dans le cadre du projet La Société que nous voulons.
Les raisons pour lesquelles nous entendons continuer à rechercher la meilleure façon pour les citoyens de participer à un dialogue public sont nombreuses. Elles comprennent notamment une occasion pour nous tous d'entendre les vues des citoyens sur les grands enjeux des politiques publiques et sur une bonne gestion des affaires publiques, de rendre les responsables des processus d'élaboration des politiques et de prises de décisions conscients des optiques et des valeurs des citoyens, de rétablir la confiance envers les institutions publiques et de leur redonner une légitimité, de mobiliser les énergies et l'enthousiasme des participants afin de réagir et de collaborer aux grands enjeux sociaux à leur niveau local, de fournir un mécanisme aux communautés pour qu'elles puissent établir des priorités et de redonner aux citoyens le sentiment que leurs points de vue sont importants et que leur voix peut contribuer à changer les choses.
Comment s'y prendre pour y parvenir? Lorsque vous examinez les deux approches, à savoir une consultation traditionnelle et un dialogue public avec la participation des citoyens, vous pouvez déceler des caractéristiques nettement différentes. Dans un document d'une page que je vous ai remis ce matin, j'attire votre attention sur les contrastes entre les deux. Je vais en parler brièvement.
Un processus de consultation traditionnelle a souvent, même si ce n'est pas toujours le cas, tendance à être axé sur des efforts de communications et de relations publiques visant à favoriser une option préférée. Un dialogue public a tendance à renseigner davantage en présentant des documents et des faits d'une façon équilibrée.
La consultation traditionnelle a souvent encouragé le défoulement et le militantisme. Elle peut avoir l'effet d'accentuer des divergences au lieu de rechercher des compromis. Toutefois, le dialogue public encourage la réflexion. Il offre la possibilité de poursuivre des discussions plus approfondies de différentes optiques et peut souvent favoriser l'apprentissage et le réexamen de positions.
Une consultation traditionnelle a tendance à traiter les groupes d'intérêts un par un, en contribuant à leur donner un tremplin et en encourageant une dynamique du «moi d'abord». Le dialogue public tend à amener les groupes d'intérêts dans la salle, en les obligeant à écouter les citoyens et à interagir avec eux. Il permet également la recherche de terrains d'entente.
La consultation traditionnelle considère un nombre limité d'options, en accordant très peu d'attention aux valeurs sous-jacentes, tandis qu'un processus de participation des citoyens examine les valeurs. La consultation traditionnelle s'emploie à démontrer la justesse des choix gouvernementaux et tend à reposer sur un processus étroitement contrôlé. La participation des citoyens repose sur l'hypothèse que les citoyens apporteront une valeur ajoutée et que de nouvelles options verront le jour. Elle se fonde sur un processus ouvert visant à encourager l'émergence d'idées nouvelles.
Il y a certainement des moments où la consultation est l'instrument approprié. Ce serait normalement le cas lorsque les gouvernements ont besoin de rétroaction à propos d'une question passablement technique. Toutefois, lorsque les gouvernements sont à la recherche d'une meilleure compréhension des valeurs de base pour avoir une orientation sur les priorités, il leur faut un instrument ressemblant davantage au dialogue public avec participation des citoyens qui leur accordera le temps et la latitude nécessaires pour entreprendre une réflexion plus approfondie.
Ces formules axées davantage sur des processus de délibération prennent davantage de temps. Elles exigent de se mettre à l'écoute des participants, de prendre connaissance de leurs opinions, de suivre un cheminement et de s'employer à respecter les points de vue des autres. Toutefois, ce faisant, il devient possible de se rapprocher de la dynamique des opinions, de faire ressortir les préjugés et, parfois, de promouvoir un changement d'opinion de la part de tous ceux qui participent au processus.
Dans leur étude récente intitulée: «Rethinking Citizen Engagement», les chercheurs du groupe Ekos Research Associates Inc. ont constaté que les Canadiens se préoccupent très intensément de certaines questions, notamment de celles qui trouvent un écho dans des valeurs comme les enfants et les programmes sociaux. Ils ont constaté que les Canadiens sont prêts à s'avancer, à participer et, ce qui importe davantage, à se préparer en conséquence. Ce dernier aspect est crucial puisque les questions nécessitant un processus de participation à des délibérations doivent produire des résultats significatifs.
Jusqu'à présent, mon expérience a été assez diversifiée, mais je vais vous citer les deux exemples que j'ai mentionnés, celui du Forum national sur la santé et celui de La Société que nous voulons, qui ont connu plus de succès que certains des autres travaux auxquels j'ai participé. L'étude de cas portant sur le Forum national sur la santé, que j'ai fournie précédemment, apporte des précisions sur plusieurs caractéristiques uniques du déroulement des travaux entrepris par l'organisme. Essentiellement, son fonctionnement s'est fondé sur la combinaison d'une approche traditionnelle en matière de consultation et d'un processus axé davantage sur les délibérations. Au cours d'une conférence de deux jours, nous avons réuni simultanément des citoyens et des intervenants dans la même pièce. La rétroaction a été remarquable puisque les deux groupes de participants ont pu apprendre les uns des autres des choses qu'ils n'avaient jamais eu l'occasion d'entendre ou de discuter auparavant.
Une autre caractéristique très intéressante fut notre approche en deux volets qui nous a permis de démarrer, de recueillir des points de vue et des perspectives, de revenir, de produire un autre document et de retourner vers le public pour expérimenter notre approche avec nos participants. Nous avons posé des questions: les recommandations proposées cadraient-elles avec les orientations que vous souhaitez nous voir prendre et nous voir suivre? Que faut-il changer? Avons-nous bien saisi vos opinions?
En s'adressant de nouveau de cette façon aux participants pour vérifier notre cheminement, nous leur avons transmis un message convaincant en leur faisant savoir que nous considérions leurs points de vue comme une partie intégrante des conclusions finales des travaux du forum. Oui, nous avons dû modifier notre façon de penser lorsque nous avons eu ces consultations finales et nous avons dû envisager de prendre plus de temps. La réponse du gouvernement aux recommandations du Forum national sur la santé confirme que le contenu était pertinent. Mais je sais aussi que notre processus a bien fonctionné. Les Canadiens qui ont reçu notre rapport -- et il s'agit d'à peu près tous les participants -- n'ont pas envoyé une seule lettre remettant en question nos recommandations ou nos conclusions. Tout un succès!
Mon deuxième exemple concerne les travaux des RCRPP que nous appelons parfois notre «expérimentation» du dialogue public. Le tout a commencé en 1995 avec la publication de Suzanne Peter, À la recherche des valeurs canadiennes et il en est résulté le projet La Société que nous voulons. Nous espérons que cette initiative nous permettra de développer une capacité de participation des citoyens et un moyen de la mettre en valeur et de la promouvoir.
La Société que nous voulons est une démarche innovatrice. Elle est unique au Canada. Comme l'a déclaré le sénateur Murray, c'est un instrument de dialogue public et un processus de partenariat qui permet de réunir des Canadiens et de les aider à évaluer des choix en matière de politique sociale et à découvrir leurs valeurs de base.
Les RCRPP ont lancé cette initiative afin de faire avancer des questions et, en permettant à des citoyens de faire partie du programme, on a voulu remettre l'accent sur l'édification d'une capacité des citoyens à participer plus pleinement à la vie civique.
Ces rencontres ont-elles été un succès? Nous avons dirigé un projet pilote. Nous retournons consulter. Nos témoignages les plus éloquents proviennent des participants. J'aimerais citer l'opinion d'une participante de Sainte-Agathe-des-Monts qui a déclaré: «La plupart des participants aux discussions furent stimulés par le niveau des interventions et des échanges avec leurs voisins et ils ont constaté que, même s'ils croyaient bien se connaître, ils n'avaient jamais eu l'occasion d'explorer les méandres de leurs perceptions au sujet de ces questions».
Les citoyens doivent s'interroger sur les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés en tant que nation. Les communautés peuvent constituer une force puissante pour façonner le bien-être des citoyens. Si vous le permettez, je vous citerai mon texte préféré du forum:
Nous savons maintenant que les approches allant du sommet vers la base et qui ne comportent pas une participation du public ne donnent pas les résultats attendus... Le fait étonnant, c'est que, quelle que soit la question considérée, la mobilisation de la communauté semble mener à un niveau accru de sécurité, de civilité et de résilience à l'intérieur de celle-ci. Parmi ses membres, elle se traduit par une meilleure estime de soi, une impression d'exercer un meilleur contrôle, un sentiment d'appartenance plus profond...
Cela nous ramène à ce que Jane Jenson préconise pour la cohésion sociale. Il ne fait aucun doute qu'il est difficile d'établir de nouveaux rapports entre les citoyens et l'État. Il faudra beaucoup de volonté politique. Cela revient en partie à un partage du pouvoir. Sommes-nous disposés et en mesure d'exercer ce pouvoir d'une façon différente? Jusqu'où les gouvernements sont-ils prêts à aller? Quelle importance accorderont-ils à la participation des citoyens? Quel accueil réserveront-ils aux opinions émises par les citoyens?
Judith Maxwell a souligné que la confiance et la réciprocité sont des éléments essentiels d'une démocratie, d'une économie et de citoyens en santé. À défaut de saisir l'occasion de faire participer les citoyens, nous serons aux prises avec l'apathie, le cynisme et l'exclusion.
J'estime que nous possédons maintenant les éléments nécessaires pour redonner confiance aux citoyens dans leurs institutions publiques et pour promouvoir un intérêt et une participation accrus des Canadiens à la pratique de la démocratie.
M. David Shulman, Réseau d'éducation de la démocratie: Bonjour. Good morning. C'est un honneur pour moi de comparaître devant votre comité et un honneur particulier de partager la vedette avec Rhonda Ferderber qui, d'après les exemples qu'elle vous a donnés, personnifie le genre de créativité de la pensée dont nous avons besoin si nous voulons régler la question de la cohésion sociale.
En parcourant la liste des témoins qui ont comparu devant votre comité depuis octobre, j'essayais de penser à ce que je pourrais éventuellement ajouter à vos délibérations. Je ne suis pas un fonctionnaire créatif ni un analyste politique doué comme Jane Jenson ou Judith Maxwell. Par ailleurs, je suis enseignant dans une école secondaire en milieu urbain et je fais probablement face quotidiennement à plus de défis à la cohésion sociale que bien des gens, alors je vous parlerai en fonction de cette expérience.
Je me concentrerai sur deux défis à la cohésion sociale dont on a beaucoup parlé, l'un étant la baisse du savoir civique -- je parle actuellement en tant que professeur en études sociales -- et l'autre étant la diminution de la confiance du public, en particulier à l'égard du gouvernement.
Aujourd'hui, vous êtes pour la plupart familiers avec les diverses études qui ont révélé une baisse alarmante du savoir civique, de la connaissance des institutions canadiennes, chez les jeunes Canadiens. Il est évident que cette situation préoccupe tout particulièrement les éducateurs en études sociales. L'exemple qui illustre peut-être le mieux cette situation a été le sondage Angus Reid qui a examiné les niveaux de connaissances civiques. Il a révélé que 61 p. 100 des répondants ne pouvaient pas nommer le premier premier ministre, que 55 p. 100 ne connaissaient pas la date de la Confédération, que 95 p. 100 ne savaient rien des Rébellions de 1837 et que 92 p. 100 ne pouvaient pas citer l'année du premier référendum québécois.
C'est une constatation particulièrement troublante si l'on tient compte du fait que, dans tout le pays, on n'a constaté aucune différence entre les réponses provenant des provinces où les études sociales et l'histoire sont obligatoires et les autres. Ce qui était encore plus inquiétant, c'était l'ignorance des questions de diversité culturelle, des enjeux autochtones, et cetera., et tout cela après une trentaine d'années de politique du multiculturalisme. On doit se demander ce qui n'a pas fonctionné. Cette question a été le sujet de travaux effectués par Ken Osborne et Bob Davis, et plus récemment de Jack Granatstein dans son livre intitulé: Who Killed Canadian History?
En examinant les programmes provinciaux à travers le pays, on constate une concordance frappante des programmes d'enseignement. Nous enseignons qui était le premier premier ministre, nous enseignons l'histoire des partis politiques. Nous enseignons l'histoire du pays. Contrairement à ce que vous pourriez penser, l'enseignement n'est pas radicalement différent au Québec et dans le reste du pays. La question ne porte pas sur le contenu de notre enseignement, mais sur la méthode utilisée.
La connaissance des questions de diversité culturelle est particulièrement inquiétante dans le contexte de la cohésion sociale, parce que la cohésion sociale est en grande partie la capacité d'avoir une certitude et une confiance dans notre diversité. Vous ne pouvez pas avoir une cohésion sociale à moins d'avoir confiance dans la diversité, et vous ne pouvez pas avoir confiance dans la diversité si vous ignorez tout à son sujet.
Le même problème s'applique à la question de la baisse de la confiance du public. Ce n'est pas, pour les gouvernements conservateur et libéral, faute d'avoir essayé. Le Bureau du Conseil privé estime qu'il y a jusqu'à 300 exercices de consultation distincts en cours dans les divers ministères à un moment donné. Nous devrions également nous rappeler que les gouvernements, aussi bien conservateur que libéral, investissent beaucoup dans l'éducation civique. Il suffit de citer le Service Jeunesse Canada, Action XX1, Expérience Canada, le Forum pour jeunes Canadiens et l'Initiative de participation civique.
La question n'est pas tant de savoir si les efforts déployés sont suffisants, mais plutôt s'ils sont convenablement ciblés? Ce n'est pas un manque de bonne volonté et je ne suis pas convaincu que c'est un manque de ressources. Il faudrait peut-être recadrer la question. Autrement dit, il faudrait peut-être cesser de considérer le problème de la baisse du savoir civique et le problème de la diminution de la confiance du public comme deux problèmes distincts. Il faudrait peut-être y penser que ce sont deux volets du même problème, qu'il s'agit d'un seul et même problème, et que nous devrions les aborder avec une seule et même solution.
Cela m'amène à l'un des enjeux soulevés par ma collègue: la question de la participation créatrice. Je vais compléter les commentaires de Rhonda au sujet de l'expérience de participation des étudiants au genre de processus qu'elle a décrits.
Un large éventail des recherches disponibles sur l'éducation civique, en fait les recherches réalisées au cours des 20 dernières années au Canada et dans d'autres pays, révèlent que la véritable prestation d'activité est ce qui fait participer les jeunes au processus de la citoyenneté. Elle les encourage à prendre leur citoyenneté au sérieux et leur donne les aptitudes nécessaires pour faire partie d'une société socialement homogène, c'est-à-dire la capacité de collaborer et aussi de respecter et reconnaître la diversité, notamment la diversité des opinions.
Nous constatons que cela est vrai des gens de tout âge et que les gens peuvent apprendre par cette méthode dans n'importe quel groupe d'âge. Nous devrions peut-être penser aux processus de participation comme un moyen non seulement de relancer la confiance du public, mais également comme un moyen de relancer l'éducation civique.
Comment pourrions-nous le faire? Si nous disposons de tant de participation, ou si nous passons au moins de la consultation à la participation, pourquoi ne pas utiliser les moyens disponibles -- par le Réseau scolaire canadien et les enseignants et les salles de classe de notre pays -- pour impliquer réellement les jeunes dans de véritables exercices qui se déroulent actuellement dans chaque ministère fédéral? Je sais que cela a fonctionné parce que je l'ai fait, comme l'a mentionné le président, avec le processus d'immigration. J'ai fait cela avec la Déclaration de Calgary et j'ai surveillé l'émergence d'études sociales lorsque les étudiants savent qu'ils participent à un véritable processus, pas à un Parlement modèle, pas à des Nations Unies factices, pas à un jeu de simulacre, mais à un véritable processus.
En conclusion, il se pourrait que chacun de nous, parmi les enseignants et les fonctionnaires, détienne une partie de la solution au problème de l'autre. Notre problème est d'essayer de promouvoir le savoir civique. Vous avez un problème de cohésion sociale et de restauration de la confiance du public. Les salles de classe de la nation sont à votre disposition pour que vous les utilisiez comme un moyen de rétablir la confiance du public et, à votre tour, vous pouvez fournir aux enseignants des occasions d'offrir une participation authentique et une relance des études sociales supérieures à tout ce que nous pourrions jamais tirer d'un quelconque manuel.
Le président: Merci, monsieur Shulman.
Le sénateur Cohen: Je vous remercie tous les deux pour un exposé très original, une perspective à laquelle chacune des personnes assises autour de cette table peut à mon avis s'identifier, parce qu'elle est réelle, visionnaire et inéluctable. Je voudrais simplement vous poser à mon tour, parce que vous avez parlé des connaissances civiques que bon nombre d'entre nous possédons en tant que citoyens, la question suivante: pensez-vous que les Canadiens soient prêts, de par leurs connaissances du fonctionnement de leur gouvernement, à relever le défi de la participation des citoyens? Pensez-vous que nous sommes prêts au niveau de notre intérêt? Il me semble avoir entendu dire qu'il faut d'abord s'y intéresser.
M. Shulman: Permettez-moi de répondre ceci, en partie pour ce qui est du temps consacré à la préparation civique, si je peux l'appeler ainsi, à la préparation à la citoyenneté. Je veux parler aujourd'hui au sens le plus large, englobant les cours en études sociales, les cours sur la citoyenneté pour les nouveaux arrivants. Ce que nous constatons, c'est qu'il y a une certaine compression de l'exposition et du temps dont les étudiants disposent pour étudier l'histoire du Canada et ses institutions. La difficulté avec cela, c'est qu'à une époque où tous les paliers de gouvernement, fédéral, provincial et municipal, s'attendent à ce que les citoyens assument une responsabilité croissante pour leurs communautés, ils bénéficient en fait de moins en moins de préparation. C'est un phénomène qui est répandu à travers tout le pays.
Ceci étant dit, je dois insister à nouveau sur le fait que c'est la qualité de ce temps, autant que la quantité, qui compte. Il me semble y avoir là une inquiétude pour ce qui est de la préparation. L'esprit est disposé mais le temps de préparation n'est pas forcément là.
Mme Ferderber: Je voudrais ajouter quelque chose à ces commentaires, si vous le permettez. Je pense assurément que les Canadiens possèdent le savoir-faire, que le niveau d'expertise ou de connaissances de base, que nous exigerions durant n'importe quel processus de dialogue public, existe au sein d'un groupe. Lorsqu'ils se réunissent, ils ont cette occasion de partager entre eux leurs connaissances combinées et cela permet de faire avancer le dialogue. Nous avons assurément appris quelques bonnes leçons à propos de l'organisation d'un bon dialogue public, à savoir qu'il faut une certaine documentation, envoyée à l'avance aux participants, présentant le sujet d'une façon pas trop technique mais sous un angle factuel équilibré. Comme l'a constaté le groupe de recherche Ekos, les Canadiens se prépareront à participer à un exercice de ce genre. Ils étudieront les documents.
Le forum reçoit des centaines et des centaines de réponses à son manuel. Par le biais de La Société que nous voulons, nous nous sommes adressés à quelque 3 000 Canadiens qui ont reçu nos documents, les ont lus, se sont réunis et ont consacré deux à trois heures de leur temps à participer. Cela exige une certaine préparation, si bien qu'un document de consultation distribué à l'avance est l'un des éléments auxquels il faut penser très sérieusement.
Le sénateur Cohen: Je ne m'étais pas bien rendu compte de l'importance des connaissances civiques en rapport avec la cohésion sociale, jusqu'à ce que vous abordiez cette question ce matin. Dans ma province du Nouveau-Brunswick, l'enseignement de l'histoire du Canada n'est pas obligatoire. Que pouvons-nous faire, en tant que gouvernement, pour exiger que l'histoire du Canada soit une matière obligatoire dans chaque province canadienne, avec des normes nationales? J'estime que le fait de ne pas enseigner l'histoire du Canada est préjudiciable. Si nous voulons aborder convenablement le thème de la cohésion sociale, nous devons avoir des citoyens qui comprennent d'où nous venons et où nous nous trouvons avant de savoir où nous allons.
M. Shulman: En 1993, lorsque ce même comité a étudié cette question, l'une des principales recommandations formulées dans le rapport du comité des affaires sociales était la préparation d'un cadre civique national qui pourrait être coordonné par le Conseil des ministres de l'Éducation, ce que l'on pourrait appeler un document cadre sur l'union civique, que les provinces pourraient mettre en oeuvre à leur façon, mais qui pourrait néanmoins offrir un cadre commun de normes et d'indicateurs.
Le sénateur Wilson: J'ai deux questions. David, vous avez parlé du grand nombre de processus de consultation dont disposent les organismes gouvernementaux, et le fait qu'ils ne semblent pas donner beaucoup de résultats est davantage dû à un manque de savoir-faire qu'à quoi que ce soit d'autre; ce n'est pas de la mauvaise volonté. Rhonda, vous avez prononcé une phrase qui m'a embêté un peu; vous avez déclaré que les citoyens ne sont pas disposés à se manifester. Pouvez-vous me dire dans quelle mesure vous avez recours aux institutions existantes? Les gens ne disposent que d'un certain temps; ils adhèrent à tant d'organismes, et le fait de proposer une autre situation dans laquelle ils doivent se manifester me semble constituer un fardeau. Qu'est-ce qui est fait au niveau de la préparation nécessaire chez les représentants élus, c'est-à-dire les représentants du gouvernement, pas les citoyens?
D'après ce que je perçois, ils ont besoin d'autant d'aide que les citoyens, ou peut-être même davantage. Madame Ferderber, pourrait-on utiliser les institutions existantes afin de ne pas extirper les gens de leurs groupes de base?
Mme Ferderber: J'ai quelques idées sur ces deux questions. Durant les deux processus auxquels j'ai fait référence précédemment, et assurément lors d'autres exercices auxquels j'ai participé quand j'étais au gouvernement du Canada, nous avons travaillé par l'intermédiaire des représentants élus. Je veux essentiellement dire par-là de quelques-unes des façons courantes. Notre ministre informait évidemment la Chambre des activités à entreprendre, invitait les députés à participer et s'assurait qu'ils étaient conscients du fait que ce domaine d'intérêt particulier, qu'il s'agisse de la Situation de la femme ou du Forum national sur la santé, était bien connu des représentants élus. Ces derniers ont participé assez largement au Forum national sur la santé.
En observant les séances auxquelles j'ai pu participer, j'ai pu constater que, lorsqu'il y avait un représentant élu à la rencontre, cela envoyait un message très significatif aux participants. Cela leur disait vraiment que le gouvernement était là pour collaborer, en appuyant le genre d'activité à laquelle ils participaient.
Comme vous le suggérez, sénateur Wilson, il existe définitivement des moyens d'impliquer les élus et cela peut se révéler très utile. Ils confèrent une légitimité au processus, tout en rappelant que les processus ont généré jusqu'à maintenant un niveau assez élevé de scepticisme sur l'utilisation finale des résultats et sur les événements qui sont en fait survenus à travers l'histoire. Nous suivons une sorte de courbe d'apprentissage, une courbe de «confirmation», si vous voulez, en réalisant que faire des affaires d'une façon légèrement différente peut générer la confiance et que la participation à des processus de ce genre peut, en fait, produire des résultats plus positifs, plus évidents et plus concrets que prévu.
Pour ce qui est d'avoir recours aux organismes existants auxquels de très nombreux Canadiens appartiennent, et de travailler par le biais de ces organismes afin de ne pas aller chercher les gens pour les embarquer dans un autre exercice participatif, La Société que nous voulons est un très bon exemple de la façon dont nous utilisons les infrastructures existantes d'un grand nombre d'organismes sans but lucratif. Nos conseillers nationaux nous aident à rassembler les groupes. Nous contactons les Canadiens à travers leurs engagements à faire partie d'un organisme, en vue d'appuyer un organisme comme les Fondations communautaires du Canada, Centraide et le Réseau d'éducation de la démocratie.
Pour votre information, David est l'un de nos conseillers au sein du réseau. Nous collaborons avec 15 de ces organismes nationaux auprès desquels nous cherchons des conseils, si bien que nous rejoignons les Canadiens sur leurs lieux de rencontre. Toutefois, ce sont des gens ordinaires et c'est difficile d'essayer de rejoindre un éventail de Canadiens.
Une partie de notre défi consiste à tenter de rejoindre les Canadiens qui n'ont pas adhéré à certains de ce que j'appellerai les organismes établis, plus courants. Nous avons établi dernièrement un lien avec le Conseil ethnoculturel du Canada, pour essayer à nouveau de trouver des moyens de rejoindre d'autres Canadiens, des Canadiens qui viennent tout juste d'arriver dans notre pays, pour s'assurer qu'ils ont la chance de se faire entendre. C'est un défi mitigé, et assurément un très grand défi, de continuer à travailler avec les élus et les organismes existants.
Le sénateur Wilson: Votre réponse attire un commentaire sur une question de suivi, à savoir rejoindre ou s'impliquer ou s'engager avec des gens qui n'appartiennent à aucun groupe organisé, et il y en a des centaines de milliers au Canada. J'ai remarqué dans l'un des rapports -- je pense que c'est celui du Forum national sur la santé -- que vous mentionnez qu'il faut obtenir l'attention des médias pendant la consultation. Il me semble que les médias sont très rarement considérés comme un participant dans un processus. Ils sont toujours vus comme des personnes qui restent derrière les caméras et comme des observateurs qui participent à titre de reporters et d'interprètes, mais pas de communicateurs.
J'ai toujours pensé que les médias étaient là dans le but d'aider les gens à communiquer, mais je pense que cette notion est souvent perdue dans la culture contemporaine. Je me demande quelle est votre expérience en la matière, en particulier pour ce qui est d'impliquer ou d'engager des gens qui n'appartiennent pas à des groupes, des gens dont la première langue n'est peut-être ni l'anglais, ni le français. Je parle de l'utilisation des tribunes téléphoniques reliées à une présentation médiatique, à une émission télévisée, à un groupe de discussion, à ce genre de chose -- avec les médias comme participant. C'est la question que je vous pose.
Mme Ferderber: J'ai acquis une certaine expérience, mais pas très vaste. C'est un très grand défi d'impliquer les médias dans le processus face aux nouvelles d'actualité. La plupart de ces discussions dont j'ai fait mention ne font évidemment les manchettes qu'à la fin du processus mais pas pendant. Nous estimons que les discussions constituent une matière riche pour des émissions très intéressantes, et une discussion très informative faite par des Canadiens avec des Canadiens. Ce n'est pas toujours forcément le point de vue de nos chefs des nouvelles.
Ceci étant dit, au Forum national sur la santé, nous avons obtenu une assez bonne couverture des médias. Nous avons essayé de recourir à d'autres médias pour avoir accès aux Canadiens, mais nous n'avons pas obtenu l'envergure ou la portée que nous espérions. C'était un véritable défi de rejoindre d'autres Canadiens en dehors du courant principal. Il y a un réseau fantastique de journaux communautaires et la télévision par câble est extrêmement utile pour nous. Nous avons assurément eu accès à ces médias pour nous aider dans nos efforts.
Nous avons mis en oeuvre une stratégie d'approche distincte qui nous a permis de parler aux jeunes, aux enfants de la rue, aux sans-abri. Nous avons visité plusieurs abris. Nous avons visité des foyers pour personnes âgées. À notre façon, nous avons essayé d'établir des contacts avec des Canadiens qui ne sont pas dans le courant principal. Si nous ne pouvions pas recourir aux médias, nous le ferions d'une façon beaucoup plus directe.
M. Shulman: J'aimerais ajouter très brièvement quelques mots aux propos de Rhonda. Je pense que le sénateur et moi partageons un intérêt pour l'éducation des adultes. L'éducation des adultes est très souvent négligée comme moyen de rejoindre les gens qui ne sont pas affiliés à un organisme communautaire en particulier. Nous avons constaté que le recours aux programmes d'éducation des adultes et aux programmes de réintégration qui existent dans la plupart des secteurs de compétence constitue un moyen très efficace, en dehors des seuls moyens courants d'attirer les gens dans le processus.
Toutefois, j'estime que votre question aborde un point qu'un certain nombre de municipalités expérimentent à l'heure actuelle, à savoir comment créer une sorte d'infrastructure d'État stable pour une discussion publique et un dialogue public qui ne gruge pas les ressources déjà modestes des ONG. Lorsque les gouvernements procèdent à des consultations, ils ont tendance à dire: «Je vais me contenter de lancer n'importe quelle idée à n'importe qui» pour ce qui est de la communauté, et les membres de cette communauté luttent déjà pour survivre.
Un certain nombre de municipalités ont expérimenté l'idée de conseils communautaires, d'assemblées de citoyens, et cetera, qui offrent essentiellement une infrastructure de participation aux ONG sans drainer leur force et leurs ressources. Ceci donne l'occasion de participer à des citoyens qui ne sont pas forcément affiliés à un groupe. Pour répondre au deuxième volet de votre question, il faut réunir non pas simplement le représentant élu, le représentant municipal, mais souvent aussi le représentant de la province, de l'État ou du gouvernement fédéral. L'une des choses les plus frustrantes pour de nombreux citoyens c'est le fait que, pour eux, le gouvernement est le gouvernement, et on les envoie dans un million de directions différentes, surtout lorsqu'il s'agit d'enjeux qui relèvent de plusieurs secteurs de compétence. L'idée d'avoir une infrastructure commune, dans laquelle les représentants provinciaux, fédéraux et municipaux peuvent en fait puiser et participer au processus, s'attaque aux questions de savoir comment impliquer les élus et aussi comment retirer une partie du fardeau des ONG.
Le sénateur Mahoney: Je m'adresse à M. Shulman car il a parlé d'Expérience Canada. Je ne sais pas dans quelle mesure vous avez eu à traiter avec ce programme, ni ce que chacun en connaît, mais je sais qu'il implique des jeunes de partout au Canada et que ces derniers s'intéressent énormément au pays et au gouvernement. Je parle en connaissance de cause car Angela, qui est assise à côté de moi, vient du programme Expérience Canada et a été très utile dans le bureau. Elle s'intéresse énormément à ce qui se passe et à ce qui devrait se passer dans notre pays.
Je vous recommande fortement d'appuyer Expérience Canada car ce programme réalise du beau travail.
Le sénateur Johnstone: Je tiens à souhaiter également la bienvenue à nos témoins et à les remercier pour leurs exposés solides qu'ils nous ont présentés ce matin. À mon avis, nous pouvons admettre qu'il y a eu une baisse régulière de la confiance du public, en dépit du fait, comme vous le suggérez ici ce matin, que les gouvernements ont déployé de gros efforts pour essayer d'endiguer cette tendance. Je me demande si vous pouvez développer vos arguments sur ce que les mesures que les gouvernements pourraient adopter pour corriger ce déséquilibre.
M. Shulman: Nous devons être prudents lorsque nous utilisons l'expression «participation des citoyens», pour ne pas signifier simplement que les gouvernements font participer les citoyens comme et quand ils le veulent. Si quelque chose a émergé de toute la bataille entourant la fusion à Toronto, c'est la décision juridique de M. le juge Stephen Borins qui stipulait essentiellement que, du point de vue de la loi, la participation des citoyens est une prérogative politique, pas un droit en vertu de la Charte.
Si nous voulons vraiment une participation sérieuse des citoyens, nous devons examiner non seulement de quelle façon les gouvernements font participer les citoyens, au niveau des processus dont a parlé Rhonda, mais de quelle façon vous amenez les gouvernements et les ministères à prendre des engagements afin que le processus puisse se dérouler dans l'autre sens, des citoyens vers le gouvernement, et pas seulement du gouvernement vers les citoyens. C'est un vaste sujet mais j'estime que l'une des choses auxquelles nous devons réfléchir est toute la question d'avoir une vérification civique dans le cadre des budgets de chaque ministère, avec la responsabilité de décrire de quelle façon ils prennent des engagements envers les communautés et les citoyens.
Nous avons beaucoup d'infrastructures gouvernementales en place dans les communautés et nous possédons la technologie grâce à laquelle les citoyens devraient pouvoir intervenir et entrer dans la boucle d'élaboration des politiques à un point donné à leurs propres conditions, et pas seulement aux conditions d'un ministère. La technologie existe pour le faire et nous avons l'infrastructure.
Nous essayons actuellement de décider quoi faire avec nos RCRPP dans les communautés. Je ne peux pas penser à un meilleur usage des RCRPP que comme centres d'engagement communautaire permettant aux citoyens de se regrouper et d'apporter quelque chose, par opposition à la situation dans laquelle le gouvernement se tourne vers les citoyens. L'une des premières étapes importantes consiste à considérer la situation comme une voie à double sens.
Mme Ferderber: David, comme vous le savez, je suis tout à fait d'accord, même si cela fait seulement 10 mois que j'ai quitté après avoir passé de nombreuses années au gouvernement fédéral et de l'autre côté de la barrière, si vous voulez. C'était bien évident durant ces années-là, en collaborant avec les Canadiens aux processus dans lesquels j'étais engagée, que nous arrivions souvent avec nos problèmes, à la recherche de leurs idées. Toutefois, nous n'étions pas très réceptifs pour écouter leurs problèmes et les solutions qu'ils pouvaient avoir.
Cela semble être une façon merveilleuse de voir les choses en vue d'agir différemment. J'appuie toutes les énergies et tous les efforts qui seront déployés à cette fin et je serais assurément prête à investir les énergies que je pourrais dans cette direction.
À la conclusion de mon exposé, ce matin, j'ai posé quelques questions, et ce sont les questions délicates. Toute cette idée d'exercer le pouvoir de façon différente nous est posée, parce que c'est ce qu'il faudrait. Dans quelle mesure nos institutions sont-elles réceptives aux idées des citoyens qui proposent ces sujets sur lesquels ils souhaiteraient apporter leurs idées?
Je suis emballée par La Société que nous voulons parce que c'est l'un de ces processus provenant de l'extérieur du gouvernement qui donne aux citoyens l'occasion de participer. Tout d'abord, ils aiment participer. Ils sont électrisés par le simple fait de se réunir et de parler à leurs voisins, parents, amis, aux nouveaux venus, et cetera. C'est bon pour la cohésion sociale et pour l'édification de la société civile dans notre pays. Toutefois, nous avons appris, pendant le projet pilote, qu'il est bon de se sentir bien, mais que les gens veulent savoir ce qu'il va advenir des idées qu'ils viennent tout juste de proposer.
Il y avait cette importante question qui nous était posée, le facteur «et puis maintenant», ce que j'appelais «Et puis maintenant que je vous ai donné mes bonnes idées? Que puis-je espérer voir en découler?» Nous avons donc déployé de gros efforts pour reformuler le déroulement du processus et offrir certaines garanties aux Canadiens, à savoir qu'au moins les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques utiliseront leurs idées. Ils ont accès à de nombreuses filières de distribution pour leurs idées, rapports, nouvelles et bulletins, et ils se présentent devant des comités comme le nôtre où ils peuvent établir un lien direct dans ces couloirs du pouvoir.
C'est un défi important que vous avez à relever, faire de cela une réalité pour les Canadiens, les aider à comprendre que le temps et l'énergie qu'ils consacrent à un dialogue public sur le système de soins de santé, ou sur un certain aspect du travail, sur les enfants, trouvera son chemin dans le processus. Toutefois, nous devons trouver un moyen de leur faire un rapport et de leur montrer comment cela a fait une différence, ce qui a été fait avec cette information. L'un des enjeux les plus importants pour le gouvernement est peut-être cette boucle de rétroaction. Fermez la boucle. Cependant, vous contactez maintes fois les Canadiens. Combien de fois retournez-vous les voir pour leur dire: «Voilà ce qui s'est passé suite à votre participation. Ce n'est pas tout ce que nous aurions souhaiter, mais nous avons fait des progrès à ce niveau; nous avons avancé dans cette direction».
Les Canadiens toléreront cette sorte d'approche des «petits pas», si vous voulez. Ce qu'ils ne toléreront plus, si vous lisez les recherches du groupe Ekos, c'est de ne pas savoir. Ils veulent être assurés qu'on les écoute. Cette suggestion de David, au sujet d'une vérification, mérite d'être étudiée. Cela me frappe toujours comme un de ces domaines dans lesquels le groupe consultatif pourrait intervenir et dire: «Vous avez dépensé combien cette année pour faire des consultations? Puis-je en voir les résultats? Qu'est-ce que vous en avez fait? Qu'est-ce qui a changé?» La question est de savoir à quoi vous avez dépensé votre argent, ce que vous en avez obtenu.
M. Shulman: C'est également une question de faire honneur aux choses qui sont amorcées par les citoyens ainsi que par les gouvernements. Nous avons un gouvernement très accessible et nous devrions en être très fiers. Nous devrions être très fiers d'avoir au Canada un gouvernement accessible, mais accessibilité et capacité de participation ne signifient pas la même chose. Faire participer le gouvernement signifie faire quelque chose sur une période de temps.
Nous disposons d'un système merveilleux. Si j'ai des inquiétudes à propos de la pension de ma mère et si j'ai besoin d'aller voir mon député fédéral local appartenant à n'importe quel parti politique, nous avons un système formidable pour cela. Cependant, si je veux vraiment faire participer le gouvernement à long terme à l'élaboration des politiques sur les pensions dans la fonction publique, c'est une autre affaire. Nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Ce que nous devons examiner, ce n'est pas simplement de quelle façon nous pouvons avoir accès au gouvernement, mais de quelle façon nous pouvons le faire participer à l'initiative des citoyens et à l'initiative du gouvernement.
Le président: Arrêtons-nous là pour un instant. Je note votre point. Je pense que nous avons un bon système pour ce qui est de parler aux gens de la prestation des services gouvernementaux à tous les niveaux, et Dieu en soit loué. La rétroaction est efficace.
Toutefois, abordons quelques-uns des exemples que vous avez cités. Je n'ai pas lu le rapport du Forum sur la santé, j'ai honte de le dire, mais j'ai lu des rapports à ce sujet et je n'ai aucun doute que l'exercice a été constructif et utile.
Le Forum sur la santé a été créé en 1994. Dans le budget de 1995, le gouvernement fédéral a entamé le processus de soustraction de 6 ou 7 milliards de dollars des transferts aux provinces pour les soins de santé, l'enseignement post-secondaire et le bien-être social. À la même époque, les provinces ont commencé ou continué à fermer des lits d'hôpitaux et à réduire des services, et cetera. C'était assurément la préoccupation d'à peu près tout le monde dans le système des soins de santé, à l'époque où votre forum effectuait ses travaux.
Cette préoccupation soulève des questions très fondamentales: quelle est la priorité des soins de santé par rapport aux autres priorités des gouvernements fédéral et provinciaux? Qu'en est-il du financement de soins de santé? Il y a des personnes assez éminentes dans le réseau des soins de santé qui pensent qu'un système à deux niveaux conviendrait parfaitement, dans la mesure où il ôterait une certaine pression du système public, et que c'est la voie à suivre et que tôt ou tard nous devrons y faire face.
Comment allons-nous financer les soins de santé à l'avenir? Quelle est la pertinence de Loi canadienne sur la santé? Est-elle vraiment pertinente pour les questions qui préoccupaient les gens dans le réseau des soins de santé à l'époque même où le Forum sur la santé effectuait ses travaux? C'est un enjeu.
Nous avons signé une entente sur l'union sociale la semaine dernière. J'ai entendu les organismes autochtones protester parce qu'ils n'étaient pas présents à la table des négociations. Ce matin, à Radio-Canada, j'ai entendu la Fédération des francophones hors Québec, je pense, protester que l'entente sur l'union sociale était très imparfaite par le fait qu'elle n'offrait pas de garanties pour divers services sociaux dans la langue minoritaire, c'est-à-dire en anglais au Québec ou en français à l'extérieur du Québec.
À peu près à la même époque que le budget de 1995, ou un peu plus tard, plusieurs milliards de dollars ont été prélevés du système d'assurance-emploi. C'était des décisions à saveur financière; nous le savons tous. Nous connaissons tous les circonstances dans lesquelles ces sommes ont été prélevées. Comment faites-vous participer les gens à ces choix plus fondamentaux qu'il faut faire? Pensent-ils que le budget doit être équilibré? Si oui, pensent-ils qu'il faut sabrer dans les dépenses? Si oui, où et que sont les priorités qui devraient être accordées aux soins de santé par rapport à la défense nationale ou à un autre secteur?
Aujourd'hui, la grande décision dont tout le monde parle consiste à savoir si nous devrions utiliser notre marge de manoeuvre financière pour réduire la dette, diminuer les impôts ou augmenter les dépenses dans des secteurs importants? C'est extrêmement très fondamental. Comment faire participer les gens à ce niveau et pouvez-vous en arriver à une participation efficace pour ce qui est de fournir une certaine orientation aux gouvernements?
Mme Ferderber: Il ne fait aucun doute que les deux processus sont coûteux. Lorsque j'ai comparé les deux ce matin, j'ai essayé de souligner les points sur lesquels l'un présente assurément certains avantages par rapport à l'autre. Cela m'inquiète que vous ayez pu entendre qu'il n'y a qu'un seul processus à utiliser. J'estime que vous devez faire preuve de jugement à propos des sujets sur lesquels vous voulez obtenir les points de vue et les perspectives des Canadiens avant de choisir un processus. Il est certain que le choix du moment et vos ressources dicteront en partie votre décision.
Pour moi, l'idée d'avoir un objectif absolument transparent en dit long. Vous avez posé quelques questions sur la pertinence de la Loi sur la santé dans nos délibérations et pour savoir si oui ou non les Canadiens estiment avoir eu une bonne occasion de parler du financement entourant les soins de santé. Je soutiens qu'au cours des 18 mois de nos travaux avec les Canadiens, nous leur avons donné cette occasion et nous avons rédigé un rapport qui donnait des conseils. En fin de compte, le gouvernement a accepté certains de ces conseils.
Les sondages ont leur mérite. C'est impulsif et rapide. Cela donne un bon instantané du jour. Les gouvernements en ont besoin.
Nous disons que les gouvernements souhaitent également essayer d'obtenir certains des points de vue plus profonds qui n'ont pas souvent la chance de sortir avec des questions impulsives dans le but de promouvoir une certaine compréhension des deux facettes des questions au sein de vos groupes. Si vous deviez conseiller le gouvernement en fonction d'un peu de temps consacré à confronter les positions des autres, ne vous sentiriez-vous pas plus à l'aise et confiants que les décisions que vous avez prises sur cette question seraient bien fondées et auraient l'appui des Canadiens? En outre, vous n'auriez peut-être pas le genre de bulletin de nouvelles radiophoniques disant que «telle et telle chose est imparfaite parce que». Nous avons essayé de démontrer qu'un processus plus délibérant fournit ce que nous estimons peut-être constituer une information apprise pour le processus d'élaboration des politiques publiques.
M. Shulman: J'aimerais apporter un commentaire supplémentaire d'après mon expérience de travail dans des ministères fédéraux. La manière d'aborder cette question consiste à s'attaquer à votre point concernant la façon dont vous avez dépensé 100 000 $. Il me semble qu'avec des processus délibérants, vous pouvez souvent réaliser de véritables économies en rejoignant le public parce que vous mettez l'accent non pas tant sur les centres de télésollicitation que sur la préparation de documents pour vos délibérations, de documents qui proposent essentiellement des options aux gens. Ce processus fait une distinction entre les délibérations et les sondages impulsifs.
En ce qui concerne l'examen de l'immigration, nous avons constaté en particulier que le gouvernement recherchait des données de sondage qui étaient souvent très restrictives de ses options. Essentiellement, les données des sondages étaient impulsives, fermaient les portes, renvoyaient les gens et tout le reste. Avec un processus délibérant, lorsque les gens ont la possibilité non pas simplement de parler sur une question mais de l'étudier à fond, et lorsqu'ils ont effectué une certaine préparation, vous constaterez qu'ils ne sont pas tant opposés à l'immigration que critiques à l'égard des processus. En fait, la portée des options pour les mesures gouvernementales était nettement supérieure à ce que suggéraient les données des sondages. Autrement dit, il y avait beaucoup de consistance là-dedans et beaucoup moins d'espace de manoeuvre pour les technocrates.
À mon avis, je répète qu'il n'y a pas de panacée. Il n'y a pas de moyen idéal et parfait, mais il ne fait aucun doute que la délibération peut permettre de réaliser certaines choses.
Le président: Vous en parlez maintenant comme d'un outil éducatif.
M. Shulman: Absolument.
Le président: Les conditions dans lesquelles vous posez le contexte de la question auront une influence sur la réponse que vous obtiendrez. Je ne dénigre pas cela un seul instant, pas plus que je ne me plains du coût du processus. Je n'aurais pas dû soulever la question des 100 000 $. J'ai dépensé beaucoup de fonds publics et de fonds du parti pour des sondages à mon époque. Je n'ai nullement l'intention d'être critique à cet égard, pourvu que la matière soit utile et valable.
Le sénateur Johnstone: J'ai une courte question supplémentaire concernant ma question initiale. Je me demande, monsieur Shulman, si les mots clés sont, comme vous le suggérez: «C'est une voie à double sens».
M. Shulman: Oui. Exactement.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Ne pensez-vous pas que les gens s'entraident déjà? On avait cette cohésion sociale. Il s'agit seulement de regrouper tous les mouvements et de donner un nom à ce regroupement: la cohésion sociale. On n'a qu'à penser aux communautés culturelles.
Maintenant, concernant votre projet de société, avez-vous rencontré des gens des communautés culturelles? Dans le partenariat, vous avez le Conseil ethno-culturel canadien. Au Québec, nous n'avons jamais entendu parler de ce conseil ni du projet que vous soumettez. Dans votre projet, vous préoccupez-vous des communautés culturelles? Avez-vous relevé les efforts que ces gens ont faits pour s'entraider, pour mettre sur pied une cohésion sociale spécifique? Vous avez fait des consultations auprès des Canadiens, mais qui sont ces Canadiens? Sont-ils d'origine canadienne? Sont-ils de l'Ontario? Du Québec?
Je prépare actuellement une conférence -- pour utiliser votre expression, un dialogue public -- que je prononcerai le 19 mars devant tous les représentants des groupes de l'âge d'or des communautés culturelles afin d'échanger sur la façon dont ils vivent le processus de vieillissement dans leur communauté. Personne ne l'avait fait auparavant.
Si les invidivus s'imposent cette responsabilité qui a toujours existé, cela veut dire que la cohésion sociale a toujours existé. Nous l'avons vécue avec l'église, les écoles et des organismes comme Parents-Secours. Beaucoup de choses se sont faites sans avoir la dénomination spécifique de cohésion sociale. Que voulons-nous faire avec cette cohésion sociale? Est-ce une répétition? En disant que la cohésion sociale va se faire, le gouvernement ouvre-t-il ses bras et regroupe-t-il tous les efforts des citoyens de notre mosaïque canadienne en prétendant que c'est notre cohésion sociale? Mais nous l'avons déjà vécue. Je ne suis pas complètement d'accord avec cela.
[Traduction]
Mme Ferderber: Ce sont de bonnes questions et des points très importants à soulever en raison du véritable cynisme que l'on constate. Nous devons poursuivre notre travail en vue d'élaborer de bons processus.
Permettez-moi de me concentrer tout d'abord sur vos questions précises touchant le projet La Société que nous voulons. Il y a eu un projet pilote. Nous avions ciblé les provinces de l'Ontario et de la Colombie-Britannique en particulier pour ce projet pilote, même si nous avons organisé des groupes et s'il y a eu des tentatives pour en faire un projet plus national et pour approcher des gens de partout au pays. Nous avons connu un certain succès en Saskatchewan et au Manitoba. Nous avons eu quelques groupes au Nouveau-Brunswick.
Lorsque nous reprendrons les contacts, comme nous le faisons maintenant, nous engloberons le Québec car il est clair que le Québec n'a pas été impliqué, même au niveau le plus minime soit-il, pendant le projet pilote. Nous espérons énormément que nous trouverons des moyens pour engager une collaboration avec les citoyens et les organismes du Québec. Nous espérons que nos conseillers nationaux figurant sur notre liste actuelle, qui ont des organismes ou des chapitres au Québec, pourront nous aider, mais je serais très heureuse de savoir si certains d'entre vous ont des conseils à donner sur la façon de pouvoir mieux rejoindre les citoyens au Québec.
À mesure que nous continuerons à rejoindre des citoyens par le biais d'organismes et d'autres moyens, nous espérons également trouver un champion dans une communauté, quelqu'un qui peut parler en faveur de ce projet, qui parlera à deux autres personnes qui en parleront à trois autres. Nous espérons que tout cela commencera à engendrer un véritable noyau d'intérêt et aboutira peut-être à des groupes de dialogue public.
À propos du nombre de Canadiens auxquels nous avons parlé, nos objectifs sont forcément modestes pour l'instant car nous continuons à développer ce processus particulier, mais vous avez raison de poser les questions choc concernant l'efficacité du processus.
Pour moi, la cohésion sociale est une meilleure compréhension mutuelle. Elle nous donne la capacité de dire que nous avons eu l'occasion d'entendre des Canadiens dont nous n'aurions normalement pas eu la chance d'entendre les points de vue sur diverses questions. De là, nous obtenons un certain degré de compréhension. Il ne fait aucun doute que les Canadiens qui viennent tout juste d'arriver au pays se sont battus bien davantage que la plupart des Canadiens et leurs points de vue sur les questions deviennent extrêmement intéressants et informateurs pour ceux d'entre nous qui sont suffisamment privilégiés pour être nés ici.
Nous avons beaucoup de pain sur la planche pour implanter solidement ce processus particulier mais nous progressons et les premiers résultats avec 3 000 Canadiens en 200 groupes sont encourageants pour nous permettre de poursuivre cette expérience.
M. Shulman: Je pense que nous avons tous les deux abordé la question des relations entre les citoyens et l'État parce que, à certains égards, ce sont les sujets de discussion que l'on nous a communiqués pour aujourd'hui. Toutefois, vous avez soulevé la question des églises et des écoles, et cetera., qui amène la question plus large de la façon dont ces institutions médiatrices contribuent à une société homogène. À mon avis, comme je l'ai déjà dit, une société homogène est une société dans laquelle nous nous sentons à l'aise avec notre diversité. Tout comme je ne pense pas que la société civile puisse se substituer à l'État pour ce qui est de la participation des citoyens à l'élaboration des politiques, j'ose espérer que l'État ne se substituera jamais à ces institutions médiatrices que sont les églises et les écoles pour créer les autres aspects de la cohésion sociale. Elles ont toutes leur rôle à jouer.
Le sénateur Butts: Pour commencer, j'aimerais poser une question très simple à Mme Ferderber. Avez-vous trouvé dans toutes ces études une homogénéité d'utilisation parmi tous les Canadiens?
Mme Ferderber: La réponse brève est oui. La réponse réconfortante est oui. Pendant le projet pilote, nous avons abordé cinq questions clés: la santé, nos enfants, notre filet de sécurité sociale, le travail et le rôle du gouvernement. Nous avons constaté qu'il y a encore un très fort sentiment de compassion et de bienveillance mutuelles qui a filtré de ces cinq questions principales dont les Canadiens ont discuté et sur lesquelles ils ont entamé des dialogues. Ils ont démontré clairement qu'ils s'attendent à voir les gouvernements jouer les rôles qu'ils ont à jouer. La question du rôle du gouvernement n'en était pas une qui a été choisie fréquemment par les groupes mais elle a surgi dans les discussions portant sur toutes les autres questions.
Le bulletin donne un aperçu de la première série de résultats. Ces résultats ne font que corroborer et qu'affirmer où se situent les valeurs des Canadiens. C'est probablement un des éléments les plus passionnants de ce processus.
Une fois encore, un autre avantage passionnant est d'aller chercher ce que les Canadiens ont de plus secret et ce que nous devrions prendre en considération lorsque nous prenons nos décisions -- des choses que vous ne pouvez pas obtenir par des réponses impulsives à des sondages. Nous aimons penser que certains de ces travaux de défrichage ont également débuté avec le forum.
Le sénateur Butts: Juste en aparté, j'espère que votre compassion n'est pas la même que la compensation, sens qui a commencé à circuler dans les médias et pour certains politiciens au cours des dernières années. J'estime que c'est un gros problème. Je ne pense pas que c'est ce que les Canadiens veulent entendre par là, mais ils en ont assez de cela.
J'aimerais obtenir une brève explication de la méthodologie. Comment obtenez-vous vos participants? Est-ce un échantillon aléatoire? Est-ce un échantillon scientifique ou font-ils l'objet d'un libre choix?
Mme Ferderber: Ils font largement l'objet d'un libre choix. Nous essayons de communiquer l'existence du projet grâce à nos conseillers nationaux et grâce à nos propres efforts de mobilisation. Nous communiquons avec divers leaders communautaires et avec d'autres personnes pour leur parler du projet. Les gens en entendent parler de bouche à oreille et ils rassemblent un groupe autour de leur propre table à café dans leur salon. Cela se fait donc beaucoup par libre choix à l'heure actuelle.
Le sénateur Butts: Je pourrais alors supposer que s'ils se choisissent eux-mêmes, il s'agit de gens qui sont déjà intéressés par ce genre de choses. Ce qui m'inquiète un peu, c'est que cela pourrait ressembler aux tribunes libres à la radio où chaque personne qui a le même motif de se plaindre appelle tandis que toutes les personnes satisfaites ne se donnent pas la peine d'appeler.
M. Shulman: J'aimerais simplement ajouter quelques mots aux propos de Rhonda à propos de certains des tests que nous avons effectués sur les documents de la deuxième phase, à savoir ceux que l'on vous a remis. Ceux-là ont été effectués au hasard. Il n'y a pas eu de libre choix. Nous avons effectué les tests en nous assurant spécifiquement qu'il y avait une amplitude et une représentation convenables, précisément pour ne pas nous retrouver avec le phénomène Howard Stern.
Le sénateur Butts: Le deuxième groupe n'est donc pas le même que le premier.
Mme Ferderber: Il est assez semblable mais nous avons effectué des modifications. Le processus fonctionne de la même manière. Il propose trois choix difficiles pour que les Canadiens discutent sur une question.
Prenons le système de soins de santé. À l'aide de ce modèle de choix, nous proposons trois perspectives. Nous essayons de le faire d'une façon qui ne sera pas forcément provocante, mais qui provoquera une bonne réflexion et une bonne discussion sur ce que les gens pourraient ou non souhaiter voir à propos du système de soins de santé.
Dans le guide actuel, nous demandons aux Canadiens de parler de la signification d'avoir un système de soins de santé abordable. Sont-ils disposés à payer davantage? Qu'est-ce que cela signifie d'avoir un système de soins de santé accessible? Qu'entendons-nous par protection: davantage de protection, moins de protection, une protection différente? En disposant ces trois points sur un triangle, si vous voulez, nous demandons aux Canadiens de discuter et de formuler leurs pensées sous forme de rétroaction.
Nous disposons d'un plan de recherche plutôt établi et d'un cadre d'analyse qui n'existaient pas la première fois. Nous recevrons des idées de tous les participants en fonction de quelque chose que les sociologues connaissent sous le nom d'échelle de Likert. Les participants répondront à 12 questions pour nous dire en quelque sorte à quel point ils sont en accord ou en désaccord avec divers aspects de la question dont ils viennent tout juste de parler.
Cette analyse sera combinée à d'autres éléments du processus où nous leurs demandons de nous donner un indicateur de réussite. Qu'est-ce qui indiquerait dans cinq ans, selon vous, que les choses vont dans la direction que vous souhaitez? Cela fournira quelques idées très intéressantes aux décideurs et aux technocrates si on leur dit que parmi un nombre X de groupes, pour tant de Canadiens, ces trois éléments sont des indicateurs de réussite. Ce n'est pas une mauvaise chose à considérer et à essayer d'en assumer la responsabilité. Par conséquent, le processus se développe.
Le sénateur Butts: Après avoir lu ces documents, j'aimerais appeler La Société que nous voulons «La Société dont nous rêvons». J'éprouve un véritable problème avec cette utilisation de l'expression «seuil de pauvreté». Quel est votre seuil de pauvreté? Chacun a sa propre définition. Quel est le seuil de pauvreté dans ce domaine? C'est un gros problème.
J'ai eu mon propre groupe de discussion dans lequel j'essayais de leur demander de me dire ce qu'est le seuil de pauvreté. Aimeriez-vous que je vous parle un peu de ce qu'ils m'ont dit? Ils devaient décider si cela signifie avoir de l'argent pour les loisirs, avoir un téléphone, avoir la télévision, avoir le câble, avoir l'Internet. Un participant a même demandé: «Cela paierait-il pour Viagra?»
Quel est votre seuil de pauvreté? C'est mentionné ici à au moins deux reprises. On prétend qu'il touche 20 p. 100 des familles au Canada et un enfant sur cinq au Canada, ce qui, je pense, donne la même chose, 20 p. 100.
Mme Ferderber: Vous citez des extraits du bulletin. Je n'ai personnellement pas de définition du seuil de pauvreté. Je suis bien trop consciente des difficultés pour essayer d'en établir un qui soit convenable. Nous ne faisons que rapporter les résultats des groupes et la façon dont l'information nous est parvenue par leur intermédiaire.
Le sénateur Butts: C'est le problème. Chacun utilise un seuil de pauvreté mais je ne sais pas où il se situe. Je pense que cela a débuté il y a longtemps lorsque quelqu'un à Statistique Canada a essayé de donner le revenu relatif des 5 p. 100 supérieurs et des 5 p. 100 inférieurs, mais cela n'a aucun sens si les 5 p. 100 supérieurs s'enrichissent tout le temps. Alors, vous avez la certitude absolue que les pauvres s'appauvrissent. C'est ce que les chiffres vous diront. Cela n'a aucun sens. J'éprouve un véritable problème à trouver qui sont les pauvres.
Un autre groupe parle maintenant d'un panier à provisions. Le contenu du panier à provisions donne la définition d'un pauvre.
J'estime qu'il y a un autre problème global concernant les actes que le gouvernement peut poser. Il y a des millions de jeunes qui sont pauvres, indépendamment du revenu familial, et c'est là que les difficultés surgissent. L'argent n'atteint pas les millions d'enfants, quelle que soit la raison de leur pauvreté. Ils ont des parents qui sont alcooliques ou joueurs ou quelque chose d'autre, et il y en a beaucoup. Il est très difficile de parler de remédier à la pauvreté des enfants en envoyant davantage d'argent aux familles. C'est le problème avec ce genre de conclusions d'un groupe de personnes librement choisies.
Le sénateur Cools: Je pense que le sénateur Butts a soulevé deux points très importants. Le premier en est un que je mentionne tout le temps, à savoir que la privation n'est pas forcément une question économique. Il y a des milliers d'enfants au Canada qui sont privés de l'aide sociale dont ils ont besoin, et le montant d'argent qu'on leur consacre importe peu car le problème n'est pas économique. Il y a des déficits dans leurs antécédents sociaux.
Le deuxième point est que ces bureaucraties élargies absorbent en elles-mêmes et par elles-mêmes une grande quantité de ressources et toute la question consiste à savoir combien de ces dollars arrivent réellement dans les mains des gens. C'était l'une des raisons qui a poussé Mackenzie King à créer les allocations familiales il y a si longtemps, même si elles ont disparu aujourd'hui. Les allocations familiales constituaient un moyen d'injecter directement beaucoup de dollars dans l'économie.
Je vais simplement débiter mes questions. Si on ne peut pas y répondre aujourd'hui, ce n'est pas grave. Il faudra les aborder à un moment quelconque à l'avenir. J'ai été très intéressée par vos commentaires sur le dialogue, sur la représentation, sur la nécessité d'une participation du public au processus politique et sur la nécessité accrue d'un dialogue plus représentatif.
Je voudrais connaître votre point de vue sur le rôle des partis politiques dans ce processus de dialogue public et dans le processus d'élaboration des politiques publiques. Dans ma jeunesse, on nous disait que le parti politique était l'instrument par lequel on créait les questions de politique publique et par lequel le public faisait connaître ses observations aux représentants de Sa Majesté. Nous savons pourtant tous que ce n'est pas le cas.
Dernièrement, l'un de ces groupes de réflexion, Caledon, je crois, a produit des documents mentionnant que les partis politiques, dans les communautés contemporaines, sont devenus à peine autre chose que des machines publicitaires, que nous formons des cabinets qui ne sont pas ancrés dans les questions de politique publique et que les gouvernements et les partis dépendent des sondages et des sondeurs et des bureaucrates gouvernementaux, en se fiant très peu, en fait, sur les membres du caucus.
Les députés de la Chambre des communes sont les personnes les moins appuyées dans le système. Ce sont les personnes les moins consultées et les moins influentes dans le système. Nous le constatons tout le temps. C'est la même chose pour le Sénat, sur cette question, même si c'est un rôle que je défie.
Comme la Chambre des communes est devenue de plus en plus l'agent du pouvoir exécutif, elle semble vide la plupart du temps. Pour ceux et celles d'entre nous qui réfléchissent plus sérieusement à ces questions, c'est gênant; c'est très frustrant, extrêmement perturbant. Nous devrions toutes et tous être concernés car les politiques sont élaborées quotidiennement et il serait malhonnête de laisser penser, même pour un instant, qu'elles émanent d'un parti ou du caucus.
Je suis d'avis que nous devons commencer à aborder la question du rôle du parti politique dans la cohésion sociale et à examiner les appuis dont cet instrument a besoin. Mackenzie King avait l'habitude de répéter sans cesse qu'un parti politique est un instrument spécial et unique qui a besoin de bienveillance et d'appui. La preuve en est que, dans notre pays, les partis politiques parviennent moins à concilier l'opinion nationale avec les intérêts régionaux.
Je vous ai présenté tout cela très rapidement, comme une synthèse, mais j'estime que c'est l'un des problèmes urgents de l'heure. Y avez-vous réfléchi? Si nous n'avons pas le temps maintenant, vous pourriez peut-être communiquer avec moi personnellement ou envoyer l'information.
M. Shulman: Je vais essayer, dans le peu de temps dont nous disposons, de vous répondre dans la perspective d'un professeur d'histoire qui réfléchit sur l'histoire des partis politiques au Canada. J'essaie de transmettre à mes étudiants, dont beaucoup vivent un grand nombre des déficits sociaux dont vous parlez, un sentiment de la contribution que les partis politiques ont apportée à la cohésion sociale dans notre pays. Il suffit de regarder quelle était la situation du Canada il y a un siècle pour constater les véritables divisions dans le tissu social. Les partis politiques de tous bords ont apporté une contribution importante pour contrecarrer cette situation. J'essaie de transmettre cela à mes étudiants pour combattre une grande partie de ce cynisme, et cetera.
Les partis ont fait et continuent de faire des contributions énormes par le biais de leurs ailes jeunesse. Il n'y a pas un seul parti qui n'a pas une aile pour impliquer les jeunes. Ceci étant dit, la question que vous avez soulevée à propos de la partisannerie et d'une certaine usurpation de la fonction législative au niveau du pouvoir exécutif est l'une des sources de ce cynisme. Je pense que cela soulève un certain nombre de questions intéressantes.
Au Canada, il existe à l'heure actuelle toutes sortes d'endroits où vous pouvez aller quand vous voulez choisir votre camp sur le libre-échange ou la pauvreté ou un autre sujet. Cependant, nous avons essayé d'aborder la question de savoir où les gens peuvent trouver un endroit où ils peuvent examiner la situation avant, en fait, d'avoir à choisir leur camp, avant d'en arriver à prendre une décision: «Vous savez quoi? Je suis un conservateur» ou «Je suis un libéral».
J'estime que votre question suggère un autre point, et c'est de retourner la situation, de penser non pas en fonction de la Chambre des communes mais du Sénat, parce que, pour une raison quelconque, le Sénat est perçu comme un groupe moins partisan. Moi le premier, j'ai toujours pensé qu'il existait un énorme potentiel pour que le Sénat soit considéré dans le processus politique comme moins régenté par le pouvoir exécutif et comme ayant une plus grande légitimité législative.
Votre comité devrait peut-être envisager des moyens par lesquels l'interaction entre le Sénat et les citoyens pourrait constituer un modèle pour la Chambre des communes. Au lieu de suivre la Chambre des communes, le Sénat pourrait peut-être, en fait, montrer la voie.
Le président: Je suis certain qu'ils apprécieraient cela.
Le sénateur Cools: Je suis certaine qu'ils aimeraient cela. Ils nous adresseraient des tonnes de louanges.
Le président: Il ne me reste plus qu'à remercier Mme Ferderber et M. Shulman pour nous avoir fait passer une matinée très intéressante.
La séance est levée.