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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 25 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 16 février 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 10 h 05 pour étudier les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, ce matin, dans le cadre de notre étude sur la cohésion sociale au Canada, nous allons parler de l'accès au crédit. Les témoins aborderont, entre autres, les questions suivantes: dans quelle mesure les Canadiens ordinaires sont-ils bien servis par les institutions financières existantes? Quelles sont les lacunes et les barrières? Quels nouveaux mécanismes ou services sont-ils nécessaires pour assurer l'accès au crédit et aux services financiers aux gens à faible revenu et aux petites entreprises? Après que nos quatre témoins auront fait quelques brèves remarques préliminaires, les sénateurs auront la possibilité de dialoguer avec eux.

M. Russ Rothney, gestionnaire, Développement économique communautaire, Caisse de crédit d'Assiniboine: Bonjour, honorables sénateurs. Je signalerai tout d'abord que la Caisse de crédit d'Assiniboine est située à Winnipeg. Nous essayons depuis plusieurs années de mettre au point des services financiers destinés de façon particulière aux secteurs de la population qui ne sont pas bien servis par les services financiers traditionnels.

Nos efforts revêtent un caractère très précis et local, mais s'inscrivent dans le contexte des difficultés découlant de certaines des stratégies de mondialisation axées sur les exportations que suit notre économie. Même si je parle de solutions très concrètes et précises visant à améliorer certaines disparités et à offrir des possibilités accrues, nous ne portons pas d'oeillères pour faire notre travail. Nous agissons au niveau local, mais nous pensons dans un contexte mondial. Je mentionne cela pour situer mes remarques dans le contexte dans lequel le comité examine ces questions.

Le mouvement des coopératives de crédit permet d'offrir des services financiers novateurs qui sont considérablement plus flexibles que ceux offerts par les banques traditionnelles. Les coopératives de crédit sont contrôlées de façon démocratique -- un membre, un vote -- au lieu d'être contrôlées par des actionnaires. Cela veut dire que les résidents locaux peuvent avoir une influence réelle, grâce aux assemblées générales annuelles ou à d'autres genres de comités dont les membres font partie, sur les activités de leur coopérative de crédit.

Je n'oserais certainement pas prétendre que tous les gestionnaires de coopératives de crédit pensent uniquement au développement communautaire et à la cohésion sociale, mais je suis convaincu que la majorité d'entre eux s'intéressent fortement à ces questions. Ainsi, lorsque les membres proposent des idées et des approches qui répondent à ce genre de questions sociales, il est possible et, en fait, il arrive que ces suggestions se transforment en quelque chose de concret.

Traditionnellement, non seulement ces dernières années mais depuis 180 ans, les coopératives de crédit, comme toutes les coopératives en général, ont toujours répondu à des vagues de mondialisation. La mondialisation n'est pas un phénomène nouveau. Si vous avez des doutes sur ce qu'est la restructuration mondiale, vous n'avez qu'à visiter certaines collectivités autochtones. Elles ont subi la restructuration la plus massive et la plus dévastatrice qu'on ait pu voir dans le monde, restructuration qui a transformé des économies locales équilibrées en économies dépendantes de l'extérieur et qui a conduit à l'effondrement de l'indépendance sociale, culturelle et politique de ces collectivités.

Je vais maintenant mentionner quelques-uns des principaux secteurs dans lesquels nous travaillons pour offrir de nouveaux services et produits. J'ai fourni un document de référence que certains d'entre vous voudront peut-être examiner. On y donne un aperçu de certains des aspects du développement communautaire auxquels s'intéressent les coopératives de crédit, non seulement à Winnipeg, mais d'un bout à l'autre du pays.

Nous offrons des services aux microentreprises depuis six ans et demi. Les prêts aux microentreprises sont des prêts de petite taille, même si la définition varie. A l'origine, ces prêts allaient généralement de 1 000 $ ou moins jusqu'à 10 000 $. Ces prêts sont offerts aux personnes qui mettent sur pied leur propre entreprise autonome.

La Caisse de crédit d'Assiniboine collabore avec ses partenaires de la collectivité à Winnipeg dans presque tout ce qu'elle fait. Au lieu de simplement mettre au point un produit et de l'imposer à la collectivité, nous cherchons les groupes communautaires et les groupes de quartier qui font des choses et nous essayons de nous allier à eux. Dans le cas des prêts aux microentreprises, nous travaillons avec un groupe de développement communautaire sans but lucratif qui s'appelle SEED Winnipeg.

Récemment, Diversification de l'économie de l'Ouest Canada a également formé un partenariat avec nous dans le but d'accroître considérablement notre capacité d'offrir des prêts aux microentreprises. Essentiellement, ce ministère soulage la coopérative de crédit d'une partie du risque. Jusqu'à maintenant, soit au cours des six dernières années, nous devions utiliser une enveloppe budgétaire annuelle, que notre société d'assurance-dépôts examinait minutieusement chaque année. Avec l'appui de Diversification de l'économie de l'Ouest Canada, la société d'assurance-dépôts aura moins d'inquiétude qu'auparavant. Ce n'est pas que les microentreprises sont difficiles: certaines connaissent beaucoup de succès et ont de très bons dossiers pour ce qui est du remboursement de leur prêt. Le problème est qu'il s'agit de prêts de très petite taille. Les institutions financières traditionnelles ne font pas ce genre de prêts parce que le temps qu'il faut pour administrer un prêt de 10 000 $ peut être le même que pour un prêt de 100 000 $, et ces prêts ne sont donc pas considérés comme étant rentables. C'est pourquoi nous avons toujours été obligés de prévoir une enveloppe budgétaire particulière jusqu'à ce que nous obtenions l'appui de Diversification de l'économie de l'Ouest Canada. Nous ne faisons pas cela pour faire des profits, mais bien pour offrir un meilleur service aux groupes mal servis par les institutions financières traditionnelles.

Nous travaillons aussi avec le Independent Living Ressource Centre, un groupe de protection du consommateur pour les personnes handicapées qui est un pionnier dans ce domaine tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. Récemment, encore une fois avec la collaboration de Diversification de l'économie de l'Ouest Canada, nous avons mis sur pied une caisse spéciale de prêts pour les entrepreneurs handicapés en région urbaine. SEED Winnipeg participe également à ce programme, assurant la formation liée au programme.

Ces modèles nous permettent d'offrir des prêts que nous ne pourrions pas offrir autrement étant donné l'absence de garanties conventionnelles, par exemple un immeuble, de l'équipement et un terrain, ou d'une source constante de revenu qui servirait de garantie personnelle.

Nous accordons du crédit à ceux qui le méritent. Autrement dit, nous tenons compte de la responsabilité de l'entreprise. Nous nous attendons à ce qu'on nous rende des comptes. Nous cherchons des gens qui ont une passion pour ce qu'ils font et qui ont assez d'expérience pour prouver qu'ils peuvent accomplir ce qu'ils tentent de faire, mais nous ne leur mettons pas des bâtons dans les roues parce qu'ils n'ont pas encore accumulé de richesse.

Laissons maintenant le secteur des microentreprises pour passer à un fonds de développement communautaire plus général. Nous travaillons déjà depuis plusieurs mois avec une coalition inter-églises <#0139>cuméniques qui a créé un fonds portant le nom de Jubilee Fund. Ce dernier doit commencer ses opérations l'automne prochain. Il sera contrôlé par les églises membres de l'organisation. Autrement dit, ce sera un fonds communautaire indépendant. Ce fonds est unique parce que les certificats d'investissement sous forme de prêts qui seront vendus aux églises membres et au public en général comme moyen d'alimenter la caisse de prêts seront tous administrés par la Caisse de crédit d'Assiniboine. Le fonds peut ainsi profiter de la réputation et de l'image professionnelle de la coopérative de crédit en plus d'avoir accès à un système informatique de déclaration et de suivi très sophistiqué.

La coopérative de crédit administrera les investissements, que ce soit des prêts ou des capitaux propres. Ces capitaux propres vont au-delà du mandat normal des institutions de dépôt réglementées. Encore une fois, l'idée est d'avoir un financement assez souple pour nous permettre d'offrir des prêts ou des capitaux propres que nous ne pourrions pas offrir autrement. Nous combinons ensuite ce mode de financement au mode de financement conventionnel afin d'assurer un équilibre maximum.

Du point de vue du logement, Winnipeg a malheureusement une des pires situations au pays pour ce qui est du logement dans les quartiers défavorisés, avec un très haut taux d'absentéisme chez les propriétaires et de nombreuses propriétés en mauvais état. Toutefois, il y a encore une quantité assez importante de maisons unifamiliales qui pourraient être remises en état si on ne les laissait pas se détériorer. Le marché de l'habitation étant si faible, il est difficile de savoir quoi faire à part simplement regarder brûler ces maisons, comme vous l'avez probablement vu récemment dans les médias. Sur une note positive, on a vu naître au cours des deux dernières années et demie, dans tous les quartiers du centre-ville, des groupes de revitalisation mis sur pied par les résidents, et nous nous sommes alliés à ces groupes pour les aider à financer l'acquisition et la rénovation de ces maisons. Nous faisons habituellement cela en partenariat avec les programmes locaux de formation professionnelle qui font appel principalement à des résidants ou des jeunes de l'endroit, afin que ces initiatives en matière de logement aient des retombées positives du point de vue de la formation et de l'emploi.

Notre expérience pratique nous a également fait découvrir de nombreuses barrières non intentionnelles, mais néanmoins réelles, sous forme de politiques gouvernementales, particulièrement celles de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Je vais donner quelques exemples. La SCHL refuse systématiquement d'accorder une garantie ou une assurance aux bénéficiaires de l'aide sociale. Les gagne-petit ont également de la difficulté à obtenir ce genre de garantie parce qu'ils changent souvent d'employeur. Il y a des barrières comme le refus d'accepter les fonds propres comme un moyen acceptable de payer le versement initial. Il y a aussi l'obligation pour les organisations qui construisent des logements sans but lucratif de payer un versement initial obligatoire de 25 p. 100 au lieu de 15 p. 100, comme c'est le cas pour les entrepreneurs privés. Le fait de travailler avec ces groupes et de voir toutes ces barrières nous a amenés à être actif dans le domaine de la défense des politiques.

Nous examinons aussi ce qu'on appelle des comptes de développement individuel, ou CDI. Nous avons été attirés par des modèles qui existent dans d'autres coopératives de crédit avec qui nous traitons aux États-Unis. M. Peter Nares donnera plus de détails à ce sujet plus tard. Nous voulons mettre sur pied ce genre de programme. Nous avons déjà rencontré des hauts fonctionnaires du gouvernement provincial à ce sujet et pouvons compter sur la collaboration de la province.

En ce qui concerne le développement des entreprises, nous avons pris l'initiative de favoriser la création d'une association de développement des entreprises communautaires, dont nous faisons partie. Cette association réunit des entreprises qui allient deux objectifs: la rentabilité commerciale et le développement communautaire. Elles se soucient des questions sociales et environnementales dans la conduite de leurs affaires. Cette association, qui ne comptait que quatre ou cinq membres il y a un an, en compte maintenant une vingtaine. Nous travaillons aussi avec un groupe visant à offrir des services financiers adaptés aux habitants des quartiers défavorisés. Cette initiative a été conçue par un comité de l'Église unie du nord de la ville de Winnipeg. À cet égard, nous cherchons à mettre sur pied une solution de rechange aux «prêts jusqu'au jour de paie», qui sont très coûteux et qui sont devenus pratique courante récemment aux États-Unis. Nous voulons offrir des services spéciaux d'encaissement de chèques ainsi qu'un programme de comptes de développement individuel.

À part cela, nous avons une collaboration assez unique avec le secteur du bénévolat, des dons et de la sollicitation, particulièrement grâce à la campagne Christmas L.I.T.E. Nous participons à cette campagne depuis son lancement. Cette campagne vise essentiellement à recueillir des dons pour l'achat de paniers de Noël. L'an dernier, je crois que nous avons recueilli 735 000 $. Cet argent est ensuite utilisé pour préparer des paniers de Noël remplis de produits achetés dans les entreprises communautaires des quartiers défavorisés. Au lieu de simplement fournir des repas de Noël, nous créons aussi des possibilités d'emploi dans les quartiers où ces paniers sont distribués. Nous considérons que cette initiative marque une importante amélioration par rapport à la notion de charité traditionnelle.

Enfin, je veux mentionner d'autres secteurs de politique qui peuvent vous intéresser. Après un an de délibération, la Division des organismes de charité de Revenu Canada a élaboré une ébauche de position sur le développement économique communautaire. Il est donc plus facile pour nous de travailler avec les organismes qui ont le statut d'organisme de charité aux fins de l'impôt. Cependant, il y a encore des limites à cet égard.

Le président: Je crois que nous devrons examiner cette question plus tard. Je veux entendre les trois autres témoins.

M. Rothney: C'est tout ce que j'avais à dire.

M. Peter Nares, directeur exécutif, Self-Employment Development Initiatives: Je veux parler de l'épargne et des avantages qu'elle procure comme stratégie de réduction de la pauvreté, mais je vais d'abord vous donner de l'information sur l'organisme Self-Employment Development Initiatives, ou SEDI.

SEDI existe depuis 1986. Nous sommes un organisme de charité qui oeuvre à l'échelle nationale, bien que la majeure partie de notre travail se fasse en Ontario. Nous avons travaillé directement avec plus de 6 000 Canadiens à faible revenu pour les aider à mettre sur pied leurs propres entreprises. Nous avons aussi participé à la conception de programmes de caisses de prêts communautaires, tant au niveau provincial qu'au niveau local. Plus tard, si nous entreprenons un dialogue sur le microfinancement et d'autres sujets connexes, je serai heureux d'y participer.

Je veux parler de l'épargne et des avantages qu'elle procure comme nouveau moyen de réduire la pauvreté. Ce concept est lié au travail de votre comité de deux façons particulières. Premièrement, nous croyons que le non-accès à l'épargne et aux avantages qu'elle procure pour les Canadiens à faible revenu est un enjeu social important. Selon nous, ce concept donne aux pauvres la possibilité de croire qu'ils ont un avenir. Il leur donne de l'espoir, et l'espoir est une question importante pour vous.

Notre travail nous a enseigné une chose importante, soit que les pauvres ont un bon esprit d'entreprise et qu'ils ont la capacité de produire. Tout ce que je dirai sera lié à ce principe fondamental. Je vais maintenant me reporter au document que j'ai remis au greffier.

Je veux parler d'une méthode que nous appelons le «compte de développement individuel», ou CDI. L'idée est que, en donnant aux pauvres l'accès à l'épargne et aux avantages qu'elle procure, on réduira leur pauvreté et celle de leurs enfants et on contribuera à assurer leur autosuffisance économique à long terme. Le raisonnement derrière cette idée est que nous croyons que la pauvreté n'est pas seulement une question d'argent et de consommation, mais une question d'épargne. Nous croyons que le comportement associé à l'épargne et à l'investissement dans les avantages auxquels l'épargne donne accès favorise des changements positifs à long terme dans la situation sociale et économique des personnes et des familles. L'épargne est un moyen d'accéder à des avantages tels que l'éducation, l'éducation postsecondaire, le démarrage d'entreprise, le perfectionnement professionnel et le logement.

La politique gouvernementale au Canada suit cette approche depuis un certain temps pour les gens de la classe moyenne et de la classe moyenne supérieure. Je fais allusion aux REER et, en particulier, à la subvention canadienne pour l'épargne-études. Ce mécanisme, qui a été annoncé dans le budget fédéral de l'an dernier, prévoit le versement d'une subvention égale à 20 p. 100 de la cotisation annuelle totale à un REEE, jusqu'à concurrence de 2 000 $. À bien des égards, c'est une forme de CDI. Je crois que vous verrez ce que je veux dire à mesure que je décrirai ce qu'est un CDI.

Le concept des CDI vient des États-Unis. Il y a deux ou trois ans, dans le discours sur l'état de l'union, le président Clinton a parlé de comptes d'épargne universels. Ce sont également des CDI. Ce concept est très populaire aux États-Unis. Je peux vous donner plus d'exemples de ce que cela veut dire, mais, du point de vue de la politique gouvernementale américaine, ce sera un élément important du programme des démocrates à l'avenir. Le concept a été élaboré par un chercheur de l'Université Washington, à St. Louis. Des travaux de recherche ont été faits sur l'impact de l'absence d'épargne sur les pauvres aux États-Unis. C'est cette recherche qui a donné naissance au concept des comptes de développement individuel.

Les comptes eux-mêmes sont essentiellement de l'épargne accélérée, où, pour chaque dollar épargné par une personne à faible revenu, une subvention de contrepartie -- soit deux pour un, trois pour un, quatre pour un, ou n'importe quel autre ratio -- sera versée afin que l'épargne qui pourrait servir à financer des études postsecondaires croisse plus rapidement qu'il ne serait possible autrement. C'est là où le facteur de l'espoir entre en jeu. La plupart des pauvres ne peuvent même pas envisager d'envoyer leurs enfants à l'université parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Ce programme rend les études postsecondaires accessibles pour ces gens.

L'idée de l'épargne accélérée n'est qu'un élément du concept, l'autre étant la formation économique. Pour être admissible à un compte de développement individuel, on doit participer à un programme obligatoire de formation économique qui porte sur l'argent. Les gens apprennent ce que l'argent peut faire pour eux et ce qu'il ne peut pas faire pour eux. Ils ressortent de ce programme avec deux choses: premièrement, un objectif d'épargne -- ce pour quoi ils veulent épargner; et, deuxièmement, un plan d'épargne qui les oblige à se demander combien ils doivent verser dans leur compte pour atteindre cet objectif à long terme.

Nous avons passé la dernière année et demie à examiner l'efficacité de cette méthode au Canada. Nous avons parcouru le pays et avons travaillé en collaboration avec des groupes locaux. Nous avons tenu des séances de consultation avec les consommateurs où nous avons demandé à des gens à faible revenu s'ils aimaient ou non cette idée et dans quelles circonstances ils utiliseraient un tel mécanisme. Nous avons parcouru le Canada, de Sydney Mines, au Cap-Breton, jusqu'à la partie est du centre-ville de Vancouver. Nous avons une bonne compréhension de ce que les gens pensent de cette idée.

Les pauvres qui travaillent se sont montrés très réceptifs. Ils sont plus à même de réaliser des économies que les pauvres qui vivent de l'assistance sociale. Ces derniers aimaient généralement assez l'idée, mais ils ne croyaient pas que le gouvernement ferait cela pour eux, car ils n'ont tout simplement pas confiance au gouvernement. En gros, l'idée a été bien accueillie par les pauvres.

De plus, nous avons travaillé avec les gouvernements provinciaux, directement dans certains cas et indirectement dans d'autres, pour voir si, oui ou non, ils appuieraient la mise à l'essai de ce concept. La réponse a été excellente à la fois au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, qui ont promis d'engager des ressources. La réaction a également été positive au Manitoba et en Colombie-Britannique.

Nous allons maintenant tenter d'obtenir du gouvernement fédéral les fonds nécessaires à la réalisation d'un projet pilote à l'échelle nationale. Le Sénat américain a récemment adopté une loi de crédits autorisant l'investissement de 12 millions de dollars par an dans le projet ADD ou l'American Dream Demonstration. Cette mesure permettra à des milliers de détenteurs de comptes de développement individuel de participer activement à l'économie. Ce projet fera l'objet d'un examen rigoureux.

Je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

[Français]

M. Jean Vincent, président et directeur de la Société de crédit commercial autochtone: Monsieur le président, je m'adresse à vous aujourd'hui dans le contexte de votre étude des peuples autochtones du Canada. On retrouve dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones que les entrepreneurs font face aux mêmes défis qu'ailleurs. Il faut planifier, trouver des capitaux, offrir un bon produit et le commercialiser efficacement. Les entrepreneurs autochtones sont toutefois confrontés à d'autres défis. Les capitaux sont limités, les banques et les autres institutions financières ne leur font pas confiance. Il n'y a ni service ni conseiller pour les entreprises locales. Les marchés locaux sont de taille très réduite et parfois les communautés voisines manifestent de l'hostilité.

En guise d'introduction, cela démontre assez clairement qu'à l'intérieur des communautés autochtones, pour obtenir des services financiers et bancaires, il y a encore beaucoup de chemin à faire de façon à régler tous les problèmes.

Le mémoire que j'ai préparé est divisé en trois parties. La première partie trace un bref historique des relations des autochtones avec les Européens. Je trouvais important de situer le contexte historique. Lorsqu'on comprend ce qui s'est passé, cela nous aide parfois à mieux comprendre la conjoncture actuelle. À travers cet historique, j'ai tenté de faire ressortir les principaux événements qui ont pu amener les communautés autochtones dans le contexte socioéconomique d'aujourd'hui.

Au départ, les premiers contacts au cours des premiers siècles entre autochtones et non-autochtones étaient des relations de nation à nation. Cette période a été marquée par des traités qui n'étaient pas toujours compris de la même façon, selon que l'on se situait du côté autochtone ou non-autochtone. Du côté autochtone, à l'intérieur des traités, les terres n'ont jamais été cédées puisque cela ne faisait pas partie de la culture. Par ailleurs, du côté non-autochtone, on s'attendait à ce qu'il y ait une cession des terres.

La Proclamation royale de 1763 eut lieu au cours de cette période de premiers contacts. Il n'y avait plus de guerres. On est passé à la nouvelle économie. La traite des fourrures était terminée. Quand on parlait d'une nouvelle économie, on parlait particulièrement de l'exploitation des ressources de la forêt et des minéraux. À ce moment, les Indiens devenaient moins indispensables.

En 1867, au moment de la Confédération, la question autochtone relevait de la compétence fédérale alors que les ressources naturelles étaient plutôt de compétence provinciale. Les traités historiquement disaient le contraire. Cela nous conduit à la Loi sur les Indiens, en 1876, qui a créé, entre autres, les réserves autochtones au Canada.

Ce retour sur l'histoire nous amène à comprendre comment est arrivée la Loi sur les Indiens et la création des réserves indiennes. Cela nous amène ensuite à la deuxième partie, où je décris le contexte socioéconomique qui prévaut dans les communautés autochtones à l'heure actuelle.

À l'aide de statistiques et en comprenant les caractéristiques des communautés autochtones au Canada, nous comprenons que les autochtones, à l'heure actuelle, ne représentent pas nécessairement un marché très intéressant pour les grandes institutions financières.

On sait qu'il y a environ un million d'autochtones au Canada. Par rapport à la moyenne canadienne, ils vivent plus de chômage, de pauvreté, de problèmes de santé, de drogue et d'alcool. Les autochtones, par rapport à la moyenne canadienne, sont moins instruits. En général, les communautés sont très éloignées. On compte environ 650 communautés au Canada réparties sur tout le territoire. Compte tenu de l'histoire des autochtones qui ont eu à évoluer en vase clos à l'intérieur des communautés, il ne s'est pas développé de culture entrepreneuriale, donc peu d'entreprises commerciales viables. Ceci fait que le contexte socioéconomique actuel des communautés autochtones ne représente pas un marché vraiment intéressant pour les grandes institutions financières qui sont plutôt axées sur le profit au bénéfice des actionnaires. En conséquence, l'infrastructure financière est peu développée. La plupart des communautés autochtones ne peuvent même pas compter sur la présence d'une caisse populaire ou d'une succursale bancaire. Par exemple, je suis allé récemment dans une communauté au Québec qui s'appelle Winneway. Les gens de la communauté me disaient que pour encaisser un chèque, ils devaient faire un trajet de 40 kilomètres aller-retour pour trouver une petite épicerie qui accepte d'encaisser leurs chèques, mais en contrepartie, ils doivent payer 10 p. 100 du montant du chèque. C'est quand même incroyable. Pour la majorité des Canadiens, il semble évident de traverser la rue ou de marcher quelque peu pour avoir accès à des services bancaires essentiels alors que cela peut représenter des difficultés ou des coûts énormes pour certaines communautés autochtones.

À l'heure actuelle, l'éloignement des communautés, les différences culturelles qui ne sont pas toujours bien comprises par les grandes institutions financières, de même que la présence de la Loi sur les Indiens, font en sorte que les autochtones ont des contraintes énormes en termes d'accès aux services bancaires et aux services financiers.

La troisième partie parle du futur et tente de faire ressortir certaines recommandations dont une bonne part proviennent du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.

Dans le futur, on peut s'attendre à ce que la situation change à l'intérieur des communautés, compte tenu du discours politique qui a cours présentement, c'est-à-dire les questions de revendication territoriale et de compensation financière qui sont discutées entre les autochtones et les différents paliers de gouvernement à l'heure actuelle. La conclusion d'entente et la réception par les autochtones de compensations financières ou l'octroi de nouveaux territoires représentera dans l'avenir des opportunités d'affaires pour les autochtones qui se traduiront vraisemblablement en création d'emplois et en augmentation de la richesse individuelle et collective.

Ceci fait que le marché autochtone, à mon avis, au cours des prochaines années, pourra devenir de plus en plus intéressant pour les institutions financières. Les autochtones pourraient donc devenir des clients potentiellement intéressants pour les banques. D'ailleurs, on voit qu'à l'heure actuelle, certaines grandes banques, pour ne pas dire la quasi-totalité, ont mis en place des vice-présidences autochtones. Des représentants commencent à étudier le marché des communautés autochtones et ils y vont de différentes initiatives pour mieux desservir ce marché.

À titre d'exemple, la Banque Toronto-Dominion, avec l'aide de la Fédération des Indiens de la Saskatchewan, a mis en place la First Nations Bank of Canada. L'avenir nous dira si ce type d'expérience apportera les résultats auxquels on s'attend.

Dans le futur, les expériences qui risquent de bien fonctionner sont celles où on retrouvera des partenariats entre les grandes institutions financières et les organisations autochtones. D'une part, les institutions financières ont les moyens techniques, les connaissances et les compétences pour bien servir le marché. D'autre part, en s'associant avec les organisations autochtones, -- lesquelles ont une bonne connaissance du marché, des besoins et des attentes des autochtones -- ce genre de partenariat deviendra indispensable dans le futur.

Le président: Il ne reste que 45 minutes, et nous devons entendre un quatrième témoin. On aura l'occasion de reparler de votre mémoire que vous nous avez soumis. J'attire l'attention de mes collègues sur les recommandations que vous avez énumérées à la fin de votre mémoire.

[Traduction]

M. David Driscoll, directeur général de la VanCity Community Foundation: Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici. J'apprécie la perspective que le comité m'a offerte de toucher un mot sur le lien existant entre le secteur des services financiers et la collectivité.

Le secteur des services publics a un rôle extraordinaire à jouer en partie en raison de sa taille et de sa présence sur tout le territoire canadien et en partie en raison de la position unique que lui confère le fait qu'il contrôle un des principaux moteurs de la croissance économique et du bien-être de nos collectivités: l'institution du crédit.

La collectivité est en voie de réinventer ses propres institutions. Le gouvernement et les secteurs financiers dépendent de la collectivité, et la précèdent ou la suivent. J'ai cité douze raisons pour lesquelles le secteur financier doit s'employer activement à développer ses relations avec la collectivité. Les deux dernières revêtent une importance capitale sur le plan commercial: «c'est une preuve d'intelligence» et «c'est gigantesque».

J'aimerais vous donner deux exemples d'organismes communautaires avec lesquels nous avons élaboré ce projet de contribution des institutions financières. Le premier a trait au réseau PLAN ou Réseau planifié de revendication perpétuelle. C'est un groupe de particuliers et de familles qui se sont réunis il y a huit ans. J'ai travaillé avec eux avant de passer à la fondation. Il s'agit de retraités qui vivent encore avec leurs enfants devenus adultes qui souffrent de handicaps mentaux.

Ces parents, considérant que leur propre décès est plus ou moins imminent, se demandent comment offrir à leurs enfants un avenir sain et sécuritaire dans la collectivité. C'est un cas qui, à mon avis, montre comment des collectivités organisent des marchés qui sont ensuite pris en charge par des entreprises commerciales ou d'autres partenariats.

Le Réseau planifié de revendication perpétuelle compte actuellement 3 700 familles. Ces familles ont contribué à l'enrichissement de notre pays pendant 50 ans grâce à l'augmentation continue de la valeur de leurs actifs. C'est pourquoi leurs foyers et leurs entreprises valent autant. Avant leur décès, ils doivent créer des fiducies à l'intention de leurs enfants survivants. On estime que ces fiducies réunissent chacune entre 300 000 $ et 500 000 $. La valeur des fiducies se situe entre 900 000 $ et 1,5 milliards de dollars.

Les revenus annuels des fiducies se chiffrent à plus de 10 millions de dollars, et cela, presque uniquement dans le marché du district de Vancouver. Ajoutez à cela tout ce qui se fait ailleurs au pays en ce sens et vous verrez qu'il s'agit là d'un marché extrêmement important. Voilà donc un exemple de la façon dont une collectivité organise un marché en fonction de ses propres besoins.

Il en découle des avantages nets multiples. Pour le plus grand bien de nos collectivités, un avenir sain et sécuritaire est assuré pour des êtres vulnérables, la participation communautaire aux réseaux s'accroît, les ressources et les actifs familiaux et communautaires sont en jeu, des millions de dollars provenant des revenus des fiducies et des millions de dépôts et autres produits de détail sont versés par les membres des familles à des coopératives de crédit et à d'autres institutions financières.

On m'a demandé de mettre l'accent sur les nouveaux modèles. Le démantèlement de nos anciens modèles, qu'il s'agisse d'institutions pour les handicapés mentaux ou d'autres modèles, nous donne l'occasion de bâtir de nouveaux modèles sur une base différente. La base différente avec laquelle je vous encourage à commencer est la suivante: les collectivités sont des grappes d'actifs qui constituent un énorme potentiel pour la réalisation de leur propre vision. Ce ne sont pas des grappes de déficiences dont doivent s'occuper des services professionnels. Je souhaite que vous partiez du principe que les collectivités sont des grappes d'actifs.

Le deuxième groupe avec lequel nous avons travaillé est l'United We Can. Ce sont des pêcheurs de poubelles qui font la tournée des contenants la nuit pour y récupérer bouteilles et boîtes de conserve recyclables. Quatre membres de ce groupe sont venus nous voir il y a cinq ans et nous ont dit qu'ils avaient besoin de 25 000 $ en crédit sans garantie. Ils ont dit ceci: «Tantôt nous sommes ivres, tantôt nous ne buvons pas. Nous pensons pouvoir créer quatre emplois. Nous pensons pouvoir recycler environ un demi-million de contenants que compte le réseau de déchets et nous pensons pouvoir retourner 600 000 $ à la collectivité». La première année, ils n'ont pas réalisé leur plan d'entreprise, n'ayant recyclé que 4,75 millions de contenants. L'année suivante, ils ont recyclé 7 millions de contenants. Ils ont retourné plus de 500 000 $ dans leur collectivité.

À Noël, j'ai peiné pour rédiger un article destiné à notre bulletin du personnel à propos des efforts accomplis par United We Can. En gros, les gars, par temps de pluie et, ce qui parfois le cas sur la côte Ouest, sous la neige, emportent leurs bouteilles et leurs boîtes dans le quartier est du centre-ville, rue Cordova, qui est sans aucun doute le district le plus pauvre du pays. Il y a là un centre de dépôt. Ils ont dit: «Il y a une boîte vide là et nous voulons que vous y déposiez vos bouteilles vides afin que nous puissions les vendre et remettre l'argent aux enfants des environs à Noël».

Nous avons répondu: «Nous investissons dans la collectivité; la collectivité investit en elle-même». United We Can est resté ouvert le jour de Noël parce que ces gens-là n'avaient nulle part où aller. Bien des gens se sont présentés, ils n'avaient pas bu. C'est la première fois en dix ans que quelqu'un me demande de me conduire en adulte à Noël. J'aide les enfants.

Ces gens font les contenants la nuit, c'est leur unique source de revenu. C'est un élément qui intervient quand on demande aux gens de faire valoir leurs actifs et de contribuer à la collectivité. C'est une histoire très touchante et elle se poursuit. Ils nettoient les rues. Il est bien possible que nous nous associions à ce groupe, pour ce qui est des comptes de développement individuel.

Au chapitre des nouveaux modèles et des caractéristiques, le premier domaine d'intervention que j'ai cité, ce sont les actifs. Nos collectivités sont des grappes d'actifs et nous établissons de nouvelles relations.

Je vais maintenant aborder les tendances émergentes. Il a été question de Revenu Canada un peu plus tôt. Je suis très heureux de l'accueil qui nous a été fait à Revenu Canada. Nous nous sommes entretenus à huis clos pendant trois jours et ils retiennent trois initiatives sur lesquelles ils veulent avoir des commentaires d'ici la fin de juin. Ils songent à mettre davantage l'accent sur les prêts aux microentreprises, une façon de permettre aux fondations d'accorder des prêts. Nous sommes actuellement la seule fondation communautaire à le faire. S'il est possible de prêter de l'argent dans la collectivité à 0 p. 100 d'intérêt, la collectivité peut créer sa propre institution et avoir recours au crédit. Le gouvernement a accès au crédit, le secteur privé a accès au crédit et à présent la collectivité doit également avoir accès au crédit. Nous sommes heureux de la réaction de Revenu Canada à cette idée.

En dernier lieu j'ai voulu insister sur des recommandations précises comme celles que l'on trouve dans les plans d'entreprise du secteur privé. Nous posons la question suivante: «Que ferez-vous au cours du prochain trimestre et comment saurons-nous que vous avez réalisé vos objectifs?»

Je préconiserais qu'une certaine partie de la capacité financière et de la compétence technique des principales institutions financières soient utilisées pour faire passer l'activité des microentreprises d'une activité philanthropique marginale continue à une activité à plus grande échelle. On accorde aux grandes institutions financières le droit d'octroyer du crédit dans tout le pays, mais ce droit s'accompagne de l'obligation de faire en sorte que les personnes intéressées puissent utiliser ce crédit pour créer leur propre emploi et contribuer ainsi à l'économie. Le secteur des services financiers a en main le levier du développement économique de ce pays et, de ce fait, il a également l'obligation de faire en sorte que les possibilités qui s'offrent aux gens d'améliorer leur bien-être ne soient pas entravées par le fait qu'on veuille en priver les plus démunis.

Voici quelques suggestions à l'intention des institutions financières. Vous pouvez décider de ce que vous voulez inclure dans la loi, de ce que vous voulez inclure dans les règlements et de ce vous voulez que ces institutions adoptent car, après tout, ce sont de bons citoyens corporatifs.

Les institutions financières devraient ressembler aux collectivités dont elles font partie. C'est un point dont nous sommes particulièrement fiers à VanCity. Chacune des succursales devrait ressembler à la collectivité dont elle fait partie pour ce qui est de la proportion d'hommes et de femmes, de l'ethnie, de la race, de la couleur, et ainsi de suite. Les conseils d'administration, le personnel de direction et le personnel d'exécution des institutions financières devraient ressembler aux collectivités dont ils font partie. Cela ne s'applique pas seulement aux membres des minorités visibles, mais également au dirigeant, et ce, en vue d'assurer une intégration structurée de toutes les composantes de la collectivité, sans parler de l'accès et de l'équité.

Les institutions offrant des services financiers ont fait d'énormes gains dans le domaine technologique. Comment cet avantage technologique bénéficie-t-il à la collectivité? Il existe, à mon avis, divers mécanismes à cette fin. Pour certaines institutions de modestes propositions suffiront, mais pour d'autres il faudra se montrer particulièrement persuasif.

Les institutions financières devraient adopter une stratégie de création d'emplois de concert avec la collectivité afin que chaque emploi perdu à cause de mesure d'efficacité technologique soit remplacé par une nouvelle initiative économique.

En ce qui concerne la restructuration, les institutions financières devraient s'engager, en cas de fermetures de succursales, à ce qu'il n'y ait pas de perte d'emplois sans création compensatrice d'emplois dans la collectivité. Nous avons appris que, dans bien des collectivités de l'intérieur, des employés doivent faire 40 kilomètres en voiture pour se rendre au travail. Il suffit qu'une succursale ferme pour que le personnel d'un petit comptoir soit forcé de prendre la route et se trouve dans une situation d'insécurité.

Les institutions financières devraient s'engager à accroître la transparence et la responsabilité à l'égard de la communauté en entreprenant des vérifications sociales. Après tout, c'est une vérification sociale qui, que ce soit un bien ou un mal, donne un portrait fidèle de VanCity.

Les institutions financières devraient s'engager à prêter dans chaque collectivité afin que les collectivités désinvesties aient accès au crédit. Il n'y a pas de banque dans le quart est du centre-ville de Vancouver.

Les institutions financières devraient constituer des groupements de prêts à partir desquels les groupes communautaires pourraient faire des prêts à des microentreprises. Les institutions financières devraient prêter directement dans chaque collectivité au Canada ou fournir des fonds à d'autres institutions financières qui prêtent dans les collectivités désinvesties. Vous reconnaîtrez là comme un écho de l'American Community Reinvestment Act, qui précise que, si une banque fait en sorte qu'une région ne puisse pas faire des emprunts, la collectivité aura quand même accès au crédit parce que l'institution financière sera tenue de le financer. On ne saurait priver la collectivité d'un levier fondamental de développement économique et d'intégration sociale sans l'indemniser d'une façon ou d'une autre. Il est possible de trouver ici un mécanisme semblable.

Les institutions financières devraient s'engager à collaborer avec le secteur philanthropique et communautaire afin d'offrir un appui technique pour la stimulation de l'emploi en prêtant aux gens qui éprouvent traditionnellement des difficultés à avoir accès au crédit. Je citerai par exemple la campagne Imagine du Centre canadien de philanthropie, qui s'est fixé comme objectif un modeste 1 p. 100 des bénéfices avant impôt. Le secteur des services financiers devrait s'engager à faire deux fois mieux. Le programme Imagine compte 200 participants, un objectif qui est à la portée de tous.

Les institutions financières devraient s'engager à mettre au point des produits qui facilitent la croissance et la mise en valeur du secteur bénévole/communautaire. Imaginez les perspectives si les institutions financières s'engageaient à viser comme objectif que chaque membre de leur exécutif soit fêté dans sa communauté pour son rôle dans la construction et le renforcement du tissu social de nos activités.

C'est un dossier très important et je suis heureux d'avoir pu vous adresser la parole.

Le sénateur Cohen: Je vous remercie de vos présentations. Elles sont pour moi la preuve qu'il semble y avoir une vraie lumière au bout du tunnel. Pendant des années, l'ACDI a mis en oeuvre des programmes de microcrédit dans les pays du tiers monde et nous avons tous pu constater leur efficacité. Le fait que le Canada n'ait jamais retenu le concept m'a toujours étonné. On le fait ailleurs, alors pourquoi pas ici? Je ne m'étais pas rendu compte que la tendance aux microprêts était aussi forte au Canada, cette perspective m'enchante. Je participe en ce moment à la mise sur pied d'un fonds de prêts communautaire à Saint John, au Nouveau-Brunswick, et au départ nous nous sommes inspirés entre autres de SEED Winnipeg.

Je voudrais poser une question à M. Rothney concernant les programmes de microprêts, les petits prêts que vous accordez, par exemple, aux femmes seules qui veulent lancer un petit projet. Quel est le taux de remboursement? Se compare-t-il au merveilleux taux de remboursement que l'on observe dans les pays du tiers monde?

M. Rothney: Dans les cercles prêteurs, il y a deux catégories de micro-entreprise. Dans le premier cas il s'agit d'individus, dans l'autre c'est un groupe de quatre à sept personnes qui garantissent mutuellement les paiements. Le taux de remboursement est excellent en ce qui nous concerne. Nous sommes dans le domaine depuis deux ans. Dans l'ensemble, le taux de non-remboursement pour l'ensemble du programme a parfois été supérieur à ce que nous l'aurions souhaité. Il a grimpé jusqu'à 10 p. 100 et il s'établit maintenant à 8,5 p. 100. Je pense que c'est dû à la pression exercée sur le personnel de soutien de SEED Winnipeg. Il ne faut pas se leurrer: à moins d'un rapport de deux à un entre les coûts du personnel de soutien et les prêts accordés, ça ne peut pas fonctionner.

L'ACDI garantit maintenant un financement provincial et fédéral qui assure une plus grande capacité. Nos agents des prêts sont de plus en plus expérimentés, de sorte que nous nous approchons de la moyenne nord-américaine, soit un taux de non-paiement inférieur à 5 p. 100 ou moins.

Le sénateur Cohen: Avez-vous des chiffres sur les retombées pour les personnes vivant dans la pauvreté? Ce programme les a-t-elle sorties de la misère, ou est-il encore trop tôt pour répondre à cette question?

M. Rothney: Il y a quelque 140 entreprises toujours en affaires qui ont sollicité notre aide au cours des six dernières années. J'exprimerais une réserve relativement à la comparaison avec le tiers monde. Bien que les temps soient passablement difficiles pour les gens qui sont au bas de l'échelle des revenus au Canada, il faut se rappeler que les pays du tiers monde sont souvent dépourvus d'un quelconque système d'allocations sociales. Une fois que vous avez accès aux microprêts et que vous passez des contrats en bonne et due forme avec une coopérative de crédit ou une autre institution du genre, vous déclarez ce revenu. D'après notre expérience, il ne faut aucun doute que, bien que nous ayons parmi nos participants des assistés sociaux à très faibles revenus, en nombre toujours grandissant d'ailleurs, je connais des gens faisant de petits boulots qui ne s'inscriront pas au programme de microprêts de peur que leurs prestations ne soient amputées. C'est un petit problème ici, même si la législation manitobaine accorde jusqu'à 44 semaines d'exemption à l'égard des revenus réinvestis dans l'entreprise, par opposition aux revenus utilisés à des fins personnelles.

Le sénateur Cohen: J'aimerais bien connaître votre programme, Self-Employment Development Initiatives. Je ne sais pas si vous aurez le temps de me l'expliquer, mais j'aimerais savoir comment il fonctionne. Disons par exemple que je vis dans la pauvreté au Nouveau-Brunswick. Après avoir payé mon loyer et tout ce qu'il en coûte pour faire vivre une famille, il me reste 200 $ par mois pour vivre. Comment est-ce que j'épargne?

M. Nares: Comme c'est le cas pour le travail autonome et le micro-financement, cette option ne convient pas à tout le monde. J'ai appris que je dois apporter cette précision dès le début d'un exposé.

Nous ne savons pas vraiment comment les bénéficiaires de l'aide sociale au Canada réagiraient si ce produit leur était offert. Voilà pourquoi nous voulons effectuer des essais. Selon les résultats observés aux États-Unis, où plusieurs centaines d'initiatives axées sur les comptes de développement individuel ont été lancées, une faible proportion des bénéficiaires de l'aide sociale feront les sacrifices nécessaires pour verser les contributions accélérées afin d'atteindre leurs objectifs. Dans certains cas, nous ne voulons probablement pas savoir comment ils y parviennent, mais ils le font.

Le sénateur Cohen: Lorsque nous discutons de ces programmes, il faut laisser savoir aux bénéficiaires de l'aide sociale que nous nous préoccupons de leur sort et que le gouvernement veut les écouter. Je n'ai jamais vu d'homme ou de femme politique faire de la pauvreté un enjeu de sa campagne électorale. Nous devons commencer par nous intéresser à leur situation, tenter de leur donner espoir, puis intégrer certaines de ces merveilleuses idées excitantes.

Le sénateur Butts: Je voudrais adresser ma première question à M. Driscoll, simplement parce qu'il vient de la Colombie-Britannique. Comment réagissez-vous au projet de Canada Trust qui veut mettre la main sur le deuxième plus grand groupe de caisses de crédit en Colombie-Britannique?

M. Driscoll: Le mouvement des caisses de crédit traverse une période difficile. Je ne parle pas en tant que membre fondateur, mais à titre de membre d'au moins deux caisses de crédit. Les caisses de crédit subissent de grandes transformations, en raison de la tentative de créer une structure bancaire à deux niveaux pour susciter la concurrence au niveau national. Cela crée énormément de tensions. Je pense à la Caisse de crédit de Surrey en particulier. Elle a décidé, il y a environ cinq ans, de devenir une société ouverte et de faire inscrire ses actions à la bourse. Cela a suscité beaucoup de remous au sein du mouvement des caisses de crédit, car cette décision est considérée, à bien des égards, contraire au principe d'un vote peu importe votre fortune?

La Caisse de crédit de Surrey a toujours eu du mal à déterminer où elle se situait à l'intérieur du mouvement. En devenant une société ouverte, elle prenait évidemment le risque d'être écartée du mouvement des caisses de crédit et c'est ce qui s'est produit. Nous préférerions qu'elle fasse encore partie de la famille des caisses de crédit, mais comme elle est devenue l'une des grandes institutions financières, nous nous attendons à ce qu'elle ressemble de plus à plus à une grande institution financière et soit à jamais perdue au mouvement des caisses de crédit.

Le sénateur Butts: Vous nous mettez en garde contre cette option, donc?

M. Driscoll: Je crois que c'est une décision qui ne convient pas à une caisse de crédit, effectivement.

Le sénateur Butts: Monsieur Rothney, vous avez aussi affaire avec les caisses de crédit. La structure que vous avez mentionnée m'intéresse, puisqu'il s'agit du nouveau cadre élaboré pour les caisses de crédit et que j'ai participé à ces travaux.

Vous avez déclaré que votre caisse de crédit a huit succursales. Avez-vous des conseils d'administration distincts pour chacune de ces succursales?

M. Rothney: Non, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Butts: Les succursales couvrent une certaine région géographique, mais les gens de cette région n'ont pas de contrôle, est-ce exact?

M. Rothney: C'est juste.

Le sénateur Butts: À mon avis, de là vient justement la difficulté de créer des liens avec la collectivité. Dans la région d'où je viens, la Nouvelle-Écosse, nous avons des milliers de caisses de crédit, mais elles sont situées dans les localités et nous connaissons exactement le problème contraire, car nous ne parvenons à les faire travailler ensemble à un grand projet. L'avantage toutefois, c'est que les membres de la localité peuvent déposer de l'argent dans un fonds spécial ne portant pas intérêt. J'ai collaboré à la création de quelques-uns de ces fonds. On peut ensuite utiliser cet argent pour consentir des prêts sans intérêt aux gens qui ont des besoins spéciaux. Si l'on retire le pouvoir aux conseils d'administration locaux, toutes ces succursales ne pourront plus offrir ce genre d'aide.

M. Rothney: Je vais changer l'ordre des choses et transmettre votre recommandation au mouvement des caisses de crédit. Nous nous intéressons au rôle que l'organisation peut jouer au niveau national.

Le sénateur Butts: La question est de savoir comment intervenir au niveau local tout en visant grand. Nous voulons viser grand, parce que les petites succursales n'ont pas toujours les ressources financières, la sécurité ou l'ambition pour s'attaquer aux grands projets que nous voudrions qu'elles pilotent. Il faut trouver une façon d'en arriver à un compromis. J'aimerais que vous puissiez nous aider.

M. Driscoll: C'est faisable, même avec VanCity. VanCity est la plus grande caisse de crédit après le mouvement des caisses populaires. Elle a un actif de 6,5 milliards de dollars et environ 300 000 membres. Nous avons lancé un produit similaire que nous appelons le programme d'investissement communautaire. Nous nous sommes demandé si les caisses de crédit et les banques pouvaient offrir des produits qui pourraient être utiles et plaire au secteur des organismes sans but lucratif. Le programme d'investissement communautaire vous permet de choisir le genre d'instrument que vous désirez, par exemple, un placement de cinq ans ou quelque chose du genre. À notre caisse de crédit, nous vous garantissons 1 p. 100 de moins que le taux courant. Nous rassemblons ensuite les sommes que nous permet d'amasser ce 1 p. 100 et les utilisons pour consentir des prêts pour des logements abordables ou d'autres initiatives. Cela ne coûte rien au secteur des services financiers, sauf les frais relatifs à la gestion qui, le plan technologique, est simple. Les membres de la collectivité peuvent ainsi exprimer leur sentiment d'appartenance en ayant recours aux services des caisses de crédit ou des banques. Ce sont des mesures faciles et bonnes à prendre. L'argent peut être réinvesti au sein des collectivités qui l'ont versé. Autrement dit, il retourne à la source.

Le sénateur Butts: Que pensez-vous du projet qui nous a été présenté ici, selon lequel les activités au niveau provincial disparaîtraient et nous aurions des caisses de crédit locales et des établissements centraux pour l'ensemble du Canada? Comment réagissez-vous à cette proposition? N'importe qui d'entre vous peut répondre à la question.

M. Driscoll: Tous ces scénarios se concrétiseront. Il y aura une institution nationale dotée d'une, de deux ou de trois caractéristiques. Elle prendra la forme d'un grand point de service qui s'occupera des tâches administratives et de la compensation des chèques, traitera les comptes débiteurs et s'acquittera d'autres fonctions connexes. Elle pourra aussi faire de la vente au détail. C'est une loi provinciale qui régit actuellement les coopératives. C'est un peu comme si on demandait: «À qui appartient cet éléphant, au provincial ou au fédéral?» Les provinces hésiteront à abandonner cette responsabilité. À notre avis, il faut une charte régissant les banques au niveau national, une charte régissant les coopératives au niveau provincial et des établissements locaux qui auraient accès à tous les services et aux fonctions administratives. Voilà comment nous envisageons la situation.

M. Rothney: Au cours de la dernière année, on a cherché à grandement faire valoir les avantages de la coordination interprovinciale au sein du mouvement des caisses de crédit. Pour répondre directement aux caisses de crédit individuelles qui demandaient qu'on mette la pédale douce et qui se demandaient ce qu'il adviendrait de l'autonomie des groupes locaux, le mouvement commence à songer sérieusement à une façon de préserver efficacement la décentralisation tout en profitant des avantages de la coordination interprovinciale. Nous tentons de recouvrer l'équilibre.

Le sénateur Poy: J'ai une question au sujet du Planned Lifetime Advocacy Network, ce réseau pour les adultes et les enfants souffrant d'incapacité. Vous avez déclaré qu'il y avait entre 300 000 $ et 350 000 $ dans les fiducies individuelles. Qui a créé ces fiducies?

M. Driscoll: Ce sont les familles. Cela fait partie du patrimoine. C'est donc là que les ressources familiales entrent en jeu. À l'heure actuelle, bon nombre des enfants à charge entretiennent des relations avec l'État qui écartent toute possibilité de participation des parents, de la collectivité ou d'un autre membre de la famille. Le modèle proposé repose sur l'autonomie maximale en milieu communautaire. De toute évidence, l'État a un rôle à jouer en ce qui concerne les mesures de protection, les garanties et les filets de sécurité à offrir.

Le modèle a aussi tenu compte du rôle que peut jouer le secteur privé. Le secteur privé peut agir comme fiduciaires de la fiducie familiale. Si j'avais un enfant atteint d'une déficience intellectuelle qui vivait à la maison, je créerais une fiducie qui lui permettrait de vivre en milieu communautaire, entouré de gens qui l'aideraient à prendre des décisions en fonction de ses désirs. La fiducie pourrait aider mon enfant à continuer de vivre au sein de la collectivité.

Il faut penser à des questions comme la tutelle des adultes, les fiducies et l'intégration communautaire. Certaines ressources familiales sont exclues pour l'instant. La collectivité se dit que, si la famille veut participer, il faut trouver des moyens de créer des partenariats à trois intervenants. On a donc ici l'exemple d'une collectivité qui crée de nouveaux liens entre le gouvernement et le secteur privé.

Le sénateur Poy: Les fonds ne sont pas mis en commun. Nous parlons ici de fiducies individuelles, n'est-ce pas?

M. Driscoll: Ce sont des fiducies individuelles. L'un des directeurs d'une grande firme de placement au pays a examiné notre situation, pour déterminer si nous pouvions mettre en commun ces investissements afin de maximiser le rendement de ces fiducies. Nous avons étudié les questions habituelles, notamment au sujet des niveaux de risque comparativement aux répercussions sur le traitement fiscal. De plus, comme il s'agirait de fonds de bienfaisance, même si je n'ai pas d'enfant, je pourrais verser une contribution au fonds et obtenir un reçu pour dons de bienfaisance. Ces fonds pourraient venir en aide aux enfants qui n'ont pas eu la bonne idée de naître de parents riches et qui se sont pas bénéficiaires d'une fiducie de 500 000 $.

Le sénateur Poy: Cela n'existe pas encore, mais c'est ce que vous proposez, n'est-ce pas?

M. Driscoll: La prochaine étape est la mise en commun des investissements. Cela n'existe pas encore.

Le sénateur Poy: L'État verse-t-il une contribution équivalente en contrepartie?

M. Driscoll: Non.

Le sénateur Poy: Je ne crois pas que nous ayons déjà des régimes d'épargnes accélérées au Canada. Vous décriviez la situation aux États-Unis. Que devrait-être, selon vous, le revenu plafond des familles admissibles à de tels régimes?

M. Nares: J'ai parlé de la subvention canadienne pour l'épargne-études, où le gouvernement fédéral contribue jusqu'à 20 p. 100 de 2 000 $ par année. Cela accélère les épargnes que réalise une personne qui veut inscrire son enfant à un établissement d'enseignement postsecondaire.

Le sénateur Poy: Ce programme serait-il accessible à tous?

M. Nares: Oui, toutefois, cela me semble un autre programme pour la classe moyenne. Étant donné leur situation financière, les pauvres ne peuvent y avoir recours. Dans les faits, nous parlons de REER pour les pauvres.

Pour répondre à votre première question, je précise que les États-Unis définissent les petits salariés en appliquant un pourcentage du seuil de faible revenu. Au Canada, pour les fins de nos projets pilotes, nous négocierions avec nos partenaires locaux la définition des petits salariés. La médiane correspondrait au seuil de faible revenu qu'établit Statistique Canada. Toutefois, comme la pauvreté prend des dimensions régionales au Canada, il faut se donner une certaine souplesse pour tenir compte des besoins locaux.

Par exemple, à Toronto, le seuil de faible revenu pour une famille de quatre personnes tourne autour de 33 000 $. Cela ne serait pas possible pour les bénéficiaires de l'aide sociale. Toutefois, dans le cas des travailleurs pauvres, on pourrait parler d'une famille de quatre personnes touchant un revenu de 7 000 $ supérieur au seuil.

Le sénateur Poy: Les bénéficiaires de l'aide sociale seraient-ils admissibles?

M. Nares: Ce n'est pas un grand pourcentage des bénéficiaires de l'aide sociale qui opteraient pour ce programme. Il est difficile de se prononcer, car bien des gens prétendent que, jamais, ils n'opteraient pour le travail autonome et ne mettraient sur pied une micro-entreprise, et pourtant ils le font. Il est difficile de savoir en quoi consiste une prévision précise.

Dans le cas des bénéficiaires de l'aide sociale, le grand problème tient à la réglementation provinciale. Il est inutile de tenter de vendre ce concept aux bénéficiaires de l'aide sociale, si la province où ils vivent n'a pas modifié le traitement du revenu et de l'actif, car ces gens ne seraient plus admissibles à l'aide sociale dès qu'ils ouvriraient l'un de ces comptes. Voilà pourquoi nous faisons des démarches auprès de nos gouvernements provinciaux respectifs.

Même en Ontario, notre idée a été assez bien reçue.

Le sénateur Poy: Les pauvres désirent-ils être reconnus comme des «pauvres»?

M. Nares: La question préoccupe certaines personnes. On ne présente pas le concept en disant: «Êtes-vous pauvres et voulez-vous ce produit?» Fait intéressant, les Américains ont constaté qu'ils devaient faire du porte-à-porte, car les gens se méfient de ce genre de propositions. Lorsqu'on fait du porte-à-porte, on traite directement avec les gens. C'est la méthode la plus efficace. On évite ainsi les généralisations qui portent atteinte aux gens.

Le sénateur Gill: Il faut voir la réalité en face et constater que, au Canada, la pauvreté ne semble pas diminuer. Elle semble s'accroître constamment. Malgré toutes les organisations et la coopération qui existent, le taux de chômage demeure élevé. Il est peut-être même plus élevé au Québec que dans les autres provinces. Nous sommes aux prises avec un grave problème de pauvreté. Je n'en suis pas certain, mais je crois que la pauvreté augmente sans cesse. Avez-vous une solution à cela? Nous investissons toujours de plus en plus d'argent dans les programmes sociaux et dans l'aide aux petites entreprises. Que faites-vous pour corriger la situation?

M. Nares: Sur le plan politique, nous cherchons toujours des solutions miracles. Nous cherchons une façon de régler le problème quand il est bien évident, après environ 30 ans d'expériences effectuées depuis le milieu des années 60 où nous sommes devenus un État providence, qu'il n'y a pas de solution miracle à la pauvreté. La pauvreté est un problème complexe lié de façon intrinsèque au rendement de l'économie.

Nous avons cru important d'examiner de petites mesures que nous pourrions prendre. Il existe probablement toute une panoplie de stratégies différentes, comme le microfinancement. Certaines propositions formulées par mes collègues pourraient peut-être, ensemble, avoir une plus grande incidence. Individuellement, elles ne suffiront pas à enrayer la pauvreté. L'essentiel du propos de M. Driscoll suppose que nous repensions à la définition que nous donnons à la «collectivité» et à penser en fonction des actifs et non du déficit quand il est question des collectivités. Cela prendra du temps. Aucune de ces propositions ne nous permettra de régler le problème du jour au lendemain. Vous posez une question très complexe.

[Français]

M. Vincent: Le Canada est un grand pays marqué par la diversité géographique, culturelle, et cetera. Une des clés de la solution serait de décentraliser le pouvoir et de laisser aux régions et aux communautés le soin de s'organiser elles-mêmes.

Au Canada, à peu près tous les programmes sont régis par quantité de politiques, procédures ou règlements. On devrait plutôt favoriser la culture entrepreneuriale et déréglementer d'une certaine façon.

[Traduction]

M. Driscoll: Premièrement, permettez-moi, en tant qu'anthropologue, de vous rassurer. Chaque société a connu un problème lié à la concentration de la richesse. Dans le cas des meilleures sociétés, le problème consiste à donner à la population des chances de s'extirper d'une situation destructive. Dans les années 20 ou 30, nous avons même inventé un jeu qui se fonde sur une telle situation, le Monopoly. Lorsque tous les actifs se retrouvent entre les mains du même joueur, la partie est finie. Les institutions financières ont un rôle clé à jouer, parce qu'elles réglementent certains instruments qui offrent des possibilités, soit les instruments de crédit.

Nous appuyons également le système d'éducation, car il donne la chance aux gens de devenir des professionnels et, par conséquent, de se développer et de créer l'égalité. Chaque société doit trouver des mécanismes pour redistribuer la richesse. Les collectivités s'efforcent d'en trouver. Nous commençons avec un modèle de développement axé sur les actifs. Nous disons que la collectivité représente un ensemble d'actifs et non un ensemble de lacunes que nous devons combler.

Deuxièmement, nous précisons que nous travaillons avec un modèle de développement. Ici, je cite rapidement l'exemple de mère Teresa, considérée par tous comme le leader d'un modèle d'aide. Elle s'occupe des gens à la tête de la file et soulage leurs souffrances. Dieu s'occupe de ceux qui sont au bout de la file. Si la file s'allonge le lendemain, c'est le problème du bon Dieu.

Nous appliquons un modèle de développement. Bien que nous respections le travail de mère Teresa, nous soutenons qu'il faut tenter de réunir les conditions qui feront que la file ne s'allongera pas. Il faut déterminer comment les actifs peuvent être utilisés dans le cadre d'un programme de développement afin que les gens puissent trouver des façons de s'en sortir par leurs propres moyens. Nous nous intéressons donc à un modèle de développement axé sur les actifs et fondé sur un partenariat multisectoriel.

Je peux vous donner un autre exemple illustrant l'importance du partage des risques, afin que les gens sentent qu'ils participent au processus. Comme une part de leurs biens est investi, ils ont un rôle à jouer. Il s'agit donc d'un modèle local, responsable, axé sur la participation des gens, qui tient compte de la riche diversité de notre nation. C'est aussi un modèle fondé sur une vision.

Notre nation saura faire connaître cette vision et ces actifs au monde entier. Notre pays est l'un des seuls qui tentent de vivre en respectant ces valeurs. Si un pays est en mesure de dire qu'il fera les choses différemment, je crois que c'est le nôtre. Les travaux de ce comité sont importants, car ils nous aident à atteindre cet objectif.

M. Rothney: Je partage certainement les avis émis concernant l'emphase qui est mise sur la décentralisation. Toutefois, je tiens à signaler que la pauvreté s'accentue et que notre caisse de crédit vit une situation difficile, puisque chaque mesure qu'elle applique pour tenter de revitaliser les centres-villes est minée presque immédiatement par d'autres facteurs.

Permettez-moi de faire une observation au sujet du cadre de politique, qui nous ramène au mandat confié au comité. C'est presque un véritable culte qu'on a voué à la concurrence mondiale axée sur l'exportation. Cela entraîne l'accumulation de la richesse et la réduction des coûts, qui ont invariablement de grandes répercussions néfastes sur les gens au bas de la pyramide. Nous pouvons retrouver un certain équilibre, afin que la politique gouvernementale ne soit pas simplement axée sur la concurrence mondiale, qui repose essentiellement sur du crédit, pour l'instant, en Amérique du Nord et à l'échelle internationale, mais qu'elle recommence à viser un certain équilibre interne.

À cette fin, les organismes gouvernementaux pourraient sérieusement songer à faire affaire avec des établissements comme la Caisse de crédit d'Assiniboine, qui met son existence en péril pour faire changer les choses. Dans tous les secteurs de l'économie, il faudrait activement favoriser le soutien délibéré consenti aux établissements qui agissent en fonction de l'équilibre des économies locales et le bien-être des habitants des localités, au lieu de simplement penser en fonction des exportations.

Le sénateur Gill: Je tiens à mentionner que je connais Jean Vincent depuis quelques années. C'est un jeune leader qui possède beaucoup d'expérience et je veux le féliciter aujourd'hui pour le travail qu'il accomplit auprès des petites entreprises autochtones.

J'aurais une question à poser à M. Vincent. Au Québec, et notamment dans votre région, collaborez-vous avec les banques et les caisses populaires pour tenter de les convaincre d'investir davantage dans les initiatives autochtones sur les réserves et hors réserve?

[Français]

M. Vincent: Le mémoire que j'ai préparé a tenté de cerner le problème de l'accès aux services financiers et bancaires pour les autochtones, mais dans le contexte des communautés autochtones au Canada.

Nous travaillons de très près, au quotidien, avec les entrepreneurs autochtones et nous tentons à l'heure actuelle, à l'intérieur de notre corporation, d'appliquer un nouveau programme qui s'appelle «Mission capitale».

Plutôt que de vouloir réinventer la roue et mettre en place des fonds autochtones ainsi que des institutions financières purement autochtones, nous essayons de travailler en partenariat avec les institutions financières existantes, les institutions majeures.

Nous savons qu'il existe, au Canada et au Québec, dans le domaine du capital de risque, des milliards de dollars qui sont disponibles dans des fonds comme le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec.

Nous avons donc mis en place un partenariat avec le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, par exemple. Le Mouvement Desjardins est également partenaire. Nous tentons de faire tomber les barrières entre les entrepreneurs autochtones et les institutions financières existantes.

Nous formons les entrepreneurs sur les exigences, les attentes et le type d'informations qu'ont besoin les institutions financières, et, d'autre part, nous tentons de renseigner les institutions financières sur les besoins, les attentes et la culture propre aux autochtones. Nous essayons de jumeler l'offre de capitaux ou de services financiers avec les besoins et les demandes des autochtones. L'idée est de favoriser le partenariat et les échanges, et d'inciter les entrepreneurs autochtones à travailler avec les structures existantes qui sont disponibles.

Le président: J'attire l'attention de nos collègues sur le fait que notre comité siégera demain après-midi à l'ajournement du Sénat, mais pas avant 15 h 30.

[Traduction]

Nous nous rencontrerons demain après-midi, lorsque le Sénat s'ajournera, mais pas avant 15 h 30, pour discuter de l'accès aux études postsecondaires.

Le comité s'ajourne à demain après-midi.

La séance est levée.


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