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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 27 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 2 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 03, pour examiner les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons notre étude de la cohésion sociale dans le cadre de laquelle nous entendrons ce matin trois témoins.

C'est avec plaisir que j'accueille et vous présente le porte-parole de COSTI, c'est-à-dire du plus important organisme de service social et d'éducation du Canada dont la vocation précise est d'offrir un ensemble de services aux nouveaux venus et à leurs familles. L'organisme est le produit du regroupement de la Italian Immigrant Aid Society (fondée en 1952) et de COSTI, fondé 10 ans plus tard. Voici donc son porte-parole, M. Mario J. Calla, qui en est le directeur général.

Nous entendrons aussi une représentante de SUCCESS (pour United Chinese Community Enrichment Services Society), un organisme de service social à but non lucratif. Constitué en société depuis 1973,il a pour objectif premier en tant qu'organisme membre de United Way of the Lower Main Land, en Colombie-Britannique, de construire des ponts et d'aider les néo-Canadiens et les immigrants à surmonter les barrières linguistiques et culturelles et à prendre une part active à la vie de notre société. En 1994, SUCCESS a reçu un prix de civisme du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration pour ses réalisations exceptionnelles qui illustrent les valeurs canadiennes et les principes de la citoyenneté canadienne.

Monsieur Calla, je crois savoir que vous avez un bref exposé à nous faire, après quoi Mme Lillian To fera le sien. Nous entamerons ensuite une période de questions et de débat.

Monsieur Calla, vous avez la parole.

M. Mario Calla, directeur général, COSTI: Je vous remercie, monsieur le président.

C'est un plaisir et un honneur pour moi, distingués sénateurs, de prendre la parole devant votre comité au sujet de l'accessibilité à l'emploi et de la formation en milieu de travail. En tant que compatriote, je me réjouis également vivement de voir que le gouvernement se dote, par votre intermédiaire, des moyens de construire une société saine et civique.

Comme notre organisme oeuvre principalement auprès d'immigrants, j'axerai l'essentiel de mes remarques sur ce que je crois être les principaux obstacles auxquels ils se heurtent quand ils essaient de s'intégrer dans la société canadienne.

J'ai remis des exemplaires de mon mémoire; toutefois, étant donné que je ne dispose que de cinq minutes, je me contenterai peut-être d'en faire ressortir certains faits, après quoi nous passerons aux détails.

Depuis quelques années, le Canada accueille entre 200 000 et 215 000 immigrants par année. La catégorie d'immigrants composée de travailleurs qualifiés et de gens d'affaires a connu une croissance soutenue au fil des ans, croissance qui s'est accompagnée d'une baisse correspondante des immigrants membres de la catégorie de la famille. Pour nous, cela signifie que le Canada accueille de nombreux nouveaux travailleurs qualifiés. Étant donné les tendances qui se manifestent dans notre économie, c'est une bonne chose pour le Canada puisque c'est le genre de travailleurs qui est en demande sur notre marché du travail.

Toutefois, quand ces personnes arrivent ici, elles se heurtent à un mur quand elles se cherchent un emploi, et ce mur est représenté par deux grands obstacles à l'accès à l'emploi. L'un est le manque d'expérience «canadienne» qui permette d'obtenir ces emplois spécialisés; l'autre est la réticence des organismes de réglementation des professions à reconnaître les titres de compétence étrangers. À cause de cela, des dizaines de milliers littéralement de professionnels, pour employer un véritable cliché, sont obligés au Canada de travailler comme chauffeur de taxi ou livreur de pizza et de faire de menus travaux.

Ce groupe de personnes est beaucoup plus difficile à établir que ceux qui attendaient moins de leur nouvelle vie au Canada. Par exemple, si, dans la catégorie de la famille, le Canada accueillait des immigrants parrainés qui ont moins de compétences, leurs attentes ne seraient pas aussi élevées et ils s'intégreraient beaucoup plus facilement à la société. Prenons l'exemple d'un ingénieur originaire du Proche-Orient. Pendant sept ans, il a occupé des emplois ingrats. Il a pourtant envoyé des centaines de curriculum vitae. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi il ne pouvait se trouver du travail. Enfin, à l'occasion d'un atelier sur la recherche d'emploi offert à des spécialistes qualifiés à l'étranger, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir ce qui n'allait pas dans sa méthode. Il a raconté que, dans son pays d'origine, les nouveaux diplômés d'université sont orientés vers le ministère de la Main-d'oeuvre qui a pour tâche de leur trouver une place. Ces immigrants n'ont donc pas appris, comme on le fait ici dès l'enfance, à se vendre, à se vanter de leurs réalisations lorsqu'ils cherchent un emploi. Une fois la leçon apprise, il a compris qu'il fallait changer d'attitude. Il a fini par se décrocher un emploi dans une entreprise de télécommunications.

Parfois, c'est aussi simple que de fournir les renseignements pertinents. Si les personnes ayant ce genre de spécialisation sont laissées pendant trop longtemps sans espoir, elles deviennent amères et pleines de ressentiment. Il faut alors plus de temps pour les aider à s'intégrer à la fibre sociale de notre société, parce qu'il faut d'abord régler les troubles émotionnels.

En Ontario, il existe 34 professions réglementées. En 1997, un peu plus de 15 000 immigrants voulaient pratiquer dans l'une de ces professions. Le problème vient du fait que ces professions sont autoréglementées en vertu des lois provinciales et qu'en tant que telles, elles fixent des critères qui sont très difficiles à satisfaire quand on vient de l'étranger. Par conséquent, nous comptons beaucoup de personnes qualifiées dont les compétences sont gaspillées.

Je vais vous donner quelques exemples de solutions. Ainsi, notre programme destiné aux professionnels formés à l'étranger, que nous administrons conjointement avec le collège Humber d'arts appliqués et de technologie et qui est financé par Développement des ressources humaines Canada, a connu beaucoup de succès. Soixante-dix pour cent environ des participants ont trouvé un emploi dans leur domaine de compétence.

Nous avons récemment effectué des calculs pour savoir combien de diplômés de ce programme se trouvaient un emploi. En somme, nous avons en quelque sorte calculé le rendement sur l'investissement. Nous avons découvert que, quand on soustrait les coûts de ce programme intensif de cinq semaines des économies réalisées sur le plan de l'assurance-emploi, parce que ces personnes étaient des prestataires, et que l'on tient compte de l'impôt qu'elles versent quand elles travaillent, le rendement atteint plus de un million de dollars.

Par conséquent, les programmes comme celui-là qui montrent aux gens comment se trouver un emploi dans leur domaine et comment décider s'ils veulent faire carrière dans leur domaine ou dans un autre domaine représentent manifestement un investissement judicieux.

J'aimerais vous donner un exemple de la façon dont nous pouvons court-circuiter le système. Nous avons trouvé de l'emploi à environ 15 ingénieurs chez de Havilland Canada, qui a un très gros bureau d'études. La reconnaissance professionnelle n'était pas nécessaire parce que l'ingénieur en chef supervisera leur travail et assumera la responsabilité de leur travail. Résultat, ces ingénieurs travaillent dans leur domaine de compétence.

Ce qu'il faut en Ontario essentiellement, c'est un service centralisé d'évaluation des titres de compétence étrangers, ce que la province est enfin en train de mettre en place, et des stratégies pour permettre à ces personnes d'acquérir de l'expérience sur le tas, soit en faisant du bénévolat ou par d'autres moyens, comme ceux que nous employons dans le cadre du programme.

Je m'arrête ici, mais je demeure à votre disposition si vous avez des questions à me poser.

Mme Lillian To, directrice générale, SUCCESS: Honorables sénateurs, c'est pour moi un très grand plaisir de venir vous faire un exposé sur la cohésion sociale. En raison des restrictions de temps, je ne m'arrêterai qu'à quelques points centraux.

Pour ce qui est de renforcer la cohésion sociale, je me concentrerai sur trois domaines. Le premier concerne les services d'établissement offerts aux immigrants, et le deuxième, les services d'emploi; quant au troisième, je vous parlerai brièvement du programme de multiculturalisme, de son importance pour favoriser la cohésion sociale.

M. Calla a parlé tout à l'heure de démographie. Le Canada est en train de devenir extrêmement diversifié sur le plan culturel. Entre 1991 et 1996, 80 p. 100 du million d'immigrants accueillis parlaient une langue autre que l'anglais ou le français et, en 1996, un cinquième de la population de Toronto et de Vancouver étaient des immigrants arrivés depuis 1981. Il va donc de soi que certaines des questions de diversité concernent la façon dont ces immigrants sont acceptés au sein de notre société.

Des études sur la façon dont sont perçus les immigrants ont permis de constater comment la récession du début de la décennie a avivé la crainte que les immigrants ne volent les rares emplois offerts, et d'autres études ont montré comment la récente arrivée massive d'immigrants asiatiques à Vancouver a mis à rude épreuve la cohésion sociale. J'aimerais donc souligner à quel point il est important que nos politiques sociales ne fassent pas le jeu des préjugés et des sentiments populaires sans fondement. Il faut que le gouvernement mette en oeuvre des politiques et qu'il alloue des ressources destinées à éliminer les barrières et à aider les groupes minoritaires à avoir plein accès et à s'intégrer. Il importe d'atteindre un équilibre entre la volonté de la majorité et la protection des droits des groupes minoritaires.

En deuxième lieu, j'aimerais vous parler dès maintenant de l'importance de la contribution des immigrants à l'édification du pays et de l'importance de leur offrir des services d'établissement pour faire en sorte qu'ils soient si bien intégrés à la société qu'ils sont capables d'y contribuer. En termes du récent processus de renouvellement de l'établissement dans le cadre duquel le gouvernement fédéral a cédé ses responsabilités aux provinces, il importe que le gouvernement conserve un rôle durable pour faire en sorte que les fonds sont alloués, transférés aux provinces, en vue d'assurer le maintien des services d'intégration à l'établissement des immigrants. De plus, le gouvernement du Canada n'a pas encore arrêté les principes et normes nationaux relatifs à l'allocation de fonds fédéraux aux services d'établissement.

Le troisième point concerne l'emploi et les besoins de formation professionnelle. Comme la conjoncture économique et l'inclusion dans la société sont très étroitement liées, une mauvaise conjoncture économique intensifie l'exclusion. L'emploi est un moyen important de socialiser et de s'intégrer à la société. Bien sûr, la réduction des effectifs dans les entreprises entraînera aussi la marginalisation et l'isolement des personnes mises à pied.

La situation des groupes plus vulnérables, surtout des nouveaux arrivants qui n'ont pas de réseau d'entraide sociale, qui ont parfois de la difficulté à s'exprimer dans notre langue et qui ne connaissent pas notre marché du travail, surtout si l'on tient compte du fait que leurs études ne sont souvent pas reconnues au Canada, est encore pire.

M. Calla a mentionné brièvement les difficultés avec lesquelles sont aux prises les nouveaux venus, les nombreuses barrières à surmonter pour se trouver un emploi, ainsi que certaines solutions. J'aimerais simplement vous donner quelques données statistiques tirées d'une étude effectuée récemment en Colombie-Britannique au sujet de la vallée du bas Fraser. D'après le recensement de 1996, 21,5 p. 100 des immigrants arrivés au Canada entre 1991 et 1996 avaient un diplôme universitaire. Donc, le niveau d'instruction de nos immigrants semble plus élevé.

La deuxième question, c'est que, depuis 1996, il semble que la connaissance de l'anglais s'améliore chez les immigrants. Soixante-sept pour cent des principaux demandeurs en 1996 parlaient soit l'anglais soit le français; en 1981, seulement 54 p. 100 d'entre eux parlaient une des langues officielles. La situation s'est donc améliorée.

Quant aux immigrants qui sont arrivés au Canada durant la période allant de 1991 à 1996, on pourrait croire, étant donné leurs études poussées et leurs compétences linguistiques, qu'ils se débrouilleraient bien sur le marché du travail. Toutefois, les données statistiques révèlent que, durant cette période, les immigrants ont gagné presque 10 000 $ de moins que leurs homologues de souche canadienne. Le rapport va même jusqu'à laisser entendre que la moitié de ces familles avaient des revenus en deçà du seuil de faible revenu de Statistique Canada, bien qu'elles aient touché moins de paiements de transfert du gouvernement que les personnes nées au Canada.

Les données statistiques font ressortir à quel point les groupes d'immigrants se heurtent à de multiples obstacles: manque de connaissance de la culture, manque de réseaux d'entraide et d'expérience canadienne et, parfois, discrimination dans l'emploi. On invoque entre autres comme prétexte pour ne pas donner d'emploi aux immigrants qu'ils n'ont pas d'expérience canadienne, qu'ils s'expriment avec un accent et que leurs titres de compétence ne sont pas reconnus au Canada.

Non seulement le chômage sévit au sein des groupes d'immigrants, mais le sous-emploi pourrait s'avérer un problème encore plus grave. Nombre de ces professionnels très compétents et bien formés qui ont immigré ici sont incapables d'obtenir un emploi dans leur domaine de compétence. Il faudrait que le gouvernement s'arrête au problème du sous-emploi. Comme l'a mentionné M. Calla, une solution consiste à faire offrir par certains organismes des programmes d'orientation et de formation professionnelles aux immigrants, et nombre de ces programmes ont eu beaucoup de succès.

SUCCESS offre toute une gamme de programmes d'orientation et de formation professionnelles, entre autres dans le domaine de la comptabilité informatisée et de l'électronique, et il a un taux de réussite de 80 à 90 p. 100.

Toutefois, je tiens à attirer l'attention du Sénat sur le fait que des changements sont survenus dans les programmes de DRHC. Bon nombre des programmes de formation professionnelle ne sont offerts qu'aux prestataires de l'assurance-emploi ou de l'aide sociale. Par conséquent, de nombreux immigrants en sont exclus. Les plans de DRHC visant à mettre en oeuvre des stratégies de réemploi des prestataires de l'assurance-emploi grâce au Fonds d'investissements en ressources humaines ont aussi entraîné des réductions dans certains programmes qu'il finançait auparavant, par exemple dans des programmes destinés aux personnes fortement défavorisées sur le plan de l'emploi ou dans des programmes de formation linguistique. On retire ces programmes en raison des changements survenus dans les politiques. Il est donc plus difficile aux immigrants d'avoir accès à des programmes de formation professionnelle.

Nous recommandons que le gouvernement examine sérieusement les barrières culturelles et linguistiques auxquelles se heurtent les immigrants et qu'il fasse en sorte qu'ils aient accès à de la formation sur le marché du travail. Nous recommandons aussi que le gouvernement rétablisse les fonds qui étaient consacrés à la formation fournie dans le cadre de projets et aux programmes destinés aux adultes et aux jeunes fortement désavantagés sur le plan de l'emploi.

Un des derniers points que je tiens à mentionner brièvement concerne l'importance pour le Canada, qui s'enorgueillit de ses lois et de ses politiques de multiculturalisme, de maintenir son engagement et de continuer à prôner l'équité et le traitement équitable en dépit du ressac dont fait actuellement l'objet le multiculturalisme. Il importe également que le Canada fasse en sorte que l'on respecte la diversité culturelle de tous les nouveaux arrivants au Canada et qu'il combatte la discrimination sous toutes ses formes à leur égard.

Le président: Madame To, je vous remercie.

En ce qui concerne les programmes de formation professionnelle, si j'ai bien compris, vous parlez plus particulièrement du cas de la Colombie-Britannique.

Mme To: Oui.

Le président: La Colombie-Britannique n'a-t-elle pas pris en charge la formation de la main-d'oeuvre, auparavant administrée par le gouvernement fédéral?

Mme To: Nous sommes en pleine période de transition.

Le président: Quelle est votre solution au problème? Elle doit relever de la province, non?

Mme To: Non. Le gouvernement fédéral a encore un rôle clé à jouer. Quand ces programmes sont cédés à la province, certains des fonds et des politiques sont également transférés.

Le président: Les fonds vont de pair avec les programmes; toutefois, l'admissibilité, par exemple, doit être du ressort provincial. Peut-être pas.

Mme To: Pas d'après ce que j'en sais. Dans bon nombre de ces programmes, l'admissibilité demeure confinée aux prestataires de l'assurance-emploi; les programmes de formation professionnelle provinciaux sont axés davantage sur les assistés sociaux. Les immigrants n'y sont toujours pas suffisamment admissibles. De plus, des changements ont été apportés aux programmes de formation dans le cadre de projets suite à l'adoption de la loi entrée en vigueur en 1995 qui transfère les fonds réservés à cette formation des organismes aux particuliers. Cela pose beaucoup de difficultés aux organismes qui dirigent ces programmes. C'est donc un obstacle de plus à surmonter.

Le président: Monsieur Calla, voyons voir si je comprends mieux ce que vous nous avez dit au sujet des travailleurs qualifiés et spécialisés qui arrivent ici.

La personne se présente au bureau d'immigration du Canada à l'étranger et déclare être ingénieur électricien, médecin ou exercer un autre métier ou avoir d'autres compétences que nous savons être en demande au Canada. Elle manifeste le désir d'émigrer au Canada. Le représentant de l'Immigration dit: «Parfait, nous avons besoin de ce genre de travailleurs au Canada».

Qu'arrive-t-il alors? Immigration Canada dirige-t-elle cette personne vers le corps professionnel compétent ou vers la province qui a le plus grand besoin de ses compétences, ou encore la réfère-t-elle au gouvernement provincial concerné? Qu'arrive-t-il?

M. Calla: Il est rare qu'on le fasse. L'une des grandes difficultés réside dans l'incohérence de l'information dont disposent les bureaux canadiens à l'étranger. Cette question a été soulevée auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. Le ministère en est bien conscient et a pris certaines mesures. Je crois savoir qu'Immigration demande aux personnes qui ont fait des études en médecine et qui demandent à émigrer au Canada de signer un document dans lequel elles affirment comprendre qu'il pourrait leur être très difficile d'exercer leur profession au Canada. Ce document est nouveau.

La plupart du temps, toutes les autres professions, par exemple, l'art vétérinaire, figurent sur les listes de DRHC en tant qu'occupations pour lesquelles il existe des emplois au Canada; par conséquent, les personnes qui ont un diplôme en sciences vétérinaires obtiennent des points supplémentaires. En d'autres mots, leur immigration au Canada serait autorisée parce que l'admissibilité est déterminée par un système de points, par le fait que vous parliez anglais ou français, par vos compétences, et ainsi de suite. Toutefois, on ne dit souvent pas à ces personnes que la science vétérinaire est une profession réglementée. Il y a là une certaine incohérence qui cause un problème très grave. Les immigrants, mal renseignés, arrivent ici pleins d'espoir, puis ils butent contre le mur; leurs efforts n'aboutissent à rien.

Le président: J'imagine que ceux qui ne passent pas par ce processus, qui viennent à titre de membres d'une famille, membres de la catégorie de la famille, ou comme réfugiés, se retrouvent dans une situation encore plus difficile. L'immigration relève à la fois de la compétence fédérale et de la compétence provinciale depuis 1867, même si la compétence fédérale a préséance. Les provinces peuvent faire la sélection de leurs propres immigrants à l'étranger. Le Québec le fait. Ce que vous dites semble indiquer qu'il faudrait peut-être que les provinces intensifient leurs activités à l'étranger afin de mieux orienter les gens vers les secteurs où leurs compétences et leur formation seraient utiles ou en demande, ou pour leur expliquer, à tout le moins, les règles concernant leur profession ou leur métier dans la province de leur destination.

M. Calla: D'après ce que je comprends, le gouvernement fédéral assume cette responsabilité, en ce qui concerne l'Ontario dans tous les cas. Autant que je sache, le Québec a des bureaux à l'étranger, mais pour ce qui est de l'Ontario, c'est le gouvernement fédéral qui se charge de l'étranger. Reste une grande responsabilité, celle de l'accessibilité aux professions réglementées, et non pas simplement à n'importe quel emploi. En d'autres termes, la question des 34 professions réglementées relève de la compétence provinciale.

Le président: Êtes-vous en train de nous dire que le système fonctionne mieux dans les provinces dotées d'organismes centralisés d'évaluation des titres de compétence étrangers -- vous citez le Québec, l'Alberta et la Colombie-Britannique.

M. Calla: D'après nous, cela fonctionne beaucoup mieux, car les employeurs en sont venus à se fier aux renseignements. Au fil des ans, la crédibilité a augmenté, car la base de données est vaste et crédible. Elle peut indiquer à quoi correspond un MBA de l'Université de Santiago. Les employeurs en sont venus à se fier à la base de données.

À Toronto, plus précisément, l'Université York et l'Université de Toronto font des évaluations des titres de compétences universitaires, mais elles sont restreintes et les employeurs n'en tiennent pas compte le plus souvent. C'est la raison pour laquelle une vaste base de données centralisée s'impose.

Le président: Le Québec, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont des organismes centralisés d'évaluation des titres de compétence étrangers. Cette évaluation vise-t-elle les titres de compétence dans tous les domaines -- je veux parler des physiciens, des ingénieurs, des dentistes, et cetera?

Mme To: Non. En Colombie-Britannique, l'organisme Open Learning Agency fait quelques évaluations de titres de compétence étrangers. Toutefois, il ne peut accorder que certaines équivalences et beaucoup des professions sont exclues et ne sont reconnues que par des associations professionnelles, comme celles des médecins ou des ingénieurs.

Je ne sais pas si la Colombie-Britannique vaut beaucoup mieux que l'Ontario. En fait, l'organisme Open Learning Agency est un début et permet quelques évaluations des titres de compétence étrangers. Beaucoup des soi-disant professionnels ne peuvent toujours pas exercer leur profession. Par exemple, les médecins sont tenus de passer un examen, et c'est la même chose pour les ingénieurs. Beaucoup de qualifications étrangères ne sont toujours pas reconnues. Cela continue de poser un gros problème en Colombie-Britannique où tant de professionnels sont sous-employés.

Le président: Est-ce également le cas en Alberta et au Québec?

M. Calla: L'expérience québécoise remonte à de nombreuses années, si bien que le système y est mieux développé. Le système de la Colombie-Britannique est plus récent.

Le sénateur Butts: Qu'attendez-vous donc du gouvernement? Voulez-vous que le gouvernement prenne des règlements au sujet de ces organisations professionnelles pour rendre l'accès plus facile? Ou voulez-vous qu'il fasse ce qu'il semble faire en ce moment, c'est-à-dire qu'il finance les organismes comme celui que vous représentez pour que ces gens soient prêts à l'emploi? À mon avis, ce sont vos options.

M. Calla: D'après moi, une approche sur deux fronts peut être adoptée parallèlement à ces options. Premièrement, dans le cas des professions, les organismes de réglementation doivent manifester une certaine acceptation et reconnaître que les gens qui viennent avec des titres de compétence étrangers ont quelque chose à offrir. Leurs titres de compétence peuvent être inférieurs à nos normes, ou supérieurs, mais il faut trouver un moyen de les évaluer et de leur donner ensuite accès à la profession. Cela relève essentiellement de la compétence provinciale, d'après ce que nous avons découvert. Je crois qu'il existe des façons de procéder. Par exemple, pour qu'un organisme de réglementation obtienne sa charte du gouvernement provincial, il faudrait qu'il prouve que ses critères ne sont pas discriminatoires. C'est essentiellement l'approche que nous préconisons.

L'autre approche consiste à examiner -- et cela fait partie de mon exposé -- le processus de la cohésion sociale et comment les personnes vulnérables dans notre société deviennent habilitées et réussissent à avoir accès aux institutions auxquelles nous avons tous accès. Pour ce faire, il faut examiner le secteur bénévole où en Ontario, plus de 250 organismes s'affairent sans bruit à aider ces personnes à trouver des emplois, atteindre leur plein potentiel, et cetera. C'est un domaine que le gouvernement fédéral peut certainement continuer d'appuyer, par le truchement de programmes offerts par DRHC, Citoyenneté et Immigration Canada, et cetera.

Nous ne cessons de nous heurter à des obstacles, comme celui cité par Mme To que l'on retrouve certainement en Ontario, à cause du transfert par le gouvernement fédéral aux provinces de tout ce qui touche à la formation professionnelle. Cela donne lieu à une période de transition délicate, puisque la stratégie de financement est telle que les fonds sont remis directement aux personnes souhaitant suivre une formation; le programme lui-même n'est pas financé. Cela veut dire que de grandes institutions qui offrent des formes traditionnelles de formation peuvent réussir à attirer ces personnes, lesquelles payent alors les frais des programmes. Par contre, les organismes spécialisés comme le nôtre ont beaucoup de mal à mettre sur pied des programmes ciblés, puisqu'ils doivent financer à l'avance la création de ces programmes. Après quoi, il ne leur reste plus qu'à espérer que des candidats se présentent. C'est là que nous perdons véritablement du terrain dans le domaine de la formation et c'est la raison pour laquelle je souligne que la deuxième option est très importante, soit le soutien du secteur bénévole.

Le sénateur Butts: Vous dites que les nouveaux venus ne peuvent pas obtenir de licence sans expérience de travail et qu'ils ne peuvent pas obtenir d'expérience de travail sans licence.

Bien sûr, c'est ce qui se passe aussi dans le cas des Canadiens autochtones. Je sais que beaucoup obtiennent une licence et ne peuvent pas trouver d'emploi et ils ne peuvent pas obtenir d'emploi sans licence; c'est normal.

M. Calla: Est-ce vraiment ce que nous voulons?

Le sénateur Butts: Nous ne voulons pas rendre les choses plus difficiles pour les immigrants que pour n'importe qui d'autre, mais c'est difficile pour tout le monde.

M. Calla: Cela ne fait aucun doute. Je pense tout simplement qu'il existe des moyens de faciliter les choses.

Le sénateur Butts: Dans la mesure où nous le faisons pour tout le monde.

M. Calla: Effectivement.

Le président: Est-ce que les organismes centraux des provinces ont une vue d'ensemble des titres de compétence étrangers dans des domaines comme la médecine, le génie, et cetera?

M. Calla: Ils doivent avoir cette expertise.

Le président: Admettez-vous qu'un organisme professionnel a toujours le droit d'accepter que telle ou telle personne exerce la profession? Les organismes centraux ont-ils le droit de se prononcer sur les titres de compétence d'un immigrant dans des domaines comme la médecine, le génie, le droit, et cetera?

M. Calla: Oui, c'est à eux de dire: «C'est l'équivalent canadien. Si vous avez quatre années d'études universitaires en médecine, cela équivaut à, par exemple, deux années d'études au Canada.» Ils pourraient donc le faire, mais c'est à l'organisme professionnel de l'accepter.

Le président: D'accord.

M. Calla: À l'heure actuelle, certains organismes professionnels qui voient arriver beaucoup d'immigrants dans leur domaine, comme l'Association of Professional Engineers of Ontario, mettent au point leur propre base de données relative aux diplômes de génie, à cause de l'absence d'un organisme centralisé.

Le président: Si l'organisme centralisé est efficace et respecté, il revient donc alors certainement à l'organisme professionnel d'expliquer pourquoi il ne peut pas admettre telle ou telle personne, ou le contraire.

M. Calla: C'est exact.

Le sénateur Butts: Il y a quelques années, je sais qu'en Ontario -- je ne sais pas si c'est toujours le cas aujourd'hui -- les immigrants se présentaient à des examens organisés par une commission. S'ils réussissaient, ils étaient admis dans ce groupe de professionnels. C'est comme cela que les choses fonctionnaient à l'époque. DHRC finançait les enseignants; c'est ainsi que j'ai obtenu mon doctorat.

Mme To: En Colombie-Britannique, l'organisme de reconnaissance des titres de compétence n'évalue pas véritablement les qualifications professionnelles, cette fonction revenant à l'organisme professionnel. Comme l'a dit le sénateur un peu plus tôt, les organismes professionnels, qu'il s'agisse d'ingénieurs, de médecins, ou d'enseignants, ont leur propre mécanisme d'évaluation. Les immigrants peuvent avoir à se présenter à certains examens, si leurs qualifications sont reconnues. Par conséquent, c'est très sporadique, ce n'est pas uniforme et beaucoup d'immigrants se heurtent à des difficultés, selon leur pays d'origine.

Beaucoup d'immigrants se heurtent également à la question des connaissances linguistiques. Prenez, par exemple, un diplômé en soins infirmiers qui a 20 ans d'expérience et qui est bien qualifié. Il se peut qu'il ne réussisse pas l'examen de soins infirmiers en anglais, à cause des difficultés que représentent les termes techniques. Les organismes du secteur bénévole qui s'occupent de ces groupes offrent des cours de langue reliés à une profession donnée -- par exemple, les soins infirmiers -- pour aider ces immigrants à avoir accès à leur profession. Toutefois, ce genre de financement a diminué comme je l'ai dit plus tôt, à cause des changements récents au niveau des politiques DRHC.

Le sénateur Cohen: Quels sont les facteurs les plus importants, à votre avis, de la réussite de l'intégration des immigrants au Canada? Deuxièmement, vos organismes s'appliquent-ils à créer des partenariats ou des alliances avec d'autres groupes de la société pour aider à lutter contre l'exclusion, si c'est ce qui se passe dans votre région? Enfin, comment cela fonctionne-t-il et quels en sont les coûts et avantages?

Mme To: L'emploi est certainement un facteur essentiel de la réussite de l'intégration. Toutefois, nous croyons en une approche plus holistique. Un système de soutien social est également important, ainsi qu'un réseau et une bonne compréhension des possibilités et d'autres questions, au Canada. Il faut donc combiner tous ces éléments afin d'offrir des services holistiques qui permettront la réussite de l'intégration. En ce qui concerne la lutte contre l'exclusion, l'emploi n'est qu'un des éléments clés.

En Colombie-Britannique, nous avons une association semblable au Conseil ontarien des organismes de services aux immigrants où les divers groupes intéressés se réunissent pour régler certaines questions comme le manque de reconnaissance des titres de compétence étrangers, entre autres. Nous avons également participé à des programmes conjoints avec des établissements d'enseignement supérieur, des centres communautaires locaux, pour n'en nommer que quelques-uns.

Le sénateur Cohen: Si j'étais immigrante, je préférerais rester au sein de ma propre collectivité. D'après votre expérience, pensez-vous qu'après un certain temps, les immigrants restent dans leur milieu, ou vont-ils à l'extérieur, dans la collectivité? Il me semble parfois que les immigrants tendent à créer leur propre exclusion sociale. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme To: C'est tout à fait visible à Vancouver. À Richmond, près de 40 p. 100 de la population est d'origine chinoise; il s'agit essentiellement d'immigrants chinois et ils ont même leurs propres centres commerciaux. Ces immigrants ont tendance à rester proches de leurs amis et de leurs parents, pour avoir un réseau et un appui sociaux, mais c'est un mythe que de dire qu'ils sont ainsi à l'écart du reste de la collectivité. À Richmond, par exemple, malgré les centres commerciaux chinois et la densité de la population chinoise dans certains secteurs, plus de 90 p. 100 d'entre eux travaillent dans de grandes institutions canadiennes; ils ne se limitent pas à des emplois dans des entreprises chinoises. Par ailleurs, 95 p. 100 des enfants fréquentent des écoles canadiennes et non des écoles privées. Il n'y a qu'une école publique soi-disant chinoise à Vancouver. En règle générale donc, 95 p. 100 des étudiants chinois fréquentent des écoles canadiennes. En outre, tous embrassent les valeurs canadiennes, les politiques canadiennes, tout le système canadien.

Une enquête récemment faite au sujet des immigrants chinois de Vancouver révèle que 90 p. 100 d'entre eux qui regardent la télévision chinoise regardent également la télévision canadienne et que 70 p. 100 d'entre eux qui lisent des journaux chinois lisent également des journaux anglais. À titre d'exemple, je fais autant mes courses dans les centres commerciaux chinois que chez Safeway. Ce n'est donc pas incompatible.

Ceux qui ont des difficultés linguistiques, comme les personnes âgées, ont bien sûr tendance à rester au sein de leur groupe. La plupart toutefois, même si leur cercle d'amis se composent de Chinois, participent à la société canadienne dans son ensemble.

Le président: Monsieur Calla, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Calla: Oui. Près d'un tiers de tous les immigrants du Canada s'établissent à Toronto. Bien sûr, les gens fréquentent ceux qui ont les mêmes origines et se rendent dans des restaurants qui servent des plats qu'ils connaissent bien, mais ce qui me frappe vraiment, c'est la rapidité avec laquelle ces gens adoptent les valeurs et les principes canadiens. Il est déjà arrivé qu'il y ait des conflits au niveau de l'emploi, par exemple, où des clients me téléphonent pour me dire: «Je crois que votre conseiller favorise des personnes de mêmes origines que lui». La réalité du Canada, c'est qu'il faut faire la queue, attendre son tour et ne pas jouir de traitement préférentiel. Les immigrants arrivent à apprécier une société qui leur offre des possibilités, qui les respecte et qui traite tout le monde sur un pied d'égalité.

Nous avons un centre d'accueil de réfugiés dans le cadre d'un contrat avec Citoyenneté et Immigration Canada, où nous logeons jusqu'à 100 réfugiés par jour dès leur arrivée de l'aéroport Pearson. Nous avons eu des Irakiens et des Iraniens en même temps, alors que ce sont des frères ennemis depuis toujours. Ils adoptent rapidement les valeurs canadiennes, grâce à l'exemple donné par mon personnel, grâce à la façon dont ils sont traités, et cetera.

Le sénateur Cohen: D'après votre expérience, est-ce que les immigrants font l'objet de beaucoup de discrimination ou y a-t-il des poches de discrimination? Il ne peut pas y avoir de cohésion sociale si la discrimination sévit. Quelle est votre expérience à cet égard?

M. Calla: Je crois que c'est le cas en ce qui concerne l'emploi. Je viens juste de voir les données du recensement de 1991. À cette époque, le taux de chômage au Canada était en moyenne de 10 p. 100. Pour les minorités visibles, le taux de chômage passait de 10 p. 100 pour les Chinois à 19 p. 100 pour les Latino-Américains. Le chômage parmi les Noirs, les originaires de l'Asie du Sud et de l'Asie occidentale, et cetera., oscillait entre 10 p. 100 et 19 p. 100. Par conséquent, oui, la discrimination existe.

À Toronto, d'ici l'année prochaine, les minorités visibles constitueront près de 54 p. 100 de la population. Par conséquent, la minorité va devenir la majorité, à Toronto. Certains employeurs, en contact avec autant de minorités visibles, se rendent compte que leurs stéréotypes s'effritent. D'autres stéréotypes apparaissent. À COSTI, nous recevons parfois des appels d'employeurs qui disent: «Pouvons-nous avoir un travailleur vietnamien ou un travailleur portugais?»

Il y a des usines où tous les employés sont vietnamiens ou portugais, ou d'une autre origine ethnique, car les contremaîtres savent qu'ils travaillent fort. D'autres stéréotypes apparaissent donc, bien qu'il s'agisse d'une forme plus positive de discrimination, si vous voulez, mais c'est toujours de la discrimination, malgré tout. Des genres plus graves de discrimination existent également.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Dans votre exposé, vous avez mis l'accent sur l'immigration de professionnels, que ce soit des médecins ou des ingénieurs. Est-ce que je me trompe en pensant que vous favorisez l'immigration de personnes hautement qualifiées? Dans le fond, l'immigration sert à donner une chance à tout le monde, qu'on soit un professionnel ou un simple citoyen dans son pays d'origine. Pensez-vous qu'un groupe doit être favorisé par rapport à un autre ou qu'au contraire, les gens qui ont peu de formation sont ceux qui ont le plus besoin d'immigrer?

[Traduction]

M. Calla: C'est véritablement une question de politique pour le gouvernement canadien. Il faut cependant prendre plusieurs points en considération. Premièrement, je suis pour le maintien de la catégorie de la famille. On ne peut pas strictement passer à un système de points et dire qu'il faut telle ou telle compétence pour venir au Canada. Les familles doivent avoir la possibilité de parrainer leurs parents. En même temps, l'économie a considérablement changé ces dix dernières années environ et, en tant que telle, exige la présence de personnes qualifiées et de personnes qui ont fait des études.

Récemment, un excellent article a paru dans The Globe and Mail au sujet des tendances dans le domaine de l'éducation. Sur les 300 000 emplois créés en 1997, seulement 2 000 l'ont été pour les gens n'ayant pas terminé leurs études secondaires. Aujourd'hui, les nouveaux emplois sont destinés aux personnes qualifiées et qui ont fait des études. Par conséquent, notre politique en matière d'immigration doit trouver un équilibre entre les besoins économiques et la possibilité d'une vie meilleure pour les particuliers et les familles.

Mme To: La politique du Canada en matière d'immigration encourage davantage la venue d'immigrants économiques. En Colombie-Britannique, 64 p. 100 des nouveaux venus en 1996 étaient des immigrants économiques. Il s'agit de travailleurs qualifiés ainsi que de gens d'affaires. Seulement 27,7 p. 100 appartenaient à la catégorie de la famille, 4,5 p. 100 étaient des réfugiés et 3,8 p. 100 tombaient dans la catégorie autres.

Ce qui est ironique, c'est que malgré ces nombreux immigrants économiques dont les niveaux d'éducation sont plus élevés -- comme je vous l'ai dit plus haut, le nombre d'immigrants diplômés de l'université est plus élevé que celui des Canadiens; en fait, il y en a plus qui parlent l'anglais aussi bien -- malgré le niveau d'études, malgré l'expérience, malgré le recrutement en raison des qualifications et de la formation, ces immigrants ne sont toujours pas en mesure de trouver un emploi; par ailleurs beaucoup d'entre eux n'ont pas la possibilité d'exercer leur profession. Non seulement le chômage est-il un problème, mais le sous-emploi aussi. Beaucoup d'entre eux peuvent trouver un emploi, mais à un niveau bien inférieur à leurs titres de compétence.

Le sénateur Lavoie-Roux: La ministre de l'Immigration prévoit actuellement de nouvelles règles, dont la connaissance d'au moins une des deux langues officielles. Qu'en pensez-vous? Est-ce bien?

Mme To: Il est toujours exigé que les professionnels, les immigrants indépendants, parlent l'anglais; ils reçoivent d'ailleurs un certain nombre de points pour cela. Il n'y a pas d'exigences linguistiques pour les immigrants de la catégorie de la famille, c'est-à-dire les conjoints, les parents ou les enfants de moins de 21 ans. L'année dernière, on a proposé d'exiger la connaissance de l'anglais dans le cas de la réunion des familles, mais ce projet a été abandonné.

Ce qui est nouveau toutefois, c'est que les gens d'affaires immigrants doivent parler l'anglais. Cela pose un problème. Il est important que les travailleurs qualifiés puissent parler l'anglais, et cela a toujours été le cas. Mais que dire des investisseurs et des entrepreneurs? À l'heure actuelle, deux tiers de ceux qui viennent dans notre pays ne parlent pas l'anglais. Plus de la moitié des investisseurs ne parlent pas l'anglais. Avec les changements qu'il est proposé d'apporter à la politique en matière d'immigration, nous allons probablement perdre entre la moitié et les deux tiers de tous les gens d'affaires immigrants. Ils viennent ici avec des ressources financières, ainsi qu'avec une expérience et un réseau d'affaires étrangers. Imposer des exigences linguistiques aux gens d'affaires immigrants dissuadera beaucoup d'entre eux de venir dans notre pays.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous dites que les immigrants économiques semblent être privilégiés par le gouvernement. Pensez-vous que cela devrait être le cas, au détriment de l'immigration de personnes qui ont davantage besoin -- ou qui ont simplement besoin -- de changer de vie ou d'avoir une vie meilleure? Vous avez parlé de professionnels surtout.

Mme To: Oui.

Le sénateur Lavoie-Roux: Selon moi, l'immigration est une porte ouverte à tous ceux qui ont besoin d'une vie meilleure.

Mme To: Je pense qu'il faut arriver à un équilibre. Le Canada a besoin d'immigrants qui ont des compétences, des ressources et qui peuvent contribuer au pays. Bien sûr, la réunion des familles a toujours été la soi-disant pierre angulaire de la politique du Canada en matière d'immigration.

Le président: C'est toujours le cas, madame To.

Mme To: C'est ce que l'on affirme, mais en matière d'immigration, on essaie de limiter la catégorie de la famille à 40 p. 100 au maximum. On tente d'augmenter le nombre des immigrants économiques.

Le président: Les règles n'ont pas changé; c'est un droit.

Mme To: Oui, proportionnellement parlant, l'accent a davantage été mis sur les immigrants économiques. Bien sûr, le gouvernement continue de dire qu'il veut conserver les motifs humanitaires dans le cas des réfugiés; cela n'a pas changé.

Le président: Non.

Mme To: Bien que le nombre de réfugiés arrivant au Canada ait considérablement chuté.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les réfugiés représentent une catégorie complètement différente. Il peut y avoir des Chinois, des Indiens, ou d'autres, qui aimeraient avoir une vie meilleure et, d'après ce que je comprends, il semble qu'il y n'ait pas de place pour eux.

[Français]

Je sais que la réunification des familles est toujours une priorité. Les immigrants peuvent apporter quelque chose au point de vue économique. Notre pays devrait pouvoir aider ceux qui sont les plus mal pris aussi. Il y a des gens ordinaires qui pourraient avoir une vie meilleure, plus facile, qui pourraient apporter une contribution à leur pays d'adoption si on leur laissait la chance d'entrer.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, comme je vous l'ai déjà dit, il y a encore plusieurs sénateurs sur la liste de ceux qui veulent prendre la parole, le sénateur Ferretti Barth, le sénateur Wilson et le sénateur Gill, mais le troisième témoin est arrivé.

Je suis heureux de l'accueillir. Il représente le Centre de recherche-action pour les relations raciales. M. Niemi est cofondateur et directeur général du centre. Il parle français, anglais et espagnol et vient de l'Asie pacifique. Il a obtenu un diplôme en travail social à l'Université McGill et a aussi étudié à l'Université Concordia, se spécialisant dans les domaines des droits constitutionnels et du lobbying des citoyens au Canada et aux États-Unis.

Monsieur Niemi, nous délibérons depuis 11 h 30. Il y a encore des sénateurs qui veulent poser des questions aux témoins qui vous ont précédé. Si vous avez une déclaration à faire, je vous demanderais de la faire le plus rapidement possible. Je suis désolé que la circulation vous ait retardé et fait manquer le début de notre séance.

La parole est à vous.

M. Fo Niemi, cofondateur et directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales: Le ciel nous a joué un mauvais tour, si on peut dire. Le temps a rendu la conduite très difficile aujourd'hui, et j'aimerais m'excuser de mon retard.

Au nom de mes collègues ici présents de Montréal et de Toronto, j'aimerais vous remercier de nous avoir invités.

[Français]

C'est une question qui, selon nous, est très importante. La cohésion sociale dans le contexte du nouveau millénaire, avec les changements démographiques des sociétés canadienne et québécoise, est d'autant plus importante parce qu'elle remettrait peut-être en question certains fondements et certaines notions traditionnelles que constitue la société canadienne moderne de l'an 2000.

Mes collègues et moi avons plusieurs questions touchant le développement de la main-d'oeuvre et l'équité en matière d'emploi. Nous nous préoccupons beaucoup de la dévolution des pouvoirs et des ressources du gouvernement fédéral aux provinces, surtout en matière de développement de la main-d'<#0139>uvre et de la façon donc cette dévolution des pouvoirs pourrait remettre en question les notions acquises et menacer les fondements de la politique de la cohésion sociale que veut mettre de l'avant le gouvernement fédéral. Nous aimerions vous en parler plus en détail en partageant avec vous des expériences que nous avons vécues au cours des dernières années.

[Traduction]

Au sujet de la cohésion sociale, nous avons plusieurs observations à formuler sur le concept fondamental de cohésion sociale tel qu'il a été énoncé par divers experts, y compris le comité fédéral. Nous sommes aussi préoccupés par la démarche entreprise à ce sujet, et surtout par le fait qu'elle est pilotée par les universitaires et les intellectuels. Ce secteur est très raciste, surtout si l'on pense à la façon dont le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et quelques autres groupes de spécialistes sont constitués.

Certains de nos membres ici présents, Mme Lorna Roth, M. Wesley Crichlow et Mme Gail Grant, sont des experts en communications et en éducation ainsi qu'en équité en matière d'emploi. Ils pourraient peut-être échanger avec vous ultérieurement.

Nous aimerions dire que votre comité doit examiner la question de près si nous voulons considérer l'emploi, et particulièrement l'équité en matière d'emploi, comme un élément fondamental de la cohésion sociale. La question est importante non seulement parce qu'elle est inscrite dans la Constitution -- à l'article 15, paragraphe (2) de la Charte -- mais aussi parce qu'elle est de nature économique et sociale, qu'elle constitue une norme économique et sociale de portée nationale. Quand nous parlons de l'équité en matière d'emploi dans le contexte des relations fédérales-provinciales, il faut s'assurer que le gouvernement fédéral favorise la cohésion sociale, que la norme et l'objectif de l'équité en matière d'emploi ne sont pas négligés, surtout si on s'oriente vers l'union sociale.

Au Québec, nous avons vu comment le transfert de responsabilités en matière d'emploi, surtout avec l'entente Canada-Québec relative au marché du travail, a entraîné la disparition de la norme en matière d'équité d'emploi. Le Québec a reçu, je crois, deux ou trois sphères de financement pour le développement de la main-d'oeuvre. L'Ontario et l'Alberta ont aussi rejeté la notion d'équité en matière d'emploi quand ils ont conclu un accord avec Ottawa sur le transfert des responsabilités relativement au marché du travail.

Enfin, nous aimerions attirer votre attention sur le fait qu'il faut se pencher sur tous les aspects de la société, comme le système de justice pénale ou la radiodiffusion. Ces secteurs ont un impact direct sur les communautés, tant au niveau local que national, parce qu'ils influencent la façon dont nous concevons la cohésion sociale sur les plans multiculturel, multiracial et linguistique.

[Français]

Nous nous excusons du retard et nous espérons avoir l'occasion d'échanger plus en détail sur ces questions.

Le président: J'aimerais vous signaler que cette question de la dévolution aux provinces dans la formation de la main-d'<#0139>uvre a déjà été soulevée ce matin par votre collègue, Mme To, dans sa perspective de la Colombie-Britannique. Il est fort intéressant que vous l'ayez soulevée vous-même.

Le sénateur Ferretti Barth: Je reconnais parmi les témoins des amis comme M. Niemi. On a travaillé ensemble sur le comité consultatif de la Communauté urbaine de Montréal il y a environ 15 ans.

Mme To, j'ai écouté attentivement ce que vous avez dit. Votre exposé m'a beaucoup touchée. M. Calla a dit un peu plut tôt que son organisation reçoit beaucoup d'appels de compagnies qui demandent s'ils ont des ouvriers vietnamiens, portuguais, grecs, et cetera. Est-ce que la demande est justifiée parce que ces gens sont payés au salaire minimum et que ce sont de grands travailleurs, habitués à un rythme plus accéléré que les autres immigrants ou parce qu'ils sont des ouvriers qualifiés? Au Canada, nous favorisons le bimulticulturalisme alors qu'aux États-Unis, c'est l'assimilation qui semble être la norme.

Nous savons toutefois que ni l'un ni l'autre de ces systèmes fonctionne très bien. Que pensez-vous de cette situation? Selon vous, quels changements pourrions-nous faire pour améliorer l'intégration de nouveaux immigrants au Canada?

[Traduction]

Mme To: En Colombie-Britannique, en raison du nombre important d'immigrants provenant de l'Asie, des banques asiatiques, comme on les appelle, ont ouvert leurs portes. Elles ont essayé d'embaucher des immigrants qui parlent le cantonnais ou le mandarin. L'emploi est conditionné par le marché. Comme Mario l'a dit plus tôt, les fabriques de vêtements, les usines de poisson et les conserveries ont essayé d'embaucher des immigrants prêts à travailler au salaire minimum et à faire de longues heures. C'est un autre phénomène. Ensuite, selon moi, le marché entraîne l'embauche d'immigrants. Les magasins recrutent des gens qui parlent la langue des clients, chinois par exemple. Le fait qu'ils sont prêts à travailler dur à un salaire peu élevé est une autre raison. Mais il y a une barrière invisible. Beaucoup d'entre eux ne sont toujours pas capables de trouver du travail ou d'obtenir des promotions à cause de la discrimination. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a des politiques d'équité en matière d'emploi, qui restent au stade de la politique. Les lois sur l'équité en matière d'emploi ne fonctionnent pas très bien. Même les fonctionnaires provinciaux ne sont pas représentatifs de la population très diversifiée de la province. Il y a encore du chemin à faire.

M. Calla: Je veux répondre à votre deuxième question. À propos, au sujet de votre première question, je conviens qu'il y a plusieurs facteurs en cause, le fait qu'il faut recruter des gens qui ont les compétences recherchées, mais il y a aussi la question de l'exploitation, comme les longues heures de travail et le salaire minimum.

Pour ce qui est de votre deuxième question sur l'intégration des immigrants et sur la différence entre le Canada et les États-Unis, des études ont été faites à ce sujet. Au Canada, Citoyenneté et Immigration Canada offrent dès le départ des ressources pour que les immigrants puissent apprendre l'anglais ou le français, et des organisations comme la nôtre peuvent les aider à se trouver du travail et à s'intégrer à la société canadienne. Aux États-Unis, c'est plus une question de débrouillardise, de survie. La démarche canadienne est plus coûteuse, mais les études montrent que les immigrants s'intègrent plus rapidement au Canada, si on tient compte de facteurs comme la stabilité dans sa vie personnelle ou professionnelle et la capacité de profiter des services offerts à l'ensemble de la population. En fait, aux États-Unis, on a constaté que les immigrants ont tendance à dépendre davantage de l'État et à perdre plus souvent leur emploi. Les ressources initiales que nous consacrons rapportent à long terme parce qu'elles aident les immigrants à devenir productifs, à contribuer financièrement à la société et à mieux s'adapter.

Le sénateur Wilson: On a signalé que la question des réfugiés est très différente, mais je veux soulever une question à laquelle vous ne pourrez répondre. Je crois qu'on peut dire que beaucoup de Canadiens ont une opinion négative des réfugiés. Ils les considèrent comme des criminels ou des gens qui abusent du système, et ils pensent qu'on ne devrait pas les garder. J'aimerais savoir ce que vous pensez du système canadien d'accueil des réfugiés sur le plan de la cohésion sociale. Y a-t-il lacunes dans le système qui nuisent à la cohésion sociale?

M. Calla: La situation des revendicateurs du statut de réfugié est plus compliquée parce que ces personnes se trouvent dans l'impasse. D'après notre expérience, l'adaptation des réfugiés est bien différente de celle des autres immigrants. Les réfugiés ne sont pas ici nécessairement par choix mais parce qu'ils sont menacés dans leur pays d'origine.

Une de mes employés qui venait du Chili a pour ainsi dire vécu dans ses valises pendant environ huit mois avant que son mari lui dise qu'ils devaient se décider pour l'avenir et les études de leurs enfants.

Elle pensait être ici de façon temporaire et voulait retourner dans son pays. Ce n'est que parce que son mari s'est impatienté qu'elle a pris conscience qu'elle était au Canada de façon plus ou moins permanente et qu'elle pouvait planifier son avenir et celui de ses enfants. Il y a un cheminement psychologique à faire. Les réfugiés deviennent cependant d'excellents citoyens parce qu'ils apprécient vraiment la liberté dont ils jouissent ici.

Dans notre centre pour réfugiés, les nouveaux arrivants sont très méfiants à notre égard. Par exemple, nous avons accueilli l'an dernier des réfugiés cubains arrivés grâce à l'intervention du gouvernement canadien. Nous avons eu du mal à créer des liens avec eux parce que, quand ils étaient en prison dans leur pays, le travailleur social était celui qui les trompait au sujet de leur famille.

On pouvait dire des choses comme: «Vos enfants vont très bien, ils fréquentent l'école. Mais votre femme voit quelqu'un d'autre.» On jouait des jeux avec eux. Ils ont eu du mal à entrer en relation avec nous pour cette raison. Mais une fois qu'ils ont appris à nous faire confiance, qu'ils voient qu'ils se trouvent dans un pays différent du leur où ils ont des libertés qui pour eux ne vont pas de soi, ils deviennent d'excellents citoyens.

Le sénateur Wilson: J'aimerais poursuivre sur le même sujet. Pourriez-vous répondre à ma question, à savoir si le système actuel favorise ou non la cohésion sociale au Canada.

M. Calla: Je crois qu'il favorise la cohésion sociale de différentes façons. Il existe d'excellents programmes établis par Citoyenneté et Immigration Canada, dont l'un d'eux est le programme d'accueil, dans le cadre duquel on invite des Canadiens à venir en aide à une famille. Une des principales difficultés que connaissent les réfugiés est le fait qu'ils sont souvent très isolés. Ainsi, la famille canadienne qui leur vient en aide constitue un réseau d'entraide. Cette formule a énormément de succès. La plupart des gens qui participent à ce programme vous diront que ce sont eux qui en bénéficient vraiment parce qu'ils apprennent à connaître les réfugiés.

Il y a des programmes en vigueur à Toronto au Centre for Victims of Torture, par exemple. On intervient auprès de certaines victimes de torture. Je pense que des mesures existent.

Le problème avec le système, c'est qu'on constate vraiment de l'ambivalence de la part de notre gouvernement au sujet des réfugiés. Comme Lillian l'a dit, le nombre de réfugiés a baissé. Il y a cinq ans, on comptait environ 13 000 réfugiés parrainés par le gouvernement. Il n'y en a plus maintenant que 7 300, soit la moitié moins qu'avant. Il n'y en a pas beaucoup, mais je pense que les gens croient qu'il y a plein de réfugiés qui vivent au Canada. Je pense que cette ambivalence cause un problème. Cependant, je crois que les réfugiés peuvent être intégrés facilement.

Le sénateur Wilson: Une femme doit attendre huit mois pour décider de rester ici. Pourquoi? Est-ce un délai normal?

M. Calla: Vous posez une question sur le cheminement psychologique des personnes qui ont quitté leur pays. Elles n'ont peut-être pas encore accepté le fait que les dirigeants de leur pays ne changeront pas, ni les politiques, et qu'on ne leur accordera pas la liberté. Elles arrivent ici dans l'espoir de retourner chez eux. Dans le cas de cette femme, il lui aura fallu huit mois pour prendre conscience qu'elle devrait envisager son avenir ici, qu'elle ne pourrait pas retourner chez elle.

[Français]

Le sénateur Gill: M. Calla, vous avez mentionné -- je pense que vous parliez de Toronto -- que le taux de chômage des immigrants était deux fois plus élevé que le taux de chômage normal au Canada. Je ne sais pas si c'est la même chose à Vancouver, Montréal, et cetera. Est-ce que le taux de chômage est stable ou s'il a augmenté depuis quelques années et si c'est le cas, est-ce qu'on a pu le vérifier? Autrement dit, est-ce que les immigrants viennent s'ajouter à la liste de ceux qui sont en chômage au pays ou si ce groupe subit moins de chômage que d'autres?

[Traduction]

M. Calla: Pour ce qui est des taux d'emploi, la situation des immigrants est très semblable à celle des gens nés au Canada. Pour les hommes, le taux est d'environ 76 p. 100 pour les emplois à temps plein et, pour les femmes, il est d'environ 63 p. 100. Vous pourrez constater que les taux d'emploi sont les mêmes pour les immigrants que pour les gens nés au Canada. Au début de la récession, en 1991, le taux de chômage des minorités visibles -- pas seulement les immigrants, parce qu'il y a des gens appartenant aux minorités visibles qui sont nés au Canada, comme des Noirs et des Asiatiques -- était presque deux fois supérieur à la moyenne canadienne.

Mme To: La situation est la même en Colombie-Britannique. Beaucoup d'immigrants sont instruits et viennent d'une classe économique supérieure, mais le taux de sous-emploi est plus élevé dans leur cas, ce qui nous préoccupe.

Je veux répondre à une question posée plus tôt par le sénateur au sujet du multiculturalisme par rapport à l'assimilation. Je tiens à souligner qu'il est vital pour le Canada de maintenir une politique multiculturelle, parce qu'elle favorise la cohésion. Je pense que l'assimilation divise le pays. L'assimilation présume qu'une culture est supérieure aux autres. Le multiculturalisme favorise l'accès. Il offre des chances égales aux gens, quels que soient leurs antécédents. Il assure le respect, malgré la différence. Je pense que ce sont des caractéristiques très importantes pour veiller à ce que la société d'accueil accepte l'autre, considère qu'aucun groupe n'est supérieur à un autre et que tous les groupes peuvent participer à part entière à la vie du pays. Je crois que c'est ce qui garde le Canada uni. On voit ce qui se passe en Bosnie, où des groupes se battent pour avoir le dessus. Je pense que le multiculturalisme est très important à la cohésion de notre pays.

[Français]

Le sénateur Gill: Je ne sais pas si j'ai bien saisi la réponse, mais je voulais surtout savoir si le taux de chômage augmentait ou diminuait dans le cas des minorités visibles au pays.

Mon autre question s'adresse à M. Niemi et concerne la ségrégation. Est-ce que vous notez, à Montréal ou à Toronto -- j'imagine que c'est un peu différent parce que c'est soit un milieu majoritairement francophone ou un milieu majoritairement anglophone -- que la ségrégation est différente? Et si elle est différente, pour quelles raisons et est-ce que les raisons sont différentes?

M. Niemi: Je n'ai pas encore été saisi de recherches comparatives entre la discrimination raciale à Toronto et à Montréal, surtout au niveau de l'emploi. Peut-être que certaines données objectives pourraient nous donner une idée. Par exemple, si on regarde la sous-représentation de ces minorités au sein de la fonction publique, récemment est paru un rapport du gouvernement du Québec et de la Commission des droits de la personne et des droits à la jeunesse du Québec. Ce rapport a démontré que dans l'espace de 12 à 13 ans, au sein de la fonction publique du Québec, le nombre d'employés issus des minorités ethnoculturelles a augmenté de 11 postes. Qu'est-ce que cela démontre au niveau de l'accès à l'égalité au niveau de l'emploi?

On parle aussi de contexte de cohésion sociale, parce que je crois qu'il faut revenir à la question d'élimination de barrières d'intégration et d'accès à l'égalité. Il faut absolument revoir cela. Nous avons actuellement un cas devant la cour fédérale d'appel. Les critères de citoyenneté comme exigences d'emploi existent encore au niveau de la fonction publique fédérale, et peut-être dans d'autres secteurs d'activités économiques. Cela représente un exemple d'exclusion de personnes compétentes, autrement compétentes, mais qui, pour diverses raisons, n'ont pas accès à l'égalité des chances dans l'emploi.

Je voudrais apporter une nuance au niveau du taux de chômage, des désavantages dans l'emploi pour les minorités visibles. Il faut observer les catégories des minorités visibles. Nous pourrions vous fournir ultérieurement les chiffres sur une base comparative entre 1991 et 1996 pour démontrer que certains groupes vivent un taux de chômage qui dépasse parfois 200 ou 300 p. 100 de la moyenne à Montréal, notamment les groupes noirs et les groupes du Moyen-Orient. Lorsqu'on parle de ces questions à Montréal, il faut tenir compte du fait qu'à cause de l'accord McDougall, Gagnon-Tremblay, Ottawa a transféré beaucoup de responsabilités et de ressources en matière d'immigration dans l'adapatation des immigrants au Québec. Il y a donc une dynamique assez différente des autres provinces et il faut reviser cette question. Là encore, au niveau des valeurs et de la cohésion sociale, il a été démontré que lorsqu'on donne les cours de COFI et qu'on enseigne aux nouveaux arrivants, toute la dimension de l'histoire canadienne est négligée et quasi inexistante. Donc tout de suite, cela pose un défi pour l'identité canadienne.

Je voudrais revenir sur une question. J'ai manqué un peu le débat sur le multiculturalisme et le «melting pot». Il faut faire attention dans un contexte postmoderne. On dit souvent qu'aux États-Unis, c'est un contexte de «melting pot». Mais lorsqu'on regarde les États du Sud où il y a une grande population mexicaine ou latino-américaine et la situation des «African Americans», la théorie de «melting pot» ne tient pas autant qu'on le croyait.

Il faut peut-être replacer un peu les choses. Dans des régions des États-Unis, la dynamique des relations raciales ou de l'intégration des nouveaux arrivants varie énormément. Pour nous aussi parce que nous avons beaucoup de différences régionales et la dynamique de l'immigration pour chaque région est différente. Il faut qu'on tienne compte, dans un contexte de cohésion sociale, de ces particularités régionales ainsi que des particularités, entre autres, ethnolinguistiques.

Le sénateur Lavoie-Roux: Lorsque vous avez donné des chiffres pour les minorités dans la fonction publique, vous avez dit que pendant un certain nombre d'années, 11 personnes des communautés visibles ont été engagées. Est-ce que le même problème n'existe pas en ce qui a trait à la communauté anglophone? Est-ce que vous avez des comparaisons? Dans le fond, ce n'est pas nécessairement un problème de minorité visible ou pas, c'est un problème de la bureaucratie québécoise qui dit que l'on engage que des francophones.

M. Niemi: Si vous me le permettez, je vais vous répondre aussi en anglais, parce qu'il y a des nuances. Effectivement, d'une part la représentation des anglophones et des minorités ethnoculturelles, c'est-à-dire toutes les personnes non canadiennes-françaises, est très faible au sein de la fonction publique québécoise.

[Traduction]

Comme nous sommes devant un comité sénatorial, il y a toutes sortes de services publics fédéraux à examiner en ce qui concerne la représentation des minorités visibles. Le taux de participation de ce groupe est deux fois moins important que ce qu'il devrait être. La stratégie sur la cohésion sociale devrait permettre d'examiner le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour définir, préciser et faire valoir les valeurs au Canada.

Vous devez savoir, en tant que législateurs et sénateurs, que le gouvernement aura beaucoup de mal à paraître crédible s'il essaie de faire la promotion des valeurs canadiennes relativement à la diversité et aux différences quand sa propre fonction publique ne correspond pas à ce qui se passe dans la population canadienne. Nous pensons que c'est pourquoi les Canadiens sont très cyniques, parce que les membres des minorités raciales et les peuples autochtones comparent le discours et l'action. Par exemple, on constate que, dans la fonction publique québécoise, en dépit des lois, des politiques sur l'équité en matière d'emploi et du programme de contrats fédéraux, les choses ne fonctionnent pas. Les gens s'attendent à ce que ces programmes donnent des résultats.

Nous pouvons vous fournir certaines des analyses. D'après les rapports annuels sur l'emploi à temps partiel et à temps plein, les taux d'embauche des minorités visibles et des peuples autochtones, entre 1988 et 1995, causent un grave problème. Le secteur public et le secteur privé n'ont pas répondu aux attentes qu'ils avaient créées pour ce qui est de l'équité en matière d'emploi.

Le président: Nous progressons lentement, monsieur Niemi. Il y a 40 ans, un Canadien français ou un Québécois francophone ne trouvait rien de représentatif pour lui dans la fonction publique fédérale. Tout se faisait en anglais. Je pense que ces problèmes ont été réglés dans une large mesure, mais nous en avons encore beaucoup d'autres à régler.

Chers collègues, nous allons poursuivre notre étude demain, après l'ajournement du Sénat.

Il ne me reste plus qu'à remercier Mme To et M. Calla. Monsieur Niemi, je suis désolé que vous n'ayez pu arriver plus tôt. Notre discussion a été très intéressante et nous vous remercions tous les trois.

La séance est levée.


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