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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 29 - Témoignages du 9 mars 1999


OTTAWA, le mardi 9 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi sur l'accès à l'information, se réunit aujourd'hui à 10 h 05 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour entreprendre l'étude du projet de loi C-208, modifiant la Loi sur l'accès à l'information.

[Français]

À ma droite, je vous signale la présence de M. Gérald Lafrenière de la Bibliothèque du Parlement. Il est l'auteur du document de recherche que vous avez devant vous.

[Traduction]

Nous accueillons aujourd'hui trois groupes de témoins, à commencer par la marraine du projet de loi, la députée Colleen Beaumier.

Ce projet de loi d'initiative parlementaire a été présenté à la Chambre des communes en septembre 1997. Il a été renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne des Communes en avril 1998, puis adopté par la Chambre des communes le 16 novembre 1998 après avoir été amendé au comité.

Il est assez inhabituel pour un projet de loi d'initiative parlementaire de passer ainsi par toutes les étapes et d'être finalement adopté à la Chambre des communes. Le plus étonnant, si je lis bien, c'est qu'il a été adopté à l'unanimité par les députés qui font pourtant partie d'une chambre morcelée et extrêmement partisane. Félicitations, madame Beaumier.

Chers collègues, je ne vous dirai pas un mot sur le projet de loi puisque sa marraine est là pour le faire. Mme Beaumier est députée de Brampton-Ouest--Mississauga. Elle est travailleuse sociale de formation et siège à la Chambre des communes depuis 1993. Elle a aussi été contrôleur pour une entreprise de camionnage et représentante de la communauté à la Commission ontarienne des libérations conditionnelles.

Madame Beaumier, je vous invite à nous dire quelques mots sur votre projet de loi, puis à répondre aux questions. Je signale aussi que, si vous le désirez, vous pouvez revenir demain, une fois que nous aurons entendu tous les témoins. Vous avez le droit d'avoir le dernier mot et de répondre à toutes les questions que les sénateurs voudront alors vous poser.

C'est un plaisir de vous accueillir ici et de vous inviter à nous parler de votre projet de loi.

Mme Colleen Beaumier, députée: Honorables sénateurs, voilà bien un moment dans la vie où on a envie de se pincer pour s'assurer qu'on ne rêve pas. Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui.

En 1983, le premier ministre Trudeau a proclamé la nouvelle Loi sur l'accès à l'information. Même si le Canada est l'un des rares pays dans le monde à avoir adopté une telle loi, la bureaucratie a saboté l'esprit de la loi. On trouve une foule d'exemples de ce sabotage et il est inutile de les rappeler. Les Canadiens ont été amenés à croire, à la suite des témoignages entendus à la Commission Krever et à celle sur la Somalie, qu'il arrive couramment aux fonctionnaires de perdre, de détruire ou de retoucher des documents. Je ne vous donne que les deux exemples les mieux connus.

Bien des gens prétendent que je m'attaque à la fonction publique. Au contraire, monsieur le président, je crois que le projet de loi C-208 va épauler la fonction publique. Avant d'être élue au Parlement, j'ai moi-même déjà été fonctionnaire, entre autres, et je tirais alors une immense fierté du travail que je faisais. J'avais le scandale en horreur. J'étais insultée par ceux qui qualifiaient les fonctionnaires de tire-au-flanc parce que je travaillais fort, comme la plupart des fonctionnaires. Il suffit de quelques individus irresponsables pour ternir la réputation de toute la fonction publique. Le projet de loi C-208 vise les coupables et règle donc le problème de la responsabilisation.

Nous, les politiciens, n'avons pas grand-chose à offrir à nos électeurs, surtout les députés d'arrière-ban, mais on peut au moins s'efforcer de leur rendre des comptes.

Je trouve que la majorité des fonctionnaires sont consciencieux et se réjouiront de ces sanctions.

Le temps est venu pour le législateur de faire en sorte que toute action délibérée en vue d'empêcher l'accès à des informations soit pénalisée. L'article 67 de la loi se lit actuellement comme suit:

(1) Il est interdit d'entraver l'action du Commissaire à l'information ou des personnes qui agissent en son nom ou sous son autorité dans l'exercice des pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la présente loi.

(2) Quiconque contrevient au présent article est coupable d'une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d'une amende maximale de 1 000 $.

À ma connaissance, cette sanction n'a jamais été imposée.

Le projet de loi C-208 vise la protection des documents publics et montre surtout ce que la destruction de ces documents représente pour les Canadiens. Le projet de loi va renforcer la démocratie et améliorer la responsabilisation au Canada en prévoyant les mesures et les recours nécessaires pour que plus jamais des documents ne soient falsifiés et détruits.

Une telle manipulation des documents ne fait pas partie d'un mode de fonctionnement acceptable. Il est essentiel d'accroître la responsabilité de ceux qui entravent l'accès à l'information en agissant comme le dénonce le projet de loi C-208. La responsabilisation est à la base du projet de loi C-208. C'est une police d'assurance pour garantir l'intégrité politique. En fournissant des garanties, il augmentera la confiance du public.

Seulement une dizaine de pays dans le monde ont une loi sur l'accès à l'information et le Canada en fait partie. Le projet de loi C-208 montre que le Canada est déterminé à permettre l'accès à l'information d'une façon responsable et ouverte. L'adoption du projet de loi C-208 va renforcer la Loi sur l'accès à l'information pour montrer que le Canada a une façon bien particulière de traiter ces questions, une façon presque unique dans le monde entier.

Le projet de loi C-208 prévoit des poursuites par mise en accusation ou par procédure sommaire. La souplesse de la loi donne une grande marge de manoeuvre à la poursuite, rendant ainsi la Loi sur l'accès à l'information plus efficace. Le projet de loi C-208 renforce la démocratie au Canada. Ceux qui manoeuvreront pour manipuler les documents de façon à entraver l'accès du public devront répondre de leurs actes. C'est le principe fondamental du projet de loi C-208.

L'adoption du projet de loi sera tout à l'honneur du Canada et on s'en souviendra comme d'un moment où, encore une fois, le gouvernement du Canada se sera efforcé de protéger et d'avantager les Canadiens.

Le projet de loi C-208 était au départ d'initiative parlementaire. Le ministère de la Justice était contre. Au début, je demandais un emprisonnement maximal de cinq ans et une amende maximale de 10 000 $. À regret, j'ai dû accepter un compromis. On a réduit les peines prévues. C'était censé être exclusivement un acte criminel, mais on en a fait une infraction mixte. La poursuite a donc le choix de la procédure.

J'avoue être habituellement très entêtée. J'ai beaucoup de mal à faire des compromis quand je suis convaincue d'une chose. Toutefois, j'ai trouvé que c'était l'adoption du projet de loi qui primait. Ce n'est pas une panacée parce qu'on sait qu'il faut remanier complètement la Loi sur l'accès à l'information, mais c'est un début. J'espère justement que ça donnera l'envie de remanier la loi.

Les 203 députés qui ont voté à la Chambre ont adopté le projet de loi à l'unanimité. J'ai apprécié l'appui de tous mes collègues de l'opposition et du parti ministériel aux Communes et j'espère maintenant que les honorables sénateurs adopteront rapidement le projet de loi.

Le sénateur Cohen: Personne ne peut s'opposer à l'esprit et au principe du projet de loi. Si j'ai bien compris, vous dites qu'il suffit de quelques fonctionnaires pour gâter la réputation de toute la fonction publique et nous, au Sénat, nous sommes bien placés pour comprendre ce que vous voulez dire.

Néanmoins, je m'inquiète pour ceux qui refusent de détruire des documents publics ou d'être mêlés de quelque façon à leur destruction, parce que le projet de loi ne leur offre aucune protection. Croyez-vous qu'il faudrait l'amender pour interdire expressément les représailles contre quiconque refuse de détruire des documents?

Mme Beaumier: Au cours de mon premier mandat au Parlement, j'ai essayé de présenter un projet de loi pour protéger les dénonciateurs. Les fonctionnaires étaient tout à fait pour. Malheureusement, je pense que personne au gouvernement n'approuvait. On a donc estimé qu'il ne pouvait pas faire l'objet d'un vote. Il faudrait effectivement apporter bien d'autres modifications à la Loi sur l'accès à l'information. Malheureusement, mon projet de loi ne peut pas servir à une telle fin puisqu'il traite surtout d'une sanction.

Le sénateur Roche: Tout d'abord, monsieur le président, je veux souhaiter la bienvenue à Mme Beaumier et la féliciter pour son projet de loi. Une politicienne qui arrive à convaincre 203 députés de voter pour un projet de loi ne manque certainement pas d'atouts. Mme Beaumier pourrait peut-être nous enseigner comment faire adopter un projet de loi. De toute façon, elle peut compter sur mon appui sans réserve.

Madame Beaumier, vous avez parlé des fonctionnaires et de leur penchant pour le secret, ou du moins de leur tendance à ne pas fournir tous les renseignements demandés. Vous avez aussi parlé de la nécessité, pour aborder cette question, de renforcer la démocratie, d'accroître la responsabilisation et de faciliter l'accès du public à l'information. Je vais me concentrer sur votre appréciation de la façon dont les fonctionnaires abordent ces questions. Y en a-t-il qui se laissent emporter ou qui laissent peut-être le pouvoir leur monter à la tête et décident de supprimer des informations valables?

J'ai cette question à l'esprit en ce moment à cause d'une erreur que des fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien sont en train de faire. Certains ont effectivement jugé, pour une raison obscure, que le réseau de diffusion de l'information utilisé par les journaux catholiques du Canada est mauvais. Selon eux, le fait qu'une seule personne s'occupe de rassembler des informations pour les distribuer aux publications catholiques des diverses régions, va à l'encontre d'une décision à laquelle il faut absolument se conformer, à savoir que chaque publication doit renfermer des articles originaux. Ça arrive au moment même où le gouvernement tente d'aider les publications canadiennes au moyen d'un autre projet de loi qui est actuellement devant la Chambre.

Voilà un exemple d'une mesure bureaucratique mal conçue qui, si elle n'était pas modifiée, détruirait en l'occurrence la presse catholique au Canada. Mais je suis certain que le gouvernement reviendra à la raison et annulera cette décision. Sinon, ce serait une conséquence inévitable de cette mesure bureaucratique dont la plupart des politiciens n'ont sans doute même pas entendu parler. Je serais étonné que vous-même, madame Beaumier, vous soyez au courant.

Mme Beaumier: Vous avez raison.

Le sénateur Roche: Je vous le signale parce que je veux approuver votre projet de loi.

Cela dit, madame Beaumier, puis-je vous demander si vous avez décidé de présenter vous-même ce projet de loi après être arrivée personnellement à la conclusion qu'il fallait mettre un frein aux mesures abusives des bureaucrates qui nuisent au développement légitime de l'information et de l'opinion publique au pays?

Mme Beaumier: Honorables sénateurs, je suis de cette nouvelle race de politiciens qui croient que le public admet qu'on puisse faire des erreurs à la condition qu'on le reconnaisse quand on en a faites. À mon avis, la population ne s'attend pas que ses fonctionnaires ou ses politiciens ou ses sénateurs soient parfaits. Quand des documents sont détruits, c'est habituellement pour cacher les actes de quelqu'un. Or, les Canadiens sont capables de juger par eux-mêmes de façon éclairée s'ils connaissent tous les faits.

Je regrette de n'avoir jamais été mise au courant des faits dont vous parlez. Le problème quand une telle action est cachée en couvrant le responsable et en dissimulant les documents pertinents, c'est que si on me signale le problème à titre de politicienne, je ne pourrai pas arriver à une conclusion éclairée. Si j'ignore d'où viennent ces affirmations et quelles en sont les motivations exactes, comment puis-je prendre une décision éclairée? Or, si je ne peux pas arriver à des conclusions éclairées et que mes conclusions sont incorrectes, je ne peux pas rendre des comptes à mes électeurs.

En définitive, c'est une question de responsabilisation. Il faut le reconnaître quand on fait des erreurs et en discuter franchement au lieu d'essayer de dissimuler tout ce qui se passe au gouvernement. Je ne sais pas si ça se rapporte aux événements dont vous avez parlé.

Le sénateur Roche: Je vous remercie pour votre réponse. Je dirais qu'il y a un rapport avec le principe démocratique général voulant que, dans toute la mesure du possible, les informations pertinentes soient accessibles pour que notre société soit plus forte. Il me semble que c'est fondamental pour la démocratie. Je me ferai un plaisir de vous exposer par écrit les faits de l'incident dont j'ai parlé tout à l'heure et je ferai appel à vos bons offices pour m'aider à faire annuler cette terrible décision bureaucratique.

Le sénateur Butts: Madame Beaumier, un document est-il réputé avoir été tronqué si un mot a été rayé?

Mme Beaumier: Je présume que ça dépend du mot. Par exemple, dans le rapport sur les implants mammaires Meme, si le mot rayé était «dangereux», alors ce serait grave. Autrement dit, un document serait tronqué si un mot biffé en change le sens.

Le sénateur Butts: À condition de savoir quel mot a été rayé.

Je suis tenaillée par une crainte. Si un modeste fonctionnaire reçoit d'un supérieur l'ordre de faire quelque chose, est-ce qu'il peut être puni pour avoir obéi? On entend souvent ça dans l'armée où, pour se défendre, on dit: «J'ai simplement agi comme on me l'a ordonné.» C'est la réponse qu'on entendait parfois au procès de Nuremberg. «Pourquoi me punir parce que j'ai suivi les ordres?» Est-ce que les fonctionnaires qui auront agi comme on le leur aura ordonné seront protégés?

Mme Beaumier: La fonction publique, ce n'est pas l'armée.

Le sénateur Butts: Mais ce n'est pas loin.

Mme Beaumier: Je n'en suis pas convaincue. J'ai beaucoup de mal à vous répondre parce que, comme vous pouvez le constater, je suis assez entêtée et je ne me laisse pas intimider facilement. Il m'est déjà arrivé de refuser de faire certaines choses et je n'ai jamais été punie pour ça. Je vois où vous voulez en venir. Cependant, je pense que la crainte d'aller en prison aura un effet dissuasif. Il est aussi prévu que quiconque ordonne la destruction d'un document peut être puni. Je pense que les gens y penseront à deux fois avant d'ordonner la destruction de documents.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Je suis très satisfaite de l'amendement que vous avez apporté au projet de loi C-208. J'appuie fortement la recommandation de ma collègue, le sénateur Cohen, qui vise à protéger ceux qui refusent de faire cette infraction. Je ne suis pas convaincue que la peine maximale est correcte. Dans le premier cas, pour de telles infractions où le bien-être des citoyens est en jeu, la peine maximale devrait être de cinq ans d'emprisonnement avec une amende de 50 000 dollars. Dans le deuxième cas, vous mettez six mois d'emprisonnement et cinq mille dollars. Pour des crimes comme cela, il faut bien payer.

[Traduction]

Ça fait peur au monde. «Si vous le faites, vous verrez bien ce qui vous arrivera.» C'est trop facile.

[Français]

Aujourd'hui, il ne manque pas d'argent. L'argent, vous le trouvez n'importe où. Il s'agit simplement de frapper à la bonne porte. Les dix mille dollars, vous allez les trouver et vous allez les sortir. C'est la même chose pour les cinq mille dollars. Les peines que vous recommandez pour ces infractions sont illusoires.

[Traduction]

Mme Beaumier: Sénateur, j'aurais eu grand besoin de vous!

Le sénateur Ferretti Barth: Si vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à m'appeler.

Mme Beaumier: Quand j'ai comparu devant le comité de la justice, on m'a demandé si j'étais prête à amender les dispositions sur la peine. J'ai répondu que serais ravie d'en augmenter la sévérité. Mais j'ai accepté de faire des compromis pour favoriser l'adoption du projet de loi. Je reconnais que c'est un compromis mais, au moins, c'est un début.

L'important, c'est que le projet de loi fasse prendre conscience de la nécessité de modifier la loi. Avant, la loi existait mais les infractions n'étaient pas punies. La loi n'était jamais appliquée. En créant cette infraction mixte qui permet d'intenter une procédure par mise en accusation selon le degré de gravité de la violation, la loi a plus de poids. Je suis néanmoins d'accord avec vous.

[Français]

Le sénateur Gill: On sait actuellement que les citoyens, même bien renseignés, ont beaucoup de difficulté à obtenir les informations dont ils ont besoin auprès d'un organisme, d'une compagnie de la Couronne, d'un ministère, et cetera. Il est difficile de retracer les gens. Je ne suis pas très familier avec la Loi sur l'accès à l'information. Est-ce qu'il y a une personne dans chacun des ministères ou à un niveau quelconque qui est responsable de fournir l'information?

[Traduction]

Mme Beaumier: Je ne suis pas certaine du mode de fonctionnement de chacun des ministères. J'imagine que, pour les questions délicates, il y a probablement quelqu'un qui prend la décision finale. Cependant, c'est notre commissaire à l'information qui est chargé de faire respecter la Loi sur l'accès à l'information.

Le président: Sénateur Gill, dans quelques minutes, vous aurez l'occasion d'interroger des représentants du Conseil du Trésor et du ministère de la Justice qui pourront vous expliquer exactement comment ça se passe. Ils vous diront probablement qu'il y a dans chaque ministère un agent ou une section d'accès à l'information qui est chargé de répondre à toutes les demandes présentées. Il y a sans doute aussi un bureau central.

Mme Beaumier: C'est parfois décourageant quand on essaie d'obtenir des renseignements parce qu'on se fait dire qu'il est impossible d'avoir accès à certains documents, même quand on sait pertinemment qu'ils ne sont pas protégés. C'est difficile d'obtenir des informations. Les rares fois où j'ai voulu obtenir quelque chose, je me suis découragée et j'ai sans doute abandonné trop vite. Mais c'est à ça que ça m'a menée.

Le président: Nous allons aussi entendre M. Rubin. C'est un véritable expert. C'est certainement lui qui a la plus grande expérience de la présentation de demandes d'accès à l'information.

Madame Beaumier, nous accordons toujours au parrain ou à la marraine d'un projet de loi le privilège d'avoir le dernier mot devant le comité. Vous êtes donc invitée à revenir demain après-midi, si vous le voulez. En attendant, je veux vous remercier pour votre témoignage de ce matin.

J'invite maintenant les représentants des divers ministères à venir s'asseoir à la table.

M. Richard B. Fadden, secrétaire adjoint, Secrétariat du Conseil du Trésor, Secteur des opérations gouvernementales et Programmes des travaux d'infrastructure Canada: Je suis ici comme porte-parole du Secrétariat du Conseil du Trésor qui est à la fois l'employeur en titre de la fonction publique et l'institution qui épaule le président du Conseil du Trésor dans ses fonctions de ministre désigné pour l'application de la Loi sur l'accès à l'information. À ce titre, le président est tenu par la loi de rédiger des instructions et des directives et de les diffuser après des institutions fédérales, bref de donner les moyens d'appliquer la loi.

Je peux facilement résumer notre position en affirmant que nous appuyons le projet de loi. Au nom de mon ministre, je tiens à féliciter Mme Beaumier d'avoir proposé cette modification de la Loi sur l'accès à l'information et d'avoir déployé de tels efforts pour la faire adopter.

La plupart des gens préféreraient sans doute croire que ce type de peine est inutile. Ils pensent que personne ne se conduirait de la façon interdite par la loi ou alors que de simples mesures disciplinaires suffiraient. Malheureusement, on a pu constater à quelques reprises que ça peut arriver. Le principe fondamental de la Loi sur l'accès à l'information, c'est que les renseignements du gouvernement devraient être accessibles à la population et mon ministère et son ministre souscrivent sans réserve à ce principe.

[Français]

Les personnes qui ont rédigé la loi étaient conscientes que celle-ci ne susciterait probablement pas l'enthousiasme de tous. Toutefois, elles n'avaient sans doute pas imaginé que l'on irait jusqu'à la destruction ou la modification du document pour contrecarrer le droit d'accès du public; cela explique l'absence de sanctions contre de tels comportements dans la loi.

[Traduction]

L'adoption du projet de loi servira de catalyseur pour mieux renseigner les fonctionnaires au sujet de leurs attributions sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information et de la bonne façon d'appliquer les plans d'élimination des documents des Archives nationales. Si le Sénat adopte le projet de loi, nous en profiterons pour donner aux institutions visées par la loi des directives qui leur permettront de s'assurer que tous les fonctionnaires sont au courant des modifications apportées à la loi et des obligations qu'elles leur imposent. Nous supposons qu'une infraction présumée à cet article sera traitée comme si c'était un vol ou une destruction de biens. Selon les circonstances, cela voudrait dire une intervention immédiate de la direction ou des autorités policières pour cesser la destruction des documents et pour entreprendre une enquête à plus long terme.

[Français]

Ce projet de loi prévoit l'imposition de sanctions maximales importantes à toute personne qui tente de faire obstacle au droit d'accès à l'information prévu par la législation. Il inclut aussi de solides mécanismes de soutien pour les fonctionnaires qui cherchent à dénoncer un tel comportement. Ce projet de loi dit en termes clairs le sérieux du droit d'accès à l'information.

[Traduction]

À titre d'employeur de la fonction publique, je vous assure que le Conseil du Trésor croit que le projet de loi n'aura pas un grand effet sur la vaste majorité des fonctionnaires parce que jamais il ne leur viendrait à l'idée de falsifier ou détruire des documents afin d'entraver le droit d'accès. Nous sommes convaincus de la probité des fonctionnaires et de leurs valeurs morales irréprochables. Bien entendu, cet article ne pourra être apprécié à sa juste valeur que s'il est appliqué et aucun d'entre nous n'envisage cette possibilité avec plaisir. Le projet de loi sera une grande réussite s'il arrive à dissuader ceux qui pourraient envisager de tels agissements et si ses dispositions n'étaient donc jamais appliquées.

M. Brian Jarvis, conseiller juridique, Justice Canada, Section des politiques de droit public, Secteur des politiques: Honorables sénateurs, je ne crois pas me tromper en affirmant qu'avant de songer à modifier une loi, il faut absolument savoir avec précision quels problèmes on cherche à régler. C'est un préalable simple en apparence mais néanmoins tout à fait crucial. En l'occurrence, comme l'a dit Mme Beaumier, le problème s'énonce facilement. La Loi sur l'accès à l'information ne prévoit actuellement aucune peine pour ceux qui détruisent ou modifient des documents afin d'empêcher quelqu'un d'autre d'exercer son droit d'accès. Comme l'a également dit Mme Beaumier, son projet de loi corrigera ce problème assez simplement et, surtout, il augmentera la responsabilisation. Son projet de loi va combler une lacune en ce qui concerne la responsabilité puisque, si le Sénat l'adopte, ceux qui détruiront ou modifieront un document dans l'intention d'entraver le droit d'accès seront punis. Comme l'a dit M. Fadden, on espère que l'article aura un effet dissuasif et qu'il ne sera donc pas appliqué très souvent.

Dans ses rapports annuels de 1995-1996 et 1996-1997, l'ancien commissaire à l'information a recommandé d'ajouter à la loi une disposition créant une infraction qui est fort semblable à celle figurant dans le projet de loi. La Cour suprême du Canada, une autre source, a statué que la loi était capitale pour notre démocratie parce qu'elle accroît la responsabilisation en permettant aux gens d'avoir accès à des documents grâce auxquels ils vérifient ce que fait le gouvernement.

Le ministère de la Justice a approuvé l'objet du projet de loi C-208 en première lecture, mais il avait deux réserves bien précises qui ont été exposées par le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice à l'étape de la deuxième lecture. Au moment de l'étude au comité des Communes, nous avons suggéré plusieurs amendements au libellé du projet de loi et Mme Beaumier a eu la bonté de retenir nos suggestions. Le comité des Communes a aussi fait remarquer que le projet de loi protégeait mieux les cas où un supérieur ordonnait à un subordonné de poser des gestes interdits. Le ministre de la Justice approuve maintenant sans réserve le projet de loi C-208 tel qu'amendé. Nous nous joignons à M. Fadden pour féliciter Mme Beaumier pour son projet de loi.

Le président: Monsieur Fadden, vous êtes fonctionnaire depuis combien de temps?

M. Fadden: Environ 16 ans, monsieur le président.

Le président: Vous avez donc connu la fonction publique fédérale avant l'adoption de la Loi sur l'accès à l'information. Êtes-vous en mesure de nous dire si, depuis l'entrée en vigueur de la loi, le gouvernement a modifié la façon dont il garde ses documents?

M. Fadden: Je pense pouvoir faire des observations générales, monsieur le président. Je veux faire deux commentaires.

Je trouve que la loi a eu un effet marqué sur la façon dont les ministères organisent l'information. La loi est tout à fait inutile s'il est impossible de retrouver les renseignements demandés. Il me semble que, depuis l'adoption de la loi, les divers ministères sont mieux organisés pour retrouver les renseignements et qu'ils en gardent beaucoup plus.

Les choses se sont compliquées depuis que les renseignements sont informatisés. Au début, on a pensé que ça ferait moins de papier. En réalité, c'est tout à fait le contraire qui s'est produit. On a maintenant des renseignements sur support papier et sur support électronique à ne plus savoir qu'en faire.

Le même problème de classement et de récupération se pose et ça nuit à la capacité du gouvernement de rendre les renseignements disponibles. On se retrouve avec tellement d'informations que les gens ont du mal à expliquer pourquoi ils en ont besoin.

De façon générale, nous croyons que les renseignements sont gardés sous une forme plus accessible qu'avant. Ce sont les informations électroniques qui font problème, tant dans le secteur privé que dans le secteur public et j'avoue que Mme Beaumier a raison d'affirmer qu'il y a encore des améliorations à faire.

Le président: Avez-vous pu observer chez les fonctionnaires en particulier si la loi avait jeté un froid? Est-ce que les fonctionnaires ont tendance à mettre des gants, à être moins francs qu'ils ne le seraient autrement, voire à s'en tenir à une communication verbale plutôt qu'écrite de leur opinion parce qu'ils savent que leurs recommandations et leurs points de vue pourraient être rendus publics? Avez-vous pu observer ça?

M. Fadden: Voilà une excellente question. Je pense que, dans une certaine mesure, la loi en tient compte quand elle énonce un certain nombre d'exceptions. La plupart des fonctionnaires qui s'occupent régulièrement de l'information savent que les conseils au ministre et les documents de ce type sont protégés. En gros, les gens reconnaissent qu'il faut être assez franc quand on conseille les ministres, sinon le système ne peut pas marcher.

Par ailleurs, la Loi sur l'accès à l'information a eu à certains égards un effet très semblable à celui de la liberté de presse. Vous avez certainement entendu à un moment donné quelqu'un parler du «critère Citizen»: est-ce que je vais faire quelque chose ou autoriser quelque chose qui pourrait me faire passer pour un fou à la première page du Ottawa Citizen? Quand la réponse est «oui», on inspire profondément. Je suppose que, dans certains cas, c'est la même chose quand on réfléchit au droit d'accès à l'information.

Je réitère ma première observation. La loi prévoit des exceptions raisonnables et les gens qui s'occupent régulièrement de ces questions le savent. Ils ne mettent pas vraiment des gants quand les ministres ont absolument besoin de renseignements et de conseils.

Le président: Et les notes qui sont prises à des réunions? Si on pouvait comparer les notes que prenaient les fonctionnaires avant l'entrée en vigueur de la loi et celles qu'ils prennent maintenant, est-ce qu'on verrait des différences dans les détails ou dans l'identification de qui a dit quoi, et cetera?

M. Fadden: J'en doute, monsieur le président. Je ne connais pas parfaitement les moindres dispositions de la loi, mais à tort ou à raison, la plupart des gens considèrent que les notes prises à une réunion sont personnelles et qu'elles peuvent donc être très franches.

Le président: Mais elles sont accessibles.

M. Fadden: C'est vrai. D'après mon expérience, je répondrais non à votre question.

Je suis certain qu'il doit arriver aux gens d'y penser. C'est à chacun de décider en fonction de la situation. S'il y a un sujet particulièrement délicat et qu'il n'est pas indispensable de mettre quelque chose par écrit, que ni la loi ni une politique ne l'exige, alors les gens n'écriront rien. Mais ça, monsieur le président, vous le savez déjà.

Le président: Si vous croyez que ma prochaine question est déplacée, n'y répondez pas. Croyez-vous que l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information a eu un effet positif sur le gouvernement de notre pays?

M. Fadden: Certainement, monsieur le président. Je pense que toutes les très grandes institutions, dont le gouvernement est un exemple, ont tendance à essayer de se protéger un peu. Elles essaient de le faire de diverses façons, notamment en veillant à la façon dont sont communiquées les informations qui les concernent. La loi a eu pour effet d'amener le gouvernement à s'ouvrir. Comme on l'a dit dans les journaux, à la Chambre des communes et certainement au Sénat à l'occasion, tout ça est à l'avantage de notre démocratie. Je répondrais donc un oui sans équivoque, monsieur le président.

Le sénateur Butts: Peut-être que je montre seulement mon ignorance de la loi même, mais je m'interroge au sujet des nouveaux organismes qu'on semble créer régulièrement. Sont-ils visés par le projet de loi?

Laissez-moi vous donner un exemple. Autrefois, j'ai été présidente d'un conseil régional de la santé relevant du gouvernement provincial. Des journalistes m'avaient demandé des procès-verbaux, des budgets et autres documents de ce genre. Malheureusement, j'étais si occupée que les journalistes s'éclipsaient souvent avant que j'aie pu donner suite à leur demande. Est-ce que je serais maintenant obligée de payer une amende?

M. Jarvis: Sénateur, je ne suis pas certain d'avoir bien compris. Vous n'avez pas détruit ni modifié des documents.

Le sénateur Butts: Je suis la seule à le savoir.

Le président: Elle n'a pas répondu par inadvertance.

Le sénateur Butts: Ça prend beaucoup d'employés, d'argent et de temps pour aller repêcher des renseignements. Quand on est un petit organisme dans le domaine de la santé, il faut tout faire soi-même et je n'avais tout simplement pas le temps de m'en occuper.

Le président: Vous avez droit à l'immunité pour tout ce que vous dites ici, sénateur, alors, si vous le voulez, vous pouvez passer aux aveux.

Le sénateur Butts: Je ne m'en fais pas du tout.

Je pose la question parce que ça pourrait décourager des gens de se porter volontaires pour siéger au conseil de petits organismes. Si j'étais au courant de ça, j'y réfléchirais à deux fois avant d'accepter. Mme Beaumier hoche de la tête.

M. Jarvis: Vous abordez une question légèrement différente. Oui, répondre aux demandes d'accès à l'information prend du temps. Mais non, dans l'exemple que vous donnez, l'infraction créée par le projet de loi de Mme Beaumier ne s'appliquerait pas.

Si vous faisiez partie d'une personne morale soumise à la Loi fédérale sur l'accès à l'information -- et je pense que ce n'est pas le cas du conseil dont vous parlez -- et que vous omettiez tout simplement de répondre à une demande, alors ce sont les recours prévus dans la Loi sur l'accès à l'information qui s'appliqueraient. Le demandeur déposerait une plainte contre vous au Commissariat à l'information et vous seriez obligée d'expliquer au Commissariat pourquoi vous n'avez pas répondu à la demande. C'est tout. Vous n'auriez pas commis cette infraction.

Le sénateur Butts: C'était un organisme de compétence provinciale. Je me demande si la disposition dissuadera de tronquer des documents ou de faire du bénévolat dans certaines circonstances.

M. Jarvis: J'espère que non. Je dois souligner que la disposition ne vise pas seulement le fait de détruire, falsifier ou cacher un document, il faut en outre que ces actes aient été commis dans l'intention d'entraver le droit d'accès de quelqu'un. D'après ce que vous m'avez dit, je pense qu'il n'y a aucun rapport entre ce que vous avez fait et cette infraction.

Le président: Je ne dirais pas que le commissaire est indulgent. Il donne toutefois plusieurs avertissements avant d'avoir recours à un mandat ou à une assignation et il rappelle à plusieurs reprises qu'il est grand temps de répondre à une demande d'accès à l'information.

Le sénateur Gill, qui a dû s'en aller, voulait savoir comment les ministères étaient organisés pour répondre à ce genre de demande. Voudriez-vous nous expliquer cela pendant que vous êtes ici, monsieur Fadden?

M. Fadden: Cela varie légèrement d'un ministère à l'autre. Cependant, la loi énonce de façon très claire les obligations de l'administrateur général. Comme pour la plupart des questions administratives, c'est le premier niveau de responsabilité dans la fonction publique. Comme vous l'avez signalé, monsieur le président, presque tous les ministères ont créé une division ou une section de l'information qui est placée sous la direction d'un fonctionnaire ayant le statut de cadre intermédiaire, dont l'unique fonction consiste dans la plupart des cas à acheminer les demandes d'accès à l'information dans les divers ministères concernés et à faire les consultations nécessaires.

On peut dire également que pratiquement tous les ministères ont prévu diverses procédures pour que les demandes de ce genre soient examinées par les divers services ministériels ou gouvernementaux qui pourraient être concernés. Compte tenu de la complexité du processus, il est possible que la demande soit transmise au ministère de la Justice, à des avocats ou à diverses autres sources de renseignements.

Je vous signale qu'il ne s'agit pas d'un processus mécanique étant donné que la loi doit prévoir des limites et des dispenses. Elle permet également à l'organisme ou à l'administrateur concerné de décider si toute l'information peut être divulguée.

C'est une fonction administrative relativement difficile et importante à la fois, qui nécessite l'application tant des grands principes que de la lettre de la Loi sur l'accès à l'information. Dans plusieurs ministères, le pouvoir de divulguer l'information a été délégué à un ou deux paliers inférieurs. Dans d'autres, ce pouvoir est exercé directement par l'administrateur général.

Le président: La demande d'accès à l'information est adressée au ministère concerné qui fournit la réponse. Existe-t-il un service central?

M. Fadden: Non. Cependant, dans quelques cas, mon ministère peut demander aux coordinateurs de l'accès à l'information de nous faire savoir quelle est la nature de l'information demandée, du fait qu'il s'agit parfois d'une affaire susceptible d'intéresser un grand nombre de ministères. C'est pour éviter d'agir à l'aveuglette.

Le président: Le ministère sait-il qui a fait la demande? Si j'étais l'auteur de la demande, le sauriez-vous?

M. Jarvis: Le bureau de l'accès à l'information de la Justice le saurait parce que votre nom figurerait sur la demande d'accès. Par contre, si vous demandiez des documents que j'ai produits, je ne le saurais pas et on ne me le dirait pas. Je n'aurais aucun moyen de le savoir. Les responsables de l'accès à l'information refuseraient de me le dire si je leur posais la question.

Le président: Est-il exact que le ministre ne le saurait pas non plus?

Mme Lita Cyr, conseillère juridique, Justice Canada, Section du droit à l'information et à la protection des renseignements personnels: Les renseignements personnels sont protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le fait que vous fassiez une demande constitue un renseignement personnel.

Le président: C'est bon à savoir.

Mme Cyr: Ceux qui ont accès à cette information n'y ont accès qu'en cas de nécessité absolue.

Le président: Le ministre ne le saurait donc pas. Il n'aurait pas besoin de savoir que c'est moi qui aie demandé les renseignements.

Mme Cyr: Dans la plupart des cas, il ne le saurait pas.

Le président: Je ne vois aucune circonstance où il aurait besoin de le savoir.

Le sénateur Roche: M. Fadden a parlé d'informations électroniques, puis on a parlé d'écrits. Je voudrais savoir si MM. Fadden et Jarvis pourraient me dire approximativement quel pourcentage de l'information électronique est converti en documents imprimés.

En ce qui concerne les renseignements de nature délicate qui ne sont pas imprimés, quels sont les risques qu'ils soient supprimés accidentellement par quelqu'un et qu'il n'en reste par conséquent aucune trace? Comment pourriez-vous accuser cette personne d'avoir enfreint la loi s'il n'existe aucune trace sur papier et si les renseignements en question ont été supprimés «accidentellement»?

M. Fadden: La plupart des renseignements opérationnels courants ne sont jamais imprimés. L'utilisation du courrier électronique à la fonction publique a permis aux fonctionnaires d'accomplir beaucoup plus de travail en moins de temps qu'auparavant. La plupart des renseignements rattachés aux opérations courantes ne sont pas imprimés.

Par contre, on utilise des documents imprimés dans les relations avec les ministres, avec d'autres ministères et dans les rapports un tant soit peu importants.

La suppression éventuelle de certains renseignements pose un gros problème. Dans la plupart des ministères, les renseignements doivent se trouver sur un fichier de réserve. Mon ordinateur personnel est doté par exemple d'un sous-programme qui copie les fichiers après un certain temps.

Le sénateur Roche: Il faudrait donc supprimer les renseignements deux fois.

M. Fadden: C'est exact et dans ce cas, on pourrait se poser des questions.

Le président: Lorsqu'un renseignement est supprimé, l'est-il définitivement?

M. Fadden: Il paraît que non. La récupération de l'information exige beaucoup de travail, mais elle est possible. On m'a dit que les ministères qui se préoccupent de questions relevant du domaine de la sécurité nationale, comme celui de la Défense nationale et les organismes relevant du Bureau du solliciteur général et du ministère des Affaires étrangères, ont pris les dispositions pour que cela n'arrive pas et pour que les renseignements soient protégés contre tout accès illégal et toute destruction.

M. Jarvis: Si les renseignements uniquement enregistrés électroniquement étaient détruits accidentellement, le simple fait de pousser sur la touche «delete» ne suffirait pas. Par contre, si votre ordinateur tombait en panne au moment où vous créez un document, celui-ci disparaîtrait. Dans ce cas, vous ne seriez pas coupable de l'infraction prévue dans ce projet de loi parce que vous n'auriez pas eu l'intention d'entraver le droit d'accès de quelqu'un. Il s'agirait seulement d'un accident, d'après ce que vous avez dit. Ce serait différent si vous entraviez volontairement le droit d'accès de quelqu'un.

Le sénateur Roche: Si une personne voulait vraiment faire disparaître les renseignements de façon préméditée et trouvait le moyen de les supprimer deux ou trois fois pour les faire disparaître complètement, comment serait-on au courant de l'existence de ces renseignements et comment pourrait-on accuser la personne en question de les avoir supprimés?

Le président: Il y aurait conspiration avec la personne à laquelle les renseignements étaient adressés par courrier électronique.

M. Fadden: J'ai constaté personnellement, et je suppose que tous mes collègues des deux ministères l'ont constaté également, que l'on pourrait probablement compter sur les doigts de la main les cas où un message électronique n'est échangé qu'entre deux personnes. Les communications électroniques ont permis d'envoyer une copie de tout renseignement à un très grand nombre d'intervenants.

Mon bureau a examiné une demande d'accès à l'information portant sur des renseignements échangés entre une de mes directrices et un de ses employés. Nous pensions initialement qu'il serait assez facile de réunir les renseignements. Ce fut le cas. Cependant, nous avons ensuite constaté que certains des renseignements avaient été supprimés. Par conséquent, nous avons dû faire des recherches sur plusieurs autres ordinateurs parce que les renseignements avaient été copiés de nombreuses fois.

En pratique, la plupart des communications sont copiées de nombreuses fois. Si vous étiez décidé à poursuivre les recherches, vous auriez d'autres sources où aller puiser.

Le président: Je remercie les représentants du Conseil du Trésor et du ministère de la Justice.

Notre prochain témoin est M. Ken Rubin. La plupart des honorables sénateurs ont probablement entendu parler de M. Rubin, d'Ottawa. M. Rubin est un chercheur voué à la promotion de l'intérêt public, un défenseur des citoyens, un auteur, un défenseur des libertés civiles et un producteur agricole biologique. Il a recours à la législation canadienne sur l'accès à l'information et sur la protection des renseignements personnels et fait des commentaires à son sujet. Ce qui nous intéresse plus particulièrement en ce qui a trait à ce projet de loi, c'est qu'il a déposé et analysé des centaines de demandes de renseignements publics et personnels et fait des appels. Il a joué le rôle de consultant en matière d'accès pour divers médias, groupes d'intérêt public, partis politiques, syndicats, groupes de recherche, associations professionnelles et particuliers.

Monsieur Rubin, vous avez entendu la discussion avec l'auteur du projet de loi et les représentants du gouvernement. Vous avez un mémoire à présenter. Allez-y.

M. Ken Rubin, recherchiste indépendant sur l'intérêt public: Honorables sénateurs, je ne suis pas intimidé du tout de me présenter après les nombreux témoins qui représentent le gouvernement. C'est plutôt bizarre de les entendre parler de la possibilité de publier une directive 16 ans après l'adoption de la loi pour indiquer aux fonctionnaires qu'ils doivent commencer à respecter un peu plus les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information.

Je ferai des commentaires succincts. Le projet de loi C-208 indique que vous n'avez pas besoin d'attendre que le gouvernement fédéral prenne officiellement des mesures législatives contre ceux qui cherchent délibérément à détruire, falsifier et tronquer des documents payés par les deniers publics. Il prévoit pour la première fois des amendes et des peines d'emprisonnement pour les tentatives de falsification de documents.

Après avoir vu au fil des ans le Parlement adopter des douzaines de mesures législatives qui minaient et annulaient des dispositions de la Loi de 1982 sur l'accès à l'information, il est encourageant de voir une mesure comme le projet de loi C-208 sur le point d'être adoptée. Ce projet de loi marque un tournant psychologique dans la lutte pour mettre fin au malaise entourant actuellement les pratiques gouvernementales de gestion de l'information. Sa principale caractéristique est d'instaurer des pénalités s'appliquant aux supérieurs qui ordonnent, proposent, conseillent ou amènent de n'importe quelle façon une autre personne à manipuler des documents. Cette nouvelle disposition devient le meilleur instrument de dissuasion du projet de loi C-208. Elle établit un certain dispositif d'alerte interne contre l'abus excessif du secret au sommet, à savoir de la part des sous-ministres, des ministres et de leurs employés.

Beaucoup de fonctionnaires sont désireux de répondre activement aux demandes d'information du public. J'ajouterais que je ne pense pas que ces pratiques soient seulement le fait de quelques mauvais sujets. Les cachotteries sont pratique courante dans cette ville. Je pense toutefois que, grâce à ce projet de loi, les fonctionnaires désireux de divulguer les renseignements se sentiront plus libres de le faire. Une fois que le projet de loi C-208 aura été promulgué, les employés subalternes seront en mesure de dire à leurs supérieurs qu'on ne peut plus leur ordonner de commettre des actes illégaux ou de faire le sale boulot de destruction ou de falsification de documents.

Je sais que ce projet de loi est un compromis et qu'il a des limites, comme l'a signalé son auteur. Les peines d'emprisonnement ont été réduites de cinq à deux ans et on a instauré un type d'infractions hybrides en plus de celles qui peuvent être considérées comme des délits criminels. Cela pourrait vouloir dire que les contrevenants qui se font prendre -- et je reconnais que c'est difficile, qu'il est difficile d'avoir des preuves -- n'iront probablement pas du tout en prison ou seront condamnés à des peines avec sursis ou à des peines d'emprisonnement de quelques mois seulement. Il reste que ce sera un rude choc dans certains milieux à Ottawa. Comme les adjoints du ministère de la Justice l'ont indiqué dans leurs messages électroniques internes, ils se sont efforcés d'adoucir la peine et de créer un nouveau type de peine moins sévère. Les contrevenants éventuels sauront que, s'ils se font prendre, ils devront payer une amende de seulement 5 000 $ en cas de déclaration sommaire de culpabilité et de 10 000 $, en cas de mise en accusation et qu'ils ne devront peut-être même pas payer eux-mêmes. Les amendes pourraient être payées par le Trésor.

Cependant, un autre projet de loi gouvernemental actuellement à l'étude me pousse à me demander pourquoi les dispositions de la loi ont été diluées dans ce projet de loi. Le projet de loi C-54 qui, s'il est adopté, fera en sorte que les dispositions en matière de protection des renseignements personnels seront également applicables au secteur privé, contient des dispositions plus strictes en matière de peines, à l'article 28. Ces dispositions prévoient une peine d'emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu'à 10 000 $ en cas de déclaration sommaire de culpabilité et une peine d'emprisonnement qui n'est pas limitée à deux ans en cas de déclaration de culpabilité pour une infraction pouvant être considérée comme un acte criminel. En outre, les contrevenants pourraient être passibles d'amendes pouvant atteindre 100 000 $.

Le projet de loi C-208 ne peut pas améliorer radicalement toutes les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information. Il faudra faire des efforts beaucoup plus concertés pour lutter contre le problème des délais, des nombreuses exemptions et des méthodes lamentables de recouvrement manuel et électronique des documents, pour protéger les dénonciateurs et pour encourager une meilleure divulgation des renseignements.

Il faut considérer les effets positifs du projet de loi C-208 en songeant que le gouvernement n'a aucun désir d'élaborer ses politiques d'une façon transparente. Le premier ministre peut brandir autant de cartons qu'il veut portant l'inscription «Je regrette», mais il n'a jamais émis d'ordres écrits pour dire aux fonctionnaires de mettre fin au tripotage des dossiers. Il n'a jamais décrété qu'il fallait répondre aux demandes d'accès à l'information rapidement et franchement. Le premier ministre ne peut même pas se résoudre à révéler publiquement les normes d'éthique qu'il applique aux membres de son gouvernement.

De récents événements me portent à croire que l'on trouve toutes sortes de moyens pour refuser de communiquer de l'information et pour appliquer la loi du silence à Ottawa, et que le projet de loi ne suffira pas à remédier à la situation. Prenez par exemple les faits partiels révélés par la Défense nationale et ses efforts pour limiter les dégâts lorsque certains militaires ont demandé à en savoir davantage à propos des effets sur la santé des vaccins et des piqûres qu'on leur avait prescrits et à propos des blessures et des maladies auxquelles ils avaient été exposés. La Défense se livrait à une guerre contre ses propres militaires et contre le droit de la population de connaître tous les faits en cause.

Le projet de loi C-208 constitue néanmoins un point de départ important et il faut en parler beaucoup à l'intérieur comme à l'extérieur de la fonction publique. Il devrait être obligatoire de signaler régulièrement au Parlement les personnes qui ont été prises en flagrant délit et qui ont été condamnées. Ainsi, ceux et celles qui comptent effacer et falsifier des documents avant de les rendre accessibles au public seraient peut-être moins tentés de commettre de telles infractions.

L'adoption du projet de loi C-208 devrait être accompagnée d'un changement d'attitude du Sénat et de la Chambre des communes qui ont tendance à entourer de mystère la hausse vertigineuse de leurs frais. Par rapport à ces frais, les six millions de dollars qu'il faudrait investir pour instaurer un système de divulgation des documents représentent une somme infime. Une mesure législative obligeant le gouvernement à faire preuve de transparence contribuerait à faire en sorte que les institutions publiques rendent davantage compte de leurs activités aux Canadiens. Dans certains milieux d'Ottawa, on a déjà l'intention de limiter les effets du projet de loi C-208 et l'on veut déjà étriquer la notion de falsification de documents.

On continue d'admettre officiellement par exemple la destruction de nombreux dossiers transitoires vaguement définis qui sont en la possession du gouvernement fédéral, surtout si personne ne sait comment présenter une demande d'accès avant leur destruction. On persiste à ne pas considérer cela comme une tentative de refus de divulgation du contenu des dossiers et de destruction. Un bon exemple est l'ordre que l'on a donné de détruire les dossiers concernant les implants mammaires qui contiennent une ébauche de rapport provisoire, une note de service transitoire et un message téléphonique concernant cet ordre. Cela se trouve dans les documents que je vous ai remis. Ce message téléphonique est un document qui, d'après le Conseil du Trésor, peut être détruit. S'il ne l'a pas été, c'est uniquement parce que le scientifique qui s'est occupé de répondre à ma demande, et qui a d'ailleurs été licencié par la suite, a décidé de ne pas le détruire. C'est la preuve dont j'avais besoin pour confirmer que le dossier avait été détruit. Ce dossier et l'ébauche de rapport qu'il contenait, indiquaient que cette substance était impropre à la consommation humaine. Avec le recul, on a pu constater que c'était effectivement le cas.

C'est pourquoi je recommande que l'on ajoute une explication précise au projet de loi C-208 avant son adoption finale, au moment où le Sénat le renverra à la Chambre des communes. La note explicative devrait indiquer clairement que les infractions énumérées en ce qui concerne la modification, la falsification et la destruction d'un document ou le fait de le cacher, sont de nature très générale. En outre, il devrait indiquer que les infractions non énumérées expressément restent passibles de poursuites en vertu du paragraphe fondamental du projet de loi visant à empêcher les abus dans ce domaine, qui stipule notamment que «Nul ne peut, dans l'intention d'entraver le droit d'accès prévu par la présente loi,...»

Personne ne devrait échapper aux sanctions pour quelque manipulation abusive que ce soit d'un document. Le Parlement devrait faire comprendre clairement qu'il ne tolère pas ce genre d'abus. Cela veut dire qu'aucun type de manipulation de documents n'est excusable et que le gouvernement fédéral -- et j'espère que les représentants du Conseil du Trésor et du ministère de la Justice m'écoutent -- ferait mieux d'adopter des règles plus strictes en matière de tenue de dossiers. Pour le moment, de nombreux types de renseignements ne sont pas conservés. Cela veut dire que l'on ne conserve pas certains procès-verbaux et qu'il existe de nombreux documents transitoires. Ces pratiques doivent cesser. Ce n'est pas de la crainte que ce projet de loi suscitera qu'il faut se préoccuper mais plutôt de la façon dont elle sera gérée par le gouvernement.

Je vais maintenant vous signaler pourquoi le projet de loi C-208 est nécessaire, puis je répondrai à vos questions. Certains cas se sont encore produits l'année dernière et il ne s'agit pas uniquement de la modification de documents concernant la Somalie ni de la destruction des procès-verbaux du Comité canadien sur l'affaire du sang contaminé. Je rappelle brièvement les divers cas que je signale dans le mémoire que je vous ai remis. Il y en a cinq, dont deux concernent la manipulation de documents et correspondent à des plaintes que j'ai portées devant la Cour fédérale.

Il y a d'abord la STbr, dont vous avez entendu parler. On se demande pourquoi mes demandes d'accès ont été bloquées et sont restées aussi longtemps au bureau du ministre. Où sont les documents manquants?

Le président: De quel ministre parlez-vous?

M. Rubin: Je parle du ministre de la Santé. La question qui se pose est la suivante: que sont devenus ces dossiers? Pourquoi a-t-il fallu si longtemps? Dans son récent rapport, le commissaire à l'information a dit que l'affaire n'avait pas été traitée de façon sérieuse. Il approuvait la demande faite par Bob Robson et la recommandation du Sénat concernant la nécessité d'une amélioration considérable du système de gestion des dossiers de Santé Canada.

Un autre cas concerne la Commission de la Capitale nationale. Je demande des comptes rendus de réunions depuis 1983. On disait qu'il fallait conserver les comptes rendus de réunions. La CCN tenait un compte rendu intégral des délibérations, et le Comité canadien sur l'affaire du sang contaminé également. Il ne s'agissait pas des comptes rendus synthétiques expurgés publiés depuis des années. En mars 1998, j'ai constaté que les comptes rendus analytiques avaient été tous détruits. Après que j'aie fait la demande, on a décidé de ne plus les conserver. Le commissaire a dit que ces documents auraient pu avoir une certaine valeur historique mais il a confirmé qu'il s'agissait de dossiers transitoires et a maintenu qu'ils pouvaient être détruits. Je ne suis pas d'accord. Il s'agit de réunions au cours desquelles d'importantes décisions sont prises et elles devraient faire l'objet d'un compte rendu intégral, comme les réunions du Cabinet, mais ce n'est pas le cas.

Un autre cas concerne Revenu Canada. Les représentants du ministère étaient venus témoigner devant un comité sénatorial. Ils ont attendu la toute dernière minute -- c'est-à-dire jusqu'à il y a quelques semaines, quand le ministre est venu témoigner devant le Comité des finances nationales. On m'a communiqué certaines données concernant les coûts au moment même où le ministre témoignait devant le comité sénatorial. Pourquoi avoir attendu si longtemps? On m'a répondu que depuis le mois d'avril, on avait des difficultés à trouver les documents et que les documents sur le récent organisme fiscal sont difficiles à trouver.

Il y a deux autres cas. Le premier concerne le ministère des Affaires étrangères, à propos de la vente du réacteur CANDU à la Chine et de ses aspects écologiques. Le ministère a signalé qu'un des documents réclamés n'était plus en sa possession mais en la possession de l'EACL, ajoutant que je ne l'avais pas réclamé spécifiquement lorsqu'il était en sa possession. La question est de savoir quand un ministère est obligé de conserver un dossier. Est-ce considéré comme de l'escamotage? L'autre cas concerne Santé Canada et porte sur les inhibiteurs calciques qui sont d'usage courant au Canada et dont l'utilité est contestée du fait qu'ils sont liés à plusieurs décès et à certains effets secondaires graves. Santé Canada a dit qu'il rendrait certains documents publics mais a tardé à le faire. Lorsque j'ai reçu le document réclamé, il manquait certains renseignements. Il s'agissait d'une version expurgée. Je suis parvenu à obtenir des renseignements supplémentaires mais le ministère n'en a parlé à personne. J'ai porté plainte devant la Cour fédérale à ce sujet parce que je ne pense pas que le dossier soit complet. Le commissaire m'a appuyé, parce que le ministère a décidé de publier une version tronquée du document après avoir reçu ma demande d'accès.

Je ne m'étendrai pas sur le sujet mais je tenais à vous signaler qu'il ne s'agit pas seulement de quelques cas isolés. Ces pratiques sont un peu plus répandues que vous n'êtes portés à le croire. Malgré les pratiques aberrantes du gouvernement fédéral en matière d'accès à l'information, le projet de loi C-208 représente un léger progrès et il peut contribuer à mettre un terme à ces mauvaises pratiques.

Le président: Qu'entendez-vous par pratiques négligentes en matière de tenue de dossiers? Voudriez-vous que l'on prenne des notes chaque fois que deux ou plusieurs personnes se réunissent?

M. Rubin: Il n'existe pas de loi concernant la tenue des dossiers publics. Les fondements de la Loi sur l'accès à l'information sont très faibles, même si elle contribue à encourager une meilleure tenue de dossiers. Aucune peine n'est prévue en cas de négligence en la matière. Tout ça se fait au petit bonheur. C'est encore plus difficile en ce qui concerne les fichiers électroniques. Lorsque la loi a été promulguée, j'ai fait une étude pour la Fédération canadienne des droits et libertés. J'ai posé des questions à plusieurs ministères au sujet de leurs systèmes de tenue de dossiers. J'ai constaté que la plupart d'entre eux n'avaient pas de bons répertoires de dossiers, électroniques ou non. Certaines directions de ministères ne connaissaient pas le nombre total de dossiers qu'elles possédaient.

La situation a-t-elle beaucoup changé? Oui, dans certains cas mais pas dans d'autres. Au cours de l'étape de la première lecture, le projet de loi de Mme Beaumier prévoyait une pénalité dans les cas où l'on ne tient pas les dossiers nécessaires. On a toutefois laissé tomber cet article en douce. En l'absence de normes adéquates en la matière et de volonté de tenir un compte rendu pour certains types de délibérations et faute de veiller à ce que le système de tenue des dossiers permette un recouvrement et une gestion efficaces, il sera beaucoup plus difficile de retrouver les documents plus tard.

Le président: Dans la plupart des organismes, si quelqu'un établit les procès-verbaux d'une réunion, ils sont présentés à la réunion suivante aux personnes qui ont assisté à cette réunion et celles-ci ont l'occasion d'y faire des ajouts ou des rectifications ou de faire des plaintes. Ce n'est pas le cas à la fonction publique, d'après ce que j'ai pu constater. Quelqu'un prend souvent des notes aux réunions mais on ne les voit jamais. La personne qui a participé à la réunion, voire celle qui l'a présidée, n'a pas la moindre idée de ce que contient le compte rendu de la réunion ou ne sait pas si les notes qui ont été prises sont exactes. On trouve peut-être une note concernant une décision ou un consensus mais on n'a pas la moindre idée de l'exactitude du résumé des délibérations.

M. Rubin: C'est en partie pourquoi ce projet de loi peut encourager certaines personnes à prendre plus soigneusement des notes. On pourrait les accuser de ne pas vouloir prendre des notes pour essayer de cacher la teneur des délibérations.

Le président: Ceux qui assistent à la réunion devraient avoir l'occasion d'examiner les comptes rendus.

M. Rubin: Certainement. Aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, on peut obtenir les notes que les personnes ont ajoutées au compte rendu officiel qui a été conservé. Je vous ai cité deux cas mais je pense à quelques autres où l'on avait l'habitude de faire des procès-verbaux plus détaillés alors que maintenant on ne les fait plus sinon sous une forme très épurée -- précisément à cause de la Loi sur l'accès à l'information. On a dit qu'un compte rendu complet et honnête des délibérations disparaîtrait mais le public a le droit de savoir ce qui se passe. Il peut s'agir parfois de questions très délicates mais dans la plupart des cas, il s'agit de questions courantes. Même au Cabinet, la plupart des questions débattues sont plutôt ordinaires et ne devraient pas faire l'objet d'une dispense d'une durée de 20 ans.

Le président: Je ne discuterai pas davantage du degré de transparence dont devraient faire preuve le Sénat et la Chambre des communes. Mes collègues voudront peut-être toutefois poser des questions à ce sujet.

Le sénateur Butts: J'admire l'enthousiasme dont vous faites preuve dans le cadre de cette croisade, monsieur Rubin. Je me demande ce que vous faites des renseignements que vous recevez. Les diffusez-vous? Avez-vous instauré un système de diffusion?

M. Rubin: Il s'agit parfois de questions d'intérêt personnel. S'il s'agit de questions qui me préoccupent, notamment en matière de santé et de sécurité, j'essaie de transmettre les renseignements aux organismes concernés ou aux médias. Je suis également consultant et je travaille par conséquent pour le compte d'autres personnes.

J'applique une règle empirique. Si une personne me dit qu'elle tient absolument à obtenir tel ou tel renseignement, je veille à ce que ce renseignement soit diffusé le plus largement possible. Le but n'est pas que les médias laissent l'information de côté.

Il n'existe malheureusement pas de mémoire de l'organisation à Ottawa. Il existe toutefois un système de relevé des demandes d'accès et il y en a plus de 10 000 par an. Il s'agit de documents de type nouveau. Les renseignements rendus publics doivent être conservés; par contre, la plupart d'entre eux ont été détruits -- y compris certains qui étaient nécessaires pour confirmer si les dossiers du Comité canadien sur l'affaire du sang contaminé avaient été détruits -- parce que c'est la règle de détruire les dossiers au bout de deux ans, y compris la plupart des réponses aux demandes d'accès.

Il est difficile de déterminer quels renseignements sont jugés importants ou dignes d'être versés aux archives. Le problème est dû en partie au fait que le système repose sur des bases plutôt faibles et qu'il n'existe pas de règles strictes indiquant quels genres de documents devraient être conservés. Les règles en matière de mise en application de la loi ne sont pas assez strictes non plus. Ce projet de loi redresse un peu la situation.

Le sénateur Butts: J'ai été frappée par le passage de votre exposé où vous dites qu'il faut que l'information soit transmise aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la fonction publique. En ce qui concerne par exemple les risques que présentent les inhibiteurs calciques, le médecin qui les prescrit est-il tenu d'en connaître les effets et de les faire connaître?

M. Rubin: Cela fait partie de son serment et de ses fonctions mais il ne peut pas obtenir les renseignements de base de Santé Canada. Il n'existe pas de scénario obligatoire de rapport défavorable et par conséquent, on n'obtient qu'une partie des renseignements. Quand on n'arrive même pas à déterminer quand le ministère examine toutes les informations qui sont portées à son attention -- certaines par les sociétés pharmaceutiques qui produisent ces médicaments et d'autres par des gouvernements étrangers --, c'est qu'on a un problème, parce qu'on ne possède pas de connaissances suffisantes pour pouvoir décider de dire ce qui se passe aux malades ou à la population.

Je vous assure que je ne suis pas un expert mais certaines personnes m'ont demandé d'obtenir des renseignements pour elles. C'est triste de voir des personnes stressées ou en mauvaise santé demander si c'est la meilleure option et où elles peuvent obtenir les renseignements nécessaires.

C'est pourquoi, même si dans son récent budget, le gouvernement fédéral a dit qu'il investirait plusieurs millions de dollars dans l'information sur les soins de santé, j'ai demandé si ces renseignements seraient pertinents, non censurés et véridiques ou s'ils serviraient des intérêts personnels et autres types d'intérêts ou encore s'ils constitueraient une publicité gratuite pour les sociétés pharmaceutiques. De quel genre de renseignements s'agira-t-il? Se trouveront-ils sur Internet où je pourrai vérifier si j'ai un problème de santé? Est-ce ainsi que mon gouvernement procédera ou ses intentions sont-elles différentes?

Lorsque je m'adresse à Santé Canada pour essayer de savoir ce que font les sociétés pharmaceutiques -- et il s'agit de médicaments homologués -- je n'obtiens pas tous les renseignements que je désire; on me dit qu'il s'agit de secrets commerciaux ou l'on invoque quelque autre motif.

Le sénateur LeBreton: En ce qui concerne la nécessité de savoir, les représentants du ministère de la Justice ont dit dans leur témoignage que le destinataire de la demande d'accès à l'information ne sait pas d'où vient la demande. Estimez-vous que c'est plausible?

M. Rubin: Certains ministères, comme Santé Canada, disent à tous les employés du ministère qui a fait la demande. La plupart des gens me disent qu'ils savent qu'il s'agit de ma demande, même si mon nom a été biffé.

Madame le sénateur, je crois que c'est votre adjoint qui a fait l'objet d'une enquête de la GRC parce qu'il a posé des questions sur la voiture du premier ministre. Je suppose que les renseignements demandés étaient légèrement secrets. Il a fait l'objet d'une enquête aux termes de la Loi sur la GRC parce que c'était du jamais vu de demander de tels renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le message qui se dégage de toute cette discussion est que lorsqu'on se demande si ce projet de loi fera paniquer les fonctionnaires, on sait que c'est déjà fait parce que dans la plupart des cas, ils savent qui a présenté la demande. Ils passent beaucoup de temps supplémentaire à consulter d'autres organismes à ce sujet, surtout si la demande est présentée à plusieurs ministères. Elle peut passer par le ministère des Communications avant d'être rendue publique. Elle peut être transmise au ministre et le ministre peut connaître le nom de son auteur. Elle peut être expédiée à de nombreux endroits.

Je l'ai écrit dans The Hill Times il n'y a pas bien longtemps. J'ai parlé des renseignements publiables et de ceux qui ne le sont pas. Les ministères possèdent les ressources nécessaires. Je n'ai pas des ressources comparables et la plupart des autres personnes concernées non plus. Il ne suffit pas de se présenter à un comptoir pour demander des renseignements. Le problème est de savoir s'il faut visiter toute une série de sites Web coûteux pour trouver des renseignements intéressants.

Je ne pense pas que la plupart des renseignements que l'on peut obtenir au sujet du gouvernement fédéral soient gratuits, pertinents et exacts. Ce projet de loi ne s'attaque qu'à la surface du problème. Comme l'a signalé Mme Beaumier, c'est un appel à l'action et ce genre d'appel est plutôt rare à Ottawa.

Le sénateur LeBreton: Puisque vous avez parlé de mon adjoint, je vous signale que nous demandions uniquement des renseignements sur les coûts et pas sur la sécurité. Malgré cela, il a fait l'objet d'une enquête de la GRC, ce qui entraîne des frais d'un tout autre ordre.

Les personnes qui sont la cible de demandes faites en vertu de la Loi sur l'accès à l'information font souvent, pour des raisons strictement personnelles, tout leur possible pour nier ces demandes et donnent à quelqu'un qui travaille pour elles l'instruction de ne pas fournir ces renseignements. Si le but du projet de loi est d'empêcher les fonctionnaires de détruire des dossiers, comment un employé peut-il désobéir à un supérieur et est-ce contre l'employé en question que seront portées des accusations aux termes de la loi ou est-il protégé?

M. Rubin: C'est une question très compliquée. Dans le cas du Comité canadien sur l'affaire du sang contaminé et de la modification des dossiers concernant la Somalie, les personnes qui ont été accusées -- j'ai parlé à deux des individus concernés -- ont dit qu'elles n'étaient que des boucs émissaires et que ce sont leurs supérieurs qui leur avaient dit, de façon plus ou moins subtile, d'agir ainsi.

C'est pourquoi ce projet de loi est important. Maintenant, un employé auquel son supérieur ordonne de faire telle ou telle chose, même s'il s'agit de dossiers transitoires, peut refuser d'obéir en disant qu'il appellera le commissaire à l'information ou le ministre. Il peut dire que cela ne marche plus et demander pourquoi il servirait de bouc émissaire.

Il est important de communiquer ce message. C'est pourquoi une certaine éducation du public est nécessaire. Dans le cas des implants mammaires, que j'ai signalé, et où le médecin a été licencié ou a démissionné à cause de cette affaire, la seule raison pour laquelle une piste existe est qu'il a conservé les documents et que je les ai obtenus aux termes de la Loi sur l'accès à l'information. Il sera très difficile d'attraper les coupables. Il faudra compter sur le fait que la plupart des fonctionnaires sont honnêtes et veulent faire leur travail, qu'ils veulent communiquer les renseignements, mais certaines dispenses subsistent et il faut malheureusement respecter le règlement. La plupart des dispositions réglementaires doivent être modifiées. Ce projet de loi leur donnera toutefois un moyen de refuser d'obéir aux ordres de leurs supérieurs. Ils pourront signaler à ces derniers que le projet de loi stipule qu'ils auront des problèmes s'ils comptent les empêcher de communiquer les renseignements et que leur tête tombera également, ajoutant qu'ils espèrent que ce ne sera pas le cas.

Le président: Madame le sénateur Cohen, pouvez-vous poser votre question et obtenir une réponse en 60 secondes?

Le sénateur Cohen: Non, parce qu'il s'agit de renseignements privés concernant le Sénat.

Le président: Nous pourrons y consacrer une réunion entière un autre jour. De quelles cachotteries s'agit-il?

M. Rubin: Il serait bon de divulguer un peu plus de renseignements.

Le président: Où, monsieur Rubin et à quel sujet?

M. Rubin: Au sujet de vos frais administratifs. Tout le monde vous taquine au sujet des dossiers de présence, de vos activités, de vos déplacements et de vos voyages éclair. La plupart des renseignements à ce sujet ne sont pas rendus publics et il est grand temps qu'ils le soient. Il faut que vous rendiez des comptes, comme n'importe quelle autre institution.

Le président: C'est sur cette note que nous terminerons.

La séance est levée.


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