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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 31 - Témoignages du 23 mars 1999


OTTAWA, le mardi 23 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-61, Loi modifiant la Loi sur les allocations aux anciens combattants, la Loi sur les pensions, la Loi sur les avantages liés à la guerre pour les anciens combattants de la marine marchande et les civils, la Loi sur le ministère des Anciens combattants, la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la Loi sur la prise en charge des prestations de la Commission de secours d'Halifax et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 06 pour étudier le projet de loi et les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, jeudi dernier, le projet de loi C-61 a été renvoyé à notre comité. Les leaders au Sénat ont convenu que nous devrions renvoyer le projet de loi à notre sous-comité des anciens combattants, présidé par le sénateur Orville Phillips.

J'ai donc une motion, que le sénateur Butts est disposée à proposer, pour que le projet de loi C-61 soit renvoyé au sous-comité des anciens combattants.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Le sous-comité se réunit dès maintenant pour étudier le projet de loi. Comme vous le savez, selon le protocole, le sous-comité ne peut faire rapport directement au Sénat. Il doit nous faire rapport à nous. Au lieu de convoquer de nouveau le comité, ce qui nécessiterait un avis de 24 heures et d'autres mesures, pour lui permettre simplement de recevoir le rapport, nous pourrions peut-être appliquer le précédent que nous avons établi il y a quelques semaines dans un cas similaire. Si cela convient au comité, le sénateur Butts, en tant que vice-présidente, et moi-même, en tant que président, serons délégués pour recevoir le rapport et l'adopter en votre nom, tout cela dans le but unique de déposer le rapport au Sénat.

Cela vous convient-il, honorables sénateurs?

Le sénateur Cools: Normalement, je ne serais pas si empressée à accepter ce genre d'arrangements. Toutefois, dans le cas présent, c'est une initiative fort louable. Étant donné que le sénateur Phillips prendra sa retraite sous peu, il faut lui donner l'occasion de bien examiner cette mesure législative. Par conséquent, je suis disposée à appuyer la motion, mais j'ajoute que c'est un témoignage de confiance au sénateur Murray et au sénateur Butts.

Le président: C'est un témoignage de confiance, si je puis parler au nom du sénateur Butts, auquel nous sommes, tous deux, sensibles. Il vous plaît donc, sénateur Cools, de proposer que le président et la vice-présidente soient autorisés à recevoir et à adopter, au nom du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le rapport sur le projet de loi C-61 du sous-comité des anciens combattants, n'est-ce pas?

Le sénateur Cools: Oui.

Le président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Nous reprenons maintenant l'étude de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et de la technologie. Nous entendrons aujourd'hui deux témoins spécialisés dans l'étude des normes internationales. Chacun d'eux fera une déclaration préliminaire. Ensuite, les sénateurs auront l'occasion de poser des questions et de participer au débat.

Christine Elwell a obtenu une maîtrise en droit de la London School of Economics, se spécialisant dans le domaine des institutions et des lois européennes. Elle est professeure adjointe de droit à l'Université Queen's où elle enseigne en droit international, notamment le commerce, les droits humains et l'environnement. Elle a obtenu sa licence en droit de l'Université Queen's en 1984. Elle a publié des articles sur la politique sociale internationale, les droits de la personne, les normes du travail et le commerce, entre autres «Droits humains, normes de travail et la nouvelle OMC: possibilités de liens -- Une perspective canadienne». Mme Elwell revient tout juste des réunions de l'OMC tenues à Genève. Elle a peut-être des nouvelles fraîches et de nouveaux points de vue à nous communiquer sur certains sujets qui nous intéressent.

Craig Forcese est de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Il a obtenu sa licence en droit summa cum laude de l'Université d'Ottawa et une maîtrise ès arts de la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton. Il a siégé au conseil d'administration de Démocratie en surveillance et de l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde. Il a reçu de nombreux prix et a écrit des articles pour le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Nous avons recueilli le témoignage du président de cette organisation, l'honorable Ed Broadbent, il y a quelques mois. M. Forcese a écrit des articles pour ce centre, dont «Donner une conscience au commerce -- Stratégies d'intégration des droits humains aux affaires courantes des entreprises» et «Commerce et conscience: droits humains et codes de conduite des entreprises».

Après ce très bref portrait de la carrière de nos témoins, je demanderais à Mme Elwell de faire sa déclaration préliminaire.

Mme Christine Elwell, professeure adjointe de droit, Université Queen's: Je suis très heureuse de vous faire un exposé dans le cadre de votre étude sur la cohésion sociale et les stratégies et normes mondiales dans le contexte de la mondialisation et, plus particulièrement, dans votre tentative de redonner espoir aux Canadiens.

Il est indéniable que les changements économiques ont polarisé les Canadiens, créant une société de nantis et de démunis. Je me fonde sur l'étude menée par Judith Maxwell, selon laquelle les pauvres au Canada meurent, en moyenne, environ cinq ans plus jeunes que les riches. Les pressions de la mondialisation mettent en péril les traditions canadiennes en matière de justice sociale. On vous a confié la tâche de faire ressortir les faiblesses des institutions existantes et de déterminer les meilleures idées novatrices qui font surface.

Au cours de notre brève rencontre, ce matin, je décrirai certains des appareils institutionnels en place et la position qu'adopte le Canada sur la scène internationale dans certains dossiers, y compris l'OMC, l'ALENA et l'ALE. Je voudrais également analyser quelques-unes des mesures visant actuellement à protéger le milieu social et physique pour mettre en relief leurs faiblesses et les améliorations à leur apporter. Enfin, je parlerai de l'équilibre à rechercher entre la croissance économique et la cohésion sociale.

J'ai effectivement assisté, au nom du Sierra Club du Canada, à la réunion sur le commerce et l'environnement que l'OMC tenait la semaine dernière à Genève. Il s'agissait d'une réunion de haut niveau, à laquelle participaient 134 pays, de nombreuses ONG internationales et des organisations gouvernementales internationales. L'Organisation internationale du travail brillait par son absence.

J'ai rapporté un certain nombre de documents, y compris la liste des organisations gouvernementales internationales et des ONG qui étaient représentées à la réunion ainsi que deux documents d'information. On semble avoir fait un pas en arrière par rapport à la promesse faite à Marrakech à la première réunion ministérielle de l'OMC. À l'époque, les participants s'étaient engagés à maintenir la collaboration entre l'OMC et l'OIT et à reconnaître les normes de travail fondamentales. Certains ont maintenant changé d'idée. L'absence de l'OIT à la réunion ministérielle est particulièrement éloquente.

Nous avons adopté, à cette réunion, la position que prônent de nombreuses ONG, selon laquelle il serait préférable d'analyser la présente ronde de négociations de l'OMC plutôt que de prendre des mesures pour amorcer une nouvelle ronde. Que s'est-il passé depuis Marrakech? Quelles ont été les répercussions sociales et environnementales de l'Uruguay Round? Nous devons tenter d'atteindre les objectifs approuvés à Marrakech en ce qui concerne les normes de travail fondamentales et la collaboration avec les autres organisations gouvernementales internationales.

Nous avons décrit aux participants le travail effectué au Sommet mondial pour le développement social, tenu en 1996, qui établit un lien direct entre les structures du commerce, de la production et de la consommation non durables et le phénomène croissant de la pauvreté mondiale. Un lien très clair a été établi entre les droits humains, l'environnement et le développement économique. Il y a encore des gens qui sont réfractaires à ces idées. D'ailleurs, certains estiment que la position du Canada en ce qui a trait au lien qui existe entre l'OMC et l'établissement de normes de travail fondamentales est faible. Les États-Unis et la Norvège semblent ouvrir la voie dans ce domaine.

À un cocktail auquel j'assistais, un négociateur américain m'a dit: «Si nous laissons tomber les normes de travail, nous pourrions peut-être obtenir davantage en matière d'environnement.» On demandait aux ONG d'accepter ce compromis. Je ne me prête pas à ce jeu. Au cours de la même soirée, j'ai discuté avec des membres de la délégation indienne. Nous étions tous en faveur de la défense des droits de la personne, mais un représentant de la délégation indienne s'opposait à l'étiquetage précisant qu'un produit n'a pas été fabriqué par des enfants ou à tout autre moyen ou mécanisme visant à intégrer ce genre de considérations.

La principale recommandation que je pourrais vous faire est la suivante: tenter de raviver l'enthousiasme du gouvernement canadien en ce qui concerne les liens nécessaires à établir. Il faut que ces liens soient reconnus au niveau international si nous voulons les respecter au pays. J'ai des documents qui décrivent bon nombre des groupes ouvriers et des groupes de défense des droits de la personne qui ont participé à cette réunion de haut niveau. Nous vous demandons de rappeler à Sergio Marchi ce qu'il a dit au sujet de l'OMC lorsqu'il a fait sa déclaration préliminaire devant le comité permanent. Il a affirmé que le gouvernement était d'avis que l'économie mondiale doit être un milieu humain où le bon gouvernement, la démocratie et la primauté du droit font partager à toutes les couches de la société les fruits de la libéralisation du commerce.

Nous ne voyons toujours pas de corrélation entre la croissance économique suscitée par les échanges commerciaux et les avantages économiques dont pourrait profiter la population. L'écart persiste entre l'expansion économique découlant du commerce et la promesse de bienfaits environnementaux et sociaux.

Les mesures en vigueur sont inadéquates. À l'heure actuelle, les membres de l'OMC tiennent un débat sur l'opportunité de réviser les exemptions générales accordées aux termes de l'article 20 afin de bien préciser que les États membres peuvent appliquer un accord multilatéral sur l'environnement ou des normes de travail fondamentales. La question fait l'objet de discussions depuis au moins la rencontre de Marrakech, il y a cinq ans. Pourtant, les gouvernements ont laissé savoir qu'ils ne sont pas disposés à réviser l'article 20 pour éclaircir ces exemptions générales et pour faire retomber le fardeau de la preuve sur la partie adverse, pour déterminer qui doit défendre quoi.

Malgré tous les beaux discours, une analyse de la situation permet de découvrir qu'aucune plainte se fondant sur l'article 20 n'a survécu. Sénateurs, vous savez sûrement que le Canada fait partie des pays qui forcent les Européens à manger du boeuf aux hormones, qui tolèrent le massacre des dauphins pour sauver le thon et qui insistent pour que les travailleurs français utilisent l'amiante malgré les protestions des travailleurs et des agents de santé publique. Vous savez sûrement que le gouvernement canadien applique une politique commerciale très agressive et que ce qu'il dit au pays ne correspond pas réellement à ce qu'il fait sur la scène internationale.

La révision de l'article 20 fait encore l'objet de vives discussions. Il est également question de la nécessité de réviser les normes de santé et les obstacles techniques aux accords commerciaux. Il est aussi question des avis imprimés sur les étiquettes, ce qui est relié à la question des codes de conduite et à la façon de vérifier si les sociétés respectent certaines normes afin que les consommateurs puissent choisir les produits qu'ils achètent. Si les consommateurs désirent se procurer des tapis non confectionnés par des enfants, ils devraient avoir le droit de le faire. Le monde des affaires ne devrait pas entraver le droit des consommateurs de choisir des produits fabriqués selon des normes sociales et environnementales qu'ils jugent acceptables.

Les mécanismes de règlement des différends font également l'objet de discussions. Certains se demandent si ces mécanismes ne devraient pas être plus transparents et si la société civile ne devrait pas participer davantage au règlement de ces différends. Encore là, des pays sont réfractaires à ces possibilités. Le gouvernement indien, par exemple, s'est vivement opposé à la participation d'ONG et de tout autre intervenant à ces négociations. Ma collègue vous parlera aujourd'hui de l'importance de la reddition de comptes. Il doit y avoir justice et apparence de justice. Lorsque toutes les négociations se déroulent à huis clos, il est très difficile de croire que les disputes ont toutes été réglées de façon légitime.

Une véritable évaluation des impacts sociaux et environnementaux doit être effectuée avant que l'OMC entreprenne une nouvelle ronde de négociations. Cet examen ferait ressortir, par exemple, à quel point il serait incongru de négocier un accord multilatéral sur l'investissement au niveau de l'OMC. Nous avons fait valoir ce point à Genève, ce qui a retenu l'attention de plusieurs. Nous avons décrit tout le mal que nous donnent le chapitre 11 de l'ALENA et les différends avec les États des investisseurs. Au cours des six derniers mois, les lois canadiennes sur les déchets dangereux, l'exportation des eaux et les produits forestiers ont toutes été soumises à ce mécanisme secret qui permet aux sociétés américaines de contester ces lois à huis clos, ce qui équivaut à de l'expropriation. Nous avons mis la communauté internationale en garde contre ces mécanismes qui nous donnent beaucoup de fil à retordre.

Une véritable évaluation des impacts sociaux et environnementaux ferait ressortir la nécessité de créer de nouvelles institutions mondiales pour coordonner la politique afin que le milieu des affaires puisse acquérir les connaissances requises pour juger, ou tout au moins étudier, les mesures commerciales qui ont des répercussions dans d'autres domaines. La création d'une organisation environnementale internationale suscite un grand débat. Il faut savoir que les groupes pour la justice sociale revendiquaient de nouveaux mécanismes pour négocier des accords internationaux qui feraient contre-poids à l'OMC qui devient de plus en plus ancrée et forte. Cela englobait les organismes de l'ONU s'occupant des droits humains, de l'environnement et de l'équité des sexes. Leur requête vise à éviter des conflits au niveau des obligations que doivent respecter les États membres. Un mouvement a été amorcé pour tenter de concentrer tous les dossiers relatifs à l'environnement et au développement social et répartis entre les diverses institutionnels au sein d'une même organisation, qui serait en mesure d'offrir de meilleurs conseils et de faire équilibre à l'OMC.

Nous avons mis au défi l'OMC en général et la délégation des États-Unis en particulier à tenir un débat public à Seattle. Comme vous le savez, une réunion ministérielle aura lieu à Seattle au mois de novembre. Des groupes canadiens, mexicains et américains de défense des droits humains, de l'environnement et de la société civile ont lancé une vaste campagne partout au pays. Nous tentons d'organiser un voyage en train dans les grandes villes dans le but de sensibiliser la population aux activités de l'OMC. Elizabeth May, avec qui je travaille au sein du Sierra Club, aime bien ces grands voyages en train dans tous les coins du pays. Il faut absolument que les parlementaires participent à ce débat. Leur participation contribuera à atteindre l'équilibre recherché.

Je dois vous faire comprendre à quel point nous sommes agressifs sur la scène internationale et vous signaler que les décisions rendues dans toutes les plaintes logées auprès de l'OMC allaient à l'encontre de la politique environnementale et de la politique sociale. Dieu merci pour l'excellent travail que vous avez accompli au sujet de l'hormone qui se retrouve dans le lait et de toute la controverse entourant la STbr. Votre travail était tout simplement phénoménal et nous vous en sommes reconnaissants. Nous espérons que les parlementaires joueront un plus grand rôle. Sinon, le mouvement de ressac contre la mondialisation et la libéralisation économique s'accentuera, ce qui n'est pas souhaitable non plus. Pour atteindre le juste équilibre, il faut que les grandes valeurs et les grands objectifs soient sur la table.

M. Craig Forcese, professeur, faculté de droit de l'Université d'Ottawa: Je suis très heureux et très honoré d'avoir l'occasion de partager certaines de mes réflexions au sujet de l'importante question de la cohésion sociale et de la mondialisation.

En termes généraux, on peut dire que la mondialisation vise à abolir les obstacles entre les pays. De toute évidence, les progrès réalisés au niveau de la technologie des communications contribuent à la mondialisation. Des témoins ont déjà abordé cet aspect du phénomène devant votre comité. L'autre dimension de la mondialisation, les éléments associés à l'augmentation des échanges commerciaux et des investissements, témoigne de la codification progressive des nouvelles normes et des nouveaux règlements internationaux. Tout cela découle de décisions stratégiques concrètes prises par les gouvernements, y compris le gouvernement canadien.

L'intégration économique est généralement considérée comme une façon de maximiser la prospérité. Toutefois, dans bien des cas par le passé, l'intégration économique a été décrite comme une façon d'atteindre des objectifs politiques louables. Par exemple, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui est, comme vous le savez, le pivot du système commercial mondial, est essentiellement l'oeuvre de technocrates qui pensaient que la crise économique de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale étaient attribuables au système commercial anarchique qui existait à l'époque. La Communauté européenne du charbon et de l'acier, prédécesseur de l'Union européenne, cherchait à harmoniser et à internationaliser le contrôle des industries de transformation en produits de base associées à la production de matériel de défense.

Plus récemment, l'intégration économique a été présentée comme l'occasion d'appliquer une politique d'engagement constructif envers les pays qui ne respectent pas tellement les droits de la personne. Les échanges commerciaux et les investissements sont perçus comme une façon d'encourager l'établissement dans ces pays de normes adéquates en matière des droits humains.

La mondialisation est le résultat d'une politique gouvernementale qui ne devrait pas être mesurée en fonction de notre capacité de tirer profit de toutes les subtilités du libre-échange, mais plutôt en fonction de notre capacité d'atteindre d'autres objectifs politiques, comme le bien-être de la population.

Permettez-moi de parler des droits de la personne, puisque c'est le domaine que je connais le mieux. Il n'existe aucune donnée empirique prouvant que l'intégration économique et la libéralisation des échanges contribuent à faire respecter davantage les droits de la personne. Il n'existe aucune donnée empirique prouvant que l'engagement constructif fonctionne. En fait, les études empiriques laissent supposer qu'il n'existe pas de liens entre la démocratie et l'essor économique.

Il y a déjà plusieurs mois, j'ai effectué un petit test statistique dans le but d'établir une corrélation entre le montant des investissements étrangers directs dans certains pays et le respect des droits de la personne dans ces pays. J'ai constaté qu'il n'y avait aucune corrélation statistiquement significative.

Étant donné ces chiffres, il n'est donc pas surprenant que la société civile semble croire essentiellement que la mondialisation, telle qu'elle existe actuellement, tend à consacrer la postérité de certains au détriment de la majorité. Pensez au fait que la mondialisation se produit à une époque où les 225 personnes les plus riches au monde ont un revenu équivalent à celui de 47 p. 100 de la population mondiale. Des milliards de gens sur notre planète vivent dans la misère noire. Pensez également au fait que ceux qui semblent le plus profiter de la mondialisation, c'est-à-dire les grandes sociétés, sont sans cesse accusés de violations des droits de la personne ou de complicité dans ce domaine. Ne pas tenir compte des incidences de la mondialisation sur les droits de la personne risque de réduire l'appui du public en contribuant à lui faire croire que le processus, comme le disait l'un des critiques les plus acerbes du libre-échange, «donne d'énormes pouvoirs aux sociétés étrangères qui n'ont de comptes à rendre à personne dans notre pays.»

Je tends à partager ces opinions. Si, pour paraphraser Roy Culpepper, président de l'Institut Nord-Sud, les valeurs canadiennes, comme le respect des droits de la personne et la démocratie, sont importantes, et si ces valeurs sont oubliées dans la politique commerciale canadienne, cela veut dire que la politique commerciale canadienne trahit les valeurs canadiennes.

À mon avis, quels que soient les buts que visent la mondialisation et l'intégration économique, ils ne consistent sûrement pas à favoriser les valeurs canadiennes traditionnelles.

N'oubliez pas que les principaux outils de l'intégration économique, les accords commerciaux internationaux, tendent de plus en plus à interdire des mesures visant à encourager et à promouvoir le respect des droits de la personne à l'étranger. À l'heure actuelle, le régime commercial international est en mesure de lutter contre le piratage technologique, mais est absolument incapable de s'occuper des processus de production jugés illégaux en droit international, comme les conditions de travail ne respectant pas les droits humains, et cetera.

Le régime pourrait probablement déclarer que les codes de conduite que le gouvernement voudrait tant que les sociétés privées respectent volontairement représentent des obstacles techniques au commerce. Le régime pourrait probablement déclarer que les bonnes pratiques gouvernementales d'approvisionnement sont contraires aux accords commerciaux. Cela vaudrait non seulement pour l'achat de produits fabriqués en violation des droits de la personne, mais également pour certaines initiatives, comme le Programme de contrats fédéraux, qui encourage l'équité en matière d'emploi au sein des grands fournisseurs avec qui le gouvernement fédéral fait affaire.

Nous avons un régime commercial mondial où le règlement des différends se fait à huis clos, ce qui rend le processus complètement fermé au public. C'est un processus que certains comparent à la «chambre étoilée». Au niveau international, le processus d'établissement des normes de qualité des aliments est complètement opaque et donne lieu à des conflits d'intérêts que nous ne tolérerions pas dans notre propre système.

Comme bien des témoins avant nous vous l'ont dit, les changements économiques ont toujours entraîné des problèmes sociaux, mais la politique gouvernementale a évolué pour favoriser la cohésion sociale face à la crise que provoquaient ces changements. La politique gouvernementale n'est pas là pour protéger les forces des changements économiques contre les rajustements à faire pour promouvoir et protéger la cohésion sociale.

Pour protéger et promouvoir les droits de la personne, le gouvernement pourrait prendre des mesures toutes simples pour accroître la crédibilité du processus de mondialisation. Je vous les énumérerai brièvement et pourrai y revenir plus tard si vous avez des questions à ce sujet.

Premièrement, le gouvernement doit reconnaître la suprématie du droit international en matière de droits de la personne sur le droit commercial en cas de conflit. Sur le plan juridique, il est possible de faire valoir la suprématie du droit international en matière des droits de la personne. Deuxièmement, le gouvernement doit prendre une série d'initiatives pour veiller à ce que les sociétés canadiennes qui ont des activités à l'étranger ne soient pas parties au problème des violations des droits de la personne, mais qu'elles participent à sa résolution. Il peut inviter les sociétés à adopter un code de conduite volontaire, mais ces codes sont inutiles si le gouvernement ne prend pas de mesures pour grandement inciter les sociétés à les respecter. Vos collègues du comité sénatorial permanent des affaires étrangères ont décrit, dans leur rapport sur la crise asiatique, un certain nombre de mesures que le gouvernement pourrait prendre. Troisièmement, comme Christine l'a mentionné, le gouvernement devrait promouvoir l'inclusion d'une clause sociale dans les accords commerciaux ainsi qu'une plus grande transparence et ouverture d'esprit au sein de l'OMC.

À mon avis, ces mesures modestes doivent être prises si nous voulons que la mondialisation serve à améliorer le bien-être de la population. Elles sont essentielles, je crois, pour éviter ce que Kofi Annan a décrit, dans un discours récent, comme le plus grand défi que pose la mondialisation, soit un mouvement de ressac, si les questions comme la défense des droits de la personne ne sont pas abordées par des tribunes multilatérales.

Le sénateur Wilson: Monsieur Forcese, vous avez cité le président de l'Institut Nord-Sud au sujet des valeurs canadiennes, mais ne serait-il pas en terrain plus solide s'il parlait de la Déclaration universelle des droits de l'homme? Quelles sont les valeurs canadiennes? Qui le sait?

M. Forcese: Notre gouvernement a été très explicite lorsqu'il a déclaré qu'il considérait la Déclaration universelle des droits de l'homme comme le droit international coutumier, ce qui signifie que tous les pays doivent la respecter. Elle sert de disposition interprétative pour déterminer la teneur des obligations en matière des droits de la personne découlant de la charte de l'ONU qui est considéré, comme vous le savez, comme un document quasi constitutionnel. Donc, oui, la déclaration des droits de la personne de l'ONU l'emporte sur tout accord commercial avec lequel elle serait en conflit.

Le sénateur Wilson: J'ai entendu des témoins utiliser cette expression à quatre occasions devant notre comité et il faudrait l'éviter, car lorsque vous parlez des valeurs canadiennes par rapport aux valeurs chinoises, vous vous lancez dans une grande comparaison. Il serait préférable de penser au droit humanitaire et de chercher à déterminer ce que cela signifie vraiment.

Pour ce qui est des codes de conduite volontaires, certains travaux visant à établir des critères pour surveiller et vérifier l'application de ces codes ont été effectués. Pensez-vous que ces codes sont nécessaires et quelles mesures supplémentaires pourraient être prises pour renforcer tout ce domaine?

M. Forcese: Comme l'ont dit un certain nombre d'observateurs, y compris le U.S. Department of Labour dans son étude sur le travail des enfants, la condition préalable à l'adoption d'un code de conduite volontaire est la présence d'un bon système de surveillance. En l'absence de toute mesure de surveillance, les codes ne valent même pas le papier sur lequel ils sont rédigés.

En pratique, en l'absence de mesures encourageant les sociétés non seulement à adopter des codes prévoyant des normes suffisantes, mais également à appliquer des systèmes de surveillance efficaces et indépendants, les sociétés ne passeront pas à l'action. Des initiatives du genre ont été appliquées de façon plus assidue aux États-Unis qu'au Canada. La politique gouvernementale de marchés publics devrait lier l'octroi de marchés d'État au comportement adéquat des fournisseurs à l'étranger, et le financement accordé par la Société pour l'expansion des exportations devrait être lié au respect des droits de la personne. Comme vous le savez, la Loi sur l'expansion des exportations doit faire l'objet, ces temps-ci, d'un examen qui se poursuivra devant le Parlement au cours des prochains mois. Le ministre Marchi a déclaré entre autres que l'incidence de la SEE sur les droits de la personne sera analysée. Une firme de consultants a été embauchée pour collaborer à cet examen et certains d'entre nous ont comparu devant des représentants de cette firme. Le Parlement sera saisi de la question, ce qui donnera au gouvernement l'occasion de s'assurer que les activités de la SEE sont conformes aux autres éléments de la politique étrangère du Canada, y compris à la promotion des droits de la personne.

Le gouvernement pourrait prendre d'autres mesures. Sénateur Wilson, vous avez manifesté de l'intérêt pour le droit corporatif canadien. L'un des problèmes dans ce domaine tient au fait que, si vous êtes actionnaire et que vous désirez présenter à une réunion des actionnaires une proposition relative aux droits de la personne, votre proposition sera probablement exclue aux termes du droit corporatif canadien. Encore là, la Loi sur les sociétés par actions devrait être révisée bientôt et certaines propositions seront faites. Cela nous donne une autre occasion de faire comprendre les répercussions de la mondialisation sur les droits de la personne dans le contexte canadien.

Mme Elwell: Sénateur Wilson, je voudrais répondre à votre deuxième question. Vous parliez des mécanismes, notamment des codes de conduite. Je ferai remarquer que l'étiquetage est une autre option valable. Il s'agit d'un mécanisme similaire, car il faut appliquer un processus de certification pour déterminer si le produit satisfait aux critères et aux normes. L'étiquetage permet de créer un nouveau marché et les groupes écologiques ainsi que les groupes pour la justice sociale peuvent informer les consommateurs. Nous avons alors l'occasion de façonner le marché, ce qui est très important, à mon avis.

Le président: Un sous-comité formé de sous-ministres adjoints dirige, au nom du gouvernement, une série de grands projets de recherche dans le but de découvrir les points sensibles auxquels se heurteront le Canada et la gestion des affaires publiques au Canada en 2005. Dans un rapport provisoire diffusé il y a presque deux ans, le sous-comité affirme:

À ce stade-ci, les chances de pouvoir inclure une clause sociale dans les accords de l'OMC sont pratiquement inexistantes en raison de l'opposition concertée manifestée par les pays en développement.

J'ai l'impression, madame Elwell, d'après ce que vous dites, que vous n'avez pas vraiment remarqué de changement notable à cet égard au cours de la réunion de l'OMC à laquelle vous avez assisté il y a quelques jours. Qu'en pensez-vous?

Mme Elwell: En théorie, vous avez raison, mais les participants s'opposaient également à toute mesure de performance environnementale. Toutefois, en cinq ans, nous avons observé des améliorations très claires.

Il est difficile pour les pays en développement de composer avec les changements économiques et peut-être encore plus pour nous. Tout le monde veut sa part du marché. C'est la beauté du phénomène, en fait. C'est à quoi rime le développement durable. Certains y résistent, mais les pressions incitant les gens à intégrer les marchés ouverts peuvent être bénéfiques.

L'organisme suédois d'expansion commerciale a publié un document décrivant les mesures que pourraient prendre les pays en développement. On y cite en exemple la plus grande entreprise textile de l'Inde à qui des certificats ont été délivrés confirmant la qualité des colorants utilisés et les conditions de travail des employés. Cette société a pu augmenter le prix de ses produits de 8 à 10 p. 100 et a vu sa part de marché croître de 10 p. 100 en moins de deux ans. Y a-t-il meilleure façon de convaincre nos interlocuteurs que de continuer de citer en exemples des entreprises qui respectent les normes environnementales, les droits de la personne, les normes de travail et l'égalité des sexes et qui enregistrent des profits? Il faut continuer de donner des exemples positifs.

Le président: Au sujet de l'environnement, professeur Forcese, j'ai devant moi un extrait, je crois, d'un de vos articles intitulés «Donner une conscience au commerce». Le document nous vient du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Vous y dites que, si le président Clinton a réussi à dissiper en grande partie l'antipathie envers l'ALENA, ce n'est qu'après avoir promis que l'accord serait assorti d'accords parallèles sur les questions du travail et de l'environnement. Que pensez-vous de l'efficacité de ces accords parallèles?

M. Forcese: Christine serait probablement plus en mesure d'offrir une opinion, car je ne connais pas très bien l'ALENA.

Mme Elwell: Le processus a été lent. Au cours des cinq dernières années, nous avons vu les institutions acquérir leur propre expertise. Il y a du positif et du négatif. L'important toutefois, c'est que nous pouvons dire au reste du monde: «Voici un modèle. Il n'est pas parfait, mais il permet au moins d'aborder ces questions et de concerter nos efforts.» Vu sous cet angle, le modèle international n'est pas mauvais, mais pourrait quand même être amélioré. J'aimerais dire à l'Indonésie ou aux autres pays qui se plaignent: «Le Mexique compose avec ce modèle depuis plus de cinq ans et ne s'est pas écroulé sous le poids. La terre n'a pas arrêté de tourner. Les exportations mexicaines ont augmenté. Parmi les pays du monde entier, le Mexique se classe au deuxième rang en ce qui concerne les investissements étrangers directs.» Le mieux à faire est d'apaiser leurs craintes et de leur montrer que la vie continue.

Si vous voulez des précisions au sujet de l'accord parallèle, je dirais qu'il s'agit essentiellement de pourparlers. Les pays peuvent faire rapport, mais n'en sont pas encore au stade où ils modifient leurs structures commerciales. Je ne dis pas qu'ils ne le feront pas un jour, dans un avenir assez lointain. Il a fallu à l'Union européenne 40 ans pour établir sa charte sociale. Nous ne pouvons espérer tout faire en cinq ans.

L'affaire Echlin est un exemple important. Elle a été soulevée par des métallurgistes canadiens et d'autres intervenants. C'était la première fois que nous invoquions les accords parallèles. Le BNA du Canada a pu établir, de façon empirique, que les travailleurs de l'usine mexicaine ne jouissaient pas de la liberté d'association. De plus, il semble que le lieu de travail était contaminé par de l'amiante, et la deuxième partie de la décision dans l'affaire Echlin, portant sur la santé et la sécurité au travail, devrait être rendue cette semaine. Ce qu'il faut retenir, c'est que la loi mexicaine a été analysée en fonction des principes relatifs au travail contenus dans l'accord parallèle. Nous tendons vers un régime où les lois nationales et les pratiques nationales seront évaluées en fonction de normes régionales approuvées. C'est l'objectif qu'il faut viser.

Le sénateur Butts: Professeur Elwell, vous ai-je bien entendu dire que vous vous opposiez au massacre des dauphins pour sauver le thon?

Mme Elwell: Au massacre effectué sans discernement, oui. C'est une pratique évitable.

Le sénateur Butts: Diriez-vous la même chose au sujet du massacre des phoques pour sauver la morue?

Mme Elwell: Éviter le pillage est toujours une noble action.

Le sénateur Butts: Sans reprendre haleine, vous parlez d'équilibre. Où est l'équilibre? Il y a des gens qui peuvent gagner leur vie en faisant la chasse au phoque et il y a des gens qui peuvent gagner leur vie en pêchant la morue.

Mme Elwell: Je ne suis pas activiste pour la défense des animaux, mais ces activistes étaient nombreux à la réunion de l'OMC et je peux vous rapporter ce qu'ils ont dit. Ils ne se préoccupent pas tant du fait que des animaux sont tués que de la façon dont ils sont tués. Cela renvoie à ce que nous appelons les méthodes de transformation et de production. Pour ceux qui défendent les droits humains, l'environnement et les animaux, c'est la façon dont on arrive à pouvoir proposer le produit sur le marché qui importe. Cela correspond au niveau de «confort de la vache». C'est le sénateur Eugene Whelan qui a parlé du confort des vaches lorsqu'il était question des produits du lait provenant de vaches traitées aux hormones. Il faut penser avant tout aux souffrances infligées aux bêtes. C'est tout ce que je peux vous dire à ce sujet, sénateur. C'est la méthode utilisée qui importe.

Le sénateur Butts: Il me semble que la priorité devrait consister à permettre aux gens de gagner leur vie.

Je voudrais aborder une question très fondamentale. À un moment donné, un professeur de droit international a déclaré que, essentiellement, les textes internationaux n'étaient pas des lois. Il se fondait sur la nature même d'une loi. Vous ne pouvez pas arrêter un pays, vous ne pouvez pas l'emprisonner et vous ne pouvez pas le punir. Aucun pays n'est obligé de se présenter devant un tribunal s'il ne le désire pas.

Cela étant dit, ne serait-il pas plus utile de tenter de convaincre les autres pays d'adopter des lois nationales? Ne devrions-nous pas concentrer nos efforts dans ce domaine?

M. Forcese: Parlez-vous de la déclaration universelle? De quelle loi parlez-vous?

Le sénateur Butts: De toutes les lois. Vous avez parlé de l'ALENA et la même chose s'applique. Dans certains cas, les pays refusent simplement de signer. Les pays qui ne signent pas l'entente continuent de vendre leurs produits. On se rend dans ces pays, on absorbe tout et ils continuent de consommer.

M. Forcese: L'un des problèmes tient au fait que le droit international est au droit régulier ce que le fromage suisse est au fromage. C'est du fromage, mais plein de trous, de vides. Le plus grand vide est l'absence de mesures d'application de la loi.

L'un des attraits du droit commercial international réside dans la sanction qui est prévue et qui réussit à convaincre les pays. Cette sanction, c'est la menace de mesures de rétorsion. L'un des aspects intéressants du droit commercial aux yeux de ceux qui, comme moi, pratiquent le droit international en matière de droits de la personne, c'est la possibilité de lier le respect des droits de la personne aux échanges commerciaux. Cela rend les sanctions possibles, ce qui parvient souvent à convaincre les pays.

En droit international, l'application des lois a toujours posé et pose encore problème. De nouvelles mesures ont été prises, comme la création de la Cour criminelle internationale et des tribunaux spéciaux pour la Yougoslavie et le Rwanda, pour déterminer la culpabilité d'individus accusés d'avoir enfreint les lois internationales. Vous avez toutefois raison, le problème de l'application générale des lois internationales, fondée sur les valeurs, persiste.

Le sénateur Butts: Encore là, n'est-ce pas une question d'équilibre? Si vous refusez de faire des affaires avec certains pays, vous punissez également vos propres citoyens?

Mme Elwell: Sénateur, cela pose un problème important en ce qui concerne les accords multilatéraux sur l'environnement. Que faire avec les pays non signataires et quand est-il juste pour les pays signataires de prendre des mesures de rétorsion contre les pays non signataires?

Le meilleur exemple que je peux vous donner est le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone. Il avait été jugé juste, dans les circonstances, de prendre des mesures de rétorsion contre les pays non signataires, car les parties au protocole tentaient de protéger une ressource mondiale, la couche d'ozone. Lorsqu'il s'agit d'un problème non seulement national, mais transfrontalier et même mondial, on considère qu'il est juste de prendre des mesures de rétorsion contre les pays non signataires qui profitent des initiatives de protection de la couche d'ozone sans avoir à engager des frais pour éliminer les CFC. Dans le cas, disons, de la Convention sur le commerce international des espèces menacées ou encore de la convention de Bâle sur les déchets dangereux, il a été décidé de traiter les pays non signataires comme s'ils avaient signé la convention. Autrement dit, l'Afrique n'exportera pas d'ivoire en Turquie, sauf dans les conditions qui s'appliqueraient à ses exportations vers un pays signataire de la CITES. Il y a des certificats d'importation et d'exportation que les parties doivent s'échanger avant que les produits puissent être exportés.

Différentes ententes multilatérales concernant l'environnement utilisent différents mécanismes, mais tout revient toujours aux échanges commerciaux. Même si l'on ne peut pas obtenir d'un pays qu'il comparaisse devant un tribunal et qu'il s'intéresse à vos préoccupations, dans une société mondiale et un marché mondial, il y a moyen d'exercer des pressions. Je ne dis pas qu'on pourrait agir unilatéralement. Je ne demande rien de tel. Je dis que, avec un concept multilatéral fondé sur des valeurs communes comme la déclaration des droits de la personne ou les grandes règles du BIT, c'est possible. Nous avons l'expérience de mécanismes qui permettent d'obtenir que des pays qui ne sont pas parties aux ententes respectent quand même ces valeurs.

Le sénateur Butts: J'ai un ami du Zaïre qui étudie ici. Quand je discute avec lui de ce genre de choses, il me dit que cet accent particulier que nous mettons sur l'environnement est un luxe de riches, parce que les pays comme le sien veulent avant tout des emplois et un moyen de subsistance. La protection de l'environnement vient ensuite. Comment répondriez-vous à cette personne?

Mme Elwell: Depuis Marrakech, l'OMC a adopté l'objectif d'assurer un développement durable, parce qu'elle a reconnu que les économies sont fondées sur la bonne gestion des ressources et la protection de l'environnement. Depuis Rio de Janeiro, et même avant, depuis Stockholm, on constate un lien entre la hausse des recettes et la hausse des dépenses pour la protection de l'environnement, et la communauté mondiale a dit clairement qu'il faut des conditions environnementales saines pour avoir une croissance économique solide. Je dirais à votre étudiant que le marché des produits respectueux de l'environnement est un énorme filon à exploiter. Dans l'hémisphère Nord, notre devoir est d'ouvrir ces marchés aux services ayant trait à l'environnement, aux produits respectueux de l'environnement, et de démontrer que ces pays feront plus d'argent en prenant soin de leur environnement qu'en le laissant se détériorer.

Le sénateur Butts: N'est-il pas vrai que, historiquement, nous avons nous-mêmes suivi ce processus? Nous voulons que ces pays s'occupent immédiatement de l'environnement tandis que nous l'avons fait graduellement. Nous sommes arrivés à une étape où nous pouvons maintenant nous permettre de parler d'environnement. Ce qu'il veut dire, c'est qu'on voudrait qu'il commence là où nous sommes rendus après deux siècles d'activités industrielles.

Mme Elwell: Je comprends.

Le président: Sénateur, à une certaine époque, pas très loin du lieu où vous et moi avons grandi, les gens voyaient le ciel s'illuminer, la nuit, du feu des fours à coke, ou respiraient l'odeur des usines de pâte à papier. Si les gens se plaignaient, on leur répondait que c'était l'odeur de la prospérité. Nous avons un peu dépassé ce stade.

Le sénateur Butts: Mais des générations en ont vécu. C'est le dilemme que j'essaie de faire valoir.

Le président: Cela avait des répercussions sur la santé et d'autres conséquences. Personne ne peut dire autrement.

Le sénateur Poy: J'ai toujours été troublée par la comparaison des normes concernant le travail des enfants dans les pays industrialisés et dans les pays du tiers monde. Dans un pays comme le Canada, ce n'est pas permis. Dans un pays du tiers monde comme l'Indonésie, quand les enfants sont tout petits, ils suivent leurs parents. C'est ainsi qu'ils apprennent un métier. Ils travaillent du matin au soir aux côtés de leur père ou de leur mère. Les pays industrialisés critiquent souvent cet état de fait, mais comment ces gens pourraient-ils vivre autrement? Comment ces enfants pourraient-ils apprendre un métier? Comment faire pour que nos normes deviennent les leurs?

M. Forcese: C'est le dilemme intéressant auquel nous faisons face. Le travail des enfants est une question bien délicate. Je serais beaucoup moins sympathique à la cause si l'on invoquait l'argument de la relativité culturelle pour justifier des violations de la liberté d'association, par exemple, ou la discrimination en milieu de travail et d'autres droits fondamentaux.

Le travail des enfants est une question délicate, et la communauté internationale s'en occupe. L'idée qu'il devrait y avoir des normes fondamentales de travail concernant les enfants, que l'OMC se chargerait de faire appliquer, est de plus en plus répandue. Je parle ici de ce qui constitue de l'exploitation des enfants, pas seulement de l'emploi de très jeunes travailleurs, mais bien d'une sorte de travail obligatoire et forcé des enfants dont on entend parler à l'occasion des campagnes de Craig Kielburger, par exemple.

Ce sont ces formes d'exploitation extrêmement graves, dont il faut s'occuper. Dans les circonstances dont vous parlez, cette forme extrême de travail des enfants, je ne serais pas du tout à l'aise de défendre l'argument de la relativité culturelle.

Le sénateur Poy: Quand vous dites «extrême», que voulez-vous dire? Parlez-vous d'enfants qui sont entassés dans des usines par opposition aux enfants qui travaillent aux côtés de leur père ou de leur mère? Est-ce là la distinction que vous faites?

M. Forcese: Cela tient en partie, par exemple, au fait que des enfants soient obligés de travailler.

Le sénateur Poy: Comme de l'esclavage?

M. Forcese: C'est semblable à l'esclavage. On peut aussi penser aux enfants qui travaillent dans des conditions de santé et sécurité déplorables, des scénarios à la Charles Dickens, qu'on a connus dans l'histoire occidentale.

Pour ce qui est du dilemme qui fait qu'en abolissant le travail des enfants, on met des enfants à la porte, et que ceux-ci ne peuvent plus fournir le revenu dont leur famille a besoin, il y a des méthodes moins radicales qui ont été mises au point, notamment dans le Sud de l'Asie, où des enfants travaillent une demi-journée et suivent des cours donnés par l'employeur durant l'après-midi. Il y a des demi-mesures de ce genre qui ne se limitent pas à l'interdiction pure et simple du travail des enfants, mais qui répondent aussi aux préoccupations environnementales, ce qui est le point central de votre question.

Nous avons parlé de sanctions et de pénalités en cas de violations des droits de la personne. L'aide au développement est le contrepoids de ces mesures. C'est aussi vrai au sujet des problèmes environnementaux que vous soulevez. On ne peut pas nécessairement dire que nous allons vous punir pour avoir adopté un certain comportement et, en même temps, réduire notre aide financière. On a beaucoup critiqué les compressions dans notre budget d'aide étrangère. Le Conseil canadien pour la coopération internationale a déclaré que notre système d'aide consistait à donner de l'argent à ceux qui en avaient le moins besoin, dans le tiers monde. Il faut donc s'intéresser à un autre aspect: comment promouvoir le développement de manière que les gens n'aient pas à compter sur le travail des enfants? C'est la question dans son sens large.

Mme Elwell: Il existe des incitations comme la campagne du tapis. Les ONG allemandes productrices de tapis se sont entendues pour ajouter une surtaxe de 1 à 2 p. 100 sur le coût des tapis. Cet argent sert à financer les écoles dans les manufactures.

Il existe de véritables mécanismes de transition. Nous devons reconnaître les besoins économiques des familles, mais il faut aussi leur donner des choix réels, financer l'éducation, pour faire en sorte que, éventuellement, elles n'aient plus à envoyer leurs enfants dans les manufactures de tapis. C'est un avantage extraordinaire pour des détaillants comme The Body Shop, et nous devrions vraiment le faire connaître. Je dois dire que le gouvernement du Canada est, d'une façon générale, hostile au principe de l'étiquetage et de l'homologation, à cause de son désir de mettre en valeur l'industrie forestière. Le gouvernement est l'objet d'énormes pressions sur la question de la gestion durable des forêts. Il est très préoccupé par la question de l'homologation du Forest Stewardship Council. La société Home Depot, par exemple, a déclaré qu'elle allait désormais vendre du bois d'oeuvre homologué par le FSC, ce qui rend désuètes les normes moins rigoureuses de l'ISO. C'est l'objet d'un énorme débat.

Je soupçonne que l'hostilité du gouvernement du Canada à l'égard de ces mécanismes est due à son intérêt pour l'exploitation forestière. Comme vous pouvez le voir, sénateurs, nous pourrions adopter ces mécanismes qui ne sont pas fondés sur la réglementation directe. Ce sont des mécanismes fondés sur le marché, fondés sur les droits des consommateurs et sur la capacité de créer et d'exploiter de nouveaux marchés. Je pense que c'est un compromis gagnant, un bon compromis. J'espère que vous pourrez obtenir que le gouvernement du Canada soit plus ouvert sur la question, à l'OMC.

Le sénateur Poy: D'après ce que vous dites, il importe qu'une partie de l'argent tiré de ces produits soit réinvesti dans l'éducation des enfants. Ce qui n'est pas acceptable au Canada est considéré comme un luxe dans beaucoup de pays. Il y a deux poids, deux mesures.

Le président: Revenons un instant à la question de savoir si l'intégration de ces pays dans l'économie mondiale pourrait améliorer -- ou améliore effectivement -- la situation dans certains des domaines qui vous intéressent, comme les droits de la personne et les normes du travail.

Il y a quelque part dans les documents que l'un de vous a fournis -- car je les ai lus -- des références à une étude de l'OCDE sur la question. Le comité gouvernemental de la recherche en matière de politiques, dont j'ai parlé un peu plus tôt, a une conception quelque peu différente de l'OCDE, par rapport à vous. Je veux vous lire un extrait de son rapport. C'est au sujet des normes fondamentales du travail, et non au sujet des droits de la personne dans un sens large. Voici ce qu'il dit:

L'étude la plus ambitieuse et la plus approfondie effectuée jusqu'ici sur la relation entre le commerce et les NFT est l'étude réalisée par l'OCDE.

On lit plus loin:

Il était également mentionné dans l'étude de l'OCDE qu'il existait des preuves d'un lien étroit entre, d'une part le respect des NFT et, d'autre part, le niveau de développement économique et le degré d'intégration dans l'économie mondiale des pays en développement. On pourrait donc s'attendre qu'une plus forte participation des pays en développement sur la scène internationale donne lieu à des pressions pour que les politiques adoptées dans de nombreux domaines respectent de plus en plus les normes des pays membres de l'OCDE.

Êtes-vous en désaccord avec cela?

M. Forcese: Il y a sans doute une corrélation entre le respect des droits de la personne et la richesse. Il suffit de comparer les pays en développement et les pays industrialisés pour le voir. On parle souvent de ces violations des droits de la personne, mais il faut faire une distinction. Il y a un recoupement à faire avec les clivages socio-économiques. Tout l'argument de l'engagement constructif se fonde sur l'observation que les pays plus riches ont des critères plus élevés quant au respect des droits de la personne.

Ce que je mets en doute, c'est la relation de cause à effet. Le lien n'est pas certain quand on dit que la richesse ou l'intégration économique mène nécessairement à une amélioration du respect des droits de la personne. Selon les analyses plus nuancées, il n'y a rien de déterminé d'avance concernant la croissance économique et ses effets ultérieurs sur l'amélioration du respect des droits de la personne. Il faut une forme de développement plus équilibrée, et non une simple maximisation des bénéfices économiques. Il faut faire un certain effort pour s'occuper des questions de justice sociale parallèlement au développement de l'économie. C'est cet équilibre qui fait défaut dans notre système actuel d'intégration mondiale. Les organisations mondiales du commerce se consacrent entièrement à la maximisation de la richesse et des bénéfices économiques. Elles ne font pas les nuances qui leur permettraient de régler en même temps ces problèmes de justice sociale.

L'étude de l'OCDE reconnaît qu'il y a des pays du monde qui ont cru -- que les faits l'aient démontré ou non -- qu'en restreignant ces droits fondamentaux en matière de travail, ils amélioreraient leur compétitivité. C'est ainsi qu'on a vu des exemples de pays qui avaient abaissé les normes fondamentales du travail dans l'espoir d'encourager les investissements. L'OCDE a signalé que certains faits montraient que les entreprises réagissaient aux avantages qu'offraient ces sociétés répressives sur le plan des coûts. Elle ne s'est pas trop avancée à cet égard, disant que les faits ne le démontraient pas de façon constante. L'étude de l'OCDE mentionne certains de ces faits, mais ne les présente pas très en détail.

Le président: Aucun de nous n'est en mesure de faire une synthèse de tous ces facteurs en jeu. Toutefois, sur le point que vous venez de faire valoir, voici ce que dit le rapport:

Son analyse révèle que les pays où ces normes sont faibles n'ont pas systématiquement enregistré de meilleures performances commerciales que les pays où ces normes sont élevées. En outre, la performance commerciale des pays qui ont affiché des améliorations marquées dans le respect des NFT ne semble pas s'être détériorée en raison de ces améliorations.

M. Forcese: L'étude de l'OCDE a examiné à fond l'argument de l'harmonisation à la baisse, qui veut que des pays plus développés soient amenés à abaisser leurs normes du travail et leurs critères de respect des droits de la personne après l'intégration économique de pays en développement. Les constatations présentées dans l'étude de l'OCDE réfutent très efficacement cet argument. Elles montrent qu'il n'existe pas, dans les faits, de preuves qu'un abaissement des normes permet d'améliorer la performance. L'étude de l'OCDE souligne cependant que certains pays croient qu'ils peuvent améliorer leur compétitivité en abaissant les normes. Que ce soit démontré par les faits ou non, cette perception existe. Il y a certainement un certain nombre de pays, dans ces zones franches de transformation pour l'exportation, qui abaissent leurs normes du travail dans le but d'encourager les investissements directs. Que ce soit justifié ou non par des faits établis, c'est une autre question.

Le président: Vous avez lu l'étude, et j'ai lu ce que les fonctionnaires canadiens disent de l'étude. Cela me permet de dire que, selon moi, l'intégration économique accrue à l'échelle mondiale est, tout compte fait, utile, certainement en ce qui a trait aux normes de travail fondamentales.

M. Forcese: Je ne suis pas certain qu'on puisse établir un tel lien de cause à effet d'après les résultats de l'étude. L'OCDE a étudié environ 42 pays. Elle a conclu que, dans 15 cas, des améliorations au titre de la liberté d'association, par exemple, s'étaient produites après l'intégration économique. Dans une trentaine d'autres pays, ou bien les améliorations s'étaient produites avant l'intégration économique, ou bien il n'y avait pas eu d'améliorations, ou bien il n'y avait pas de données. Je ne suis donc pas certain qu'on puisse en venir à la conclusion qu'il y a un lien de cause à effet entre l'intégration économique et ces améliorations en se fondant sur cette étude.

Mme Elwell: J'ai également eu l'occasion de lire cette étude. Je cite un extrait de mon article intitulé «Implementing International Social Policy», qui a été publié l'an dernier dans la revue Canadian Foreign Policy. J'ai aussi soulevé la même question. L'OCDE a conclu qu'il y avait un faible lien, quoique positif, entre le niveau du PIB par habitant et le degré de respect de la liberté d'association. Mon interprétation de cette conclusion est que, dans un marché véritablement concurrentiel, on s'attend à ce que le progrès social suive le rythme du développement économique. Je crois que c'est là une conclusion positive. Autrement dit, si les gens profitent vraiment du développement économique découlant du commerce, cela hausse leurs attentes à l'égard de choses comme la liberté d'association. Toutefois, si on a des barrières artificielles qui empêchent les gens de profiter des avantages découlant du commerce, cela veut dire que tout l'argent va à une certaine élite, et il n'y alors aucune corrélation positive.

Permettez-moi de citer une autre conclusion intéressante de l'OCDE. Au sujet des risques associés à l'investissement étranger direct, on peut lire ce qui suit dans le rapport de l'OCDE:

On reconnaît volontiers que l'attente d'un niveau de rentabilité élevé grâce à l'environnement économique fourni par le pays hôte peut l'emporter sur certaines des préoccupations des investisseurs étrangers au sujet du faible niveau de respect des normes fondamentales par le gouvernement du pays hôte.

Ces risques comprennent le mécontentement, l'agitation ouvrière et le boycottage de consommation.

Il est important à mon avis que l'OCDE ait reconnu que le non-respect des normes fondamentales peut mener à des conflits de travail et un boycottage de consommation.

De plus, l'OCDE a signalé que les investisseurs privés ne sont souvent pas prêts à renoncer, de leur propre initiative, à des profits élevés afin d'assurer le respect des normes fondamentales, et cela montre bien le besoin d'une intervention gouvernementale directe pour voir à ce que ces échecs du marché ou ces facteurs externes soient internalisés afin que les investisseurs aient l'heure juste et n'exploitent pas la situation.

Vous disiez que, selon vous, rien ne prouvait que des normes élevées nuisaient au commerce.

Le président: Les sous-ministres ont dit que c'était là l'opinion de l'OCDE.

Mme Elwell: Cela va à l'encontre d'autres renseignements dont nous disposons. Par exemple, l'ALENA a fait l'objet d'un certain nombre d'examens. Il fait actuellement l'objet d'un examen quinquennal auquel les trois pays ont participé. La Canadian National Civil Society est d'avis que l'assise manufacturière canadienne a diminué d'au moins 20 p. 100 depuis l'ALENA et qu'une bonne partie des investissements dans le déplacement des usines vont au Mexique ou dans les États américains qui prônent le droit au travail.

Il y a aussi quelqu'un de l'Université Cornell, aux États-Unis, qui a fait une étude pour la FAT-COI et qui a dit que l'ALENA légitimait la menace du déplacement des usines américaines au Mexique et avait causé une baisse importante, entre 20 et 30 p. 100 je crois, des campagnes de syndicalisation aux États-Unis. On peut donc dire que les avis sont partagés. Je crois qu'on trouvera des impacts négatifs sur le plan social et environnemental dans les pays en développement qui n'ont pas adhéré au moins à des règles minimums en matière de droits de la personne, de normes de travail et d'environnement. Je crois que les conclusions de l'OCDE montrent que les investisseurs n'hésitent pas à aller dans des refuges pour pollueurs ou dans des zones franches industrielles.

Le président: Alors restons plus près de chez nous. M. Axworthy dit que l'augmentation de la croissance économique et du commerce contribue à hausser les attentes des gens et aide à promouvoir les droits de la personne. Le professeur Forcese cite le ministre dans ce document publié par le centre international. Vous pouvez me corriger si je me trompe, mais vous le citez sur un ton désapprobateur lorsqu'il dit ceci au sujet de l'engagement constructif:

En réalité, le commerce aussi bien que la promotion des droits de la personne servent le même but, à savoir l'amélioration du bien-être des individus. ... Nation commerçante, le Canada doit promouvoir le commerce comme moteur de la croissance et de la création d'emplois, au pays même aussi bien qu'à l'étranger. Le fait de créer du travail constitue un aspect essentiel de la promotion des droits de la personne.

Je vous invite à faire des remarques à ce sujet et peut-être y aura-t-il d'autres questions sur ce que le ministre ou le gouvernement du Canada devraient faire.

M. Forcese: L'opinion exprimée par le ministre Axworthy relativement à l'engagement constructif est aussi celle du Conseil canadien des chefs d'entreprises, de groupes américains et d'autres. Si on examine cette notion, l'engagement constructif est fondé sur deux conditions essentielles. L'idée est que le contact créé par les échanges commerciaux et la présence de sociétés à l'étranger favorisera le respect des droits de la personne. Il y aura un effet de démonstration. Cela vient directement des documents que les groupes de pression américains utilisent pour promouvoir l'engagement constructif.

L'autre impact associé à l'intégration économique est l'effet de retombée. Il y aura croissance économique, ce qui fera naître une classe moyenne qui réclamera une réforme politique, et ainsi de suite. Il me semble que, dans ce contexte, il y a deux conditions essentielles à l'engagement constructif, et je ne crois pas ces deux conditions essentielles soient respectées au Canada.

La première condition, c'est qu'il doit y avoir un effet de démonstration. Il faut que les sociétés occidentales fonctionnent elles-mêmes d'une manière qui favorise le respect des droits de la personne. Pourtant, nous entendons constamment parler de sociétés occidentales qui participent à des violations des droits de la personne ou qui appuient ce genre de comportement.

Le président: Veuillez parler maintenant des sociétés canadiennes, si c'est possible, professeur Forcese.

M. Forcese: Il y a des sociétés minières canadiennes qui exercent leurs activités dans des pays reconnus comme ayant un très mauvais dossier au chapitre des droits de la personne et qui appuient les gouvernements de ces pays en leur fournissant une importante source de revenu. Au Soudan et en Birmanie, il y a des sociétés canadiennes qui paient des redevances qui vont directement dans les coffres de régimes qui se livrent à de graves violations des droits de la personne. On a même entendu dire qu'il arrivait que ces sociétés fournissent une aide matérielle aux forces militaires.

Le président: C'est le premier détail précis que vous mentionnez. Vous nous avez dit que ces sociétés exercent leurs activités dans des pays qui ont un dossier horrible en ce qui concerne les droits de la personne et qu'elles paient des redevances. Bien sûr qu'elles doivent payer des redevances partout où elles exercent leurs activités. Vous dites ensuite que, indirectement, si on paie des redevances, on contribue à financer un régime tyrannique. Cependant, vous ne voulez pas dire que des sociétés canadiennes participent elles-mêmes à des violations des droits de la personne, n'est-ce pas?

M. Forcese: Je vais vous donner un autre exemple. Un important détaillant canadien s'approvisionnait dans une fabrique en Birmanie. Le principal actionnaire de cette fabrique était l'agence d'approvisionnement militaire du gouvernement birman. Lorsqu'il y a eu une grève d'occupation dans cette fabrique, les militaires sont venus et ont menacé de tirer sur tous les travailleurs s'ils ne retournaient pas au travail.

Le président: Votre solution à cela est une solution indirecte, n'est-ce pas?

M. Forcese: Ma solution à cela revient à ce que j'ai proposé dans mon exposé. Il y a deux conditions essentielles à l'engagement constructif. Il faut des moyens d'encourager les sociétés canadiennes à respecter les normes internationales en matière de droits de la personne dans leurs activités à l'étranger pour assurer l'efficacité de l'effet de démonstration et aussi pour favoriser la croissance économique si on veut que celle-ci produise un effet de retombée. Je ne sais pas si la croissance économique peut se produire réellement et faire naître une classe moyenne qui réclamera ensuite la libéralisation politique si on ne fait que verser de l'argent directement dans les coffres d'un régime tyrannique qui se servira de cet argent pour accroître sa capacité de répression.

Dans cette situation, nous avons besoin d'une approche nuancée. Premièrement, je crois que l'idée d'un code de conduite est prometteuse, principalement parce que cette approche s'est avérée efficace dans le passé, mais les codes de conduite doivent être assortis de mesures incitatives visant à encourager les sociétés à les respecter. Nous pouvons parler de mesures incitatives du secteur privé, comme des campagnes auprès des consommateurs, et aussi de mesures incitatives du secteur public. Pourquoi permet-on à des sociétés canadiennes dont on n'a pas examiné le dossier en ce qui concerne les droits de la personne à l'étranger de participer aux missions d'Équipe Canada?

Le président: Quand vous parlez de leur dossier en ce qui concerne les droits de la personne à l'étranger, ce n'est pas la même chose que dire qu'elles font des affaires dans un pays qui n'a pas un bon dossier en ce qui concerne les droits de la personne, n'est-ce pas?

M. Forcese: C'est la même chose, et il y a des exemples, particulièrement dans le secteur de la vente au détail. Il est très difficile, dans ce secteur, de retracer la participation directe d'une société canadienne parce qu'il y a des chaînes de sous-traitants. C'est la tendance aux États-Unis. Nike ne produit pas nécessairement dans ses propres usines. Elle fait faire du travail en sous-traitance. Elle contrôle la qualité du produit dans les installations qui font du travail pour elle en sous-traitance, mais ne contrôle pas nécessairement les normes relatives aux droits de la personne. De la même façon, les détaillants canadiens ont une chaîne de fournisseurs très compliquée. Le problème est de savoir comment amener les sociétés canadiennes à assumer l'entière responsabilité à l'égard de la chaîne de sous-traitants. Si elles peuvent assumer la responsabilité à l'égard du contrôle de la qualité, elle devraient aussi assumer la responsabilité à l'égard des normes de travail dans ces installations.

Le président: C'est juste, mais que devrait faire le gouvernement?

M. Forcese: Je ne propose pas une réglementation directe. Je ne crois pas que ce soit une solution viable, bien que nous ayons un précédent avec la mesure législative sur la corruption à l'étranger qui a été adoptée il y a plusieurs mois. Ce que je propose, ce sont des mesures incitatives -- une carotte, si vous voulez -- pour encourager les sociétés à promouvoir activement le respect des droits de la personne. Cela nous amène du côté des marchés publics. Cela nous amène à parler des diverses conditions imposées par le gouvernement, par la Société pour l'expansion des exportations. Nous pouvons éliminer les contraintes relatives à l'action privée afin d'encourager les sociétés à agir dans ce domaine, par exemple celles qui empêchent les actionnaires d'exprimer des préoccupations d'ordre moral devant leurs pairs aux assemblées générales. Ces contraintes ne sont pas justifiées. Le gouvernement doit intervenir pour supprimer cette disposition de la loi.

Le président: Vous ne voulez pas dire que le Canada devrait cesser de faire des affaires avec ces pays, n'est-ce pas?

M. Forcese: Je dirai catégoriquement que, si on fait des affaires en Birmanie, on appuie le régime en place dans ce pays. Le gouvernement qui a été élu démocratiquement en Birmanie mais qui a été chassé, comme ce fut le cas en Afrique du Sud dans les années 80, réclame des sanctions en matière d'investissements. Les États-Unis ont été assez clairs à cet égard, tout comme leur ancien ambassadeur en Birmanie. Tout revenu gagné par ce régime renforce son pouvoir et sa capacité de se livrer à des violations des droits de la personne. Nous devons sortir de la Birmanie. Ce pays serait l'un des rares pays dans cette situation, avec le Soudan peut-être.

Le président: Cela ne nous coûterait pas très cher compte tenu du commerce que nous faisons avec ces deux pays, n'est-ce pas?

M. Forcese: Dans le cas de la Birmanie, nous avons déjà imposer certaines sanctions économiques qui ont eu pour effet de réduire le commerce. Le véritable problème, c'est l'investissement étranger direct. De nombreuses sociétés minières canadiennes exercent leurs activités en Birmanie, dont plusieurs sont associées directement au régime birman. Elles sont associées à parts égales avec le régime birman dans des coentreprises pour ces énormes projets miniers.

Le président: Que devrions-nous faire?

M. Forcese: Une des solutions que je préconise est le recours à la Loi sur les mesures économiques spéciales pour imposer à la Birmanie des sanctions en matière d'investissements.

Le président: De façon unilatérale?

M. Forcese: De façon unilatérale, mais nous nous joindrions à de nombreux autres pays qui ont imposé des sanctions. L'Union européenne a imposé non pas des sanctions en matière d'investissements, mais des sanctions commerciales. Les Américains ont aussi imposé des sanctions commerciales à la Birmanie. Ce pays est vraiment un cas où des mesures sont nécessaires.

Le président: La Chine aura la plus grosse économie du monde dans quelques années, et son dossier en ce qui concerne les droits de la personne n'est pas reluisant. Que pensez-vous que le gouvernement devrait faire? Le gouverneur général aurait-il dû se rendre là-bas en notre nom, comme il l'a fait il n'y a pas longtemps? Le premier ministre et d'autres ministres devraient-ils diriger des missions d'Équipe Canada en Chine?

M. Forcese: Certains ne seront pas d'accord avec moi, mais je ne crois pas que la Chine soit dans la même situation que la Birmanie. Je ne propose pas que nous cessions tout engagement constructif envers la Chine. Cependant, si nous continuons cette pratique, comme le gouvernement canadien l'a proposé essentiellement avec ses missions d'Équipe Canada, nous devons respecter les conditions essentielles que j'ai mentionnées. Nous devons encourager les sociétés canadiennes qui font des affaires en Chine à avoir un code de conduite qui répond à certaines de nos préoccupations à l'égard des droits de la personne dans ce pays.

Une de nos principales préoccupations est que la liberté d'association n'existe pas en Chine, mais un certain nombre d'initiatives ont été prises pour essayer de corriger ce problème en encourageant les sociétés à agir à cet égard. Elles ne peuvent certainement pas reconnaître officiellement un syndicat, mais elles devraient donner à leurs travailleurs la possibilité de se rassembler, de se réunir, de s'organiser, non pas sous la forme d'un syndicat officiel, mais sous une autre forme qui leur permettraient de contourner cette non-reconnaissance de la liberté d'association. Je n'ai pas les détails de ces propositions devant moi, mais elles existent.

Mme Elwell: Certains groupes de défense des droits des travailleurs et des droits de la personne au sein de l'OMC ont exprimé des préoccupations au sujet de la Chine, particulièrement au sujet des camps de travail. Les travailleurs ne sont pas rémunérés du tout, et leur production est vendue sur le marché mondial. Si l'OMC ne s'occupe pas de la question des normes de travail, la Chine pourra envahir le marché. Comment un pays peut-il faire concurrence à un autre pays où la main d'oeuvre est gratuite? Cela devrait être une contrepartie.

Le président: La Chine fait-elle partie de l'OMC?

Mme Elwell: Non, mais c'est imminent. Cela pourrait arriver dès la prochaine série de négociations, à Seattle.

Le président: Si M. Clinton peut persuader le Congrès.

Mme Elwell: Cela arrivera, et c'est pourquoi nous devons nous préparer. Il faut que l'OMC établisse certaines normes de travail de base.

Le président: Madame Elwell, êtes-vous d'avis que le Canada ne travaille pas assez fort ou avec assez d'enthousiasme ou qu'il a renoncé à l'idée d'inclure des dispositions à caractère social dans les accords de l'OMC?

Mme Elwell: Oui, monsieur, je suis d'avis que notre appui à l'égard de cette initiative, qui concerne les normes relatives aux procédés et aux méthodes de production, a diminué. Le Canada se range plutôt du côté de ceux qui sont d'avis qu'une boîte de thon n'est rien d'autre qu'une boîte de thon, qu'on ait tué 100 dauphins ou aucun pour la produire. Du point de vue de la société civile, la question est de déterminer comment cette boîte de thon a été produite. Les Canadiens sont extrêmement sensibles aux questions liées aux procédés et méthodes de production pour ce qui est des produits forestiers. Cette sensibilité a débordé dans tous les autres secteurs, que ce soit l'énergie, l'agriculture ou les normes de travail.

Les normes de travail entrent dans les procédés et méthodes de production. Elles font partie de la façon dont le produit a été fabriqué. Selon la théorie commerciale, qu'un tapis ait été tissé par des enfants ensanglantés attachés par les poignets ou qu'il ait été tissé par des adultes, il n'y a aucune différence.

Le président: Mais c'est différent de la question du dauphin et de la boîte de thon, n'est-ce pas?

Mme Elwell: Non. Apparemment, du point de vue du produit, il n'y aucune différence entre une boîte de thon dont la production a entraîné la mort de nombreux dauphins et une boîte de thon dont la production n'a entraîné la mort d'aucun dauphin. Les procédés et méthodes de production, qu'il s'agisse d'un tapis ou d'une boîte de thon, sont très importantes.

Pour revenir à la question de la Chine, si ce pays peut produire des textiles en ayant recours à une main d'oeuvre gratuite, comment l'Inde ou Montréal ou n'importe qui d'autre peut-il lui faire concurrence? Nous avons besoin de certaines règles de base. Le gouvernement canadien revient sur ses engagements. Il n'y a plus de communication entre les politiciens et les fonctionnaires. Le personnel du ministère des Affaires extérieures est incroyablement rigoureux dans son application de la théorie commerciale. Même si Sergio Marchi dit vouloir faire ce qu'il faut, et je suis certaine qu'il est sincère, c'est très difficile. C'est un gros dossier. Il y a une véritable résistance, que nous devons vaincre.

Le président: Quels pays sont les plus ardents partisans d'une disposition à caractère social?

Mme Elwell: L'Union européenne et les États-Unis. Le Mexique offre beaucoup de résistance, bien qu'il s'accommode assez bien de l'ALENA et des accords parallèles. Il ne semble pas avoir de problèmes, mais il se plaint quand même à l'OMC. Il y a certains pays qui résistent.

À mesure que nous ferons des progrès sur la question de l'environnement dans le contexte des échanges commerciaux, nous ferons aussi des progrès sur la question de la politique sociale parce que les mécanismes utilisés seront les mêmes. Ce n'est qu'une question de temps. Nous ferions mieux d'être à l'avant-garde plutôt que d'être du côté de ceux qui s'opposent.

Le président: Merci beaucoup.

Demain, nous entendrons James Lahey, un des coprésidents de ce projet de recherche en matière de politiques auquel on a fait allusion à plusieurs reprises. Il nous fera un rapport sur l'état d'avancement des travaux, car ce projet dure depuis 1994 et a produit certains résultats intéressants jusqu'à maintenant. Je ne suis pas certain qu'il pourra aller dans les détails, mais je crois qu'il sera capable de nous montrer ce qu'a fait le gouvernement fédéral pour répondre à certaines de nos préoccupations.

La séance est levée.


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