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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 31 - Témoignages du 24 mars 1999


OTTAWA, le mercredi 24 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie s'est réuni aujourd'hui à 15 h 54 pour étudier l'ampleur de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation des marchés et d'autres facteurs structuraux et économiques qui ont une influence sur le niveau de confiance et de réciprocité chez les Canadiens.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: En octobre dernier, nous avons reçu Mme Thea Herman, du ministère de la Justice, et M. Michael Wernick, du ministère du Patrimoine canadien, lesquels sont venus témoigner à titre de coprésidents du réseau de la cohésion sociale du Projet de recherche en matière de politique. Le Comité de recherche en matière de politique a été créé en 1996 dans le cadre du projet 2005 mis sur pied par le gouvernement pour tenter de mieux comprendre l'environnement politique à moyen terme et commencer la planification en vue de la prochaine décennie.

Le comité avait pour mandat de préparer un rapport à l'intention des sous-ministres sur les principaux points qui devraient avoir une influence sur la société canadienne d'ici l'an 2005, compte tenu des tendances actuelles au niveau économique, démographique et social, et de faire des recommandations en ce qui touche le programme de recherche interministériel et le programme de travail sur les écarts au niveau des connaissances. Ce comité se subdivise en quatre sous-comités qui sont chargés d'étudier la croissance économique, le développement humain, la cohésion sociale ainsi que les défis et les possibilités globales. Un programme de recherche très ambitieux a été mis sur pied dans ce contexte.

Les deux hauts fonctionnaires responsables de ce travail sont MM. Alan Nymark et Jim Lahey. M. Lahey est parmi nous aujourd'hui. Il est sous-ministre délégué au ministère du Développement des ressources humaines et vice-président de la Commission de l'assurance-emploi. Il a entrepris sa carrière à la fonction publique en 1973 et a travaillé dans plusieurs ministères importants du gouvernement fédéral. De 1998 à 1999, il a occupé le poste de sous-secrétaire aux politiques intergouvernementales au Conseil privé. Il était auparavant au ministère du Développement des ressources humaines et a été nommé récemment sous-ministre adjoint de ce ministère. Il nous donnera aujourd'hui un aperçu des opérations dans ce domaine.

Je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que M. Lahey nous donne des détails sur les recherches qui sont en cours ou qui ont déjà été effectuées. Toutefois, il pourra très certainement nous éclairer sur la progression des travaux au cours des trois dernières années et nous confirmer que les conseillers du gouvernement se penchent sur les questions qui nous préoccupent tout particulièrement, par exemple les retombées sociales de la mondialisation des marchés et les progrès technologiques et sur les restrictions que cela entraîne pour les gouvernements.

M. Lahey a préparé un court exposé liminaire à notre intention, et par la suite, il répondra aux questions qui lui seront posées.

[Français]

M. James Lahey, sous-ministre délégué, Développement des ressources humaines Canada, coprésident, Comité de la recherche sur les politiques: Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation à comparaître devant votre comité. En ma qualité de coprésident, avec Alan Nymark, du projet de recherche sur les politiques, je suis enchanté de constater que le Sénat a décidé d'examiner de manière approfondie l'état de la cohésion sociale dans notre pays. Vous avez déjà reçu une gamme impressionnante de témoins, vous avez tenu des échanges très intéressants. Nous avons suivi vos délibérations avec un vif intérêt.

Vous avez reçu et entendu les exposés de mes collègues Michael Wernick et Thea Herman, coprésidents du réseau de la cohésion sociale du PRS. Vous connaissez sans doute le rapport sur la cohésion sociale intitulé: «Ranimer l'espoir et investir dans l'avenir», qui vient d'être complété. Je vais m'efforcer de limiter autant que possible la répétition des informations que vous avez ainsi obtenues. Permettez-moi de formuler quelques observations générales sur la question de la cohésion sociale.

Ce qui m'a frappé pendant que j'examinais certains des témoignages que vous avez entendus, c'est la diversité des façons de voir et la gamme des questions qui ont été regroupées sous la rubrique de la cohésion sociale: de la répartition des revenus à la pauvreté, en passant par l'exclusion, la connaissance du civisme et la criminalité.

[Traduction]

La plupart de ces questions ne sont pas nouvelles pour le milieu qui s'intéresse aux politiques au Canada. Pour bon nombre de ces questions, nous disposons de connaissances étoffées sur les plans quantitatif ou qualitatif. Dans certains cas, tels que la pauvreté chez les enfants et le bien-être des autochtones, les tendances sont alarmantes. Dans d'autres, comme la criminalité et la pauvreté chez les personnes âgées au Canada, la situation est plus encourageante. Dans d'autres encore, comme les niveaux de générosité et de bénévolat ou bien l'accès aux technologies de l'information et des communications, il est difficile de formuler des constats avec certitude.

Le concept de la «cohésion sociale» a ceci de bon qu'il nous pousse à réfléchir aux interconnexions entre ces nombreuses questions sociales stratégiques distinctes et même, au-delà de cette dimension, aux liens entre la politique sociale d'ensemble et des objectifs économiques plus traditionnels. L'arrivée de la «cohésion sociale» sur la scène de la recherche sur les politiques traduit et encourage à la fois une plus grande prise de conscience de l'importance des questions liées à la politique sociale et des rapports qui les unissent à notre bien-être en général.

Le défi tout à fait propre à la cohésion sociale consiste à s'efforcer de comprendre les liens entre ces questions et la pondération à accorder à ses différents éléments constitutifs potentiels lorsqu'il s'agit de porter un diagnostic sur l'état et sur l'évolution de la cohésion sociale, ainsi qu'à en repérer les répercussions probables. Je suis persuadé que votre comité aura fort à faire pour décider de la façon d'appliquer ces facteurs. Cette démarche soulève des questions très difficiles. La recherche dans ce domaine est récente et elle a forcément un caractère multiministériel et multidisciplinaire.

La cohésion sociale ne suscite pas uniquement la curiosité intellectuelle des parlementaires que vous êtes. Au bout du compte, nous voulons déterminer ce que l'état de la cohésion sociale, et les tendances dans ce domaine, donnent à penser sur le plan des politiques. Quels sont les impératifs stratégiques en la matière?

Dans la plupart des cas, nous sommes encore loin de connaître les changements sur le plan des politiques que les préoccupations relatives à la cohésion sociale semblent exiger. Nous étudions toutes sortes d'hypothèses que vous avez certainement entendues aussi. Nous entendons dire par exemple que la cohésion sociale est en train de se désintégrer, que la cohésion sociale est menacée par la mondialisation, par la technologie et par la polarisation des revenus. Nous entendons également dire que les politiques peuvent amoindrir les disparités de revenus et d'autres menaces pesant sur la cohésion sociale et que la cohésion sociale est propice à la croissance économique.

Ce ne sont là que des hypothèses et non des faits établis. Certaines de ces hypothèses sont assez controversées. Est-ce que la cohésion sociale est vraiment en train de se désintégrer? On vous a soumis d'abondantes statistiques qui corroborent cette thèse à propos de la répartition des revenus et de la pauvreté, du faible taux de confiance dans les pouvoirs publics, et cetera. Je ne veux pas mettre en question la validité de ces éléments de preuve, ni les sous-estimer. Toutefois, je sais qu'on vous a également présenté diverses statistiques qu'on pourrait regrouper afin d'étayer une conclusion très différente. En guise d'exemple, contrairement à l'opinion largement répandue au sein de la population, la criminalité est en baisse au Canada. Les Canadiennes et les Canadiens comptent toujours parmi les peuples les plus généreux, qu'il s'agisse de leur argent ou de leur temps. Nos concitoyens sont fiers de leur pays, au vu de ce qu'on observe à l'échelle internationale. De plus, même si les taux de confiance dans les gouvernements sont faibles au Canada, la confiance en la démocratie demeure très forte chez nous.

[Français]

La démarche de repérage des éléments qui pourraient menacer la cohésion sociale au Canada est tout aussi controversée. Compte tenu des difficultés que les Canadiens et les Canadiennes ont vécues récemment -- une période très douloureuse d'équilibrage des budgets des gouvernements, une longue récession économique et une tentative infructueuse de réforme constitutionnelle -- il serait étonnant que l'état nerveux et la cohésion ne soient pas quelque fragilisés dans notre pays. Cela étant dit, comment faire pour distinguer les effets de ces facteurs historiques de tendances à long terme et des forces actuellement à l'oeuvre, sur lesquelles les politiques peuvent offrir l'espoir d'incidences réelles?

[Traduction]

Nous avons déjà tiré certaines conclusions. Vous vous souviendrez que Thea Herman en a mis en relief quelques-unes dans son exposé. En particulier, on reconnaît de plus en plus que les déterminants de la croissance économique et de la santé sont beaucoup plus complexes que nous ne le pensions à l'origine. Comme l'a fait remarquer Lars Osberg devant vous, il n'y a pas si longtemps il était généralement admis dans les milieux s'occupant des politiques qu'un compromis était inévitable entre la politique sociale et la politique économique, entre l'égalité et la croissance économique. La question qui se posait tait la suivante: quelle part des performances économiques sommes-nous disposés à sacrifier afin de mettre en place de bonnes politiques sociales?

On reconnaît maintenant que de judicieuses politiques et des programmes sociaux bien conçus sont des éléments nécessaires de la croissance économique. Comme vous l'avez appris au cours de certaines de vos séances antérieures, un nombre croissant d'études font apparaître une corrélative positive entre l'égalité, la confiance et d'autres manifestations de la cohésion sociale, d'une part, et de bonnes performances économiques, d'autre part.

Cela étant, il ne faut pas en conclure que toutes les politiques favorables à la cohésion sociale sont propices à la croissance économique. Nous devons nous garder de formuler des conclusions qui vont au-delà de ce que les éléments de preuve donnent à penser. Il existe toujours des compromis portant sur un éventail de politiques sociales ou économiques.

Le projet de recherche sur les politiques comporte une détermination renouvelée de fonder la définition de politiques sur de solides recherches. Nous voulons encourager l'attitude qui consiste à examiner d'abord les données empiriques disponibles avant de s'aventurer à formuler des options en matière de politique. Nous voulons de plus en plus entendre la réflexion suivante: D'accord, mais sur quoi vous basez-vous pour dire cela?

[Français]

Nous en sommes au début de notre démarche de compréhension de la cohésion sociale. Il nous faut faire preuve de sensibilité quant à l'origine de cette préoccupation à l'égard de la cohésion sociale à veiller à ne pas nous abandonner à la nostalgie en songeant à une époque révolue, marquée supposément par une situation plus réjouissante et par davantage de cohésion. Le Canada a changé et nous ne nous attendons pas à ce qu'il connaisse la même cohésion qu'il y a quelques décennies. Il importe que nous nous souvenions de ce que les sociétés caractérisées par la cohésion ne sont pas exemptes de conflits. Ces sociétés, au contraire, trouvent des moyens constructifs de gérer les conflits.

Le réseau de la cohésion sociale du PRS s'est donné une bonne définition provisoire, mais nous ne pouvons pas encore affirmer qu'elle fait l'unanimité. Nous n'avons pas encore dégagé de consensus sur les éléments clés de la cohésion sociale et sur la pondération qu'il convient de leur accorder dans notre démarche de diagnostic de la cohésion sociale au Canada.

Il nous faut comprendre beaucoup mieux les liens entre des thèmes comme l'inégalité, la connaissance civique, la confiance dans les gouvernements et la cohésion sociale. Il importe également que nous étoffions de beaucoup nos connaissances des liens unissant la cohésion sociale et les performances économiques.

Je suis tout à fait persuadé que les délibérations de votre comité contribueront à l'éclaircissement de certains de ces enjeux et affineront encore davantage les questions qu'il faut aborder afin de bien définir les contours de la cohésion sociale et ses incidences sur le bien commun dans notre pays.

[Traduction]

Comme vous le savez sans doute, vous n'êtes pas les seuls qui tentent de faire la lumière sur ces questions. De nombreux chercheurs, au Canada et à l'étranger, travaillent sur des questions qui sont directement ou indirectement liées à l'évaluation de la cohésion sociale et à sa pertinence du point de vue des politiques publiques. Vous avez déjà entendu un échantillon représentatif de ces chercheurs. Le Comité de recherche sur les politiques, en partenariat avec le CRSH appuie un certain nombre d'autres démarches de chercheurs par l'intermédiaire de son projet sur les tendances, certaines d'entre elles relevant de la cohésion sociale, par exemple le changement des valeurs, la différentiation sociale et la mondialisation. En outre, le CRSH a affecté un montant d'environ 10 millions, étalé sur six ans, pour la réalisation de recherches portant sur l'examen de la cohésion sociale à l'ère de la mondialisation.

Le présent exposé survient dans une conjoncture intéressante pour le CRP. Nos réseaux dans les domaines de la croissance, du développement humain, de la cohésion sociale et des défis et possibilités de la mondialisation, ont récemment achevé une mise à jour de la recherche, et les résultats devraient être inscrits sur notre site Web dans les semaines à venir. Dans cette foulée, nous avons dressé nos besoins sur le plan de la recherche et proposons trois nouveaux projets horizontaux dans les domaines du vieillissement, du développement durable et des aspects sociaux et économiques de la productivité.

Le dernier projet présente peut-être un intérêt particulier parce qu'il porte sur une des grandes conclusions du présent cycle de recherche: notre prise de conscience de plus en plus vive du lien entre les facteurs économiques et sociaux qui conditionnent le bien-être général de notre société. Nous espérons que cette démarche nous aidera à mieux comprendre les antécédents sociaux de la productivité et de la croissance économique, ainsi que les conséquences sociales des diverses méthodes de recherche de la croissance.

Le sénateur Butts: Vous avez parlé de quatre réseaux. Y a-t-il des gens différents qui s'occupent de chacun de ces réseaux?

M. Lahey: Ces réseaux sont présidés par des sous-ministres délégués différents. En outre, il y a deux coprésidents à la tête de chacun pour tenir compte de notre démarche qui se veut horizontale. Les participants actifs ne sont généralement pas les mêmes, bien qu'il y ait parfois certains chevauchements entre les réseaux. Par exemple, un certain nombre de gens qui travaillent, disons, dans le domaine du développement humain sont également actifs dans le domaine de la cohésion sociale. Il y a bien sûr des recoupements. Cela facilite en fait l'horizontalité.

Le sénateur Butts: Je trouve un peu curieux que la cohésion sociale constitue un élément isolé. Pour nous, la cohésion sociale est reliée à d'autres aspects. Par exemple, la croissance économique fait partie de notre cohésion sociale. Toutefois, vous avez établi une distinction et décidé de considérer la cohésion sociale comme étant un élément à part. Je trouve cela curieux.

M. Lahey: Comme le sénateur Murray l'a souligné au départ, ce projet a tout d'abord visé à définir les principaux points d'intérêt en prévision de l'an 2005. Ceci ayant été fait, nous avons décidé de poursuivre nos recherches plus loin. C'est alors que nous avons mis ces réseaux sur pied. Je ne dirais pas qu'ils ont fait suite à des recherches approfondies sur la réorganisation de la recherche, mais ils semblaient constituer des points d'intérêt suffisants.

Nous avons cru qu'il était important de charger un réseau de la question de la cohésion sociale parce qu'il y avait eu relativement très peu de travaux qui ont été faits dans ce domaine, tout particulièrement il y a deux ou trois ans, et nous devions nous pencher sur la question. Si nous avions combiné plusieurs sujets, nous aurions risqué de négliger certains aspects ou de ne pas y consacrer toute l'attention voulue. Je crois que les résultats que nous avons obtenus appuient nos conclusions, puisque l'étude de Michael Wernick et Thea Herman nous a permis par exemple de mieux comprendre la question globale et sa portée. Comme ils vous l'ont certainement expliqué, ils ont communiqué avec des collègues en Europe et ailleurs. Autrement dit, nous y avons consacré pas mal d'attention ce qui n'a sûrement pas été le cas partout ailleurs.

Le sénateur Butts: Nous parlons de mondialisation, de croissance économique et de cohésion. Je trouve extraordinaire que vous ayez pu tout compartimenter.

M. Lahey: Nous n'avions pas l'intention de tout compartimenter. Nous voulions recueillir les différentes pièces pour pouvoir les réunir par la suite.

Le sénateur Butts: Tout devrait donc finir par s'emboîter?

M. Lahey: C'est ce qu'on espère du moins.

Le sénateur Butts: Bonne chance. Vous dites à la page 4 que vous avez une bonne définition provisoire de la cohésion sociale. J'aimerais que vous la partagiez avec nous.

M. Lahey: On la retrouve dans l'exposé que Michael et Thea ont fait en octobre. La définition provisoire de la cohésion sociale qu'ils ont établie est la suivante. Je vais vous lire le texte:

[...] c'est un processus permanent qui consiste à établir des valeurs communes et des objectifs communs et à offrir des chances égales au Canada, en se fondant sur un idéal de confiance, d'espoir et de réciprocité parmi tous les Canadiens.

Je n'essaierai pas de vous convaincre que c'est la définition idéale. Je sais qu'il y en a plusieurs autres, mais celle-ci fonctionne pour nous.

Le sénateur Butts: Vous parlez donc de partage de valeurs entre les Canadiens. C'est là la clef semble-t-il.

M. Lahey: C'est exact.

Le sénateur Butts: C'est à peu près la même chose que ce que vous appelez les manifestations de cohésion sociale?

M. Lahey: Oui.

Le sénateur Butts: Je dirais que s'il y a partage de valeurs, il y a également partage de cohésion sociale. À la quatrième ligne de la page 4, je crois comprendre que vous dites qu'il y a déjà des signes de cohésion sociale si ces éléments existent déjà.

M. Lahey: Oui, le partage des valeurs permettrait de construire, encourager et renforcer la cohésion sociale. Mais je ne voudrais pas me restreindre au partage des données, et la définition ne le fait pas non plus. Il y a aussi d'autres éléments dont il faut tenir compte.

Le sénateur Butts: Au milieu de la page 3, vous établissez un lien entre les faibles niveaux de confiance et la pauvreté. Je ne vois pas très bien où est le lien. Le niveau de confiance n'est pas plus élevé chez les pauvres que chez les riches. Le niveau de confiance dépend beaucoup des médias. Les gens tirent tellement de renseignements des médias, et ils ne posent pas de question.

M. Lahey: Nous n'essayons pas d'établir des liens entre la pauvreté et le niveau de confiance. Nous disons tout simplement que ce sont là deux aspects qui sont reliés à la cohésion sociale.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Dans votre exposé, vous faites mention d'un rapport intitulé: «Ranimer l'espoir et investir dans l'avenir». Nous allons nous heurter à deux catégories de citoyens: les riches qui n'ont pas la nécessité de ranimer l'espoir et les gens dans la pauvreté, des gens qui n'ont plus d'espoir, qui ont perdu beaucoup d'intérêt dans la vie quotidienne parce qu'ils sont aidés par les gouvernements pour survivre.

Par quels moyens peut-on ranimer l'espoir et investir dans l'avenir? Les gens peuvent-ils être assurés que les gouvernements leur donneront les outils pour investir dans l'avenir et se rapprocher du groupe de citoyens qui ont l'argent, qui ont la sécurité économique et qui ont le pouvoir?

De plus, vous ne faites aucunement référence aux communautés culturelles. Vous avez dit que le Canada est une mosaïque de diversité. Si nous ne tenons pas compte de la complexité des besoins des communautés culturelles, nous retomberons encore dans deux groupes de citoyens bien distincts.

Nous avons, d'une part, ceux qui sont bien et qui ont fait fortune ici, et d'autre part, ceux qui n'ont pas eu les moyens de s'affirmer et de faire de leur nouvelle patrie une patrie de bien-être. Il y a beaucoup de facteurs impliqués. Je ne vois pas comment la cohésion sociale pourra survenir dans un avenir rapproché.

M. Lahey: Nous n'avons pas l'intention d'exclure la question des communautés culturelles. C'est au contraire une dimension importante. Je n'ai pas touché à toutes les dimensions dans mon introduction. Dans la présentation que Michael Wernick et Thea Herman vous ont faite, intitulée: «Approfondir notre compréhension des enjeux touchant la cohésion sociale», il y est mentionné l'exploration de la nature des liens entre les politiques culturelles, la citoyenneté et la cohésion sociale.

Je dirais même qu'au Canada nous avons de plus en plus une société variée, une société de cultures et d'allégeances multiples. Nous sommes légèrement à l'avance du reste du monde en trouvant un moyen d'unifier un peuple constitué de tant de groupes, de tant de traditions distinctes. Même si je n'ai pas insisté sur cela dans mes remarques d'introduction, je vous assure que c'est inclus dans le travail que nous effectuons.

Je vais probablement vous désappointer dans le sens que nous n'offrons pas de suggestions de politiques comme telles. Nous visons plutôt l'analyse des facteurs, des forces et des tendances. Dans le contexte de ce travail, il nous faut comprendre les implications, comprendre la réalité et le manque d'espoir qui peut survenir parmi les plus démunis de notre société. C'est une des choses pour lesquelles il faut approfondir notre connaissance.

Par exemple, une étude a démontré que dans certaines villes canadiennes telles Montréal, Winnipeg ou Québec, une augmentation dans des zones de recensement, entre le recensement de 1980 et celui de 1990, où la plupart des gens sont pauvres. Cela implique une certaine concentration géographique du phénomène de pauvreté. Quelles sont les implications? Nous pouvons les imaginer mais c'est une des tendances qu'il faut suivre car nous aurons dans un avenir assez proche le recensement de l'an 2000.

Cette tendance s'est-elle approfondie ou renversée? C'est peut-être frustrant mais c'est quand même la réalité; ce n'est pas notre tâche comme telle d'offrir des prescriptions de politiques.

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: J'aimerais en revenir à la page 6 de votre exposé. Nous avons beaucoup parlé de la définition de la cohésion sociale et certains de nos témoins ont leurs propres définitions qui sont particulières et assez intéressantes d'ailleurs. Je note dans votre exposé que le CRSH a affecté un montant d'environ 10 millions de dollars sur six ans pour la réalisation de recherches portant sur l'examen de la cohésion sociale à l'ère de la mondialisation. Comment comptez-vous effectuer cette recherche et qui chargerez-vous de la faire? Je pose cette question afin d'aider à préciser davantage ce que signifie réellement la cohésion sociale pour le public et pour tous ceux qui tentent de mieux comprendre la question.

M. Lahey: Je regrette de ne pas être en mesure de vous donner les détails exacts du programme du CRSH, mais je pourrais certainement obtenir ces renseignements et les faire parvenir au comité.

De façon générale, le CRSH invite des spécialistes, généralement des universitaires, mais pas toujours, à présenter des propositions de projets qui sont alors évaluées par des pairs, c'est-à-dire par des gens qui s'y connaissent dans des disciplines variées. Autrement dit, il attribue les projets au mérite, en se fondant sur le jugement des autres chercheurs. C'est là sa façon habituelle de fonctionner. Je présume qu'il en serait de même dans ce cas-ci.

Au lieu de rester fidèle à son programme de base, où les chercheurs présentent un sujet en vue de la sélection par concours, que ce soit dans le domaine de l'histoire ou des sciences sociales et humaines, le CRSH a indiqué cette fois le domaine de recherche qui l'intéresse. Il a donc prévu 10 millions à consacrer au cours des six prochaines années pour cette recherche.

Je profiterai de votre question pour expliquer le Projet sur les tendances. Il me semble important de le noter, parce que bien que l'approche traditionnelle au CRSH soit très efficace, elle a tendance à ne pas être très rapide. Les chercheurs font des propositions et ils ne savent pas avant un an ou plus s'ils auront l'argent dont ils ont besoin. Cela prend littéralement des années avant qu'un projet puisse démarrer.

Nous ne voulions pas prendre le contrôle de ses opérations, mais nous voulions encourager, de façon parallèle si l'on veut, un projet un peu plus souple. Le CRSH a accepté de se livrer à des essais en choisissant neuf sujets, par exemple le changement des valeurs et la différentiation sociale. Il a trouvé des chercheurs experts pour chacun de ces domaines. Il a publié des appels de propositions allant jusqu'à 10 000 $ sur son site Web.

Le CRSH s'attendait à recevoir une vingtaine de propositions, mais il en a reçu 200 ou même 300. Il a même dû faire un premier tri et faire des choix. Nous tiendrons une série de conférences tout au cours de l'année 1999 pour présenter les résultats de ces études. C'est là en effet un bon exemple qui permettra de faciliter le rapport entre les universitaires et les responsables des politiques sur des questions qui représentent d'importantes nouvelles tendances.

Ce ne sont là que quelques-uns des domaines. Toutefois, pour ce qui est plus précisément de ce que vous vouliez savoir, je suis persuadé qu'ils ont une brochure d'information qui contient ce genre de données. Nous pouvons en obtenir une copie pour le comité.

Le sénateur LeBreton: Vous parlez de partager des valeurs, de rallumer l'espoir et d'investir dans l'avenir. Ce sont tous là des objectifs réalisables et certainement très nobles, mais comment peut-on s'assurer que les gens ont des valeurs communes? Comment peut-on inspirer l'espoir? Je me pose beaucoup de questions sur la possibilité que des gens comme vous tentent de réunir leurs opinions sur un sujet précis et de présenter un rapport que la plupart des gens pourront comprendre et qui aura des conséquences directes sur les politiques gouvernementales à venir.

Vous avez parlé de vieillissement, de développement durable ainsi que des aspects sociaux et économiques de la productivité. Fait-on quelque chose de particulier pour notre population vieillissant et l'impact que cela a sur, par exemple, les familles, étant donné que les gens vivent plus longtemps, sur notre système de soins de santé et sur la société dans son ensemble?

M. Lahey: En un sens, le vieillissement n'est pas un fait nouveau.

Le sénateur LeBreton: Mais les gens vivent plus longtemps.

M. Lahey: Tout à fait. La proportion de la population d'une certaine catégorie d'âges augmente par rapport à la population dans son ensemble. Ce qui émerge, c'est un intérêt pour une évaluation plus complète et plus intégrée de l'incidence du vieillissement aux niveaux social et économique. Ces dernières années, l'Organisation de coopération et de développement économiques à Paris, dont le Canada est membre, a beaucoup oeuvré dans ce domaine.

Par ailleurs, on se préoccupe des effets financiers en matière de pensions de retraite par exemple, du coût des soins de santé et ainsi de suite. C'est une dimension, certes. Mais il y a d'autres dimensions -- pensons au marché du travail par exemple. Ces dernières années, on a observé une tendance à encourager implicitement les gens à prendre leur retraite tôt pour laisser la place à ceux entrent sur le marché du travail. Comme les travailleurs sont de moins en moins nombreux par rapport à la population, il est très probable que la société change de cap et se mette à encourager les gens à travailler plus longtemps. Pour ce faire, il faudra modifier notre façon de travailler. On peut envisager des pensions partielles et d'autres moyens de faciliter la transition vers la retraite, et voir ce que cela donne. Et puis il y a aussi des questions touchant le marché financier. Si une société a beaucoup de capitaux d'immobilisés dans les pensions, quels effets cela a-t-il sur le fonctionnement des marchés financiers? Il y a ensuite des questions de santé qui sont de nature éminemment scientifique.

L'OCDE commence à réunir tous ces éléments et à aborder la question non seulement sous l'angle du vieillissement proprement dit mais également en termes de transformations du cycle de vie. Peter Hicks, qui a été sous-ministre adjoint au sein de notre ministère et à Santé Canada, a beaucoup collaboré dans ce domaine avec l'OCDE, une fois à la retraite. Un peu à la blague, je dirais qu'au rythme où l'âge où l'on commence à travailler augmente et où l'âge de prendre sa retraite diminue, on pourrait en arriver à jour à se présenter pour la première fois au travail le matin et à prendre sa retraite l'après-midi. Bien sûr, ça ne peut pas marcher. Le fait est cependant qu'il nous faut rattacher tous les maillons de cette chaîne.

Santé Canada s'y emploie déjà, tout comme le ministère des Finances et notre ministère. Nous venons tout juste de nous atteler à la tâche. Pendant ce temps, le gros des baby-boomers auront 65 ans ou d'ici une dizaine d'années. Nous disposons encore un peu de temps pour nous pencher sur le dossier avant qu'un fort pourcentage de la population atteigne 65 ans.

Nous avons commencé à y travailler. Nous devons faire davantage. Nous lançons ce projet horizontal dans l'espoir d'encourager d'autres initiatives du genre.

Le sénateur Johnstone: Comment pouvez-vous dire à la fois que la confiance dans le gouvernement est faible et que la confiance dans la démocratie est grande? Par «gouvernement», entendez-vous vraiment les politiciens?

M. Lahey: Malheureusement, comme je ne suis pas actuellement en possession des détails précis de ces sondages, il se peut que ma réponse laisse un peu à désirer. Mais je serais heureux de trouver les données pertinentes et de vous les transmettre.

D'après les témoignages de gens comme Michael Adams par exemple -- c'est le nom qui me vient à l'esprit --, j'ai l'impression que tout indique que la méfiance est grande envers les politiciens, les dirigeants en général, les gouvernements en tant qu'institutions. Par contre, j'observe au sein de la population un profond attachement aux valeurs fondamentales de la démocratie.

Il se pourrait -- mais ce n'est là qu'hypothèse de ma part -- que ce profond attachement à la démocratie amène parfois des gens à se demander si les institutions gouvernementales reflètent vraiment leurs priorités. Je ne pousserais pas l'hypothèse plus loin et je m'engage à obtenir, avec l'aide de mes collègues, les enquêtes qui vont en ce sens et de vous les communiquer.

Le sénateur Johnstone: Vous ne voulez pas pousser l'hypothèse plus loin et nous ne vous y forcerons pas non plus.

Le président: Une indication possible c'est, bien sûr, le taux décroissant de participation aux élections fédérales, qui a presque atteint un record en 1997. Il a également été bas en 1993. Dans certaines provinces, il est si faible que cela est inquiétant.

Le sénateur Wilson: J'ai lu votre document, mais j'ai raté vos observations préliminaires. Je m'intéresse aux trois nouveaux projets horizontaux. Vous dites quelque part qu'il faut trouver des moyens de gérer les conflits de façon constructive. J'entends parler du conflit, parfois sur une base empirique, entre une population vieillissante et une population plus jeune, alors que les jeunes craignent de ne pas pouvoir bénéficier d'une pension quand viendra leur tour, se demandent comment ils vont pouvoir s'occuper de toutes ces personnes âges, s'inquiètent du fardeau que cela représentera pour eux. Tout cela crée beaucoup de ressentiment. Quel est votre avis?

M. Lahey: Je suis tenté de citer mon fils de 16 ans, qui a des opinions là-dessus, mais je m'en garderai bien.

Le sénateur Wilson: Allez-y.

M. Lahey: Nous essayons de rendre le conflit créatif dans le ménage. Ce n'est pas toujours facile.

La société abonde en points de vue contradictoires. L'astuce pour assurer une société saine, c'est de trouver une façon de les concilier dans un esprit positif. Bien des gens ont fait la remarque que la génération des baby-boomers, les gens qui sont nés entre la fin des années 40 et le début des années 60, la génération dite gonflée, avaient tendance à vouloir le beurre, l'argent du beurre et la crémière. Les écoles, c'est pour eux qu'on les a construites; on créait alors beaucoup d'emplois; ils bloquent toutes les promotions; et maintenant ils songent aux pensions. Cela suscite une certaine tension sociale.

C'est un vaste débat, et je me garderai bien de m'y engouffrer, mais permettez-moi de vous donner un exemple. Dernièrement, les gouvernements fédéral et provinciaux ont convenu de modifier les dispositions de financement pour le Régime de pensions du Canada. Leur objectif est de transférer une partie du fardeau dudit régime à la génération actuelle en augmentant les cotisations pendant que les baby-boomers travaillent encore. Cela aurait pour effet de remplir la caisse et d'accumuler les intérêts. Le taux projeté est actuellement de 9,9 p. 100. L'autre solution, selon les actuaires, serait de le porter à 13 ou 14 p. 100 et de faire payer une bonne partie de la note aux plus jeunes.

Voilà un exemple de créativité constructive dont on peut faire preuve face à ces conflits de générations.

On n'a pas assez consacré de recherches à la question des transferts entre générations. J'en conviens.

Le sénateur Wilson: Pas seulement les transferts financiers mais également la façon dont les provinces ont déchargé, par exemple, leurs services de santé, s'attendant à ce que les plus jeunes s'occupent des plus âgés quand ceux-ci rentrent de l'hôpital. J'ignore comment ça va se passer quand les jeunes vont être sur le marché du travail.

M. Lahey: C'est pourquoi les gouvernements commencent à s'intéresser à des mesures telles que les soins à domicile, histoire de combler le fossé.

Le sénateur Wilson: Qu'entendez-vous par «développement durable»? C'est une phrase à la mode.

M. Lahey: C'est une phrase à la mode. Il s'agit essentiellement de trouver un équilibre entre la croissance économique -- qui implique souvent la consommation de ressources et des incidences environnementales -- et la protection de l'eau, de l'air et des autres ressources sociétales. Comment y arriver concrètement, voilà qui n'est pas facile. Tout le monde sait qu'au moment de se préparer pour la conférence de Kyoto sur le réchauffement de la planète, le gouvernement fédéral et les provinces étaient loin de s'entendre sur la base analytique à adopter pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada. C'est ce genre d'incidents qui nous portent à croire qu'il faut nous efforcer de mieux comprendre ces phénomènes.

Un de mes collègues, qui travaillait au ministère de l'Environnement, disait que si on considère divers domaines spécialisés, la pollution par exemple, comme une pure discipline ou encore la croissance économique en soi, on a une bonne base de connaissances. Ce qui nous manque -- toujours l'horizontalité --, c'est un lien entre les questions de pollution et les questions de croissance économique.

C'est précisément le genre de recherche que nous voulons effectuer dans le cadre de ce projet axé sur le développement durable. Y participeront le ministère des Pêches et Océans, le ministère de l'Environnement et quelques autres ministères qui s'occupent des ressources naturelles.

Le sénateur Butts: Monsieur Lahey, je suis fascinée par le fait que vous ayez lu tous les rapports de ce comité.

M. Lahey: J'ai triché un peu, j'avais des résumés.

Le sénateur Butts: Nous avons entendu parler de M. Broadbent, qui vient juste de consacrer une vaste étude au secteur du bénévolat, aux oeuvres de bienfaisance et aux organismes sans but lucratif. J'ai ici les recommandations du rapport concernant la responsabilisation et les règles applicables. J'ai cru à un moment que le secteur du bénévolat était au coeur de la cohésion dont nous parlons, parce que ces gens-là sont animés d'une motivation spéciale et portent un intérêt spécial à leurs communautés. Toutefois, j'ai bien peur que beaucoup d'entre eux n'abandonnent la partie si nous adoptons ceci.

Le gouvernement actuel a raconté toutes sortes d'histoires et a désinvesti et voilà maintenant qu'il semble vouloir s'en prendre à ce secteur. Le gouvernement veut-il plus de cohésion sociale ou moins de cohésion sociale?

M. Lahey: Je n'ai pas lu le rapport de M. Broadbent. Je crois qu'en matière de recherche et de politique ce qu'on pourrait appeler la santé du secteur du bénévolat au sein de la société est un élément essentiel de la cohésion sociale. On évoque souvent le secteur du bénévolat et le travail qu'il accomplit en tant que société civile. Une des différences notables entre, disons, les pays de l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest ou l'Amérique du Nord, c'est que dans les pays où l'État s'occupe de tout mais où les citoyens ne manifestent aucun engagement envers l'État ou la société, la participation est très faible. Or, en Amérique du Nord, il y a tout un réseau souterrain d'activités qui réunit les gens.

En tant que parent qui s'implique dans le hockey de ses enfants, je suis étonné par la diversité des gens que l'on trouve à la patinoire. La plupart ne se parleraient entre eux s'ils ne fréquentaient pas la patinoire. Cela amène les gens à acquérir une meilleure compréhension des différents points de vue qui s'expriment dans la société. C'est cela aussi, la cohésion sociale. D'accord, on finit toujours par penser que les parents de l'autre équipe sont, pour une raison ou une autre, très étranges, ce qui peut aller à l'encontre de la cohésion sociale, mais cela ne dure pas.

Le sénateur Butts: C'est seulement dans un contexte athlétique.

M. Lahey: Oui, je plaisante.

Le sénateur Butts: C'est vraiment inquiétant que, par exemple, le conseil d'administration d'un groupe quelconque doive répondre à huit grandes questions s'il veut avoir droit à des subventions.

M. Lahey: Ai-je raison de croire qu'il s'agit pour l'instant d'une série de recommandations, et non pas une décision arrêtée?

Le sénateur Butts: Oui, il y a des décideurs qui sont d'avis que c'est bien. Je crains que le secteur du bénévolat ne soit effrayé par tous ces règlements.

M. Lahey: Vous évoquez là une question importante.

Le président: Monsieur Lahey, je voudrais paraphraser à votre intention une phrase tirée du rapport intitulé «Canada 2005 -- Défis et débouchés dans une économie mondiale: Projet de rapport intérimaire» de février 1997. Le rapport dit que la dichotomie traditionnelle entre la politique «économique» et la politique «sociale» était de moins en moins pertinente aux yeux des Canadiens et des gouvernements qui les servent.

Il y a beaucoup de gens à cette table -- qui sait? tout le monde peut-être -- qui répondraient «Bravo». Je vous invite à nous montrer comment votre programme de recherche reflète cette conviction.

J'ai l'impression à la lecture de la liste des projets de recherche en cours que les deux solitudes perdurent au sein du gouvernement, j'entends par là l'économique et le social. Je me pose la question suivante: Quand et comment vont-ils aller de pair?

Voudriez-vous expliquer comment cette dichotomie est résolue? Comment les aspects économiques et sociaux vont-ils être intégrés?

M. Lahey: C'est une vaste question, et vous avez raison de la poser. Je n'irais pas jusqu'à dire que nous avons résolu le problème, que nous avons parfaitement concilié les perspectives sociales et économiques dans notre travail. Ce n'est pas le cas. Vous avez raison, bien des projets en cours, notamment ceux qui touchent la croissance, s'inscrivent dans une perspective économiste passablement classique. Vous pouvez voir de nombreuses traces des dichotomies traditionnelles.

Cela étant dit, nous sommes en train de changer de culture. La réforme est en marche. Je vais vous donner quelques exemples des raisons qui m'amènent à penser que nous allons dans la bonne direction.

Avant la formation du Comité de la recherche sur les politiques, la vérité c'est que les ministères partageaient et comparaient rarement leur travail de recherche. Je n'irais pas jusqu'à dire jamais. Il n'y avait là aucun secret à protéger. On pouvait y avoir accès sans problème, mais aucune structure n'obligeait les gens à s'écouter les uns les autres.

Le sénateur Murray -- et d'autres sénateurs y étaient peut-être -- a assisté à notre conférence d'octobre où nous avions réuni de nombreuses personnes venant d'horizons divers. Ces gens sont, dans un certain sens, forcés de s'asseoir et d'écouter d'autres points de vue, ce qui les amène à commencer à se demander comment les choses sont entremêlées. C'est le genre de structure qui va dans la bonne direction.

L'illustration particulière que je signalerais, et qui en est encore au stade de la conception, est ce projet horizontal portant sur les aspects économiques et sociaux de la productivité. À l'origine il devait s'agir de se pencher sur la planification de la productivité, mais un certain nombre de personnes compétentes présentes à la table ont fait valoir que la question ne pouvait pas être réduite à une relation intrants-extrants dans le milieu de travail. Ce sont des enjeux plus profonds, notamment dans une économie fondée sur le savoir, où le capital humain, c'est-à-dire le savoir de chacun, est un facteur critique. Cela a également un lien avec d'autres questions comme l'éducation des enfants et la transition entre les études et le marché du travail.

Le milieu familial et le milieu communautaire dans lesquels vous vivez sont également des facteurs déterminants dans le développement de certaines capacités humaines. Le débat avait cours un peu partout. Donc, il nous fallait articuler le projet autour des aspects économiques et sociaux de la productivité. Nous n'avons pas encore esquissé le programme de recherche. Nous le ferons au cours des prochains mois. Ce ne sera pas facile. Le fait est que l'économique offre des constructions analytiques complètes et que les personnes qui ont reçu cette formation commencent à se sentir mal à l'aise quand ils s'éloignent des paradigmes familiers. Même dans ce domaine on commence à percevoir des changements. L'approche traditionnelle axée sur la modélisation ne tenait pas compte de facteurs tels que le capital humain. Elle avait tendance à restreindre le capital à l'équipement et à la main-d'oeuvre. Vous constaterez maintenant que même les spécialistes de la croissance, les gens du ministère des Finances, les gens de l'industrie parlent de ce qu'on appelle les modèles endogènes qui intègrent des facteurs -- le savoir humain par exemple -- qui peuvent modifier les résultats. Même dans les modèles à caractère économique on commence à intégrer certains de ces facteurs. Nous dirions qu'il y a un contexte plus large et que les questions telles la confiance et la cohésion sociale sont importants. Nous devons y travailler ensemble.

Nous ne sommes pas les seuls engagés dans cette lutte. Ainsi, les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, qui collaborent avec nous, luttent pour ce genre de questions. Je puis vous dire que bien des participants au Projet sur les tendances luttent pour ces questions. Donc, nous ne sommes pas seuls.

Le président: J'ai parcouru la liste des projets de recherche en cours. Un document pose la question suivante: quel est le taux naturel du chômage? C'est une vieille question à laquelle diverses réponses ont été apportées au fil des ans. Je crois savoir que dans les documents budgétaires d'il y a deux ou trois ans on laissait entendre assez clairement que 8 p. 100 était un taux naturel du chômage. Il y a deux projets de document portant là-dessus -- ils sont probablement réalisés au moment où nous parlons -- un par le ministère des Finances et l'autre par votre ministère. J'imagine qu'ils ont dégagé des perspectives différentes; je n'ai pas vu les documents. J'imagine qu'on peut les obtenir si on en fait la demande.

M. Lahey: Oui.

Le président: Ces deux auteurs ont-ils été invités à se réunir et à se pencher sur les diverses perspectives afin d'élaborer une définition ou une analyse de ce problème, ou bien est-ce que je vous demande trop de détails?

M. Lahey: Vous ne posez pas une question impertinente, mais j'ignore la réponse précise. Je pourrais voir de quoi il retourne et vous faire part des résultats.

Les études, si elles sont terminées, ont sûrement été rendues publiques et sont accessibles. C'est une bonne question et j'aimerais en connaître la réponse moi aussi. Je vais y jeter un coup d'oeil.

Le président: Ces deux ministères ont été invités à faire quelque chose pour expliquer pourquoi le taux de chômage est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis.

M. Lahey: Une conférence publique, en bonne partie financée par notre ministère mais organisée par le Centre canadien de l'étude des niveaux de vie, a eu lieu il y a deux ans environ. Nous avons entendu parler des gens des États-Unis et du Canada, à la fois des fonctionnaires et des experts. On a délibéré là-dessus. Dans un certain sens, cette conférence avait pour but de réunir tout un ensemble de perspectives émanant des deux pays et de diverses disciplines. Je répète, c'est disponible et accessible.

Le sénateur LeBreton: Suivant votre scénario sur le taux naturel du chômage, qu'adviendrait-il si le ministère des Finances le fixait à 8 p. 100 et votre ministère, à 6 p. 100? Différents groupes d'intérêts, politiques et autres, retiendraient le chiffre qui leur convient le mieux. Qui les réunit et détermine sur quel chiffre ils doivent fonder toutes leurs politiques au moment d'élaborer la politique gouvernementale? Comment ces choses peuvent-elles être résolues?

Le président: Vous devriez lui dire qu'elle connaît autant que vous la réponse à cette question?

M. Lahey: C'est vrai. Ces choses ont tendance à se résoudre au niveau du Cabinet.

Le président: Vous avez abordé la productivité, monsieur Lahey, dans un contexte intéressant. Vous avez dit que certains travaux ont été consacrés aux aspects sociaux et économiques de la productivité. Dans un des documents que le CRP a publiés, on parle des deux notions distinctes de la productivité. Judith Maxwell a parlé et écrit là-dessus. La première notion concerne la minimisation des coûts, vise le court terme et s'est traduite par des licenciements et de nombreux problèmes sociaux, comme le chômage, surtout chez les jeunes. Elle accentue l'insécurité économique chez les Canadiens et a suscité une tendance à la polarisation des emplois et des revenus.

La deuxième notion de compétitivité vise à permettre à long terme à une société de générer la croissance économique et le bien-être de ses citoyens. Le thème dominant est l'investissement dans le capital humain et social.

Dans un document précédent, le comité a dit qu'on sait peu de choses du rôle des programmes sociaux sur les décisions relatives à la destination des investissements et qu'on pouvait soutenir que certains programmes gouvernementaux offrent des avantages à l'égard des coûts, alors que d'autres peuvent offrir un avantage comparatif. Le comité a dit que, par conséquent, des programmes bien conçus peuvent offrir des avantages et servir à attirer des investissements.

Si on poursuit, va-t-on mettre en question la pertinence des mesures traditionnelles de la productivité et de la compétitivité par exemple? Dites-moi ce qu'on fait à égard, si on fait quelque chose à cet égard.

M. Lahey: On a déjà commencé à faire beaucoup de travail concernant les mesures des résultats. Ainsi, une des idées-maîtresses du cadre d'union social qui a été récemment approuvé par neuf provinces et le gouvernement fédéral est précisément de promouvoir l'évaluation des résultats des programmes sociaux.

Il y a un élément d'analyse fascinant appelé l'index de la santé sociale.

Le président: Si vous envisagez sérieusement la deuxième notion de compétitivité ou de productivité, si vous préférez, qui consiste à investir davantage dans le capital humain, quel lien va-t-on faire avec les notions traditionnelles de compétitivité et de productivité?

M. Lahey: Un exemple, qui était implicite dans ce que vous avez lu, pour ne citer qu'un programme: le Canada bénéficie actuellement d'un avantage notable sur le plan strictement économique par rapport aux États-Unis parce que nous disposons d'un système de santé financé par le gouvernement central. Une des raisons pour lesquelles l'Ontario détient une part disproportionnée de l'industrie nord-américaine de l'automobile est qu'elle présente un énorme avantage sur le plan des charges horaires du fait que l'employeur n'a pas à payer l'assurance-maladie de ses travailleurs. Cela était vrai même quand le dollar canadien valait presque autant que le dollar américain. C'est un exemple classique, la preuve qu'une politique sociale perspicace, qui constitue un véritable facteur de cohésion, peut être très avantageuse sur le plan économique. Les économistes en sont bien conscients.

Le président: Voici une citation que la plupart d'entre nous trouveront assez inquiétante. C'est un extrait du rapport provisoire d'octobre 1996:

La trajectoire de croissance économique à moyen terme élaborée conformément aux hypothèses actuelles n'est pas suffisante pour permettre une réduction sensible du chômage ni un retour à une situation d'augmentation constante des revenus pour la plupart des Canadiens. Cela pourrait accentuer davantage la tendance vers l'inégalité des richesses et des chances chez les Canadiens et aggraver les failles décelées dans la cohésion sociale qui deviennent de plus en plus évidentes.

C'était en 1996. À votre connaissance, y a-t-il lieu de modifier ce qui a été écrit au sujet de la trajectoire de croissance économique à moyen terme?

M. Lahey: Au cours des deux dernières années, la croissance économique du Canada a été supérieure à que ce que nous avions prévu en 1996, mais les perspectives à long terme, c'est-à-dire la capacité de générer une prospérité suffisante pour être généreux, par exemple, demeurent problématiques. Quand nous nous comparons aux États-Unis, nous voyons que nous sommes toujours derrière nos voisins pour ce qui est du revenu moyen par habitant. L'écart n'a pas sensiblement diminué. Cela demeurera un problème. Cependant, on prévoyait que notre taux de chômage stationnaire serait de 8 p. 100 alors qu'il est maintenant de 7,8 p. 100. C'est même plus bas que cela et nous espérons que la tendance se poursuivra. Les résultats ont été plus satisfaisants que les prévisions, mais les tendances sous-jacentes continuent de nous inquiéter.

Le président: Vous nous avez été d'un grand secours, M. Lahey. Avant la fin de nos travaux, nous aurons peut-être l'occasion d'entendre les responsables du réseau sur la croissance.

La séance est levée.


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