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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 3 - Témoignages du 28 mai - séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 28 mai 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit à 13 h 34 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum.

Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité spécial sur les drogues illicites, que vous soyez ici ou que vous suiviez la séance à la télévision ou sur Internet.

Le sénateur Nolin n'a pas pu se libérer aujourd'hui. Il préside la séance du Comité des sciences et de la technologie consacrée à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Il m'a chargé detransmettre ses excuses aux témoins et à ses collègues du comité.

Cet après-midi, nous recevons les représentants del'Association canadienne des policiers et policières. Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Nous attendons votre exposé avec impatience. Nous apprécierions que vous parliez de vosantécédents et de vos activités professionnelles avant de passer à l'exposé proprement dit. Allez-y.

M. David Griffin, agent exécutif, Association canadienne des policiers et policières: Honorables sénateurs, je suis un ex-agent de police qui travaille pour l'Association, à son siège d'Ottawa. Je suis accompagné de deux membres de notre comité consultatif national des drogues illicites. Je leur laisserai le soin de se présenter eux-mêmes lorsque viendra leur tour de prendre la parole.

Un troisième membre de notre comité, M. Benoît Bélanger, n'a pas pu venir en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Son absence nous obligera à faire notre exposé en anglais uniquement. Nous essaierons toutefois de répondre à toutes les questions. Nous vous avons remis des exemplaires de la traduction française de notre mémoire.

L'Association canadienne des policiers et policières se réjouit d'avoir l'occasion de comparaître devant le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites. L'Association, qui est la porte-parole de 300 000 membres des corps policiers du Canada, fait la promotion de la sécurité communautaire en sensibilisant les Canadiens aux problèmes liés à l'application de la loi et à la justice.

Comme professionnels respectés et responsables del'observation de la loi et de la prévention du crime dans leur collectivité, les policiers canadiens, qui sont aux premières lignes, confèrent une perspective exclusive et importante à la question de l'usage des drogues illégales au Canada et de ses effets sur la sécurité collective.

Les policiers ne sont pas que des agents officiels du respect de l'ordre. Ils prennent un intérêt actif au bien-être de leur collectivité avant et après les heures de travail en tant que parents, bénévoles, entraîneurs, grandes soeurs et grands frères et chefs de file dans leur milieu.

Les policiers sont motivés par un désir marqué d'améliorer la sécurité et la qualité de la vie des habitants des collectivités canadiennes et de faire partager leur expérience précieuse du travail aux premières lignes. Nous faisons la promotion des politiques d'intérêt public reflétant les besoins et les attentes des Canadiens respectueux de l'ordre public et nous nous appliquons à faire en sorte que les enfants et les jeunes du Canada soient protégés du danger et de la destruction associés à laconsommation de drogues illégales.

Nous nous attendons à ce que les lois et stratégies canadiennes actuelles de dissuasion du recours aux drogues illégales tentent de marginaliser notre participation aux présentes discussions. On a laissé entendre que cette participation est liée, en quelque sorte, à un désir d'appuyer l'affectation de ressources policières aux programmes antidrogue. Nous démontrerons que rien n'est moins vrai. Nous démontrerons en outre que le Canada doit résister aux pièges que lui tend le lobby habile des drogues. Nous prouverons qu'en dépit de leur imperfection, les stratégies actuelles se sont révélées efficaces dans le contrôle de la propagation des drogues illégales au pays. Nous montrerons que la stratégie à long terme la plus efficace consiste à renforcer l'approche équilibrée de réduction de l'offre et de la demande tout en conservant les possibilités de réadaptation et de traitement.

M. Dale Orban, sergent-détective, Service de police de Regina: Honorables sénateurs, je suis actuellement affecté à l'Unité des crimes graves qui fait enquête sur les homicides et les vols à main armée. Je fais partie de la force policière de Regina depuis 20 ans. Avant cela, j'ai travaillé deux ans pour la Gendarmerie royale du Canada. J'ai une fille de 15 ans et je suis marié depuis 22 ans. Je suis actuellement secrétaire de la Regina Police Association.

Je voudrais à mon tour insister sur les dangers des drogues illicites. Les drogues ne sont pas dangereuses du fait de leur illégalité: elles sont illégales en raison des dangers qu'elles posent. Le concept des drogues douces et des drogues dures est dénué de fondement. Il n'existe pas de critères fondés de différenciation de ces définitions. Ceux et celles qui utilisent ces expressions ne saisissent pas la vraie nature de la drogue ou cherchent à adoucir les attitudes envers la consommation de certains stupéfiants.

D'une façon générale, la marijuana (cannabis) et ses dérivés sont décrits comme des drogues douces pour les différencier des préjudices connus associés aux autres drogues illicites. Cette approche, en dépit de ses dangers, fonctionne et contribue à l'incompréhension, à la désinformation et à l'accroissement de la tolérance à l'égard de sa consommation. La marijuana est une drogue puissante aux effets variés. Ses consommateurs sont sujets à divers problèmes de santé comme les lésions respiratoires, la réduction de la coordination physique, les préjudices à la grossesse et au développement postnatal, la réduction de la mémoire et des fonctions cognitives et divers effetspsychiatriques.

La consommation de marijuana est associée à la médiocrité au travail et en classe de même qu'aux problèmes d'apprentissage chez les jeunes. Elle est internationalement reconnue comme drogue d'introduction. Ses facteurs de risque d'assuétude sont comparables à ceux des autres formes de toxicomanie.

La conduite automobile dans l'état de stupeur que provoque cette drogue réduit le jugement et la coordination motrice. Dans une étude portant sur des pilotes d'avion, dix pilotes brevetés, 24 heures après avoir fumé un joint contenant 19 mg de THC, soit une dose relativement légère, se sont soumis à des tests en simulateur: tous les dix ont fait des erreurs à l'atterrissage et l'un d'entre eux est passé complètement à côté de la piste.

La communauté internationale en est venue à un consensus visant à placer la marijuana, tout comme les autres intoxicants, sous contrôle. Cette décision repose sur des preuves de sa nocivité pour la santé humaine et de son potentiel de création d'une dépendance.

Le déclin de la perception du risque propre à la consommation de drogue ainsi que de la désapprobation de la société envers cette consommation, de concert avec la perception d'une disponibilité accrue des drogues, se sont soldés par des taux accrus de consommation chez les étudiants du secondaire. Un accroissement de la dépendance et des problèmes de toxicomanie ont également été signalés chez les jeunes gens. La marijuana demeure la drogue illicite la plus consommée au Canada. La consommation d'alcool, bien qu'elle soit plus courante, présente beaucoup moins de cas de consommation problématique et de consommation fréquente que les drogues.

Les étudiants qui recourent à la drogue courent un plus grand risque d'en consommer de façon itérative et fréquente et d'en faire en peu de temps un aspect important de leur vie. Il est beaucoup plus probable que ces jeunes se présenteront en classe intoxiqués, participeront à des sports dans cet état et consomme ront de la drogue dès le matin.

M. Glen Hayden, détective, Section de contrôle des stupéfiants, Service de police d'Edmonton; vice-président de l'Association canadienne des policiers et policières: Honorables sénateurs, je suis détective spécialisé dans les drogues depuis sept ans. J'ai été membre de la section canine d'Edmonton; j'ai participé aux tournées de patrouille courantes et également fait partie de la Section des enquêtes criminelles. Je suis directeur de la Edmonton Police Association et je suis vice-président du Conseil d'administration de l'Association canadienne des poli ciers et policières.

La présente partie de notre exposé sera principalement axée sur les enquêtes sur la drogue et sur l'application des lois antidrogue. Le lien entre le crime organisé et le commerce clandestin de la drogue au Canada et ailleurs est indéniable. Le Canada a une réputation internationale de consommateur et d'importantfournisseur de marijuana et de méthamphétamine aux États-Unis.

Un cannabis canadien dont la puissance va croissant - et dont la teneur en THC est élevée - vient de faire son apparition sur le marché noir. En plus du cannabis et de la cocaïne introduits en contrebande depuis des pays comme le Mexique, il s'est également produit une hausse de la quantité d'héroïne ainsi introduite au Canada.

Le crime organisé, qui n'est pas souvent contrarié, prospère et ses membres se font de plus en plus crâneurs. Au Québec, 150 personnes, dont un enfant et deux gardiens de prison, ont été assassinées par des gangsters. Le journaliste Michel Auger a subi six blessures par balle lors d'une tentative de meurtre, des fermiers ayant refusé de cultiver du cannabis et des politiciens ayant mis à jour des activités criminelles ont reçu des menaces. Les manoeuvres de violence et d'intimidation se sont répandues dans tout le Canada, notamment les actes de violence et les menaces envers les enquêteurs et les autres membres de l'appareil judiciaire.

Le Canada ne participe pas et n'a jamais participé à la guerre à la drogue. D'après les statistiques, moins d'une accusation en rapport avec la drogue est portée par policier canadien par année. Alors que les efforts d'application de la loi sont axés sur la production, le trafic et l'importation de drogue, les accusations de possession simple sont ordinairement portées à la suite d'enquêtes sur d'autres délits.

Les policiers et les membres de l'appareil judiciaire s'en remettent souvent, dans le cadre législatif existant, à des moyens substitutifs dans le cas des jeunes contrevenants, des délinquants primaires et des infractions mineures comme la possession simple. Les jeunes qui sont trouvés en possession de petites quantités de cannabis et sont des délinquants primaires sont souvent l'objet d'avertissements, de mesures de remplacement ou de programmes de déjudiciarisation. Le nouveau projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents renforce cette approche.

Les poursuites pour délits mineurs - et notammentpour accusations de possession de marijuana - se font par condamnation sommaire et se soldent généralement par une absolution inconditionnelle ou conditionnelle, la condamnation à des services communautaires, des sentences conditionnelles ou des amendes.

Ces contrevenants sont rarement, voire jamais, incarcérés. Les contrevenants condamnés ont le droit de demander le pardon s'il ne s'agit pas de condamnations au criminel. La peined'emprisonnement est réservée aux personnes qui ont commis des infractions graves et aux multirécidivistes.

L'approche du Canada à l'égard de ce genre de délit n'est pas assez stricte et la plupart des jeunes se moquent de nos pratiques actuelles. Cette situation renforce le désir d'insister sur les conséquences importantes qui dissuadent de consommer de la drogue. Les effets des efforts de l'Agence canadienned'application de la loi sont réduits par l'appareil judiciaire.Les coupables de crimes graves, comme les trafiquants, les importateurs et les producteurs de drogue, ne reçoivent que des sanctions légères, ou pas de sanctions du tout, et il est difficile de les décourager de reprendre leurs activités illicites. Les corps policiers font face depuis dix ans à des contraintes financières et leurs efforts sont limités en conséquence. La tolérance perçue des chefs de file de la collectivité, à l'inclusion de députés, de sénateurs, d'éditorialistes et même de certains chefs de police, envers la consommation de drogue contribue à l'élévation des seuils en ce qui concerne les enquêtes, les arrestations, les poursuites, les condamnations et les sentences. En bout de ligne, l'efficacité des programmes d'application de la loi et des stratégies de prévention des toxicomanies sera proportionnelle auxressources et à la détermination que nous y mettrons.

M. Orban: Nous examinerons maintenant les efforts de libéralisation déployés à l'étranger. Les preuves que lesexpériences de libéralisation de divers pays ont eu desconséquences néfastes sont accablantes. Dans de nombreux pays d'Europe occidentale, la dépénalisation de la possession de petites quantités de cannabis pour usage personnel a eu lieu ou a été mise en oeuvre par voie d'usage. L'étude de ces expériences indique nettement que des politiques laxistes avivent le désir et la consommation de drogues illicites. Il n'y a pas à s'étonner de constater que la tolérance envers la consommation de drogues a eu un effet directement proportionnel de hausse de l'offre et de la demande. La disponibilité des drogues a augmenté en Europe. Dans plusieurs pays, la prévalence et la hausse de la disponibilité de stimulants de type amphétamine ne cèdent le pas qu'à l'intoxication au cannabis.

Dans les pays qui ont adopté des politiques laxistes envers la consommation, les crimes violents et les activités criminelles organisées ont augmenté en proportion du commerce de la drogue. En Europe, les pays où il y a eu dépénalisation ont le taux le plus élevé de consommation de drogues illicites par habitant. La Suède, à l'inverse, qui a opté pour une politique de refus social et d'interdiction des drogues, a l'incidence de toxicomanie la plus faible de l'Union européenne. Ses expériences de politiques laxistes des années 60 et 70 ayant échoué, la Suède a conclu que la consommation de drogues était reliée à l'offre et à la demande.

Selon les autorités suédoises, lorsque les drogues sont faciles d'accès et que la société ferme les yeux, le nombre de personnes qui en font l'essai augmente. Quand les drogues sont difficiles à trouver et qu'il existe un danger d'arrestation, ce nombre diminue.

L'Alaska est un autre exemple de l'échec de la libéralisation. De 1980 à 1990, la consommation et la possession de haschisch ne constituaient pas là-bas une infraction criminelle. Au cours de cette période, l'intoxication au haschisch, particulièrement parmi les adolescents, a monté en flèche. En 1988, la proportion des fumeurs adolescents de haschisch alaskiens représentait le double de celle des autres États américains. En 1990, la mesure de dépénalisation a été abrogée par référendum.

La réduction des préjudices est devenue le point central des stratégies de plusieurs pays d'Europe occidentale et a débordé dans d'autres pays. À l'insu de la majorité de ses citoyens, le Canada est aussi passé de mesures visant l'élimination de la drogue à l'approche de réduction des préjudices. Ce mouvement s'est fait de façon progressive et discrète et les Canadiens, pour la plupart, n'ont pratiquement pas ou pas du tout eu l'occasion de donner leur avis. L'Association canadienne des policiers et policières se préoccupe vivement des messages contradictoires et propices à la confusion que reçoivent les jeunes, eux qui sont les cibles premières des trafiquants. Les gouvernements jouent un rôle critique et légitime dans l'établissement de lois et de politiques définissant les normes comportementales et les attitudes de la société. Des mesures législatives et d'application de la loi sont nécessaires aux stratégies proactives de dissuasion de comportements qui placent les jeunes dans des situations dangereuses.

Le succès des mesures législatives sur le port de la ceinture de sécurité indique que les stratégies législatives sont efficaces dans l'appui au changement de comportement. Avant que de telles lois n'entrent en vigueur au Canada, un total estimatif de 15 à 30 p. 100 des Canadiens seulement bouclaient leur ceinture. De nos jours, plus de 90 p. 100 d'entre eux le font.

Ces résultats illustrent l'influence que peuvent exercer des mesures législatives externes au secteur de la santé sur la santé des Canadiens. La crainte d'être arrêté et de subir de lourdes conséquences fait également partie intégrante des stratégies fructueuses de réduction de la conduite avec facultés affaiblies au Canada.

Bien que la lutte en vue de l'élimination de la conduite sous l'influence de l'alcool puisse ne pas être promise à une victoire totale, il ne subsiste aucun doute quant au fait que ces stratégies soient parvenues à modifier les comportements et à réduire les risques. Des exemples d'initiatives comparables d'amélioration de la sécurité routière comprennent les lois régissant le port du casque de sécurité à bicyclette et en motocyclette, les arrêts complets en présence d'autobus scolaires et la sécurité nautique. Nous déterminons le succès par le niveau d'engagement soutenu envers les programmes combinant la conscientisation de la population, l'éducation du public, les dispositions législatives, les mesures d'application de la loi et le traitement.

M. Hayden: Nous tenons à vous avertir de nos préoccupations en ce qui concerne le coût de la libéralisation en matière de drogue. Les statistiques canadiennes montrent clairement que ce que le Canada dépense en contrôle de l'alcool et du tabac représente plus de 13 fois son investissement dans le contrôle des drogues. L'application des lois sur les crimes relatifs à l'alcool coûte plus de trois fois plus que celle des lois sur les drogues. Les coûts directs en soins de santé relatifs à l'alcool et à la cigarette sont 50 fois plus élevés que ceux des drogues illicites. Les coûts de l'application des lois sur les drogues, à l'inclusion des tribunaux, du système correctionnel et de la protection des frontières, ne représentent plus que 2 p. 100 des coûts totaux relatifs à l'alcool, au tabac et aux drogues illégales.

Les coûts relatifs aux drogues illicites sont moins élevés à cause d'un usage moins répandu. La dépénalisation et le laxisme feront sensiblement augmenter la consommation et l'abus; les coûts en soins de santé, en prévention, en perte de productivité et en mesures d'application augmenteront proportionnellement. Une stratégie équilibrée de contrôle des drogues n'éliminera pas entièrement la consommation mais elle sera économique et profitable à la société car elle recourra à la prévention et à la dissuasion. Les ressources disponibles pour la prévention, le traitement et la réadaptation doivent être axées sur les individus qui sont les plus exposés et qui en ont le plus besoin.

M. Griffin: Il existe un corpus important d'indications prouvant que les tenants de la dépénalisation cherchent à normaliser la consommation de stupéfiants par la promotion de la dépénalisation, de la légalisation et de principes comme la réduction des préjudices de préférence aux stratégies de réduction de l'offre et de la demande. Pourtant, l'approche équilibrée du Canada envers la consommation de drogue continue d'avoir des effets positifs d'importance. Il ne faut pas perdre de vue le fait que, dans leur très grande majorité, les Canadiens n'ont jamais consommé de drogues illégales de leur vie. Ce sont hélas les membres les plus jeunes et les plus vulnérables de la société qui courent le plus de risques. Les membres d'organisationscriminelles continuent de viser les jeunes comme principal marché pour la vente des drogues illégales au Canada.

Le Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime des Nations Unies a proposé une approche de prévention à cinq volets: le premier consiste en une hausse de la conscientisation, le deuxième est une réduction de la demande, le troisième est la fourniture d'informations exactes, le quatrième est une restriction de l'offre et le cinquième, un renforcement des contrôles.

La réduction de la demande est au c9ur de la prévention. Si on laisse entendre aux jeunes que la consommation de cannabis est inoffensive ou peut être sécuritaire, alors même qu'une abondante documentation scientifique prouve le contraire, on manque de cohérence. Au cours des diverses assemblées générales annuelles de l'Association canadienne des policiers et policières, nos délégués nationaux ont adopté à l'unanimité des résolutions en faveur d'une approche équilibrée à l'usage de drogues illicites au Canada.

L'Association canadienne des policiers et policières s'opposera vigoureusement aux efforts de dépénalisation de la possession de drogues illicites, sauf dans les cas où elle sera admise, c'est-à-dire ceux où les drogues feront l'objet d'ordonnances légitimes à des fins médicales. Des services de traitement et de réadaptation devraient être accessibles aux toxicomanes.

Il est temps pour les leaders de la société de s'engager dans le débat. Ces leaders devraient être des figures de proue de la collectivité qui offriront des modèles positifs aux jeunes, sensibiliseront davantage la population quant aux préjudices causés par la consommation de stupéfiants et mettront un terme à l'érosion de l'opinion publique consécutive à la désinformation et à l'intérêt personnel. Nous nous devons de renforcer notre approche équilibrée de compréhension des conséquences lourdes et proportionnelles des crimes graves, combinée à des mesures de renforcement des comportements souhaitables chez les jeunes gens.

Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de présenter notre mémoire; nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le vice-président: Avant de passer à la liste des questions, je tiens à signaler que nous n'avons pas reçu d'avance d'exemplaire de votre mémoire, ce qui nous désavantage pour la discussion. Je vous prie par conséquent de nous excuser si nous semblons manquer de souplesse dans nos opinions. La coutume veut que nous recevions les mémoires assez longtemps d'avance pour être bien informés et les faire traduire afin de pouvoir discuter en connaissance de cause.

Nous n'avons pas reçu les données sur les pratiques et les expériences policières, notamment sur les méthodes d'enquête et les services, que nous avions demandées. Êtes-vous au courant de cette demande?

M. Griffin: Non.

Le vice-président: Est-ce quelqu'un peut donner desexplications plus précises sur la nature des demandes qui ont été envoyées et sur l'information que nous n'avons pas encore reçue?

[Français]

M. Daniel Sansfaçon, recherchiste: À titre de directeur de recherche pour le Comité spécial sur les drogues illicites, j'ai eu des contacts avec les représentants des communications de l'Association canadienne des policiers et policières.

La demande expresse adressée à l'Association était de nous soumettre une information à partir de l'expérience policière sur les méthodes d'enquête, les ressources consacrées aux drogues illicites et d'autres données pertinentes à l'expérience policière sur le terrain, au Canada. Cette demande avait pour but d'être en mesure de saisir la nature des enjeux que les drogues illicites présentent aux organisations policières.

[Traduction]

Le vice-président: Est-il possible de recevoir cette information plus tard?

M. Griffin: Je crois que vous trouverez dans notre mémoire de l'information sur les pratiques canadiennes actuelles en matière d'application des lois. Je comprends que vous regrettiez de ne pas avoir eu notre mémoire d'avance. Ce retard est dû à un problème de logistique - nous n'avons pas pu nous réunir et nous le déplorons. Nous espérons que ce ne sera pas un handicap pour la discussion; si vous avez besoin de renseignements que nous n'avons pas donnés dans nos exposés, nous nous ferons un plaisir de donner suite à toute demande ultérieure.

Le vice-président: Ce serait utile, monsieur Griffin. Nous pourrions vous écrire pour demander de plus amples informations. Je suppose que vous êtes la personne à qui s'adresser. Seriez-vous disposé à revenir un autre jour si nous souhaitions obtenir des informations supplémentaires?

M. Griffin: Certainement.

Le sénateur Kinsella: Je remercie les témoins. La tâche que votre association et, bien entendu, vos membres accomplissent dans les diverses régions du pays, en tout temps, est appréciée par les Canadiens.

Vous avez parlé de guerre à la drogue dans votre exposé. Estimez-vous que le Canada devrait faire la guerre à la drogue?

M. Hayden: Je crois être le porte-parole de la plupart de nos membres en disant que nous ne nous considérons pas comme des guerriers. Nous ne sommes pas des guerriers et nous ne sommes pas des soldats; nous sommes des agents de la paix, et j'insiste sur ce dernier mot. Nos élus n'ont jamais déclaré la guerre à la drogue. J'ai entendu parler de guerre à la conduite avec facultés affaiblies, de guerre à l'analphabétisme et de guerre à la pauvreté, mais je n'ai jamais entendu parler de guerre à la drogue. Je crois que cette expression vient des États-Unis et a peut-être légèrement débordé sur le Canada. Il n'y a jamais eu de guerre générale à la drogue, à notre avis.

Le sénateur Kinsella: Votre association estime-t-elle qu'il faudrait déclarer la guerre à la drogue?

M. Griffin: Nous pensons que ce n'est pas une question de guerre parce que ce terme peut véhiculer des messages ambigus. Nous devons adopter une approche équilibrée et concertée. Il ne s'agit pas uniquement d'application des lois mais aussi de prévention, d'éducation, de sensibilisation du public et de la dénonciation systématique, par nos décideurs, des dommages causés par la consommation de drogues illicites au Canada. Nous estimons que, dans certaines régions, la répression devrait être plus sévère, mais la seule répression ne permettra pas de résoudre ce problème.

M. Hayden: Je pense que, lorsqu'on déclare une guerre, un budget de guerre doit accompagner cette déclaration. Il faudrait un budget astronomique pour se lancer dans une guerre comme celle que mènent les États-Unis, qui déborde de ses frontières. Je ne recommande pas une telle approche.

Le sénateur Kinsella: Pour nous donner une indication des sommes en jeu, pourriez-vous nous dire quelle est, d'après vous, la valeur approximative des drogues illicites en circulation au Canada à l'heure actuelle?

M. Orban: Je dirais plusieurs milliards de dollars. Cela ne fait aucun doute. L'Amérique du Nord consomme 66 p. 100 de la production mondiale de drogue. Nous sommes une société consommatrice de drogues. Pour l'Amérique du Nord, le coût a été évalué à environ 350 milliards de dollars. Il n'est pas possible d'évaluer le coût exact. La valeur des drogues en circulation au Canada est un facteur, mais leur coût pour les Canadiens en est un autre.

À la page 62 de la version anglaise du mémoire et à lapage 45 de la version française se trouve un graphique qui indique les coûts relatifs à la consommation d'alcool, detabac et de drogues illicites au Canada. En 1992, le coût se chiffrait à 7,5 milliards de dollars en ce qui concerne l'alcool,à 9,6 milliards de dollars en ce qui concerne le tabac et à 1,4 milliard de dollars en ce qui concerne les drogues illégales. Ces chiffres indiquent qu'en continuant à considérer les drogues comme illicites, on enraye l'augmentation des coûts. Ladisponibilité est la cause première de la consommation abusive.

Le sénateur Kinsella: À propos du graphique de lapage 45, est-ce que le montant de 1,4 milliard de dollars qui est indiqué représente le montant consacré à l'achat de drogues illégales?

M. Griffin: Il ne s'agit pas de données que nous avons établies nous-mêmes; elles sont extraites d'un rapport du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Elles datent un peu, puisqu'elles sont de 1992. Le tableau qui se trouve aux pages suivantes - 63 et 64 en ce qui concerne la version anglaise et 46 et 47 en ce qui concerne la version française - donne une répartition de ces coûts totaux. Il indique le coût direct des soins de santé, les pertes associées au milieu de travail, les coûts associés à l'aide sociale, les coûts de prévention et de recherche, les coûts directs d'application de la loi et les coûts de la perte de productivité.

Le sénateur Kinsella: Ne s'agit-il donc pas des coûts d'achat? Parlez-vous uniquement des coûts sociaux?

M. Griffin: Il s'agit effectivement du coût pour la population canadienne, c'est-à-dire des coûts sociaux.

Le sénateur Kinsella: Au Canada, les coûts sociaux se chiffrent à 1,4 milliard de dollars. Avez-vous une idée de la valeur des drogues consommées? Si nos coûts sociaux en soins et en traitements et les autres coûts analogues se chiffrent à 1,4 milliard de dollars, combien dépense-t-on au Canada pour acheter des drogues?

M. Orban: Nous n'avons pas de données à ce sujet et je ne sais pas qui pourrait en avoir étant donné que les prix fluctuent d'une région à l'autre. C'est une question d'offre et de demande. Quand la demande est forte et que l'offre est suffisante, les prix baissent; quand la drogue est plus difficile à obtenir, ils augmentent.

Le sénateur Kinsella: Dans le communiqué de presse daté d'aujourd'hui, dont un exemplaire se trouve sur la table derrière moi, on cite, au troisième paragraphe, la déclaration suivante, attribuée à M. Orban:

L'expérience des pays qui ont fait l'essai de la libéralisation des drogues montre que le crime, la violence et la consommation de drogues vont de pair.

Je voudrais que vous donniez des explications à ce sujet. Je sais que vous y avez fait allusion dans votre exposé.

Dans le communiqué de presse, on ajoute ceci:

Quand il y a légalisation des drogues, la consommation augmente, tout comme la demande de drogues chimiques et le taux de crime.

Pourriez-vous dire sur quelles données est fondé cecommentaire?

M. Orban: L'expérience sociale indique quand la drogue a été légalisée et les taux d'utilisation. L'expérience suédoise est probablement le meilleur exemple. La légalisation a eu des effets dévastateurs: la consommation a augmenté et le taux de criminalité a augmenté également. Le taux de criminalité a considérablement diminué lorsque la Suède a recriminalisé la consommation de marijuana et qu'elle a adopté une politique beaucoup plus stricte.

Au Royaume-Uni, Susan Kaplin, une agente de recherche de Liverpool - je ne pense pas que ce soit indiqué dans notre mémoire - a signalé une forte hausse de la criminalité dans les régions où toutes les drogues étaient accessibles sur ordonnance aux consommateurs.

En Hollande, plusieurs membres du gouvernement se sont plaints et ont même parlé de leur pays en l'appelant la «Colombie de l'Europe». Le chef du Parti démocrate chrétien hollandais a déclaré que la Hollande attirait les touristes amateurs de drogue et devenait un des pays où le trafic et la production de drogues illicites sont les plus intenses.

En mai 1999, la revue américaine Foreign Affairs Magazine a publié un article de Larry Collins intitulé: «Holland's Half-Baked Drug Experiment» (expérience hollandaise à demi mûrie). Dans cet article, l'auteur parle de cette politique qui n'est pas très efficace.

Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne les cas européens que vous avez cités, convient-il de faire une distinction entre la dépénalisation et la légalisation de la possession ou de la consommation de certaines drogues?

M. Orban: En Hollande, il s'agit de tolérance mais pas de légalisation.

Le sénateur Kinsella: Par conséquent, en disant «lorsque les drogues illicites sont légalisées»...

M. Orban: On aurait pu dire lorsque les lois sont libéralisées.

M. Griffin: Dans notre mémoire, à la page 45 de la version anglaise et à la page 32 de la version française, nous avons parlé des essais faits dans divers pays comme la Suède, la Hollande, la Suisse, l'Italie et l'Europe occidentale en général. Les résultats confirment les commentaires concernant non seulement la légalisation mais aussi la dépénalisation.

Le sénateur Kinsella: Quand on examine les documents qui ont été publiés à ce sujet, peut-on en conclure que c'est un des domaines de la politique sociale où la science est en retard - qu'il s'agisse de la science sociale ou de sciences plus exactes comme la science pharmacologique - et que, dans ce débat, on ne peut pas être très affirmatif.

Si j'ai bien compris, certains témoignages sont fondés sur une argumentation diamétralement opposée à la vôtre. Notre tâche consistera à recueillir les meilleurs renseignements possible auprès des témoins qui nous aident dans cette étude, afin de pouvoir faire des recommandations prudentes et judicieuses pour l'élaboration d'une politique canadienne. Cette question fait-elle l'objet d'un débat?

M. Orban: Oui, et on entendra des anecdotes et des données contradictoires. Au cours de mon étude, j'ai examiné les données les plus exactes possible et les plus récentes et j'en ai vérifié les sources. Je me suis également demandé qui avait financé ces études et quels en étaient les motifs. Par exemple, je me suis intéressé à des documents publiés par un service qui étudie les effets de la marijuana sur le système immunitaire.

Dans le cadre de ce débat, on entendra bien des arguments contradictoires. D'après plusieurs scientifiques, le tabac ne pose pas de problèmes et il ne faut pas être préoccupé par d'éventuels effets néfastes sur la santé. Certains scientifiques prétendent que la nicotine ne crée pas d'accoutumance. Dans un débat, on exprimera toujours des opinions de toutes sortes. Le tabagisme est probablement le domaine par excellence où diverses études sont financées par l'industrie. On peut faire dire ce qu'on veut aux chiffres.

Le sénateur Kinsella: Je considère que vous êtes des experts en matière d'application de la loi dans le contexte canadien. Nous apprécierions que vous nous parliez de la nature des crimes et des organisations criminelles qui tirent des profits faramineux du trafic de la drogue. Le sénateur Stollery en a fait mention dans une question qu'il a posée ce matin.

Y a-t-il, au Canada, une poignée de grands patrons qui oeuvrent dans les coulisses? Est-ce qu'au contraire le trafic de la drogue est dirigé de l'extérieur par des grands patrons qui ont des sous-fifres ici? Quelle est, dans notre pays, la dynamique criminelle en matière de distribution ou d'importation? Pourriez-vous parler de l'importation par rapport à la production totale, pour nous aider à comprendre la nature de la criminalité au Canada?

M. Griffin: Nous avons consacré un bref passage de notre mémoire à la drogue et au crime organisé au Canada. Ce passage se trouve à la page 38 de la version anglaise et à la page 27 de la version française.

Le trafic des stupéfiants est très lucratif pour le crime organisé. Il nous serait difficile de calculer le montant exact des profits du trafic des drogues illicites ou des dépenses faites pour leur achat. On peut obtenir ce genre d'information de diverses sources.

Nous avons cité quelques exemples qui indiquent que le Canada est non seulement un pays consommateur de drogues, comme nous l'avons déjà signalé, mais aussi un pays producteur. En Colombie-Britannique et dans le sud de l'Ontario, la culture de la marijuana pour l'exportation aux États-Unis a atteint des proportions inquiétantes. La fabrication de méthamphétamine aussi. Nous acquérons une réputation de consommateurs de drogues. Nos voisins du Sud sont également préoccupés par la production, au Canada, de drogues destinées à l'exportation vers d'autres pays.

Je voudrais parler à nouveau de l'Europe. Dans notre mémoire, nous citons les conclusions d'une étude qui a été faite en Suède. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que l'une des plus grandes préoccupations de la Suède est l'influence que les politiques d'autres pays d'Europe occidentale ont sur laconsommation de drogues et sur les efforts du gouvernement pour la restreindre. C'est indiqué à la page 50 de la version anglaise et à la page 35 de la version française de notre mémoire.

On conclut que, sur le plan culturel, la Suède a réussi à encourager la tolérance zéro à l'égard des drogues. Par contre, une des difficultés est que:

La croissance du trafic international des drogues et l'avènement prochain d'une Europe sans frontières, tout comme les tendances à l'ouverture des politiques des autres pays, soumettent la politique suédoise sur les drogues à des pressions croissantes.

Ce matin, lorsque nous avons fait publier notre communiqué de presse par le service de dépêches, un des premiers appels que nous avons reçus est celui d'un organisme suédois qui suit vos audiences. Les représentants de cet organisme ont dit qu'ils s'intéressaient à ce qui se passe au Canada parce qu'ils perçoivent notre pays comme un maillon faible en ce qui concerne la dépénalisation et l'adoption de politiques visant à exercer des pressions sur d'autres pays.

Le sénateur Kinsella: J'en étais justement à cette page-là du mémoire. Si nos collègues suédois sont particulièrementpréoccupés par la croissance du trafic international des drogues parce qu'elle a une influence sur la situation dans leur pays, quelles devraient être nos préoccupations à ce sujet? Est-ce que le trafic international qui préoccupe tant la Suède a une incidence plus néfaste dans ce pays qu'au Canada?

M. Griffin: Toutes les organisations criminelles internationales sont établies au Canada. Il est un fait certain que la criminalité internationale préoccupe les Canadiens. Les groupes criminels considèrent, dans une certaine mesure, le Canada comme un pays de refuge.

Sur le plan des politiques, nous n'avons pas le problème de pays voisins qui adoptent des lois plus laxistes en matière de stupéfiants. Nos voisins américains sont, au contraire, très stricts.

Notre difficulté, ce sont la longueur et le manque de protection de nos frontières, y compris de nos frontières maritimes. Cependant, la société canadienne n'est pas soumise à l'influence de pays voisins immédiats qui adoptent une attitude plus libérale que la sienne à l'égard des drogues.

Le sénateur Banks: À propos des commentaires du président, j'ajouterais que nous devons nous fier aux opinions, à l'expérien ce concrète, et aux connaissances anecdotiques et empiriques des experts. Nous devons nous baser sur les chiffres, même si on peut leur faire dire ce qu'on veut. Peut-être est-il bon de vous rappeler, par l'intermédiaire de notre président, de nous envoyer les données scientifiques et les études sur lesquelles vous fondez les commentaires qui se trouvent aux pages 6 et 7 de votre mémoire, dans le passage intitulé: «Enseignements tirés de l'expérience des autres pays». Vous pourriez peut-être nous faire parvenir les documents ou les références des documents sur lesquels vous vous fondez. Je m'excuse si cela est indiqué dans d'autres parties de votre rapport, mais je n'ai pas eu l'occasion de lire.

J'apprécierais que vous nous fassiez parvenir des exemplaires des études en question ou que vous nous en donniez les références pour que nous puissions les obtenir.

M. Griffin: Je crois que vous trouverez ces renseignements dans la partie que j'ai mentionnée. La première section, c'est-à-dire le sommaire qui inclut les pages 6 et 7, contient un résumé des informations que nous avons développées dans d'autres parties de notre mémoire. Ces commentaires sont appuyés sur des renseignements provenant d'autres rapports et d'autres organismes.

Si vous avez de la difficulté à obtenir un de ces rapports, nous vous y aiderons volontiers.

Le sénateur Banks: Est-ce que l'un d'entre vous peut répondre à la question suivante? Je m'adresserai d'abord à M. Hayden parce qu'il est de la même ville que moi et que les drogues illégales sont sa spécialité.

Vous avez mentionné dans votre mémoire - et je crois que c'est ce que nous avons tous compris - que le pire aspect du trafic de la drogue, à part le coût humain, est qu'il est très lucratif pour les organisations criminelles. Elles entassent littéralement les profits. On a tendance à en conclure - et c'est mon cas - que le prix des drogues, parce qu'elles sont illégales, est plus élevé que si elles étaient légales. Comme policier, n'aimeriez-vous pas que les profits du trafic des stupéfiants soient retirés des griffes des organisations criminelles?

M. Hayden: Vous trouverez peut-être la réponse à cette question à la page 50 de notre mémoire. Nous nous fondons également sur des chiffres. Nous nous basons sur les chiffres du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies et nous sommes certains que le graphique de la page 45 serait différent si les drogues étaient plus accessibles. Dans ce cas, ce sont elles qui représenteraient le plus élevé des coûts indiqués dans ce graphique.

Vous connaissez maintenant la situation à Edmonton où il y a un commerce privé de boissons à pratiquement tous les deux coins de rue. Le nombre de magasins est passé d'une dizaine à environ 200. L'alcool est en outre accessible dans tous les magasins de quartier.

Le sénateur Banks: La consommation a-t-elle augmenté depuis l'ouverture de ces magasins?

M. Hayden: Je n'ai vu aucune étude concernant la période qui s'est écoulée depuis la déréglementation, mais je sais que l'alcool est très accessible.

Le sénateur Banks: Je vous ai posé cette question pour vous faire parler de votre expérience personnelle. Vous avezcertainement déjà arrêté un homme qui avait un besoin insatiable de drogue. Pour le satisfaire, il avait dû entrer par effraction dans une pharmacie, briser des vitres et voler des radios dans une demi-douzaine de voitures. S'il pouvait obtenir toutes les drogues avec lesquelles il veut se piquer ou fumer pour 10 $ au lieu de 1 000 $ - j'exagère, mais vous voyez où je veux en venir - est-ce que cela n'éliminerait pas une bonne partie des crimes liés à la drogue?

Je ne parle pas du cannabis en particulier. D'une manière générale, ne serait-ce pas une bonne façon de supprimer ce commerce auquel le crime organisé a accès? Je parle de prohibition. Les États-Unis ont essayé la prohibitionentre 1920 et 1933 et cela n'a rien donné. Cela n'a fait qu'enrichir un grand nombre de malfaiteurs. Cela a en outre transformé en criminels un grand nombre de personnes qui ne voulaient que boire un verre.

Ne serait-il pas utile de prendre une initiative qui ferait que le crime organisé aurait beaucoup plus de difficulté à tirer des profits du trafic des stupéfiants?

M. Hayden: Je crois que le crime organisé continuerait à en tirer des profits. Le marché clandestin ne disparaîtrait pas.

Le sénateur Banks: Pourquoi?

M. Hayden: Parce que la concurrence ne disparaîtrait pas. Les gouvernements agiraient de la même façon qu'en ce qui concerne les cigarettes: ils imposeraient des taxes énormes sur ces produits. Tous les facteurs propices au développement d'un marché noir subsisteraient. Le marché noir est précisément la principale source de revenus du crime organisé.

À propos de la question du sénateur Kinsella concernant les sommes que cela rapporte, c'est un calcul impossible à faire. Je ne vois pas qui, à part peut-être un juricomptable, pourrait faire un tel calcul. Un juricomptable pourrait toujours essayer de faire le calcul d'après le mode de vie et d'après les sommes que l'intéressé a gagnées et cachées à la longue. Ce sont des chiffres difficiles à établir.

Ce que nous savons, c'est que le crime organisé a un budget absolument illimité en ce qui concerne les drogues. Nous ne pouvons pas obtenir des budgets semblables. Même si nous disposions de 1 million de dollars, ou même de 5 millions de dollars de plus, le budget des organisations criminelles resterait bien supérieur au nôtre.

M. Orban a parlé des opinions de l'agente de recherche de Liverpool, où les drogues étaient légalisées. Dans la périphérie de ces centres, la criminalité a augmenté en proportion. Que la drogue coûte 10 $ ou 50 $, les toxicomanes ont besoin d'argent et ils continueront de commettre des délits pour s'approvisionner.

Le sénateur Banks: C'est discutable parce que cela dépendrait du prix. Mais vous avez peut-être raison. Les drogues légales coûteraient peut-être plus cher que des drogues illégales et, alors, un marché noir se développerait.

M. Hayden: Les drogues ne sont pas très coûteusesactuellement. Pour vous citer des chiffres qui concernent le marché d'Edmonton - et les prix sont probablement à peu près les mêmes dans tout le pays - je dirais qu'on peut se procurer un demi-gramme de cocaïne - du crack ou de la cocaïne en poudre - pour 40 $. Selon le degré d'accoutumance, bien entendu, c'est suffisant pour une demi-journée ou deux ou trois heures. Bien que les drogues ne soient pas extrêmement coûteuses, la marge bénéficiaire reste énorme.

Le sénateur Banks: Ma question suivante concerne les statistiques: il y a les statistiques qui sont exactes et celles qui sont mensongères. On peut prouver ce qu'on veut avec des statistiques. Je consomme de l'alcool mais de façon extrêmement modérée parce que, lorsque j'avais 16 ans, j'ai essayé quelques verres de whisky et je me suis rendu compte que je ne trouverais jamais ça bon. Je sais que certaines personnes aiment ça. Cependant, je bois de l'alcool assez régulièrement. Je prends un verre de vin au souper deux ou trois fois par semaine. Je suis donc consommateur d'alcool. Il y a toutefois consommateurs et consommateurs d'alcool. Le même raisonnement ne s'applique-t-il pas en matière de drogues?

M. Hayden: Absolument. Il y a les consommateurs d'alcool et les alcooliques. Il y a les consommateurs de drogues et les toxicomanes. C'est différent. Les consommateurs occasionnels ne font pas d'accoutumance.

Le sénateur Banks: Pourquoi les met-on en prison?

M. Hayden: Je travaille dans le secteur de l'application des lois antidrogue depuis sept ans. J'ai 21 ans d'expérience dans la police et je n'ai pas vu un seul cas d'incarcération pour possession simple de marijuana. À ma connaissance, aucune forcepolicière n'a le temps ni le budget nécessaires pour traquer un consommateur de marijuana afin d'essayer de le faire incarcérer.

Le sénateur Banks: Vous avez parlé de la Suède. Ce matin, nous avons entendu parler de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, qui a son siège à Lisbonne. Cet Observatoire aurait dit - je signale qu'il s'agit d'information indirecte et que je ne peux pas citer de rapport - que la Suède est le pays d'Europe où le taux de mortalité lié à la drogue est le plus élevé bien que ce pays ait instauré un programme antidrogue très strict. Je n'en ai aucune preuve; c'est ce que j'ai entendu dire ce matin. Je me demande si vous en avez déjà entendu parler et si vous avez des commentaires à faire à ce sujet.

M. Griffin: Nous n'avons trouvé aucune information de ce genre dans les documents que nous avons examinés et, pourtant, nous en avons examinés beaucoup pour préparer cet exposé. Je dirais que la meilleure solution serait d'inviter quelques témoins suédois. Je sais que les Suédois s'intéressent à ce qui se passe ici.

Le sénateur Rossiter: Les personnes qui ont témoigné jusqu'à présent n'appuient pas la thèse de la drogue d'introduction. Vous semblez toutefois être un tenant de cette thèse.

M. Orban: Personnellement, j'en suis un fervent défenseur. Ce n'est pas qu'une opinion personnelle; j'ai également fait des recherches sur ce sujet. On a toujours laissé entendre que la consommation de cannabis ne poussait pas à consommer d'autres drogues.

Le Centre on Addiction and Substance Abuse de l'Université Columbia a fait une étude en 1994. Il a publié un rapport intitulé «Cigarettes, Alcohol, Marijuana: Gateways to Illicit Drug Use». D'après les conclusions de cette étude, un jeune de 12 à 17 ans qui a déjà consommé de la marijuana est 85 fois plus susceptible de consommer de la cocaïne qu'un autre n'ayant jamais pris de marijuana. D'après les statistiques publiées dans ce rapport, la corrélation est huit fois plus forte que celle entre le tabagisme et le cancer du poumon. Elle est 17 fois plus forte que celle entre l'exposition à l'amiante et le cancer du poumon, même si celle-ci a des conséquences dramatiques.

Si vous avez affaire à quelqu'un qui est en faveur de la légalisation de la marijuana, il va de soi que cette personne ne vous parlera pas de cela. Certaines personnes m'ont dit dernièrement qu'elles avaient fumé de la marijuana mais qu'elles n'avaient jamais pris de cocaïne. Je leur ai répondu que c'était tant mieux pour elles. Certaines personnes boivent de l'alcool et ne deviennent jamais alcooliques mais beaucoup le deviennent. Cette étude est fondée sur la recherche scientifique et pas sur mon opinion personnelle ni sur celle de quelqu'un d'autre. Il s'agit d'une recherche faite par l'université Columbia.

Le sénateur Rossiter: L'autre témoin qui n'appuyait pas la thèse de la drogue d'introduction pensait comme vous.

M. Orban: Je me base sur la recherche. Je suis agent de police, j'ai travaillé dans les écoles avec les enfants et je suis père d'une adolescente de 15 ans; aussi, je tiens à m'assurer, si le gouvernement compte rendre une autre de ces substances plus accessible, d'en connaître au moins les dangers potentiels.

En ce qui concerne le tabac, de nombreux scientifiques avaient affirmé qu'il n'était pas nocif. Nous récoltons maintenant les fruits de leur recherche. Ou bien cette recherche a été mal faite - et je ne suis pas scientifique - ou alors certains faits avaient été cachés dans le rapport.

Le sénateur Kinsella: Votre association a-t-elle changé d'avis sur cette question? En 1994, Jim Kingston, votre agent exécutif, a dit que se faire arrêter pour possession simple de marijuana devrait être l'équivalent d'une contravention pour excès de vitesse.

Est-ce toujours la position de votre association?

M. Griffin: Cela n'a jamais été sa position. Cette position n'est conforme à aucune des résolutions ou des prises de position adoptées par les membres de l'Association canadienne des policiers et policières.

M. Hayden: Je voudrais parler de dépénalisation avant qu'on ne passe à un autre sujet. On a dit que la dépénalisation serait peut-être la solution à adopter pour la possession simple de cannabis ou de marijuana. L'Association canadienne des policiers et policières pense que cet argument ne tient pas debout pour plusieurs raisons.

À l'heure actuelle, une enquête typique sur la drogue commence comme toute autre enquête. On prend des notes, on prépare des rapports puis le suspect est appréhendé ou arrêté. La personne qui est arrêtée fait l'objet d'une procédure. Des pièces à conviction doivent être saisies, entreposées en sécurité, traitées puis envoyées à l'analyse. À Edmonton, toutes les drogues saisies sont envoyées pour analyse au laboratoire de Santé Canada à Burnaby (Colombie-Britannique). Des certificats indiquant de quel type de drogue il s'agit sont renvoyés avec la pièce. Des avis d'intention accompagnent chaque pièce.

L'agent de la paix doit alors signifier, à l'accusé ou à son avocat, au nom du procureur, l'avis d'intention de produire le document à la cour. Lorsque l'avis est signifié, le ministère fédéral de la Justice intente les poursuites.

Je ne vois pas quel serait l'avantage de considérer la possession de marijuana comme l'équivalent d'une contravention pour excès de vitesse. Cette méthode ne ferait pas réaliser d'économies parce qu'il faudrait suivre les étapes que je viens de mentionner et le procureur du ministère fédéral de la Justice devrait toujours intenter des poursuites.

Le sénateur Kinsella: Vous avez dit tout à l'heure que vous n'arriviez pas à imaginer que quelqu'un aille en prison pour possession simple de marijuana.

M. Hayden: C'est vrai, mais on intente malgré tout des poursuites contre les contrevenants. Les jeunes contrevenants sont traités de diverses autres façons. Dans leur cas, on a recours à des programmes de mesures de rechange ou à des ordonnances de travaux communautaires. Les délinquants primaires adultes sont souvent traités de la même façon et les récidivistes qui passent devant un tribunal pour adultes sont souvent condamnés à une amende.

Le sénateur Kinsella: Est-ce que c'est le procureur de la Couronne ou le juge qui prend la décision?

M. Hayden: Oui.

Le sénateur Kinsella: Ce processus est ce qui garantit un traitement égal dans tout le pays. Les Canadiens peuvent-ils être assurés que le système est équitable et que la peine imposée à ceux et celles qui se font arrêter en possession de marijuana ne dépend pas de l'agent de police qui les arrête?

M. Griffin: Notre association peut être un des critiques les plus sévères du régime actuel, mais c'est probablement le meilleur système que nous connaissions. Nous sommes confrontés au même dilemme en ce qui concerne l'introduction par effraction et la conduite avec facultés affaiblies. Je suis certain qu'aucun des agents de police ici présents n'a jamais vu une personne être condamnée à une peine d'emprisonnement pour une première infraction pour conduite avec facultés affaiblies, pour introduction par effraction ou pour voies de fait simples. Cependant, nous ne pensons pas pour autant que ces délits ne devraient pas être inclus en droit pénal.

Comme nous l'avons dit dans notre exposé, le système de justice pénale est un facteur de dissuasion efficace en ce qui concerne la consommation de drogues illégales. Nous avons inséré dans notre mémoire un graphique comparatif concernant la consommation d'alcool et la consommation de drogues illicites. Moins de 25 p. 100 de la population s'abstient de boire de l'alcool alors que près de 93 p. 100 s'abstient de consommer de la marijuana. De nombreuses personnes ont consommé de la marijuana par curiosité à un moment ou l'autre de leur vie, principalement dans leur jeunesse, et d'autres personnes en ont consommé pendant un certain temps puis ont cessé. Nous pensons que la société doit faire comprendre très clairement aux jeunes que c'est une drogue dangereuse.

Santé Canada, l'Association médicale canadienne et le Institute of Health des États-unis considèrent la marijuana comme une drogue dangereuse. Tous ces organismes redoutent les problèmes d'accoutumance. D'après eux, la marijuana est plus dangereuse pour les jeunes que l'alcool et sa consommation présente beaucoup plus de risques. Étant donné que 93 p. 100 de notre population n'a pas d'accoutumance à la marijuana, pourquoi permettrait-on aux jeunes d'accroître leur consommation de cette drogue dangereuse?

Le sénateur Banks: Je m'excuse de vous interrompre mais, dans le graphique, il n'est pas question de dépendance, mais de consommation.

M. Griffin: C'est exact.

Le sénateur Kinsella: Vous avez parlé de dépendance et c'est différent.

M. Griffin: En fait, le pourcentage de personnes qui consomment des drogues et sont dans un état de dépendance est plus élevé que le pourcentage de personnes qui consomment de l'alcool et sont alcooliques.

Le sénateur Banks: Je suis d'accord. Je tenais seulement à m'assurer que ce soit clair pour le compte rendu. Vous avez dit que 93,6 p. 100 des Canadiens n'ont pas de dépendance à la marijuana. Cela ne signifie pas que 76,8 p. 100 des personnes qui consomment de l'alcool soient des alcooliques.

M. Griffin: En effet.

Le sénateur Kinsella: Je trouve vos dernières observations très intéressantes, surtout en ce qui concerne notre système.Pensez-vous que, malgré ses quelques failles, notre système puisse, pour l'essentiel, être conservé tel quel?

M. Griffin: Nous espérons que ce processus fera prendre conscience une bonne fois pour toutes des dangers de ces drogues, surtout de la marijuana, qu'il apportera une solution à ces problèmes et qu'il permettra d'établir une politique nationale axée sur la réduction de la consommation des drogues illicites, surtout chez les jeunes.

Nous estimons qu'il est possible de faire davantage d'efforts dans ce domaine. Comme nous l'avons dit dans notre exposé, nous pensons que la consommation de drogue chez les jeunes a augmenté au cours des dix dernières années. Nous pensons que c'est dû en partie au fait que les chefs de file de la collectivité ne leur ont pas transmis un message clair, indiquant que c'est une drogue dangereuse et qu'ils devraient éviter d'en consommer.

Au contraire, ils entendent dire que sa consommation devrait être dépénalisée et qu'il faudrait la considérer comme l'équivalent d'une infraction au code de la route ou comme un problème de santé. Dans l'esprit des jeunes, ces messages signifient que ce n'est pas grave. Bien que les parents ne tiennent pas à ce que leurs enfants consomment des drogues, nos dirigeants laissent entendre qu'il ne s'agit pas d'un problème très grave et que tous les Canadiens l'essaient un jour ou l'autre. À notre avis, ce n'est pas le genre de message à transmettre aux jeunes.

M. Orban: Je suis entraîneur de l'équipe de balle molle de ma fille. J'ai dans mon équipe des jeunes de 15 et 16 ans. Ils se demandaient pourquoi j'allais à Ottawa; je leur ai expliqué de quoi il s'agissait. Une jeune fille qui fréquente une école séparée de Regina m'a dit: «Que pensent-ils qu'il arrivera s'ils nous facilitent l'accès à la marijuana?» J'ai dit: «Je ne le sais pas. Quel est ton avis?». Elle m'a dit: «Un plus grand nombre d'adolescents se mettront à prendre de la drogue.» C'est une jeune de 16 ans qui m'a dit cela. Cela m'effraie beaucoup parce que le message qu'ils reçoivent c'est que, si le gouvernement donne son approbation, c'est que c'est correct. Si le gouvernementdépénalise la consommation, c'est que cela ne peut pas être très mauvais.

La conduite avec facultés affaiblies est une infraction que nous avons récemment décidé de ne plus tolérer du tout. L'alcool est la principale cause de décès d'enfants au Canada. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des citoyens à cause de la conduite avec facultés affaiblies. Par conséquent, nous mettons cette loi en application et imposons des peines très sévères; nous avons décidé de ne pas tolérer du tout l'alcool au volant.

Au cours des dix dernières années, l'attitude de la société a complètement changé à cet égard. Je ne vois pas pourquoi on répandrait le bruit que la consommation de marijuana est acceptable et ne comporte aucun risque, alors que nous avons mis aussi longtemps à découvrir que le tabac était très nocif.

M. Griffin: J'aurais un commentaire à ajouter au sujet de la conduite avec facultés affaiblies parce que c'est dans cette branche que j'ai passé une partie de ma carrière à la police. Je ne faisais pas uniquement de la répression. Il fallait que les gens sachent que, lorsqu'on rentrait chez soi en voiture après avoir bu, on avait plus de chances de se faire arrêter qu'auparavant. La majeure partie de mon travail consistait à sensibiliser le public, à faire de l'éducation, à faire de l'information sur les risques, sur les dangers et sur les conséquences de la conduite avec facultés affaiblies.

Nous avons tenu le même raisonnement en ce qui concerne la consommation de drogue. Il faut que les Canadiens sachent qu'il y a des conséquences et des risques. En les informant bien et en leur transmettant les bons messages, ils prendront les bonnes décisions.

Le sénateur Kinsella: J'ai été professeur d'université et j'enseigne encore à une de nos universités. J'ai l'impression que la consommation de drogue sur les campus a considérablement diminué depuis quelques années.

Au cours des années 60 et au début des années 70, quand on traversait un couloir de dortoir ou de résidence d'un campus canadien, il était difficile d'arriver à l'autre extrémité sans avoir le cerveau embrumé. Ce n'est plus le cas de nos jours. Trouvez-vous que le groupe d'âge chronologique des consommateurs de marijuana a changé?

M. Orban: Je ne le pense pas. La moyenne d'âge des premières expériences de consommation d'alcool enSaskatchewan était de 12 ans. Le groupe d'âge le plus étudié en ce qui concerne les drogues d'introduction, le tabac et l'alcool, est celui des jeunes de 12 à 17 ans. Ce sont les jeunes qui sont ciblés. On s'est débarrassé de Joe Camel, mais on laisse Budweiser faire de la publicité avec ses trois grenouilles. Or, ce sont les jeunes de cette tranche d'âge qui vont essayer. Ce sont ceux qui ne sont pas mieux renseignés que ça. Je ne fréquente pas beaucoup d'étudiants de 22 ans; je ne peux donc pas dire ce qu'ils font sur le campus. Cependant, je n'hésiterais pas à affirmer que les enfants voudront essayer de la drogue. Les jeunes qui font partie du groupe d'âge de 12 à 17 ans en consomment. Depuis que je suis agent de police, j'ai pu constater que l'on consommait beaucoup de drogue sur les campus. Je crois que les raves et la consommation accrue d'ecstasy au Canada sont des indices parfaits du degré de consommation de drogue au Canada.

M. Hayden: Une des raisons pour lesquelles on ne voit plus ça sur les campus est que, à cette époque, il n'y avait pas de programmes de prévention contre la drogue, et les personnes ici présentes qui sont à peu près du même âge que moi peuvent le confirmer. Je n'ai pas connu de tels programmes et je connais trois autres personnes assises à cette table qui n'en ont pas connu non plus. Je sais que la plupart d'entre vous n'ont pas connu de tels programmes lorsqu'ils ont fait leurs études secondaires.

Du début jusqu'au milieu des années 80, la plupart des services policiers, des groupes confessionnels et autres groupes d'action sociale ont mis sur pied de tels programmes. Dans l'Ouest, on a mis sur pied le programme DARE, vers la fin des années 80; il est maintenant implanté dans tout le pays. Les parents sont davantage sensibilisés qu'avant aux risques associés aux drogues. Mes parents ne m'ont jamais donné une leçon sur la drogue. Aucun de mes amis n'a eu de discussion sur la drogue avec ses parents. On nous faisait un sermon sur l'alcool mais pas sur les drogues. De nos jours, les parents sont mieux informés. J'espère que c'est une des raisons pour lesquelles on ne voit plus ce que l'on voyait dans les années 60 et 70. En effet, à cette époque, il n'existait pas de programmes de ce genre.

M. Griffin: C'est un mouvement cyclique; au cours des trois ou quatre dernières décennies, il y a eu des pics et des creux. À la page 17 de notre mémoire, nous signalons quelques tendances de la consommation. Nous sommes préoccupés par les études qui signalent que, depuis une dizaine d'années, la consommation a augmenté chez les étudiants de niveau secondaire ou même chez les enfants du niveau primaire. Je contredis peut-être M. Hayden, mais ce groupe démographique atteindra l'âge universitaire d'ici quelques années et les tendances sont très préoccupantes. C'est dans ce groupe d'âge que la consommation de drogues a le plus augmenté.

Le sénateur Banks: Aucun être sensé n'oserait contester que l'on a besoin de programmes plus efficaces et mieux financés pour informer les citoyens de tous âges, surtout les jeunes, des effets néfastes de la consommation abusive de drogues.

Monsieur Griffin, les questions que je vais poser concernent l'application de la loi et les efforts en matière de répression. Vous reconnaîtrez, je pense, que les États-Unis sont le pays du monde qui lutte le plus pour libérer la société du joug de la drogue et qui est le principal partisan de l'interdiction totale. Les États-Unis sont l'instigateur de la guerre aux drogues, comme ils l'appellent.

En 1997-1998, les autorités américaines ont saisi 1,7 tonne de drogues illégales, mais le nombre d'admissions dans des centres de traitement pour toxicomanes est passé de 20 000 en 1992 à 70 000 en 1997, et ce, en dépit des efforts extrêmement coûteux qui avaient été déployés en matière d'application des lois.

J'aimerais en outre que vous fassiez des commentaires sur la récente étude, intitulée «Psychotropes», parue en mai 2001. Il s'agit d'une étude faite à Montréal à partir de chiffres transmis par la police et par les tribunaux. Cette étude indique que la possession simple de cannabis - il n'est pas question de peine d'emprisonnement mais d'accusation - demeure l'infraction la plus courante liée à la drogue; elle représente 50 p. 100 des infractions de ce genre.

Je présume que les services de police du Canada consacrent la plupart de leurs efforts, de leurs fonds et de leurs ressources à la recherche des distributeurs de ces drogues, sinon des importateurs pour lesquels les distributeurs travaillent. La moitié desarrestations sont des arrestations pour possession simple, peu importe la nature de la peine, qu'il s'agisse d'un billet de contravention, d'une peine d'emprisonnement ou d'une autre peine. N'est-ce pas ironique? Mettons-nous nos efforts là où il le faut en ce qui concerne l'application des lois?

M. Hayden: D'après mon expérience personnelle, lorsqu'une personne est accusée de possession dans le but de faire du trafic, il y a négociation de plaidoyer devant le tribunal. Ces accusations de possession aux fins de trafic sont souvent remplacées par des accusations de possession simple et elles ne figurent dès lors plus que dans les statistiques concernant la possession simple.

Je n'hésiterais pas à affirmer que les accusations de possession pour trafic sont ramenées, dans 30 p. 100 à 40 p. 100 des cas, à des accusations de possession simple. Ce sont des chiffres que je cite de mémoire et je me base uniquement sur mon expérience personnelle.

M. Griffin: Nous avons examiné les chiffres publiés dans cette étude; le nombre d'accusations pour possession était de l'ordre de 30 000 à 35 000 par an. Si j'ai bien compris, ces chiffres correspondent au nombre de condamnations inscrites. Au Canada, le nombre d'agents de police est d'environ 65 000; ce chiffre représente donc beaucoup moins d'une accusation par agent de police par an.

Nous avons constaté que les agents de police ne cherchent pas activement des personnes qui ont de la marijuana en leur possession. Ils n'ont pas le temps ni les ressources nécessaires. Nous ne pensons pas qu'en libérant les agents de police de cette tâche, on pourrait réaliser de grosses économies. Nous sommes convaincus que le fait que la possession de drogues illicites entraîne des conséquences pour le contrevenant a toujours un effet dissuasif.

La moitié de ces accusations sont associées à l'application des lois. Dans la lutte contre le crime organisé, la répression en matière de drogue est considérée comme une des armes les plus efficaces pour poursuivre les contrevenants en justice et saisir les gains mal acquis.

J'ai apprécié votre commentaire sur les centres de traitement. Aux États-Unis, on ne met pas tellement l'accent sur le traitement et la réadaptation des contrevenants. J'ai l'impression - mais c'est une information purement anecdotique - que c'est le pays où le nombre de personnes incarcérées pour consommation de drogue est le plus élevé.

Nous estimons que le traitement et la réadaptation constituent un élément important du programme et qu'ils font partie de cette approche à cinq volets. Il ne faut pas mettre l'accent uniquement sur l'offre. L'offre sera toujours là s'il y a une demande. Pour notre part, nous considérons qu'il faut également faire des efforts pour réduire la demande. Il faut faire savoir que la consommation de drogue entraîne des conséquences, et que les drogues sont dangereuses. Si l'on ne met pas l'accent là-dessus, on n'arrivera jamais à réduire l'offre.

Le sénateur Banks: Ne pensez-vous pas que, en dépit du fait qu'il semble que cela n'ai jamais donné de bons résultats, l'interdiction aurait, jusqu'à un certain point du moins, un effet salutaire pour la société?

M. Griffin: C'est lié au nombre de personnes qui consomment des drogues illicites à l'heure actuelle.

Le sénateur Banks: Êtes-vous certain que le nombre peu élevé de consommateurs soit attribuable dans une large mesure à nos efforts de répression?

M. Griffin: Oui. C'est pourquoi nous citons le cas des pays qui ont libéralisé leurs lois sur les drogues. Nous estimons que cette libéralisation entraîne une hausse de la consommation, avec tous les problèmes qui y sont associés.

Le sénateur Banks: Plusieurs témoins nous ont dit que les attitudes, les politiques et les lois des gouvernements n'avaient pas une influence décisive sur la consommation de drogue. C'était le cas aux États-Unis entre 1920 et 1933; ceux qui voulaient boire buvaient et les criminels trouvaient un moyen de procurer de l'alcool aux consommateurs de boissons. La politique de prohibition adoptée par l'État n'a pas eu d'influence sur le nombre de consommateurs, peu importe l'appui qu'elle avait, par ailleurs, auprès des Américains en général. Cette politique a entraîné une baisse de la qualité de la marchandise. Elle a fait augmenter les prix et donné à des criminels l'occasion de se remplir les poches. On nous a signalé que ces efforts d'interdic tion n'ont pas une influence décisive. Êtes-vous d'accord?

M. Griffin: Nous ne sommes pas d'accord du tout.

M. Orban: On considère que l'interdiction est un échec total, surtout en ce qui concerne la consommation d'alcool. Pourtant, diverses études indiquent que la prohibition n'a pas été un échec retentissant. Mark Moore a écrit un ouvrage dans lequel il dit que cette politique s'est avérée très efficace.

Si on faisait une étude sur l'alcool sous un angle strictement scientifique ou médical et qu'on en concluait que c'est un dépresseur anesthésique, sa consommation deviendrait illégale.

L'ouvrage de Moore indique que la prohibition - aux États-Unis et pas au Canada - a été efficace. Il cite des études portant sur des phénomènes mesurables à l'époque et tenant compte de tous les indices, de toutes les variables, comme les taux de mortalité, la sclérose du foie, les divorces, les accidents de la circulation, les pertes de temps au travail, la violence familiale, les arrestations, les maladies du coeur et divers autres facteurs. Toutes ces études signalent que la consommation a réellement diminué pendant la prohibition.

La volonté politique de maintenir la prohibition n'était pas là. Les Américains réclamaient de l'alcool et le président des États-Unis a décidé de lever l'interdiction.

En ce qui concerne la grosse majorité des Américains, la prohibition a été efficace. Je ne croirai jamais qu'il est inutile de faire en sorte qu'une chose soit déclarée illégale et le reste.

Le vice-président: Dans quelle mesure dépendez-vous de l'appui de la population pour l'application des lois?

M. Griffin: Son appui est extrêmement important.

Le vice-président: Si la plupart des citoyens n'approuvent pas la loi et pensent que la consommation de drogue est acceptable, cela n'aggrave-t-il pas beaucoup le problème en ce qui vous concerne?

M. Griffin: Certainement.

Le vice-président: Comment expliquez-vous le nombrecroissant de personnes qui n'approuvent pas les dispositions législatives actuelles en ce qui concerne le cannabis?

M. Griffin: À mon avis, plusieurs facteurs entrent en jeu. Tout dépend de la manière dont les questions sont formulées. Est-ce qu'elles concernent la dépénalisation? Les opinions diffèrent-elles en ce qui concerne la signification de ce terme? Sur la base de quelles informations ces opinions sont-elles formulées?La dépénalisation est-elle présentée comme une formule de remplacement du régime actuel tel qu'il est perçu?

Nous pensons que, pour que les efforts de réduction de la consommation de drogue soient appuyés par l'opinion publique, il est capital de faire de la sensibilisation et de l'éducation au sujet des conséquences réelles sur le plan social et sur le plan individuel.

En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies, par exemple, nous avons probablement pour la plupart changé d'attitude au cours des 15 ou 20 dernières années grâce aux efforts de sensibilisation et d'éducation de la population et à l'adoption de dispositions législatives et réglementaires plus strictes, à un changement de perception et, le plus souvent, grâce à des méthodes d'application des lois différentes. Ces mesures ont eu une influence profonde à cet égard.

Nous estimons que l'opinion publique est importante. C'est pourquoi nous préconisons d'adopter une stratégie axée sur la sensibilisation du public, sur l'éducation et sur la prévention, une politique visant non seulement à réduire l'offre mais aussi la demande.

M. Orban: Vers le milieu des années 80, je participais aux efforts d'application des lois antidrogue. Après cela, j'ai travaillé pour les services de prévention de la criminalité, plus précisément pour la section des ressources scolaires. À cette époque, l'application des lois et l'éducation du public étaient deux choses distinctes.

L'éducation en matière de drogues, de quelque type que ce soit - et il ne s'agit pas uniquement de marijuana ou de drogues illégales mais aussi de consommation de tabac et d'alcool - est très insuffisante. Elle fait partie des programmes scolaires et les enseignants font de leur mieux, mais ils ne disposent pas de suffisamment de temps et n'ont pas la formation voulue pour parler des méfaits de la drogue à leurs élèves.

Les policiers ont de l'expérience. Nous pourrions expliquer aux enfants les conséquences que peut avoir la consommation de drogue, nous pourrions leur expliquer tout sur la drogue et leur parler de ses divers effets. À Regina, il y avait un programme de dynamique de la vie pour les élèves de 4e, de 5e et de 6e année, qui était mis en oeuvre avec le concours de la police. En raison des compressions budgétaires et de divers changementsd'orientation, les agents de police qui vont dans les écoles font maintenant davantage d'application de la loi, reçoivent des plaintes pour les actes de violence, font des enquêtes sur les entrées avec effraction et sur les plaintes de vandalisme sur les automobiles au lieu de faire de l'éducation. Le programme comporte des carences à cet égard. Au Canada, l'éducation des jeunes et des adultes en matière de drogues laisse fort à désirer.

On entend toujours parler du bon côté des choses. On n'entend jamais parler du mauvais côté. En ce qui concerne l'alcool, la plupart des gens sont au courant de quelques-uns de ses effets. Demandez cependant à un enfant de regarder à la télévision une annonce publicitaire sur la bière, ou sur toute autre boisson alcoolisée, puis de vous parler des effets bénéfiques et des effets néfastes; vous constaterez qu'il n'en a pas la moindre idée, à supposer qu'il en ait été question dans l'annonce.

Le nombre de centres de réadaptation est insuffisant. Nous laissons livrées à elles-mêmes les personnes qui ont une accoutumance à quelque substance que ce soit. On perçoit des taxes sur la vente de l'alcool mais les recettes qu'elles génèrent ne servent pas à construire des centres de réadaptation. À mon avis, c'est une ignorance extrême de toutes ces questions qui est à la source du problème.

M. Hayden: J'ai des enfants et j'ai des amis qui en ont également, et je dois dire que je n'ai encore jamais rencontré une personne qui encouragerait un enfant à essayer la marijuana ou à en fumer régulièrement. Les parents que je connais n'encouragent pas non plus leurs enfants à conduire avec des facultés affaiblies, à ne pas boucler leur ceinture de sécurité ou à ne pas porter de casque lorsqu'ils font de la moto.

Je ne pense pas que le faible pourcentage de la population qui fait du lobbying en faveur de la libéralisation soit représentatif des opinions de la majorité des Canadiens. Je ne le pense vraiment pas. Je n'ai encore jamais rencontré une telle personne.

Le vice-président: À ce propos, avez-vous déjà entendu un parent encourager un enfant à prendre un verre à la maison? Avez-vous entendu un parent dire: «Si tu veux boire, bois avec nous; c'est dimanche et nous voudrions que tu prennes un verre de vin au déjeuner»?

M. Hayden: Absolument, mais je n'ai jamais entendu un parent encourager son enfant à conduire en état d'ébriété.

Le vice-président: Je vous comprends, mais est-ce une bonne idée?

M. Hayden: Je suppose que c'est actuellement socialement acceptable.

Le vice-président: Des témoins nous ont dit que les deux points de vue sont défendables et que la plupart des gens ont des opinions fondées sur leurs propres valeurs. En faisant abstraction de l'argumentation, on perçoit des valeurs contradictoires. Certaines personnes pensent que toutes les drogues, de quelque type que ce soit, sont néfastes et elles en sont fermement convaincues, sans que cette opinion soit fondée sur des preuves.

Y a-t-il un point de vue raisonnable à adopter face à ce problème? Est-ce une discussion fondée sur des valeurs? Essaie-t-on au Canada de mettre ce facteur en évidence?

M. Griffin: Il ne fait aucun doute que les valeurs entrent en ligne de compte dans ce genre de débat. La question est: que veulent les Canadiens en tant que société et en tant que collectivité? Que souhaitent-ils pour leurs enfants?

Je crois également que les données scientifiques confortent notre position. D'après les données publiées par Santé Canada ou par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, et d'après les témoignages de divers médecins ou autres experts en matière de marijuana, ce n'est pas une substance dont il faille encourager la consommation.

Le vice-président: Il a été question de communication et d'éducation des jeunes en particulier et je crois que c'est vous, monsieur Orban, qui avez abordé le sujet. Plusieurs membres de ce comité ont étudié assez longuement la question de la consommation de tabac et de nicotine chez les jeunes.

Nous avons compris que certaines personnes n'ont pas la formation nécessaire pour transmettre le message. Il s'agit presque invariablement de personnes qui sont un symbole d'autorité comme les parents. De par votre profession, vous êtesprobablement aussi un symbole d'autorité. Comme politiciens, nous le sommes peut-être également. La communication d'un message aux jeunes par l'intermédiaire des enseignants, de la police ou des politiciens est susceptible de susciter la réaction contraire à celle qui est recherchée chez les adolescents qui traversent une crise de révolte contre l'autorité. Qu'enpensez-vous?

M. Orban: Je dirais que cela dépend de la façon dont le message est transmis. Cela dépend de la sincérité et des connaissances de la personne qui transmet le message. Les jeunes n'accorderont aucune crédibilité au message d'un adulte qui se contente de raconter des anecdotes devant la classe, sans proposer de solutions de rechange. Les adolescents savent quand on ment. C'est à cela que tout se résume.

Cependant, on peut leur parler de ce qu'on a vu et de ce qu'on a connu dans la vie et on peut leur communiquer ce que l'on sait au sujet des effets de la marijuana ou de l'alcool. Ils écouteront. Est-ce que cela les incitera à changer d'attitude? Je pense que si on essaie et que cela en incite quelques-uns à changer d'attitude, c'est déjà une victoire en soi. On n'arrivera pas à convaincre tous les jeunes mais, si on en convainc 10 sur 30, voire un sur 30, que la marijuana est un produit dangereux ou que sa consommation peut avoir des conséquences néfastes, c'est déjà bien.

Le tout est de communiquer le message par l'intermédiaire de personnes convaincues de l'utilité de ce qu'elles font, ayant une connaissance approfondie des drogues, capables de faire face aux pressions du groupe sans consommer de la drogue et capables d'expliquer comment affronter la vie avec les risques et les conséquences qu'elle comporte, dans le cadre des diverses activités quotidiennes ou de s'affranchir de leurs antécédents en matière de consommation abusive de drogue. Il faut avoir recours à un modèle et expliquer qu'il s'est avéré très efficace. C'est possible dans tous les domaines. Si je vends mon véhicule usagé et que je vous parle de son bon fonctionnement en omettant toutefois de parler des pannes ou des défauts, vous ne l'achèterez pas. Quand on parle aux adolescents, il faut leur présenter les divers points de vue et les laisser se faire une opinion par eux-mêmes.

Comme parent, c'est ce que je fais avec ma fille depuis des années. J'ai parfois pitié d'elle, parce que je me sers d'elle pour tester la plupart des renseignements que j'ai. Je fais mon travail de mon mieux. Je ne lui transmets pas un message ambigu en cequi concerne le désir d'échapper à certains problèmes de l'adolescence en s'intoxiquant. Il faut affronter les problèmes, sinon ils s'aggravent. J'essaie d'être un bon modèle parce que je veux qu'elle ait une vie agréable. Ensuite, je croise les doigts en espérant que tout se passera bien. Il est toujours possible qu'une autre personne avec laquelle elle est en contact exerce sur elle une influence en sens contraire.

Je lui donne la possibilité de se souvenir de ce que je lui ai dit. Elle se souviendra peut-être des conseils d'un enseignant ou d'un autre adulte en position d'autorité. Elle y pensera peut-être à deux fois. Elle décidera peut-être de se renseigner un peu mieux. Il faut servir de modèle et prodiguer des conseils.

Le vice-président: Monsieur Hayden, le sénateur Banks a essayé de vous poser une question. Vous avez écarté sa thèse fondée sur la suppression du facteur de profit. Vous avez dit que si les drogues étaient légalisées, le gouvernement ferait preuve de cupidité et qu'il ferait monter les prix de telle sorte que le profit resterait un mobile du trafic de drogues.

Si les gouvernements ne faisaient pas preuve de cupidité - et il faudrait peut-être faire un effort pour y croire - et ne s'empressaient pas d'imposer des taxes comme sur l'alcool et sur le tabac, et si la marijuana était accessible au prix coûtant sans motivation de profit, pensez-vous que la criminalité associée à la drogue régresserait?

Je pense que c'est la question que vous posait le sénateur Banks et vous lui avez répondu en disant que le gouvernement ferait augmenter les prix en imposant des taxes. Pourriez-vous nous dire ce qui se passerait dans l'hypothèse où le gouvernement n'imposerait pas de taxes?

M. Hayden: Je crois avoir parlé de l'expérience qui a été faite à Liverpool où l'on a enregistré une forte recrudescence de la criminalité dans les zones où les drogues étaient accessibles aux toxicomanes.

Le vice-président: Pourquoi, si les drogues étaient gratuites?

M. Hayden: Parlez-vous de distribution gratuite de drogues?

Le vice-président: Je parle de vente au prix coûtant.

M. Hayden: Elles se vendraient encore à un certain prix et les consommateurs auraient toujours besoin d'argent pour les acheter. Que la marijuana coûte 15 $ le gramme ou 5 $, il faut de l'argent pour en acheter.

Le vice-président: Dans ce cas, allons jusqu'au bout. À supposer que les drogues soient gratuites, est-ce que la criminalité disparaîtrait? On pourrait aller jusque-là.

M. Hayden: Un crime contre les biens est directement attribuable au désir de se procurer l'argent nécessaire pour acheter de la drogue. La criminalité serait probablement inexistante si les drogues étaient gratuites mais je dirais sans la moindre hésitation que le nombre d'autres types de délits, comme la conduite avec facultés affaiblies, augmenterait. Cela ne fait aucun doute pour moi.

Le vice-président: En ce qui concerne le crime organisé, pensez-vous qu'il serait démantelé si la marijuana était en vente sans imposition de taxes supplémentaires?

M. Griffin: On s'aventure en terrain dangereux parce qu'alors, il faudrait tenir compte de facteurs tels que la puissance de la drogue. Se ferait-on de la concurrence pour produire de la marijuana plus forte, plus «dure» et de meilleure qualité?

Le vice-président: Il y aurait alors divers types de marijuana.

M. Griffin: C'est exact. La demande illicite subsisterait. Sous le régime actuel, on voit apparaître de nouveaux produits sur le marché comme des drogues de confection et autres types de drogues. Les organisations criminelles trouveront toujours des débouchés.

Quand on a suspendu les taxes sur le tabac dans certaines provinces où la contrebande avait pris des proportionsinquiétantes, cette initiative n'a pas poussé les organisations criminelles à se retirer des affaires. Elles ont axé leurs efforts sur d'autres marchés. Nous ne considérons pas une initiative de ce genre comme une solution miracle. Nous pensons qu'elle ferait augmenter la consommation d'autres drogues. Les personnes qui n'ont pas encore essayé la marijuana auraient tendance à se mettre à en consommer puis à essayer d'autres drogues.

Le vice-président: Vous revenez à la thèse de l'introduction. Nous apprécierions beaucoup de voir des études qui appuient cette thèse. Vous avez parlé d'une étude de ce genre, si je ne me trompe. Si vous pouviez remettre ce document au greffier, nous vous en serions très reconnaissants. Nous avons plusieurs documents d'étude qui tendent à prouver le contraire. Nous n'avons pas, bien entendu, des informations complètes. Si vous avez des études qui tendent à prouver la véracité de la thèse de l'introduction, nous aimerions que vous nous transmettiez ces documents.

M. Griffin: Oui, monsieur le président.

Le vice-président: Monsieur Griffin, je pense que vous avez dit que le crime organisé considère le Canada comme un pays de refuge.

M. Griffin: Oui.

Le vice-président: Avez-vous des études qui le confirment?

M. Griffin: Nous avons présenté un mémoire au Sous-comité sur le crime organisé de la Chambre des communes. Nous avons cité diverses sources. Nous pouvons vous en remettre un exemplaire.

Il y a en premier lieu la déclaration officielle faite par les autorités nationales au sujet de la présence de groupes criminels organisés au Canada. Nous possédons également des preuves anecdotiques obtenues par écoute ou au cours d'entrevues avec des auteurs et d'autres personnes qui pensent que le Canada - notre système correctionnel, notre système judiciaire et les conséquences de la condamnation - ne fait pas preuve de sévérité envers le crime organisé.

Je tiens à préciser que nous appuyons fortement le projet de loi sur le crime organisé - que vous aurez probablement l'occasion d'examiner d'ici quelques semaines - qui a été présenté par le ministre de la Justice et le Solliciteur général. Il contient plusieurs initiatives constructives.

Le vice-président: Merci.

Monsieur Orban, nous nous sommes permis de citer des passages de votre communiqué de presse, paru aujourd'hui, à une personne qui a témoigné ce matin. Il s'agit d'un extrait du troisième paragraphe. À ce propos, M. Cohen a dit qu'il pensait que ce n'était pas un argument valable. Vous êtes ici et vous êtes en mesure d'en parler. Pourriez-vous reprendre ce passage, phrase par phrase, et nous expliquer pourquoi vous en appuyez chaque élément, pour que cela figure au compte rendu?

M. Orban: Vous parlez du passage où je disais que l'expérience des pays qui ont fait l'essai de la libéralisation des drogues montre que le crime, la violence et la consommation de drogues vont de pair. Le sujet est abordé à la page 45 de notre mémoire (page 32 de la version française).

Je me base sur des renseignements tirés des rapportsmentionnés tout au long de la partie du mémoire intitulée: «Enseignements tirés de l'expérience des autres pays», qui va jusqu'à la page 37.

En ce qui concerne mon commentaire suivant: «Les coûts de la décriminalisation seront astronomiques, non seulement au chapi tre des soins de santé et des services sociaux, mais aussi au sens humain véritable», je vous rappelle que l'alcool est la substance dont la consommation est la plus répandue au Canada. La disponibilité de l'alcool en a fait la drogue dont on fait la consommation la plus abusive au Canada.

Le vice-président: Voulez-vous dire que la consommation abusive d'alcool est plus forte que celle de nicotine?

M. Orban: Non. Comme l'indique le graphique, laconsommation abusive de tabac est plus forte. Ce graphique représente les coûts de la consommation. Si on classe la marijuana dans la même catégorie que l'alcool, qui est la substance la plus psychoactive, et qu'on la rend accessible, sa consommation abusive augmentera. D'après diverses études, l'accessibilité d'une drogue entraîne une hausse de la consommation abusive.

Le vice-président: À quelles études faites-vous allusion?

M. Orban: Je fais allusion à l'expérience suédoise et à d'autres rapports mentionnés dans notre mémoire. Nous y parlons également de l'expérience hollandaise, à la page 34. En ce qui concerne l'expérience suédoise, il en est question auxpages 35 et 36.

Le vice-président: Votre communiqué de presse dit que, quand il y a légalisation des drogues, la consommation augmente. Pouvez-vous citer des pays où les drogues ont été légalisées?

M. Griffin: À la page 36 de notre mémoire, nous citonsle cas de l'Alaska où la possession de haschisch était légale de 1980 à 1990. Pendant cette période, la consommation a terriblement augmenté, particulièrement chez les adolescents.À la suite d'un référendum tenu en 1990, les mesures de dépénalisation ont été abrogées.

Le vice-président: Sur quelle étude est-ce fondé?

M. Griffin: C'est tiré d'un document intitulé: Argumentum Against Drug Legalization: A Contribution in Support of the Swiss People's Referendum for a Youth without Drugs.

Le vice-président: En ce qui concerne le passage où vous dites que la demande de drogues chimiques augmente, pouvez-vous nous dire sur quelle étude vous vous appuyez pour faire ce commentaire?

M. Griffin: Il s'agit de divers facteurs et de divers rapports comme les rapports de l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour 1999 et 2000 et un document publié par l'Institut national suédois de santé publique...

Le vice-président: Est-ce que tout ce que vous dites à propos de l'Alaska est réel? C'est le seul exemple de légalisation que vous avez donné et la page entière lui est consacrée.

Le sénateur Kinsella: Je pense que le témoin a dit tout à l'heure que le terme «libéralisation» serait plus approprié que «légalisation».

Le vice-président: Pouvez-vous expliquer la différence?

M. Orban: En Hollande, il existe toujours des lois concernant certaines infractions relatives aux drogues. On peut donc parler de «libéralisation» en ce qui concerne la Hollande et de«légalisation» en ce qui concerne l'Alaska.

Le vice-président: Est-ce qu'en Hollande, la libéralisation a effectivement entraîné une augmentation de la demande de drogues chimiques?

M. Orban: Ce renseignement est tiré de l'Argumentum.

Le vice-président: Vous avez cité la Hollande. Voulez-vous dire qu'on a enregistré dans ce pays une augmentation de la consommation de drogues chimiques qui puisse être reliée à la libéralisation et à la consommation de marijuana et, si c'est bien cela, de quelle étude ce renseignement est-il tiré?

M. Orban: Voyez la note 37, à la page 34.

Le vice-président: Auriez-vous l'obligeance de citer le titre de ce document?

M. Griffin: Honorables sénateurs, il serait peut-être bon que je donne les références pour chaque extrait à mesure que nous parcourons le mémoire.

Les conclusions sur lesquelles s'appuient les déclarations que j'ai faites dans le communiqué de presse sont conformes à la position que nous défendons et à l'expérience citée dans cette partie de notre mémoire. Les rapports de l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour les années 1999 et 2000 examinent la situation sur le plan législatif et les incidences sur la consommation de drogue. Dans son rapport, cet organisme - et le passage correspondant est cité à la page 33 de notre mémoire - a dit que la disponibilité et la consommation abusive de drogues synthétiques et de cocaïne avaient augmenté en Europe.

Le rapport se préoccupe également de l'évolution des politiques en la matière et de la tendance à remplacer les mesures de réduction de la demande par des programmes axés sur l'utilisation sécuritaire et l'atténuation des préjudices.

Le vice-président: Où êtes-vous maintenant?

M. Griffin: À la page 33.

Le vice-président: Je parle du commentaire que nous sommes en train d'analyser. La raison pour laquelle je consacre du temps à cette question, monsieur Griffin, est que nous avons parlé de votre commentaire à un témoin qui l'a analysé phrase par phrase. Le témoin n'était pas du tout d'accord avec le contenu de ce paragraphe; à son avis, vos commentaires n'étaient fondés sur aucune donnée concrète.

Par souci d'équité, je veux vous donner l'occasion de faire consigner vos opinions au compte rendu; nous aurons ainsi la possibilité de faire des comparaisons valables.

M. Griffin: C'est ce que j'essaie de faire. Dans cette partie de notre mémoire, nous avons examiné les sources des rapports publiés par divers autres organismes. Je pense que la conclusion est incontournable: dans les pays où les politiques ont été libéralisées - y compris ceux où les drogues ont été légali sées -, on a enregistré un accroissement de la consommation d'autres drogues.

Le vice-président: Si je comprends bien, vous parlez de légalisation en Alaska et de libéralisation en Hollande. Vous avez dit que c'est pour l'Alaska et la Hollande que vous avez examiné des études qui signalent un accroissement de la demande et de la consommation de drogues chimiques et une recrudescence de la criminalité dus à la libéralisation.

M. Griffin: Oui.

Le vice-président: S'agit-il des études dont vous êtes en train de citer des passages?

M. Griffin: Oui. C'est indiqué dans le rapport.

Nous avons également mentionné dans notre mémoire d'autres pays d'Europe occidentale, dont la Suisse, l'Italie et l'Espagne.

Le vice-président: Dans quel contexte? Comme pays qui ont libéralisé...

M. Griffin: Il s'agit en effet de libéralisation. Les termes employés diffèrent d'un pays à l'autre. Dans certains exemples, il se peut que le terme légalisation ne soit pas ce que nous considérerions comme de la légalisation au sens propre, étant donné que le terme est employé dans le contexte de lois qui ne sont plus mises en application mais qui n'ont pas été abrogées.

Il conviendrait peut-être d'employer le terme libéralisation ou légalisation ou dépénalisation. À notre avis, les conséquences de ces trois stratégies seraient analogues, à savoir que laconsommation de drogue augmenterait. En autorisant laconsommation de certaines drogues, comme la marijuana, cela entraîne un accroissement de la consommation d'autres drogues illicites; cela a aussi eu une incidence sur la criminalité dans les pays qui ont fait l'expérience de la légalisation.

Le vice-président: Je voudrais comprendre exactement ce que vous entendez par «libéralisation»; vous avez dit tout à l'heure que vous n'aviez jamais entendu parler d'un cas où une personne, accusée de possession simple, n'avait pas reçu une absolution inconditionnelle ou conditionnelle.

M. Griffin: Non. Nous avons dit que nous n'avions jamais connu de cas de condamnation à une peine d'emprisonnement.

Le vice-président: Est-ce ce que vous entendez parlibéralisation?

M. Griffin: Non.

Le vice-président: Est-ce de cela qu'il s'agit dans les pays que vous avez mentionnés ou s'agit-il d'une étape plus avancée?

M. Griffin: Il s'agit d'une étape plus avancée. En Hollande, les lois ne sont pas mises en application. Des agents de police qui sont allés en Hollande nous en ont parlé. Ils nous ont dit que, bien que les changements au niveau de l'application des lois ne concernent en théorie que celles sur la marijuana, et plus particulièrement le haschisch, on fait ouvertement le commerce d'autres drogues dans les rues et la tolérance à l'égard de la consommation d'autres drogues illégales augmente.

Le vice-président: Est-ce que ce sont des faits qui vous ont été rapportés?

M. Griffin: Oui.

Le vice-président: Avez-vous vu des études à ce sujet?

M. Griffin: Nous citons des références concernant la Hollande dans certaines notes.

Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne la Hollande, à la page 34 de votre mémoire, il y a une note où on cite un document intitulé Argumentum Against Drug Legalization: A Contribution in Support of the Swiss People's Referendum for a Youth without Drugs publié en 1994. À la même page 34, vous dites:

En Hollande, des études menées au début desannées 90 illustrent l'impact négatif de la tolérance envers les drogues illicites.

S'agit-il de la même période? Quand les «cafés» ont-ilsété ouverts en Hollande? Est-ce vers le milieu desannées 90? N'associe-t-on pas généralement la libéralisation en Hollande à l'année 1995?

M. Sansfaçon: Honorable sénateur, il est regrettable que M. Cohen ne soit plus ici. Il serait davantage en mesure de répondre à cette question. Si j'ai bien compris, les premiers «cafés» ont été ouverts au début des années 80.

Le sénateur Kinsella: Donc, cela confirme votre opinion.

Le vice-président: Si vous voulez bien que l'on continue, monsieur Orban, nous avons parlé de la recrudescence de la criminalité et nous en sommes arrivés au coût de la libéralisation des drogues qui, selon vous, serait astronomique.

M. Orban: Veuillez consulter nos deux graphiques aux pages 26 et 45 du mémoire.

On présume que si la libéralisation se concrétisait au Canada et que l'application des lois était modifiée pour rendre laconsommation de la marijuana ou d'autres drogues illicites plus acceptable, la consommation augmenterait. Le coût de la consommation augmenterait aussi, bien entendu. Ce graphique est tiré d'un rapport qui a été publié en 1992 par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Le vice-président: Il s'agit des rapports qui, d'après vous, montrent que la libéralisation de la drogue aura un impact en matière de soins de santé et de services sociaux.

M. Orban: Oui.

M. Hayden: Je voudrais que vous fassiez des commentaires sur le graphique qui se trouve à la page 37 de la version anglaise du mémoire et à la page 26 de la version française, celui qui concerne la consommation d'intoxicants et le pourcentage de la population qui consomme les diverses substances mentionnées, à savoir de l'alcool, de la marijuana, du LSD, de laméthamphétamine ou de l'héroïne. Nous n'avons pas pu trouver des chiffres récents mais je sais par expérience personnelle - il s'agit du moins d'une expérience locale, à Edmonton - et d'après les conversations que j'ai eues avec d'autres détectives canadiens, que ces chiffres n'ont commencé à augmenter qu'en 1992. Je vous assure qu'avec la popularité des soirées rave, surtout dans les grandes métropoles, la consommation de marijuana, de LSD ou de méthamphétamine - pas tellement d'héroïne ni de cocaïne en ce qui concerne les «raves» - a littéralement grimpé, dans ma région du moins. C'est ce qui se passe également dans d'autres régions métropolitaines.

Le vice-président: Voudriez-vous terminer, monsieur Orban?

M. Orban: À la page 35 de notre mémoire, nous mentionnons qu'en moins de trois ans, la Suède a constaté que la libéralisation avait eu des incidences tellement dévastatrices sur toutes les collectivités qu'elle a décidé d'interdire toutes les drogues. Elle a axé ses efforts sur les soins de santé, la désintoxication, la réadaptation, l'application des lois et le traitement des assuétudes pour devenir le genre de pays qu'elle voulait être, c'est-à-dire un pays exempt de drogues. Elle s'est fixé pour objectif de ne pas tolérer du tout les conséquences sociales néfastes de laconsommation de drogue, de quelque type que ce soit. La Suède a adopté une politique de tolérance zéro à cet égard.

Des Suédois nous ont dit qu'ils ne savaient pas si l'on atteindrait cet objectif mais que c'était celui qu'ils s'étaient fixé et qu'ils jugeaient le meilleur pour leur pays.

Le vice-président: Auriez-vous d'autres commentaires à faire au sujet de ce passage?

M. Orban: Non.

Le sénateur Kinsella: Tout à l'heure, j'ai relevé un de vos arguments où vous dites que, si on modifiait le Code et si on dépénalisait la possession de la marijuana, cela aurait des incidences très néfastes sur l'éducation ou la sensibilisation du public. En outre, compte tenu des fonds qu'il faudrait réunir pour sensibiliser la population aux conséquences néfastes de la consommation de ces substances, il serait beaucoup plus rentable d'adopter une loi interdisant purement et simplement leur possession et leur consommation. Est-ce bien là votre position fondamentale?

M. Orban: Oui.

M. Griffin: Nous estimons que la dénonciation de telles infractions relève de la politique gouvernementale. Nousn'arriverons jamais à éliminer complètement des délits comme la conduite avec facultés affaiblies, la violence conjugale et l'homicide. Nous avons pourtant constaté à maintes reprises que des programmes alliés à des campagnes de sensibilisation et d'éducation du public augmentaient l'efficacité de l'observation des lois et avaient des conséquences bénéfiques, qu'ilspermettaient d'adopter des solutions de remplacement àl'incarcération, notamment par l'éducation communautaire. Tou tes ces initiatives ont une influence souhaitable. Les lois actuelles offrent certaines possibilités d'améliorer nos actions face à ces crimes.

Nous nous demandons toutefois si une atténuation des conséquences de la consommation de la drogue aurait une incidence négative marquée sur l'usage de la drogue.

Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne la dépénalisation de la consommation de drogues actuellement illégales, si un individu, se prévalant de sa liberté de choix, décide de consommer ces drogues, pour quelles raisons voudrait-on empié ter sur cette liberté? Quel est le motif de bien commun ou d'intérêt public qui justifierait l'ingérence de l'État dans la liberté de cet individu?

M. Griffin: On peut citer divers exemples comme l'utilisation de la ceinture de sécurité, le port du casque à motocyclette ou l'exploitation pornographique de l'enfant. Dans chacun de ces cas, on pourrait toujours dire que tout le monde s'en fiche. En ce qui concerne les drogues, elles impliquent des risques non seulement pour l'individu mais aussi pour la collectivité et les coûts sont énormes.

Le sénateur Kinsella: En effet, il y a des coûts et des risques pour autrui. Il ne s'agit pas seulement d'interdire la consomma tion pour le bien de la personne concernée mais aussi pour celui des autres citoyens et de la société.

M. Griffin: C'est aussi pour le bien des individus concernés. Certaines personnes manifestent de la réticence à l'égard de cette approche, mais il est incontestable qu'on l'adopte dans l'intérêt de l'individu, plus particulièrement en ce qui concerne les jeunes, qui n'ont peut-être pas la maturité nécessaire pour prendre des décisions judicieuses. Nous avons tous appris des leçons quand nous étions jeunes. Nous pensons que notre système judiciaire et la nouvelle Loi sur le système de justice pénale renforcent une approche axée sur une intervention judicieuse. Il ne s'agit pas d'enfermer quelqu'un en prison ou de l'obliger à supporter les séquelles d'un casier judiciaire pour le reste de sa vie, mais plutôt d'une intervention efficace visant à aider cette personne à faire un meilleur choix à la prochaine occasion.

Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne le travail de répression policière, le critère serait le préjudice à autrui. Est-ce que certains accidents de la route sont causés par des individus qui consomment de la drogue?

M. Griffin: Si on considère la consommation de drogue comme étant socialement acceptable, n'y a-t-il pas aussi un danger que les générations futures ou les jeunes générations reproduisent les mêmes erreurs?

À notre avis, les études scientifiques ont prouvé les effets nocifs de la consommation de marijuana. C'est la première question que l'on devrait se poser: quelles sont les preuves scientifiques? Nous pensons que les preuves que la marijuana est une drogue dangereuse et qu'il ne faut pas en encourager la consommation sont concluantes. C'est le fondement sur lequel doivent s'appuyer les décisions des autorités gouvernementales en ce qui concerne la façon la plus efficace de réduire la demande, de réduire l'offre, d'éduquer et d'informer le public sur les conséquences et d'offrir des possibilités de traitement et de réadaptation aux personnes qui ont une accoutumance.

M. Orban: On m'a dit que ce serait plus grave si les drogués braquaient des banques pour se procurer de l'argent pour s'acheter de la marijuana. J'ai répondu que c'était pourtant bien le cas. En effet, il arrive que des héroïnomanes et des cocaïnomanes commettent un vol à main armée. On a tendance à citer ce genre d'exemples parce qu'ils sont associés à la violence.

Dernièrement, dans le cadre d'un vol à main armée commis à Regina, un jeune contrevenant et un jeune adulte de 20 ans ont cambriolé une station-service et un magasin de quartier sous la menace du couteau. Ils savaient que la police les poursuivait parce qu'ils avaient laissé suffisamment de traces derrière eux pour permettre de suivre leur piste. Ils étaient tellement inquiets qu'ils n'ont rien trouvé de mieux à faire que d'acheter un sac de marijuana et de la fumer jusqu'à épuisement des stocks. Ils n'ont pas choisi de la cocaïne ni de l'héroïne. Ils n'ont pas choisi de l'alcool parce que c'est une «drogue dangereuse». Ils ont cambriolé pour avoir de l'argent pour s'acheter de la marijuana. C'est un mensonge de prétendre que la marijuana est une substance absolument inoffensive. Je suis certain que ce cas n'est pas unique.

Le vice-président: Je tiens à remercier le groupe de témoins. Je crois que nous aurons d'autres questions à vous poser. Si vous êtes d'accord, nous les mettrons par écrit, dans un premier temps du moins. Je vous rappelle que j'ai également demandé d'autres renseignements au début de la séance et nous vous serions très reconnaissants de nous les faire parvenir. Nous examinerons minutieusement les informations que vous nous avez données aujourd'hui et en ferons bon usage.

La séance est levée.


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