Aller au contenu
ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 5 - Témoignages du 10 septembre - Séance de l'après-midi


TORONTO, le lundi 10 septembre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 40 afin de réexaminer les lois et les politiques anti-drogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs, bonjour. Nos premiers témoins cet après-midi sont M. Toby Druce et M. Thomas Fulgosi de Seaton House.

Messieurs, vous pouvez nous présenter vos observations liminaires et mes collègues vous poseront ensuite quelques questions.

M. Toby Druce, Seaton House: Je vous remercie de cette occasion qui nous est donnée de comparaître devant votre comité aujourd'hui. Je suis responsable du programme de réduction des risques de la Maison O'Neill au refuge pour hommes Seaton House. Mon collègue ici aujourd'hui est Thomas Fulgosi, chef d'équipe du programme. J'aimerais profiter de l'occasion pour vous décrire le travail qui se fait auprès des usagers de drogues illicites à Seaton House, et M. Fulgosi vous donnera ensuite les détails concernant les clients et leur usage de drogues.

La Maison O'Neill a ouvert ses portes il y a eu un an samedi dernier, et elle a été établie afin de s'attaquer aux problèmes d'usage illégal de drogues chez nos clients, les hommes célibataires sans-abri qui demeurent à Seaton House.

Seaton House compte 690 lits. Il s'agit du plus grand refuge pour hommes célibataires au Canada, et il a récemment été rénové de fond en comble. L'une des choses que nous avons remarquées au cours de la rénovation de l'immeuble c'est qu'avec une population aussi importante que celle que nous avons, l'influence qu'ont les clients toxicomanes qui utilisent des drogues illicites sur d'autres personnes qui ne sont pas toxicomanes est énorme.

Nous avons déjà un programme de réduction des préjudices, soit le Programme annexe de réduction des préjudices. Ce programme s'adresse spécifiquement aux gens qui ont une accoutumance aux alcools non potables, notamment à la Listerine, au Lysol ou à l'alcool à friction. Notre expérience dans le cadre de notre programme annexe nous a appris que nos options d'intervention étaient très limitées en ce qui concerne les toxicomanes qui font usage de drogues illicites. Nous avions parlé de stratégie d'application. Nous en avons une à l'heure actuelle au refuge pour les gens qui sont trouvés en possession de drogues illicites ou qui en font usage, surtout le crack ou l'héroïne, et cette stratégie est assez punitive: on refuse à ces gens la possibilité de recourir au réseau de refuges d'urgence. L'application accrue de cette mesure signifiait que l'on jetait à la rue un certain nombre de toxicomanes de ce quartier, ce qui n'était pas très satisfaisant pour la collectivité ni pour le service que nous offrons.

Après avoir consulté la Division 51 de la Police de l'agglomération de Toronto, on nous a proposé de tenter d'isoler le problème en créant un programme avec 60 lits réservés aux personnes ayant des antécédents de toxicomanie, et dont l'usage de la drogue avait créé des problèmes en ce sens qu'ils avaient du mal à accéder à un refuge d'urgence pour la nuit. Nous avons donc créé un tel programme. Nous avons actuellement 60 lits. Nous avons divisé le programme en deux éléments: nous avons 40 lits pour les clients qui font actuellement un usage actif de drogues illicites et nous avons 20 lits pour les clients qui ont été arrêtés pour des infractions qui les rendraient passibles de comparaître devant le tribunal qui s'occupe des cas de détourne ment de médicaments, et qui sont ensuite renvoyés sous caution dans notre programme à titre de participants au détournement de médicaments.

Le nombre de faits concrets que nous avons appris l'année dernière, et dont nous pouvons parler, est sans doute quelque peu limité, mais ce que nous avons établi c'est que, pour les clients que nous voyons, leur toxicomanie est certainement l'une des principales raisons pour lesquelles ils se retrouvent dans des refuges. Cependant, ce n'est pas la principale raison, et ce n'est pas pour cette raison qu'ils se retrouvent dans les refuges. Par conséquent, plutôt que de mettre l'accent sur en fait l'usage de la drogue, nous tentons plutôt de mettre l'accent sur le mode de vie et sur les risques associés à l'usage de drogues illicites. À cet égard, nous avons beaucoup appris de ces 60 hommes, et c'est un aspect dont M. Fulgosi vous parlera plus en détail. Cependant, depuis un an notre approche a été d'accepter le fait que les gens feront usage de drogues, et d'accepter également que la recherche et l'usage de ces drogues créent des risques pour eux.

Environ 275 personnes ont participé à notre programme au cours de l'année dernière, et sur ces 275 personnes, 80 p. 100 sont restées moins de six mois. Lorsque nous étudions ces chiffres, nous constatons que deux possibilités s'offrent à nos clients, soit rester dans les foyers d'accueil d'urgence, soit d'être incarcérés. Ils font donc la navette entre la prison et le foyer d'accueil, et environ la moitié de l'année ils sont incarcérés tandis que l'autre moitié de l'année ils restent dans un foyer d'accueil pour sans-abri.

Vingt pour cent de nos clients utilisent le foyer d'accueil pendant plus de six mois et ils représentent 50 p. 100 du coût d'exploitation de notre programme qui se chiffre à environ deux millions de dollars par an. Sur ce nombre, soit 20 p. 100, nos «grands voyageurs», comme nous les appelons, sont des gens qui font usage de drogues et qui ont recours aux d'accueil depuis très longtemps. Notre objectif est de chercher à placer ces gens dans une position où ils se feront arrêter le plus rapidement possible relativement à leur usage de drogues, et se retrouveront donc devant les tribunaux qui ordonneront que des mesures soient prises afin de régler éventuellement leur problème d'usage de drogues.

Je vais maintenant donner la parole à M. Fulgosi qui vous donnera davantage de détails au sujet du programme et qui vous parlera des types d'interventions que nous avons tentées auprès de ce groupe client.

M. Thomas Fulgosi, Seaton House: Bon nombre de nos clients ont suivi un traitement traditionnel, et bon nombre d'entre eux se sont retrouvé à maintes reprises dans des centres de traitement traditionnel. Le programme O'Neill est un programme unique axé sur le client. Nous avons une équipe de planification des cas qui travaille vraiment avec le client. Pour la plupart d'entre eux, nous avons découvert que lors de toutes ces tentatives de traitement qui ont échoué, on ne s'est penché que sur leurs problèmes de toxicomanie. Par conséquent, bon nombre des clients que nous avons dans le programme O'Neill, lorsqu'ils nous arrivent, n'ont pas vu de médecin depuis 10 ans, n'ont pas vu de dentiste ou ont perdu contact avec leurs familles. Leur toxicomanie et d'autres facteurs dans leurs vies les ont aliénés, isolés de bien des choses qui font de nous des être humains complets. Nous tentons donc de les aider à jeter à nouveau ces ponts.

M. Druce a mentionné le tribunal consacré aux drogues. Selon cette stratégie, nous espérons que nos clients seront arrêtés, que les tribunaux ordonneront qu'ils soient confiés à nos soins, ce qui nous procurera une plus grande marge de main-d'oeuvre pour travailler avec eux. Nous avons eu certains succès avec des clients dans le cadre de ce programme. Une chose que nous trouvons frustrante, c'est que lorsqu'un client ne respecte pas les conditions qui lui sont imposées, et que nous le signalons aux travailleurs du tribunal consacré aux drogues, il n'y a pas vraiment de conséquences graves pour de telles infractions. Ils sont censés se présenter chez nous les mardi et jeudi, mais malheureusement certains d'entre eux ne le font pas. Je pense qu'il s'agit d'un problème de communication.

L'idée qui a inspiré le programme est bonne et ces gens sont mieux servis par nous que s'ils sont en prison. Pour bon nombre de nos clients, leur séjour en prison et leur séjour dans des foyers d'accueil ont mené à une certaine institutionnalisation, ce qui réduit vraiment leur indépendance et leur confiance pour vivre à l'extérieur d'une institution. C'est tout au moins ce que nous constatons. À cet égard, à la Maison O'Neill nous avons mis sur pied certains programmes qui visent à les aider à lutter contre leur toxicomanie et l'institutionnalisation, notamment des programmes de connaissances de base. Nous venons tout juste de mettre sur pied ces programmes, mais on a déjà constaté leur bienfait.

Une partie du problème, c'est que tout ce système de navette entre la prison et le refuge constitue un mode de vie, car pour obtenir les drogues illicites, notamment le crack et autres drogues du genre - et tous nos clients sont des usagers - ils doivent faire certaines choses. Ce style de vie les pousse à commettre de nombreux actes criminels, notamment le vol à l'étalage, le trafic de drogues ou l'achat de drogues d'un trafiquant pour la revendre à quelqu'un d'autre, de façon à pouvoir s'en garder un peu et continuer à fumer.

Dans la plupart des cas, la toxicomanie et l'usage de drogues mènent lentement à l'abus; dans le cas du crack, la progression est très rapide, de sorte que bon nombre de nos clients ne vivent que pour cela. Leur dépendance et l'abus de la drogue leur donnent un but. Dès qu'ils se lèvent le matin, ils savent qu'ils passeront toute la journée à essayer de se procurer leur dose de crack pour la journée. Cela les tient donc occupés et les distrait de bon nombre de questions auxquelles ils ne vont pas penser, et auxquelles ils ne voudraient sans doute pas penser.

Avec notre équipe de gestion des cas, nous tentons de nous attaquer à ce problème grâce à une approche axée sur le client, nous tentons de les remettre en contact avec bien des choses nécessaires qu'être humain, notamment la famille, un but, un emploi, voir un médecin, la santé, et nous avons un certain succès à cet égard.

Cela a été difficile. Au début de tout programme, on commet bien des erreurs. La plupart du temps, nous avions l'impression d'être dépassés. Cependant, nous commençons maintenant à faire réellement des progrès à bien des égards et l'expérience a été enrichissante. De façon générale, en les faisant participer au programme O'Neill et en leur offrant les services, sans les juger relativement à leur toxicomanie, en disant que cela était acceptable, nous avons constaté que lorsque qu'un client participe pour la première fois au programme O'Neill, son usage de la drogue augmente au début car il se dit: «chouette, je peux fumer de la drogue à volonté et personne ne me dira quoi que ce soit». C'est ce genre de réaction qu'ils ont au départ. Habituellement, s'ils restent plus de deux mois, leur usage de drogues commence à diminuer et la consommation excessive cesse. Ils ne s'absentent pas aussi longtemps. Lorsqu'ils arrivent, ils peuvent s'absenter pendant quatre ou cinq jours, mais cette période commence à diminuer et ils commencent vraiment à vivre ici. Ils consacrent une grande partie de leur temps au programme O'Neill.

M. Druce: Du point de vue de la politique gouvernementale, je comprends certainement que votre comité se penche surtout sur les questions entourant l'usage du cannabis et de la marijuana.

L'une des choses que nous reconnaissons certainement à l'heure actuelle, si nous avions la possibilité de faire des changements, ce serait de dire que nous avons dû accepter l'usage de drogues de la part de ces gens pour deux raisons: d'abord, surtout parce que nous reconnaissons que nous pouvons être d'un plus grand secours aux toxicomanes en acceptant leur toxicoma nie, et que l'usage des drogues fera partie de leur vie du moins initialement pendant qu'ils sont avec nous, et peut-être pendant un certain temps après nous avoir quittés. Nous avons par ailleurs dû l'accepter, en partie, parce qu'il est très difficile pour eux de cesser. En d'autres termes, nous ne pouvions exploiter un refuge en décrétant qu'aucun toxicomane ne pouvait y avoir accès. Nous nous sommes donc trouvés dans une situation où nous avons dû travailler avec les toxicomanes, et cela présente de nombreux défis.

Le tribunal consacré aux drogues a certes présenté un intérêt pour nous car il nous donnait certains moyens de pression. Pour les personnes qui voulaient s'arrêter mais qui trouvaient cela très difficile, le spectre de l'incarcération peut suffire pour les aider à se retrouver dans un endroit où ils peuvent commencer à s'attaquer à leurs problèmes de toxicomanie. Cependant, comme M. Fulgosi vous l'a dit, l'application de certaines de ces conditions a été plutôt inégale. Nous préconisons bien sûr la mise en place de sanctions pour aider ces personnes à faire des choix plus sains.

En fin de compte, en ce qui concerne les gens avec qui nous traitons et qui ont une dépendance à un certain nombre de drogues - la marijuana est certes très courante; beaucoup de gens fument de la mari; le crack est certainement plus visible pour nous - nous aimerions que des sanctions soient mises en place. Je suis cependant d'avis que l'imposition de peines autre que l'emprison nement pourrait assurément être un outil efficace dans le cadre de notre travail. Nos clients alternent actuellement entre l'incarcéra tion et le refuge, et si ce n'est du fait qu'au refuge ils peuvent sortir pendant la journée, dans leur esprit il n'y a sans doute guère de différence entre les deux.

Accroître la sévérité des peines, imposer des peines d'empri sonnement plus longues, n'est dans l'intérêt de personne. Il est vrai que ceux qui sont touchés par ces crimes les considèrent comme des crimes très graves, et je ne veux pas sous-estimer cet aspect, mais ce ne sont quand même pas les crimes les plus graves que l'on puisse commettre. Je ne crois pas que l'imposition de peines d'emprisonnement plus longues pour les crimes liés aux drogues constitue la mesure dissuasive la plus efficace.

Le sénateur Kenny: Décrivez-nous un peu vos antécédents.

M. Druce: J'ai travaillé dans des centres pour itinérants pendant 16 ans. J'ai participé au programme Katimavik en 1984 et, dans le cadre de ce programme, j'ai travaillé dans un foyer de groupe.

Le sénateur Kenny: Jacques Hébert serait fier.

M. Druce: Oui, et que Dieu le bénisse!

Le président: Très fier.

M. Druce: Puis, mon premier emploi rémunéré a été dans le domaine des services sociaux, dans les foyers de groupe. J'ai un diplôme de l'Université Ryerson, dont je ne veux pas minimiser l'importance, mais si j'avais amorcé ma carrière avec la Ville de Toronto...

Le sénateur Kenny: Vous avez fait vos études dans quel domaine?

M. Druce: En travail social. Toutefois, j'estime avoir acquis la plupart de mes connaissances en travaillant dans les centres pour itinérants. Il est certain que mes clients, ceux que j'y ai rencontrés, ont été mes meilleurs enseignants.

En ce qui a trait au recrutement, à titre de gestionnaire, je dirais que nos meilleures recrues ont été ceux qui avaient une expérience de vie diversifiée. Nous avons des employés qui ont été débardeurs, musiciens, qui ont fait face à bon nombre des mêmes problèmes que nos clients, et qui ont su les surmonter pour ensuite mettre à profit cette expérience pour aider les autres. Pour ma part, j'ai fait du bénévolat, j'ai occupé des emplois rémunérés pour ensuite obtenir mon diplôme en travail social.

M. Fulgosi: Je suppose qu'on pourrait m'inclure parmi ceux dont M. Druce vient de parler. Je suis conseiller en toxicomanie. J'ai fréquenté le Centennial College. Je suis aussi un ancien toxicomane. Je travaille dans le domaine de toxicomanie depuis environ cinq ans.

Comme l'a dit M. Druce, je travaille dans un centre pour itinérants depuis trois ans. J'ai l'avantage d'avoir vécu ce que vivent ces hommes car j'ai moi-même été toxicomane et itinérant. Ma tâche est plus facile et mon travail plus efficace car je comprends ce que vivent nos clients. Bien des gens demandent à nos clients de faire certaines choses. Moi, quand je leur demande quelque chose, je sais ce que ça implique, je connais les risques. Ce sont là mes antécédents et mes compétences.

Le sénateur Kenny: Décrivez-nous une journée de travail. À quelle heure commencez-vous? Travaillez-vous par quart, par exemple?

M. Fulgosi: Oui.

Le sénateur Kenny: Est-ce que chacun d'entre vous pourrait nous décrire une journée ou un mois de travail typique?

M. Druce: Le centre est ouvert 24 heures par jour; il y a deux quarts de travail de 12 heures. À chaque quart, trois employés sont présents: deux intervenants de première ligne et un superviseur.

Le sénateur Kenny: Ce sont trois employés pour combien de gens, combien de clients?

M. Druce: Trois employés pour 60 clients.

Le sénateur Kenny: Trois personnes servent 60 clients?

M. Druce: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Je vois.

M. Druce: Nous travaillons selon une rotation de trois mois et demi; ainsi, chacun travaille le jour pendant trois mois et demi et ensuite la nuit pendant trois mois et demi. Avec nos clients, il est important de connaître leur état à 4 heures du matin pour savoir ce qu'on peut leur demander à 16 heures.

Le sénateur Kenny: Le centre est ouvert 24 heures par jour, sept jours par semaine?

M. Druce: Oui.

Le sénateur Kenny: Qui travaille pendant les week-ends?

M. Druce: Nous suivons la rotation de trois mois et demi, sans distinction. Chacun travaille trois week-ends sur quatre et, une fois sur trois, un des deux jours du week-end. Après un certain temps, les week-ends deviennent arbitraires. Ce sont vos deux jours de congé sur une période de 14 jours.

Je vais demander à M. Fulgosi de vous décrire une journée de travail normale.

M. Fulgosi: Devrais-je vous donner notre point de vue ou celui du client?

Le sénateur Kenny: Si vous pouvez nous donner les deux, faites-le.

M. Fulgosi: En raison du style de vie des consommateurs de crack, la plupart de nos clients sont très actifs très tard le soir.

Le sénateur Kenny: Est-ce que vous nous donnez votre point de vue ou celui des clients?

M. Fulgosi: Je vais tenter de vous donner les deux.

Le sénateur Kenny: En même temps?

M. Fulgosi: Je vous donnerai d'abord mon point de vue. Au début du quart de jour, à 8 h, c'est plutôt tranquille. Selon l'horaire du Centre O' Neill, tout le monde doit être levé et prêt à déjeuner à 11 h 45. Nous servons le petit déjeuner dès 7 h 30, mais beaucoup de nos clients préfèrent dormir à cette heure-là.

Le sénateur Kenny: La moitié de vos clients?

M. Fulgosi: Je dirais que le quart d'entre eux dorment encore à l'heure du petit déjeuner. La plupart sont déjà réveillés à 7 heures, mais cela dépend. Si un groupe de clients est rentré très tard, il est probable qu'ils dorment encore à l'heure du petit déjeuner, ce que nous permettons.

Puis, le déjeuner est servi. Dans le cadre du programme de réduction des risques, nous exigeons que nos clients sortent pendant quatre heures, de midi à 16 heures. Nous espérons qu'ils tirent parti des services offerts dans la collectivité, sur les conseils de notre équipe de planification des cas. C'est pendant cette période que nos clients vont à leurs divers rendez-vous, chez le médecin par exemple, et font ce qu'ils ont à faire.

Ils rentrent à 16 heures et dînent à 18 h 15. Pour le quart de jour, c'est de 16 heures à 20 heures qu'il y a le plus d'activité, mais cette activité est positive.

Le sénateur Kenny: Mais que faites-vous pendant tout ce temps?

M. Fulgosi: Ce que je fais pendant la journée?

Le sénateur Kenny: Oui.

M. Fulgosi: De 8 heures à midi, je m'occupe de mes dossiers: je passe en revue les notes, je m'entretiens avec les clients que nous tentons d'aider. Il y a aussi beaucoup de tâches courantes comme donner des serviettes de toilette aux clients et s'assurer qu'ils ont tout ce qu'il leur faut.

De midi à 16 heures, encore une fois, je m'occupe de mes dossiers et je m'assure que les activités quotidiennes se déroulent sans heurts. Cette période est assez tranquille. Les clients qui se sont fait prescrire du repos par leur médecin restent sur place et nous nous entretenons avec eux.

Maintenant que nous avons des équipes de programme, nous travaillons à l'élaboration des programmes. Nous tentons aussi d'établir de liens avec la collectivité et, récemment, nous avons sollicité l'aide de la police car quelques trafiquants de drogues se sont installés en face, sur la rue George.

Nous sortons aussi. Beaucoup de nos clients flânent autour du centre pendant la journée. Ils ne vont à vrai dire nulle part entre midi et 16 heures.

Le sénateur Kenny: En quoi le travail de nuit diffère-t-il?

M. Druce: Je me permets d'intervenir, car je viens de finir une période de quarts de nuit. Le quart de nuit commence à 20 heures; de 20 heures jusqu'à minuit, il y a beaucoup d'interaction avec les clients. D'après le fonctionnement de notre programme, beaucoup de tâches banales s'accomplissent le jour: distribuer les draps et les serviettes, aider certaines personnes à faire leur toilette et leur lessive. Nous avons alors l'occasion de passer du temps avec nos clients, à nouer des liens dans l'accomplissement de tâches quotidiennes. De 20 heures à minuit, il y a beaucoup d'interaction: nous passons du temps avec nos clients, nous nous enquerrons de leur santé, nous discutons de problèmes médicaux. Ainsi, beaucoup des gens que nous voyons consomment des drogues par voie intraveineuse et se retrouvent avec de graves abcès.

De minuit à 4 heures, nous avons récemment commencé à consacrer beaucoup de temps à empêcher les contacts entre nos clients et les trafiquants de drogues qui se sont installés près de notre centre. Il y a quatre semaines - et c'est une des choses dont je suis le plus fier, des clients sont venus nous dire que la présence de trafiquants de drogues dans leur collectivité les préoccupait beaucoup. Il y a eu escalade du nombre d'agressions violentes dont sont victimes nos clients dans notre quartier. Il est certain qu'il y en a toujours eu, c'est un des risques associés à la consommation de drogues. Toutefois, depuis peu de temps, on assiste à une lutte de pouvoir pour la prise de contrôle du commerce de la drogue et les agressions ont augmenté. Nos clients nous ont dit que la présence de trafiquants près du centre les rendait mal à l'aise. Ils veulent pouvoir s'éloigner du monde de la drogue.

Par conséquent, nous avons commencé à consacrer pas mal de temps, la nuit, à nous promener avec notre appareil photo, à parler avec les trafiquants, à leur expliquer que leur présence n'est pas bienvenue. S'ils refusent de partir, nous prenons leur photo et nous remettons ces photos à la police. Les trafiquants nous pourchassent jusqu'à l'arrivée de la police qui les fait fuir.

De 4 heures à 8 heures, nous faisons un peu de ménage. Certains de nos clients qui étaient sortis commencent à rentrer pendant cette période. C'est aussi pendant cette période que nous recevons les appels de la Division 51 qui nous fait savoir lesquels de nos clients sont dans leurs cellules ou doivent comparaître devant le tribunal ce matin-là. Le jour, il y a beaucoup de travail à faire aux tribunaux, au tribunal de la toxicomanie, aux audiences de cautionnement et aux audiences sur le plaidoyer.

Le sénateur Kenny: Monsieur Fulgosi, comment cela se passe-t-il pour les clients?

M. Fulgosi: Cela fait déjà un certain temps et j'ai seulement été un client de Seaton House - j'ai été actif surtout dans l'Ouest. Les drogues isolent. Je me souviens que, souvent, j'avais l'impression qu'on me jugeait, ce qui était souvent le cas. Comme l'a indiqué M. Druce plus tôt, la société porte un regard moraliste sur la consommation de drogues. Son approche est très punitive. Prendre de la drogue, c'est mal; c'est contraire à la loi et, si vous le faites, vous irez en prison. J'en ai fait l'expérience et je me suis retrouvé très isolé de la société.

Je n'ai jamais profité des services d'un centre comme le Centre O'Neil, un endroit où on ne m'aurait pas jugé, où on m'aurait accepté tel que j'étais, que j'aie continué à prendre de la drogue ou non. Je ne peux donc vous dire ce que cela représente.

C'est difficile. Lorsque j'ai été institutionnalisé, j'ai perdu confiance en moi. Je ne me sentais plus en mesure de vivre à l'extérieur de l'établissement et lorsque je sortais, je me disais que cela ne durerait pas, que ce ne serait que de courte durée. De plus, j'ai dû travailler durement et j'ai eu besoin d'aide pour franchir cette étape, pour retrouver confiance en moi au point de croire que je triompherai.

Mon interaction avec les clients du Centre O'Neil se fonde en partie sur mon expérience de toxicomane. Je connais bien le réflexe qui nous pousse à blâmer les autres des malheurs qui nous accablent; je refusais de me voir tel que j'étais, je refusais de me blâmer de mes problèmes, car cela m'évitait d'apporter quelque changement que ce soit.

Nous passons par les mêmes étapes avec nos clients, et certaines des règles et des consignes que nous tentons de leur imposer pour créer une structure dans leur vie ne sont acceptées qu'avec réticence.

M. Druce: Cela pose parfois des problèmes.

Le sénateur Kenny: Je m'attendais à ce que vous nous en disiez davantage. Je m'attendais à ce que vous nous décriviez la journée d'un toxicomane qui tente de voir où il pourra trouver sa prochaine dose.

M. Fulgosi: Je comprends.

Le sénateur Kenny: Je croyais que c'était votre seule préoccupation et que les conseillers vous dérangeaient lorsqu'ils vous demandaient de faire votre lessive ou d'aller dîner.

M. Fulgosi: J'en parlais justement avec Toby avant de venir ici. J'y ai fait allusion plus tôt; la pulsion qui vous incite à consommer de la drogue est très forte, elle accapare toute votre vie. Dès le réveil, vous vous demandez où et comment trouver de la drogue puis, vous en consommez. Si en une journée, vous parvenez à vous réveiller, à trouver de la drogue et à en prendre, vous avez eu une bonne journée.

Vous en venez habituellement à commettre des crimes pour pouvoir acheter de la drogue, car la consommation de drogues est une habitude, et un mode de vie très coûteux. Le crack était censé être la cocaïne des pauvres, une drogue qu'on pouvait se payer facilement. On dit qu'on peut obtenir une dose pour 20 $, mais ça, ce n'est que le début. Il faut beaucoup d'argent pour consommer du crack. Par conséquent, vous consacrez beaucoup de temps à déterminer comment vous pourrez vous payer votre prochaine dose, ce qui comporte beaucoup de risques. Les risques que présentent les trafiquants, le risque d'être battu, le risque d'être poursuivi par la police ou d'être arrêté. Un de mes clients s'est fait fracasser le visage avec une poutre par des trafiquants de drogues parce qu'il est Noir et qu'il a osé défendre un homme blanc dans une bagarre.

Il y a aussi d'autres risques. La consommation de cocaïne peut mener à la psychose, à une paranoïa telle que vous n'osez plus fumer votre drogue nulle part. La toxicomanie avancée s'accom pagne de nombreuses craintes.

Lorsque nous avons mis sur pied le programme, bon nombre de nos clients croyaient que nous les surveillions, que nous prenions en note leur nom pour dresser une liste de toxicomanes qui seraient ensuite arrêter. Autrement dit, il y avait beaucoup de méfiance. Il nous a fallu beaucoup de temps pour créer un climat de confiance. Au départ, beaucoup de nos clients hésitent à faire confiance aux autres en raison de leur expérience avec leur famille ou la vie en général.

En résumé, je dirais que celui qui est drogué au crack n'a pas une vie très agréable, elle n'est pas du tout fascinante. Mais il est certain que c'est une vie assez dramatique en raison de tous les risques qu'il faut courir pour trouver de la drogue.

M. Druce: Pour bon nombre de nos clients, c'est l'ennui qui est la principale source de stress. Ils nous disent souvent pendant le jour qu'ils n'ont rien à faire, qu'ils s'ennuient, sachant toutefois pertinemment que, quelques heures plus tard, le temps sera venu pour eux de se préparer à sortir pour trouver et prendre de la drogue. Nous pouvons leur proposer des choses à faire, mais il ne faut pas que ces activités empiètent sur ce qui doit être fait à la fin de la journée. Ces gens passent beaucoup de temps à ne rien faire, à attendre l'heure de sortir, à se préparer à sortir le soir pour trouver de la drogue et fumer. Les activités que nous pourrions leur proposer les empêcheraient de sortir pour aller prendre de la drogue; ils préfèrent donc ne rien faire et attendre que le moment de sortir soit venu. C'est probablement la plus grande source de frustration pour ces personnes: d'une part, n'avoir rien à faire; d'autre part, n'avoir qu'une chose à faire: trouver le prochain fixe.

Le sénateur Kenny: Et où trouvent-il l'argent qui leur permet de passer leur journée à ne rien faire?

M. Druce: Ils font beaucoup de vol à l'étalage. Certains font un peu de trafic de drogue, juste assez pour se payer eux-mêmes de la drogue. Chaque jeudi, nous versons une indemnité de 26,75 $ pour besoins personnels. Le jeudi est donc une bonne journée car vous n'avez pas à vous demander où vous trouverez votre argent ce jour là.

Le sénateur Kenny: Vingt dollars par jour suffisent?

M. Druce: C'est un bon début.

M. Fulgosi: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Monsieur le Président, je pourrais continuer à vous questionner là-dessus, mais je ne veux pas accaparer le temps du comité.

Le président: Une de nos collègues voudrait poser une question; nous pourrons ensuite vous redonner la parole. Madame le sénateur Milne.

Le sénateur Milne: Votre exposé est très intéressant. Est-ce que le Centre O'Neil est physiquement distinct de Seaton House?

M. Druce: Oui, même si les deux se trouvent dans le même immeuble. Un couloir relie notre immeuble, à la cafétéria du refuge, qui n'est ouverte qu'aux heures de repas. Les entrées et les sorties sont distinctes des entrées principales.

Le sénateur Milne: Si je me souviens bien, Seaton House se trouve sur la rue Sherbourne ou la rue Parliament?

M. Druce: La rue George.

Le sénateur Milne: Vous êtes donc tout prêt de Regent Park?

M. Druce: Oui.

Le sénateur Milne: C'est là que se trouvent les trafiquants de drogue, je suppose, ceux qui se sont installés en face de chez vous?

M. Fulgosi: D'après ce que m'ont dit les clients, la plupart des trafiquants sont de Regent Park, mais il y en a aussi dans les rues Jane et Finch.

Le sénateur Milne: Ça alors.

M. Druce: C'est un coin de plus en plus populaire.

M. Fulgosi: En effet.

Le sénateur Milne: C'est très décourageant.

M. Druce: Oui.

Le sénateur Milne: J'indique pour la gouverne des membres du comité qui l'ignorent que Regent Park a été le premier projet de logements publics du monde, pratiquement. C'était alors une expérience et, comme nous le savons maintenant, cette expérience a échoué. Nous en savons maintenant beaucoup plus sur la façon de construire les logements sociaux.

Vous avez dit que 80 p. 100 de vos clients résident chez vous pendant moins de six mois?

M. Druce: C'est exact.

Le sénateur Milne: Pendant ces six mois, ils font la navette entre la prison et le Centre O'Neil?

M. Druce: Oui.

Le sénateur Milne: Ces personnes relèvent donc de vous?

M. Druce: Ça dépend. Dans le cas de ceux qui ont été arrêtés, si les accusations dont ils font l'objet peuvent être entendues par le tribunal de la toxicomanie, nous les encourageons à le faire.

Cela ne plaît pas à tous. Certains considèrent la peine d'emprisonnement comme une période de désintoxication, et nous ne nous opposons pas à ce choix. Il est certain que les tests de dépistage de drogue des détenus incarcérés sont toujours négatifs. On peut obtenir des drogues même en prison, mais certainement pas avec la même fréquence qu'à l'extérieur. Certains considèrent donc la prison comme un centre de désintoxication et préfèrent ne pas en sortir.

Il nous arrive d'aller devant les tribunaux au nom de clients pour leur dire que, s'ils le souhaitent, ils peuvent remettre ces contrevenants entre nos mains et que nous les aideront à respecter les conditions de leur cautionnement, ou pour signaler les violations de ces conditions. Je pense ici au cas où l'intéressé sort du centre, consomme des drogues et se retrouve ensuite avec un résultat positif à l'analyse d'urine. Puisque ces contrevenants sont censés ne pas consommer de drogue, nous devons signaler ces cas là. Ces personnes ne savent plus que faire.

Le sénateur Milne: Faites-vous régulièrement des analyses d'urine dans le cas des clients dont vous avez la charge?

M. Druce: Oui, nous faisons des tests au hasard. De façon plus générale, si nous craignons que quelqu'un ait pris de la drogue, nous faisons un test auprès de tous nos clients.

Le sénateur Di Nino: Vos clients doivent-ils assumer des responsabilités pendant leur séjour au Centre O'Neill?

M. Druce: Oui. Doivent-ils assumer de nombreuses responsa bilités? Oui. Assument-ils beaucoup de ces responsabilités? Non, parce qu'ils sont toxicomanes. Notre travail consiste notamment à les aider à assumer une part de ces responsabilités, surtout celles relatives à leur comportement.

Le sénateur Di Nino: Entre-temps, toutefois, vous prenez soin d'eux 24 heures par jour?

M. Druce: Oui.

Le sénateur Di Nino: Vous vous assurez que tous leurs besoins personnels sont satisfaits?

M. Druce: Oui.

M. Fulgosi: Après l'évaluation, lorsque nous acceptons un client, nous établissons un genre de contrat qui décrit ce à quoi le client peut s'attendre de nous et ce que nous attendons de lui. Ainsi, au début, on s'attendait à ce que les clients lavent leurs draps, fassent leur lessive et voient à leur hygiène personnelle. Récemment, nous avons commencé un nouveau genre d'évalua tion. Toutefois, les clients sont généralement responsables de leur lit et de leur hygiène personnelle. Comme l'a dit M. Druce, nous mettons de plus en plus l'accent sur le comportement, ce qui comprend l'interaction et l'adaptation.

Le sénateur Di Nino: Il s'agit essentiellement d'adultes, n'est-ce pas?

M. Druce: Oui.

Le sénateur Di Nino: Vous n'acceptez pas... L'âge minimal est de 19 ans?

M. Druce: D'après notre règlement, c'est 16 ans.

Le sénateur Di Nino: 16 ans?

M. Druce: En pratique, si un jeune de 16 ans accro au crack venait nous voir, nous ne l'accueillerions pas sans doute; nous le renverrions probablement à la Société d'aide à l'enfance, car notre centre ne s'adresse pas à ceux qui commencent à consommer de la drogue. L'âge moyen de nos clients est de 37 ans.

Le sénateur Di Nino: Vos clients ont-ils des problèmes de comportement sexuel ou de mauvais comportement sexuel? Avez-vous eu à régler des problèmes de ce genre?

M. Druce: Pas encore.

M. Fulgosi: Pas au centre O'Neill.

M. Druce: Non. En général, les gens sont prudents. Notre centre étant un genre de refuge, si deux clients veulent avoir des relations sexuelles ensemble, ils savent que ce n'est pas l'endroit pour le faire. Ils loueront une chambre quelque part ou iront ailleurs. Ce genre de problème est aussi limité par le fait que les femmes n'ont pas accès au centre.

Le sénateur Di Nino: Et les familles de vos clients? Est-ce que vous tentez de communiquer avec elles, de les faire participer au programme?

M. Fulgosi: Seulement si c'est ce que souhaite le client. Si c'est indiqué, nous encourageons le client à le faire, mais nous le forçons jamais.

Le sénateur Di Nino: Comment cela se passe-t-il en général?

M. Druce: Habituellement, c'est une expérience positive. Lorsqu'un client veut communiquer avec sa famille, c'est habituellement quelqu'un qui affirme depuis longtemps à sa famille qu'il veut cesser de consommer de la drogue, qu'il fait un effort, que tout sera différent dorénavant. Habituellement, les familles sont plutôt sceptiques, et parfois à juste titre.

Mais lorsque les clients peuvent prouver qu'ils ont réalisé des progrès, parce qu'ils ont fait l'objet d'une mesure de déjudiciari sation ou que, à la suite d'un traitement, ils ont eu plusieurs tests de dépistage positifs après analyse d'urine, ils peuvent commen cer à renouer les liens.

Le sénateur Di Nino: De toute évidence, l'étude du comité porte essentiellement sur le cannabis et la marijuana, mais votre exposé va tout à fait dans le sens de notre discussion. Avez-vous des recommandations à faire, par ordre de priorité, dont nous pourrions tenir compte, sinon dans ce rapport, mais du moins aux fins de nos prochains rapports? Qu'aimeriez-vous nous dire à ce sujet?

M. Fulgosi: Personnellement, je pense que le problème auquel nous nous heurtons relativement aux drogues illicites est dû en grande partie à l'idée que s'en fait la société. Je ne parle pas de toutes les drogues, car c'est un sujet différent. Toutefois, puisque votre étude porte sur la marijuana, si l'on criminalise l'achat et la consommation de marijuana, on met automatiquement la person ne en cause dans une situation peu souhaitable car elle doit traiter avec des éléments criminels, et se rendre dans des quartiers de la ville comme Regent Park pour obtenir les drogues.

Si l'on assouplit les politiques et que l'on traite la toxicomanie comme une question de santé publique, c'est-à-dire dans le contexte médical plutôt que pénal, cela changera bien des choses, à mon avis. Cela donnera un tout autre profil à l'accoutumance, en toute franchise.

M. Druce: Racontez-leur l'histoire du magasin.

M. Fulgosi: Oui. Si nous nous concentrons uniquement sur la marijuana, j'ai constaté une chose avec les clients: s'ils sont accrochés au crack, ils aiment suivre ce que nous appelons un programme d'entretien à la marijuana, dans le cadre duquel ils ne fument que de la marijuana. C'est un terme que bien des gens connaissent bien.

J'utilise à cet égard une comparaison: si vous alliez dans un magasin, à titre de client, et que le magasin disposait toutes ces drogues sur une étagère, la marijuana se trouverait aux côtés des autres drogues. Puis un jour, la marijuana ne serait plus sur cette étagère, mais un autre produit s'y trouverait, et selon toute vraisemblance, le client prendrait cet autre produit. En d'autres termes, le fait que tout soit disponible au même endroit pose un problème de plus grande envergure.

M. Druce: Pour ma part, en tout cas, je ne minimiserais jamais l'incidence que la consommation de drogue a sur la personne qui la consomme, ou sur sa famille, ou encore sur sa collectivité. La toxicomanie pose d'énormes problèmes dont vous avez certaine ment beaucoup entendu parler.

Ce qui nous occupe à l'heure actuelle avec ce groupe d'hommes, c'est d'essayer de réduire les risques chaque fois que possible. Nous pouvons notamment, pour réduire les risques, intervenir au niveau de ce qu'ils doivent faire pour atteindre un état high. S'ils peuvent se contenter de marijuana, car c'est la seule drogue qu'on puisse obtenir légalement, cela sera évidem ment utile car tous les comportements associés disparaîtront. Ces personnes continueront d'avoir un problème d'accoutumance, et nous essaierons d'y remédier, mais cela supprime les problèmes secondaires entourant la toxicomanie et auxquels il nous est beaucoup plus difficile de nous attaquer.

Le sénateur Di Nino: À votre avis, fumer du cannabis représente-t-il une accoutumance?

M. Druce: Je fume des cigarettes, et je suis évidemment accroché au tabac.

Le sénateur Di Nino: Ne le dites pas au sénateur Kenny. Il viendra vous en parler plus tard.

M. Fulgosi: Lorsqu'on parle d'accoutumance, la drogue proprement dite n'est qu'une substance. C'est plutôt la façon dont la personne utilise cette substance qui fait qu'elle représente une accoutumance, ou un abus ou un problème social. Tout dépend de l'utilisation qu'on en fait. C'est en grande partie là qu'est le problème.

M. Druce: À mon avis, personne ne vient dans nos refuges - en tout cas pas dans nos foyers, simplement parce que la personne est toxicomane. La toxicomanie fait partie intégrante d'un autre problème. Si j'étais toxicomane, parmi tous les foyers où il me faudrait résider, je pense que Seaton House serait sans doute le mieux, mais c'est un endroit horrible. Je ne recommande à personne d'y résider pendant longtemps.

Étant donné les expériences vécues par nombre de nos clients, qu'il s'agisse de sévices sexuels pendant l'enfance, ce qui est un cas fréquent au sein de ce groupe, et des diverses expériences de la vie qu'ils ont connues, si le fait de fumer de la marijuana leur permet aujourd'hui de tenir le coup, alors je pense que c'est sans doute la chose à faire. Effectivement, ils ont une dépendance à cet égard, mais sans doute pour de très bonnes raisons, car c'est ce qui leur permet de rester en vie à l'heure actuelle.

Existe-t-il d'autre chose qui les aiderait à faire face s'ils réussissaient à résoudre ces autres problèmes? Oui, certainement. Ils pourraient faire d'autres choix, mais je conviens avec M. Fulgosi que la toxicomanie est plus liée à la façon dont on consomme la substance qu'à la substance proprement dite.

Le président: Comment les voisins réagissent-ils à votre présence dans leur quartier?

M. Druce: Je dirais que les choses s'améliorent.

Le président: Ils vous ont demandé de déménager?

Le sénateur Di Nino: Vous devriez faire de la politique.

M. Druce: Il va sans dire que la présence d'un foyer de 700 lits pour des hommes sans abri pose évidemment certains problèmes. Toutefois, Seaton House est à son adresse actuelle depuis 47 ans. Nous occupons la presque totalité du pâté de maisons et, de l'autre côté de la rue se trouve le centre de détention de York pour les jeunes contrevenants, qui occupe la majeure de partie de l'autre côté du pâté; jusqu'à tout dernièrement, nous n'avions pas beaucoup de voisins.

Nous avons aujourd'hui plus de voisins, au bout de la rue. Quelqu'un a démoli certains vieux édifices et construit à la place des maisons à 250 000 $; les gens qui occupent ces maisons sont exaspérés par ce qui se passe devant notre porte d'entrée. Nous leur avons dit que, depuis 47 ans, ce genre de choses se produisait ici même, et que si leur agent immobilier avait omis de le leur dire, ce n'était pas notre problème.

Toutefois, le problème devient de plus en plus le nôtre. Un grand nombre d'appartements en copropriété se construisent dans notre quartier et les gens qui sont propriétaires d'une maison depuis déjà un certain temps ont des préoccupations bien légitimes au sujet de ce qui se passe dans le quartier. Nous partageons ces inquiétudes car, depuis six ans que je travaille à Seaton House, chaque fois que j'ai dû intervenir physiquement, cela a été dû directement ou indirectement à une prise de bec entre deux personnes qui ne résident pas à Seaton House. Bien des gens viennent dans notre foyer pour acheter, ou vendre, car dans toute la Division 51, si les gens doivent fumer des drogues dans la rue, c'est un endroit idéal pour le faire car il y a moins de voisins et que, encore une fois, le quartier est limité. Nous ne pouvons pas empêcher ce genre de choses, et c'est pourquoi nous essayons de limiter cette activité à un seul secteur. En outre, c'est un endroit relativement sûr où les gens peuvent venir en sachant qu'ils ne se feront pas harceler.

Cependant, il est évident que la violence dont nous commen çons à être témoins inquiète nos voisins. Cela nous inquiète également et c'est pourquoi nous adoptons, de concert avec les voisins, des stratégies qui nous permettront de nous occuper de façon sérieuse des gens qui fournissent la drogue, des vendeurs qui servent nos clients. C'est là qu'il nous faut faire des progrès. Si nous pouvons fermer la source d'approvisionnement un peu plus loin en amont de la chaîne alimentaire, ce sera une bonne chose pour nous.

Le président: Vous avez parlé de la marijuana dans votre témoignage. D'après votre expérience, est-il possible de convenir, comme le prétendent les Hollandais, qu'il existe un marché distinct pour la marijuana de celui des autres drogues? Peut-on faire une distinction entre ces deux marchés?

M. Fulgosi: Je crois que c'est possible, d'après mon expérience. Est-ce que vous parlez de légaliser la marijuana ou des drogues en général?

Le président: Non. Je parle du marché.

M. Fulgosi: Sur le marché. Il est vrai que les consommateurs de marijuana constituent un groupe plus important et plus varié que ceux qui consomment des drogues comme le crack et l'héroïne. Toutefois, tous ces produits sont dans le même panier parce qu'ils sont tous illégaux. On est donc obligé d'acheter cette drogue généralement au même endroit que là où se vendent les autres drogues, voire à la même personne.

Le président: Entendu. C'est ma question. Est-ce le même réseau?

M. Fulgosi: Oui, en général.

M. Druce: Du point de vue économique, lorsqu'on achète un produit de façon illégale, la marge bénéficiaire du vendeur est plus importante pour les drogues dures. Plus vite ils peuvent vous faire passer à ces drogues, plus c'est intéressant pour eux du point de vue économique. Je conviens toutefois qu'il existe sans doute deux marchés.

Le président: Deux marchés?

M. Druce: Oui. En tout cas plus d'un.

Le sénateur Kenny: Vous posez des questions intéressantes, monsieur le président. Monsieur Druce, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre remarque selon laquelle plus vite le vendeur peut vous faire passer à une drogue dure, mieux c'est pour lui. Nous avons entendu de nombreux témoignages selon lesquels la marijuana n'est pas une drogue d'introduction.

M. Druce: En effet.

Le sénateur Kenny: Un des témoins de ce matin a dit que bien des gens boivent du café également et que ce n'est pas pour autant qu'ils commencent à fumer du crack.

M. Druce: Non, mais cela les incite à passer à l'espresso.

Le sénateur Kenny: C'est possible. Êtes-vous d'un avis différent, d'après votre expérience? En d'autres termes, êtes-vous témoin d'efforts concrets pour inciter les fumeurs de marijuana à passer à des drogues dures, et à continuer à les consommer?

M. Fulgosi: Je ne pense pas qu'un vendeur se dise: «Je vais commencer à faire consommer de la marijuana à telle personne et ensuite je lui vendrai de la cocaïne ou du crack». En général, un vendeur commence par vendre de la marijuana et il se rend compte ensuite que le crack représente un marché beaucoup plus lucratif, et il se lance sans doute dans cette activité.

Dans la rue, c'est entièrement une question de relations, de savoir qui on connaît, et il est difficile de créer de nouveaux liens. En général, il faut être présenté par une tierce personne et on continue de faire affaires avec celle que l'on connaît. Si d'un seul coup votre vendeur commence à vendre du crack et si vous allez le voir et que ce jour-là vous voulez vous relaxer, vous faire plaisir ou passer un bon moment, vous déciderez peut-être d'essayer le crack. Toutefois, je ne prétends pas que ce soit la règle.

Le sénateur Kenny: Vous passerez toutefois un après-midi bien différent.

M. Fulgosi: Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Kenny: Le sénateur Nolin a soulevé il y a un instant la question du «pas de ça chez moi», et vous nous avez expliqué que votre établissement occupe tout un pâté de maisons. Il m'arrive de penser que si vous aviez des établissements plus petits éparpillés dans les quartiers, vous obtiendriez de meilleurs résultats, mais je ne sais pas si c'est vraiment le cas.

Qu'en pensez-vous? Vaut-il mieux avoir un établissement important en plein centre-ville, sans avoir de problème avec les voisins, ou d'avoir des voisins qui...

Le président: Vous haïssent.

Le sénateur Kenny: ... travaillent généralement dans le même domaine que vous, par exemple le centre de détention dont vous avez parlé? Quel est le milieu idéal?

M. Druce: Je vais vous donner mon avis et vous pourrez ensuite me donner le vôtre. Je ne pense pas qu'il existe vraiment un milieu idéal. Les diverses options présentent toutes des intérêts. Lorsque j'ai commencé à travailler à Seaton House, l'établissement offrait deux programmes: ou bien les personnes étaient handicapées physiquement, âgées de plus de 55 ans et payaient un loyer, ou elles faisaient partie du reste des groupes. Nous étions tenus d'accepter toute personne qui avait besoin d'un abri d'urgence. Par conséquent, c'est une bonne chose d'avoir un établissement important organisé de façon à pouvoir recevoir tout un éventail de personnes différentes; il est bon que les clients aient ce genre d'endroit où aller.

Toutefois, au cours de l'année où j'ai travaillé avecles 60 clients les plus toxicomanes au sein de ce groupede 690 personnes, j'ai pu constater que le fait d'évoluer dans un cadre plus restreint a fait disparaître les préjugés, comme l'a dit M. Fulgosi. En d'autres termes, en disant: «Le saviez-vous? Pour participer à ce programme, vous devez être toxicomane consom mateur de crack, de sorte que si vous êtes accroché aux drogues, n'hésitez pas à venir». Il y a donc d'office une chose que tout le monde comprend, même si nous n'en faisons pas fi: que la toxicomanie est un problème pour cette personne. À cet égard, il a été beaucoup plus utile pour nous de fonctionner dans un cadre plus restreint, même si cela faisait partie du même bâtiment. Si l'on pouvait avoir une sorte de «microfoyers», ce serait également intéressant. Le fait de pouvoir écarter les gens d'une zone centrale aurait pour effet d'étaler le problème, et de réduire quelque peu les préjugés, même s'il n'existe évidemment aucune solution d'ordre géographique aux problèmes de nos clients.

M. Fulgosi: Je suis d'accord avec ce que dit mon collègue M. Druce. À mon avis, Seaton House est un établissement important étant donné que nous offrons de nombreux services axés sur les besoins personnels de nos clients. Pour ce qui est des petits foyers, je suis fermement convaincu que pour que nos clients progressent et finissent par quitter les foyers, ils doivent recevoir de l'aide dans un établissement semblable à un foyer de transition. Je ne sais pas si c'est le bon terme, mais en tout cas un petit foyer excentré, car bon nombre des refuges sont concentrés dans ce secteur central.

J'ai eu des discussions avec des clients qui me disent qu'ils ne veulent pas fumer du crack mais que chaque fois qu'ils sortent de l'établissement, ils en trouvent partout; et cela dure depuis leur arrivée dans un foyer. S'ils pouvaient se trouver un endroit où il leur est possible de - je ne veux pas utiliser le terme «obtenir leur diplôme» mais où ils puissent s'écarter peu à peu du foyer, se rapprocher d'une collectivité qui n'est pas un milieu de toxicomanes, leur permettre de vivre à un endroit où ils ne sont pas immergés dans cette culture de la drogue, ce serait très utile mais cela devrait faire partie intégrante du système. En effet, je suis partisan des petits foyers et je crois que c'est ce que nous ferons grâce au programme des chalets, lorsqu'il sera en vigueur. Je crois savoir que c'est en cours d'élaboration.

M. Druce: Malheureusement, la réalité veut que mes collègues qui gèrent l'annexe se complaisent à dire que leur emploi et leur réussite consistent à ramener les gens au fond du trou. Nous pourrions avoir des petits établissements dans des quartiers plus résidentiels, ou des quartiers qui ne sont pas aussi touchés par la pauvreté et les drogues que celui où nous nous trouvons à l'heure actuelle, mais selon toute vraisemblance, pour la plupart des clients, le résultat du programme, s'il réussissait, équivaudrait à les envoyer dans des centres de traitement. En d'autres termes, nous pourrions envoyer une personne à Windsor pendant un certain nombre de mois et là-bas, la personne serait désintoxiquée mais, en fin de compte, dès qu'elle reviendrait à Toronto, ses moyens lui permettraient simplement de se loger dans un quartier semblable à celui où elle se trouvait à l'époque où elle consommait de la drogue. Tous ces facteurs sont reliés. Le fait de ne pas pouvoir dire à une personne qui réussit: «Nous pouvons vous trouver un logement acceptable et abordable dans un endroit où tout le monde ne fume pas du crack» signifie que cette personne n'aura pas d'autre choix que de retourner là d'où elle vient. Si ces personnes ont acquis suffisamment d'outils et savent se retenir pour ne pas retomber dans la drogue, alors je les salue, car c'est un véritable combat.

Le sénateur Kenny: Je m'excuse de tenir des propos si personnels, mais vous avez parlé plus tôt de certains risques et de vos préoccupations. Que pouvez-vous dire au comité au sujet de ces risques et, en réalité, des satisfactions que vous éprouvez, ayant une aussi longue expérience, et quelles sont vos craintes? Vous avez parlé de certains problèmes auxquels vous vous heurtez au cours d'une journée, et il est évident que vous vous trouvez parfois dans des situations où il y a certain danger pour vous. Pouvez-vous nous parler de ce genre de problèmes?

M. Fulgosi: Oui. Je n'ai jamais ressenti la moindre menace pour ma sécurité personnelle. Je sais que lorsque nous avons commencé, les dossiers de bon nombre de nos clients faisaient état de certains actes de violence. On disait de Seaton House que l'établissement abritait certains des pires contrevenants et qu'il devait être absolument terrible d'y travailler. Nous avons constaté que le nombre de cas de violence a diminué, ce qui est en partie dû au fait nous acceptons nos clients tels qu'ils sont et leur style de vie; nous les acceptons sans réserve, en leur disant que nous sommes au courant et que nous comprenons; que nous n'avons pas l'intention de les juger. C'est ce qui a permis de réduire les tensions que ressentaient bon nombre de nos clients.

Au quotidien, la seule menace que j'ai jamais ressentie provient des vendeurs au coin de la rue. Certains d'entre eux agissent de façon menaçante et sont même parfois très agressifs. Je me suis senti menacé par la menace qu'il présente pour nos clients, mais je ne me suis jamais senti menacé physiquement ou personnelle ment lorsque je me trouve avec nos clients.

Le sénateur Kenny: Quel est le côté positif? Qu'est-ce qui vous permet de tenir le coup? Qu'est-ce qui vous motive?

M. Fulgosi: Il est très gratifiant d'aider les gens. J'aime beaucoup aider les gens. Il est tout particulièrement gratifiant de les aider à ce niveau car Seaton House, à bien des égards, est un peu l'endroit de la dernière chance, leur dernière escale, et bien des gens tiennent pour acquis que ces hommes sont vivants et qu'ils habitent à Seaton House, et sont aux prises avec de nombreux problèmes. Il est tout à fait fascinant de travailler auprès d'une personne et de l'aider à surmonter certains de ses problèmes et de la voir y parvenir. Rien n'égale cette expérience.

Le sénateur Milne: Combien d'histoires de réussite avez-vous à votre actif?

M. Fulgosi: Dans le cadre du programme O'Neill?

M. Druce: Je dirais environ 275. Il y a des gens qui n'ont pas réussi à rester suffisamment longtemps au même endroit pour être assez à l'aise pour entreprendre de s'attaquer aux problèmes qui les ont mis dans leur situation actuelle, il y en a encore aujourd'hui. Cela s'est fait grâce au travail assidu de la part de certaines personnes très dévouées, et d'un énorme soutien. Quant à savoir combien de personnes ont cessé de consommer de la drogue et ont quitté les foyers, il y en a peu. Je dirais une demi-douzaine.

Nous avons réussi à franchir notre première année. À l'époque où nous avons ouvert nos portes, on comparait notre établissement à un navire en train de couler, avec un seul canot de sauvetage, à savoir le Centre O'Neill. Nous avons depuis trouvé une place à bord du canot de sauvetage. Nous sommes tous en train de ramer. Nous essayons simplement d'apprendre aux gens à ramer dans le même sens et, lorsque cela sera fait, nous atteindrons un objectif. C'est notre projet pour l'an prochain.

Le président: Poursuivez votre bon travail.

M. Druce: Merci.

Le président: Vous nous donnez la volonté de continuer et de faire en sorte que des témoignages comme le vôtre soient entendus par le grand public. Merci beaucoup à tous les deux, monsieur Druce et monsieur Fulgosi, d'avoir accepté de témoigner devant notre comité.

Le président: Le témoin suivant est Dennis Long de Breakaway.

Nous vous écoutons, monsieur Long.

M. Dennis Long, directeur général, Breakaway: Je suis directeur général de Breakaway. C'est l'un des plus grands centres de traitement des toxicomanes à Toronto. Nous appliquons divers programmes, tous axés sur la réduction des préjudices. Nous offrons notamment les programmes pour les jeunes, qui sont un programme de traitement de jour, plus ou moins semblable à l'école. Les gens s'y rendent le matin et moi l'après-midi, et il y a une clinique externe à l'intention des jeunes qui consomment des substances illicites, et de leurs parents.

Nous appliquons également un programme d'action sociale de rue, le Street Outreach Program, qui prévoit un échange de seringues et la fourniture de matériaux sûrs pour les injections et des renseignements, du counselling en cas de crise et d'autres activités de rue auprès des gens qui vivent dans la rue. Les responsables de ce programme passent également énormément de temps dans les divers centres de détention de Toronto: la Don Jail, le Metro West, le Vanier Centre for Women, et Mimico.

Enfin, nous exploitons la deuxième plus grande clinique de méthadone de la ville, qui fournit des doses régulières de méthadone, de buprénorphine et de LAAM, ou levo-alpha-acetyl methadol, à environ 130 personnes. Je le répète, tous ces programmes sont offerts dans le cadre d'une stratégie de réduction des préjudices. En d'autres termes, nous adoptons une position neutre à l'égard de la consommation d'autres drogues. Notre rôle n'est pas de dire que c'est bien, ni que c'est mal; nous acceptons cet état de fait et nous essayons de composer avec en vue de réduire les préjudices dont font l'objet les toxicomanes et ceux auxquels ils risquent de se heurter, de façon à les aider à améliorer la qualité de leur vie et leur mode de vie.

J'ai voulu comparaître devant votre comité pour vous faire par de deux choses: d'une part, et je pense qu'on vous en a déjà parlé, et c'est pourquoi j'aborderai la question brièvement, la législation actuelle qui, d'après notre expérience dans le contexte des traitements, et cetera, a été un ignoble fiasco. La loi ne diminue en rien la consommation de drogues et ne semble pas réduire les conséquences sociales de celles-ci. Des personnes plus compéten tes que moi vous en ont certainement parlé au cours de vos audiences, et je ne m'étendrai pas sur la question, mais je dirai simplement que, de notre point de vue et dans le secteur où je travaille, il est un fait acquis que l'interdiction et l'application de la loi ne donnent aucun résultat, et constituent même un sérieux obstacle à nos activités.

C'est, je suppose, la principale remarque que je voulais faire dans le cadre de mon témoignage, à savoir que l'interdiction de la marijuana, notamment, coûte énormément cher. Cette année, j'étais assis sur la terrasse de mon chalet, qui se trouve près de North Bay, et un jour un hélicoptère qui faisait des allers et retours dans le ciel a interrompu ma tranquillité. Je suis allé en ville et j'ai demandé pourquoi cet hélicoptère sillonnait le ciel. On m'a répondu que c'était la police anti-drogues qui était à la recherche de plantations personnelles de marijuana. Lorsque j'ai demandé combien coûtait un vol d'hélicoptère par jour, on m'a répondu que c'était dans les 8 000 $. Je me suis dit: je dirige une clinique dont les employés n'ont pas reçu d'augmentation de traitement depuis sept ans et on dépense 8 000 $ par jour pour sillonner le ciel du nord de l'Ontario à la recherche de quelques plants de marijuana. Il y a vraiment quelque chose qui cloche.

Je dois admettre également que lorsque j'ai lu les articles de journaux au sujet de l'intention du gouvernement de cultiver la marijuana au fond d'une mine, j'ai commencé à m'interroger sur la logique de tout cela; nous prenons une mauvaise herbe et nous essayons de la faire pousser au fond d'une mine, à grands frais, en prévoyant plusieurs niveaux de sécurité, afin de répondre aux besoins médicaux de certaines personnes.

S'agissant de traitement et de prévention, dans notre clinique et surtout dans le cadre des programmes à l'intention des jeunes offerts par notre clinique, le nombre de personnes qui font état de problèmes liés à la consommation de substances, et la marijuana représente 50 à 60 p. 100 de ces cas, selon l'année. Ce pourcentage vous incitera peut-être à vous demander pourquoi je suis venu témoigner devant votre comité pour vous dire ce que je vais vous dire au sujet de la législation concernant la marijuana. Je répondrai que ce sont des chiffres très modestes. Nous constatons que, la plupart du temps, ce sont les enfants qui viennent nous trouver pour nous faire part de problèmes très différents de ceux de la marijuana; la plupart du temps, l'explication marijuana pour leurs problèmes provient d'autres personnes, voir de tiers: leurs parents, les autorités scolaires ou autres. Ces jeunes se sont fait prendre en train de fumer à un endroit où ils ne devaient pas se trouver, leurs parents ont trouvé un joint de marijuana dans leur tiroir à sous-vêtements ou ailleurs, et souvent on nous amène ces jeunes en nous demandant de résoudre leur problème de marijuana.

Dans certains cas, nous nous contentons de les renvoyer à la maison avec une tape amicale sur la tête et des paroles rassurantes pour les parents. Dans beaucoup d'autres cas, nous constatons que les problèmes ont très peu, sinon rien, à voir avec la consommation de marijuana. Comme beaucoup d'autres vous l'ont sans doute dit, dans bien des cas, la marijuana est leur bouée de sauvetage qui les empêche de sombrer.

On constate que ces jeunes ont souvent de graves problèmes d'alcoolisme. Ce problème demeure le numéro deux sur notre liste et, en fait, c'est notre problème le plus difficile, en particulier chez les jeunes. Nous constatons également qu'il est difficile de dissiper les inquiétudes des parents quant à la consommation de marijuana. Il arrive souvent que des parents viennent nous voir avec leur fils et nous disent: «Il boit. Vous savez, il est ivre presque toutes les fins de semaine, mais ce n'est pas pour cette raison que nous sommes ici. Il fume de la drogue.» De notre point de vue, nous avons vraiment un problème parce que l'alcoolisme est souvent un problème beaucoup plus grave pour la personne en question que le fait de fumer de la marijuana.

Il y a encore autre chose que je veux mentionner: l'interdiction de cette substance est un problème pour nous du point de vue du traitement et de la prévention, d'un point de vue très particulier. Voici comment nous voyons les choses. Quand il y a consomma tion d'une substance donnée dans une société donnée, les gens apprennent quelles sont les règles sociales, quelles sont les conventions entourant l'utilisation de cette substance, et plus ça fait longtemps que la substance circule dans la société, plus il est probable que les gens comprennent le contexte de son utilisation, connaissent les effets de la substance et savent comment aborder les problèmes éventuels.

L'alcool en est un bon exemple. Nous n'avons toujours pas résolu tous les problèmes que soulève la consommation d'alcool, mais il est certain que nous avons une bien meilleure compréhen sion de ces problèmes; nous savons comment cette substance peut être consommée de manière sécuritaire dans notre société. Quand on interdit quelque chose, ce travail ne se fait pas et ne peut pas se faire parce que les gens ne peuvent pas admettre ou reconnaître publiquement qu'ils utilisent la substance en question, laquelle devient donc plus problématique qu'elle ne devrait l'être.

Cette situation se manifeste très souvent dans les familles que nous voyons. Les parents se mettent en colère parce que leurs enfants fument de la marijuana et il leur est très difficile de faire abstraction de cela et de s'attaquer à d'autres problèmes qui devraient pourtant être prioritaires. Cela devient quasiment de l'hystérie dans certaines familles. On peut en dire autant pour la société dans son ensemble. Nous ne pourrons pas intégrer cette substance dans nos vies quotidiennes et dans notre société tant qu'elle sera interdite, car l'interdiction interdit d'aborder ouverte ment la question.

Il y a un autre argument que je veux soulever, c'est l'aspect financier dont j'ai touché un mot tout à l'heure. Nous dépensons des sommes énormes pour l'interdiction. Je crois d'ailleurs que vous avez entendu aujourd'hui le chef Fantino, qui a dit «Il nous faut davantage de ressources» et il a ajouté, si j'ai bien compris, qu'il y a toute une hiérarchie ou une foule d'éléments différents dont nous avons besoin pour nous attaquer à ce problème, dont l'un est le traitement. Je reviens encore là-dessus parce que je trouve que c'est extrêmement important. Dans notre province, en tout cas, et je crois savoir que la situation n'est pas rare partout au Canada, nous n'avons pas obtenu la moindre nouvelle ressource pour le traitement des toxicomanies depuis neuf ans. Si le chef Fantino était ici, je voudrais lui demander combien d'augmenta tions budgétaires il a obtenues depuis neuf ans, car je crois qu'elles ont été considérables.

Par ailleurs, nous avons à peu près le même montant d'argent pour une charge de travail qui s'est alourdie d'un quart depuis neuf ans. Le nombre de personnes qui viennent demander de l'aide a augmenté d'environ 25 p. 100 depuis neuf ans et nous disposons toujours des mêmes ressources pour les aider. De plus, nous ne pouvons pas verser des salaires intéressants et nous avons de la difficulté à garder nos effectifs.

Par conséquent, la recommandation que je fais au comité exige, je crois, beaucoup de réflexion, et elle doit être prise très au sérieux, à savoir que la marijuana doit être légalisée et réglementée. Du point de vue du traitement, cela voudrait dire que nous pourrions alors consacrer des ressources au traitement des gens qui ont des problèmes, et qui constituent une très petite proportion de tous ceux qui consomment cette substance; pour parler crûment, cela voudrait dire que nous pourrions alors détourner vers des programmes sociaux plus productifs les ressources que nous consacrons actuellement à lutter contre les criminels. De plus, en taxant cela à mort, nous pourrions tirer des ressources encore plus abondantes qui pourraient nous aider à traiter de façon plus efficace les gens qui ont des problèmes de toxicomanie.

C'est à peu près tout ce que j'ai à dire; je vais m'en tenir là et voir quelles questions vous avez à poser.

Le sénateur Wilson: Monsieur Long, nous venons d'entendre les représentants de Seaton House nous parler de leur programme pour les hommes. Je constate que vous avez un certain nombre de femmes dans vos programmes.

M. Long: Oui. Tous nos programmes s'adressent aux deux sexes.

Le sénateur Wilson: Quelle est la corrélation entre le phénomène des sans-abri et les toxicomanies?

M. Long: La clochardise est un problème important, surtout pour les gens qui sont inscrits à notre programme de méthadone. Par ailleurs, il est évident que le programme Street Outreach s'adresse d'abord et avant tout à des gens qui sont sans abri, que ce soit temporairement ou en permanence. La plupart des gens que l'on rencontre à Street Outreach ont un logement insalubre ou pas de logement du tout. À cette époque de l'année, la plupart des gens sont sans abri.

La corrélation est essentiellement culturelle, à mon avis. Les gens qui vivent dans la rue, les sans-abri, ont tendance à accepter les drogues comme faisant plus ou moins partie intégrante de leur environnement. Toutes les études que j'ai lues, et tous les rapports que j'obtiens des travailleurs de notre programme Street Outreach indiquent que les gens considèrent que quand on vit dans la rue, on prend de la drogue ou l'on boit de l'alcool ou les deux, probablement les deux. Par conséquent, il y a une corrélation très forte entre le fait d'être sans abri et l'acquisition d'une toxicomanie, et il y a de bonnes raisons à cela.

Le sénateur Wilson: Oui.

M. Long: L'analogie est le suivant: si vous n'avez pas d'endroit chaud et sec où vous réfugier, et si vous n'avez pas le moindre élément de confort, vous êtes probablement mieux d'être un peu «défoncé» parce que cela vous permettra probablement de pouvoir endurer la situation.

Le sénateur Wilson: Si je comprends bien, vous êtes également en faveur de décriminaliser le cannabis?

M. Long: Non, franchement, je ne suis pas du tout en faveur de la décriminalisation.

Le sénateur Wilson: Non? Oh, j'ai mal compris.

M. Long: Je suis en faveur de la légalisation.

Le sénateur Wilson: Je m'excuse.

M. Long: Je tiens à ce que ce soit bien clair. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je voudrais en dire un peu plus long là-dessus. J'ai peut-être mal compris votre question.

Le sénateur Wilson: Vous avez dit qu'à votre avis, ce produit devrait être contrôlé.

M. Long: En effet.

Le sénateur Wilson: Oui. Je voulais simplement vous poser la question: quel genre de contrôles entrevoyez-vous?

M. Long: Je pense que nous pouvons appliquer des règles du même genre que celles qui s'appliquent à l'alcool et à d'autres drogues. Nous avons actuellement deux drogues légales, l'alcool et le tabac, que l'on pourrait qualifier de drogues récréatives.

Le sénateur Wilson: Oui.

M. Long: Nous imposons une réglementation rigoureuse à ces produits. D'après des documents que j'ai lus - je dois admettre que cela fait assez longtemps -, il semblerait que c'est là la meilleure manière de réduire la consommation de ces substances. Je pense que la légalisation donnerait probablement tout au moins l'impression d'une augmentation de l'utilisation.

Le problème tient en partie au fait qu'il y a bien des gens qui en consomment en ce moment même et qui n'ont assurément pas l'intention de le dire à quiconque, tandis que si le produit est légalisé, ils en parleront ouvertement. Par conséquent, je ne sais pas vraiment si la consommation augmenterait vraiment ou si ce serait seulement une impression provoquée par la divulgation d'activités cachées. Je m'attends toutefois à ce qu'il y ait une augmentation.

Je ne pense pas que la légalisation soit une solution particulièrement facile. Cela prendra beaucoup de temps et ce n'est pas particulièrement viable du point de vue de la realpolitik parce qu'il est certain que nos voisins et d'autres membres de la communauté internationale seraient catégoriquement contre une telle décision de la part de notre pays. Je pense pourtant que c'est la solution la plus logique.

Le sénateur Di Nino: Je voudrais que vous nous donniez une idée de votre situation relative. Quelle est la taille de votre organisation? Combien de clients servez-vous? Pourriez-vous nous donner quelques renseignements? Si vous l'avez fait au début, je m'en excuse, mais je ne vous ai pas entendu.

M. Long: Non, je ne l'ai pas fait. Mon budget global est de 1,5 million de dollars. J'ai 23 employés. Dans l'ensemble de nos divers programmes, nous voyons environ 800 personnes par année. Ce sont là des clients officiels. Ce sont des gens que nous recevons dans un contexte formel.

Le sénateur Di Nino: Ils figurent dans des dossiers.

M. Long: En plus de ceux-là, nous rencontrons probablement 1 000 autres personnes dans le cadre de notre programme Street Outreach qui, de par sa nature même, est très informel.

Le sénateur Di Nino: Faites-vous appel à des bénévoles?

M. Long: Non.

Le sénateur Di Nino: Vos employés sont tous rémunérés?

M. Long: Oui. Les bénévoles exigent trop de travail.

Le sénateur Di Nino: D'autres soutiendraient le contraire, mais nous respectons...

M. Long: Je m'explique: dans le travail que nous faisons, cela exigerait beaucoup trop de formation. Nous n'avons pas les ressources voulues pour le faire.

Le sénateur Di Nino: Vous traitez des enfants, ou bien...

M. Long: Je traite à la fois des enfants et des adultes.

Le sénateur Di Nino: Peut-être pourriez-vous nous dire combien, sur ces 800 à 1 000 personnes qui sont vos clients, sont des enfants?

M. Long: Les programmes destinés aux enfants représentent environ 350 clients par année.

Le sénateur Di Nino: C'est donc un élément important de votre travail?

M. Long: Oui, en effet.

Le sénateur Di Nino: Combien de ces personnes fument du cannabis sous une forme quelconque?

M. Long: Parmi les adolescents les plus âgés, probablement la majorité d'entre eux en fument à l'occasion ou régulièrement.

Le sénateur Di Nino: Je pense que vous avez donné votre opinion, mais je veux m'assurer de bien comprendre. Vous estimez que le cannabis lui-même ne représente pas un problème particulièrement sérieux. Ce sont plutôt les autres problèmes qui causent les difficultés que vous devez affronter?

M. Long: Oui. En règle générale, les problèmes d'abus de substance chez les jeunes - et en l'occurrence, je parle de jeunes qui ont moins de 17 ou 18 ans - sont presque toujours de nature contextuelle. Autrement dit, c'est habituellement une réaction à quelque autre difficulté grave à laquelle la personne est confrontée dans son environnement social, son environnement habituel, ou peut-être des difficultés d'ordre psychiatrique qui apparaissent. Dans l'ensemble, ce n'est presque jamais exclusivement ou purement la toxicomanie elle-même qui constitue le problème.

Le sénateur Di Nino: D'après votre expérience, avez-vous vu le cannabis utilisé comme une drogue d'introduction à d'autres drogues?

M. Long: Absolument pas. En fait, il est intéressant que vous posiez cette question. Je m'y attendais plus ou moins. J'étais justement ce matin à une conférence au Collège des médecins et chirurgiens de l'Ontario. Pendant cette conférence, nous avons discuté de la méthadone et nous avons examiné certaines études. L'une de ces études émanait d'une clinique de méthadone. Comme vous le savez probablement, dans les cliniques de méthadone, on fait subir régulièrement des analyses d'urine aux clients. Dans la plupart des cas, on fait ces analyses une fois ou même deux fois par semaine, de sorte que l'on sait passablement bien ce que les clients font.

Dans ma clinique, 130 personnes participent au programme principal de méthadone et je pense qu'il y en a 30 autres dans la clinique secondaire. Je dirais que l'on trouve de la marijuana ou du cannabinol dans la majorité des urines. Nous ne traitons pas la consommation de cannabis comme un problème clinique, à moins qu'il soit associé à un quelconque problème de comportement des troubles de l'humeur.

L'étude que nous avons examiné ce matin, à cette conférence, montrait le lien entre le risque de rechute et de consommation d'autres drogues comme cocaïne ou l'alcool et la quantité de marijuana fumée. L'étude portait sur trois groupes, un de non-consommateurs de marijuana, un de consommateurs occa sionnels et un de consommateurs quotidiens de marijuana. Ceux qui fumaient chaque jour de la marijuana, étonnamment, étaient moins sujets à reprendre leur consommation d'héroïne, en fait, 50 p. 100 moins susceptibles d'une rechute. Ils ne consommaient pratiquement plus de cocaïne, tandis que les autres groupes en consommaient à raison de 20 ou 30 p. 100. En outre, le risque de problèmes d'alcool était bien inférieur, d'environ 20 p. 100 à celui de deux autres groupes.

En suivant cette logique, on pourrait prétendre que la marijuana n'est tout simplement pas une drogue d'introduction. Je n'ai encore vu personne, dans ma pratique, qui me dise: «J'ai commencé en fumant un peu de mari puis, je me suis retrouvé à consommer de l'héroïne». Ce n'est pas du tout comme ça que les gens décrivent leur expérience.

Le sénateur Di Nino: D'après des témoins d'aujourd'hui, du moins deux ou trois d'entre eux, je crois, pour régler le problème, il faut la collaboration des divers intéressés de la communauté, y compris les écoles, la police, et cetera. Premièrement, avez-vous constaté la même chose, et deuxièmement, travaillez-vous avec d'autres organismes ou d'autres groupes intéressés?

M. Long: Je vais commencer par nous lancer des fleurs avant de répondre au reste de votre question: oui, nous avons actuellement trois partenariats officiels: l'un avec l'organisme de santé mentale, l'un avec le service de santé publique et l'autre avec un autre organisme de lutte contre les toxicomanies avec lequel nous travaillons.

Nous travaillons très étroitement avec la police. Nous estimons que l'échange de seringues est une excellente idée. Nous collaborons étroitement avec d'autres organismes communautai res. Mais l'argument est bien fondé: ce n'est pas une tâche dont nous nous acquittons particulièrement bien, de nos jours, au Canada. À mon avis, nous consacrons d'importantes ressources à une répression actuellement inefficace, qui coûte beaucoup plus cher que le traitement, et qui donne des résultats très inférieurs.

Avec notre programme de méthadone, par exemple, notre taux de succès et ce qu'on appelle le taux de maintien dans le programme est le meilleur au pays, et d'après ce que nous disent des héroïnomanes, par exemple, en l'occurrence ce traitement représente une économie de 40 000 $ à 50 000 $ par personne, par an. Quand quelqu'un entreprend une thérapie, la communauté épargne tout cela.

Le président: Avez-vous une référence pour les études dont vous venez de parler?

M. Long: Celle que je viens de citer, non, mais je peux l'obtenir. Je viens d'en entendre parler ce matin et je l'ai noté, sur un bout de papier, parce que ça me semblait un très bon argument. J'essaierai de vous faire parvenir une copie de cette étude, si vous le voulez.

Le président: Ainsi que toutes les références que vous avez faites précédemment...?

M. Long: Oui, je le ferai.

Le président: S'il vous plaît, et nous demanderons au directeur de la recherche du comité de communiquer avec vous, pour s'assurer que nous avons les bonnes références.

M. Long: Merci, je l'apprécie. Oui.

Le sénateur Milne: Les témoins précédents de Seaton House nous ont parlé d'un programme d'entretien à la marijuana. Au sujet de la légalisation de la marijuana, vous voulez non seulement la légaliser, mais la taxer à tort pour faire de l'argent...?

M. Long: La journée a été longue.

Le sénateur Milne: Oui. Ce programme de marijuana, permettrait-il aux toxicomanes de renoncer aux drogues plus dures, comme la cocaïne? C'est la première fois qu'on entend parler d'une pareille méthode de désintoxication, et je me demande ce que vous en pensez?

M. Long: C'est une idée séduisante et j'ai demandé à l'auteur de l'étude, ce matin, si la marijuana pouvait servir de protection contre la consommation d'autres substances.

Le président: Qu'a-t-il répondu?

M. Long: Non. C'est probablement la meilleure réponse pour l'instant. Mais cela étant dit, je crois qu'il faudrait réfléchir très soigneusement à toute la méthode adoptée dans le traitement de toxicomanie puisque les méthodes actuelles ne donnent guère de résultats. Il y a encore de plus en plus de gens qui ont des problèmes de drogues, de manière régulière, et la situation ne s'améliore pas. Je suis convaincu que vous avez vu toutes les mêmes études que moi. Les taux de consommation augmentent, les problèmes se multiplient, et cetera, donc la méthode ne donne pas les résultats escomptés.

Je pense qu'il faut réfléchir davantage à l'objet de nos efforts et à notre façon de faire. Si on décidait que la marijuana n'était pas une drogue qui justifie tous les efforts de répression actuelle et qu'on permette aux gens d'en consommer d'une manière raisonnable, en régularisant sa consommation, comme je le disais, la consommation d'autres drogues pourrait baisser. Il ne s'agit pour l'instant que de spéculation, mais il serait logique de croire que les gens se tourneraient vers une drogue facile à obtenir et légale, plutôt que de risquer d'aller dans des quartiers malfamés acheter des produits dangereux à cause du réseau qui les offre.

C'est l'une des raisons qui font que je ne suis pas en faveur de la décriminalisation qui, en fait, ferait augmenter la demande et gonflerait les coffres de l'économie clandestine, parce que les gens se sentiraient plus à l'aise d'en consommer, mais devraient tout de même l'acheter à des criminels, parce qu'il serait encore criminel d'en vendre. Cela nuirait à notre objectif.

Le sénateur Milne: Voilà un très bon argument.

Le président: Au sujet de ce que vous venez de dire sur la marijuana, sa facilité d'accès et l'effet sur les drogues dures, connaissez-vous l'expérience des Pays-Bas?

M. Long: Oui.

Le président: Je présume que votre témoignage, de même que votre opinion, sont en partie fondés sur cette expérience?

M. Long: Oui. Nous offrons un programme à seuil peu élevé d'entretien à la méthadone calque directement sur un programme de Rotterdam.

Le président: Je suis convaincu que vous êtes aussi au courant qu'aux Pays-Bas, la consommation de drogues dures est plus faible que dans le reste de l'Europe?

M. Long: C'est exact.

Le président: Mais on n'est toujours pas convaincu à 100 p. 100 que c'est parce que la marijuana y est plus accessible que dans d'autres pays?

M. Long: En effet. Je ne crois pas qu'on puisse tirer cette conclusion, et personne ne l'a fait jusqu'ici, que je sache. C'est toutefois une corrélation intéressante.

S'il y a une chose que j'ai apprise en faisant ce genre de travail, et en lisant bon nombre d'études scientifiques, c'est que le lien de cause à effet est souvent difficile à prouver.

Le président: Non. Rien n'est garanti à 100 p. 100...

M. Long: Toutefois, quand deux choses se produisent en même temps, on peut en général présumer qu'il y a un lien entre elles.

On peut présumer, je crois, que l'attitude plus pragmatique à l'égard des drogues, en Hollande, a pu contribuer dans une certaine mesure à la situation qu'on y décrit, de même que la répression plus rigoureuse du marché des drogues dures, et cetera. Mais c'est un argument intéressant.

Le président: Breakaway existe depuis combien d'années?

M. Long: C'est la quatorzième année.

Le président: Quatorze. Qui évalue votre travail et ses résultats?

M. Long: Nous sommes régulièrement évalués par le bureau ontarien de lutte contre les toxicomanies du ministère de la Santé et des Soins de longue durée, et il s'agit de notre principale source de financement. Ce service nous accorde environ 90 p. 100 de notre budget de fonctionnement. Le reste vient du ministère des Services sociaux et communautaires, qui ne nous évalue pas.

Le président: Avez-vous accès à ces évaluations?

M. Long: Oui. Nous avons régulièrement accès à ces informations et je communique régulièrement avec les représen tants des organismes qui nous parrainent.

Le président: Ils vous délivrent un permis...

M. Long: Oui. Nous avons accès aux données, et nous les obtenons, qui nous révèlent les chiffres, et cetera. Les données d'évaluation et la rétroaction sont assez rares, en fait.

Le président: Rares?

M. Long: Oui.

Le président: Vous n'avez pas de données que vous pourriez nous communiquer?

M. Long: Je crois que nous avons vu une évaluation complète il y a environ 11 ans.

Le président: Il y a 11 ans?

M. Long: Oui, après trois ans. Depuis, rien. Quelqu'un vient, nous examine de la cave au grenier puis nous dit ce qu'il pense de nous.

Le président: Il vous donne donc leur bénédiction, chaque année.

M. Long: Oui. Il s'agit surtout d'une question économique, et nous faisons régulièrement des auto-évaluations. Tous nos programmes comprennent un élément d'évaluation et le personnel et moi-même les examinons régulièrement, mais rien ne nous vient du gouvernement.

Le président: C'est le genre de renseignements que vous pouvez nous fournir: ces évaluations internes?

M. Long: Si vous le souhaitez, oui. Je vais trouver ce que je peux.

Le président: Notre directeur de recherche communiquera avec vous.

M. Long: Très bien.

Le président: Monsieur Long, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation et nous vous contacterons.

M. Long: Merci.

Le président: Le témoin suivant est M. Fred Burford.

Monsieur Burford, vous avez la parole.

M. Fred Burford, Conseil sur l'usage abusif de la drogue: Je vais faire mon exposé aussi rapidement que possible puisque je vous ai déjà donné par écrit tout les renseignements que je voulais vous communiquer. Tout est là, ou presque.

Pour commencer, je dois dire que mes commentaires se fondent sur toute mon expérience, depuis l'époque où je suis devenu directeur adjoint puis directeur de la Commission scolaire de North York, soit la même époque où les drogues sont entrées dans les écoles, jusqu'aux expériences dont je parle sur la première page que vous ai remise. C'est mon point de vue personnel et pas nécessairement celui du Conseil sur l'usage abusif de la drogue, mais s'ils coïncident, je vous le dirais certainement.

Le premier texte dont je veux vous parler porte les lettres de A à E. Je présume que vous avez entendu aujourd'hui avec plaisir Margaret Stanowski, du Springboard Diversion Program on Cannabis. Je dois dire que la première fois où j'ai entendu parler de ce programme à ses débuts il y a 23 ans, j'étais très enthousiaste à l'idée que j'avais enfin trouvé une méthode en laquelle j'avais foi, c'est-à-dire de faire travailler des gens avec les jeunes accusés de possession de marijuana, en les considérant comme des personnes, en les respectant, ce qui donnerait des résultats positifs. Dans la plupart des cas, cela signifiait qu'ils n'auraient pas de casier judiciaire, ce qui doit être évité, à mon avis.

C'est toutefois ce que j'appelle une «décriminalisation cons tructive» puisqu'on rencontre la jeune personne, qu'on discute sérieusement avec elle et qu'on travaille avec elle pour améliorer sa situation, tout en la renseignant. Mme Stanowski vous a déjà renseignés sur ce programme et je crois que c'est très impressionnant.

Le président: J'en déduis que vous appuyez de tout coeur le programme Springboard.

M. Burford: Oui, de tout coeur.

Le président: Le programme Springboard?

M. Burford: Oui. Au sujet de l'autre programme, soit le Programme de toxicomanie de Toronto, je sais que le Conseil sur l'usage abusif de la drogue lui donne son appui parce que l'un de nos consultants assiste à toutes les réunions du comité consultatif. Là encore, les caractéristiques sont semblables à celles du Springboard Cannabis Diversion Program. Ce n'est toutefois pas un programme de déjudiciarisation au même titre que le programme Springboard, mais il offre à ses clients, même s'ils ont manifesté au début une tendance à l'héroïnomanie ou la cocaïnomanie, la possibilité de vivre cette expérience d'une manière très positive, et d'en sortir. Ce programme compte deux volets: le premier est destiné aux personnes qui ne sont pas dans une situation grave et dans ce cas là aussi, après le programme, elles n'auront pas de casier judiciaire.

Donc, j'appuie vivement le programme de traitement de la toxicomanie de Toronto, et je suis heureux d'apprendre que Vancouver met sur pied un programme semblable, parce qu'un tel programme exercera une influence positive sur la situation là-bas.

Ensuite, je porte votre attention à la page intitulée C, sur un article tiré du Globe and Mail intitulé «Bienvenue au Tribunal des toxicomanes». Lorsque le Globe and Mail parle en ces termes du traitement de la toxicomanie, il doit certainement s'agir d'un programme qui présente des qualités très convaincantes. En effet, le Globe and Mail ne prend pas souvent position en faveur de ce genre de chose. C'est un article très favorable qui énumère les raisons pour lesquelles les tribunaux de traitement de la toxicomanie devraient être appuyés.

Le chef de police Julian Fantino a comparu ici ce matin. Je ne connais pas la teneur de ses propos, mais s'il a entériné la position des chefs de police élaborée en août 1999, il a sans doute parlé d'une approche souple offrant différentes possibilités, et a probablement exprimé l'espoir que les jeunes ne soient pas affublés d'un casier judiciaire. Je ne peux que deviner ce qu'il a dit puisque je connais la position de l'Association canadienne des chefs de police telle qu'elle a été fixée en août 1999.

Je passe maintenant à la page E. J'ai inclus cette page parce qu'on y parle du programme d'échange de seringues qui, croyez-le ou non, a été mis sur pied à Toronto en 1989. Le projet avait soulevé de nombreuses inquiétudes. En ce qui concerne le Conseil sur l'usage abusif de la drogue - et j'étais président de cet organisme à l'époque -, nous avons appuyé ce programme dès le début parce qu'il offrait la possibilité de prévenir la contagion de maladies infectieuses, et à notre sens, cela méritait notre appui. Vous pouvez constater, à la page E, que nous étions partisans du programme dès ses débuts.

Je dois dire que certains organismes de la région de Toronto n'y étaient pas aussi favorables. Je ne sais pas pourquoi certains s'y opposaient, il n'empêche que le programme a connu du succès, je crois, dès le début.

Je passe maintenant au mémoire dont les pages sont agrafées, et dont la pagination, dans le coin supérieur droit, commence avec le numéro 1. Tout d'abord, je vous rappelle un mémoire qui vous a été présenté par le Dr Harold Kalant, à Ottawa. Il avait parlé, notamment, des effets indésirables de la marijuana et de leurs causes, ainsi que des études scientifiques qui avaient été faites sur le sujet. Je n'ai pas l'intention de répéter tout cela, mais j'aimerais souligner certains aspects qui viennent corroborer l'information qu'il vous a fournie.

À la page 1, on retrouve une étude faite en Californie. Dans le cadre de cette étude, certains agents de police patrouillant sur les autoroutes ont repéré des voitures dont la trajectoire était capricieuse. Les automobilistes en question ont été arrêtées et envoyées à un laboratoire pour y subir des tests sanguins permettant de déterminer si leurs facultés étaient affaiblies à la suite d'absorption d'alcool ou de marijuana. D'après les résultats, de 10 à 15 p. 100 des conducteurs dont les facultés étaient affaiblies avaient été affectés uniquement par la marijuana, et nous devrions tenir compte de ce fait au moment d'apporter des changements aux lois régissant la marijuana.

À la page suivante, la page 3, vous pouvez voir la photo de Mary Kelly. Celle-ci était confiante de pouvoir conduire après avoir fait usage de marijuana, convaincue que cela n'affecterait pas sa conduite. Dans ce cas précis, il en est résulté un accident qui a provoqué la mort de six personnes. Certes, l'enquête a établi que l'accident avait été causé par la consommation de marijuana et, fait intéressant, le jury a suggéré que le clergé participe davantage à une solution au problème de la drogue dans la province.

À la page suivante, la page 4, on donne d'autres exemples d'accidents de la route où la marijuana est en cause. «Vingt-deux morts dans un accident de la route: le cannabis pointé du doigt.» Cet accident a eu lieu le jour de la Fête des mères à la Nouvelle-Orléans, dans le sud des États-Unis. Et au bas de la page, il est question d'un accident ferroviaire qui a eu lieu en 1987, et dans lequel 16 personnes avaient trouvé la mort. Après l'enquête, les deux mécaniciens du train avaient plaidé coupable d'homicide involontaire et avaient été condamnés à cinq ans de prison.

À la page suivante, page 5, on peut lire: «conducteurs testés - augmentation des accidents dus à la mari.» Ce rapport d'étude, publié le 31 août 1999, a été rédigé par Bob Mann du Centre de toxicomanie et de santé mentale. L'étude montre que le pourcentage des conducteurs morts dans un accident après avoir consommé de la marijuana augmente progressivement en Ontario. En 1986 et 1989, la marijuana était en cause dans 13,9 p. 100 des cas; ces chiffres ne divergent pas beaucoup des résultats obtenus en Californie.

L'auteur laisse également entendre, sans en parler directement, qu'il pourrait y avoir un effet résiduel après l'usage de la marijuana, lorsqu'une personne conduit après avoir eu les facultés affaiblies. L'effet résiduel en question se résume à ceci: l'euphorie due à la drogue est passée, et on s'attend à ce que les facultés du conducteur ne soient plus affaiblies. Toutefois, l'affaiblissement des facultés dure une, deux ou trois heures après la fin de l'euphorie. Ainsi, le consommateur de marijuana prend le volant au moment où il croit avoir retrouvé tous ses moyens, ce qui est dangereux.

Je passe maintenant à la page 6. Il s'agit des résultats d'un sondage effectué en 1997 par le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Comme vous le savez sans doute, le centre sonde des étudiants à tous les deux ans. Tout en bas, on peut lire que, parmi les étudiants ayant fait usage de cannabis au cours de la dernière année, 94,5 p. 100 d'entre eux ont également bu de l'alcool.

Le président: Monsieur Burford, nous avons vos documents et nous ne manquerons pas de les étudier. Y a-t-il d'autres renseignements que vous souhaitez partager avec nous, qui ne se trouvent pas dans ce document?

M. Burford: Non.

Le président: Vous soulevez une question qui nous préoccupe, à savoir, la conduite avec les facultés affaiblies par la marijuana et autres drogues illicites. Le niveau de recherche dans ce domaine est clairement insuffisant, du moins d'après ce que nous savons, et nous devrons assurément nous pencher davantage sur ce sujet.

Nous conserverons les documents que vous nous avez fournis. Mes collègues ont-ils des questions?

Le sénateur Milne: Quelle est la recommandation de M. Burford?

Le président: Avez-vous une recommandation à formuler? Nous savons que vous appuyez le programme Springboard et l'autre programme que vous avez mentionné au début de votre témoignage. Avez-vous d'autres recommandations à nous formu ler?

M. Burford: Je crois que la question de la conduite avec facultés affaiblies est un élément très important de cette question.

Le président: Le Code criminel interdit déjà la conduite avec facultés affaiblies, quelle qu'en soit la cause.

M. Burford: Oui.

Le président: La conduite avec facultés affaiblies est donc illégale. Mais vous souhaitez que le comité s'intéresse en particulier à la conduite sous l'effet de la marijuana?

M. Burford: Si nous dépénalisons la marijuana et que les contrevenants au règlement la gouvernant ne s'exposent qu'à des peines insignifiantes, comme le système de sommation à comparaître pour les infractions routières, par exemple, - et ce sont toujours les parents qui paient -, je m'inquiète que l'effet dissuasif du régime sera faible et le problème de la conduite avec facultés affaiblies par la marijuana risque de persister. Cela soulève déjà suffisamment d'inquiétude à l'heure actuelle.

Je reviens à l'étude effectuée en Californie. Les policiers ont été en mesure d'identifier les voitures à la trajectoire capricieuse. Or, d'aucuns ont avancé que les consommateurs de marijuana savent que leurs facultés seront affaiblies s'ils prennent le volant après avoir fumé, conséquemment ils redoublent de prudence. Toutefois, dans le cadre de cette étude, les conducteurs ne savaient pas qu'ils étaient observés. Peut-être essayaient-ils de faire preuve de prudence. Néanmoins, les agents de police ont constaté que leur conduite était irrégulière, c'est pourquoi j'affirme que cette excuse qui est présentée parfois n'est pas fiable.

J'aborderai très rapidement les autres points en ce qui concerne le no 5, Harold Kalant parlait de dépendance -

Le président: Monsieur Burford, nous avons déjà entendu le témoignage du Dr Kalant et avons abordé avec lui le sujet de la conduite avec facultés affaiblies par la marijuana.

M. Burford: Oui, mais à ce sujet là, ce que...

Le président: Non. Nous avons déjà entendu le témoignage du Dr Kalant et nous sommes également au courant de cette étude, c'est-à-dire de celle que vous avez déposée. Nous l'avons déjà.

M. Burford: Eh bien, les points suivants portent sur la toxicomanie.

Le président: Lequel?

M. Burford: À la page 7. On relate le cas d'un agent de police de Toronto qui était redevenu accro à la marijuana, à cause des difficultés rencontrées dans son emploi, après avoir cessé d'en consommer pendant plusieurs années. Redevenu toxicomane, il s'était mis à voler les chèques de ses collègues et a fini par être découvert. Encore une fois, l'histoire s'est très bien terminée, mais elle indique néanmoins que la toxicomanie à la marijuana existe bel et bien.

Le président: Nous le savons déjà.

M. Burford: Très bien.

Le président: Étant donné que d'autres témoins attendent pour comparaître, à moins qu'on ait d'autres questions à poser au témoin, monsieur Burford, je tiens à vous remercier vivement d'avoir accepté de participer à cette audience. Dans le cas où vous souhaiteriez nous fournir d'autres renseignements, n'hésitez surtout pas à nous joindre. Nous conservons tous ces renseigne ments ici même, ou sur notre site Web, ou nous les recevons par téléphone ou par courrier. Nous nous ferons donc un plaisir de lire ou d'écouter vos remarques. Merci beaucoup.

M. Burford: J'espère que vous lirez les pages que j'ai fournies en annexe.

Le président: Nous allons lire tout ce que vous nous avez communiqué.

M. Burford: Car vous n'avez peut-être pas reçu ces renseignements auparavant.

Le président: C'est fort possible. Quoi qu'il en soit, nous allons certainement examiner les documents que vous nous avez fournis.

M. Burford: On demande toujours si une modification à la loi entraînera une plus grande consommation de la marijuana chez les jeunes? À ce sujet, à la page 13, on cite une étude d'après laquelle on assistera à une hausse de la consommation de 30 p. 100, ce qui est considérable. Au Canada, cela signifierait qu'un million de plus de jeunes consommeraient de la marijuana, ou en consomme raient plus souvent.

Je vous assure que dans les dernières pages de mes documents, vous trouverez des choses dont vous n'avez pas entendu parler auparavant.

Le président: Monsieur Burford, nous allons examiner toute la documentation que vous nous avez fournie. Cela dit, nous avons déjà la plupart de ces données, et nous les réexaminerons. Merci beaucoup.

M. Burford: Je vous remercie.

Le président: Nous passons maintenant à notre prochain témoin, M. James Anthony Cavalier.

M. James Anthony Cavalier: Monsieur le président, j'ai un casier judiciaire pour possession et trafic de stupéfiants. En termes juridiques, c'est la raison pour laquelle j'ai été reconnu coupable. Lorsque je vendais de la drogue, personne n'aurait pu me faire croire que j'étais un criminel. J'étais un véritable croisé de la légalisation de la drogue; je défendais farouchement cette cause. Aujourd'hui, je défends tout aussi ardemment l'idée contraire, car j'estime que plus une drogue est douce comme la marijuana, plus elle est dangereuse.

À l'époque, je n'aurais jamais consommé une drogue que j'estimais nocive, mais moins une drogue me paraissait nuisible, plus j'avais tendance à en prendre. C'est d'ailleurs pour cela que les jeunes commençaient par fumer de la mari. À nos yeux, le film Reefer Madness était de la propagande. On y montrait des gens qui fumaient de la drogue puis sombraient dans la folie et le meurtre. Nous nous disions que si les autorités mentaient à ce sujet, elles devaient mentir sur toute la ligne.

Pour détourner les gens de la drogue, certains voudraient utiliser la peur comme dissuasion la peur et montrer les dommages physiques et physiologiques qu'entraîne par la consommation. Tel n'est pas mon propos. Ce qui me préoccupe ce sont les séquelles psychologiques de la consommation, et parmi ces dernières, le fait que les toxicomanes sont disposés à faire des affaires avec des éléments criminels de notre société, ou à tuer des policiers afin de recevoir leur livraison de drogue. C'est d'ailleurs une des choses qui m'ont poussé à mettre fin à mes activités de narcotrafiquant. La moindre graine de marijuana circulant dans notre pays a trempé dans le sang d'un agent de police. J'ai rencontré des gens incroyables. Je n'avais jamais pensé que les policiers étaient de vilains personnages. Au contraire, à Toronto, où j'ai été élevé, on les respectait énormément. D'ailleurs, les flics étaient les meilleurs travailleurs sociaux au monde.

J'ai été endoctriné par le milieu de la drogue à 16 ans. On y disait: «la marijuana est inoffensive. Ne vous en faites pas. C'est merveilleux». Les pressions du milieu sont écrasantes. On entend des choses comme: «Tu es pendu au jupon de ta mère. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond avec toi?». C'est incroyable. C'est cette notion qu'on goûte ensemble cette friandise du bonheur et qu'elle va changer votre état d'esprit et vous apporter le bien-être. Or, c'est précisément le problème.

Quant au Programme de réduction des méfaits, il se trompe lorsqu'il affirme être neutre et s'abstenir de porter des jugements de valeur. En effet, il affirme aussi que la marijuana n'est pas très nocive et qu'elle ne mène pas à la consommation de drogues plus dures. Le document affirme que ce sont les problèmes sociaux et psychologiques qui entraînent quelqu'un à consommer de la drogue. Il ajoute aussi que la marijuana va peut-être vous empêcher de consommer d'autres drogues. Or, l'utilisation d'un produit chimique pour vous empêcher d'en consommer un autre que vous n'avez jamais essayé de toute façon, ne tient pas du tout compte des raisons pour lesquelles les gens commencent à prendre de la drogue.

Et bien, les gens commencent à consommer de la drogue parce qu'on les a persuadés qu'elle va attirer leur humeur et qu'ils pourront acheter ce stimulant chimique, ou peut-être encore le cultiver et puis le consommer. Après cela, on dit être heureux car on possède l'élixir du bonheur et qu'on vit dans un merveilleux milieu social. On est défoncé grâce à la mari et on est content.

J'en étais tout à fait convaincu. J'étais complètement immergé dans le milieu de la drogue. Cela dit, j'ai beaucoup de réserve face à l'affectation des fonds publics à la lutte contre la drogue et à leur gaspillage. On est renversé par tout ce que cela nous coûte. Et bien, si la lutte contre la drogue est aussi coûteuse, c'est qu'on prend des moyens très inefficaces pour réprimer ce commerce. Je n'en ai pas contre le fait qu'on dépense autant d'argent mais qu'on s'y prenne aussi mal pour régler le problème.

J'aimerais aussi parler de cette proposition voulant que quiconque possède de la drogue, en consomme ou en fait le trafic ait un casier judiciaire. À mon avis, il y a deux sortes de personnes qui vendent de la drogue. Il y a ceux qui savent qu'elle est nocive mais qui s'en fichent; ce qui les intéresse, c'est d'en tirer de l'argent. Ils ne veulent pas que leurs enfants à eux en consomment, ni que leurs familles participent au trafic, ils tiennent à en tirer des revenus.

Or, ce genre de trafiquant ne tabasse pas les occupants les ghettos. Il s'agit plutôt de gens bien mis et très instruits. Face à cela, certains vont dire que ce sont des éléments criminels très violents qui s'adonnent au trafic de drogues et que si les gouvernements se chargeaient eux de vendre ces produits, on se débarrasserait des criminels. C'est faux. Au contraire, les criminels tiennent à la légalisation de la drogue. Nous versons utilisons des fonds publics à la police pour qu'elle débarrasse de notre pays des criminels et de la drogue.

Si la drogue est illégale, c'est parce qu'elle est nuisible à la société; elle n'est pas nuisible parce qu'elle est illégale. Pour ma part, j'aurais aimé que quelqu'un m'en protège. Soixante-quinze pour cent des ressources qu'on affecte à la lutte contre la drogue aboutissent à la répression dans la rue, comme c'est le cas aux États-Unis. Est-ce que cela vous paraît logique? Si vous éliminez la drogue à la source, on n'aurait plus à arrêter les gens qui en consomment; il n'y aurait pas de gens pour la vendre dans les ghettos car il n'y en aurait plus à vendre.

Pendant mes périodes sèches, je puis vous dire que j'ai commencé à changer. Une de mes proches pourra elle aussi vous dire qu'elle s'étonne de la façon dont elle raisonnait lorsqu'elle fumait de la mari. Elle a cessé de le faire lorsqu'elle a eu un enfant. À présent, elle voit ses amis qui passent leur temps à fumer de la marijuana.

Cette idée de faire de la marijuana une drogue magnifique en la comparant à d'autres qui sont plus nocives est de la pure propagande. C'est mentir que de dire que c'est le moindre des maux.

Je sais qu'on le dit. Je suis allé au Programme de réduction des méfaits au YMCA. Nous étions environ cinq, je n'en croyais pas mes oreilles. Le taux de succès est de 2 p. 100. L'idée n'est absolument pas d'obtenir que les gens cessent de consommer de la drogue. Il s'agit au contraire de faire croire que ces drogues ne font pas de mal parce que moins elles semblent nocives, plus les gens seront prêts à en consommer. Tout ce qui nous préoccupe, c'est le mal physique.

Le président: Avez-vous une recommandation?

M. Cavalier: J'ai beaucoup de recommandations.

Le président: C'est le moment de les faire.

M. Cavalier: Ma recommandation est que l'on considère les prisons comme une punition. Les gardes de prison à Kenora étaient fantastiques. Mon séjour en prison ne m'a pas convaincu d'arrêter de vendre de la drogue. Je réussissais encore mieux après être sorti de prison mais j'étais convaincu que je n'étais pas un criminel. J'en étais absolument convaincu. Il faut que les policiers comprennent que ce n'est pas en cognant les gens, en leur crachant à la figure et en les traitant comme s'ils avaient la galle, qu'ils peuvent ainsi assurer leur supériorité car ils se trompent. Quand ils déclarent que la marijuana ne sera jamais légalisée, et que l'on voit leur bedaine Molson et Labatt que ne peut réprimer leur ceinture, ça ne porte pas à les respecter. Le policier pense qu'il ne consomme pas de drogue. Qu'est-il arrivé lorsque l'alcool a été légalisé? Qui vendait l'alcool avant la légalisation? Des gens qui étaient prêts à tuer les flics pour vendre de l'alcool. Ensuite, les contribuables payent la police pour protéger les gens qui avaient essayer de les tuer.

Le président: Pourriez-vous limiter vos remarques au canna bis?

M. Cavalier: Je dis que c'est le même phénomène aujourd'hui à propos du cannabis. Quand on essaye de faire croire que la marijuana est moins nocive, on légitime l'idée que ce n'est pas si mauvais. Si ce n'est pas si mauvais, c'est bien. Le résultat est que cela renforce toute cette infrastructure sociale entourant la consommation de drogue. C'est cela le résultat. Cela semble plus attirant. On commence à penser en termes monétaires: «Considé rez ce que cela rapporterait en impôts si on légalisait cette drogue!» C'est alors que le gouvernement devient le plus grand trafiquant de drogue. Il faut arrêter de percevoir des impôts sur les vices.

Le président: Y a-t-il des questions?

Sinon, merci beaucoup, monsieur Cavalier.

M. Cavalier: C'est ahurissant. Pas de questions.

Le président: Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Sean Hunt.

M. Sean Hunt: Merci de m'avoir autorisé à prendre la parole aujourd'hui. J'ai eu beaucoup de mal à décider ce que j'allais vous dire. Le sujet est tellement vaste et les implications également tellement importantes qu'il est difficile de savoir où commencer.

J'ai d'abord pensé débattre des différents enjeux mais je me suis vite aperçu que tout avait déjà probablement été dit. Qu'a-t-on oublié? Quelles statistiques permettraient de réfuter un argument invoqué par ceux qui s'opposent à la légalisation de la marijuana? J'ai alors compris qu'il n'y avait pas grand-chose de nouveau à dire. On a déjà tout dit sur le sujet. Même lorsque que l'on propose des recommandations avant-gardistes, on les ignore et les rejette et c'est la raison pour laquelle je suis venu ici demander quelque chose de nouveau au comité.

Je viens vous demander de vous montrer hardis et courageux et de soumettre un rapport qui soutient la légalisation totale de la marijuana pour les adultes ainsi que la réglementation de sa production et de sa production. Sinon, vous n'offrirez que des demi-mesures et les Canadiens n'ont pas besoin de demi-mesures. D'après le professeur Bibby de l'Université de Lethbridge,47 p. 100 des Canadiens sont aujourd'hui favorables à la légalisation pure et simple de la marijuana. Ce chiffre ne fait qu'augmenter. Le Sénat n'étant pas assujetti à la tyrannie d'un électorat, n'ayant pas à se préoccuper d'éventuelles ramifications politiques, il est parfaitement bien placé pour dire ce qu'il y a à dire et appuyer la légalisation de la marijuana pour les adultes.

Il y a beaucoup d'obstacles à la réforme des lois concernant la marijuana. Un des trois principaux est l'Association canadienne des policiers qui est celle qui a été la plus critique au cours de vos audiences. Au palier national, il y a l'indifférence politique et médiatique et, sur la scène internationale, le spectre omniprésent des États-Unis.

L'Association canadienne des policiers a dit des tas de bêtises à votre comité mais je pense que la déclaration la plus inouïe qui ait été faite remonte à environ deux semaines à l'assemblée annuelle de cette association au Québec. D'après le président Grant Orbst, toute cette discussion au sujet de la marijuana est du vent puisque la marijuana aurait déjà été décriminalisée. Il dit ensuite qu'en fait la police dans notre pays ne consacre pas ses ressources ni son temps ou ses efforts à ceux qui ont un ou deux joints dans la poche.

Je répondrai à cela que c'est de la foutaise. Je vous ai remis un article qui montre un homme qui se fait arrêter et la légende sous la photo est la suivante: «L'agent Shawn MacKenzie fouille un homme arrêté hier au parc Christie Pits pour possession de marijuana». Dans un autre article à la page suivante, on voit où l'on en est vraiment arrivé en matière d'interdiction au Canada. À propos des «drogues», on lit:

La police a ramassé beaucoup de jeunes de Toronto accusés de possession de drogue.

L'année dernière, 550 jeunes ont été inculpés pour pos session de drogue, ce qui est beaucoup plus qu'en 1999 et plus que le double des 269 inculpations relevées en 1996.

La raison de cette augmentation n'apparaît pas dans les rapports de police mais on remarque que cela peut «être fortement influencé par les principes et pratiques suivis par la police en matière d'application des lois».

On lit un peu plus loin dans cet article:

La police de Toronto remarque que les inculpations liées à la marijuana restent les plus nombreuses.

Les jeunes gens sont ceux qui sont les plus susceptibles de se faire arrêter.

Il est évident que la police consacre des ressources, du temps et des efforts à l'application des lois sur la marijuana et à l'arrestation des consommateurs de marijuana sans que l'on en voie la fin. Ceci m'amène à parler d'apathie politique et médiatique.

Nous avons récemment appris que le Premier ministre a l'intention de rester au pouvoir au moins jusqu'en avril 2003 si bien que, quelles que soient les conclusions de votre comité, on ne peut s'attendre à ce que quoi que ce soit change avant cela; on sait en effet que le Premier ministre a publiquement déclaré que la réforme des droits concernant la marijuana n'est pas pour le moment au programme.

Le Premier ministre a aussi indiqué à juste titre, ajouterais-je, que ce débat se poursuit depuis 30 ans et semblait indiquer qu'il ne verrait pas d'inconvénients à ce que cela dure encore 30 ans.

Il y en a un seul sur la scène politique qui préconise une réforme et cela devrait montrer au comité qu'il doit faire preuve de courage. Joe Clark a demandé que l'on décriminalise la marijuana, c'est comme si votre papa demandait que l'on décriminalise la marijuana. Lorsque Joe Clark dit quelque chose du genre, on sait que la légalisation et la réglementation sont des idées qu'il est temps d'adopter.

Ceci pourrait être facilité si les médias en général, et la télévision en particulier, parlaient sérieusement de la question. C'est une question qui doit être traitée avec sérieux car elle a des répercussions sérieuses sur la vie des citoyens.

J'ai ici un article qui a couvert toute une page du Toronto Star en janvier. Qu'y voit-on? Une feuille de chanvre géante faite de chênevis. Des huiles, des pâtes, des gaufres de chanvre et, ma préférée, de la bière de chanvre. Imaginez que de l'alcool - drogue beaucoup plus dangereuse et destructrice que la marijuana - soit fait à partir d'un produit qui aurait été illégal il y a à peine quelques années. À l'intérieur, toute une page de recettes. Vous voyez cela. Deux pages entières d'un grand journal au sujet de la marijuana comme aliment.

Toutefois, vous remarquerez à la troisième page du document que j'ai distribué, que se trouve le plus long article qu'ait probablement jamais publié le Toronto Star cette année au sujet de la marijuana, et il s'agit d'un article au sujet d'un reportage mexicain sur la marijuana canadienne. Quand les Mexicains parlent de la marijuana canadienne, cela fait l'actualité mais pas quand ce sont les Canadiens qui en parlent. C'est vraiment bizarre.

Toutefois, la couverture médiatique de la marijuana est excellente dans les journaux, comparée à la télévision. À la télévision, on parle du dernier champ de marijuana découvert par hélicoptère avec des agents de police réjouis qui traversent les bois pour aller saccager cette plantation clandestine. On ne demande pas combien tout cela coûte ou pourquoi toute cette activité est nécessaire.

Où sont les séries de trois reportages? Où sont les nouvelles concernant la santé, nous disant que, contrairement à ce qu'en pense l'opinion publique, la marijuana et l'héroïne sont deux drogues complètement différentes? Sans une véritable discussion et un débat sérieux dans les médias, la légalisation de la marijuana pour les adultes et la réglementation concernant sa consommation restent pratiquement illusoires.

Il y a aussi le risque que les Américains prennent des mesures de représailles si nous modifions nos lois. Le président de votre comité a récemment déclaré qu'il est à peu près impossible d'envisager de modifier nos lois si les Américains n'en font pas autant et que, si nous le faisions, les représailles seraient énormes. C'est incroyable; les Canadiens ne peuvent pas changer leurs lois parce que les Américains ne le veulent pas! S'il s'agissait d'un autre sujet, on crierait au scandale partout au pays.

Récemment, la Jamaïque a rendu public son «rapport Ganja». Il ne contenait rien de nouveau. La marijuana devrait être décriminalisée pour les adultes. Toutefois, contrairement à notre premier ministre, le Premier ministre jamaïquain P.J. Patterson a jugé les arguments tout à fait convaincants. La réaction des États-Unis fut rapide et claire. «Le gouvernement américain s'oppose à la décriminalisation de la marijuana» a déclaré le porte-parole de l'ambassade Michael Koplovski. Il a ajouté que si la Jamaïque y procédait, elle pourrait perdre son accréditation ce qui pourrait sérieusement limiter l'aide américaine. Toutefois, plutôt que de céder à la pression américaine, les Jamaïquains sont restés fermes. «C'est une question qui sera décidée par le Parlement jamaïquain et le Parlement souverain de l'île ne cédera pas aux menaces externes», aurait déclaré un porte-parole du gouvernement.

C'est le genre de courage dont devrait faire preuve votre comité et notre gouvernement. Si l'on veut changer quoi que ce soit, il faut résister aux pressions et ne pas avoir peur de se faire taper dessus. Nous devons faire front avec d'autres pays si nous voulons ne pas continuer d'être pris à la gorge par les Américains au sujet de la marijuana.

C'est pourquoi votre comité doit faire preuve de courage et de hardiesse. C'est pourquoi nous, citoyens, devons défendre nos droits et c'est pourquoi le comité doit recommander la légalisation de la marijuana pour les adultes et la réglementation de l'offre.

Je serais prêt à répondre à vos questions.

Le président: Je crois que le sénateur Milne voudrait dire quelque chose sur le mélange du chanvre et de la marijuana.

Le sénateur Milne: C'est vrai. Je suis toujours très mal à l'aise quand on essaye de perpétuer le mythe que le chanvre et la marijuana sont la même chose. Ce n'est pas vrai. Le chanvre n'est pas un narcotique et c'est grâce à moi qu'il est redevenu une culture légale au Canada. Une partie du problème du chanvre est qu'on n'arrête pas de l'assimiler à la marijuana. Ce n'est pas de la marijuana.

M. Hunt: Je comprends très bien. Cet article fait ressortir, perpétue en fait cette confusion, et je vous remercie d'avoir fait du chanvre une culture légale. C'est bien, et je suis certain que la majorité des Canadiens y sont favorables.

Le président: C'est la loi. C'est dans la loi canadienne.

M. Hunt: En effet. Mais c'est juste un exemple qui montre, par exemple, que les médias s'intéressent davantage au fait qu'on utilise du chanvre pour faire de l'alcool qu'à la question de la marijuana canadienne.

Le sénateur Grafstein: Je reviens à la question que j'ai posée ce matin: Pour vous, est-ce que la décriminalisation signifie qu'un plus grand nombre de jeunes fumera de la marijuana et donc commenceront peut-être à fumer des cigarettes? Y a-t-il corréla tion entre les deux, fumer et fumer?

M. Hunt: Parlez-vous de la décriminalisation ou de la légalisation?

Le sénateur Grafstein: L'un ou l'autre.

M. Hunt: C'est possible. J'ai commencé à fumer des cigarettes bien avant de commencer à fumer de la marijuana. J'ai entendu un membre de l'Association des policiers expliquer qu'après avoir demandé aux amis de sa fille adolescente ce qui arriverait si on légalisait la marijuana, ceux-ci avaient dit: «Un plus grand nombre de gens en prendraient». Cela me fait penser à Jimmy Carter qui avait demandé son opinion à sa fille Amy. Ce serait peut-être le cas mais, peut-être pas.

Un témoin précédent a déclaré qu'à l'heure actuelle, il y a de nombreuses personnes qui utilisent la marijuana mais qui n'en parlent pas. Dans le cadre d'un sondage, ces personnes ne répondent pas «oui» et donc il pourrait y avoir une augmentation marginale, mais je doute que ce soit significatif.

Je pense que ceux qui veulent fumer de la marijuana, en prennent maintenant et ceux que cela n'intéresse pas, n'en prennent pas. Son statut illégal est presque secondaire. À vrai dire, parce que c'est illégal c'est presque le signe que l'on est dans le vent, à la mode.

Le président: Monsieur Hunt, merci beaucoup.

La séance est levée.


Haut de page