37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites
Fascicule 5 - Témoignages du 10 septembre - Séance de l'après-midi
TORONTO, le lundi 10 septembre 2001
|
Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit
aujourd'hui à 13 h 40 afin de réexaminer les lois et les politiques
anti-drogue canadiennes.
|
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le
fauteuil.
|
[Traduction]
|
Le président: Mesdames et messieurs, bonjour. Nos premiers
témoins cet après-midi sont M. Toby Druce et M. Thomas Fulgosi
de Seaton House.
|
Messieurs, vous pouvez nous présenter vos observations
liminaires et mes collègues vous poseront ensuite quelques
questions.
|
M. Toby Druce, Seaton House: Je vous remercie de cette
occasion qui nous est donnée de comparaître devant votre comité
aujourd'hui. Je suis responsable du programme de réduction des
risques de la Maison O'Neill au refuge pour hommes Seaton
House. Mon collègue ici aujourd'hui est Thomas Fulgosi, chef
d'équipe du programme. J'aimerais profiter de l'occasion pour
vous décrire le travail qui se fait auprès des usagers de drogues
illicites à Seaton House, et M. Fulgosi vous donnera ensuite les
détails concernant les clients et leur usage de drogues.
|
La Maison O'Neill a ouvert ses portes il y a eu un an samedi
dernier, et elle a été établie afin de s'attaquer aux problèmes
d'usage illégal de drogues chez nos clients, les hommes
célibataires sans-abri qui demeurent à Seaton House.
|
Seaton House compte 690 lits. Il s'agit du plus grand refuge
pour hommes célibataires au Canada, et il a récemment été rénové
de fond en comble. L'une des choses que nous avons remarquées
au cours de la rénovation de l'immeuble c'est qu'avec une
population aussi importante que celle que nous avons, l'influence
qu'ont les clients toxicomanes qui utilisent des drogues illicites
sur d'autres personnes qui ne sont pas toxicomanes est énorme.
|
Nous avons déjà un programme de réduction des préjudices,
soit le Programme annexe de réduction des préjudices. Ce
programme s'adresse spécifiquement aux gens qui ont une
accoutumance aux alcools non potables, notamment à la Listerine,
au Lysol ou à l'alcool à friction. Notre expérience dans le cadre
de notre programme annexe nous a appris que nos options
d'intervention étaient très limitées en ce qui concerne les
toxicomanes qui font usage de drogues illicites. Nous avions parlé
de stratégie d'application. Nous en avons une à l'heure actuelle au
refuge pour les gens qui sont trouvés en possession de drogues
illicites ou qui en font usage, surtout le crack ou l'héroïne, et cette
stratégie est assez punitive: on refuse à ces gens la possibilité de
recourir au réseau de refuges d'urgence. L'application accrue de
cette mesure signifiait que l'on jetait à la rue un certain nombre de
toxicomanes de ce quartier, ce qui n'était pas très satisfaisant pour
la collectivité ni pour le service que nous offrons.
|
Après avoir consulté la Division 51 de la Police de
l'agglomération de Toronto, on nous a proposé de tenter d'isoler
le problème en créant un programme avec 60 lits réservés aux
personnes ayant des antécédents de toxicomanie, et dont l'usage
de la drogue avait créé des problèmes en ce sens qu'ils avaient du
mal à accéder à un refuge d'urgence pour la nuit. Nous avons
donc créé un tel programme. Nous avons actuellement 60 lits.
Nous avons divisé le programme en deux éléments: nous avons
40 lits pour les clients qui font actuellement un usage actif de
drogues illicites et nous avons 20 lits pour les clients qui ont été
arrêtés pour des infractions qui les rendraient passibles de
comparaître devant le tribunal qui s'occupe des cas de détourne
ment de médicaments, et qui sont ensuite renvoyés sous caution
dans notre programme à titre de participants au détournement de
médicaments.
|
Le nombre de faits concrets que nous avons appris l'année
dernière, et dont nous pouvons parler, est sans doute quelque peu
limité, mais ce que nous avons établi c'est que, pour les clients
que nous voyons, leur toxicomanie est certainement l'une des
principales raisons pour lesquelles ils se retrouvent dans des
refuges. Cependant, ce n'est pas la principale raison, et ce n'est
pas pour cette raison qu'ils se retrouvent dans les refuges. Par
conséquent, plutôt que de mettre l'accent sur en fait l'usage de la
drogue, nous tentons plutôt de mettre l'accent sur le mode de vie
et sur les risques associés à l'usage de drogues illicites. À cet
égard, nous avons beaucoup appris de ces 60 hommes, et c'est un
aspect dont M. Fulgosi vous parlera plus en détail. Cependant,
depuis un an notre approche a été d'accepter le fait que les gens
feront usage de drogues, et d'accepter également que la recherche
et l'usage de ces drogues créent des risques pour eux.
|
Environ 275 personnes ont participé à notre programme au
cours de l'année dernière, et sur ces 275 personnes, 80 p. 100
sont restées moins de six mois. Lorsque nous étudions ces
chiffres, nous constatons que deux possibilités s'offrent à nos
clients, soit rester dans les foyers d'accueil d'urgence, soit d'être
incarcérés. Ils font donc la navette entre la prison et le foyer
d'accueil, et environ la moitié de l'année ils sont incarcérés tandis
que l'autre moitié de l'année ils restent dans un foyer d'accueil
pour sans-abri.
|
Vingt pour cent de nos clients utilisent le foyer d'accueil
pendant plus de six mois et ils représentent 50 p. 100 du coût
d'exploitation de notre programme qui se chiffre à environ deux
millions de dollars par an. Sur ce nombre, soit 20 p. 100, nos
«grands voyageurs», comme nous les appelons, sont des gens qui
font usage de drogues et qui ont recours aux d'accueil depuis très
longtemps. Notre objectif est de chercher à placer ces gens dans
une position où ils se feront arrêter le plus rapidement possible
relativement à leur usage de drogues, et se retrouveront donc
devant les tribunaux qui ordonneront que des mesures soient
prises afin de régler éventuellement leur problème d'usage de
drogues.
|
Je vais maintenant donner la parole à M. Fulgosi qui vous
donnera davantage de détails au sujet du programme et qui vous
parlera des types d'interventions que nous avons tentées auprès de
ce groupe client.
|
M. Thomas Fulgosi, Seaton House: Bon nombre de nos
clients ont suivi un traitement traditionnel, et bon nombre d'entre
eux se sont retrouvé à maintes reprises dans des centres de
traitement traditionnel. Le programme O'Neill est un programme
unique axé sur le client. Nous avons une équipe de planification
des cas qui travaille vraiment avec le client. Pour la plupart
d'entre eux, nous avons découvert que lors de toutes ces tentatives
de traitement qui ont échoué, on ne s'est penché que sur leurs
problèmes de toxicomanie. Par conséquent, bon nombre des
clients que nous avons dans le programme O'Neill, lorsqu'ils
nous arrivent, n'ont pas vu de médecin depuis 10 ans, n'ont pas
vu de dentiste ou ont perdu contact avec leurs familles. Leur
toxicomanie et d'autres facteurs dans leurs vies les ont aliénés,
isolés de bien des choses qui font de nous des être humains
complets. Nous tentons donc de les aider à jeter à nouveau ces
ponts.
|
M. Druce a mentionné le tribunal consacré aux drogues. Selon
cette stratégie, nous espérons que nos clients seront arrêtés, que
les tribunaux ordonneront qu'ils soient confiés à nos soins, ce qui
nous procurera une plus grande marge de main-d'oeuvre pour
travailler avec eux. Nous avons eu certains succès avec des clients
dans le cadre de ce programme. Une chose que nous trouvons
frustrante, c'est que lorsqu'un client ne respecte pas les conditions
qui lui sont imposées, et que nous le signalons aux travailleurs du
tribunal consacré aux drogues, il n'y a pas vraiment de
conséquences graves pour de telles infractions. Ils sont censés se
présenter chez nous les mardi et jeudi, mais malheureusement
certains d'entre eux ne le font pas. Je pense qu'il s'agit d'un
problème de communication.
|
L'idée qui a inspiré le programme est bonne et ces gens sont
mieux servis par nous que s'ils sont en prison. Pour bon nombre
de nos clients, leur séjour en prison et leur séjour dans des foyers
d'accueil ont mené à une certaine institutionnalisation, ce qui
réduit vraiment leur indépendance et leur confiance pour vivre à
l'extérieur d'une institution. C'est tout au moins ce que nous
constatons. À cet égard, à la Maison O'Neill nous avons mis sur
pied certains programmes qui visent à les aider à lutter contre leur
toxicomanie et l'institutionnalisation, notamment des programmes
de connaissances de base. Nous venons tout juste de mettre sur
pied ces programmes, mais on a déjà constaté leur bienfait.
|
Une partie du problème, c'est que tout ce système de navette
entre la prison et le refuge constitue un mode de vie, car pour
obtenir les drogues illicites, notamment le crack et autres drogues
du genre - et tous nos clients sont des usagers - ils doivent
faire certaines choses. Ce style de vie les pousse à commettre de
nombreux actes criminels, notamment le vol à l'étalage, le trafic
de drogues ou l'achat de drogues d'un trafiquant pour la revendre
à quelqu'un d'autre, de façon à pouvoir s'en garder un peu et
continuer à fumer.
|
Dans la plupart des cas, la toxicomanie et l'usage de drogues
mènent lentement à l'abus; dans le cas du crack, la progression est
très rapide, de sorte que bon nombre de nos clients ne vivent que
pour cela. Leur dépendance et l'abus de la drogue leur donnent un
but. Dès qu'ils se lèvent le matin, ils savent qu'ils passeront toute
la journée à essayer de se procurer leur dose de crack pour la
journée. Cela les tient donc occupés et les distrait de bon nombre
de questions auxquelles ils ne vont pas penser, et auxquelles ils ne
voudraient sans doute pas penser.
|
Avec notre équipe de gestion des cas, nous tentons de nous
attaquer à ce problème grâce à une approche axée sur le client,
nous tentons de les remettre en contact avec bien des choses
nécessaires qu'être humain, notamment la famille, un but, un
emploi, voir un médecin, la santé, et nous avons un certain succès
à cet égard.
|
Cela a été difficile. Au début de tout programme, on commet
bien des erreurs. La plupart du temps, nous avions l'impression
d'être dépassés. Cependant, nous commençons maintenant à faire
réellement des progrès à bien des égards et l'expérience a été
enrichissante. De façon générale, en les faisant participer au
programme O'Neill et en leur offrant les services, sans les juger
relativement à leur toxicomanie, en disant que cela était
acceptable, nous avons constaté que lorsque qu'un client participe
pour la première fois au programme O'Neill, son usage de la
drogue augmente au début car il se dit: «chouette, je peux fumer
de la drogue à volonté et personne ne me dira quoi que ce soit».
C'est ce genre de réaction qu'ils ont au départ. Habituellement,
s'ils restent plus de deux mois, leur usage de drogues commence à
diminuer et la consommation excessive cesse. Ils ne s'absentent
pas aussi longtemps. Lorsqu'ils arrivent, ils peuvent s'absenter
pendant quatre ou cinq jours, mais cette période commence à
diminuer et ils commencent vraiment à vivre ici. Ils consacrent
une grande partie de leur temps au programme O'Neill.
|
M. Druce: Du point de vue de la politique gouvernementale, je
comprends certainement que votre comité se penche surtout sur
les questions entourant l'usage du cannabis et de la marijuana.
|
L'une des choses que nous reconnaissons certainement à
l'heure actuelle, si nous avions la possibilité de faire des
changements, ce serait de dire que nous avons dû accepter l'usage
de drogues de la part de ces gens pour deux raisons: d'abord,
surtout parce que nous reconnaissons que nous pouvons être d'un
plus grand secours aux toxicomanes en acceptant leur toxicoma
nie, et que l'usage des drogues fera partie de leur vie du moins
initialement pendant qu'ils sont avec nous, et peut-être pendant un
certain temps après nous avoir quittés. Nous avons par ailleurs dû
l'accepter, en partie, parce qu'il est très difficile pour eux de
cesser. En d'autres termes, nous ne pouvions exploiter un refuge
en décrétant qu'aucun toxicomane ne pouvait y avoir accès. Nous
nous sommes donc trouvés dans une situation où nous avons dû
travailler avec les toxicomanes, et cela présente de nombreux
défis.
|
Le tribunal consacré aux drogues a certes présenté un intérêt
pour nous car il nous donnait certains moyens de pression. Pour
les personnes qui voulaient s'arrêter mais qui trouvaient cela très
difficile, le spectre de l'incarcération peut suffire pour les aider à
se retrouver dans un endroit où ils peuvent commencer à
s'attaquer à leurs problèmes de toxicomanie. Cependant, comme
M. Fulgosi vous l'a dit, l'application de certaines de ces
conditions a été plutôt inégale. Nous préconisons bien sûr la mise
en place de sanctions pour aider ces personnes à faire des choix
plus sains.
|
En fin de compte, en ce qui concerne les gens avec qui nous
traitons et qui ont une dépendance à un certain nombre de drogues
- la marijuana est certes très courante; beaucoup de gens fument
de la mari; le crack est certainement plus visible pour nous -
nous aimerions que des sanctions soient mises en place. Je suis
cependant d'avis que l'imposition de peines autre que l'emprison
nement pourrait assurément être un outil efficace dans le cadre de
notre travail. Nos clients alternent actuellement entre l'incarcéra
tion et le refuge, et si ce n'est du fait qu'au refuge ils peuvent
sortir pendant la journée, dans leur esprit il n'y a sans doute guère
de différence entre les deux.
|
Accroître la sévérité des peines, imposer des peines d'empri
sonnement plus longues, n'est dans l'intérêt de personne. Il est
vrai que ceux qui sont touchés par ces crimes les considèrent
comme des crimes très graves, et je ne veux pas sous-estimer cet
aspect, mais ce ne sont quand même pas les crimes les plus graves
que l'on puisse commettre. Je ne crois pas que l'imposition de
peines d'emprisonnement plus longues pour les crimes liés aux
drogues constitue la mesure dissuasive la plus efficace.
|
Le sénateur Kenny: Décrivez-nous un peu vos antécédents.
|
M. Druce: J'ai travaillé dans des centres pour itinérants
pendant 16 ans. J'ai participé au programme Katimavik en 1984
et, dans le cadre de ce programme, j'ai travaillé dans un foyer de
groupe.
|
Le sénateur Kenny: Jacques Hébert serait fier.
|
M. Druce: Oui, et que Dieu le bénisse!
|
Le président: Très fier.
|
M. Druce: Puis, mon premier emploi rémunéré a été dans le
domaine des services sociaux, dans les foyers de groupe. J'ai un
diplôme de l'Université Ryerson, dont je ne veux pas minimiser
l'importance, mais si j'avais amorcé ma carrière avec la Ville de
Toronto...
|
Le sénateur Kenny: Vous avez fait vos études dans quel
domaine?
|
M. Druce: En travail social. Toutefois, j'estime avoir acquis la
plupart de mes connaissances en travaillant dans les centres pour
itinérants. Il est certain que mes clients, ceux que j'y ai
rencontrés, ont été mes meilleurs enseignants.
|
En ce qui a trait au recrutement, à titre de gestionnaire, je dirais
que nos meilleures recrues ont été ceux qui avaient une
expérience de vie diversifiée. Nous avons des employés qui ont
été débardeurs, musiciens, qui ont fait face à bon nombre des
mêmes problèmes que nos clients, et qui ont su les surmonter
pour ensuite mettre à profit cette expérience pour aider les autres.
Pour ma part, j'ai fait du bénévolat, j'ai occupé des emplois
rémunérés pour ensuite obtenir mon diplôme en travail social.
|
M. Fulgosi: Je suppose qu'on pourrait m'inclure parmi ceux
dont M. Druce vient de parler. Je suis conseiller en toxicomanie.
J'ai fréquenté le Centennial College. Je suis aussi un ancien
toxicomane. Je travaille dans le domaine de toxicomanie depuis
environ cinq ans.
|
Comme l'a dit M. Druce, je travaille dans un centre pour
itinérants depuis trois ans. J'ai l'avantage d'avoir vécu ce que
vivent ces hommes car j'ai moi-même été toxicomane et itinérant.
Ma tâche est plus facile et mon travail plus efficace car je
comprends ce que vivent nos clients. Bien des gens demandent à
nos clients de faire certaines choses. Moi, quand je leur demande
quelque chose, je sais ce que ça implique, je connais les risques.
Ce sont là mes antécédents et mes compétences.
|
Le sénateur Kenny: Décrivez-nous une journée de travail. À
quelle heure commencez-vous? Travaillez-vous par quart, par
exemple?
|
M. Fulgosi: Oui.
|
Le sénateur Kenny: Est-ce que chacun d'entre vous pourrait
nous décrire une journée ou un mois de travail typique?
|
M. Druce: Le centre est ouvert 24 heures par jour; il y a deux
quarts de travail de 12 heures. À chaque quart, trois employés
sont présents: deux intervenants de première ligne et un
superviseur.
|
Le sénateur Kenny: Ce sont trois employés pour combien de
gens, combien de clients?
|
M. Druce: Trois employés pour 60 clients.
|
Le sénateur Kenny: Trois personnes servent 60 clients?
|
M. Druce: C'est exact.
|
Le sénateur Kenny: Je vois.
|
M. Druce: Nous travaillons selon une rotation de trois mois et
demi; ainsi, chacun travaille le jour pendant trois mois et demi et
ensuite la nuit pendant trois mois et demi. Avec nos clients, il est
important de connaître leur état à 4 heures du matin pour savoir
ce qu'on peut leur demander à 16 heures.
|
Le sénateur Kenny: Le centre est ouvert 24 heures par jour,
sept jours par semaine?
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Kenny: Qui travaille pendant les week-ends?
|
M. Druce: Nous suivons la rotation de trois mois et demi, sans
distinction. Chacun travaille trois week-ends sur quatre et, une
fois sur trois, un des deux jours du week-end. Après un certain
temps, les week-ends deviennent arbitraires. Ce sont vos deux
jours de congé sur une période de 14 jours.
|
Je vais demander à M. Fulgosi de vous décrire une journée de
travail normale.
|
M. Fulgosi: Devrais-je vous donner notre point de vue ou celui
du client?
|
Le sénateur Kenny: Si vous pouvez nous donner les deux,
faites-le.
|
M. Fulgosi: En raison du style de vie des consommateurs de
crack, la plupart de nos clients sont très actifs très tard le soir.
|
Le sénateur Kenny: Est-ce que vous nous donnez votre point
de vue ou celui des clients?
|
M. Fulgosi: Je vais tenter de vous donner les deux.
|
Le sénateur Kenny: En même temps?
|
M. Fulgosi: Je vous donnerai d'abord mon point de vue. Au
début du quart de jour, à 8 h, c'est plutôt tranquille. Selon
l'horaire du Centre O' Neill, tout le monde doit être levé et prêt à
déjeuner à 11 h 45. Nous servons le petit déjeuner dès 7 h 30,
mais beaucoup de nos clients préfèrent dormir à cette heure-là.
|
Le sénateur Kenny: La moitié de vos clients?
|
M. Fulgosi: Je dirais que le quart d'entre eux dorment encore à
l'heure du petit déjeuner. La plupart sont déjà réveillés à
7 heures, mais cela dépend. Si un groupe de clients est rentré très
tard, il est probable qu'ils dorment encore à l'heure du petit
déjeuner, ce que nous permettons.
|
Puis, le déjeuner est servi. Dans le cadre du programme de
réduction des risques, nous exigeons que nos clients sortent
pendant quatre heures, de midi à 16 heures. Nous espérons qu'ils
tirent parti des services offerts dans la collectivité, sur les conseils
de notre équipe de planification des cas. C'est pendant cette
période que nos clients vont à leurs divers rendez-vous, chez le
médecin par exemple, et font ce qu'ils ont à faire.
|
Ils rentrent à 16 heures et dînent à 18 h 15. Pour le quart de
jour, c'est de 16 heures à 20 heures qu'il y a le plus d'activité,
mais cette activité est positive.
|
Le sénateur Kenny: Mais que faites-vous pendant tout ce
temps?
|
M. Fulgosi: Ce que je fais pendant la journée?
|
Le sénateur Kenny: Oui.
|
M. Fulgosi: De 8 heures à midi, je m'occupe de mes dossiers:
je passe en revue les notes, je m'entretiens avec les clients que
nous tentons d'aider. Il y a aussi beaucoup de tâches courantes
comme donner des serviettes de toilette aux clients et s'assurer
qu'ils ont tout ce qu'il leur faut.
|
De midi à 16 heures, encore une fois, je m'occupe de mes
dossiers et je m'assure que les activités quotidiennes se déroulent
sans heurts. Cette période est assez tranquille. Les clients qui se
sont fait prescrire du repos par leur médecin restent sur place et
nous nous entretenons avec eux.
|
Maintenant que nous avons des équipes de programme, nous
travaillons à l'élaboration des programmes. Nous tentons aussi
d'établir de liens avec la collectivité et, récemment, nous avons
sollicité l'aide de la police car quelques trafiquants de drogues se
sont installés en face, sur la rue George.
|
Nous sortons aussi. Beaucoup de nos clients flânent autour du
centre pendant la journée. Ils ne vont à vrai dire nulle part entre
midi et 16 heures.
|
Le sénateur Kenny: En quoi le travail de nuit diffère-t-il?
|
M. Druce: Je me permets d'intervenir, car je viens de finir une
période de quarts de nuit. Le quart de nuit commence à
20 heures; de 20 heures jusqu'à minuit, il y a beaucoup
d'interaction avec les clients. D'après le fonctionnement de notre
programme, beaucoup de tâches banales s'accomplissent le jour:
distribuer les draps et les serviettes, aider certaines personnes à
faire leur toilette et leur lessive. Nous avons alors l'occasion de
passer du temps avec nos clients, à nouer des liens dans
l'accomplissement de tâches quotidiennes. De 20 heures à minuit,
il y a beaucoup d'interaction: nous passons du temps avec nos
clients, nous nous enquerrons de leur santé, nous discutons de
problèmes médicaux. Ainsi, beaucoup des gens que nous voyons
consomment des drogues par voie intraveineuse et se retrouvent
avec de graves abcès.
|
De minuit à 4 heures, nous avons récemment commencé à
consacrer beaucoup de temps à empêcher les contacts entre nos
clients et les trafiquants de drogues qui se sont installés près de
notre centre. Il y a quatre semaines - et c'est une des choses
dont je suis le plus fier, des clients sont venus nous dire que la
présence de trafiquants de drogues dans leur collectivité les
préoccupait beaucoup. Il y a eu escalade du nombre d'agressions
violentes dont sont victimes nos clients dans notre quartier. Il est
certain qu'il y en a toujours eu, c'est un des risques associés à la
consommation de drogues. Toutefois, depuis peu de temps, on
assiste à une lutte de pouvoir pour la prise de contrôle du
commerce de la drogue et les agressions ont augmenté. Nos
clients nous ont dit que la présence de trafiquants près du centre
les rendait mal à l'aise. Ils veulent pouvoir s'éloigner du monde
de la drogue.
|
Par conséquent, nous avons commencé à consacrer pas mal de
temps, la nuit, à nous promener avec notre appareil photo, à parler
avec les trafiquants, à leur expliquer que leur présence n'est pas
bienvenue. S'ils refusent de partir, nous prenons leur photo et
nous remettons ces photos à la police. Les trafiquants nous
pourchassent jusqu'à l'arrivée de la police qui les fait fuir.
|
De 4 heures à 8 heures, nous faisons un peu de ménage.
Certains de nos clients qui étaient sortis commencent à rentrer
pendant cette période. C'est aussi pendant cette période que nous
recevons les appels de la Division 51 qui nous fait savoir lesquels
de nos clients sont dans leurs cellules ou doivent comparaître
devant le tribunal ce matin-là. Le jour, il y a beaucoup de travail à
faire aux tribunaux, au tribunal de la toxicomanie, aux audiences
de cautionnement et aux audiences sur le plaidoyer.
|
Le sénateur Kenny: Monsieur Fulgosi, comment cela se
passe-t-il pour les clients?
|
M. Fulgosi: Cela fait déjà un certain temps et j'ai seulement
été un client de Seaton House - j'ai été actif surtout dans
l'Ouest. Les drogues isolent. Je me souviens que, souvent, j'avais
l'impression qu'on me jugeait, ce qui était souvent le cas. Comme
l'a indiqué M. Druce plus tôt, la société porte un regard moraliste
sur la consommation de drogues. Son approche est très punitive.
Prendre de la drogue, c'est mal; c'est contraire à la loi et, si vous
le faites, vous irez en prison. J'en ai fait l'expérience et je me suis
retrouvé très isolé de la société.
|
Je n'ai jamais profité des services d'un centre comme le Centre
O'Neil, un endroit où on ne m'aurait pas jugé, où on m'aurait
accepté tel que j'étais, que j'aie continué à prendre de la drogue
ou non. Je ne peux donc vous dire ce que cela représente.
|
C'est difficile. Lorsque j'ai été institutionnalisé, j'ai perdu
confiance en moi. Je ne me sentais plus en mesure de vivre à
l'extérieur de l'établissement et lorsque je sortais, je me disais que
cela ne durerait pas, que ce ne serait que de courte durée. De plus,
j'ai dû travailler durement et j'ai eu besoin d'aide pour franchir
cette étape, pour retrouver confiance en moi au point de croire
que je triompherai.
|
Mon interaction avec les clients du Centre O'Neil se fonde en
partie sur mon expérience de toxicomane. Je connais bien le
réflexe qui nous pousse à blâmer les autres des malheurs qui nous
accablent; je refusais de me voir tel que j'étais, je refusais de me
blâmer de mes problèmes, car cela m'évitait d'apporter quelque
changement que ce soit.
|
Nous passons par les mêmes étapes avec nos clients, et
certaines des règles et des consignes que nous tentons de leur
imposer pour créer une structure dans leur vie ne sont acceptées
qu'avec réticence.
|
M. Druce: Cela pose parfois des problèmes.
|
Le sénateur Kenny: Je m'attendais à ce que vous nous en
disiez davantage. Je m'attendais à ce que vous nous décriviez la
journée d'un toxicomane qui tente de voir où il pourra trouver sa
prochaine dose.
|
M. Fulgosi: Je comprends.
|
Le sénateur Kenny: Je croyais que c'était votre seule
préoccupation et que les conseillers vous dérangeaient lorsqu'ils
vous demandaient de faire votre lessive ou d'aller dîner.
|
M. Fulgosi: J'en parlais justement avec Toby avant de venir
ici. J'y ai fait allusion plus tôt; la pulsion qui vous incite à
consommer de la drogue est très forte, elle accapare toute votre
vie. Dès le réveil, vous vous demandez où et comment trouver de
la drogue puis, vous en consommez. Si en une journée, vous
parvenez à vous réveiller, à trouver de la drogue et à en prendre,
vous avez eu une bonne journée.
|
Vous en venez habituellement à commettre des crimes pour
pouvoir acheter de la drogue, car la consommation de drogues est
une habitude, et un mode de vie très coûteux. Le crack était censé
être la cocaïne des pauvres, une drogue qu'on pouvait se payer
facilement. On dit qu'on peut obtenir une dose pour 20 $, mais
ça, ce n'est que le début. Il faut beaucoup d'argent pour
consommer du crack. Par conséquent, vous consacrez beaucoup
de temps à déterminer comment vous pourrez vous payer votre
prochaine dose, ce qui comporte beaucoup de risques. Les risques
que présentent les trafiquants, le risque d'être battu, le risque
d'être poursuivi par la police ou d'être arrêté. Un de mes clients
s'est fait fracasser le visage avec une poutre par des trafiquants de
drogues parce qu'il est Noir et qu'il a osé défendre un homme
blanc dans une bagarre.
|
Il y a aussi d'autres risques. La consommation de cocaïne peut
mener à la psychose, à une paranoïa telle que vous n'osez plus
fumer votre drogue nulle part. La toxicomanie avancée s'accom
pagne de nombreuses craintes.
|
Lorsque nous avons mis sur pied le programme, bon nombre de
nos clients croyaient que nous les surveillions, que nous prenions
en note leur nom pour dresser une liste de toxicomanes qui
seraient ensuite arrêter. Autrement dit, il y avait beaucoup de
méfiance. Il nous a fallu beaucoup de temps pour créer un climat
de confiance. Au départ, beaucoup de nos clients hésitent à faire
confiance aux autres en raison de leur expérience avec leur
famille ou la vie en général.
|
En résumé, je dirais que celui qui est drogué au crack n'a pas
une vie très agréable, elle n'est pas du tout fascinante. Mais il est
certain que c'est une vie assez dramatique en raison de tous les
risques qu'il faut courir pour trouver de la drogue.
|
M. Druce: Pour bon nombre de nos clients, c'est l'ennui qui
est la principale source de stress. Ils nous disent souvent pendant
le jour qu'ils n'ont rien à faire, qu'ils s'ennuient, sachant toutefois
pertinemment que, quelques heures plus tard, le temps sera venu
pour eux de se préparer à sortir pour trouver et prendre de la
drogue. Nous pouvons leur proposer des choses à faire, mais il ne
faut pas que ces activités empiètent sur ce qui doit être fait à la fin
de la journée. Ces gens passent beaucoup de temps à ne rien faire,
à attendre l'heure de sortir, à se préparer à sortir le soir pour
trouver de la drogue et fumer. Les activités que nous pourrions
leur proposer les empêcheraient de sortir pour aller prendre de la
drogue; ils préfèrent donc ne rien faire et attendre que le moment
de sortir soit venu. C'est probablement la plus grande source de
frustration pour ces personnes: d'une part, n'avoir rien à faire;
d'autre part, n'avoir qu'une chose à faire: trouver le prochain fixe.
|
Le sénateur Kenny: Et où trouvent-il l'argent qui leur permet
de passer leur journée à ne rien faire?
|
M. Druce: Ils font beaucoup de vol à l'étalage. Certains font
un peu de trafic de drogue, juste assez pour se payer eux-mêmes
de la drogue. Chaque jeudi, nous versons une indemnité de
26,75 $ pour besoins personnels. Le jeudi est donc une bonne
journée car vous n'avez pas à vous demander où vous trouverez
votre argent ce jour là.
|
Le sénateur Kenny: Vingt dollars par jour suffisent?
|
M. Druce: C'est un bon début.
|
M. Fulgosi: C'est exact.
|
Le sénateur Kenny: Monsieur le Président, je pourrais
continuer à vous questionner là-dessus, mais je ne veux pas
accaparer le temps du comité.
|
Le président: Une de nos collègues voudrait poser une
question; nous pourrons ensuite vous redonner la parole. Madame
le sénateur Milne.
|
Le sénateur Milne: Votre exposé est très intéressant. Est-ce
que le Centre O'Neil est physiquement distinct de Seaton House?
|
M. Druce: Oui, même si les deux se trouvent dans le même
immeuble. Un couloir relie notre immeuble, à la cafétéria du
refuge, qui n'est ouverte qu'aux heures de repas. Les entrées et les
sorties sont distinctes des entrées principales.
|
Le sénateur Milne: Si je me souviens bien, Seaton House se
trouve sur la rue Sherbourne ou la rue Parliament?
|
M. Druce: La rue George.
|
Le sénateur Milne: Vous êtes donc tout prêt de Regent Park?
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Milne: C'est là que se trouvent les trafiquants de
drogue, je suppose, ceux qui se sont installés en face de chez
vous?
|
M. Fulgosi: D'après ce que m'ont dit les clients, la plupart des
trafiquants sont de Regent Park, mais il y en a aussi dans les rues
Jane et Finch.
|
Le sénateur Milne: Ça alors.
|
M. Druce: C'est un coin de plus en plus populaire.
|
M. Fulgosi: En effet.
|
Le sénateur Milne: C'est très décourageant.
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Milne: J'indique pour la gouverne des membres
du comité qui l'ignorent que Regent Park a été le premier projet
de logements publics du monde, pratiquement. C'était alors une
expérience et, comme nous le savons maintenant, cette expérience
a échoué. Nous en savons maintenant beaucoup plus sur la façon
de construire les logements sociaux.
|
Vous avez dit que 80 p. 100 de vos clients résident chez vous
pendant moins de six mois?
|
M. Druce: C'est exact.
|
Le sénateur Milne: Pendant ces six mois, ils font la navette
entre la prison et le Centre O'Neil?
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Milne: Ces personnes relèvent donc de vous?
|
M. Druce: Ça dépend. Dans le cas de ceux qui ont été arrêtés,
si les accusations dont ils font l'objet peuvent être entendues par
le tribunal de la toxicomanie, nous les encourageons à le faire.
|
Cela ne plaît pas à tous. Certains considèrent la peine
d'emprisonnement comme une période de désintoxication, et nous
ne nous opposons pas à ce choix. Il est certain que les tests de
dépistage de drogue des détenus incarcérés sont toujours négatifs.
On peut obtenir des drogues même en prison, mais certainement
pas avec la même fréquence qu'à l'extérieur. Certains considèrent
donc la prison comme un centre de désintoxication et préfèrent ne
pas en sortir.
|
Il nous arrive d'aller devant les tribunaux au nom de clients
pour leur dire que, s'ils le souhaitent, ils peuvent remettre ces
contrevenants entre nos mains et que nous les aideront à respecter
les conditions de leur cautionnement, ou pour signaler les
violations de ces conditions. Je pense ici au cas où l'intéressé sort
du centre, consomme des drogues et se retrouve ensuite avec un
résultat positif à l'analyse d'urine. Puisque ces contrevenants sont
censés ne pas consommer de drogue, nous devons signaler ces cas
là. Ces personnes ne savent plus que faire.
|
Le sénateur Milne: Faites-vous régulièrement des analyses
d'urine dans le cas des clients dont vous avez la charge?
|
M. Druce: Oui, nous faisons des tests au hasard. De façon plus
générale, si nous craignons que quelqu'un ait pris de la drogue,
nous faisons un test auprès de tous nos clients.
|
Le sénateur Di Nino: Vos clients doivent-ils assumer des
responsabilités pendant leur séjour au Centre O'Neill?
|
M. Druce: Oui. Doivent-ils assumer de nombreuses responsa
bilités? Oui. Assument-ils beaucoup de ces responsabilités? Non,
parce qu'ils sont toxicomanes. Notre travail consiste notamment à
les aider à assumer une part de ces responsabilités, surtout celles
relatives à leur comportement.
|
Le sénateur Di Nino: Entre-temps, toutefois, vous prenez soin
d'eux 24 heures par jour?
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Di Nino: Vous vous assurez que tous leurs besoins
personnels sont satisfaits?
|
M. Druce: Oui.
|
M. Fulgosi: Après l'évaluation, lorsque nous acceptons un
client, nous établissons un genre de contrat qui décrit ce à quoi le
client peut s'attendre de nous et ce que nous attendons de lui.
Ainsi, au début, on s'attendait à ce que les clients lavent leurs
draps, fassent leur lessive et voient à leur hygiène personnelle.
Récemment, nous avons commencé un nouveau genre d'évalua
tion. Toutefois, les clients sont généralement responsables de leur
lit et de leur hygiène personnelle. Comme l'a dit M. Druce, nous
mettons de plus en plus l'accent sur le comportement, ce qui
comprend l'interaction et l'adaptation.
|
Le sénateur Di Nino: Il s'agit essentiellement d'adultes,
n'est-ce pas?
|
M. Druce: Oui.
|
Le sénateur Di Nino: Vous n'acceptez pas... L'âge minimal est
de 19 ans?
|
M. Druce: D'après notre règlement, c'est 16 ans.
|
Le sénateur Di Nino: 16 ans?
|
M. Druce: En pratique, si un jeune de 16 ans accro au crack
venait nous voir, nous ne l'accueillerions pas sans doute; nous le
renverrions probablement à la Société d'aide à l'enfance, car notre
centre ne s'adresse pas à ceux qui commencent à consommer de
la drogue. L'âge moyen de nos clients est de 37 ans.
|
Le sénateur Di Nino: Vos clients ont-ils des problèmes de
comportement sexuel ou de mauvais comportement sexuel?
Avez-vous eu à régler des problèmes de ce genre?
|
M. Druce: Pas encore.
|
M. Fulgosi: Pas au centre O'Neill.
|
M. Druce: Non. En général, les gens sont prudents. Notre
centre étant un genre de refuge, si deux clients veulent avoir des
relations sexuelles ensemble, ils savent que ce n'est pas l'endroit
pour le faire. Ils loueront une chambre quelque part ou iront
ailleurs. Ce genre de problème est aussi limité par le fait que les
femmes n'ont pas accès au centre.
|
Le sénateur Di Nino: Et les familles de vos clients? Est-ce que
vous tentez de communiquer avec elles, de les faire participer au
programme?
|
M. Fulgosi: Seulement si c'est ce que souhaite le client. Si
c'est indiqué, nous encourageons le client à le faire, mais nous le
forçons jamais.
|
Le sénateur Di Nino: Comment cela se passe-t-il en général?
|
M. Druce: Habituellement, c'est une expérience positive.
Lorsqu'un client veut communiquer avec sa famille, c'est
habituellement quelqu'un qui affirme depuis longtemps à sa
famille qu'il veut cesser de consommer de la drogue, qu'il fait un
effort, que tout sera différent dorénavant. Habituellement, les
familles sont plutôt sceptiques, et parfois à juste titre.
|
Mais lorsque les clients peuvent prouver qu'ils ont réalisé des
progrès, parce qu'ils ont fait l'objet d'une mesure de déjudiciari
sation ou que, à la suite d'un traitement, ils ont eu plusieurs tests
de dépistage positifs après analyse d'urine, ils peuvent commen
cer à renouer les liens.
|
Le sénateur Di Nino: De toute évidence, l'étude du comité
porte essentiellement sur le cannabis et la marijuana, mais votre
exposé va tout à fait dans le sens de notre discussion. Avez-vous
des recommandations à faire, par ordre de priorité, dont nous
pourrions tenir compte, sinon dans ce rapport, mais du moins aux
fins de nos prochains rapports? Qu'aimeriez-vous nous dire à ce
sujet?
|
M. Fulgosi: Personnellement, je pense que le problème auquel
nous nous heurtons relativement aux drogues illicites est dû en
grande partie à l'idée que s'en fait la société. Je ne parle pas de
toutes les drogues, car c'est un sujet différent. Toutefois, puisque
votre étude porte sur la marijuana, si l'on criminalise l'achat et la
consommation de marijuana, on met automatiquement la person
ne en cause dans une situation peu souhaitable car elle doit traiter
avec des éléments criminels, et se rendre dans des quartiers de la
ville comme Regent Park pour obtenir les drogues.
|
Si l'on assouplit les politiques et que l'on traite la toxicomanie
comme une question de santé publique, c'est-à-dire dans le
contexte médical plutôt que pénal, cela changera bien des choses,
à mon avis. Cela donnera un tout autre profil à l'accoutumance,
en toute franchise.
|
M. Druce: Racontez-leur l'histoire du magasin.
|
M. Fulgosi: Oui. Si nous nous concentrons uniquement sur la
marijuana, j'ai constaté une chose avec les clients: s'ils sont
accrochés au crack, ils aiment suivre ce que nous appelons un
programme d'entretien à la marijuana, dans le cadre duquel ils ne
fument que de la marijuana. C'est un terme que bien des gens
connaissent bien.
|
J'utilise à cet égard une comparaison: si vous alliez dans un
magasin, à titre de client, et que le magasin disposait toutes ces
drogues sur une étagère, la marijuana se trouverait aux côtés des
autres drogues. Puis un jour, la marijuana ne serait plus sur cette
étagère, mais un autre produit s'y trouverait, et selon toute
vraisemblance, le client prendrait cet autre produit. En d'autres
termes, le fait que tout soit disponible au même endroit pose un
problème de plus grande envergure.
|
M. Druce: Pour ma part, en tout cas, je ne minimiserais jamais
l'incidence que la consommation de drogue a sur la personne qui
la consomme, ou sur sa famille, ou encore sur sa collectivité. La
toxicomanie pose d'énormes problèmes dont vous avez certaine
ment beaucoup entendu parler.
|
Ce qui nous occupe à l'heure actuelle avec ce groupe
d'hommes, c'est d'essayer de réduire les risques chaque fois que
possible. Nous pouvons notamment, pour réduire les risques,
intervenir au niveau de ce qu'ils doivent faire pour atteindre un
état high. S'ils peuvent se contenter de marijuana, car c'est la
seule drogue qu'on puisse obtenir légalement, cela sera évidem
ment utile car tous les comportements associés disparaîtront. Ces
personnes continueront d'avoir un problème d'accoutumance, et
nous essaierons d'y remédier, mais cela supprime les problèmes
secondaires entourant la toxicomanie et auxquels il nous est
beaucoup plus difficile de nous attaquer.
|
Le sénateur Di Nino: À votre avis, fumer du cannabis
représente-t-il une accoutumance?
|
M. Druce: Je fume des cigarettes, et je suis évidemment
accroché au tabac.
|
Le sénateur Di Nino: Ne le dites pas au sénateur Kenny. Il
viendra vous en parler plus tard.
|
M. Fulgosi: Lorsqu'on parle d'accoutumance, la drogue
proprement dite n'est qu'une substance. C'est plutôt la façon dont
la personne utilise cette substance qui fait qu'elle représente une
accoutumance, ou un abus ou un problème social. Tout dépend de
l'utilisation qu'on en fait. C'est en grande partie là qu'est le
problème.
|
M. Druce: À mon avis, personne ne vient dans nos refuges -
en tout cas pas dans nos foyers, simplement parce que la personne
est toxicomane. La toxicomanie fait partie intégrante d'un autre
problème. Si j'étais toxicomane, parmi tous les foyers où il me
faudrait résider, je pense que Seaton House serait sans doute le
mieux, mais c'est un endroit horrible. Je ne recommande à
personne d'y résider pendant longtemps.
|
Étant donné les expériences vécues par nombre de nos clients,
qu'il s'agisse de sévices sexuels pendant l'enfance, ce qui est un
cas fréquent au sein de ce groupe, et des diverses expériences de
la vie qu'ils ont connues, si le fait de fumer de la marijuana leur
permet aujourd'hui de tenir le coup, alors je pense que c'est sans
doute la chose à faire. Effectivement, ils ont une dépendance à cet
égard, mais sans doute pour de très bonnes raisons, car c'est ce
qui leur permet de rester en vie à l'heure actuelle.
|
Existe-t-il d'autre chose qui les aiderait à faire face s'ils
réussissaient à résoudre ces autres problèmes? Oui, certainement.
Ils pourraient faire d'autres choix, mais je conviens avec
M. Fulgosi que la toxicomanie est plus liée à la façon dont on
consomme la substance qu'à la substance proprement dite.
|
Le président: Comment les voisins réagissent-ils à votre
présence dans leur quartier?
|
M. Druce: Je dirais que les choses s'améliorent.
|
Le président: Ils vous ont demandé de déménager?
|
Le sénateur Di Nino: Vous devriez faire de la politique.
|
M. Druce: Il va sans dire que la présence d'un foyer de 700 lits
pour des hommes sans abri pose évidemment certains problèmes.
Toutefois, Seaton House est à son adresse actuelle depuis 47 ans.
Nous occupons la presque totalité du pâté de maisons et, de
l'autre côté de la rue se trouve le centre de détention de York pour
les jeunes contrevenants, qui occupe la majeure de partie de
l'autre côté du pâté; jusqu'à tout dernièrement, nous n'avions pas
beaucoup de voisins.
|
Nous avons aujourd'hui plus de voisins, au bout de la rue.
Quelqu'un a démoli certains vieux édifices et construit à la place
des maisons à 250 000 $; les gens qui occupent ces maisons sont
exaspérés par ce qui se passe devant notre porte d'entrée. Nous
leur avons dit que, depuis 47 ans, ce genre de choses se
produisait ici même, et que si leur agent immobilier avait omis de
le leur dire, ce n'était pas notre problème.
|
Toutefois, le problème devient de plus en plus le nôtre. Un
grand nombre d'appartements en copropriété se construisent dans
notre quartier et les gens qui sont propriétaires d'une maison
depuis déjà un certain temps ont des préoccupations bien
légitimes au sujet de ce qui se passe dans le quartier. Nous
partageons ces inquiétudes car, depuis six ans que je travaille à
Seaton House, chaque fois que j'ai dû intervenir physiquement,
cela a été dû directement ou indirectement à une prise de bec
entre deux personnes qui ne résident pas à Seaton House. Bien
des gens viennent dans notre foyer pour acheter, ou vendre, car
dans toute la Division 51, si les gens doivent fumer des drogues
dans la rue, c'est un endroit idéal pour le faire car il y a moins de
voisins et que, encore une fois, le quartier est limité. Nous ne
pouvons pas empêcher ce genre de choses, et c'est pourquoi nous
essayons de limiter cette activité à un seul secteur. En outre, c'est
un endroit relativement sûr où les gens peuvent venir en sachant
qu'ils ne se feront pas harceler.
|
Cependant, il est évident que la violence dont nous commen
çons à être témoins inquiète nos voisins. Cela nous inquiète
également et c'est pourquoi nous adoptons, de concert avec les
voisins, des stratégies qui nous permettront de nous occuper de
façon sérieuse des gens qui fournissent la drogue, des vendeurs
qui servent nos clients. C'est là qu'il nous faut faire des progrès.
Si nous pouvons fermer la source d'approvisionnement un peu
plus loin en amont de la chaîne alimentaire, ce sera une bonne
chose pour nous.
|
Le président: Vous avez parlé de la marijuana dans votre
témoignage. D'après votre expérience, est-il possible de convenir,
comme le prétendent les Hollandais, qu'il existe un marché
distinct pour la marijuana de celui des autres drogues? Peut-on
faire une distinction entre ces deux marchés?
|
M. Fulgosi: Je crois que c'est possible, d'après mon
expérience. Est-ce que vous parlez de légaliser la marijuana ou
des drogues en général?
|
Le président: Non. Je parle du marché.
|
M. Fulgosi: Sur le marché. Il est vrai que les consommateurs
de marijuana constituent un groupe plus important et plus varié
que ceux qui consomment des drogues comme le crack et
l'héroïne. Toutefois, tous ces produits sont dans le même panier
parce qu'ils sont tous illégaux. On est donc obligé d'acheter cette
drogue généralement au même endroit que là où se vendent les
autres drogues, voire à la même personne.
|
Le président: Entendu. C'est ma question. Est-ce le même
réseau?
|
M. Fulgosi: Oui, en général.
|
M. Druce: Du point de vue économique, lorsqu'on achète un
produit de façon illégale, la marge bénéficiaire du vendeur est
plus importante pour les drogues dures. Plus vite ils peuvent vous
faire passer à ces drogues, plus c'est intéressant pour eux du point
de vue économique. Je conviens toutefois qu'il existe sans doute
deux marchés.
|
Le président: Deux marchés?
|
M. Druce: Oui. En tout cas plus d'un.
|
Le sénateur Kenny: Vous posez des questions intéressantes,
monsieur le président. Monsieur Druce, j'ai écouté avec beaucoup
d'intérêt votre remarque selon laquelle plus vite le vendeur peut
vous faire passer à une drogue dure, mieux c'est pour lui. Nous
avons entendu de nombreux témoignages selon lesquels la
marijuana n'est pas une drogue d'introduction.
|
M. Druce: En effet.
|
Le sénateur Kenny: Un des témoins de ce matin a dit que bien
des gens boivent du café également et que ce n'est pas pour
autant qu'ils commencent à fumer du crack.
|
M. Druce: Non, mais cela les incite à passer à l'espresso.
|
Le sénateur Kenny: C'est possible. Êtes-vous d'un avis
différent, d'après votre expérience? En d'autres termes, êtes-vous
témoin d'efforts concrets pour inciter les fumeurs de marijuana à
passer à des drogues dures, et à continuer à les consommer?
|
M. Fulgosi: Je ne pense pas qu'un vendeur se dise: «Je vais
commencer à faire consommer de la marijuana à telle personne et
ensuite je lui vendrai de la cocaïne ou du crack». En général, un
vendeur commence par vendre de la marijuana et il se rend
compte ensuite que le crack représente un marché beaucoup plus
lucratif, et il se lance sans doute dans cette activité.
|
Dans la rue, c'est entièrement une question de relations, de
savoir qui on connaît, et il est difficile de créer de nouveaux liens.
En général, il faut être présenté par une tierce personne et on
continue de faire affaires avec celle que l'on connaît. Si d'un seul
coup votre vendeur commence à vendre du crack et si vous allez
le voir et que ce jour-là vous voulez vous relaxer, vous faire
plaisir ou passer un bon moment, vous déciderez peut-être
d'essayer le crack. Toutefois, je ne prétends pas que ce soit la
règle.
|
Le sénateur Kenny: Vous passerez toutefois un après-midi
bien différent.
|
M. Fulgosi: Cela ne fait aucun doute.
|
Le sénateur Kenny: Le sénateur Nolin a soulevé il y a un
instant la question du «pas de ça chez moi», et vous nous avez
expliqué que votre établissement occupe tout un pâté de maisons.
Il m'arrive de penser que si vous aviez des établissements plus
petits éparpillés dans les quartiers, vous obtiendriez de meilleurs
résultats, mais je ne sais pas si c'est vraiment le cas.
|
Qu'en pensez-vous? Vaut-il mieux avoir un établissement
important en plein centre-ville, sans avoir de problème avec les
voisins, ou d'avoir des voisins qui...
|
Le président: Vous haïssent.
|
Le sénateur Kenny: ... travaillent généralement dans le même
domaine que vous, par exemple le centre de détention dont vous
avez parlé? Quel est le milieu idéal?
|
M. Druce: Je vais vous donner mon avis et vous pourrez
ensuite me donner le vôtre. Je ne pense pas qu'il existe vraiment
un milieu idéal. Les diverses options présentent toutes des
intérêts. Lorsque j'ai commencé à travailler à Seaton House,
l'établissement offrait deux programmes: ou bien les personnes
étaient handicapées physiquement, âgées de plus de 55 ans et
payaient un loyer, ou elles faisaient partie du reste des groupes.
Nous étions tenus d'accepter toute personne qui avait besoin d'un
abri d'urgence. Par conséquent, c'est une bonne chose d'avoir un
établissement important organisé de façon à pouvoir recevoir tout
un éventail de personnes différentes; il est bon que les clients
aient ce genre d'endroit où aller.
|
Toutefois, au cours de l'année où j'ai travaillé avecles 60 clients les plus toxicomanes au sein de ce groupede 690 personnes, j'ai pu constater que le fait d'évoluer dans un
cadre plus restreint a fait disparaître les préjugés, comme l'a dit
M. Fulgosi. En d'autres termes, en disant: «Le saviez-vous? Pour
participer à ce programme, vous devez être toxicomane consom
mateur de crack, de sorte que si vous êtes accroché aux drogues,
n'hésitez pas à venir». Il y a donc d'office une chose que tout le
monde comprend, même si nous n'en faisons pas fi: que la
toxicomanie est un problème pour cette personne. À cet égard, il a
été beaucoup plus utile pour nous de fonctionner dans un cadre
plus restreint, même si cela faisait partie du même bâtiment. Si
l'on pouvait avoir une sorte de «microfoyers», ce serait également
intéressant. Le fait de pouvoir écarter les gens d'une zone centrale
aurait pour effet d'étaler le problème, et de réduire quelque peu
les préjugés, même s'il n'existe évidemment aucune solution
d'ordre géographique aux problèmes de nos clients.
|
M. Fulgosi: Je suis d'accord avec ce que dit mon collègue
M. Druce. À mon avis, Seaton House est un établissement
important étant donné que nous offrons de nombreux services
axés sur les besoins personnels de nos clients. Pour ce qui est des
petits foyers, je suis fermement convaincu que pour que nos
clients progressent et finissent par quitter les foyers, ils doivent
recevoir de l'aide dans un établissement semblable à un foyer de
transition. Je ne sais pas si c'est le bon terme, mais en tout cas un
petit foyer excentré, car bon nombre des refuges sont concentrés
dans ce secteur central.
|
J'ai eu des discussions avec des clients qui me disent qu'ils ne
veulent pas fumer du crack mais que chaque fois qu'ils sortent de
l'établissement, ils en trouvent partout; et cela dure depuis leur
arrivée dans un foyer. S'ils pouvaient se trouver un endroit où il
leur est possible de - je ne veux pas utiliser le terme «obtenir
leur diplôme» mais où ils puissent s'écarter peu à peu du foyer, se
rapprocher d'une collectivité qui n'est pas un milieu de
toxicomanes, leur permettre de vivre à un endroit où ils ne sont
pas immergés dans cette culture de la drogue, ce serait très utile
mais cela devrait faire partie intégrante du système. En effet, je
suis partisan des petits foyers et je crois que c'est ce que nous
ferons grâce au programme des chalets, lorsqu'il sera en vigueur.
Je crois savoir que c'est en cours d'élaboration.
|
M. Druce: Malheureusement, la réalité veut que mes collègues
qui gèrent l'annexe se complaisent à dire que leur emploi et leur
réussite consistent à ramener les gens au fond du trou. Nous
pourrions avoir des petits établissements dans des quartiers plus
résidentiels, ou des quartiers qui ne sont pas aussi touchés par la
pauvreté et les drogues que celui où nous nous trouvons à l'heure
actuelle, mais selon toute vraisemblance, pour la plupart des
clients, le résultat du programme, s'il réussissait, équivaudrait à
les envoyer dans des centres de traitement. En d'autres termes,
nous pourrions envoyer une personne à Windsor pendant un
certain nombre de mois et là-bas, la personne serait désintoxiquée
mais, en fin de compte, dès qu'elle reviendrait à Toronto, ses
moyens lui permettraient simplement de se loger dans un quartier
semblable à celui où elle se trouvait à l'époque où elle
consommait de la drogue. Tous ces facteurs sont reliés. Le fait de
ne pas pouvoir dire à une personne qui réussit: «Nous pouvons
vous trouver un logement acceptable et abordable dans un endroit
où tout le monde ne fume pas du crack» signifie que cette
personne n'aura pas d'autre choix que de retourner là d'où elle
vient. Si ces personnes ont acquis suffisamment d'outils et savent
se retenir pour ne pas retomber dans la drogue, alors je les salue,
car c'est un véritable combat.
|
Le sénateur Kenny: Je m'excuse de tenir des propos si
personnels, mais vous avez parlé plus tôt de certains risques et de
vos préoccupations. Que pouvez-vous dire au comité au sujet de
ces risques et, en réalité, des satisfactions que vous éprouvez,
ayant une aussi longue expérience, et quelles sont vos craintes?
Vous avez parlé de certains problèmes auxquels vous vous heurtez
au cours d'une journée, et il est évident que vous vous trouvez
parfois dans des situations où il y a certain danger pour vous.
Pouvez-vous nous parler de ce genre de problèmes?
|
M. Fulgosi: Oui. Je n'ai jamais ressenti la moindre menace
pour ma sécurité personnelle. Je sais que lorsque nous avons
commencé, les dossiers de bon nombre de nos clients faisaient
état de certains actes de violence. On disait de Seaton House que
l'établissement abritait certains des pires contrevenants et qu'il
devait être absolument terrible d'y travailler. Nous avons constaté
que le nombre de cas de violence a diminué, ce qui est en partie
dû au fait nous acceptons nos clients tels qu'ils sont et leur style
de vie; nous les acceptons sans réserve, en leur disant que nous
sommes au courant et que nous comprenons; que nous n'avons
pas l'intention de les juger. C'est ce qui a permis de réduire les
tensions que ressentaient bon nombre de nos clients.
|
Au quotidien, la seule menace que j'ai jamais ressentie provient
des vendeurs au coin de la rue. Certains d'entre eux agissent de
façon menaçante et sont même parfois très agressifs. Je me suis
senti menacé par la menace qu'il présente pour nos clients, mais
je ne me suis jamais senti menacé physiquement ou personnelle
ment lorsque je me trouve avec nos clients.
|
Le sénateur Kenny: Quel est le côté positif? Qu'est-ce qui
vous permet de tenir le coup? Qu'est-ce qui vous motive?
|
M. Fulgosi: Il est très gratifiant d'aider les gens. J'aime
beaucoup aider les gens. Il est tout particulièrement gratifiant de
les aider à ce niveau car Seaton House, à bien des égards, est un
peu l'endroit de la dernière chance, leur dernière escale, et bien
des gens tiennent pour acquis que ces hommes sont vivants et
qu'ils habitent à Seaton House, et sont aux prises avec de
nombreux problèmes. Il est tout à fait fascinant de travailler
auprès d'une personne et de l'aider à surmonter certains de ses
problèmes et de la voir y parvenir. Rien n'égale cette expérience.
|
Le sénateur Milne: Combien d'histoires de réussite avez-vous
à votre actif?
|
M. Fulgosi: Dans le cadre du programme O'Neill?
|
M. Druce: Je dirais environ 275. Il y a des gens qui n'ont pas
réussi à rester suffisamment longtemps au même endroit pour être
assez à l'aise pour entreprendre de s'attaquer aux problèmes qui
les ont mis dans leur situation actuelle, il y en a encore
aujourd'hui. Cela s'est fait grâce au travail assidu de la part de
certaines personnes très dévouées, et d'un énorme soutien. Quant
à savoir combien de personnes ont cessé de consommer de la
drogue et ont quitté les foyers, il y en a peu. Je dirais une
demi-douzaine.
|
Nous avons réussi à franchir notre première année. À l'époque
où nous avons ouvert nos portes, on comparait notre établissement
à un navire en train de couler, avec un seul canot de sauvetage, à
savoir le Centre O'Neill. Nous avons depuis trouvé une place à
bord du canot de sauvetage. Nous sommes tous en train de ramer.
Nous essayons simplement d'apprendre aux gens à ramer dans le
même sens et, lorsque cela sera fait, nous atteindrons un objectif.
C'est notre projet pour l'an prochain.
|
Le président: Poursuivez votre bon travail.
|
M. Druce: Merci.
|
Le président: Vous nous donnez la volonté de continuer et de
faire en sorte que des témoignages comme le vôtre soient
entendus par le grand public. Merci beaucoup à tous les deux,
monsieur Druce et monsieur Fulgosi, d'avoir accepté de
témoigner devant notre comité.
|
Le président: Le témoin suivant est Dennis Long de
Breakaway.
|
Nous vous écoutons, monsieur Long.
|
M. Dennis Long, directeur général, Breakaway: Je suis
directeur général de Breakaway. C'est l'un des plus grands centres
de traitement des toxicomanes à Toronto. Nous appliquons divers
programmes, tous axés sur la réduction des préjudices. Nous
offrons notamment les programmes pour les jeunes, qui sont un
programme de traitement de jour, plus ou moins semblable à
l'école. Les gens s'y rendent le matin et moi l'après-midi, et il y a
une clinique externe à l'intention des jeunes qui consomment des
substances illicites, et de leurs parents.
|
Nous appliquons également un programme d'action sociale de
rue, le Street Outreach Program, qui prévoit un échange de
seringues et la fourniture de matériaux sûrs pour les injections et
des renseignements, du counselling en cas de crise et d'autres
activités de rue auprès des gens qui vivent dans la rue. Les
responsables de ce programme passent également énormément de
temps dans les divers centres de détention de Toronto: la Don Jail,
le Metro West, le Vanier Centre for Women, et Mimico.
|
Enfin, nous exploitons la deuxième plus grande clinique de
méthadone de la ville, qui fournit des doses régulières de
méthadone, de buprénorphine et de LAAM, ou levo-alpha-acetyl
methadol, à environ 130 personnes. Je le répète, tous ces
programmes sont offerts dans le cadre d'une stratégie de réduction
des préjudices. En d'autres termes, nous adoptons une position
neutre à l'égard de la consommation d'autres drogues. Notre rôle
n'est pas de dire que c'est bien, ni que c'est mal; nous acceptons
cet état de fait et nous essayons de composer avec en vue de
réduire les préjudices dont font l'objet les toxicomanes et ceux
auxquels ils risquent de se heurter, de façon à les aider à améliorer
la qualité de leur vie et leur mode de vie.
|
J'ai voulu comparaître devant votre comité pour vous faire par
de deux choses: d'une part, et je pense qu'on vous en a déjà parlé,
et c'est pourquoi j'aborderai la question brièvement, la législation
actuelle qui, d'après notre expérience dans le contexte des
traitements, et cetera, a été un ignoble fiasco. La loi ne diminue
en rien la consommation de drogues et ne semble pas réduire les
conséquences sociales de celles-ci. Des personnes plus compéten
tes que moi vous en ont certainement parlé au cours de vos
audiences, et je ne m'étendrai pas sur la question, mais je dirai
simplement que, de notre point de vue et dans le secteur où je
travaille, il est un fait acquis que l'interdiction et l'application de
la loi ne donnent aucun résultat, et constituent même un sérieux
obstacle à nos activités.
|
C'est, je suppose, la principale remarque que je voulais faire
dans le cadre de mon témoignage, à savoir que l'interdiction de la
marijuana, notamment, coûte énormément cher. Cette année,
j'étais assis sur la terrasse de mon chalet, qui se trouve près de
North Bay, et un jour un hélicoptère qui faisait des allers et
retours dans le ciel a interrompu ma tranquillité. Je suis allé en
ville et j'ai demandé pourquoi cet hélicoptère sillonnait le ciel. On
m'a répondu que c'était la police anti-drogues qui était à la
recherche de plantations personnelles de marijuana. Lorsque j'ai
demandé combien coûtait un vol d'hélicoptère par jour, on m'a
répondu que c'était dans les 8 000 $. Je me suis dit: je dirige une
clinique dont les employés n'ont pas reçu d'augmentation de
traitement depuis sept ans et on dépense 8 000 $ par jour pour
sillonner le ciel du nord de l'Ontario à la recherche de quelques
plants de marijuana. Il y a vraiment quelque chose qui cloche.
|
Je dois admettre également que lorsque j'ai lu les articles de
journaux au sujet de l'intention du gouvernement de cultiver la
marijuana au fond d'une mine, j'ai commencé à m'interroger sur
la logique de tout cela; nous prenons une mauvaise herbe et nous
essayons de la faire pousser au fond d'une mine, à grands frais, en
prévoyant plusieurs niveaux de sécurité, afin de répondre aux
besoins médicaux de certaines personnes.
|
S'agissant de traitement et de prévention, dans notre clinique et
surtout dans le cadre des programmes à l'intention des jeunes
offerts par notre clinique, le nombre de personnes qui font état de
problèmes liés à la consommation de substances, et la marijuana
représente 50 à 60 p. 100 de ces cas, selon l'année. Ce
pourcentage vous incitera peut-être à vous demander pourquoi je
suis venu témoigner devant votre comité pour vous dire ce que je
vais vous dire au sujet de la législation concernant la marijuana.
Je répondrai que ce sont des chiffres très modestes. Nous
constatons que, la plupart du temps, ce sont les enfants qui
viennent nous trouver pour nous faire part de problèmes très
différents de ceux de la marijuana; la plupart du temps,
l'explication marijuana pour leurs problèmes provient d'autres
personnes, voir de tiers: leurs parents, les autorités scolaires ou
autres. Ces jeunes se sont fait prendre en train de fumer à un
endroit où ils ne devaient pas se trouver, leurs parents ont trouvé
un joint de marijuana dans leur tiroir à sous-vêtements ou ailleurs,
et souvent on nous amène ces jeunes en nous demandant de
résoudre leur problème de marijuana.
|
Dans certains cas, nous nous contentons de les renvoyer à la
maison avec une tape amicale sur la tête et des paroles rassurantes
pour les parents. Dans beaucoup d'autres cas, nous constatons que
les problèmes ont très peu, sinon rien, à voir avec la
consommation de marijuana. Comme beaucoup d'autres vous
l'ont sans doute dit, dans bien des cas, la marijuana est leur bouée
de sauvetage qui les empêche de sombrer.
|
On constate que ces jeunes ont souvent de graves problèmes
d'alcoolisme. Ce problème demeure le numéro deux sur notre
liste et, en fait, c'est notre problème le plus difficile, en particulier
chez les jeunes. Nous constatons également qu'il est difficile de
dissiper les inquiétudes des parents quant à la consommation de
marijuana. Il arrive souvent que des parents viennent nous voir
avec leur fils et nous disent: «Il boit. Vous savez, il est ivre
presque toutes les fins de semaine, mais ce n'est pas pour cette
raison que nous sommes ici. Il fume de la drogue.» De notre point
de vue, nous avons vraiment un problème parce que l'alcoolisme
est souvent un problème beaucoup plus grave pour la personne en
question que le fait de fumer de la marijuana.
|
Il y a encore autre chose que je veux mentionner: l'interdiction
de cette substance est un problème pour nous du point de vue du
traitement et de la prévention, d'un point de vue très particulier.
Voici comment nous voyons les choses. Quand il y a consomma
tion d'une substance donnée dans une société donnée, les gens
apprennent quelles sont les règles sociales, quelles sont les
conventions entourant l'utilisation de cette substance, et plus ça
fait longtemps que la substance circule dans la société, plus il est
probable que les gens comprennent le contexte de son utilisation,
connaissent les effets de la substance et savent comment aborder
les problèmes éventuels.
|
L'alcool en est un bon exemple. Nous n'avons toujours pas
résolu tous les problèmes que soulève la consommation d'alcool,
mais il est certain que nous avons une bien meilleure compréhen
sion de ces problèmes; nous savons comment cette substance peut
être consommée de manière sécuritaire dans notre société. Quand
on interdit quelque chose, ce travail ne se fait pas et ne peut pas se
faire parce que les gens ne peuvent pas admettre ou reconnaître
publiquement qu'ils utilisent la substance en question, laquelle
devient donc plus problématique qu'elle ne devrait l'être.
|
Cette situation se manifeste très souvent dans les familles que
nous voyons. Les parents se mettent en colère parce que leurs
enfants fument de la marijuana et il leur est très difficile de faire
abstraction de cela et de s'attaquer à d'autres problèmes qui
devraient pourtant être prioritaires. Cela devient quasiment de
l'hystérie dans certaines familles. On peut en dire autant pour la
société dans son ensemble. Nous ne pourrons pas intégrer cette
substance dans nos vies quotidiennes et dans notre société tant
qu'elle sera interdite, car l'interdiction interdit d'aborder ouverte
ment la question.
|
Il y a un autre argument que je veux soulever, c'est l'aspect
financier dont j'ai touché un mot tout à l'heure. Nous dépensons
des sommes énormes pour l'interdiction. Je crois d'ailleurs que
vous avez entendu aujourd'hui le chef Fantino, qui a dit «Il nous
faut davantage de ressources» et il a ajouté, si j'ai bien compris,
qu'il y a toute une hiérarchie ou une foule d'éléments différents
dont nous avons besoin pour nous attaquer à ce problème, dont
l'un est le traitement. Je reviens encore là-dessus parce que je
trouve que c'est extrêmement important. Dans notre province, en
tout cas, et je crois savoir que la situation n'est pas rare partout au
Canada, nous n'avons pas obtenu la moindre nouvelle ressource
pour le traitement des toxicomanies depuis neuf ans. Si le chef
Fantino était ici, je voudrais lui demander combien d'augmenta
tions budgétaires il a obtenues depuis neuf ans, car je crois
qu'elles ont été considérables.
|
Par ailleurs, nous avons à peu près le même montant d'argent
pour une charge de travail qui s'est alourdie d'un quart depuis
neuf ans. Le nombre de personnes qui viennent demander de
l'aide a augmenté d'environ 25 p. 100 depuis neuf ans et nous
disposons toujours des mêmes ressources pour les aider. De plus,
nous ne pouvons pas verser des salaires intéressants et nous avons
de la difficulté à garder nos effectifs.
|
Par conséquent, la recommandation que je fais au comité exige,
je crois, beaucoup de réflexion, et elle doit être prise très au
sérieux, à savoir que la marijuana doit être légalisée et
réglementée. Du point de vue du traitement, cela voudrait dire que
nous pourrions alors consacrer des ressources au traitement des
gens qui ont des problèmes, et qui constituent une très petite
proportion de tous ceux qui consomment cette substance; pour
parler crûment, cela voudrait dire que nous pourrions alors
détourner vers des programmes sociaux plus productifs les
ressources que nous consacrons actuellement à lutter contre les
criminels. De plus, en taxant cela à mort, nous pourrions tirer des
ressources encore plus abondantes qui pourraient nous aider à
traiter de façon plus efficace les gens qui ont des problèmes de
toxicomanie.
|
C'est à peu près tout ce que j'ai à dire; je vais m'en tenir là et
voir quelles questions vous avez à poser.
|
Le sénateur Wilson: Monsieur Long, nous venons d'entendre
les représentants de Seaton House nous parler de leur programme
pour les hommes. Je constate que vous avez un certain nombre de
femmes dans vos programmes.
|
M. Long: Oui. Tous nos programmes s'adressent aux deux
sexes.
|
Le sénateur Wilson: Quelle est la corrélation entre le
phénomène des sans-abri et les toxicomanies?
|
M. Long: La clochardise est un problème important, surtout
pour les gens qui sont inscrits à notre programme de méthadone.
Par ailleurs, il est évident que le programme Street Outreach
s'adresse d'abord et avant tout à des gens qui sont sans abri, que
ce soit temporairement ou en permanence. La plupart des gens
que l'on rencontre à Street Outreach ont un logement insalubre ou
pas de logement du tout. À cette époque de l'année, la plupart des
gens sont sans abri.
|
La corrélation est essentiellement culturelle, à mon avis. Les
gens qui vivent dans la rue, les sans-abri, ont tendance à accepter
les drogues comme faisant plus ou moins partie intégrante de leur
environnement. Toutes les études que j'ai lues, et tous les rapports
que j'obtiens des travailleurs de notre programme Street Outreach
indiquent que les gens considèrent que quand on vit dans la rue,
on prend de la drogue ou l'on boit de l'alcool ou les deux,
probablement les deux. Par conséquent, il y a une corrélation très
forte entre le fait d'être sans abri et l'acquisition d'une
toxicomanie, et il y a de bonnes raisons à cela.
|
Le sénateur Wilson: Oui.
|
M. Long: L'analogie est le suivant: si vous n'avez pas
d'endroit chaud et sec où vous réfugier, et si vous n'avez pas le
moindre élément de confort, vous êtes probablement mieux d'être
un peu «défoncé» parce que cela vous permettra probablement de
pouvoir endurer la situation.
|
Le sénateur Wilson: Si je comprends bien, vous êtes
également en faveur de décriminaliser le cannabis?
|
M. Long: Non, franchement, je ne suis pas du tout en faveur
de la décriminalisation.
|
Le sénateur Wilson: Non? Oh, j'ai mal compris.
|
M. Long: Je suis en faveur de la légalisation.
|
Le sénateur Wilson: Je m'excuse.
|
M. Long: Je tiens à ce que ce soit bien clair. Si vous n'y voyez
pas d'inconvénient, je voudrais en dire un peu plus long là-dessus.
J'ai peut-être mal compris votre question.
|
Le sénateur Wilson: Vous avez dit qu'à votre avis, ce produit
devrait être contrôlé.
|
M. Long: En effet.
|
Le sénateur Wilson: Oui. Je voulais simplement vous poser la
question: quel genre de contrôles entrevoyez-vous?
|
M. Long: Je pense que nous pouvons appliquer des règles du
même genre que celles qui s'appliquent à l'alcool et à d'autres
drogues. Nous avons actuellement deux drogues légales, l'alcool
et le tabac, que l'on pourrait qualifier de drogues récréatives.
|
Le sénateur Wilson: Oui.
|
M. Long: Nous imposons une réglementation rigoureuse à ces
produits. D'après des documents que j'ai lus - je dois admettre
que cela fait assez longtemps -, il semblerait que c'est là la
meilleure manière de réduire la consommation de ces substances.
Je pense que la légalisation donnerait probablement tout au moins
l'impression d'une augmentation de l'utilisation.
|
Le problème tient en partie au fait qu'il y a bien des gens qui
en consomment en ce moment même et qui n'ont assurément pas
l'intention de le dire à quiconque, tandis que si le produit est
légalisé, ils en parleront ouvertement. Par conséquent, je ne sais
pas vraiment si la consommation augmenterait vraiment ou si ce
serait seulement une impression provoquée par la divulgation
d'activités cachées. Je m'attends toutefois à ce qu'il y ait une
augmentation.
|
Je ne pense pas que la légalisation soit une solution
particulièrement facile. Cela prendra beaucoup de temps et ce
n'est pas particulièrement viable du point de vue de la realpolitik
parce qu'il est certain que nos voisins et d'autres membres de la
communauté internationale seraient catégoriquement contre une
telle décision de la part de notre pays. Je pense pourtant que c'est
la solution la plus logique.
|
Le sénateur Di Nino: Je voudrais que vous nous donniez une
idée de votre situation relative. Quelle est la taille de votre
organisation? Combien de clients servez-vous? Pourriez-vous
nous donner quelques renseignements? Si vous l'avez fait au
début, je m'en excuse, mais je ne vous ai pas entendu.
|
M. Long: Non, je ne l'ai pas fait. Mon budget global est de
1,5 million de dollars. J'ai 23 employés. Dans l'ensemble de nos
divers programmes, nous voyons environ 800 personnes par
année. Ce sont là des clients officiels. Ce sont des gens que nous
recevons dans un contexte formel.
|
Le sénateur Di Nino: Ils figurent dans des dossiers.
|
M. Long: En plus de ceux-là, nous rencontrons probablement
1 000 autres personnes dans le cadre de notre programme Street
Outreach qui, de par sa nature même, est très informel.
|
Le sénateur Di Nino: Faites-vous appel à des bénévoles?
|
M. Long: Non.
|
Le sénateur Di Nino: Vos employés sont tous rémunérés?
|
M. Long: Oui. Les bénévoles exigent trop de travail.
|
Le sénateur Di Nino: D'autres soutiendraient le contraire,
mais nous respectons...
|
M. Long: Je m'explique: dans le travail que nous faisons, cela
exigerait beaucoup trop de formation. Nous n'avons pas les
ressources voulues pour le faire.
|
Le sénateur Di Nino: Vous traitez des enfants, ou bien...
|
M. Long: Je traite à la fois des enfants et des adultes.
|
Le sénateur Di Nino: Peut-être pourriez-vous nous dire
combien, sur ces 800 à 1 000 personnes qui sont vos clients, sont
des enfants?
|
M. Long: Les programmes destinés aux enfants représentent
environ 350 clients par année.
|
Le sénateur Di Nino: C'est donc un élément important de
votre travail?
|
M. Long: Oui, en effet.
|
Le sénateur Di Nino: Combien de ces personnes fument du
cannabis sous une forme quelconque?
|
M. Long: Parmi les adolescents les plus âgés, probablement la
majorité d'entre eux en fument à l'occasion ou régulièrement.
|
Le sénateur Di Nino: Je pense que vous avez donné votre
opinion, mais je veux m'assurer de bien comprendre. Vous
estimez que le cannabis lui-même ne représente pas un problème
particulièrement sérieux. Ce sont plutôt les autres problèmes qui
causent les difficultés que vous devez affronter?
|
M. Long: Oui. En règle générale, les problèmes d'abus de
substance chez les jeunes - et en l'occurrence, je parle de jeunes
qui ont moins de 17 ou 18 ans - sont presque toujours de nature
contextuelle. Autrement dit, c'est habituellement une réaction à
quelque autre difficulté grave à laquelle la personne est confrontée
dans son environnement social, son environnement habituel, ou
peut-être des difficultés d'ordre psychiatrique qui apparaissent.
Dans l'ensemble, ce n'est presque jamais exclusivement ou
purement la toxicomanie elle-même qui constitue le problème.
|
Le sénateur Di Nino: D'après votre expérience, avez-vous vu
le cannabis utilisé comme une drogue d'introduction à d'autres
drogues?
|
M. Long: Absolument pas. En fait, il est intéressant que vous
posiez cette question. Je m'y attendais plus ou moins. J'étais
justement ce matin à une conférence au Collège des médecins et
chirurgiens de l'Ontario. Pendant cette conférence, nous avons
discuté de la méthadone et nous avons examiné certaines études.
L'une de ces études émanait d'une clinique de méthadone.
Comme vous le savez probablement, dans les cliniques de
méthadone, on fait subir régulièrement des analyses d'urine aux
clients. Dans la plupart des cas, on fait ces analyses une fois ou
même deux fois par semaine, de sorte que l'on sait passablement
bien ce que les clients font.
|
Dans ma clinique, 130 personnes participent au programme
principal de méthadone et je pense qu'il y en a 30 autres dans la
clinique secondaire. Je dirais que l'on trouve de la marijuana ou
du cannabinol dans la majorité des urines. Nous ne traitons pas la
consommation de cannabis comme un problème clinique, à moins
qu'il soit associé à un quelconque problème de comportement des
troubles de l'humeur.
|
L'étude que nous avons examiné ce matin, à cette conférence,
montrait le lien entre le risque de rechute et de consommation
d'autres drogues comme cocaïne ou l'alcool et la quantité de
marijuana fumée. L'étude portait sur trois groupes, un de
non-consommateurs de marijuana, un de consommateurs occa
sionnels et un de consommateurs quotidiens de marijuana. Ceux
qui fumaient chaque jour de la marijuana, étonnamment, étaient
moins sujets à reprendre leur consommation d'héroïne, en fait,
50 p. 100 moins susceptibles d'une rechute. Ils ne consommaient
pratiquement plus de cocaïne, tandis que les autres groupes en
consommaient à raison de 20 ou 30 p. 100. En outre, le risque de
problèmes d'alcool était bien inférieur, d'environ 20 p. 100 à
celui de deux autres groupes.
|
En suivant cette logique, on pourrait prétendre que la marijuana
n'est tout simplement pas une drogue d'introduction. Je n'ai
encore vu personne, dans ma pratique, qui me dise: «J'ai
commencé en fumant un peu de mari puis, je me suis retrouvé à
consommer de l'héroïne». Ce n'est pas du tout comme ça que les
gens décrivent leur expérience.
|
Le sénateur Di Nino: D'après des témoins d'aujourd'hui, du
moins deux ou trois d'entre eux, je crois, pour régler le problème,
il faut la collaboration des divers intéressés de la communauté, y
compris les écoles, la police, et cetera. Premièrement, avez-vous
constaté la même chose, et deuxièmement, travaillez-vous avec
d'autres organismes ou d'autres groupes intéressés?
|
M. Long: Je vais commencer par nous lancer des fleurs avant
de répondre au reste de votre question: oui, nous avons
actuellement trois partenariats officiels: l'un avec l'organisme de
santé mentale, l'un avec le service de santé publique et l'autre
avec un autre organisme de lutte contre les toxicomanies avec
lequel nous travaillons.
|
Nous travaillons très étroitement avec la police. Nous estimons
que l'échange de seringues est une excellente idée. Nous
collaborons étroitement avec d'autres organismes communautai
res. Mais l'argument est bien fondé: ce n'est pas une tâche dont
nous nous acquittons particulièrement bien, de nos jours, au
Canada. À mon avis, nous consacrons d'importantes ressources à
une répression actuellement inefficace, qui coûte beaucoup plus
cher que le traitement, et qui donne des résultats très inférieurs.
|
Avec notre programme de méthadone, par exemple, notre taux
de succès et ce qu'on appelle le taux de maintien dans le
programme est le meilleur au pays, et d'après ce que nous disent
des héroïnomanes, par exemple, en l'occurrence ce traitement
représente une économie de 40 000 $ à 50 000 $ par personne,
par an. Quand quelqu'un entreprend une thérapie, la communauté
épargne tout cela.
|
Le président: Avez-vous une référence pour les études dont
vous venez de parler?
|
M. Long: Celle que je viens de citer, non, mais je peux
l'obtenir. Je viens d'en entendre parler ce matin et je l'ai noté, sur
un bout de papier, parce que ça me semblait un très bon argument.
J'essaierai de vous faire parvenir une copie de cette étude, si vous
le voulez.
|
Le président: Ainsi que toutes les références que vous avez
faites précédemment...?
|
M. Long: Oui, je le ferai.
|
Le président: S'il vous plaît, et nous demanderons au directeur
de la recherche du comité de communiquer avec vous, pour
s'assurer que nous avons les bonnes références.
|
M. Long: Merci, je l'apprécie. Oui.
|
Le sénateur Milne: Les témoins précédents de Seaton House
nous ont parlé d'un programme d'entretien à la marijuana. Au
sujet de la légalisation de la marijuana, vous voulez non
seulement la légaliser, mais la taxer à tort pour faire de l'argent...?
|
M. Long: La journée a été longue.
|
Le sénateur Milne: Oui. Ce programme de marijuana,
permettrait-il aux toxicomanes de renoncer aux drogues plus
dures, comme la cocaïne? C'est la première fois qu'on entend
parler d'une pareille méthode de désintoxication, et je me
demande ce que vous en pensez?
|
M. Long: C'est une idée séduisante et j'ai demandé à l'auteur
de l'étude, ce matin, si la marijuana pouvait servir de protection
contre la consommation d'autres substances.
|
Le président: Qu'a-t-il répondu?
|
M. Long: Non. C'est probablement la meilleure réponse pour
l'instant. Mais cela étant dit, je crois qu'il faudrait réfléchir très
soigneusement à toute la méthode adoptée dans le traitement de
toxicomanie puisque les méthodes actuelles ne donnent guère de
résultats. Il y a encore de plus en plus de gens qui ont des
problèmes de drogues, de manière régulière, et la situation ne
s'améliore pas. Je suis convaincu que vous avez vu toutes les
mêmes études que moi. Les taux de consommation augmentent,
les problèmes se multiplient, et cetera, donc la méthode ne donne
pas les résultats escomptés.
|
Je pense qu'il faut réfléchir davantage à l'objet de nos efforts et
à notre façon de faire. Si on décidait que la marijuana n'était pas
une drogue qui justifie tous les efforts de répression actuelle et
qu'on permette aux gens d'en consommer d'une manière
raisonnable, en régularisant sa consommation, comme je le disais,
la consommation d'autres drogues pourrait baisser. Il ne s'agit
pour l'instant que de spéculation, mais il serait logique de croire
que les gens se tourneraient vers une drogue facile à obtenir et
légale, plutôt que de risquer d'aller dans des quartiers malfamés
acheter des produits dangereux à cause du réseau qui les offre.
|
C'est l'une des raisons qui font que je ne suis pas en faveur de
la décriminalisation qui, en fait, ferait augmenter la demande et
gonflerait les coffres de l'économie clandestine, parce que les
gens se sentiraient plus à l'aise d'en consommer, mais devraient
tout de même l'acheter à des criminels, parce qu'il serait encore
criminel d'en vendre. Cela nuirait à notre objectif.
|
Le sénateur Milne: Voilà un très bon argument.
|
Le président: Au sujet de ce que vous venez de dire sur la
marijuana, sa facilité d'accès et l'effet sur les drogues dures,
connaissez-vous l'expérience des Pays-Bas?
|
M. Long: Oui.
|
Le président: Je présume que votre témoignage, de même que
votre opinion, sont en partie fondés sur cette expérience?
|
M. Long: Oui. Nous offrons un programme à seuil peu élevé
d'entretien à la méthadone calque directement sur un programme
de Rotterdam.
|
Le président: Je suis convaincu que vous êtes aussi au courant
qu'aux Pays-Bas, la consommation de drogues dures est plus
faible que dans le reste de l'Europe?
|
M. Long: C'est exact.
|
Le président: Mais on n'est toujours pas convaincu à
100 p. 100 que c'est parce que la marijuana y est plus accessible
que dans d'autres pays?
|
M. Long: En effet. Je ne crois pas qu'on puisse tirer cette
conclusion, et personne ne l'a fait jusqu'ici, que je sache. C'est
toutefois une corrélation intéressante.
|
S'il y a une chose que j'ai apprise en faisant ce genre de travail,
et en lisant bon nombre d'études scientifiques, c'est que le lien de
cause à effet est souvent difficile à prouver.
|
Le président: Non. Rien n'est garanti à 100 p. 100...
|
M. Long: Toutefois, quand deux choses se produisent en
même temps, on peut en général présumer qu'il y a un lien entre
elles.
|
On peut présumer, je crois, que l'attitude plus pragmatique à
l'égard des drogues, en Hollande, a pu contribuer dans une
certaine mesure à la situation qu'on y décrit, de même que la
répression plus rigoureuse du marché des drogues dures, et cetera.
Mais c'est un argument intéressant.
|
Le président: Breakaway existe depuis combien d'années?
|
M. Long: C'est la quatorzième année.
|
Le président: Quatorze. Qui évalue votre travail et ses
résultats?
|
M. Long: Nous sommes régulièrement évalués par le bureau
ontarien de lutte contre les toxicomanies du ministère de la Santé
et des Soins de longue durée, et il s'agit de notre principale source
de financement. Ce service nous accorde environ 90 p. 100 de
notre budget de fonctionnement. Le reste vient du ministère des
Services sociaux et communautaires, qui ne nous évalue pas.
|
Le président: Avez-vous accès à ces évaluations?
|
M. Long: Oui. Nous avons régulièrement accès à ces
informations et je communique régulièrement avec les représen
tants des organismes qui nous parrainent.
|
Le président: Ils vous délivrent un permis...
|
M. Long: Oui. Nous avons accès aux données, et nous les
obtenons, qui nous révèlent les chiffres, et cetera. Les données
d'évaluation et la rétroaction sont assez rares, en fait.
|
Le président: Rares?
|
M. Long: Oui.
|
Le président: Vous n'avez pas de données que vous pourriez
nous communiquer?
|
M. Long: Je crois que nous avons vu une évaluation complète
il y a environ 11 ans.
|
Le président: Il y a 11 ans?
|
M. Long: Oui, après trois ans. Depuis, rien. Quelqu'un vient,
nous examine de la cave au grenier puis nous dit ce qu'il pense de
nous.
|
Le président: Il vous donne donc leur bénédiction, chaque
année.
|
M. Long: Oui. Il s'agit surtout d'une question économique, et
nous faisons régulièrement des auto-évaluations. Tous nos
programmes comprennent un élément d'évaluation et le personnel
et moi-même les examinons régulièrement, mais rien ne nous
vient du gouvernement.
|
Le président: C'est le genre de renseignements que vous
pouvez nous fournir: ces évaluations internes?
|
M. Long: Si vous le souhaitez, oui. Je vais trouver ce que je
peux.
|
Le président: Notre directeur de recherche communiquera
avec vous.
|
M. Long: Très bien.
|
Le président: Monsieur Long, merci beaucoup d'avoir accepté
notre invitation et nous vous contacterons.
|
M. Long: Merci.
|
Le président: Le témoin suivant est M. Fred Burford.
|
Monsieur Burford, vous avez la parole.
|
M. Fred Burford, Conseil sur l'usage abusif de la drogue:
Je vais faire mon exposé aussi rapidement que possible puisque je
vous ai déjà donné par écrit tout les renseignements que je voulais
vous communiquer. Tout est là, ou presque.
|
Pour commencer, je dois dire que mes commentaires se fondent
sur toute mon expérience, depuis l'époque où je suis devenu
directeur adjoint puis directeur de la Commission scolaire de
North York, soit la même époque où les drogues sont entrées
dans les écoles, jusqu'aux expériences dont je parle sur la
première page que vous ai remise. C'est mon point de vue
personnel et pas nécessairement celui du Conseil sur l'usage
abusif de la drogue, mais s'ils coïncident, je vous le dirais
certainement.
|
Le premier texte dont je veux vous parler porte les lettres de A
à E. Je présume que vous avez entendu aujourd'hui avec plaisir
Margaret Stanowski, du Springboard Diversion Program on
Cannabis. Je dois dire que la première fois où j'ai entendu parler
de ce programme à ses débuts il y a 23 ans, j'étais très
enthousiaste à l'idée que j'avais enfin trouvé une méthode en
laquelle j'avais foi, c'est-à-dire de faire travailler des gens avec
les jeunes accusés de possession de marijuana, en les considérant
comme des personnes, en les respectant, ce qui donnerait des
résultats positifs. Dans la plupart des cas, cela signifiait qu'ils
n'auraient pas de casier judiciaire, ce qui doit être évité, à mon
avis.
|
C'est toutefois ce que j'appelle une «décriminalisation cons
tructive» puisqu'on rencontre la jeune personne, qu'on discute
sérieusement avec elle et qu'on travaille avec elle pour améliorer
sa situation, tout en la renseignant. Mme Stanowski vous a déjà
renseignés sur ce programme et je crois que c'est très
impressionnant.
|
Le président: J'en déduis que vous appuyez de tout coeur le
programme Springboard.
|
M. Burford: Oui, de tout coeur.
|
Le président: Le programme Springboard?
|
M. Burford: Oui. Au sujet de l'autre programme, soit le
Programme de toxicomanie de Toronto, je sais que le Conseil sur
l'usage abusif de la drogue lui donne son appui parce que l'un de
nos consultants assiste à toutes les réunions du comité consultatif.
Là encore, les caractéristiques sont semblables à celles du
Springboard Cannabis Diversion Program. Ce n'est toutefois pas
un programme de déjudiciarisation au même titre que le
programme Springboard, mais il offre à ses clients, même s'ils ont
manifesté au début une tendance à l'héroïnomanie ou la
cocaïnomanie, la possibilité de vivre cette expérience d'une
manière très positive, et d'en sortir. Ce programme compte deux
volets: le premier est destiné aux personnes qui ne sont pas dans
une situation grave et dans ce cas là aussi, après le programme,
elles n'auront pas de casier judiciaire.
|
Donc, j'appuie vivement le programme de traitement de la
toxicomanie de Toronto, et je suis heureux d'apprendre que
Vancouver met sur pied un programme semblable, parce qu'un tel
programme exercera une influence positive sur la situation là-bas.
|
Ensuite, je porte votre attention à la page intitulée C, sur un
article tiré du Globe and Mail intitulé «Bienvenue au Tribunal des
toxicomanes». Lorsque le Globe and Mail parle en ces termes du
traitement de la toxicomanie, il doit certainement s'agir d'un
programme qui présente des qualités très convaincantes. En effet,
le Globe and Mail ne prend pas souvent position en faveur de ce
genre de chose. C'est un article très favorable qui énumère les
raisons pour lesquelles les tribunaux de traitement de la
toxicomanie devraient être appuyés.
|
Le chef de police Julian Fantino a comparu ici ce matin. Je ne
connais pas la teneur de ses propos, mais s'il a entériné la position
des chefs de police élaborée en août 1999, il a sans doute parlé
d'une approche souple offrant différentes possibilités, et a
probablement exprimé l'espoir que les jeunes ne soient pas
affublés d'un casier judiciaire. Je ne peux que deviner ce qu'il a
dit puisque je connais la position de l'Association canadienne des
chefs de police telle qu'elle a été fixée en août 1999.
|
Je passe maintenant à la page E. J'ai inclus cette page parce
qu'on y parle du programme d'échange de seringues qui,
croyez-le ou non, a été mis sur pied à Toronto en 1989. Le projet
avait soulevé de nombreuses inquiétudes. En ce qui concerne le
Conseil sur l'usage abusif de la drogue - et j'étais président de
cet organisme à l'époque -, nous avons appuyé ce programme
dès le début parce qu'il offrait la possibilité de prévenir la
contagion de maladies infectieuses, et à notre sens, cela méritait
notre appui. Vous pouvez constater, à la page E, que nous étions
partisans du programme dès ses débuts.
|
Je dois dire que certains organismes de la région de Toronto n'y
étaient pas aussi favorables. Je ne sais pas pourquoi certains s'y
opposaient, il n'empêche que le programme a connu du succès, je
crois, dès le début.
|
Je passe maintenant au mémoire dont les pages sont agrafées,
et dont la pagination, dans le coin supérieur droit, commence avec
le numéro 1. Tout d'abord, je vous rappelle un mémoire qui vous
a été présenté par le Dr Harold Kalant, à Ottawa. Il avait parlé,
notamment, des effets indésirables de la marijuana et de leurs
causes, ainsi que des études scientifiques qui avaient été faites sur
le sujet. Je n'ai pas l'intention de répéter tout cela, mais j'aimerais
souligner certains aspects qui viennent corroborer l'information
qu'il vous a fournie.
|
À la page 1, on retrouve une étude faite en Californie. Dans le
cadre de cette étude, certains agents de police patrouillant sur les
autoroutes ont repéré des voitures dont la trajectoire était
capricieuse. Les automobilistes en question ont été arrêtées et
envoyées à un laboratoire pour y subir des tests sanguins
permettant de déterminer si leurs facultés étaient affaiblies à la
suite d'absorption d'alcool ou de marijuana. D'après les résultats,
de 10 à 15 p. 100 des conducteurs dont les facultés étaient
affaiblies avaient été affectés uniquement par la marijuana, et
nous devrions tenir compte de ce fait au moment d'apporter des
changements aux lois régissant la marijuana.
|
À la page suivante, la page 3, vous pouvez voir la photo de
Mary Kelly. Celle-ci était confiante de pouvoir conduire après
avoir fait usage de marijuana, convaincue que cela n'affecterait
pas sa conduite. Dans ce cas précis, il en est résulté un accident
qui a provoqué la mort de six personnes. Certes, l'enquête a établi
que l'accident avait été causé par la consommation de marijuana
et, fait intéressant, le jury a suggéré que le clergé participe
davantage à une solution au problème de la drogue dans la
province.
|
À la page suivante, la page 4, on donne d'autres exemples
d'accidents de la route où la marijuana est en cause. «Vingt-deux
morts dans un accident de la route: le cannabis pointé du doigt.»
Cet accident a eu lieu le jour de la Fête des mères à la
Nouvelle-Orléans, dans le sud des États-Unis. Et au bas de la
page, il est question d'un accident ferroviaire qui a eu lieu en
1987, et dans lequel 16 personnes avaient trouvé la mort. Après
l'enquête, les deux mécaniciens du train avaient plaidé coupable
d'homicide involontaire et avaient été condamnés à cinq ans de
prison.
|
À la page suivante, page 5, on peut lire: «conducteurs testés -
augmentation des accidents dus à la mari.» Ce rapport d'étude,
publié le 31 août 1999, a été rédigé par Bob Mann du Centre de
toxicomanie et de santé mentale. L'étude montre que le
pourcentage des conducteurs morts dans un accident après avoir
consommé de la marijuana augmente progressivement en Ontario.
En 1986 et 1989, la marijuana était en cause dans 13,9 p. 100 des
cas; ces chiffres ne divergent pas beaucoup des résultats obtenus
en Californie.
|
L'auteur laisse également entendre, sans en parler directement,
qu'il pourrait y avoir un effet résiduel après l'usage de la
marijuana, lorsqu'une personne conduit après avoir eu les facultés
affaiblies. L'effet résiduel en question se résume à ceci: l'euphorie
due à la drogue est passée, et on s'attend à ce que les facultés du
conducteur ne soient plus affaiblies. Toutefois, l'affaiblissement
des facultés dure une, deux ou trois heures après la fin de
l'euphorie. Ainsi, le consommateur de marijuana prend le volant
au moment où il croit avoir retrouvé tous ses moyens, ce qui est
dangereux.
|
Je passe maintenant à la page 6. Il s'agit des résultats d'un
sondage effectué en 1997 par le Centre de toxicomanie et de santé
mentale. Comme vous le savez sans doute, le centre sonde des
étudiants à tous les deux ans. Tout en bas, on peut lire que, parmi
les étudiants ayant fait usage de cannabis au cours de la dernière
année, 94,5 p. 100 d'entre eux ont également bu de l'alcool.
|
Le président: Monsieur Burford, nous avons vos documents et
nous ne manquerons pas de les étudier. Y a-t-il d'autres
renseignements que vous souhaitez partager avec nous, qui ne se
trouvent pas dans ce document?
|
M. Burford: Non.
|
Le président: Vous soulevez une question qui nous préoccupe,
à savoir, la conduite avec les facultés affaiblies par la marijuana et
autres drogues illicites. Le niveau de recherche dans ce domaine
est clairement insuffisant, du moins d'après ce que nous savons, et
nous devrons assurément nous pencher davantage sur ce sujet.
|
Nous conserverons les documents que vous nous avez fournis.
Mes collègues ont-ils des questions?
|
Le sénateur Milne: Quelle est la recommandation de
M. Burford?
|
Le président: Avez-vous une recommandation à formuler?
Nous savons que vous appuyez le programme Springboard et
l'autre programme que vous avez mentionné au début de votre
témoignage. Avez-vous d'autres recommandations à nous formu
ler?
|
M. Burford: Je crois que la question de la conduite avec
facultés affaiblies est un élément très important de cette question.
|
Le président: Le Code criminel interdit déjà la conduite avec
facultés affaiblies, quelle qu'en soit la cause.
|
M. Burford: Oui.
|
Le président: La conduite avec facultés affaiblies est donc
illégale. Mais vous souhaitez que le comité s'intéresse en
particulier à la conduite sous l'effet de la marijuana?
|
M. Burford: Si nous dépénalisons la marijuana et que les
contrevenants au règlement la gouvernant ne s'exposent qu'à des
peines insignifiantes, comme le système de sommation à
comparaître pour les infractions routières, par exemple, - et ce
sont toujours les parents qui paient -, je m'inquiète que l'effet
dissuasif du régime sera faible et le problème de la conduite avec
facultés affaiblies par la marijuana risque de persister. Cela
soulève déjà suffisamment d'inquiétude à l'heure actuelle.
|
Je reviens à l'étude effectuée en Californie. Les policiers ont
été en mesure d'identifier les voitures à la trajectoire capricieuse.
Or, d'aucuns ont avancé que les consommateurs de marijuana
savent que leurs facultés seront affaiblies s'ils prennent le volant
après avoir fumé, conséquemment ils redoublent de prudence.
Toutefois, dans le cadre de cette étude, les conducteurs ne
savaient pas qu'ils étaient observés. Peut-être essayaient-ils de
faire preuve de prudence. Néanmoins, les agents de police ont
constaté que leur conduite était irrégulière, c'est pourquoi
j'affirme que cette excuse qui est présentée parfois n'est pas
fiable.
|
J'aborderai très rapidement les autres points en ce qui concerne
le no 5, Harold Kalant parlait de dépendance -
|
Le président: Monsieur Burford, nous avons déjà entendu le
témoignage du Dr Kalant et avons abordé avec lui le sujet de la
conduite avec facultés affaiblies par la marijuana.
|
M. Burford: Oui, mais à ce sujet là, ce que...
|
Le président: Non. Nous avons déjà entendu le témoignage du
Dr Kalant et nous sommes également au courant de cette étude,
c'est-à-dire de celle que vous avez déposée. Nous l'avons déjà.
|
M. Burford: Eh bien, les points suivants portent sur la
toxicomanie.
|
Le président: Lequel?
|
M. Burford: À la page 7. On relate le cas d'un agent de police
de Toronto qui était redevenu accro à la marijuana, à cause des
difficultés rencontrées dans son emploi, après avoir cessé d'en
consommer pendant plusieurs années. Redevenu toxicomane, il
s'était mis à voler les chèques de ses collègues et a fini par être
découvert. Encore une fois, l'histoire s'est très bien terminée,
mais elle indique néanmoins que la toxicomanie à la marijuana
existe bel et bien.
|
Le président: Nous le savons déjà.
|
M. Burford: Très bien.
|
Le président: Étant donné que d'autres témoins attendent pour
comparaître, à moins qu'on ait d'autres questions à poser au
témoin, monsieur Burford, je tiens à vous remercier vivement
d'avoir accepté de participer à cette audience. Dans le cas où vous
souhaiteriez nous fournir d'autres renseignements, n'hésitez
surtout pas à nous joindre. Nous conservons tous ces renseigne
ments ici même, ou sur notre site Web, ou nous les recevons par
téléphone ou par courrier. Nous nous ferons donc un plaisir de lire
ou d'écouter vos remarques. Merci beaucoup.
|
M. Burford: J'espère que vous lirez les pages que j'ai fournies
en annexe.
|
Le président: Nous allons lire tout ce que vous nous avez
communiqué.
|
M. Burford: Car vous n'avez peut-être pas reçu ces
renseignements auparavant.
|
Le président: C'est fort possible. Quoi qu'il en soit, nous
allons certainement examiner les documents que vous nous avez
fournis.
|
M. Burford: On demande toujours si une modification à la loi
entraînera une plus grande consommation de la marijuana chez les
jeunes? À ce sujet, à la page 13, on cite une étude d'après laquelle
on assistera à une hausse de la consommation de 30 p. 100, ce
qui est considérable. Au Canada, cela signifierait qu'un million de
plus de jeunes consommeraient de la marijuana, ou en consomme
raient plus souvent.
|
Je vous assure que dans les dernières pages de mes documents,
vous trouverez des choses dont vous n'avez pas entendu parler
auparavant.
|
Le président: Monsieur Burford, nous allons examiner toute
la documentation que vous nous avez fournie. Cela dit, nous
avons déjà la plupart de ces données, et nous les réexaminerons.
Merci beaucoup.
|
M. Burford: Je vous remercie.
|
Le président: Nous passons maintenant à notre prochain
témoin, M. James Anthony Cavalier.
|
M. James Anthony Cavalier: Monsieur le président, j'ai un
casier judiciaire pour possession et trafic de stupéfiants. En termes
juridiques, c'est la raison pour laquelle j'ai été reconnu coupable.
Lorsque je vendais de la drogue, personne n'aurait pu me faire
croire que j'étais un criminel. J'étais un véritable croisé de la
légalisation de la drogue; je défendais farouchement cette cause.
Aujourd'hui, je défends tout aussi ardemment l'idée contraire, car
j'estime que plus une drogue est douce comme la marijuana, plus
elle est dangereuse.
|
À l'époque, je n'aurais jamais consommé une drogue que
j'estimais nocive, mais moins une drogue me paraissait nuisible,
plus j'avais tendance à en prendre. C'est d'ailleurs pour cela que
les jeunes commençaient par fumer de la mari. À nos yeux, le
film Reefer Madness était de la propagande. On y montrait des
gens qui fumaient de la drogue puis sombraient dans la folie et le
meurtre. Nous nous disions que si les autorités mentaient à ce
sujet, elles devaient mentir sur toute la ligne.
|
Pour détourner les gens de la drogue, certains voudraient
utiliser la peur comme dissuasion la peur et montrer les
dommages physiques et physiologiques qu'entraîne par la
consommation. Tel n'est pas mon propos. Ce qui me préoccupe ce
sont les séquelles psychologiques de la consommation, et parmi
ces dernières, le fait que les toxicomanes sont disposés à faire des
affaires avec des éléments criminels de notre société, ou à tuer des
policiers afin de recevoir leur livraison de drogue. C'est d'ailleurs
une des choses qui m'ont poussé à mettre fin à mes activités de
narcotrafiquant. La moindre graine de marijuana circulant dans
notre pays a trempé dans le sang d'un agent de police. J'ai
rencontré des gens incroyables. Je n'avais jamais pensé que les
policiers étaient de vilains personnages. Au contraire, à Toronto,
où j'ai été élevé, on les respectait énormément. D'ailleurs, les
flics étaient les meilleurs travailleurs sociaux au monde.
|
J'ai été endoctriné par le milieu de la drogue à 16 ans. On y
disait: «la marijuana est inoffensive. Ne vous en faites pas. C'est
merveilleux». Les pressions du milieu sont écrasantes. On entend
des choses comme: «Tu es pendu au jupon de ta mère. Qu'est-ce
qui ne tourne pas rond avec toi?». C'est incroyable. C'est cette
notion qu'on goûte ensemble cette friandise du bonheur et qu'elle
va changer votre état d'esprit et vous apporter le bien-être. Or,
c'est précisément le problème.
|
Quant au Programme de réduction des méfaits, il se trompe
lorsqu'il affirme être neutre et s'abstenir de porter des jugements
de valeur. En effet, il affirme aussi que la marijuana n'est pas très
nocive et qu'elle ne mène pas à la consommation de drogues plus
dures. Le document affirme que ce sont les problèmes sociaux et
psychologiques qui entraînent quelqu'un à consommer de la
drogue. Il ajoute aussi que la marijuana va peut-être vous
empêcher de consommer d'autres drogues. Or, l'utilisation d'un
produit chimique pour vous empêcher d'en consommer un autre
que vous n'avez jamais essayé de toute façon, ne tient pas du tout
compte des raisons pour lesquelles les gens commencent à
prendre de la drogue.
|
Et bien, les gens commencent à consommer de la drogue parce
qu'on les a persuadés qu'elle va attirer leur humeur et qu'ils
pourront acheter ce stimulant chimique, ou peut-être encore le
cultiver et puis le consommer. Après cela, on dit être heureux car
on possède l'élixir du bonheur et qu'on vit dans un merveilleux
milieu social. On est défoncé grâce à la mari et on est content.
|
J'en étais tout à fait convaincu. J'étais complètement immergé
dans le milieu de la drogue. Cela dit, j'ai beaucoup de réserve
face à l'affectation des fonds publics à la lutte contre la drogue et
à leur gaspillage. On est renversé par tout ce que cela nous coûte.
Et bien, si la lutte contre la drogue est aussi coûteuse, c'est qu'on
prend des moyens très inefficaces pour réprimer ce commerce. Je
n'en ai pas contre le fait qu'on dépense autant d'argent mais
qu'on s'y prenne aussi mal pour régler le problème.
|
J'aimerais aussi parler de cette proposition voulant que
quiconque possède de la drogue, en consomme ou en fait le trafic
ait un casier judiciaire. À mon avis, il y a deux sortes de
personnes qui vendent de la drogue. Il y a ceux qui savent qu'elle
est nocive mais qui s'en fichent; ce qui les intéresse, c'est d'en
tirer de l'argent. Ils ne veulent pas que leurs enfants à eux en
consomment, ni que leurs familles participent au trafic, ils
tiennent à en tirer des revenus.
|
Or, ce genre de trafiquant ne tabasse pas les occupants les
ghettos. Il s'agit plutôt de gens bien mis et très instruits. Face à
cela, certains vont dire que ce sont des éléments criminels très
violents qui s'adonnent au trafic de drogues et que si les
gouvernements se chargeaient eux de vendre ces produits, on se
débarrasserait des criminels. C'est faux. Au contraire, les
criminels tiennent à la légalisation de la drogue. Nous versons
utilisons des fonds publics à la police pour qu'elle débarrasse de
notre pays des criminels et de la drogue.
|
Si la drogue est illégale, c'est parce qu'elle est nuisible à la
société; elle n'est pas nuisible parce qu'elle est illégale. Pour ma
part, j'aurais aimé que quelqu'un m'en protège. Soixante-quinze
pour cent des ressources qu'on affecte à la lutte contre la drogue
aboutissent à la répression dans la rue, comme c'est le cas aux
États-Unis. Est-ce que cela vous paraît logique? Si vous éliminez
la drogue à la source, on n'aurait plus à arrêter les gens qui en
consomment; il n'y aurait pas de gens pour la vendre dans les
ghettos car il n'y en aurait plus à vendre.
|
Pendant mes périodes sèches, je puis vous dire que j'ai
commencé à changer. Une de mes proches pourra elle aussi vous
dire qu'elle s'étonne de la façon dont elle raisonnait lorsqu'elle
fumait de la mari. Elle a cessé de le faire lorsqu'elle a eu un
enfant. À présent, elle voit ses amis qui passent leur temps à
fumer de la marijuana.
|
Cette idée de faire de la marijuana une drogue magnifique en la
comparant à d'autres qui sont plus nocives est de la pure
propagande. C'est mentir que de dire que c'est le moindre des
maux.
|
Je sais qu'on le dit. Je suis allé au Programme de réduction des
méfaits au YMCA. Nous étions environ cinq, je n'en croyais pas
mes oreilles. Le taux de succès est de 2 p. 100. L'idée n'est
absolument pas d'obtenir que les gens cessent de consommer de
la drogue. Il s'agit au contraire de faire croire que ces drogues ne
font pas de mal parce que moins elles semblent nocives, plus les
gens seront prêts à en consommer. Tout ce qui nous préoccupe,
c'est le mal physique.
|
Le président: Avez-vous une recommandation?
|
M. Cavalier: J'ai beaucoup de recommandations.
|
Le président: C'est le moment de les faire.
|
M. Cavalier: Ma recommandation est que l'on considère les
prisons comme une punition. Les gardes de prison à Kenora
étaient fantastiques. Mon séjour en prison ne m'a pas convaincu
d'arrêter de vendre de la drogue. Je réussissais encore mieux
après être sorti de prison mais j'étais convaincu que je n'étais pas
un criminel. J'en étais absolument convaincu. Il faut que les
policiers comprennent que ce n'est pas en cognant les gens, en
leur crachant à la figure et en les traitant comme s'ils avaient la
galle, qu'ils peuvent ainsi assurer leur supériorité car ils se
trompent. Quand ils déclarent que la marijuana ne sera jamais
légalisée, et que l'on voit leur bedaine Molson et Labatt que ne
peut réprimer leur ceinture, ça ne porte pas à les respecter. Le
policier pense qu'il ne consomme pas de drogue. Qu'est-il arrivé
lorsque l'alcool a été légalisé? Qui vendait l'alcool avant la
légalisation? Des gens qui étaient prêts à tuer les flics pour vendre
de l'alcool. Ensuite, les contribuables payent la police pour
protéger les gens qui avaient essayer de les tuer.
|
Le président: Pourriez-vous limiter vos remarques au canna
bis?
|
M. Cavalier: Je dis que c'est le même phénomène aujourd'hui
à propos du cannabis. Quand on essaye de faire croire que la
marijuana est moins nocive, on légitime l'idée que ce n'est pas si
mauvais. Si ce n'est pas si mauvais, c'est bien. Le résultat est que
cela renforce toute cette infrastructure sociale entourant la
consommation de drogue. C'est cela le résultat. Cela semble plus
attirant. On commence à penser en termes monétaires: «Considé
rez ce que cela rapporterait en impôts si on légalisait cette
drogue!» C'est alors que le gouvernement devient le plus grand
trafiquant de drogue. Il faut arrêter de percevoir des impôts sur les
vices.
|
Le président: Y a-t-il des questions?
|
Sinon, merci beaucoup, monsieur Cavalier.
|
M. Cavalier: C'est ahurissant. Pas de questions.
|
Le président: Honorables sénateurs, notre prochain témoin est
M. Sean Hunt.
|
M. Sean Hunt: Merci de m'avoir autorisé à prendre la parole
aujourd'hui. J'ai eu beaucoup de mal à décider ce que j'allais
vous dire. Le sujet est tellement vaste et les implications
également tellement importantes qu'il est difficile de savoir où
commencer.
|
J'ai d'abord pensé débattre des différents enjeux mais je me
suis vite aperçu que tout avait déjà probablement été dit.
Qu'a-t-on oublié? Quelles statistiques permettraient de réfuter un
argument invoqué par ceux qui s'opposent à la légalisation de la
marijuana? J'ai alors compris qu'il n'y avait pas grand-chose de
nouveau à dire. On a déjà tout dit sur le sujet. Même lorsque que
l'on propose des recommandations avant-gardistes, on les ignore
et les rejette et c'est la raison pour laquelle je suis venu ici
demander quelque chose de nouveau au comité.
|
Je viens vous demander de vous montrer hardis et courageux et
de soumettre un rapport qui soutient la légalisation totale de la
marijuana pour les adultes ainsi que la réglementation de sa
production et de sa production. Sinon, vous n'offrirez que des
demi-mesures et les Canadiens n'ont pas besoin de demi-mesures.
D'après le professeur Bibby de l'Université de Lethbridge,47 p. 100 des Canadiens sont aujourd'hui favorables à la
légalisation pure et simple de la marijuana. Ce chiffre ne fait
qu'augmenter. Le Sénat n'étant pas assujetti à la tyrannie d'un
électorat, n'ayant pas à se préoccuper d'éventuelles ramifications
politiques, il est parfaitement bien placé pour dire ce qu'il y a à
dire et appuyer la légalisation de la marijuana pour les adultes.
|
Il y a beaucoup d'obstacles à la réforme des lois concernant la
marijuana. Un des trois principaux est l'Association canadienne
des policiers qui est celle qui a été la plus critique au cours de vos
audiences. Au palier national, il y a l'indifférence politique et
médiatique et, sur la scène internationale, le spectre omniprésent
des États-Unis.
|
L'Association canadienne des policiers a dit des tas de bêtises à
votre comité mais je pense que la déclaration la plus inouïe qui ait
été faite remonte à environ deux semaines à l'assemblée annuelle
de cette association au Québec. D'après le président Grant Orbst,
toute cette discussion au sujet de la marijuana est du vent puisque
la marijuana aurait déjà été décriminalisée. Il dit ensuite qu'en fait
la police dans notre pays ne consacre pas ses ressources ni son
temps ou ses efforts à ceux qui ont un ou deux joints dans la
poche.
|
Je répondrai à cela que c'est de la foutaise. Je vous ai remis un
article qui montre un homme qui se fait arrêter et la légende sous
la photo est la suivante: «L'agent Shawn MacKenzie fouille un
homme arrêté hier au parc Christie Pits pour possession de
marijuana». Dans un autre article à la page suivante, on voit où
l'on en est vraiment arrivé en matière d'interdiction au Canada. À
propos des «drogues», on lit:
|
La police a ramassé beaucoup de jeunes de Toronto accusés de possession de drogue. |
L'année dernière, 550 jeunes ont été inculpés pour pos session de drogue, ce qui est beaucoup plus qu'en 1999 et plus que le double des 269 inculpations relevées en 1996. |
La raison de cette augmentation n'apparaît pas dans les rapports de police mais on remarque que cela peut «être fortement influencé par les principes et pratiques suivis par la police en matière d'application des lois». |
On lit un peu plus loin dans cet article:
|
La police de Toronto remarque que les inculpations liées à la marijuana restent les plus nombreuses.
|
Les jeunes gens sont ceux qui sont les plus susceptibles de se faire arrêter.
|
Il est évident que la police consacre des ressources, du temps et
des efforts à l'application des lois sur la marijuana et à
l'arrestation des consommateurs de marijuana sans que l'on en
voie la fin. Ceci m'amène à parler d'apathie politique et
médiatique.
|
Nous avons récemment appris que le Premier ministre a
l'intention de rester au pouvoir au moins jusqu'en avril 2003 si
bien que, quelles que soient les conclusions de votre comité, on ne
peut s'attendre à ce que quoi que ce soit change avant cela; on sait
en effet que le Premier ministre a publiquement déclaré que la
réforme des droits concernant la marijuana n'est pas pour le
moment au programme.
|
Le Premier ministre a aussi indiqué à juste titre, ajouterais-je,
que ce débat se poursuit depuis 30 ans et semblait indiquer qu'il
ne verrait pas d'inconvénients à ce que cela dure encore 30 ans.
|
Il y en a un seul sur la scène politique qui préconise une
réforme et cela devrait montrer au comité qu'il doit faire preuve
de courage. Joe Clark a demandé que l'on décriminalise la
marijuana, c'est comme si votre papa demandait que l'on
décriminalise la marijuana. Lorsque Joe Clark dit quelque chose
du genre, on sait que la légalisation et la réglementation sont des
idées qu'il est temps d'adopter.
|
Ceci pourrait être facilité si les médias en général, et la
télévision en particulier, parlaient sérieusement de la question.
C'est une question qui doit être traitée avec sérieux car elle a des
répercussions sérieuses sur la vie des citoyens.
|
J'ai ici un article qui a couvert toute une page du Toronto Star
en janvier. Qu'y voit-on? Une feuille de chanvre géante faite de
chênevis. Des huiles, des pâtes, des gaufres de chanvre et, ma
préférée, de la bière de chanvre. Imaginez que de l'alcool -
drogue beaucoup plus dangereuse et destructrice que la marijuana
- soit fait à partir d'un produit qui aurait été illégal il y a à peine
quelques années. À l'intérieur, toute une page de recettes. Vous
voyez cela. Deux pages entières d'un grand journal au sujet de la
marijuana comme aliment.
|
Toutefois, vous remarquerez à la troisième page du document
que j'ai distribué, que se trouve le plus long article qu'ait
probablement jamais publié le Toronto Star cette année au sujet
de la marijuana, et il s'agit d'un article au sujet d'un reportage
mexicain sur la marijuana canadienne. Quand les Mexicains
parlent de la marijuana canadienne, cela fait l'actualité mais pas
quand ce sont les Canadiens qui en parlent. C'est vraiment
bizarre.
|
Toutefois, la couverture médiatique de la marijuana est
excellente dans les journaux, comparée à la télévision. À la
télévision, on parle du dernier champ de marijuana découvert par
hélicoptère avec des agents de police réjouis qui traversent les
bois pour aller saccager cette plantation clandestine. On ne
demande pas combien tout cela coûte ou pourquoi toute cette
activité est nécessaire.
|
Où sont les séries de trois reportages? Où sont les nouvelles
concernant la santé, nous disant que, contrairement à ce qu'en
pense l'opinion publique, la marijuana et l'héroïne sont deux
drogues complètement différentes? Sans une véritable discussion
et un débat sérieux dans les médias, la légalisation de la marijuana
pour les adultes et la réglementation concernant sa consommation
restent pratiquement illusoires.
|
Il y a aussi le risque que les Américains prennent des mesures
de représailles si nous modifions nos lois. Le président de votre
comité a récemment déclaré qu'il est à peu près impossible
d'envisager de modifier nos lois si les Américains n'en font pas
autant et que, si nous le faisions, les représailles seraient énormes.
C'est incroyable; les Canadiens ne peuvent pas changer leurs lois
parce que les Américains ne le veulent pas! S'il s'agissait d'un
autre sujet, on crierait au scandale partout au pays.
|
Récemment, la Jamaïque a rendu public son «rapport Ganja». Il
ne contenait rien de nouveau. La marijuana devrait être
décriminalisée pour les adultes. Toutefois, contrairement à notre
premier ministre, le Premier ministre jamaïquain P.J. Patterson a
jugé les arguments tout à fait convaincants. La réaction des
États-Unis fut rapide et claire. «Le gouvernement américain
s'oppose à la décriminalisation de la marijuana» a déclaré le
porte-parole de l'ambassade Michael Koplovski. Il a ajouté que si
la Jamaïque y procédait, elle pourrait perdre son accréditation ce
qui pourrait sérieusement limiter l'aide américaine. Toutefois,
plutôt que de céder à la pression américaine, les Jamaïquains sont
restés fermes. «C'est une question qui sera décidée par le
Parlement jamaïquain et le Parlement souverain de l'île ne cédera
pas aux menaces externes», aurait déclaré un porte-parole du
gouvernement.
|
C'est le genre de courage dont devrait faire preuve votre comité
et notre gouvernement. Si l'on veut changer quoi que ce soit, il
faut résister aux pressions et ne pas avoir peur de se faire taper
dessus. Nous devons faire front avec d'autres pays si nous
voulons ne pas continuer d'être pris à la gorge par les Américains
au sujet de la marijuana.
|
C'est pourquoi votre comité doit faire preuve de courage et de
hardiesse. C'est pourquoi nous, citoyens, devons défendre nos
droits et c'est pourquoi le comité doit recommander la légalisation
de la marijuana pour les adultes et la réglementation de l'offre.
|
Je serais prêt à répondre à vos questions.
|
Le président: Je crois que le sénateur Milne voudrait dire
quelque chose sur le mélange du chanvre et de la marijuana.
|
Le sénateur Milne: C'est vrai. Je suis toujours très mal à l'aise
quand on essaye de perpétuer le mythe que le chanvre et la
marijuana sont la même chose. Ce n'est pas vrai. Le chanvre n'est
pas un narcotique et c'est grâce à moi qu'il est redevenu une
culture légale au Canada. Une partie du problème du chanvre est
qu'on n'arrête pas de l'assimiler à la marijuana. Ce n'est pas de la
marijuana.
|
M. Hunt: Je comprends très bien. Cet article fait ressortir,
perpétue en fait cette confusion, et je vous remercie d'avoir fait
du chanvre une culture légale. C'est bien, et je suis certain que la
majorité des Canadiens y sont favorables.
|
Le président: C'est la loi. C'est dans la loi canadienne.
|
M. Hunt: En effet. Mais c'est juste un exemple qui montre, par
exemple, que les médias s'intéressent davantage au fait qu'on
utilise du chanvre pour faire de l'alcool qu'à la question de la
marijuana canadienne.
|
Le sénateur Grafstein: Je reviens à la question que j'ai posée
ce matin: Pour vous, est-ce que la décriminalisation signifie qu'un
plus grand nombre de jeunes fumera de la marijuana et donc
commenceront peut-être à fumer des cigarettes? Y a-t-il corréla
tion entre les deux, fumer et fumer?
|
M. Hunt: Parlez-vous de la décriminalisation ou de la
légalisation?
|
Le sénateur Grafstein: L'un ou l'autre.
|
M. Hunt: C'est possible. J'ai commencé à fumer des cigarettes
bien avant de commencer à fumer de la marijuana. J'ai entendu
un membre de l'Association des policiers expliquer qu'après avoir
demandé aux amis de sa fille adolescente ce qui arriverait si on
légalisait la marijuana, ceux-ci avaient dit: «Un plus grand
nombre de gens en prendraient». Cela me fait penser à Jimmy
Carter qui avait demandé son opinion à sa fille Amy. Ce serait
peut-être le cas mais, peut-être pas.
|
Un témoin précédent a déclaré qu'à l'heure actuelle, il y a de
nombreuses personnes qui utilisent la marijuana mais qui n'en
parlent pas. Dans le cadre d'un sondage, ces personnes ne
répondent pas «oui» et donc il pourrait y avoir une augmentation
marginale, mais je doute que ce soit significatif.
|
Je pense que ceux qui veulent fumer de la marijuana, en
prennent maintenant et ceux que cela n'intéresse pas, n'en
prennent pas. Son statut illégal est presque secondaire. À vrai
dire, parce que c'est illégal c'est presque le signe que l'on est
dans le vent, à la mode.
|
Le président: Monsieur Hunt, merci beaucoup.
|
La séance est levée.
|