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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 9 - Témoignages 


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9 h 22 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouvertes les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.

[Traduction]

Nous allons aujourd'hui nous pencher sur la politique américaine en matière de drogues.

[Français]

Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui se sont déplacés pour assister, ici à Ottawa, à cette séance ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent soit à la radio ou à la télévision ou encore via le site Internet de notre comité.

J'informe les internautes qu'ils peuvent maintenant nous voir. En effet, nous poursuivons l'expérience amorcée en juin dernier. Des caméras numériques captent nos débats et en permettent la retransmission vidéo. Il s'agit d'une première pour un comité parlementaire.

[Traduction]

Le greffier du comité est M. Blair Armitage et le chef de notre équipe d'attachés de recherche est M. Daniel Sansfaçon.

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites a pour mandat d'étudier et de faire rapport sur les politiques canadiennes actuelles applicables au cannabis, en contexte; et d'étudier l'efficacité de ces politiques, leur approche et les moyens de leur mise en oeuvre ainsi que le contrôle de leur application. En plus de son mandat initial, le comité est également chargé d'examiner les politiques officielles adoptées par d'autres pays.

Les responsabilités internationales qui incombent au Canada en vertu des conventions sur les drogues illicites dont le Canada est signataire seront également passées en revue. Le comité se penchera en outre sur les effets sociaux et sanitaires des politiques canadiennes relatives au cannabis et les effets possibles de politiques différentes.

[Français]

Enfin, le comité doit déposer son rapport final à la fin du mois d'août de l'an 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan s'articule autour de trois enjeux importants.

Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance. Afin de le surmonter, nous entendrons une gamme imposante d'experts, tant Canadiens qu'étrangers, des milieux académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouvernementaux. Ces auditions se tiendront principalement à Ottawa et à l'occasion, si nécessaire, à l'extérieur de la capitale.

Le second de ces enjeux est celui du partage de cette connaissance. Il s'agit assurément du plus noble. Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et partagent l'information que nous aurons recueillie. Notre défi sera de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la distribution de cette connaissance.

Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons au printemps 2002 des audiences publiques dans divers lieux au Canada. Comme troisième enjeu, le comité devra examiner de très près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.

[Traduction]

Avant de procéder à la présentation des distingués experts qui témoigneront aujourd'hui, je voudrais vous rappeler que le comité a un site Web à jour. On y accède par le site Internet du Parlement dont l'adresse est: www.parl.gc.ca. On y trouve le texte de toutes nos délibérations, ainsi que les mémoires et les documents de référence fournis par les spécialistes venus témoigner devant le comité. Nous tenons également à jour plus de 150 liens à des sites pertinents.

La salle dans laquelle notre comité se réunit, identifiée comme la Salle des peuples autochtones, fut aménagée en 1996 pour rendre hommage aux peuples qui, les premiers, ont occupé le territoire de l'Amérique du Nord et qui, aujourd'hui encore, participent activement à l'essor du Canada. Quatre de nos collègues au Sénat représentent fièrement ces peuples.

Nous entendrons ce matin M. Ethan Nadelmann du Lindesmith Center. Il sera suivi du gouverneur Gary Johnson de l'État du Nouveau-Mexique.

Nous avions invité à comparaître aujourd'hui un représentant de l'administration fédérale à Washington. Toutefois M. Alan Leshner, directeur du National Institute on Drug Abuse, a dû annuler sa comparution vendredi dernier. Nous avions également invité M. Edward Jurith, directeur intérimaire de l'Office of National Control Policy du Cabinet du président des États-Unis. Il a dû décliner notre invitation, mais nous avons reçu une lettre du Cabinet du président, dont je vous cite l'extrait suivant:

Merci de votre invitation à témoigner devant le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites le 5 novembre. Malheureusement, il ne me sera pas possible de me rendre à Ottawa ce jour-là.

Le candidat proposé par le président à la direction de l'Office of National Drug Control Policy n'a pas encore été confirmé dans ses fonctions par le Sénat. Une fois sa nomination confirmée, je pense qu'il sera heureux de se rendre à Ottawa pour vous rencontrer ainsi que vos collègues. La lettre est signée par Edward H. Jurith, directeur intérimaire, Office of the National Drug Control Policy.

Après avoir reçu cette lettre début octobre, nous avons communiqué avec l'ancien général Barry McCaffrey.

Nous avons eu le plaisir de recevoir un courriel du général à la retraite qui se lisait comme suit:

Le général McCaffrey vous remercie de votre invitation à témoigner devant le Sénat canadien et son Comité spécial sur les drogues illicites le 5 novembre 2001. Le général McCaffrey n'est pas en mesure d'accepter cette invitation en raison d'engagements antérieurs. N'hésitez pas toutefois à reprendre contact avec le général McCaffrey si vous le jugez utile à l'avenir.
Quoi qu'il en soit, nous recevons aujourd'hui deux personnes qui jouent un rôle important dans le débat sur la politique américaine en matière de drogues. Nous nous félicitons d'accueillir M. Nadelmann de New York.

M. Nadelmann est décrit par le magazine Rolling Stone comme la figure de proue des tentatives de réforme de la politique sur les drogues. M. Nadelmann est l'un des observateurs des politiques antidrogues américaines et internationales les plus respectés et les plus connus dans le monde. M. Nadelmann, qui est né à New York en 1957, a étudié à l'Université McGill, à l'université Harvard et à la London School of Economics. Il a obtenu un baccalauréat, un J.S.D. et un doctorat en sciences politiques à l'université Harvard, de même qu'une maîtrise en relations internationales à la London School of Economics.

De 1987 à 1994, il a occupé un poste de professeur adjoint à la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de l'université Princeton. Lors de son séjour à cette université, M. Nadelmann a mis en place et présidé le groupe de travail de Princeton sur l'avenir de la consommation des drogues et les solutions de rechange à la prohibition des drogues.

En 1994, M. Nadelmann a fondé le Lindesmith Center, l'un des principaux instituts de recherche sur la politique antidrogue. Il occupe actuellement le poste de directeur général du Lindesmith Center-Drug Policy Foundation, à la suite de la fusion de ces deux organismes en juillet 2000.

Monsieur Nadelmann, nous accordons habituellement une heure trente à chacun de nos témoins. Ce matin, j'ai décidé d'allonger votre temps de parole à deux heures. Nous aimerions commencer par entendre votre exposé avant de passer à une discussion générale.

M. Ethan A. Nadelmann, directeur général, Lindesmith Center-Drug Policy Foundation: C'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité, et je suis très heureux que le Sénat du Canada soit en mesure d'examiner les solutions que l'on pourrait envisager au lieu de faire la guerre à la drogue, comme on le fait actuellement.

Il est dommage que ce soit virtuellement impossible aux États-Unis, du moins à Washington, DC, d'organiser ce genre d'audience publique sur la question.

Le Lindesmith Center-Drug Policy Foundation tire son nom d'Alfred Lindesmith, qui a été un éminent professeur à l'Université de l'Indiana pendant plusieurs décennies. Il a été le premier universitaire célèbre à remettre en cause, à partir des années 40, l'opinion dominante relative à la politique sur les drogues.

Nous sommes la principale organisation américaine qui préconise l'abandon de la guerre à la drogue. Nous considérons que les politiques antidrogues actuelles émanent essentiellement d'une combinaison de facteurs qui sont la peur, l'ignorance, les préjugés et l'appât du gain. Ce sont là les principaux mobiles de la politique américaine sur les drogues.

Selon nous, la politique sur les drogues devrait refléter à la fois le bon sens, les connaissances scientifiques, le souci de la santé publique et le respect des droits de la personne. Ce sont les quatre valeurs fondamentales dont il faut tenir compte lorsqu'on traite de ce sujet.

Le Lindesmith Center est souvent perçu aux États-Unis comme une organisation radicale, une organisation qui souhaite mettre fin à la guerre à la drogue et légaliser ceci ou cela. J'aimerais vous dire clairement ce que nous sommes véritablement.

Aux États-Unis, l'organisme scientifique le plus distingué est la National Academy of Sciences, notre Académie des sciences. C'est le plus indépendant, contrairement au National Institute of Drug Abuse et à d'autres instituts nationaux qui sont assez étroitement liés au gouvernement parce qu'il contrôle leur financement.

L'Académie des sciences est donc l'organisme le plus indépendant aux États-Unis. Elle est chargée par le gouvernement, entre autres, d'évaluer les divers secteurs de la recherche scientifique.

Cette académie a produit une demi-douzaine de rapports depuis 1980 sur la marijuana, son usage à des fins médicales, le VIH et les drogues, les soins aux toxicomanes, le dépistage des drogues et d'autres sujets connexes. Quand on examine ses analyses, conclusions et recommandations, et qu'on se demande ensuite quel organisme aux États-Unis est le plus engagé en faveur des recommandations de l'Académie des sciences, on voit que ce n'est ni l'Office of National Drug Control Policy, ni aucun des instituts responsables de la politique sur les drogues. C'est le Lindesmith Center.

Je tiens à ce que cela soit clair. Si nous donnons l'impression d'avoir un point de vue radical dans le contexte américain, il est important de bien comprendre que ce que nous préconisons est conforme, dans une large mesure, aux recommandations de l'Académie des sciences.

J'encourage fortement le comité à fonder, dans toute la mesure du possible, ses recommandations sur quelques-uns de ces rapports. Ici, au Canada, la Commission LeDain a examiné ces problèmes il y a une trentaine d'années. Ses conclusions ne sont pas très différentes de celles de notre Académie des sciences. Il existe en la matière un fonds de recherche intéressant et qui remonte loin.

Le président: Nous avons assez de temps pour que vous rappeliez à mes collègues et à l'auditoire canadien l'histoire de la prohibition des drogues aux États-Unis. L'histoire de votre pays à cet égard et la nôtre ont beaucoup de similitudes, et il serait profitable que vous développiez un peu ce sujet.

M. Nadelmann: Certains d'entre vous savent peut-être qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, dans votre pays comme dans le mien, les drogues qui étaient légales et celles qui étaient illicites n'étaient pas du tout les mêmes qu'aujourd'hui. Nous avions un mouvement anti-alcoolique très puissant aux États-Unis. Vous en aviez un aussi au Canada, mais qui n'avait pas la même envergure qu'aux États-Unis. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la prohibition de l'alcool sévissait dans un grand nombre d'États américains. Cette situation a donné le jour au 18e amendement sur la prohibition de l'alcool.

Le Canada avait une forte tradition anti-alcoolique. La prohibition était en vigueur dans quelques provinces. Il y avait aussi d'énormes débouchés pour approvisionner en contrebande le marché américain. Dans mon pays, les cigarettes étaient interdites dans plus d'une dizaine d'États à la fin du XIXe siècle. Il était interdit aux femmes de fumer des cigarettes dans un nombre encore plus grand d'États. Au moment où a éclaté la Première Guerre mondiale, la prohibition des cigarettes a volé en éclats.

L'opium, l'héroïne, la morphine et la cocaïne, et la marijuana étaient généralement légales aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Il est important de noter qu'à cette époque-là, les Américains qui consommaient ces drogues étaient probablement plus nombreux qu'aujourd'hui. La légalité de ces substances était liée à un niveau de consommation supérieur.

Autant que l'on sache, les problèmes liés à l'usage de ces substances était énormément moins nombreux qu'aujourd'hui. Le coca-cola a contenu de la cocaïne jusqu'en 1900. À travers tous les États-Unis, on faisait massivement usage de laudanum, une teinture d'opium.

Les principaux consommateurs de ces substances étaient généralement des femmes - plus souvent qu'autrement dans le Sud - qui étaient aux prises avec la ménopause ou des problèmes résultant d'une mauvaise hygiène publique. L'aspirine ou la pénicilline n'existaient pas. Les opiacés s'avéraient très efficaces pour soulager la douleur et comme agents antidiarrhéiques.

Aussi bien dans votre pays que dans le mien, tant que les principaux consommateurs furent des femmes blanches d'âge mûr, personne ne songea à criminaliser l'usage de ces substances. Cela aurait été considéré mal venu. Le sujet relevait de la relation entre une femme et son médecin. Qu'il s'agisse d'un vrai médecin ou d'un charlatan, peu importe, c'était une relation privée.

Plusieurs facteurs sont à l'origine de la criminalisation. Les gens se sont rendu compte des dangers que représentaient les opiacés. Les degrés de dépendance à l'égard de ces substances variaient, mais les gens n'en étaient pas moins dépendants. Plus souvent qu'autrement, ils ne savaient pas qu'ils avaient une dépendance, pas plus qu'aujourd'hui, les gens se rendent compte qu'ils souffrent d'une dépendance à l'égard du café. Si les gens ont facilement accès quotidiennement à une substance et s'ils n'en sont pas privés, ils ne feront jamais l'expérience des symptômes du sevrage. Ce n'est que lorsque les substances en question ne sont plus disponibles - imaginez ce qui se passerait si, dans nos pays, le café n'était plus disponible - que les gens recherchent des produits de remplacement.

Il y a eu une prise de conscience et un mouvement, à la fin des années 1800 et au début des années 1900, en faveur de la réglementation de ces produits. Cette évolution était liée au mouvement en faveur d'un plus grand contrôle des aliments et des drogues. Aux États-Unis, on a adopté la Food and Drug Act en 1906, au nom d'une plus grande sécurité. L'objectif était en partie d'assurer un étiquetage convenable, de manière à ce que les gens sachent ce qu'ils achetaient et à ce que les fabricants puissent être tenus responsables.

Le phénomène était lié aussi au mouvement progressiste et au mouvement en faveur du droit de vote des femmes, qui était lui-même lié au mouvement anti-alcoolique et à la prohibition. Dans mon pays, les premières lois criminelles portant sur les opiacés ont vu le jour en Californie et au Nevada dans les années 1870 et 1880. Ces lois visaient les minorités chinoises, qui travaillaient fort mais qui fumaient de l'opium pour se détendre, une tradition qu'ils avaient importée de Chine. On craignait qu'ils n'attirent les femmes blanches dans leurs fumeries d'opium et qu'elles ne deviennent accrochées à la drogue.

Le président: Pour que mes collègues comprennent le système américain, je précise que ce sont les États qui détiennent la juridiction en matière criminelle.

M. Nadelmann: C'est une juridiction à deux niveaux. Il y a des lois fédérales et des lois adoptées par les États dans le domaine des drogues. D'une manière générale, le gouvernement ne s'intéresse pas aux simples questions de possession de drogue; il laisse les États s'en occuper. Approximativement 90 p. 100 des activités liées à la lutte antidrogue relèvent des États ou des municipalités. Entre 80 et 90 p. 100 des gens emprisonnés aux États-Unis suite à des accusations relatives à la drogue se trouvent dans des prisons locales.

Le gouvernement fédéral se concentre sur la poursuite des grandes organisations criminelles, bien que dans certains cas, quand il s'agit de drogue, il puisse s'intéresser à des infractions mineures lorsqu'il est représenté au sein de groupes de travail mis en place conjointement avec les autorités des États. Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler de la descente dans un club où les gens pouvaient acheter de la marijuana pour des raisons médicales, à Los Angeles, une descente qui a fait beaucoup de bruit et qui a été faite en dépit de l'opposition des autorités locales.

Le président: Est-ce la raison pour laquelle la Californie a lancé cela?

M. Nadelmann: La plupart des réformes des politiques et des lois sur les drogues sont lancées à l'origine par les États, comme vous le dira le gouverneur Gary Johnson. La prohibition de l'alcool est un mouvement qui a d'abord pris naissance localement, puis qui a gagné le niveau de l'administration des États et, finalement, le niveau national. Le mouvement en faveur de l'abolition de la prohibition de l'alcool est né dans les États qui ont choisi de ne pas suivre la politique prohibitionniste nationale. L'avenir des réformes, aux États-Unis, dépend des États. Au Canada, l'administration fédérale a juridiction sur les infractions en matière de drogues.

Les premières lois anti-opium visaient les minorités chinoises. Ce fut également le cas au Canada, en Grande-Bretagne et en Australie. Un fort relent de racisme, de peur et de préjudice caractérisait indubitablement ces premières lois. Tant et aussi longtemps que les consommateurs d'opiacés étaient des femmes blanches, on n'a pas jugé approprié de recourir au droit pénal. Quand les usagers ont commencé à inclure les minorités chinoises, on a vu les choses différemment. Les premières lois anticocaïne aux États-Unis virent le jour pendant la première décennie du XXe siècle. Elles visaient les noirs. On craignait que s'ils consommaient des drogues, ils ne resteraient pas à leur place dans une société où prévalait la ségrégation, et qu'ils violeraient les femmes blanches. Ces craintes sont toujours inhérentes aux premières lois antidrogues.

Les premières lois antimarijuana ont vu le jour dans le Sud-Ouest des États-Unis et elles visaient les Mexico-Américains et les migrants mexicains qui prenaient des emplois que les Blancs auraient dû avoir et qui, le soir venu, fumaient leur drôle d'herbe. C'était considéré comme quelque chose dont il fallait se méfier.

Tout cela a joué un rôle majeur, parallèlement aux questions liées aux peurs et aux craintes légitimes à propos de la dépendance. Il y avait aussi la question de savoir qui contrôlerait l'accès aux produits médicinaux - les médecins ou les pharmaciens.

L'histoire américaine est importante, non seulement parce qu'elle a des points communs avec celle de votre pays, mais aussi du fait que pendant le XXe siècle, au fil des années, ce sont les États-Unis qui ont occupé le devant de la scène en faisant la promotion de leur façon de s'attaquer aux problèmes dus à la drogue et en défendant leur approche. Au Royaume-Uni, entre 1910 et 1930, on a suivi une voie différente. Les autorités ont choisi d'accorder plus de contrôle aux médecins.

Pendant une brève période, il y a eu, aux États-Unis, des cliniques de traitement de soutien par la morphine. Dans quelques endroits, on a offert également, à petite échelle, des thérapies de soutien par l'héroïne. Tout cela a été ensuite supprimé. Les agents fédéraux de la brigade des stupéfiants de l'époque s'en sont pris à ces cliniques, et l'interprétation qu'on a donnée des jugements de la Cour suprême a abouti à leur disparition. Au Royaume-Uni, les autorités adoptèrent un système différent, qui donnait aux médecins une autorité et des compétences étendues dans le domaine des médicaments d'ordonnance. Ces compétences furent restreintes dans les années 60 et 70, en partie à cause des pressions exercées par les États-Unis. Néanmoins, le Royaume-Uni a maintenu une part importante du contrôle que peuvent exercer les médecins en la matière. Je pense que c'est ce vers quoi nous devrions nous orienter.

Les États-Unis défendent et préconisent leur approche sur le plan international. Actuellement, l'expression qui décrit le mieux cette approche, c'est «guerre à la drogue». En quoi cela consiste-t-il?

Essentiellement, deux choses. Premièrement, on part du principe que le système de justice pénale doit être l'alpha et l'oméga des initiatives prises à l'échelle nationale pour lutter contre la disponibilité des drogues, et contre les problèmes d'abus et de consommation de drogue. Cela signifie que si un groupe de travail est mis en place aux États-Unis pour étudier le problème que pose la drogue, il sera farci de gens qui représentent le système de justice pénal. Cela signifie qu'ils sont perçus comme les porte-parole en ce qui concerne la façon de traiter les drogues. Cela signifie, par exemple, que lorsqu'on envoie des gens dans nos écoles pour donner aux élèves des informations éducatives sur les drogues, ce ne sont pas des médecins ou des infirmières bien informés des problèmes de drogue à qui on confie cette tâche, mais à des agents de police. Ces derniers ne suivent aucune formation qui leur permette d'acquérir des connaissances sur les drogues, ils n'en ont jamais consommé ou s'ils l'ont fait, ils ne peuvent pas en parler. Nous envoyons des agents de police dans les écoles, pour parler non pas de sécurité, mais des drogues. La première dimension de la guerre à la drogue est le rôle intensif joué par le système de justice pénale, ses représentants et ses lois. Toutefois, un nombre grandissant d'agents d'exécution de la loi expriment des réserves à cet égard.

Le deuxième principe que l'on pose au départ, c'est que la seule façon d'envisager la drogue, la seule connexion acceptable entre le citoyen et certaines drogues, c'est l'abstinence. On part du principe que les gens doivent vivre libres de toute drogue et que le rôle du système de justice pénale est d'assurer, dans toute la mesure du possible, que les gens ne consomment pas de drogue; que les gens s'abstiennent de faire usage de ces drogues; que le système de justice décourage les gens de consommer des drogues; que, dans le meilleur des cas, les drogues deviennent moins disponibles; et que les tribunaux punissent les gens qui consomment, fabriquent et vendent des drogues. C'est cette combinaison de points de vue qui prévaut tout particulièrement aux États-Unis.

Nous avons un système de justice pénale qui, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres pays, est à l'avant-plan du cadre plus large de la politique sociale. Ainsi, nous avons, aux États-Unis, une population carcérale d'environ deux millions. C'est une augmentation spectaculaire par rapport aux 500 000 détenus de 1980. Par rapport à la population mondiale, celle des États-Unis d'Amérique représente 5 p. 100, mais pour ce qui est de notre population carcérale, ce pourcentage s'élève à 25 p. 100. C'est extraordinaire. Si la tradition américaine était quelque peu différente, nous qui avons été les champions des droits de la personne à travers le monde, nous considérerions comme une violation majeure de ces droits notre recours à l'incarcération pour régler des problèmes sociaux, vu surtout la légèreté avec laquelle nous agissons ainsi.

Nous avons une forte prédilection pour le système de justice pénale, auquel nous nous remettons trop souvent pour intervenir dans toutes sortes de situations. Nous considérons souvent la prison comme une punition acceptable et qui convient dans nombre de circonstances différentes, y compris dans des cas où il n'y a ni violence, ni hostilité à l'égard d'autrui.

Par ailleurs, cet attachement à un monde sans drogue est plus fort aux États-Unis que dans la plupart des autres pays occidentaux. Je pense que cela est lié à notre mouvement anti-alcoolique, dont l'existence date presque des origines de notre pays, au tout début du XIXe siècle. Cette idéologie anti-alcoolique a une dimension quasi religieuse. L'histoire démontre qu'aux États-Unis, quand nous avons aboli la prohibition de l'alcool et reconnu que, de façon générale, cette politique avait échoué, le sentiment anti-alcoolique ou prohibitionniste n'a pas tout simplement disparu. Dans une large mesure il s'est transposé sur les autres drogues - le cannabis, les opiacés et la cocaïne - qui n'étaient pas consommées par une forte proportion de la population. Même le principal opposant à la prohibition aux États-Unis, un ancien député au Congrès, est devenu le porte-parole du mouvement contre les stupéfiants une fois la prohibition abolie. Le responsable de la section internationale de l'agence fédérale chargée de la prohibition de l'alcool, Harry Anslinger, est devenu le premier directeur du Federal Bureau of Narcotics. Il y a eu un ciblage délibéré des autres drogues après l'abolition de la prohibition.

Le président: Cela explique-t-il l'aspect moral de la réaction du public à l'égard des drogues? Quelles que soient les preuves rigoureuses que nous avançons quand nous discutons de la question, les gens réagissent en maintenant que ce n'est pas bien moralement, et qu'ils sont contre.

M. Nadelmann: Selon moi, c'est un sentiment d'importance majeure, qui oriente la guerre à la drogue. J'ai étudié un des aspects de la politique sur les drogues du Canada. Pour ce qui est d'enfermer les gens et d'avoir recours à l'interpellation et à l'incarcération, le Canada n'en est pas tout à fait au même point que les États-Unis, mais reste quand même plus près des États-Unis que de l'Europe à cet égard.

C'est la même chose en ce qui concerne l'idée d'un monde sans drogue. Au Canada, on ne retrouve pas le même attachement fanatique et quasi religieux qui existe à cet égard aux États-Unis, mais le Canada est plus près de nous que la plupart des pays d'Europe.

Les Suédois sont plus américains à cet égard que les Canadiens. Quand on examine, dans une perspective historique, quels pays ont songé à la prohibition de l'alcool, on s'aperçoit que ce sont en général des pays nordiques. Ce sont les pays scandinaves, la Russie, le Canada et les États-Unis qui ont considéré que l'alcool posait un problème grave.

Il faut remettre en question cette idée d'un monde sans drogue ou même que l'on devrait s'efforcer d'être une société sans drogue. C'est la rhétorique facile qui nous a fait dévier d'une politique plus raisonnable et pragmatique en matière de drogues.

En 1988, le Congrès américain a adopté une résolution disant que l'Amérique serait libérée des drogues en 1995. Comment une telle résolution a-t-elle pu être adoptée? En 1998, la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies consacrée au problème mondial des drogues s'est déroulée à New York en présence du président Clinton - je ne sais pas si votre premier ministre y assistait - et d'environ 40 premiers ministres et présidents du monde entier. C'était une nouvelle assemblée, réunie pour étudier de nouvelles données, qui avait pour mot d'ordre: «Tous unis pour en finir avec la drogue».

Quand on y réfléchit, on se rend compte qu'autant qu'on sache, il n'y a jamais eu de société libre de toute drogue dans l'histoire de la civilisation. Il est remarquable de constater, quand les anthropologues découvrent quelque rare tribu dans le sud du Pacifique ou dans l'arrière-pays amazonien, qui n'a eu aucun contact avec d'autres civilisations pendant des centaines ou des milliers d'années, que cette tribu a, d'une façon ou d'une autre, découvert comment fabriquer de l'alcool. D'une manière ou d'une autre, ces gens ont découvert que s'ils mâchent certaines plantes, elles provoquent une altération de leur état de conscience.

Ce n'est pas parce qu'un pays fait de la propagande en faveur de l'usage des drogues. Il y a quelque chose d'intrinsèquement humain dans la découverte et la consommation de plantes et de produits chimiques qui modifient l'état de conscience des gens.

Si vous vous demandez pourquoi les gens font cela, je vous renverrai à un magnifique ouvrage écrit par Andrew Weil il y a une trentaine d'années, The Natural Mind. Sa réflexion l'amène à conclure que le désir qu'ont les êtres humains d'altérer leur état de conscience fait virtuellement partie de ce qu'est l'essence de l'humanité, et que cela est lié à d'autres éléments de notre être. Il fait l'analogie avec les jeunes enfants qui tournent en rond pour s'étourdir. Il déclare que nous conservons ce type de comportement en vieillissant.

Il n'y a jamais eu de société libre de toute drogue. À l'heure actuelle, en 2001, nous avons décidé de criminaliser toute activité se rapportant à un ensemble de substances - la marijuana, certains opiacés, la cocaïne et d'autres drogues. En ce qui concerne les autres, nous avons décidé qu'il était licite d'en faire usage. C'était complètement différent il y a 100 ans.

Il y a tout lieu de croire que dans 25 ou 50 ans, certaines des drogues qui sont actuellement illicites deviendront licites et certaines de celles qui sont actuellement licites deviendront illicites. Les circonstances varient en fonction des découvertes scientifiques, de l'évolution de la morale et de la modification des modes de consommation. Il n'existe pas de tradition religieuse qui condamne spécifiquement les opiacés, tout en autorisant l'alcool. Que je sache, il n'existe pas de tradition religieuse qui cautionne le tabac, mais pas ces autres produits. L'histoire nous apprend qu'il n'est pas rare que les chefs religieux fassent certains accommodements lorsqu'ils constatent qu'une partie importante de leurs fidèles ont commencé à consommer certaines drogues.

Les Mormons font exception. Ils ont comme principe que personne ne devrait absorber de substances psycho-actives qui altèrent l'état de la conscience. Ils se montrent plutôt conséquents à cet égard puisqu'ils interdisent non seulement l'héroïne, la cocaïne et la marijuana, mais également les cigarettes, l'alcool et même le coca-cola et le chocolat. Ils se montrent donc conséquents en l'occurrence, mais il est rare de trouver une telle cohérence ailleurs n'importe où dans le monde.

Le comité devrait tout simplement affirmer publiquement que le Canada ne sera jamais une société libre de toute drogue. Il est essentiel que cette rhétorique antidrogue passe à l'histoire et ne fasse pas partie de l'avenir. Je me suis rendu compte, lorsque j'ai donné des conférences aux États-Unis et ailleurs, qu'il s'avère plus utile de parler des drogues et de leur usage que de la politique sur les drogues. Notre politique sur les drogues est enfermée dans un contexte contre-productif et inefficace, du fait des idées fausses qui circulent à propos des drogues.

Quand on y réfléchit bien, aux États-Unis comme au Canada, notre politique sur les drogues repose sur un mythe. Ce mythe, c'est que nous sommes tous, à la naissance, des créatures qui, physiquement, sont parfaitement équilibrées; que chacun d'entre nous sort du ventre de sa mère dans un état de parfait équilibre chimique. En y réfléchissant, on se rend compte que ce doit être un mythe. Nous savons que nous ne pouvons pas tous être nés ainsi. Nous ne naissons pas dans un état d'équilibre parfait à bien d'autres points de vue; pourquoi serait-ce le cas en l'occurrence?

Si l'on pousse la réflexion un peu plus loin, on se rend compte que ce n'est pas comme si les drogues étaient quelque chose qui nous est étranger. Sous certains aspects les drogues sont en nous. Il y a 25 ans, nous avons découvert que le corps humain fabrique ses propres opiacés naturels, les endorphines. C'est pourquoi, quand vous courez, quand vous priez, quand vous avez des rapports sexuels ou quand vous poursuivez d'autres activités, vous ressentez des sensations, car vous libérez alors des substances dans votre corps.

Il est probable que si vous retiriez les endorphines de votre corps et que vous les y remettiez, vous contreviendriez à une loi fédérale. Ces substances sont dans notre corps. Nous nous sommes rendu compte il y a cinq ans, que nous fabriquions nos propres cannabinoïdes, notre propre marijuana. À cet égard, nous sommes tous des «fumeurs de pot». Une des raisons pour lesquelles les humains réagissent au cannabis, qui explique pourquoi cette substance aide les gens à se sentir bien et pourquoi certains deviennent toxicomanes, c'est que nos cerveaux sont sensibilisés à la chose. On découvrira avec le temps qu'un grand nombre d'autres drogues, présentes dans notre corps, ressemblent beaucoup à des drogues que nous considérons en quelque sorte comme «étrangères», dont certaines sont prescrites, fabriquées par les compagnies pharmaceutiques ou se trouvent dans les plantes.

La question qui se pose alors est de savoir pourquoi certaines personnes ressentent le besoin de prendre ces substances «étrangères». La réponse est en partie dans le fait que nous ne sommes pas nés en état de parfait équilibre. Des millions de gens, y compris dans mon organisation, sont aux prises avec le problème de drogues comme le Ritalin que l'on prescrit aux jeunes. Comment se fait-il que l'on prescrive de telles drogues aujourd'hui à des millions de gens, notamment aux jeunes garçons? Je ne sais pas trop quoi en penser. D'un côté, il y a le problème des médecins qui prescrivent trop spontanément. Les enseignants ne veulent pas se retrouver devant des enfants indisciplinés ou encore les parents se sentent frustrés, et ils prescrivent du Ritalin. D'un autre côté, il y a des gens qui sont fermement contre l'administration de tels produits aux enfants, et certains parents ont réussi à ne pas le faire, malgré la recommandation des médecins. J'ai beaucoup d'amis qui étaient fermement résolus à ne jamais donner de Ritalin à leur enfant. Ils considéraient que faire prendre cette drogue à un jeune n'était pas la solution. Ils ont résisté avant de se résoudre à le faire, et maintenant, leur enfant réussit bien à l'école, il ne tape plus sur ses frères et soeurs et il est capable de se concentrer. L'enfant n'était peut-être pas, à la naissance, une créature parfaitement équilibrée du point de vue chimique. Il se peut que le corps de l'enfant ne produisait pas ce qu'il fallait pour qu'il soit en mesure de faire face. Les parents dont je vous parle n'ont pas agi en la matière de gaîté de coeur. C'était des parents qui étaient très réticents.

La question qui se pose alors est la suivante: quelle relation peut-il y avoir entre la consommation de Ritalin et la toxicomanie à un âge plus avancé. Il y a des études contradictoires. Certaines suggèrent que les enfants qui ont consommé du Ritalin sont plus susceptibles de devenir plus tard toxicomanes, car ils se sont habitués à l'idée d'ingurgiter des drogues et sont, plus tard, plus portés à consommer d'autres produits. D'autres études démontrent le contraire, à savoir que les gens hyperactifs dans leur jeunesse et qui n'ont pas pris de médicament sont plus susceptibles de consommer des drogues comme la cocaïne, qui est un stimulant, tout comme le Ritalin. Pourquoi? Peut-être parce qu'ils n'ont pas pris les médicaments appropriés et qu'ils se lancent maintenant dans une sorte d'automédication, et que la cocaïne est une drogue qui semble faire leur affaire. Dans un certain sens, ils n'ont pas été soignés.

Un autre exemple est fourni par les opiacés. Il y a au moins deux drogues dont les gens qui les prennent pour la première fois disent que cela leur permet de se sentir normal pour la première fois de leur vie. Ces deux drogues sont le Prozac et l'héroïne. Nous avons tous rencontré des gens qui disent cela à propos du Prozac, car c'est un peu mieux accepté. Nous savons qu'un grand nombre de gens que nous connaissons et que nous aimons consomment cette drogue et que cela les aide à combattre la dépression. Nous craignons aussi parfois qu'ils n'en prennent trop facilement.

Cependant, pourquoi certaines personnes réagissent-elles à l'héroïne et aux opiacés? Beaucoup de gens qui prennent de l'héroïne pour la première fois vomissent, sont malades et ne veulent plus jamais y toucher, mais d'autres se sentent soudainement bien dans leur peau pour la première fois. Il est possible que ce soit parce qu'ils sont nés avec une quantité insuffisante d'endorphines dans leur corps ou que tout allait bien à la naissance, mais qu'ils ont grandi dans une situation difficile ou je ne sais quoi. Notre état pharmacologique interne à la naissance ne reste pas constant. Notre biochimie est aussi conditionnée par les événements de la vie. Elle évolue avec le temps. Il se peut que les gens répondent à l'héroïne en partie à cause d'une production insuffisante d'endorphines. En outre, quand les gens qui sont accrochés à l'héroïne veulent s'en débarrasser, souvent parce qu'ils en ont marre de mener la vie des consommateurs d'héroïne en marge de la loi, pourquoi la méthadone fonctionne-t-elle et pourquoi est-ce nécessaire? Une hypothèse veut que lorsque les gens deviennent dépendants de l'héroïne, leur propre production d'endorphines diminue et lorsqu'ils arrêtent de consommer, leur corps n'en fabrique pas naturellement une quantité suffisante, même si c'était le cas au départ. C'est la raison pour laquelle le recours à la méthadone est logique. Elle remplace quelque chose qui manque dans le corps. C'est pourquoi les gens qui prennent de la méthadone depuis 10, 20 ou 25 ans la considèrent comme leur médicament. Ils soutiennent qu'ils ne se défoncent pas à la méthadone et qu'ils ne sont pas plus intoxiqués que ne le sont les diabétiques qui prennent de l'insuline. C'est leur médicament, et il fait disparaître de leur vie le problème de la drogue.

Il faut comprendre que nous vivons dans un monde où non seulement les drogues abondent, mais où elles abondent dans notre corps même. Les compagnies pharmaceutiques sont très prospères parce qu'elles fabriquent les produits dont les gens ont besoin parce qu'ils souffrent d'une maladie ou d'un déséquilibre quelconque. En dernière analyse, si nous essayons de préparer l'avenir et d'être optimistes en ce qui concerne nos politiques sur les drogues, il faut qu'elles reposent sur une hypothèse foncièrement différente. L'idée selon laquelle nous devons être, essayer d'être ou pouvons être une société sans drogue doit être reléguée parmi les vestiges du passé et considérée comme une quasi-distorsion des idéaux religieux, car elle n'a aucun sens du point de vue scientifique et elle ne correspond ou n'appartient pas à aux traditions religieuses qui remontent à des centaines, voire des milliers d'années. C'est une idée que de nombreuses traditions religieuses ont adoptée au cours des 100 ou 200 dernières années dans différentes parties du monde, particulièrement en Amérique du Nord. Il faut que nous trouvions une meilleure façon de faire face à la réalité et d'admettre que les drogues abondent en nous, que les drogues abondent en dehors de nous et que les drogues sont omniprésentes.

Le président: En ce qui concerne votre organisation et votre mandat, pouvez-vous nous expliquer comment vous financez votre budget annuel de manière à ce que nous comprenions qui vous êtes et qui vous représentez?

M. Nadelmann: Quand j'étais professeur à l'université Princeton, de 1987 à 1994, je me suis exprimé dans mes cours et dans des écrits sur diverses questions relatives à la politique sur les drogues. Il y a environ neuf ans, j'ai reçu un appel de George Soros, le financier philanthrope qui s'intéressait aux questions concernant la liberté en Europe de l'Est et réfléchissait à la façon de promouvoir une société ouverte dans des pays où jusqu'alors la société était restée fermée. Alors que le communisme disparaissait en Europe, il s'est intéressé aux États-Unis et cherchait à déterminer s'il y existait une société libre et ouverte. Je crois qu'il a constaté que ce n'était pas le cas dans tous les domaines. S'il y a un domaine où les États-Unis ne ressortent pas comme une société ouverte, où le dialogue n'est pas franc et libre et où la politique est déterminée par la peur et le préjudice, c'est bien celui de la politique sur les drogues. À la suite de ma rencontre avec lui, j'ai pu établir le Lindesmith Center, en tant que premier projet de l'Open Society Institute de George Soros, et en faire un institut de politique militante, qui finance d'autres organismes et produit de la documentation. Nous possédons un site Web www.drugpolicy.org, que les gens peuvent consulter pour obtenir de l'information sérieuse. L'année dernière, nous avons fusionné avec une autre organisation, la Drug Policy Foundation, qui a été créée à la fin des années 80. En ce qui a trait à notre financement, nous avons actuellement 10 000 adhérents. George Soros reste notre principale source de financement, mais nous avons aussi une dizaine de mécènes qui contribuent 100 000 $ ou plus à l'organisation. Nous commençons par ailleurs à obtenir des subventions de certaines fondations. Nous bénéficions de l'appui de démocrates et de républicains, de libertaires et de socialistes, de gens qui ont consommé des drogues et de gens qui n'en ont jamais pris. Nous avons surtout l'appui de gens qui sont préoccupés par le problème des prisons, de la corruption, du sida ou du caractère raciste de la guerre à la drogue, qui viennent de tous ces horizons. Voilà qui nous représentons actuellement.

Le président: Financez-vous des recherches au sein de votre organisation ou analysez-vous les recherches effectuées par d'autres?

M. Nadelmann: À quelques exceptions près, nous utilisons principalement les recherches existantes et nous nous efforçons de les diffuser plus largement dans la population. Nous la mettons dans des formes que les médias et la population peuvent comprendre et accepter. En tant que professeur, une de mes plus grandes frustrations a été d'explorer, dans des bibliothèques, de fantastiques documents de recherche et de travaux de boursiers que personnes d'autres ne lisaient. Par leur présentation, ces recherches n'étaient pas d'accès facile; elles étaient publiées dans des revues dont la circulation se limitait à quelques milliers de lecteurs. Fréquemment, le gouvernement se montrait énergique quand il s'agissait de faire connaître des études qui parlaient des dangers de certaines drogues, mais on ne mentionnait jamais les huit études suivantes qui remettaient en cause la méthodologie des précédentes et aboutissaient à des conclusions contraires.

Nous sommes principalement impliqués dans la promotion et la diffusion des recherches déjà disponibles. La principale exception est toutefois la question de la prescription d'héroïne pharmaceutique aux utilisateurs de drogues injectables qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas cesser de consommer de la drogue de leur propre initiative.

Il existe un vaste éventail d'opiacés qui soit proviennent des plantes, soit sont fabriqués synthétiquement. Parmi ces derniers figurent la morphine, la méthadone, le Dilaudid, le Demerol, la codéine et l'oxycodone. Ces drogues existent depuis des dizaines de milliers d'années et sont d'usage très répandu dans les hôpitaux. Ce sont les principales drogues utilisées contre la douleur dans tous les pays du monde.

Toutes ces drogues, si elles étaient utilisées sur une base très régulière, pourraient entraîner une dépendance, ce qui signifie que l'interruption de leur utilisation serait très désagréable, provoquant des symptômes allant d'un léger à un profond inconfort. Toutes ces drogues sont utilisées dans les hôpitaux et les centres de contrôle de la douleur. Quand elles sont utilisées correctement et de façon appropriée contre la douleur, ces drogues créent rarement une dépendance.

Dans le traitement de la douleur, on accepte de plus en plus le principe qu'il faut tenir compte du résultat. Qu'il s'agisse d'un cancéreux, d'un grand brûlé ou d'un enfant malade, nous voulons supprimer la douleur. C'est le résultat que l'on recherche. En tant qu'être humain, vivre avec la douleur est une chose horrible qui réduit la qualité de la vie et même en raccourcit la durée. La douleur est physiquement débilitante.

Le traitement adéquat de la douleur a été un problème dans notre société en partie à cause d'une crainte irrationnelle que l'on peut appeler la phobie des opiacés. En conséquence, les médecins ne prescrivent pas suffisamment de médication antidouleur, les infirmières n'administrent pas suffisamment de médication antidouleur et les patients eux-mêmes sont réticents, à cause de l'objection morale rattachée à l'utilisation excessive des opiacés ou à la crainte de la dépendance.

Il existe des preuves incontestables que l'utilisation adéquate de médications opiacées peut réduire la douleur. Pourtant les gens continuent d'être craintifs et ignorants. Aux États-Unis, un grand nombre de médecins ont été punis parce qu'ils avaient prescrit à certains patients qui avaient besoin de doses exceptionnellement fortes une médication appropriée, ce que les autorités chargées de l'application de la loi ou dans la profession médicale ne comprennent pas.

C'est seulement ces dernières années, en premier lieu, dans l'État de l'Oregon, que les médecins ont été tenus responsables - et passibles de dommages et intérêts - d'avoir insuffisamment traité la douleur, mais je pense que c'est dans cette direction que nous devrions nous orienter.

Le principe de base du traitement de la douleur est d'utiliser toute drogue qui a pour effet de la soulager et de contribuer au mieux-être du patient. Les patients peuvent, dans certains cas, contrôler le flux de leur propre analgésique. On peut administrer un médicament analgésique à un enfant qui ne peut pas avaler une pilule ou qui a peur des seringues sous forme de sucette.

Il s'avère que la méthadone est l'une des médications antidouleur les plus efficaces et les moins coûteuses. Il y a une quinzaine d'années, le Parlement canadien a passé une loi qui autorisait l'utilisation de la diamorphine, l'héroïne pharmaceutique, pour le traitement de la douleur. Je ne crois pas que c'est utilisé souvent ici, mais cela correspond à ce qui se passe en Angleterre et en Belgique, où tous les opiacés sont autorisés à des fins médicales. Pour un petit pourcentage de gens, l'héroïne est le produit antidouleur idéal.

Quand il s'agit de traiter une dépendance, il est bon de se laisser guider par les mêmes principes. Le résultat recherché, c'est la réduction des décès, des maladies, des souffrances et des crimes liés à la consommation de drogues illicites. Cela exige toutefois, dans le cas de l'héroïne, que les gens suivent un programme en 12 étapes ou trouvent un moyen d'arrêter et d'être totalement libérés de cette drogue.

L'Académie nationale des sciences, l'Organisation mondiale de la santé, les centres de contrôle et de prévention des maladies et, je pense, des organes du gouvernement canadien ont conclu que le traitement le plus efficace pour réduire les décès, les maladies, les crimes et les souffrances liés à l'utilisation illicite de l'héroïne est le soutien par la méthadone, quand le traitement est administré correctement.

La majorité des traitements de soutien par la méthadone disponibles aux États-Unis et dans certaines régions du Canada ne sont pas administrés correctement. Il y a une notion archaïque voulant qu'en ce qui concerne la méthadone, moins on en use, mieux ça vaut, mais cela ne repose pas sur des preuves scientifiques, c'est seulement un précepte qu'on enseigne aux enfants et qui est contredit par la science. Néanmoins, la méthadone est la substance qui semble avoir le plus d'effet sur la plupart des patients peut-être, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, du fait que leurs endorphines naturelles ne sont pas suffisantes pour qu'ils se sentent normaux sans cette médication.

On peut faire une autre analogie, avec les timbres et le chewing-gum utilisés pour combattre la dépendance à la nicotine. La méthadone est à l'héroïne de la rue ce que ces remèdes sont aux cigarettes. L'opiacé ou la nicotine sous-jacente est administrée relativement sans danger. On peut vivre très longtemps en suivant ces traitements sur une base quotidienne. La méthadone constipe; la nicotine provoque un léger risque pour le coeur chez les patients plus âgés, mais foncièrement, ces traitements présentent des risques minimes.

Tous les aspects de la dépendance ne sont pas réglés par la méthadone ou par les timbres. La satisfaction d'avoir une cigarette à la main et de la porter à la bouche, de même que les rituels et le rush que l'on ressent quand on s'injecte de l'héroïne, ne sont pas remplacés; néanmoins, un consommateur motivé peut éviter les plus grands dangers de l'héroïne de la rue ou du tabac grâce à ces solutions de remplacement.

L'Allemagne interdisait la méthadone jusqu'à il y a une dizaine d'années. Il y a dans ce pays 40 000 usagers entretenus à la codéine. En France, un pays qui interdisait également la méthadone jusqu'à il y a une dizaine d'années, il y a 40 000 personnes soutenues par une drogue appelée buprénorphine. Bien que l'utilisation de la méthadone soit aujourd'hui mieux acceptée dans ces deux pays, les patients se sont habitués à utiliser les autres médicaments. Aux États-Unis, nous commençons à utiliser la buprénorphine qui peut s'avérer efficace pour certaines catégories de personnes.

Il y a une drogue qui s'appelle LAAM et qui est une méthadone à action prolongée. Toutefois, une autre drogue est maintenant reconnue comme étant très efficace pour réduire l'usage de drogues illicites et les décès, les maladies, les crimes et les souffrances qu'elles entraînent chez les gens qui en dépendent depuis cinq, 10 ou 20 ans, chez les gens qui ont essayé, sans y parvenir, de cesser de consommer grâce à la méthadone ou à des programmes d'abstinence, ou qui ont été forcés de cesser de consommer par de longues peines de prison. Cette drogue qui a un taux de réussite remarquable, c'est la diamorphine, aussi appelée héroïne pharmaceutique.

Quand on considère la population la plus fortement engagée dans la consommation de l'héroïne illicite, les gens qui ont essayé d'arrêter, vous vous apercevez que ce sont des gens, pour la plupart, dans la vingtaine avancée, dans la trentaine et parfois dans la quarantaine. Ils sont plus ou moins sans domicile fixe et ils vivent dans les rues depuis cinq ou 20 ans. Ce sont des gens qui en ont marre d'être des junkies de rue, mais qui ne peuvent pas imaginer la vie sans héroïne. Ce sont des gens qui ne se défoncent plus, qui en sont rendus à prendre de l'héroïne juste pour se sentir normaux. Cela fait partie de leur vie. C'est ancré dans leur nature.

Les Suisses ont montré, ces sept ou huit dernières années, que si l'on met en place une clinique et que l'on autorise non seulement la méthadone - car ils ne prescrivent pas uniquement des traitements à base de méthadone - mais également l'héroïne pharmaceutique, on obtient des résultats spectaculaires. Par résultat, on entend l'arrêt de la consommation d'héroïne illicite; ils arrêtent même de consommer de la cocaïne illicite, ce qui ne devrait pas se produire sur le plan pharmaceutique, vu que la consommation de méthadone n'est pas censée avoir cet effet.

Le fait est que les gens sont motivés à abandonner le milieu de la drogue illicite. Et ils le quittent effectivement. Ils se trouvent un logement, et leur santé s'améliore de façon spectaculaire. Le nombre des gens qui se piquent diminue, ce qui fait que le risque de propager l'hépatite ou le VIH est bien moindre. La criminalité chute, elle aussi, de façon spectaculaire. Un bon nombre d'entre eux se trouvent un emploi légal.

Après avoir pris de l'héroïne pendant 10 ou 15 ans, vous n'arrivez plus à vous défoncer. J'ai côtoyé des gens qui avaient pris de l'héroïne pendant 10 ou 15 ans et, après un fixe, ils continuaient de parler comme nous le faisons ici. Ce n'est pas ce à quoi on s'attend. Ils disent qu'ils ont chaud dans la poitrine et qu'ils se sentent bien. Ils ne planent pas. Ils peuvent continuer de fonctionner.

Les Hollandais ont ensuite voulu mettre le même programme sur pied et ont organisé leurs propres essais nationaux. L'année prochaine, les Allemands commenceront leurs essais. Même chose en Espagne. En France, cela ne semble plus être qu'une question de temps. En Grande-Bretagne, il y a longtemps qu'ils prescrivent cela sur une petite échelle, mais ils n'ont jamais vraiment fait d'études. Ils commencent maintenant à le faire. En Australie, des élections auront lieu le mois prochain. Le premier ministre John Howard continue d'être le seul à véritablement s'opposer aux politiques de réduction des méfaits des drogues. S'il perd les élections, qui que ce soit qui le remplacera, mettra certainement à l'essai des programmes de soutien par l'héroïne. Ce n'est qu'une question de temps.

Le président: Je voudrais parler de l'Amérique du Nord, dans le contexte de ces essais. Avant cela, le sénateur Fairbairn a une question.

Le sénateur Fairbairn: Le comité fait exactement ce qui, selon vous, devrait être fait. Si j'ai bonne mémoire, ça n'a pas été un comité facile à mettre en place. Il n'a pas été facile de le faire accepter.

Je pense que l'un de nos plus gros problèmes vient certainement du grand succès des messages initiaux, qui ont été diffusés pendant une très longue période et qui sont que les drogues sont mauvaises et que nous nous efforçons d'avoir une société sans drogue, ce qui, comme vous le dites, n'est pas très réaliste. Toutefois, le message a été bien reçu en partie à cause des problèmes de santé qui étaient évidents, tout comme la destruction due aux drogues. C'est aussi à cause du lien avec le crime organisé que cela a réussi. Regardez la situation extraordinaire dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui alors que nous essayons de venir à bout du problème du terrorisme. Si vous cherchez à approfondir la question du financement, vous retrouvez le commerce de la drogue.

L'autre message qui essaie de voir le jour, le message que vous essayez de faire passer, est qu'il existe un autre moyen utile et positif d'améliorer la vie des gens si c'est fait sous surveillance et contrôle adéquats. Nous discutons au Canada de l'utilisation de l'héroïne et de la marijuana à des fins médicales. Quels conseils pouvez-vous nous donner sur la façon de faire passer le message pour que les gens comprennent que certains, dans notre société, peuvent être légitimement aidés par la consommation de certaines classes de drogue qui sont depuis longtemps interdites et qui sont perçues comme mauvaises par la population? Comment peut-on faire passer ce message plus efficacement? Au Canada, c'est un message très flou.

J'ai été surprise de vous entendre dire - et peut-être vous ai-je mal compris - que la Suède est plus proche des États-Unis que le Canada en ce qui concerne le type de message ambiant. Quels conseils avez-vous à donner au comité qui sera appelé à dire au gouvernement et à la population qu'il est important de réfléchir? Comment peut-on procéder après avoir si bien réussi à dire le contraire au début?

M. Nadelmann: Nous devons commencer par contester l'hypothèse initiale, qui veut que nous avons connu la réussite. On ne sait pas si on a réussi. Pourquoi? Parce que nous n'avons pas comparé notre ancienne politique à une autre politique. Vous ne pouvez prétendre avoir réussi que si vous comparez à autre chose. D'une façon, nous présumons avoir réussi, mais la question qui se pose alors est: en fonction de quel critère? Si le critère est qu'une grande majorité de la population déclare qu'elle a peur des drogues, on peut dire que nous avons réussi.

Il s'agit alors de savoir comment on évalue la réussite ou l'échec. Quels sont les critères qui permettent de dire si une politique est meilleure qu'une autre? Nous devons établir des critères afin d'en décider. Aux États-Unis, et peut-être au Canada aussi, les critères que nous utilisons pour déterminer la réussite ou l'échec sont les sondages annuels dans lesquels on demande aux gens s'ils ont déjà consommé une drogue illicite et s'ils en ont consommé une au cours de l'année écoulée. Généralement, on prétend que si les chiffres augmentent, nous n'avons pas réussi et que si les chiffres baissent, nous avons réussi. Et l'on se préoccupe surtout de la marijuana. Mon sentiment est que ce critère de référence est l'un des moins importants.

Les critères véritablement importants sont le nombre de gens qui sont morts à la suite soit de la consommation de drogues, soit des politiques sur les drogues; ce qui s'est passé au niveau des crimes associés soit à la consommation de drogues, soit aux politiques sur les drogues; c'est ce qui est arrivé au niveau des maladies associées soit à la consommation de drogues, soit aux politiques sur les drogues. La meilleure politique sera celle qui réduira le plus, pas nécessairement la consommation de drogues, mais le nombre de décès, de maladies, de crimes et la souffrance.

Par analogie, je vais vous parler du terrorisme. Je crains que si les États-Unis s'inspirent, pour mener leur guerre contre le terrorisme, de la façon dont ils ont lutté contre les drogues, nous soyons condamnés. Nous finirons par nous concentrer sur le mauvais résultat. Si la réussite ou l'échec est évalué en termes du nombre de coupe-ongles qui est saisi dans les aéroports plutôt que du nombre de morts, de maladies, de crimes ou de souffrances qui en a résulté, nous aurons perdu de vue le résultat fondamental.

Si nous voulons faire passer le message sur la bonne façon d'utiliser les drogues en médecine, il faut qu'il fasse partie intégrante d'un message global reposant sur la science et la santé. Si l'on s'en tient aux chiffres, le problème le plus important en ce qui concerne la drogue au cours des dernières décennies aux États-Unis et au Canada n'a même pas été l'alcool ou le tabac - qui posent de plus grands problèmes que n'importe quelle drogue illicite - mais le sous-traitement de la douleur dans les hôpitaux. Ce manque d'intérêt a provoqué des douleurs inutiles plus importantes que les méfaits de l'alcool et du tabac. Si tel est le prix que nous avons payé pour notre message antidrogue, c'est un prix énorme.

Aux États-Unis, pendant la prohibition, nous interdisions l'alcool parce que nous savions que l'alcool est une drogue terrible aux conséquences dévastatrices. Pendant les premières années de la prohibition de l'alcool, entre 1916 et 1922, le programme s'est avéré efficace. La consommation d'alcool a chuté et la prohibition semblait donner des résultats. Le nombre de cas de violence domestique liée à l'alcool et le nombre de cas de cirrhose diminuèrent.

En 1922, la consommation d'alcool a recommencé à augmenter. Entre 1922 et 1933 l'abus d'alcool a progressé. La bière n'était pas populaire auprès des trafiquants, car elle est surtout composée d'eau, ils se sont intéressés aux boissons très alcoolisées. La consommation de ces boissons a augmenté de même que les dépenses gouvernementales pour faire exécuter la loi prohibant l'alcool. Il y avait chaque année de plus en plus d'organismes chargés d'exécuter la loi et de plus en plus de gens derrière les barreaux. Il y eut aussi Al Capone, le crime organisé, la violence et la corruption. Al Capone a sévi non pas à cause de l'alcool, mais à cause des lois prohibitionnistes. Il n'aurait pas existé sans la prohibition.

Il y a quelques années, les Nations unies ont estimé que le marché illicite des drogues s'élevait à 400 milliards de dollars par an. Cette situation existe pour deux raisons. Premièrement, dans le monde entier, les gens souhaitent consommer ces produits. Deuxièmement, il y a 70 ou 80 ans, nous avons décidé qu'au lieu de réglementer ces marchés, nous les interdirions.

Il existe maintenant un réservoir souterrain de 200 à 400 milliards de dollars par an qui donne leurs pouvoirs au crime organisé et à des terroristes comme Oussama ben Laden et autres. Cela ne signifie pas que nous devons légaliser les drogues, mais plutôt que nous devons admettre qu'une des conséquences négatives d'une politique prohibitionniste, c'est qu'elle a un coût et nous devons le reconnaître.

Si nous voulons progresser pour qu'à l'avenir, les gens prennent des décisions éclairées au sujet du Ritalin, du Prozac, de la morphine et autres drogues psychotropes, ainsi que de l'alcool et du tabac, nous devons nous appuyer sur des preuves scientifiques et sur des questions de santé publique. Les gens doivent pouvoir se focaliser sur un résultat.

En Amérique, 300 000 personnes sont mortes ou ont été contaminées par le VIH ou le sida à cause de la drogue. Nous n'avons toujours pas de remède. Dans certaines villes, le taux de séropositifs est de 40 à 60 p. 100 parmi les utilisateurs de drogues injectables. Il y a des milliers de bébés qui naissent avec le sida. Non, les drogues ne propagent pas le sida; le partage de seringues souillées, oui.

Il y a 15 ans, on aurait pu faire ce qu'ont fait les Australiens, les Anglais et les Hollandais, et prendre des mesures pour que des seringues propres soient facilement accessibles dans les pharmacies ou dans le cadre de programmes d'échange de seringues. Le Canada l'a fait dans certains endroits avant les États-Unis. Nous n'avons pas fait cela parce que nous pensions que nous devions continuer à transmettre le même message, à faire la guerre à la drogue. En nous concentrant sur ce message ou, pour le moins, en pensant faire passer ce message, nous n'avons pas fait les choses que nous aurions dû. Nous n'avons pas empêché la progression du sida. Nous n'avons pas empêché la progression de l'hépatite. Nous n'avons pas empêché le marché noir. Il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas faites.

Nous devons nous demander si nous avons réussi à faire passer notre message. Aux États-Unis, quand un nouveau programme de réforme sur les drogues est proposé, il y a généralement quelqu'un qui dit que ce faisant, on ne transmet pas le message qu'il faut. Le gouverneur du New Jersey a déclaré qu'il n'y aurait pas de programme d'échange de seringues, car ce serait donner aux enfants un message erroné, leur laisser entendre que se droguer est acceptable.

Il y a deux choses intéressantes à dire à ce propos. Premièrement, on ne fournit jamais de preuves démontrant que ces programmes ne font pas passer le bon message. Que je sache, aucune étude n'a été faite au Canada ou aux États-Unis démontrant qu'organiser un programme d'échange de seringues, utiliser la marijuana à des fins médicales ou offrir un traitement de soutien par l'héroïne, ce n'est pas faire passer le message qu'il faut. Rien ne prouve que les enfants voient cela et pensent qu'il est acceptable de consommer des drogues. Je n'ai pas encore vu de telles études. Il serait intéressant d'en faire.

Deuxièmement, aux États-Unis, environ 50 p. 100 des gens qui ont entre 20 ans et 50 ans ont essayé la marijuana. Aujourd'hui, environ 50 p. 100 des diplômés des écoles secondaires ont essayé la marijuana au moins une fois. Pendant les 35 dernières années, au Canada et aux États-Unis, les adolescents ont eu accès plus facilement à la marijuana qu'à n'importe quoi d'autre. Je connais beaucoup de gens de mon âge qui fumaient de la marijuana. Beaucoup d'entre eux voudraient encore en fumer, mais ils ne peuvent pas en trouver à moins de demander à leurs enfants adolescents, ce qu'ils ne veulent pas faire.

Aux États-Unis, l'usage de la marijuana a augmenté pendant les années 60 et les années 70; il a diminué dans les années 80; et il est resté stable pendant les années 90. Chaque année, on demande aux adolescents s'il est facile de trouver de la marijuana. La statistique est restée constante; 80 p. 100 des adolescents déclarent qu'ils peuvent trouver de la marijuana. Peut-être que nos messages passent, de temps en temps, mais foncièrement, les jeunes ne reçoivent pas le message.

Si l'on veut promouvoir la consommation rationnelle et la non-consommation des drogues dans notre société, nous devons commencer par envoyer moins de messages et par parler davantage de ce que dit la science. Les politiques gouvernementales officielles sur les drogues doivent être fondées sur la science. L'aboutissement devrait être la réduction des morts, des maladies, des crimes et des souffrances liées aussi bien à la drogue qu'à nos lois antidrogues. Si c'est le nouveau résultat que l'on recherche, alors cela entraînera un meilleur traitement de la douleur et parallèlement, une moins grande consommation de drogue par les adolescents.

Le sénateur Fairbairn: Vous parlez d'un nouveau type de programme de sensibilisation de la population. Pour mettre sur pied ce nouveau genre de programme, les agences publiques, le gouvernement, les organismes d'application de la loi et tous les autres segments de la société qui ont été parties prenantes de l'autre message, devront suivre une formation approfondie. Autrement, le message ne sera pas diffusé. Nous diffusons actuellement d'excellents messages sur la santé au Canada, mais cela reste quelque chose de difficile à réaliser. Les gens qui sont en charge doivent avoir une meilleure compréhension de la situation avant de pouvoir exercer une influence positive sur la population.

M. Nadelmann: Je ne connais pas vos antécédents au Canada en ce qui concerne l'éducation sexuelle, mais cela ressemble beaucoup à ce dont nous parlons. On craignait, si on donnait des cours d'éducation sexuelle, qu'un plus grand nombre de jeunes aient des relations sexuelles plus tôt. Je crois savoir qu'il n'existe pas beaucoup de preuves qui appuient une telle conclusion. Toutefois, si tel est le résultat, il n'en reste pas moins que l'on parvient ainsi à réduire le nombre de grossesses non désirées, la transmission des maladies vénériennes et les conséquences de rapports sexuels irresponsables.

Au Canada et aux États-Unis, la majorité des jeunes perdent leur virginité vis-à-vis les drogues avant de perdre leur virginité sexuelle. J'ai une fille de 13 ans. Mon sentiment est que d'enseigner aux jeunes: «Il suffit de dire non» marche à l'école élémentaire. Toutefois, au secondaire, on a affaire à des gens âgés de 16 à 18 ans qui peuvent pratiquement tous se procurer de la marijuana s'ils le souhaitent. Un tiers ou plus commencent à se lancer dans des expériences. L'alcool, les cigarettes et les produits pharmaceutiques sont, eux aussi, disponibles. Dans une telle situation, une approche plus honnête de la sensibilisation aux drogues est nécessaire.

Notre institut milite en faveur d'une telle approche. Nous l'appelons à la fois «Safety First» et «Just Say Know», que nous épelons K-N-O-W. Nous agissons ainsi pour faire comprendre qu'il devrait y avoir une information honnête sur les drogues. Notre message aux jeunes, en ce qui concerne l'ecstasy, est de ne pas en consommer. Toutefois, s'ils décident d'en prendre quand même, nous leur conseillons de boire beaucoup d'eau, de ne pas prendre plus d'une pilule et de s'assurer qu'ils ont un endroit où ils peuvent «se refroidir» et qu'il y a quelqu'un qui peut les ramener chez eux. Je dis à mes enfants de m'appeler s'ils ont des problèmes, car je ne veux pas qu'ils aient un accident sur la route. Ma préoccupation vis-à-vis mes gosses, ce n'est pas «est-ce qu'ils en prennent ou est-ce qu'ils n'en prennent pas», mais est-ce qu'ils grandiront, en bonne santé, et me feront de beaux petits-enfants.

Quant à savoir qui devrait être le messager, il est normal que la police aille dans les écoles pour parler de la sécurité routière, mais quand les agents y vont pour parler des drogues et de la marijuana, c'est une farce. Les gosses, à l'école élémentaire, se laissent facilement impressionner, mais toutes les études, par exemple celles du programme américain DARE, en arrivent à la même conclusion. Les programmes sont efficaces pour amener les jeunes à aimer et à faire plus confiance à la police, mais ils n'ont aucun impact sur la quantité de drogue consommée par ces enfants lorsqu'ils sont un peu plus vieux. Qui devrait parler de cela dans les écoles? Je pense que ce serait on ne peut plus utile si des gens qui connaissent quelque chose sur les drogues, par exemple, des experts en pharmacologie et des gens qui traitent la souffrance, étaient chargés de transmettre ce message. C'est quelque chose que les jeunes ont besoin de comprendre.

Si vous commencez par expliquer pourquoi les médicaments sont efficaces pour traiter la douleur, il devient ensuite facile d'expliquer aux jeunes la différence entre l'utilisation responsable et irresponsable des drogues. Les gens qui ont des connaissances dans le domaine du traitement de la douleur comprennent les difficiles questions que soulèvent les autres drogues.

Nous devons soit changer les enseignants, soit rééduquer les gens qui ont été chargés de l'enseignement, de manière à ce que leur message soit plus conforme à la science. Je suis en faveur d'une autre politique sur les drogues, une relativement différente de celle que nous avons actuellement, une politique qui commence à plus ressembler à ce qui se passe dans certains pays européens. Ce genre de politique pourrait être nettement plus efficace que ce que nous avons fait au Canada et aux États-Unis. Elle pourrait être plus efficace non seulement pour réduire la criminalité, les maladies et toutes les autres choses dont on a parlé, mais elle pourrait être plus efficace en réduisant le nombre de jeunes qui se créent des problèmes à cause des drogues.

Le sénateur Chalifoux: Vancouver est l'une des grandes villes canadiennes où il y a les plus graves problèmes de drogue, si l'on peut s'exprimer ainsi. Il y a des programmes d'échange de seringues qui semblent fonctionner assez bien. Ces programmes sont en place dans les quartiers où les problèmes de drogue existent. La Colombie-Britannique cultive la meilleure marijuana en Amérique du Nord.

M. Nadelmann: Il y a des gens aux États-Unis qui ne seraient pas d'accord.

Le sénateur Chalifoux: Nous avons des statistiques de l'exportation clandestine. Il y a, à Vancouver, des policiers spécialisés dans la marijuana qui font des rondes pour trouver tous les endroits où il y a des cultures hydroponiques et quand ils les découvrent, ils les mettent en mille morceaux. Le Canada s'occupe de ce problème depuis déjà pas mal de temps. Le gouvernement a adopté une loi, et des recherches sont en cours sur l'utilisation de la marijuana pour contrôler la douleur. Certains cultivateurs, dans le nord du Manitoba, sont autorisés à cultiver de la marijuana dans l'une des mines de l'endroit.

Je peux affirmer que la marijuana est efficace pour traiter la douleur. J'avais une petite fille qui avait un cancer et ses douleurs ont été gérées, autant que faire se peut, grâce à la marijuana et aux cocktails que l'on peut fabriquer. Le recours à la marijuana pour le contrôle de la douleur est très important. Le Canada est en train de l'envisager.

Nous avons d'autres problèmes avec les drogues illicites, mais je suppose que vous les avez également aux États-Unis. Dans nos communautés autochtones, nous avons des problèmes de médicaments d'ordonnance prescrits et d'aspiromanie. Il y a un grand nombre de problèmes très graves. C'est le résultat des conditions sociales, notamment de la pauvreté et du chômage. Votre institut s'intéresse-t-il aux causes profondes de ces problèmes?

Au Canada, nous avons constaté une très forte augmentation du syndrome d'alcoolisme foetal et des effets de l'alcoolisme foetal sur les bébés. Cela aura un effet dévastateur sur l'avenir de nos deux pays. J'ai vu des documentaires américains qui montrent que vous faites face au même problème. Il n'y a pas seulement les bébés qui naissent avec le sida, il y a les bébés qui naissent avec le SAF ou les enfants qui sont victimes des EAF. Votre institut s'intéresse-t-il ne serait-ce qu'un peu à ce problème? Avez-vous fait des études là-dessus, notamment dans le domaine de la marijuana?

Oui, effectivement, l'ecstasy, l'héroïne et les autres drogues posent un grave problème. Au Canada et aux États-Unis, nous voyons nos populations décimées, ce qui est très grave. Nous en sommes arrivés au point où il y a d'importants problèmes de drogue dans les territoires, notamment au Nunavut. Il ne s'agit pas d'un problème américain, mais d'un problème nord-américain. Votre institut fait-il des recherches à cet égard?

M. Nadelmann: Vous posez de magnifiques questions, madame le sénateur. J'ai passé pas mal de temps à Vancouver. J'ai parlé au maire, au premier ministre et à des législateurs. J'ai visité le quartier est du centre-ville où les problèmes sont terribles. Je suis donc au fait de ce qui se passe du point de vue de toutes les parties prenantes au problème.

Vous avez parfaitement raison de dire que le syndrome d'alcoolisme foetal est dévastateur. Aux États-Unis, nous sommes obsédés par la question des bébés intoxiqués par le crack, et c'est tragique. Quand on examine les centaines d'études sur la cocaïne et la grossesse, on s'aperçoit que même si ce n'est pas une bonne chose de consommer cette drogue, les facteurs décisifs qui affectent la qualité de la vie des nouveaux-nés ont moins à voir avec la cocaïne qu'avec la pauvreté et le manque de soins prénatals. Il existe des éléments de preuve qui suggèrent que la consommation régulière de tabac pendant la grossesse est plus nocif pour le nouveau-né que la consommation de cocaïne par la mère, autrement qu'en doses massives.

Le fait d'avoir une mère héroïnomane ou cocaïnomane peut être nocif pour le foetus, mais la grande majorité des bébés intoxiqués au crack grandissent bien. On ne trouve rien qui ressemble au syndrome d'alcoolisme foetal avec la marijuana, la cocaïne ou l'héroïne consommée pendant la grossesse. C'est le syndrome d'alcoolisme foetal qui peut avoir des conséquences dévastatrices sur toute la vie. Aux États-Unis, certains États ont des politiques de criminalisation des femmes enceintes qui consomment des substances illégales, alors qu'il n'y a rien de ressemblant en ce qui concerne les femmes alcooliques.

Les enfants mis au monde par des mères qui consomment des drogues risquent de naître prématurément et avec un tour de crâne plus petit. Toutefois, s'il est soigné correctement après la naissance, un enfant de toxicomane n'est plus dépendant après quelques semaines. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne le syndrome d'alcoolisme foetal. Malheureusement, mon organisation ne s'est pas concentrée jusqu'à présent sur le problème de l'alcoolisme. D'autres organisations travaillent sur ce dossier. Nous avons l'intention de nous y intéresser davantage.

Dans le monde entier, les victimes d'abus dévastateurs de substances sont les populations autochtones, pour des raisons que nous ne comprenons pas totalement, mais qui sont probablement dues à la pauvreté et à la dislocation sociale. Il est important de reconnaître que la pauvreté seule n'est pas liée à l'abus de drogues. La dislocation sociale seule n'est pas liée à l'abus de drogues. C'est la combinaison de la pauvreté et de la dislocation sociale qui engendre des niveaux élevés d'abus de drogues.

Je connais bien les problèmes que vous avez dans vos territoires. Nous avons des problèmes semblables dans nos réserves améridiennes. On constate le même phénomène en Australie et dans d'autres régions du monde chez les peuples autochtones. Je ne connais pas la solution au problème. Je sais que certaines tribus ont adopté leurs propres lois d'interdiction.

Cette situation est lourde de conséquences, par exemple, des dizaines de personnes sont littéralement mortes de froid sur les routes en regagnant la réserve après avoir été dans un bar. Je sais que cela se produit au Canada.

Quand on parle de réduction des méfaits, on veut dire que même si les gens n'arrêtent pas de consommer des drogues, on essaie quand même d'en réduire les méfaits, par exemple en les faisant passer à des substances moins dangereuses. Il y a des gens et des organisations qui considèrent qu'aider les jeunes Autochtones à passer de l'essence à la marijuana, c'est un progrès, car l'essence peut entraîner des dommages cérébraux à long terme, alors que la marijuana est une drogue à problème mais qui ne cause pas ce genre de méfaits.

Il est intéressant de noter que la Native American Church est venue à bout du problème de l'abus d'intoxicants. Cette église chrétienne recourt à une drogue hallucinogène, le peyotl, dans le cadre de ses cérémonies. Il y a également des sueries et d'autres activités qui n'impliquent pas l'usage de drogues.

Il existe une forte tradition spirituelle, dont la pratique implique la consommation d'une drogue puissante, et qui semble être associée à des taux très faibles d'abus d'intoxicants par rapport à d'autres tribus, mais je ne sais pas si on obtient le même résultat avec le peyotl.

Il n'est pas possible d'importer ces produits. Il n'est pas possible de les prescrire. Je ne sais pas quelle solution on peut proposer face aux problèmes des Autochtones.

L'autre question que vous avez soulevée serait pour moi une bonne façon de conclure, car j'ai déjà longuement disserté sur la douleur. Appuyons-nous des recherches? Les seules que nous avons financées concernaient le traitement de soutien par l'héroïne. Nous le faisons, car le gouvernement américain refuse de financer la recherche sur des sujets controversés comme celui-là.

Nous avons organisé une conférence il y a quelques années. L'Académie européenne de médecine, deux grands hôpitaux et deux grandes écoles de santé publique - Yale et Columbia - ont participé pour discuter du traitement de soutien par l'héroïne. Les représentants du gouvernement ont eu peur de se montrer.

Nous avons lancé ces conférences il y a trois ans. Il s'agit d'un projet de recherche canado-américain. Il porte le nom de NAOMI, ou North American Opiate Medication Initiative. La prochaine réunion aura lieu demain à New York.

Nous avons fourni des fonds de mise en route pour des recherches dans le seul domaine du traitement de soutien par l'héroïne. Heureusement, un organisme de financement du gouvernement canadien a donné au projet NAOMI, qui est dirigé par Marty Schecter et Mike O'Shaugnesey du Centre d'excellence de la Colombie-Britannique sur le VIH/sida, la deuxième meilleure note de tous les projets médicaux qui avaient été soumis.

Cela va sans doute permettre de faire avancer les choses dans le domaine du traitement de soutien par l'héroïne à partir de Vancouver. Il y a des équipes à Toronto et à Montréal qui introduiront au Canada les bases de ce qui se fait en Suisse, en Espagne, aux Pays-Bas, en France et ailleurs.

La situation qui prévaut dans le quartier est du centre-ville de Vancouver est l'une des pires du monde. C'est la combinaison de consommation d'héroïne et de cocaïne par des gens qui se font des dizaines d'injections par jour et qui vivent dans de vieux hôtels sans installations adéquates. Comme le soutiennent les Hollandais, la solution, c'est en partie une politique sur les drogues judicieuse, l'accès aux soins médicaux, l'accès à des seringues stériles, une utilisation appropriée de traitements de soutien par la méthadone et la prescription de produits pharmaceutiques appropriés. Mais l'autre partie relève de la politique sociale. Je n'ai pas la réponse en ce qui concerne le quartier est de Vancouver. Mais je pense que des initiatives qui vont dans le bon sens sont prises à cet égard.

Si j'ai bien compris, les derniers sondages montrent qu'il y a une petite majorité de gens, aussi bien en Colombie-Britannique qu'au Québec, qui sont favorables à la légalisation du cannabis. La Colombie-Britannique est un grand producteur de cannabis. J'espère qu'elle donnera l'exemple en termes de politique nationale. J'espère que le Canada suivra le chemin tracé par les Suisses, les Hollandais, d'autres Européens et les Australiens. Et on peut espérer que les États-Unis se trouveront, à cause de leur politique, de plus en plus isolés.

Le sénateur Chalifoux: Je ne viens pas de Vancouver, mais je suis préoccupée par cette situation. Avez-vous entendu parler de la Poundmaker's Lodge et du Nechi Institute?

M. Nadelmann: Non.

Le sénateur Chalifoux: Les peuples autochtones ont lancé cela au début des années 70. C'est un projet qui est connu dans le monde entier parmi les communautés autochtones pour le traitement de l'alcoolisme et de la consommation de drogues. Nous éduquons au Nechi Institute les formateurs qui vont ensuite travailler au sein des communautés.

Je regrette que vous n'en ayez pas entendu parler. C'est le secret le mieux gardé du pays. Nous sommes allés en Australie et dans d'autres pays en parler. Nous sommes également allés aux États-Unis pour travailler avec des formateurs et des communautés autochtones et tenter de mettre fin à l'épouvantable tragédie que vivent nos nations. Je vous recommande fortement de communiquer avec Ruth Warren au Nechi Institute.

M. Nadelmann: Je n'y manquerai pas. Je n'ai pas beaucoup étudié le problème de l'alcool dans les communautés autochtones. Je travaille en collaboration avec un organisme de financement et je constate de plus en plus de propositions provenant d'organisations améridiennes qui essaient de s'attaquer au problème d'abus de drogues.

Le sénateur Chalifoux: Les Autochtones sont la population nord-américaine qui a la plus forte croissance démographique. Nous sommes aussi la population la plus jeune. Dans les cinq prochaines années 50 p. 100 de notre population aura entre 15 et 24 ans.

Je vous recommande fortement de vous intéresser à ces problèmes, car c'est très important. Les peuples autochtones ont commencé à s'y attaquer sérieusement en 1969.

M. Nadelmann: Je connais la situation en ce qui concerne l'alcool et les solvants. Quelle est la situation en ce qui concerne la marijuana dans les groupes autochtones?

Le sénateur Chalifoux: La situation est grave. Quand ils quittent la réserve ou des localités isolées pour aller vivre dans les centres urbains, cela devient grave, car les Autochtones sont tout de suite introduits à la marijuana. C'est une tragédie épouvantable.

Les médicaments d'ordonnance posent aussi de très graves problèmes. Comment faire face? Comment peut-on les empêcher d'obtenir des médicaments d'ordonnance et de les vendre? C'est ce qui se passe au sein des communautés.

M. Nadelmann: Les pourcentages d'abus sont parfois de l'ordre de 40 à 50 p. 100 chez les adolescents. Ils ne se contentent pas de faire des expériences, mais ils abusent de toute une gamme de substances dévastatrices.

Il faut essayer de réduire l'abus de substances psycho-actives. La réduction des méfaits est essentiellement une stratégie de repli. Je pense que dans les communautés où l'on consomme des substances dévastatrices, une approche possible serait d'examiner laquelle est la moins dangereuse.

On commence à voir aux États-Unis des communautés où les gens qui étaient accrochés à l'héroïne, à la cocaïne ou à l'alcool parviennent à se libérer de ces substances en se tournant vers la marijuana. C'est une chose remarquable. Nous l'avons constaté dans les clubs d'acheteurs de marijuana. Nous l'avons constaté dans tout un tas d'endroits. Et cela reste toujours anecdotique. Il n'existe pas d'étude approfondie sur la question. Je ne pense pas que le gouvernement américain soit intéressé à financer des études sur ce phénomène.

Le cannabis reste une drogue dangereuse. Si vous en fumez trop, elle peut être dangereuse pour vos poumons et vous désorienter. Toutefois, par rapport à toutes les autres substances, le cannabis est nettement moins dangereux que l'alcool, les solvants, la cocaïne ou l'héroïne.

Il vaut la peine de se tourner vers une stratégie de réduction des méfaits et d'essayer d'identifier la moins dangereuses des substances dans le cas d'une population qui semble incapable de vivre sans drogue.

Le sénateur Robichaud: Vous parlez de légaliser certaines drogues. Il y en a actuellement qui sont réglementées. Le sénateur Chalifoux parlait de l'alcool et de ce à quoi cela a abouti dans certaines communautés. On est en droit d'avoir peur. Vous dites que vous avez des enfants. J'ai des enfants et des petits-enfants.

Si nous ouvrons la porte à une consommation généralisée et que nous légalisons les drogues de manière à ce que tout le monde puisse les utiliser, cela ne fera qu'étendre le phénomène. En tant que parents, nous avons tendance à résister à ouvrir une telle boîte de Pandore, car on craint énormément que nos enfants ou quelqu'un que nous connaissons ne soient éventuellement pris dans la spirale.

Des gardiens de la paix sont envoyés dans les écoles pour donner leur version des faits. Toutefois, que fait-on pour fournir aux parents l'information appropriée une information qui fera taire leurs craintes de faire apparaître un nouveau danger qui risque d'être dévastateur pour leurs enfants?

M. Nadelmann: Tout parent souhaite mettre son bébé dans une bulle protectrice. Nous vivons dans un monde où l'on porte un casque quand on fait de la moto ou du vélo et une ceinture de sécurité en voiture. Quand j'étais petit, ma mère me mettait avec mes trois frères et soeurs à l'arrière de la familiale pour faire une promenade. Aujourd'hui on risquerait de se faire poursuivre pour violence envers les enfants si on faisait la même chose.

Nous craignons que ces drogues ne crèvent la bulle protectrice. En tant que parents nous entretenons les plus vastes illusions et souvent les plus stupides. Mon organisation préconise la légalisation du cannabis, mais pas la légalisation des autres drogues. Nous préconisons une réduction des méfaits et une approche qui prend en compte la santé publique à l'égard des autres drogues. Le cannabis pour les adultes devrait être taxé, réglementé et régulé. Les recettes devraient être consacrées à la sensibilisation des jeunes.

Quant à dire que la légalisation du cannabis ouvrira la porte, la porte est déjà grande ouverte. Près de 80 p. 100 des jeunes déclarent qu'ils peuvent s'en procurer. Leur frère aîné disait la même chose il y a cinq, 10 ou 15 ans. Ils diront la même chose dans cinq ans. Nous ne pouvons pas vraiment refermer la porte.

Nous vivons dans une société où les drogues sont omniprésentes. Elles sont en nous, elles sont autour de nous. Ma fille qui a 13 ans ne consomme pas de drogue. Je ne veux pas qu'elle consomme des drogues quand elle aura 16, 17, 18 ou 19 ans. Toutefois, si elle a le choix d'aller à deux partys et que dans un endroit, on fume de la marijuana et dans l'autre, on boit de l'alcool, je serais beaucoup plus préoccupé si elle allait là où on boit. Je ne pense pas pouvoir faire quoi que ce soit, en fin de compte, pour l'empêcher d'aller à l'une ou l'autre de ces partys.

En tant que parents, nous nous sentons obligés de protéger nos enfants et par conséquent, nous reconnaissons qu'ils sont déjà vulnérables et qu'ils nous échappent. Il se peut qu'il y en ait qui sont plus résistants que nous le pensons.

Le sénateur Robichaud: Je suis d'accord.

M. Nadelmann: Vous m'avez posé une question au sujet des parents. Socialement, plus les conversations sont ouvertes et honnêtes mieux cela vaut. On pense souvent que l'on ne devrait pas parler de la drogue. Notre gouvernement nous dit de parler de la drogue à nos enfants, mais il ne veut pas vraiment qu'on en parle; il veut que nous leur disions de ne pas consommer de drogues. Quarante à cinquante pour cent des parents de moins de 50 ans, au Canada et aux États-Unis, ont fumé de la marijuana quand ils étaient plus jeunes. Au Canada, entre 1 et 2 millions, et aux États-Unis entre 20 et 30 millions de personnes ont essayé le LSD ou d'autres drogues. Nous faisons tous des bêtises quand nous sommes jeunes. Nous pensons à celles que nous avons faites.

On a souvent l'impression que le seul message que l'on est autorisé à donner au sujet des drogues, c'est qu'elles sont dangereuses et que si vous en consommez, vous aurez des problèmes ou cela vous poussera à en consommer d'autres. Cette partie du message est vraie, mais ce n'est pas la seule chose qui soit vraie. Nos efforts pour que nos enfants respectent ce que nous disons au sujet des drogues sont minés par le fait que l'on ne dit qu'une partie de la vérité.

Le directeur de notre bureau de San Francisco publie une petite brochure qui s'appelle Safety First. Nous recevons des demandes de tous les États du pays et de certaines parties du Canada et même de parents qui vivent sur les bases militaires; tout le monde recherche une approche plus pragmatique de cette question. Tout le monde reconnaît qu'il faut que les choses soient simples, mais que faire quand on est confronté à des adolescents qui consomment des drogues? Comment peut-on communiquer honnêtement sur ce plan-là? Les parents ont besoin d'être informés. Si des parents pensent qu'une dose d'ecstasy provoque des dommages cérébraux pour le reste de la vie, alors ces parents ne peuvent pas prendre de décision éclairée. Il y a des choses que nous savons et des choses que nous ignorons au sujet de l'ecstasy, et il existe aussi des informations qui sont disponibles et qui ont du sens - il existe une grande différence entre consommer une ou deux pilules d'ecstasy une ou deux fois par an et en prendre quatre ou cinq pilules chaque week-end.

Si le gouvernement ne fait pas de distinction entre ces deux types de consommation de drogue, c'est comme si on disait qu'il n'y a pas différence entre boire un verre de vin ou deux bières et boire une bouteille de whisky. Le bon sens nous dit qu'il y a une différence. On voudrait que le message du gouvernement sur l'alcool fasse cette distinction. Nous devons faire la même distinction en ce qui concerne les drogues. Il faut être honnête.

En tant que parents, nous disons que l'ecstasy fera ceci et que la marijuana fera cela. Nos enfants regardent autour d'eux et se rendent compte que le message de leurs parents ne correspond pas à ce qui arrive à la plupart des gens qu'ils connaissent. Alors, où est notre crédibilité de parents? On parle de sensibiliser les jeunes à la drogue, mais il faut aussi éduquer les parents. Ce à quoi nous voudrions parvenir maintenant.

Le sénateur Robichaud: En tant que parents, il se peut que nous ayons un sentiment de sécurité mal placé. Nous savons que les drogues sont disponibles. Je viens d'un petit village du Nouveau-Brunswick, et il est manifeste que les drogues sont disponibles. Les gens ne croient plus qu'il est possible de vivre dans une société sans drogue. Il y en a qui fume de la marijuana tous les jours.

Plutôt que de dire simplement que nous devrions examiner plus attentivement les effets d'une bonne éducation, nos enfants seraient mieux protégés si nous faisions en sorte que l'information est fournie sur une base régulière et qu'elle est toujours disponible. Les parents doivent également comprendre cette information. Plutôt que d'agir ainsi, nous préférons ne pas ouvrir la porte. Le problème de la drogue existe, mais nous préférons penser qu'il est sous contrôle d'une façon ou d'une autre.

M. Nadelmann: Je pense qu'en fait, c'est dangereux. Si nous pensons que le problème est sous contrôle et qu'il ne l'est pas, ce qui est le cas actuellement, c'est plus dangereux. Ainsi, au Nouveau-Brunswick il doit y avoir des partys raves qui rassemblent les jeunes et où certains prennent de l'ecstasy. Les parents apprennent qu'il va y avoir une party rave. Quelle est la bonne réaction des parents vis-à-vis des adolescents qui vont à une rave? En fin de compte, la police réagira à ce que les parents feront. La police doit appliquer les lois, mais doit aussi faire face aux parents. Les parents doivent être conseillés, et souvent les policiers sont eux-mêmes des parents. Si vous entendez dire qu'il va y avoir une party rave samedi soir, vous pouvez demander à la police d'aller arrêter les jeunes ou d'y mettre fin. Quelle est la conséquence d'une telle approche? Cela signifie-t-il que les jeunes n'iront pas aux raves ou ne consommeront pas d'ecstasy, ou ne trouveront pas d'autre endroit pour le faire? Cet autre endroit peut très bien être plus dissimulé et plus dangereux.

J'ai assisté l'année dernière à une conférence à Belfast, en Irlande du Nord. L'Irlande du Nord connaît de nombreux problèmes, et les gens sont très préoccupés par la question de la drogue. Ils ont peur que les jeunes prennent de l'ecstasy, de la marijuana ou de l'alcool. On a discuté pour savoir si, quand on sait qu'un bar organise une rave, il est mieux que les transports en commun fonctionnent plus tard dans la nuit de manière à ce que les jeunes n'aient pas à prendre le volant. Les gens voulaient que l'organisateur de la rave soit obligé de vendre des billets comprenant le prix du transport pour ramener les jeunes chez eux à la fin de la nuit.

Ils voulaient aussi que l'organisateur soit tenu de veiller à ce qu'il y ait de l'eau en abondance sur les lieux. Quand on consomme de l'ecstasy, il est important de boire de l'eau; autrement, on risque la déshydratation. Ils voulaient assurer qu'il y ait un endroit pour que les jeunes puissent «se refroidir». En fin de compte, ils ne voulaient pas que les gosses consomment des drogues, mais ils savaient bien qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose pour les en empêcher. Après tout, comment peut-on savoir ce que font parfois les adolescents? Leur objectif, en tant que parents, était d'assurer que leurs enfants rentraient sains et saufs pendant la nuit.

On constate aujourd'hui que de plus en plus, les parents, particulièrement vu que de plus en plus de parents ont eux-mêmes consommer des drogues lorsqu'ils étaient plus jeunes, adoptent des stratégies plus pragmatiques.

La politique est toujours locale. Il y a un vieil adage: penser globalement, agir localement. D'une certaine façon, c'est dans les petites collectivités que l'on peut trouver les meilleures solutions. Une petite collectivité peut se concentrer sur le résultat souhaité plus efficacement, sans se laisser influencer par les agissements de la police fédérale. Je pense que cela revient à trouver une approche rationnelle vis-à-vis des questions difficiles.

Vous suggérez que les parents adoptent la politique de l'autruche, c'est-à-dire qu'ils se mettent la tête dans le sable, ne s'attaquent pas au problème et se contentent de prier ou de prétendre que les drogues ne sont pas disponibles. Toutefois, il se peut qu'il y ait moins de victimes, moins de gens qui meurent sur les routes et moins de gosses qui ont des ennuis si nous sortons la tête du sable et faisons face à la réalité.

Le président: Nous allons maintenant le grand plaisir d'accueillir le gouverneur Gary Johnson du Nouveau-Mexique. Il est bien connu pour ses efforts en matière de politique sur les drogues. Mes collègues et moi vous remercions d'avoir accepté notre invitation.

Le gouverneur Johnson est le premier gouverneur de l'histoire du Nouveau-Mexique à avoir été élu pour deux mandats consécutifs de quatre ans. C'est un homme d'affaires qui s'est fait lui-même, un père de famille et un triathlète accompli. Il a été élu la première fois 26e gouverneur du Nouveau-Mexique en 1994, et réélu en novembre 1998. Son mandat expire dans 14 mois.

Monsieur le gouverneur, vous avez la parole.

M. Gary E. Johnson, gouverneur, État du Nouveau-Mexique: Je suis accompagné aujourd'hui de ma femme, Dee. Je la remercie d'être à mes côtés. Personne ne pourrait m'épauler davantage. C'est une chose dont nous avons tous besoin dans la vie, et je l'apprécie. Nous avons deux enfants formidables. Un fils, Erik, qui est étudiant de deuxième année à l'Université de Denver; et aussi une fille, Seah, qui a reçu au printemps dernier son diplôme de l'Université du Colorado. De tous les 2 600 étudiants du Collège des arts et des sciences, Seah a été désignée comme la meilleure. Si je vous dis tout cela, c'est que j'espère que vous en conclurez qu'étant la père, je ne suis pas si bête que ça.

Comme le président l'a mentionné, je suis un entrepreneur. J'ai commencé en 1974 comme homme à tout faire et bientôt, avec ma femme, nous avons formé une entreprise qui, à l'époque, ne comptait que deux employés. Entre 1974 et 1994, cette entreprise a pris de l'expansion au point d'employer 1 000 personnes spécialisées dans le domaine de l'électricité, de la mécanique, de la plomberie et de la tuyauterie. Je suis une preuve vivante que, si vous êtes à l'heure et si vous en faites un peu plus que ce que vous avez dit que vous alliez faire, vous pouvez réussir.

Je suis également un athlète. J'ai 48 ans, et vous auriez du mal à trouver quelqu'un qui est en meilleure forme physique que moi. Je m'y emploie. Je me lève régulièrement avant 5 h le matin et je passe une ou deux heures à faire de l'exercice. Depuis que je suis gouverneur, j'ai participé deux fois au Triathlon Iron Man d'Hawaï. J'ai pour ambition d'escalader le Mont Everest quand j'aurai quitté la vie publique et de devenir champion de mon groupe d'âge dans le Triathlon d'Hawaï. C'est facile à dire; c'est moins facile à faire. Quoi qu'il en soit, c'est mon violon d'Ingres, et je suis très fier de la bonne forme physique qui est la mienne.

J'ai toujours pensé que la politique était une vocation et que cela vous permettait de vous faire du bien à autrui. J'en suis maintenant arrivé à la conclusion qu'en politique, la charge par excellence est celle de sénateur nommé à vie. C'est la charge par excellence en politique, parce que cela vous permet de vous occuper uniquement de faire ce qui est bien.

Il faut que vous sachiez qu'au Nouveau-Mexique, il y a 50 000 personnes qui n'hésiteraient pas à dire que je n'ai été qu'un fléau pour l'État. Je comprends cela. Étant donné que je n''avais pas fait de politique auparavant, je me suis présenté au Parti républicain deux ou trois semaines avant d'annoncer ma candidature. Je leur ai parlé de ce que j'avais en tête, et ils m'ont dit qu'ils m'aimaient bien, mais qu'il était impossible que quelqu'un qui n'avait pas fait de politique se fasse élire. En définitive, j'ai financé ma propre campagne lors des élections primaires. Je l'ai fait parce que j'étais persuadé d'avoir la vocation et parce que j'étais convaincu que c'était ce que je voulais faire dans la vie. J'ai été élu.

Pourquoi voterait-on pour quelqu'un qui n'a jamais fait de politique auparavant, quelqu'un qui promet de gouverner l'État avec bon sens, comme une entreprise, et qui promet aussi d'activer les choses pour résoudre les grandes questions de l'heure? Je pense qu'on vote pour quelqu'un comme ça, parce que cette personne a effectivement fait ce qu'elle avait promis de faire. En y réfléchissant bien, vous vous rendez compte qu'à un moment ou à un autre, cette personne va mécontenter tout le monde dans l'État. À cet égard, ma réussite à titre de gouverneur a été totale. J'ai effectivement mécontenté tout le monde dans l'État.

Moi, voyez-vous, je suis convaincu que les fondements des États-Unis sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur. J'ai décidé de me consacrer, en tant que gouverneur, à donner à tout le monde la possibilité de réaliser ce rêve américain; c'est-à-dire à donner à tout le monde le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.

Je suis pour un gouvernement restreint. Je suis pour des impôts moins élevés. Je suis en faveur de la devise: «Oeil pour oeil, dent pour dent». Si quelqu'un porte préjudice à quelqu'un d'autre, qu'il s'agisse d'un crime contre les biens ou d'un crime violent, il doit être puni. Je suis pour le droit de porter une arme. Je suis pour le droit de choisir que revendiquent les femmes. Je crois en la constitution des États-Unis d'Amérique. Je crois que quelqu'un qui travaille fort et qui est honnête devrait avoir la possibilité de faire son chemin dans la vie, mais pas aux dépens ni au préjudice d'autrui.

Aux États-Unis, il s'est passé des choses qui n'avaient absolument aucun sens. Avant que les États-Unis ne deviennent un pays, on y a en fait brûler des sorcières. Nous avons brûlé des gens à cause de leurs convictions religieuses. Peut-être est-ce une des raisons qui nous ont poussés à nous unir et à devenir un pays. Les femmes n'avaient pas le droit de vote. Dans un pays comme les États-Unis, comment a-t-on jamais pu refuser aux femmes le droit de vote? Comment a-t-on jamais permis l'esclavage aux États-Unis? Comment a-t-on jamais permis qu'après l'esclavage, la ségrégation soit autorisée aux États-Unis?

Rush Limbaugh, une personnalité bien connue aux États-Unis pour ses émissions-débats, a déclaré que la prohibition était la pire loi qui ait été adoptée au XXe siècle. Au XXe siècle, on a aussi connu la ségrégation et le refus du droit de vote aux femmes. En prenant ces deux choses-là en compte, M. Limbaugh a déclaré que c'est la loi sur la prohibition qui était la pire que l'on ait adoptée au XXe siècle.

Avoir permis à ces lois d'exister ne fait absolument aucun sens et pourtant, l'une d'entre elles existe encore aujourd'hui. C'est la loi qui traite de l'usage de drogues. Or moi, je pense que la guerre à la drogue a abouti à un échec absolument retentissant. Les gens me demandent pourquoi je parle de la drogue, alors qu'il y a tant d'autres questions importantes auxquelles nous sommes confrontés dans notre État et dans notre pays. Quand je constate que la moitié de l'argent que nous dépensons pour faire exécuter les lois, la moitié de l'argent que nous dépensons pour faire marcher les tribunaux et la moitié de l'argent que nous dépensons pour faire fonctionner les prisons est liée à la drogue, je sais que c'est là le problème le plus important auquel nous sommes confrontés aujourd'hui.

Aux États-Unis, nous dépensons chaque année 50 milliards de dollars à cause d'activités criminelles liées à la drogue. Cela comprend les dépenses du gouvernement fédéral et celles des États. Je suis impliqué dans l'attribution de certains de ces fonds au niveau de l'État. Aux États-Unis, les deux tiers des détenus sont incarcérés à la suite de condamnations ayant trait à la drogue. Près de 500 000 personnes, un quart de la population carcérale, sont en prison à cause d'actes liés aux drogues. Il en coûte aux États-Unis plus de 8,6 milliards de dollars par an juste pour garder enfermés des gens condamnés pour une infraction liée aux drogues. En dépit de toutes ces dépenses, les drogues illicites sont maintenant moins chères, plus disponibles et plus fortes qu'elles ne l'étaient il y a 20 ans. Se pose-t-il un plus gros problème aujourd'hui, lorsqu'on considère à quel point les drogues sont associées à pratiquement tout ce que nous faisons?

Les gens me disent que je ne transmets pas le message qu'il faudrait et que je devrais avoir honte. Eh bien, en ce qui concerne les drogues, voici mon message: Ne vous droguez pas. J'ai aussi un autre message à transmettre: Cessez de boire. À ceux qui boivent ici, j'aimerais dire que vous devriez considérer le dernier verre que vous avez bu comme effectivement le dernier. C'est un handicap incroyable, et c'est seulement lorsque vous avez arrêté de boire que vous vous rendez compte que c'est un handicap. Moi qui ne bois plus, j'ai eu la chance de comprendre à quel point c'était un handicap.

Je dis aux gens de ne pas se droguer, de ne pas boire, et je leur dis aussi de ne pas fumer du tabac. Fumer n'apporte absolument rien, mais évidemment, il y a toujours des gens qui fument. Quoi qu'il en soit, boire ou fumer, c'est une décision que chacun de nous doit prendre et avec laquelle nous devons vivre.

J'aimerais vous parler de ma propre expérience en ce qui concerne la drogue. J'ai régulièrement fumé de la marijuana pendant près de six ans. J'ai essayé la cocaïne en quelques occasions. Je ne fume plus de marijuana, je ne fais usage d'aucune drogue, je ne bois pas et je ne fume certainement pas du tabac, mais je comprends pourquoi les gens s'éclatent. Quand vous fumez de la marijuana la première fois, vous vous sentez bien. La première fois que vous prenez un verre, vous aimez bien la sensation que cela vous procure. Je comprends tout ça. Pendant un moment, j'ai fumé la cigarette. Je connais le frisson de plaisir que cela procure et je le comprends. Je comprends aussi le concept du rendement décroissant. Plus vous buvez, plus la sensation de bien-être que cela procure diminue avec le temps. C'est la même chose avec la marijuana, avec les drogues et avec le tabac.

Personnellement, j'en suis venu à comprendre comment m'éclater de façon naturelle, à être capable de me sentir vraiment bien, mais sans être sous l'influence de quoi que ce soit. J'y parviens en étant actif et en faisant un travail que j'adore. Ma tête peut fonctionner de toutes sortes de manières. J'ai eu beaucoup de chance.

Est-il quelqu'un, parmi les forces de l'ordre, les élus, les parents ou les enseignants qui transmet un message favorable aux drogues? Non, personne ne transmet un tel message en ce qui concerne les drogues et pourtant, 80 millions d'Américains ont fait usage de drogues illicites. En 2000, 54 p. 100 des jeunes qui ont obtenu leur diplôme d'études secondaires consommaient des drogues illicites. Je ne vois pas comment l'usage de ces drogues pourrait être plus répandu qu'il ne l'est à l'heure actuelle. Les gens me disent que je ne transmets pas aux jeunes le message qu'il faudrait. Toutefois, le message que je leur donne, c'est de ne pas faire usage de drogue, de ne pas boire et de ne pas fumer.

J'ajoute à cela que j'aime mes enfants et qu'à cause de cela, je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'ils ne souffrent d'aucun mal. Nous devrions dire la vérité à nos enfants à propos de la marijuana, nous devrions leur dire la vérité à propos du LSD et nous devrions leur dire la vérité à propos de l'héroïne, pour qu'ils soient moins susceptibles de faire des bêtises, au cas où ils se trouveraient quelque part où des drogues circulent. Nous pouvons nous cacher la tête dans le sable ou nous pouvons voir les choses en face et admettre que les enfants se mettent parfois dans des situations difficiles.

Les instructions que j'ai données à mes enfants sont d'abord, de ne rien consommer de tout cela, mais s'ils se retrouvent dans une situation où ils ont besoin de quelqu'un pour les reconduire, s'ils doivent prendre le volant et ne se sentent pas assez bien pour le faire ou s'ils sont censés monter dans une voiture conduite par quelqu'un en qui ils n'ont pas entièrement confiance, qu'ils m'appellent. J'irai les chercher parce que je les aime. Sans poser de questions. Si nous n'admettons pas que nos enfants font ce genre de chose, nous nous voilons la face. Nous voulons leur épargner tout mal. D'abord et avant tout, nous aimons nos enfants, et c'est cela qui nous importe.

Il y a des gens qui soutiennent que le nombre des décès dus à des overdoses vont monter en flèche, quand on leur parle d'une légalisation quelconque. J'ai été choqué d'apprendre qu'aux États-Unis, on estime que l'an dernier, le tabac a fait 450 000 morts. C'est ce que disent les gens qui luttent contre l'usage du tabac et ils ont la documentation pour prouver leurs dires.

On estime qu'aux États-Unis, l'an dernier, l'alcool a tué 110 000 personnes. Je ne parle pas de la conduite en état d'ébriété; je parle des effets nuisibles pour la santé de l'alcool. Je peux le comprendre. En outre, les médicaments d'ordonnance délivrés légalement ont tué l'an dernier 100 000 personnes. Les gens prennent trop d'aspirine. Cela arrive.

Plus tôt cette année, je me suis brisé le dos. J'ai pris du Percocet pendant environ 10 jours pour contrôler la douleur. Après 10 jours, j'ai arrêté de prendre ce Percocet, et j'ai vu à quel point les médicaments antidouleur sont insidieux. J'avais besoin de prendre du Percocet, mais après une ou deux semaines, je ne pouvais plus dormir et mes intestins ne fonctionnaient plus normalement. Je me suis demandé quelles seraient les conséquences si quelqu'un prenait du Percocet pendant des années. Ce que je veux dire, c'est que les médicaments d'ordonnance délivrés légalement tuent.

J'ai été choqué de découvrir que l'on estime à 10 000 le nombre de personnes que la cocaïne et l'héroïne ont tuées l'an dernier. J'ai été choqué de constater que ce chiffre était si modeste par rapport au 450 000 morts qu'a fait le tabac, au 110 000 morts qu'a fait l'alcool et au 100 000 morts dues à des médicaments d'ordonnance légaux. Aux États-Unis, on n'a enregistré aucun décès dû à la marijuana, pourtant, on peut bien présumer que quelques personnes en ont fumé au point d'en mourir. Les gens diront que s'il y a si peu de décès dus à la cocaïne et à l'héroïne, c'est à cause de nos politiques et à cause de la loi. Néanmoins, les overdoses font partie des effets de la prohibition, et c'est cela qu'il faut bien comprendre. On peut soutenir que s'il y a eu 10 000 morts, c'est parce que ces substances sont illicites. Elles ne sont pas contrôlées. Les gens ne savent rien à propos de la qualité ou de la quantité de ces produits, et à cause de cela, ils meurent. Si nous pouvions contrôler ces substances, nous pourrions faire baisser le nombre de ces overdoses.

La cigarette nous tue, l'alcool nous tue et les médicaments d'ordonnance légaux, lorsqu'ils ne sont pas pris comme il faut, nous tuent. L'héroïne et la cocaïne tuent également. Pourrions-nous faire quelque chose pour améliorer la situation? Oui, nous le pouvons. Rappelez-vous que la marijuana n'apparaît même pas sur la liste. Aux États-Unis, quand les gens sont arrêtés, c'est parce qu'ils possèdent laquelle de ces substances? Nous arrêtons 1,6 million de personnes par an. La population du Nouveau-Mexique est de 1,8 million d'habitants. J'habite le Nouveau-Mexique, un État gigantesque, et quand je m'y promène en voiture, je ne peux pas m'empêcher de penser que l'équivalent de la population du Nouveau-Mexique est arrêté aux États-Unis chaque année. C'est absolument choquant.

Sur ces 1,6 million d'arrestations, il y en a 800 000 pour possession de marijuana, et la moitié du temps, ce sont des Hispaniques qui sont arrêtés. Est-ce que la moitié des consommateurs de marijuana des États-Unis sont hispaniques? Non, pourtant on arrête des gens de façon disproportionnée parmi la communauté hispanique. Aux États-Unis, si une personne de couleur est arrêtée, elle court huit fois plus de risques qu'une personne de race blanche d'être envoyée en prison.

Dans l'état actuel des choses, que devons-nous faire? Premièrement, il faut légaliser la marijuana. Deuxièmement, il faut adopter des stratégies de réduction des méfaits en ce qui concerne toutes les autres drogues. Troisièmement, il faut passer d'une approche axée sur la criminalité à une approche de nature médicale.

Il ne sera jamais légal de vendre de la drogue aux enfants, et les enfants ne pourront jamais, non plus, prendre de la drogue légalement. Il ne sera jamais légal de prendre de la drogue et de porter préjudice à autrui, comme c'est le cas en ce qui concerne l'alcool. Si vous avez pris un verre de trop dans un bar, c'est vous qui l'avez décidé et c'est à vous de faire avec. Toutefois, cela devrait-il être un acte criminel? Je ne pense pas, à moins que vous ne vous mettiez au volant d'une voiture. À ce moment-là, vous franchissez la limite. Ce sur quoi nous devrions nous concentrer, ce sont les circonstances où la consommation d'alcool, de marijuana ou de toute autre sorte de drogue place une personne en position de porter préjudice à autrui ou de mettre quelqu'un d'autre en danger.

Aux États-Unis, on entend les responsables du dossier des drogues dire que la consommation a baissé de moitié depuis la fin des années 70. Ils disent que 11millions d'Américains ont cessé de consommer des drogues illicites depuis 1979. On en arrive à une situation absolument absurde. C'est vraiment faire insulte à l'intelligence des Américains lorsqu'on sait que 11 millions de personnes ont cessé de consommer de la drogue depuis 1979 et que pourtant, 20 millions de personnes ont été arrêtées aux États-Unis depuis 1979 également. On vient de faire le même sondage que celui qui avait été fait à la fin des années 70 pour demander aux gens s'ils fumaient du pot. Dans les années 70, les gens répondaient: «Eh bien oui, comme tout le monde, n'est-ce pas?» Aujourd'hui, lorsqu'on pose la même question aux gens, soit ils raccrochent, soit ils répondent que non, certainement pas, parce qu'ils se rendent compte qu'aux yeux du gouvernement, la chose est devenue beaucoup plus grave.

Selon moi, c'est absolument idiot. Au minimum, il faut que nous cessions de prendre des mesures de plus en plus draconiennes en ce qui concerne les drogues aux États-Unis. Il faut éliminer les peines de caractère exécutoire. Aux États-Unis, nous laissons sortir de prison des criminels violents pour faire de la place à des gens qui ne sont pas violents, mais qui ont été condamnés à des peines de caractère exécutoire à cause d'infractions liées à la drogue. Il faut que nous prenions des mesures draconiennes contre ceux qui se droguent et qui portent préjudice à autrui ou contre ceux qui se droguent et qui mettent les autres en danger. Les gens disent que la marijuana est une drogue d'introduction et que la légaliser poussera les gens à user de drogues plus dures. Aussi cavalier que cela puisse paraître, c'est comme dire que boire du lait rend alcoolique. Ce n'est tout simplement pas le cas. On peut arguer contre la légalisation de la marijuana, mais pas en prétendant qu'il s'agit d'une drogue d'introduction. Ce n'est pas une drogue d'introduction. Seul un sur 110 fumeurs de marijuana devient un consommateur régulier de cocaïne. La seule façon dont la marijuana peut être une drogue d'introduction est liée au fait qu'on ne peut l'acheter que sur le marché noir et que le revendeur a d'autres drogues à offrir. Moi, je dis que légaliser la marijuana fera justement et effectivement disparaître les facteurs qui peuvent en faire une drogue d'introduction à l'heure actuelle.

Le crack a fait son apparition et est passé de mode. On s'est rendu compte que c'était incroyablement dangereux, même s'il en circule encore. Pendant la prohibition, il y a des gens qui sont morts à cause de l'alcool qu'ils ingurgitaient. Il y a des gens qui sont devenus aveugles en buvant du gin fabriqué clandestinement ou de l'alcool de bois. Aujourd'hui, on se tue toujours en buvant, mais c'est beaucoup plus difficile. Nous sommes dans la même situation en ce qui concerne les drogues. Les problèmes qui viennent des abus ne disparaîtront jamais.

Les gens disent que légaliser la marijuana et appliquer des stratégies de réduction des méfaits en ce qui concerne toutes les autres drogues fera augmenter la consommation. Il y a une faille fondamentale dans ce raisonnement et dans ce que nous faisons aujourd'hui quand nous mesurons notre réussite à l'aune de la consommation. Imaginez que vous lisiez aujourd'hui dans le journal que la consommation d'alcool au Canada a augmenté de 3 p. 100 par rapport à l'an dernier. Qu'est-ce que vous penseriez tous? Personne ne s'en préoccuperait, car nous savons que la consommation d'alcool est cyclique. Elle augmente et elle baisse. Ce qui nous préoccupe, c'est de savoir qu'il y a plus ou moins de gens qui conduisent en état d'ébriété et si les maladies dues à l'abus d'alcool sont plus ou moins répandues. Les crimes contre les biens et les crimes violents associés à l'abus d'alcool sont-ils en hausse ou en baisse? Voilà ce qui nous préoccupe. Pourquoi ne peut-on pas appliquer les mêmes critères à la consommation de marijuana ou de n'importe laquelle de ces autres drogues? Pourquoi ne peut-on pas prendre pour critère la hausse ou la baisse des décès, des maladies et des crimes?

En général, on s'entend pour dire - et ce doit être le cas ici, au Canada - que les gens ne devraient pas aller en prison parce qu'ils fument du pot chez eux, en ne faisant de mal à personne, sinon à eux-mêmes. Il semble que l'on s'accorde pour dire que ce ne devrait pas être un acte criminel. Toutefois, ça l'est aux États-Unis, et 90 p. 100 de toutes les arrestations liées à la drogue ont pour chef uniquement la possession. On ment lorsqu'on dit qu'on n'arrête pas les gens uniquement parce qu'ils sont en possession de drogues.

Si vous demandez à un groupe de personnes qui estiment qu'il n'y a rien de mal à fumer de la marijuana si l'on devrait envoyer en prison quelqu'un qui vend de petites quantités d'herbe, quelques mains vont se lever. Demandez au même groupe si l'on devrait envoyer en prison quelqu'un qui vend de grandes quantités de marijuana ou d'autres drogues, et beaucoup de mains vont se lever. Comment le consommateur peut-il être moins coupable que le vendeur? Le vendeur réagit simplement au marché en fournissant le produit pour lequel il existe une demande. C'est vraiment hypocrite. Ce n'est pas la façon de régler ce problème.

Toute ma vie, j'ai cru que la pire chose que pouvaient faire les femmes enceintes, c'était de consommer de la cocaïne. Vous feriez mieux de ne pas me croire sur parole. En février dernier, l'American Medical Association a émis un avertissement à l'intention des femmes enceintes, leur disant de ne pas consommer de la cocaïne, que ce soit du crack ou de la poudre, à cause des terribles conséquences auxquelles serait exposé l'enfant à naître. L'American Medical Association ajoutait que ces conséquences n'étaient pas pires que celles de la consommation d'alcool et de tabac. Je ne cherche pas à légitimer la consommation de l'une ou l'autre de ces trois substances, mais dans quel cas enlève-t-on un bébé à sa mère à la naissance? C'est seulement lorsque la mère a consommé de la cocaïne qu'on lui enlève son bébé à la naissance.

J'ai lu récemment qu'une mère accrochée au crack, qui avait donné naissance à un enfant mort-né, a été condamnée à 25 ans de prison. Elle n'aurait pas dû consommer de la cocaïne, mais la façon dont elle a été traitée révèle notre hypocrisie. Il y a des mères qui fument régulièrement du tabac et qui donnent naissance à des enfants morts-nés. Il y a des mères alcooliques qui donnent naissance à des enfants morts-nés. Pourtant, on ne les condamne pas à 25 ans de prison. Je n'excuse pas la consommation de cocaïne. Je souligne seulement qu'en l'occurrence, c'est incroyable à quel point il y a deux poids, deux mesures.

Aux États-Unis, un étudiant qui a été reconnu coupable d'une infraction liée à la drogue, y compris la possession de l'attirail qu'utilisent les consommateurs de marijuana, se verra refuser un prêt. Au départ, je pensais que quelqu'un qui ne respecte pas la loi devrait faire face aux conséquences et qu'on devrait lui refuser le privilège de bénéficier d'un prêt étudiant. Par la suite, j'ai découvert qu'un étudiant reconnu coupable de viol, de meurtre, de vol à main armée ou de cambriolage pouvait obtenir un prêt. C'est de l'hypocrisie. Ce n'est pas transmettre le message qu'il faut.

Aux États-Unis, il va falloir que nous nous attaquions sérieusement au problème et que nous appliquions ces lois ou alors, que nous nous y prenions différemment. On pourrait, par exemple, faire subir à tout le monde un test de dépistage des drogues et mettre en prison toutes les personnes dont le test est positif et laisser partir les autres. Vous savez à quoi cela aboutira. Le système ne pourrait pas faire face aux quelque 40 millions de personnes dont le test serait positif ce jour-là. Nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de ce problème.

Si la marijuana était légalisée, je suis convaincu que, dans l'ensemble, la toxicomanie diminuerait. Lorsque j'ai commencé à me rendre compte que toute cette guerre à la drogue n'aboutissait absolument à rien et qu'il fallait chercher d'autres solutions, j'ai entendu des gens qui prétendaient que les choses allaient se passer comme en Hollande, où la consommation de drogue et le crime sont montés en flèche.

Au départ, j'ai cru ce que disait le gouvernement des États-Unis, qu'en Hollande, la consommation de drogue et le crime étaient montés en flèche. Ensuite, j'ai découvert qu'en Hollande, parmi les jeunes et les adultes qui font usage de drogues dures et de marijuana, la consommation équivaut à 60 p. 100 de ce qu'elle est aux États-Unis. Le taux des crimes violents représente 25 p. 100 du nôtre. Le taux d'homicides, 10 p. 100 du nôtre. Le taux d'incarcérations, 10 p. 100 du nôtre. À en juger par ce qui se passe en Hollande, nous devrions examiner leur système et voir si ce ne serait pas une solution de rechange possible. On peut avancer bien des arguments pour démontrer pourquoi ce qu'on fait en Hollande ne s'applique pas à la situation au Canada ou aux États-Unis, mais s'il en est un qui ne tient pas, c'est l'augmentation de la consommation ou du crime.

Au chapitre de la réduction des méfaits, la Suisse, qui a mis sur pied un traitement de soutien par l'héroïne, peut être citée en exemple. Les gens qui ont une dépendance à l'héroïne peuvent obtenir une ordonnance d'un médecin, se rendre dans une clinique et ingérer de l'héroïne en toute sécurité. Zurich a choisi de réduire le nombre des décès, des maladies et des crimes en fournissant des seringues propres, pour que les consommateurs n'utilisent pas des produits qui sont connus pour les tuer et pour qu'ils n'aient pas besoin de commettre des crimes pour financer leur dépendance.

J'ai rencontré le chef de la police de Zurich à Albuquerque en décembre dernier. Au début, il pensait que c'était de la folie, et que les décès, les maladies et les crimes monteraient en flèche. Tous ses collègues, parmi les forces de l'ordre, étaient d'accord avec lui. Il m'a confirmé, lorsque nous nous sommes rencontrés, que le nombre des décès, des maladies et des crimes avait considérablement chuté et que Zurich est aujourd'hui, à cause de ces politiques, un endroit où il est beaucoup plus agréable de vivre.

Tout représentant élu vous dira que dans sa circonscription, le problème que pose l'abus de drogues est le pire qui soit. Toutefois, l'abus de drogues n'est pas un phénomène isolé. C'est un problème qui existe partout. Statistiquement parlant, il est reconnu que dans le nord du Nouveau-Mexique, le problème que posent les overdoses à l'héroïne est pire que partout ailleurs dans le pays. Il y a plus d'un an, on a fait une descente dans le nord du Nouveau-Mexique et on a arrêté 289 revendeurs d'héroïne. Nous nous sommes dit que le week-end suivant, le nombre des overdoses à l'héroïne allait monter en flèche parce que les toxicomanes, incapables de se passer de leur fixe, iraient chercher ailleurs de l'héroïne d'une qualité et d'une force inconnues. C'est exactement ce qui s'est passé.

En réponse à mes arguments, j'entends tout le temps les gens me dire: «C'est la loi. Si telle est la loi, avons-nous le droit de ne pas la respecter? Et si nous ne respectons pas cette loi, cela veut dire qu'il n'y a pas de mal non plus à commettre un meurtre.»

Commettre un meurtre, c'est porter préjudice à autrui; cela restera toujours illégal. Il faut bien comprendre que ce que le gouvernement devrait empêcher, c'est le préjudice porté à autrui. Je pense qu'on peut faire une bonne comparaison avec la loi américaine sur le port de la ceinture de sécurité. Je présume que vous avez le même genre de loi ici, au Canada. C'est une loi qui permet de sauver des vies. Au Nouveau-Mexique, 94 p. 100 des gens respectent la loi sur le port de la ceinture de sécurité. Ceux qui ne la respectent pas ne vont pas en prison, mais ils peuvent écoper d'une amende.

Que se passerait-il si, au Nouveau-Mexique, seuls 40 p. 100 des gens respectaient la loi sur le port de la ceinture de sécurité? Est-ce que les législateurs, dans leur sagesse, pourraient décider de faire du non-respect de cette loi une infraction criminelle? Dans ce cas, à partir de quand? Est-ce qu'on modifierait la loi si 50 p. 100 des dépenses que nous devons engager pour la faire appliquer et faire fonctionner les tribunaux et les prisons étaient liés au non-respect de la loi sur le port de la ceinture de sécurité? J'espère bien. Et si quelqu'un qui a été arrêté trois fois parce que sa ceinture de sécurité n'était pas attachée tirait sur l'agent de police qui l'arrête une quatrième fois pour tenter d'éviter la peine de prison de 20 ans imposée par la loi fédérale dans ce cas? Est-ce que nous modifierions la loi à ce moment-là? J'espère bien.

Et puis, il y a les gens qui me répondent: «Je suppose qu'il n'y a pas de mal à prendre de la drogue et à aller piloter un avion de tourisme?» Ou «Je suppose que dans ces conditions, il n'y a pas de mal à prendre de la drogue même quand on fait partie des forces de l'ordre?» Non, ce n'est pas acceptable. Ces actes sont illégaux aujourd'hui et resteront toujours illégaux. Les membres des forces de l'ordre doivent se soumettre à des tests de dépistage des drogues.

Parmi les lois à prendre en considération pour encadrer une légalisation de la marijuana et des stratégies de réduction des méfaits en ce qui concerne toutes ces autres drogues, j'ose espérer qu'il y aura de nouvelles lois permettant aux employeurs de rejeter les consommateurs de drogue.

À titre d'entrepreneur en électricité, si je ne veux pas employer des gens qui prennent de la drogue, je pense que je devrais avoir le droit de les rejeter. On devrait donner aux gens la possibilité de choisir. Ils peuvent devenir astronautes ou ils peuvent fumer de la marie et être laveurs de vaisselle, mais je ne pense pas qu'ils devraient aller en prison à cause de la décision qu'ils ont prise.

Des gens m'ont dit: «Il y a des enfants qui vivent dans la plus abjecte pauvreté et vous voulez légaliser la marijuana et adopter ces autres stratégies. La marijuana se vend plus cher que l'or.» Les enfants qui se droguent, les enfants qui vendent de la drogue, les enfants qui transportent de la drogue - je pense que tout cela est le fruit de la prohibition. Il y a un marché noir sur lequel nous n'avons aucun contrôle. Nos lois donnent une deuxième chance aux jeunes, mais on les laisse se débrouiller avec tant des problèmes les plus lourds. De combien d'overdoses faudra-t-il que nous entendions parler dans les journaux? Combien de cambriolages sont commis à l'heure actuelle pour financer une dépendance à l'héroïne ou à une autre drogue? Je pense que l'interdiction des drogues est ce qui nous dévaste, pas la consommation, et que ce n'est pas un moyen de circonscrire le problème que pose la consommation de drogues.

Au début de cette année, au Nouveau-Mexique, nous avons introduit une série de réformes législatives. Nous avons présenté à l'assemblée législative du Nouveau-Mexique des projets de loi qui représentent de petits pas en avant. La promesse que j'ai faite aux habitants du Nouveau-Mexique était la suivante: «Si vous adoptez ces projets de loi, nous allons pouvoir faire quelques petits pas en avant qui, je vous le promets, feront chuter le nombre des décès, des maladies et des actes criminels et nous permettront d'injecter plus d'argent dans l'éducation et de consacrer plus de ressources au traitement des gens qui veulent se faire soigner.»

Vous pouvez être d'accord ou non avec ce que j'ai dit ici aujourd'hui, mais j'aimerais terminer en vous disant quels sont les sept principes auxquels je suis fidèle. Le premier, c'est voir la réalité en face. Sachez ce qu'il en est vraiment et basez vos décisions et vos actions là-dessus.

Le deuxième principe, c'est de toujours être honnête et de dire la vérité. Il est extrêmement difficile de faire du mal à quelqu'un qui accepte de dire la vérité, quelles qu'en soient les conséquences.

Le troisième, c'est de toujours faire ce qui est bien et juste. Plus vous en faites, plus vous êtes critiqué. Il faut apprendre à ne pas tenir compte des critiques et à continuer à faire ce qui, selon vous, est bien.

Le quatrième, c'est de définir votre objectif, d'élaborer un plan pour l'atteindre et d'agir. Ne remettez pas au lendemain.

Le cinquième principe, c'est de s'assurer que tous les gens qui devraient savoir ce que vous faites le savent. Il est important de communiquer.

Le sixième, c'est de ne pas hésiter à dire les choses telles qu'elles sont, même si ce n'est pas une bonne nouvelle. On peut toujours redresser la situation en temps et lieu. Tout ce qui peut être révélé éventuellement doit être révélé immédiatement.

Le septième principe que je respecte est d'être prêt à faire tout ce qu'il faut pour accomplir votre tâche. Si vous n'aimez pas assez votre travail pour faire ce qu'il faut pour accomplir votre tâche, alors, démissionnez et chargez-vous demain d'une tâche différente que vous aimerez accomplir.

Je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser à vous ici aujourd'hui. Je sais que vous êtes dans la même position que moi, et qu'il y a des choses qui vous mettent hors de vous. Nous sommes en position de changer les choses pour le mieux. Je pense que votre programme qui concerne l'utilisation de la marijuana à des fins médicales est un exemple pour les États-Unis, tout comme votre débat sur la décriminalisation de la marijuana. Vous nous montrez le chemin à suivre pour mettre en place une politique réaliste et rationnelle sur les drogues, et c'est ce qui m'a incité à venir ici aujourd'hui. Peut-être qu'en la matière, le Canada est le leader que peuvent suivre les États-Unis et dont ils peuvent s'inspirer. Je pense que nous considérons le Canada comme un frère et comme notre allié le plus proche. Vous avez l'occasion d'agir. Avec un peu de chance, nous l'aurons aussi, et d'autres suivront l'exemple que nous donnerons.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur. Vos propos ont été très encourageants. Nos réalités semblent être les mêmes.

Où en est la législation que vous avez adoptée? Pourriez-vous nous expliquer le processus? Quelles sont les probabilités de voir ces textes adoptés?

M. Johnson: Nous avons adopté un texte sur l'échange des seringues. Nous avons adopté un texte qui limite la responsabilité en ce qui concerne les agents antisurdose. Nous avons adopté un texte sur l'achat des seringues dans les pharmacies. Nous avons adopté un texte qui permettrait à des personnes reconnues coupables d'infractions graves de travailler sur des champs de course au Nouveau-Mexique. Tout cela va dans la bonne direction et montre que nous devons évoluer.

Dans ma vie, 80 millions d'Américains seront arrêtés, et peut-être plus, compte tenu du taux d'arrestations que nous connaissons actuellement et qui est renversant.

Que reste-t-il à faire? La marijuana à des fins médicales. Nous avons failli adopter le texte sur la marijuana à des fins médicales. Je suis optimiste et je pense que cela se fera à la prochaine session.

Nous avions un projet de loi qui décriminalisait vraiment la marijuana. L'infraction aurait été passible d'une amende, comme une contravention de stationnement. Il sera plus difficile de faire adopter ce texte. Il y a beaucoup d'hésitation par crainte d'une augmentation de la consommation et de donner aux enfants l'impression qu'il est normal de consommer la marijuana. Mais si nous ne parlons pas de la décriminalisation de ces substances, nos enfants finiront avec des casiers judiciaires et ne pourront pas profiter des possibilités qui leur sont offertes aux États-Unis.

Nous avons donné aux juges les moyens d'être indulgents. Nous avions un texte qui aurait éliminé les peines obligatoires et aurait donné une certaine discrétion aux juges. Nous avions un texte qui aurait éliminé les sanctions pénales ou qui aurait permis un traitement, même pour la vente de petites quantités de drogues. Cela s'étendait même aux vendeurs, ce qui me semblait très positif.

Nous avons adopté un texte sur les antagonistes d'opiacés qui limite la responsabilité de la police lorsqu'elle administre ces produits. À une réunion à laquelle j'assistais l'autre jour, quelqu'un a levé la main et a dit: «Vous savez, la Hollande est très différente des États-Unis car là-bas la police est de votre côté ou que vous alliez». J'ai répondu: «Eh bien, la police est votre amie partout où vous allez. La police nous protège. Elle est de notre côté.» Aux États-Unis, la police a été très critiquée surtout à cause des lois antidrogues. Je suppose que dans une certaine mesure, c'est la même chose au Canada. Nous avons adopté un texte qui limite la responsabilité pour l'administration des antagonistes d'opiacés. Il existe un médicament du nom de Narcan qui coûte 1,50 $. Si l'on injecte cette dose à 1,50 $ de Narcan à une personne victime d'une surdose d'héroïne, et qui a tout l'air d'être morte, c'est comme un miracle. Elle revient à la vie. On peut ainsi sauver des vies.

Imaginez la situation maintenant. La police arrive sur une scène de surdose. Tout ce à quoi les policiers peuvent penser, c'est: «Qui est coupable et qui pouvons-nous arrêter.» C'est ce qui se passe actuellement. Avec ce nouveau médicament, la première chose qui leur vient à l'esprit, c'est: «Nous allons sauver une vie.» Ce sera leur première réaction. Même les policiers en viendront à repenser leur rôle, c'est-à-dire sauver des vies et nous protéger.

Que se passera-t-il lorsque les usagers comprendront que la police peut sauver des vies avec ce médicament? Ils feront appel à la police car elle est de leur côté et elle sauvera des vies.

Ces petites mesures que nous prenons peuvent avoir une énorme influence. Au Nouveau-Mexique, nous prenons ces petites mesures dans le but de réduire la mortalité, les maladies et la criminalité et pour consacrer davantage de nos ressources à l'éducation et aux personnes qui souhaitent un traitement et en ont besoin.

Le président: Pouvez-vous expliquer quelle a été la réaction de vos collègues républicains, dans l'État et au niveau fédéral?

M. Johnson: J'ai constaté que la question n'a rien à voir avec le fait d'être républicain ou démocrate aux États-Unis. Cela n'est pas une question de parti. J'ai constaté que les républicains du Nouveau-Mexique n'ont pas peur d'aborder ce problème. J'ai parlé à une personne qui est candidat au Congrès dans le sud du Nouveau-Mexique et il m'a dit: «Je vais vous dire ce que vous savez sans doute déjà, les républicains conservateurs ne se dérobent pas devant cette question. Ils la comprennent.»

J'ose dire que c'est tout à l'honneur du Nouveau-Mexique d'avoir un débat beaucoup plus avancé sur la réforme de la politique antidrogue que dans n'importe quel autre État des États-Unis et d'avoir déjà fait de grands progrès. John Dendahl, qui est le président du parti républicain du Nouveau-Mexique, m'a beaucoup appuyé depuis le début. Il dirait ici la même chose que moi.

En tant que président du parti républicain du Nouveau-Mexique, il a fait l'objet de certaines critiques, tout comme moi. Notre principal critique, qui est un représentant républicain de l'État du Nouveau-Mexique, s'est présenté contre John Dendahl cet été pour la présidence du parti républicain du Nouveau-Mexique. Les républicains du Nouveau-Mexique sont comme les autres. Les républicains de base sont ceux qui viennent à la convention de l'État. Ils ont leurs convictions et ils discutent fort. À notre convention d'État cet été, ce sujet a évidemment été abordé. Il ne s'agissait pas de leur demander de soutenir la légalisation des drogues, mais d'entamer un dialogue. Cette personne a en fait distribué des stylos pendant la convention ayant la forme de seringues sur lesquels était écrit «Stick it to John.» C'était un acte très fort qui a été très remarqué.

John Dendahl a été réélu à trois contre un. Voilà ce qui s'est passé parmi les républicains du Nouveau-Mexique qui ont assisté à la convention et qui ont voté.

Au Nouveau-Mexique, nous avons fait beaucoup de progrès sur le plan de l'éducation et de la compréhension. Mais je ne pense pas qu'il y ait une division en fonction des partis, républicain ou démocrate. La compréhension de la question dépasse la ligne des partis.

Si je suis ici aujourd'hui, c'est que je suis en mesure d'avoir une influence. Nous donnons la priorité à des questions qui doivent être abordées, quelles que soient les conséquences politiques. Je n'ai que cette occasion d'agir. Je sais que vous pensez la même chose, sinon vous n'occuperiez pas les fonctions que vous occupez.

J'essaie de profiter au maximum de ma position, et il ne s'agit pas d'opinion publique. Je n'ai jamais tenu compte de l'opinion publique, sinon je n'aurais rien fait. Dès que j'ai commencé à parler de ce sujet, je savais que le public réagirait de façon extrêmement négative, et c'est exactement ce qui est arrivé. Mais c'était il y a plus de deux ans et demi. Je ne fais pas de sondages et je ne fonde pas mes décisions sur les sondages - cela doit être bien clair. Je suis prêt à parier que je quitterais mon poste avec une opinion publique beaucoup plus favorable que lorsque tout cela a commencé.

J'attribue ce changement au fait d'être allé parler aux gens et de solliciter leur participation. Ce n'est pas un sujet tabou au Nouveau-Mexique. À mon avis, il ne serait pas bon, politiquement, de refuser de discuter de solutions de rechange à la situation actuelle au Nouveau-Mexique.

Le président: Quelle est la réaction de la classe politique à l'échelle nationale? Je ne voudrais pas limiter la réponse aux républicains.

M. Johnson: Je me suis rendu compte d'un phénomène que vous connaissez certainement. Lorsque j'ai entamé cette démarche, je savais que je susciterais l'attention du pays. Je savais que je recevrais des télécopies, des lettres, des appels téléphoniques et des courriers électroniques. Je pensais que la réaction serait négative à 75 p. 100. Au début, j'ai reçu des opinions positives à 85 p. 100. Ce chiffre est maintenant à 98 p. 100.

Je reconnais également le phénomène de la minorité éclairée. C'est-à-dire que lorsque je participe à une émission-débat, le soutien est considérable. Je crois qu'il y a probablement près de 50 millions d'Américains qui sont d'accord avec moi dès le départ. Mais il y a tout un énorme segment de la population, qui par manque d'information sur le sujet, ne vient pas former une majorité.

Je crois savoir qu'en dehors du Nouveau-Mexique, notre approche est encore mal comprise. Une fois que les gens saisissent ce que nous cherchons à faire, c'est-à-dire réduire réellement la mortalité, les maladies et la criminalité, aider les gens qui souhaitent recevoir un traitement et réduire la corruption, qui est associée à l'interdiction, ils comprennent. L'interdiction n'est pas vraiment le problème. Ne faudrait-il pas plutôt penser en termes de toxicomanie et de méfait, d'une part, et d'absence de méfait, naturellement, et d'élimination des coûts associés à l'arrestation de 1,6 million de personnes par an?

Un sondage Gallup réalisé il y a environ six semaines aux États-Unis montrait que plus de 35 p. 100 des Américains croient que la marijuana devrait être légalisée. C'est le chiffre le plus élevé jamais enregistré depuis le début de ces sondages. Nous sommes encore loin des 50 p. 100, mais c'est très important. Je crois que c'est 10 p. 100 de plus qu'il y a quelques années.

Le sénateur Chalifoux: Merci beaucoup de votre présentation très intéressante. Je l'ai trouvé à la fois éclairante et encourageante.

Au Canada, le taux d'incarcération est énorme. Mais dans les pénitenciers et dans les prisons, le problème de la drogue est omniprésent. Quelles que soient les mesures prises, le problème est toujours là. Que savez-vous de la situation au Nouveau-Mexique en ce qui concerne la toxicomanie dans les prisons?

M. Johnson: La grande ironie, comme vous le montrez, madame le sénateur, c'est comment pouvons-nous éviter que les gens consomment de la drogue dans une société libre, alors que nous sommes incapables de l'éliminer de nos prisons? À ce que je sache, il n'y a qu'une seule prison aux États-Unis où il n'y a pas de drogue. Je parle de la Prison Marion. À quel prix pourrons-nous nous libérer de la drogue dans notre pays? C'est complètement fou.

La définition de la folie est de refaire toujours la même chose, en s'attendant pourtant à des résultats différents. C'est cela la folie. Nous continuons de refaire toujours les mêmes choses en croyant que demain le résultat sera différent. C'est évidemment impossible, comme vous le soulignez.

Le président: Monsieur le gouverneur, je vais vous poser une question dont je connais déjà la réponse. Mais j'aimerais que vous nous donniez votre réponse. Ma question concerne vos voisins, tant aux États-Unis qu'au Mexique. Je sais que vous faites partie d'un conseil de gouverneurs et j'aimerais que vous nous expliquiez de quoi il s'agit.

M. Johnson: J'ai placé cette question à l'ordre du jour de l'Association des gouverneurs de l'ouest des États-Unis. Cette association comprend tous les États à l'ouest du Mississippi. Je dois dire qu'ils ont fait de grands de progrès à ce sujet. Quand je parle de progrès, je veux dire que, premièrement, ils ont cessé de prendre des mesures de plus en plus rigoureuses. C'est un premier point. Ils reconnaissent également que l'on peut maintenant envisager sans danger, sur le plan politique, de traiter les personnes plutôt que de les emprisonner. Ils reconnaissent que l'on doit traiter le problème de la drogue comme un problème de santé plutôt que comme un problème de justice pénale.

J'ai fait cette même présentation aux gouverneurs des États de l'Ouest. Je dois vous dire que mes collègues ont fait beaucoup de progrès sur cette question. C'est très encourageant.

J'appartiens également à une association des gouverneurs frontaliers. Elle est composée de gouverneurs américains et de leurs homologues mexicains. Il y a neuf gouverneurs frontaliers au Mexique et quatre gouverneurs frontaliers aux États-Unis. Ils ont demandé que cette question de la drogue soit étudiée par une commission indépendante d'universitaires. J'ai proposé de mettre sur pied cette commission qui s'est déjà réunie. J'en attends de grandes choses. J'espère qu'elle conclura qu'il s'agit d'un problème de santé et non d'un problème de justice pénale. Ce problème est très important, compte tenu de notre frontière avec le Mexique. Nous avons une frontière militarisée avec le Mexique. Si elle est militarisée, c'est à cause de la drogue.

Au Mexique, les trafiquants ont compris depuis longtemps qu'un certain nombre de leurs expéditions de drogues serait intercepté. Ce ne sont pas les barons de la drogue qui font passer la drogue à la frontière, mais des mules. Pour les comptables de la drogue, c'est une formule mathématique selon laquelle un certain pourcentage sera intercepté et enfermé par les États-Unis, ce qui coûte très cher aux États-Unis et au Mexique. C'est un problème dont on ne parle pas.

Nous espérons faire de grands progrès sur la question de la frontière à la conférence des gouverneurs frontaliers. J'en attends de grandes choses. Nous avons beaucoup progressé à l'Association des gouverneurs de l'Ouest. Jane Hull de l'Arizona, la prochaine présidente, tient à ce que cette question reste à l'ordre du jour.

Le président sortant a tenu un sommet sur la drogue à Boise, en Idaho. Je tiens à vous dire que ce que j'ai dit ici aujourd'hui a déjà été dit par tous les gouverneurs de l'Ouest lors de cette conférence. Il y a eu un moment important lorsque les représentants de l'ONDCP des États-Unis, c'est-à-dire l'organisme national chargé de la drogue, ont parlé de la nécessité du traitement et ont dit que ce traitement devait aller de pair avec la justice pénale. Je ne suis pas d'accord, mais il semble bien que ce soit la première fois que nous faisons la différence entre le traitement d'une part et l'arrestation et l'emprisonnement, d'autre part.

Je suis ici aujourd'hui dans l'espoir que vous puissiez réaliser de grands progrès. Je continue de croire que c'est la question la plus importante à laquelle le monde est confronté aujourd'hui, mais nous faisons l'autruche.

Le président: Vous avez parlé de l'ONDCP. Quels sont vos liens avec ce bureau, qui est très puissant à Washington?

M. Johnson: Je trouve intéressant que Barry McCaffrey, qui rejetait totalement mes idées, discute avec moi. Je ne peux pas demander mieux que de voir Asa Hutchinson discuter avec moi. Nous allons avoir un débat la semaine prochaine à l'université Yale. C'est formidable.

Le président: Vous vous réjouissez de ce débat avec elle.

M. Johnson: Oui, et c'est positif. C'est positif car le dialogue semble entamé. Jusqu'à présent, ils ne voulaient même pas en parler.

Je suis du genre à considérer que le verre est toujours à moitié plein. Je considère toute avancée comme étant positive. Je considère que cette évolution est positive. A-t-on été assez loin? Non, mais c'est un début.

Le sénateur Robichaud: Je tiens à vous remercier d'être venu nous rencontrer, monsieur le gouverneur Johnson. Vous dites que vous avez ouvert le dialogue avec les Mexicains. C'est un grand progrès.

Où en êtes-vous dans les programmes de traitement pour la marijuana? Vous dites que les sondages d'opinion sont très positifs à l'égard du traitement - probablement 98 p. 100. Cela se fonde-t-il sur les différents programmes que vous avez mis en place ou cette opinion positive concerne-t-elle la légalisation?

M. Johnson: Non, ce n'est pas une opinion positive à l'égard de la légalisation. Au Nouveau-Mexique, nous avons commandé un sondage. Vous savez comment fonctionnent les sondages. Selon la question posée, il est possible d'obtenir une réponse favorable.

Nous avons commandé un sondage dont les questions étaient celles que nous voulions. Soixante-quinze pour cent des gens du Nouveau-Mexique ont été d'accord avec ce que nous leur proposions. Autrement dit, sans exception, ils étaient en faveur du traitement plutôt que de l'incarcération. Les réponses étaient positives à tous les niveaux - là encore, en posant les bonnes questions.

Lorsque j'ai dit que je vais quitter mon poste avec une cote de confiance, je parle d'une cote de confiance personnelle. Mais même ceux qui, au Nouveau-Mexique, ne sont pas d'accord avec moi sur cette question, semblent reconnaître que je me fonde sur des faits et que je suis honnête. C'est également un facteur.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'à un moment donné, nous allons adopter une politique rationnelle sur la drogue. La question est de savoir s'il faudra 10 ans ou 80 ans. J'espère que ce sera avant.

Je crois que l'opinion sur cette question peut basculer. Je parle sans arrêt à des groupes. Au minimum, les gens sont totalement opposés à l'idée au début, mais ils partent avec l'esprit plus ouvert. De nombreuses personnes m'ont dit qu'elles avaient vu la lumière. Elles comprennent ce que je dis et sont tout à fait d'accord.

C'est ce que j'ai constaté. Après avoir reçu un minimum d'information sur la question, les gens comprennent et en parlent à d'autres.

Le sénateur Wiebe: Je devrais connaître la réponse à cette question, mais malheureusement, ce n'est pas le cas. Disons, par exemple, que le Nouveau-Mexique adopte une loi de l'État qui légaliserait la marijuana à des fins médicales. Le gouvernement fédéral pourrait-il la neutraliser?

M. Johnson: Si je comprends bien votre question, le gouvernement fédéral peut-il neutraliser ce que fait l'État? Oui. Il peut faire appliquer la loi fédérale. Je crois savoir que la prohibition de l'alcool a pris fin lorsque l'État de New York a décidé de ne plus appliquer les lois sur la prohibition et de laisser ce soin au gouvernement fédéral. Compte tenu des ressources du gouvernement fédéral, ce fut la débâcle de la prohibition. C'est à ce moment-là que la prohibition de l'alcool a pris fin.

La même chose pourrait se produire dans n'importe quel État, mais le fédéral aurait-il les ressources nécessaires? Vous verriez que la plupart des lois d'interdiction finiraient par s'effondrer.

Le sénateur Wiebe: Je vous félicite de votre position et de ce que vous faites. J'étais à Washington en août 2001 avec un comité traitant de l'agriculture. Étant donné ce que nous faisons ici au sujet de la légalisation de la marijuana à des fins médicales, environ 30 des sénateurs s'y sont beaucoup intéressés. Ils nous ont posé des questions et semblaient très bienveillants, mais lorsqu'on leur a demandé si cela était envisageable aux États-Unis, ils ont rapidement répondu que non.

Selon eux, il était impossible que les États-Unis prennent cette direction. Les sénateurs eux-mêmes semblaient convaincus que l'utilisation de la marijuana à des fins médicales était la solution de l'avenir. Mais ils ne semblaient pas convaincus de pouvoir faire avancer les choses.

Le problème tient-il à un manque d'éducation? Nous autres qui occupons ces fonctions, nous disposons d'études et d'autres informations. Nous comprenons le grand intérêt qu'il peut y avoir à légaliser certaines choses. Le problème tient-il au fait que ce message n'est pas transmis à l'électorat? Peut-être devrions-nous faire davantage à cet égard?

M. Johnson: C'est la raison de ma présence ici. Vous-même, en tant que sénateurs nommés jusqu'à l'âge de 75 ans, vous avez un champ d'action incroyable. Aux États-Unis, ceux qui s'opposent à nous sont des d'élus qui craignent de ne pas être réélus s'ils changent quoi que ce soit au statu quo.

À mon avis, les représentants élus sont largement dépassés par la population, si celle-ci est en tant soit peu informée. Ils pensent qu'ils ne doivent rien faire parce que les gens ne le souhaitent pas. En fait, ce qu'ils craignent le plus, c'est de ne pas être réélus. C'est mon avis.

Si je suis ici aujourd'hui, c'est que vous avez une occasion extraordinaire d'être un chef de file mondial.

Le sénateur Wiebe: Lorsque l'étude indépendante que vous faites faire avec certains de vos homologues mexicains sera terminée, pourriez-vous nous en faire parvenir des exemplaires?

M. Johnson: Absolument. Tout a très bien commencé. Nous voulions faire appel à des universitaires indépendants. Je parle d'universitaires de tous les États. Là encore, tout s'est très bien passé. Nous vous enverrons les résultats.

Le président: Pour revenir à l'éducation de la population, est-ce probablement l'ingrédient manquant?

Peut-on dire que plus la population est sensibilisée au sujet, plus les politiciens, au niveau fédéral et de l'État, y réagiront? Dans ce cas, la guerre à la drogue, même si elle ne cesse pas, changera au moins de cap.

M. Johnson: Même au Nouveau-Mexique, depuis deux ans et demi, il y a des endroits où je ne suis pas allé. C'est le cinquième des 50 États en superficie. Je ne suis pas allé parler de la drogue partout. Il y a deux semaines, je suis allé dans le sud du Nouveau-Mexique où j'ai parlé à environ 400 élèves à Hobbs puis à 300 autres à Roswell.

À Roswell, tous les élus et de nombreux parents étaient présents, mais cette rencontre étant destinée aux enfants, ils ont été les seuls autorisés à prendre la parole. Ils ont parlé, mais le directeur a fait précéder la discussion de quelques mots, disant qu'il comprenait à quel point ce sujet était controversé et que certains parents ne tenaient pas à ce que ce débat ait lieu. Mais il a eu lieu. J'étais assis près d'un groupe d'enfants qui étaient des représentants élus de l'école - des leaders. Cela a duré plus de deux heures et demie. Nous avons eu des discussions, des débats et des questions. La jeune fille assise à côté de moi, qui avait 17 ans - une latino-américaine - s'est tournée vers moi vers la fin et m'a dit: «Je n'aurais pas pu être plus opposée aux drogues en venant ici. Mais je pars avec l'esprit complètement ouvert à ce sujet. Je ne croyais pas que j'aurais pu changer à ce point.»

C'est là mon expérience. Ces 300 enfants et les 400 d'avant répondront aux questions de leurs parents. Qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes, c'est une question d'éducation. Les gens partent avec des réponses. Ils ont reçu de l'information et comme je l'ai déjà dit, l'opinion sur ce sujet peut basculer n'importe quand. Si les gens sont informés, ils comprennent - il ne faut pas grand chose. Il ne faut pas des semaines ou des années, seulement quelques minutes.

Le président: La question à un million de dollars est la suivante: quel accueil réservera le gouvernement américain aux mesures que pourrait prendre le Canada dans ce domaine? Supposons que nous suivions votre suggestion et que nous fassions notre travail. Comme je l'ai dit au début de nos audiences, nous en sommes à l'étape de l'acquisition des connaissances. Après quoi, nous entamerons le dialogue avec les Canadiens.

M. Johnson: Encore une fois, si je suis ici, c'est que vous avez la possibilité d'agir. Si vous allez de l'avant, et oubliez les politiciens un instant, 50 millions d'Américains sauront immédiatement ce que vous avez fait et ils vous applaudiront. Cent millions d'Américains supplémentaires se demanderont ce que peut bien faire le Canada à légaliser la marijuana. Ils comprendront ce que vous avez fait et, à mon avis, vous changerez l'opinion publique de la majorité aux États-Unis.

Comme vous le savez sans doute, aux cours des derniers mois, la Grande-Bretagne a cessé d'appliquer les lois sur la possession et la vente de la marijuana. On se concentre plutôt sur les drogues dures et, si en agissant contre les drogues dures, on tombe sur de la marijuana, on applique la loi. En réalité, on a cessé de faire appliquer les lois sur la vente et l'utilisation de la marijuana.

Les États-Unis ne comprennent pas cela. On en revient donc au Canada et à l'occasion d'agir dans le bon sens et d'influencer l'Amérique. Il est possible que les Américains soient scandalisés pendant quelques semaines, mais cela provoquera un débat houleux et l'opinion publique, à brève échéance, changera, car il s'agit d'une politique fondée sur des faits, sur des recherches scientifiques et qui relève du bon sens.

Le président: Je ne voudrais pas vous laisser partir sans vous parler des Autochtones. Je sais qu'au Nouveau-Mexique, une importante partie de votre population est autochtone. Vous avez entendu les questions que ma collègue, le sénateur Chalifoux, a posées à M. Nadelmann aujourd'hui. Que pensez-vous du problème de la drogue et de la toxicomanie dans votre État? Que fait-on à ce sujet? Je crois savoir que cela relève en grande partie des politiques fédérales.

M. Johnson: Je déteste dire qu'un groupe a un problème plus grave qu'un autre. Tout comme chaque ville a le pire problème de drogue au monde, chaque ethnie a le pire problème de drogue par rapport à une autre. C'est un fait. Nous avons souvent tendance à catégoriser les Autochtones comme des gens qui ont un problème de drogue. Nous avons tendance à supposer que quiconque use des drogues a le même genre de problème, alors qu'en fait, il peut s'agir de personnes très intelligentes qui sont au summum de leurs compétences professionnelles, mais qui consomment de la marijuana. Évidemment, je n'approuve pas la consommation de marijuana. Il serait préférable qu'ils n'en consomment pas, mais le fait est que même les meilleurs utilisent des drogues.

Comment remédier aux véritables problèmes de la toxicomanie? Comme je l'ai dit auparavant, 90 p. 100 du problème de la drogue est dû à mon avis à l'interdiction. Ce n'est pas que je ne reconnaisse pas les problèmes associés à l'utilisation des drogues et à la toxicomanie. Mais si nous consacrions toutes nos ressources au traitement des gens qui ont des problèmes, ne ferions-nous pas un meilleur travail?

Le modèle de traitement que nous avons aux États-Unis est un modèle de traitement forcé. C'est peut-être le cas ici aussi jusqu'à un certain point. Si l'on vous arrête pour usage de drogue - possession et usage d'un narcotique, vous avez un choix: vous pouvez aller en prison ou obtenir un traitement. C'est tout. Dans ces conditions, le traitement ne donne aucun résultat. Nous devons réaffecter nos ressources pour offrir de l'aide à ceux qui en ont besoin - qu'ils soient autochtones ou autres. Nous aurions les ressources nécessaires. Nous aurons toujours les problèmes.

Le sénateur Chalifoux: J'aimerais répondre à ce que vous avez dit. Les Autochtones, surtout aux États-Unis, sont un peuple conquis. Ils ont vécu de cette façon pendant très longtemps. Au début des années 70, lorsque nous étions à Denver, au Colorado, pour la conférence sur les communications autochtones, il y a eu une occupation du Bureau des Affaires indiennes de Washington. J'ai demandé à un jeune homme pourquoi il faisait cela, car au Canada, on négocie et les choses ne vont pas si mal. Il m'a répondu qu'il préférerait mourir en se battant plutôt que de voir son peuple mourir de faim. Il venait d'une réserve de l'État de Washington.

Aux États-Unis, les réserves sont très différentes de celles d'ici. Relèvent-elles d'une loi fédérale ou d'une loi de l'État? Les questions de stéréotype et d'éducation sont importantes. Je trouve que nous sommes bien cachés au sein des énormes populations de notre pays. J'aimerais vos observations à ce sujet, s'il vous plaît.

M. Johnson: Je suis un partisan convaincu de la souveraineté des Indiens, car je crois que les nations indiennes des États-Unis - les pueblos et les réserves au Nouveau-Mexique sont au nombre de 23 - sont souveraines. Elles bénéficient de possibilités considérables, compte tenu de leur statut. Mais elles n'en profitent pas. J'ai essayé de contribuer à leur montrer que cela pouvait être un avantage.

Il y a la compétence fédérale, la compétence de l'État et la compétence souveraine. Nous avons fusionné les trois compétences.

Le sénateur Chalifoux: Avez-vous tenté de le faire?

M. Johnson: Absolument.

Le sénateur Chalifoux: Comment cela se passe-t-il?

M. Johnson: J'ose dire que j'ai fait plus de progrès que n'importe quel autre gouverneur dans l'histoire de l'État.

Le président: Certaines réserves importantes chevauchent d'autres États. Comment travaillez-vous avec vos collègues des autres États?

M. Johnson: Là encore, je parlerais ici de possibilités plutôt que de problèmes.

Le président: Votre côté optimiste du verre toujours plein.

M. Johnson: Il y a un côté positif à la souveraineté. C'est que les tribus indiennes et les pueblos du Nouveau-Mexique ont la possibilité de résoudre des problèmes à l'échelle nationale en raison de leur statut particulier.

Le sénateur Chalifoux: C'est la différence entre le Canada et le Nouveau-Mexique.

M. Johnson: Vous devez bien comprendre que ce ne sont pas tous les gouverneurs qui comprennent la souveraineté ou y croient de la même façon que moi.

Le président: Monsieur le gouverneur, avant de vous laisser partir, je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation. Vos commentaires seront très importants pour nos futurs travaux. Notre attaché de recherche et son équipe auront d'autres questions à vous poser. Je vous écrirai pour obtenir vos réponses. Je suis convaincu que je recevrai des réponses favorables à ces questions.

M. Johnson: Merci beaucoup. Vous avez tous là une belle occasion.

Le président: Encore une fois, M. Nadelmann a la parole. Voulez-vous réagir à ce qu'a dit le gouverneur Johnson?

M. Nadelmann: Le Centre Lindesmith travaille en étroite collaboration avec le gouverneur Johnson au Mexique. Nous avons ouvert un bureau là-bas en réaction à sa courageuse position en faveur d'une réforme. Nous travaillons là-bas dans tous les domaines, que ce soit l'éducation du public ou l'interaction avec les médias afin de dépasser l'aspect bipartisan et ne pas se laisser emprisonner par les politiques partisanes. Actuellement, nous venons d'engager un lobbyiste qui travaillera sur ce dossier et nous nous organisons au niveau communautaire.

Peu de politiciens ont eu le courage de s'exprimer comme l'a fait le gouverneur Johnson ou comme l'ont fait le maire Kurt Schmoke de Baltimore et le maire Rocky Anderson de Salt Lake il y a quelques années. Nous nous mettrons au service de ces chefs politique et essaierons de les aider autant que possible. Je suis très heureux de ce que fait le gouverneur Johnson.

Le président: Le gouverneur Johnson a parlé des États voisins et de leur réaction. Quelle est l'évolution des esprits dans le monde politique de ces États voisins? Commençons par les États de l'Ouest.

M. Nadelmann: Il est essentiel de comprendre qu'aux États-Unis - et je ne sais pas si la même chose est vraie au Canada - presque toutes les réformes commencent normalement au niveau de l'État et au niveau local et finissent par émerger au niveau national. Le dernier endroit où vous verrez un changement important aux États-Unis, c'est le Congrès.

Le sénateur Wiebe a demandé au gouverneur Johnson où en était la question de l'utilisation de la marijuana à des fins médicales. Les sondages montrent que 70 p. 100 des gens ou plus croient maintenant que la marijuana devrait être légalisée à des fins médicales. Une de mes fonctions est de trouver un financement pour cette activité. Chaque fois que nous avons organisé un vote pour permettre aux électeurs de se prononcer à ce sujet, dans tous les États, c'est-à-dire Californie, Arizona, Alaska, Washington, Oregon, Colorado, Nevada, Maine et Washington, D.C - nous avons gagné à chaque fois. Nous gagnerions probablement dans tous les États, sauf quelques-uns. Pourtant, le Congrès est toujours contre.

Il y a quelques semaines, des agents fédéraux antidrogue ont fait une descente dans un club vendant de la marijuana à usage médical. Le Congrès sera le dernier à changer. Une partie de l'opposition au Congrès est à certains égards analogue à celle qui a rejeté les droits civiques aux États-Unis dans les années 60. Une majorité d'Américains étaient favorables aux droits civiques, mais un grand nombre de législateurs de certains États, asservis à des groupes ségrégrationnistes, refusaient d'aller plus loin. C'est la même chose. Nous voyons un certain nombre de législateurs influents qui sont * légalement asservis + à une minorité d'organisations fanatiques antimarijuana. Ils exercent leur influence au Congrès et créent des obstacles au niveau fédéral.

C'est en réalité au niveau de l'État et au niveau local que les choses se passent, mais cela varie d'un État à l'autre. Dans certains cas, comme je l'ai dit, il s'agit d'un leadership politique, par exemple les maires Schmoke ou Anderson ou le gouverneur Johnson. Parfois il s'agit d'une collectivité, comme celle de San Francisco-Berkeley-Oakland, qui est très progressiste. Parfois, c'est un groupe important dans une législature d'État. Par exemple, au Connecticut ou en Californie, un nombre remarquable de législateurs d'État siégeant à différents comités sur la santé, la justice pénale et autre, sont favorables à une réforme. C'est ainsi que l'on obtient une masse critique qui nous appuie.

À Seattle et dans l'État de Washington, il existe probablement une plus grande diversité et une meilleure compréhension des réformes des politiques antidrogues que n'importe où ailleurs aux États-Unis. En Arizona, nous avons organisé un vote en 1996. Nous en organiserons probablement un autre en 2002. Le gouverneur Johnson a parlé de la gouverneure Hull et de la possibilité d'un changement d'opinion de sa part. C'est significatif.

La plus grande opposition se situe dans le Sud, c'est-à-dire en Alabama, au Mississippi et en Georgie. Nous ne voyons guère d'impulsion de réforme dans ces États. Mais nous avons organisé des sondages d'opinion publique sur la question du remplacement de l'incarcération par un traitement. En Californie, nous avons obtenu 61 p. 100 des voix, malgré l'opposition de la plupart des corps de police et du milieu politique. Nous avons organisé des sondages en Floride et en Ohio - dont on pourrait penser qu'ils sont plus conservateurs que la Californie. Pourtant, notre sondage montre que les opinions favorables à l'incarcération dans les centres de traitement sont tout aussi nombreuses dans ces États qu'en Californie. Nous espérons voir des réformes importantes même dans ces États.

La prochaine récession économique et les déficits budgétaires vont donner lieu à de nouvelles alliances intéressantes entre les conservateurs partisans de réduire les coûts et les libéraux. Ils comprendront que des compromis sont à faire et que l'on peut économiser des milliards de dollars en mettant fin à l'incarcération des délinquants non violents poursuivis pour possession de drogue et en assouplissant la lutte contre la marijuana. Tout cela est très localisé.

Le président: Vous venez de parler de l'aspect budgétaire ou financier. Pouvez-vous nous donner une idée de l'ensemble des activités fédérales, non seulement la guerre à la drogue, mais également les politiques sur la drogue, au pays et à l'extérieur?

M. Nadelmann: En 1980, le gouvernement fédéral a dépensé environ 1 milliard de dollars US pour la guerre à la drogue. Cette année, cela se situe légèrement en dessous de 20 milliards de dollars, dont environ les deux tiers sont consacrés aux programmes d'application de la loi et à l'interdiction internationale, et un tiers à la prévention et au traitement. La partie internationale ne représente guère plus de quelques milliards de dollars. Nous consacrons des centaines de millions à surveiller les sources en Amérique latine et ailleurs sans guère de résultat. L'élément interdiction - c'est-à-dire les montants qui sont affectés à la Garde côtière et aux militaires - représente peut-être quelques milliards de dollars, mais c'est de l'argent jeté par les fenêtres.

Ce que nous savons, et les économistes le montreront, c'est que la simple interdiction assortie d'un minimum d'application de la loi font augmenter considérablement le prix des drogues aux États-Unis. Alors que si on double, triple ou quadruple les dépenses consacrées à la Garde côtière ou aux militaires, pour des missions d'interdiction, il n'y a pratiquement aucun effet sur le prix des drogues illégales aux États-Unis. Cela est de plus en plus évident.

À la fin des années 80 et au début des années 90, les militaires ont en fait résisté à une augmentation des fonds dans ce domaine, en disant que cela ne correspondait pas à leur mission. Mais le Congrès a insisté pour qu'ils acceptent ces fonds et fassent davantage, malgré les indications déjà évidentes sur le plan économique que cela n'aurait aucun effet. N'oubliez pas que les gouvernements locaux et les États dépensent beaucoup plus d'argent pour la lutte antidrogue locale que le gouvernement fédéral.

Le sénateur Wiebe: L'État de Californie a fait un travail considérable pour sensibiliser les jeunes aux dangers de la cigarette. Si j'aborde ce sujet, c'est que nous avons récemment eu un débat ici au Sénat qui a conduit à l'adoption d'un projet de loi, qui a d'ailleurs eu l'appui de tous les fabricants de cigarettes. Dans ce projet de loi, il était exigé qu'un certain pourcentage du prix des cigarettes soit consacré à un fonds indépendant qui servirait uniquement à sensibiliser les jeunes et à les empêcher de commencer de fumer et pour ceux qui avaient commencé, à les inciter à cesser. La question est maintenant de savoir si le texte sera accepté par la Chambre.

A-t-on organisé une campagne publicitaire sur les drogues semblable à ce qui a été fait en Californie pour la cigarette? Dans ce cas, quels sont les résultats de cette campagne?

M. Nadelmann: La réponse est «oui.» Nous avons lancé à la fin des années 80 le Partenariat pour une Amérique sans drogue, qui a recueilli des milliards de dollars pour promouvoir des messages antidrogues. Ces dernières années, le gouvernement fédéral a apporté un financement de contrepartie de quelque un milliard de dollars par an. Aux États-Unis, nous organisons d'importantes campagnes de publicité et des promotions contre la drogue.

Malheureusement, l'action du partenariat semble avoir été limitée. Le Partenariat pour une Amérique sans drogue a été financé au départ dans une large mesure par les compagnies de boissons alcoolisées, de tabac et de produits pharmaceutiques afin de cibler la marijuana. Cela a donné l'impression qu'il ne s'agissait pas d'un effort réellement légitime. Ces dernières années, le Partenariat pour une Amérique sans drogue s'est abstenu d'accepter l'argent des compagnies de boissons alcoolisées et de tabac. Je crois que les compagnies pharmaceutiques sont les principaux bailleurs de fonds. Bien qu'on l'ait encouragé à se concentrer davantage sur les problèmes de l'alcoolisme ou du tabac, le Partenariat a semblé vouloir continuer à cibler la marijuana.

Pour ce qui est de l'évaluation de son incidence, les résultats semblent mitigés. Bien des gens croient, et peut-être à juste titre, que l'incidence est minime sur la consommation. On diffuse un message antidrogue général, mais rien n'indique une relation entre le montant d'argent investi et la diminution ou l'augmentation de la toxicomanie.

En ce qui concerne les succès de la Californie avec la taxe sur la cigarette, nous envisageons actuellement la possibilité d'autres initiatives s'inspirant de ce modèle, par exemple une taxe sur le tabac ou l'alcool, dont les fonds serviraient à promouvoir une prévention de la toxicomanie visant la réduction des méfaits et les traitements.

Cela soulève un aspect intéressant. Une grande partie du succès de la Californie n'est pas attribuable uniquement à la publicité, mais également à l'augmentation de la taxe. Un certain nombre d'indications montrent que la principale mesure que peuvent adopter les gouvernements pour réduire la consommation de cigarettes chez les adolescents est de hausser la taxe et donc le prix des cigarettes. Cette méthode semble plus efficace que presque toutes les campagnes publicitaires. Les campagnes éducatives peuvent avoir une influence, mais la plupart des études que j'ai vues indiquent que le prix a un effet plus marqué que les restrictions sur les heures et les lieux de vente ou que les messages publicitaires et le reste.

Pour revenir à la question de la légalisation ou non de la marijuana, on doit se demander si au lieu de consacrer des milliards de dollars à l'interdiction de la marijuana, qui n'en a pas réduit la disponibilité, comme je l'ai déjà dit, nous ne devrions pas tenir compte de la plupart des études qui montrent que, selon les jeunes, la marijuana leur est plus facilement accessible que l'alcool. Par conséquent, il serait sans doute beaucoup plus utile, tant par l'utilisation efficace des ressources du gouvernement, l'utilisation plus efficace des impôts et une réduction plus efficace de la toxicomanie chez les jeunes, de traiter le cannabis comme une substance légale pour les adultes puis d'organiser une campagne publicitaire et d'affecter ces ressources à l'élaboration d'une politique fiscale rigoureuse et à une campagne d'éducation des jeunes.

Le sénateur Wiebe: En fin de compte, la cigarette est une drogue. Nous l'avons légalisée. Ce sont les usagers qui paient pour les campagnes publicitaires. Ce pourrait être un bon argument, comme vous le dites, pour la légalisation de la marijuana.

M. Nadelmann: Je suis d'accord.

Le sénateur Wiebe: Ce faisant, le prix diminue. Pourtant, ce prix inférieur, auquel s'ajoute une taxe consacrée à la publicité, ne coûterait rien au trésor fédéral.

M. Nadelmann: Si vous y pensez bien, nous sommes beaucoup plus honnêtes quand nous parlons de la cigarette. Autrement dit, ce que nous savons de la cigarette, c'est que si vous fumez un paquet de cigarettes, vous deviendrez dépendant une fois sur deux. Ce n'est pas le cas de la marijuana, même si c'est ce que nous disons aux enfants.

De même, le risque de mourir d'une maladie liée à la cigarette est d'environ un sur trois si l'on fume régulièrement toute sa vie. Avec la marijuana, il n'y a jamais eu de décès par surdose, et le pourcentage des fumeurs de marijuana qui fument suffisamment pour contracter une maladie des poumons est très faible. Une cigarette de marijuana peut contenir autant de carcinogènes que trois ou quatre cigarettes, mais le fumeur de cigarettes typique fume environ 15, 20 ou 25 cigarettes par jour. Le fumeur de marijuana typique en fume une seule par jour, voire par semaine. Il y a donc une différence énorme de consommation.

Nos campagnes contre la cigarette sont également différentes dans la mesure où elles sont fondées sur des preuves scientifiques, alors que les campagnes contre la marijuana n'ont pas de base scientifique solide. Dans le cadre des campagnes publicitaires du Partenariat pour une Amérique sans drogue ou du Bureau du contrôle des drogues du gouvernement américain, j'ai examiné ses messages avec le directeur du partenariat. Certains visent précisément l'objectif, c'est-à-dire un message réaliste qui décourage la consommation. D'autres sont carrément absurdes. Les scientifiques qui évalueraient ces publicités ne seraient pas d'accord. Pour que la publicité antidrogue soit fondée sur la vérité et des preuves scientifiques, certaines choses ne sont pas à dire et pourtant, elles le sont.

Le sénateur Wiebe: Cela est peut être dû en partie au fait que le public pense qu'il n'est pas bon de fumer. La cigarette n'est pas considérée comme une drogue alors que la marijuana l'est. Par conséquent, elle est automatiquement perçue comme étant très mauvaise. La légalisation et l'information montrant que la marijuana n'est pas aussi mauvaise que la cigarette pourraient être un bon point de départ.

M. Nadelmann: Je pense parfois que le déclin de la consommation de la marijuana dans les années 80 a été largement attribuable à la diminution du nombre de fumeurs. Lorsque je demandais à mes étudiants pourquoi ils n'avaient jamais essayé la marijuana ou pourquoi ils ne la fumaient pas, ils me répondaient qu'ils ne voulaient pas fumer du tout, que ce soit la cigarette ou la marijuana. C'était plutôt que l'on était antitabac et que l'on ne voulait pas se remplir les poumons de fumée et de carcinogènes. Ce pourrait être une bonne approche.

Comme je l'ai dit ce matin, nous craignons la légalisation car nous pensons qu'elle ouvrira la porte aux abus. En fait, les portes sont déjà grandes ouvertes et le sont depuis longtemps. Nous faisons semblant de ne pas le voir. Les gens demandent si la légalisation de la marijuana la rendrait plus accessible à des gens de notre groupe d'âge - dont beaucoup ne peuvent plus l'obtenir ni la trouver. Les jeunes n'ont aucune difficulté.

Le président: Quelle est la valeur du marché noir?

M. Nadelmann: Personne ne le sait vraiment. C'est comme essayer d'estimer la valeur des marchés de la prostitution illégale ou du jeu. On estime en général qu'elle se situe entre 40 et 100 milliards de dollars aux États-Unis. Les Nations unies l'ont estimée à 400 milliards de dollars au niveau international. Mais il est toujours difficile de faire ce genre d'estimation.

Sur la scène internationale, je sais que le comité tiendra des audiences en Suisse et en Hollande. J'ai parlé avec Daniel Sansfaçon au sujet de l'organisation de ces audiences. Les choses bougent. Je viens de parler avec des collègues du PNUCID des Nations unies - le Programme des Nations unies sur le contrôle international des drogues - c'est l'ONU qui s'occupe de cette question. Même là, nous commençons à voir les choses bouger. Une personne un peu plus ouverte aux idées de réforme remplacera probablement le chef sortant de l'organisation, Pino Arlacchi.

Pour ce qui est des activités visant à mettre fin à la propagation du VIH et de l'hépatite et d'autres maladies, même cette organisation, qui était jusqu'à présent très asservie au gouvernement des États-Unis, semble s'ouvrir également. Cette ouverture est générale. Au Canada, on constate une évolution rapide de l'opinion publique sur la question du cannabis, que ce soit les activités en Colombie-Britannique, l'expansion des programmes de traitement de soutien par la méthadone en Ontario et en Colombie-Britanni que, la création de programmes d'échange de seringues, la discussion sur la création d'une salle d'injection protégée à Vancouver et la possibilité d'essais de traitement de soutien par l'héroïne. Tout cela va dans le sens de ce qui ce fait dans d'autres pays de l'Occident industrialisé.

Je suis un Américain loyal. J'aime mon pays et je pense que c'est le plus grand pays du monde. Mais, je suis découragé parfois lorsque nous nous laissons distancer. Il existe des secteurs, comme les droits civiques et autres droits fondamentaux, où nous avons pris parfois du retard. Il nous a fallu plus longtemps que presque tous les autres pays pour abandonner l'esclavage. Il nous a fallu plus longtemps pour abandonner le racisme officiel dans nos lois.

Malheureusement, pour des raisons historiques très profondes, les États-Unis suivront encore le train en marche plutôt que de prendre l'initiative en ce qui concerne l'adoption de politiques raisonnables sur les drogues. Il ne fait aucun doute que si le Canada agit avec vigueur, il y aura des protestations aux États-Unis. Nous l'avons vu il y a quelques années avec les menaces qui ont filtré sur la révision du statut de nation la plus favorisée pour le Canada.

Le ministre des Affaires étrangères du président Fox, Jorge Castaneda, a parlé en faveur de la légalisation avant d'entrer au gouvernement. Un certain nombre d'autres personnes, notamment certains responsables de la police, se sont prononcés en faveur de la légalisation. Lorsque l'on a demandé ce qu'il en pensait au président Fox, il a répondu que ce serait certainement la meilleure chose à long terme pour le Mexique et les États-Unis, sur le plan économique et qu'il espérait que l'on finirait par en arriver là, mais que, bien entendu, il n'allait pas agir dans l'immédiat et qu'il collaborerait avec les États-Unis.

Il est intéressant de souligner que le gouvernement américain n'a pas réagi publiquement. Peut-être y a-t-il eu des réactions en privé. Le Canada et le Mexique sont deux de nos principaux partenaires commerciaux. Nous avons des liens étroits. Ce type de relation et le fait d'être si proches impliquent une certaine influence.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec le gouverneur Johnson. Il essayait de vous encourager lorsqu'il a dit que l'Amérique peut se tourner vers le Canada. Malheureusement, nous ne le faisons pas, et même lorsque nous l'avons fait pour le régime national d'assurance maladie, la réaction a été «Oh, c'est le Canada.» Mais il est vrai que si un pays qui parle la même langue et a des frontières communes avec un grand nombre de nos États peut montrer que c'est possible, il aura une certaine influence.

Le gouvernement américain tentera certainement, si vous allez dans cette direction, de commander des études qui montreront que l'expérience canadienne est un échec.

C'est ce qui s'est produit avec l'étude sur le programme des échanges de seringues à Vancouver. Une étude laissait croire que certains aspects de ce programme pourraient être contre-productifs. Le gouvernement américain et le tsar de la drogue, Barry McCaffery, ont immédiatement sauté sur cette information et ont commencé à en parler partout. Ils agissaient comme les fabricants de cigarette qui trouvent une étude sur une centaine qui prétend que la cigarette ne cause pas le cancer et qui le crient partout sur les toits.

Il y aura sans doute des tentatives de légitimer, des menaces et la tenue de comités du Congrès pour essayer peut-être de susciter la controverse.

Le fait est que le gouvernement américain a trop investi dans ces liens avec le Canada et le Mexique pour faire de la drogue une question prioritaire. Certains membres du Congrès pourront se permettre d'en faire un enjeu, mais des personnes plus responsables l'emporteront sûrement.

Le président: Nous avons entendu le gouverneur Johnson nous parler avec conviction de la nécessité de sensibiliser la population. Personne ne peut être contre l'éducation de la population. Quel est votre lien avec le ONDCP? Si vous lisez entre les lignes de la politique américaine en matière de drogue, vous comprenez le problème. Mais, officiellement, il s'agit de sensibiliser la population. Vous avez mentionné les partenariats avec les médias et l'industrie du divertissement. On peut voir cette solution de façon positive, mais on peut la voir également de façon négative si on pense que ce peut être moyen de convaincre tout le monde que ce n'est pas une bonne chose.

M. Nadelmann: Un des principaux aspects du problème de la politique en matière de drogue, et une des raisons pour lesquelles George Soros s'y est intéressé il y a plusieurs années lorsque nous nous sommes rencontrés, est l'inquiétude que suscite un débat véritable sur cette politique. Il est intéressant de noter que le chef de la DEA est prêt à en débattre publiquement avec le gouverneur Johnson, ce qui est un pas en avant. Ces dernières années, il est arrivé, par exemple, que le tsar de la drogue, Barry McCaffery, et moi-même soyons invités à MTV ou à Nightline. S'il découvrait que j'allais être présent, il ne se présentait pas. Des responsables d'organismes reconnus refusaient de s'engager dans n'importe quel débat. Il y avait une véritable résistance au débat. Le fait que le gouvernement américain envisage même d'avoir un comité comme celui-ci et de parler de ces questions reviendrait à légitimer un point de vue que nous n'osons pas légitimer aux États-Unis.

Le fait que Asa Hutchison, la directrice de la DEA, ait commencé à discuter avec le gouverneur Johnson est un pas en avant. Que ce soit chez les républicains ou les démocrates, il existe des forces minoritaires puissantes dans les deux partis qui commencent à dire que nous devons nous occuper de ce problème.

J'aimerais dire également que chez John Stuart Mill, on trouve la notion de marché des idées et de la liberté nécessaire pour que les meilleures idées surgissent. Dans le marché des idées, ce ne sont pas forcément les meilleures qui gagnent, bien que j'aimerais le croire. Ce sont les idées qui sont les mieux présentées qui l'emportent.

Lorsque vous allez publier votre rapport, presque inévitablement, il contiendra des recommandations en vue de certaines réformes et certains changements dans la politique du gouvernement canadien en matière de drogues. Mon organisation se consacre à contribuer à la publication des conclusions et des recommandations de ce comité. Il existe une longue tradition d'organismes officiels nommés par les gouvernements, par exemple la Commission LeDain ici, la Commission Schaeffer à New York et des commissions semblables en Australie, en Grande-Bretagne et ailleurs. Toutes ces commissions ont des points communs. Premièrement, elles sont composées de personnes éminentes appartenant à tous les partis politiques, qui ont déjà l'esprit plutôt ouvert en ce qui concerne la drogue mais qui ne sont pas nécessairement portées à faire des réformes. Le deuxième aspect est que les rapports en arrivent tous à la conclusion que les politiques antidrogues doivent être largement refondues, dans le sens d'une décriminalisation et d'une réduction des méfaits, mais pas nécessairement d'une légalisation. Chacun de ces rapports en est arrivé à cette conclusion. Le troisième aspect est que le gouvernement qui les a commandités les a rejetés ou n'en a pas tenu compte.

Ces commissions ont également eu le tort de penser qu'il était suffisant de publier leur rapport et que leur travail était fini. C'est une erreur de s'arrêter là. Si l'on consacre autant d'énergie à ce genre d'étude, à l'analyse et à la tenue de ces audiences, il faudrait une volonté, et si possible, des ressources, pour qu'à la publication du rapport, on consacre presque autant d'énergie à sa promotion. On peut choisir de dire «Nous avons fait notre travail et nous allons passer à autre chose». Mais on peut aussi se sentir obligé, sur le plan politique et personnel, d'informer le public des résultats des travaux du comité. Si les sénateurs sont prêts à informer le public de façon proactive, ils auront une réelle influence. Mon organisation fera tout son possible pour vous encourager et pour vous aider.

Le président: Votre souhait est probablement déjà réalisé. Une partie de notre mandat ne consiste pas seulement à procéder à la phase actuelle, c'est-à-dire l'acquisition des connaissances. Nous passerons ensuite à la deuxième phase, c'est-à-dire le dialogue avec les Canadiens, d'abord pour les informer puis pour leur faire part de cette information et trouver un commun dénominateur dans tout cela. Finalement, c'est leur loi, c'est leur parlement.

M. Nadelmann: Regardez ce qui s'est passé au Royaume-Uni ces deux dernières années. Il y a deux ans, la Fondation de la police, un organisme indépendant éminent, a publié un rapport recommandant d'importantes réformes. Cet organisme était présidé par Lady Ruth Runciman - une personnalité du Royaume-Uni. Lorsque le rapport est sorti, il a été rejeté par le premier ministre Tony Blair et par le secrétaire de l'intérieur, Jack Straw. Mais la volonté de faire connaître cette information était là.

Depuis quelques mois, le rapport de la Fondation de la police commence à avoir une grande influence sur la politique. Le nouveau secrétaire de l'intérieur, M. Blunkett, dont on supposait qu'il était encore plus intransigeant que Jack Straw, a recommandé la semaine dernière que l'on ouvre à nouveau le dossier de la marijuana-cannabis et a demandé l'ouverture du débat.

Il y a quelques années, au sein du parti conservateur britannique, la secrétaire de l'intérieur de l'opposition, Mme Widdecombe, avait recommandé de renforcer les sanctions en matière de cannabis. À la surprise de toute le monde, un certain nombre de membres de son propre parti, pas uniquement les simples députés et d'autres, ont dit «Qu'est-ce qui vous prend? Nous en avons consommé quand nous étions jeunes. Nous allons punir nos enfants parce qu'ils auront fait ce que nous faisions nous-mêmes?» Il y a maintenant des responsables des deux partis politiques, ainsi que du troisième et quatrième partis du Royaume-Uni, qui favorisent un débat de fond plus important. On espère toujours la publication d'un rapport complet qui aura un écho dans les médias. Cela dépend en partie de l'actualité au moment de la publication du rapport et en partie de votre détermination.

Le président: C'est comme arrêter un match de baseball à la fin du huitième tour de batte.

M. Nadelmann: Exactement.

Le président: Monsieur Nadelmann, nous avons été ravis de vous entendre aujourd'hui. Comme je l'ai dit à M. Johnson, notre équipe de recherche aura d'autres questions pour vous. Je vous enverrai une lettre contenant ces questions. Nous espérons recevoir une réponse.

M. Nadelmann: Merci beaucoup.

Le président: Merci. Nous allons nous rendre cette semaine à Vancouver pour entendre le maire M. Owen. Nous nous déplacerons aussi individuellement dans la partie continentale inférieure de Vancouver. La prochaine réunion est prévue pour le 19 novembre, aux Pays-Bas.

La séance est levée.


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