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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 11 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 19 novembre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 30 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Nous recevons cet après-midi M. Tim Boekhout Van Solinge. Il est professeur et recherchiste en criminologie à l'Université d'Utrecht. Je vais lui laisser le soin d'élaborer un peu plus sur son passé académique afin qu'il informe adéquatement le comité sur ses recherches et qu'il nous présente son propos. Je poursuivrai ensuite avec des questions.

M. Tim Boekhout Van Solinge, recherchiste en criminolo gie, Université d'Utrecht: Je suis géographe de formation. J'ai fait mes études à l'Université d'Amsterdam et à l'Université de Sorbonne, à Paris, en sciences sociales. J'ai ensuite commencé à faire de la recherche dans le domaine de la drogue, notamment sur les politiques publiques en matière de drogue. J'étudie aussi l'usage de drogue et le trafic de drogues. Tous mes travaux se font dans un contexte international, surtout en Europe mais aussi dans d'autres pays.

[Traduction]

La consommation de drogue, telle qu'on la connaît aujourd'hui, date des années 60 et 70. C'est aussi à cette époque que remonte l'adoption de politiques modernes et officielles en matière de drogue. Dans les années 60 et 70, l'usage de la drogue était un phénomène nouveau, et les gouvernements ne savaient pas trop comment y réagir. Dans le but d'y voir clair, nombre d'entre eux ont mis sur pied des commissions, dont le Canada, avec sa Commission LeDain, et les Pays-Bas. En effet, au début des années 70, le gouvernement néerlandais chargeait deux commis sions gouvernementales de se pencher sur le problème de la drogue.

Ces commissions ont constaté que la drogue la plus consom mée était le cannabis et que la plupart de ceux qui en faisaient usage étaient des gens normaux. Ce n'était pas des déviants. Il s'agissait généralement d'étudiants de niveau collégial ou universitaire. Il y avait par ailleurs un certain nombre d'autres personnes qui faisaient usage de drogues plus dangereuses, comme l'héroïne. C'est ce qui a amené ces commissions à recommander qu'on fasse la distinction entre les différents types de drogues.

Cette distinction a été officiellement reconnue, ce qui a donné lieu à une modification de la loi en 1976. De nombreux autres pays avaient également mis sur pied des commissions qui ont formulé des recommandations similaires. Elles en sont venues elles aussi à la conclusion que la drogue illicite la plus fréquemment consommée était le cannabis, ce qui ne pose pas de problème grave puisque cette substance n'amène pas ceux qui en font usage à perdre la maîtrise de leur vie. À l'exception des Pays-Bas, ces recommandations se sont simplement traduites par l'adoption de politiques.

En écoutant les propos des témoins qui m'ont précédé, j'ai compris combien les étrangers avaient du mal à saisir le sens de la politique néerlandaise en matière de drogue. D'où vient cette politique? La société néerlandaise a une longue et solide tradition libertaire et un sens aigu de la liberté individuelle. Les gens ont le droit de faire ce que bon leur semble, à la condition de ne pas déranger les autres. C'est là un facteur très important, mais cette tradition n'a pas grand-chose à voir avec la moralité.

On est par ailleurs plutôt critique à l'égard du recours à des mesures pénales pour résoudre les problèmes sociaux. On estime que ce n'est qu'en dernier ressort et seulement une fois que tous les autres moyens ont été épuisés qu'on devrait invoquer la loi. Cette attitude était particulièrement marquée dans les années 70, au moment où l'on a établi la politique officielle en matière de drogue.

La société néerlandaise est une société pragmatique. C'est une nation de marchands, et ce, depuis le XVIIe siècle. Or, il n'y a pas plus pragmatique qu'un marchand. Ce pragmatisme néerlandais trouve d'ailleurs sa source dans notre histoire, qui est caractérisée par une lutte constante contre la mer, l'ennemi naturel des Néerlandais depuis le Moyen-Âge. Les Pays-Bas ont une superficie à peu près comparable à celle de l'Île de Vancouver, et, aujourd'hui, la moitié du territoire de notre pays se situe au niveau de la mer.

Pour protéger notre pays, nous avons érigé un réseau de digues. Il y a des siècles, tous les Néerlandais, depuis les aristocrates jusqu'aux agriculteurs, ont uni leurs efforts pour empêcher la mer d'engloutir leur pays. C'est de là que vient notre pragmatisme. Il est impossible d'enrayer complètement le problème de l'eau. Mieux vaut alors s'en rendre maître en aménageant des canaux.

Cette caractéristique explique en partie notre attitude devant de nombreux autres problèmes sociétaux, des problèmes auxquels nombre de sociétés ne s'emploient pas à trouver de solution ni même à s'attaquer. Les Néerlandais ont appris à faire face à des situations problématiques, à les maîtriser et à les domestiquer.

Les sociologues ont joué un rôle très important au sein des commissions néerlandaises auxquelles j'ai fait référence tout à l'heure. Depuis le début des années 70, nous avons développé une approche sociologique de l'examen du problème de la drogue. À l'époque des travaux de ces commissions, la théorie de l'étiquetage occupait une place importante dans la doctrine sociologique ou criminologique. Selon cette théorie, le fait d'étiqueter un comportement comme déviant aurait pour effet d'accentuer la déviance. On s'est dit qu'étant donné que de nombreux consommateurs de cannabis étaient des gens normaux et non des criminels, il valait mieux accepter leur comportement soi-disant déviant afin de le maîtriser plutôt que de pousser ces personnes à vivre en marge de la société. C'est de cette vision qu'origine le modèle de normalisation. Les problèmes de drogue devraient être considérés comme des problèmes sociaux normaux, surtout s'ils ne sont pas associés à d'autres problèmes sociaux.

Un autre principe sur lequel se fonde la politique néerlandaise en matière de drogue, c'est notre solide tradition de souci à l'égard de la santé publique. Déjà reconnus pour avoir un régime de mesures sociales très avancé et une longue tradition de services de santé locaux qui remonte aux années 20, les Pays-Bas ont implanté, au niveau des villes, des cliniques à l'intention des gens qui n'avaient pas accès aux services médicaux existants ou qui ne pouvaient être rejoints par ces services, par exemple les alcooliques et les prostituées. On trouve de ces cliniques locales dans les grandes villes.

Dans les années 70, devant le problème que présentaient les toxicomanes, on a décidé d'en faire une nouvelle catégorie de bénéficiaires de ces cliniques locales. Ce sont ces cliniques, notamment celles d'Amsterdam, qui ont été les premières à mettre sur pied des programmes d'échange de seringues. De tels services de proximité ont toujours été très importants pour les Néerlandais. C'est ce qui explique pourquoi les Pays-Bas ont, depuis les années 70, développé une politique de réduction des méfaits.

C'est en vertu de leur pragmatisme que les Néerlandais ont élaboré leur politique en matière de drogue à partir du postulat selon lequel la consommation de drogue est considérée comme étant un phénomène incontournable. Dans une économie ouverte, dans une société orientée vers les réalités internationales, pour les jeunes en développement, le contact avec la drogue est inévitable. Nombre d'entre eux la trouveront sur leur chemin ou auront des amis qui en ont fait l'expérience. Le défi pour le gouvernement, c'est de trouver le moyen de composer avec ce phénomène, de le maîtriser et de le domestiquer à la façon dont on a procédé jadis pour venir à bout de la mer envahissante. Être pragmatique, c'est également ne pas considérer l'usage de la drogue comme un problème en soi, ne pas en faire une question morale.

Dans le concret, cela veut dire adopter une approche de réduction des méfaits, où l'accent est mis sur la prévention, l'information et la normalisation. Ne pas considérer ce phénomè ne comme un problème moral signifie qu'en pratique, on diffusera au même titre de l'information sur le jeu, l'alcool, le tabac et les drogues. Ce sont là autant de comportements qu'on présente ensemble comme étant à risque.

En ce qui touche le cannabis, la politique qu'on a finalement adoptée a donné lieu à l'implantation d'un réseau de cafés réglementés et à la décriminalisation. Dans le cas de l'héroïne et de la cocaïne, on a mis l'accent sur la réduction des méfaits ainsi que sur la décriminalisation de la possession en petites quantités. Selon les directives du ministère public, les gens ont droit de posséder un gramme d'héroïne ou de cocaïne.

Bien entendu, il y a des programmes d'échange de seringues et de sevrage à la méthadone, mais ce qui fait la particularité du cas néerlandais, c'est que la grande majorité des usagers d'héroïne ne l'absorbent pas en injection, mais la fument. C'est ce qu'on appelle «chasser le dragon». Cette façon de consommer a été encouragée, notamment par les autorités médicales locales, parce qu'elle atténue considérablement les risques de surdoses. Fumée plutôt qu'injectée, l'héroïne ne fait pas perdre la maîtrise de soi. Ses effets sont plus lents à se manifester dans l'organisme, de sorte que ses usagers ont de meilleures chances de contrôler leur consommation et d'éviter les surdoses.

Dans le cas des nouvelles drogues, comme l'ecstasy et les amphétamines, on applique une politique de réduction des méfaits. Les lignes directrices établissent que les gens ont droit d'en avoir sur eux un cachet ou une pilule lorsqu'ils se rendent à une fête. On considère qu'il s'agit là d'un usage personnel.

La plupart des politiques européennes en matière de drogue remontent aux années 60 et 70. Toutes les législations qui ont été adoptée à cet égard portent en principe sur un amalgame de mesures répressives et policières, d'une part, et de soins et de traitements, d'autre part. En pratique, c'est sur les mesures répressives et pénales qu'on a mis l'accent dans presque tous les pays jusqu'au milieu des années 80.

Au milieu des années 80, les politiques européennes en matière de drogue ont été considérablement modifiées en raison de l'apparition du sida, qui a radicalement changé tout le tableau. Le sida représentait une menace à la santé publique. Nombre de ceux qui s'injectaient des drogues étaient porteurs du VIH et avaient déjà contaminé d'autres personnes. Les autorités ont été forcées de se montrer plus pragmatiques. Il leur fallait faire quelque chose.

Dans tous les pays européens, on a abondamment débattu des mesures à prendre pour remédier au problème de la drogue. D'aucuns préconisaient les échanges de seringues pour freiner la propagation du sida. Nombreux étaient ceux qui réclamaient l'utilisation de la méthadone comme moyen d'établir le contact avec les groupes à risque ou avec la population des toxicomanes. Dans certains pays, on observe encore beaucoup d'opposition de la part des milieux policiers et professionnels, notamment chez les psychiatres, contre l'adoption de cette attitude plus pragmatique. On estime qu'en fournissant des seringues, on facilite l'usage de la drogue. Quant à la méthadone, on prétend que, vu qu'il s'agit quand même d'un opiacé, elle perpétue la toxicomanie.

Ce débat a eu cours dans tous les pays, mais, devant la menace considérable que représentait le sida pour la santé publique, tous en sont progressivement venus à accepter ces nouvelles mesures. Dans les années 80 et 90, on a observé une évolution générale dans la façon d'aborder la question des drogues dures, les gens y voyant de plus en plus une question d'ordre social et médical plutôt que d'application de la loi et de criminalisation. On s'est fait moins moraliste et plus pragmatique.

Dans les années 90, une autre tendance s'est manifestée. Dans tous les pays occidentaux, l'usage récréatif de la drogue a commencé à se répandre progressivement. On s'est alors demandé comment il fallait traiter ces consommateurs de drogue, qui n'étaient après tout ni des malades ni des criminels. L'attitude pragmatique qu'on avait adoptée à l'égard des drogues dures a influencé le débat sur les drogues douces. Dans ses rapports annuels, l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies a clairement établi que la tendance dans les quinze pays de l'Union européenne était à la décriminalisation du cannabis.

Vers la fin des années 90, la réduction des méfaits est devenue en Europe le nouveau modèle au regard des politiques en matière de drogue. Il s'agit là d'une importante évolution, car parler de réduction des méfaits, c'est accepter la drogue comme une réalité. C'est toute la vision sous-jacente qui a alors évolué. Au lieu de lutter contre la drogue, on s'est mis à accepter la consommation de drogue comme un phénomène inéluctable avec lequel on doit composer, en essayant de réduire au minimum le prix à payer sur les plans médical et social.

Dans le cas du cannabis, cela signifie sa décriminalisation. Dans celui des nouvelles drogues de synthèse, comme l'ecstasy et les amphétamines, on met davantage l'accent sur la vérification de la composition des substances en question afin de prévenir les dangers et les accidents mortels que peut entraîner l'usage de ces drogues. Quant aux drogues dures, notamment l'héroïne, on instaure de plus en plus de programmes de fourniture d'héroïne sur ordonnance médicale, de nouvelles méthodes de traitement et de nouveaux programmes de substitution. Dans un nombre croissant de pays, on aménage des salles de consommation, c'est-à-dire des endroits où les gens ont droit de prendre de l'héroïne et de la cocaïne, ce qui facilite les interventions et permet de garder les usagers à l'écart des lieux publics.

Dans le contexte européen, les politiques néerlandaises en matière de drogue ont été abondamment réprouvées ces dernières décennies. Compte tenu de toute cette évolution, où se situe actuellement la politique néerlandaise en matière de drogue dans l'ensemble du continent européen?

Jusqu'au milieu des années 80, les Pays-Bas étaient le seul pays à s'être doté d'une politique claire en matière de réduction des méfaits. C'était par ailleurs l'un des deux pays où le cannabis s'était vendu ouvertement depuis le milieu des années 70. Le seul autre, c'était le Danemark. À Copenhague, la capitale, une section spéciale de la ville, une ancienne base de l'armée ou de la marine, avait été réquisitionnée à cette fin au début des années 70. Depuis ce temps, dans ce secteur, qu'on appelle Christiania, le cannabis se vend à ciel ouvert. Au Danemark, le cannabis ne se vend pas à autant d'endroits qu'aux Pays-Bas. Les Pays-Bas et le Danemark demeurent les seuls pays d'Europe à accorder une telle liberté.

La politique néerlandaise en matière de drogue a constamment fait l'objet de critiques de la part des États-Unis et de la Suède. Le modèle suédois est presque diamétralement à l'opposé de celui des Pays-Bas en cette matière. Depuis 1977, les autorités suédoises ont officiellement pour objectif de faire de la Suède une société sans drogue. Dans la pratique, on y met avant tout l'accent sur l'interdiction du cannabis, car les Suédois croient en la théorie du marche-pied. Ils se disent que le cannabis est la porte d'entrée vers les drogues dures et que c'est par conséquent sur cette drogue que doit porter l'essentiel des interventions et des mesures de prévention.

Ils insistent sur les dangers du cannabis, qu'ils amplifient même à outrance, si l'on peut dire. Par exemple, il est très répandu chez les Suédois de parler de la psychose du cannabis, d'un risque accru de suicide ainsi que des effets secondaires et tertiaires du cannabis.

Leur message perd de sa crédibilité, étant donné qu'aux Pays-Bas, le cannabis se vend ouvertement, ce qui fait peser sur la Suède une pression constante en faveur d'une plus grande libéralisation. La plupart des critiques de la part des Suédois visent en fait le Danemark, qui est situé tout près et où le cannabis se vend également à ciel ouvert.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, les États-Unis et la Suède sont des pays qui fustigent constamment la politique néerlandaise en matière de drogue. Pour d'autres pays, la réaction dépend de l'époque. Par exemple, dans les années 80, la présence à Amsterdam de toxicomanes allemands consommateurs d'héroï ne nous a causé un problème majeur. À un moment donné, ils y étaient plus d'un millier, attirés par la drogue meilleur marché et l'atmosphère plus libérale.

Il s'en est suivi une querelle diplomatique entre l'Allemagne et les Pays-Bas. Les Allemands disaient que les Néerlandais étaient trop tolérants, alors que ceux-ci se plaignaient de ce que les Allemands venaient consommer de l'héroïne dans leur pays. Comment expliquer la présence d'autant d'Allemands aux Pays-Bas à cette fin? Le phénomène tenait-il à un facteur d'incitation ou à un facteur d'attraction? Les Allemands disaient que les Néerlandais attiraient les toxicomanes, mais que dire de la politique allemande qui les incitaient à se réfugier hors de l'Allemagne pour se droguer?

L'Allemagne et les Pays-Bas en sont finalement venus à collaborer ensemble quand les autorités allemandes ont compris qu'il leur fallait revoir leur propre régime. Les Allemands se sont mis à mettre davantage l'accent sur les programmes de substitution et sur la mise sur pied d'établissements de traitement, et ils ont instauré un climat moins répressif. Les toxicomanes allemands ont alors cessé de migrer vers les Pays-Bas.

Fait intéressant à propos de l'Allemagne, c'est qu'elle a été un des premiers pays à changer sa politique à l'égard du cannabis. En 1993, la Cour constitutionnelle allemande a statué qu'il serait dorénavant contraire à la Constitution d'arrêter des gens pour possession de petites quantités de cannabis. Dès lors, les différents États de l'Allemagne ont établi des lignes directrices concernant la quantité que chacun aurait droit d'avoir en sa possession. En pratique, la quantité permise varie selon qu'il s'agit d'États progressistes sur le plan politique, comme ceux du Nord, où les gens ont droit à 30 grammes, ou d'États du Sud, comme la Bavière, où les gens n'ont droit qu'à 3 grammes.

En 1995, la France se montrait vivement critique à l'endroit de la politique néerlandaise en matière de drogue. Le président Chirac a été élu cette année-là et il s'est engagé dans une croisade quasi personnelle contre cette politique néerlandaise, en raison de certains événements qui étaient survenus dans sa propre famille. Pendant quelques années, la question de la drogue a dominé les relations franco-néerlandaises. Puis, M. Chirac a déclenché des élections et a essuyé la défaite, après quoi ce conflit entre Néerlandais et Français s'est apaisé.

Les deux pays ont alors entrepris de travailler de concert, avec échanges entre hauts fonctionnaires, chercheurs, et cetera. La politique française en matière de drogue a évolué considérable ment ces dernières années. La France a maintenant une politique officielle de réduction des méfaits.

En Belgique, la question de la drogue a fait l'objet d'un long débat pendant plusieurs années, notamment en ce qui touche le cannabis. L'examen de la question par une commission parlemen taire s'est traduit l'an dernier par l'adoption d'une politique à cet égard. La Belgique a décriminalisé le cannabis, en ce sens qu'elle permet aux gens d'en avoir une petite quantité en leur possession. On n'a pas pris soin de préciser la quantité permise, de sorte qu'il revient à la police ou au procureur d'en juger. On a donc adopté une politique de décriminalisation de la possession de cannabis en petites quantités.

La Suisse est l'un des pays les plus innovateurs sur le plan des politiques en matière de drogue. Cela fait maintenant déjà quelques années qu'on y a institué un programme de prescription d'héroïne. Ces dernières années, on y a débattu de cannabis. Étant donné le vide juridique qui existait jusque-là dans ce pays à cet égard, le cannabis s'y vendait ouvertement dans les boutiques de chanvre. On y tolérait la vente de cannabis à d'autres fins que celle de le fumer, mais les acheteurs le fumaient quand même. La Suisse se propose maintenant de parfaire sa réglementation en la matière. L'an prochain, le Parlement suisse va se pencher sur la question du cannabis. On entend aller plus loin que les Néerlandais en en réglementant la culture et la distribution.

Le Portugal a lui aussi débattu de la question des drogues et décriminalisé l'usage et la possession en petites quantités de toutes les drogues, y compris de l'héroïne, de la cocaïne et des amphétamines.

Au Royaume-Uni, on s'est récemment penché sur la question, notamment en ce qui touche le cannabis. L'été dernier, un petit projet pilote a été mis en oeuvre à Brixton, dans le sud de Londres, où la possession et l'usage personnels du cannabis ne seront plus passibles de poursuite. Il y a deux semaines, le Secrétaire de l'intérieur a décidé de considérer de nouveau le cannabis comme une drogue de catégorie C.

L'Espagne et l'Italie n'ont pas officiellement modifié leurs lois, mais, dans la pratique, la tendance générale est d'accorder une moins grande priorité à l'application de la loi touchant l'interdic tion du cannabis. On arrête moins fréquemment des gens pour consommation ou possession de petites quantités de cannabis.

Des changements s'opèrent à cet égard partout en Europe, tout comme d'ailleurs en Australie et en Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a mis sur pied une commission parlementaire qui étudie de près la question du cannabis.

En Jamaïque, une commission gouvernementale vient tout juste de produire un rapport sur ce sujet. La Jamaïque est un pays important à étudier sur ce plan, car on y fume du cannabis depuis 150 ans. La consommation de cannabis fait partie de la réalité culturelle jamaïcaine.

Les 15 pays qui forment l'Union européenne se doivent d'étudier collectivement en commission diverses questions, dont celle de l'usage de la drogue. Il y a cinq ou dix ans, les Pays-Bas étaient encore l'exception au sein de l'Union européenne à cet égard. Depuis deux ans, la Suède est devenue l'exception au sein de l'Union européenne comme étant le seul pays qui croit encore à l'avènement un jour d'une société sans drogue. Les autres ont accepté l'usage de la drogue et s'efforcent de composer avec ce phénomène.

Aujourd'hui, les pays mènent des expériences. Ils ne veulent pas criminaliser l'usage du cannabis ou sa simple possession en petites quantités. Il se révèle plus difficile d'aller jusqu'à la légalisation, quoique dans des pays comme la Suisse et le Royaume-Uni, la question est à l'étude. Les pays mettent à l'essai de nouvelles mesures en ce qui touche non seulement les drogues douces, comme le cannabis, mais également les drogues dures, comme l'héroïne et la cocaïne. La situation évolue rapidement, et on ne saurait dire jusqu'où on ira. Tout dépendra des résultats des expériences menées localement, de même que de la façon dont les pays voudraient bien agir en concertation.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que la méthadone était un opiacé toxicomanogène. Mis à part le fait qu'on peut se la procurer en toute légalité sur ordonnance médicale dans le cadre d'un programme de traitement, quelle différence y a-t-il entre la méthadone et l'héroïne?

M. Boekhout Van Solinge: Les consommateurs d'héroïne disent que cette drogue procure une sensation agréable et un flash. La méthadone, qui est un opiacé, n'a pas cet effet. L'opiomane ou l'héroïnomane a besoin de se droguer chaque jour. La méthadone fait disparaître l'état de manque, mais sans procurer d'effet ou de sensation agréable.

Le sénateur Banks: Elle aide le toxicomane à se débarrasser de sa dépendance, car elle supprime chez lui les symptômes physiologiques qui accompagnent le sevrage. Est-ce bien cela?

M. Boekhout Van Solinge: Tout à fait. La consommation de méthadone élimine les symptômes du sevrage. Le sevrage peut aussi se faire à l'aide d'autres opiacés, comme la morphine ou la codéine. Ces drogues peuvent également servir en quelque sorte de tampon contre les surdoses, car en les absorbant, on augmente la présence d'opiacé dans son corps. La méthadone permet au toxicomane de mener une vie normale.

Le sénateur Banks: Ce que nous disent de nombreux témoins, c'est qu'avant d'élaborer une politique en matière de drogue, il nous faudrait effectuer davantage de recherches, notamment en ce qui concerne les effets nocifs présumés du cannabis et d'autres drogues. Les pays de l'Union européenne ont pris des décisions pratiques et pragmatiques qui semblent s'appuyer sur des faits apparemment irréfutables. Comme vous l'avez indiqué, les Pays-Bas et plusieurs autres pays sont à l'avant-garde à cet égard.

Croyez-vous qu'on dispose d'assez de données de recherche pour être fondé de prendre des décisions rationnelles et raisonnables pouvant mener à l'adoption d'une politique en matière de drogue, ou faudrait-il pousser la recherche plus loin? Dans votre réponse, je vous prierais de faire abstraction de la recherche sur les propriétés médicinales du cannabis, à propos desquelles tous conviennent que cette question n'a pas été suffisamment fouillée. En ce qui concerne les risques de nature physiologique et les liens avec les milieux criminalisés, a-t-on effectué suffisamment de recherches, selon vous?

M. Boekhout Van Solinge: Oui, nous avons suffisamment d'information pour nous faire une idée générale. Toutefois, on aurait avantage à étudier de plus près certains aspects de la question. Il s'est fait beaucoup de recherche sur le cannabis, la drogue illicite dont la consommation est la plus répandue. Déjà, vers la fin du XIXe siècle, la Grande-Bretagne avait produit un rapport sur la consommation du cannabis en Inde. Au XXe siècle, des sommes considérables ont été investies en recherche sur les stupéfiants, particulièrement pour tenter de démontrer les dangers du cannabis.

[Français]

Le président: Monsieur Boekhout Van Solinge, dans le document que vous nous avez soumis en date de l'été 1999, «Dutch Drug Policy in European context», vous élaborez une comparaison entre la Hollande et la Suède. Les deux pays ont des politiques diamétralement opposées quant aux valeurs sous-jacen tes à ces politiques. Les deux pays prétendent avoir du succès avec leurs politiques puisque les deux pays ont des taux relativement bas de prévalence et de dépendance aux drogues.

Pouvez-vous nous dire qui dit vrai et quels seraient les meilleurs critères d'évaluation d'une politique efficace sur les drogues?

M. Boekhout Van Solinge: Il est vrai que les Pays-Bas et la Suède estiment avoir une politique efficace en matière de drogues. Les deux pays ont un nombre de toxicomanes relativement faible par rapport aux autres pays européens. Curieusement, les deux pays disent que c'est grâce à leur politique en regard du cannabis. Les Pays-Bas disent qu'ils ont un faible nombre de toxicomanes grâce à la séparation des marchés, les «coffee shops» et les drogues dures. La Suède prétend devoir son succès dans sa politique restrictive, notamment vis-à-vis le cannabis. Les Suédois disent que peu de gens consomment le cannabis donc, très peu de gens transgressent la loi ou prendront des drogues dures.

L'exemple de ces deux pays démontre qu'il n'y a pas de rapport entre la politique en regard du cannabis et le nombre de toxicomanes de drogues dures. Le fait que les deux pays ont relativement peu de toxicomanes est expliqué par l'État providen ce. C'est ce qui les rapproche. En général, ils jouissent d'un bon système scolaire et leurs habitants ont beaucoup de choix dans la vie. Il y a relativement peu de gens socialement exclus ou marginalisés. C'est l'explication du nombre peu élevé de toxicomanes.

Le président: Les Néerlandais soutiennent que leur politique a un effet positif en raison de la ségrégation des marchés entre les drogues douces et les drogues dures qui a un effet positif sur les consommateurs parce qu'ils ne sont pas confrontés à expérimenter une drogue dure. Que pensez-vous de cette affirmation?

M. Boekhout Van Solinge: Ce n'est pas la seule explication. Pour les jeunes qui ont grandi aux Pays-Bas, il est clair que le cannabis est une autre drogue que l'héroïne, mais c'est plus complexe que cela. Les Pays-Bas n'ont pas une politique très répressive même vis-à-vis les héroïnomanes. En Hollande, l'héroïne est relativement visible dans la rue, surtoutà Amsterdam; au centre-ville, où c'est plus touristique, on voit plus de toxicomanes que dans le centre de Paris, de Stockholm ou de Londres. Il n'y en a peut-être pas plus, mais ils sont plus visibles. C'est une sorte de prévention. Les jeunes savent qu'il ne vaut mieux pas toucher à l'héroïne. La prévention est importante.

En Suède, lorsqu'on regarde l'information sur la prévention, on peut vraiment dire qu'un jeune n'aura pas vraiment l'impression que l'héroïne est plus dangereux que le cannabis. Tout est dangereux. À ce moment, un jeune utilisera peut-être le cannabis puis l'héroïne.

[Traduction]

Le sénateur Finestone: Comment situeriez-vous les outils de sensibilisation à la prévention qu'on utilise en Hollande en juxtaposition avec les moyens de décourager la consommation d'alcool et de cigarettes, ainsi que les torts que chacune de ces substances peut causer si vous recourez à la médecine préventive?

M. Boekhout Van Solinge: Les torts?

Le sénateur Finestone: N'insistez pas sur les torts.

M. Boekhout Van Solinge: Comme je l'ai mentionné dans mon introduction, la consommation de drogue n'est pas vraiment considérée chez nous une question de morale. Compte tenu de la politique en matière de drogue avec laquelle de nombreux jeunes auront vécu durant leur croissance, ils sont exposés à être en contact avec bien des choses. Les adolescents sont appelés à faire de nouvelles expériences dans la vie. Cela fait partie de la condition d'adolescent. Ils vont êtres tentés par le tabac et la drogue, et ils vont découvrir le sexe. C'est pourquoi il faut prendre soin de bien les informer.

Le sénateur Finestone: Je ne crois pas que le sexe puisse faire autant de tort que la drogue, l'alcool ou la cigarette.

M. Boekhout Van Solinge: Il nous faut parler des maladies et de la grossesse avec un esprit ouvert. Les politiques néerlandaises en matière de drogue mettent depuis longtemps l'accent sur les aspects à la fois positifs et négatifs de la consommation de drogue.

Les messages de prévention, notamment ceux qui s'adressent aux jeunes enfants, ne parlent souvent que de problèmes et de dangers, mais c'est tout le contraire que vivent les jeunes. Il est très important de les informer également sur les aspects positifs de ces choses. Le programme néerlandais de prévention essaie de le faire. Nous signalons que se droguer procure une sensation agréable, mais que toute médaille a son revers. Nous parlons des bons côtés et des mauvais.

Le message n'enseigne pas que la drogue, c'est mauvais; il cherche plutôt à inciter les jeunes à penser aux motifs qui les poussent à se droguer. Le font-ils parce qu'ils ont un problème par ailleurs? Le font-ils seulement par curiosité ou pour en faire l'expérience? Le font-ils par désir de s'identifier à un groupe?

Le sénateur Finestone: Quel cas fait-on de l'alcool au volant dans tout cela?

M. Boekhout Van Solinge: L'alcool au volant est toujours interdit.

Le sénateur Finestone: Absorber une drogue, quelle qu'en soit la nature, a un effet nuisible sur la capacité de fonctionner. J'aime fumer, et aussi boire à l'occasion, et n'allez pas penser que je crois que les gens devraient s'abstenir de boire ou de fumer. Cependant, il y a un temps et un endroit pour le faire.

Le président: Le problème, c'est l'abus.

Le sénateur Finestone: Votre exposé m'apparaît plutôt utopique. Vous dites que les enfants devraient pouvoir expérimen ter toutes ces choses, pourvu qu'ils s'en tiennent à la cocaïne parce qu'elle est moins nocive que l'héroïne, pourvu qu'ils soient prudents lorsqu'ils prennent de l'alcool, et pourvu qu'ils n'absorbent de la nicotine que modérément pour éviter le cancer. Quel conseil constructif auriez-vous à donner à notre comité qui s'interroge sur la politique que devrait adopter le gouvernement dans ce domaine?

M. Boekhout Van Solinge: Vous avez décrit la politique néerlandaise de prévention dans vos mots à vous, non pas comme je l'aurais décrite moi-même.

Le sénateur Finestone: Voulez-vous dire qu'elle est beaucoup plus efficace que ce que j'en ai dit?

M. Boekhout Van Solinge: Non, je dirais plutôt que son contenu est différent de la description que vous en avez faite. L'usage de drogue y est toujours découragé. Le message est toujours qu'il vaut mieux s'en abstenir, mais la réalité, c'est que nombreux sont ceux qui en consommeront quand même. C'est là qu'intervient le second volet de notre approche, qui consiste à dire «Si vous consommez de la drogue, sachez, ceci, ceci et cela». Une personne bien informée a plus de chances de prendre des décisions responsables.

C'est là que se situe le rôle du gouvernement. Le gouvernement devrait fournir de l'information fiable, de manière à aider les gens à prendre des décisions responsables, à propos de la drogue comme de bien d'autres choses.

Bien des jeunes, même à l'adolescence, sont très responsables. Dans le cadre de mon travail sur le terrain, j'assiste à des parties «rave» où il se consomme de la drogue. Quand j'y jase avec des adolescents, il m'arrive parfois d'être bouleversé de les entendre m'avouer la quantité de drogue qu'ils ont absorbée. Par ailleurs, je trouve toutefois que la plupart d'entre eux se montrent très responsables. Ils savent ce qu'ils font. Il y a des excès et des abus, et certains vont trop loin, mais il s'agit d'une petite minorité.

Pour grandir au XXIe siècle, il faut être très responsable. Il faut prendre de nombreuses décisions. Les drogues font partie de la vie des adolescents. Il y a là un écart entre les générations. Les jeunes ne font pas la différence entre l'alcool, le cannabis et l'ecstasy. Ce sont autant de choses qui s'offrent à eux; ils baignent dans cette réalité.

Le sénateur Finestone: Devrions-nous diffuser comme messa ge, dans les écoles comme à la télévision, que, même s'il n'y a pas de loi qui interdit la consommation de drogue, on a avantage à s'en abstenir?

Aux Pays-Bas, plutôt que d'imposer de telles lois, vous dites que mieux vaut se fier à son bon jugement pour savoir comment se conduire?

M. Boekhout Van Solinge: Je dirais que la politique néerlandaise de prévention essaie de privilégier la maîtrise de soi plutôt que le respect de règles imposées par autrui, de rendre les gens plus responsables. Jusqu'à un certain point, les gens ont le droit de faire ce qu'ils veulent. La liberté s'arrête là où son exercice nuit à autrui. Si vous conduisez sous l'effet de l'alcool, ou si vous troublez la paix publique, il y a un problème. Cependant, au foyer, vous pouvez boire beaucoup de bière.

Le sénateur Finestone: Je crois vraiment que criminaliser les jeunes, c'est stupide et inefficace. Peut-être est-ce parce que les Pays-Bas et la Belgique n'ont pas un territoire très étendu qu'il y existe davantage de cohésion sociale. Notre pays est trop grand et les différences régionales y sont trop marquées pour qu'on y trouve ce genre de cohésion.

C'est pourquoi je vous ai demandé quelle leçon nous pourrions tirer de la politique néerlandaise en matière de drogue. Même si nous inspirions de votre politique, il nous faudrait l'adapter à notre propre contexte. Au Canada, à l'heure actuelle, ce qui convient au Québec ne convient pas forcément en Ontario. Les réalités y sont très différentes. Chose certaine, ça n'irait pas du tout dans l'Ouest.

Vous dites que, dans une société démocratique, du moment que les gens sont bien renseignés sur les avantages et les inconvé nients, ils devraient être libres de leurs propres choix sans se faire dicter leur conduite par des lois. Vous ai-je bien compris?

M. Boekhout Van Solinge: Aux Pays-Bas, nous investissons massivement depuis longtemps dans la recherche sociologique. Nous avons interviewé des consommateurs de drogue en vue de suivre leur cheminement. À bien des égards, les Pays-Bas sont un laboratoire social. Il est fort intéressant d'observer ces phénomè nes.

L'expérience nous montre que la plupart des jeunes qui consomment des drogues illicites ne le font que pendant une très courte période. La plupart ne le font qu'une seule fois. Très nombreux sont ceux qui ne le font que quelques fois et seulement durant quelques années. Seul un faible pourcentage continuent de consommer du cannabis, de la cocaïne ou de l'ecstasy.

Le rôle du gouvernement consiste à s'assurer que, dans ce court intervalle, il se pose le moins de problèmes possible, que ce soit sur le plan médical, social ou autre. En renseignant bien les gens, on les aide à prendre de bonnes décisions. En ne criminalisant pas leur conduite, on renonce à les punir pour leur comportement, ce qui se répercutera sur leur cheminement ultérieur.

Certaines personnes connaîtront des problèmes, mais vivre, c'est essentiellement faire des choix. Nombreux sont les adolescents qui ne consomment de l'ecstasy que durant leurs congés, afin de ne pas nuire à leurs études.

Si je prends un verre un soir de semaine, je rentre à minuit, parce que je veux être en forme au travail le lendemain. Il en va de même pour la drogue. La plupart des gens qui en consomment n'en sont pas esclaves. La drogue fait partie de leur vie, mais elle ne prend pas toute la place. Quand on a dans sa vie suffisamment de réalités positives, on n'a pas idée de laisser la drogue prendre le pas sur tout le reste.

Par contre, celui qui se sent marginalisé, qui n'a pas d'avenir, qui est sans emploi, ou, pis encore, qui est sans abri a plus de motifs que d'autres de se griser. La pensée du lendemain n'a rien de stimulant pour cette personne.

Il est toujours important de s'interroger sur le motif pour lequel on consomme de la drogue. Il y a un motif qui sous-tend l'usage de chaque stupéfiant. Les gens abusent des drogues pour une raison particulière. Pour celui qui est gratifié par la vie, l'usage de la drogue ne prendra pas facilement la forme d'un comportement problématique.

Le sénateur Finestone: Le prix des drogues a-t-il une incidence sur la consommation? Vous avez fait partie d'un groupe de recherche sociologique. Avez-vous été à même de vérifier si le coût de la drogue, élevé ou faible, influait sur la consommation de chacun?

M. Boekhout Van Solinge: Je n'ai pas étudié cet aspect, mais je ne le crois pas.

Le sénateur Finestone: Nous augmentons constamment le prix des cigarettes, en nous disant que les gens vont cesser de fumer.

M. Boekhout Van Solinge: Nombreux sont ceux qui ont déjà développé une dépendance à l'égard de la cigarette.

Une chose intéressante à propos de l'expérience des Pays-Bas, c'est que de nombreuses drogues y sont facilement accessibles à bas prix. L'héroïne y est relativement bon marché; un gramme peut coûter 30 $CAN. Cependant, cette drogue n'attire pas les jeunes, car il y a également d'autres facteurs qui entrent en jeu. Il y a des éléments culturels de même que l'image négative qu'on se fait de l'héroïne qui incitent les jeunes à ne pas en consommer.

Pour un jeune, le prix d'entrée pour participer à un «party rave» coûte plus cher que le comprimé d'ecstasy qu'il pourra s'y procurer.

Le président: Dans votre question, songiez-vous davantage au cannabis?

Le sénateur Finestone: Ma question portait sur n'importe quelle drogue accessible, le cannabis étant la plus répandue.

M. Boekhout Van Solinge: Je ne le crois pas. La plupart des jeunes ont de l'argent. Songez seulement à ce qu'ils dépensent pour des chaussures de tennis ou des jeans. Le cannabis est bon marché, même comparé à l'alcool et au tabac. Au Canada, un gramme coûte environ 10 $CAN.

Le sénateur Finestone: Combien de joints peut-on rouler avec un gramme? J'ai un petit-fils de 12 ans et un autre de 14 ans. Vous croyez que 10 $, c'est peu? Ils ne vivent pas dans le même monde que vous, veuillez m'en croire.

M. Boekhout Van Solinge: En général, c'est plutôt vers l'âge de 16 ou 18 ans que les adolescents commencent à consommer du cannabis, quand ils ont davantage d'argent.

Le sénateur Banks: Il y a quelque chose que vous avez dit que j'ai trouvé particulièrement intéressant et éclairant. Il ne m'était jamais venu à l'esprit que ce pourrait être une bonne idée que de dire la vérité aux jeunes. En Amérique du Nord, du moins d'après ce que j'ai pu voir, quand nous parlons à nos jeunes des drogues en général, y compris du tabac et de l'alcool, l'information, l'éducation et les avertissements que nous cherchons à leur fournir ne leur présentent que les mauvais côtés de la chose. Les gens en autorité n'admettent jamais que ces produits vous font vraiment passer un moment agréable. C'est une notion si simple qu'elle ne m'était jamais venue à l'esprit jusqu'à ce que vous nous en parliez aujourd'hui. Je vous en remercie.

Cette prise de conscience m'amène à vous poser la question suivante: la vieille distinction entre, d'une part, l'alcool et la cigarette, qui sont présentés comme étant acceptables dans certaines circonstances, et, d'autre part, la cocaïne, l'ecstasy et le cannabis, qui sont présentés pour une raison ou pour une autre comme ne l'étant jamais amène-t-elle les jeunes à considérer que ce qu'on leur dit n'est pas très crédible puisqu'on ne leur présente que la moitié de la vérité? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez? Est-il déjà arrivé, aux Pays-Bas, qu'on ne présente que la moitié du tableau et qu'on passe sous silence l'autre moitié?

M. Boekhout Van Solinge: Je ne suis pas en mesure de vous donner une répondre complète. Je ne sais trop à compter de quel moment les autorités ont commencé à voir la chose avec réalisme. Je considère cependant qu'il est particulièrement important d'être vrai avec les jeunes. De nos jours, les adolescents ont toutes sortes de décisions à prendre concernant leur avenir et leur éducation. Ils se sentent beaucoup plus vieux qu'ils ne le sont, et il est très capital qu'ils sentent qu'on les prend au sérieux. Pour être crédible, l'État doit absolument bien informer les jeunes et entretenir une bonne relation avec eux.

[Français]

Le président: Selon vos observations de l'évolution des politiques en Europe, quelle part accordez-vous à la préoccupa tion suivante?

Conduire un véhicule ou manipuler de la machinerie lourde sous l'influence du cannabis peut mettre en danger la vie, premièrement de l'opérateur, et la vie ou la santé des autres.

Nous entendons cette affirmation au Canada et nous n'avons pas l'intention de la repousser du revers de la main car elle nous apparaît crédible. Avons-nous raison d'accorder une certaine crédibilité à cette affirmation? Comment les Européens évaluent- ils cette affirmation? Ils doivent certainement avoir une préoccu pation semblable.

M. Boekhout Van Solinge: Oui, c'est une préoccupation européenne et les pays européens travaillent de concert sur cette question. Tout d'abord, il y a un problème technique pour détecter l'usage du cannabis lors de la conduite d'un véhicule. Le cannabis est la drogue qui demeure le plus longtemps dans le sang. Il est détectable jusqu'à un mois après l'usage. Lorsqu'on teste une personne sur la route et qu'on retrouve des traces de cannabis dans le sang, on ne peut pas dire si cette personne est sous l'influence de la drogue au moment du test. Elle en a peut-être consommé la veille ou quelques jours auparavant.Un problème technique se pose lorsque vient le temps de prouver qu'une personne est sous l'influence du cannabis.

En général, sur la dangerosité de la conduite sous l'influence de cannabis, si quelqu'un consomme un produit psychotrope, cela peut influencer la conduite et provoquer des accidents. Mais lorsqu'on compare l'alcool, le cannabis et les médicaments psychotropes, je crois que le cannabis est le moins dangereux. Il y a eu des études à cet effet.

Le président: Avez-vous des données rigoureuses qui pour raient nous informer à ce sujet?

M. Boekhout Van Solinge: À ma connaissance, deux études, dont une thèse de doctorat, ont été faites auprès de gens qui ont utilisé un placebo de cannabis. C'est une bonne étude de l'Université de Maestricht aux Pays-Bas. Cette étude fait la comparaison entre l'alcool et le cannabis.

Les deux influencent la performance, sans aucun doute, mais la grande différence entre l'alcool et le cannabis est qu'après avoir consommé de l'alcool, on se sent plus sûr et on a tendance à aller plus vite en voiture.Tandis qu'avec le cannabis, on se sent moins sûr et on a tendance à rouler moins vite. En général, on est plus prudent sous l'influence du cannabis que sous l'influence de l'alcool.

Cette année, une deuxième étude en Angleterre, je ne me rappelle plus dans quelle université, a mené aux mêmes conclusions.

Le président: Cette préoccupation très légitime tend à s'amenuiser, si je comprends bien votre réponse? Cet argument est moins percutant dans les débats publics?

M. Boekhout Van Solinge: Je dirais que oui.

[Traduction]

Le sénateur Finestone: Dois-je comprendre que le cannabis est illégal? A-t-il été légalisé?

M. Boekhout Van Solinge: Non, il n'a pas été légalisé aux Pays-Bas.

Le sénateur Finestone: A-t-il été légalisé quelque part en Europe?

M. Boekhout Van Solinge: Non. La Suisse y songe.

Le sénateur Finestone: Les narcodollars servent-ils à financer des guerres et, dans l'affirmative, est-ce là un sujet de préoccupation?

M. Boekhout Van Solinge: Oui, c'est depuis longtemps un sujet de préoccupation. Le trafic de la drogue sert à financer toutes sortes de mouvements d'indépendance et de guerres, surtout depuis la fin de la guerre froide. Pendant la guerre froide, les organisations de ce genre pouvaient obtenir des fonds d'une des grandes puissances. Étant donné que cela n'est plus possible, de nombreux mouvements se sont tournés vers le trafic de la drogue pour financer leurs activités. Toute organisation comme tout individu de ce type est à la recherche de sommes énormes à courte échéance. Le trafic de la drogue est la réponse: les risques de se faire prendre sont minimes et les profits sont élevés.

Le sénateur Finestone: Est-ce utopique et irréaliste de soutenir que les gens qui ont bonne conscience devraient s'inquiéter un peu plus des génocides que des méfaits du tabagisme? À mesure que nous progresserons, d'après ce que vous dites et les recherches qu'on a effectuées, les jeunes vont inévitablement expérimenter divers types de drogues, qu'il s'agisse de marijuana, d'alcool, de nicotine ou d'héroïne. Il faudrait donc leur apprendre à diminuer leur dépendance et à mieux comprendre l'impact ou l'effet de la drogue sur la capacité de penser, d'agir et de fournir un bon rendement.

Par ailleurs, il y a le terrorisme dont nous déplorons les ravages.

Nous ne vivons pas isolés sur cette terre, entourés de murs. Nous devons nous préoccuper de ce qui se passe partout dans le monde. Une des choses problématiques qu'on observe en tous lieux, c'est l'accès à de l'argent pour acheter des armes. Si nous achetions moins de ce pavot qui pousse dans les champs, peut-être que nous obtiendrions des résultats un peu meilleurs. Même en disant cela, je me sens moi-même tellement utopique que je me demande sur quelle planète je vis.

Le président: Nous avons soulevé cette question avec un autre témoin l'autre jour, et nous avons constaté que le problème, c'était la prohibition elle-même.

Le sénateur Finestone: Oui, le problème, c'est effectivement la prohibition. Si on levait cette prohibition, me permettrait-on de fumer sans me sentir coupable?

Le sénateur Banks: Rien ne pourra vous le permettre.

Le sénateur Finestone: Oubliez ma question. Je crois qu'elle n'est pas pertinente.

Le président: Je la trouve très pertinente. Nous avons soulevé cette question avec l'un de nos témoins qui avait étudié, à notre demande, le lien entre les drogues et le terrorisme à la lumière des récents événements survenus à New York, à Washington et en Pennsylvanie, et la solution n'était pas évidente. Mais la prohibition est probablement la principale cause du problème, et celui-ci n'est pas facile à résoudre. C'est vraisemblablement cette réponse que le témoin en question aurait donnée.

Le sénateur Finestone: Vous venez de faire allusion aux événements du World Trade Centre et de Washington. En 1972 ou 1973, exactement à la même date, Pinochet bombardait et détruisait une bonne partie de la capitale du Chili, et le monde n'a pas tellement réagi à cette époque parce que ce n'était pas dans son intérêt de le faire. C'est une observation très triste que je fais là. La drogue joue un grand rôle dans cette partie du monde. Si nous levions la prohibition, quel effet aurait cette mesure sur toute la question de la consommation de drogue?

Je ne vois pas comment cette mesure pourrait être efficace.

Le président: C'est là le sujet de notre discussion d'au jourd'hui. Notre témoin pourra probablement répondre à votre question. Aux Pays-Bas, les autorités ont fondé leur politique sur un principe différent: l'usage de la drogue étant une réalité incontournable, acceptons ce phénomène et employons-nous à réduire les méfaits de la consommation et des abus qu'on en fait. Ce principe est à la base même de leur politique. C'est exactement sur cette question que porte notre étude d'aujourd'hui. Si j'ai bien compris, en Suède, on a adopté une approche diamétralement opposée.

Le sénateur Finestone: En Suède, j'ai vu des enfants mettre des pièces de 25¢ dans une distributrice. Tout comme chez nous on peut se procurer un Coca-Cola dans une distributrice, ils pouvaient eux se procurer une bouteille de bière. Ils n'avaient pas besoin d'être âgés de 16 ans ni d'aller dans un établissement accrédité pour se procurer de la bière forte.

Il y a longtemps de cela, mais je déduis de ce que le témoin nous a dit que la Suède est beaucoup plus prudente que les Pays-Bas dans son approche - «répressive» serait un mot plus juste.

Le président: Beaucoup plus juste, en effet. Que répondez- vous à cette question?

M. Boekhout Van Solinge: Prohibition et terrorisme. Nous avons là un motif supplémentaire de nous pencher sur la question de la prohibition à l'échelle internationale, car pour les organisations internationales qui cherchent de l'argent, il est tellement facile de se tourner vers le trafic de la drogue. Nous devrions nous demander pourquoi le problème de l'Afghanistan a pris tant d'importance. L'explication a quelque chose à voir avec la guerre froide.

Le sénateur Finestone: Dans votre vision d'une éventuelle levée de la prohibition, cette mesure ne vaudrait-elle que pour les drogues douces ou s'appliquerait-elle même également à l'héroï ne? Viserait-elle la gamme complète de ce que nous considérons dans notre pays comme étant nuisible au bien-être de la société, même les substances absolument interdites?

M. Boekhout Van Solinge: Je crois qu'il faudrait qu'on débatte de cette question.

Ce qu'il y a d'étrange dans la situation actuelle, c'est que, d'une part, les Pays-Bas sont un exemple intéressant parce que les drogues y sont accessibles, et d'autre part, les États-Unis sont également un exemple intéressant parce qu'on peut y observer à quoi mène la prohibition ou la répression.

Par exemple, dans nombre d'États américains, les adolescents ne peuvent se procurer de l'alcool avant l'âge de 21 ans. Nombreux sont les adolescents américains qui se procurent plus facilement des drogues illicites que des drogues licites comme l'alcool. Le moins qu'on puisse dire, c'est que, dans ce cas, la prohibition ne fonctionne vraiment pas. Dans l'état actuel des choses, nous laissons le champ libre aux criminels et à ceux qui vendent la drogue sur le marché noir. Les adolescents peuvent se procurer plus facilement des drogues illégales que des drogues légales.

Je crois que la situation est devenue incontrôlable et que nous ferions mieux de réglementer ce secteur nous-mêmes pour y exercer davantage de contrôles afin de prévenir les problèmes que pose la drogue.

M. Steven Van Hoogstraten, directeur de la Division des affaires internationales criminelles et des politiques sur les drogues, ministère de la Justice, Pays-Bas: Je voudrais parler de la question du terrorisme et de la prohibition, car elle a également fait l'objet d'un débat au sein de notre administration.

Je crois qu'il est tout à fait évident - quelqu'un l'a d'ailleurs dit à votre table - que la prohibition mène à une situation où la production illégale rapporte énormément d'argent, de l'argent qui s'en va dans les mains de mécréants. Si nous voulions éviter cela, nous devrions traiter la cocaïne comme s'il s'agissait de café ou de thé, c'est-à-dire en la considérant comme un produit agricole, en faisant en sorte qu'on en finisse avec la prohibition et qu'on s'en remette aux lois du marché.

Nous ne le ferons toutefois pas, parce que nous avons un système international qui nous dit que nous devrions faire front commun contre ces substances. C'est tout l'un ou tout l'autre. Ou bien nous étendons la prohibition à l'échelle internationale et nous essayons de la faire respecter tout en acceptant comme conséquence que des gens que nous n'aimons pas en tirent profit, ou bien nous prenons la voie inverse et nous levons la prohibition.

Il est grand temps qu'on tienne un débat complet et éclairé sur ces questions, plus que n'importe quoi d'autre. De toute évidence, il est difficile de changer les politiques du jour au lendemain, et, comme nous avons subi un attentat terroriste, nous tenons à nous doter d'une nouvelle politique concernant les drogues. À divers degrés, nos politiques actuelles en cette matière nous ont été imposées par les générations antérieures et par des intérêts qui étaient puissants à ces époques. Nous avons vécu jusqu'à maintenant en fonction de ces règles, y compris en ce qui a trait au cannabis. D'après mes sources, le cannabis a simplement été ajouté un bon jour à la liste des substances interdites tout simplement parce que cela faisait l'affaire des négociateurs d'avoir une autre substance sur la liste. À l'origine, on n'avait pas l'intention d'interdire le cannabis. Seuls les opiacés et quelques autres substances étaient censés être visés par cette interdiction.

Cela dit, je plaiderais en faveur d'un débat plus ouvert sur ces questions de manière à ce que nous puissions en mesurer toutes les conséquences. La prohibition est incroyablement lucrative pour certains, qui se servent de cet argent pour financer des mouvements que nous méprisons.

Le sénateur Finestone: Préconiseriez-vous une politique qu'on appliquerait par étapes? Commenceriez-vous par décrimi naliser?

M. Van Hoogstraten: Je crois que l'argument du terrorisme est intervenu dans ce débat qui était déjà amorcé depuis fort longtemps. Comme vous le savez et comme on l'a expliqué, notre gouvernement applique une politique de décriminalisation pour le bien des consommateurs de drogue et pour cesser de criminaliser des catégories de gens qui devraient être non pas en prison mais à l'école. C'est pour ces motifs que nous appliquons notre politique. Cela n'a rien à voir avec l'argent tiré du trafic de la drogue.

Toutefois, maintenant que la question a été soulevée, j'ai jugé bon de vous dire ces choses et de plaider en faveur d'une reprise du débat, comme on le réclamait dans The Economist. J'ignore si vous avez pris connaissance de cet article. Ce magazine a pris fermement position en faveur d'un réexamen de toute la question.

Le sénateur Finestone: Je croyais qu'on songeait à décrimina liser seulement le cannabis?

M. Van Hoogstraten: Non, l'article englobait tous les types de drogues.

Le président: Je crois que le mot important en parlant du débat, c'est le mot «éclairé». À la lecture des documents que nous a remis M. Boekhout Van Solinge, je crois que nous pouvons en conclure que le débat en Europe a été éclairé et qu'il s'est appuyé sur une foule de recherches et sur un examen rigoureux de la part des divers pays concernés, ce qui est probablement pour le grand bien de l'Europe. Êtes-vous d'accord avec moi là-dessus?

M. Boekhout Van Solinge: Absolument.

Le président: Le mot «éclairé» est le mot le plus important, car tenir un débat fondé sur des idées fausses ne pourrait que mal renseigner la population. Bien entendu, tout le monde s'empresse ra de s'opposer à ce qu'on le fasse. Je crois qu'il nous faut vraiment un débat éclairé.

Le sénateur Finestone: C'est un bon point que vous soulevez là. Faire évoluer les mentalités, les valeurs morales et la façon d'aborder les questions n'est pas une mince tâche. Il a fallu le mouvement Mères contre l'alcool au volant, le MADD, pour obtenir que se tienne un bon débat et qu'on en vienne à durcir nos lois concernant la conduite en état d'ivresse.

L'impact des campagnes antitabac a été incroyable. Elles ont changé la mentalité de bien des gens, à commencer par les femmes enceintes, qui ont été sensibilisées au fait que l'habitude de fumer durant la grossesse pouvait vraiment porter atteinte au foetus et, partant, faire du tort à l'enfant à naître. Je crois qu'à partir de là, les gens sont devenus plus conscients et plus responsables, et que c'est ce qui a permis au public d'accepter ce changement.

A-t-on effectué des recherches pouvant nous indiquer combien il a fallu de temps dans votre pays pour changer la perception des gens et les amener à se rendre compte que la consommation de drogue est une question de choix personnel?

M. Boekhout Van Solinge: Même si l'usage de la drogue est décriminalisé aux Pays-Bas, cela ne signifie pas que la drogue est acceptée par tous. En règle générale, on n'ira jamais dire à ses collègues au travail, par exemple, qu'on a fumé un bon joint ou qu'on s'est fait une bonne ligne de cocaïne la veille au soir. On n'en est pas à un tel degré d'ouverture, et la drogue n'est pas acceptée à ce point aux Pays-Bas.

Avant d'essayer d'obtenir des appuis concernant l'établisse ment d'une politique en matière de drogue, on effectue des sondages, et je dirais que les opinions se répartissent générale ment à peu près également entre les pour et les contre. La plupart des sondages montrent qu'un peu plus de la moitié des gens interrogés sont favorables à une politique de décriminalisation, notamment des jeunes. Il y a donc également un facteur générationnel qui entre en ligne de compte. Sauf erreur, il en va à peu près de même chose dans les autres pays. J'ai pris connaissance de sondages effectués au Canada, et je crois qu'il y avait une majorité de gens qui étaient en faveur de la décriminalisation.

Le président: Si je ne m'abuse, 47 p. 100 des Canadiens sont favorables à la décriminalisation.

M. Boekhout Van Solinge: Au Royaume-Uni, le pourcentage d'appuis est beaucoup plus élevé encore. Il évolue avec le temps, notamment chez les jeunes des générations montantes, qui avancent en âge, naturellement, et qui annexent de plus en plus le cannabis à leur vie.

Le président: C'est là la question. Pourquoi les mentalités évoluent-elles? Est-ce parce que les gens sont mieux informés ou est-ce parce que, culturellement, il devient plus acceptable d'exercer ce genre de liberté?

M. Boekhout Van Solinge: Je crois que c'est les deux. Les gens sont effectivement mieux informés. Les jeunes d'aujourd'hui voient bien que le cannabis ne mène pas à ce que beaucoup de gouvernements prétendent.

Le sénateur Finestone: Nous parlons toujours de cannabis. Recommande-t-on d'appliquer la même politique dans le cas de toutes les autres drogues, des amphétamines, de l'héroïne et de tous les opiacés? Les mettez-vous tous dans le même panier?

M. Boekhout Van Solinge: Si vous envisagez d'adopter un régime différent pour chaque drogue, je crois qu'il vous faudra vous demander comment vous allez réglementer chaque substan ce. L'alcool est réglementé différemment du tabac. La morphine et les opiacés, qui s'apparentent de près à l'héroïne, sont licites mais pas facilement accessibles. On ne peut se les procurer que sur ordonnance d'un médecin. Pour chacune des substances, il faut trouver le modèle le plus convenable. Le cannabis peut être classé dans la même catégorie que l'alcool, mais je n'en dirais pas autant de l'héroïne. Il faut s'inspirer des expériences d'autres pays et de l'histoire également.

J'ai une recommandation à vous faire au cas où vous seriez amenés à entendre des témoins de la Grande-Bretagne. Il y a un important ouvrage intitulé «Opium and the People». Il s'agit d'une étude portant sur l'usage de l'opium en Grande-Bretagne au XIXe siècle. L'auteure, Virginia Berridge, est professeure au London School of Hygiene and Tropical Medicine. C'est un livre magnifique qui décrit l'usage qu'on faisait de l'opium au XIXe siècle. Dans les régions ouvrières de la Grande-Bretagne - les régions industrialisées -, on consommait alors beaucoup d'opium et d'alcool, et ce, en toute légalité. Les gens pouvaient se procurer ces produits dans des magasins. À l'époque, l'alcool était toujours considéré comme posant davantage problème que l'opium.

Nous devrions nous inspirer des exemples tirés de l'histoire concernant l'usage de ces drogues. Comme la Grande-Bretagne, la France avait légalisé l'usage du cannabis en Afrique du Nord, et les Hollandais permettaient la vente d'opium en toute légalité en Indonésie. La prohibition n'est apparue qu'il y a environ un siècle, mais l'usage de substances psychoactives remonte à bien plus loin que cela. Nous nous devons de tirer des leçons de notre histoire.

Le sénateur Banks: Nous avons le temps pour quelque chose d'un peu plus léger. Tout à l'heure, monsieur le président, vous avez parlé de l'effet du cannabis sur la conduite automobile, et M. Boekhout Van Solinge a dit que cet effet était généralement à l'opposé de celui de l'alcool. J'ai appris cela il y fort longtemps, dans les années 60. Un de mes amis revenait en voiture d'une séance d'enregistrement à Los Angeles, une séance où il s'était consommé du cannabis. Lui et ses amis avaient quitté le studio à l'heure de pointe, vers 6 h 30 ou 7 heures du matin, après une nuit blanche. Ils roulaient sur le Pacific Coast Highway vers Los Angeles depuis Santa Monica. À l'approche de Los Angeles, un policier en motocyclette les fit se ranger. Mon ami m'a dit qu'il n'avait jamais vu un policier aussi en furie. Il était rouge de colère. En regardant dans son rétroviseur, mon ami s'est rendu compte que le trafic était bloqué sur des milles et des milles. Le policier lui a demandé: «Avez-vous une idée de la vitesse à laquelle vous alliez?» Le conducteur a répondu: «60 ou 70, je ne sais trop.» Le policier lui a dit: «Non, 6.» C'est une histoire vraie.

Le président: J'ai une dernière question.

[Français]

Dans cet effort d'informer les populations pour améliorer le débat public sur les drogues en Europe, quel a été le rôle joué par l'Observatoire européen?

M. Boekhout Van Solinge: Le rôle de l'Observatoire est de comparer toutes les données des pays européens et d'essayer de modifier les types d'enquête pour que les chiffres soient comparables.

Le président: Cet observatoire dont vous venez de décrire le mandat a-t-il aidé à améliorer la qualité du débat?

M. Boekhout Van Solinge: Absolument, par exemple, il est maintenant en train de devenir de plus en plus clair que l'usage problématique de drogues, surtout de l'héroïne et de la cocaïne, est très lié à la marginalisation sociale. Il est très clair - pas seulement dans un pays mais dans plusieurs pays - que les héroïnomanes se trouvent surtout dans des quartiers défavorisés où il y a beaucoup de problèmes socio-économiques. Cela est aussi vrai dans d'autres pays comme les États-Unis où il y a beaucoup plus de problèmes dans les ghettos latino-américains ou afro-américains que dans les quartiers de classe moyenne.

Le président: Cela fera sûrement l'objet d'autres témoignages. Êtes-vous en train de dire qu'en Europe, l'usage problématique de l'héroïne se restreint uniquement aux populations défavorisées?

M. Boekhout Van Solinge: Pas uniquement.

Le président: Est-ce la partie la plus visible du problème?

M. Boekhout Van Solinge: C'est beaucoup plus marqué dans les quartiers défavorisés. Vous en avez des exemples en Écosse ou dans le nord de l'Angleterre où le taux de chômage est très élevé. Beaucoup d'adolescents prennent de l'héroïne. Cela cause des ravages dans les villages et les petites villes. Cela ne se voit pas dans les régions où les gens ont une certaine éducation et où ils ont d'autres choix que la drogue.

Le sénateur Finestone: Quel est le taux de criminalité dans une situation comme celle-ci? Dans les endroits défavorisés, cela prend de l'argent. Selon moi, 10 $, c'est tout de même pas mal pour les jeunes. Si les gens n'ont pas d'argent et qu'ils n'ont pas un avenir prometteur, le taux de criminalité doit monter parce qu'ils veulent de l'argent pour combler leurs besoins.

Le président: Les prix augmentent également.

M. Boekhout Van Solinge: Bien sûr, on peut dire que les gens des quartiers défavorisés sont plus vulnérables à l'usage abusif. On peut dire aussi que l'usage se développe plus rapidement parce qu'ils ont plus de raisons de consommer. Quand on est dans une position marginalisée, cela devient plus difficile de s'en sortir parce que ce n'est pas l'emploi ou l'éducation qui peuvent compenser. On a plus de chances de rester dans le monde de la drogue.

[Traduction]

Le sénateur Finestone: Je suis tout à fait confuse. Nous utilisons les termes «marijuana» et «cannabis». Pourquoi parlez- vous de cannabis et non de marijuana?

Le président: La marijuana est un produit du cannabis; le cannabis est le terme générique. Nous allons vous faire suivre des cours où on vous apprendra tout ce qu'il en est.

Le sénateur Finestone: Cette analyse est importante pour notre étude. Je remercie le témoin de la contribution qu'il apporte à nos travaux.

[Français]

Le président: Cela nous a fait grand plaisir de vous recevoir monsieur Boekhout Van Solinge. Nous vous remercions de votre témoignage. Mes collègues auront certainement des questions à vous poser, alors je prendrai la liberté de vous écrire en espérant recevoir une réponse. Ces questions et les réponses seront publiées sur le site Internet du comité.

Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca. Vous y trouverez les exposés de tous nos témoins, ainsi que leur biographie et toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous offrir. Vous trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial sur les drogues illicites, je désire vous remercier de l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.


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