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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 13 - Témoignages pour la séance du matin


OTTAWA, le lundi 4 février 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9 h 06 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouvertes les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Chers collègues, c'est avec un vif plaisir que je vous souhaite la bienvenue aujourd'hui. Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui se sont déplacés pour assister à cette séance ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent à la radio, à la télévision ou encore via le site Internet du comité.

Je voudrais vous présenter ma collègue le sénateur Thelma Chalifoux, de l'Alberta, qui siège avec nous aujourd'hui au comité. Je suis le sénateur Pierre Claude Nolin et je fais partie du contingent québécois au Sénat du Canada. Sont assis à mes côtés le greffier du comité, M. Blair Armitage, ainsi que le directeur de la recherche du comité, M. Daniel Sansfaçon.

[Traduction]

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites a été mandaté pour faire rapport sur les politiques du Canada concernant le cannabis après avoir étudié l'efficacité des politiques et de l'approche adoptées, les moyens mis en oeuvre et le contrôle de leur application. En plus de son mandat initial, le comité doit examiner les politiques officielles adoptées par d'autres pays. Les obligations internationales qui incombent au Canada en vertu des conventions sur les stupéfiants, dont le Canada est signataire, seront également examinées. Le comité va aussi étudier les effets sociaux et sanitaires de la politique canadienne à l'égard du cannabis et des effets éventuels de politiques différentes.

[Français]

Le comité doit déposer son rapport final à la fin du mois d'août de l'an 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan s'articule autour de trois enjeux importants. Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance. Afin de le surmonter, nous entendons une gamme imposante d'experts tant canadiens qu'étrangers, des milieux académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouvernementaux. Ces auditions se tiennent principalement ici, à Ottawa, ou à l'occasion, si nécessaire, à l'extérieur de la capitale.

Le second de ces enjeux est celui du partage de la connaissance et il s'agit assurément du plus noble. Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et partagent l'information que nous recueillons. Notre défi est de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la distribution de cette connaissance. Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons au printemps 2002 des audiences publiques dans divers lieux au Canada.

Enfin, comme troisième enjeu le comité doit examiner de très près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.

[Traduction]

Avant de vous présenter les éminents experts que nous allons entendre à nos audiences aujourd'hui, je dois vous informer que le comité tient à jour un site Web auquel on peut accéder par le site Web du Parlement à l'adresse www.parl.gc.ca. Toutes les délibérations du comité y sont affichées, y compris les mémoires et les documents fournis par nos témoins experts. Nous tenons également à jour plus de 150 liens vers d'autres sites rattachés aux sujets que nous étudions.

[Français]

Quelques mots au sujet de la salle où nous tenons notre séance d'aujourd'hui. Cette salle, identifiée comme la salle des peuples autochtones, fut aménagée par le Sénat en 1996 pour rendre hommage aux peuples qui, les premiers, ont occupé les territoires de l'Amérique du Nord et qui encore aujourd'hui, participent activement à l'essor du Canada. Cinq de nos collègues, dont le sénateur Chalifoux, représentent fièrement et dignement ces peuples.

Nous examinerons aujourd'hui la problématique des drogues en Suisse. Pour nous aider dans nos travaux, nous recevons ce matin du Bureau fédéral de la santé publique de la Suisse, Mme Diane Steber Büchli, chef de service à l'Unité internationale en affaires de drogues, et de l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive, Mme Françoise Dubois-Arber. Cet après-midi, nous recevrons le chef en service de la Police criminelle du canton de Zurich, M. Georges Dulex et enfin, de l'Institut de recherche sur les addictions, M. Ambros Uchtenhagen, professeur.

Madame Steber Büchli, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir accepté notre invitation ainsi que de l'intérêt que vous portez à nos travaux. En ce qui a trait au déroulement de la rencontre d'aujourd'hui, nous procéderons d'abord par la présentation de votre mémoire, qui sera suivi d'une période de questions de notre part.

Si pour toutes sortes de raisons qui militent en faveur d'un travail rigoureux, les recherchistes du comité désirent vous poser des questions additionnelles, je vous écrirai pour vous les faire connaître. J'espère que vous y répondrez. Ces questions et réponses seront aussi présentées sur le site Internet du comité. Madame Steber Büchli, je vous invite à prendre la parole.

[Traduction]

Mme Diane Steber Büchli, chef de service, Unité internationale en affaires de drogues, Bureau fédéral de santé publique de la Suisse: Au nom du Bureau fédéral de santé publique de la Suisse, je voudrais vous remercier de l'intérêt que vous manifestez pour notre politique à l'égard de la drogue et de votre invitation à prendre la parole devant vous aujourd'hui.

Je diviserai mon exposé en deux parties. La première portera sur la politique générale à l'égard de la drogue en Suisse. Dans la deuxième, je m'attarderai sur la révision de notre législation fédérale concernant les stupéfiants et les substances psychotropes.

La première partie de mon exposé soulève plusieurs questions. La première est quels sont les facteurs déterminants qui ont conduit à la politique que suit actuellement la Suisse à l'égard de la drogue? Quels sont ses objectifs et la stratégie employée?

Comme vous le savez, la Suisse est un petit pays entouré d'États membres de l'Union européenne. Nous avons environ 7 millions d'habitants et un système politique qui repose dans une large mesure sur le consensus et les concessions. Sept ministres élus représentent le gouvernement. Ils sont élus par le Parlement. Le Parlement accorde à chacun des quatre grands partis politiques au moins un siège au gouvernement. Toutes les grandes formations politiques sont représentées, ce qui fait de notre gouvernement un système dans lequel plusieurs partis se partagent le pouvoir et l'influence plutôt qu'un seul parti exerce le pouvoir pendant que les autres forment l'opposition.

Notre politique à l'égard de la drogue n'a pas été créée par une commission ou au sein du cabinet. Elle a pris forme au cours des années. C'est un processus qui a suscité beaucoup de conflits et de controverses.

Un facteur influant de la politique publique a été les débats publics. Les Suisses peuvent voter sur pratiquement chaque sujet qui intéresse l'opinion publique. Si certaines personnes n'aiment pas certaines choses ou croient qu'il faudrait discuter d'une question à l'échelle nationale, elles peuvent demander la tenue d'un référendum. Elles peuvent même demander un référendum sur un projet de loi que le Parlement a déjà adopté. Il leur suffit de recueillir 50 000 signatures pour que le référendum ait lieu.

Nous avons eu plusieurs débats publics. Par exemple, en septembre 1997, nous avons tenu un référendum sur une initiative qui préconisait une politique antidrogue visant les jeunes, fondée sur l'abstinence reposant principalement sur la répression et l'abstinence. Les Suisses ont rejeté cette politique par une majorité de plus de 70 p. 100. Près d'un an plus tard, une autre initiative demandait la mise en place d'une politique raisonnable à l'égard de la drogue. Cette politique était pratiquement à l'opposé de l'initiative de 1997. Là encore, la population l'a rejetée par une majorité de plus 70 p. 100.

En juin 1999, le Parlement a adopté un projet de loi permettant de faire du traitement avec prescription d'héroïne l'une des mesures thérapeutiques couramment employée. Certains parlementaires plus conservateurs ont désapprouvé cette décision et recueilli le nombre de signatures voulues pour la tenue d'un référendum. Un vote a eu lieu sur cette question et la population s'est prononcée en faveur du traitement avec prescription d'héroïne.

Les Suisses ont des débats publics qui attisent les passions, et notre public est bien informé sur le problème de la drogue.

Un autre facteur influent a été le spectacle des toxicomanes s'injectant de la drogue dans des lieux publics. Vous avez certainement entendu parler du fameux parc de Zurich fréquenté par les toxicomanes. Non seulement Zurich, mais d'autres villes comme Berne et Bâle avaient ce même genre de lieux. Ce spectacle a forcé les gens à se rendre compte de ce qui se passait. Ils ne pouvaient plus fermer les yeux et cela les amenés à réfléchir et à se forger une opinion.

Les médias sont un autre facteur qui influencent l'opinion. Les médias ont parlé du problème de la drogue pendant des années ainsi que des initiatives qui ont été prises. Cela a forcé la classe politique à prendre position. La question qui revenait toujours lors des campagnes électorales était: Quelle est votre opinion au sujet de la politique à l'égard de la drogue? Pendant la longue période au cours de laquelle ces politiques ont été formulées, le public a également été influencé par les experts et d'autres professionnels éminents de la santé.

La visibilité des toxicomanes a amené les populations locales à exercer des pressions sur les autorités. Ce n'est pas le gouvernement national qui a été confronté le premier au problème de la drogue, mais les gens des villes et des quartiers fréquentés par les toxicomanes qui jugeaient la situation intolérable. Les pressions ont été exercées par les autorités locales sur les autorités régionales puis sur le gouvernement national.

Lorsque les villes et les cantons ont dit qu'ils ne pouvaient plus faire face à un problème répandu dans tout le pays, le gouvernement national a pris les choses en main. Les drogués ne vivaient pas dans les régions montagneuses du pays, mais dans les villes. Les villes avaient d'énormes problèmes de drogue. Non seulement elles devaient faire face à leurs propres toxicomanes, mais également à ceux des régions avoisinantes. Notre gouvernement national a commencé à coordonner un plan d'action dans les divers cantons et les diverses régions et a communiqué l'information disponible. Un autre facteur est qu'on s'est rendu compte que le sida frappait durement les toxicomanes qui s'injectaient de la drogue.

Un des principes directeurs que nous avons adoptés est la nécessité d'un consensus, non seulement au niveau politique, mais entre les divers spécialistes. Une fois ce consensus atteint, il fallait l'entretenir, et il y a donc eu des échanges d'arguments et des divergences d'opinions qui ont suscité des débats très animés. Nous avons examiné attentivement les mesures prises et analysé leurs résultats.

La coopération a été assez facile à établir entre les divers professionnels de la santé et du domaine social. Par contre, la coopération entre eux et la police a été beaucoup plus difficile. Elle a consisté à entreprendre des projets ensemble, à écouter les besoins de l'autre partie, et à essayer de résoudre leurs désaccords en tenant compte des besoins de chacune. On a essayé de tenir compte de tous les besoins.

Le pragmatisme est un des principes directeurs de notre politique à l'égard de la drogue. L'idéologie ne mène nulle part. Il faut essayer de nouvelles méthodes pour voir ce qu'il est possible de faire sur le terrain et avoir l'honnêteté de reconnaître que si une approche est inefficace, il faut l'abandonner. Nos programmes sont donc axés sur les résultats et ils sont évalués. Nous essayons de mettre en oeuvre uniquement les programmes qui ont été évalués et qui sont axés sur les résultats. Les faits, les chiffres, les résultats de ces initiatives sont communiqués à la classe politique.

Nous avons plusieurs exemples de programmes novateurs, mais les meilleurs sont le traitement avec prescription d'héroïne et l'ouverture de salles d'injection sécuritaires.

Je vais maintenant aborder avec vous les objectifs de notre politique, qui sont suffisamment éloquents. Il s'agit de réduire le nombre de nouveaux toxicomanes et d'augmenter le nombre de personnes désintoxiquées. Si nous ne pouvons pas y réussir, notre objectif est au moins de réduire les risques pour la santé et l'aliénation sociale des toxicomanes, de protéger la société contre les répercussions négatives de la drogue et de combattre la criminalité. Pour atteindre ces objectifs, nous avons un plan d'action axé sur la prévention qui comprend quatre éléments. C'est une approche qui se veut équilibrée et qui cherche à débarrasser le toxicomane de sa dépendance. Si ce n'est pas possible nous avons ensuite le traitement, la réinsertion, la resocialisation, les mesures de réduction des méfaits, la répression et le contrôle.

Pour ce qui est du principal élément, la prévention, nous avons plusieurs projets en cours. Leur principal objectif est d'intégrer les gens dans leurs milieux. Nous essayons de faire participer les écoles, les familles, les clubs sportifs, et cetera... Nous avons un important programme de prévention dans les clubs sportifs qui consiste notamment à indiquer aux moniteurs l'attitude à adopter lorsqu'ils soupçonnent un jeune de consommer de la drogue.

Nous essayons également d'améliorer l'autonomie fonctionnelle des jeunes adultes ainsi que l'autonomisation et la santé. Nous avons commencé à faire comprendre aux écoliers les réalités concernant la santé et la façon de la protéger. Nous centrons moins nos efforts sur la drogue et nous les dirigeons plutôt sur la promotion de la santé et la prévention.

Le deuxième élément clé est la thérapie. Un vaste éventail de mesures thérapeutiques est offert en Suisse, y compris le traitement en établissement et la réinsertion. Il y a le traitement à la méthadone, le traitement avec prescription d'héroïne et le traitement comme patient externe, sans substitution. Sur les 7 millions d'habitants que compte la Suisse, environ 30 000 sont considérés comme des fortement dépendants. Sur ces 30 000 toxicomanes, un peu plus des deux tiers suivent un traitement quelconque. Sur ce nombre, 1 500 toxicomanes environ sont traités en établissement. Près des deux tiers des toxicomanes qui sont traités reçoivent de la méthadone, 1 100, reçoivent une thérapie avec prescription d'héroïne, et environ 2 000 reçoivent des services de traitement externes.

Le troisième élément clé est la réduction des méfaits et, à cet égard, nous avons plusieurs programmes en cours. La réduction des méfaits a été mentionnée pour la première fois en 1991 au niveau fédéral, dans le train de mesures visant à faire face aux problèmes de la drogue. En 1991, nous avons organisé la première conférence nationale sur la drogue où nous avons discuté de cette dimension. Un exemple de mesures de réduction des méfaits est notre programme d'échange de seringues qui comprend des salles d'injection sécuritaires. Il y a aussi des programmes d'emploi pour les toxicomanes qui peuvent travailler tous les jours. C'est peut-être difficile à comprendre pour un pays comme la Suisse, mais nous avons besoin de foyers où les toxicomanes peuvent dormir la nuit et des centres de contact à bas seuil. Les toxicomanes peuvent y aller demander des conseils ou de l'aide chaque fois qu'ils en ont besoin.

Le quatrième élément clé est la répression, le contrôle et l'application de la loi. Nous exerçons un contrôle très strict sur les substances psychotropes. Conformément aux conventions des Nations Unies, l'importation et l'exportation de ces substances doivent faire l'objet d'une autorisation afin qu'il n'y ait pas de détournement vers des marchés illégaux. La Suisse contrôle le trafic des stupéfiants, le crime organisé et le blanchiment d'argent. La Suisse a une loi sur le blanchiment d'argent.

Les toxicomanes sont dirigés vers des centres. Cela date de l'époque où les toxicomanes allaient dans les villes et ces dernières ne pouvaient plus faire face à la situation. Elles ont ouvert des centres afin que les régions montagneuses et les autres localités reconnaissent qu'elles avaient également un problème de drogue même si leurs toxicomanes partaient vers les villes. Un toxicomane qui vient de l'extérieur est conduit à un centre à partir duquel on le ramène chez lui.

Je vous ai donné un résumé de notre politique à l'égard de la drogue. Je n'ai pas dit, toutefois, que notre gouvernement allait la mettre en oeuvre étant donné que cela incombe aux cantons. Il y a des différences d'une région à l'autre. Par exemple, le sud de la Suisse ou la partie ouest francophone du pays vont appliquer cette politique différemment de la partie germanophone. Dans la partie germanophone, on a mis en place un vaste éventail de mesures de réduction des risques. Par exemple, il y a des salles d'injection sécuritaires alors qu'à l'heure actuelle il y en a qu'une seule dans toute la partie ouest du pays. Ce site d'injection se trouve à Genève. Il n'y en a aucun dans le sud. Cela montre que les cantons n'appliquent pas tous la politique de la même façon.

Suite à notre politique en matière de drogue, le nombre de toxicomanes très dépendants est resté à peu près stable. Nous avons toutefois un grand nombre de personnes en thérapie. Nous avons réussi à accroître leur nombre au cours des 10 dernières années.

Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait constamment lutter pour assurer une bonne coopération et un juste équilibre. En fait, nous n'y parvenons jamais; nous devons y travailler constamment.

Il faut également parvenir à un juste équilibre entre les intérêts du grand public et les besoins des toxicomanes. C'est un équilibre précaire.

Nous nous sommes également rendu compte qu'il ne s'agit pas seulement d'avoir une politique en matière de drogue, mais qu'il faut aussi des activités et des programmes pour changer les choses. C'est le résultat combiné de tous ces efforts qui améliore la situation.

Je voudrais maintenant parler de la révision de notre loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes de 1951.

La situation du cannabis est plutôt insatisfaisante à l'heure actuelle dans notre pays. Selon la loi en vigueur, la culture, l'importation, la production ou la mise en marché de stupéfiants est interdite. Le cannabis est mentionné parmi les autres drogues ce qui veut dire qu'il est visé par cet article uniquement lorsqu'il est produit comme stupéfiant. Un producteur dira qu'il produit du cannabis non pas comme stupéfiant, mais à des fins industrielles. Il ne sera donc pas visé par cette disposition. Par exemple, des oreillers bourrés de cannabis ayant une forte teneur en THC ont été vendus comme oreillers et n'étaient donc pas couverts par cet article. Pourtant, il était évident que ceux qui achetaient ces oreillers allaient les ouvrir pour en fumer le contenu. La Cour fédérale, le plus haut tribunal du pays, a jugé que ce n'est ni le produit ni son usage, mais sa teneur en THC qui doit déterminer s'il s'agit ou non d'un stupéfiant. Néanmoins, notre situation n'est pas très satisfaisante sur le plan juridique.

Depuis la dernière révision de la loi en 1975, le nombre de toxicomanes a augmenté, mais il y a des lacunes sur le plan de la prévention et du traitement. Nous avons mis en place des mesures de réduction des méfaits. Elles ne sont pas encore intégrées dans notre législation, mais elles sont devenues un élément clé de notre politique. Le mandat visant le traitement avec prescription d'héroïne expirera en 2004. Une fois intégré dans la loi, ce traitement deviendra une mesure thérapeutique légale.

Certains experts doutent qu'on puisse réduire la consommation de drogue en la pénalisant.

Je dois également mentionner que les cantons procèdent différemment en ce qui concerne la poursuite.

Toutes les mesures que j'ai mentionnées vont élargir la portée générale de notre législation. Toutefois, elle ne sera plus centrée sur la répression du trafic des stupéfiants et la criminalité reliée à la drogue, mais sur la santé publique. Notre principale préoccupation sera de protéger la santé de l'intéressé et de protéger le public contre les conséquences sanitaires de la toxicomanie.

La loi s'adapte également à la situation réelle des 7 millions d'habitants de la Suisse. Nous estimons que 500 000 personnes consomment du cannabis, à l'occasion ou régulièrement.

Je voudrais également parler de la dépénalisation de la consommation de cannabis, que j'aborderai plus tard, et des règlements qui pourraient s'appliquer à la culture, à la production et au commerce des produits de cannabis. Il est également important, dans ce contexte, d'améliorer la protection de la jeunesse.

Un autre objectif que nous poursuivons en Suisse est la concentration de la répression du crime organisé, du blanchiment d'argent et des atteintes à l'ordre public en plus de promouvoir une application uniforme de la loi à l'échelle du pays.

Le changement à notre législation qui est le mieux connu est la nouvelle orientation proposée pour résoudre les divers problèmes concernant le cannabis. Plusieurs arguments justifieraient que l'on accorde au cannabis et à ses produits un statut spécial par rapport aux autres stupéfiants. Nous considérons qu'il n'y a pas encore de preuve scientifique que le cannabis conduit à d'autres drogues. Les résultats de nouvelles recherches confirment également que la consommation de cannabis est moins néfaste pour la santé que la consommation d'alcool et de tabac. Le chanvre a également été redécouvert comme produit agricole. Il sert à fabriquer des textiles, des oreillers, comme je l'ai déjà mentionné, ainsi que des produits de beauté. La culture du chanvre industriel ne fait l'objet d'aucun contrôle. Il est donc difficile de faire la distinction entre la production industrielle et la production illicite. La production illicite est difficile à détecter et à contrôler.

Il y a aussi la question de l'usage thérapeutique du cannabis. L'usage du cannabis à des fins médicinales fait seulement l'objet de petits essais en Suisse. Je sais que des permis ont été accordés à cette fin au Canada. Des essais sont réalisés en Grande-Bretagne et nous attendons le résultat.

Quant à la dépénalisation de la consommation de cannabis suggérée dans le projet du conseil fédéral, l'achat, la possession et la consommation de cannabis à des fins personnelles seraient exemptés de poursuite et de sanctions. Ce genre de poursuites imposent actuellement à la partie poursuivante un fardeau hors de proportion avec les torts causés sur le plan de la santé publique.

Peut-être me demanderez-vous pourquoi le cannabis et ses produits devraient être traités différemment des autres stupéfiants. Le cannabis est la substance illicite la plus couramment consommée en Suisse, comme je l'ai déjà dit. Le cannabis a un taux d'accoutumance et un potentiel de risque plus faible que l'héroïne, la cocaïne et les amphétamines, de même que l'alcool et le tabac. Cela ne veut pas dire, toutefois, que la consommation de cannabis soit prise à la légère. L'un des objectifs de nos mesures de prévention est toujours de faire comprendre que, même si la consommation de cannabis sera dépénalisée, la consommation de toute substance psychoactive est mauvaise et jamais sans risque. Nous avons des rapports d'experts démontrant qu'il n'y a aucun lien entre une loi restrictive et la prévalence de la consommation de cannabis.

La dépénalisation de la consommation de cannabis s'accompagne d'une attention spéciale pour la protection de la jeunesse. Un groupe de travail qui a été mis sur pied a conclu que l'objectif le plus important était de protéger les jeunes contre la consommation et l'abus de substances psychoactives et la dépendance en général.

Comme je l'ai déjà dit, le message politique sera que la consommation de cannabis est néfaste et mauvaise même si elle n'est plus punissable. Le projet du conseil fédéral a été élaboré en tenant compte des recommandations du groupe de travail. La loi prévoit des dispositions spéciales pour les jeunes. Par exemple, la loi doit être appliquée en tenant spécialement compte des problèmes des jeunes. Il y en a un article spécial qui prévoit un système de dépistage des jeunes à risque et ces derniers bénéficieront de meilleurs services de counselling. Des sanctions plus sévères sont prévues pour ceux qui mettent des drogues à la disposition des jeunes âgés de moins de 18 ans. Pour accroître ces mesures de prévention, évaluer leur efficacité et soutenir la recherche, le conseil fédéral a suggéré un investissement d'environ 1,2 million de francs suisses au cours des cinq prochaines années.

Pour ce qui est de la culture, du commerce et de la production de cannabis, c'est de loin la question la plus complexe que nous avons eue à aborder. En raison des lacunes que j'ai mentionnées au départ, nous devons mettre au point un règlement réaliste pour la culture, la production et le commerce. Nous aimerions mettre en place des lignes directrices claires à l'égard de la culture du cannabis et du commerce des produits de cannabis. Ces lignes directrices doivent tenir compte de la situation actuelle. Elles doivent être appliquées uniformément dans l'ensemble du pays et doivent garantir l'application uniforme de la loi.

Bien que la consommation de cannabis sera dépénalisée, le cannabis reste une drogue interdite. Sa culture, son commerce et surtout son trafic d'un côté à l'autre de la frontière resteront passibles de poursuites et de sanctions pénales. Néanmoins, l'obligation de poursuivre sera limitée en ce qui concerne la culture et le commerce direct à petite échelle sur le marché national.

Le projet de loi permettra au conseil fédéral de définir clairement les priorités pour la poursuite des infractions liées à la drogue dans le cadre des dispositions de la loi. Autrement dit, le conseil fédéral pourra définir dans un arrêté dans quelles circonstances l'auteur du délit ne sera pas poursuivi. De façon générale, les activités mentionnées demeurent des infractions au Code pénal, mais comme aux Pays-Bas, des exemptions sont possibles.

Vous vous demanderez peut-être quelle est la teneur du projet de règlement. Les conditions rattachées à la vente seront que le fournisseur et le détaillant devront tenir une comptabilité précise, qu'aucune vente ne pourra être faite à des jeunes âgés de moins de 18 ans, qu'il ne pourra y avoir aucune publicité, que les ventes pourront être faites uniquement à des résidents de la Suisse, et que l'ordre public ne devra pas être perturbé.

Les conditions imposées pour la culture et la fabrication pourraient reposer sur la définition de la teneur en THC pour les divers produits, la preuve que le producteur vend seulement le cannabis sur le marché suisse et l'enregistrement obligatoire pour la culture du cannabis.

Nous sommes en train d'élaborer le texte et le rapport explicatif du décret sur le cannabis, ce qui nous conduira jusqu'au mois d'avril. En mai et juin, nous tiendrons des discussions avec des experts et l'administration cantonale. Au cours de la session d'hiver, en novembre, nous nous attendons à ce qu'il y ait des consultations entre les offices et les ministères fédéraux et, en décembre, nous espérons que le conseil fédéral pourra entamer la procédure de consultation.

En ce qui concerne l'échéancier prévu pour la révision de notre loi, nous espérons qu'en juin ou en août, la Commission pour la sécurité sociale et la santé du conseil national débattra de cette question. Nous espérons qu'au cours de la session d'automne, le conseil national prendra une décision et qu'au cours de la session d'hiver, il y a aura consensus entre les deux conseils, soit le conseil des États et le conseil national. Si c'est possible, vers la mi-décembre, les 50 000 signatures nécessaires à la tenue d'un référendum commenceront à être recueillies. On disposera de 100 jours pour réunir ces signatures, ce qui nous amène vers le début d'avril. Voilà notre échéancier approximatif.

[Français]

Le président: Parlez-vous français?

Mme Steber Büchli: Un peu, oui.

Le président: J'aimerais que vous nous donniez des statistiques sur la consommation des drogues en général et par catégorie de drogue. Disposez-vous de ce genre de statistiques?

[Traduction]

Mme Steber Büchli: Je n'ai pas de chiffres sous la main. En 1998, il y a eu une enquête auprès des jeunes pour savoir s'ils avaient consommé de la drogue et j'ai ici les résultats. Il y a une augmentation de la consommation d'ecstasy et des produits de cannabis. Nous pensons qu'en général la consommation d'héroïne est restée plus ou moins stable mais que la consommation de cocaïne a augmenté.

Le président: Avez-vous constaté une baisse de la consommation d'héroïne depuis la mise sur pied de nouveaux programmes comme les salles d'injection sécuritaires?

Mme Steber Büchli: Non. Nous avons une population relativement stable de toxicomanes qui s'injectent de la drogue, peu importe l'existence de salles d'injection sécuritaires. Ces établissements ont ouvert leurs portes à la fin des années 80. Nous avons constaté une forte baisse du VIH/sida.

Le président: C'est un résultat positif, mais les salles d'injection n'ont pas stabilisé l'usage de cette drogue?

Mme Steber Büchli: Les salles d'injection sont généralement des mesures de réduction des méfaits. Nous ne prétendons pas avoir une influence sur ceux qui veulent commencer à consommer de la drogue. Le but est de protéger la santé de ceux qui font déjà partie de ce cercle et de réduire leur marginalisation sociale.

Le président: Notre comité a pour principale mission d'étudier la consommation de cannabis, mais nous nous penchons également sur les autres drogues. Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne ce programme de traitement?

Mme Steber Büchli: M. Uchtenhagen vous parlera cet après-midi du traitement avec prescription d'héroïne. Pour revenir à votre question précédente, les salles d'injection sécuritaires ont leurs propres règles, l'une étant qu'aucun «débutant ne peut y avoir accès. Les salles d'injection sécuritaires n'incitent donc pas à commencer à consommer de la drogue.

Pour ce qui est du traitement, il y a diverses façons dont un toxicomane va commencer une thérapie. C'est peut-être par l'intermédiaire d'une salle d'injection sécuritaire parce qu'il y a sur place des gens qui offrent des services de counselling. Cela peut être également par l'entremise des centres de contact dont j'ai parlé à propos des mesures de réduction des méfaits. Les toxicomanes peuvent simplement y aller et se faire diriger vers un centre après avoir discuté de la meilleure option.

[Français]

Le président: La Suisse et le Canada se ressemblent à plusieurs égards quant à la structure de l'État, une structure fédérale, ainsi qu'au niveau des provinces au Canada et des cantons en Suisse. Dans votre stratégie nationale, quel est le niveau d'intégration entre les divers niveaux des gouvernements fédéral, cantonal et municipal? Visez-vous à une meilleure intégration des paliers de gouvernement?

[Traduction]

Mme Steber Büchli: Il y a plusieurs commissions aux niveaux municipal et cantonal où notre office est représenté. Au niveau de ces commissions, les cantons échangent de l'information et discutent de leurs problèmes. La mise en oeuvre de la loi est du ressort des cantons. En communiquant des faits et des données ainsi qu'en proposant des mesures de coordination, nous nous assurons que notre loi est mise en oeuvre à tous les niveaux.

[Français]

Le président: Parmi les principes directeurs que vous avez énumérés un peu plus tôt, vous avez mentionné la preuve et l'information adéquatement soutenue. Qui est chargé de faire la cueillette de cette information, de la mettre à jour et de la redistribuer?

[Traduction]

Mme Steber Büchli: Notre office détient la responsabilité générale, mais nous confions à d'autres institutions le soin d'assurer le suivi scientifique de nos projets. L'information est distribuée par notre office à diverses filières, qu'il s'agisse des commissions que j'ai mentionnées ou sur demande. Il y a diverses filières de distribution.

Le président: Le Bureau fédéral de santé publique est-il indépendant du gouvernement fédéral? Est-ce comme «l'observatoire» en français?

Mme Steber Büchli: Non.

Le président: Fait-il partie du gouvernement fédéral?

Mme Steber Büchli: C'est cela.

Le président: Vous avez la responsabilité de faire ce que font les autres «observatoires» en Europe?

Mme Steber Büchli: C'est exact. Voilà pourquoi nos données ne sont pas aussi fiables. Nous venons d'ouvrir un «observatoire»; qui ressemble aux centres de liaison qu'ont les États membres de l'Union européenne. Ces centres rassemblent les données. Nous réunissons des données nous aussi, mais nous n'avons pas les mêmes indicateurs que l'Union européenne.

Le président: Quel degré d'indépendance avez-vous par rapport au gouvernement dans l'atteinte de ces objectifs?

Mme Steber Büchli: Nous sommes un office gouvernemental.

Le président: Ce qui veut dire que vous êtes soumis aux décisions que prennent vos supérieurs hiérarchiques du gouvernement. Ceux-ci pourraient décider demain de sabrer dans votre budget?

Mme Steber Büchli: Ils pourraient le faire, oui.

Le président: Il n'y a donc pas d'«observatoire» en Suisse? Vous jouez ce rôle?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: Vous vous occupez des enquêtes et les financez. Ma première question portait sur la consommation des drogues en Suisse, et vous vous occupez de cela aussi. Comment est-ce que ça marche?

Mme Steber Büchli: Notre unité, qu'on appelle le Service des substances et du sida, a un budget qui est approuvé par le gouvernement. À l'intérieur de ce budget, nous faisons évaluer les programmes.

Le président: Vous appartient-il de diffuser l'information au grand public, ou est-ce un autre service de votre office qui s'en charge?

Mme Steber Büchli: Oui, nous diffusons l'information. C'est l'une de nos principales responsabilités. Nous communiquons des informations, des faits et des données, non seulement aux cantons, mais aussi aux politiciens pour nous assurer que le débat est axé sur les résultats.

Le président: Pourquoi votre pays n'a-t-il pas ratifié la convention de 1988?

Mme Steber Büchli: Le temps nous a manqué. Le Parlement avait en fait entrepris un débat sur la ratification de la convention de 1988 lorsque la première initiative a été présentée. Cela étant fait, le gouvernement a décidé de retarder son débat sur la ratification dans l'attente des résultats du vote national. Il y a eu un autre vote national un an plus tard. La question s'est posée de nouveau, et le gouvernement a décidé encore une fois de retarder son débat. En attendant le vote national sur la seconde initiative, le conseil fédéral a confié à notre office le mandat de refondre la loi fédérale.

Cette refonte étant en cours, le Parlement a constaté une fois de plus que le cannabis et la dépénalisation du cannabis pouvait faire problème, il a donc décidé encore une fois de retarder son débat. La question était celle-ci: devons-nous prévoir des exemptions, si oui, lesquelles? Ce débat n'est pas terminé.

Le président: Cela tient probablement au fait que le pragmatisme est l'un de vos...

[Français]

... principe directeur...

[Traduction]

Vous allez vous assurer que la ratification de la convention s'intègre bien dans votre nouvelle loi?

Mme Steber Büchli: Exactement, oui.

Le président: Pour en revenir à la loi, l'alinéa 19b) m'intrigue. J'ai devant moi le texte français, qui dit:

[Français]

Celui qui se borne à préparer pour lui-même la consommation de stupéfiants ou à permettre à des tiers d'en consommer simultanément en commun après leur en avoir fourni gratuitement n'est pas punissable s'il s'agit de quantités minimes.

[Traduction]

C'est déjà la loi de votre pays, n'est-ce pas?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: Si je comprends bien, cela veut dire que si je cultive de la marijuana et que je la prépare, et que vous êtes invité chez moi et que nous en fumons ensemble, il n'y a pas de problème; c'est-à-dire qu'aucune accusation ne sera portée contre vous ou moi. Ai-je bien interprété l'alinéa 19b)?

Mme Steber Büchli: Pas vraiment, parce que l'alinéa 19b) renvoie au paragraphe 19(1) qui dit que, commet une infraction quiconque cultive ou produit des stupéfiants.

Le président: J'ai lu moi aussi l'article 19. Ensuite, j'ai lu l'alinéa 19b). Lisons-le ensemble: «Celui qui se borne à préparer pour lui-même la consommation de stupéfiants ou à permettre à des tiers d'en consommer simultanément en commun après leur en avoir fourni gratuitement n'est pas punissable s'il s'agit de quantités minimes».

C'est très clair.

Mme Steber Büchli: À l'exception du cannabis, oui; les autres stupéfiants, non.

Le président: L'alinéa 19b) ne traite que du cannabis?

Mme Steber Büchli: Non, il ne traite pas que du cannabis, mais l'exemption du châtiment ne se rapporte qu'au cannabis.

Le président: Ce qui veut dire qu'on permet la consommation personnelle et à titre récréatif?

Mme Steber Büchli: Cela n'est pas permis pour les stupéfiants.

Le président: La marijuana est un stupéfiant?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: Si je comprends bien l'alinéa 19b), cela veut dire que je ne commets pas une infraction si je me borne à préparer un stupéfiant pour consommation personnelle et à le partager avec des amis. Aucune accusation ne sera portée.

Mme Steber Büchli: On ne porte aucune accusation pour la consommation de cannabis, en effet.

Le président: Cela veut dire que ce n'est pas punissable?

Mme Steber Büchli: Oui, pour le cannabis.

Le président: Parlez-moi de la prévention dans les écoles. Comment procédez-vous? Qui est responsable? Est-ce la police? Combien d'argent consacre-t-on à cette stratégie?

D'après nos recherches, de 1991 à 1995, on consacrait en moyenne annuellement entre 30 et 35 francs suisses à la prévention, ce qui est à peu près la même chose en dollars canadiens. Combien d'argent consacre-t-on à la prévention dans les écoles et comment le programme fonctionne-t-il?

Mme Steber Büchli: La prévention dans les écoles a beaucoup évolué. Autrefois, des agents de police se rendaient dans les écoles et montraient diverses poudres aux enfants pour qu'ils les reconnaissent leur disant pourquoi elles étaient dangereuses. Aujourd'hui nous ne nous en tenons plus à la substance seulement, et nous privilégions des activités qui favorisent la santé.

Les écoles relèvent des cantons. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux pour faire ce qu'on appelle la promotion de la santé. Ces écoles, étant donné qu'elles se gouvernent elles-mêmes, s'adonnent à des activités de promotion de la santé. Nous les aidons en leur communiquant des informations et des idées, mais ce n'est pas une responsabilité du gouvernement fédéral.

Nous avons un projet qui porte sur l'intervention précoce et que nous sommes en train d'évaluer. Le principe ici consiste à faire adhérer à un projet les jeunes gens qui présentent un comportement à risque. Ce comportement à risque comprend la désobéissance aux règlements de l'école, le risque de décrochage, les parents qui ne s'entendent pas ou qui sont incapables de discipliner l'enfant, le vol à l'étalage et l'alcool. Les jeunes adultes qui présentent ces comportements à risque doivent adhérer au programme. Le programme dure en moyenne six mois, mais il peut s'échelonner entre quatre et neuf mois.

L'objet de la recherche consiste à voir si l'on peut renforcer l'amour-propre de la jeune personne, si elle peut affronter ses problèmes, si l'aide qu'elle reçoit lui permet de discuter et d'aller au fond des choses comparativement aux jeunes gens qui n'ont pas suivi ces programmes. C'est la recherche que nous avons entreprise. Le premier programme a commencé en 1999. Depuis 2000, 14 centres y participent en tout. Le programme s'étalera jusqu'en 2003 ou 2004.

Le président: Dans les statistiques de 1998 que vous avez mentionnées plus tôt, vous parlez de la consommation de drogues chez les jeunes de 12 ans et plus?

Mme Steber Büchli: Nous avons des garçons et des filles de 14 et de 15 ans.

Le président: Pouvons-nous obtenir cette information?

Mme Steber Büchli: Oui, vous pourrez l'obtenir.

Le président: Avez-vous également, dans cette information, des statistiques sur la consommation d'alcool et de tabac?

Mme Steber Büchli: Oui. Il y a une question où on leur demande s'ils consomment de l'alcool, du tabac et d'autres drogues comme l'Ecstasy et les produits du cannabis.

Le président: A-t-on remarqué en Suisse une consommation multiple de drogues — c'est-à-dire, qu'on ne consomme pas seulement une drogue mais qu'il y a polytoxicomanie?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: Vous êtes témoin du même phénomène?

Mme Steber Büchli: Les habitudes de consommation ont changé. On se dirige davantage vers la polytoxicomanie.

Le président: Votre organisme a-t-il procédé à des études pour analyser ces constatations?

Mme Steber Büchli: Pas à ma connaissance, mais je peux vérifier.

Le sénateur Chalifoux: Merci pour cet exposé intéressant sur ce que fait la Suisse.

J'ai plusieurs questions qui concernent le crime organisé. Au Canada, le crime organisé est de plus en plus répandu, et l'on recrute des jeunes pour en faire des toxicomanes. Savez-vous ce qui se passe en Suisse? Avez-vous fait des études sur cette question? Le crime organisé est en train de devenir un problème important partout dans le monde. Que fait la Suisse?

Mme Steber Büchli: Dans ce dossier complexe que pose la poursuite et que nous modifions dans la loi, l'une des idées mises de l'avant consiste à consacrer les ressources limitées de la police à ce que nous jugeons être les activités plus importantes, à savoir les liens qu'il y a entre autres entre le crime organisé et la consommation de la drogue.

L'Office fédéral de la police travaille en étroite collaboration avec les cantons. Il a créé plusieurs nouveaux moyens de coordination avec les cantons, et il est actif dans ce dossier. Il y a des trafiquants en Suisse et nous essayons de maîtriser la situation.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce que le crime organisé en Suisse a des liens avec les autres grandes organisations criminelles du monde, par exemple les Hells Angels ou le cartel de Medellin en Colombie?

Mme Steber Büchli: Je ne peux pas répondre à cette question, du point de vue de la police, mais peut-être que M. Dulex, qui est de la police cantonale, pourra y répondre cet après-midi.

Le sénateur Chalifoux: Au Canada, nous constatons une forte augmentation dans les dépendances chimiques, surtout chez les jeunes, qui prennent de l'ecstasy, du crack et autres types de substances chimiques. Constatez-vous une augmentation dans l'utilisation de ces drogues chimiques en Suisse? Que révèlent vos statistiques, et que faites-vous pour remédier à ce problème?

Mme Steber Büchli: Nous constatons en effet une augmentation dans la consommation de ces substances. Nous nous intéressons tout particulièrement au problème lié la cocaïne. Nous n'avons pas encore de solution pour aider les cocaïnomanes.

En ce qui concerne l'ecstasy, l'un de nos programmes de prévention en place consiste à dire aux jeunes, à ceux surtout qui assistent à des raves, qu'évidemment nous ne voulons pas qu'ils avalent ces pilules au départ, mais qu'en tout cas ils ne mélangent pas les drogues, juste la musique. À ces raves, nous leur remettons des dépliants qui leur disent «Ne mélangez pas les drogues, juste la musique». Nous avons des brochures spéciales pour les organisateurs de ces partys où nous leur disons en quoi ils doivent être vigilants et comment ils peuvent faire certaines choses. Cette stratégie s'écarte des formules «Tu ne feras pas ceci», ou «Tu ne dois pas faire cela», et on leur dit plutôt: «Si tu dois faire ceci, au moins ne fais pas cela». C'est la stratégie que nous suivons.

Le président: Savez-vous qu'à Amsterdam, surtout lors des raves à l'Ecstasy, on a décidé de placer un laboratoire mobile à proximité rien que pour tester les pilules? Êtes-vous au courant de cela?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: Votre gouvernement compte-t-il offrir ce genre de service?

Mme Steber Büchli: Nous l'avons fait il y a quelques années de cela. Il s'agit d'une machine portable qui permet de tester rapidement le contenu des pilules qui sont distribuées à ces partouzes. Nous avons cela aussi.

Le président: Quel a été le résultat de cette expérience? Était-il positif?

Mme Steber Büchli: Il s'agissait davantage de faire prendre conscience des dangers aux jeunes gens. Si l'on dit aux jeunes qu'il y a de la mort-aux-rats dans ces pilules, ils vont peut-être y réfléchir à deux fois avant d'en prendre. La machine nous permettait aussi de déterminer la composition de ces pilules, de voir si la composition était dangereuse ou s'il s'agissait de vitamines ou d'éléments qui ne sont pas tellement puissants, ce qui était le cas parfois.

Le sénateur Chalifoux: Dans votre exposé, vous avez mentionné le chanvre et le cannabis dans la même phrase. Comme certains de mes collègues, j'ai fait des recherches sur le chanvre industriel, qui est un cousin éloigné du chanvre. Au Canada, nous avons légalisé la culture du chanvre à des fins industrielles. Ce chanvre contient du cannabis en quantité minime, mais vous semblez le mettre sur le même pied que le cannabis. Que fait-on en Suisse? Dans mon esprit, le chanvre est une plante merveilleuse qui permet de fabriquer bien des choses. En outre, il résiste à la sécheresse, aux inondations et à tout le reste. Pourquoi assimilez-vous les deux? La Suisse a-t-elle fait quelque chose pour séparer les deux?

Mme Steber Büchli: Pardonnez-moi si je vous ai donné une fausse impression. Ce que je voulais dire, c'est que dans un grand champ de chanvre industriel, il serait difficile de repérer les plants illégaux dont la teneur en THC serait élevée. Avec la redécouverte du chanvre industriel, qui n'est pas réglementé, et le cannabis ayant une teneur élevée en THC qui doit l'être, on risque d'avoir un champ de chanvre dont une partie est réservée au cannabis.

Le sénateur Chalifoux: Au Canada, nous avons mis au point un processus de délivrance de permis pour la culture et la réglementation du chanvre. C'est un processus rigoureux. Vous aimerez peut-être apprendre comment le Canada gère cette situation.

Mme Steber Büchli: C'est l'un des problèmes avec lesquels nous sommes aux prises en ce moment, à savoir, le chanvre industriel n'est soumis à aucun contrôle et sa culture n'exige aucun permis tandis que le cannabis ayant une teneur élevée en THC doit l'être. C'est l'un des problèmes sur lesquels on se penche en ce moment alors que l'on formule l'arrêté, à savoir, comment contrôler la culture du cannabis pour éviter qu'il débouche sur le marché illégal.

Le sénateur Chalifoux: Je vous invite à voir ce qui se fait au Canada.

Mme Steber Büchli: Nous le ferons.

Le sénateur Chalifoux: Vous trouverez peut-être de bonnes informations chez nous.

Moi et bien d'autres avons toujours pensé que le fait de fumer de la marijuana pouvait être le début d'une toxicomanie plus dangereuse. Dans vos statistiques, avez-vous constaté quoi que ce soit à ce sujet?

Mme Steber Büchli: C'est ce que je voulais dire lorsque je disais que nous considérons le cannabis comme une drogue qui conduit à d'autres drogues. Cependant, la preuve scientifique manque toujours. Nous avons vu que la consommation d'alcool et de tabac est presque toujours présente chez le toxicomane qui consomme ces drogues fortes. Toutefois, nous n'avons pas la preuve scientifique démontrant qu'on commence d'abord par la consommation de cannabis pour ensuite passer aux drogues fortes.

Le président: Est-ce qu'il faut un permis pour cultiver le cannabis à teneur élevée en THC? Contrôlez-vous cela?

Mme Steber Büchli: Pas en ce moment, mais avec la révision de la loi, nous devrons mettre au point un système de contrôle pour connaître la quantité produite. La production n'est autorisée que pour le marché suisse en ce moment. En contrôlant la quantité de cannabis qui sera produite, nous pourrons nous assurer que notre cannabis ne sera pas exporté vers nos pays voisins.

Le président: Comment ont réagi les pays voisins lorsque vous avez déposé les modifications à la loi de 1951?

Mme Steber Büchli: En partie parce qu'ils étaient mal informés ou parce qu'ils manquaient d'information, ils sont venus nous demander ce que nous faisions exactement. À l'heure actuelle, notre office organise des séminaires et des conférences dans chacun de nos pays voisins pour nous assurer qu'ils comprennent bien ce que nous comptons faire avec cette révision. La plupart de nos pays voisins, surtout l'Allemagne et la France, sont mécontents parce qu'aujourd'hui, on en vend dans les soi-disant magasins de chanvre aux non-résidents suisses. Ce sera l'un des règlements qu'il faudra respecter lorsqu'on vendra du cannabis à l'avenir.

Le président: Lorsqu'un pays modifie ou révise sa législation en matière de drogues, l'une des difficultés consiste à s'assurer que les options qui s'offrent à lui sont compatibles avec les conventions internationales.

Dans quelle mesure votre pays a-t-il étudié ces conventions, même s'il n'a pas ratifié celle de 1988? Si oui, pouvons- nous obtenir ces études?

Mme Steber Büchli: Nous avons pris en considération les conventions des Nations Unies, particulièrement la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.

Selon des experts suisses et étrangers, notre proposition est conforme à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Nous échangeons constamment des informations avec l'Organe international de contrôle des stupéfiants de Vienne, et nous croyons que ce que nous faisons est conforme aux conventions. Pour ce qui est des études dont nous disposons, trois sur quatre sont en allemand et ne sont traduites ni en anglais ni en français.

Le président: Ça ne fait rien, nous pouvons y remédier.

Lorsque vous dites que vous respectez cette convention, est-ce la raison pour laquelle vous employez le mot «dépénalisation» au lieu de légalisation?

Mme Steber Büchli: Il ne s'agirait pas d'une légalisation. On ne pourra jamais acheter ce produit.

Le président: J'emploie l'expression légalisation «contrôlée», comme pour l'alcool ou le vin.

Mme Steber Büchli: Je ne crois pas que les conventions aient influencé notre terminologue.

Le président: Vous employez le mot «dépénalisation». S'agit-il d'une décriminalisation réelle ou d'une dépénalisation? Le cannabis demeurera-t-il illégal, sauf qu'on n'intentera pas de poursuites?

Mme Steber Büchli: Oui — seulement si l'on respecte certaines règles.

Le président: Qu'allez-vous réglementer? Les moyens de contrôle deviendront-ils légaux? Sinon, le cannabis demeurera-t-il illégal?

Mme Steber Büchli: Oui.

Le président: C'est presque la même chose que les règlements sur l'alcool. Même si je n'ai pas le droit de fabriquer de l'alcool dans mon sous-sol, je peux en acheter et en consommer. Y aura-t-il une similitude entre les règlements que vous allez adopter pour contrôler la culture et la consommation du cannabis et ceux qui réglementent la consommation d'alcool ou d'autres substances?

Mme Steber Büchli: Nos règlements seront beaucoup plus sévères. À l'heure actuelle, il y a beaucoup plus de producteurs d'alcool que de cannabis. La question est de savoir s'il y aura un article dans l'arrêté qui concernera la nécessité d'ouvrir des magasins. Dans le cadre du texte actuel, les cantons seront en mesure de dire: «Nous n'avons pas besoin d'autant de magasins». Ils auront aussi le droit de fermer ces magasins. Ce n'est pas la même chose pour l'alcool. En ce moment, dans la région de Bâle, près de l'Allemagne et de la France...

Le président: Vous faites allusion aux magasins de chanvre?

Mme Steber Büchli: Oui. En ce moment, Bâle compte plus de magasins qu'il n'en faut pour desservir seulement les consommateurs suisses. Si le canton de Bâle estimait qu'il y avait trop de magasins, il pourrait en fermer, selon ce qu'il juge nécessaire. Mais il faudrait adopter une disposition de nécessité.

Le président: Le même canton ou organisme municipal ne peut pas, en ce moment, contrôler ou criminaliser la vente de marijuana dans votre pays?

Mme Steber Büchli: Maintenant, oui. Si la teneur en THC du produit en vente est très élevée, alors oui, ils le peuvent. L'un de nos objectifs consiste à empêcher toute exportation de la drogue, ce qui se fait en ce moment. Le nombre de magasins que nous avons maintenant est directement lié au nombre de personnes qui viennent chez nous d'Allemagne ou de France.

Le président: Vous employez le mot «dépénalisation». Pour nous ici présents, il y a une distinction importante pour ce qui est de savoir si c'est la police ou le tribunal qui décide.

Les attachés de recherche ont de nombreuses questions, j'espère donc que nous allons correspondre avec vous pour obtenir certaines réponses.

[Français]

Le président: Nous recevons maintenant Mme Françoise Dubois-Arber, de l'Unité d'évalutation des programmes de prévention à Lausanne de l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive.

Madame Dubois, merci d'avoir accepté notre invitation et de l'intérêt que vous portez aux travaux de notre comité. Votre présentation sera suivie d'une période de questions et, si les recherchistes jugent à propos, je vous écrirai et attendrai vos réponses avec anticipation.

Dr. Françoise Dubois-Arber, membre, De la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues; Institut universitaire de médecine sociale et préventive: Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant votre comité.

Je suis médecin en santé publique avec une formation en médecine clinique, en médecine interne. Depuis plus de dix ans, je dirige une unité d'évaluation des programmes de prévention à l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne. Notre unité a été mandatée par l'Office fédéral de la santé publique, qui est l'équivalent de votre ministère de la Santé, pour évaluer sa politique en matière de drogues. Auparavant, nous avions reçu un mandat semblable d'évaluation dans le domaine du sida. Nous avons donc une certaine expérience dans le domaine.

Mon exposé sera structuré de la façon suivante. Je vais d'abord parler de notre mandat d'évaluation. Je parlerai aussi de l'organisation ainsi que des méthodes que nous employons. Également, je parlerai des indicateurs que nous retenons pour évaluer, des procédures et aussi de l'utilité que peut avoir une évaluation dans le cadre d'une politique de drogue.

Je suis membre de la Commission fédérale pour les affaires liées aux drogues. Cette commission a produit, il y a deux ans maintenant, un rapport sur le cannabis. Je vais donc vous faire part de nos réflexions à ce sujet.

Brièvement, je vais rappeler la politique de l'Office fédéral de la santé publique à ce sujet. L'Office fédéral de la santé publique est chargé d'évaluer les aspects santé de la politique, c'est-à-dire la prévention, le traitement et la réhabilitation, ainsi que la réduction des risques et dommages. Le quatrième pilier qui est celui de la répression ne fait pas l'objet de notre mandat d'évaluation. Celui-ci est traité par un autre ministère dans le cas de la Confédération.

Pour compléter un peu les propos tenus par Mme Steber, j'aimerais vous rappeler schématiquement en quoi le modèle suisse de politique drogue diffère de ce qu'on trouve assez couramment.

On peut imaginer la consommation comme un continuum. Quelqu'un qui ne consomme pas devient un consommateur régulier, puis un consommateur dépendant. À un certain moment, après des traitements ou même sans traitement, spontanément, il sortira d'une période de consommation.

Ce qu'il y a d'assez particulier avec le modèle suisse, tout comme d'autres modèles qui comprennent une grande réduction des risques, c'est qu'il y a aussi un continuum dans la politique qui s'adresse à la consommation, c'est-à-dire qu'il y a toute une part de prévention. Au moment où le consommateur commence à consommer, il risque d'être encore en contact avec des programmes de prévention primaire et secondaire. Mais surtout, il sera très vite en contact avec des programmes de réduction des risques ou de réduction des dommages. Il pourra très rapidement aussi entrer éventuellement en traitement ou dans un processus de réinsertion. Donc, autant il y a une continuité dans la vie de la consommation, il y a aussi une continuité dans les programmes et une contiguïté, ou une continuité, dans les programmes qui sont proposés.

Souvent, dans les modèles qui ne comprennent pas un fort volet de réduction des risques et des dommages, il y a une période blanche, vide, pendant laquelle le consommateur dans sa phase qu'on appelle la lune de miel n'est en contact avec rien du tout. Il n'y a aucune possibilité de contact avec le traitement ou des services de santé. C'est peut-être ce qui sépare le modèle que nous utilisons d'un modèle plus classique sans réduction des risques.

J'en viens maintenant à notre mandat d'évaluation. Nous avons pour mandat d'analyser la conception et la mise en oeuvre des programmes mis sur pied par l'Office fédéral de la santé publique depuis 1991. Nous devons en apprécier les résultats finaux et on nous demande surtout d'apprécier l'évolution de la prévalence et de la gravité de la consommation. Je dis apprécier parce que ce n'est pas toujours possible d'être exacts dans nos appréciations.

Nous devons aussi examiner, suivre dans le temps, certains éléments de l'environnement social et politique dans lequel se développe cette politique-drogue. Nous avons pour mandat également d'être en contact permanent ou régulier avec l'Office fédéral de la santé publique, de rendre compte, à intervalles réguliers, de l'avancement, des résultats, des conclusions ainsi que des recommandations de nos travaux.

Jusqu'à présent, notre évaluation s'est déroulée en plusieurs phases. La première phase a duré quatre ans, et la deuxième phase a aussi duré quatre ans. On en est maintenant à 13 ans d'évaluation environ.

Qu'est-ce que cette évaluation a de particulier? Il s'agit d'une évaluation globale, c'est-à-dire que nous pouvons porter notre regard à la fois sur des aspects de conception de la politique-drogue, sur la mise en œuvre et sur les résultats, et cela, toujours en gardant un oeil sur le contexte dans lequel il se déroule. C'est ce que nous considérons être une évaluation globale. Cette évaluation est continue depuis 1961 mais se déroule en phases successives rythmées par des rapports d'évaluation dont j'ai apporté quelques exemplaires. On les trouve également sur Internet. Je les laisserai à la disposition du comité.

Cette évaluation est aussi «accompagnante». Ce n'est pas une évaluation qui se tient éloignée de la politique, mais elle l'accompagne tout en étant externe. C'est une distance qu'il faut gérer entre l'évaluation et ceux qui mettent en oeuvre la politique.

Ce type d'évaluation est centré sur l'utilisation. Nous estimons qu'il est très important que l'évaluation tienne compte de ceux qui ont des intérêts dans la politique, c'est-à-dire que cette évaluation tâche de répondre à des besoins qui peuvent concerner les politiciens eux-mêmes, mais aussi les personnes en santé publique, y compris éventuellement les usagers ou la population en général. L'équipe qui mène cette évaluation est multidisciplinaire, comprenant des professionnels de santé publique et des services sociaux.

Il s'agit d'un montage d'études différentes faites sur des sujets particuliers que nous choisissons avec l'Office fédéral de la santé publique à chaque période d'évaluation et à la suite desquelles nous faisons un rapport de synthèse sur ce qui s'est passé en recherche durant cette période.

Je souligne tout de suite qu'il y a beaucoup de chercheurs en Suisse qui s'occupent de toxicomanie. L'évaluation n'est donc pas l'alpha et l'oméga des données récoltées en Suisse. Une bonne partie de notre travail consiste à repérer les recherches existantes, d'en tirer le meilleur parti, faire une synthèse des données et, en fait, boucher les trous dans la connaissance, c'est-à-dire faire nos propres études dans des domaines qui ne sont pas suffisamment et même pas du tout explorés par les chercheurs plus universitaires et moins évaluateurs. On a nos propres études et on utilise aussi des données existantes.

Jusqu'à présent, on a eu quatre périodes d'évaluation. La première période a été de 1990 à 1992 qui était essentiellement un bilan de la situation pour voir où on en était avec les données qui étaient à notre disposition. Ensuite on a eu les périodes 1993-1996, 1997-1999 et actuellement 2000-2003. Il y a eu deux périodes dans le programme qui a été mis en place par l'Office fédéral de la santé publique et, en fait, la première période allait de 1991 jusqu'à 1996 et après, on a eu la période du Programme de mesures destinées à lutter contre la drogue II.

Pendant la première période, l'évaluation était basée sur le contexte, sur des études de presse d'attitude dans la population face à la drogue, et on a utilisé les données épidémiologiques existantes. Peu d'études spécifiques sur la stratégie de l'Office lui-même ont été utilisées.

Dans la deuxième période, aussi à la demande de l'Office fédéral de la santé publique, nous nous sommes centrés davantage sur les activités mêmes du ministère de la Santé dans ce domaine. On a fait des études d'évaluation sur la conception et la planification de leur deuxième période de mise en oeuvre de programme ainsi que sur l'innovation et l'ancrage des programmes. Au fur et à mesure que le programme des mesures de l'Office se développait, on regardait autre chose dans ce programme.

Par exemple, dans cette deuxième partie de l'évaluation, nous nous sommes intéressés à la conception même de chacun des domaines des mesures. Par exemple, nous avons mené avec l'Office fédéral de la santé publique une évaluation de leur plan d'action, sur la façon dont ils concevaient leur action. Cela a donné des théories d'action. On a regardé précisément comment ils conçevaient leur action et à partir de ces théories d'action, et on a cerné un certain nombre d'indicateurs pour évaluer la mise en oeuvre des politiques.

C'est un peu un avant-goût de ce que fait notre évaluation. En deux mots, quelques études propres à nous, avec beaucoup d'utilisation de données existantes. Même s'il n'y a pas d'observatoire, beaucoup de données existent en Suisse, des données qui ne sont pas forcément toujours recueillies de façon concertée. Les indicateurs ne sont pas nécessairement toujours les mêmes, ce qui nous pose des problèmes pour faire l'évaluation, parce qu'on n'arrive pas toujours à tirer le meilleur parti de ces données. Un des projets de l'Office fédéral de la santé publique, c'est d'arriver à uniformiser les nombreuses récoltes de données que nous avons dans notre pays.

Je vais parler des indicateurs que nous utilisons pour suivre cette politique et en particulier pour répondre aux deux questions principales: comment peut-on apprécier l'évolution du nombre des consommateurs dans notre pays? Et comment peut-on apprécier la gravité de la situation?

Sommairement, on peut dire qu'on a recours à ce qu'on appelle des indicateurs directs. On a deux types d'indicateurs. Les indicateurs directs sont issus d'enquêtes faites directement dans la population générale ou dans certaines populations de consommateurs. Ces indicateurs, en particulier ceux recueillis dans la population générale, vont nous donner des chiffres représentatifs de la population. Mais il y a des problèmes avec ce type d'enquêtes. Quand on fait une enquête en population générale pour savoir quelles sont les consommations des personnes, on utilise comme techniques des enquêtes téléphoniques et aussi des enquêtes en face à face. Il y a de bonnes de chances qu'une partie des gens qu'on souhaiterait atteindre ne sont pas atteignables, parce qu'ils sont trop marginalisés pour être titulaires d'un téléphone.

Ces indicateurs directs ont un certain nombre de limites dont il faut être conscient et qui seront complétées par une série d'indicateurs indirects, c'est-à-dire des indicateurs qui ne mesurent pas directement la consommation, mais qui nous donne une idée par leur évolution de ce que peut être la consommation.

Il y a des indicateurs directs qui reflètent le nombre de consommateurs au moyen d'enquêtes faites dans la population en général et où on interroge les gens sur leur consommation de diverses substances. Les enquêtes démontrent aussi qu'il y a des indicateurs qui reflètent la situation sociale des personnes, leur intégration dans la vie professionnelle; si elles occupent un logement ou si elles ont des contacts avec le système répressif. Ce sont des indicateurs directs de la gravité de certains problèmes.

On a aussi des indicateurs directs de la gravité des problèmes liés à la toxicomanie quand on s'interroge sur l'état de santé des personnes, sur leur infection par le VIH ou sur l'infection par les hépatites. On a aussi des indicateurs directs de la gravité, et plus particulièrement de l'intensité et des modalités de leur consommation.

Ce sont les indications dont nous disposons. Je vous donnerai quelques exemples plus tard.

Ces données ne suffisent pas. Comme je vous l'ai dit, ces indicateurs directs sont entachés d'imperfections parce qu'ils sont recueillis dans des populations qui sont majoritairement saines, et qui majoritairement ne consomment pas de drogues telles que l'héroïne et la cocaïne.

On parle d'estimation parce qu'on n'arrive pas toujours à compter le nombre de personnes qui s'adonnent à la consommation de ces substances. Je vous donnerai sous peu une idée des estimations faites pour donner une idée plus précise de l'évolution de la situation.

On s'intéresse plus spécifiquement à l'évolution d'un certain nombre d'indicateurs indirects, c'est-à-dire qui ne donnent pas tout de suite un indice sur la quantité de personnes qui consomment, mais qui démontrent l'évolution d'un certain nombres de problèmes liés à la consommation.

Par exemple, l'évolution des décès liés à la drogue nous donnent à la fois une idée sur le nombre des consommateurs — il y a une relation entre le nombre de décès et le nombre de consommateurs —, mais c'est surtout un indicateur de la gravité des problèmes liés à la toxicomanie.

L'utilisation des données de la répression, des données de la police et des données de la justice, est un indicateur indirect du nombre des consommateurs. J'insiste pour dire que l'indicateur est très indirect. On verra les limites de cela.

On a d'autres indicateurs qui sont indirects quant au du nombre de consommateurs, par exemple, les données qu'on a sur l'âge des consommateurs quand ils entrent en traitement. On a divers types de traitements suisses par lesquels on identifie, entre autres, des prises en charge dans des centres à bas seuil par des traitements résidentiels et à la méthadone, où il y a un certain nombre de récoltes de données faites. Ces données nous permettent de connaître l'âge des personnes dès la première fois qu'elles se présentent à ces institutions. Les dernières années nous ont permis d'observer que l'âge moyen d'entrée dans toutes ces institutions devient de plus en plus élevé. On pose l'hypothèse que bon nombre de consommateurs vieillissent, et le pourcentage des jeunes consommateurs change légèrement cette donnée. Ces données sont des indicateurs indirects de l'évolution de la situation.

Nous considérons aussi comme des indicateurs indirects de la gravité de la consommation de drogues illicites, la consommation des drogues licites. On estime qu'il y a un certain rapport qu'on ne connaît pas exactement, mais l'évolution du rapport à d'autres substances légales peut nous donner des indications sur le fait d'être prêt ou non à consommer des substances illicites. Ce sont les indicateurs dont nous faisons la revue et la synthèse pour avoir une image de la situation.

Je vous donne un exemple d'un indicateur direct que nous utilisons. Sur le schéma, la ligne bleue du haut indique la consommation de cannabis durant la vie pour les jeunes âgés de 17 à 30 ans. On a des données pour la période commençant en 1987 et se terminant en l'an 2000. On remarque chez cette population âgée de 17 à 30 ans, qu'à partir de 1997, davantage de personnes, comparativement aux dix années précédentes, ont consommé du cannabis. L'indice est supérieur à 30 p. 100 actuellement, mais ce n'est pas une augmentation énorme.

En revanche, des études de l'OMS, dans divers pays, démontrent que des écoliers de 15 ans représentaient moins de 10 p. 100 de la population, en 1986, à avoir consommé du cannabis dans leur vie, tandis qu'en 1998, ils sont plus de 20 p. 100.

On voit bien que chez les jeunes générations, il y a une augmentation de la consommation du cannabis. C'est l'utilisation d'un de nos indicateurs directs, parce que ces données proviennent directement des personnes concernées.

Vous voyez des indicateurs de la situation de vie et de l'état de santé des usagers des centres à bas seuil, c'est-à-dire ces centres à très bas seuil d'accès qui font la réduction des risques et des dommages et qui, entre autres, remettent des seringues aux usagers et leur donnant aussi d'autres services, soit l'accès aux chambres d'injection, éventuellement.

Je vous montre ici toute une série d'indicateurs de situations de vie. Vous pouvez voir ici l'habitation d'un domicile dans les derniers mois. On remarque que le pourcentage de domiciles fixes entre 1993 et 2000 a très légèrement diminué. Cela est un indicateur indirect de la gravité du problème.

On voit aussi que le pourcentage de gens qui n'ont pas de travail a augmenté, ce qui est aussi un indicateur indirect de la gravité des conséquences sur les consommateurs. La situation économique de notre pays démontre que les jeunes consommateurs sont plus difficilement intégrés sur le marché du travail qu'il y a dix ans.

En revanche, les relations avec le système répressif ont diminué entre 1993 et 2000 en ce qui a trait aux interventions de la police dans le grand public.

On a au bas de la feuille, une série d'indicateurs sur l'état de santé de toutes ces personnes interrogées dans les centres à bas seuil qui consomment par voie intraveineuse des drogues illicites. Entre 1993 et 2000, la proportion de ceux qui se s'injectaient a légèrement diminué. On a observé dans ces dernières années, une tendance à ce qu'une partie des consommateurs arrêtent de s'injecter certains produits pour les inhaler. On fait allusion, par exemple, à l'héroïne qu'on appelle «la pratique de chasser le dragon».

Chez les personnes consommant des drogues par injection intraveineuse, le taux d'injections par semaine a légèrement diminué entre 1994 et 2000. Ce sont des tendances assez grossières qui ne concernent pas forcément tous les consommateurs. C'est la consommation moyenne.

L'évaluation a parfois un regard différent, puisqu'on s'intéresse toujours aux populations dans leur ensemble, mais l'intervenant de rue ou l'intervenant qui travaille dans un centre, est confronté à des évolutions qui sont différentes selon les personnes. On voit que la tendance à l'injection se fait plus rare, mais on voit aussi chez certains consommateurs qui commencent à consommer de la cocaïne, une augmentation du nombre d'injections. En moyenne, cette tendance aurait plutôt diminué.

Le partage de seringues entre plusieurs personnes, soit l'exposition à des risques du VIH a aussi beaucoup diminué durant ces dernières années. En 1993, environ 17 p. 100 des gens affirmaient avoir partagé leur seringue au cours des six derniers mois. Cet indice démontrait un pourcentage inférieur en comparaison à des pays européens ou américains.

On a observé une diminution de partage de seringues en 1994, et ces dernières années, le partage de seringues est demeuré à des niveaux assez bas. Ce sont des indicateurs directs de la gravité de certains problèmes liés à la consommation de drogue.

Voici quelques exemples de l'évolution des indicateurs indirects. Il y a quelques années, des enquêtes ont été menées dans le but d'estimer le nombre de toxicomanes dans notre pays. Il a été difficile de les dénombrer puisque c'est une activité prohibée par la loi et les gens ne vont pas avouer ou décrire très précisément.

À partir des résultats des différentes enquêtes, un chercheur a fait des estimations en utilisant des fourchettes de probabilité du nombre de consommateurs. Sur une base de quatre types de récolte de données différents, on obtient des fourchettes de nombres de consommateurs réguliers de drogues dures qui vont de 20 000 — l'estimation la plus basse — à 36 000, l'estimation la plus haute.

Au milieu des années 90, l'estimation généralement reconnue est de dire que dans notre pays, environ 30 000 consommateurs de drogue sont gravement dépendants. Puisque qu'on ne connaît pas le chiffre exact, on en arrive à penser que la tendance est plutôt à la hausse ou qu'elle est plutôt à la baisse sur la base des données des indicateurs indirects.

Par exemple, vous avez ici l'évolution du nombre de dénonciations et la poursuite de la dénonciation pour consommation entre 1974 et 1988 et ce, pour divers types de substances. En blanc, la courbe représente l'augmentation du nombre de dénonciations pour la consommation de cocaïne. On voit que ce nombre a nettement augmenté au cours des dernières années.

En revanche, ce qui est en rouge représente l'évolution du nombre de dénonciations pour consommation d'héroïne. Il y a eu un summum au milieu des années 90 et on se base sur ce type de données pour dire que la consommation d'héroïne, demeurée nettement majoritaire dans notre pays par rapport à la cocaïne, tend à diminuer. Par ailleurs, on remarque que les dénonciations pour la consommation de cannabis ont beaucoup augmenté durant les dix dernières années.

Cela nous donne une idée de l'évolution de certains types de consommation et en gros, si on se basait sur les dénonciations, on dirait qu'il y a eu diminution de la consommation d'héroïne dans les dernières années, mais que l'héroïne demeure la «drogue dure» la plus consommée en Suisse. On dirait aussi qu'il y a eu augmentation de la consommation de cocaïne et de cannabis.

On a vu le nombre de dénonciations. On peut obtenir des images plus fines de la situation si on regarde l'évolution des premières dénonciations, c'est-à-dire si on enlève de la statistique toute personne dénoncée pour la deuxième, la troisième ou la quatrième fois.

Dans les petites colonnes en bleu, on remarque que pour toute consommation confondue, les premières dénonciations ont eu tendance à stagner ces dernières années alors que les dénonciations répétées ont augmenté. Cet indicateur indirect est aussi utilisé pour dire qu'il y a quand même une certaine stabilisation, voire une diminution du nombre de consommateurs, puisqu'une partie de ces dénonciations sont des dénonciations de personnes qui ont déjà été repérées une première fois, voire plusieurs fois.

Si on regarde l'évolution des décès liés à la drogue, qui est un indicateur de la gravité du problème de la toxicomanie, on remarque une évolution nettement à la baisse ces dernières années. En rouge, on voit l'évolution des cas où la drogue est la première cause de décès et en général, il s'agit de surdoses. On voit aussi que depuis le début des années 90, ce type de décès a quelque peu diminué et on est de nouveau dans la même situation que celle de la fin des années 80.

Ce qui est en noir représente les décès reliés au sida chez des personnes qui s'injectent des drogues. On voit qu'il y a eu un pic au milieu des années 90 avant l'introduction des nouvelles thérapies, et il faut noter que le nombre de ces décès a nettement diminué durant les dernières années.

Un autre indicateur de la gravité des problèmes de consommation est le nombre de traitements. On estime que plus il y a de gens en traitement, meilleures sont les chances qu'ils sortent de la toxicomanie et que leur état de santé ne s'aggrave pas pendant leur période de consommation.

Dans le cadre de la politique de l'Office fédéral de la santé publique et des cantons, qui a été poursuivie pendant toutes ces dernières années, on a réussi à capter en traitement une grande quantité de consommateurs, et le nombre de traitements à la méthadone a pratiquement doublé.

Du début des années 90 à aujourd'hui, le nombre de traitements de substitution à l'héroïne a quadruplé tandis que le nombre de traitements en milieu résidentiel qui, en général, sont des traitements de sevrage avec maintien dans un système fermé avec une réhabilitation, est demeuré plutôt stable avec une légère augmentation.

Ce que le graphique ne dit pas, c'est qu'en même temps qu'on arrivait à capter en traitement une grande partie de consommateurs, le type de traitement qui leur était offert a changé, car une partie de notre politique de réduction des risques consiste en une façon différente de traiter les gens. On accepte beaucoup plus maintenant le fait que des gens consomment une drogue dure malgré le fait qu'ils soient en traitement de méthadone. Cela ne constitue pratiquement plus une raison pour interrompre le traitement, alors que c'était le cas il y a dix ans.

On admet l'idée d'une certaine maintenance, autant avec l'héroïne qu'avec la méthadone, en attendant que l'état psychique du patient s'améliore et en attendant qu'il se sente prêt à envisager un sevrage. On n'a donc plus la vision du traitement à la méthadone d'autrefois qui commençait à une certaine dose et qui diminuait rapidement.

Au contraire, ces dernières années on a plutôt tendance à donner aux patients des doses assez élevées et maintenues pendant un certain temps jusqu'à ce que la stabilité de leur état soit garantie. Ce n'est qu'à ce moment qu'on commence à retirer les doses agressives. Il y a une composante de réduction des risques dans les traitements, dans le sens où on admet que les traitements servent maintenant à maintenir des gens qui ne sont pas parfaitement stabilisés du point de vue de leur consommation. En attendant de faire le pas vers la désintoxication, ils courent moins de risques pour leur santé.

Quant à la question de savoir si l'Office fédéral de la santé publique utilise les données, je vous assure qu'il les utilise. Il a même pris des mesures qui font partie de nos contrats pour renforcer l'utilisation des données d'évaluation et de recherche en général.

Quels types de mesures l'Office prend-il? Il y a d'abord des mesures contractuelles. Dans notre contrat d'évaluation, nous avons ce qu'on appelle une obligation de valorisation. Nous devons produire des rapports avec des résumés qui puissent être compréhensibles par le grand public. Nous sommes censés aussi, sur invitation de l'Office fédéral de la santé publique, faire des conférences publiques et éventuellement des conférences de presse pour rapporter le résultat de nos investigations. Il y a une réflexion systématique qui est faite au sein de l'Office fédéral de la santé publique quand un rapport est rendu sur la façon dont ce rapport pourrait être valorisé, en identifiant ceux que ce rapport pourrait intéresser et à qui il pourrait être distribué. Cela figure dans les contrats mais ne fonctionne pas très bien. Mais il y a un réel effort qui est fait puisque cela fait partie de notre obligation contractuelle. Il y a aussi des mesures internes qui sont prises pour essayer de valoriser les résultats de l'évaluation.

Par exemple, au début de chaque période d'évaluation, qui dure trois ou quatre ans, il y a une période de discussion avec les responsables de l'Office fédéral de la santé publique qui s'occupent de la mise en œuvre du programme. On fait un triage parmi les questions d'évaluation pour déterminer ce dont elles devront traiter pendant la période à venir. Il y a une discussion, une négociation qui se fait à ce sujet.

Cela veut aussi dire que si les gens nous posent des questions, c'est qu'ils sont intéressés et ils sont particulièrement avides d'avoir des réponses. Ils vont donc nous suivre pour obtenir ces réponses afin de s'assurer que cela se fasse dans le meilleur des délais.

Il y a un suivi de l'évaluation qui est fait par le service de l'évaluation de l'Office fédéral de la santé publique, qui est le service qui mandate les évaluations à l'extérieur. Il y a une organisation de retour formel aux équipes de résultats intermédiaires et il y a une diffusion de l'information.

Une autre mesure prise par l'Office fédéral de la santé publique pour renforcer l'utilisation de l'évaluation est une diffusion relativement large des résultats. Ce n'est pas toujours parfait. Cela a surtout été le cas dans les premières périodes d'évaluation où le politique avait besoin et intérêt à rendre public assez rapidement les résultats de ces évaluations. Il y a aussi une utilisation de ce qu'on appelle des fenêtres d'opportunité. Ceci veut dire que lorsqu'il y a des débats en Chambre ou lorsque des nouvelles mesures sont prises, on saisit cette opportunité pour faire connaître mieux un certain nombre de résultats d'évaluation.

Vous vous demanderez sans doute si l'évaluation peut être utile. À quoi servent les évaluations? Il y a d'abord toute une partie d'utilisation politique de l'évaluation. Cela permet d'identifier les acquis, où on en est dans la situation, et cela permet aussi d'identifier les problème qui restent à résoudre. Cela permet de valider et de légitimer la politique. Ce n'est pas la moindre des choses dans un environnement politique comme le nôtre où, finalement, la Loi sur les stupéfiants donne la possibilité à l'Office fédéral de la santé publique d'intervenir sur beaucoup de choses, mais ce sont quand même les cantons qui sont souverains, notamment en matière de santé. Il est donc très utile de valider, de légitimer une politique, quand elle a du succès. On a vu en Suisse que cela renforce la stabilité, la diffusion et l'acceptation de cette politique.

Le fait de pouvoir faire état des résultats d'évaluation permet aussi une évaluation de la portée des données utiles pour orienter les décisions et faire des corrections dans les politiques. Je donne un ou deux exemples de cela. Au début de l'évaluation, on a fait des enquêtes dans la population en général pour savoir comment étaient perçus les problèmes de drogue et comment la population, notamment, percevait les consommateurs eux-mêmes. On voit qu'en 1991, il y avait une majorité de la population qui était d'accord que l'abstinence était possible même après plusieurs échecs, mais il y avait quand même un bon 30 p. 100 de la population qui n'avait aucune idée à ce sujet ou bien qui pensait vraiment qu'on ne pouvait pas s'en sortir.

Ce type de données sur les connaissances de la population a été utilisé, par exemple, dans la campagne nationale de sensibilisation en 1997. Un des messages était de dire à la population que les toxicomanes peuvent s'en sortir si on leur donne un coup de main. Cela peut prendre du temps, mais ils peuvent s'en sortir. Ces campagnes étaient motivées par des résultats d'évaluation et destinées à améliorer la connaissance de la population à cet égard.

En 1991, avec les toutes premières évaluations, on a cherché à savoir ce que la population était prête à accepter comme solutions au problème de la toxicomanie. Ce qui est frappant c'est qu'on voit que déjà en 1991, donc il y a plus de dix ans, une très grande majorité de la population était d'accord avec le fait qu'il était utile de vendre ou de distribuer des seringues propres aux toxicomanes. On était dans une situation de très grande acceptation.

En revanche, à l'époque il y avait vraiment une petite minorité de la population qui était prête à accepter la vente libre du haschich et de la marijuana. La population était majoritairement d'accord qu'il était possible d'offrir aux toxicomanes des locaux pour s'injecter des drogues et, de même, déjà à l'époque, la population était d'accord qu'il était possible d'imaginer la remise, sous contrôle, d'héroïne, à des consommateurs de drogues.

Ce type de données était très utile aux politiciens pour savoir où ils en étaient par rapport à leur population et pour savoir ce qu'il était possible de faire politiquement, ce qui était plus difficile et ce qu'il fallait encore expliquer. Une autre utilité de l'évaluation, à notre avis, c'est que cela contribue au développement d'un savoir partagé. Si les résultats de l'évaluation sont bien diffusés dans la population, les choses sont bien connues et cela permet de trancher un certain nombre de débats controversés dans le sens d'une politique s'appuyant sur les preuves. C'est l'aspect «evidence-based policy».

Je vous donne un exemple. Vous voyez ici l'évolution du nombre de seringues distribuées dans les centres à bas seuil depuis les années 1993 jusqu'à 2000. Ce qu'on voit, c'est qu'il y avait beaucoup de seringues qui étaient distribuées dans les années 1994-1995. C'était l'époque des scènes ouvertes. Quand les scènes ouvertes ont été fermées, enfin dispersées, beaucoup de toxicomanes sont entrés en traitement et beaucoup sont entrés probablement dans une certaine clandestinité. On a eu une chute très importante du nombre de seringues qui étaient distribuées dans ces centres d'accès à bas seuil. Mais on voit qu'après il y a une certaine reprise de la distribution et que la distribution s'est complètement stabilisée.

C'était très intéressant de pouvoir le dire aux politiciens des choses concernant la réduction des risques. D'une part, la mise à disposition du matériel d'injection était bien acceptée et, d'autre part, elle n'encourageait pas l'injection de drogues. Si vraiment cela avait été le cas, on aurait dû voir une augmentation continuelle du nombre de seringues remises à des consommateurs, ce qui n'était pas le cas. On a une stabilisation depuis de nombreuses années. On a pu montrer aussi que sous l'effet de ces politiques, le partage des seringues avait diminué et qu'il s'était stabilisé à un niveau bas. On a pu montrer aussi que les consommateurs de drogues avaient été capables d'adopter des comportements de prévention de même niveau que ceux qu'on trouve dans la population en général par rapport à l'utilisation de préservatifs.

On a pu montrer — et il y a quelques années cela n'était pas du tout évident — que quand on leur donnait les moyens de se protéger, ils le faisaient. On a donc vu le nombre de nouveaux cas de VIH diminuer fortement chez les consommateurs. On a vu aussi que la politique de réduction des risques ne dissuadait pas du tout les consommateurs d'entrer en traitement, au contraire, puisqu'on a vu une augmentation des entrées en traitement. Ce sont quelques exemples de ce que peut apporter une évaluation dans le débat public.

Je passerai au cannabis maintenant. Avant de parler des quelques expériences de la commission au sein de laquelle je suis membre, j'aimerais montrer un petit dessin de presse humoristique qui vous fera peut-être sentir à quel point en Suisse il y a un débat sur le cannabis qui se déroule dans une atmosphère d'ouverture. C'est un dessin qui montre notre ministre de la santé en train d'arroser des plants de cannabis devant son bureau et en train de fumer un joint. C'est un dessin paru dans un journal très lu, le jour où on a annoncé la dépénalisation du cannabis par le conseil fédéral. Ce sont des choses dont on peut parler, voire rire dans notre pays.

Lorsque la commission fédérale à laquelle j'appartiens a commencé à réfléchir sur le cannabis, il faut préciser qu'elle l'a fait de son propre chef. Ce n'était pas un mandat de l'Office fédéral de la santé publique, même si l'Office fédéral était content qu'on s'occupe de cela.

Le rapport Schilte, qui présentait des scénarios divers sur la politique des drogues, avait toujours considéré toutes les drogues illégales en même temps. L'idée de la Commission alors était qu'il ne fallait pas trop s'attacher aux substances. C'est la personne qui comptait et le risque qu'elle courrait de devenir dépendante ou pas. Une partie des membres de la Commission a cjangé dans les années qui ont suivi. Ces membres ont constaté qu'il y avait augmentation de la consommation liée au cannabis. Ils ont dû se confronter au fait que la substance était différente des autres et qu'une réflexion à ce sujet s'imposait.

La première réflexion de la Commission a été de se demander quel devait être le but principal d'une politique du cannabis. Pour la Commission, il s'agissait de créer des conditions générales propres à empêcher, aussi bien pour le consommateur que pour la société, les conséquences néfastes de la consommation. Elle souhaitait une politique de réduction des risques.

La Commission considérait qu'une politique sur le cannabis devait avoir également d'autres buts, dont ceux de protéger la jeunesse et les consommateurs. Il fallait promouvoir la santé, prévenir la consommation, réduire la consommation problématique, particulièrement la consommation dangereuse, et éviter la criminalisation des consommateurs et la stigmatisation des jeunes. La situation apparaissait déjà insupportable, compte tenu de la quantité de consommateurs que nous avons en Suisse.

Il nous semblait qu'un des buts était de décharger la police et la justice de la poursuite de délits mineurs afin qu'ils puissent se consacrer à des délits plus importants. Un des buts importants consistait en l'application uniforme du droit en vigueur. Actuellement, la poursuite des consommateurs de cannabis n'est pas la même selon que vous habitez dans un canton ou l'autre. Il y a inégalité de facto devant la loi. Une politique sur le cannabis exigeait qu'on puisse trouver des lignes directrices qui soient communes à toutes les drogues. Il paraissait important qu'on passe à la protection d'autres groupes de la population, à la suppression des marchés illégaux du cannabis et qu'on obtienne un rapport coût-bénéfice plus favorable que celui de la politique actuelle.

La Commission a donc tenu plusieurs audiences avec de nombreux experts. Elle a mandaté des études d'experts. La position qu'elle a soutenue en conclusion n'était pas celle retenue par le Conseil fédéral. La Commission a décidé de ne pas tenir compte de l'environnement juridique de la Suisse. Elle a décidé de s'émanciper à travers cette réflexion des contraintes et de garder une réflexion essentiellement de santé publique ou sociale.

Après avoir examiné différentes options, la Commission a proposé, à l'unanimité des membres, un modèle de dépénalisation de la possession et de la consommation du cannabis et de légalisation de son acquisition. Elle envisageait un scénario de légalisation, mais pas un scénario de libéralisation. L'idée était de parvenir à une réglementation tout à fait claire.

Nous savions parfaitement que ce modèle n'était pas compatible avec la Convention de 1961. Nous avons quand même voulu donner un signal politique au Conseil fédéral en disant que la Commission proposait ce scénario. Dans la réglementation que nous croyions nécessaire, selon ce scénario de légalisation, la réglementation qui devait être associée à cette légalisation devait développer des exigences de qualification pour les commerçants autorisés, soit des prescriptions claires concernant la vente et le produit, une interdiction de la publicité, une possibilité éventuellement d'imposer des prix, une interdiction de vente aux moins de 18 ans — il y a eu discussion quant à savoir si on devait proposer 18 ou 16 ans, âge requis pour consommer de l'alcool — et une attestation de domicile, quant à l'achat, pour éviter des problèmes de tourisme de drogues.

On imaginait qu'il était possible de fixer le nombre de plants de cannabis autorisés pour la consommation personnelle et ainsi que de réglementer la production commerciale. Il nous paraissait extrêmement important de développer des mesures d'accompagnement très fortes, c'est-à-dire un renforcement de la prévention et de l'accès au Conseil pour les consommateurs particulièrement à risques et à problèmes.

C'était la recommandation principale de la Commission. Nous savions que c'était incompatible avec la Convention de 61. Nous avons donc admis qu'il y avait un second choix, celui d'une dépénalisation partielle au cas où l'option légalisation se révèlerait politiquement sérieuse, ce qui a été le cas — politiquement irréalisable. La proposition que nous faisions consistait en une dépénalisation matérielle de la consommation et des actes préparatoires, et l'application du principe d'opportunités pour le trafic, c'est-à-dire la possibilité pour le Conseil fédéral d'avoir une réglementation de la poursuite, de l'opportunité ou pas de poursuivre le trafic, et donc, qui soit cette fois prise par la Confédération et qui fasse que chaque canton obéisse aux mêmes règles. Ceci n'est pas le cas actuellement.

Le président: Au début de votre présentation, vous avec parlé d'une évaluation externe. Dois-je en conclure qu'il s'agit d'une évaluation indépendante?

Mme Dubois-Arber: Oui. Cependant, je dis «mais». Cela a toujours fait l'objet de discussions avec l'Office fédéral de la santé publique. En principe, elle l'est. Les rapports que nous rendons sont d'abord discutés au sein de l'Office fédéral de la santé publique. Jamais ils n'ont été retenus jusqu'à présent. Ils ont toujours été publiés par après. L'Office ne peut pas en principe nous demander de changer le fond. Il peut éventuellement nous demander de changer la formulation d'une phrase. C'est à nous de décider si oui ou non nous acceptons de changer une formulation. En principe, elle est indépendante. Nous avons, par exemple, la possibilité de rédiger des publications scientifiques sur la base de nos rapports. Là aussi, nous ne sommes pas censés soumettre nos articles avant la publication. On envoie une copie de l'article au moment où on le soumet à la publication. La seule chose que nous devons faire parfois est d'attendre quelques mois avant d'envoyer un article pour la publication. Fondamentalement, il n'y a pas d'entraves.

Le président: Vous n'avez pas d'entraves non plus au plan budgétaire?

Mme Dubois-Arber: Nous avons un budget.

Le président: La négociation du budget n'affecte pas la qualité des travaux d'évaluation?

Mme Dubois-Arber: Je ne sais pas. Le budget est renouvelé tous les quatre ans. L'évaluation de la politique n'est pas inscrite dans la Constitution. C'est un libre choix de l'Office fédéral de la santé publique de ne pas être évalué ou de diminuer ses budgets.

Le président: Ce n'est pas un observatoire tel qu'on en retrouve dans d'autres pays de l'Union européenne, lesquels jouissent d'une indépendance plus que relative, tant sur les plans budgétaires que sur leur capacité de publier ou d'informer la population, entre autres, et dont c'est le devoir. Après avoir été à même d'exploiter au maximum le régime suisse, prêcheriez-vous pour un modèle qui se retrouve dans d'autres pays européens où on trouve des observatoires indépendants?

Mme Dubois-Arber: Un observatoire, ce n'est pas un évaluateur. Ce sont deux choses différentes. On est en train d'unifier nos statistiques pour les rendre plus proches de celles qui existent en Europe. La richesse de nos données est équivalente à ce qu'on retrouve dans les autres pays d'Europe. Un observatoire n'est pas là pour faire des conclusions ni des recommandations. En général, il observe des résultats de politique, des prévalences de consommation. Il ne va pas regarder l'évolution d'une politique de façon critique. Il n'est pas fait pour cela et en général, il n'a pas les instruments pour le faire. Avec un mandat d'évaluation, on doit jeter un regard particulier sur une politique particulière pour en faire une certaine critique. Ce n'est pas le cas de l'observatoire. L'observatoire observe, il ne critique pas et n'évalue pas. On peut utiliser les données de l'observatoire dans le cadre d'une évaluation. Ce que les observatoires n'observent pas, en général, ce sont les processus. Ils observent assez rarement les mesures prises dans le détail. Les processus sont ce qu'il y a de plus difficile à évaluer, pour avoir une idée exacte de ce qui se déroule dans la mise en œuvre des programmes, le nombre de programmes mis en oeuvre, leur qualité, et cetera. La plupart des observatoires européens ne sont pas forcément habilités à le faire.

Le président: Dans votre évaluation, considérez-vous que la Suisse évolue en matière de drogue dans le cadre d'une stratégie bien structurée, compte tenu de la forme fédérative de l'État? Les pouvoirs sont répartis entre au moins deux juridictions importantes, sans oublier le rôle des municipalités.

Mme Dubois-Arber: Oui, on pense qu'il y a eu beaucoup d'intelligence dans la mise en place de cette politique. L'Office fédéral de la santé publique a une base légale assez ténue pour intervenir dans le domaine des drogues, la Loi sur les stupéfiants, mais toute la mise en oeuvre se fait au niveau des cantons. L'essentiel de son rôle dans tout ce qui est mise en oeuvre de la politique, c'est un rôle d'incitation et de coordination. L'Office a innové avec, entres autres, les prescriptions d'héroïne, et cetera, mais pour la plupart des choses, il s'est aligné sur les cantons qui étaient les plus avancés. L'Office a, de façon intelligente, joué des subventions, joué avec les programmes, toutes les possibilités d'investissement d'argent public, joué de l'innovation pour, peu à peu, arriver à gagner à sa politique les cantons qui étaient les plus retardataires. J'habite dans un canton qui était un des cantons pour lesquels, il a dix ans, il n'était pas question de faire de la réduction des risques. Ce n'était pas possible de remettre des seringues à des consommateurs de drogues en dehors de la vente en pharmacie. Petit à petit, sous la pression d'une politique bien menée par l'Office fédéral, le canton s'est aligné et c'est un canton où on parle d'un local d'injection où peut-être, d'ici quelques années, des traitements de substitution à l'héroïne. Dans le cadre des menues possibilités d'intervention au niveau fédéral, il y a eu une intelligence du maniement de l'innovation et de l'incitation avec les cantons qui restent souverains.

Le président: La nature de l'exercice de la juridiction confédérale est peut-être plus intégrée avec les cantons qu'elle ne l'est au Canada. Au Canada, c'est un système fédéral, mais les deux juridictions, fédérale et provinciale, exercent leur pouvoir. La santé est principalement du ressort provincial, à tout le moins, dans l'articulation de la mise en oeuvre de la recherche de la santé publique, mais le gouvernement fédéral a aussi un rôle en vertu de la Loi nationale sur la santé. C'est pour cette raison que j'ai demandé cette question à votre collègue tout à l'heure et je vous pose la question: comment rime cette collaboration?

Mme Dubois-Arber: C'était la difficulté de l'exercice. À notre avis, en Suisse, le canton est vraiment souverain en matière de santé. La seule restriction c'est la Loi sur les épidémies. C'est pour cela que la Confédération, dans le cas du sida, a pu intervenir et proposer des choses, mais en principe, le canton est souverain, et l'organisation des hôpitaux se fait au niveau cantonal. Les limites de l'intervention de la Confédération, les possibilités d'intervention directe ne sont pas énormes. Tout se fait de façon indirecte. Mme Steber Büchli a parlé des lieux de concertation mis sur pied pour essayer de gagner petit à petit les cantons à la politique. Il n'y a pas la possibilité en Suisse d'avoir une politique dirigiste notamment en ce qui concerne la santé. L'assurance-maladie se règle sur le plan fédéral, mais l'organisation des soins, l'organisation des politiques sociales, le concret et la mise en œuvre, c'est vraiment cantonal. La marge de manoeuvre est petite.

Le président: La stratégie nationale est-elle une politique de persuasion cantonale pour amener les cantons à coordonner, avec l'instance fédérale, l'autorité criminelle quant à l'édiction de la loi?

Mme Dubois-Arber: Oui. Absolument.

Le président: La mise en oeuvre est cantonale. C'est la même chose qu'au Canada. C'est pourquoi j'insiste sur ces questions d'intégration.

La Suisse a introduit des traitements au maintien avec l'héroïne. Pourquoi pas la cocaïne?

Mme Dubois-Arber: On n'a pas le même problème de cocaïne que vous. Il y a deux populations de consommateurs de cocaïne en Suisse. Il y a les consommateurs bien intégrés, riches, le type de consommation de cocaïne très récréative. De ces gens, on ne connaît à peu près rien. Dans nos statistiques, ce sont des gens qui, en général, n'apparaissent pas ou peu.

Le président: Leur existence ressort-elle de vos statistiques dans les niveaux d'usage?

Mme Dubois-Arber: Dans les niveaux d'usage, on a peu de données. On a des données en population générale. C'est un pour mille de consommation de drogues dures. Il y a quelques années, on ne séparait pas l'héroïne et la cocaïne. Ce sont des petits pourcentages de consommation de la population. On n'a pas de population qui injecte la cocaïne pure. On a l'héroïne. Pour ceux qui s'injectent des drogues, jusqu'à présent et sauf exception, à ma connaissance, l'essentiel de l'entrée dans l'injection se fait avec l'héroïne. C'est notre type de consommation. Pour ces raisons, on n'avait aucune raison d'avoir des traitements de maintenance à la cocaïne, parce qu'on n'a pas de cocaïnomanes dépendants dans nos centres de traitement. Ce n'est pas notre habitude de consommation. Maintenant, la plupart des consommateurs gravement dépendants d'héroïne s'injectent aussi de la cocaïne, mais dans un deuxième temps.

Le président: Vous avez mentionné dans votre présentation que la cohorte des consommateurs tendait à vieillir. Vous m'avez offert d'en parler dans une question plus précise. Comment pouvez-vous constater cela? Est-ce un signe intéressant quant à l'usage chez les jeunes consommateurs, qu'ils essaient, mais ne demeurent pas des consommateurs?

Mme Dubois-Arber: Il y a quand même une zone grise. Depuis quelques années, régulièrement tous les trois ans à peu près, on voit des enquêtes dans les centres à bas seuil, des centres où on distribue des seringues et où parfois, on peut s'injecter de la drogue.

Ces centres sont censés recevoir les consommateurs les plus dépendants, ceux qui s'injectent le plus. Dans toutes ces enquêtes, chaque année, l'âge moyen est plus élevé. On a donc l'impression d'avoir affaire à une cohorte de consommateurs vieillissants. Bien sûr, il y en a des nouveaux qui viennent quand même s'ajouter. Mais chaque fois qu'on fait une enquête, on voit que non seulement l'âge moyen de ces consommateurs est plus élevé, mais on voit que la durée moyenne d'injection, le pourcentage de consommateurs qui ont moins de deux ans de consommation, devient aussi de plus en plus petit. On a donc l'impression qu'il continue à en entrer des consommateurs d'héroïne par voie d'injection, mais moins qu'avant.

Ce qu'on voit aussi, et ma collègue vous l'a déjà dit, c'est qu'on assiste de plus en plus une multiconsommation d'un tas de produits, c'est-à-dire des consommateurs qui consomment de l'héroïne, de la cocaïne, de l'Ecstasy, des médicaments et qui s'injectent des somnifères et tout ce qui est possible et imaginable. Il y a une zone grise sur ce que pourrait devenir ce type de consommation.

Il y a une autre zone grise, ce sont les nouveaux consommateurs d'Ecstasy. C'est une consommation qui est encore assez récente. On ne sait pas dans quelle mesure, pour ces gens, cela va rester une consommation séparée, c'est-à-dire qu'on aura des consommateurs d'Ecstasy, de cocaïne, qui se mettront ou pas à s'injecter de l'héroïne. On n'a pas assez de recul pour avoir des réponses claires à ce sujet. Mais disons que notre population d'héroïnomanes a tendance à vieillir un peu.

Le président: Vous avez mentionné, à la toute fin de votre présentation, les propositions ou les recommandations de la Commission. Pouvez-vous nous expliquer quelle est la différence entre la dépénalisation et la décriminalisation. Nous en avons une et nous aimerions la comparer avec la vôtre.

Mme Dubois-Arber: On ne voulait pas dans la Commission trop jouer là-dessus. C'est la différence entre la police et le juge.

Le président: Jusqu'à maintenant, cela coïncide avec nous.

Mme Dubois-Arber: Mais moi je me trompe aussi chaque fois. Dépénaliser, cela veut dire effectivement ne pas...

Le président: Cela ne sera pas judiciarisé.

Mme Dubois-Arber: Ce que proposait de toute façon la Commission, c'était que ce ne soit plus du tout poursuivable, que la consommation soit totalement libre de toute poursuite pénale, que ce ne soit plus un crime. La décriminalisation, sauf erreur, c'est de ne pas poursuivre, de ne pas entamer la poursuite. Je ne crois pas que, fondamentalement, on ait une divergence par rapport au terme. C'est peut-être nous qui l'utilisons mal.

Le président: Quand je lis votre diapositive sur la première option et même la seconde option, c'est un peu comparable. Je compare cela un peu à la consommation ou la fabrication du vin. Vous pouvez fabriquer du vin chez vous.

Mme Dubois-Arber: Non.

Le président: Vous ne pouvez pas le faire pour votre consommation personnelle?

Mme Dubois-Arber: Pas du tout. En principe, je ne sais pas si ce serait poursuivi, mais il y a une régie fédérale de l'alcool. L'idée de la Commission était de se dire que le cannabis n'est pas une drogue si dangereuse qu'elle justifie la différence avec les drogues légales qui sont, comparées au tabac, beaucoup plus dangereuses. On avait envie de proposer une politique qui se rapproche de celle qu'on a pour l'alcool. On aurait pu avoir une régie du cannabis, par exemple. Ce n'est pas la libéralisation. On ne disait pas qu'il fallait complètement l'accès libre à tout, pas plus qu'on peut vendre de l'alcool n'importe comment ni produire de l'alcool n'importe comment. L'idée était effectivement d'arriver à une légalisation et d'avoir un régime qui se rapproche de ce qu'on a pour l'alcool, avec des endroits où on peut légalement en vendre, un régime de patente, un régime de surveillance de la consommation, y compris de surveillance du contenu en THC des produits qui sont vendus, de toutes choses qui sont finalement assez proches de ce qu'on observe avec une régie des alcools.

Le président: Votre Commission a voulu s'affranchir de l'environnement juridique international dans l'élaboration de sa recommandation préférée, disons. Vous saviez que votre recommandation n'était pas compatible avec la Convention unique de 1961. Aviez-vous des études et ces études sont-elle les mêmes que celles auxquelles faisait référence votre collègue plus tôt, c'est-à-dire la flexibilité des conventions?

Mme Dubois-Arber: On savait que c'était incompatible.

Le président: Vous tiriez cela d'une opinion externe ou de certains des membres de la Commission qui avaient une connaissance approfondie?

Mme Dubois-Arber: Je ne suis pas juriste, mais c'était clair dans la Commission — on l'a dit au départ — que par rapport à la Convention unique de 1961, imaginer la légalisation et la dépénalisation était totalement incompatible. La réflexion se voulait une réflexion de santé publique. On veut pouvoir regarder cette substance comme on regarderait n'importe laquelle des substances. Regarder comment elle est consommée actuellement, comment elle est poursuivie actuellement, quels sont les dommages qu'elle cause par rapport à d'autres substances.

Le président: Je suis conscient que vous n'êtes pas juriste, mais je vais vous poser des questions en tant qu'experte de la santé publique. Vous allez voir, selon moi, qu'il y a un rattachement avec des valeurs et des droits constitutionnels, à tout le moins dans ma conception de ce qu'est un droit à la santé. Si je vous démontre que le droit à la santé peut être mis en danger par une mesure législative ou par une convention internationale, et cette Commission vous dit qu'il existe une convention, mais que cette convention ne doit pas être interprétée comme allant à l'encontre d'une des valeurs constitutionnelles auxquelles un pays ou un adhérent croit, cela n'aurait-il pas été pour vous une avenue prometteuse qui ferait en sorte que votre recommandation n'était pas contraire aux conventions? La convention n'est pas là pour être contraire à vos valeurs constitutionnelles. Si le droit à la santé est une valeur suffisamment importante pour que vous l'ayez incluse dans votre constitution nationale, la convention internationale ne peut pas empêcher cela.

Mme Dubois-Arber: Dans notre réflexion, l'idée était de se demander si la santé publique justifie qu'une telle convention soit effectivement appliquée ou s'il fallait plutôt qu'on la dénonce.

Le président: Exactement. Est-ce qu'une convention internationale doit nous empêcher d'offrir ce qui, selon nous, est bon pour la santé publique?

Mme Dubois-Arber: C'était bien l'idée de la Commission. Politiquement, ce serait extrêmement difficile du point de vue international, mais on pourrait imaginer de dénoncer une convention. On trouvait que la façon dont on traitait le cannabis dans notre législation n'était pas très logique au niveau de la santé publique comparativement à la façon dont on traitait, par exemple, le tabac ou l'alcool. Il y avait un problème, selon la Commission, qui nous empêchait de faire une prévention crédible auprès des jeunes. On ne pouvait pas leur dire que c'est interdit, tout en sachant que 30 p. 100 de la population consomme cela, et dire en même temps que la cigarette est beaucoup plus dangereuse que la cannabis, mais que la cigarette n'est pas interdite. Cela nous paraissait contre-productif du point de vue du langage de prévention. On s'est mis dans une position de prééminence de la réflexion de santé publique, et on a mis entre parenthèses, à un moment donné, l'environnement juridique.

Le président: Je vérifie avec M. Sansfaçon si ce que vous nous dites fait partie de votre rapport écrit de la Commission. C'est très important. Vous voyez où je veux en venir. Je trouve incongru qu'un État cesse sa réflexion parce qu'une convention l'empêche de le faire, surtout si sa réflexion l'amène à conclure que la santé publique est mal gérée. Et c'est certainement la conclusion à laquelle vous êtes arrivée.

Mme Dubois-Arber: Oui. Dans le rapport, il est dit que nous souhaitons nous affranchir de cette situation afin de réfléchir librement et sereinement par rapport aux contraintes possibles du droit international.

Le président: À la fin de votre exposé, vous avez parlé de remise en question des objectifs d'une politique. Je présume que la population suisse n'est pas différente de la population canadienne, du moins si on recule dix ans en arrière. Selon l'opinion publique, une politique doit viser la réduction de l'usage, et selon vos recommandations, la réduction de l'usage n'est pas un objectif fondamental. Pourriez-vous apporter des précisions à ce sujet?

Mme Dubois-Arber: Lors des premières mesures en 1991, un des principaux objectifs visait la diminution de la consommation problématique des drogues illicites et la réduction des risques inhérents à cette consommation. Cela est clairement exprimé dans le message de l'Office fédéral de la santé publique.

Des chiffres avaient été avancés à l'époque. La toute première proposition cherchait à réduire de 20 p. 100 le nombre de consommateurs gravement dépendants. Le chiffre exact n'est pas réapparu dans la deuxième formulation, parce qu'on ne se rendait pas compte que cela n'avait pas été atteint et que c'était difficile à chiffrer, mais pour la réduction, c'était possible.

Le président: Est-ce toujours aussi important comme objectif?

Mme Dubois-Arber: Pour le consommateur gravement dépendant, oui. Cela demeure un but. Cela était formulé sur l'ensemble des drogues illicites, surtout l'héroïne et la cocaïne.

Le président: Pouvez-vous partager avec nous des données quant aux habitues de consommation du cannabis chez les jeunes suisses?

Mme Dubois-Arber: Il y a les données de 1998.

Le président: Celles auxquelles faisait référence votre collègue.

Mme Dubois-Arber: Elles se trouvent aussi dans le rapport sur le cannabis. En 1998, selon une enquête de l'OMS effectuée régulièrement auprès des écoliers de 15 ans, plus de 30 p. 100 des jeunes disaient avoir consommé, et pour un tiers d'entre eux, cette consommation était régulière. C'est beaucoup.

Le président: Selon vos statistiques, il ne semble pas y avoir réduction de la consommation d'héroïne. Par contre, il y a amélioration de la qualité de vie de ces gens. Cela n'est-il pas le véritable objectif que vous poursuivez?

Mme Dubois-Arber: Il y a eu réduction ces dernières années, parmi les consommateurs qui fréquentent les centres à bas seuil, de la proportion des consommateurs de drogues par injection. L'épidémie du sida a contribué à la régression de ces consommateurs. Il s'agit toutefois d'une petite réduction. D'un autre côté, l'arrivée de la cocaïne chez une fraction de la population a entraîné une augmentation de ce type de consommation par injections. Si on observe l'ensemble de cette population, nous retrouvons à la fois une diminution de la proportion de ceux qui s'injectent et du nombre moyen des injections, mais il faut toujours penser qu'il existe des sous-populations qui évoluent différemment.

[Traduction]

Le sénateur Rossiter: Pourquoi n'utilise-t-on pas le traitement en établissement aussi fréquemment que les traitements à la méthadone ou à l'héroïne pendant cette période désignée? Doit-il faire l'objet d'une recommandation? Est-il moins efficace?

[Français]

Mme Dubois-Arber: Le fait d'offrir des traitements — lesquels contiennent une part de réduction des risques, telle la prise de méthadone, et qui sont moins restrictifs qu'il y a quelques années — qui permettent de rester ambulatoire et de continuer à mener une vie familiale, professionnelle et sociale, donc des traitements qui sont plus attirants pour les consommateurs dans la phase la plus difficile de consommation comparativement à des traitements où on est enfermé pendant plusieurs mois avec sevrage, et cetera, a peut-être abouti à une désaffection des autres traitements. Nous avons peu de données sur l'efficacité antérieure des traitements résidentiels qui commençaient par un sevrage. Il y avait probablement beaucoup de rechutes après ce type de traitement. Nous espérons, sans avoir de données suffisantes, qu'il y ait une meilleure sélection des gens qui entrent en thérapie résidentielle, de sorte que ces gens soient plus prêts à recevoir ce type de traitement. Ce sont des traitements plus difficiles et rébarbatifs à prime abord, et ils ne sont pas nécessairement réservés à des consommateurs dans la phase la plus folle de leur consommation.

[Traduction]

Le sénateur Rossiter: Le traitement en établissement coûte-t-il beaucoup plus cher par personne?

Mme Dubois-Arber: Oui.

Le sénateur Rossiter: Ces traitements sont-ils dispensés dans des endroits différents dans chaque canton, ou dans l'ensemble du pays?

[Français]

Mme Dubois-Arber: Les traitements résidentiels correspondent à tout un éventail de possibilités très différentes, y compris le traitement à la méthadone. Il n'y a pas de codification pour le traitement résidentiel. Ils peuvent être offerts par différentes institutions, y compris par des institutions publiques ou religieuses. Il n'y a pas de surveillance de la qualité des traitements résidentiels actuellement, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de codification de ce que doit contenir un traitement de ce genre.

Une statistique existe pour les traitements résidentiels. Les gens qui mènent les recherches — M. Uchtenhagen pourra certainement vous en parler cet après-midi — et qui comparent leurs propres données de recherche, essaient d'avoir plus de cohérence et plus de possibilités de comparer diverses approches. Actuellement, il y a différentes façons de traiter les gens sous traitement résidentiel.

Le président: Je consulterai les recherchistes du comité et je déciderai peut-être de vous écrire, en espérant recevoir une réponse.

Avant de suspendre les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins, leur biographie, toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugé nécessaire de nous remettre ainsi que plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

La séance est levée.


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