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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 15 - Témoignages (séance du matin)


OTTAWA, le lundi 18 mars 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9 h 07 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouverte les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.

Chers collègues, c'est avec un vif plaisir que je vous souhaite la bienvenue aujourd'hui.

Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui se sont déplacés pour assister à cette séance ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent soit à la radio, à la télévision ou encore via le site Internet du comité.

Sans plus tarder, je voudrais vous présenter les sénateurs qui siègeront sur le comité aujourd'hui: l'honorable Shirley Maheu, représentant le Québec et l'honorable Tommy Banks, représentant l'Alberta et je suis Pierre-Claude Nolin, je fais partie du contingent québécois au Sénat du Canada.

Sont aussi membres du comité, mais n'ont pu assister à nos délibérations d'aujourd'hui, l'honorable sénateur Eileen Rossiter, représentant l'Île-du-Prince-Édouard et le vice-président du comité, l'honorable Colin Kenny, représentant l'Ontario. Sont aussi à mes côtés le greffier du comité, M. Blair Armitage, ainsi que le directeur de la recherche pour le comité, le docteur Daniel Sansfaçon, sociologue.

[Traduction]

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites a reçu pour mandat d'étudier, afin d'en faire rapport, l'approche du Canada concernant le cannabis, notamment l'efficacité de cette approche, les moyens de sa mise en oeuvre ainsi que le contrôle de son application. En plus de son mandat initial, le comité doit examiner les politiques officielles adoptées par d'autres pays.

Nous examinerons aujourd'hui les responsabilités internationales qui incombent au Canada en vertu des conventions sur les drogues illicites dont le Canada est signataire. Le comité examinera aussi les effets sociaux et sanitaires des politiques canadiennes concernant le cannabis et les effets possibles de politiques différentes.

[Français]

Enfin, le comité doit déposer son rapport à la fin du mois d'août 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan s'articule autour de trois enjeux importants. Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance.

Afin de le surmonter, nous avons entendu une gamme imposante d'experts, tant canadiens qu'étrangers, des milieux académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouvernementaux. Ces auditions se sont tenues principalement à Ottawa et, à l'occasion, à l'extérieur de la capitale.

Le second de ces enjeux est celui du partage de la connaissance. Il s'agit assurément, selon moi, du plus noble. Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et partagent l'information que nous avons recueillie. Notre défi est de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la distribution de cette connaissance. Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons en avril, mai et juin prochains des audiences publiques dans divers lieux au Canada.

Enfin, comme troisième enjeu, le comité doit examiner de très près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.

[Traduction]

Avant de vous présenter nos distingués experts, je tiens à vous préciser que le comité tient à jour un site Web accessible sur le site parlementaire. On peut y trouver tous les textes des délibérations du comité, y compris les mémoires et la documentation complémentaire fournis par nos témoins experts. Il y a aussi plus de 150 liens avec d'autres sites connexes.

[Français]

Quelques mots au sujet de la salle de comité où nous tenons nos séances d'aujourd'hui. Cette salle, identifiée comme la salle des peuples autochtones, fut aménagée par le Sénat en 1996 pour rendre hommage aux peuples qui, les premiers, ont occupé le territoire de l'Amérique du Nord et qui, encore aujourd'hui, participent activement à l'essor du Canada. Cinq de nos collègues au Sénat représentent fièrement et dignement ces peuples.

Nous terminerons aujourd'hui l'audition des témoins experts et examinerons la nature et la portée des divers traités internationaux qui gouvernent le contrôle des drogues illicites, ainsi que leurs conséquences pour le Canada. Dans cette optique, nous recevons M. William B. McAllister, professeur à l'Université de Virginie. Dans un deuxième temps, nous recevrons des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; de la direction du crime international seront présents le directeur, M. Terry Cormier et le responsable du volet drogues internationales, M. Stephen Bolton. En fin de séance, nous entendrons le secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine de la lutte contre l'abus des drogues, M. David Beall.

Avant de vous présenter plus adéquatement M. McAllister, je voudrais souligner que le sénateur Rossiter s'est jointe à nous.

[Traduction]

M. William B. McAllister a obtenu son doctorat à l'Université de la Virginie en 1996. Il est actuellement chargé de cours en histoire et conseiller de faculté au Teaching Resource Centre de l'Université de la Virginie. Sa thèse portait sur l'histoire des efforts internationaux de lutte antidrogue au XXe siècle. Depuis 1996, il a beaucoup écrit et fait de nombreuses présentations sur les nombreuses questions liées aux politiques internationales de lutte antidrogue. M. McAllister est l'auteur de Drug Diplomacy in the 20th Century: An International History, publié en 2000. Il est aussi membre de l'American Historical Association, réviseur chez Routledge Press et arbitre pour le Journal of Policy History.

Monsieur McAllister, bonjour et merci de l'intérêt que vous portez à notre comité. Comme je le disais dans mon introduction, notre comité se préoccupe plus précisément du cannabis. Cela ne signifie pas pour autant que vous deviez vous en tenir uniquement au cannabis, car les renseignements sur d'autres drogues illicites seront aussi les bienvenus. Toutefois, pour l'instant, notre rapport doit porter sur le cannabis.

Si, au cours de la période de questions et réponses, nous abordons des sujets plus précis sur lesquels l'attaché de recherche du comité souhaiterait vous poser des questions, je vous écrirai et j'attendrai votre réponse. Ces questions et réponses seront aussi publiées sur le site Web du comité.

Allez-y, monsieur McAllister.

M. McAllister, professeur, Université de Virginie: Je dois dire tout d'abord que je suis ravi d'être de retour au Canada. Je ne sais pas si les membres du comité le savent, mais j'ai reçu il y a huit ans une subvention du gouvernement du Canada pour faire des recherches ici à Ottawa, à l'autre bout de la rue Wellington. Cela a été une période précieuse et importante dans mes recherches. J'ai appris ici beaucoup de choses incroyablement importantes.

Cette comparution aujourd'hui me donne l'occasion de vous rembourser un peu votre investissement. J'étais étudiant diplômé sans titre particulier et le gouvernement et le peuple du Canada m'ont permis de venir ici faire des recherches importantes pour ma thèse et approfondir beaucoup mieux que je ne l'aurais pu autrement le rôle du Canada dans la création et la mise en oeuvre d'un système international de lutte contre la drogue. J'espère que vous aurez le sentiment que c'est de l'argent bien investi. Je suis heureux d'être ici tout particulièrement pour cette raison.

Je ne peux pas vraiment m'en tenir uniquement au cannabis car ce n'est pas comme cela que je vois le problème de la drogue. Le cannabis est un cas spécial à certains égards, et à d'autres il ne l'est en fait pas du tout. Par conséquent, je ferai des remarques à portée générale, après quoi je me ferai un plaisir de les approfondir au cours d'un débat.

Nous aborderons la question des drogues en les caractérisant d'une certaine façon. L'une des façons d'examiner les drogues dont il est question consiste à voir comment elles sont régies par les traités internationaux et les systèmes nationaux de contrôle. Le niveau de contrôle le plus strict concerne les drogues que je qualifie d'«organiques», ce qui n'est pas vraiment un bon terme car les chimistes ne l'aiment pas. Il s'agit en fait de drogues classiques difficiles à contrôler telles que les opiacés, l'héroïne, la morphine, la codéine, les produits de la coca, et cetera. Ce sont les drogues classiques primaires, celles qui font l'objet des contrôles internationaux les plus stricts.

Le second palier de contrôles, où les contrôles sont un peu moins rigoureux, concerne les drogues globalement qualifiées de psychotropes. Il s'agit d'un vaste groupe de médicaments qu'on appelle généralement des dépresseurs ou des stimulants et d'autres drogues analogues qui influent sur le système nerveux central. Dans leur cas, le contrôle est moins rigoureux. Comme nous le savons, il n'existe pas de contrôle international du niveau de consommation d'alcool ou de tabac. Il y a divers types de contrôles commerciaux et chaque pays exerce un certain degré de contrôle, mais ce n'est pas la même chose.

Il existe aussi une quatrième catégorie de drogues qui peuvent être utilisées par les toxicomanes: les produits inhalés ou substances intoxicantes. Citons par exemple les substances toxiques que l'on trouve dans la colle ou la peinture. De nombreux jeunes inhalent ce genre de produits. C'est la seule catégorie de drogues caractérisée par la façon dont elle est consommée.

Quand on parle de contrôle des drogues et de problèmes de drogue, ma thèse est en partie qu'il n'y a pas vraiment de moyen de réglementer tout cela, en particulier la dernière catégorie que je viens de mentionner. Divers niveaux de contrôle ont été imposés historiquement pour diverses raisons. Toutefois, ces contrôles ne correspondent pas aux dangers ou aux avantages de ces drogues tels que nous les percevons actuellement.

Mon travail aujourd'hui va consister en partie à vous expliquer pourquoi les choses en sont arrivées là. Je sais que votre comité souhaiterait aussi savoir comment on pourrait changer les choses à l'avenir. Je vais essayer d'axer mes remarques sur cette préoccupation.

Pour vous donner un aperçu historique, je vais vous présenter rapidement les périodes de référence qui seront les plus utiles au comité, je crois.

La première période va en gros de 1880 à 1920. Au cours de cette période, le contrôle international des drogues est devenu un sujet de discussion pour divers pays qui ont décidé de s'occuper de ce problème. Le trafic de drogues existait depuis bien longtemps, mais à la suite d'une série de facteurs importants à la fin du XIXe siècle, il est devenu l'un des sujets du débat diplomatique. Personnellement, je crois que le principal facteur n'était pas d'ordre médical et n'avait rien à voir avec les préjugés raciaux. Il s'agissait plutôt de questions géopolitiques, stratégiques et commerciales.

Le pays essentiel à examiner ici, c'est la Chine. À la fin du XIXe siècle, la nation chinoise est en pleine décomposition. L'une des principales raisons de cette décomposition, c'est le problème incroyable de l'opium dans ce pays. Au cours des deux siècles précédents, on y a importé des milliers de tonnes d'opium. À l'aube du XXe siècle, la Chine elle-même en produit d'énormes quantités. La situation devient terrifiante pour la population chinoise. Elle pose aussi de graves problèmes aux pays qui ont des intérêts impérialistes en Chine, et qui ont très peur de la contagion à l'étranger.

À mon avis, ce sont les principales raisons pour lesquelles on commence à voir apparaître un mouvement international de contrôle de la drogue à cette époque. Ce mouvement cible ces drogues particulières parce que ce sont elles qui semblent le plus menacer les intérêts impérialistes des pays concernés — pas seulement des intérêts impérialistes, mais aussi des intérêts commerciaux.

De nombreux négociants et entreprises commerciales de plusieurs pays occidentaux s'intéressent au contrôle de la drogue car ils estiment alors qu'ils pourraient augmenter leurs ventes d'autres produits aux Chinois si ceux-ci ne dépensaient pas tout leur argent à acheter de l'opium. Des groupes très divers sont en faveur du contrôle de la drogue: par exemple, les missionnaires trouvent souvent que l'opium a des conséquences néfastes parce qu'il les empêche de faire ce qu'ils veulent faire. En revanche, de nombreux libéraux dans divers pays estiment que les gouvernements n'ont pas à se mêler de ce problème.

À propos, l'attitude à adopter vis-à-vis de la drogue a toujours été un problème pour les gouvernements. L'un des premiers efforts pour s'attaquer à ce problème au XVIIIe siècle dans les colonies européennes d'Asie a consisté à mettre en place ce qu'on appelait un «système d'affermage». Le gouvernement vendait les droits de vente de l'opium à un groupe d'entrepreneurs dans une région particulière. Il s'agissait en général de Chinois de l'étranger qui le vendaient à d'autres Chinois à l'étranger. De nombreuses personnes s'insurgèrent contre cette situation qui devint problématique à la fin du XIXe siècle.

La stratégie gouvernementale utilisée pour résoudre le problème consista alors à créer des monopoles de l'opium contrôlés et dirigés par le gouvernement. L'idée était d'en supprimer le profit. Le gouvernement réglementerait le commerce de l'opium en enregistrant les usagers. Seuls les consommateurs existants seraient enregistrés, pas les nouveaux. La stratégie du gouvernement était d'approvisionner les utilisateurs existants en opium; une fois que ceux-ci mourraient progressivement, le problème disparaîtrait puisqu'il n'y aurait plus aucun utilisateur légal.

Ce fut un échec. Le problème se compliqua quand les gouvernements se mirent à tirer une partie de leurs recettes de la distribution directe des drogues. Cela posa alors un sérieux problème sur le plan moral et sous d'autres plans.

La tentative de solution suivante consiste à adopter une démarche internationale en essayant de trouver une solution plus générale au problème. D'ailleurs, au début du XXe siècle, ce commerce se pratique véritablement à l'échelle mondiale, qu'il s'agisse de substances licites ou illicites. Certaines des premières compagnies multinationales de la planète étaient des compagnies pharmaceutiques qui vendaient déjà leurs produits dans le monde entier au début et au milieu du XIXe siècle.

Du début des années 20 au milieu des années 30, la question est débattue au niveau international et on négocie plusieurs traités. Ce sont ces traités qui vont constituer la base du système que nous avons actuellement.

Permettez-moi de préciser ceci avant de poursuivre. L'idée essentielle de cette première partie de mon argumentation est simplement de vous montrer qu'une multitude d'intérêts sont en jeu dans ce système. Il y a des intérêts géopoliques, stratégiques, commerciaux et religieux, et pas simplement des intérêts médicaux, raciaux ou nativistes, comme on le prétend souvent.

Au début des années 30 se met en place un système qui est «plus ou moins celui que nous avons aujourd'hui» et qui repose sur plusieurs principes fondamentaux sur lesquels je vais m'étendre quelques minutes. Tout ceci vous est familier, mais je pense qu'il est important de présenter une vision d'ensemble.

Le premier élément constituant est le contrôle de l'offre. Le but du système est clairement de restreindre l'offre. On veut restreindre l'offre à la satisfaction des besoins licites. Ces besoins licites sont définis comme étant les besoins médicaux, scientifiques, commerciaux et de la recherche. On s'imagine alors qu'en limitant l'offre à la satisfaction de ces besoins, on va éliminer l'excédent qui pourrait être acheminé vers le marché illicite, et que le problème de la narcomanie va disparaître de lui-même.

C'est un raisonnement qui paraît plutôt douteux de notre point de vue du XXIe siècle. Toutefois, c'est un raisonnement qui était abondamment partagé par des personnes qui ont longtemps réfléchi au problème. Des précédents historiques donnaient à penser que cette formule avait effectivement fonctionné à certains moments. Je pense que c'était une croyance erronée à l'époque, mais compte tenu des ententes qui avaient été conclues par les Indiens, les Chinois et les Britanniques au début du XXe siècle, certaines personnes avaient de bonnes raisons de croire que cette méthode pouvait vraiment marcher. En fait, le raisonnement du contrôle de l'offre est encore très présent dans le système actuel.

Le deuxième point — qui est particulièrement important pour votre comité — est qu'on s'est beaucoup demandé au cours des années 20 s'il serait possible et utile de créer un organisme international doté de vastes pouvoirs. Cet organisme aurait pu dicter aux États leur comportement en la matière. Ces efforts ont échoué.

Le contrôle national conserve une place de choix dans le système. Le régime international sert de guide et d'enrobage tout en proposant toutes sortes de règles et de règlements. Toutefois, les États nations n'ont jamais accepté de renoncer à leurs prérogatives au point de laisser un organisme international se mêler du trafic de substances licites, dont il est question ici. Le régime a pour but de faciliter le mouvement de substances licites à travers la planète sans trop de difficulté et aussi d'essayer de réduire le trafic illicite, d'où la démarche de contrôle de l'offre.

Troisièmement, le système repose sur le principe de ce que l'on appelle le «contrôle direct» On a envisagé au cours des années 20 et 30, et aussi au cours des années 50 et 60, la mise en place d'un contrôle direct. Il se serait agi d'un organisme supranational, d'une agence internationale qui aurait eu le pouvoir d'approuver préalablement les transactions de drogues. Le gouvernement ou la société qui aurait souhaité importer ou exporter une drogue quelconque à des fins licites aurait été tenu d'obtenir préalablement l'approbation de cette agence internationale.

C'est là un régime plus puissant et plus solide. Il a cependant été aussi rejeté parce que les gouvernements ne voulaient pas renoncer à ce niveau de prérogative. Les négociants et les compagnies pharmaceutiques concernés n'avaient aucun envie de consentir à un tel niveau de contrôle sur leurs activités légitimes.

Au lieu de cela, nous avons un système de contrôle indirect par le biais de l'Organe international de contrôle des stupéfiants et de la Commission des stupéfiants. En gros, ces organismes recueillent des statistiques après coup. Ils les étudient a posteriori. S'ils constatent une anomalie ou un problème, ils le signalent au gouvernement après la transaction.

C'est ainsi que fonctionne le système, pour le meilleur ou pour le pire.

Quatrièmement, et c'est très important, le régime a toujours été profondément ancré dans le principe du libre- échange. Tous les gouvernements — et notamment un gouvernement comme celui du Canada — ont toujours souhaité être en mesure de se procurer des substances médicinales à des fins licites à un prix raisonnable. Si l'on restreint trop l'accès, la production ou la fabrication, le prix augmente. Cela n'intéresse pas les gouvernements ni les compagnies pharmaceutiques qui importent souvent les matières premières pour fabriquer les produits finis.

Ces deux principes du régime se contredisent fondamentalement. On ne peut pas avoir un régime qui vise à éliminer la consommation illicite en contrôlant l'offre et en même temps un régime de bas prix. Pour avoir des prix bas, on a besoin d'une offre supérieure à ce qui est nécessaire. Par conséquent, le système tel qu'il a été conçu est fondamentalement boiteux. C'est un des aspects du problème auquel nous sommes maintenant confrontés.

L'impératif de libre-échange ne disparaîtra pas. Il y aura toujours plus d'offre que de demande parce que c'est la seule façon d'avoir des produits abordables. N'oublions pas que la plupart de ces drogues ont aussi de multiples utilisations licites.

Vous connaissez certainement les listes ou annexes de contrôle des traités internationaux et de notre législation nationale. Cette démarche a été adoptée en 1931 pour donner satisfaction aux Allemands. Ils étaient les principaux fournisseurs de produits opiacés à l'époque, notamment l'héroïne, qui est encore beaucoup utilisée à des fins médicinales, la morphine et la codéine. Durant les négociations de 1931, les Allemands se sont opposés à ce qu'on regroupe la codéine avec la morphine et plus particulièrement l'héroïne. Ils estimaient qu'il n'y avait pas de raison d'assujettir la codéine au même niveau de contrôle que les autres drogues parce qu'elle est beaucoup moins nocive. Elle entraîne moins de dépendance. L'argumentation des Allemands était que si l'on plaçait la codéine sur une liste moins restrictive, les médecins l'utiliseraient plus et il serait moins nécessaire de recourir à la morphine et à l'héroïne.

C'était un argument plausible et les gouvernements se sont dit qu'il fallait l'accepter car s'ils ne le faisaient pas, les Allemands ne signeraient pas le traité et tout le système s'effondrerait. Il y a toujours eu des gouvernements qui ont su se servir des règlements à leur avantage. Ce sont surtout les gouvernements qui ont représenté les intérêts des grandes compagnies pharmaceutiques au XXe siècle. Au fond, le système n'a pas pour objectif d'interdire les drogues, mais simplement d'en réglementer et d'en contrôler le mouvement.

Il résulte de cela ce que j'appelle un «avantage réglementaire comparatif». Autrement dit, une compagnie pharmaceutique va essayer de créer des médicaments qui figureront sur une liste de contrôles moins restrictive que celle sur laquelle figureront les médicaments de son concurrent. Cela lui donne un avantage comparatif dans les réglementations internationales et lui permet de vendre plus de médicaments que son concurrent.

Ce système influence les programmes de recherche et de développement des fabricants et influe aussi beaucoup sur la réglementation au niveau international. La grande majorité des débats au cours du XXe siècle n'ont pas eu pour objet d'aider les drogués à se désintoxiquer. Les discussions ont surtout porté sur la question de savoir comment on pouvait protéger les intérêts des négociants et des fabricants et limiter l'offre de ces drogues organiques classiques — qui proviennent essentiellement des pays du Tiers monde — et réduire le trafic illicite.

C'est ainsi que le système a évolué. C'est beaucoup une question de pouvoir et d'autres éléments complexes. Par exemple, d'un point de vue stratégique, l'opium a été une drogue importante pour des considérations de défense nationale. Au début de la guerre froide, quand on pensait qu'un affrontement nucléaire risquait de se produire et qu'il y aurait des survivants même après une destruction massive, les gouvernements occidentaux ont voulu stocker de l'opium qui pourrait ensuite être transformé en morphine au cas où leurs citoyens en auraient besoin. Personne n'avait intérêt à limiter l'offre au point qu'il ne serait plus possible d'acheter les quantités nécessaires pour protéger les populations en cas de catastrophe.

De nombreux facteurs n'ont rien à voir avec les considérations médicales. Il en sera toujours ainsi. Si vous voulez laisser de côté les considérations économiques et géopolitiques et vous en tenir uniquement au domaine médical, vous faites fausse route.

Après le milieu des années 30, les responsables du système ont essayé longtemps de le faire fonctionner. Ils l'ont mis en oeuvre et ont bricolé les réglementations de diverses façons pour les faire fonctionner. Cela s'est poursuivi jusqu'à l'explosion des drogues de la fin des années 60.

Le système n'est pas monolithique. Il y a toujours eu des débats sur le contenu des règles, leur interprétation et leur application. Il ne s'agit pas d'un régime international rigide au point de ne laisser aucune marge de manoeuvre. On s'est toujours demandé quoi faire et comment. Le débat a été tantôt ouvert, tantôt très confidentiel. Certains gouvernements ont pu le contrôler, mais on peut réfléchir à la question et envisager divers choix.

Durant la quatrième période, du milieu des années 60 au milieu des années 70, la consommation de drogue a beaucoup progressé. Je pense avoir constaté dans mes recherches que cette consommation était mondiale, et qu'elle ne caractérisait pas seulement les États-Unis ou le Canada ou l'Europe de l'Ouest. Il y a eu aussi une explosion de la consommation dans les pays du Tiers monde et en Union soviétique ainsi que dans les pays du bloc de l'Est. Fait intéressant, j'ai trouvé dans les archives canadiennes fournies par l'attaché à La Havane des informations faisant état d'une forte progression de la consommation de drogue à Cuba à la fin des années 60.

Il s'est produit quelque chose entre le milieu et la fin des années 60 qui a modifié la consommation de drogue à travers le monde. La drogue s'est mise à circuler dans des groupes de personnes beaucoup plus ordinaires, et non plus des membres de minorités ethniques ou d'autres groupes marginaux. Il s'agissait désormais d'enfants de sénateurs ou d'autres personnes de la bonne société.

Les populations ont alors été consternées par le système international et son fonctionnement. On s'est mis à se poser toutes sortes de questions sur ce qu'il fallait faire. À mon avis, nous sommes toujours plongés dans cette période, même si c'est au cours des années 60 et au début des années 70 que tout cela a commencé.

Trois aspects caractérisent le système depuis les années 70: il est devenu plus bureaucratique, plus professionnel et plus mondial. C'est vrai à tous les niveaux, pas seulement aux Nations Unies et au niveau des organismes nationaux de contrôle des drogues. C'est vrai aussi des compagnies pharmaceutiques, des trafiquants de drogues et des organisations policières. Partout, on aborde le problème de la drogue de façon plus professionnelle, bureaucratique et mondiale.

Pour votre comité, cela veut dire qu'il est plus difficile de faire évoluer le système. Jusqu'au début des années 60, la situation aurait pu évoluer différemment si quelques personnes clés avaient proposé d'autres formules. Ce n'est plus le cas; il est beaucoup plus difficile de faire dévier le système. Mais c'est encore possible.

Les gouvernements nationaux doivent s'occuper du problème même s'il est transnational et mondial maintenant. Ils peuvent apporter des changements individuels qui auront un effet cumulatif dans le temps. Cela a toujours été le cas, ce sera toujours le cas et c'est encore possible.

Voilà pour la séquence historique.

En ce qui concerne la façon dont j'ai caractérisé les pays concernés, le Canada joue un rôle important. Il y a un certain nombre d'États que j'appelle les «États producteurs» où l'on cultive l'opium et la coca. Ce sont les pays d'Amérique latine pour la coca et les pays du sud de l'Asie pour l'opium. Traditionnellement, leur point de vue sur la question est que si un pays a un problème de demande, c'est à lui de le régler sur le plan intérieur. Le pays d'origine ne fera rien pour régler ce problème au-delà d'un certain point. Bien que cette attitude ait été parfois fallacieuse, elle n'en est pas moins exacte.

Les «États manufacturiers» qui ont une importante capacité de production pharmaceutique veulent protéger leurs industries pharmaceutiques. Ce sont les suspects habituels: les Suisses, les Allemands, les Américains, les Britanniques, les Japonais et, dans une moindre mesure, les Français.

Le Canada appartient à une troisième catégorie, qui inclut la grande majorité des États, à savoir les «nations consommatrices». Ce sont des pays qui n'ont pas une grande capacité de production pharmaceutique et où l'on n'utilise pas les substances organiques elles-mêmes. Ce sont les utilisateurs en bout de ligne. Le Canada a toujours été un leader dans ce groupe. Depuis les années 20, il a contribué de façon importante à promouvoir un équilibre du régime — un équilibre permettant de répondre aux besoins médicaux nationaux du Canada à un prix raisonnable mais sans encourager un marché libre et ouvert de la drogue.

En un sens, votre comité s'inscrit dans la continuité du rôle du Canada qui a toujours prôné une solution modérée à ce problème. Il s'agirait de permettre aux divers groupes concernés de satisfaire leurs besoins sans tomber dans un système tellement ouvert qu'il déboucherait sur une nouvelle vague d'abus graves des drogues.

J'ai parcouru les rapports du comité sur son site Web. Je crois que vous essayez actuellement de trouver une façon un peu différente d'aborder ces questions.

Certains thèmes clés ont guidé le régime. Contrairement à ce que suggèrent la plupart des écrits sur la question, les personnes qui ont fixé les règles internationales — avec généralement une forte représentation nationale — étaient profondément conscientes des facteurs géopolitiques, religieux, culturels, commerciaux et économiques. Ce n'étaient pas des ignorants qui n'aimaient pas les Chinois et voulaient les empêcher d'avoir de l'opium ou qui n'aimaient pas les Noirs et voulaient les empêcher de consommer de la cocaïne. Si l'on veut se pencher sur le système international, il faut examiner tous les facteurs concernés et les prendre tous en compte.

De plus, l'attitude face à la drogue n'a pas beaucoup évolué et ne diffère guère d'un pays occidental industrialisé à un autre. On accuse volontiers les États-Unis d'être responsables des maux législatifs intérieurs des autres pays, mais ce n'est vrai que partiellement.

Le Canada a depuis longtemps sa propre démarche face au problème de la drogue, et je ne suis pas sûr qu'elle aurait été radicalement différente si les États-Unis n'avaient pas essayé d'imposer leurs propres solutions aux autres pays. Au début du XXe siècle, les Canadiens s'orientaient déjà dans la même direction sur la question de la drogue. Il est arrivé au cours du XXe siècle — par exemple vers le milieu des années 50 — que les Canadiens contestent ouvertement certains aspects de la démarche américaine en matière de contrôle des drogues et d'application des lois. Le Canada n'a manifestement pas été rayé de la carte pour autant.

Vous pouvez suivre votre propre cap, et le Canada l'a fait maintes fois dans le passé. L'un des aspects les plus intéressants de mes recherches a consisté à remettre au grand jour le rôle du Dr Robert E. Curran, un Canadien qui a joué un rôle extrêmement important dans la mise en place de la convention unique actuelle. Il a fait de grands efforts pour réconcilier les divers facteurs et intervenants concernés et aboutir à une démarche modérée typiquement canadienne.

Au niveau national, les Canadiens ont pu suivre leur propre voie quand ils l'ont voulu, et au plan international les citoyens canadiens aussi bien que leur gouvernement ont contribué de façon importante à façonner le système actuel. Donc, c'est une question qui est aussi la vôtre, et non pas quelque chose qui est imposé par les États-Unis.

La distinction fondamentale sur laquelle repose le système est la distinction entre l'utilisation médicale, industrielle, commerciale et scientifique d'une part, ce que l'on appelle l'utilisation légitime, et la consommation pour le plaisir d'autre part, qui, depuis le début du XXe siècle, est considérée comme illicite. Face à ce problème, les gouvernements ont plusieurs choix. Ils peuvent s'en tenir au paradigme et continuer à considérer la consommation récréative comme fondamentalement illicite, ou au contraire rejeter l'idée que la consommation pour le plaisir de la drogue est illégitime. C'est un choix fondamental.

Cette dernière orientation vous amène sur le terrain de la réglementation. Si vous décidez de vous en tenir au paradigme du XXe siècle, les utilisations légitimes sont acceptables, alors que les personnes qui s'administrent des drogues de façon illicite pour leurs propres raisons vont tomber sous le coup de divers types de réglementation.

Je vous recommande vivement d'examiner le pouvoir des contrôles non prescriptifs. Le cas le plus flagrant, c'est celui du tabac. Les lois sur l'accès au tabac n'ont pas évolué depuis bien longtemps, et pourtant dans plusieurs pays occidentaux la consommation de tabac a considérablement diminué. Les meilleures limitations sont celles que les individus s'imposent eux-mêmes. On peut se servir des médias, de la législation ou du discours d'intimidation pour inciter des individus à ne pas utiliser certaines substances sans nécessairement adopter des lois les interdisant. Par exemple, les Hollandais se vantent du fait que dans leur système, les opiomanes et les héroïnomanes sont considérés comme des épaves aux Pays-Bas. La plupart des jeunes n'ont pas envie d'être comme cela parce qu'ils voient tous ces vieux héroïnomanes qui n'ont rien fait de leur vie et que ce n'est pas à cela qu'ils ont envie de ressembler. C'est un exemple de contrôle non prescritif.

Peut-on élaborer des lois et une démarche qui vont dans le sens de ces contrôles non prescriptifs, qui peuvent être plus efficaces que les contrôles prescriptifs? Je le crois, mais tout dépend de la façon de le faire.

Il est important de savoir non pas s'il faut donner accès à une substance quelconque mais plutôt à qui on doit donner le pouvoir de réglementer l'accès et dans quelles conditions. On ne connaît aucun cas dans toute l'histoire de notre planète de société qui ait autorisé un accès totalement libre à la drogue. Toutes les sociétés exercent une forme de contrôle quelconque. Avant l'ère moderne, c'était généralement un contrôle religieux exercé par les représentants de l'élite religieuse, ou un contrôle culturel ou même quelquefois un contrôle gouvernemental.

Aucune société n'autorise ses membres à avoir accès à de la drogue et à en consommer n'importe quand, parce que le public ne le tolère pas. Ce qu'on a constaté, bien avant le XXe siècle, c'est que certains individus abusent de drogues qui ont des propriétés psychotropes et que leurs concitoyens ne tolèrent pas ce comportement indéfiniment. Ils veulent qu'il soit contrôlé. La question est de savoir qui a le pouvoir de décider qui utilise quoi et quand.

Enfin, je recommande vivement aux honorables sénateurs d'éviter la solution du «goulot d'étranglement», que j'ai constatée à propos du système de contrôle mais qui s'applique aussi à d'autres aspects de la question des drogues. Il y a toujours eu dans le système des gens qui pensaient qu'en étranglant le mécanisme d'approvisionnement en substances illicites — en s'en prenant à un baron de la drogue ou à un cartel quelconque — on pouvait régler le problème.

Le chiffre classique auquel vous devez prêter attention quand vous écoutez les informations, c'est 80 p. 100. Pendant tout le XXe siècle, on a toujours accusé un pays ou une région quelconque du monde d'être le principal fournisseur d'une certaine drogue. En période politique normale, le chiffre est de 70 p. 100; par exemple, on dit que 70 p. 100 de l'approvisionnement en héroïne mondiale provient de l'Asie. Toutefois, quand le chiffre atteint 80 p. 100, c'est qu'il y a anguille sous roche sur le plan politique ou commercial.

L'exemple le plus récent, c'est celui de l'Afghanistan. Comment Tony Blair a-t-il justifié l'intervention britannique en Afghanistan? Tout d'un coup, 80 p. 100 d'héroïne du monde venait de là-bas. Le sous-entendu, c'est qu'il faut bloquer cet approvisionnement. Si on bloque l'approvisionnement, le problème va disparaître. Évidemment, ce n'est pas ce qui se passe. Cette théorie du goulot d'étranglement a été présente tout au long du XXe siècle dans les tentatives pour régler le problème de la drogue. Je vous recommande vivement de ne pas suivre cette voie. Elle n'est pas réaliste; le problème est plus élastique que cela.

Le principe du goulot d'étranglement peut aussi se retrouver à l'autre extrémité. Par exemple, si l'on consacrait plus d'argent au traitement des drogués au Canada, on s'attendrait à avoir un certain nombre de personnes en traitement — on organiserait le système de façon à avoir suffisamment de programmes de traitement pour tous les drogués de la société. Ce qui risque d'arriver, c'est qu'il y ait plus de candidats et plus de personnes qui en ont besoin que prévu. Ce qui peut arriver aussi, c'est que même si toutes les personnes qui sont candidates au traitement peuvent le recevoir, d'autres n'en voudront quand même peut-être pas ou suivront le traitement mais continueront d'avoir des problèmes.

Ce que je veux vous expliquer, c'est que quand on choisit exclusivement la voie du traitement, comme quand on choisit uniquement la voie du contrôle de l'approvisionnement, on opte toujours pour une forme de goulot d'étranglement. Ce qu'il faut, c'est voir le problème dans son ensemble et essayer de concevoir des solutions équilibrées qui tiennent compte de tous les aspects du problème.

Peut-on définir objectivement le succès? Peut-on définir des critères mesurables? Dans ce pays comme dans tous les autres, les gens ne disent pas que les transports sont mauvais. Des dizaines de milliers de personnes se tuent pourtant chaque année sur les routes, mais les gens ne disent pas qu'il faut supprimer les routes ou les véhicules. On prend des mesures pour améliorer les routes, les véhicules et les conducteurs. Nous avons des lois sur la conduite en état d'ivresse, et cetera. Nous comprenons bien que les transports entraînent fatalement un certain nombre de décès.

Est-il politiquement concevable de déterminer un niveau acceptable d'abus des drogues? Si nous pouvions ramener le niveau de consommation de drogues à un certain pourcentage de notre population pour une drogue particulière ou pour l'ensemble de la consommation de drogues, considérerions-nous que c'est suffisant? Si nous pouvons accepter cela, nous pourrons alors organiser nos ressources pour maintenir la consommation à ce niveau.

Du point de vue politique, c'est difficile à dire parce que nous avons toujours tenu à affirmer que tout abus de drogue est mauvais. Nous voulons l'éradiquer totalement. Nous avons toujours tendance à penser à nos enfants quand nous parlons de ce problème. Il est facile de s'appuyer sur les enfants quand on parle d'abus des drogues parce qu'ils ne votent pas.

Quel est le niveau le plus faible acceptable pour une société? Si l'on peut avoir une discussion ouverte sur cette question et s'entendre sur un nombre ou sur une fourchette, on aura plus de chance d'avoir un ensemble réaliste d'attentes.

La pyramide que j'ai établie au départ montre qu'il y a beaucoup de drogues dont la société a besoin, qu'elle veut avoir et qu'elle utilise. Elles appartiennent en général à la catégorie B. Nous classons déjà les drogues par catégories dans nos sociétés et il est possible d'aller plus loin. On peut être plus prudent et plus explicite.

Toutefois, c'est une question politique épineuse, et elle le sera toujours. Je tiens à féliciter le comité de l'avoir abordée aussi ouvertement.

Le président: Merci. Je vais entamer les questions et ensuite j'ouvrirai le débat. Revenons à ce que vous disiez à propos de décider s'il est illégal d'utiliser une substance pour le plaisir. Vous vous souvenez?

M. McAllister: Oui.

Le président: La semaine dernière, nous avons entendu un avocat qui soutient devant la Cour suprême que les valeurs morales ont évolué. Je ne sais pas si vous connaissez bien le cadre constitutionnel du Canada. Depuis 1982, nous avons enchâssé dans notre Constitution une Charte des droits et libertés. Nous pouvons dire maintenant que le Canada est une démocratie constitutionnelle. Auparavant, c'était une démocratie parlementaire où le Parlement était l'ultime décideur. En vertu du principe de la règle de droit, tout ce qui était décidé et inscrit dans nos lois par le Parlement était définitif. C'était le déluge, comme on dit en français.

Ce qu'on nous a dit, c'est que ce n'est plus le cas parce que nous vivons maintenant dans une démocratie constitutionnelle. Si les valeurs morales sont battues en brèche par des droits fondamentaux enchâssés et protégés par la Charte, la Cour va devoir décréter que la moralité n'est plus un critère de détermination du bien ou du mal. Vous comprenez ce que je veux dire?

M. McAllister: Je crois.

Le président: J'en reviens à votre recommandation. Pensez-vous que notre comité puisse appuyer un tel principe, sachant que les trois conventions en vigueur stipulent clairement qu'elles ne doivent pas contrevenir à la Constitution ou au droit fondamental d'un pays? Fondamentalement, la moralité n'est pas un principe. Ce n'est pas une valeur. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. McAllister: Je ne le conteste pas. Ce que je soutiens, c'est que la définition qu'on a de la moralité est importante. Le point de vue moral classique est que ces «substances» sont mauvaises et que leur usage illicite est mauvais. C'est un danger moral pour la société. C'est une opinion fondée sur l'expérience de la vie réelle.

En même temps, toutes ces substances ont aussi des usages licites. Beaucoup de ces substances ne sont pas vraiment soumises au niveau de contrôle auquel on pourrait s'attendre compte tenu du danger qu'elles peuvent présenter pour la société. Les drogues psychotropes sont soumises à un régime de contrôle et à une réglementation moins rigoureux que les drogues traditionnellement utilisées par les toxicomanes même s'il est clair que les sociétés sont confrontées à de graves problèmes d'abus de ces substances.

On peut argumenter d'un point de vue moral en disant qu'il existe une Charte des droits au Canada et que du point de vue moral il est important de protéger les droits et libertés individuels de nos concitoyens. La question de savoir si l'application des lois sur les drogues empiète trop sur la vie personnelle des citoyens est abondamment controversée.

Le président: J'aimerais vous présenter le contexte d'ensemble de cette argumentation. Premièrement, nous nous concentrons sur l'usage du cannabis à des fins récréatives. L'argumentation s'appuie aussi sur le «principe du mal», à savoir que si l'on ne fait pas de mal aux autres, alors peut-être — on utilise le mot «peut-être» parce qu'il n'y a pas de preuve d'un effet nocif sur l'individu — on devrait l'autoriser. On ne devrait pas empiéter sur les droits et libertés des individus. C'est globalement l'argumentation qui est présentée.

Quand vous dites que la substance est mauvaise, vous utilisez un qualificatif.

M. McAllister: Cela dépend de la façon dont on veut présenter l'argumentation. Les traités ne sont pas restrictifs au point que l'on puisse soutenir que la décriminalisation de la consommation de marijuana est rigoureusement interdite par ces traités. C'est une interprétation à laquelle on doit souscrire.

L'opposition entre responsabilité sociale et liberté individuelle a constitué l'un des grands débats du XXe siècle. On l'a vu à propos de nombreux problèmes. C'est encore une fois le cas ici.

Le mal ou le tort que la drogue cause à d'autres personnes dépend de la conception qu'on a de ce tort. Au début du XXe siècle, on se disait que si l'on n'enrayait pas immédiatement la consommation de drogue, elle risquerait de faire des ravages terribles à l'avenir. C'était un raisonnement fondé sur un manque d'information ou sur des informations erronées.

En 1900, il n'était pas déraisonnable de dire: «Ces drogues ont l'air dangereuses et certaines d'entre elles ont déjà causé d'énormes problèmes à l'étranger, il faut donc les bloquer immédiatement». C'était un raisonnement logique pour quelqu'un qui voulait prendre l'initiative dans le contexte de la société de l'époque.

Un siècle plus tard, nous avons plus d'expérience. Nous avons un problème de drogue plus vaste et on peut définir différemment la notion de «mal» ou de «tort». Au lieu de dire qu'il faut bloquer immédiatement la consommation d'une certaine drogue pour qu'elle ne provoque pas plus de tort ultérieurement, on peut dire que notre système cause des torts à cause de la façon dont les lois sont appliquées et d'autres choses. C'est un point de vue tout à fait raisonnable et moral.

Le président: On dit que c'est une question d'éthique.

M. McAllister: Tout dépend de la façon dont on veut considérer la liberté individuelle face à la responsabilité envers la société et de la façon dont on conçoit la responsabilité mutuelle des individus dans la société.

Je n'ai pas de réponse catégorique. J'ai préparé ceci dans l'avion hier. Je vais vous le montrer. Cela vous donnera peut-être une certaine perspective. C'est ce qui s'est passé au cours du siècle durant lequel on a discuté de cette question. Il y a d'un côté la thèse du refus des contrôles et de l'autre côté celle des partisans du contrôle. Pendant tout le siècle, les argumentations se sont généralement appuyées sur les mêmes catégories.

L'une des argumentations s'articule sur la notion de responsabilité. Les opposants aux contrôles soutiennent que la liberté individuelle est plus importante alors que les partisans du contrôle ont tendance à dire que les devoirs envers la société l'emportent. En ce qui concerne la réglementation gouvernementale, on peut être conservateur ou libéral et argumenter pour ou contre. On peut être conservateur et dire: «Il ne faut pas imposer de contrôles parce que c'est de l'ingérence gouvernementale». On peut être libéral et dire: «C'est une question de liberté personnelle». Un conservateur dira: «Le gouvernement a le devoir de protéger les citoyens», et un libéral dira: «Le gouvernement doit médicaliser le problème et s'en occuper plus».

Pour ce qui est des effets de la drogue, les opposants aux contrôles ont toujours mis de l'avant le caractère spécifique des effets tout au long du XXe siècle. Ils disent qu'une drogue donnée n'a pas les mêmes effets sur tout le monde et que les effets varient d'un individu à l'autre. En revanche, les partisans du contrôle soutiennent que les effets de la drogue sont universels, qu'ils sont toujours négatifs et que par conséquent il faut la contrôler et la réglementer. Songez que vous pourriez vous-mêmes être entraînés dans ce genre de débat.

Sur la question de l'offre et de la demande, les opposants aux contrôles sont tendance à considérer que l'offre et la demande sont infinis et qu'il faut donc aborder le problème de ce point de vue. Ceux qui sont en faveur des contrôles soutiennent au contraire que l'offre aussi bien que la demande sont limités et que, si l'on peut les réduire, on réglera une bonne partie des problèmes.

Les opposants aux contrôles ont tendance à considérer que le problème est d'ordre national et que c'est à nous de nous en occuper. Les partisans du contrôle estiment que c'est un problème étranger et qu'il faut s'en occuper là-bas. Les partisans du contrôle ont tendance à insister sur le coût de l'usage et de l'abus, et les opposants mettent en avant le coût du contrôle lui-même.

Ce genre d'argumentation a animé le débat au cours du XIXe siècle, du XXe siècle et encore au XXIe siècle, et il ne s'agit ici que du seul exemple dont je vous ai parlé tout à l'heure.

Bien des gens en 1900 comprenaient que l'alcool était un problème majeur de toxicomanie. Certains faisaient partie du mouvement anti-alcoolique, et d'autres étaient appelés les prohibitionnistes. Beaucoup de ces personnes pensaient que, pour enrayer le problème, on pouvait imposer des contrôles au niveau national et éventuellement au niveau international aussi. Une de leurs stratégies était d'encourager le contrôle des produits opiacés de la cocaïne ainsi que d'autres drogues du même genre car ils pensaient que si l'on réussissait à contrôler la circulation transnationale de ces substances addictives, on pourrait ensuite passer à l'alcool.

Dans le passé, les gens ont compris que l'alcool était une drogue qui entraînait un certain degré de danger moral. Ils ont milité pour ou contre le contrôle en fonction de leur conception morale de la responsabilité et des obligations sociales par opposition à la liberté individuelle.

Le sénateur Banks: J'ai des questions pour une semaine.

M. McAllister: Je ne suis pas sûr d'avoir des réponses pour une semaine.

Le sénateur Banks: J'en suis arrivé à une conclusion personnelle. Il y a une bonne comparaison, c'est celle de l'aspirateur, que l'on parle de l'alcool, du tabac ou de l'héroïne. Essayer d'empêcher de l'air d'entrer dans un aspirateur, c'est perdre son temps. Si l'on veut vraiment s'attaquer au problème, il faut s'occuper de l'aspirateur, car l'autre solution ne marche pas. Autrement dit, tant qu'il y aura une demande, il sera impossible de contrôler l'offre. Il ne faut pas rêver.

Vous avez dit quelque chose tout à l'heure qui a piqué ma curiosité: vous avez dit qu'on avait déjà essayé la décriminalisation. Vous avez dit qu'avant le début du XXe siècle, la Grande-Bretagne, l'Inde et la Chine avaient essayé de décriminaliser la drogue en enregistrant les utilisateurs à l'époque et en les approvisionnant directement pour que ce ne soit plus des organisations criminelles qui les approvisionnent. Ces gens-là espéraient résoudre le problème de la toxicomanie, mais ils n'ont pas réussi.

Pensez-vous que cet échec a quelque chose à voir avec la façon de penser d'aujourd'hui?

M. McAllister: Je dirais que oui. Permettez-moi de vous présenter un peu mieux la situation historique. Au départ, aux 16e, 17e et 18e siècles, le trafic d'opium se faisait en Inde, et dans ce qui est actuellement l'Indonésie, l'Asie du Sud- Est et la Chine. C'était une simple denrée commerciale comme le clou de girofle, les épices et tout le reste. Personne ne s'en émouvait particulièrement.

Quand le tabac est apparu dans la région, les gens ont commencé à fumer. Puis ils se sont dit: «Et si l'on mélangeait du tabac et de l'opium?» Ils se sont mis à fumer un mélange de tabac et d'opium qui s'est révélé assez intéressant. Finalement, ils ont laissé tomber le tabac et se sont mis à fumer l'opium uniquement. À la fin du XVIIIe siècle, l'opium à fumer faisait l'objet d'un trafic florissant, mais c'était une denrée commerciale licite.

Après une période initiale durant laquelle le commerce fut totalement déréglementé, les gouvernements coloniaux se dirent qu'ils pouvaient profiter du commerce en établissant un régime d'affermage. Ils réglementèrent l'accès grâce à un dispositif particulier. Ils trouvaient un marchand disposé à leur verser une commission, et ce marchand pouvait alors importer autant d'opium qu'il le voulait et le vendre à qui il le voulait. C'était essentiellement un monopole sur lequel le gouvernement prenait sa part. C'est à ce système que se sont opposés divers réformistes moraux au cours du XIXe siècle. Ils recommandaient de supprimer l'intermédiaire et le profit et de laisser des fonctionnaires du gouvernement s'en occuper.

Le sénateur Banks: Cela se retrouve dans une certaine mesure dans la façon de penser contemporaine: on propose que la drogue ne soit plus laissée aux criminels mais soit disponible de façon légale, ou en tout cas non criminalisée.

M. McAllister: La question est de savoir qui réglemente l'accès: le gouvernement ou les entrepreneurs privés? Traditionnellement, quand les gouvernements se mettent à fournir des drogues, ils ont tendance à devenir dépendants des recettes que cela rapporte. Je suis sûr que vous savez parfaitement à quel point le budget du Canada est dépendant de choses comme les taxes sur l'alcool et le tabac. Ce n'est pas une solution fantastique pour résoudre le problème. D'une certaine façon, on peut effectivement supprimer le profit si l'on a des magasins contrôlés par le gouvernement, mais cela place le gouvernement dans une situation de danger moral.

Les monopoles de l'opium existaient toujours dans les années 40 et les Hollandais, par exemple, en avaient un considérable qu'ils ont essayé de ressusciter après la Deuxième Guerre mondiale quand ils ont réoccupé les Indes orientales hollandaises. Toutefois, cela dérangeait énormément de gens. Finalement, les Américains se sont arrangés pour faire disparaître ces monopoles de l'opium. Les Français en avaient un en Indochine, qui est maintenant devenue le Vietnam, au Cambodge et au Laos, jusque dans les années 50. Le gouvernement vendait de l'opium à la population. La théorie était la suivante: c'est nous qui le vendons, donc il est réglementé, contrôlé et pur. Ce commerce représentait un tiers du budget de l'Indochine française en 1952 et 1953. Ce n'était manifestement pas comme cela qu'on allait vouloir supprimer ce commerce.

Quoi que vous fassiez, vous avez un problème. Il faut que vous choisissiez votre poison, j'imagine, en étant bien conscient des choix que vous faites. Si le gouvernement réglemente et vend lui-même la drogue, il supprime certains problèmes, mais il se place dans une situation délicate sous d'autres angles.

Le sénateur Banks: En effet. En ce qui concerne l'argument moral, il y a la vieille blague que tout le monde connaît: nous savons déjà quel genre femme est le gouvernement; la seule question, c'est le prix. Nous n'avons déjà pas les mains blanches.

Pour ce qui est des substances psychotropes, n'est-il pas visiblement absurde et impossible de vouloir mettre en place un système qui, d'un côté, vise à faciliter le trafic de drogues— je vais utiliser le même terme dans les deux cas — à certaines fins et qui, en même temps, et en vertu de la même politique, essaie de restreindre ce même trafic? Autrement dit, je veux pouvoir vous vendre cette substance plus facilement, mais je ne veux pas qu'un autre type se serve de cette filière pour pouvoir alimenter quelqu'un d'autre. Est-ce que ce n'est pas manifestement absurde?

M. McAllister: Je dirais qu'ainsi va le monde. Je ne dirais pas que c'est absurde. C'est comme cela. Il est difficile d'imaginer un autre système qui fonctionne.

Il y aurait une solution, qui serait de supprimer totalement ces substances. Cela n'arrivera pas. Ce n'est dans l'intérêt de personne. Une autre option serait d'avoir un système sans aucun contrôle. Ce n'est pas acceptable du point de vue politique. Cela ne fonctionnerait pas non plus. Il ne vous reste donc que ces fichues solutions intermédiaires.

Les drogues «B», les drogues psychotropes, sont des drogues que nous avons tendance culturellement à voir d'un bon oeil parce qu'elles sont fabriquées par des compagnies pharmaceutiques qui se servent d'une méthode scientifique en vigueur depuis 150 ans. Ces drogues baignent dans une aura de science, de recherche, d'examens par les pairs et d'essais cliniques. Tout cela plaît bien aux Occidentaux que nous sommes. Nous nous sentons plus à l'aise avec ce genre de drogues qu'avec d'autres drogues qui nous sont fondamentalement étrangères. Elles viennent d'ailleurs; nous ne sommes pas habitués à leur mode d'administration. On a donc créé chez nous un parti pris culturel plus favorable aux drogues psychotropes.

Au petit déjeuner ce matin, nous parlions des discussions intéressantes des diplomates canadiens et britanniques dans les années 50 et 60. Ils disaient que c'était étrange que les États-Unis semblaient avoir 90 p. 100 de toutes les personnes diagnostiquées comme déprimées dans le monde entier et qu'ils avaient besoin de toutes ces drogues. Ils se demandaient comme cela se pouvait.

Nous nous mettons dans une situation où ce n'est pas tellement quelque chose d'absurde, mais plutôt quelque chose de lié au milieu culturel dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons plus nous passer de cette catégorie de drogues. Elles comportent toutes sortes risquent d'abus, mais nous en avons tout de même besoin. On maintient la distinction entre usage médicinal d'un côté et usage illicite de l'autre, un usage considéré comme volontaire et sans but médical.

La justification médicale a beaucoup progressé au XXe siècle. On présente la marijuana comme exemple de drogue antidouleur. Cette définition n'existait pas il y a 100 ans. Il était hors de question d'envisager une utilisation médicale d'une telle substance. Culturellement, on a élargi la notion d'usage médical des drogues pour contrer les effets du régime de contrôle.

Le sénateur Banks: Voici ma dernière question. Vous avez parlé de la mesure dans laquelle vous pensez que les gouvernements peuvent faire évoluer un peu les choses. On ne peut pas changer radicalement de cap en un instant. Si vous aviez les pleins pouvoirs, par où commenceriez-vous à changer un peu les choses?

Notre étude est axée sur le cannabis. Vous dites qu'on ne peut pas le séparer du reste. Que feriez-vous bouger? Et dans quelle direction?

M. McAllister: Vous voulez dire sur le plan des programmes ou sur le plan législatif?

Le sénateur Banks: Le plan législatif.

M. McAllister: J'espérais éviter cette question.

Le sénateur Banks: Je sais.

M. McAllister: Je n'ai pas étudié le problème de la marijuana de façon aussi détaillée que vous. Dans ma perspective, l'étude historique de la marijuana au cours du XXe siècle en fait une substance très marginale. J'en ai parlé dans une certaine mesure par extrapolation à partir des autres drogues sur lesquelles je me concentre plus particulièrement.

Le sénateur Banks: Dans ce cas, donnez-moi une réponse globale.

M. McAllister: Ceci ne sera peut-être pas une réponse satisfaisante pour vous, mais ce qu'il faut faire, c'est cesser de décrire le problème comme un danger moral, éthique et culturel absolu. Il faut traiter la question de la drogue comme nous traitons d'autres problèmes qui ont des aspects médicaux, psychologiques, sociaux et commerciaux.

Les transports ne sont peut-être pas un très bon exemple. Les produits chimiques dangereux en sont peut-être un meilleur. Personne ne dit que nous devons nous débarrasser de tous les produits chimiques dangereux du monde parce qu'ils présentent une menace pour l'humanité. Nous en avons besoin pour l'industrie et cetera. Mais le mouvement des produits chimiques dangereux n'est pas l'objet d'un opprobre moral comme le sont les drogues susceptibles d'engendrer une dépendance psychotrope.

Ce qu'il faut, c'est normaliser le discours pour qu'il soit moins chargé qu'il ne l'a été depuis un siècle ou un siècle et demi. Vous voyez ce que je veux dire?

Le sénateur Banks: Cela dépend du point de vue moral que l'on a. Je comprends ce que vous voulez dire.

Merci beaucoup.

M. McAllister: Ai-je assez bien esquivé la question? Mon objectif ici en tant qu'historien est d'apporter une contribution, mais pas de laisser des traces pour un autre historien à l'avenir.

Le président: Nous avons de nombreuses questions, et nous vous écrirons à propos de ceci. Revenons à l'histoire de ces conventions. Si j'ai bien compris, c'était essentiellement un problème commercial et non pas criminel?

M. McAllister: Au départ, le facteur premier était le commerce. Ce n'était pas le seul. Il y avait de nombreux autres facteurs, mais c'était surtout une question commerciale plutôt que médicale ou criminelle au départ.

On a essayé de réglementer l'approvisionnement licite dans le but de créer une barrière pour permettre à l'industrie pharmaceutique de bon aloi de fournir les drogues nécessaires tout en écartant du système les fournisseurs immoraux. Au départ, on voulait suivre le cheminement de la drogue.

Il a fallu longtemps pour avoir une idée des quantités réelles. On a dû faire de nombreuses études au cours des années 20. La Société des Nations a fait effectuer de nombreuses études pour déterminer la capacité réelle. On s'est alors rendu compte que la capacité de production d'opium était stupéfiante. Quand on a commencé à poser des questions et à recueillir des données sur quelques années, on s'est rendu compte qu'au bas mot la quantité d'opium produite dans le monde était 10 fois supérieure au besoin médicinal. Dans les estimations les plus extrêmes, on allait jusqu'à dire que cette quantité d'opium était 100 fois supérieure au besoin médicinal.

On a alors voulu suivre la piste de cet opium pour éliminer de l'excédent. Cet effort a été une réussite remarquable en un certain sens. En 1880, la Chine à elle seule consommait probablement 10 000 ou 20 000 tonnes d'opium, une quantité faramineuse. Ce trafic a considérablement décliné au bout d'un certain temps.

Il n'est pas juste de dire que le système a été complètement inefficace. C'est le système qui désigne, qu'on le veuille ou non, ce qui est licite et ce qui ne l'est pas. Il n'y avait pas de définition jusqu'à la fin des années 20 ou au début des années 30. On ne pouvait pas vraiment dire qu'un trafic quelconque était kache ou non. Il y avait de nombreux intervenants marginaux dans le tableau. Il y avait toutes sortes de médicaments et de drogues qui n'étaient absolument pas réglementés.

Et puis on a établi certaines règles. De nombreux gouvernements et entreprises pharmaceutiques ont essayé de les contourner ou de les ignorer. Ce n'est que vers le milieu ou la fin des années 30 que la plupart des gouvernements et compagnies pharmaceutiques ont commencé à respecter les règles. Dès lors, on savait mieux qui était dans le système et qui n'en faisait pas partie. Il s'agissait alors d'éliminer ceux qui n'en faisaient pas partie et de réglementer ceux qui en faisaient partie.

Le président: Je vous suis sur la question de l'opium; cela a marché en Chine. Tout le monde l'admet si l'on compare le niveau d'utilisation avant et après. Mais quand on examine l'efficacité du renforcement des contrôles au cours du siècle, il faut reconnaître que les résultats de ces conventions ont dans l'ensemble été plus que médiocres.

M. McAllister: L'histoire montre que les décisions de politique ont presque toujours des conséquences imprévues. Les législateurs ne peuvent pas prévoir les conséquences de leur politique sur la génération suivante.

Une des dynamiques du XXe siècle est cette situation de ying-yang, ou thèse-antithèse, où l'on impose des contrôles dans le système. Cela entraîne de facto une demande et une offre illicites, et il y a toujours des gens prêts à prendre des risques parce que les gains financiers sont supérieurs. Au cours des années 20 et 1930, des années 50 et 60 et des années 80, on a renforcé de plus en plus le processus et le mécanisme de contrôle. En réaction, il y a eu un renforcement des organisations de trafiquants qui sont devenues beaucoup plus professionnelles, brutales et violentes qu'elles ne l'étaient au début du siècle. Je ne suis pas sûr qu'elles soient tellement plus violentes que les organisations de trafiquants chinois durant les années 30, car la situation en Chine a été assez épouvantable jusqu'à après la Deuxième Guerre mondiale.

C'est le système lui-même qui a créé une dynamique qui n'a fait que rendre le problème encore plus complexe et diffus au fil du temps.

Le président: Dans une de vos diapositives, vous mentionnez le niveau de bureaucratie entraîné par le processus de contrôle durant la deuxième partie du siècle. Quand le commerce et les activités policières sont les deux principaux objectifs d'un même cadre, au haut de la pyramide vous avez des personnes qui prennent les décisions et qui les influencent. Ne pensez-vous pas qu'il vaudrait mieux avoir un cadre clair pour pouvoir intervenir sur le plan du commerce et du contrôle des substances d'un côté et un autre cadre coordonné régissant les activités policières, le trafic, le blanchiment d'argent, et cetera? Ne faudrait-il pas avoir deux séries d'objectifs? Il ne s'agit pas simplement de gouvernements, mais aussi des personnes payées pour suivre tout cela et s'en occuper au quotidien.

M. McAllister: On peut dire que c'est comme cela que le système international a évolué.

Le président: Je veux parler de l'OMC.

M. McAllister: Si vous prenez les trois traités actuellement en vigueur, il y en a deux commerciaux et le troisième qui concerne les activités policières.

Le problème a toujours été que des organisations comme l'OMC et ses prédécesseurs à l'ONU et à la Société des Nations sont toujours restés en marge. Leurs intérêts et leur point de vue ont toujours été entendus, mais de façon marginale. C'est à cause des implications morales de ce commerce particulier. Car au fond, c'est un élément commercial, même s'il est particulier, parce qu'il n'obéit pas toujours aux lois normales de l'économie. Même dans le cas de l'alimentation, les gens réduisent leur consommation quand le prix augmente trop. Ce n'est pas toujours le cas pour la drogue. Quelquefois oui, mais souvent non. C'est un cas particulier de substance qui n'obéit pas aux lois normales de l'économie.

Les organisations commerciales se sont à peu près toujours effacées devant les autorités policières, médicales ou de contrôle dans le cas de ces substances à cause de tous les autres facteurs qui leur donnaient un caractère spécial.

Le président: Dans vos livres et dans les résumés que vous avez écrits, vous dites que l'aspect médical et la question de la santé n'ont jamais été au coeur du problème au cours du dernier siècle.

M. McAllister: Oui, c'étaient des considérations secondaires.

Le président: C'est inquiétant parce que c'est maintenant le gros argument. Les gens se font du mal, et il faut donc leur imposer la règle du droit. Vous dites que c'est un simple commerce. Très bien. Nous sommes bien d'accord. Nous sommes un pays commerçant comme le vôtre et nous avons un ensemble de règles internationales que nous respectons. Ce n'est pas toujours facile, mais nous suivons les règles.

Toutefois, la démarche est floue. Nous ne disons pas que le fait de contrôler la criminalité n'est pas une bonne chose. Mais si les criminels participent au commerce, on n'atteint pas l'objectif, en tout cas quand on considère les résultats obtenus au cours du siècle dernier. Cela fait plus de mal que de bien.

Évidemment, on entend des gens, aujourd'hui encore, dire que non, que le système a fonctionné relativement bien.

M. McAllister: «Relativement bien», c'est le terme clé. La question est de savoir quelles sont les autres solutions possibles. Je ne peux pas imaginer une société ou une société mondiale qui n'autoriserait aucun contrôle sur toutes ces substances. D'un autre côté, les efforts accomplis au siècle dernier pour restreindre les drogues ont été assez aléatoires.

Je ne peux pas imaginer un système où il y aurait le commerce d'un côté, des dispositions d'ordre médical d'un autre et l'exécution d'un troisième, car j'ai l'impression que le commerce implique un certain niveau d'exécution de la loi à un certain degré.

Vous pourriez me donner un exemple?

Le président: L'alcool, par exemple? Nous n'avons entendu personne dire qu'il ne fallait pas de contrôle. On nous dit qu'il faut rédiger les mesures législatives de contrôle de manière plus «chirurgicale».

Vous parlez dans vos livres du problème des listes. C'est un problème pour nous aussi. Nous avons essayé de le résoudre en 1996 avec une nouvelle loi. Toutefois, le débat reste ouvert.

Nous nous reportons toujours à l'exemple de l'alcool quand nous essayons de définir le bon ensemble de règles pour contrôler ou réglementer. Le vin est un très bon exemple. C'est une substance naturelle qu'on peut fabriquer dans sa cave pour sa propre consommation, mais on ne peut pas le vendre. Je reviens toujours à la question du commerce. Nous ne disons pas que les activités commerciales ou les réglementations commerciales n'impliquent pas des sanctions. Si quelqu'un connaît le problème, c'est bien les Canadiens.

Toutefois, ce n'est pas le chef de la GRC ou du FBI qui s'occupe directement d'exécuter la réglementation commerciale à l'OMC. C'est cela qui nous préoccupe. Ce n'est pas que ces gens-là font un mauvais travail; ils font le travail que les législateurs leur confient. C'est peut-être qu'ils ne sont pas au bon endroit au bon moment.

M. McAllister: J'aimerais répondre par écrit à cette question. Je souhaiterais y réfléchir. Je voudrais vous répondre en me reportant aux précédents historiques et en vous proposant quelques commentaires.

Le président: Nous avons de très bonnes questions pour vous, dans la mesure où vous êtes un citoyen américain, concernant la réaction de votre pays si nous évoquons simplement l'idée de changer les contrôles.

M. McAllister: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous répondre au nom de la nation américaine, mais je vous donnerai mon point de vue.

Le président: Merci, monsieur McAllister, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.

[Français]

Je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet. Ils y retrouveront les exposés de tous nos témoins, leur biographie, toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugé nécessaire de nous remettre, ainsi que plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues. Enfin, ils pourront utiliser cette adresse pour nous écrire.

Du ministère des Affaires extérieures et du Commerce extérieur, nous recevons M. Terry Cormier et M. Stephen Bolton, de la direction du crime international. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à venir témoigner devant le comité.

Vous avez vu ce matin l'ampleur de l'intérêt que nous portons à la dimension internationale de cette question. Vous n'êtes pas sans savoir que le comité se préoccupe principalement de la question du cannabis. Les mots, dans leur contexte, ont toute leur importance et on ne peut isoler une substance, fusse-t-elle la plus populaire, des autres substances qui, aussi, sont régies par les conventions. Nous aurons tout le loisir de traiter des autres substances dans un autre mandat, mais pour le moment, nous nous préoccupons du cannabis.

Votre période de présentation sera suivie d'une période de questions et si des questions surgissent en cours de témoignage, soit par le directeur de la recherche ou les différents recherchistes de la Bibliothèque du Parlement, je prendrai le loisir de vous écrire et j'attendrai vos réponses. Je tiens à mentionner que les questions et vos réponses seront aussi affichées sur le site Internet du comité.

M. Terry Cormier, direction du crime international, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: J'aimerais d'abord vous remercier de l'occasion de comparaître aujourd'hui pour vous donner la perspective du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur sur les politiques internationales en matière de drogues.

Cette questions comporte évidemment beaucoup d'éléments et de facteurs. Je propose de faire une présentation d'environ 15 minutes et si vous avez des questions pendant cette présentation, n'hésitez pas à les poser. Je parlerai des défis et des problèmes que les questions de drogues représentent de notre point de vue.

Je parlerai de l'architecture juridique internationale qui existe et je mentionnerai quelques-uns des développements les plus récents sur la scène internationale, dont vous êtes sans doute déjà au courant de leur existence. Pour conclure, je ferai quelques observations sur les défis que représentent les questions de drogue pour le pays.

[Traduction]

M. Cormier: C'est un problème aux multiples aspects. La question de la drogue a de multiples facettes. La première que je voudrais souligner, c'est la question de la santé. Il y a aussi l'application de la loi et la diplomatie, c'est-à-dire l'architecture internationale et les conventions existantes.

Il y a de nombreuses questions d'ordre politique auxquelles on est confronté. Il y a de nouveaux problèmes liés à l'utilisation de certaines substances dans la société. Il y a de nouvelles questions de politique auxquelles notre pays est confronté. J'en parlerai brièvement. Il y a aussi les implications financières du problème: le Canada consacre plus de 2 millions de dollars par an aux efforts internationaux de contrôle de la drogue. Il y a aussi des aspects humanitaires, les efforts accomplis internationalement et leurs répercussions.

J'ajouterais qu'au plan international, la question de la toxicomanie ou des drogues est abordée dans de nombreuses tribunes et de nombreuses institutions. Le problème de la toxicomanie est important dans le contexte des Nations Unies et l'architecture de l'ONU est peut-être la plus importante à cet égard. Ces questions ont aussi une grande importance dans le contexte de l'OEA et elles se retrouvent dans d'autres tribunes régionales, par exemple en Asie. Certains pays d'Asie souhaitent discuter avec nous de leur propre expérience en matière de toxicomanie, qui diffère de la nôtre.

Je précise que les pays n'ont pas tous les mêmes préoccupations face à la toxicomanie. Presque tous les pays membres des Nations Unies ont signé les trois conventions de l'ONU. Ce sont des conventions universellement acceptées. Toutefois, les pays n'ont pas tous les mêmes préoccupations. Par exemple, l'utilisation d'amphétamines est un problème beaucoup plus important pour certains que pour d'autres.

Pourquoi le ministère des Affaires étrangères intervient-il dans ce domaine? J'ai rédigé quelques notes sur le genre de travail que nous faisons aux Affaires internationales dans le domaine des questions de sécurité publique internationale, le travail que nous faisons à la Direction du crime international.

Le travail que nous accomplissons découle du fait que le monde est de plus en plus intégré. L'intégration croissante des économies et la facilité avec laquelle les gens, l'argent, les biens et les idées traversent les frontières entraînent un changement de l'environnement politique. Cette évolution entraîne d'énormes avantages pour notre société sur le plan de l'économie, des échanges culturels et de tous les aspects de la société que l'on peut imaginer.

Toutefois, elle comporte aussi certaines menaces, d'origine transfrontalière, pour la sécurité des Canadiens. C'est à ce niveau que nous travaillons. Nous essayons de protéger la sécurité des Canadiens en les mettant à l'abri des menaces transfrontalières ou internationales. Notre travail dans ce domaine est indispensable car il s'agit de menaces mondiales et seule une réponse mondiale peut la contrer. Nous considérons que nous sommes au point d'intersection entre le domaine intérieur et le domaine international.

Tous les dossiers dont nous traitons — en dehors du dossier de la drogue — y compris toutes les autres questions de sécurité publique, sont généralement horizontaux. Nous travaillons forcément avec de nombreux autres ministères et organismes, nous ne faisons rien isolément.

[Français]

Nous travaillons étroitement avec le ministère de la Justice, le ministère du Solliciteur général, la GRC, CSIS et dépendamment du crime en question, d'autres ministères. Par exemple, concernant les questions de blanchiment d'argent, le ministère des Finances y est pour beaucoup, concernant les questions de cybercriminalité, le ministère de l'Industrie a un très grand intérêt.

[Traduction]

Le ministre de l'Industrie s'intéresse beaucoup au commerce électronique au gouvernement. Le dossier de la sécurité publique internationale prend de plus en plus d'ampleur car le monde est de plus en plus intégré et ces menaces se multiplient. Tout ceci vous situe le travail que nous faisons.

N'oublions pas les problèmes que pose le commerce international de la drogue à nos sociétés. Ce sont des défis considérables que nous avons à relever. Il y a un débat pour savoir si c'est parce qu'il s'agit d'activités criminelles que nous avons ces défis ou si nous aurions de toute façon ces défis quel que soit le régime en place.

Par exemple, le gigantesque trafic international de la drogue soulève le problème de la corruption. Les profits sont tels que dans de nombreux pays, les autorités sont tentées. Ce trafic engendre la violence et peut saper des États. Le meilleur exemple, c'est celui de l'Afghanistan. Les narcotrafiquants et le régime ont pris le contrôle de l'État et de 70 p. 100 de la production mondiale d'héroïne. La disparition du principe du droit qui en a résulté a créé un vide qui a permis à al-Qaeda de constituer ses vastes bases de formation de terroristes et de poursuivre ses propres objectifs. Toute cette évolution a manifestement été liée au narcotrafic en provenance d'Afghanistan.

Le commerce international de la drogue entraîne des bouleversements économiques, et aussi des problèmes de santé. On estime que le blanchiment d'argent représente environ 500 milliards de dollars par an. Les profits du trafic de drogue sont blanchis à l'échelle internationale. Le travail de la communauté internationale pour lutter contre le blanchiment d'argent a été guidé par la volonté de bloquer les profits du commerce illicite de substances. Le trafic des armes à feu est un autre problème.

Ce sont là les problèmes que le commerce international de la drogue pose au plan international et c'est pour cela que nous travaillons dans ce domaine.

Je sais que votre comité a étudié la question et a fait réaliser d'excellents projets de recherche. J'aimerais cependant vous suggérer de discuter de deux grandes organisations: l'ONU, puisque les trois conventions qui vous intéressent sont des instruments de l'ONU, et l'Organisation des États américains, l'OEA. M. David Beall vous parlera plus précisément de ce contexte de l'OEA tout à l'heure.

Dans le contexte de l'ONU, vous savez que le Conseil économique et social, l'ECOSOC, est le principal responsable de la politique. Il y a la Commission des stupéfiants, le Programme de contrôle des drogues des Nations Unies et l'Organe international de contrôle des stupéfiants. La Commission des stupéfiants vient juste de se réunir à Vienne la semaine dernière. L'Organisation mondiale de la santé est aussi l'un des éléments de ce vaste casse-tête et elle peut faire des recommandations sur le classement des drogues dans le cadre de diverses conventions.

Vous avez examiné ces conventions, mais la première convention unique de 1961 avait pour objectif de limiter la production et le commerce des substances prohibées. Cette convention regroupait les instruments qui existaient précédemment pour essayer de structurer la démarche de l'ONU face aux drogues illicites.

La convention aborde la question du contrôle essentiellement par le biais de sanctions pénales. C'est la démarche inhérente à cette convention de 1961. Il y a quatre tableaux et le cannabis figure au tableau 4, celui qui prévoit les niveaux les plus élevés de contrôle, ainsi qu'au tableau 1.

La Convention de 1971 sur les substances psychotropes concerne...

[Français]

... la disponibilité et la consommation répandues des substances psychotropes synthétiques.

[Traduction]

Elle suivait le même schéma que la convention unique. Elle reconnaît la nécessité médicale et comporte quatre tableaux de contrôle. Elle est intéressante en ce sens qu'elle stipule que les drogues doivent être mentionnées spécifiquement. Naturellement, quand on parle de substances psychotropes, il suffit de modifier une molécule dans une chaîne pour avoir une nouvelle drogue.

Normalement, aux réunions de la Commission des stupéfiants, on ajoute de nouvelles drogues dans le tableau de la Convention de 1971, parce que de nouvelles drogues apparaissent constamment.

La Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants est un instrument du droit pénal international. Elle prévoit l'obligation de créer et d'appliquer des lois criminelles spécifiques au trafic de drogues et de substances psychotropes. Elle oblige spécifiquement les parties à respecter fondamentalement les droits de la personne. Toutes les conventions comportent des clauses de conformité avec les constitutions nationales et le droit des États. Ce sont ces trois conventions internationales des Nations Unies qui traitent des drogues illicites. J'ai soigneusement choisi mes mots, mais je vais le répéter. On ne peut pas décriminaliser le cannabis en se conformant à ces trois conventions. Cela dit, les parties à la convention conservent toute latitude pour déterminer les sanctions qu'elles imposent. Comme je le disais, les conventions stipulent explicitement l'obligation d'harmonie avec le droit national.

Le mécanisme d'évaluation multilatéral de l'OEA est un exemple de l'orientation que prend le débat international sur les questions de toxicomanie. Le mécanisme d'évaluation multilatéral est un instrument de la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues, la CICAD. C'est un mécanisme d'évaluation par les pairs. La Commission examine le problème de la toxicomanie dans un contexte très vaste. Les pays doivent faire rapport en se fondant sur plus de 80 indicateurs, je crois. Ces indicateurs concernent non seulement le domaine de l'interdiction et de l'approvisionnement et le domaine de l'application des lois, mais aussi le domaine de la demande et celui de la réadaptation dans le contexte par exemple de la réduction des préjudices. C'est un exercice utile car il élargit le débat et la compréhension du problème au sein d'une vaste communauté.

Cette commission peut par exemple formuler des remarques sur le droit canadien et les rapports du Canada. Le Canada trouve ce genre de dialogue avec cette organisation extrêmement utile.

En ce qui concerne les défis de la toxicomanie, les objectifs du ministère des Affaires étrangères sont très simples. Notre objectif principal est de protéger les Canadiens et les intérêts canadiens, qu'il s'agisse de préoccupations en matière de santé, de préoccupations politiques ou de droits de la personne. Notre autre objectif primordial est de protéger les valeurs canadiennes. Dans tout ce que nous faisons au plan international dans ces domaines et ailleurs, nous essayons toujours de servir l'image de notre pays. Nous essayons de refléter nos valeurs, la règle de droit, la tolérance et la liberté qui sont l'essence du Canada.

À propos des défis futurs en matière de toxicomanie, je dirais que nous sommes très préoccupés par les stimulants de type amphétamine et les drogues chimiques. Nous sommes préoccupés par les nouvelles technologies qui permettent de fabriquer facilement diverses substances. Quelqu'un qui a des connaissances de base en chimie peut très facilement télécharger des recettes sur l'Internet et se procurer les éléments chimiques nécessaires pour fabriquer un stimulant du genre amphétamine. Cela se passe constamment. Les profits sont gigantesques. La matière première pour une dose coûte environ 50 cents. Les doses se vendent de 25 $ à 30 $ pièce.

Les nanotechnologies sont un autre point sur lequel j'aimerais attirer votre attention. Les nouveaux processus technologiques nous permettent de produire des quantités de plus en plus petites des substances dont nous avons besoin. On m'a dit qu'il se pourrait qu'à moyen terme — d'ici 10 ans ou moins — on puisse avoir un petit dispositif à peine plus gros qu'un paquet de cigarettes qui permettrait à n'importe qui de produire n'importe quelle molécule pour modifier la chimie de son organisme.

Notre société doit faire face à ces nouvelles technologies. Ce n'est pas de la science fiction, ce sont des choses imminentes.

L'autre grand défi consiste à maintenir un équilibre entre nos positions nationales et nos engagements internationaux dans le contexte international. Nous devons constamment réévaluer nos priorités nationales en fonction du contexte mondial dans lequel nous nous situons et des répercussions que nos décisions risquent d'avoir sur les autres.

Ce sont là quelques-uns des défis que je souhaitais mentionner.

[Français]

La situation internationale est changeante. Il y a des changements qui se passent.

[Traduction]

J'ai ici un communiqué de presse du Home Office en date du 14 mars 2002, jeudi dernier. Il dit que les experts médicaux du gouvernement ont recommandé de modifier la classification du cannabis. Je parle du Home Office britannique. L'environnement évolue. Vous connaissez la position que prennent certains pays européens. Ce n'est pas un environnement statique, la situation change.

On aborde probablement la question de la toxicomanie à l'échelle internationale sous un angle plus vaste qu'il y a 20 ou 30 ans. Quand on parle d'interdiction et d'intervention au niveau de l'offre, on s'occupe plus maintenant de la demande, de la réadaptation et de la réduction des préjudices.

On admet aussi de plus en plus qu'il faut continuer à faire la différence entre diverses catégories de drogues. On évalue mieux aujourd'hui toute la gamme des répercussions sociales, économiques, en matière de santé, politiques et économiques de la toxicomanie sur la société et sur nos rapports avec les autres pays.

Ce qu'il faut souligner ici, c'est que ce n'est pas un environnement statique, que l'environnement international évolue.

En conclusion, le Canada aborde cette tâche comme toutes les autres. Nous essayons d'encourager la multilatéralisation des normes que nous souhaiterions nous-mêmes adopter au sein de la communauté internationale. Nous encourageons la multilatéralisation de règles internationales. Cela a des implications pour notre position vis-à-vis des trois conventions.

Les questions relatives à l'abus de drogues sont des questions essentielles qui font intervenir de multiples acteurs. J'ai maintenant terminé mon exposé et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: M. Bolton a-t-il quelque chose à ajouter? Vous êtes là simplement pour répondre aux questions?

M. Cormier: Exactement.

Le sénateur Banks: Merci pour votre exposé. Vous avez peut-être entendu une question que j'ai posée tout à l'heure au précédent témoin. Je vous parle maintenant de mon opinion personnelle. Vous avez dit il y a quelques instants qu'on s'occupait plus maintenant de la demande que de l'offre. Comme je le disais au précédent témoin, il serait totalement futile d'essayer de résoudre le problème d'un aspirateur en essayant de supprimer l'air. C'est impossible. Je fais ce parallèle, mais ce n'est peut-être pas une comparaison parfaite.

À la page 5 de votre exposé, vous énumérez les problèmes du commerce international de drogues. Je ne pense pas que qui que ce soit dans le monde soit prêt à dire qu'il faudrait totalement déréglementer le commerce des drogues licites ou illicites, mais j'aimerais avoir votre avis. Chacun de ces problèmes — excepté uniquement les problèmes de santé — existe spécifiquement parce que le commerce de la drogue est illégal. Personne ne propose de le légaliser, mais si ce commerce n'était plus illégal, tous ces problèmes, sauf celui de la santé, seraient considérablement atténués, sinon même réglés.

C'est ce que disent les gens qui sont en faveur soit de décriminaliser, soit de réduire les sanctions visant toutes sortes de choses liées aux drogues, notamment le trafic et la consommation personnelle.

Que répondriez-vous à cette idée que tous les problèmes, à l'exception des problèmes de santé, sont liés au fait que le commerce de drogues est illégal?

M. Cormier: C'est une position que soutiennent bien des personnes. Je ne suis pas sûr qu'elle soit à 100 p. 100 valable. Par exemple, en dépit de l'existence de cafés aux Pays-Bas, plus de la moitié du cannabis consommé là-bas se négocie dans la rue. Il reste donc des problèmes de violence de petite envergure et d'ententes qui tournent mal.

Le fait que cette activité soit criminelle a d'autres répercussions, cela me paraît évident.

Le sénateur Banks: Certains individus qui d'une façon ou d'une autre sont devenus des drogués — pas tellement dans le cas du cannabis d'ailleurs — causent de graves torts à la société. La toxicomanie est quelque chose de difficile à comprendre, mais c'est comme l'alimentation. C'est comme quand on dit à quelqu'un qu'il ne peut pas avoir à manger. Les gens vont faire des choses épouvantables pour pouvoir se nourrir.

Pouvez-vous nous parler des ravages de la criminalité dus à ce problème? Je ne parle pas simplement des conflits de bandes, mais de chacun de nous, des voitures ou des magasins qui sont attaqués.

M. Cormier: Au fond, c'est une question de détermination politique: il s'agit de savoir si l'on considère que la société subit ou non un préjudice. On a décidé à un moment donné que l'usage de ces substances était nuisible pour la société.

Je suis d'accord avec votre axiome quand vous dites que la criminalisation d'une certaine activité a manifestement des répercussions négatives.

Le sénateur Banks: Je pense à cette idée communément admise que le jour où la prohibition a disparu a été le jour le plus triste de la vie d'Al Capone. Ce jour-là, c'est tout son empire qui s'est effondré.

M. Cormier: Il est exact qu'il y a un certain type de comportement assez répandu dans notre société. Il n'y a aucune façon légale de s'y livrer, et ce comportement entraîne donc forcément toutes sortes d'activités illégales auxquelles se livre apparemment un pourcentage assez important de la population canadienne.

Le sénateur Banks: Et si nous voulions changer cela? Vous dites en pesant soigneusement vos mots qu'on ne peut pas décriminaliser la possession de cannabis tout en se conformant aux traités. Mais si nous voulions modifier la nature des sanctions imposées dans ce domaine, avons-nous une certaine latitude? Il est bien stipulé dans ces traités que leurs dispositions s'effacent dans une certaine mesure devant les dispositions du droit national.

M. Cormier: Nous avons une certaine latitude pour ce qui est des sanctions, effectivement.

Le sénateur Banks: Quelle latitude? Quelles sont les limites? Qu'est-ce que nous ne pouvons pas faire?

M. Cormier: C'est à quelqu'un du ministère de la Justice que vous devriez poser vos questions sur les lois pénales.

Le sénateur Banks: Ils nous ont dit que c'était à vous que nous devions les poser.

M. Cormier: C'est le problème avec toutes ces questions horizontales, sénateur Banks. Je vais faire une tentative.

Si le Canada devait modifier ses sanctions ou sa démarche en matière de cannabis, nous ferions toutes sortes de choses. Ce genre d'initiative s'inscrit dans le contexte d'une foule d'autres débats, d'évolutions internationales et de discussions au sein des organismes de l'ONU et d'autres tribunes régionales. Tout en essayant de modifier sa propre démarche face à la toxicomanie, le Canada s'efforcerait de continuer à respecter les trois conventions.

Si l'on veut décriminaliser, on peut rouvrir ou réécrire les conventions actuelles. C'est une possibilité. Il y en a d'autres. On peut aussi réorganiser les drogues dans les tableaux annexés aux conventions.

Le sénateur Banks: Dans le cas de la convention unique, n'est-il pas exact que le Canada n'était pas d'accord pour que le cannabis figure dans le tableau des drogues visées par les contrôles les plus stricts?

M. Cormier: Je n'étais pas là en 1961. Je ne connais pas l'historique de ces négociations. Je ne peux pas vous répondre en connaissance de cause.

Le président: Comme je l'ai dit à M. McAllister avant vous, on a demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur la consommation de marijuana à usage récréatif. La défense s'appuie essentiellement sur l'argument du préjudice. Les partisans de cette consommation disent qu'elle n'entraîne pas de préjudice significatif pour autrui et qu'il y a seulement un certain préjudice pour le consommateur. Dans ces conditions, disent-ils, l'article 7 de la Charte protège le citoyen canadien de toute intrusion non seulement de la police, mais aussi de la loi.

Prenons une situation hypothétique. Supposons qu'en décembre prochain la Cour suprême du canada décide que notre système national empiète sur les droits fondamentaux des particuliers et nous donne un an pour changer cette situation. Que va faire le ministère? Ces conventions stipulent bien qu'elles ne doivent pas être en contravention avec les lois nationales, vous l'avez dit. Quelle serait la position du Canada dans ce cas?

M. Cormier: C'est de la pure spéculation. Cette même thèse a déjà été plaidée plusieurs fois devant les tribunaux et a toujours été rejetée. Je pense qu'il ne m'appartient pas de me prononcer sur l'attitude que pourrait avoir la Cour suprême du Canada en la matière. Disons qu'elle soupèserait les arguments présentés et se prononcerait, et que le gouvernement devrait peut-être prendre des mesures en fonction du jugement qu'elle aurait rendu.

C'est une question extraordinairement hypothétique. D'après ce que je sais de la jurisprudence, les appels de ce genre ont toujours été rejetés jusqu'à présent.

Le président: C'est la première fois que la Cour suprême accepte d'entendre une affaire de possession d'une petite quantité de marijuana à des fins récréatives. C'est le crime le plus léger sur l'échelle. Dans les trois précédents cas, il y a un cas de possession d'une petite quantité, un de possession dans le but de faire du trafic, mais on s'est clairement reporté à la convention. Or, comme vous le savez, les conventions n'ont pas force de loi au Canada et cela fait aussi partie du contexte dans lequel la Cour suprême devra se prononcer.

Je sais bien que c'est hypothétique, mais c'est une réalité. C'est une des possibilités. Je suis sûr que vous devez vous préparer pour une telle éventualité à la Cour suprême.

M. Cormier: Sans savoir quel jugement rendrait la Cour suprême ou quels commentaires elle pourrait faire à propos de la Charte et de nos obligations internationales, il m'est difficile d'imaginer les démarches que nous pourrions faire pour combler cette lacune au niveau de nos responsabilités internationales. Mon ministère, comme le gouvernement du Canada je pense, examinerait avec le plus grand sérieux la décision que rendrait la Cour suprême.

On peut dépénaliser la consommation de cannabis plutôt que de la décriminaliser, et il y a par exemple des pays où le comportement demeure une infraction criminelle mais où on n'applique simplement pas la loi.

Le débat, y compris devant les tribunaux, s'inscrit dans le contexte du débat général sur la question de la toxicomanie dans nos sociétés.

Le président: Quels pays sont les principaux intervenants dans le domaine du contrôle international de la drogue actuellement?

M. Cormier: Quels pays? Les États-Unis sont un intervenant clé. Dans un récent rapport, l'Organe international de contrôle des stupéfiants souligne que les États-Unis d'Amérique sont l'un des principaux intervenants en matière de contrôle des stupéfiants. Ils contestent les mesures prises par certains pays en matière de drogue. Ces observations se trouvent dans le rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants.

Les autres pays importants sont ceux qui sont confrontés aux problèmes associés aux stupéfiants dans la société. Les drogues, et notamment l'héroïne, posent un problème majeur au Royaume-Uni et celui-ci est par conséquent un acteur important sur la scène internationale dans ce domaine.

Le Canada est un acteur en ce qui a trait aux substances illicites dans notre société. Des travaux ont été réalisés, par exemple, dans le contexte de l'OEA alors qu'un Canadien occupait la présidence. L'ancien solliciteur général adjoint du Canada a présidé le processus de l'OEA qui a abouti au mécanisme multilatéral d'évaluation.

De nombreux pays sont actifs dans ce domaine parce qu'en fait tous les pays sont concernés par les problèmes liés à la drogue dans nos sociétés.

Le président: Y a-t-il des pourparlers concernant les amendements qui pourraient être apportés aux conventions de façon à donner une certaine marge de manoeuvre et à permettre à un pays d'adopter des approches nouvelles?

M. Cormier: Autant que je sache, il n'y a pas de pourparlers officiels ni même officieux visant à réouvrir les conventions.

Le président: Est-ce que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, adoptée par le Parlement en 1996, est conforme à nos obligations internationales?

M. Cormier: Oui, je n'ai jamais entendu dire que la loi de 1996 ne satisfaisait pas à toutes nos obligations internationales.

Le président: Vous avez dit dans votre texte qu'il était impossible d'adopter un régime de décriminalisation en respectant les conventions. Quelle a été la réaction internationale il y a 25 ans et depuis à l'égard des mesures prises par les Pays-Bas?

M. Cormier: La réaction a été très variée et mitigée, selon la personne qui parle. Il n'y a pas de réaction internationale unique. Les partisans d'une approche plus libérale envers les problèmes de drogue auraient applaudi aux mesures néerlandaises. Ceux qui considèrent que c'est une erreur et un danger pour la société de faciliter l'accès à ces substances auraient formulé de vives critiques. Il n'y a pas de réaction internationale unique.

Le président: Je voudrais être un peu plus précis. Lorsque je parle de réaction internationale, je pense aux autres signataires des conventions. Y a-t-il eu, ou y a-t-il actuellement, des discussions sur la façon d'agir avec les pays qui adoptent des changements? Comme vous le savez, les Pays-Bas ne sont pas seuls. La Belgique a donné à sa police et aux organes de contrôle du pays des instructions qui reviennent à décriminaliser la possession de marijuana pour consommation personnelle. La Suisse n'est pas signataire de la convention de 1988, mais examine un projet de loi qui légaliserait la consommation personnelle de marijuana. L'Espagne, l'Italie et le Portugal envisagent d'en faire autant. Le seul pays européen à ne pas le faire est sans doute la Suède.

Quelle est la position du Canada à cet égard?

M. Cormier: La position du Canada à l'égard de quoi?

Le président: À l'égard de ce qui se passe en Europe. C'est presque une révolution.

M. Cormier: Notre position est celle d'un observateur très intéressé par les initiatives et les approches adoptées par d'autres pays en matière de drogue.

Vous voulez savoir si nous pouvons évaluer la façon dont la communauté internationale réagit. Le rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants n'est sorti qu'en février. Vos recherchistes aimeraient sans doute en avoir un exemplaire. Le rapport comporte une partie sur le cannabis qui ne date que de quelques semaines. L'organisme formule des observations au sujet des Pays-Bas. Vous pouvez voir le type de propos utilisés. Il formule également des observations sur le projet de loi suisse, qui va assez loin. Le projet de loi suisse est très ambitieux.

Le président: Oui, nous avons entendu des représentants de la Suisse.

M. Cormier: Ce rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants déclare, par exemple, que le projet de loi suisse contreviendrait, s'il est adopté, non seulement à la lettre mais aussi à l'esprit et aux objectifs essentiels des traités internationaux de contrôle des stupéfiants. Pour du langage bureaucratique international, c'est plutôt raide.

Le président: C'est comme d'avoir des avocats devant soi. C'est ce qu'ils vont dire. Le gouvernement suisse a demandé trois avis indépendants sur les traités.

Nous avons accès à ces avis. Je ne sais pas si vous les avez lus ou si vous les connaissez. Je vois M. Bolton hocher la tête; peut-être veut-il faire un commentaire.

Stephen Bolton, Drogues internationales, Direction du crime international, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: J'étais là lorsque les témoins suisses ont présenté leur exposé. Je leur ai parlé à l'occasion de leurs témoignages. Je leur ai également parlé lors de la réunion de la Commission des stupéfiants la semaine dernière à Vienne.

Vous parlez des préoccupations existantes. La semaine dernière à la réunion, il est apparu clairement que même si de nombreux pays d'Europe de l'Ouest se dirigent vers une approche plus libéralisée — ou envisagent tout au moins cette possibilité en ce qui concerne le cannabis — il y a de nombreux pays en développement chez qui cette approche suscite beaucoup d'inquiétudes et d'appréhension.

Nous l'avons vu très nettement à la Commission des stupéfiants. Lorsque l'Organe international de contrôle des stupéfiants, l'OICS, a fait sa présentation, il était clair qu'il y avait deux camps: l'Europe de l'Ouest et le reste du monde. Pour ce qui est des préoccupations, la communauté internationale examine attentivement les conclusions du rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants. En fait, celui-ci est là pour s'assurer du respect des trois conventions.

Le président: Vous avez presque lu dans mes pensées lorsque vous avez soulevé la question des préoccupations actuelles, que nous devrions définir. S'agit-il d'intérêts économiques, de problèmes commerciaux, de questions de santé, d'activités criminelles, notamment le trafic et le blanchiment d'argent — que nous devrions qualifier de problèmes criminels? Comment allons-nous désigner tous ces problèmes? Soyons plus précis. Craint-on de perdre le soutien financier international? Nous pouvons demander si c'est un problème.

M. Bolton: Voulez-vous parler des préoccupations des pays en développement?

Le président: Je pense aux problèmes des deux camps que vous avez cités: les pays européens industrialisés et le monde en développement.

M. Bolton: Les pays se tournent vers l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour ce qui est de l'harmonisation. L'OICS s'assure du respect et de l'harmonisation des trois conventions.

Lorsque les pays en développement examinent la situation — nous ne pouvons pas parler pour eux — ils considèrent, d'après les opinions exprimées, qu'il faut un seul système. Si nous avons un régime international de contrôle des stupéfiants, il doit être uniforme et il doit être mondial. Si une partie du monde s'oriente d'une certaine façon en ce qui concerne le cannabis tandis que l'autre partie du monde fait l'inverse, il faut qu'il y ait des pourparlers ou un dialogue dans le cadre d'un organisme comme la Commission des stupéfiants. C'est son rôle — elle doit regrouper les opinions divergentes et les faire connaître.

Le plus important n'est peut-être pas de définir exactement le problème mais bien qu'il y ait une certaine cohérence dans la façon dont la communauté internationale le traite. Les pays en développement font des progrès en ce qui concerne le cannabis sur leur territoire. Et il est compréhensible qu'ils demandent une certaine uniformité.

Le sénateur Banks: Ma question est dans la même veine que les commentaires de M. Bolton. Il semble qu'il y ait déjà des différences et qu'elles existent depuis un certain temps. Vous avez raison; il faut chercher une rationalisation.

Monsieur Cormier, vous vous préoccupez particulièrement de la criminalité internationale et des relations du Canada avec les autres en ce qui concerne la criminalité internationale. C'est aussi un domaine qui vous est familier, monsieur Bolton.

Je voudrais revenir à la question des États-Unis. Nous pouvons avoir une opinion ou une attitude quant à ce qui se passe en Europe de l'Ouest, mais nous avons une attitude différente à l'égard des États-Unis parce que ce sont nos voisins. De même, les Pays-Bas ont une attitude différente à l'égard de l'Allemagne du fait de leur proximité.

Nous avons d'ailleurs entendu dire que, alors que le pendule était allé très loin dans une direction en Allemagne et pour le gouvernement allemand lorsque les Pays-Bas avaient introduit la libéralisation pour la première fois, le pendule est revenu vers le milieu, comme c'est généralement le cas.

En ce qui concerne cette question du cannabis et de la réaction des États-Unis, avec lesquels nous avons des intérêts communs à bien des égards, étant donné notre longue frontière, nos échanges commerciaux, et cetera, je vous demande votre avis personnel. D'après vous, quelle serait la réaction de vos homologues — ceux avec qui vous traitez pour ce qui est de l'application de la loi aux États-Unis, soit environ 23 agences différentes — si le Canada devait modifier publiquement et considérablement sa position, libéraliser et réduire l'effet des sentences liées à la simple possession?

Il y a beaucoup de considérations à prendre en compte avant d'agir ainsi. Nous ne voulons pas devenir un vide qui attire les bandits du monde entier. Ce serait facile pour quelqu'un du Montana ou de l'Oregon de venir au Canada si l'on pouvait tout d'un coup s'y procurer toute l'herbe qu'on veut.

Ceci mis à part, dans quelle mesure la situation serait-elle difficile pour nos diplomates? Et pour vous dans les organismes policiers? Est-ce que nous deviendrions le paria de l'Amérique du Nord si nous agissions ainsi?

M. Cormier: Encore une question hypothétique.

La réaction des États-Unis à tout changement dans nos lois antidrogue serait bien sûr une considération importante pour notre gouvernement. C'est difficile à imaginer et cela dépendrait des circonstances.

Le sénateur Banks: Permettez-moi de préciser.

Vous avez dit «loi». Ma question va être moins hypothétique: nous ne changeons pas la loi; et nous nous conformons toujours aux trois conventions internationales. Mais, sans changer la loi, nous changeons les sanctions que nous appliquons en vertu de celle-ci.

M. Cormier: Là encore, tout dépend à qui vous pensez aux États-Unis. Il y a un débat aux États-Unis sur cette question même, tout comme au Canada. Vous savez qu'il y a six États américains qui ont adopté des référendums ou présenté des motions au sujet de la décriminalisation.

Vous savez aussi qu'il y a plusieurs mouvements aux États-Unis qui préconisent une plus grande libéralisation. Par ailleurs il y a les services de police et autres qui adoptent la ligne dure en ce qui concerne les drogues dans la société. La loi américaine est telle que «c'est fini après la troisième faute». Par exemple, vous pouvez vous retrouver en prison pendant très longtemps dans certaines parties des États-Unis si vous vous faites prendre avec une petite quantité de cocaïne pour la troisième fois. C'est une discussion et un débat très larges et tout dépend de la personne à qui on s'adresse.

Tout dépend aussi du moment parce que c'est une situation dynamique, et non statique, aussi bien au Canada que dans d'autres pays. Cela dépendrait de la position politique du gouvernement des États-Unis sur ce point particulier, et cela pourrait changer très facilement, bien sûr.

Cela dépend de la perception qu'ont nos amis du Sud de l'effet que pourrait avoir une décision canadienne sur eux et sur les régimes internationaux. Cela dépendrait de plusieurs facteurs: le type de mesures prises, la façon dont elles sont prises, dont elles sont mises en oeuvre, le genre de préavis donné, et les dispositions mises en place, le cas échéant, pour s'assurer que les mesures prises au Canada n'aggravent pas encore le problème de la drogue aux États-Unis.

Dans l'abstrait, ça reste une question difficile. Je ne pense pas qu'il soit très utile d'essayer de prévoir une réaction spécifique. On pourrait trouver des groupes importants aux États-Unis favorables à un mouvement de libéralisation au Canada. On pourrait aussi trouver des groupes de lobbying très puissants qui s'y opposeraient avec véhémence. Tout dépendrait de la nature exacte de la décision, des circonstances au Canada et aux États-Unis et de la façon dont nous interprétons le problème que pose le cannabis dans ce cas-ci pour notre société.

Vous voudriez que je sois plus précis, sénateur Banks, mais je ne peux pas vous dire exactement quelle serait la réaction. J'ai parlé à des fonctionnaires américains qui, officieusement, adoptent une attitude moins rigide ou sont prêts à examiner un plus grand nombre de paramètres ou d'effets des politiques mises en place. J'ai aussi rencontré des fonctionnaires américains qui maintiennent que l'approche adoptée par les États-Unis, aussi bien dans le pays qu'à l'échelle internationale, est la bonne. Cela fait partie d'un débat plus large et c'est une considération très importante pour le Canada dans toute décision.

Le président: Leur réaction serait certainement très forte. Quelles mesures prendraient-ils alors? Je suis sûr que vous pensez à une réaction particulière. Peuvent-ils recourir à des sanctions économiques contre le Canada? Nous pensons toujours à la frontière. Si des aliments ou des vêtements portaient des traces de THC, le ONDCP de Washington peut décider un beau jour d'empêcher toutes les personnes ayant ces vêtements ou ces aliments de traverser la frontière. Pourraient-ils réagir ainsi ?

Nous avons essayé de les inviter ici mais sans succès. L'invitation est toujours valable, parce que, depuis le mois de novembre, nous avons entendu un côté de l'équation aux États-Unis, mais pas l'autre. Nous voulons savoir quelle serait la réaction de l'administration. Non seulement les mesures prises à notre égard, mais aussi quelle serait l'attitude vis-à-vis de ceux qui ont un avis sur leur action.

M. Cormier: Nous avons des relations très étroites avec les États-Unis sur les questions de sécurité publique. Les menaces pour la sécurité physique des Canadiens et des Américains se recoupent en de nombreux points. Il y a toute une série d'activités qui s'effectuent en coopération entre les autorités policières des deux côtés de la frontière, comme les équipes intégrées qui travaillent ensemble. Nous avons eu de longues discussions avec les Américains sur les questions de sécurité publique, non seulement de façon bilatérale mais aussi dans toute une série de forums multilatéraux.

Les décisions canadiennes doivent être prises dans un contexte aussi large que possible. Ce devrait être une caractéristique importante de nos relations avec les États-Unis sur de nombreuses questions politiques, économiques et de sécurité publique.

Nous partageons le continent, nous partageons certains types de problèmes. Même si nous avons à peu près le même niveau de développement, nous avons des approches différentes à l'égard de la drogue et nos profils de consommation sont différents. Au Canada, les profils de consommation ont tendance à être inférieurs dans l'ensemble à ceux des États-Unis. C'est ainsi que les choses se présentent.

Vous savez qu'une petite quantité de cannabis est exportée du Canada vers les États-Unis. Le cannabis cultivé de façon hydroponique en Colombie-Britannique traverse la frontière, et c'est compréhensible étant donné que les pénalités infligées au Canada sont relativement légères pour ceux qui exploitent des installations de culture. Aux États- Unis, les sanctions criminelles imposées à ceux qui exploitent des installations de culture peuvent être beaucoup plus graves qu'au Canada.

Cela dit, la quantité de cannabis cultivé au Canada partant pour les États-Unis est faible comparée à la production et à la consommation totale de cannabis aux États-Unis. Ce n'est pas un élément significatif pour la situation d'ensemble de la consommation du cannabis aux États-Unis.

Cependant, c'est un commerce à deux sens. La question de la drogue doit être examinée dans un espace commun. La majeure partie de la cocaïne entrant au Canada passe par la frontière terrestre. Certaines personnes considèrent que le problème est d'ailleurs plus grave pour notre société que le cannabis. Je ne voudrais pas être obligé de porter ce genre de jugement.

Il existe d'autres aspects indirects du trafic de drogues comme les bandes qui s'installent dans nos villes, aujourd'hui, et qui ont des liens avec les États-Unis. Le trafic d'armes à feu qui existe et les différences dans nos politiques de contrôle des armes à feu ainsi que la violence associée à des activités comme le trafic de drogues.

Ce n'est pas simple. Il y aurait une réaction importante aux États-Unis. Cela dépendrait de la façon dont notre politique a été préparée. Politiquement, il faudrait expliquer à nos amis et voisins américains pour quelles raisons le Canada a mis sur pied une démocratie avec une Charte des droits et libertés et pourquoi une société en sécurité peut choisir une orientation particulière au sujet d'une substance donnée. Tout sera dans la façon de convaincre. Vous avez raison de dire que l'on peut s'attendre à des réactions fortes — aussi bien positives que négatives.

Le président: C'est pour cela que je parlais de la Cour suprême. Ça nous aiderait énormément si la Cour suprême se prononçait dans un sens ou dans l'autre.

M. Cormier: Vous ne voulez pas que la Cour suprême du Canada prenne la même position que la Cour suprême des États-Unis.

Le président: Je veux rester poli et respectueux envers le système judiciaire américain mais pour reprendre vos termes, la politique, la géopolitique et l'environnement international n'ont rien à voir avec la façon dont les tribunaux canadiens décident. On ne leur demande pas de donner leur appui à un environnement politique ou à une situation géopolitique particuliers. Nous Canadiens, nous devons admettre que nous avons un excellent système judiciaire et nous voulons être sûrs qu'il est indépendant, impartial et respectueux des droits fondamentaux.

Cela dit, je ne veux pas faire de comparaison entre notre système judiciaire et ce qui se passe dans la partie sud de notre continent.

Vous avez entendu la question que j'ai posée au témoin précédent sur la composante commerciale de ces conventions et sur le fait que le commerce joue un rôle fondamental dans l'élaboration du cadre des conventions internationales. Le commerce licite de drogues constitue toujours un aspect important de vos responsabilités. Vous veillez à ce que les Canadiens aient accès aux drogues et médicaments licites à un prix raisonnable pour une bonne qualité. Je suis sûr que c'est un aspect important.

Votre service s'appelle Direction du crime international. Cela en dit long sur les préoccupations que j'ai expliquées au témoin précédent. Nous essayons de tout faire dans les mêmes conventions. Nous essayons de garantir des échanges commerciaux sûrs, libres, de qualité, et à un prix aussi bas que possible tout en cherchant à contrôler la criminalité, le blanchiment d'argent et le trafic international.

D'après vous, n'est-ce pas un problème d'avoir tous ces objectifs dans les mêmes conventions? Ne serait-il pas préférable d'avoir des instruments séparés?

M. Cormier: L'Organe international de contrôle des stupéfiants dont le rôle est de contrôler la circulation de substances licites et illicites s'acquitte des fonctions que nous attendons de lui. Pour nous, il n'est pas nécessaire de rouvrir cette convention d'un point de vue commercial. Nous avons dans la convention des mécanismes adéquats de protection et de surveillance et des mécanismes de contrôle pour le flux de substances licites et illicites.

La réponse à votre question serait non. Cela dépend de l'objectif que l'on se donne quant à l'instrument international dont on dispose. L'objectif de ces instruments internationaux était d'assurer un contrôle et de le faire dans un contexte criminel.

Le président: On nous a dit déjà que c'était moins le cas au début des différentes discussions. Cet aspect a augmenté et maintenant ce n'est presque plus que ça.

M. Cormier: Plus que le commerce?

Le président: Non, le contrôle criminel.

M. Cormier: C'est toujours le balancement du pendule. D'après moi, les discussions internationales qui se déroulent aux réunions de l'Organe international de contrôle des stupéfiants et aux conférences de l'OEA permettent d'arriver à mieux comprendre la question sans s'arrêter uniquement à la dimension criminelle. Au plan international, il y a des discussions, des forums et des instruments qui permettent d'abord ces questions dans un contexte plus large que le simple élément criminel.

Le président: J'aimerais aborder un autre sujet à moins que les sénateurs n'aient d'autres questions sur l'aspect commercial.

Comme vous le savez, le vérificateur général nous rappelle que la plupart des fonds fédéraux sont consacrés aux activités policières et au contrôle des fournisseurs. Nous continuons à soutenir que nous avons une politique nationale des drogues à quatre piliers.

Je sais que nous sommes un système fédéral, nous avons des partenaires provinciaux. Le côté prévention et traitement de l'équation est plus provincial. C'est bien. Je pense qu'Ottawa devrait consacrer davantage d'argent à la prévention mais c'est une autre question à aborder dans notre rapport.

Quel genre de relations votre ministère a-t-il avec nos partenaires provinciaux et territoriaux en matière de drogues?

M. Cormier: Le ministère des Affaires étrangères n'a pas de contacts avec les provinces sur ces questions. C'est le ministère de la Santé qui joue le rôle de chef de file. Cela rejoint la question de la gestion horizontale des problèmes.

Le ministère des Affaires étrangères ne cherche pas à gérer seul ces questions. Nous les gérons de façon interministérielle et horizontale avec toute une gamme d'autres acteurs, dont le ministère de la Santé et le Solliciteur général. La GRC a sans doute des contacts étroits avec ses interlocuteurs et homologues provinciaux. Mais sur cette question particulière, le ministère des Affaires étrangères n'a pas de contacts avec les provinces.

Le président: Faisons un parallèle avec les négociations de libre-échange avec les Américains. Naturellement, nous avions au niveau fédéral toute l'autorité nécessaire pour négocier, ratifier et adopter des traités commerciaux. Cependant, nous savons tous que dans ce processus, les provinces et les territoires ont participé aux discussions parce qu'en fin de compte, ce n'est pas uniquement Ottawa mais tous les partenaires qui ont eu leu mot à dire dans la mise en oeuvre de ces traités.

Il faudrait être stupide pour dire que seul Ottawa s'occupe de drogue au Canada. Toutes les organisations policières, même dans les villages éloignés, sont concernées par la question de la drogue. Votre réponse, c'est que vous ne vous occupez pas de cela, c'est Santé Canada qui s'en charge.

M. Cormier: Non, au ministère des Affaires étrangères nous ne nous en occupons pas. Santé Canada, la GRC, le Solliciteur général et d'autres le font. Je suis sûr qu'il y a toute une série d'autres acteurs qui ont des contacts approfondis avec leurs interlocuteurs provinciaux.

Le Canada ne demanderait pas la réouverture d'une convention — geste capital — sans un vaste processus de consultation. Nous nous servirions des partenariats qui existent entre Santé Canada et ses homologues provinciaux pour le travail qu'il faut effectuer pour aborder ces questions dans nos communautés. Ce serait la même chose qu'avec les organismes policiers qui sont bien souvent en première ligne pour tout ce qui touche les drogues illicites dans nos collectivités.

Je ne veux pas vous donner l'impression que le ministère des Affaires étrangères ne se soucie pas des provinces. Nous travaillons en relation étroite avec les provinces sur toute une gamme de sujets. En ce moment, et sur ce point particulier, il n'y a pas de questions à discuter avec les provinces.

Le sénateur Banks: Pour faire suite aux questions du sénateur Nolin, les conventions portent sur le commerce dans un cas et sur le trafic dans l'autre. Je ne sais pas exactement laquelle est laquelle.

Santé Canada n'a sans doute pas une grande capacité en ce qui concerne la collecte de renseignements à l'échelle internationale, mais ce ne doit pas être votre cas. Je présume que même si les activités policières et tout ce qui touche le respect des lois fédérales, relève des provinces, lorsque vous voyez quelque chose arriver, vous devez en parler à quelqu'un. Il n'est pas nécessaire de pouvoir faire du renseignement international, comme vous, je suppose, pour savoir que quoi qu'ils aient fait d'autre, les Talibans et al-Qaeda en Afghanistan ont certainement réduit, pendant une certaine période, la production agricole d'opiacés. Depuis leur départ, on peut supposer que la production va augmenter en Afghanistan. Je présume que grâce aux renseignements internationaux que vous recueillez — dans le cadre de vos activités — vous sauriez que c'est probablement ce qui va se passer. Vous en informeriez les autorités policières du pays — qui se trouvent être provinciales. Est-ce que c'est exact?

M. Cormier: C'est juste. Nous n'en parlons peut-être pas aux provinces, mais le travail relatif au renseignement criminel est partagé. Les organes policiers travaillent en coopération et partagent leurs analyses et leurs renseignements avec les autres partenaires.

Votre évaluation de la situation actuelle en Afghanistan correspond à des informations que les provinces peuvent obtenir par différents moyens, mais pas par le biais du ministère des Affaires étrangères.

Le sénateur Maheu: Je voudrais continuer un peu plus avant dans ce domaine et revenir sur une question mentionnée par M. Cormier — un vaste processus de discussions avec les provinces — et à ce qu'a dit le sénateur Banks à propos des activités policières qui relèvent des provinces.

J'essaie de bien comprendre. Je ne pense pas que les activités policières soient du ressort provincial dans toutes les provinces. La GRC est présente dans certaines provinces et relève du solliciteur général. Nous avons le domaine de la santé, dont je ne veux pas parler, mais c'est, bien évidemment, une question qui est entièrement du ressort provincial.

Cependant, lorsqu'il s'agit de police, l'Ontario et le Québec n'ont pas de services policiers fédéraux, en l'occurrence la GRC. Ces provinces ont des unités provinciales de lutte contre la drogue. J'ai tendance à partager l'avis du président selon lequel le gouvernement devrait consacrer davantage d'argent à la prévention et aux questions de police. Dans vos vastes discussions, parlez-vous de ces questions? D'après moi, il y a une certaine injustice, parce que la GRC aide les provinces de l'Ouest mais n'aide pas l'Ontario et le Québec.

Cela fait-il partie de vos discussions?

M. Cormier: Franchement, la réponse est non. Cela ne fait pas partie de la conversation. Nous avons d'excellents organismes policiers au Canada. C'est un commentaire que je suis prêt à répéter partout. Nous avons beaucoup de chance au Canada d'avoir la police nationale que nous avons; elle est exemplaire.

En ce qui concerne la structure de la police, la GRC est sous contrat, si je comprends bien, pour assurer la police provinciale dans toutes les provinces sauf en Ontario et au Québec. Comme je viens de Terre-Neuve, j'aimerais citer la Newfoundland Constabulary qui existe toujours en tant que force policière provinciale indépendante.

Le sénateur Maheu: Je l'ignorais.

Le président: Nous parlons souvent de la question des partenaires — provinciaux et territoriaux. Aujourd'hui, nous allons parler avec M. Beall de la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues, la CICAD, et des partenariats avec les pays. Nous partageons nos connaissances avec eux, et j'espère qu'il ne s'agit pas uniquement de police mais aussi de prévention, d'éducation et de traitement.

M. Cormier: Naturellement.

Le président: C'est pour cela que l'élément provincial de l'équation est énorme dans ce secteur particulier de la drogue. La prévention, l'éducation et le traitement doivent faire partie de vos conversations avec les provinces.

M. Cormier: Cela fait partie de l'élaboration d'une stratégie nationale des drogues, si vous préférez. Cela fait partie du processus que suit le gouvernement fédéral pour définir les mesures à prendre pour régler les problèmes de drogue dans la société.

M. Bolton va prendre la parole, mais je voudrais qu'il parle d'un projet novateur portant sur la réduction des préjudices — la réadaptation — que nous avons mis en place dans l'hémisphère.

M. Bolton: Je vais aborder plusieurs des questions qui ont été soulevées. Premièrement, pour ce qui est du contrôle des drogues, nous avons deux rôles principaux. D'une part, nous devons présenter le Canada et les politiques canadiennes de contrôle des drogues à l'étranger, et en informer les autres pays et les organisations internationales comme les Nations Unies et l'OEA.

Notre deuxième grand rôle est l'inverse: informer le Canada des politiques et des messages relatifs au contrôle des drogues venant des autres pays et des organisations internationales.

En général, dans ce cadre-là, nous traitons avec les autres agences fédérales. Lorsque nous recevons des renseignements concernant une politique de police, nous en faisons part à la GRC — au Solliciteur général — qui va ensuite diffuser l'information comme on le juge bon. Je voulais préciser notre rôle à cet égard.

En ce qui a trait aux activités du ministère en matière de prévention, de traitement et de défense des droits, nous faisons une contribution à l'Organisation des États américains, à la CICAD et au Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues. Nous faisons une répartition entre les activités de réduction de l'offre et de réduction de la demande. Nous allouons la moitié pour la réduction de l'offre et la moitié pour la réduction de la demande. Nous savons, en faisant ces contributions, qu'il est essentiel de tenir compte des deux aspects de la question.

M. Cormier a parlé du centre de renseignements virtuel sur l'alcool, le tabac et les autres drogues. Nous avons contribué à cela dans le cadre du Programme pour la sécurité humaine du MAECI. C'est essentiellement un site Web, mais c'est aussi un ensemble de renseignements crédibles sur le problème de la toxicomanie. Ces renseignements se trouvent actuellement au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, mais comme ils doivent être accessibles à tous, ils seront ultérieurement centralisés dans une autre organisation canadienne ou une organisation internationale.

Ceci devrait bien montrer que nous sommes conscients des deux aspects du problème: la réduction de l'offre et la réduction de la demande. Nous avons fait beaucoup d'efforts pour intégrer cela à nos programmes, à nos politiques et aux messages que nous présentons sur la scène internationale.

Le président: Monsieur Cormier, vous avez suivi les activités dans les autres pays. Dans certains pays d'Europe — presque tous les pays de l'UE — il y a ce que l'on appelle des «observatoires», c'est-à-dire des organes indépendants qui suivent presque tout ce qui touche le sujet pour les différents pays et pour l'observatoire de l'UE au Portugal.

Pensez-vous que nous devrions avoir un observatoire analogue au Canada?

M. Bolton: D'après moi, il est bon d'avoir un dépôt central du renseignement qui soit accessible au public et aux responsables des politiques. L'instrument lui-même est sans importance à condition que les responsables des politiques puissent y accéder pour prendre des décisions éclairées.

Le président: Si vous lisez le compte rendu et les divers mémoires que nous avons reçus de notre comité et du comité des Communes, vous verrez que les données scientifiques montrent clairement que les effets du cannabis et ses dangers ne sont pas très significatifs. Quel devrait être le rôle du Canada pour ce qui est du partage de l'information que nous recueillons ici?

M. Cormier: Le Canada devrait travailler en partenariat avec nos amis internationaux pour mieux comprendre la question dans toutes ses dimensions et faire connaître son évaluation et ses idées sur la façon dont nos sociétés devraient s'attaquer au problème. Le rapport de votre comité sur les questions de toxicomanie, par exemple, sera lu certainement par tous les autres acteurs internationaux. Les recommandations que vous ferez au gouvernement seront reprises dans les discussions et les débats internationaux.

Nous allons, naturellement, et pour donner notre point de vue, diffuser notre rapport et la réponse du gouvernement. Je suppose que le gouvernement va répondre au rapport que vous allez publier en août cette année. Nous allons bien sûr faire part de cela à nos partenaires internationaux puisque nous tenons à partager nos connaissances, nos renseignements et notre analyse de la situation, situation qui est si difficile pour notre société.

Le Canada n'est pas seul. Les discussions que nous avons au Canada se déroulent aussi au Royaume-Uni, aux États- Unis et dans bien d'autres endroits. La discussion et le débat sont internationaux.

D'après moi, ce point de vue aura un poids considérable. Sur la scène internationale, le Canada est vu comme un pays qui croit à la communauté internationale et au multilatéralisme; qui pense que la communauté internationale doit avoir des normes, qu'elles doivent être élaborées en collaboration et que nous devrions travailler ensemble sur ces questions.

Nous avons beaucoup de crédibilité, non seulement du fait des positions que nous prenons à l'échelle internationale — qui ne sont pas considérées comme intéressées — mais parce que nous apportons une contribution utile à des questions difficiles. Notre voix a beaucoup de poids internationalement et les avis et recommandations de votre comité, du comité des Communes et la réponse du gouvernement à ces recommandations constitueront un élément important du débat international sur cette question.

Il n'est pas facile de changer les normes internationales et on ne peut certainement pas le faire rapidement. Au fur et à mesure que nous prenons des mesures à l'échelle nationale, nous devons veiller à agir de façon coordonnée sur la scène internationale.

Le président: Y a-t-il d'autres questions ou commentaires?

[Français]

Je remercie nos témoins. Avant de suspendre les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins ainsi que leur biographie et toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous remettre. Vous trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial sur les drogues illicites, je désire vous remercier de l'intérêt que vous portez à notre importante recherche. Nous suspendons cette séance du comité jusqu'à 13 heures .

La séance est levée.


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