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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 15 - Témoignages (séance de l'aprés-midi)


OTTAWA, lundi le 18 mars 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 05 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouverte cette séance du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, je tiens à mentionner que nous avions transmis une invitation, la dernière d'une série, au département d'État américain. Depuis le mois d'octobre, nous avons en effet invité, moi personnellement ou M. Audcent, l'ONDCP, le bureau du tsar de la drogue à Washington. Avant sa nomination, le représentant de l'ONDCP assumait la responsabilité de l'organisation durant le changement de gouvernement à Washington. Nous avons invité le directeur de l'agence responsable de l'application de la politique de lutte antidrogue. Nous avons aussi transmis une invitation à l'ambassadeur des États-Unis à Ottawa. En fin d'après-midi, vendredi, nous avons reçu une note nous informant que le représentant du département d'État américain ne se présenterait pas aujourd'hui.

À mon avis, il est important que ces personnes s'adressent à nous directement. Il faut que nous puissions leur poser les questions que les commentaires de témoins et d'autres personnes qui s'intéressent aux travaux de notre comité nous ont suggérées. Donc, je pense qu'il est toujours de mise de poser ces questions et de transmettre ces commentaires aux fonctionnaires responsables des États-Unis.

Notre dernier témoin cet après-midi est M. David Beall, secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues qui est connue par son acronyme espagnol, CICAD.

M. Beall est né à Philadelphie, en Pennsylvanie. Il a obtenu un baccalauréat en littérature anglaise et en économie de l'Université du Michigan en 1967. Il a également obtenu un diplôme en administration publique de l'université George Washington en 1978.

Entre 1968 et 1999, il a travaillé au département d'État — il pourra peut-être répondre à quelques-unes de nos questions — et il a été affecté en de nombreuses occasions à l'étranger, assumant notamment la direction des programmes de lutte contre les stupéfiants à Panama et au Mexique. Parmi ses affectations à Washington, M. Beall a occupé le poste de directeur exécutif des opérations internationales du Bureau de l'inspecteur général au département d'État, de directeur du Bureau pour les affaires brésiliennes et de directeur de cabinet au Bureau des affaires américaines.

Monsieur Beall, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui. Merci de l'intérêt que vous montrez pour nos travaux en acceptant notre invitation. Si des questions ou des commentaires additionnels se font jour plus tard après votre témoignage, je vous les communiquerai par écrit.

M. David Beall, secrétaire exécutif, Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues: Je suis ravi d'être ici avec vous. Pour commencer, je vais répondre à quelques-unes des questions que vous m'avez transmises dans votre lettre d'invitation. Et ensuite, je vais élaborer sur certains sujets qui ont caractérisé les discussions et les préoccupations que j'ai entendues ce matin.

N'hésitez pas à m'interrompre à tout moment si vous avez des questions.

La CICAD est en voie de devenir une organisation. À titre d'institution, nous n'existons que depuis 1987. Très peu d'institutions ayant une histoire aussi brève peuvent se vanter d'avoir atteint la maturité, et cela s'applique à nous aussi.

Ceci étant dit, l'institution s'est transformée radicalement durant un laps de temps très court. L'état d'esprit qui régnait lors de la création de la CICAD est très différent de celui d'aujourd'hui. À l'origine, nous n'étions que huit pays membres; aujourd'hui tous les pays des Amériques en font partie.

Nous poursuivons essentiellement deux objectifs. Le premier est ce que j'appellerais l'?intérêt collectif? pour le transfert de la technologie, des connaissances et de l'expérience. Il est très facile d'en faire un lieu commun et même un cliché, mais il reste que l'expérience a une valeur considérable, et en particulier si on en comprend le sens. Il est très facile de jouer sur les mots, mais lorsque l'intérêt est réel, les résultats sont là.

Par conséquent, l'aide technique est un rôle essentiel de notre institution. Peu importe si cette aide technique prend la forme de textes juridiques, de règlements ou de techniques de counselling. Il reste qu'il s'agit toujours d'une aide technique.

Le deuxième grand rôle de la CICAD est de servir d'arène politique. À ce titre, elle permet à des pays ayant des problèmes communs, mais mettant en oeuvre des interventions uniques à l'échelle nationale pour les régler, de s'asseoir ensemble pour essayer de collaborer. Ce n'est pas toujours facile. Et avec les drogues comme sujet, c'est même extraordinairement difficile.

Avec les années, je pense pouvoir dire que la courbe d'apprentissage a été assez prononcée et que les pays se sont ajustés considérablement à un problème en constante évolution. Cette maturation a fait en sorte qu'aujourd'hui nous puissions tenir des discussions politiques qui étaient impossibles au tout début.

Je vais aborder d'entrée de jeu la Stratégie antidrogue dans l'hémisphère et le Mécanisme multilatéral d'évaluation (MME). Cette stratégie est née dans le sillage du Premier Sommet des Amériques de 1994. Le mécanisme d'évaluation est lui-même un sous-produit de la stratégie, même si au moment où on l'a négociée il ne faisait pas partie des enjeux. Toutefois, il ne fait pas de doute que l'une est à l'origine de l'autre.

Comme on peut s'y attendre dans ce domaine, la stratégie était censée être livrée lors du sommet de 1994, mais elle n'a pas pu l'être parce que l'on n'arrivait pas à s'entendre sur ses modalités. Nous avons ramassé les pots cassés après le sommet et avons travaillé à partir de ce qu'il en restait. Nous sommes revenus au point de départ, et avons mené une négociation multilatérale qui nous a permis d'obtenir le résultat que l'on connaît.

Ce résultat est un document significatif, relativement court et, dans une large mesure, assez clair.

Vous nous avez demandé quels étaient les moyens et les outils mis à la disposition de la CICAD. J'ai déjà fait une allusion relativement claire au premier de ces moyens lorsque j'ai mentionné la volonté politique des pays. Dans la mesure où il est possible d'établir une correspondance entre toutes ces volontés politiques, nous pouvons accomplir quelque chose. C'est aussi simple que cela.

Quant à l'autre moyen, il s'agit du facteur humain, soit l'expérience et les connaissances des membres. Autrement dit, ce facteur varie selon les participants. Nous avons beaucoup misé sur ce facteur. Parfois, des contributions capitales viennent du côté où l'on s'y attend le moins, mais c'est l'une des raisons premières pour lesquelles nous nous réunissons tous ensemble.

Finalement, nos ressources dépendent de notre budget. Et c'est là que le bât blesse, parce que c'est un sujet très délicat pour l'Organisation des États américains. Il est difficile d'obtenir des crédits. Il est en outre très difficile de modifier les quotes-parts parce que chaque modification à la quote-part de l'un entraîne des répercussions sur celle de tous les autres. Donc, il est extrêmement difficile d'obtenir des crédits. De fait, j'ai mentionné dans le document que je vous ai fait parvenir que nous recueillons davantage de contributions auprès des pays donateurs ayant un intérêt pour notre cause que de l'institution elle-même.

Cette situation s'inscrit dans une réalité plus large mieux acceptée de nos jours qu'il y a quelques années. L'idée que les gouvernements peuvent se débrouiller tout seuls est désormais rejetée par la plupart d'entre eux et certainement aussi par bon nombre d'organisations non gouvernementales. En fin de compte, nous nous retrouvons à collaborer avec des gens qui n'étaient pas présents lorsque la CICAD a été mise sur pied à titre d'organisation volontaire formée de ministères administratifs.

Je veux insister sur l'aspect humain, sur ce que j'ai appelé la «volonté politique», parce que nous sommes tellement habitués à penser en termes de contributions financières que, au moins inconsciemment, nous pensons qu'il est possible de convertir des crédits en certains types d'actions. En réalité, ce n'est pas ainsi que les choses se passent. La volonté politique d'intervenir est une chose qui a beaucoup plus de valeur qu'une contribution financière, quelle qu'elle soit.

Bien sûr, il y a toujours une marge entre ce que l'on raconte et la situation réelle. Le problème vient de ce que l'on ignore totalement quelle est la situation réelle, du moins de manière organisée. Si on prête attention à ce qui se dit et si on ouvre l'oeil, on constate que presque rien de tout cela ne repose sur des bases scientifiques. Les situations dans l'hémisphère sont extrêmement compliquées et nous n'avons pas trouvé de solutions définies. Il se peut même que nous n'en trouvions pas durant notre mandat.

Mais cette constatation ne nous dégage pas de notre responsabilité d'agir, et c'est ici qu'intervient le Mécanisme multilatéral d'évaluation. Il s'agit d'un mécanisme visant à évaluer la situation en fonction d'un certain nombre d'indicateurs sur lesquels les parties se sont entendues.

Le travail commence par la définition des questions d'intérêt et la collecte de renseignements présentés selon une formule normalisée. Les renseignements produits doivent être évalués et mis par écrit, ce qui nous permet de disposer de ces rapports. Ce processus nous permet non seulement de produire un énoncé sur l'état de la situation réelle, mais aussi sur ce qu'elle devrait être.

Une fois que l'on s'est entendu sur une question donnée, un certain État obtient un résultat quelconque; la deuxième étape consiste à déterminer le résultat qu'il aurait dû obtenir, et s'il n'a pas réussi, à établir un plan d'action. Ce processus nous amène à faire une recommandation, qui entraîne un suivi. Bien entendu, tout ce processus est public, et ce facteur a aussi un effet important.

On peut consulter cette documentation sur Internet ou la faire imprimer. Elle se présente pays par pays, aussi vous n'avez pas à prendre connaissance de tout le document, mais seulement de la partie qui vous intéresse. Le document adopte un point de vue hémisphérique ou régional.

On a publié le 30 janvier de cette année, le compte rendu des évaluations pour 1999 et 2000. En janvier 2001, nous avions formulé des recommandations à l'endroit des pays pris individuellement, ces recommandations ont été suivies de rapports nationaux sur leur mise en oeuvre et c'est le compte rendu de ces réalisations qui a été publié en janvier 2002.

Par ailleurs, le cycle de deux ans a déjà commencé pour 2001 et 2002. En janvier prochain, nous produirons l'évaluation pour cette période. D'ici là, tous les éléments auront été pris en considération. Nous élaborons ainsi un cadre cohérent et uniforme d'analyse des mêmes sujets, même si le cadre de référence peut changer en cours de route.

À la lumière de l'expérience acquise au cours du premier cycle d'évaluation, et aussitôt qu'il a pris fin, les pays ont renégocié tous les indicateurs et les ont fait passer de 61 à 83, ce qui n'a pas manqué de me surprendre. Les indicateurs sont devenus non seulement plus nombreux, mais plus pointus parce qu'ils ont tous été révisés en fonction de nos constatations à la suite des premiers cycles d'évaluation.

À mon avis, nous n'avons pas un problème de drogue dans l'hémisphère. Nous avons des problèmes de drogue partout, et ces problèmes prennent une multitude de formes diverses. Tous ces problèmes forment une mosaïque dont les éléments constitutifs varient d'un pays à l'autre. Nous faisons de grands progrès dans divers domaines et sur de nombreuses questions. Mais dans d'autres secteurs, les choses vont de mal en pis, et il faut en tenir compte.

Les préoccupations vont grandissant d'un bout à l'autre de l'hémisphère au sujet des drogues illicites, et cette situation aura une incidence sur la façon dont on les considère. La question prend de l'ampleur. Dans certains cas, nous avons déjà dépassé le point de non-retour. Désormais, il n'est plus possible d'envisager l'éradication des drogues. Elles sont là pour rester, et la seule et unique question consiste à déterminer ce qui peut ou devrait être fait à leur sujet. L'idée de la «protection» contre les drogues n'est pas réaliste, aussi nous devons adopter une approche entièrement différente de ce problème. L'élément clé à cet égard est ce que j'appelle l'?acceptation de la complexité?. Nous vivons les débuts d'une situation complexe et dynamique. Elle deviendra de plus en plus complexe et de plus en plus difficile avec le temps.

Nous sommes devenus une organisation dont le but premier est l'entraide. Si vous étudiez notre histoire, vous constaterez qu'en 1987 nous étions une organisation axée sur la défense dont la raison d'être était d'empêcher le problème de s'étendre en s'attaquant aux racines du mal. Selon le point de vue où l'on se place, nous sommes soit occupés à couper des racines, soit à couper des têtes. Ce problème ne se prête pas bien à ce type de traitement, et j'ose espérer que nous l'avons compris maintenant.

À l'avenir, vous verrez que la CICAD se concentrera très massivement sur les mesures prises par les commissions nationales de lutte antidrogue au sein de l'Organisation des États américains, sur ce qui les encourage à aller de l'avant et sur ce qui les freine. Par ailleurs, nous mettrons aussi l'accent sur les observatoires. Les «observatoires» ont quelque chose de mythique, mais il ne devrait pas en être ainsi. Il s'agit en partie d'observer, et c'est tout.

Nous envisageons aussi de nous concentrer très fortement sur les activités menées à l'échelle municipale plutôt que nationale ou capitale des organisations. La programmation sera probablement davantage axée sur les collectivités que sur les capitales. Je vous en reparlerai plus longuement, si cela vous intéresse.

La CICAD a fait ses débuts à titre d'organisation chargée de s'attaquer à la confrontation qui existe entre les pays producteurs et les pays consommateurs. Ces distinctions sont sans importance dorénavant. Nous sommes allés de l'avant, et il faut bien l'admettre, en faisant notre possible. Personne n'avait de grand plan censé accomplir des merveilles ou même frôler la perfection. Et s'il en avait été ainsi, nous l'aurions adopté. Maintenant, nous devons nous concentrer sur la nature des problèmes. Quels sont-ils exactement, quelles sont leurs conséquences, et quelles sont les répercussions sur les individus, la santé et la société?

Lorsqu'on dispose de cette information, on peut prendre des décisions sérieuses, même si on n'arrive pas à régler le problème.

Au sein de la CICAD, il est facile de se concentrer inconsciemment sur l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud ou les Caraïbes et d'oublier l'Amérique centrale. Mais c'est une erreur. Il y a des accentuations régionales, mais la réalité est différente dans chaque région. Nous devons regarder ce qui nous unit, et les points communs sont nombreux.

J'aimerais discuter de certaines choses qui prendront de l'importance avec le temps et aborder l'avenir. Une de ces choses est le droit. Nous sommes forcés d'admettre que la CICAD dépend entièrement du droit. Sans un fondement juridique, nous n'avons aucun pouvoir, ni sur l'offre ni sur la demande. Si la loi n'est pas bien adaptée à la réalité, le reste du système sera pénalisé. Toutefois, étant donné que nous envisageons la loi d'un point de vue collectif, nous avons tendance à superposer son image actuelle sur celle du passé. Autrement dit, la loi est immuable, la loi est majestueuse, la loi existe parce que rien d'autre ne peut la remplacer. Mais c'est difficile à faire. Je vous répète qu'une loi qui refuse de s'adapter ne réussit qu'à pénaliser le reste du système. Bien entendu, cela se communique aussi aux aspects administratifs ou exécutifs des affaires, et tout comme une loi exagérément rigoureuse empêche les interventions appropriées, la même chose se produit avec une bureaucratie trop rigide. La bureaucratie ou l'organe administratif dont toutes les actions sont prescrites arrive rarement à viser juste. D'autres facteurs peuvent entraîner le même type de paralysie.

Quant à ce qui nous attend dans le futur, nous avons pu constater que l'idée même du trafic des drogues a changé, depuis un peu moins de 100 ans. En effet, au début, il n'y avait aucun intérêt officiel, sauf en ce qui concerne les aspects mercantiles, alors qu'aujourd'hui les enjeux politiques sont au premier plan. Et cela risque de changer encore, et très rapidement.

Si on fait un retour en arrière, dans les années 60 et si on se demande pourquoi tout cela est arrivé, la réponse vient facilement. Nous avons vécu des changements dans la technologie, dans les communications, dans ce que j'appelle les «barrières culturelles» et des changements dans les drogues elles-mêmes dont les impacts se font encore sentir aujourd'hui, mais qui étaient entièrement nouveaux à l'époque. Des caractéristiques des années 60, comme les imprimés voyants et nouveaux et ainsi de suite semblaient très amusantes. Pour certains, c'était en effet très amusant, mais pour d'autres, ce ne l'était pas du tout.

Peu importe ce que nous en pensons, nous devons être prêts à accepter que les choses iront de plus en plus vite dans le futur. Nous devrons nous attaquer à beaucoup plus de produits, certains que nous aurons inventés consciemment et d'autres qui feront tout simplement leur apparition. Nous devons apprendre à composer avec ces produits et avec l'imprévu.

On a parfois l'impression d'après les témoignages entendus précédemment qu'en ce qui concerne les produits, et le plaisir que l'on en retire, qu'il s'agisse d'une pomme, d'une cigarette ou de quoi que ce soit d'autre, le principe est toujours le même. Mais, nous ne faisons que commencer à comprendre les effets précis en matière de biochimie et de neurologie. L'alcool peut avoir un effet cumulatif sur le foie avec les années, tandis que certains types de drogues peuvent avoir le même effet sur le cerveau du jour au lendemain. Ce qui se produit dans le foie, est en fait un changement dans la chimie de l'organisme, et de la même manière, ce qui se produit dans le cerveau est aussi souvent un changement de nature chimique. Nos temps de réaction doivent devenir beaucoup plus rapides que dans le passé.

Pour ce qui est de la politique, nous allons commencer à envisager les choses d'un angle beaucoup moins simpliste. La raison pour laquelle chaque question suscite aujourd'hui autant d'attention a davantage à voir avec la valeur qu'on lui attribue qu'à sa valeur intrinsèque. La semaine dernière à Vienne, le Soudan a présenté une résolution visant à modifier le langage qualifiant la marijuana afin qu'il frappe davantage les imaginations qu'il ne le fait aujourd'hui. Il a été intéressant de voir à quel point les pays dont les ressources sont restreintes envisagent la possibilité d'un changement. Des pays comme le Maroc et la Lybie, et des institutions comme l'Organisation de l'unité africaine ont décrit ce que cela signifiait pour eux. La question ne tourne pas toujours autour de l'objet lui-même, mais plutôt autour de toutes ces associations. C'est pourquoi plus tôt aujourd'hui nous avons entendu parler du trafic d'armes. Lorsque ces questions sont devenues préoccupantes au début, il n'était pas question d'armes; aujourd'hui, oui. Ces associations doivent être prises en compte de façon simultanée.

On ne peut envisager l'avenir en faisant abstraction des drogues; tout ce qui nous reste à faire est de déterminer comment y faire face. Autrement dit, nous ne sommes pas en mesure d'empêcher leur intrusion dans le système. C'est déjà fait, et ça ne fait que continuer.

J'aimerais revenir à la question des mesures législatives. Nous devons nous pencher sur ce que les lois doivent prévoir à l'avenir. Ce matin, vous avez demandé ce que nous devrions faire. Nous devons faire tout ce qui est en notre possible. Nous parlions du roi qui pouvait réellement faire quelque chose, et non seulement écarter le problème. Si nous avions le choix, j'opterais pour la possibilité de savoir ce qui se passe, non seulement sur le plan comportemental, mais aussi sur le plan scientifique. Si nous disposions de ces connaissances, la loi pourrait être efficace. Sans elles, à l'instar de toutes les autres facettes du système, la loi frappe à l'aveuglette. Voilà la raison d'être des observatoires et des mécanismes d'évaluation.

Peu importe la qualité de notre travail, il nous faudra accepter que beaucoup de choses échappent à la loi et que ces événements nécessiteront constamment des interventions juridiques et des agents d'application de la loi, et je pense aussi aux agents des services de santé. Toutefois, ce qui échappe à la loi reviendra constamment nous hanter. Plus vite nous pourrons nous en occuper, et mieux cela vaudra.

Enfin, il y a cet aspect primordial qui est ce que le public comprend. En ce moment, le public est bombardé de toutes sortes de données qui finissent par constituer une masse d'information, mais qui n'est pas organisée. Nous ne tirons pas le maximum de l'information dont nous disposons. Je prévois que nous pourrons nous améliorer avec le temps grâce aux observatoires et aux commissions nationales, parce que les lois nationales sont en meilleure position pour articuler le problème et ce qu'il représente pour les particuliers et les collectivités.

Des contrôles indirects ou des influences indirectes peuvent parfois se révéler beaucoup plus puissants que des mesures explicites, mais le raisonnement derrière ce type de messages doit être compris et communiqué d'une manière qui soit pertinente pour le public visé. Je crois que je vais m'arrêter ici, et répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Beall. Je vous remercie en outre de nous avoir fait parvenir votre exposé. Je vais commencer par une question technique. Vous avez fait allusion au budget de la CICAD et il me semble que vous avez mentionné que les pays membres contribuaient à environ 35 p. 100 de votre budget?

M. Beall: Ce budget provient du Fonds régulier de l'OEA, ce qui signifie que l'Organisation des États américains dispose d'un budget global et que nous en faisons partie.

Le président: Donc, la contribution de l'OEA représente 35 p. 100 de votre budget. Comment procédez-vous pour financer les deux tiers qui restent?

M. Beall: Le reste de notre financement provient de dons volontaires de la part de pays membres.

Le président: Dans votre exposé, vous mentionnez l'existence d'États ayant le statut d'observateurs permanents. Qui sont-ils? Est-ce que ces pays versent une certaine forme de cotisation ou de contribution?

M. Beall: Non. Les seuls pays autorisés à faire partie de l'Organisation des États américains sont ceux de l'hémisphère, mais il existe ce que nous appelons une «participation» par l'entremise de ce qu'il est convenu d'appeler des «observateurs permanents». Il s'agit de ces pays autour du globe qui s'intéressent à ce qui se passe dans notre hémisphère. Certains ont aussi des intérêts dans le marché qui nous occupe: les drogues. Étant donné qu'ils ont un intérêt et qu'ils sont sensibilisés à la question, ils fournissent des ressources.

Le président: Est-ce que cela inclut d'autres organisations partenaires?

M. Beall: Oui. Parfois, ce sont les Nations Unies, à d'autres moments, il s'agit de la Commission européenne.

Le président: Est-ce que ces partenaires sont tous des organisations multilatérales?

M. Beall: Non.

Le président: Est-ce que ce sont des sociétés?

M. Beall: Je vais vous donner l'exemple d'un partenaire comme l'Espagne qui contribue directement, tout comme la Commission européenne. Je vous le répète, il s'agit de deux entités différentes. Madrid intervient pour des raisons qui lui sont propres, tandis que Bruxelles fait de même pour la Commission européenne.

Le président: Est-ce que des sociétés privées contribuent aussi à votre budget?

M. Beall: D'une certaine manière, oui, mais pas de façon très importante. Toutefois, je suis convaincu que les choses vont changer.

Le président: Votre organisation reçoit des contributions privées?

M. Beall: En effet.

Le président: De quel ordre?

M. Beall: Ces contributions ne sont pas élevées, mais permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a un an et demi, nous avons mis sur pied un programme de formation sur la lutte contre le blanchiment de l'argent dans l'hémisphère. Ce programme s'adressait essentiellement aux superviseurs du domaine bancaire de sorte que les banques puissent contrôler ce qui se passe dans leur propre système. La trousse de formation que nous avons élaborée a intéressé la Banco Vizcaya d'Espagne. La banque a donc acquis les droits d'auteur de la trousse et l'a utilisée dans son système. Nous avons bénéficié de la transaction et la banque aussi. Je pense que nous verrons de plus en plus souvent ce genre de collaboration, surtout maintenant que nous commençons à intervenir au niveau des collectivités, parce que je pense que les sociétés s'intéressent de près à ce qui se passe dans les collectivités.

Le président: Est-ce que des compagnies pharmaceutiques participent à votre financement?

M. Beall: Non, mais je ne vois pas pourquoi elles ne le feraient pas. À mon avis, ce serait logique.

Le président: Vous avez mentionné les observatoires. Est-ce que vous évaluez la qualité de l'information que vous recevez de chaque pays?

M. Beall: Premièrement, toute l'information est de source officielle. Deuxièmement, je dirais que la plupart de nos recommandations avaient trait à l'information. Dans tout l'hémisphère, on constate de façon générale des lacunes sur le plan de ce que j'appellerais une information «structurée». Lorsque l'on veut mettre de l'ordre, il faut commencer par là. S'arranger pour savoir ce qui se passe, et où ça se passe avant de vouloir intervenir.

Nous n'avons pas fait d'enquête préliminaire afin de trouver les principaux problèmes. Lorsque les négociations visant à s'entendre sur les indicateurs ont commencé, les indicateurs qui ont émergé semblaient être les plus pertinents de ceux que nous avions recueillis, mais l'analyse s'est arrêtée là. Lorsque les résultats ont commencé à entrer, je pense que les intervenants ont été surpris de constater que les lacunes les plus sérieuses étaient de pouvoir compter sur de l'information fiable.

Le sénateur Rossiter: Comment procédez-vous pour normaliser l'information?

M. Beall: Toute l'information que nous recueillons se présente sous un format normalisé dans tous les pays.

Le sénateur Rossiter: Vous avez établi les paramètres?

M. Beall: Ce sont les pays qui les ont établis, exactement. Une fois que vous faites cela, vous demandez certains renseignements qui doivent être transmis d'une certaine manière. Il se peut fort bien qu'un pays vous dise: «Nous ne faisons pas cela.» Le pays se retrouve alors dans la position de dire soit que l'information n'est pas pertinente soit que l'information est utile, mais qu'il ne sait pas comment s'y prendre. Nous avons mis au point des méthodologies assez efficientes pour un certain nombre de ces questions, même si elles ne répondent pas aux normes universitaires. Je veux seulement insister sur le fait que ce qui importe, c'est l'information de base. Il n'est pas nécessaire d'être sûr à 100 p. 100. Si on dispose d'une certitude à 70 ou 80 p. 100, on s'en tire très bien. Cerner le problème est souvent le premier pas vers la solution.

Nous avons des instruments normalisés à la fois au titre de l'offre et de la demande. Je m'attends à ce que nous en négocions d'autres. La recommandation qui nous a été faite le plus souvent visait l'établissement d'un système pour évaluer les coûts économiques et sociaux des drogues par pays. Cette question s'est elle aussi retrouvée sur la table lors du Troisième Sommet de Québec et elle a refait surface à titre de recommandation. Nous allons nous y atteler parce que, à mon avis, il s'agit d'un outil absolument essentiel. À partir de cette information de base, il est possible de rédiger des politiques efficaces.

Le président: Mis à part les États-Unis, quels sont les pays à s'être dotés d'un système régulier, systématique, rigoureux et scientifique de collecte de données sur les tendances et les habitudes de consommation?

M. Beall: Quatre pays dans l'hémisphère ont fait des progrès importants en ce qui concerne la collecte de données sur les coûts économiques et sociaux à l'échelle nationale. Le problème est que lorsque je réponds de cette manière, je donne une idée fausse de la situation. Divers pays possèdent des renseignements sur certains aspects dont la qualité dépasse beaucoup celle à laquelle on pourrait s'attendre. La Colombie, par exemple, produit certains types de renseignements sur le blanchiment de l'argent dont la qualité est supérieure à tout ce que l'on peut trouver nulle part ailleurs.

À un niveau très général, des pays comme les États-Unis, le Canada, le Mexique et le Chili sont très avancés, mais pas aussi avancés, à certains égards, que ma façon de vous le dire pourrait vous le laisser croire. On est parfois très surpris des renseignements que l'on peut trouver dans certains endroits. Par exemple, on risque de trouver les vraies réponses sur les questions importantes dans le domaine du développement alternatif dans des endroits comme la Bolivie, le Pérou et la Colombie, mais pas aux États-Unis.

Le président: Je vous pose la question parce que la plus récente enquête sur la consommation des drogues et les tendances en ce domaine ayant été réalisée au Canada date de 1994. Je suis impatient de connaître votre opinion sur la qualité et l'exactitude de l'information canadienne.

M. Beall: Ce qui ressort de ce rapport est assez surprenant. Si l'on compare le Canada au Nicaragua, il est relativement facile de trouver l'identité du pays, mais vous ne verrez pas de différence dans le mécanisme de filtrage. Autrement dit, le contenu du rapport, la façon dont il est construit et l'impression que vous en retirez sur ce pays sont les mêmes dans les deux cas, à mon avis. D'un autre côté, la qualité de l'information provenant de chaque pays est très différente. L'ingrédient qui fait toute la différence est l'expertise des fonctionnaires gouvernementaux.

Les documents que le Canada présente dans le cadre de ce processus sont réalisés très soigneusement. En tant que personne ayant surveillé le processus de très près, je dirais que les experts sont très attentifs à ce que dit le Canada en raison du degré de diligence qui est mis dans les réponses. J'ai retenu l'expression «degré de diligence» parce que je pense qu'un degré élevé de diligence ne vous permet pas toujours d'obtenir toute l'information que vous voulez. Ce sont deux choses complètement différentes.

Le président: Vous avez parlé en long et en large du droit et du respect de la loi et vous avez aussi mentionné le comportement de la population. Que pensez-vous du comportement de la population en ce qui concerne la législation sur les drogues au Canada et comment qualifieriez-vous ce comportement? Comment évalueriez-vous le respect de la loi, si on garde à l'esprit que chaque année 1,5 million de Canadiens consomment de la marijuana? Est-ce que c'est ce type de comportement déviant que nous devrions étudier et nous efforcer de comprendre? Que pensez-vous de ce manque de respect pour la loi?

M. Beall: J'ai choisi le mot «comportement» parce que, en bout de ligne, les individus réagissent aux personnes et aux circonstances de leur entourage en fonction de valeurs personnelles. Je pense que, en règle générale, le respect de la loi au Canada est très fort.

Le président: Nous le pensons aussi, quoique pas sur le sujet qui nous intéresse. En effet, à cet égard, la population est délinquante par rapport à la loi.

M. Beall: Vous m'avez demandé mon opinion, et à mon avis, la population est très respectueuse de la loi.

Je travaille dans un contexte multilatéral, et je sais que ce n'est pas la même chose dans tout l'hémisphère. Dans certains pays, la justice éprouve beaucoup de difficulté à se faire entendre sur des aspects qui sont très différents de la simple question de savoir si on peut ou non consommer une certaine drogue. Toutefois, le respect de la loi sur un sujet donné finit par avoir des répercussions sur tout le reste. Lorsque la loi en général commence à perdre du terrain, alors l'ordre public ordinaire devient de plus en plus difficile à maintenir, et vous vous retrouvez une fois de plus dans une position où des choses qui n'ont pas vraiment rapport avec la drogue finissent par subir son influence ou par avoir des répercussions sur elle — c'est vrai dans les deux sens.

J'appellerais le comportement et la loi des «conséquences premières». Chaque fois que la loi et le comportement commencent à prendre des distances l'une par rapport à l'autre, et que l'écart devient trop grand, alors les dommages ne se retrouvent pas seulement chez les individus et dans les collectivités, mais ils finissent par affecter le concept du droit lui-même. Il est toujours nécessaire de mesurer cette donnée.

Le président: En tant que Canadiens, nous regardons les statistiques et les attitudes par rapport à nos lois. En ce qui nous concerne, 1,5 million de Canadiens qui désobéissent à la loi, ce n'est pas ce que nous appelons avoir un comportement respectueux.

Est-ce que vos indicateurs contiennent une description de l'information qui est donnée à la population en ce qui concerne les drogues?

M. Beall: Oui.

Le président: Comment se classe le Canada à cet égard? Nous sommes convaincus qu'une population bien informée est au coeur de la solution.

M. Beall: La recommandation qui, à mon avis, répond à votre question consistait à mettre sur pied un centre national de surveillance de l'abus des drogues chargé de recueillir de l'information à l'échelle municipale, provinciale, territoriale et fédérale, y compris des renseignements au sujet des programmes administrés par les ONG. Notre réaction en ce qui concerne les efforts du Canada en vue de satisfaire à cette recommandation s'énonce en substance comme suit:

Le Canada fait valoir que la mise sur pied d'un centre national de surveillance de l'abus des drogues est rendue difficile par sa structure politique, étant donné que la responsabilité de la prestation des services de santé et de l'éducation relève des administrations provinciales et territoriales. En vue de surmonter ces obstacles, on a toutefois créé un carrefour d'information appelé Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies ou CCLAT, une ONG à laquelle on a confié le mandat de fournir une source centralisée de renseignements sur l'alcool et d'autres drogues.

Le CCLAT est une autre expression de l'intérêt que présentent les observatoires. C'est-à-dire qu'il est une indication de l'intérêt qu'il y a à avoir une institution vers laquelle se tourner pour obtenir des renseignements sur divers aspects avec de bonnes chances d'obtenir des réponses assez conformes aux faits et, ce qui est peut-être encore plus important à long terme, des sources d'information sur les questions de suivi.

Le président: Le but premier est de recueillir de l'information. Ce but a été mentionné dans la proposition du gouvernement canadien ainsi que dans votre recommandation. Toutefois, ce n'est pas le seul objectif, en effet le centre vise aussi à diffuser cette information.

M. Beall: Exactement.

Le président: Il est important de rendre cette information accessible et de faire en sorte que ceux qui doivent la recevoir en bénéficient.

M. Beall: Vous avez tout à fait raison. C'est la raison pour laquelle la dernière ligne dit que l'on a confié au centre le mandat de servir de source centralisée d'information pour les Canadiens.

J'ai dit un peu plus tôt que nous nous attendons à obtenir des conclusions très percutantes de la part du monde médical dans les années qui viennent. En rapport avec cela, il faut également être en mesure de déterminer à quel point cette information a des répercussions sur les gens. Si l'on consacre 100 millions de dollars à une campagne, il est important de pouvoir en mesurer les résultats. Et de trouver des moyens de le faire.

À l'heure actuelle, notre capacité de répondre à cette question est bien en deçà de nos connaissances sur le plan médical, et la situation risque de se prolonger durant un certain temps encore.

L'une des raisons pour lesquelles les pays s'intéressent tellement aux observatoires, même si tous ne comprennent pas parfaitement ce que l'on attend de ces observatoires, est que les gens veulent connaître les tenants et aboutissants. Nous n'avons pas encore obtenu de résultats concluants à cet égard. Il faudra redoubler d'efforts.

Le président: Avez-vous eu connaissance de cet outil mis au point en France pour diffuser de l'information sur les drogues? On a rédigé et imprimé une petite brochure destinée au grand public. Au bout de quelques mois, des millions d'exemplaires avaient été vendus. Les gens étaient prêts à payer pour lire ce livre. En avez-vous entendu parler?

M. Beall: Non, pas du tout.

Le président: La brochure a été imprimée en français, mais je ne sais pas s'il en existe une version en anglais.

M. Beall: C'est un très bon exemple. Ce type de brochure est très répandu. Tous les pays en ont. En toute sincérité, je pense qu'il y a davantage de ces documents qu'il n'y a de personnes intéressées à se les procurer. Mais un livre qui se vend à des millions d'exemplaires dans un pays de la taille de la France mérite que l'on s'y intéresse.

Le président: C'est pourquoi je vous pose la question.

M. Beall: Je n'étais pas au courant, mais maintenant je le suis. Si vous en avez un exemplaire, j'aimerais bien l'emporter avec moi.

Le président: Nous vous en remettrons un avant que vous ne partiez. On a trouvé cette publication tellement utile qu'au Québec, une de nos provinces, le gouvernement a décidé de publier la sienne. On y a adapté la brochure aux réalités canadiennes.

Le sénateur Maheu: J'aimerais aborder un sujet que nous n'avons pas encore effleuré. Le dernier rapport annuel de l'INCB s'est montré très critique à l'égard de Internet. Nous avons entendu un peu plus tôt des témoins du MAECI nous expliquer que l'on pouvait facilement trouver sur Internet des recettes pour la fabrication chimique de drogues. Est-ce que les Américains ont discuté de cette question? Est-ce qu'ils ont essayé d'aborder les problèmes associés à Internet? Est-ce que l'on a élaboré un plan d'action quelconque?

Est-ce que l'un ou l'autre des pays membres a fait des progrès en ce sens? Tous les pays sont aux prises avec ce problème. Est-ce que jusqu'ici on a réussi à trouver un moyen de s'attaquer à ce problème?

M. Beall: Cette question n'a pas été soulevée à la CICAD, mais le sujet risque de venir sur le tapis à tout moment. Je prévois que cela ne va pas tarder. Internet n'existe véritablement que depuis 1990, et c'est relativement récent. Partir de rien et devenir aussi répandu que l'est Internet aujourd'hui en l'espace de 10 ans tient presque du miracle. Dans le monde entier, il n'y a jamais rien eu de tel.

Des développements qui, dans le passé, voyaient le jour en un point du globe et franchissaient très lentement les océans, se retrouvent aujourd'hui aux quatre coins de la planète en l'espace de quelques semaines. Le problème inhérent à Internet ne représente qu'une facette des difficultés que doivent affronter les pays maintenant que ce genre d'information, qui auparavant n'existait que dans le secret des laboratoires de recherches universitaires, est désormais à la portée de tous et chacun. Et cela ne changera pas.

Votre question est très pertinente. Comment allons-nous nous attaquer à ce problème? Nous commençons à nous y intéresser de plus en plus.

Lors des négociations initiales, nous n'avions pas d'indicateur pour ce que nous appelons le «déplacement». En 1998 et 1999, et plus particulièrement en 1998, personne ne parlait du déplacement. Depuis lors, ce terme a pris beaucoup de signification dans les Andes et ailleurs.

L'accent que mettent désormais les pays sur l'information les conduira sûrement à Internet. C'est évident. Toutefois, ils ne manqueront pas d'en éprouver de la frustration.

Le président: Dans vos remarques, vous avez mentionné que le droit n'est pas bien adapté à la situation, que tous les éléments du système en souffrent. Diriez-vous que les lois actuelles sur le cannabis sont bien adaptées ou non dans l'hémisphère?

M. Beall: Je vous répète que tout dépend de l'endroit où l'on se trouve.

Le président: Disons au Canada.

M. Beall: Je ne connais pas suffisamment bien la situation au Canada.

Le président: Alors, disons les États-Unis.

M. Beall: Permettez-moi de vous donner un autre exemple. Le Brésil étudie actuellement la possibilité d'adopter une loi qui éliminerait les sanctions criminelles pour la consommation de la marijuana et en instituerait de plus sévères pour les trafiquants. Dans le contexte brésilien, il s'agit d'un changement très significatif.

Il est universellement reconnu que l'emprisonnement des consommateurs finit en bout de ligne par contribuer au problème. Ce n'est pas une solution; cela contribue plutôt à compliquer les choses. La préoccupation générale des petits pays — et elle s'est exprimée très ouvertement à Vienne la semaine dernière — consiste à s'attaquer au problème sans pour autant renforcer les effets connexes. Si vous opérez un changement, il faut faire en sorte que ce changement n'aggrave pas la situation par ses effets secondaires ou ses conséquences imprévues. Ces préoccupations étaient exprimées par des pays dont les ressources sont limitées dans tous les sens du mot, aussi il est impossible de ne pas prêter attention à ce qu'ils disent.

À cela je répondrai que c'est une partie du droit qui est appelée à changer dans le sens où les répercussions de la loi sur le consommateur devront être ajustées à la réalité de la consommation. Ici, nous parlons d'un certain produit, mais la même question se pose dans d'autres domaines. Par exemple, concernant la cigarette, qui est un produit tout ce qu'il y a de licite, la société doit se demander qui paie la note des traitements pour le cancer. Qui doit en assumer la responsabilité?

Que nous parlions ou non de punition, les effets de la consommation seront évalués par la société, les individus, les collectivités et le droit sera appelé à intervenir. Tout dépend de ce qui se passe en vérité. Nous avons parlé de la dichotomie qui existe entre la liberté individuelle et le fait que l'exercice de cette liberté a une incidence sur la liberté d'autrui. Chacune de nos applications, qu'il s'agisse d'un programme d'enseignement ou d'une mesure pénale doit être envisagée en fonction de son incidence sur le problème. A-t-elle eu les effets escomptés? Contribue-t-elle à réduire les coûts et les dommages?

Sénateur Banks: Toute loi ou tout changement à la réglementation a des effets imprévus. Vous possédez une expérience profonde de ces questions. Je vais vous poser une question personnelle. J'aimerais connaître votre opinion personnelle, et non en tant que représentant de la CICAD ou de l'OEA.

Il y a quelques minutes, vous avez donné un exemple où le comportement du public et le droit allaient en sens inverse, et vous avez ajouté que lorsque l'écart est trop important, il en résulte des problèmes sérieux. Plutôt que de faire en sorte que le droit se calque sur le comportement du public et s'y conforme, ce que d'aucuns pourraient assimiler à une démission pure et simple, ou de sortir le fouet, autrement dit devenir répressifs et ramener les gens dans le droit chemin, y aurait-il une troisième voie que nous pourrions essayer?

On constate qu'énormément de gens font preuve d'un manque de respect manifeste et irréfutable à l'égard de la loi qui prend la forme d'une consommation désinvolte et répétée de cannabis à des fins récréatives. La majesté du droit occupe une place très importante dans l'esprit de la majorité des Canadiens, mais dans ce domaine en particulier, force est de constater qu'un grand nombre méprisent la loi, et c'est un problème. Qu'en pensez-vous?

M. Beall: L'attitude à adopter dépend de ce que nous avons appris. Si nous sautons rapidement à des conclusions qui s'inspirent de nos valeurs passées, nous commettrons une erreur.

Sénateur Banks: Nous l'avons déjà fait. Le droit actuellement en vigueur en Amérique du Nord pourrait raisonnablement être caractérisé, peu importe la manière dont il est mis en oeuvre, comme répressif; il est fondé sur l'interdiction. Ce droit a été établi par des personnes qui croyaient, Dieu nous en protège, détenir la vérité. Ces personnes en étaient persuadées et elles ont fait valoir des arguments très convaincants. Ces arguments sont très difficiles à réfuter, comme tout argument fondé sur une simple croyance. Si on adopte un point de vue puritain, et on peut penser que nos lois actuelles s'en sont inspirées, ces personnes croyaient être parfaitement informées et avoir raison, et elles le croient toujours aujourd'ui. Nous sommes forcés d'admettre que certains en sont encore persuadés.

M. Beall: Je ne sais pas trop comment répondre à cela. Dieu nous permettra de voir la vérité si nous choisissons de la chercher, mais très peu de vérités sont immuables. Nous avons eu beaucoup de mal à l'admettre parce que nous voulons que les choses soient vraies. C'est un point de départ très rassurant.

Tout ce que nous faisons doit être mis en regard de l'expérience. Les sociétés, même les plus primitives, sont soumises à des influences qui, en termes de nombre et de force, étaient inimaginables il y a 150 ans. Malgré ce que j'ai dit au sujet du droit, il est également vrai que le citoyen ordinaire au Canada, comme partout ailleurs, est constamment bombardé de messages l'incitant à consommer toutes sortes de produits. Le nombre et la fréquence de ces messages sont très impressionnants, et en particulier pour ceux dont la formation se résume à ce que j'appellerais de la «télékinésie». Notre naturel nous pousse à opter pour des solutions à court terme, mais les effets ont quant à eux tendance à perdurer.

Peu importe ma conviction dans une vérité particulière, il est important que ce que je fais soit examiné à la lumière des conséquences que j'envisage. Tout manquement doit être pris en compte tôt ou tard. De toute évidence, même si j'ai raison à court terme — durant les 10 premières années, je peux sembler obtenir les résultats escomptés, il se peut qu'il en aille autrement pour les 25 années suivantes. Dans tout ce que nous faisons, nous devons nous tenir prêts à accepter cela.

Vers 1963 ou 1964, il y a eu un effort conscient aux États-Unis en vue de persuader le public de ne pas consommer de la nicotine. Même si la promotion à cet égard a été assez soutenue, elle n'a pas eu ce que j'appellerais des «impacts hollywoodiens», même si après un certain temps on s'est aperçu que chaque année la consommation des produits du tabac diminuait de 1 p. 100. Maintenue durant un certain nombre d'année, cette politique finit par donner des résultats. Ce n'était peut-être pas un véhicule très efficace, mais il fonctionnait. C'est-à-dire qu'il a fonctionné jusqu'à il y a environ trois ans. Soudain, la courbe de consommation a recommencé à grimper. Même lorsque les événements semblent vous donner raison, vous ne devez jamais cesser de vous remettre en question. C'est particulièrement vrai pour des drogues aussi puissantes et répandues que celles dont nous parlons.

Bien franchement, nous vivons à une époque où les gens consomment des drogues dans un but récréatif, pour éprouver certaines sensations. Perdre son temps avec la marijuana est un moyen très approximatif d'y arriver. Il n'est pas efficace, tout autant que les locomotives à vapeur ne le sont plus aujourd'hui. Si vous voulez vous montrer sérieusement efficaces, vous devez vous débarrasser de tous les déchets et vous concentrer sur les produits qui agissent à l'intérieur du corps. Ça s'en vient.

C'est déjà commencé dans tout l'hémisphère. Nous assistons à une montée de la consommation des drogues synthétiques dans les centres où l'on produit des drogues organiques. Il est essentiel que nous comprenions que la situation actuelle ne durera pas. Nous nous dirigeons vers quelque chose d'entièrement différent et dans un contexte qui s'éloigne de tout ce que nous avons connu il n'y a pas si longtemps.

En ce qui concerne la marijuana, le THC ou quelque chose d'approchant fera son arrivée sur le marché et dans l'organisme des consommateurs en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire.

Sénateur Banks: C'est inévitable, n'est-ce pas? Nous savons que ça va arriver.

M. Beall: Oui.

Sénateur Banks: Nous avons déjà vécu quelque chose de similaire.

M. Beall: En effet. Et il est important que nous nous en occupions.

Sénateur Banks: On n'a jamais rien gagné en interdisant quoi que ce soit, où que ce soit. La lutte antidrogue est perdue d'avance — comme vous l'avez dit, sa nature va changer jeudi après-midi, puis encore une fois le mardi suivant.

J'aimerais vous entendre sur ces deux points, s'il vous plaît.

M. Beall: Les expressions «interdiction» et «lutte» sont pratiquement des absolus, et il est rare que les absolus donnent des résultats satisfaisants à la longue. Il ne semble pas que l'on ait fait avancer la cause de l'humanité de quelque façon en assimilant l'opposition aux drogues à une «lutte». Habituellement, même si ce n'est pas toujours le cas, les guerres sont faites pour être gagnées par l'un ou l'autre des adversaires, ce qui implique l'élimination d'une des parties.

Il est peu probable que nous éliminions une partie de l'histoire que vous a racontée ce matin le professeur McAllister, par exemple. Il s'est montré très convaincant lorsqu'il a déclaré que tout cela fait partie de la nature humaine. Nous ne devons pas perdre cela de vue.

L'interdiction prévue par la loi stipule que vous ne pouvez pas faire certaines choses. Peu importe la rigueur avec laquelle la loi s'exprime, il reste que l'on continuera de faire ces choses. Alors, le droit prévoit aussi soit des mesures de redressement soit des compensations. Cela continuera d'être vrai. En ce qui me concerne, la question n'est pas d'interdire ou de déclarer la guerre, mais plutôt de la formuler ou de la projeter de telle manière que les individus, leur famille et leur collectivité prendront des décisions éclairées sur ce qu'ils doivent faire de leur existence. Voilà quel doit être notre objectif.

L'ennui avec l'interdiction, c'est qu'en bout de ligne elle finit par avoir un effet arbitraire.

Plus une chose paraît arbitraire, plus les gens auront envie de la transgresser.

Le président: Comme le font les adolescents.

M. Beall: C'est exact. Il n'est pas dans l'intérêt de la loi de constamment provoquer l'imagination des jeunes, il faudrait plutôt essayer de se rallier leur compréhension. C'est une affaire sérieuse.

On a déjà abordé cet aspect avec vous ce matin. Selon la biochimie d'un individu, une certaine drogue peut avoir un effet ou non. Une drogue peut avoir un effet bénin pour moi, mais se révéler mortelle pour vous. C'est la réalité. Les gens doivent apprendre à penser de manière plus complexe en raison du milieu dans lequel nous vivons.

Ce n'est pas difficile — et cela aussi a déjà été dit — de régler le problème de la marijuana à la satisfaction de tout le monde. Il en va de la marijuana comme du reste. Il suffit de considérer les ravages qu'elle fait ou qu'elle ne fait pas et d'agir en conséquence.

Le président: Je vous remercie, monsieur Beall. Nous vous remettrons des exemplaires du document français et du document québécois, les deux sont en français. Vous devrez vous occuper de les faire traduire.

[Français]

Nous concluons aujourd'hui l'inventaire des connaissances tant canadiennes qu'étrangères sur la question du cannabis, et ce sous la gouverne efficace du directeur de la recherche, le Dr Sansfaçon. Nous avons colligé une masse de savoir! J'en profite pour remercier tous les chercheurs qui ont participé à cet effort, plus particulièrement M. Gérald Lafrenière et Mme Chantal Collin, tous deux de la Division de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement.

Cependant, deux aspects importants auxquels j'ai fait référence tout à l'heure demeurent incomplets. Premièrement, malgré de sérieux efforts pour les accommoder, les autorités gouvernementales fédérales américaines n'ont pas pu être entendues à ce jour. Nous ne perdons toutefois pas espoir de les rencontrer et nous réitérerons notre demande de comparution. Deuxièmement, nous voulons entendre les représentants politiques canadiens du gouvernement fédéral, ce qui sera fait le 10 juin prochain.

Je profite également de l'occasion pour remercier nos interprètes et nos sténographes qui ont réussi à comprendre le message profond de nos propos.

Nous entreprendrons d'ici peu la deuxième étape de nos travaux. Au mois d'avril, mai et juin prochains, nous sillonnerons le Canada pour recueillir l'opinion des Canadiens au sujet du cannabis. Une courte synthèse de nos constats scientifiques est en cours de rédaction. Elle sera disponible sous peu. Vous connaîtrez alors les lieux et les dates de nos audiences pancanadiennes.

Avant de suspendre les travaux de cette séance de comité, je tiens à remercier notre greffier, M. Blair Armitage, ainsi que toute son équipe, qui ont su organiser adéquatement les travaux tout au long de cette dernière année et demie.

Si vous vous intéressez aux travaux du comité, vous pouvez lire et vous informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins, leur biographie et toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous offrir. Vous trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos commentaires ou vos questions.

Au nom du Comité spécial sur les drogues illicites, je désire vous remercier de l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.


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