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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 18 - Témoignages pour la séance du matin du 31 mai 2002


MONTRÉAL, le vendredi 31 mai 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 8 h 05 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Le comité tient à remercier les autorités de la Ville de Montréal de nous avoir accueillis dans leurs locaux, en particulier, le président de l'Arrondissement Ville-Marie, M. Lemay, qui était avec nous hier soir à l'occasion des audiences publiques.

Une remarque préliminaire: la plupart d'entre nous avons des téléphones cellulaires. Nous vous prions de les mettre soit dormants ou sur la vibration. Nous préférions qu'il n'y ait pas de bruits inopportuns pendant nos travaux.

Le Comité a abordé, il y a quelques semaines, une phase importante de ses travaux. Dès l'adoption de notre plan de travail, il avait été décidé d'entendre un éventail le plus complet possible d'experts en la matière, et qu'il était également de notre devoir de consulter la population canadienne.

Afin de réaliser une consultation efficace, nous avons rendu public, il y a quelques semaines, un document de discussion, qui est disponible à l'arrière et qui est aussi disponible sur le site Internet du Comité. Ce document renferme les principales constatations scientifiques que le Comité a pu réaliser au cours de son enquête.

Nous voulions que cette information soit disponible à un plus grand éventail de la population canadienne afin de l'informer de ces rencontres et dialogues. Aujourd'hui, nous sommes à Montréal. Hier soir, nous avons entendu les citoyens s'exprimer. Aujourd'hui, nous entendons des experts québécois qui ont, dans leur sphère d'activités, une expertise à partager avec les membres du Comité. Nous recevrons ce matin, dans un premier temps, M. Michel Germain, du Conseil québécois pour la lutte à la toxicomanie.

Monsieur Germain, les règles sont simples: la période de présentation sera suivie d'une période de questions. Au cours de votre témoignage ou à l'occasion des questions, s'il y a des éléments d'information que vous jugez nécessaires de nous donner mais que vous n'avez pas en votre possession, il nous fera plaisir d'attendre ces documents.

De même, si nos recherchistes décèlent des éléments de questions qui méritent un approfondissement, je vous écrirai dans l'espoir de recevoir une réponse à ces diverses questions. Vous avez maintenant la parole.

M. Michel Germain, directeur général, Comité permanent de lutte à la toxicomanie: Monsieur le président, au nom des membres du Comité permanent de lutte à la toxicomanie, nous tenons à vous remercier de nous avoir invités ce matin à partager quelques-unes de nos réflexions concernant le dossier des drogues illicites. Je tiens aussi à féliciter tout particulièrement le Comité spécial sur les drogues illicites pour la rigueur témoignée durant les travaux. Cela nous apparaît être la clé du succès pour en arriver à des recommandations et à des constats les plus probables possibles.

À ce propos, nous avons suivi avec attention les différents travaux, les différents documents qui ont été produits ainsi que les entrevues qui ont été faites. Il y a là une rigueur scientifique fort appréciable pour laquelle nous tenons particulièrement à vous remercier.

Concernant ma présentation, je voulais d'abord clarifier le premier volet: ce n'est pas une prise de position publique en tant que telle du Comité permanent de lutte à la toxicomanie. Premièrement, le Comité s'est déjà penché sur la question particulière de la déjudiciairisation du cannabis ou de la possession simple de cannabis. Le Comité a même produit, en 1999, un avis qui a été soumis aux autorités du gouvernement du Québec.

Comme cette question n'a pas été revue depuis 1999, nous ne sommes donc pas en mesure de soumettre des recommandations formelles. Par contre, nous avons plusieurs éléments à porter à votre attention en termes de réflexion ainsi que certains autres qui nous apparaissent plus pertinents.

Je divise donc ma présentation en trois grands points. J'aimerais d'abord vous parler sommairement du Comité permanent de lutte à la toxicomanie, de son rôle, de son mandat et de ses activités.

Ensuite, je présenterai certains faits saillants d'une étude récente produite par le Comité permanent et qui saura, je présume, vous intéresser. Finalement, je conclurai en portant à votre attention un certain nombre de dimensions pertinentes au débat.

Le Comité permanent de lutte à la toxicomanie, qu'on appelle le CPLT, a pour mandat principal de conseiller le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec sur les meilleures actions en termes de lutte à la toxicomanie. Le Comité existe depuis 1994 et il est présentement rattaché au ministre de la Santé et des Services sociaux.

Outre les réflexions et les échanges qu'il mène au sein de ses rangs, il s'alimente à différentes sources pour réaliser son mandat. Il commande des études, il recueille des opinions des différents intervenants et experts des milieux concernés, il analyse les données publiées sur l'évolution de la problématique de la toxicomanie au Québec.

Nos activités principales sont donc de produire des études sur des sujets pertinents. Depuis 1994, nous avons produit 70 études ou publications sur des sujets très variés, qui sont, pour votre information, maintenant accessibles sous le site Internet du Comité.

L'une de ces études a été produite en février dernier et concerne l'évolution de la consommation d'alcool et de drogues chez les jeunes au Québec de 1987 à 1998. C'est un peu les faits saillants de ces études que j'aimerais vous présenter ce matin. Je pourrai déposer au Comité le rapport en question.

Ce rapport a été produit par M. Frank Vitaro, un chercheur réputé dans le domaine, ici au Québec, qui a procédé à une étude à partir des banques de données de Santé Québec et de l'Institut de la statistique du Québec, qui produit aux cinq ans des études des enquêtes au niveau de la santé des Québécois.

Un certain nombre de questions ont été administrées à des milliers de Québécois, en particulier, sur la consommation. On a finalement procédé à une analyse des trois grandes études, soit celles de 1987, 1992-1993 et 1998. Le sujet de l'étude porte principalement sur les jeunes de 15 à 24 ans.

Ce sont des données sérieuses, hors de tout doute et soumises à une rigueur scientifique au niveau des statistiques. Comme premier fait saillant, on dit que le nombre de consommateurs d'alcool et de drogues, en particulier de marijuana, a augmenté de manière significative de 1992-1993 à 1998 chez les jeunes Québécois âgés de 15 à 24 ans.

À cet effet, on parle d'une augmentation qui est tout de même très importante. C'est presque du simple au double. On a constaté qu'en 1992-1993, parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans, 15 p. 100 d'entre eux étaient des consommateurs réguliers de marijuana, puis, en 1998, le pourcentage s'élevait à presque 30 p. 100.

Au Québec, également, l'augmentation du nombre de consommateurs d'alcool entre 1992-1993 et 1998 semble reposer sur les plus jeunes, c'est-à-dire sur le groupe des 15 à 19 ans. Le pourcentage de jeunes de tous les âges qui rapportent une consommation élevée ou abusive a augmenté entre 1992-1993 et 1998, et a atteint des niveaux qui nous semblent inquiétants. On parle présentement du groupe d'âge où environ 1 jeune sur 4 consomme de l'alcool de façon élevée ou abusive.

Plus particulièrement, au Québec, le nombre de consommateurs de marijuana chez les jeunes de 15 à 24 ans a presque doublé, comme je le disais, passant de 15 p. 100 à 26 p. 100. L'augmentation du nombre de jeunes qui consomment de la marijuana est responsable presque à elle seule de l'augmentation du nombre de consommateurs de drogues en général.

On voit donc une légère augmentation du niveau de consommation des drogues autres que le cannabis. Cependant, le gros de l'augmentation est attribuable à une augmentation de la consommation du cannabis. Et ceci nous semble assez particulier.

Je précise qu'il s'agit d'un chiffre très conservateur quand on dit que le taux de consommation abusive chez les jeunes au Québec se situe à 26 p. 100. C'est très conservateur parce que l'enquête de Santé Québec ne tient pas compte des jeunes de moins de 15 ans, alors que nous savons que l'initiation à la consommation se fait souvent aux environs de 9, 10, 11 ou 12 ans.

Également, l'enquête ne tient pas compte des jeunes de la rue, une clientèle particulière qui consomme de façon abusive. L'enquête ne tient pas compte non plus des sans-abri, des Autochtones et des jeunes hébergés dans des Centres jeunesse qui, d'habitude, font une déclaration plus réaliste au sujet de leur consommation. On sait que les jeunes ont tendance à nier une partie de leur consommation.

Le pourcentage de 26 p. 100 est sûrement très faible comme statistique et on pourrait davantage croire, par pure hypothèse, que le pourcentage de consommateurs se situe plutôt aux environs de 30 p. 100.

Ces chiffres nous suggèrent plusieurs questions. On s'aperçoit, toutefois, que le Québec ne fait pas cavalier seul en la matière. L'étude qui va être déposée rend compte aussi d'une évaluation de plusieurs autres pays.

On évalue la consommation des jeunes Canadiens en comparaison à ceux du Québec, de même qu'à ceux des États- Unis et de certains pays d'Europe. On voit que pour les mêmes années ou sensiblement les mêmes années, il y a également des fluctuations qui se ressemblent et qui dénotent véritablement des cycles.

Les auteurs le soulignent à juste titre: on voit les processus d'augmentation ou de diminution de consommation, soit des cycles qui semblent pointer vers le haut à certaines époques, pour diminuer et ensuite reprendre. On a tenté de cerner les variables qui pouvaient être à la base de ces fluctuations dans l'augmentation ou la diminution de la consommation.

On parle donc des variables liées aux attitudes que les jeunes entretiennent vis-à-vis les substances psycho-actives, qui semblent rendre compte de la fluctuation à la hausse ou à la baisse de la consommation de diverses substances.

De plus, les attitudes peuvent être liées à une série d'autres variables, par exemple, l'assentiment des parents à la consommation ou la présence d'adultes qui consomment et qui sont perçus comme des modèles. On retrouve aussi le niveau d'acceptation de la société en général. Il y a aussi le fait que les lois sont appliquées avec plus ou moins de rigueur, et avec des sanctions plus ou moins sévères.

Ces attitudes portent aussi sur la perception du risque associé à l'usage des substances, basé sur l'opinion publique. Prenons l'exemple du cannabis. On dit que les effets sur la santé sont, somme toute, peut-être moins dommageables que d'autres drogues illicites. Les jeunes en concluent que ce n'est peut-être pas si mauvais pour la santé. J'ai même entendu récemment le commentaire suivant: «Écoute, le cannabis, ce n'est vraiment pas un problème, on en donne aux malades.» Certaines réflexions se concrétisent devant une perception relativement simple du phénomène, alors que celui-ci est beaucoup plus complexe.

On parle donc de la perception du risque, de la perception de l'approbation par les autres et aussi de l'accessibilité des substances.

Il me fait plaisir de déposer le rapport et je pense que les recherchistes et les analystes pourront en interpréter les différents éléments, en relation avec les autres études qui ont été déposées au Comité.

J'aimerais vous lire la conclusion de cette étude, qui démontre un peu les défis qui nous attendent:

Au Québec, rien ne semble indiquer que la tendance à la hausse au chapitre de la consommation d'alcool, de marijuana et, à un degré moindre, des autres drogues depuis le début des 1990 se résorbera ou plafonnera bientôt.

Les résultats très récents chez les étudiants de l'Ontario montrent, toutefois, que la consommation de plusieurs substances a diminué en 2001 par rapport à 1999. Il est possible qu'il s'agisse du début d'un nouveau cycle à la baisse et que 1999 constitue un nouveau point d'inflexion. Il faudra cependant attendre en 2003, soit la prochaine enquête de Santé Québec, pour vérifier si la tendance à la baisse se confirme. Il est important de remarquer que la consommation de cannabis chez les étudiants ontariens fait exception en n'affichant pas de diminution notable. Il y a même une poursuite d'escalade chez les plus jeunes.

La mise sur pied ou l'accentuation de campagnes de prévention ou de promotion auprès des jeunes pourrait freiner et, possiblement, inverser la tendance à la hausse de la dernière décennie. L'urgence d'une mobilisation des forces socio-éducatives, légales et politiques est d'autant plus grande que ce sont les plus jeunes qui semblent responsables de l'augmentation de la consommation.

Plusieurs recherches ont souligné le pronostic négatif d'une consommation précoce en raison des risques accrus de dépendance et des problèmes graves qu'elle peut entraîner, c'est-à-dire les accidents, les échecs scolaires, les problèmes familiaux et légaux, les séquelles psychologiques, et cetera.

Un «monitoring» continu, c'est-à-dire bisannuel, permettrait de vérifier si les efforts de prévention porte fruit et si la consommation de substances commence à s'inverser au cours des prochaines années.

Cela évoque donc, non pas sur un ton alarmant mais sur un ton préoccupé, cette augmentation très significative de la consommation.

Pour terminer, j'aimerais un rappeler certaines dimensions pertinentes au débat. D'abord, le premier point qui vous préoccupera, lorsque vous ferez votre rapport final au mois d'août, concernera la législation s'appliquant aux différents produits, qui n'est toutefois pas la seule variable au niveau des de la consommation et des différentes toxicomanies.

Par contre, au Québec, nous constatons qu'il existe présentement des problèmes issus de la législation en vigueur, particulièrement au niveau de l'administration de la justice. C'était un peu dans cet esprit que le Comité permanent avait, en 1999, émis un avis sur la déjudiciairisation de la possession simple. On s'était rendu compte qu'il y a des écarts d'application très importants au niveau des pratiques policières d'une région à l'autre et également d'un corps de police à l'autre.

On voyait que, dans certaines régions, dans certains corps de police, il y avait de la déjudiciairisation systématique au niveau de la possession simple de cannabis tandis que dans certaines autres régions, dans certains autres corps de police, il y avait, effectivement, des poursuites qui aboutissaient souvent à des sentences qui étaient, elles aussi, différentes d'une région à l'autre.

Le problème est au niveau de la cueillette de données qui, présentement, n'offre pas un portrait exhaustif sur les traitements qui sont faits chez les gens qui ont été inculpés de possession simple. Il y a des difficultés de nature méthodologique dans la compilation de statistiques qui sont présentement non exhaustives en ce qui a trait au cheminement des infractions à travers le système de justice.

À ce niveau, en 1999, le Comité a élaboré certaines recommandations en la matière qui semblaient faire un certain consensus. Je crois qu'on devrait continuer à évaluer une bonne partie de ces recommandations puisqu'il y a, là, des pistes fort intéressantes.

La deuxième dimension pertinente au débat, assez préoccupante, d'ailleurs, et que plusieurs de nos partenaires nous soulignent régulièrement, est l'accessibilité des substances. Vous savez que le Québec, depuis quelques années, est très prolifique en termes de culture de cannabis. On a réussi à développer un produit haut de gamme ayant une teneur très élevée en THC, le produit actif psychotrope.

On a de bons producteurs, à tel point que le Québec est maintenant autosuffisant en termes de cannabis. On n'a plus besoin d'importer le produit. On est davantage des exportateurs. Et, dans le jargon populaire, on parle même du cannabis du Québec comme étant le «Quebec Gold», suggérant ainsi que le Québec offre un produit de qualité exceptionnelle.

Il est assez préoccupant de constater, il faut bien l'admettre, que le Crime organisé fait un excellent travail de marketing. Il inonde le marché de produits de très haute qualité, avec des prix plutôt concurrentiels, de façon à tenter de plus en plus les clientèles plus vulnérables et plus jeunes.

Et on sait très bien que le Crime organisé, qui contrôle les drogues illicites, ne s'intéresse pas seulement au cannabis, mais également à la cocaïne et à l'héroïne. Les consommateurs qui s'approvisionnent en cannabis sont souvent exposés à d'autres produits qui, malheureusement, entraînent des séquelles importantes.

L'accessibilité est un aspect assez important, car on sait que plus le produit est accessible, plus il y aura de consommation. Un autre élément important est l'arrivée, depuis quelques années, des nouvelles drogues de synthèse. Nous prévoyons au cours des prochaines années, l'arrivée de nouvelles drogues, qui seront peut-être moins préjudiciables au niveau physiologique, mais qui seront tout de même très préoccupantes en termes d'attrait chez les différentes clientèles.

On voit présentement que l'Ecstasy fait des ravages. On suit la situation de près, mais on s'aperçoit qu'il y a, de façon très significative, des consommations à la hausse. Le phénomène du «Rave» est très préoccupant. Donc, lorsqu'on aborde la question des drogues illicites, particulièrement du cannabis, je pense qu'il faut regarder l'ensemble de la dynamique de l'environnement des ventes et tout cela.

Il faut regarder les variables au niveau de la santé publique, au niveau des risques associés à la consommation du cannabis et des méfaits qui sont présents. Bien entendu, en ce qui a trait au cannabis, il y a moins de dépendance. Le pourcentage de personnes dépendantes est moins élevé, mais le nombre de consommateurs augmente. Si 3 p. 100 des consommateurs sur 1 000 deviennent dépendants et que le nombre de consommateurs augmente à 2 000, et bien il y en a 30 de plus qui sont dépendants. Le nombre de consommateurs est donc préoccupant à ce niveau.

Ces dernières années, on voit que le niveau de consommation chez les adultes semble être relativement stable, mais on s'aperçoit que les fluctuations dans les augmentations sont dues aux jeunes.

Pour conclure, j'aimerais aborder le phénomène de la banalisation des drogues. Je disais plus tôt que certaines études avaient démontré que les attitudes des jeunes face à la drogue dépendent du message qu'ils reçoivent de leurs pairs, de leurs aînés, de leurs parents, qui les portent à croire que la drogue est plus ou moins acceptable.

On voit qu'il y a vraiment, au niveau du cannabis, une certaine banalisation. Plus la drogue est acceptée, plus on voudra être libéral dans les politiques. On veut davantage axer le niveau d'information, le niveau de liberté des gens. Je pense que c'est un phénomène dont il faut tenir compte.

À tous les niveaux, il faut qu'on puisse clarifier la question pour envoyer des messages clairs au sujet de l'acceptabilité.

Le débat est fort complexe. Je pense qu'il faut tenir compte de l'ensemble des intervenants, de l'ensemble des facteurs, également, qui font partie du débat. Ce n'est pas une mince tâche. Mais, nous nous réjouissons énormément de pouvoir nous questionner, s'il y a un débat à faire dans la société.

Il faut poser la question: quelle place veut-on réserver aux psychotropes dans la société de demain? Il faut prendre position et, dans ce sens-là, nous sommes très favorables à élargir le débat et à mettre sur la place publique les grands enjeux, de façon à cerner les différents paramètres des décisions qui nous attendent.

En terminant, j'aimerais déposer au Comité un texte sur la banalisation. C'est un texte qui a été fait par M. Pierre Brisson, un enseignant québécois, spécialiste en toxicomanies. C'est un véritable bijou de réflexion sur la banalisation du phénomène des drogues.

Le président: Merci, monsieur Germain. Tout à l'heure, j'ai oublié de vous présenter les gens qui composent notre groupe: le sénateur Shirley Maheu du Québec, le sénateur Tommy Banks de l'Alberta, et le sénateur Michel Biron, également du Québec.

Je suis aussi accompagné de nos sténographes. Sans elles, la vie serait impossible. On ne pourrait pas garder en mémoire la substance de vos interventions.

Notre équipe comprend aussi le directeur de la recherche du Comité, le docteur Sansfaçon; le greffier du Comité, M. Charbonneau; et M. Lafrenière, chercheur à la bibliothèque du Parlement.

Si vous avez besoin de la traduction simultanée, vous y avez accès, pour que tout le monde comprenne.

Premièrement, dans votre rapport sur la déjudiciairisation, avez-vous examiné l'option, qui faisait partie du rapport du Comité du Sénat au moment où on a examiné le projet de loi C-8 en 1996, la possibilité de sanctionner la possession par une amende? Avez-vous examiné cette option?

M. Germain: Oui. Les participants au débat sur l'avis en question trouvaient qu'on ne devait pas avoir la même sentence pour tous. Ils jugeaient que pour certains récidivistes en la matière, il pouvait y avoir une sentence de nature différente.

Je vous résume une des recommandations à cet effet. Cela va peut-être clarifier la question.

Que dans les cas de possession simple de cannabis, la déjudiciairisation devienne la solution privilégiée à l'ensemble du Québec toutes les fois où les intervenants mis en cause, c'est-à-dire les procureurs, les policiers et les intervenants socio-communautaires en concertation et dans une optique de résolution de problèmes estime que cette approche est la plus appropriée.

Donc, on en venait à dire que les policiers ne souhaitaient pas nécessairement qu'il y ait une systématisation au niveau de la sentence. On voulait prendre la peine de bien étudier le cas en concertation, pour ensuite prendre la meilleure décision.

Effectivement, la position a été adoptée selon les conditions suivantes:

Que la déjudiciairisation de la possession ne soit pas systématisée mais appliquée en fonction de paramètres clairement préétablis qui assurent un traitement équitable de l'ensemble des contrevenants à la grandeur du Québec. Qu'il n'y ait pas une absence de mesure; que soit davantage uniformisées les pratiques des différents corps de police; que la déjudiciairisation se fasse en concertation entre les procureurs.

D'assurer une meilleure coordination des actions; que les procureurs puissent compter sur la collaboration d'organismes en mesure d'assumer la mise en application des mesures; qu'une diversité des mesures soit prévue pour répondre à la fois aux besoins d'individus toxicomanes qui requièrent un traitement et aux besoins d'individus non dépendants pour lesquels d'autres types d'interventions sont mieux appropriées.

En guise de réponse à votre question, on en venait à dire que selon que la personne était toxicomane dépendant, il fallait axer davantage la sentence au niveau du traitement, d'une aide obligatoire; et pour d'autres, une mesure, telle que l'amende, pouvait être appliquée.

Le président: Vous avez parlé des 74 études qui font partie du corpus de votre connaissance officielle.

M. Germain: Oui.

Le président: Il a été porté à l'attention du Comité qu'une étude, parrainée par le CPLT, n'avait pas reçue l'approbation ou la sanction de celui-ci et était, pour ainsi dire, demeurée dans l'anonymat. C'est celle de M. Nicolas Carrier. Connaissez-vous cette étude et serait-il possible d'avoir accès au texte?

M. Germain: Malheureusement non. En effet, le Comité a décidé de ne pas publier cette étude pour des raisons de nature méthodologique. Souvent, nous commandons des études auprès des chercheurs ou auprès de professeurs d'université. Et il nous arrive souvent de ne pas publier certaines études, soit parce qu'on avait pas bien cerné l'objet de l'étude, ou que le produit rendu ne satisfaisait pas aux attentes, et cetera.

Malheureusement, cela va demeurer un document...

Le président: Disons, discret?

M. Germain: Eh, voilà!

Le président: Vous avez publié récemment une brochure et je vois que vous l'avez apportée avec vous.

M. Germain: Un tout petit livre intitulé Drogues, savoir plus, risquer moins.

Le président: Pour l'avoir examiné du début à la fin, j'y trouve une grande ressemblance, et je pense que c'était voulu, avec un livre similaire publié en France par la Mission interministérielle.

M. Germain: Tout à fait.

Le président: Est-ce que vous avez examiné avec autant de rigueur tout ce qui avait été publié dans la publication française afin de publier la vôtre? Quel a été votre processus d'analyse?

M. Germain: Le Comité permanent a obtenu la permission de procéder à l'adaptation québécoise du livre français qui porte exactement le même nom. C'est Mme Nichole Maestracce qui nous a dit: «Pourquoi ne pas le partager. Il y a déjà là un investissement majeur. Et il n'y a aucun problème à ce que vous puissiez reprendre le contenu.» Nous avons donc créé un comité de travail, composé de spécialistes, pour procéder à l'adaptation québécoise. Ce sont des gens qui sont peut-être comparus devant vous ou qui vont le faire: M. Mohamed Ben Amar, qui était le coordonnateur de l'édition avec d'autres, également, du groupe de recherche du risque. On a fouillé les statistiques canadiennes et québécoises pour tenter d'apporter des statistiques pertinentes. On a rajouté certains produits qui n'existaient pas en France ou qui y étaient moins populaires. Et on a adapté certains discours pour coller davantage au langage du Québec.

Mais sur la base scientifique, il n'y a eu aucun changement; ce fut uniquement de l'adaptation. Et ce petit livre, je suis content que vous le mentionniez, car il connaît présentement un succès incroyable. Notre objectif était basé sur la conviction profonde qu'en matière de drogues, plus les gens sont informés, plus ils sont en mesure de faire un choix éclairé sur la consommation ou la non consommation.

Par conséquent, si on est capable de le diffuser à une très large échelle, les gens seront mieux soutenus dans leur prise de décision. Présentement, le livre connaît un succès incroyable: on l'a lancé en décembre et, à ce jour, on en a vendu plus de 50 000 copies. Les corps de police du Québec achètent un petit livre pour chacun de leurs membres du personnel, pour chaque policier.

On voit qu'il y a une mise à jour de l'information tant au niveau des intervenants que de la population en général, parce que c'est un livre qui s'adresse à tous, même aux jeunes. Et c'est un livre qui a eu, particulièrement en France, un succès incroyable. Ils en ont vendu deux millions de copies. Et c'étaient les jeunes de 15 à 25 ans qui étaient les plus intéressés.

Le président: Je pense que mes collègues ont des questions. Moi, j'en ai plusieurs. Alors, je vais vous écrire lorsqu'on reviendra à Ottawa, pour avoir des éclaircissements, entre autres, sur cette étude. On prendra connaissance de votre étude. On veut la mettre en rapport avec d'autres études sur la population étudiante québécoise, qui sont déjà entre les mains du Comité.

Le sénateur Banks: Si je ne m'abuse, vous avez dit que le comité pensait que la possession devait demeurer un crime. S'agissant des diverses conséquences qui devraient découler de la possession de cannabis, vous avez utilisé «le crime». Le comité estime-t-il que la possession de cannabis devrait demeurer un crime?

M. Germain: Dans mon introduction, j'ai dit que le CPLT n'était pas en mesure de rafraîchir sa position formelle sur ce sujet. Mais je peux dire qu'en 1999, lorsque le Comité a fait le dernier avis, il considérait, en effet, que la possession devait continuer à être une infraction au Code criminel.

Le sénateur Banks: J'aimerais maintenant vous poser une question relativement au rapport sur lequel le président vous a interrogé. En réponse à la question qu'il vous posait, vous avez dit que le rapport ne répondait pas aux exigences du comité. Pourriez-vous nous expliquer en quoi il ne répondait pas à ses exigences? Peut-on parler de données scientifiques solides si le comité ne s'intéresse qu'au rapport qui cadre avec la position qu'il a exprimée? Le comité s'opposait-il donc seulement à la méthode de recherche employée par les auteurs du rapport?

M. Germain: Seulement à la méthode.

Le sénateur Banks: Vous avez parlé de cycles dans la consommation de drogues. Je sais que l'analyse doit porter sur une période plus longue, mais vous avez dit qu'on ne constate pas à l'heure actuelle en Ontario la même tendance à la baisse qu'au Québec. Ces études se fondent-elles sur les mêmes paramètres généraux?

J'aimerais aussi savoir si vous avez pu établir si ces cycles sont liés à certains facteurs sociaux? Savons-nous à quel facteur il est possible d'attribuer l'augmentation et la diminution de la consommation?

M. Germain: Oui. D'après les études, et particulièrement dans la province d'Ontario, on semble s'être doté d'un bon système de surveillance de la consommation. C'est un atout. Et nous regardons comment nous pourrions, au Québec, nous doter d'un meilleur système de suivi des paramètres de consommation.

On s'aperçoit qu'effectivement, en Ontario, depuis 1999, il semble y avoir une diminution significative de la consommation, sauf pour le cannabis. Et c'est démontré de façon scientifique dans le rapport.

Au niveau des variables impliquées, très peu de travaux ont été faits pour expliquer l'augmentation ou la diminution de la consommation. Tout laisse croire, selon les pistes les plus fréquentes, que ce n'est pas relié. On a éliminé des variables qui n'étaient pas du tout en lien, par exemple la situation économique de la personne et la composition familiale. Toutes ces variables socio-démographiques ne semblent pas reliées à l'augmentation ou à la diminution de la consommation. Selon les pistes les plus sérieuses, on parle plutôt maintenant de moeurs de société. Je pense que c'est à ce niveau que se situe l'explication de la cause.

À partir de cela, on peut dire que c'est un ensemble d'attitudes, c'est un ensemble de valeurs qui sont véhiculées, c'est un ensemble de messages. C'est l'opinion publique. Et c'est aussi la perception qu'ont les individus au niveau de l'acceptation de la consommation, au niveau du modèle de consommation de leurs parents.

On a bien démontré que si les parents consomment et qu'ils prônent l'idée que la consommation n'est pas un problème, que la consommation est acceptable, cela a un impact beaucoup plus important que les variables socio- démographiques.

Il faut être certain de bien cerner tout cela, et comme nous le mentionnons dans le rapport, je pense que nous avons besoin de recherches beaucoup plus détaillées. Nos campagnes de prévention en bénéficieraient.

Le président: Nous allons vous écrire, monsieur Germain. Nous avons une foule de questions qui sont en suspens, et nous vous les transmettrons.

M. Germain: Ça me fera plaisir d'y répondre.

Le président: Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Nous avons apprécié votre déplacement.

Notre prochain témoin est M. Pierre Charles Boudria du Centre Dollard Cormier.

M. Pierre Charles Boudria, Centre Dollard Cormier: J'aimerais vous donner une copie d'une citation extraordinaire de Marie Andrée Bertrand, que vous connaissez sûrement, ainsi que des extraits d'articles que je juge très intéressants sur la différence entre l'usage et l'abus, ainsi que sur l'aspect réversible des dépendances. J'ai aussi pour vous deux articles de la revue Psychotrope sur la prohibition, sur les coûts du prohibitionnisme, et ainsi de suite. Je vous les laisse. Cela pourra vous faire une lecture intéressante par la suite.

C'est un honneur pour moi ce matin d'être devant vous. Je suis clinicien au Centre Dollard Cormier, le plus grand établissement dans ce domaine dans la région de Montréal. Il est clair qu'un centre de réadaptation public ne se prononce pas sur des questions d'ordre social et politique.

Je suis ici à titre d'universitaire et d'intellectuel. J'ai trouvé votre document très intéressant parce que, effectivement, depuis de nombreuses années, et vous l'avez dit dans le document, lorsqu'on fait la lecture de plusieurs articles scientifiques qui parlent de la question, il y a parfois des choses incohérentes et des doubles messages. À ce titre, j'ai trouvé ce document très intéressant.

Si vous êtes d'accord, je propose qu'on le parcoure et que, par la suite, je m'attarde plus aux questions de la dernière page. Est-ce que ça vous va?

Le président: Oui.

M. Boudria: Je crois que le législateur sera confronté à plusieurs influences, pas seulement aux connaissances intellectuelles et scientifiques que nous avons. D'ailleurs, je crois que l'information scientifique que nous avons est tout de même accessible depuis fort longtemps.

Dans les années 1970, on a commencé à se questionner au sujet de la légitimité de la guerre à la drogue, et cetera. On a bien réfléchi sur ces questions.

Le législateur sera confronté à plusieurs influences, pas seulement les connaissances scientifiques. Il faut aussi penser aux influences très claires dans les rapports de force. On pense au lobbying des brasseurs, des distillateurs, des compagnies de tabac, de l'industrie pharmaceutique qui, à travers les années, vous allez le voir dans mon document, ont quand même nui aux recherches qui ont été faites au sujet du cannabis.

Il est évident que l'industrie pharmaceutique souhaite avoir des brevets, et ainsi de suite. Donc, les compagnies de tabac, l'industrie, les «pushers» d'éthanol ou d'éthyle, les brasseurs, les distillateurs, les corps policiers, qui ont énormément de ressources et de budget pour cette guerre à la drogue, peuvent également résister.

Pensons à certains mouvements tels que Alcooliques Anonymes ou d'autres groupes semblables, qui prônent plutôt la vertu, l'abstinence totale, et qui voient la consommation comme étant un vice en soi.

Les connaissances scientifiques seront importantes aux yeux du législateur, mais il faut souligner qu'il existe d'autres formes d'influence reliées à cette question.

Le président: Je vous arrête tout de suite. On est fort conscient de la possibilité de l'existence de ces pressions. Maintenant, vous devez garder en tête que le Comité s'est imposé une rigueur presque judiciaire. Quand je dis «judiciaire», vous connaissez peut-être un peu le fonctionnement des tribunaux. Le tribunal ne connaît que la preuve qui a été faite devant lui de façon légale.

M. Boudria: Oui.

Le président: Autrement dit, il faut que la preuve soit légale. Alors, une idée, ce n'est pas une preuve. Une hypothèse, si elle n'est pas prouvée, ce n'est pas une preuve. Alors c'est possible qu'il y ait des influences. On pense qu'il y a des influences, mais tant qu'on n'aura pas la preuve de cette conspiration, pour nous, elle n'existe pas. Vous comprenez?

M. Boudria: Oui, tout à fait.

Le président: Alors, c'est pour cela que dès le départ nous avons décidé d'éliminer les hypothèses qui n'étaient pas prouvables.

M. Boudria: Oui.

Le président: Maintenant, cela n'empêche pas nos témoins de prétendre à l'existence d'un tel phénomène.

M. Boudria: Tout à fait.

En plus des mythes et du manque d'information, vous avez souligné que dans la littérature, certaines recherches se contredisent. Une partie de cela ne constitue que des hypothèses ou des réflexions, mais on peut tout de même se questionner sur les intérêts qui sont en jeu dans ces recherches.

Il ne faut jamais oublier que l'information est véhiculée par des médias qui appartiennent à des firmes privées, et cetera. Et on doit se rappeler que les sensations fortes font vendre beaucoup de journaux et augmenter les cotes d'écoute.

Je pense donc qu'il est très important de rassurer la population lorsqu'on fait des saisies pour justifier les millions et les milliards de dollars que les contribuables investissent dans cette affaire. Il est important, en même temps, de véhiculer un discours alarmant.

Parlons maintenant de la théorie de l'escalade, appelée, en anglais, «the stepping-stone theory». Comme vous le savez, cette théorie a été réfutée il y a une quinzaine d'années. Du point de vue épistémologique et scientifique, si nous examinons la consommation de cannabis comparativement à la consommation des autres drogues dites drogues dures, comme la cocaïne et l'héroïne, en effet, le nombre, mathématiquement, ne concorde pas du tout. Ceci porte à croire que cette notion de la théorie de l'escalade peut servir à alimenter une campagne alarmante pour en même temps justifier les frais.

On dit que la consommation du cannabis peut mener à la consommation de d'autres drogues. Mais on peut se questionner sur le fait que toutes les drogues sont accessibles dans le même marché, que ce soit le cannabis ou l'héroïne, la cocaïne, les champignons, le LSD et ainsi de suite.

Le consommateur est donc exposé à toutes sortes de drogues. Et c'est le système pénal qui met le consommateur devant ces risques. De fait, le consommateur de cannabis risque de consommer d'autres produits. Les Pays-Bas, eux, font une distinction entre les drogues dures et drogues douces, mais c'est une distinction purement théorique.

Une drogue dure, ou une drogue douce, cela n'existe pas. On parle plutôt d'un usage doux ou d'un usage dur. Pourquoi? Parce qu'on peut faire un usage doux d'une drogue très dure et on peut faire un usage très dur d'une drogue très douce. Donc, le débat «drogue dure-drogue douce» ne se tient pas. Mais, les Pays-Bas ont décidé de faire ce choix pour, justement, distinguer les deux marchés.

Les consommateurs sont donc exposés à la drogue, et cela est dû au contexte de la criminalisation et de la clandestinité.

Comme vous l'avez souligné, il semble y avoir des facteurs d'ordre psychosocial qui entraînent la progression vers d'autres drogues. Je pense que cela fait une quinzaine d'années que je lis à peu près tout ce qui est publié sur cette question, et je pense que c'est une des premières fois qu'on entend, et je suis très fier de vous d'avoir souligné, que le produit n'a pas la capacité d'amener un individu à en consommer d'autres. Il y a beaucoup d'autres facteurs qui sont en jeu et faut les souligner.

Je passe maintenant à la page 4, aux effets du cannabis sur la santé. Quelques précisions: lorsqu'on parle de la psychose cannabinoïde, et caetera, il s'agit plutôt des problèmes d'ordre de santé mentale ou des structures psychiques de l'individu beaucoup plus que la propriété pharmaco-psychotropique du cannabis comme tel.

Donc, les différences individuelles sont beaucoup plus importantes que le produit lui-même.

Le président: Je vais vous arrêter tout de suite. On ne l'a pas mentionné dans le document parce qu'on ne voulait pas l'alourdir, on voulait qu'il soit concis. Les chercheurs, les gens avec qui on a tâché de définir l'usage régulier abusif, ont fixé à trente grammes par mois la quantité de drogue qui constituerait l'usage régulier abusif. Cela vous apparaît-il comme étant une bonne barrière?

N'oubliez pas que lorsqu'on parle des effets chroniques, ce sont les effets chroniques chez les usagers abusifs. Cela vous apparaît-il comme étant fiable?

M. Boudria: Non.

Le président: Parce qu'on essaie de valider cette donnée.

M. Boudria: On sait que la consommation, c'est un continuum. Donc, de non-consommateur à consommateur chronique, il y a là un continuum.

Le président: Oui.

M. Boudria: Ce que vous me demandez, c'est: est-ce que la consommation chronique peut se définir en fonction de la consommation d'un gramme de drogue par jour?

Le président: Oui.

M. Boudria: Moi, je dirais que c'est beaucoup plus que cela. On peut comparer cela à la consommation du tabac. Le tabac, on le consomme de façon compulsive du matin au soir. C'est cela une consommation chronique.

Trois fois par semaine et plus constituerait une consommation régulière. La consommation de plus d'un gramme par jour constituerait donc, selon moi, une consommation chronique.

Le président: Autrement dit, ce n'est pas un usage intensif?

M. Boudria: Non.

C'est un usager quotidien, oui. J'ouvre une petite parenthèse: que ce soit la consommation de n'importe quel produit psychotrope, la caféine, l'alcool et les autres, la consommation de psychotropes a un impact sur le sommeil, sur différentes parties des phases du sommeil, sur la récupération, sur la synthèse des protéines, et sur la facilité d'encoder de nouvelles informations.

En effet, si un individu consomme quotidiennement une substance qui a un effet sur son système nerveux central, il est évident que cela aura par la suite des conséquences au niveau de son humeur et ainsi de suite, que ce soit le cannabis ou autre chose.

Dans le rapport Kouchnes, en France, on a abordé le sujet du syndrome amotivationnel, et on n'a pas trouvé de résultats très concluants. C'est la même chose en ce qui a trait à la psychose cannabique. Serait-ce dû aux différences entre les structures psychiques des individus?

Est-ce que c'est quelqu'un qui, a priori, a des problèmes? Donc, on parle plus de vulnérabilité et de différences psychologiques. Et je pense que c'est important aussi de spécifier que cela varie énormément selon la dose.

En page 5, on parle des dépenses qui sont reliées à la criminalisation du cannabis. Ici aussi, j'ai été très satisfait de voir qu'on ose imprimer ces chiffres-là. Et je crois qu'on aurait l'appui des citoyens si on disait à la population qu'on est très concerné par toutes ces dépenses, surtout dans une période économique qui veut que toutes les dépenses soient justifiées.

Si on regarde le nombre d'arrestations et le montant que l'État dépense pour cela, je pense qu'il faut se poser des questions. Qu'on soit en faveur du libre arbitre de l'individu ou pas, je pense qu'il faut se questionner sur ces dépenses.

Plutôt que de faire une guerre à la drogue, pourquoi ne fait-on pas une guerre à la pauvreté ou au manque d'éducation, et ainsi de suite?

Je poursuis en page 6: «Les jeunes sont-ils victimes?» Ici, il faut faire attention. Tantôt, mon collègue, M. Germain, a justement souligné les chiffres. Je vous réfère, dans mon texte, à un document formidable du ministère de la Santé où on parle, justement, que l'usage des substances psychotropes ne signifie pas l'abus.

Et c'est un autre exemple qui va à l'encontre de l'hypothèse qui prévalait dans les années 1980 au sujet de la cocaïne et de l'héroïne. On disait qu'après un certain nombre de consommations, l'usager devenait automatiquement dépravé et dépendant, et qu'il se transformait en délinquant.

Cela revient à votre question au sujet de la chronicité. En ce qui a trait à toutes les substances psychotropes, dans 10 p. 100 des cas, on peut parler des effets nocifs, des conséquences au niveau de la santé physique, des relations interpersonnelles et des les activités ainsi que des frais qui sont encourus par l'État pour les traitements ou quoi que ce soit, ou encore pour la judiciarisation, et ainsi de suite.

Le président: Je vous interromps encore. C'est 10 p. 100 de la population en général, donc de tous les consommateurs, de tous les groupes d'âges?

M. Boudria: Oui, tout à fait.

Le président: Dans le document, comme vous savez, on a isolé les jeunes. Parce que chez les jeunes, cette proportion peut facilement augmenter jusqu'à 30 p. 100. On pense que c'est plus, mais c'est ce qu'on a comme donnée, et c'est pour cela qu'on a posé la question.

M. Boudria: Mais il est important de voir, à la page suivante, que la consommation se déplace dans le temps. La consommation, c'est un continuum. En effet, on peut dire que la consommation est plus élevée chez les jeunes de 15 à 25 ans. Mais, de façon moyenne, au bout d'un certain temps, et les babyboomers de la fin des années 1960 en sont un exemple, les gens décident de faire autre chose.

Une fois qu'on a consommé un produit, on n'est pas nécessairement voué à le consommer pour toujours. Il y a un déplacement de la consommation dans la population.

Je vous montrais la carte simplement pour vous expliquer que le seul psychotrope qui échappe à cette mesure du 10 p. 100 de dépendance est le tabac. Il y a moins de 5 p. 100 des consommateurs de tabac qui peuvent consommer le tabac de façon occasionnelle.

Pour les jeunes, je pense qu'il faut faire très attention à ce qu'on entend et ce qui est véhiculé comme information par les médias, parce qu'il ne faut jamais oublier l'exemple que je donne souvent: l'alcool au volant, la violence dans les écoles, la violence conjugale et l'inceste, je ne pense pas qu'il y en ait plus qu'avant. Je pense qu'on en parle plus qu'avant — c'est évident — mais je ne crois pas qu'il y en ait plus qu'avant. Il faut faire attention. Et je crois que la population aussi doit être très prudente lorsqu'elle lit les journaux, certains plus que d'autres, où on a tendance, justement, à mousser le phénomène.

Je poursuis, en haut de la page 7: «Le cannabis est une drogue, et à ce titre il est préférable de ne pas en consommer.» La consommation de drogues et de psychotropes, comme vous le savez, existe depuis le début de l'humanité. Il semble que l'être humain a un besoin fondamental de modifier son état de conscience. Les enfants, par exemple, qu'est-ce qu'ils aiment? Ils aiment se balancer, ils aiment s'étourdir. Et les adultes, eux, qu'est-ce qu'ils aiment? On aime des bons plats. On aime faire l'amour. On aime prendre de belles vacances. Bref, on aime toutes les choses qui sont reliées à notre système nerveux central et à notre psyché.

Il va de soi que consommer des drogues, c'est prendre des risques. Que ce soit le café, le tabac, l'alcool ou les médicaments, cela reste vrai. Mais il faut en même temps être conscient que prendre des risques, c'est une condition inhérente à l'être humain.

Pendant les deux minutes qu'il me reste, je vais m'attarder aux questions. Je pense que c'est très important de dire que les lois sur les drogues ne sont là pas pour protéger les citoyens, elles ne sont pas là pour la sécurité de la population. Je pense que les intellectuels le savent de plus en plus, car depuis une trentaine d'années, beaucoup de personnes se posent la question. Il faut réfléchir sur les origines des lois. Les origines, on les connaît: entre autres, Mackenzie King lorsqu'il était au ministère du Travail et, aux États-Unis, «The Marijuana Tax Act».

Au Canada, c'est avec «The Opium Act» de 1908 ainsi que toutes les campagnes anti-asiatiques de l'époque, que sont apparus tous les fondements des lois sur les drogues. Et ce n'est pas un hasard que les trois drogues, l'opium, la coca et la cannabis, sont des drogues qui viennent des pays en voie de développement. Il est évident qu'il y a là un autre rapport de force.

Je crois que pour avoir une politique cohérente, l'État doit parler de ces rapports de force, parce que les citoyens vont appuyer les dirigeants ou les législateurs qui osent se démarquer du modèle américain. Et je pense qu'il faut être fier, au Canada et au Québec, d'être un peu plus pragmatiques. On réalise que la guerre à la drogue, c'est quelque chose qui n'est pas efficace.

Je crois que c'est important, en même temps, de se questionner sur les intérêts. Les intérêts sont les mêmes. À l'époque, c'était des intérêts des personnes au pouvoir. Mais, là, aujourd'hui il faut se questionner: À qui servent ces guerres? Il ne faut jamais oublier qu'on offre sur un plateau d'argent, à chaque année, des milliards de dollars au Crime organisé, et qu'on paye en même temps leurs procès.

Encore une fois, c'est quelque chose de très contradictoire. On criminalise. Avec nos lois, on prolifère le crime. On expose les gens à une condition de consommation qui est plus dangereuse. Je passe sous silence le dommage d'un casier judiciaire pour un citoyen qui souhaite travailler, et cetera.

Je terminerai en parlant de la notion d'éthique. Comment ces rapports de force s'exerce-t-ils? Je pense que c'est là- dessus qu'il faut se questionner. Il faut prendre conscience que ces rapports de force et ces intérêts sont très complexes. Il ne faut jamais oublier que les recherches qu'on lit, bien souvent, sont parrainées par des groupes qui ont, eux aussi, des intérêts.

On doit tenir compte de cette réalité. Les lois sur les drogues n'ont pas comme but la promotion de la santé. Et je pense que le document démontre une grande ouverture à la promotion de la santé; c'est pourquoi j'étais très fier de le lire et d'être ici ce matin pour en parler.

Je vous trouve très audacieux. Félicitations!

Le président: Si nous vous avons restreint dans vos commentaires, écrivez-nous et ça va nous faire plaisir de vous lire. Il est possible que les recherchistes, à la lecture de votre document, soulèvent d'autres points. Et si vous avez des informations supplémentaires, écrivez-nous.

Il est possible qu'on vous envoie une lettre commune dans laquelle on énoncera les questions qui pourraient surgir.

M. Boudria: C'est bien.

Le président: Nous recevons maintenant de l'Université McGill, le docteur Mark Ware, professeur adjoint. Monsieur Ware, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. On essaie en tout de contenir dans trente minutes, à la fois votre présentation et les questions de mes collègues. En cours d'exercice, s'il y a des questions qui surgissent, je vous écrirai.

S'il y a des éléments d'information que vous jugez opportuns de nous faire parvenir après votre témoignage, vous pourrez le faire en m'écrivant, soit par courrier ou par courriel. Ces informations sont inclues dans le document de discussion.

Le docteur Mark Ware, professeur adjoint, Université McGill: Je m'excuse si je parle en anglais, c'est plus facile pour moi. Les conclusions, ici, sont très complexes.

[Traduction]

Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant le comité sénatorial. Je vous félicite pour le travail que vous avez entrepris et je suis heureux que cette importante étude soit menée ici au Canada. Je suis très heureux d'y contribuer.

Le comité nous a demandé d'examiner la politique actuelle sur le cannabis et d'envisager diverses options allant de la criminalisation de la possession de cannabis à sa légalisation complète. Étant donné que la politique sur le cannabis repose essentiellement sur des considérations liées à la santé, certains ont soutenu avec une certaine justesse que le cannabis doit continuer de relever du domaine de la santé et non du domaine du droit.

À titre de médecin spécialiste de la douleur et à titre de principal chercheur dans le cadre d'un essai clinique sur l'effet de l'inhalation du cannabis sur la douleur neuropathique chronique, j'ai été amené à réfléchir sur bon nombre des questions sur lesquelles se penche actuellement le comité. J'aimerais aujourd'hui vous entretenir de trois de ces questions: les conséquences de la politique sur les drogues et sur la recherche sur le cannabis, l'avenir de la recherche sur l'utilisation médicinale du cannabis au Canada et la légalisation du cannabis.

Parlons d'abord des conséquences de la politique sur les drogues sur notre compréhension du cannabis. Toutes les données portant sur les conséquences du cannabis pour la santé ont été recueillies dans le contexte de l'interdiction de la consommation de cannabis. Il s'ensuit que ces données sont susceptibles de manquer d'impartialité. Pour établir les effets du cannabis sur la santé, il importe de se reporter à des estimations portant sur la consommation de cannabis par une population en santé. Ainsi, lorsque Statistique Canada pose la question suivante lors d'un sondage aléatoire: «Avez-vous déjà fumé du cannabis?» ou «Avez-vous déjà fumé du cannabis et ensuite conduit une voiture?», la personne interrogée tiendra compte en répondant à ces questions du fait que le cannabis est une substance interdite. Il est bien connu que le taux de réponse des sondages portant sur la consommation de drogues illicites est très faible. Si nous ne savons pas vraiment qui consomme du cannabis, il nous est difficile de tirer des conclusions solides sur ses effets sur la santé. Comme il est impossible d'établir la valeur à attribuer à ce facteur, toute bonne étude cherchera à réduire son incidence le plus possible.

L'expérience m'enseigne cependant que des études reposant sur des critères de sélection inadéquats tirent parfois d'importantes conclusions sur les risques de la consommation de cannabis pour la santé. Il convient donc d'en être conscient. La question qui se pose n'est donc pas tant de savoir si la politique sur le cannabis a une incidence sur la santé, mais plutôt si cette politique a une incidence sur la façon dont nous comprenons les conséquences de la consommation du cannabis pour la santé.

Parlons maintenant des essais cliniques — «l'étalon d'or» en ce qui touche les preuves médicales. Beaucoup de chercheurs aimeraient faire des essais cliniques sur le cannabis. Il faut cependant s'entendre sur les termes. On ne fait habituellement aucune distinction entre le cannabis fumé, le cannabis vaporisé, la teinture de cannabis, les extraits de cannabis, les différents agents cannabinoïdes et les agents synthétiques. À quel type de cannabis songe-t-on lorsqu'on parle des effets du cannabis sur la santé?

Il y a presque trois ans jour pour jour, le ministre fédéral de la Santé a annoncé la mise sur pied d'un programme de recherche portant sur l'utilisation médicinale du cannabis. Ce programme comporte trois composantes fondamentales: la création d'un organisme fédéral de surveillance de la culture du cannabis; l'adoption d'un nouveau cadre réglementaire pour l'étude des demandes des patients voulant posséder et cultiver du cannabis à des fins médicinales; et la recherche clinique. Dans le cadre de ce programme, des fonds ont été réservés pour des essais cliniques portant sur l'utilisation faite par le cannabis de personnes atteintes du VIH/sida. D'autres fonds ont aussi été réservés pour des essais cliniques menés dans le cadre d'un processus d'examen par les pairs dirigé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Depuis le lancement du programme des essais cliniques il y a plus de trois ans, un seul essai a été financé par les IRSC, soit une étude pilote des effets de la consommation de cigarettes de cannabis sur la douleur neuropathique chronique. C'est moi qui suis le principal chercheur de cette étude.

De quelle façon la politique actuelle sur le cannabis a-t-elle influé sur les recherches que mes collègues et moi-même menons dans ce domaine? Au cours des deux dernières années, nous avons établi le plan d'une étude de grande qualité, obtenu les fonds voulus, reçu l'approbation du comité d'éthique ainsi que les approbations réglementaires nécessaires. Nous avons obtenu un permis pour appareil médical de catégorie 2, pour une pipe au hachisch. Nous avons construit un laboratoire pour permettre à des patients de fumer du cannabis à l'Hôpital Général de Montréal. Nous sommes prêts à aller de l'avant et il ne nous manque plus que du cannabis.

Le National Institute of Drug Abuse des États-Unis, le NIDA, s'est engagé auprès de Santé Canada à nous fournir le cannabis voulu. Le NIDA doit d'abord revoir le protocole de recherche qui doit ensuite être soumis au Department of Health and Human Services. Enfin, la Drug Enforcement Agency doit approuver l'exportation du cannabis vers le Canada. Il nous faudra au moins un an pour obtenir toutes les approbations voulues.

Nous attendons aussi que les autorisations voulues soient accordées aux exploitants canadiens qui cultivent du cannabis, lesquels essaient de s'assurer qu'ils comprennent bien nos exigences. Je suis sûr que Santé Canada déploie autant d'efforts que nous pour faire en sorte que ces essais aient lieu. Notre projet d'étude suscite beaucoup d'enthousiasme ainsi que des attentes élevées. On pense notamment que des études comme les nôtres permettront de trancher le dilemme clinique. Or, les petites études pilotes comme la nôtre ne permettront que de dégager les questions qui devront être examinées plus à fond dans le cadre d'études plus importantes. Ce n'est qu'après ces études qu'on pourra tirer des conclusions claires sur les effets du cannabis sur la santé. Il ne s'agit pour l'instant que de recherches tout à fait préliminaires.

Il faut évidemment commencer quelque part. Pour l'instant, je ne peux même pas, à strictement parler, peser un joint qu'un patient me montre pour établir sa consommation de cannabis sans commettre une infraction fédérale. J'ai la chance de m'occuper d'un petit nombre de patients qui ont consommé du cannabis et qui sont prêts à me faire part de leur expérience. Entre-temps, des milliers de Canadiens obtiennent du cannabis auprès de clubs de compassion. Ce sont ces clubs qui font vraiment des recherches stimulantes qui portent sur différentes souches de cannabis, sur les teintures et les extraits et sur l'utilisation de vaporisateurs qui sont susceptibles de constituer la meilleure façon de consommer le cannabis. Le réseau des clubs de compassion est en mesure d'offrir des renseignements utiles sur les effets du cannabis sur la santé, mais leur participation au processus n'est pas encouragée à l'heure actuelle.

Permettez-moi de terminer en essayant d'établir un lien entre l'usage du cannabis à des fins médicinales et son usage à des fins récréatives. On nous répète qu'il s'agit de deux questions tout à fait distinctes. Après y avoir bien réfléchi, je ne pense pas que ce soit le cas. Certaines des questions liées à l'utilisation médicinale du cannabis, comme celles de l'effet des diverses doses, n'ont clairement pas de lien avec la question de la politique publique, mais la plupart des données dont nous disposons sur l'effet du cannabis sur la santé nous proviennent de personnes qui ont consommé le cannabis à des fins récréatives. Les effets du cannabis sur la santé des êtres humains est un sujet qui a été étudié de façon approfondie, en partie grâce à la participation dans les pays occidentaux d'une cohorte de volontaires en santé. En fait, le cannabis est sans doute la drogue qui a le plus fait l'objet d'essais cliniques de phase I non officiels. La mise en oeuvre d'un programme de recherches cliniques ouvert et honnête ne peut que permettre de dissiper les faussetés qui ont été répandues avec tant d'ardeur au sujet des effets du cannabis sur la santé. Les résultats des essais cliniques peuvent ne pas s'appliquer à la consommation de cannabis à des fins récréatives, mais j'estime qu'ils auront un impact sur la politique générale en matière de cannabis étant donné, notamment, que toutes les recherches menées à l'échelle internationale visent à établir l'utilité médicinale de cette substance.

Il est bien évident que la politique sur le cannabis n'atteint pas son objectif initial. En effet, au lieu de nous protéger, elle nous nuit. Elle comporte un prix à payer qui est élevé aux plans des ressources et des conséquences sociales. Notre société doit changer du tout au tout la façon dont elle perçoit le cannabis. Au lieu de le considérer comme un fléau, nous devrions reconnaître que cette drogue est susceptible d'améliorer la santé de tous les êtres humains qui souffrent.

C'est peut-être déjà ce qui se produit d'une certaine façon. Le Cannabis sativa se cultive depuis des milliers d'années sous deux principales formes: sous la forme de drogue et sous la forme de fibre (communément appelée chanvre). Nous avons récemment modifié notre attitude à l'égard du chanvre et nous essayons maintenant de trancher la question de l'utilisation médicinale du cannabis. Les historiens concluront que ceux qui vivaient au XXe siècle se sont privés de l'herbe du jardin qui était la plus utile pour eux en se fondant sur des preuves scientifiques très minces et sur un raisonnement boiteux. Je ne peux qu'espérer que nous nous raviserons et je prie en ce sens.

En terminant, j'exhorte le comité à proposer un cadre de recherche sur le cannabis qui soit cohérent et transparent. Tout plan en vue de la production d'un médicament se fixe un objectif final qui est la mise en marché d'un nouveau médicament. Que voulons-nous faire dans le cas du cannabis? Je ne pense pas que Santé Canada ait une vision claire de l'objet des essais cliniques. L'objectif visé est-il de faire en sorte qu'on puisse acheter du cannabis à la pharmacie? Les études portant sur la cigarette de cannabis constituent-elles seulement un premier pas vers des études portant sur des préparations qui ne prendront pas la forme de cigarettes? Une stratégie de recherche doit reposer sur une vision claire des objectifs visés. Si le Canada décide également jusqu'où ira la politique sur le cannabis, il se situera à l'avant-garde des pays en matière de politique sur les drogues et créera un milieu véritablement propice à des recherches publiques ouvertes.

Le sénateur Banks: C'est exactement de ce type de stratégie dont nous discutons.

Le sénateur Maheu: Docteur Ware, vous avez dit que le cannabis pourrait aider à améliorer la santé de tous ceux qui souffrent sur notre planète. Comme les jeunes commencent à consommer du cannabis lorsqu'ils ont de 12 à 15 ans, soit dès la fin de l'école primaire ou le début de l'école secondaire, comment doit-on tenir compte de leur santé à eux? Vous êtes un chercheur. Que proposez-vous que nous fassions pour atténuer la douleur de ceux qui souffrent sans compromettre la santé des jeunes de 12 ans?

Dr Ware: Je pense que nous devons intervenir auprès des jeunes de 12 ans qui fument du cannabis de la même façon que nous intervenons auprès des jeunes de 12 ans qui fument du tabac, qui boivent de l'alcool ou qui s'adonnent à d'autres activités qui nous semblent comporter des risques. Nous devons les informer de ces risques. Nous devons pouvoir en discuter ouvertement avec eux dans un climat qui les incite à se livrer sans crainte d'être emprisonnés et d'avoir un casier judiciaire qui les suivra toute leur vie. Nous devons à tout le moins être reconnaissants envers les jeunes qui sont prêts à nous parler. Nous devons savoir aussi exactement ce que nous voulons leur dire au sujet des risques qu'ils courent.

Nous ne savons pas exactement ce qui survient aux jeunes adolescents qui font l'expérience du cannabis et qui cessent d'en consommer lorsqu'ils ont 24 ou 25 ans et qu'ils deviennent des médecins et des chercheurs, et je ne sais quoi d'autre. Pouvons-nous vraiment leur dire qu'ils ruinent ainsi leur santé ou qu'ils auront de mauvaises notes s'ils fument du cannabis. La seule façon de se faire une idée là-dessus, c'est de permettre le type de discussion ouverte dont je vous parlais. Ces jeunes ne vont pas pour l'instant parler des problèmes qu'ils connaissent parce qu'ils craignent d'être arrêtés.

Le sénateur Maheu: Je ne pense pas que les jeunes de 12 ans craignent vraiment d'être arrêtés. Je pense qu'ils parlent du sujet. Tous les enseignants que j'ai rencontrés m'ont parlé du problème de la consommation de drogues dans les écoles. Les jeunes consomment de la drogue de plus en plus jeunes. Je pense que les jeunes de 12 à 15 ans ne pensent pas du tout à la prison. Tout ce qui les préoccupe vraiment, c'est l'opinion que peuvent avoir d'eux leurs pairs. Ils veulent faire comme font les autres adolescents.

Oubliez la prison. Les jeunes de 12 ans ne craignent pas la prison. Pourriez-vous nous donner plus de précisions sur cette question?

Dr Ware: Vous m'avez d'abord demandé comment nous pouvions aider ceux qui souffrent sans compromettre la santé des élèves de 12 ans. Je connais des parents d'adolescents qui s'inquiètent beaucoup du fait que leurs enfants consomment du cannabis. Je ne nie pas que certains jeunes fument du cannabis du matin au soir. Je ne nie pas qu'il existe des jeunes qui voudraient réduire leur consommation. Je sais qu'il y a des jeunes de 12 à 14 ans dont la consommation pose des problèmes.

Ce que nous voulons cependant, c'est de faire en sorte que ces jeunes poursuivent leurs études et s'intègrent à la société. La recherche dont nous disposons ne nous permet pas vraiment de savoir comment les aider à le faire. Nous ne sommes pas vraiment en mesure de leur dire que la consommation de cannabis est inoffensive. Nous devons pouvoir discuter avec eux de façon sensée des risques et des avantages de cette consommation. Voilà ce à quoi doit servir la recherche.

Or, les préjugés que nous avons toujours eus au sujet du cannabis ont compromis l'impartialité des recherches que nous avons menées sur le sujet.

Le sénateur Maheu: Je vous remercie.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que puisque la politique sur le cannabis repose essentiellement sur des considérations de santé, on a pu soutenir avec un certain succès qu'il convenait que le cannabis continue de relever du domaine de la santé au lieu du domaine juridique. Je pense que si la politique reposait vraiment sur des considérations de santé, le problème que vous avez décrit ne se poserait pas. Or, cette politique repose davantage sur un jugement moral. Je crois que les gens ont été effrayés par un film datant de 1936 qui s'intitulait Reefer Madness et qui présentait le cannabis sous un jour tout à fait faux.

La perception du cannabis que reflète ce film constitue le fondement de la politique actuelle du Canada. Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'une politique, qu'il s'agisse d'une politique en matière de santé ou d'un autre type de politique, ne devrait pas reposer sur une telle attitude. Je ne faisais qu'une observation. Je ne sais pas si vous aimeriez dire quelques mots à ce sujet.

Dr Ware: Je n'ai jamais vu Reefer Madness, mais j'en ai beaucoup entendu parler. D'après ce que je sais des diverses étapes par lesquelles a progressé la politique sur le cannabis, il semblerait qu'elles aient presque toujours eu un lien avec des considérations de santé, qu'il s'agisse de santé psychologique ou psychiatrique, de folie ou de comportement criminel violent. J'essaie simplement de faire valoir que les considérations de santé doivent être fondées sur des données solides. Je suppose que l'objectif premier du gouvernement et des directions de la santé est bien de protéger la santé des Canadiens comme l'a énoncé il y a deux ans la Cour d'appel de l'Ontario dans une décision qu'elle a rendue. Si l'on replace la question de la consommation de cannabis dans le contexte de la santé, cela permet d'infirmer certaines conclusions erronées qui circulent depuis 50 ans.

Le sénateur Banks: J'espère que le moment viendra où tous les Canadiens examineront toutes les questions liées au cannabis — et d'autres questions connexes — sous l'angle de la santé. Je crains cependant que l'un des problèmes qui se posent, c'est que de nombreux Canadiens portent un jugement moral sur ceux qui consomment du cannabis.

Dr Ware: C'est juste.

Le sénateur Banks: Vous avez dit qu'il y avait un problème qui se posait dans la mesure où les risques sont calculés en fonction d'études qui reposent sur des critères de sélection inadéquats. Pourriez-vous nous donner des précisions à cet égard?

Dr Ware: Oui, mais je ne me reporterai pas précisément à cette étude. J'ai dit qu'il nous fallait savoir qui consommait du cannabis pour être en mesure de tirer des conclusions valables sur la question. Si l'on étudie le lien entre le fait de fumer du cannabis et le cancer du poumon, il faut non seulement étudier le cas de personnes qui ont consommé du cannabis et qui ont contracté le cancer du poumon, mais aussi celui de personnes qui malgré le fait qu'elles aient consommé du cannabis n'ont pas contracté cette maladie. On ne peut pas tirer la conclusion que le fait de fumer le cannabis cause le cancer parce que sur 100 patients dans un service qui sont atteints d'un carcinome des voies respiratoires, 50 p. 100 fumaient du cannabis.

Il faut qu'il y ait un groupe témoin. Dans toute bonne étude épidémiologique, le groupe témoin reflète la population dont il est tiré. C'est un principe fondamental de la recherche épidémiologique.

Si le groupe témoin se compose de donneurs de sang dont 10 p. 100 sont susceptibles d'avoir fumé du cannabis, l'évaluation des risques penchera très clairement dans un sens puisque le groupe compte cinq fois plus de fumeurs que n'en compte une population de donneurs de sang en santé. Or, les donneurs de sang ne sont pas représentatifs de la population générale. Ils sont probablement en meilleure santé que le citoyen moyen et ils donnent sans doute du sang parce qu'ils savent qu'ils sont en santé et qu'ils n'ont pas de comportements à risque.

Pour les fumeurs de cannabis, on tient compte du nombre de fumeurs qui existent dans la population. Je m'attendrais à ce que plus de 10 p. 100 des gens disent avoir fumé du cannabis dans un sondage mené auprès de l'ensemble de la population canadienne. Certains sondages révèlent qu'entre 30 à 35 p. 100 — et peut-être même davantage — des gens ont déjà consommé du cannabis sous une forme ou une autre.

Si je vois que seulement 10 p. 100 des membres d'un groupe témoin disent avoir consommé du cannabis, je me demande s'ils disent la vérité. Si c'est le cas, je me demande alors s'ils représentent bien l'ensemble de la population. Si vous concluez que 20 p. 100 des patients atteints du cancer du poumon ont déjà fumé du cannabis, le fait que le groupe témoin compte 10 p. 100 de fumeurs de cannabis ou 30 p. 100 importe beaucoup. Si le groupe témoin en compte 30 p. 100, ce qui refléterait le taux de consommation de la population en général — et que 20 p. 100 des patients atteints du cancer du poumon ont déjà fumé du cannabis, le risque change complètement et on peut dire que le fait de fumer du cannabis prévient le cancer du poumon puisque moins de membres du groupe témoin ont contracté cette maladie que ce qu'on constate dans l'ensemble de la population.

Il faut attacher beaucoup d'importance à tous ces facteurs. C'est la question fondamentale qui se pose lorsqu'on examine les conclusions de recherche étant donné qu'il est tellement difficile de recueillir des données auprès des personnes en santé. Or, nous prenons des décisions fondées sur ces données. Certains diront que le cannabis cause le cancer ou d'autres maladies, mais lorsqu'on examine soigneusement les recherches qui sont menées, vous seriez surpris de voir quels types de problèmes peuvent en ressortir.

Le sénateur Banks: Je pense que nous nous entendons tous pour dire qu'il faut poursuivre les recherches. C'est la conclusion qui ressort des témoignages que nous avons entendus, des témoignages qu'a entendus la Commission LeDain et sans doute aussi des témoignages qu'a entendus la Commission sur le chanvre indien en 1894. C'est une évidence.

Je parle maintenant en mon nom personnel. Je vais presser le comité de recommander dans son rapport que le gouvernement s'engage à entreprendre ses recherches ou à les financer parce que personne d'autre ne le fera. Les sociétés pharmaceutiques ne vont pas faire ce genre de recherches à moins que nous puissions leur accorder un brevet. Les milieux médicaux ne semblent pas s'intéresser de très près à la question. Sauf pour vous, les médecins semblent d'ailleurs assez réticents à l'égard de ce type de recherches. Je vais presser mes collègues d'adopter une recommandation très claire en ce sens.

La chose la plus importante que nous puissions faire est de mener des recherches à long terme sur des échantillons importants et qui reposent sur l'utilisation de méthodes scientifiques irréfutables. Comme vous l'avez fait valoir, le Canada pourrait devenir un chef de file dans ce domaine. Nous pourrions alors trouver réponse aux autres questions qui se posent. J'hésite beaucoup à ce que nous cherchions à répondre à certaines de ces autres questions tant que cette recherche n'aura pas été faite.

Dr Ware: Je vous assure que l'industrie pharmaceutique s'intéresse de très près au cannabis, aux cannabinoïdes et aux molécules. Elle étudie les timbres et les vaporisateurs. Le cannabis pourrait même être consommé par voie rectale. L'industrie pharmaceutique étudie aussi les molécules synthétiques et les vaporisations. Certains sociétés pharmaceutiques ont d'ailleurs déjà obtenu des brevets sur d'importantes parties du matériel génétique du cannabis pour établir les souches qui pourraient être les plus utiles.

L'industrie pharmaceutique est bien consciente du fait qu'une drogue qui combattrait la nausée, la spasticité et la douleur constituerait pour elle une véritable mine d'or. L'industrie se réjouit du fait que la recherche sur le cannabis ne semble pas intéresser beaucoup de gens parce qu'elle peut ainsi garder pour elle tous les renseignements qu'elle a recueillis.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que le Canada devrait faire en sorte que ces renseignements soient publics et ouverts et que nous devrions tous y avoir accès. À mon sens, il s'agit d'une plante d'une telle importance qu'on ne peut pas permettre que Monsato ou une autre entreprise pharmaceutique possède tous les brevets sur le chanvre et je ne sais quoi d'autre.

Par ailleurs, nous devons assurer notre subsistance. À mon sens, il y a suffisamment de cannabis pour tout le monde. Il reste encore beaucoup de questions sans réponse et beaucoup de recherches à faire. S'il y avait eu un suivi épidémiologique cohérent mené en 1972 après les travaux de la commission LeDain, nous serions en mesure, de 30 à 40 ans plus tard, de répondre à toutes les questions que vous avez soulevées.

Je ne veux pas que nous commettions la même erreur. Il faut agir. Il faut s'entendre tout de suite sur une stratégie de recherches claire et cohérente. Nous ne devons pas nous demander 20 ans plus tard si nous avons fait ce que nous devions faire.

Le sénateur Banks: C'est juste. Je sais bien que les appareils, les pilules, les timbres et les humidificateurs peuvent faire l'objet de brevets et qu'ils sont donc susceptibles d'intéresser l'entreprise privée, mais il faut aussi faire de la recherche sur les cinq plants de cannabis que je cultive peut-être dans mon sous-sol pour en établir l'effet et l'utilité.

[Français]

Le président: Docteur Ware, je me souviens d'avoir lu un sommaire de votre protocole de recherche. Vous avez soumis que le contenu en THC avait une importance dans l'évaluation des effets sur la douleur. Le Comité a entendu des témoins qui travaillent dans des différents Clubs Compassion au travers le Canada, principalement celui de Vancouver, où l'offre de produits est assez variée: une quinzaine de types de produits est offerte aux membres du Club. Et la teneur en THC est très variable, en ce sens que le cannabis peut parfois atteindre jusqu'à 25 p. 100 de THC.

Si je me souviens bien, dans votre protocole de recherche, on mentionnait moins de 8 p. 100 et plus de 8 p. 100.

Dr Ware: Huit pour cent, c'est le maximum.

Le président: Comment faire la relation entre votre recherche et les notions de la communauté des Clubs Compassion qui, selon moi, est la plus experte dans l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques? Cette communauté des Clubs Compassion, à travers le Canada et aussi aux États-Unis, semble beaucoup plus ouverte à utiliser des concentrations plus fortes.

Ma question est donc: quelle est l'importance du THC dans vos recherches et comment relier cela à ce qui se pratique déjà dans le milieu des Clubs Compassion?

Dr Ware: Je voudrais répondre en anglais,

[Traduction]

Dr Ware: Nous avons dû choisir le cannabis en fonction du contenu de THC qui nous était offert par les fournisseurs licites. Nous ne pouvions pas proposer un protocole prévoyant l'utilisation de cannabis qui ne proviendrait pas d'un fournisseur licite.

Lorsque j'ai préparé le plan de recherche, le gouvernement américain était le seul fournisseur auquel nous pouvions nous adresser. Le gouvernement américain fournit des joints contenant au maximum 4 p. 100 de THC. On m'a dit que la raison pour laquelle le gouvernement ne peut pas fournir des joints contenants davantage de THC, c'est que les machines utilisées pour préparer ces joints ne peuvent pas accepter du cannabis plus résineux comme celui qui contient des concentrations plus élevées de THC.

Je crois cependant comprendre que le gouvernement américain possède des réserves de cannabis contenant 8 p. 100 de THC. Je ne lui demande pas de m'envoyer des joints, mais seulement du cannabis en vrac dont nous pouvons faire des capsules. Nous sommes les premiers à avoir normalisé la dose consommée. Au lieu de changer la quantité de cannabis qui est fumée par le patient, on modifie la concentration de THC de ce cannabis.

Idéalement, ni le patient ni le chercheur ne savent quelle est la concentration de THC puisqu'il s'agit d'une épreuve à l'insu. On cherche ainsi à établir s'il y a un effet placebo crédible. En variant la concentration de THC, nous établissons si l'épreuve à l'insu fonctionne. Nous cherchons à établir si les patients savent que la concentration de THC est de 8 p. 100, de 4 p. 100, de 2 p. 100 ou de 0 p. 100. C'est la question essentielle qui se pose dans ce genre d'étude. Si nous constatons que les patients savaient quelle était la concentration de THC du cannabis qu'ils ont fumé, nous décidons d'augmenter l'échantillon et de renoncer à l'idée d'un placebo. Il s'agit d'une décision importante dans un essai clinique.

Pour répondre à votre question, l'étude portait sur des questions pragmatiques. Pour le moment, je ne puis vous dire que je sais ce que va donner le programme de culture canadien, pour ce qui est de la force des plantes. Je sais ce qui a été demandé dans le contrat; j'ai une idée de ce que l'on cultive là-bas. On a saisi des graines que l'on utilise et l'on va cultiver une plante qui contient plus de 20 p. 100 de THC. Est-ce important pour la recherche? Si nous pouvons normaliser cela et avoir des concentrations de 8 à 23 p. 100, magnifique, voyons les effets.

La teneur en THC a été poussée et nous avons maintenant des techniques qui permettent de cultiver du cannabis à beaucoup plus haute teneur en THC, essentiellement à des fins récréatives, parce que l'effet high est plus intense. J'ai une question importante. Je ne suis pas convaincu que tous les patients bénéficient nécessairement de cannabis à forte teneur en THC. Je crois que quelquefois, ce qu'ils recherchent, c'est quelque chose d'intermédiaire, qui produit l'effet du cannabinoïde sans provoquer un état super high et il est possible que trop de THC les mettrait dans un état anormal après seulement une petite bouffée.

Il faut que nous examinions la gamme, que nous découvrions la teneur en THC qui a le plus d'effet sur les patients. Nous ne pourrons le faire que lorsque nous aurons des éléments qui nous donneront une gamme un peu plus large. J'ai le sentiment, pour ce qui est de mon protocole, que 8 p. 100 de THC serait assez bien. Je crois que cela suffirait. En fumant un joint à 8 p. 100 de THC, on ressentirait quelque chose.

Je ne crois pas qu'il faille envisager quelque chose de faible, à 2 ou 3 p. 100, cela ne donnerait pas le même effet. Toutefois, à 8 p. 100, ce ne serait pas mal. Il faut voir si nous pourrons en trouver.

[Français]

Le président: Vous confirmez les témoignages entendus auprès des experts des Clubs Compassion quant au besoin au niveau du THC, qui diffèrent, justement, du marché commercial ou de l'accès pour des fins récréatives.

Dr Ware: Oui.

Le président: Vous connaissez l'opinion de l'Association Médicale Canadienne face à l'usage du cannabis pour à des fins médicales.

Dr Ware: Le CMA, oui, je comprends.

[Traduction]

Le président: Que pensez-vous de ce que l'on nous a dit ou de cette objection à ce que les membres signent ces formulaires pour obtenir l'exemption nécessaire pour avoir accès au nouveau système de réglementation? Avez-vous un avis là-dessus?

[Français]

La raison pour laquelle je vous pose la question, c'est que l'Association médicale canadienne base son opinion sur le manque de recherches cliniques.

Dr Ware: Oui.

Le président: Lorsqu'on examine l'histoire de la médecine des 150 dernières années, on comprend pourquoi la communauté médicale est avide de trouver des réponses presque uniquement dans les recherches cliniques. Je comprends cela. Mais comme vous êtes un joueur important dans la recherche clinique, il doit y avoir une compréhension des problèmes de l'un et de l'autre. C'est pour cela que je vous pose la question.

Dr Ware: Oui.

[Traduction]

Dr Ware: Un des groupes qui a parlé de l'Association canadienne de protection médicale, ACPM, a déclaré qu'il leur fallait attendre que des essais cliniques «tels que ceux de Montréal» soient terminés. Je peux dire tout de suite que mon étude ne va pas leur donner les réponses qu'ils souhaitent. Ils devraient le savoir, ils devraient savoir que des études pilotes ne peuvent être définitives. Qu'il faudra de cinq à dix ans avant qu'un programme de drogue ne puisse présenter un essai clinique clé définitif dans le contexte de la phase III.

Ce n'est pas notre étude qui donnera cela. Certains semblent avoir l'impression que cette étude pilote va fournir des réponses; le Collège des médecins du Québec en a parlé et a déclaré que c'est le genre de chose qui est nécessaire.

Je ne vois pas d'inconvénient à faire cela, mais je sais qu'il y a des médecins qui voient venir des patients qui leur déclarent: «Je consomme du cannabis, cela m'aide beaucoup plus que toute autre chose». Dans ces cas, tout ce qu'a à faire l'AMC, c'est d'informer ses médecins des risques et avantages, avec toutes les réserves que j'ai déjà indiquées.

Nous savons énormément de choses sur les risques potentiels. Il y a énormément de données non scientifiques et les patients ont des tas d'explications lorsqu'ils veulent justifier leur consommation de cannabis, surtout s'ils sont en phase terminale et qu'ils souffrent d'horribles douleurs chroniques. Il y a une façon de voir les choses et il suffit d'informer les médecins. On peut trouver les renseignements sur le cannabis et sur les risques que cela présente si l'on en cherche.

En réponse à l'AMC, l'information existe. Peut-être devrait-elle constituer un groupe cible et dire: «Voici ce que vous pouvez dire à vos patients, c'est fondé sur ce que nous savons». D'autre part, il faut essayer d'encourager le gouvernement fédéral à utiliser le processus d'exemption pour récolter certaines informations. Il y a eu l'année dernière quelque 780 patients; avec la nouvelle réglementation, je crois savoir qu'il y en a maintenant 250. Je ne sais pas ce qui est arrivé aux 500 autres. On a encore diminué le nombre.

Ce sont des patients qui en consomment depuis deux ou trois ans — légalement. On devrait remettre un protocole aux généralistes et spécialistes qui s'occupent d'eux et leur dire: «Voici votre patient, voici l'exemption, nous vous suggérons de voir le patient tous les trois mois pendant un an; puis tous les six mois, et ensuite de leur faire faire une radio après cinq ans...» On devrait systématiquement réunir des renseignements auprès des patients. Je suis sûr qu'ils seraient tous prêts à participer. Cela donnerait aux médecins la possibilité de récolter des renseignements utiles et de les centraliser. Nous travaillons actuellement à un protocole qui permettrait de faire cela, et nous allons le soumettre cet été à Santé Canada.

[Français]

Le président: Ce que vous expliquez, en fin de compte, c'est la relation normale, habituelle et régulière qui existe entre un médecin et son patient lorsqu'il tente d'identifier la dose optimale ou la plus bénéfique possible pour celui-ci.

Dr Ware: Oui, oui.

Le président: Il me semble qu'il n'y a rien de sorcier là-dedans. À ce que je sache, le dosage n'est pas une science exacte.

Dr Ware: C'est cela.

Le président: Chaque individu va réagir différemment à une quantité ou à un dosage.

Dr Ware: Oui.

Le président: Tout ce que la compagnie pharmaceutique offre, c'est la régularité de la dose.

Dr Ware: C'est exact.

Le président: Le dosage, c'est une question de relation entre le patient et son médecin.

Dr Ware: Mais, il y a plus...

Le président: L'Association Médicale Canadienne nous dit que leur plus gros problème, c'est de ne pas connaître les protocoles de dosage, comment traiter les doses. Et ce que vous nous dites, c'est que leur position est soit basée sur un manque d'information ou sur un manque de volonté de la lire.

Dr Ware: Oui. Il faut écouter les patients parce qu'ils peuvent dire exactement de quelle dose ils ont besoin pour le problème qu'ils ont.

[Traduction]

Il faut examiner les clubs compassion. Hilary Black a plus de 2 000 patients. C'est une source d'information quant aux genres de doses pour tel genre de maux; 2 000 patients est un chiffre ahurissant. Je viens de faire accepter un papier pour 15 patients pour lesquels j'essaie d'indiquer des doses. Il se trouve que ces doses sont relativement faibles — quelques bouffées par-ci par-là. Est-ce que l'on peut dire deux bouffées trois ou quatre fois par jour selon les besoins? C'est ce que l'on dit pour le Tylenol.

Il n'est pas nécessaire d'avoir un dosage exact, de dire qu'on en prend trois fois par jour, une dose exacte. On en prend un ou deux au besoin et on voit ce que cela donne. Si cela ne marche pas, on en prend un peu plus quelques heures plus tard. On en sait suffisamment sur la chimie du cannabis pour établir des dosages raisonnables, en tout cas pour ce qui est de la prise par inhalation. L'administration orale est un peu différente.

Nous avons ce qu'il faut, il s'agit simplement de réunir les informations. C'est ce qui me rend fou, cela existe déjà; l'AMC veut ces renseignements, nous pourrions les lui communiquer dans deux mois. Toutefois, on n'arrive pas à avoir les clubs, les médecins et suffisamment de gens que cela intéresse qui disent: «D'accord, faisons le nécessaire!».

Le sénateur Banks: S'il y a une réticence de la part des médecins à prescrire cette drogue, pensez-vous que ce soit une question d'assurance? Qu'il s'agisse du cabinet médical ou du médecin lui-même?

Dr Ware: Je veux préciser que je ne pense pas que l'on demande aux médecins de prescrire le cannabis. Qu'on leur demande d'appuyer la demande du patient auprès du gouvernement fédéral pour avoir accès au cannabis. Ce n'est pas la même chose que de rédiger une ordonnance pour une dose quotidienne. C'est différent. Les patients viennent dire qu'ils veulent en prendre et demandent aux médecins de signer un formulaire déclarant qu'ils ont essayé d'autres choses et que ceci pourrait les aider.

Cela dit, je crois en effet qu'il y a des médecins qui hésitent. Les organismes de protection des médecins ont déclaré qu'ils n'en savaient pas suffisamment sur les risques et avantages pour que les médecins puissent recommander cela à leurs patients ou appuyer leur demande. Ce qui est intéressant, toutefois, c'est qu'ils ont dit que les médecins renvoyaient leurs patients à d'autres médecins spécialisés en cannabis clinique. Qui sont-ils? Où est la base de données de ces spécialistes du cannabis?

Le sénateur Banks: En connaissez-vous un, à part vous?

Dr Ware: Pour mes patients qui ont des douleurs chroniques, je ne peux pas non plus appuyer leurs demandes dans le cadre de la réglementation actuelle. Je suis généraliste; la douleur n'est pas une spécialité au Québec. Je suis généraliste et je travaille dans un service antidouleur. Je ne peux appuyer une telle demande pour un patient qui souffre d'une douleur chronique dans le bas du dos, dans le cou, de douleurs du membre fantôme, ni pour la plupart des types de douleurs névropathiques chroniques. Je ne peux reconnaître leurs demandes parce que cela nécessite la signature d'un ou deux spécialistes pour ce genre d'indications et non pas d'un généraliste.

Le sénateur Banks: Il ne peut y avoir un tel spécialiste au Québec?

Dr Ware: Il n'y a pas de spécialiste de la douleur au Québec. On peut trouver des anesthésistes, des rhumatologues ou des neurologues. Il y a des tas de possibilités mais cela nous ramène à ce que vous disiez tout à l'heure, vont-ils accepter et risquer leurs primes d'assurance, ou la colère du Collège s'ils recommandent ce genre de choses?

Les médecins sont dans une situation difficile. J'en connais plein qui aimeraient participer et qui aimeraient assurer le suivi, en particulier s'ils avaient certaines lignes directrices à ce sujet.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que ce que nous devrions faire, c'est informer les médecins. Toutefois, il semble que ce ne soit pas le seul problème parce qu'ils sont limités par ailleurs par l'Association canadienne de protection médicale.

Dr Ware: On les a mis en garde, on leur a dit d'être prudents. Même l'ACPM devrait probablement être informée; l'AMC aussi. Ces gens devraient s'informer comme le fait votre comité: en entendant des spécialistes et des experts, en obtenant des explications et en prenant des décisions sur les risques et les avantages. J'espère que Santé Canada prépare des lignes directrices pour les médecins intéressés — au moins quelque chose sur ce qu'ils doivent dire aux patients et sur la façon de les suivre.

Le sénateur Banks: On peut donc dire que la profession médicale est l'un des éléments qui empêche de faire toute la recherche possible?

Dr Ware: Je ne dirais pas que c'est un obstacle. Je pense que c'est un défi à relever. Je suis ici parce que j'ai relevé nombre des défis en question. Très honnêtement, les gens avec qui je travaille à l'hôpital, à l'université et même dans la province me soutiennent. Je suis arrivé au Canada il y a trois ans, j'ai obtenu un permis pour exercer au Québec comme diplômé de médecine étranger — ce qui était déjà quelque chose en soi. Toutefois, on savait que c'était mon point fort et je pense qu'ils veulent des gens qui sont prêts à relever le défi et à dire: «D'accord, je vais étudier le cannabis à fumer».

Il y a des médecins qui sont intéressés. Nous avons un groupe — vous avez entendu Mary Lynch, du Canadian Cannabis Consortium l'année dernière. Il faut créer un cadre et donner aux médecins des outils pour faire le nécessaire.

Le sénateur Banks: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Ce fut un plaisir de vous recevoir ce matin, docteur Ware.

C'est possible que nos recherchistes aient d'autres questions à vous soumettre. Si oui, nous vous écrirons dans l'espoir de recevoir vos réponses.

Dr Ware: C'est très bien.

Le président: Nous recevons maintenant M. Serge Gascon, directeur adjoint au Service de police de la Ville de Montréal.

M. Serge Gascon, directeur adjoint du Service de police de la Ville de Montréal: Je suis directeur adjoint à la direction des enquêtes, responsable de toutes les unités d'enquêtes du Service de police.

C'est avec un grand honneur que je me présente devant vous pour parler de la situation qui prévaut sur le territoire de la Ville de Montréal relativement aux drogues illicites. Puisque votre mandat porte plus spécifiquement sur le cannabis, il me fait le plaisir de m'y attarder, et ce, dans le cadre de la situation montréalaise.

D'abord, je ferai un bref survol de la situation de Montréal quant à la vente de cannabis. Ensuite, je m'attarderai sur quelques données statistiques reliées aux accusations pour possession et trafic de cannabis de 1999 à 2002. Troisièmement, je ferai une brève incursion au chapitre des sentences reliées à de telles accusations. Quatrièmement, je présenterai la situation de plus en plus problématique des serres hydroponiques sur notre territoire. Et enfin, je conclurai en présentant la position du Service de police de la Ville de Montréal relativement à la légalisation du cannabis.

Permettez-moi d'abord de vous fournir quelques précisions relatives à mon implication personnelle dans le domaine de la lutte à la toxicomanie. De 1994 à 1995, j'ai été officier responsable de la Division de crime organisé au Service de police à l'époque de la Communauté Urbaine de Montréal. De 1995 à 2000, j'ai été membre du Comité permanent de la lutte à la toxicomanie, comité provincial qui sert de comité aviseur auprès du gouvernement du Québec sur tout le volet de la toxicomanie. Depuis l'an 2000 à ce jour, je suis membre du Comité «Drug abuse», un comité fédéral relevant de l'Association Canadienne des Chefs de police.

Parlons maintenant de la situation montréalaise. Montréal est et demeure la plaque centrale du trafic de stupéfiants pour la partie Est du Canada. L'accessibilité de nos réseaux, tant portuaires, aériens que routiers, font en sorte que le trafic de drogues illicites est florissant à Montréal. Le peu de temps qui m'est consacré m'empêche d'aborder en profondeur certaines considérations sociologiques favorisant cet état de fait: d'abord, les transformations sociales majeures, tels que l'éclatement des familles, le décrochage scolaire, les variations imprévisibles de l'économie et une certaine détresse humaine; ensuite, l'infiltration sans cesse pernicieuse du Crime organisé — pensons à la mafia traditionnelle, aux motards criminalisés, à la criminalité ethnique: latino, asiatique, jamaïquaine, haïtienne, entre autres; de plus, la recherche inlassable du gain facile que plusieurs individus comblent par la vente, l'importation du stupéfiants et plus récemment par la culture hydroponique de la marijuana.

Notre grande ville vit tout cela et nous devons composer avec cette réalité quelquefois désolante. À Montréal, il est presque impossible de dénombrer les points de vente de cannabis, qui peuvent se trouver dans de nombreuses écoles, dans presque chaque quartier, dans la majorité des établissements licenciés, dans plusieurs entreprises, dans nombre de stations de métro et dans plusieurs parcs.

À cet inventaire, il faut ajouter que lors d'événements spéciaux rassembleurs de grande foule, on y remarque une prolifération de vendeurs de stupéfiants. Pensons au Festival de Jazz, entre autres.

À ce jour, le prix du marché de la marijuana est de 2 300,00 $ la livre, ce qui représente sur la rue, environ 10,00 $ le gramme. Une plante de marijuana peut rapporter entre 1 000,00 $ à 1 500,00 $ par année. Évidemment, certains disent que les plantes ne sont pas toutes aussi prolifiques, mais c'est l'estimation qu'on en fait présentement. On peut donc d'ores et déjà comprendre l'engouement pour la culture hydroponique dont je parlerai plus tard.

Regardons maintenant quelques données quant aux accusations relatives à la possession et au trafic de cannabis. De 1999 au 30 avril 2002, dans la Ville de Montréal, il y a eu 599 accusations relatives à la possession de cannabis en 1999; il y en a eu 999 en 2000 et 1 309 en 2001; et depuis le début de l'année 2002, il y en a eu 318.

Pour ce qui est des accusations de possession dans le but de faire du trafic, il y a 166 accusations en 1999, 226 en 2000, 218 en 2001, et, jusqu'à date, 55 en 2002.

Bien que ces données démontrent une tendance à la hausse, une étude, entreprise par l'Association canadienne des Chefs de police, et dont les résultats n'ont pas encore été publiés, conclut que près de 80 p. 100 des accusations de possession de cannabis sont reliées à d'autres accusations, par exemple, un suspect de vol qualifié qui est en possession d'une quantité de cannabis lors de son arrestation.

Quant aux sentences, vu l'état actuel de l'administration de la justice pénale, nous constatons une banalisation évidente quant aux accusations de possession de cannabis. Un accusé sans antécédents peut obtenir l'absolution de la Cour pour une accusation de possession simple d'un gramme de cannabis, et ce, malgré le fait qu'un dossier criminel lui soit attribué.

Pour une même accusation, l'accusé ayant des antécédents judiciaires peut recevoir une amende de 100,00 $ ou l'ordonnance de débourser un don à un organisme de charité.

Pour ce qui est des accusations relatives à la culture hydroponique, dans ce domaine les sentences sont beaucoup plus sévères: de 500,00 $ à 1 000,00 $ pour une première offense sans antécédents, et une sentence d'emprisonnement pour les offenses ultérieures.

En ce qui a trait aux serres hydroponiques, ce problème prend de l'ampleur année après année. Depuis le début de janvier 2002, notre personnel a démantelé 42 emplacements et saisi 22 069 plantes de marijuana sur le territoire.

Selon une estimation conservatrice, chaque plante peut produire de la marijuana valant, comme je le disais tantôt, entre 1 000,00 $ et 1 500,00 $. Donc, pour les quatre premiers mois de l'année, ces productions ont rapporté plus de 20 millions de dollars sur le territoire de Montréal.

Si nous acceptons l'hypothèse que les services policiers ne saisissent que 10 p. 100 de la drogue sur le marché, nous pouvons facilement constater l'ampleur de la situation ainsi que l'attrait évident que représente ce marché. Selon notre Service de renseignements, les plantations hydroponiques sont majoritairement sous le contrôle des motards criminalisés et, de plus en plus ces dernières années, sous le contrôle du Crime organisé asiatique.

À titre de conclusion, je ne peux passer sous silence l'inquiétude que nous vivons face à une certaine détérioration de la société. Les services policiers affrontent une diversité de problèmes sociaux: la souffrance humaine, une criminalité de plus en plus violente et une désagrégation du tissu social. Certes, toute cette situation n'est évidemment pas seulement imputable à la consommation du cannabis, bien que la consommation n'existe pas sans le trafic de cette substance et qu'elle cause, à différents niveaux, des problèmes graves.

Avant de vous présenter la vision du Service de police de la Ville de Montréal relativement à la légalisation, j'aimerais soumettre quelques prémices. D'entrée de jeu, il faut souligner que la production et la vente de cannabis est un marché très lucratif pour le Crime organisé et, selon nous, c'est leur principale source de revenus.

Par ailleurs, si l'État s'accaparait ce marché par une production étatisée du cannabis, un marché noir se mettrait en place. Nous n'avons qu'à penser au marché souterrain du tabac et de l'alcool. Aussi, les services policiers se doivent de poursuivre leur lutte contre le Crime organisé: celui-ci est de plus en plus puissant, de plus en plus prospère, telle une pieuvre qui étend ses tentacules.

Pour combattre cette machine criminelle organisée, les services policiers ont besoin d'outils et les lois font partie de ces outils. Permettez-moi de vous donner un exemple qui illustre très clairement notre vision des choses.

Un réseau de vente de cannabis s'installe dans un quartier de Montréal. Ce réseau, généralement sous l'emprise du Crime organisé ou des motards criminalisés, met en place ses vendeurs, ses distributeurs et ses points de vente. Une fois ce réseau installé, de façon très discrète, évidemment, les citoyens commencent à porter plainte au Service de police et c'est surtout pour cause de désordre public. Ces plaintes sont souvent dues à l'achalandage accru dans un appartement, en soirée ou durant la nuit. Le tout débute par un désordre public. Pensant qu'un réseau de vente s'est installé, les policiers planifient alors de perquisitionner l'endroit, et ce, afin de démanteler le réseau. Ils ont donc besoin de procéder à l'arrestation du vendeur qui opère à partir de cet appartement.

Afin de perquisitionner l'appartement, les policiers ont besoin d'un mandat d'un juge. Or, il faut démontrer au juge qu'il y a un trafic d'une substance illicite à cet endroit. Pour parvenir à démontrer cet état de fait, les policiers observent le va-et-vient et procèdent à l'arrestation d'un premier client en possession d'une quantité de stupéfiants.

Après avoir arrêté trois ou quatre clients qui sont tous en possession de la même substance et généralement dans le même type d'emballage, les policiers obtiennent un mandat de perquisition. Or, pour pouvoir arrêter ces trois ou quatre clients, les policiers ont besoin d'une loi interdisant la possession de stupéfiants. Sans cet outil, la loi, le client pourrait envoyer promener le policier désireux de rétablir la paix et répondre aux attentes des citoyens.

Nous sommes d'avis que toute forme de légalisation enlèverait les outils nécessaires aux services policiers pour lutter contre l'envahissement toujours croissant du Crime organisé, qui est très impliqué dans la vente de stupéfiants.

Enfin, en 1995, le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal a préconisé auprès du Comité permanent de lutte à la toxicomanie une approche qui se lit comme suit:

Que dans les cas de possession simple de cannabis, la déjudiciairisation [...]

Et, en passant, cela peut aussi s'appeler la non-judiciairisation, si le procureur n'est pas impliqué. Alors, je reprends:

Que dans les cas de possession simple de cannabis, la déjudiciairisation devienne la solution privilégiée à l'ensemble du Québec, toutes les fois où les intervenants mis en cause, procureurs, policiers, intervenants socio- communautaires, en concertation et dans une optique de résolution de problèmes, estiment que cette approche est la plus appropriée [...]

Permettez-moi de déroger du texte pour vous donner un exemple très bref: il n'est certes pas avantageux pour la société de judiciariser un étudiant du secondaire 3 qui se fait arrêter pour possession de deux joints. À l'heure actuelle, une intervention est faite auprès du jeune en question par le responsable de l'école, par le policier sociocommunautaire, par l'intervenant sociocommunautaire de l'école en question, sans nécessairement judiciairiser. C'est l'approche qu'on privilégie, une approche de non-judiciairisation, sans pour autant dire au jeune qu'il peut continuer comme avant.

Pour les services policiers, le consommateur ne constitue plus une cible à atteindre. L'objectif ultime demeure le Crime organisé, et seules les lois aidantes peuvent nous permettre de poursuivre cette lutte à armes presque égales.

Je pense que savez que le Comité permanent a déposé plusieurs documents dont, entre autres, un avis sur la déjudiciairisation de possession simple de cannabis.

Le président: Merci, monsieur Gascon. J'aurais quelques questions. On a un peu l'impression de tourner en rond. Le Crime organisé finance, et votre témoignage le démontre, le gros de ses revenus à partir des stupéfiants et donc, l'illégalité du produit crée ce marché-là. On a une sorte de cercle vicieux. Est-ce qu'on va réussir à s'en sortir?

Croyez-vous que vos efforts comme policiers seraient beaucoup plus appropriés dans d'autres champs d'activités d'enquêtes que dans celui du marché des stupéfiants?

M. Gascon: C'est évident. Et je l'ai mentionné tantôt, une forme de légalisation ferait en sorte qu'il se créerait un marché noir. Présentement, dans le cannabis saisi à Montréal, le THC est au-delà de 25 p. 100. C'est ce qui est sur le marché.

Si on légalisait une forme de vente étatisée de cannabis ayant un contenu de THC équivalant à un maximum de 8 p. 100, il est évident que plusieurs personnes désireraient un taux de THC plus élevé.

Le président: Ce n'est pas ce que M. Ware nous a dit. Il nous a dit qu'il fait son protocole de recherche avec 8 p. 100 de THC parce que l'accès à un produit légal ne peut pas être plus élevé. On est bien familier avec les taux de THC. D'ailleurs, je vais vous laisser terminer votre réponse, mais vous allez devoir nous dire d'où vous tenez vos informations. Avez-vous des études? Comment ont été faites ces évaluations-là et ces examens-là en laboratoire? Est-ce que c'est fait tout le temps ou de façon sporadique? On a besoin de savoir cela. Parce qu'on sait ce qui se fait ailleurs dans d'autres provinces et on veut être sûr de ce qui se fait à Montréal.

M. Gascon: Pour répondre à votre question, il est clair qu'on mentionne souvent que les services police n'arriveront jamais à bout de lutter contre le Crime organisé. Et le Crime organisé est très impliqué dans le trafic de toutes les formes de stupéfiants, pas seulement le cannabis.

Est-ce que le fait de légaliser ferait en sorte que le Crime organisé changerait d'activité? Je ne le crois pas. Je ne pense pas que le Crime organisé abandonnerait un marché très lucratif et dont il a présentement le contrôle.

Dans un deuxième temps, il est clair qu'aux services policiers, nous essayons de changer notre approche. Et je suis prêt à l'avouer très honnêtement, dans le passé, on s'attardait à tous les de consommateurs, à toutes les personnes qui possédaient. Présentement, on n'a plus les ressources, on n'a plus même l'objectif de vouloir cibler les consommateurs.

Mais le consommateur devient quand même un filon à l'intérieur d'une recherche pour établir un réseau, pour monter plus haut. Donc, c'est pour cela qu'on parle d'une approche de non-judiciairisation ou de déjudiciairisation pour un consommateur.

Le président: C'est la première fois que j'entends cet argument négatif: qu'une des raisons pourquoi on devrait maintenir la prohibition, c'est que cela nous donne accès, finalement, à des informateurs indirects, sans le vouloir. En arrêtant un possesseur, on permet de remonter jusqu'à son fournisseur.

Dans les cas de possession d'alcool frelaté, que faites-vous?

M. Gascon: Au niveau de l'alcool, présentement, c'est une question de timbres. Toute la judiciairisation est faite au niveau des timbres. Et on fait l'enquête à partir d'une possession d'alcool non timbré. Donc, on s'attarde à l'alcool non timbré, qui est une substance illégale.

Le président: Bien, à ce moment-là, poussons le raisonnement à la limite: des timbres, on en a sur les paquets de cigarettes, on en aurait sur les produits contrôlés du cannabis.

M. Gascon: Cela voudrait dire qu'il faudrait légaliser tout le volet illégal ou de réglementer la possession de cannabis illégal sur le marché, comme on fait avec l'alcool actuellement, pour faire en sorte qu'on puisse lutter contre le marché noir.

Le président: C'est ça. Nous poussons le raisonnement au maximum. Hier, un témoin a parlé du vin. Comparons cela au vin. Au Québec quelqu'un peut faire du vin dans son sous-sol pour sa consommation personnelle. Il peut en donner à ses amis, mais il ne peut pas en vendre, n'est-ce pas?

M. Gascon: Non.

Le président: S'il veut faire le commerce du vin, à ce moment-là, il lui faut un permis de la Société des alcools. Et vous, comme policiers sur le territoire de la Ville de Montréal, vous avez un rôle à jouer dans le respect de toutes ces lois-là.

M. Gascon: Bien, à l'heure actuelle, on a démarré un programme «Accès» avec les gens de la GRC et la Sûreté du Québec pour tout ce qui touche le tabac et l'alcool. Il a fallu établir des groupes parallèles d'enquêteurs et investir des sommes considérables pour être capables de retracer ceux qui font de l'alcool frelaté ou ceux qui font du trafic de tabac. C'est encore illégal.

Le président: Oui.

M. Gascon: Et, présentement, je peux vous dire qu'on a de la difficulté à mettre sur pied les enquêtes qu'on désire.

Le président: Attendez, de la difficulté à obtenir des résultats ou à mener des enquêtes?

M. Gascon: Non, de faire des enquêtes. Et c'est un problème majeur puisqu'il y a confusion entre ce qui est légal comme substance et ce qui est illégal, donc la partie frelatée.

Le président: Je vais vous demander la question de ma collègue le sénateur Maheu: quel est le moins dangereux des deux, l'alcool frelaté ou le cannabis?

M. Gascon: Je ne peux pas me prononcer sur ce qui serait moins dangereux médicalement.

Le président: Parce que tout à l'heure vous nous avez parlé d'un taux de THC de 25 p. 100. Et votre témoignage semblait démontrer que c'était dangereux. La question de ma collègue est donc très appropriée.

M. Gascon: Je vous avoue très honnêtement que je ne peux pas me prononcer. Je ne voudrais pas m'aventurer dans l'aspect médical, je ne m'y connais pas. Il est clair que, pour nous, la consommation de drogues est différente de la consommation d'alcool. Cela n'empêche pas les problèmes reliés à l'alcool. La société admet qu'il y a des problèmes reliés à l'alcool. On n'a qu'à regarder tous les coûts reliés au problème de l'alcoolisme.

Je ne vous dis pas nécessairement de réglementer l'alcool au point de le rendre une substance illégale.

Le gouvernement du Québec commence à investir des millions de dollars pour empêcher le jeu pathologique. Ils ont mis en force une régularisation au niveau du jeu pathologique.

Le président: Nous faisons une différence fondamentale entre les usagers et ceux abusent d'une substance. Nos préoccupations quant aux effets négatifs sont surtout reliées aux usagers qui abusent de la substance. Je présume que quand vous faites le lien avec le jeu pathologique, vous ne faites pas allusion à toute la clientèle...

M. Gascon: Non.

Le président: ... du jeu mis en place par les autorités provinciales, mais plutôt à ceux qui ont un problème de dépendance. Je présume que c'est cela.

M. Gascon: Exactement.

Le président: Vous parlez de la valeur marchande du cannabis hydroponique. J'ai fait un calcul rapide: environ 600 millions de dollars sur le territoire de l'Île de Montréal. On a de la difficulté à réconcilier tous ces chiffres pour comprendre la valeur marchande du cannabis. Cela donnerait une sorte de point de repère quant au rapport qualité/ prix entre l'investissement en argent public comparativement à la recherche ou la cible à atteindre.

Alors, 600 millions de dollars, est-ce que c'est à peu près cela?

M. Gascon: Bien, en fait, si on accepte le principe que nous, nous ne saisissons que 10 p. 100...

Le président: Oui, je l'extrapole.

M. Gascon: Alors, si on accepte ce principe-là, c'est l'estimation qu'on en fait actuellement. Et je me base uniquement sur le fait que la plante peut produire uniquement 1 000,00 $ de cannabis. Cela peut aller jusqu'à 1 500,00 $ par plante, mais j'ai pris le chiffre minimal.

Le président: Il y a combien de policiers qui sont préposés à la lutte contre les stupéfiants dans votre Service?

M. Gascon: On n'a pas de policiers directement préposés à la lutte contre les stupéfiants.

Le président: Il n'y a pas d'escouade?

M. Gascon: On a une escouade, la Division du crime organisé.

Le président: Très bien.

M. Gascon: Et depuis plus d'un an, on s'attaque à l'ensemble des problèmes reliés à l'infiltration du Crime organisé, entres autres, les stupéfiants. L'escouade de la Division du crime organisé comprend plus de 200 policiers, qui s'attaquent autant aux fraudes faites par les gens du Crime organisé, aux réseaux de vols de véhicules moteurs à grande échelle, donc à tous les éléments de la criminalité, entre autres, ceux qui ont trait aux stupéfiants.

Et je vous avouerai que dans l'ensemble des crimes reliés au Crime organisé, il y a un volet stupéfiants qui apparaît en permanence. Il y a une espèce de constance.

Le président: Autrement dit, tous les policiers doivent être à l'affût de cela?

M. Gascon: Oui. Et les policiers sont à l'affût de tous les autres crimes reliés à la possession de stupéfiants ou à la vente de stupéfiants, par exemple le désordre public relié à la consommation ou à la vente de stupéfiants.

Le président: Lorsqu'il y a une arrestation pour la possession, je comprends que dans certains cas il y a des arrestations pour plus que la possession, mais on reviendra à ça tout à l'heure.

Mais lorsqu'il y a arrestation, y a-t-il automatiquement une prise d'empreintes?

M. Gascon: Cela dépend de la quantité saisie. Si c'est moins de trente grammes, il n'y a pas de prise d'empreintes, pas de prise de photos. C'est ce que la nouvelle loi préconise. Et s'il n'y a pas prise d'empreintes, il y a quand même un volet judiciaire, il y a un dossier qui est ouvert, mais il n'y a pas de prise d'empreintes ni de photos.

Le président: S'il y a prise d'empreintes, qu'arrive-t-il à cette information si la personne est acquittée?

M. Gascon: Dès qu'une personne est acquittée, tout est effacé. Il n'y a plus de dossier.

Le président: Quand vous prenez ces empreintes, êtes-vous les seuls à conserver cette information ou est-elle diffusée à l'intérieur des autres services policiers?

M. Gascon: La première prise d'empreintes demeure au Service de police. Au moment où la personne est trouvée coupable, cette prise d'empreintes, avec le dossier, est diffusée à la banque centrale de la GRC.

Le président: Pour ce qui est des Clubs Compassion, vous savez qu'à Vancouver il en existe un depuis plus de six ans. À Vancouver, la relation avec les policiers n'a pas toujours été harmonieuse. Selon les gens qui gèrent le Club Compassion de Vancouver, cette relation est aujourd'hui beaucoup plus positive.

Vos collègues de Vancouver vous ont-ils déjà parlé de leur relation avec le Club Compassion?

M. Gascon: Non. Personnellement, je n'ai pas eu de contacts avec les gens de Vancouver. Lorsque le Club Compassion de Montréal a ouvert ses portes, nous avons eu, nous-mêmes, une position à prendre. Nous avons même contacté les gens du ministère de la Justice et du ministère de la Sécurité publique pour voir quelle serait leur position, parce qu'il y a un volet médical rattaché à cela, et aussi une ordonnance, une acceptation ou une autorisation d'un ministre fédéral. On parle donc de quelque chose qui est déjà réglementé et déjà contingenté.

Notre position a toujours été la même pour le Club Compassion. Nos préoccupations visaient la qualité du produit qui circulait. Le volet médical était évident parce qu'on savait très bien que l'objectif d'un Club Compassion, c'est d'exercer de la compassion pour le public. Et les gens sont sympathiques à une telle cause parce qu'il y a des gens qui souffrent. Il y a autorisation du gouvernement fédéral.

Pour nous, ce qui nous importait, c'était la qualité de la marchandise qui circulait. Qui rôdaient autour du Club Compassion. Est-ce que c'était des vendeurs? Les gens reliés au Crime organisé? Et nous avons toujours dit aux gens que nous avons rencontrés au niveau du ministère qu'il y avait comme une espèce de zone grise qui avait été créée par la loi qui semblait dire: on t'autorise à en prendre. Tu peux la planter toi-même, mais si tu en achètes, on ne sait pas où tu l'achètes.

C'est clair qu'il y a une espèce de zone grise. Où la personne peut-elle se le procurer une fois qu'elle a reçu l'autorisation du ministre?

Le président: Le règlement est très précis sur l'accès, en ce sens qu'on parle toujours de l'accès légal ou autorisé par le règlement.

M. Gascon: Autorisé.

Le président: La structure du règlement est telle qu'on présume que ceux qui en ont besoin vont le cultiver eux- mêmes.

M. Gascon: Cultiver, oui.

Le président: Pour eux, c'est la règle de base. L'exception, c'est si la personnne ne peut pas en cultiver. À ce moment- là, elle a accès à des producteurs, je dis bien des producteurs, qui peuvent en produire pour un nombre très limité de personnes.

M. Gascon: Oui.

Le président: Et c'est prévu dans le règlement.

M. Gascon: Mais, dans les faits, présentement, les individus se procurent de la drogue, mais on ne sait pas où ils se la procurent. Et les gens du Club Compassion, on ne sait pas encore où ils se procurent leurs substances.

C'est la question que nous posions. Et nous avons toujours dit que, du moment qu'on assure un certain encadrement tant médical que sécuritaire autour des Clubs Compassion, nous n'avons aucune objection aux Clubs Compassion, puisqu'ils sont autorisés à des fins médicales.

Le président: Si je comprends bien, vous ne vous objectez pas au principe de la compassion?

M. Gascon: Absolument pas.

Le président: Ce que vous voulez, c'est que, premièrement, l'organisation criminelle ne fasse pas partie et ne soit pas partie prenante de près ou de loin, directement ou indirectement, avec cette opération de compassion?

M. Gascon: Ça, c'est clair.

Le président: Bon. Maintenant, la qualité du produit vous préoccupe. Et là, on revient au fameux THC de tout à l'heure et à ma question en suspens sur les analyses en laboratoire. Quelle sorte de processus d'évaluation avez-vous de cette qualité ou de cette teneur? Comment cela fonctionne-t-il? Avez-vous un registre central des saisies?

M. Gascon: À toutes les fois qu'une substance est saisie, on la fait analyser au bureau médico-légal. C'est l'analyse qui détermine les taux de THC.

Le président: Est-ce fait par un organisme provincial?

M. Gascon: Oui.

Le président: D'accord. Et quand vous parlez du taux de THC de 25 p. 100, cela provient de ces mêmes analyses?

M. Gascon: Oui. À l'heure actuelle, ce qu'il y a sur le marché contient un taux de THC encore plus élevé que 25 p. 100.

Le président: Donc, lorsqu'un dossier chemine vers un procès contesté, qu'un accusé a plaidé non coupable, je présume que c'est à ce moment-là que vous envoyez le produit de la saisie à l'analyse?

M. Gascon: Il faut démontrer, avec preuves à l'appui, donc, au moyen d'une analyse scientifique, la nature exacte du produit qui a été saisi.

Le président: Il peut se passer combien de temps entre le moment de la saisie et le moment où la personne plaide non coupable?

M. Gascon: De mémoire, c'est environ un mois et demi ou deux mois.

Le président: Pensez que la façon dont le produit est entreposé peut affecter la teneur en THC?

M. Gascon: Selon moi, non. Mais il faudrait poser la question à un scientifique.

Le président: Revenons au Club Compassion. La qualité du produit vous préoccupe?

M. Gascon: La qualité et l'encadrement sécuritaire.

Le président: Bon. Vous avez parlé du taux de THC de 25 p. 100; certains témoins ont même parlé de 32 p. 100. Y a- t-il, pour vous, une limite à ne pas franchir?

M. Gascon: Je ne sais pas.

Le président: Ce qui vous préoccupe, c'est l'accès et le contrôle du produit lui-même?

M. Gascon: Ce qu'on a constaté, c'est qu'année après année, le taux de THC, quand on a fait faire les analyses, a augmenté. Et il est clair que la substance présentement sur le marché n'est pas la substance qu'on voyait il y a dix ans. Alors le taux de THC a augmenté. Et on s'est dit que si le taux de THC est plus élevé, cela devient une drogue plus dure, et donc, avec des effets plus considérables.

Quand on arrête des gens qui sont sous l'effet de quelque drogue que ce soit suite à un vol qualifié, on constate que leur comportement n'est certainement pas le même que celui d'un individu qui n'est pas sous l'effet de la drogue. Et j'inclus l'alcool dans cela. L'individu qui commet un crime sous l'effet de l'alcool n'a pas le même comportement que celui qui est complètement sobre.

Le président: Je vais revenir au Club Compassion. Certains témoins nous ont dit que dans les Clubs Compassion, et je prends celui de Vancouver comme exemple, le menu est beaucoup plus élaboré. Ils peuvent offrir à leurs membres une quinzaine de produits de cannabis ayant divers degrés de teneur en THC.

Selon les besoins du membre, de sa maladie ou de sa morphologie, il choisira un produit plus ou moins fort, basé sur sa tolérance ou sur l'effet recherché.

M. Gascon: Tout à l'heure, le Dr Ware nous disait que ce n'est certainement pas le médecin qui va prescrire un taux de THC. C'est dicté par la réaction du patient.

Le président: D'accord. Maintenant, si on imaginait, pour les fins de notre discussion fort intéressante, un régime d'encadrement d'un Club Compassion, par exemple celui de Montréal, seriez-vous d'accord avec cela? En autant que les groupes criminalisés sont exclus du processus, vous n'auriez pas de problème avec cela?

M. Gascon: J'ai parlé de deux critères tantôt: premièrement, la qualité de la substance. Il doit y avoir un encadrement médical ou scientifique pour vérifier ce qu'on offre comme produit. Et deuxièmement, le volet criminel ou le volet de sécurité a toujours fait partie de notre position vis-à-vis les Clubs Compassion.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Vous avez indiqué que pour la possession de moins de 30 grammes, on ne prend pas d'empreintes digitales?

M. Gascon: Moins de 30 grammes.

Le sénateur Banks: 30?

M. Gascon: Oui.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que c'était en vertu de la nouvelle loi. De quelle «nouvelle» loi parlez-vous?

M. Gascon: Je vais vous donner le renseignement exact.

Le président: Mon collègue n'était pas au Sénat lorsque nous avons adopté cela en 1996.

[Français]

M. Gascon: C'est la loi réglementant certaines drogues et substances qui est en vigueur depuis le 14 mai 1997.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Vous parlez donc de la loi actuelle?

M. Gascon: Oui.

Le sénateur Banks: Merci. Étant donné le choix odieux et idiot entre la consommation récréative de l'alcool et de la marijuana, y en a-t-il une qui est plus dangereuse que l'autre? Je ne vous demande pas un avis officiel; je vous demande votre avis personnel.

[Français]

M. Gascon: Je vais vous parler de ma propre expérience policière. Je suis entré au Service policier en 1973. À l'époque, c'était assez rare qu'on arrête des individus qui étaient sous l'effet de la drogue au moment de commettre le crime. Aujourd'hui, et je ne parle pas seulement de cannabis, certains sont sous l'effet de la cocaïne ou de d'autres drogues, et il est clair que dans certains cas, leur comportement est devenu beaucoup plus violent.

Le président: Monsieur Gascon, vous parlez simultanément de cannabis et de cocaïne. Pour nous, ce sont deux mondes à part. Les gens qui ne sont pas initiés, autres que vous et moi, vont faire le lien en les mots «cannabis» et «violence» et penser que tout cela est générateur de violence. Est-ce que c'est cela que vous êtes en train de nous dire?

M. Gascon: Non, non. Je vous dis que ce que nous avons constaté lors de nos interventions policières, c'est que les gens qui sont sous l'effet de la drogue, quelle qu'elle soit, sont plus violents.

Quant à pouvoir vous dire que cela est dû à la cocaïne ou à l'héroïne plutôt qu'au cannabis, je ne fais pas de distinction. Il y certainement une différence quant aux effets des drogues. Mais ce que nous avons constaté aux services policiers, pour répondre à votre question, c'est une différence dans le comportement de ceux qui ont consommé de l'alcool comparativement à ceux qui ont consommé de la drogue.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Pas de la drogue mais du cannabis en particulier. Vous venez de parler du type qui reçoit sa paye, s'enivre et frappe sa femme. Personnellement, avez-vous jamais entendu parler de quelqu'un qui se met dans un état «high» en prenant du cannabis et fait mal à quelqu'un?

[Français]

M. Gascon: Non. Je ne peux pas vous répondre.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Le cannabis ne mène pas à la violence?

[Français]

M. Gascon: Non, parce que j'ai lu que, en général, le cannabis rend les gens plus calmes. J'en suis très conscient. Je parle des effets de la drogue, et il y a des gens qui vont consommer plusieurs drogues différentes. Pour nous, il est très difficile de déterminer si quelqu'un a consommé seulement du cannabis. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il est sous l'effet de la drogue.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Notre étude pour le moment porte spécifiquement sur le cannabis.

M. Gascon: Je comprends.

Le sénateur Banks: Je voulais établir cette distinction: le gars qui reçoit sa paye le vendredi soir et se met dans un état «high» avec du cannabis n'est pas porté à aller frapper sa femme?

M. Gascon: Oui.

Le sénateur Banks: Merci.

[Français]

Le sénateur Maheu: Le Crime organisé vous cause d'énormes problèmes et cause des problèmes énormes dans notre société. Si le cannabis était décriminalisé, cela ne vous donnerait-il pas moins de travail au niveau du Crime organisé? Je n'en suis pas convaincue.

Est-ce que le marché noir va vous donner autant de travail et autant d'inquiétudes que la vente du cannabis vous donne à l'heure actuelle?

M. Gascon: Je vous répondrais par une question: le Crime organisé actuel serait-il prêt à mettre de côté des millions de dollars par année? Serait-il prêt à laisser tomber ce marché?

Le président: Bien non!

M. Gascon: Alors, il est clair à mes yeux que l'ensemble du Crime organisé vit des stupéfiants, sous toutes ses formes. C'est sa principale source de revenus. Les enquêtes et les procès qu'on a au niveau des motards criminalisés indiquent qu'ils sont partout, dans tous les endroits licenciés, dans des écoles et dans les parcs. Il y a des points de vente partout. C'est leur principale source de revenus.

Il est clair qu'au moment où il y aurait un marché étatisé de cannabis, le Crime organisé établirait un réseau de marché noir, soit parce que le produit serait moins cher, plus fort ou différent, de sorte que cela attirerait une clientèle.

Le président: Autrement dit, vous ne perdriez pas d'emplois dans les services de police si on légalisait le cannabis?

M. Gascon: Sénateur Nolin, je ne pense pas perdre mon emploi dans les prochaines années. Je ne pense pas que nous perdions nos emplois à Montréal.

Le président: Non, c'est sûr. Mais si je fais le lien avec le questionnement de ma collègue, il y aurait une modification de vos travaux. Autrement dit, votre travail serait beaucoup plus précis mais aussi plus difficile, comme c'est le cas avec l'alcool et le tabac. À ce moment-là, vous seriez obligés de raffiner votre approche.

M. Gascon: Les méthodes d'enquête changeraient. Il faudrait aussi s'attaquer à l'influence de ce marché noir sur la société. Parce qu'il y aurait un marché noir, c'est évident.

Et quel serait le taux de THC autorisé par un État? Est-ce que l'État dirait que c'est 8 p. 100 ou 12 p. 100? Il faudra des études pour voir, au point de vue scientifique et médicale, ce qui est tolérable, ce qui est le mieux, comme on le fait avec l'alcool présentement.

Donc, il y aurait certainement un marché noir puisque le marché est déjà existant. Il est très lucratif pour le Crime organisé qui ne le laisserait pas tomber.

Le président: Pour ce qui est de l'alcool, il y a un éventail quand même assez grand pour le consommateur qui cherche un produit alcoolique. Il y a de tout. Il y a des bières à 3 p. 100 et de l'alcool à 70 p. 100, n'est-ce pas?

Le sénateur Biron: Le taux légal est 90o et 50 p. 100.

Le président: Donc, il y a un éventail quand même énorme dans le marché légal de l'alcool.

M. Gascon: Qu'est-ce qu'ils ont fait par rapport au marché noir de l'alcool?

Le président: Je vous la pose la question.

M. Gascon: Ce n'est pas uniquement le marché qu'ils ont changé mais aussi les prix. Et qu'est-ce qui a fait qu'ils ont attiré les clients?

Le président: Les taxes étaient trop élevées, en fin de compte.

M. Gascon: Il y avait trop de taxes. Et c'est la même chose pour le tabac. Ils sentaient qu'il y avait encore un marché. Et tant et aussi longtemps qu'il y aura une clientèle, eh bien, il y aura ce marché. C'est une question d'offre et de demande.

Le président: Donc, le prix a un effet énorme.

M. Gascon: C'est sûr.

Le président: L'État devrait être, pour les fins de notre discussion, le moins gourmand possible dans l'appât du gain ou l'appât d'une taxe potentielle.

M. Gascon: Oui.

Le président: Ça influencerait directement le marché noir.

M. Gascon: Au niveau d'une législation possible, il faut se demander: quel message transmettons-nous à nos enfants? Présentement, on fait des campagnes pour empêcher le fumage. On ne fumera plus de cigarettes, mais on va quand même accepter que quelqu'un fume autre chose que du tabac. Quel message transmettons-nous? Quelle forme d'éducation allons-nous faire auprès de nos jeunes de demain?

Nous sommes est très conscients que nous ne voulons plus cibler le consommateur. Ce n'est pas l'objectif visé. Et je le comprends parce qu'on a même changé les lois récemment par rapport à la lutte au Crime organisé. On a une nouvelle loi. Pensons à la loi C-24 ou C-36 au niveau du terrorisme. Les gens se sont toujours dit qu'on donnait plus de pouvoir aux policiers. Le pouvoir que les policiers veulent, c'est d'être capable de lutter contre un organisme qui est très fort. Quand on parle du Crime organisé et du terrorisme, on parle d'un autre niveau comparativement au petit criminel de rue et des petits problèmes de rue.

Et je sais très bien que tous les corps policiers ont posé la question, à savoir: que faire par rapport aux drogues qui s'en viennent? Il est clair pour nous que si un jeune étudiant présentement en droit à l'université va au Festival de Jazz et fume un joint, entre vous et moi, il ne commet pas une offense majeure. Ce n'est pas lui qu'on veut criminaliser et ce n'est pas lui qu'on recherche, c'est bien clair. Par contre, il y a la loi.

Le président: Soyez bien à l'aise dans votre témoignage, vous n'êtes pas le premier directeur de Service de police à nous dire ça.

M. Gascon: Je suis très à l'aise de le dire.

Le président: On entend cela partout à travers le pays.

M. Gascon: Je vous dis que c'est très clair dans notre esprit. Nous avons fait une réflexion au sein de notre Service. Que recherchons-nous? Et le but ultime, c'est encore le Crime organisé.

Le président: Les trafiquants.

M. Gascon: Et il faut absolument avoir les outils nécessaires pour aller vers ces trafiquants. Si un marché noir se développe suite à une législation, et que vous dites que nous devons changer nos méthodes et réapprendre à fonctionner, nous allons le faire. S'il y a une volonté sociale de dire que c'est légalisé, et si un marché noir se développe, nous changerons nos méthodes.

Et pendant ce temps, le Crime organisé prend de l'ampleur, et il continue à s'organiser très clairement et très efficacement.

Le sénateur Maheu: Quelle serait, d'après vous, la part du marché noir en ce qui a trait à l'alcool?

M. Gascon: Je n'ai pas de données exactes. Je vous donnerais plutôt une approximation qu'une donnée exacte. Présentement, le marché noir devrait prendre à peu près 20 p. 100 de ce qui circule. Ce qu'on a réalisé, parce qu'il y a beaucoup d'opérations qui ont déjà été amorcées et qui vont s'amorcer, c'est qu'il y a de plus en plus de petits commerces qui passent par le marché noir.

Et comme c'est beaucoup moins cher, il y a un attrait. Et ce n'est pas un gros crime que d'acheter un paquet de cigarettes ou une cartouche de cigarettes sur le marché noir.

Le président: Mais votre question touchait le tabac ou l'alcool?

Le sénateur Maheu: L'alcool.

M. Gascon: L'alcool, d'accord. Mais je fais la comparaison en termes de la position morale du citoyen.

Le sénateur Maheu: Je comprends.

M. Gascon: Et nous connaissons peut-être tous des citoyens, de bons citoyens travailleurs, qui ont déjà acheté des cigarettes ou un 40 onces de Rye sur le marché noir parce que c'était moins cher. C'est pour cela que je dis qu'il y a un marché et, tant et aussi longtemps qu'il y aura une demande, ce marché existera.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gascon. Ce fut très instructif.

Cela nous a permis de confirmer plusieurs informations qui nous venaient de d'autres corps de police et de comprendre ce qui se passe à Montréal. Surtout pour mes collègues qui ne sont pas montréalais, votre témoignage a certainement été fort apprécié.

Nous recevons maintenant du Club Compassion de Montréal, Mme Doyer et M. Hamel.

Mme Caroline Doyer, présidente, Club Compassion de Montréal: Je vous remercie de nous avoir invités à faire cette présentation. Je suis présidente du conseil d'administration du Club Compassion de Montréal et aussi cofondatrice.

Malheureusement, l'autre cofondatrice, Louise-Caroline Bergeron, n'a pu être avec nous ce matin. Je vous présente M. Pierre Hamel, le directeur exécutif, ici, à Montréal. Je cède la parole à M. Hamel, qui fera la présentation ce matin.

M. Pierre Hamel, directeur exécutif, Club Compassion de Montréal: Vous nous excuserez de ne pas vous avoir fait parvenir notre mémoire auparavant. Malheureusement, nous ne l'avons terminé qu'hier.

Le Club Compassion de Montréal a ouvert ses portes en 1999. Et dès le départ, même avant l'ouverture du Club, les deux fondatrices ont rencontré les responsables de la police de la Communauté Urbaine de Montréal pour leur faire part de leurs intentions.

Il est important de préciser que nous ne nous sommes jamais caché pour faire ce que nous faisons. Nous avons pignon sur rue, sur la rue Rachel à Montréal. Et même depuis qu'il y a eu une opération policière chez nous, nous avons toujours pignon sur rue, sur la rue Rachel. Nous continuons nos opérations.

Il y a eu chez nous une opération policière pour laquelle nous sommes toujours en Cour. Deux ans plus tard, deux de nos bénévoles sont toujours en Cour. Donc, qu'il semble bien y avoir un problème. De là à dire que le juge ne sait pas trop sur quel pied danser actuellement...

Le président: Je vous suggérerais de ne pas parler de ce qu'il y a dans la tête du juge, si vous le voulez bien.

M. Hamel: D'accord.

Le président: Cela ne fait pas partie de nos préoccupations.

M. Hamel: Je vais suivre votre conseil, sénateur. Si nous avons décidé de poursuivre nos activités en dépit de ces démêlés judiciaires, c'est que nous croyons toujours en notre postulat de base du début, que toute personne souffrante devrait avoir le droit de recourir à la forme de médication qui est le plus susceptible d'alléger ses souffrances, et ce, même lorsque ladite médication n'a pas encore franchi les étapes d'approbation de Santé Canada.

On en arrive à ce qui s'est passé au niveau de Santé Canada. D'abord, il y a eu la décision annoncée par M. Rock alors qu'il était ministre de la Santé. La décision était d'accorder des exemptions à la Loi canadienne sur les stupéfiants pour des raisons médicales. À ce moment-là, cette décision nous est apparue comme étant porteuse de beaucoup d'espoir.

On sait ce qui est arrivé: un échec assez cuisant, que nous attribuons d'abord à une trop grande bureaucratie. Je ne sais pas si vous le savez, mais c'était assez compliqué d'obtenir une autorisation de Santé Canada. Curieusement, certains obtenaient une autorisation en quelques semaines pendant que les autres devaient attendre au-delà de trois mois pour avoir une autorisation.

Le président: Vous parlez, j'imagine, de l'article 56?

M. Hamel: Non, je parle de la nouvelle réglementation. Il faut bien le dire, cela ne fonctionne plus actuellement. Il n'y a personne, actuellement, qui peut obtenir une autorisation de consommer du cannabis pour des raisons médicales au Canada. Il n'y a pas de médecins qui signent les demandes. Vous le savez, sénateur, car certains cas vous ont été adressés.

Le Club Compassion de Montréal a donc des problèmes. Nous avons de la difficulté à payer nos comptes, finalement, parce que nous sommes pris dans cette situation.

D'ailleurs, il faut absolument parler du contrat qui a été accordé à la compagnie Prairie Plant Systems pour une production de marijuana de qualité médicinale. À un certain moment, cela nous avait semblé révélateur d'une volonté gouvernementale.

Malheureusement, la nouvelle ministre de la Santé, Mme McLellan, a annoncé le gel pur et simple du projet. Et il y a une rumeur qui circule, et madame McLellan ne l'a pas niée, à l'effet que la raison du gel du projet, bien c'est la qualité douteuse du produit récolté.

Si cette rumeur devait s'avérer fondée, nous croyons qu'il faudrait commencer d'abord par questionner le prix qui a été payé. Le coût en a été de cinq millions de dollars. Il faudrait nous donner des explications, parce que nous fonctionnons depuis deux ans et demi, et je dois dire que ça ne coûte pas cinq millions de dollars.

À l'heure actuelle, nous avons des produits d'excellente qualité. Les patients que nous desservons sont très satisfaits. Vous parliez du Club Compassion de Vancouver tantôt, qui offrait quelque quatorze ou quinze variétés de produits à leurs clients. C'est là où nous voulons en venir, nous aussi. On ne donne pas à un sidéen le même produit qu'on donnerait à quelqu'un qui se plaint de douleurs très vives dans le dos ou ailleurs.

À la lumière de ce que j'appelle les deux échecs de Santé Canada, vous me permettrez deux remarques préliminaires. L'ouverture manifestée un temps par Santé Canada a suscité beaucoup d'espoir au sein de la population. Nous pensons que beaucoup d'études scientifiques sur le cannabis restent à être complétées. Nous estimons qu'il est plus urgent que jamais de mettre en place un système contrôlé de distribution, ne serait-ce qu'au nom de la plus élémentaire compassion.

Deuxièmement, dans le présent contexte, il ne nous apparaît pas indiqué que la décision d'accorder une autorisation de consommer pour raison médicale repose sur la recommandation ultime des médecins. De leur propre aveu, les médecins — et on l'a beaucoup entendu ces dernières semaines et ces derniers mois, — les médecins n'ont pas de connaissance particulière du cannabis, au contraire. Leur formation semble plutôt les porter à recommander des produits développés par l'industrie pharmaceutique.

Nous n'avons pas besoin de préciser que les motifs qui suscité l'ouverture du Club Compassion de Montréal sont des motifs purement humanitaires. Nous avons mis cela au clair dès le début, comme je le disais.

Je le répète, il nous apparaît déplorable qu'une société aussi avancée que la nôtre refuse encore à des malades le droit d'utiliser une substance qui, dans bien des cas, est la seule pouvant leur apporter un soulagement.

Je pourrais vous parler avec beaucoup d'émotion, sénateurs, de gens qui souffrent de la sclérose en plaques. Ils viennent nous voir au Club et ils sont sur le bord du suicide. Ces gens souffrent terriblement. Ils nous arrivent avec des listes de prescriptions de dix ou quinze médicaments à prendre dans une journée. Ces médicaments ont des effets secondaires considérables et ils ne réduisent pas leur douleur, ils ne leur apportent pas de soulagement. Le cannabis peut leur apporter un soulagement temporaire.

Nous n'avons jamais dit que le cannabis guérissait quelque chose. Il ne guérit rien, il leur permet à ceux qui souffrent de mieux vivre et c'est ce que ces gens veulent. C'est ce à quoi ils aspirent.

Vous savez, le débat sur l'utilisation médicale du cannabis ne se fait pas seulement chez nous. Comme vous le savez, plusieurs pays européens essaient de trouver un moyen de légiférer ou de réglementer la question. Au Canada, on attend de connaître la position de la nouvelle ministre de la Santé, Mme McLellan.

Il y a des gens qui attendent présentement et qui sont désespérés. Nous avons dû refuser des dizaines de personnes parce que nous exigeons une prescription médicale. Et c'est difficile de refuser, je vous le dis. Certaines personnes pleurent parce qu'on ne peut pas leur fournir le produit.

Il semble que Santé Canada ait raté l'occasion, il faut dire, dans le sens que cela n'a pas marché du tout. Nous pensons qu'il est encore temps, qu'il est plus que temps de mettre sur pied un système de distribution. Si Santé Canada avait pu nous consulter, nous aurions pu leur faire des suggestions qui leur auraient évité le triste sort qu'ils ont connu.

Nous croyons qu'il y a eu une méprise sérieuse. Depuis deux ans et demi, nous en avons appris des choses sur le cannabis, sur les propriétés médicales du cannabis, sur les variétés du cannabis et sur les nouvelles technologies reliées au cannabis. Nous ne partons pas de zéro. Vous parliez tantôt du Club de Vancouver. Ça fait cinq ou six ans qu'ils sont là. Ils ont encore plus d'expérience et de connaissances que nous. C'est pour cela que nous nous fions sur eux.

Je pense qu'on peut mettre sur pied un système, un vrai système de distribution, comme je disais tantôt, qui n'est pas basé sur l'approbation ultime des médecins, quoiqu'on ne rejette pas, bien sûr, la position des médecins sur cela. Vous trouverez, à la dernière page de notre mémoire, les conditions que nous considérons indispensables pour établir un vrai système de distribution qui soit fonctionnel au Canada.

Voici ces quelques conditions essentielles. Nous pensons d'abord qu'une entente-cadre devrait d'abord être conclue entre les Clubs Compassion du Canada et Santé Canada en énumérant les dispositions auxquelles les deux parties devront s'obliger.

Comme je le disais tantôt, les autorisations de consommer devraient être accordées sur présentation d'un diagnostic. On en reste là. Bien que les études scientifiques ne soient pas toutes complétées, on connaît assez bien maintenant les maladies pour lesquelles le cannabis peut soulager la douleur de ceux qui en souffrent d'une façon efficace. Il s'agit du sida, du cancer, de la sclérose en plaques, de plusieurs formes d'arthrite et des choses comme celles-là. Je ne vous les nommerai pas toutes. Mais on se peut se contenter d'un diagnostic médical. Après avoir consulté Santé Canada, on peut facilement établir une liste de maladies pour lesquelles le cannabis pourrait servir à soulager la douleur de ceux qui en souffrent.

Pour éviter ce qui s'est passé concernant Prairie Plant Systems, nous préconisons l'établissement de réseaux locaux plutôt que d'un seul grand système de distribution national. Ainsi, on évitera un gâchis complet si certains problèmes se produisent à un moment donné. Donc, Vancouver pourrait avoir sa propre production, l'Est du Canada pourrait avoir sa production. Il reste à déterminer les modalités. Et, bien sûr, il nous paraît indispensable dans de telles conditions que les Clubs Compassion soient autorisés à produire leur propre marijuana en quantité contrôlée. On donne ainsi l'assurance que le Crime organisé n'y est pas impliqué. On donne aussi l'assurance de la qualité du produit, parce qu'on va se servir de l'expertise qu'on a développée. On sait maintenant quelles variétés sont les meilleures au niveau de l'aspect médicinal.

Je pense qu'il y a moyen de se donner un minimum de garantie pour assurer quelque chose de fiable dans le but de résoudre les questions humanitaires.

Je cède maintenant la parole à Caroline.

Mme Doyer: J'aimerais ajouter qu'au Club Compassion de Montréal, on dessert présentement 130 membres. Ils ont tous une recommandation ou une prescription médicale. De ces 130 membres, 10 d'entre eux ont une exemption gouvernementale. La plupart d'entre eux ne peuvent pas cultiver le produit eux-mêmes, compte tenu de la condition dans laquelle ils se trouvent. Donc, ils s'adressent à une personne désignée qui peut produire pour eux.

Le constat, c'est que ces 130 personnes sont soit sur la CSST ou sur l'aide sociale, et ils vivent avec de graves problèmes financiers, compte tenu de leur condition. Ce ne sont pas des gens qui ont les moyens de se payer un médicament soit à 8,00 $ ou à 10,00 $ le gramme pendant des mois et même des années. Leur souci, c'est qu'il n'y a aucun remboursement pour les frais de ce médicament. Et, bien sûr, c'est leur choix de médicament. C'est un des problèmes qu'on rencontre souvent au Club Compassion.

Un autre problème, c'est la surveillance accrue des policiers. Bien sûr, nous sommes contents de voir les forces policières nous appuyer, en ce sens qu'ils nous protègent du pseudo Crime organisé. Nous n'avons jamais été intimidés de quelque façon par des membres des Hells Angels ou d'une autre organisation criminalisée.

Je vous dis que nous aussi faisons partie du Crime organisé, du fait que le cannabis n'est pas légalisé. Et 100 p. 100 des intervenants dans le milieu du cannabis sont des criminels. Nous aimerions avoir une entente avec la police pour essayer d'éliminer ce fardeau criminel, qui nous empêche de fonctionner et qui crée aussi une peur chez les patients ou chez les personnes intimement liées aux gens qui consomment du cannabis.

Troisièmement, nous aimerions bien présenter nos cultivateurs à la police. Nous aimerions fonctionner, comme nous l'avons dit, de la façon la plus transparente possible. Nous n'avons rien à cacher. Nous ne voulons pas créer de dissidence. Et malheureusement, nous n'avons aucune protection et il n'y a aucune protection pour les cultivateurs. Ce sont tous des gens indépendants qui ont la passion de la culture, qui ont une expertise aussi au niveau de la plante.

Comme nous le disions précédemment, certaines variétés ne sont pas nécessairement bonnes pour soulager certaines conditions, et cetera. Et nous aimerions bien collaborer avec le réseau du système policier pour arriver à une entente et protéger nos cultivateurs.

Nous aimerions aussi arriver à une entente avec Santé Canada quant à distribution de la marijuana. Nous sommes très ouverts, nous sommes prêts à changer nos critères d'admission ou quoi que ce soit tant et aussi longtemps que ça répond aux besoins des patients. Présentement, le système proposé par Santé Canada, c'est-à-dire la réglementation qui a été adoptée en 2001, ne répond pas aux critères ou ne représente pas du tout les gens qui doivent consommer du cannabis pour des raisons médicales.

Nous sommes bien prêts à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Convenez-vous que le cannabis que fournit le gouvernement, pour ce qui est de la qualité, ne correspond pas à vos besoins?

M. Hamel: C'est ce qu'on a entendu dire.

Le sénateur Banks: C'est ce qu'on nous a dit. Toutefois, vous avez maintenant dit que votre produit est satisfaisant. Où le trouvez-vous? Je vous rappelle que vous êtes protégés par le privilège parlementaire.

Mme Doyer: Nous avons des gens qui le cultivent pour nous. Nous avons des critères précis pour la culture de la marijuana que ces gens-là respectent. Ils respectent aussi un certain éventail de prix. Ce sont tous des gens qui cultivent ici à Montréal.

[Français]

... ils font seulement affaire avec nous. Donc, ce ne sont pas des gens qui distribuent ou qui cultivent pour le marché général. Ils sont là pour répondre à nos critères et à nos besoins.

M. Hamel: J'ajouterais une chose: les gens avec qui nous faisons affaire sont des gens qui développent une espèce de passion, finalement, pour cette culture-là. Il faut connaître le milieu du cannabis pour savoir qu'il y a des gens qui se passionnent réellement, qui veulent développer de nouvelles variétés. C'est donc avec ces gens-là que nous faisons affaire. Et je peux garantir qu'il n'y a pas de lien avec ce qu'on appelle, généralement, le Crime organisé.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Vous l'obtenez donc par une filière privée?

M. Hamel: Oui.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que les médecins hésitent à signer des recommandations. À votre avis pourquoi? Pourquoi les médecins n'aiment-ils pas signer ces recommandations?

Mme Doyer: Ma foi, nous savons que le Collège des médecins du Québec refuse toute recommandation ou ordonnance de marijuana.

[Français]

... ils réprimandent tous les médecins et ils ont même enlevé les assurances corporatives ou professionnelles aux médecins qui signeraient soit une recommandation ou une prescription. Ils mettent donc dans l'embarras leurs propres médecins dans le sens qu'ils ne sont pas protégés, même s'ils croient que le cannabis est le meilleur médicament pour la personne.

Donc, on leur coupe l'herbe sous le pied, pour ainsi dire. Ils n'oseront plus avancer leur recommandation médicale, compte tenu du fait qu'ils ne seront pas assurés par le Collège de médecins. Et ça, c'est la position officielle du Collège des médecins, qui a paru tout dernièrement dans le bulletin offert à tous les médecins.

M. Hamel: Ce qui arrive, c'est que sur les formulaires d'application pour Santé Canada, en particulier le formulaire qui doit être rempli par le médecin, il est bien dit que la responsabilité ultime revient au médecin. Est-ce que ça veut dire qu'un malade qui, pour quelque raison que ce soit, aurait une mauvaise réaction — peut-être qu'elle n'est même pas causé par le cannabis, — aurait le droit de revenir civilement contre le médecin?

Si oui, je comprends bien que les médecins ne veulent pas signer les formulaires. C'est une substance qu'ils ne connaissent pas. On sait qu'il y a encore des études scientifiques à faire sur cette substance. C'est une substance qui n'est pas approuvée officiellement par Santé Canada. Et on demande aux médecins de signer tout bonnement, comme ça, puisqu'ils sont des professionnels dans le domaine de la médecine.

Mme Doyer: Les médecins ont même peur de signer des documents pour Santé Canada. C'est ce qui se produit depuis la nouvelle réglementation de 2001 sur le cannabis.

[Traduction]

Le sénateur Banks: C'est donc une autre raison qui fait que le système actuel — que tout le monde attendait — ne fonctionne pas?

Mme Doyer: En effet.

Le sénateur Banks: Êtes-vous inquiète? Certains se sont dits inquiets que des gens utilisent faussement le prétexte de consommation médicale de cannabinoïdes de tout genre pour l'obtenir à des fins autres que médicales? Je fais allusion à l'exemple d'une personne qui cultivait de la marijuana apparemment pour la consommation médicale de ses amis. Il s'est toutefois fait prendre avec une grosse quantité de cannabis qui aurait servi énormément d'amis pendant très longtemps. Toutefois, il défendait sa culture en prétendant qu'il le faisait à des fins médicales. Qu'est-ce qu'on fait dans un tel cas et comment règle-t-on le problème?

Mme Doyer: La mission du Club Compassion est de servir de la marijuana médicale. C'est la raison pour laquelle nous demandons une recommandation ou un avis médical d'un médecin. La consommation récréative de la marijuana ne nous inquiète pas vraiment. Les gens qui utilisent de la marijuana médicale n'en consomment pas de grosses quantités. L'expérience que nous avons auprès des patients révèle qu'une petite quantité suffit. Ils n'en abusent pas; mais ils consomment la quantité nécessaire — habituellement moins d'un gramme.

Dans notre club, à condition qu'il y ait un avis médical, cela nous suffit. Nous soutenons la consommation médicale. La consommation récréative est une autre question.

[Français]

... il y a tout un autre débat concernant la consommation récréative. Et le Club Compassion ne s'inscrit pas tout à ce débat, dans la mesure où nous sommes là pour nous occuper de la question médicale.

M. Hamel: Je voudrais préciser une chose. Contrairement à ce qu'on connaît des médicaments, qui goûtent parfois mauvais, le cannabis n'a pas d'effets secondaires désagréables comme tels. Autrement dit, on arrive avec un nouveau produit et pour qu'il soit efficace, ce n'est pas nécessaire qu'il goûte mauvais. Quand une personne en prend, elle n'a pas de nausées au moment où elle en prend.

Est-ce bien un usage médical à ce moment-là? Parce que le cannabis lui apporte quand même une certaine paix, un certain bien-être. Donc, il faut être quand même assez souple. C'est pour cela que je pense qu'il faut en arriver à un système de distribution efficace. Je pense que s'il y a une liste de diagnostics pour lesquels on considère que la marijuana est efficace, pour le moment, cela peut nous satisfaire.

Nous comptons bien sur le fait que les études sur la marijuana vont se poursuivre. Et à mesure qu'elles se poursuivront, nous obtiendrons de nouvelles données, et aussi, nous pourrons préciser nos démarches.

Mais nous avons besoin d'une législation ou d'une réglementation intérimaire. C'est ce que nous demandons, en fin de compte.

Le sénateur Maheu: Je voulais vous demander quelques questions concernant un seul sujet. Combien coûte la production d'une livre de cannabis dans de bonnes conditions bien contrôlées?

Mme Doyer: Comme je ne fais pas de culture moi-même, je vais vous donner les chiffres que m'amènent mes producteurs. Je dirais que ça peut coûter jusqu'à 3 000,00 $ par mois pour produire du cannabis. Ceci inclut un lieu où la personne peut produire, muni d'un système de sécurité pour ne pas se faire intimider par la police, les plantes comme telles, ainsi que tout l'équipement technologique pour cultiver: des réflecteurs, des ionisateurs, et cetera. Je dirais que ça coûte environ 3 000,00 $ par mois.

Le sénateur Maheu: Combien le payez-vous actuellement à la livre?

Mme Doyer: On paye entre 2 300,00 $ et 2 700,00 $ la livre.

Le sénateur Maheu: Vous la vendez combien à ce moment-là?

Mme Doyer: On vend entre 8,00 $ et 10,00 $.

M. Hamel: Le gramme.

Mme Doyer: Le gramme. Et, notre objectif, bien sûr, c'est de baisser les prix, de le rendre accessible à 5,00 $ le gramme, puisque les gens que nous desservons sont dans une position assez précaire.

M. Hamel: Nous desservons des gens qui ont d'énormes difficultés financières. Nous le comprenons. Ce sont souvent des malades chroniques qui n'ont pas de revenu. Ces difficultés financières sont pour nous un gros problème en ce moment.

Le président: Madame Doyer, sur la question des coûts, si, à ma demande, vous alliez chez vos producteurs, vous pourriez leur demander de faire la défalcation, en bon français et pour utiliser le mot précis, un «breakdown» comme on dit en anglais, de tout cela.

Je tente d'isoler les coûts inhérents à la prohibition, c'est-à-dire tout ce qui ne serait pas là si on était dans un milieu urbain de culture légitime, pour isoler les vrais coûts pour produire un kilo de cannabis de qualité médicinale. C'est ça, finalement, que nous voulons savoir.

C'est sûr qu'un système d'alarme, ça coûte cher. Mais, ce n'est pas ça qui m'intéresse. Je veux savoir combien coûte la culture d'un kilo de cannabis.

Mme Doyer: Entre 3 000,00 $ et 10 000,00 $ par mois.

M. Hamel: Oui, mais à l'origine, il y a le coût initial de l'équipement: l'éclairage, des choses comme ça. Et après, une fois que c'est parti, les coûts devraient baisser.

Le président: Vous n'êtes pas obligé de me donner la réponse tout de suite. On s'écrira.

M. Hamel: Oui, c'est ce que je comptais faire.

Mme Doyer: J'aimerais aussi ajouter que le Club Compassion de Montréal dessert aussi tout l'Est du pays. Nous avons des membres au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, sur les réserves amérindiennes, à Chicoutimi, à Jonquière, et nous essayons de desservir le plus grand nombre de gens possible.

Le président: Tout ça par la poste?

Mme Doyer: Non, pas par la poste.

M. Hamel: Nous avons des moyens pour envoyer ça.

Le président: Bon. Et sur la question de la qualité et l'approvisionnement, on présume que c'est comme à Vancouver ou Toronto: qualité biologique et sans d'additifs.

M. Hamel: Il n'y en a aucun. C'est vérifié tout le temps.

Le président: Vous avez entendu tout le débat sur le taux en THC et les techniques de production. Qu'avez-vous à nous dire au sujet des taux de THC de 32 p. 100 ou 35 p. 100?

Mme Doyer: Bien, lorsqu'il y a eu l'intervention policière au Club Compassion, nous avons eu la chance de faire examiner en profondeur le cannabis que nous vendions. Et ce que nous pouvons vous dire, c'est que notre cannabis a un taux maximum de THC de 18 p. 100.

Le président: Et ça fait votre affaire?

Mme Doyer: Oui, ça fait notre affaire. Je n'ai jamais vu du 25 p. 100 ni du 32 p. 100. Il est certain que pour les patients, plus le taux de THC est élevé, moins ils doivent consommer de cannabis. Donc, pour beaucoup de médecins, c'est une bonne chose que d'avoir un haut taux de THC. Il est clair que pour certains patients, un taux de THC de 5 p. 100 leur suffit, selon leur condition.

Et pour d'autres, un taux de 18 p. 100 est plus approprié et ils pourraient même aller à un peu plus haut.

Le président: Parlons maintenant de l'implication, du rôle des médecins dans tout cela. Je comprends que, dans le système actuel du processus réglementaire, le fait que les médecins soient incontournables pose pour vous un problème sérieux.

Mme Doyer: Oui.

Le président: Il n'en reste pas moins qu'on parle de l'état de santé de vos membres. Il y a quelque part un médecin qui partage votre compassion, finalement.

Mme Doyer: Oui.

Le président: Vous avez entendu le docteur Ware parler du faible niveau d'information alors que ce serait facile pour lui ou pour d'autres d'informer adéquatement les différents collèges de médecins, donc les médecins, sur les tenants et aboutissants de l'usage médical du cannabis.

Ma question est: êtes-vous contre le fait qu'on implique les médecins dans tout cela?

Mme Doyer: Pas du tout, bien au contraire. On s'est rendu compte, en précisant la mission du Club, qu'on devait non seulement fournir un encadrement aux patients, mais aussi des séances d'information aux médecins. Donc, on prépare des documents où on s'inspire de différentes sources, soit le docteur Greenspoon ou d'autres, dans le but d'informer les médecins sur la requête des patients.

Le président: Maintenant, le mot «médecin», je l'entends dans son sens très large. Je parle de la personne qui a une connaissance des soins apportés à un individu. C'est un sens beaucoup plus large que la définition très rigoureuse des collèges de médecins. J'inclus les herboristes et les gens qui ont une connaissance de l'herboristerie. Avez-vous la même largesse d'esprit que moi?

Mme Doyer: Oui.

M. Hamel: Je vous suis très bien. Mais je dois vous dire qu'il y a à peu près un an ou un an et demi, on a tenté de rassembler les médecins pour leur donner une séance d'information. On leur a écrit des lettres et cetera, il n'y en aucun qui s'est présenté.

Mme Doyer: Bien sûr, toute la question de la posologie reste à définir. C'est une question qui revient souvent de la part des médecins: «Comment puis-je prescrire un médicament ne sachant pas la teneur du THC ni la quantité dont la personne a besoin?»

Alors, ça reste toujours un débat médical courant.

Le président: Mais, c'est quand même, pour un non-initié, une préoccupation valable.

Mme Doyer: Oui. Et c'est pour ça qu'on est là.

Le président: Et, à un médecin non-initié qui vous pose honnêtement ces questions, quelle est votre réponse?

Mme Doyer: Nous leur disons de suivre les demandes du patient, c'est-à-dire pour la majorité des prescriptions, d'inscrire: «Au besoin». C'est le patient qui doit juger.

Le président: Juger de son besoin.

Mme Doyer: On prône aussi beaucoup la responsabilisation de la maladie. Cette personne fait déjà un choix de prendre un médicament qui n'est pas réglementé encore ou qui est en train d'être réglementé. Et malgré toute la pression sociale qui existe pour déconseiller les médecins de l'utiliser, certains patients choisissent quand même d'utiliser ce médicament parce qu'ils comprennent que c'est ce médicament qui leur fera le plus de bien, et non pas une série d'autres.

M. Hamel: Je vous dirais que nous voyons tout ça comme une espèce d'appropriation de la santé. Certains patients décident d'utiliser cette substance même si leur médecin n'est pas tout à fait d'accord, parce que ça leur fait du bien. Il reste toujours la question du dosage.

Nous conseillons à ceux qui n'ont jamais consommé de marijuana de commencer par en fumer quelques bouffées puis de voir comment ils se sentent. Nous y allons de façon très prudente. Au début, le taux de THC ne sera pas très élevé. Ainsi, on en arrive à décider du dosage approprié à un individu. Parfois, avec la marijuana, une tolérance peut s'installer assez rapidement. Mais ce qu'il y a de merveilleux avec la marijuana, c'est qu'en changeant de variété, on peut aller à l'encontre de la tolérance.

Le président: Quand vous parlez de tolérance, vous parlez de dépendance?

M. Hamel: Non, je ne parle pas de dépendance.

Le président: Autrement dit, l'effet est amoindri?

M. Hamel: L'organisme s'habitue et donc il y a moins d'effet. Par conséquent, on change de variété.

Le président: Parfait. Sur la question de la douleur, nous lisons beaucoup sur le sujet de l'effet du cannabis chez les gens qui sont atteints de douleur chronique. Comme vous le savez, dans le règlement fédéral, la douleur n'est pas présente.

M. Hamel: Voilà!

Le président: C'est donc la troisième catégorie.

M. Hamel: Oui. Et, on trouve ça bien difficile.

Le président: Je comprends. Qu'avez-vous à nous dire au niveau de votre expérience pharmacologique?

M. Hamel: Beaucoup de gens viennent nous voir parce qu'ils souffrent des suites d'un accident. Ils souffrent beaucoup et, semble-t-il, il n'y a rien pour guérir ça, sauf que le cannabis pour les soulager.

Le président: Parmi vos 130 membres, il y en a 10 qui ont une exemption officielle?

M. Hamel: Oui.

Le président: Et je pense qu'on les connaît vos 10 membres qui ont une exemption officielle. Comment faites-vous pour les 120 autres? Vous êtes tout de même rigoureux dans votre approche. Vous obtenez l'approbation du médecin, finalement?

M. Hamel: Oui. Ils ont réussi à passer à travers les mailles du filet, comme on dit. C'était avant le fameux règlement de M. Rock de 2001, avant le 30 juillet 2001.

Le président: Et depuis ce temps-là?

M. Hamel: Depuis ce temps-là, on a peut-être eu 3 nouveaux membres. C'est tout.

Le président: Ceux qui n'ont pas l'autorisation, selon le règlement, ne peuvet pas aller chez vous?

M. Hamel: Je vais dévoiler un petit quelque chose: on s'est servi de la catégorisation des exceptions permises par Santé Canada. On sait que Santé Canada a trois catégories d'exceptions. Dans la première catégorie, on retrouve les patients qui ont un pronostic de mort à l'intérieur d'un an. Nous n'avons pas de problème avec ces gens-là.

Dans la deuxième catégorie, on énumère sept maladies très précises. Pour les gens qui souffrent d'une de ces sept maladies, on fait une exception. On accepte ces patients-là sur présentation d'un certificat médical décrivant leur condition, une attestation médicale, quoi, disant que cette personne souffre du cancer, qu'elle est sidéenne, qu'elle fait de la sclérose en plaques, et cetera. Donc, sur présentation d'un certificat, nous les acceptons. Et l'avantage de ceci, c'est qu'aucun médecin s'oblige à signer pour prescrire du cannabis.

Le président: La difficulté, c'est la troisième catégorie?

M. Hamel: Voilà! Les cas de douleur. Ils peuvent tout juste faire partie de la troisième catégorie, qui est une catégorie un peu fourre-tout, diffuse.

Le président: Oui.

M. Hamel: Et dans cette catégorie, il y a des cas très graves.

Le président: À ce moment-là, qu'est-ce que vous faites?

M. Hamel: À ce moment-là, nous ne les prenons pas. Nous n'avons pas osé. Le Club Compassion de Montréal est reconnu comme étant très rigoureux.

Le président: Oui, parce qu'à Vancouver, ce n'est pas comme ça.

M. Hamel: Ils les prennent, eux? Nous, nous n'osons pas.

Mme Doyer: Mais on n'a pas le même climat politique à Montréal qu'à Vancouver. On n'a pas la même tolérance.

Le président: Oui, je comprends.

Mme Doyer: Et c'est ce qui nous oblige à fonctionner d'une façon plus stricte.

Le président: Bon, d'accord. Au sujet du PPS, le Prairie Plant Systems, à ce que je sache, selon le ministre Rock et la nouvelle ministre aussi, l'intention première du PPS, ce n'était pas de cultiver le cannabis médicinal?

M. Hamel: Attention, il a été question de ça au mois de décembre dernier.

Le président: Oui, je comprends, mais à l'origine?

M. Hamel: Oui, oui, vous avez raison.

Le président: Quand ils ont décidé de donner un contrat pour une production, c'était une production...

Mme Doyer: Pour des essais cliniques.

Le président: ... pour des essais cliniques.

Le président: Je voulais être certain que tout le monde comprenne que c'était ça l'objectif de base.

M. Hamel: Oui.

Le président: C'est sûr qu'il peut rester du produit.

M. Hamel: Voilà.

Le président: Puis, à ce moment-là, pourquoi ne pas en faire bénéficier ceux qui n'ont pas les moyens?

M. Hamel: Écoutez, on nous avait même dit qu'il y aurait un système de distribution à la fin de janvier ou au début de février 2002.

Le président: C'est parce que tous les gens dirigent leur attention sur le problème du système de distribution, alors que l'objectif n'était pas de produire du cannabis à des fins médicales.

M. Hamel: Vous avez raison.

Le président: C'était pour faire, entre autres, les études du docteur Ware.

M. Hamel: Originellement, oui.

Le président: Je dis cela parce que dans votre mémoire, vous questionniez l'à-propos d'avoir cela.

M. Hamel: Bien, au début, c'était destiné à des études scientifiques, n'est-ce pas?

Le président: C'était ça la mission.

M. Hamel: Mais, j'ai l'impression qu'en cours de route, on a bifurqué. Parce qu'au mois de décembre le ministre a affirmé qu'il y aurait un système de distribution en janvier ou février pour les exemptés.

Le président: Bien, son idée a évolué.

M. Hamel: Ah, oui! Et, je le comprends très bien.

Le président: À l'origine, ce n'était pas ça.

M. Hamel: Très bien.

Mme Doyer: Mais, pour les exemptés du Club Compassion, ça demeure un problème parce qu'ils attendent toujours une source légale d'approvisionnement.

Le président: Je les comprends. Vous nous avez parlé de la perte d'assurance pour les médecins qui participeraient?

Pouvez-vous nous donner le nom d'un médecin qui pourrait témoigner devant nous?

Mme Doyer: Le président, le docteur Yves Lamontagne, a signé une lettre officielle dans le Bulletin des médecins produit par le Collège des médecins expliquant bien cette procédure.

Le président: De désassurance?

Mme Doyer: Oui.

Le président: Avez-vous un exemplaire de cette lettre-là?

Mme Doyer: Non, mais je pourrais vous l'envoyer sans problème. Au Collège des médecins, ils pourraient même vous la télécopier.

Le président: On va faire les deux.

Mme Doyer: Oui, certainement.

Le président: Une dernière question: vous avez entendu M. Gascon tout à l'heure. Seriez-vous d'accord qu'il y ait un contrôle de votre opération pour assurer que ce qui y entre fait votre affaire, et pour assurer qu'il n'y ait personne d'autre que ceux avec qui vous acceptez de traiter qui aurait accès à votre système de compassion, finalement?

Accepteriez vous des mesures de contrôle comme celles-là?

Mme Doyer: Nous n'avons aucun problème avec cela, si ça peut les rassurer.

Le président: Non, mais c'est peut-être pour rassurer le reste de la population, aussi.

Mme Doyer: Oui, il n'y a pas de problème.

M. Hamel: Je vous dirais que ça va même nous rassurer, nous aussi. Je veux dire qu'on va avoir moins de contrôle de la qualité. On espère avoir la permission de produire à ce moment-là. Le contrôle de la qualité, c'est beaucoup plus facile pour nous.

Mme Doyer: Oui. Et, on n'a aucun problème avec la collaboration. C'est ce qu'on a demandé dès le départ, une collaboration honnête. On dit ce qu'on fait. Et, même les producteurs sont bien prêts à rencontrer la police tant et aussi longtemps que deux semaines après ils ne viennent pas tout saisir leur production.

Le président: Vous allez vérifier si le système d'alarme fonctionne.

Mme Doyer: Oui.

M. Hamel: Ils sont venus vérifier, déjà.

Le président: Je n'ai pas d'autres questions. Donc, on va s'échanger des lettres pour la question du coût de production?

Mme Doyer: Oui, pas de problème.

Le président: Et, la lettre du Collège des médecins?

Mme Doyer: Oui, nous ne l'oublierons pas.

Le président: Nous vous remercions.

Le président: Nous ajournons jusqu'à 13 h 30.

La séance est levée.


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