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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 18 - Témoignages pour la séance de l'après-midi du 31 mai 2002


MONTRÉAL, le vendredi 31 mai 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 44 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Nous reprenons les travaux du Comité spécial sur les drogues illicites en rencontrant monsieur Yvan Bombardier et monsieur Martin Petit, tous deux représentants de CACTUS Montréal.

M. Martin Petit, représentant, CACTUS Montréal: Monsieur le président, dans un premier temps, je vais présenter sommairement CACTUS pour mettre en contexte le travail que l'on fait. Par la suite, je vais vous présenter non pas une position officielle de CACTUS, mais plutôt des interrogations ou des questions qu'on se pose par rapport aux drogues.

CACTUS Montréal c'est l'acronyme pour le Centre d'action communautaire auprès des toxicomanes utilisateurs de seringues. Notre mandat en est un de prévention: un mandat de prévention du VIH-Sida et des hépatites auprès des personnes qui s'injectent des drogues. CACTUS Montréal à mis sur pied, en 1989, le premier programme d'échange de seringues en Amérique. On distribue du matériel stérile d'injection, et d'autre matériel de protection, comme des condoms. On fait aussi du travail de rue auprès des personnes toxicomanes et auprès des personnes qui font le travail du sexe, qui se prostituent. On fait aussi de la référence à d'autres ressources.

Quand les gens viennent nous voir à CACTUS, on fait généralement de l'écoute, de l'accompagnement, de l'éducation à l'injection, de la sensibilisation aux risques de leur mode de consommation. On organise aussi différentes activités et des événements.

Au cours de notre travail à CACTUS, nous adoptons une approche humaniste et globale, c'est-à-dire pour les gens en perte de liens sociaux significatifs, on essaie de recréer ces liens pour ainsi faire en sorte qu'ils ne se sentent pas seuls, mais bien qu'ils se sentent épaulés par des gens qui comprennent leur problématique et qui comprennent, pour l'avoir vécu, pour certains d'entre nous, les problèmes auxquels ils font face.

Une philosophie de réduction des méfaits fait partie de notre approche. Nous constatons régulièrement que les lois pénales actuelles, qui touchent aux drogues, augmentent souvent les méfaits chez certaines personnes. On n'a pas du tout une approche moraliste ou une approche d'abstinence, mais plutôt une approche basée sur une consommation responsable des drogues.

On travaille aussi pour la reconnaissance et la défense des droits des personnes toxicomanes. Et, en ce sens, on vous a remis un exemplaire d'un journal qui s'appelle Pusher d'info, un journal fait par et pour les personnes qui consomment des drogues, mais aussi pour toute autre personne qui s'intéresse au sujet, et qui, vraisemblablement, nous apparaît comme une façon d'arriver à cette compréhension globale des drogues et à une approche de consommation responsable des drogues. CACTUS n'a pas de position officielle sur la décriminalisation du cannabis.

Je sais que certains représentants d'organismes ont des positions et des revendications. Tandis que nous, je serais tout à fait hors de mon mandat ici cet après-midi en vous disant qu'on a une position officielle et que je viens la défendre.

On dit souvent que la criminalisation des drogues n'a pas de sens parce qu'on voit tous les jours les conséquences négatives sur des gens qui ont peut-être décidé, à un moment donné, d'aller en désintoxication ou d'entreprendre des démarches. Lorsqu'elles continuent à consommer puis se font arrêter et criminaliser, cela met un frein à ces démarches qu'elles voulaient entreprendre. On comprend que cela a une incidence très négative sur le cheminement de ces personnes. La réflexion que je vous propose touche la pénalisation du cannabis mais aussi des autres drogues.

Il est bon de se souvenir que l'on consomme tous les jours plusieurs drogues: café, cigarettes, antidépresseurs, Viagra, Ritalin et alcool. Ce sont toutes des drogues légales que l'on consomme tous les jours. Hier soir, lorsque maître Colas a dit qu'il n'avait pas pris de drogues, cela m'a fait rire un peu. Il venait de dire quelque chose d'assez rigolo sans s'en apercevoir; et, ma foi, il a même parlé de l'épisode de poliomyélite qu'il a vécu et, pauvre lui, c'est bien dommage, mais j'imagine qu'il a dû prendre des drogues légales à ce moment-là pour pouvoir atténuer ses souffrances.

Ce qui, à juste titre, nous fait pencher vers une approche globale et humaniste par rapport aux drogues, c'est que tout le monde connaît quelqu'un qui a consommé ou qui consomme encore des drogues illégales. Je crois qu'il serait, à mon sens, un peu hypocrite de dire: «Ah! Non, moi, je ne connais personne qui touche aux drogues illégales.» On entend souvent de tels propos de nos frères, nos soeurs, nos oncles, nos tantes, père, mère. Bref, il y a beaucoup de monde qui en consomment et personnellement, j'en connais plusieurs. On consomme beaucoup de drogues à tous les jours de l'année.

La consommation courante de certaines de ces drogues ne pose pas trop de problèmes, tandis que d'autres peuvent être mortelles à long terme. La cigarette est un de ces bons exemples. On sait que des fabricants de cigarettes intègrent plus d'une centaine de produits toxiques ou potentiellement mortels à long terme dans les cigarettes. Et, ils le font en toute légalité.

Comment se fait-il qu'il y ait des compagnies de cigarettes qui réussissent à travailler comme cela, à exister, à faire des profits mirobolants en toute légalité, alors que le cannabis, qui est produit par certaines personnes, même le cannabis biologique, ne contient aucun additif, ne contient aucun produit toxique ni aucun produit chimique, qui, vraisemblablement, pourraient nuire à la santé comme d'autres produits qui sont inclus dans la cigarette? C'est vraiment une question qu'on se pose souvent et à laquelle on ne trouve pas de réponse ni de logique.

On sait aussi que ce sont les additifs qui rendent les fumeurs dépendants de la cigarette. Je connais personnellement des ex-héroïnomanes qui fument encore la cigarette mais qui ne consomment plus d'héroïne. Ils l'appellent même leur «drogue dure». Et ceci est assez révélateur pour moi. Évidemment, on a des capacités d'absorption différentes des drogues. Certains sont capables de dire: «Moi, j'ai consommé de l'héroïne, je n'en consomme plus. La cigarette, pour moi, c'est une drogue que je considère comme une drogue dure.»

Ces gens ne sont tout simplement pas capables de se défaire de la cigarette. Et face à ce problème, le gouvernement pourrait très bien dire aux compagnies de cigarettes que le droit de produire leur est retiré tant et aussi longtemps que les cigarettes contiendront tous ces produits toxiques. Dans la situation actuelle, c'est tout le contraire, puisque le gouvernement va même jusqu'à taxer les cigarettes et en retirer des revenus au lieu d'imposer un contrôle de qualité.

On pense qu'un contrôle de qualité sur les drogues va de soi. Bien sûr, ce n'est pas une position officielle, comme je le disais précédemment, mais quand on en jase entre nous, on croit que ce serait tout à fait souhaitable.

Revenons juste un peu aux drogues légales. Aux États-Unis et au Canada, des gens sont décédés après avoir consommé des médicaments tels le Redux ou le Zyban, deux médicaments approuvés par les gouvernements américain et canadien. Cela soulève aussi des questions ayant trait à des drogues légales en vente réglementée qui ont prouvé leur toxicité sur certaines personnes. Comment se fait-il qu'une drogue inoffensive comme le cannabis ne se retrouve pas en vente réglementée ou même en vente libre? On se questionne à ce sujet.

Quand on réfléchit à ces exemples troublants de médicaments comme le Redux ou le Zyban, on peut se demander pourquoi la cocaïne et l'héroïne sont toujours illégales. On sait très bien que des «pushers» vendent sur la rue de l'héroïne pure à 90 p. 100 ou 95 p. 100. Cela dépend parfois, mais on en a déjà entendu parler. Si on pense à la possibilité pour une personne de se faire une injection sécuritaire, de s'injecter à l'héroïne et d'avoir ce qu'elle appellera un bon «trip», on se demande comment cela se fait que des drogues fabriquées par des compagnies pharmaceutiques, et qui peuvent causer des décès, sont légales alors que l'héroïne est illégale.

Les hôpitaux utilisent la morphine, le Demerol, du Dilaudid, des produits dérivés de l'opium tout comme l'héroïne. C'est un peu comme si on acceptait de guérir le mal physique des gens avec des opiacés sans accepter que les mêmes produits puissent atténuer les maux psychologiques ou les inconforts sociaux tels le stress, l'anxiété et le mal de vivre que vivent plusieurs de nos concitoyens et de nos concitoyennes. C'est un constat qu'on fait et auquel on a de la misère à trouver des réponses.

Une personne qui consomme des drogues injectables, dès le départ, n'est pas malade. Elle peut avoir certains inconforts au niveau social, mais elle n'est pas malade. Si cette personne consomme dans des conditions qui ne sont pas sécuritaires et qui ne lui permettent pas d'avoir un meilleur contrôle sur l'injection, c'est là qu'il peut y avoir des problèmes, n'est-ce pas?

Aussi, comme pour les autres drogues, quand une personne abuse de l'héroïne, par exemple, ou fume deux paquets de cigarettes par jour, il peut y avoir des conséquences très néfastes sur sa santé. Plusieurs personnes contrôlent très bien leur consommation. Celles-ci vous dirons qu'il est très agréable de consommer des drogues, de consommer du cannabis, de l'héroïne ou de la cocaïne une fois de temps en temps sans que votre vie devienne nécessairement un enfer.

Chez CACTUS on voit de telles personnes qui nous parlent de leurs expériences et qui vivent des vies tout à fait normales. Évidemment, certains ont moins le contrôle, mais on essaie d'avoir une perspective globale sur les drogues et voir qui est capable de gérer sa consommation et qui ne la gère pas.

Il y a des gens qui se font une injection d'héroïne par semaine ou par mois, et qui n'ont aucun problème de consommation. Ce sont des gens comme vous et moi, mais ce sont des choses dont on ne parle pas souvent. Il y a aussi des hommes et des femmes qui consomment deux à trois fois par jour, avant, pendant et après le travail, et qui ne rapportent pas leur consommation à la maison. On connaît de telles personnes: leur «chum» ou leur «blonde» ne savent pas qu'ils consomment. Cela est assez révélateur. C'est une question qui nous préoccupe beaucoup.

À long terme ou en grande quantité, l'héroïne et la cocaïne sont potentiellement dangereuses pour la santé. La cigarette est aussi potentiellement dangereuse pourtant elle est légale et en vente réglementée. Le problème, comme on l'écrit dans le numéro de Pusher d'info qu'on vous a remis, c'est l'illégalité attribuée aux drogues.

Quand une personne s'injecte de la cocaïne 50 fois par jour, — ou on pourrait dire de l'amphétamine, parce que ce que l'on retrouve sur la rue la plupart du temps, c'est de l'amphétamine avec un petit peu de cocaïne — ce n'est pas la prison qui va l'aider. Cela est clair, net et précis dans notre esprit. On connaît beaucoup de gens qui avaient entrepris des démarches et qui, quand ils ont été incarcérés, leurs démarches ont été complètement anéanties. À leur sorti de prison, ils n'avaient pas amélioré leur condition. Au contraire, en prison ils ont amélioré leurs contacts avec le crime organisé et ils se sont peut-être même fait offrir un boulot en sortant de prison. Quand on parle de la réduction des méfaits, on pense que ce n'est pas du tout compatible.

Je prends l'exemple de la cocaïne pour éviter le ridicule si j'avais pris l'exemple du cannabis. Lorsqu'on criminalise quelqu'un pour la consommation de cannabis, on trouve cela encore plus ridicule. D'autant plus, comme on l'a entendu hier soir, aucun des témoins a dit: «Moi, je suis pour qu'on garde les lois actuelles sur le cannabis et qu'on maintienne ça au niveau pénal ou criminel.»

La police, qui est bien placée pour le savoir, parle souvent d'échec à la lutte à la drogue, n'est-ce pas?

M. Petit: Monsieur Serge Gascon, disait plus tôt qu'ils saisissaient à peine 10 p. 100 des drogues. Il est clair que la guerre aux drogues c'est un échec, même la police le dit.

La toxicomanie est un problème humain et on doit préconiser une approche humaniste et globale qui exclut, dès le départ, la judiciarisation et la criminalisation. Certain des individus ont des vies parfois très complexes. Il faut absolument tenir compte de cette diversité lorsqu'on parle de toxicomanies.

C'est à peu près l'essentiel du message que j'avais à vous livrer. L'éducation et la sensibilisation ont largement fait leur preuve en ce sens. À CACTUS on pense qu'on devrait avoir une approche ouverte de sensibilisation et d'éducation.

M. Yvan Bombardier, représentant, CACTUS Montréal: Monsieur le président, je travaille comme intervenant depuis deux ans à CACTUS auprès de toxicomanes utilisateurs de seringues. Je ne suis pas diplômé universitaire, mais mon expertise vient de 20 ans de consommation d'héroïne et de toutes sortes de drogues, dont la marijuana depuis environ 25 ans, maintenant. Et pour avoir fait des démarches thérapeutiques, avoir suivi aussi des cours de formation en intervention en milieu thérapeutique, j'en suis arrivé maintenant à travailler en première ligne.

Lorsque je vois des gens qui arrivent à CACTUS Montréal, ils sont parfois intoxiqués, très intoxiqués, dans des états souvent de panique ou recherchant de l'aide. D'autres fois, ce sont des gens qui viennent chercher du matériel simplement pour continuer le «party».

Lorsque je me retrouve à devoir échanger avec des gens qui consomment des drogues dures, je dois essayer de trouver une alternative à leur consommation. Pour les ramener un peu lorsqu'ils ont consommé trop de cocaïne, une des recommandations qu'on fait non officiellement, c'est: «Fume un gros joint, ça va te calmer.» Lorsqu'une personne est en manque d'héroïne, on lui suggère: «Écoute, si ton «pusher» n'est pas là, fume un joint, ça va temporairement te faire passer les effets du manque.» En disant cela, on suggère un acte criminel et on se retrouve souvent à devoir juger de l'éthique.

On a des adolescents qui se présentent chez nous et qui veulent essayer la cocaïne par intraveineuse pour la première fois. Mais lorsqu'on les confronte et on discute un peu avec eux, on se rend compte qu'ils consomment du pot ou qu'ils consomment d'autres drogues, et qu'ils veulent tenter l'essai. Notre suggestion, c'est: «Contente-toi de fumer du pot.» Mais, encore là, on leur recommande de faire quelque chose d'illégal. De toute façon, ils vont consommer. On ne réglera pas le problème de la consommation de drogue en la légalisant; il y aura toujours des abus. Et c'est là qu'est le problème: l'abus. Que ce soit la consommation de caféine ou de cigarettes, l'abus crée les problèmes de santé.

Il est évident qu'il se pose un problème quand la marijuana est consommée par des personnes susceptibles de problèmes de santé mentale, comme les schizophrènes. J'ai travaillé aussi trois ans à Portage, au programme «Toxicomanes souffrant de troubles mentaux» et un des problèmes que nous avions avec les gens qui souffraient de schizophrénie, c'est que lorsqu'ils consommaient trop de caféine, ils devenaient excités et se retrouvaient dans des états de psychose toxique.

C'est le même phénomène que l'on retrouve chez ces mêmes personnes qui consomment de la marijuana et qui sont susceptibles. Mais on ne peut pas généraliser sur ces données parce que ce sont des personnes susceptibles et non la grande masse des gens qui sont capables de gérer une consommation et de maintenir une respectabilité et un sens des responsabilités dans la société.

À titre personnel, j'ai consommé de l'héroïne pendant 20 ans. Aujourd'hui, si j'avais écouté mon médecin, je serais sur la méthadone. Je prendrais aussi peut-être des antidépresseurs. C'est la mode maintenant chez tous ceux qui se sèvrent des drogues dures, de leur donner des antidépresseurs pour éviter qu'ils vivent leurs sentiments.

Je fume de la marijuana. Et si ce n'était pas de ce médicament, je serais probablement en train soit de me retrouver devant un juge pour des crimes que je commettais à l'époque, ou je me retrouverais à consommer de l'héroïne lorsque je vis des moments difficiles.

Les toxicomanes, à mon avis, souffrent d'une sensibilité extrême. C'est ce qui fait qu'ils cherchent à s'automédicamenter, que ce soit avec des drogues dures parce que leur souffrance est très forte, que ce soit aussi avec des drogues légères, comme l'alcool des fois, bien que je considère celui-ci comme une drogue dure. Mais tout comme l'alcool peut être considéré comme un exutoire pour les tensions, la marijuana peut l'être aussi chez le commun des mortels.

On s'en sert aussi dans la réduction des risques de rechute. Lorsque quelqu'un vient nous voir et nous dit: «Bien, écoute, je n'ai pas consommé depuis tant de temps, je suis sorti de thérapie, je suis un peu excité, je ne sais pas quoi faire.» On lui suggère de fumer du pot plutôt que d'aller s'injecter de l'héroïne ou de la cocaïne alors que cela fait des années qu'il n'en a pas fait.

À CACTUS on se retrouve souvent à travailler de nuit. Et à la fermeture des bars, les gens nous arrivent intoxiqués à l'alcool et ce sont ces gens qui montrent des signes d'agressivité et de violence. Mais jamais les personnes qui viennent à CACTUS sous l'intoxication du cannabis se montrent-elles violentes. Jamais les gens qui sont sous l'influence de l'héroïne se montrent-ils violents. Et les gens qui viennent sous l'influence de la cocaïne sont peut-être excités, peut-être des fois en état de panique ou de psychose, mais rarement sont-ils agressifs.

L'alcool représente donc le risque le plus grand à comparer à toutes ces trois drogues que je viens de mentionner. C'est celui, en tout cas, qui nous cause le plus de problèmes au site fixe de CACTUS: l'alcool.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Je vous pose à tous les deux la même question, mais en vous demandant des points de vue différents: monsieur Petit, le point de vue de votre organisme et de son expérience; et monsieur Bombardier, votre point de vue d'après votre expérience personnelle. Depuis 20 ans, les témoins sont venus dire à notre comité qu'il fallait interdire le cannabis parce que c'est une drogue d'introduction qui amène à la consommation d'autres drogues plus dures. Que pensez-vous de cette opinion?

M. Bombardier: Pour moi, c'est un mythe. Aujourd'hui, des jeunes de 12 et de 14 ans qui ont consommé de la marijuana viennent nous voir à CACTUS, et ils veulent essayer la cocaïne ou l'héroïne à cause de la pression des pairs. On voit beaucoup de ces enfants de la rue, des punks ou des marginaux, qui traînent ensemble pendant l'été. Ils ont tendance à tomber immédiatement dans les drogues dures parce que c'est «cool», c'est la mode. Celui qui est prédisposé à l'héroïne consommera tôt ou tard des drogues dures. Pour moi, c'est une question de sensibilité, d'aptitude à faire face à la vie, et celui qui a du mal à y faire face va recourir à une drogue qui va neutraliser la souffrance, et si la souffrance persiste, il utilisera une drogue dure. Quand on a une légère douleur à apaiser, on peut utiliser la marijuana ou une drogue douce. Mais les drogues douces ne mènent pas aux drogues dures.

[Français]

M. Petit: Oui, dans les faits, je pense aussi que c'est un mythe de dire que la marijuana mène à une consommation de drogues plus fortes. Moi aussi depuis environ 15 ans je fume de la marijuana de façon très occasionnelle, tout simplement pour me délester du stress rattaché aux emplois et aux fonctions qui m'incombent.

J'ai entendu ce témoignage peut-être une centaine de fois de personnes qui me disaient: «Ah! Moi, je fume du pot mais je ne touche à rien d'autre parce que j'aime la sensation, justement, de relaxation et de détente qui vient avec.» Et ces personnes, vraisemblablement, ne toucheront pas d'autres drogues. Ou, elles vont peut-être les essayer mais cela ne sera pas le pot qui aura été l'initiateur. Ce sera peut-être une situation quelconque où la personne décidera peut-être d'essayer d'autres drogues.

À CACTUS, lorsqu'on travaille au site fixe et qu'on fait la distribution de seringues et de matériel de protection, il y a des gens qui, souvent, nous arrivent très intoxiqués à l'alcool. Ces gens veulent, lorsqu'ils sont intoxiqués à l'alcool et qu'ils ne peuvent plus continuer le «party», s'injecter à la cocaïne. Nous sommes témoins tous les jours de gens intoxiqués à l'alcool de façon excessive — comme Yvan nous en faisait part tantôt — qui, pour pouvoir continuer le «party» et être dans le «party», consomment de la cocaïne.

Donc, on pourrait se poser la même question par rapport aux drogues légales. Je ne pense pas que c'est l'illégalité ou la légalité d'une drogue qui est le sujet ici, mais plutôt de voir si une drogue mène à une autre. On voit très bien que dans le cas de l'alcool, une drogue légale, acceptée et réglementée, mène à la consommation de cocaïne.

Je pense que le mythe est peut être vrai pour certaines personnes qui ont consommé de la marijuana et qui maintenant consomment de la cocaïne. Mais le lien entre les deux n'est pas significatif, ni même révélateur. C'est peut- être une personne aussi qui est polytoxicomane et qui aime toutes les drogues, finalement. On en rencontre aussi. Il n'y a pas nécessairement de lien direct et nous en sommes régulièrement témoins.

M. Bombardier: Il y a 20 ans, j'étudiais à l'Université McGill en psychologie où j'avais un professeur qui s'appelait Ronald Melzack et qui était un neurochirurgien. Il nous avait dit que boire de l'alcool après le travail n'est pas pire que de fumer un joint de pot après le travail. Et il y a 20 ans de cela. Je parle d'un neurochirurgien qui était un disciple du docteur Penfield. Depuis ce temps, on a eu l'occasion d'examiner la situation un peu plus à fond, du moins je l'espère.

Le président: Je comprends que vous recevez des gens à CACTUS qui ne viennent pas uniquement se procurer du matériel mais aussi pour chercher de l'information?

M. Petit: Oui.

Le président: Quels sont les outils que vous avez pour leur donner cette information? Est-ce que vous construisez vous-même vos outils ou vous avez accès à des sources disponibles, des outils gouvernementaux, par exemple?

M. Petit: On a certains outils qui, en effet, sont bâtis de concert avec le département de la Santé publique, avec les régies régionales. C'est tout simplement du matériel qui prône l'utilisation de seringues stériles, qui prône l'injection sécuritaire, qui prône aussi une façon de consommer pour réduire les méfaits. C'est d'ailleurs avec cette philosophie qu'on travaille.

Le président: Leur donnez-vous des petits «kits»?

M. Petit: Des petits «kits», pour donner de l'information aux gens.

Le président: Tout à l'heure vous nous parliez de cocaïne coupée aux amphétamines. Est-ce courant?

M. Petit: Oui, c'est-à-dire qu'on sait très bien qu'il y a des gens qui sont capables de faire ce qu'on appelle du «binge hitting». C'est l'expression qu'on donne à cela, excusez-moi, je n'ai pas l'équivalent français. Mais on sait qu'il y a des gens qui peuvent s'injecter jusqu'à 50 fois par jour et que cela peut durer quatre, cinq, six jours. Si cette personne s'injectait de la cocaïne, vraisemblablement, elle serait exténuée après très peu de temps. On sait très bien que l'amphétamine peut faire en sorte que la personne va être capable de ne pas dormir pendant six jours; l'amphétamine étant un stimulant très puissant qui permet de ne pas dormir pendant un bon nombre de jours.

Le président: Il y a quand même des curieux qui vont chez vous. Vous parliez tout à l'heure d'enfants de 12 ans. Il faut quand même le faire: se rendre chez vous pour aller chercher de l'information ou au moins avoir le réflexe d'aller chez vous peut-être en pensant qu'ils trouveront le produit qu'ils recherchent.

Vous avez une responsabilité énorme d'informer une personne de 12 ans sur les conséquences de se procurer sur la rue un produit qui, souvent, n'a peut-être rien à voir avec le nom du produit qu'il recherche, mais aussi les conséquences de ces mélanges.

M. Petit: Tout à fait. C'est pour cela, lorsqu'on parlait de contrôle de qualité, on aimerait qu'il y ait le même contrôle de qualité que pour les produits d'alcool au Québec. Si on prend l'exemple de la SAQ, au Québec, c'est vraiment un exemple international. Lorsqu'un produit d'alcool reçoit le «rubber stamp» de la SAQ, il est accepté à travers le monde. Donc, d'avoir un contrôle sur la qualité des drogues est souhaitable. Ce serait aussi souhaitable qu'il y ait un contrôle sur la cigarette étant donné les substances toxiques contenues dans la cigarette.

On sait qu'il y a des amphétamines dans la cocaïne et on sait qu'il y a différentes substances qui sont utilisées pour couper les drogues. Toutefois, on n'a aucun pouvoir là-dessus. On peut dire à la personne: «Ça se peut qu'il y ait ça dedans.» Mais, la seule information qu'on peut donner, c'est qu'on ne connaît pas le contenu du produit, en fin de compte.

Le président: Je suis surtout préoccupé par le jeune qui va chez vous.

M. Bombardier: On a des outils pour eux.

Le président: Pouvez-vous m'expliquer comment un jeune peut arriver chez vous? J'ai une fille de 11 ans, comment peut-elle se retrouver chez vous à vous poser des questions?

M. Bombardier: Je vais vous donner un exemple. Une jeune fille en fugue de 14 ans, décide de venir à Montréal, quitte son foyer paternel et arrive au terminus d'autobus Voyageur, se fait solliciter par des rôdeurs qui sont là pour regarder les gens qui descendent des autobus et repérer les perdus.

On l'entraîne, d'une manière ou d'une autre, à avoir du plaisir. On lui donne de la «dope» pendant quelques jours et, éventuellement, elle reste accrochée. Ça, c'est s'il y a quelqu'un qui l'accroche. Elle peut rentrer dans un circuit de prostitution.

Et c'est pourquoi il y a un nouvel organisme qui s'appelle «Premier Arrêt», au terminus d'autobus depuis deux ans maintenant, pour vérifier ces jeunes qui descendent des autobus. Mais il y en a beaucoup qui passent.

Et ces jeunes se retrouvent parfois au Carré Berri et s'associent avec des jeunes ou des plus vieux, et ils voient les plus vieux consommer des drogues dures, ils se font entraîner. L'année dernière, j'ai vu une jeune fille de 14 ans qui faisait de la prostitution et qui commençait à peine à s'injecter, elle m'arrivait avec des bras tout blessés. C'est un jeune homme un peu plus âgé qu'elle, qui l'a introduite à CACTUS. Dans de telles situations on doit essayer de donner toutes les informations et essayer de conscientiser la jeune demoiselle aux risques qu'elle prend. Évidemment, sans faire de morale, sans chercher à condamner ce qu'elle fait.

Le président: À juger de ses actes.

M. Bombardier: Oui et à lui donner toutes les alternatives, et lui ouvrir la porte à communiquer avec nous, mais quand elle veut. On a des travailleurs de rue qui sont là de jour. Nous, on travaille de nuit. Il y a toujours moyen que quelqu'un puisse la rattraper.

On est tenu à l'anonymat. Évidemment, la Loi de la protection de la jeunesse et la Loi de la santé disent que pour les réductions des risques, qu'on ne déclare pas ces gens. Ce qui nous met une responsabilité énorme sur les épaules. Et, parfois, on est même amenés à parler avec les parents lorsque ceux-ci communiquent avec nous.

On cherche à trouver toutes sortes de moyens pour prévenir que ces jeunes s'embarquent. On a des magazines d'information de la Régie régionale, dont un magazine qui s'appelle FX, qui donne tous les détails et qui prévient de tous les risques. On a aussi des outils qu'on bâtit nous-mêmes, dont le Pusher d'info. C'est un moyen de réinsertion pour les jeunes. Les dessins à l'intérieur sont faits par des toxicomanes ou des ex-toxicomanes. C'est un moyen de se bâtir une estime d'eux-mêmes.

Le président: Êtes-vous tenus de rapporter à la DPJ le mineur qui se présente chez vous?

M. Bombardier: Non.

Le président: Vous ne le faites pas parce que vous ne voulez pas le faire, ou vous n'êtes pas obligé de le faire?

M. Petit: C'est un problème d'éthique, c'est-à-dire qu'on offre un service anonyme.

Le président: Vous devriez être obligés de le faire, mais vous ne le faites pas?

M. Petit: On offre un service anonyme et les gens ne sont pas obligés de s'identifier.

Le président: Vous avez évalué le pour et le contre?

M. Petit: Exact. Comme on le disait tantôt, si une personne de 14 ans se présente devant nous avec les bras complètement criblés de trous de seringue, si on ne lui donne pas du matériel stérile, elle va aller trouver une seringue usagée dans une ruelle et s'injecter avec. Donc, c'est en effet un dilemme éthique qui nous touche profondément. Je vous avoue parfois on ne peut pas faire autrement d'une certaine façon. On voudrait faire autrement mais c'est impossible.

M. Bombardier: Quoiqu'il y a des cas extrêmes où des décisions ont été prises, personnellement, et non pas endossées par l'équipe de CACTUS, où quelqu'un a fait des démarches avec la mère pour faire un arrêt d'agir sur une personne qui était vraiment en danger, qui était en train de se blesser elle-même gravement. Alors, dans les cas extrêmes, on intervient.

Le président: On se sert de notre tête.

M. Bombardier: On se sert de notre tête.

Le président: Nous recevons maintenant monsieur Cloutier à titre personnel.

M. Pierre Cloutier, avocat criminaliste, à titre individuel: Monsieur le président, il me fait plaisir de comparaître aujourd'hui. Je trouve que le travail de votre comité est essentiel dans ce dossier.

Depuis 33 ans, je suis membre du Barreau, j'ai plaidé des centaines de causes devant les tribunaux. J'ai été le premier avocat au Canada à contester la Loi sur les stupéfiants avec la Charte, dans le district de Mingan, dans l'affaire Lepage. J'ai plaidé aussi, devant la Cour d'appel du Québec, la cause Hamon. Nous avons aussi deux décisions, celle de La Reine c. Clay et celle de La Reine c. Malmo-Levine ainsi que Caine, qui seront bientôt devant la Cour suprême du Canada.

Je m'en suis tenu au document que vous avez publié, «Document de discussion sur le cannabis». J'aurais pu parler pendant des heures et des heures des autres drogues, mais on va s'en tenir au cannabis. Je me suis efforcé de répondre à vos questions.

La première question que vous posez: «Partagez-vous les conclusions de la recherche que nous avons présentées ici?»

Pour répondre à ces questions, je retourne à la page 7 de votre document, où vous dites: «Au total, la recherche scientifique semble indiquer ce qui suit:»

La première affirmation, est la suivante: «Le cannabis est une drogue et, à ce titre, il est préférable de ne pas en consommer.»

Je pense que le plus important pour un juriste, en tout cas, pour moi, d'après ce que j'ai constaté et qui m'apparaît au coeur de la problématique, c'est l'absence de définition juridique. On n'a jamais eu de définition juridique dans le Code criminel, dans la Loi sur les stupéfiants et dans la loi sur certaines drogues. On a une définition, qui est une définition juridique arbitraire, complètement arbitraire.

Dans la Loi sur les stupéfiants on disait qu'un stupéfiant, c'était une substance qu'on retrouve dans l'annexe de la loi. On donnait le pouvoir au gouverneur général en conseil de modifier l'annexe dans l'intérêt public. Le gouverneur général en conseil aurait pu y mettre des pommes, des oranges, des tomates, des concombres, n'importe quoi finalement. Le Parlement n'a aucun contrôle là-dessus parce que le Parlement a délégué ce pouvoir au gouverneur général en conseil.

J'ai toujours utilisé une définition un peu plus scientifique, celle de substance psychotrope. Je l'ai prise dans un document de travail du ministère de la Santé et des Services sociaux de 1994, où on définit une substance psychotrope comme étant: «Toute substance qui, de par sa composition chimique, a une influence sur les activités du système nerveux central».

D'un point de vue scientifique, on classe les drogues généralement en trois grandes catégories: les stimulants, les perturbateurs et les «dépresseurs». Dans un document récent intitulé, L'usage des drogues et la toxicomanie, on ajoute aussi les stéroïdes. On retrouve donc dans la définition, des drogues légales et des substances illégales. Cette définition ne coïncide pas avec le régime juridique. Pourquoi le tabac n'était-il pas un stupéfiant? Pourquoi le cannabis est-il un stupéfiant? Pourquoi l'alcool n'est pas un stupéfiant? Pourquoi la caféine n'est pas un stupéfiant? On n'a jamais répondu à ces questions.

Le Parlement y a répondu un petit peu. En 1989, dans la cause de Hamon, je plaidais l'irrationalité de la classification du cannabis. Je disais: «Ça n'a pas de bon sens. Un stupéfiant, si on regarde un peu l'historique scientifique des stupéfiants, relevait plutôt des drogues opiacées.» Et en 1923, on a ajouté, après qu'un membre du Parlement se soit levé en Chambre et a dit: «Au fait, on a une nouvelle drogue, et ça s'appelle le cannabis.» Il y a un député même qui s'est levé et qui a dit: «Dans les faits, c'est quoi le cannabis sativa? Est-ce intra vires

Vous voyez à peu près le niveau de connaissance. Il n'y avait pas de problème de cannabis au Canada. On l'a ajouté à la liste de façon complètement arbitraire, sans aucun débat, au Canada. C'est reconnu et c'est dans l'histoire.

Je souhaiterais que le comité se penche sur cette définition parce qu'elle est au coeur même du problème. On ne peut pas partir d'une définition aussi générique que le terme «drogue», qui a une connotation péjorative. Dans la population, la majorité des gens dans la vie prennent de l'alcool, il fument du tabac, ils prennent du café mais ils ne se considèrent pas comme des drogués. Les drogués, ce sont les autres. Mais, dans le fond, ce sont des drogués légaux.

La ligne arbitraire de la loi classe les bons puis les mauvais drogués. À gauche, vous avez les bons drogués, ceux qui fument la cigarette, ceux qui prennent de l'alcool, ceux qui prennent de la caféine. Puis à droite, vous avez les mauvais drogués, les usagers de drogues classées illégales. Cela a une importance fondamentale: les bons et les méchants. C'est complètement arbitraire. On a le nez collé sur l'arbre puis on ne voit pas la forêt.

On ne peut pas faire le procès du cannabis sans regarder ailleurs. Il faut tout mettre en perspective.

Dans la loi réglementant certaines drogues et autres substances, c'est la même chose. On n'a pas de définition. On met cela dans une annexe. C'est encore pire, le Parlement parle de la Loi réglementant certaines drogues. Il a oublié l'alcool et le tabac, comme par hasard. Il a oublié une industrie de plusieurs milliards de dollars à l'échelle planétaire. Un petit détail en passant avec le lobby du tabac et le lobby de l'alcool, M. Molson et compagnie.

À gauche, on a des «pushers» et à droite on a des honorables hommes d'affaires qui reçoivent des médailles. Monsieur Molson ne vend pas de l'eau bénite, à ce que je sache! La compagnie British American Tobacco, qui fait des commandites à travers le monde avec la course automobile, ne vend pas non plus du foin à ce que je sache.

Vous voyez là toute l'importance de cette ligne arbitraire que l'on a tracée? Cette ligne arbitraire se comprend en revoyant l'histoire, n'est-ce pas? Cela remonte à l'histoire de l'opium en 1905, avec les Chinois puis la dévastation du Quartier chinois. C'est très intéressant. C'est manifestement une ligne Nord-Sud: les pays riches contre les pays pauvres.

Il ne faut pas se raconter des histoires. Quand on regarde les lois sur les drogues, qu'est-ce qu'on veut combattre, finalement? Qu'est-ce qui ressort le plus? Le cannabis, la coca puis l'héroïne. Ce sont des drogues produites et consommées dans le Tiers-Monde. Pendant ce temps, les civilisations blanches orientales font du «dumping» de leurs produits, tabac, alcool, à travers le monde. Promenez-vous dans les aéroports, dans les boutiques hors taxes, qu'est-ce qu'on achète? Du tabac et de l'alcool.

Ce n'est pas une convention unique sur les stupéfiants qu'on a, c'est une convention inique, à sens unique. On n'a pas de définition et j'invite le comité à se pencher là-dessus pour trouver une vraie définition.

Lorsque vous dites qu'il est préférable de ne pas en consommer, je rejoins, mes prédécesseurs à ce sujet. On pourrait dire qu'il est préférable de ne pas en abuser. Comme toute substance psychotrope, il est préférable de ne pas en abuser. Parce qu'une politique intelligente sur les substances psychotropes fait toujours la différence entre l'usage et l'abus. Mais quand on interdit une substance, on ne tient pas compte de cette distinction fondamentale entre l'usage et l'abus. Ce n'est pas parce que tu utilises une substance que nécessairement tu vas en abuser.

À la question: «Quelles sont vos sources d'information?» je répondrais que, comme juriste, tout ce que je vous dis au point de vue scientifique, je le retrouve dans l'excellent travail qui a été fait dans les causes de Clay, de Caine et de Malmo-Levine. Tout est là. Il y a eu une preuve exhaustive. Moi-même je l'ai fait dans d'autres causes. J'ai eu l'honneur de rencontrer M. Kalant. Je l'ai eu comme adversaire deux ou trois fois.

Le président: M. Kalant?

M. Cloutier: M. Kalant, oui, il venait torpiller mon dossier chaque fois, en disant: «Oui, mais il y a un petit risque en quelque part, un petit risque, possiblement.» Bien oui, mais la vie est une risque aussi: dès l'instant qu'on vient au monde, on risque de se faire tuer. Puis, on va mourir à la fin. Donc, la vie est un risque.

À la question: «La recherche permet de penser que les effets connus et probables du cannabis ne justifient pas la criminalisation et la pénalisation prévues au Code criminel; partagez-vous cet avis?» Tout à fait. D'abord, l'État a le fardeau de la preuve car c'est lui qui limite la liberté de choix des citoyens. Je comprends qu'on est dans une monarchie constitutionnelle et que, théoriquement, les corps humains appartiennent à Sa Majesté La Reine. Mais dans une démocratie, ce n'est pas tout à fait cela. C'est l'État, en l'occurrence, qui, depuis 1923, puisqu'on parle du cannabis, vient limiter la liberté de choix des citoyens du Canada.

Donc, c'est l'État qui devrait avoir le fardeau de preuve et qui devrait dire à la population: «On le fait pour telles et telles raisons». On ne l'a jamais su! La loi est là depuis 1923, elle a toujours été là. Les pouvoirs de la police augmentent tout le temps. Et, c'est finalement les citoyens qui se retrouvent avec le fardeau de la preuve.

Ce n'était pas facile pour M. Caine, M. Malmo-Levine et pour tous ceux qui ont contesté ces lois d'aller devant les tribunaux. Ils sont déjà accusés, on les taxe déjà comme criminels, ils doivent dépenser de l'argent. Et, ils ont un adversaire singulier qui s'appelle «l'État» avec toutes ses ressources. Ce n'est pas facile pour eux. Ils ont le fardeau de la preuve; le fardeau est renversé.

La criminalisation devrait être un processus sérieux, avec des critères sévères et bien précis. On ne criminalise pas les citoyens, les gens au Canada, comme on réglemente la couleur de la margarine. Il faut toujours faire une distinction. La Cour suprême a fait cette distinction entre l'État arbitre et l'État adversaire singulier du citoyen.

L'État arbitre, quand il réglemente la couleur de la margarine, réglemente des conflits qui peuvent exister entre des groupes particuliers. Il agit comme arbitre, il met des normes. Mais quand l'État passe une loi criminelle, il est l'adversaire singulier du citoyen, avec toutes ses ressources. Il ne faut pas oublier cela: il y a comme un déséquilibre au départ entre l'État et le citoyen.

La criminalisation doit donc être un processus extrêmement sérieux. Lorsque j'ai commencé à pratiquer le droit criminel, le Code criminel était un livre d'une épaisseur normale, alors qu'il s'agit maintenant d'un gros volume. On comble, on remplit les trous. C'est de la surcriminalisation à outrance!

Regardez après le 11 septembre le train de législations que le gouvernement fédéral nous a envoyé. C'est épouvantable! Étant un juriste possédant une maîtrise en droit, j'ai parfois de la misère à comprendre ce qu'ils veulent dire. C'est une vraie tour de Babel, c'est effrayant et c'est inacceptable!

La criminalisation est un domaine où l'on devrait être simple afin que les citoyens comprennent vraiment. Mais ce n'est pas cela qui se passe. La criminalisation devrait aussi refléter un vaste consensus de l'ensemble des citoyens. Par exemple, pour le meurtre, l'agression physique, le viol, le vol et la fraude, les sondages révèleraient que 99.9 p. 100 sinon 100 p. 100 des citoyens pensent qu'on devrait criminaliser ces actes. Mais, dans le cas du cannabis, on n'a même pas ce consensus. On n'a même pas la majorité maintenant et les prohibitionnistes n'ont même pas la majorité.

Alors, comment voulez-vous que moralement on accepte, dans un pays où se targue à être le meilleur pays au monde au point de vue démocratique, qu'on puisse criminaliser des citoyens sans même avoir la majorité de la population avec nous? C'est inacceptable!

On doit placer la barre haute aussi quand on criminalise. On ne doit pas faire comme les deux juges dans l'affaire Malmo-Levine, et les trois juges de la Cour de l'Ontario. Les critères sont au plus bas. On a établi le critère pour criminaliser, et ce, dans la première partie de l'exercice, n'est-ce pas?

Lorsqu'on attaque des lois en vertu de la Charte, le fardeau de preuve appartient au citoyen, dans une première partie de l'exercice, de montrer qu'il y a une violation des droits. Après l'État se réserve toujours le droit, avec l'article 1, de justifier sa législation. En plus, on a cadenassé à double tour parce que le Parlement s'est réservé le droit de passer des législations nonobstant la Charte. Il y a là tout un débalancement entre l'État et le citoyen.

Dans ces causes, on n'a même pas passé la première étape. Parce que dans la première étape du processus, quand il s'agissait d'examiner les principes de justice fondamentale, on s'est mis à balancer entre les intérêts de l'État et ceux du citoyen. L'exercice qu'on aurait dû faire sous l'article 1, on l'a fait sous l'article 7. Ils ont alors sorti un critère minimal pour pouvoir criminaliser, selon la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et celle de l'Ontario, en disant: «Il faut que le Parlement ait l'appréhension raisonnée d'un tort qui n'est ni trivial ni bénin.»

C'est complètement ridicule parce qu'avec une définition comme celle-là, on peut criminaliser à peu près n'importe quoi, vous savez. La planche à voile, le ski de fond, parce que c'est dangereux, la course automobile, l'escalade en montagne, manger des hot-dogs. Il y a plein de comportements qu'on pourrait criminaliser avec une barre aussi basse que cela. Il faut élever la barre; il faut que ce soit un tort sérieux.

L'État devrait être en mesure de démontrer que le comportement visé cause du tort à autrui, c'est-à-dire est susceptible de menacer ou de violer l'intégrité de la personne humaine ou le droit de propriété. Ce sont là les deux pierres d'assise du droit criminel, c'est-à-dire qu'on protège les citoyens dans leur intégrité physique puis on protège le droit de propriété parce que c'est le prolongement de l'intégrité physique de la personne. Ce sont les bases, les deux valeurs fondamentales du Code criminel canadien.

En matière de drogues, toutes les infractions commises sont des infractions neutres: posséder, produire, posséder dans le but de vendre, puis vendre. Quand cela se fait entre deux adultes consentants, c'est la même affaire que ce que disait le premier ministre Trudeau à l'époque: «L'État n'a pas d'affaire dans les chambres à coucher...» L'État n'a pas d'affaire à mettre un policier capot pour surveiller ce qu'un citoyen met dans sa pipe. C'est le même raisonnement.

Il faut qu'on soit en mesure de démontrer, à mon avis, que le comportement visé va causer du tort à quelqu'un d'autre. Je dis souvent quand je plaide, devant un procureur de la couronne et devant un juge: «Amenez-moi les victimes. À quelle place qu'elles sont vos victimes? Il n'y a pas de victimes comme telles.» À moins qu'on dise que la victime, c'est la personne elle-même. On déresponsabilise alors la personne, on met les citoyens en tutelle. Cela n'a aucun sens.

Comme porte de sortie pour les prohibitionnistes, on dit: «Il faut que le tort aussi soit fait à la collectivité». C'est l'argument en vertu duquel on peut tout justifier: Le tort à la collectivité ou l'intérêt public. Ceci, à mon avis, est un paravent derrière lequel se cache les groupes d'intérêt pour garder le statu quo. Parce que la collectivité et l'intérêt public, c'est une notion abstraite.

Une collectivité est composée d'êtres humains. Et si un comportement ne viole pas des droits fondamentaux des êtres humains, il ne peut pas violer les droits de la collectivité. C'est aussi simple que cela. Je vous donne cela comme matière à réflexion.

L'autre question: «Des études indiquent que le régime actuel de politique publique entraîne plus d'effets négatifs que positifs. Partagez-vous ce diagnostic?» Tout à fait. Les effets pervers de la prohibition sont connus, hyper connus depuis de nombreuses années. Évidemment, les gens n'écoutent pas, mais ils ont été dénoncés. C'est difficile dans un contexte de guerre à la drogue parce que tout cela est irrationnel. C'est émotif, puis les gens n'écoutent pas. Ça rentre par une oreille, ça sort par l'autre. Mais on le sait depuis longtemps, on en a parlé depuis longtemps des effets de la prohibition.

On en retrouve plusieurs dans l'affaire Clay: criminalisation à outrance des citoyens; absence de respect de la loi; manque de confiance envers les décideurs de la santé et de l'éducation; absence de communication entre les parents et les jeunes; risques pour les jeunes d'être associés avec la criminalité organisée; aucun contrôle étatique sur la qualité des produits; création d'une sous-culture; les coûts phénoménaux de la prohibition; et l'impossibilité dans un contexte de répression de faire des recherches objectives et d'informer véritablement les citoyens. Je vais en ajouter un autre: création d'un vaste marché noir.

L'État est responsable de tout le gâchis qu'on voit avec l'affaire des motards. Vous savez, ce qui m'a fait le plus mal au coeur, c'est quand le petit Desrosiers s'est fait tuer à Montréal avec une bombe voilà une couple d'années. La mère était complètement désespérée. Évidemment, la douleur de la mère a été récupérée par les groupes prohibitionnistes puis la police a dit: «Ça nous prend plus d'outils, ça nous prend plus d'armes pour lutter contre les méchants, et caetera.» Je pleurais parce que je me disais: Pauvre madame, c'est l'État qui est responsable du bordel, c'est l'État qui est responsable de cette situation parce que c'est l'État qui est arrivé avec des lois prohibitionnistes.

En prohibant un produit, ce n'est pas difficile à comprendre, quand on interdit un produit et qu'il y a une demande, il en résulte ainsi une offre plus restreinte. Donc, s'il y a une demande, en jouant sur l'offre, on fait monter les prix. Et il y a des gens qui se lancent dans le commerce de ces substances, ils ne sont même pas obligés d'en prendre. Je pense qu'ils n'en prennent même pas, en plus. Parce que c'est payant, le produit devient aussi payant que de l'or. C'est l'État qui est responsable de cette situation.

Et tout ce qu'on fait depuis des années — ça me fait penser à l'escalade de la guerre au Vietnam — on donne de plus en plus de pouvoirs à la police. En donnant les pouvoirs à la police, c'est très rare quand on donne les pouvoirs à des gens qu'on revienne en arrière par la suite. Ils ne voudront pas se débarrasser de ces pouvoirs. Parce que la police fait du «surf» avec cela. Les policiers font des carrières avec cela. Ça fait bien leur affaire. Puis ils se targuent aussi de protéger l'intérêt public, mais bien souvent ils protègent leur propre intérêt comme groupe de pression.

J'aimerais vous parler de l'enrichissement de la criminalité organisée. Je ne connais pas Mom Boucher, mais comment pensez-vous que Mom Boucher a fait son argent? Par le trafic de la drogue, c'est archi-connu! C'est l'État qui lui a livré sur un plateau d'argent tout ce marché. Et on constitue des groupes criminels qui mettent en danger la démocratie, qui compromettent les valeurs démocratiques d'une société. Regardez ce qui se passe en Colombie ou ailleurs. C'est épouvantable et ils n'ont pas de moyen de s'en sortir.

La violence lors des contentieux c'est bien sûr que c'est normal. Ces gens ont ce plateau d'argent entre les mains. Ils ne peuvent pas régler leurs contentieux commerciaux. Molson, quand elle vend ses caisses de bière à un dépanneur, si le dépanneur ne paie pas Molson, elle va aller devant les tribunaux et va se faire payer.

Mais, quand t'es sur le marché noir causé par l'État, tu ne peux pas régler tes contentieux commerciaux dans les palais de justice. Alors, comment tu règles tes contentieux commerciaux? Par la violence. C'est exactement ce qui se passe.

Ce n'est pas la consommation des substances ou du cannabis, puisqu'on parle de cannabis, qui engendre la criminalité mais c'est sa prohibition. C'est cela qu'il faut comprendre.

Et j'oubliais, en dernier lieu, la corruption policière. Regardez ce qui s'est passé à Toronto. On a eu des exemples nous autres aussi à Montréal. Le premier exemple, je me souviens, est celui de Marchesault qui pigeait dans le coffre- fort de la police pour vendre les livres de coke et le pot sur le marché noir. Et ce n'est que la pointe de l'iceberg, parce qu'il y a de l'argent au bout.

La quatrième question est la suivante: «Chacun sait qu'il est préférable que les jeunes ne fument pas de cannabis (ni le tabac d'ailleurs); mais on sait aussi que les jeunes le font et le feront ne serait-ce que parce que l'adolescence est une période d'affirmation d'identité, d'autonomie, de recherche, de contestation, et cetera. Pensez-vous que l'interdit pénal en matière de cannabis est essentiel pour marquer une frontière claire entre le permis et le non permis?»

Je vais vous répondre par une question: Doit-on interdire l'usage du vin aux adultes sous prétexte que ce serait dangereux pour les enfants d'en consommer? C'est complètement aberrant.

Depuis 25 ans je prononce des conférences sur le sujet, puis les gens me parlent des jeunes: «Vous savez, Maître Cloutier, c'est dur pour la jeunesse.» Écoutez, là, lâchez-moi avec les jeunes! Je vais vous dire qu'au départ, je suis favorable à ce qu'il y ait une loi qui interdirait la vente du cannabis aux mineurs. Je ne peux pas vous dire plus que cela; puis avec des peines sévères s'il le faut. Mais est-ce qu'on est obligé de criminaliser les adultes pour autant parce qu'on veut protéger les jeunes? Cela n'a pas de sens. C'est complètement ridicule!

On enlève des droits aux adultes, en particulier le droit de choisir ce qui est bon ou mauvais pour leur santé, sous prétexte qu'il faut protéger les jeunes. On pêche, là. C'est un «wide cast», un grand «net». On criminalise à outrance les adultes sous prétexte qu'il faut protéger les jeunes. C'est d'un ridicule consommé!

Votre prochaine question: «Une politique publique en matière de cannabis doit-elle viser prioritairement à en empêcher l'usage ou à minimiser les conséquences de l'usage?» Toute politique publique intelligente de substance psychotrope doit faire la différence entre l'usage et l'abus. Sinon, on nie aux êtres humains adultes le droit de gérer leur corps. Le corps humain n'appartient pas à l'État. Il appartient à celui qui l'habite. Il n'y a pas de tatouage sur les corps humains au Canada qui dit: «Ce corps est la propriété du gouvernement du Canada.»

Le Canada ne devrait pas être un camp de concentration avec un policier capot par citoyen pour surveiller ce qu'il met dans sa pipe. La recherche du plaisir par la modification de la conscience a toujours été intimement liée à l'histoire de l'humanité. Et les divers groupements humains ont toujours su gérer cela de façon responsable. Sinon, les groupes auraient disparu.

La guerre à la drogue est une guerre américaine et canadienne, qui a commencé seulement au début du siècle. On n'a rien inventé en faisant cela. La seule manière de la gérer c'est par l'information et la prévention. Cela relève du domaine de la santé, pas de la police. Et dans un contexte de prohibition, on ne peut pas faire de l'information, parce que c'est trop émotif.

Je vous félicite, monsieur le président, parce que vous vous êtes dit: «Il faut que cessent ce genre d'attitudes où on dit à peu près n'importe quoi.» Vous avez fait du travail, vous et votre comité, depuis un an, pour essayer de démontrer, par l'analyse et le raisonnement, ce qui en était exactement.

Votre prochaine question: «Les études laissent penser qu'une politique publique plus tolérante n'augmenterait pas nécessairement, à long terme, la consommation; partagez-vous cet avis?» Tout à fait. C'est ce que j'appelle le syndrome du mur de Berlin.

Au début, les Allemands de l'Est se sont tous rués à l'Ouest pour profiter de ses richesses. Aujourd'hui, plus personne ne s'énerve. Ce sera la même chose avec le cannabis s'il devait être légalisé. Au début peut-être qu'il va y avoir une augmentation de la consommation. C'est possible, c'est difficile à prévoir, mais c'est possible que cela arrive. Par la suite, il y a beaucoup plus de chances que ça se stabilise et même que ça ne devienne plus à la mode du tout.

En gardant un interdit, on le rend attrayant. Vous le savez: Si les enfants vont chez leur oncle et qu'il leur donne du chocolat alors que moi je l'interdis, ça va être bien plus intéressant d'aller chez leur oncle que de rester à la maison. C'est normal!

Le président: J'ai parcouru entièrement votre texte et nous aurions des questions à vous poser à ce moment-ci.

Vous n'avez pas de problème à protéger les jeunes, par exemple, jusqu'à l'âge de la majorité?

M. Cloutier: Bien oui.

Le président: L'âge de la majorité est 19, 18 ou 20 ans?

M. Cloutier: C'est 18 ans.

Le président: Vous avez le choix. Ici, c'est 18 ans.

M. Cloutier: Oui.

Le président: Il y a des provinces où l'âge de majorité est 19 ans, il y en a d'autres où c'est 20 ans.

M. Cloutier: Ils géreront cela à leur façon.

Le président: Si je vous disais 16 ans?

M. Cloutier: Cela ne serait pas déraisonnable non plus. Mais c'est une ligne qui est arbitraire, monsieur le président, n'est-ce pas? Vous vous en rendez compte aussi.

Le président: C'est pour cela que je vous dis qu'il y en a trois, du moins j'en connais trois. Il y en a peut-être une quatrième, mais j'en connais au moins trois: 20, 19 et 18 ans.

M. Cloutier: Je pense qu'à 18 ans, cela serait bien. À 16 ans un adolescent est fragile, surtout en période d'études. Ce n'est pas nécessairement la meilleure chose à faire que de fumer de la marijuana pendant qu'on est aux études. Alors, c'est peut-être plus délicat.

S'il y avait une loi qui réglementait ce phénomène, elle pourrait faire des distinctions. Certains enfants, à 14 ans, des jeunes femmes parfois ont l'air aussi vieilles que des femmes de 18 ans. Cela dépend. Mais on n'a pas d'autre méthode de contrôle, que de mettre une ligne arbitraire à l'âge de la majorité.

Le président: Mon recherchiste vient de me faire une remarque que je me dois de partager avec tout le monde: «Comme les sénateurs, à 35 ans.»

M. Cloutier: Exact.

Le président: On ne peut pas être sénateur avant l'âge de 30 ans.

M. Cloutier: Votre prochaine question: «Si le Canada tentait de se donner une politique publique différente en matière de cannabis, doit-il craindre la réaction des États-Unis?» Vous avez bien fait de poser cette question et elle m'a donné le plus de difficulté: «Quelle pourrait être cette réaction?»

Il existe aux États-Unis de nombreux groupes antiprohibitionnistes. Les Américains ne sont pas tous des crétins. Cependant, oui, une réaction des États-Unis, du gouvernement américain, est possible. Je fais la différence entre le gouvernement américain et le peuple américain. Une réaction est à craindre, surtout avec l'administration actuelle. Malheureusement, le gouvernement canadien tient secrètes les tractations de ce genre avec les États-Unis. Les citoyens canadiens ont difficilement accès à cette information. Le gouvernement canadien devrait rompre le mur du silence et donner aux citoyens le plus d'information possible sur les pressions américaines.

J'aimerais bien savoir ce qui va se passer dans le bureau de M. Chrétien quand l'ambassadeur des États-Unis va débarquer pour parler des drogues. Je pense qu'il serait de la responsabilité du gouvernement canadien de rendre l'information disponible à la population, pour qu'on sache d'où viennent les pressions. La partie ne sera pas facile car les Américains agissent de façon irrationnelle, croyant que Dieu est toujours avec eux. La «moral majority» américaine fait peur.

Le président: Savez-vous qu'il y a eu un reportage à la chaîne Global la semaine dernière ou il y a deux semaines, lorsqu'on a commencé nos travaux à Regina? Les gens du réseau Global TV ont décidé de faire le pont entre ce qu'on faisait et ce que les Américains pensent. Ils ont retenu notre question numéro 7 puis ils ont dit: «Bien, on va creuser cette question.» Ils sont allés à Washington et ils ont eu une réponse.

M. Cloutier: Cela a été clair?

Le président: Ils ne sont pas contents.

M. Cloutier: Je le sais. La «moral majority» américaine fait peur par son fondamentalisme religieux. J'aime ce mot «fondamentalisme», parce qu'on dit toujours que ce sont les Arabes qui sont fondamentalistes. Les Américains sont fondamentalistes aussi.

Le président: Monsieur Cloutier, je vais devoir vous couper la parole très bientôt.

M. Cloutier: J'ai presque terminé. J'aborde donc votre prochaine question: «Des responsables politiques ont déjà indiqué que la politique publique canadienne ne changerait pas, quelles que soient les conclusions de ce Comité. Quel est, selon vous, le rôle du Sénat dans un débat public comme celui-ci?» Faire comme vous faites jusqu'à maintenant: Bâtir des raisonnements basés sur la recherche et l'analyse. Et surtout, informer et renseigner les citoyens. L'ignorance et la peur sont les deux mamelles auxquelles s'abreuvent toutes les dictatures: informer, renseigner et dénoncer les faussetés, les affirmations sans fondements, les mythes et la manipulation des groupes d'intérêt. Voilà le vrai boulot.

Et je termine par une citation de Thomas Jefferson, le père de la Constitution américaine: «A nation's best defense is an educated citizenry».

La prohibition actuelle empêche toute forme de débat raisonné. Elle fait appel à la peur, le fameux fléau de la drogue, et à l'ignorance.

Le président: Je vous remercie, monsieur Cloutier. Notre prochain témoin est monsieur Rick Reimer, à titre individuel.

[Traduction]

M. Rich Reimer: J'ai 47 ans et je vis dans une petite ville de l'Ontario. J'ai fumé de la marijuana quand j'étais adolescent. J'ai fait carrière comme avocat criminaliste à Pembroke, en Ontario, pendant plus de 20 ans et j'ai dû mettre un terme à cette carrière lorsque ma sclérose en plaques a été diagnostiquée en 1998.

Pendant toute ma vie, et particulièrement pendant ma carrière, j'ai consommé du cannabis à des fins personnelles et professionnelles. Le paradoxe de ma maladie, c'est que j'ai été l'un des premiers au Canada à obtenir une autorisation médicale de consommer du cannabis. Autre paradoxe, même si cela me permet, sous réserve de certaines limites, d'obtenir autant de cannabis que j'en veux jusqu'à la fin de mes jours, grâce au régime médical de cannabis du Canada, je n'en suis que plus résolu à faire en sorte que cette drogue — et je conteste même qu'il faille l'appeler drogue, mais supposons que c'en est une — que cette plante relativement inoffensive et assez bénéfique soit dépénalisée pour tous ceux qui en consomment, que ce soit à des fins récréatives ou médicales.

Ce qui est également insolite, c'est que d'une part, on considère que dans mon cas, c'est un médicament, mais que d'autre part, si sa consommation est criminelle chez les autres, c'est qu'elle doit être extrêmement dangereuse. Personne n'a encore prouvé qu'elle soit dangereuse. Il en va de même lorsque l'on considère que notre régime d'interdiction transforme 30 000 Canadiens, qui par ailleurs n'ont jamais fait de mal à personne, en criminels. Pour qu'une telle situation soit tolérée, il faut certainement de très bonnes raisons. Mais on les cherche encore.

Je suis très heureux des conclusions provisoires de ce comité sénatorial et de l'attitude réaliste qu'il adopte à l'égard du cannabis car à mon avis, le pire scandale qui ait entouré cette question depuis 30 ans, depuis la parution du rapport LeDain en 1971, c'est l'absence de débat. Il n'y a eu débat qu'entre les militants comme moi. J'ai commencé à militer pour la marijuana au milieu de ma carrière en tant qu'avocat, et je suis devenu encore plus militant lorsque j'ai embrassé la cause de l'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques.

S'il n'était pas défendu de fumer ici, j'allumerais un joint immédiatement devant vous tous en toute impunité, et mon geste ne ferait de tort à personne. Si personne n'avait l'idée d'appeler la police, il n'y aurait que de la fumée, dont je retirerais un effet bénéfique, alors qu'une cigarette serait plus nuisible à mon entourage qu'un joint et ne m'apporterait aucun effet bénéfique, comme on nous l'a dit à maintes et maintes reprises.

Le régime d'interdiction actuel impose quotidiennement des coûts occultes à chacun d'entre nous, et en particulier aux consommateurs de marijuana, à ces 30 000 personnes dont on fait des criminels pour la simple raison qu'elles ont choisi un style de vie qualifié arbitrairement de mauvais. Comment peut-on justifier la conclusion selon laquelle le cannabis est mauvais si on le compare à l'alcool, au tabac, voire même à la caféine?

Tout au long de son histoire, qui a commencé bien avant notre propre existence, la marijuana n'a jamais fait de tort à personne, contrairement à des drogues légales comme le valium, le prosac ou même l'alcool, qui imposent un lourd tribut sur tous les aspects de la vie sociale, que ce soit sur les routes, dans les chambres à coucher, dans les salons, dans les bars, sur les stationnements des bars, et cetera. Pensez aux bagarres et aux interventions de la police. Les coûts qu'impose l'alcool à la société sont sans commune mesure avec ceux que peut imposer la consommation de marijuana.

Il est essentiel que ce débat se poursuive, et je suis ravi que le Sénat ait décidé de le poursuivre.

Ces trois dernières années, j'ai été particulièrement consterné par le rejet du projet de loi d'initiative parlementaire de Keith Martin qui proposait la dépénalisation de la possession d'une petite quantité de marijuana. De nombreux milieux préconisent la dépénalisation. C'est notamment le cas de l'Association médicale canadienne et de l'Association des chefs de police. Les chefs de tous les corps de police de ce pays disent qu'il faut dépénaliser le cannabis parce qu'ils ne veulent pas gaspiller leurs ressources à lutter contre ceux qui en fument.

D'où vient l'opposition ces jours-ci? Elle vient de l'industrie pharmaceutique par l'intermédiaire des médecins et de l'Association canadienne de protection médicale.

Le comité a certainement entendu parler de la situation sans issue dans laquelle se trouvent les utilisateurs à des fins thérapeutiques comme moi. Après en avoir consommé légitimement à des fins thérapeutiques pendant deux ans, je suis en passe de perdre mon autorisation, et je vais redevenir un criminel. Tout le monde, au Canada, va dépenser de l'argent pour lutter contre moi, pour me poursuivre, au lieu de m'accorder les bienfaits médicaux que me procure le cannabis, à un coût, je le signale, que je suis tout à fait disposé à assumer entièrement moi-même. Au lieu de cela, on va verser de l'argent pour me poursuivre. Pourquoi? Parce que l'Association canadienne de protection médicale, c'est-à- dire la compagnie d'assurance des médecins, a dit à ces derniers: «Si vous approuvez la consommation de marijuana, vous ne serez plus assurés.»

Évidemment, les médecins ne veulent pas travailler sans être assurés. Ce serait pour eux une perspective très inquiétante. Je trouve scandaleux que le gouvernement du Canada, qui a fermé les yeux pendant si longtemps sur cette importante question, change maintenant d'attitude et jette la balle dans le camp des médecins en disant: «À vous de prendre la décision et de vous exposer aux critiques.»

C'est injuste, car le gouvernement a empêché les médecins de se renseigner sur le cannabis, en refusant de diffuser les connaissances et en faisant obstacle à un véritable débat. Le gouvernement a éludé ses responsabilités sur cette question. Comme je l'ai dit, il est essentiel que le débat se poursuive.

Le Sénat se demande notamment ce qu'il peut faire. À mon avis, il doit poursuivre le débat. Je défie le gouvernement, qui a conféré des pouvoirs à ce comité, d'en ignorer les recommandations. Si je saisis bien l'orientation choisie par les honorables sénateurs dans le rapport intérimaire, je suis convaincu que vous avez adopté un point de vue tout à fait réaliste, dont on ne peut que vous féliciter.

Quant à la question de la jeunesse et de ce qu'on peut faire pour elle, je reconnais que personne ne souhaite que les jeunes de 12 ou 14 ans puissent accéder librement à une quelconque substance psychotrope. C'est aussi un problème pour toutes les substances consommées oralement. Néanmoins, pourquoi pénaliser si durement le choix le plus inoffensif que notre jeunesse puisse faire?

J'ai fait ma dernière journée d'avocat criminaliste en Ontario le 31 octobre 2000, il y a un peu moins de deux ans. Pendant cette dernière journée de travail, j'ai vu un garçon de 15 ans, qui n'avait jamais eu affaire à la loi auparavant, se faire conduire en prison pour trois jours. Malgré ma plaidoirie devant un tribunal de la jeunesse censé faire preuve de compassion, ce garçon de 15 ans a été emprisonné, il est vrai pour trois jours seulement. Pourquoi? Parce qu'il avait été assez effronté pour venir un jour à l'école avec, dans son sac à dos, une pochette contenant cinq grammes de marijuana. Ces cinq grammes de marijuana auraient permis à deux, trois ou dix de ses amis de se «geler» quelque peu, mais ils ne pouvaient nullement leur faire physiquement tort, sinon qu'ils les auraient amenés à enfreindre la loi.

Si le même garçon, à 14 ans, était arrivé dans la cour de l'école avec un bâton de base-ball et avait frappé sans raison un autre élève à la tête, pas un juge de ce pays n'aurait eu l'idée de l'emprisonner pour une première infraction. Si, à la place des cinq grammes de marijuana, il avait apporté une grosse bouteille de vodka capable de tuer deux ou trois de ses amis en plus de lui-même s'ils étaient allés vider la bouteille dans un stationnement voisin, que se serait-il passé? On aurait dit: «Il faut que jeunesse se passe» et l'incident aurait vite été oublié. On l'aurait peut-être accusé, mais personne n'aurait envisagé de l'envoyer en prison.

Ce jeune de 15 ans a été incarcéré pendant trois jours parce qu'il n'avait pas appris à faire l'hypocrite comme ses professeurs. Il n'avait pas de voiture pour cacher ses cinq grammes dans la boîte à gants et les laisser là jusqu'après l'école. C'est ce qu'auraient fait ses professeurs, certains de ne courir pratiquement aucun risque, comme 90 p. 100 des consommateurs de marijuana au Canada. De façon générale, la plupart des consommateurs — comme moi-même, qui en ait consommé illégalement pendant 30 ans, même si j'en consomme aujourd'hui légalement — savent qu'en faisant attention, ils peuvent acheter la marijuana dont ils ont besoin; ils savent qu'ils peuvent la fumer prudemment sans se faire prendre.

Pourquoi est-ce que les 10 p. 100 qui se font prendre doivent-ils être considérés comme des criminels? Celui qui m'a précédé a parlé du caractère préjudiciable de la criminalité, et de la sanction. C'est un principe fondamental en démocratie. Celui qui ne cause aucun préjudice à quelqu'un d'autre ne devrait s'exposer lui-même à aucune sanction. De façon générale, ceux qui connaissent des consommateurs de marijuana savent que, toute chose restant égale par ailleurs, ils sont moins critiques et plus soucieux de leur prochain. Évidemment, ils sont un peu moins conservateurs, ils ont tendance à être plus amicaux et, finalement, à présenter toutes les qualités que l'on attend de nos contemporains; pourtant, on en fait des criminels sans raison valable.

Pourquoi l'industrie pharmaceutique s'oppose-t-elle à la dépénalisation du cannabis? Selon mon interprétation, si on dépénalisait la marijuana et qu'on permette aux Canadiens de s'en procurer assez facilement sans que cela ne perturbe leur existence, une bonne partie de la demande actuelle de médicaments comme le prozac et le valium disparaîtrait. Si les gens pouvaient prendre de la marijuana pour différentes maladies qui les obligent actuellement à prendre des médicaments, ils préféreraient prendre de la marijuana.

L'industrie pharmaceutique aimerait se placer sur ce marché. Ce n'est que ma propre interprétation, mais je suis convaincu qu'elle aimerait fournir de la marijuana si cette substance n'est plus interdite. Néanmoins, elle continue à se battre bec et ongles contre la dépénalisation, qui lui causerait autant de tort qu'au crime organisé.

Je voudrais signaler que j'ai envoyé au comité une lettre dans laquelle je réponds à toutes ses questions. J'espère que vous aurez l'occasion d'en prendre connaissance.

Je considère que la pègre profite du maintien de l'interdiction de la marijuana. Pensez, par exemple, aux agriculteurs du Québec qui se plaignent de la marijuana plantée dans leurs champs par les bandes de motards. Les motards menacent les agriculteurs de sanctions contre eux et leurs proches s'ils appellent la police. Les agriculteurs disent que c'est un terrible problème causé par la marijuana. Il n'est pas causé par la marijuana. C'est comme si l'on disait que l'enlèvement du petit Lindbergh était un problème d'enfant. C'était plutôt un problème d'extorsion.

Comment peut-on empêcher la pègre de profiter de la drogue, sinon en libéralisant l'accès à la marijuana? Qu'il s'agisse d'en faire pousser dans son jardin ou de s'en procurer auprès d'un voisin qui en fait pousser — même si c'est toujours considéré techniquement comme un acte illégal —, on ferait, à mon avis, un pas dans la bonne direction. Ce serait toujours un crime au plan provincial. Demandez-vous si nous avons encore un problème de contrebande d'alcool. Il n'y en a pratiquement pas. Connaissez-vous un contrebandier? Personne n'en connaît, car même si le commerce de l'alcool est contrôlé, l'acquisition de ce produit n'est pas un acte criminel. C'est pourquoi il n'y a plus d'argent à gagner en faisant la contrebande de l'alcool, et c'est pourquoi la contrebande d'alcool ne pose plus un problème au même titre que le trafic de drogue.

Je suis heureux que ce comité sénatorial siège à Montréal, car comme un ami me l'a expliqué hier, l'île de Montréal a été autrefois le lieu de rencontre des aînés autochtones, et ce comité sénatorial pourrait bien être un conseil d'aînés qui va montrer la voie au Canada dans sa recherche d'une solution en matière de drogue.

J'espère que le Sénat a bien entendu le point de vue des jeunes de ce pays. Je suis en contact avec eux dans la mesure où j'ai deux fils d'une vingtaine d'années et où je connais bien les jeunes dont je me suis occupé quand j'étais avocat de la défense. Je suis sûr que les jeunes de ce pays partagent mon avis sur ceux qui fument de la marijuana, dont je vous ai fait part tout à l'heure. Évidemment, il y a de mauvais sujets qui peuvent consommer n'importe quelle drogue de façon abusive.

Pour ce qui est de la marijuana considérée comme drogue d'introduction, je vous dirais ceci: 95 p. 100 des héroïnomanes actuels ont déjà fumé de la marijuana. Voilà le genre de statistiques qu'on avance pour affirmer que la marijuana est une drogue d'introduction. Sur 100 héroïnomanes, je suis prêt à parier que 98 p. 100 ont déjà consommé de l'alcool. L'alcool serait-il de ce fait davantage une drogue d'introduction que la marijuana? Non. Depuis les origines, certaines personnes ont consommé des substances de façon abusive, et il en sera toujours ainsi. C'est un problème qu'il faut gérer. Comme l'a dit le représentant de CACTUS, il faut le gérer non pas en persécutant les consommateurs et en leur imposant des sanctions pénales, mais en atténuant les méfaits, comme le montre l'exemple des Pays-Bas. Quand la société se montre plus détendue face à une drogue, on allège le tribut imposé à chaque consommateur de cette drogue, mais également le tribut imposé à l'ensemble de la société.

Aux Pays-Bas, il n'y a pratiquement plus de décès par surdose d'héroïne, parce qu'on peut se procurer une héroïne de qualité contrôlée. À Vancouver, on enregistre régulièrement des décès dus à l'héroïne. Bien sûr, la société ne veut pas favoriser la consommation de drogue mais à mon avis, elle doit reconnaître qu'il y a toujours eu de la drogue et qu'il y en aura toujours, et elle doit s'efforcer de réduire les méfaits inhérents à la consommation actuelle de drogue.

Vous demandez comment les Américains risquent de réagir et que devrait faire le Canada à cet égard. Je ne sais pas quelle sera leur réaction, mais je suppose qu'après de vigoureuses protestations, ils se rendront compte qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose face à la souveraineté du gouvernement du Canada, à part renforcer les effectifs policiers du côté américain de la frontière. Laissons-les faire. Si les Américains prennent des mesures de rétorsion contre le Canada, le reste du monde libre va s'en insurger. Je veux parler du reste du monde qui aspire à autre chose que la dépendance vis-à-vis des États-Unis. Par conséquent, les Américains finiront bien par reconnaître que nous avons pris une décision souveraine concernant la drogue dans notre pays et ils vont sans doute fouiller tous ceux qui passent du Canada aux États-Unis. Je n'y vois pas d'inconvénient.

Il se pourrait, évidemment, que la réaction américaine soit plus énergique — et c'est simplement mon opinion personnelle — mais le moment sera-t-il un jour mieux choisi qu'aujourd'hui pour s'opposer aux Américains? Serait-il préférable d'attendre un an, dix ans? Faudrait-il choisir un meilleur thème que celui-ci? Il s'agit de notre politique en matière de drogue. Sur quel thème un pays est-il davantage fondé d'agir en tant que nation souveraine, que sur la façon dont il traite des citoyens qui, pour une raison ou une autre, sont considérés comme étant en danger ou comme étant victimes d'une maladie?

À mon avis, la dépénalisation du cannabis au Canada aurait peut-être l'avantage d'amener les Amériques à reconnaître que nous sommes une nation souveraine, et d'adoucir les attitudes vis-à-vis du chanvre. C'est peut-être une question connexe, mais une fois que ce pays aura reconnu la valeur du chanvre, il en tirera d'énormes avantages fiscaux et écologiques, après avoir affirmé son droit souverain.

Je ne sais pas quelles réponses il faudra apporter à l'avenir aux questions entourant la façon dont la marijuana doit être traitée. Tout ce que je peux dire, c'est que la formule actuelle de criminalisation est mauvaise, il faut y mettre un terme, et c'est le meilleur moment pour le faire.

Le président: Merci, monsieur Reimer.

Le sénateur Banks: Je suis très impressionné par tout ce que vous avez dit, notamment sur la réaction des Américains, et vous avez certainement raison, la dépénalisation attirerait leur attention. Ils ne pensent pas souvent à nous, mais ils ne manqueraient pas de le faire ce jour-là.

Monsieur Reimer, si l'industrie pharmaceutique est effectivement opposée à la recherche sur le cannabis et à sa dépénalisation, une fois cette substance dépénalisée, elle n'hésiterait certainement pas à la breveter et à la transformer en pilule. Je n'y vois aucun inconvénient, c'est la nature même de son activité.

M. Reimer: Et s'il y en a qui veulent acheter cette pilule, grand bien leur fasse.

Le sénateur Banks: Est-il certain que l'industrie pharmaceutique s'oppose à la recherche sur la marijuana et à la levée de son interdiction?

M. Reimer: Je ne fais que conjecturer, sénateur. Je ne sais pas si c'est un fait avéré. Je pense qu'elle s'y oppose, à cause des pressions qui s'exercent sur le corps médical et parce qu'il y a toujours eu un rapport étroit entre l'industrie pharmaceutique et le corps médical. Néanmoins, ce n'est que conjecture de ma part.

Le sénateur Banks: Vous n'êtes pas le seul à le penser.

Vous dites que vous êtes sur le point de perdre votre autorisation.

M. Reimer: En effet.

Le sénateur Banks: Pourquoi? Comment cela se fait-il?

M. Reimer: C'est à cause de l'Association canadienne de protection médicale, une compagnie d'auto-assurance qui dessert tous les médecins au Canada — ils font une mise en commun pour s'assurer eux-mêmes —, car cette association a dit à ses membres: «Si vous prescrivez de la marijuana, vous ne serez plus assurés car nous ne connaissons pas suffisamment la marijuana pour vous permettre d'en préconiser la consommation.»

Le sénateur Banks: Mais vous avez une autorisation actuellement.

M. Reimer: Oui, mais on m'a dit que même si mon médecin de famille, qui me suit depuis 25 ans, acceptait de renoncer à son assurance et de signer pour moi, cela ne suffirait pas aux fonctionnaires de Santé Canada. Ils veulent la signature d'un spécialiste qui ne m'aura accordé qu'une consultation de trois heures. Évidemment, ce spécialiste refusera de signer s'il risque d'y perdre son assurance.

Le sénateur Banks: Est-ce que l'autorisation expire à date fixe?

M. Reimer: Oui, indépendamment de l'état du patient. Ma sclérose en plaques ne s'améliorera jamais. Aucun patient de cette maladie n'a jamais connu d'amélioration, et pourtant, mon médecin doit passer à travers toute une pile de courrier tous les six mois. La compagnie a menacé de le priver d'assurance s'il renouvelait mon autorisation. Il ne l'a pas renouvelée parce qu'il n'a pas eu le temps. C'est une véritable situation d'impasse, qui permet au gouvernement de se dégager de sa responsabilité en rejetant la faute sur le médecin.

Le président: Merci, monsieur Reimer.

[Français]

Le président: Notre prochain témoin est M. Marc-Boris St-Maurice.

[Traduction]

M. Marc-Boris St-Maurice, chef du Parti marijuana: Je suis un militant. J'ai donné hier un exemplaire de mon curriculum vitae au sénateur Nolin, mais je ne suis pas certain qu'il ait été versé au dossier. Depuis 10 ans, je milite et je fais tout en mon pouvoir pour faire lever l'interdiction de la marijuana. Je suis ici pour parler en mon propre nom, et non pas au nom d'un parti ou d'une organisation.

Le sujet de la marijuana me passionne. Il m'inspire des convictions très profondes. C'est une passion comparable à celle de Roméo et Juliette, unis eux aussi par un amour interdit. Les gens sont attirés par la marijuana. Ils l'apprécient et lui vouent un amour légitime, mais la société en interdit la consommation, c'est donc un terrible crève-coeur.

Mon intérêt m'a amené à faire des recherches pour trouver le plus de renseignements sur la marijuana. Au cours de mes voyages, j'ai visité l'année dernière une exposition commerciale en Europe intitulée «CanaBusiness», qui regroupait toutes les industries liées au cannabis, comme les fabricants de pipes, de papier à rouler, les éditeurs, les fabricants de vêtements en chanvre, d'aliments à base de chanvre, de matériaux utilisant le chanvre, de matériel de culture hydroponique, et tout ce qui touche à la production de cannabis.

Depuis le début de mes recherches, j'ai fait une découverte que j'estime révolutionnaire, et c'est ce dont j'aimerais parler aujourd'hui au comité. Vous remarquerez qu'actuellement, la consommation de marijuana est en pleine expansion. À mon avis, c'est la plus grande révolution depuis l'invention du papier à rouler. C'est d'autant plus important que je suis moi-même très sceptique vis-à-vis de toutes les prétentions du mouvement et de l'industrie de la marijuana, car certaines personnes ont tendance à exagérer, que ce soit pour des raisons commerciales ou financières. Moi, je suis très critique, et l'enthousiasme que m'inspire cette découverte m'incite à penser que c'est quelque chose de majeur.

En fait, il s'agit d'un vaporisateur. J'ai ici des documents sur la vaporisation que j'aimerais remettre au comité. L'un d'entre eux est signé par Dale Gieringer, le chef de la section californienne de la National Organization for the Reform of Marijuana Laws. Il a réalisé, il y a quelques années, une étude de faisabilité pour corroborer certains des arguments scientifiques que l'on formule aujourd'hui.

Depuis une quinzaine ou une vingtaine d'années, on réfléchit à la possibilité de consommer la marijuana sans la fumer. Cependant, les premiers dispositifs étaient frustres, souvent inefficaces, et reposaient sur de simples théories. On trouve dans le commerce de nombreux produits qui prétendent vaporiser la marijuana, et qui ne fonctionnent tout simplement pas, ou qui fonctionnent à un taux d'efficacité tellement faible que c'est comme si on respirait de l'air pur.

Le principe de la vaporisation repose sur le fait que les fleurs de marijuana contiennent de la résine. C'est cette résine de cannabis qui sert à faire le hachisch; c'est une sorte de gomme ou de goudron qui adhère à la surface de la plante. Cette substance passe de l'état solide à l'état gazeux en se vaporisant à une température de 180 à 190 degrés celcius, ce qui permet d'en extraire le THC et tous les ingrédients actifs sans combustion. La combustion débute aux environs de 240 degrés celcius.

La vaporisation réduit considérablement le danger, car la plupart des particules toxiques présentent dans la fumée résultent de la combustion. Elles résultent des particules «superexcitées» dégagées par la chaleur. La combustion dégage toutes sortes d'autres produits chimiques. On les décrit par des mots interminables qui en font des substances dont l'inhalation ne paraît guère souhaitable. On évite ces produits à une température moins élevée. Voilà l'information scientifique dont on dispose aujourd'hui. Il reste des recherches à faire dans ce domaine.

Il en résulte une réduction des méfaits. Ce mécanisme permet au système d'absorber le THC sans toutefois les neuf dixièmes de la camelote qui fait partie d'un joint. Maintenant, pour ce qui est du point de vue juridique et des débats entourant l'interdiction de la marijuana, tout cela est d'autant plus intéressant du fait de certains arguments présentés par les médecins. En effet, ces derniers estiment que l'une des raisons les plus légitimes qu'on puisse invoquer pour interdire la marijuana est le fait qu'il faut la fumer, et partant aspirer des particules.

Certains se demandent si la cigarette est plus dangereuse ou moins dangereuse que le cannabis. Pour ma part, je mets ces deux substances sur le même pied, car il faut inhaler de la fumée dans les deux cas si on veut en consommer. Cela dit, même s'il est souhaitable de ne pas aspirer de fumée, ça ne devrait pas servir d'argument pour interdire la consommation de marijuana. Ce n'est pas la nature du produit qui devrait gouverner les lois. J'entends par là que la possession, le trafic et la culture sont des activités illégales, mais non le simple fait de fumer un joint. On veut pourtant se servir d'un tel argument pour justifier l'interdiction.

À mon avis, il s'agit du moyen le plus sûr de consommer de la marijuana.

L'ingestion de la marijuana présente aussi des problèmes, du fait que la substance devra être métabolisée par les voies gastro-intestinales et que chacun métabolise de façon différente. L'ingestion représente donc des risques d'effets secondaires et de séquelles. En revanche, la vaporisation donne les avantages de l'inhalation tout en réduisant les risques inhérents à la présence de fumée dans les poumons. C'est aussi un moyen très rapide de faire absorber le principe actif par le système.

La méthode s'accompagne cependant d'une légère irritation pulmonaire, qu'on n'a pas réussi à éliminer. La résine de cannabis, le THC, est de par sa nature un goudron assez visqueux, qui est probablement quelque peu malsain s'il est inhalé. Il faut donc qu'on effectue davantage de recherches là-dessus. Évidemment, ici, j'y vais de mes propres conjectures, car il est peut-être aussi inoffensif de consommer de cette manière que de boire un verre d'eau. Quoi qu'il en soit, il faut qu'on fasse davantage de recherches là-dessus.

Dans tout cela, il y a une délicieuse ironie et une preuve de l'ingéniosité des habitués du cannabis. En effet, ce n'est pas au gouvernement qu'on doit cette découverte, mais à un amateur passionné de marijuana. Il s'agit d'un Allemand, qui n'aimait pas fumer et a donc songé à la vaporisation. Il cherchait à faire mieux et ma foi, il a certainement trouvé.

Dans l'industrie du cannabis, la mise au point d'un appareil à vaporiser efficace ressemble un peu à la course pour aller jusqu'à la lune. Le premier qui y arrivera va révolutionner l'industrie toute entière. En matière de sécurité, un dispositif de vaporisation sera au cannabis ce que le sac gonflable a été à l'industrie de l'automobile, c'est-à-dire un moyen plus sûr d'administrer le cannabis, d'en tirer l'effet maximum sans les effets secondaires nuisibles.

Tout cela montre aussi que les adeptes de la marijuana ne sont ni apathiques, ni idiots. En fait, ils sont remarquablement intelligents, et nous incarcérons et traitons comme des criminels certains des cerveaux les plus remarquables de notre société.

Il faut donc qu'on effectue beaucoup plus de recherches. Or l'un des problèmes avec l'interdiction, c'est qu'elle nuit justement à cette recherche. Il est très difficile pour un scientifique dans les circuits réguliers d'avoir accès au produit, même d'obtenir l'adoption d'un protocole, en raison de toute cette peur qui entoure les drogues illicites. C'est nocif à la science et à nos connaissances en tant que société. C'est tout à fait inacceptable.

Le gouvernement devrait être favorable aux recherches scientifiques. Il devrait accueillir ces gens, et travailler de concert avec eux pour réduire les méfaits, pour rendre les choses plus accessibles, plus sûres et plus efficaces, surtout maintenant que des règlements encadrent la consommation du cannabis à des fins thérapeutiques, ce qui, à mon avis, est déjà une amélioration considérable.

Dans notre pays, j'estime que chaque personne exemptée de l'interdiction du cannabis devrait avoir accès à l'un de ces dispositifs de vaporisation, et devrait bénéficier du soutien pécuniaire intégral ou au moins partiel de la part du gouvernement, car à l'heure actuelle, l'appareil n'est disponible que sous forme de prototype et coûte très cher. Il est fabriqué en acier inoxydable, et ses pièces sont toutes taillées sur mesure. Les investisseurs ont déjà mis 50 000 $ de leur propre argent dans ce projet, et ils ne sont pas encore rentrés dans leurs frais. Cela veut malheureusement dire que le dispositif se vend quelque 1 000 $ l'unité. Ici, je pense que ceux qui consomment la marijuana à des fins strictement récréatives devraient payer ce prix de détail, qui se trouverait ainsi à subventionner les malades qui ont besoin d'un traitement au cannabis sans plus tarder.

Il est intéressant de noter ici que l'appareil peut servir à d'autres usages. Il permet de vaporiser non seulement le THC du cannabis mais aussi les principes actifs du tabac. La nicotine et toute une kyrielle de substances licites et illicites se volatilisent à une température inférieure à celle de la combustion, ce qui réduit donc tous les méfaits de cette dernière. Rappelons enfin que d'autres substances se fument à part la marijuana et le tabac, comme la cocaïne, l'héroïne et la morphine, et qu'elles peuvent toutes être vaporisées. Même des médicaments d'ordonnance pourraient s'administrer ainsi. Pour revenir au tabac, le dispositif de vaporisation pourrait être employé lorsqu'on veut cesser de fumer, du fait que le fumeur en tirerait le même effet que s'il fumait la cigarette, en absorbant toutefois beaucoup moins de goudron et de particules radioactives.

Ce mécanisme représente donc d'énormes possibilités, mais personne n'en profite parce que tout le monde a une peur bleue de tout ce qui entoure la marijuana.

L'un de nos documents a été rédigé par l'inventeur du dispositif, et lui-même dit qu'en Allemagne, il ne peut pas utiliser le terme «marijuana». C'est vraiment dommage, car il aimerait beaucoup éduquer les fumeurs, leur apprendre à réduire les risques inhérents à l'inhalation. Il se trouve vraiment dans une impasse.

J'espère que dans 5 ou 10 ans, lorsque cet appareil sera plus répandu, les gens qui veulent prendre de la marijuana pourront le faire sans la fumer.

Je peux vous faire une démonstration de l'appareil avec du tabac, si vous le souhaitez.

Le président: Oui, ça m'intéresserait.

Le sénateur Banks: Est-ce qu'il nous est permis de faire fonctionner des appareils qui produisent de la fumée dans cet immeuble?

M. St-Maurice: En fait, puisqu'il n'y a pas de combustion, on peut vraiment se demander si l'appareil produit de la fumée.

M. Reimer: Personnellement, je peux offrir et fumer de la marijuana en toute légalité.

M. St-Maurice: Je vais proposer de commencer par faire une démonstration au moyen du tabac, parce que l'un des sénateurs voudra peut-être en profiter. Toutefois, après, je ferai volontiers la même chose de façon illégale au moyen de marijuana.

Le sénateur Banks: Si c'est M. Reimer qui le fait, ça ne sera pas illégal.

M. Reimer: C'est juste.

Le sénateur Banks: M. Reimer a même peut-être besoin de quelques bouffées dès maintenant.

M. St-Maurice: Eh bien, nous allons...

Le sénateur Banks: Commençons avec la marijuana.

M. St-Maurice: Si j'utilise du tabac, est-ce qu'il y a des preneurs? Sinon, en ce cas je vais aller de l'avant.

Le sénateur Banks: Pour ma part, je peux attendre, et j'aimerais beaucoup mieux voir M. Reimer bénéficier de son traitement.

M. St-Maurice: Je vais mettre tout cela en marche.

M. Reimer: Vous voyez, je vous disais bien que les adeptes de la marijuana ont le sens du partage.

M. St-Maurice: Lorsqu'on parle des valeurs judéo-chrétiennes, on entend par là qu'il faut aider son prochain et lui pardonner. Dieu a mis cette plante sur la terre, il devait avoir une intention en le faisant, enfin, ça semble logique.

Ici, vous pouvez voir le réservoir, qui comporte un filtre au fond ainsi qu'un second au sommet, en forme de rondelle, qu'on fixe sur l'ouverture. La marijuana se loge entre les deux filtres. Cet appareil très novateur comporte aussi deux ou trois éléments chauffants et un réservoir à deux compartiments. Il s'agit en quelque sorte d'un bain- marie, ce qui donne une température très constante. L'une des difficultés est d'atteindre la température exacte nécessaire à la vaporisation de chaque produit. Ici, il y a une fourchette d'à peu près 20o sur le bouton de commande, on peut donc choisir la température qu'on souhaite. C'est une simple pompe d'aquarium qui aspire l'air à travers les deux compartiments de métal, qui sont d'ailleurs troués afin de donner plus d'espace au gaz et lui permettre d'atteindre la température voulue. À une température de 180o, l'air sort très lentement et traverse les deux filtres. Un ballon doté d'une ouverture à valve sert à capter la vapeur. Il y a probablement la moitié d'un joint qui vient d'être capté ici. On n'en tirera que trois ou quatre bouffées ou inhalations, mais à une concentration beaucoup plus élevée que dans de la fumée de joint. Selon les recherches préliminaires, la teneur en THC est beaucoup plus élevée par rapport à celle des autres particules; autrement dit, le pourcentage de THC présent dans ce gaz est beaucoup plus élevé que dans de la fumée de joint ou sous toute autre forme.

En essayant ce système, on a découvert que des conduites à eau ne sont pas utiles. Lorsqu'on ferme la pompe, la valve ferme le ballon, ce qui l'empêche de se vider. On a aussi une embouchure là-dessus.

Le sénateur Banks: Je remarque que vous en avez pris un peu avant.

M. St-Maurice: J'en aurai un peu après aussi! C'est parce que je me soucis de la sécurité des gens ici présents que je me devais d'essayer d'abord le produit sur moi-même; je devais vérifier que tout fonctionne bien. Je ne voudrais pas vous faire essayer quelque chose que je n'ai pas mis à l'essai au préalable.

[Français]

Le président: Monsieur St-Maurice, vous nous dites que cet appareil permet de rechercher le THC?

M. St-Maurice: De l'extraire.

Le président: Il permet d'extraire le bénéfice du THC en laissant de côté le côté négatif de la combustion des éléments?

M. St-Maurice: Oui, je pense que c'est analogue un peu à la distillation. Comme si notre but était d'extraire un alcool à 100 p. 100 pour un usage spécifique. On distille à une température où l'alcool s'évapore et on récupère ce qui a été distillé. Dans le cas de l'alcool, on veut le liquéfier parce que c'est pour la consommation. Mais dans ce cas-ci, une évaporation se fait et reste à l'état gazeux. J'ai regardé moi-même au microscope des vapeurs qui ont été recondensées.

[Traduction]

M. St-Maurice: Quand les vapeurs se sont recondensées, je les ai examinées sous microscope, et je voyais bien les mêmes particules de résine. Elles ressemblaient à du haschich vu sous microscope. Cette substance est justement constituée de la résine extraite de la plante. Le potentiel scientifique ici me paraît considérable.

L'élimination de la combustion est certainement l'aspect le plus intéressant de l'appareil. Le ballon est en effet révolutionnaire. Les autres dispositifs de vaporisation comportant un cylindre qui émet de la vapeur n'ont aucun moyen de contrôler le rythme de sa sortie, ni la vitesse, ni la quantité.

Sur le plan scientifique, si on utilise le même genre de cannabis, en même quantité, dans un sac de taille identique et à une température elle aussi identique, pendant la même période, on obtiendra des résultats comparables qui pourront servir à des fins scientifiques. Si on veut doubler la vapeur produite, on n'a qu'à doubler la quantité de cannabis. La vapeur est proportionnelle à l'espace donné au gaz en contact avec le cannabis. Elle dépend aussi de la durée de l'exposition du cannabis à l'air. La température de l'air est également un facteur important, tout comme la quantité de résine. Une marijuana de qualité inférieure, à poids égal, contiendra moins de résine. Ce qui compte, c'est la quantité de résine.

On peut également faire s'évaporer du haschich.

J'ai parlé avec M. Mark Ware, qui a témoigné devant vous ce matin, et il aimerait faire de la recherche au moyen de cet appareil, compte tenu de son potentiel. Il m'a même demandé de lui vendre un appareil. Nous avons donc préparé une facture à son intention. Ce dispositif est fabriqué par un habitant de Tuttlingen en Allemagne, lieu réputé dans le monde entier pour ses instruments chirurgicaux. D'ailleurs l'appareil est de très grande qualité, comparable à celle des appareils médicaux. Je suis sûr que mon appareil à moi va durer toute une vie. Je ne cherche pas à le vendre, cependant, car je pense qu'il n'y a pas de preneur, sauf peut-être Rick.

Ceux et celles qui sont exemptés de l'interdiction et qui consomment de la marijuana à des thérapeutiques devraient tous avoir accès à ce dispositif, et son achat devrait en être remboursé. Ne pas le permettre revient à compromettre leur santé. À mon avis, le gouvernement devrait, à tout le moins, étudier l'appareil et voir quelles possibilités il recèle.

Jusqu'ici, nous n'avons pas réussi à intéresser qui que ce soit. Peut-être que notre démonstration d'aujourd'hui servira à débloquer les choses. Quoi qu'il en soit, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de votre compréhension, et si quelqu'un veut venir essayer cet appareil, il ou elle sera toujours le bienvenu chez moi.

Le sénateur Banks: Monsieur Reimer, aimeriez-vous nous parler de l'efficacité de ce dont vous venez de faire l'essai?

M. Reimer: C'est très efficace, monsieur Banks. Je n'aime pas fumer, et si j'avais les moyens d'acheter de grandes quantités de marijuana, je préférerais l'ingérer. Toutefois, il faudrait que j'en aie vraiment de très grandes quantités, et c'est carrément au-dessus de mes moyens. Ce nouveau système est un très bon compromis. Je n'ai jamais utilisé d'appareil comme cela auparavant, mais il semble vraiment efficace.

Mesdames et messieurs, cela montre qu'on ne devrait pas traiter le cannabis comme l'alcool. J'ai consommé l'équivalent en cannabis d'une quantité d'alcool qui rendrait ivre. Cependant, en sortant d'ici, je ne vais pas heurter quelqu'un, et n'irai pas non plus causer un accident de la route. Je demeure capable de parler de façon cohérente. Il me paraît très important de ne pas mettre la marijuana et l'alcool dans le même sac, car ils sont différents.

M. St-Maurice: Vous remarquerez que nous avons fait passer la même substance à travers le ballon plusieurs fois. Il s'agit seulement d'une question de temps et de surface où laisser s'étendre le gaz. Dans le cas où le ballon aurait été cinq fois plus grand, il aurait été possible d'y faire passer cinq fois plus d'air. Il y a toutefois une limite. Pour ce qui est de l'efficacité du système, pour ma part j'ai remarqué qu'une quantité plus faible de marijuana aura des effets plus marqués sur moi. On réduit donc la quantité utilisée parce que c'est plus efficace ainsi.

Je vais profiter de l'occasion pour vous fournir les documents dont je dispose. Ils sont on ne peut plus clairs.

Le président: Je vous remercie, monsieur St-Maurice.

M. St-Maurice: C'est moi qui vous remercie, monsieur le président. Ça été un honneur et un privilège que d'être parmi vous.

Le sénateur Banks: Est-ce que le type dont vous avez parlé vend ses appareils en Hollande, par exemple?

M. St-Maurice: Ils étaient disponibles il y a déjà deux ans, à la première foire commerciale. Malheureusement, je n'y étais pas. Depuis lors, l'inventeur en a vendu à peu près 400. En Europe, le dispositif a été homologué par la Communauté européenne, et est disponible. Il est commercialisé en Allemagne, mais les brochures explicatives ne mentionnent nullement la marijuana. On le présente comme un «appareil d'aromathérapie par vaporisation libérant les huiles essentielles et les parfums de plantes». On peut le remplir de menthe, ne pas utiliser le ballon, et cela embaumera votre maison.

Je suis fier de dire que j'ai vendu le premier de ces appareils au Canada. J'ai conclu un contrat à l'amiable avec l'inventeur. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Je vais faire tout ce que je peux pour distribuer ce produit et lui trouver des débouchés. M. Mark Ware s'est déjà engagé à en acheter un. Ce sera ma première vente. C'est d'excellent augure car l'appareil servira à des fins médicales, et l'inventeur a de la difficulté à faire reconnaître son utilité médicale en Allemagne.

L'inventeur rêve de voir son produit reconnu comme dispositif médical, mais jusqu'à maintenant, cela a été difficile étant donné le lieu où il habite et les attitudes des gens. J'ai donc résolu de faire tout ce que je peux pour y parvenir. Je crois que c'est possible. À mon avis, l'aspect récréatif de l'appareil est secondaire, et si on le vend à de telles fins, le bénéfice de la vente devrait servir à soutenir son utilisation médicale.

[Français]

Le président: Je vous remercie, monsieur St-Maurice. Nous recevons maintenant à titre personnel, M. Serge Granger, historien.

M. Serge Granger, historien: J'aimerais vous remercier, monsieur le président, de votre visite à Montréal et de nous permettre ainsi de donner nos points de vue sur une question aussi importante.

J'aimerais vous faire un petit plan de mon exposé. J'ai fait un doctorat sur les relations Québec/Chine, première partie du XXe siècle. Je suis tombé sur la question de la prohibition par pur hasard. J'ai aussi fait un postdoctorat sur les relations Québec/Inde à l'Université du Gujerãt à Baroda, en Inde; et j'ai fait un doctorat à l'Université Concordia. Ce sont plutôt des sources orientales que je vais vous soumettre ici pour vous expliquer mon point de vue sur le cannabis.

Je présume que vous savez que le cannabis est originaire de l'Asie. Il provient de la Chine et du Cachemire. Déjà dans les textes védiques indiens, qui ont 3 000 ans, l'Ayjurveda spécifie l'usage thérapeutique du cannabis et de l'opium. En Inde et en Chine, on fait l'utilisation thérapeutique du cannabis et de l'opium depuis au moins 2 500 ans. Des preuves formelles sont fournies par les médecins chinois, notamment dans l'Encyclopédie de Pharmacopée, signée par M. Ge Hong, du IIIe siècle. Certains livres de médecine tibétaine et indienne spécifient les «sweat lodges» de cannabis au Xe siècle, comme une façon d'inhaler la fumée de cannabis pour des fins thérapeutiques.

Je tiens à préciser que selon les sources historiques, j'ai discuté avec beaucoup d'historiens du Québec, de la Nouvelle-France, à savoir s'il y avait du cannabis au Québec avant l'arrivée des Européens. Il ne semble pas qu'il y ait eu du cannabis ici. Il était plutôt importé du Sud. Par ailleurs, la première plante de cannabis plantée, en Haute-ville de Québec, aurait été plantée par Louis Hébert, le premier colon québécois apothicaire. Je tiens à préciser aussi que le Marché Jean-Talon est un ancien champ de chanvre; au même titre que Hampstead, au New Hampshire.

Selon le gouvernement québécois, le cannabis, qui n'est pas thérapeutique, disons, serait parvenu ici par le biais de soldats pendant les guerres napoléoniennes.

Il n'y a pas de preuve exacte pour dire ce genre de choses. Il n'y a aussi pas de preuve pour dire que les Asiatiques ont amené l'opium et le cannabis au Canada, parce qu'il y a encore des livres et des preuves comme quoi le cannabis et l'opium se trouvaient sur la Côte Ouest du pays, probablement importés par le biais des bateaux anglais du XIXe siècle, par le trafic de l'opium.

Je tiens à vous préciser que les documents disponibles sur le XIXe siècle, traitent de la question du cannabis. Notamment, j'ai relevé plusieurs documents. Je ne les ai pas avec moi parce que je n'ai pas eu le temps de me préparer. Je n'ai appris votre venue qu'hier. J'ai toutefois l'intention de vous soumettre ces documents avant le 10 juin.

Le Presbyterian Record de 1876 considérait l'alcool comme étant plus nocif que le cannabis. Je répète: le Presbyterian Record, — ce n'est pas le parti le plus gauchiste disons, du Canada, — est publié par le YMCA, et il stipule que l'alcool était plus dangereux que le cannabis.

La prohibition a surtout été apportée ici par les missionnaires — ça, je crois que vous le savez — qui s'opposaient à l'utilisation du cannabis et des différents psychotropes. Ce fait est aussi vrai dans d'autres régions du monde. Même Gãndhi s'opposait à la distribution du cannabis, et surtout de l'alcool. L'alcool était perçu en Inde comme étant un psychotrope anglais, qui allait diminuer la capacité économique des Indiens, disons, à se gérer eux-mêmes. Le mouvement Swadeshi indien, qui proposait un boycott des produits anglais, proposait même le boycott de l'alcool anglais.

Cette approche sur la prohibition était plutôt vue comme un boycott économique. La même situation existait pendant la rébellion du Québec en 1837, où la ceinture fléchée, que l'on pense être un artefact patriotique, est au fond un symbole du boycott des lainages de provenance d'Angleterre. Tout comme le Mouvement Swadeshi de Gãndhi.

La prohibition était avant tout, à cette époque, une façon de s'accaparer le monopole économique des psychotropes sur des cultures. Un exemple frappant de cela est la prohibition de l'alcool sur les réserves indiennes ou amérindiennes. Aujourd'hui, il serait ridicule de proposer la prohibition de l'alcool, mais on sait très bien le massacre que l'alcool a fait sur les réserves amérindiennes.

Je ne veux pas revenir sur l'épisode de la prohibition au Canada dans les années 1920, avec l'association qu'on peut y faire. J'aimerais que vous pensiez sérieusement à ce type de réflexion: Est-ce avant tout une façon de s'assurer un monopole économique sur la vente des psychotropes?

À ce titre, est-ce qu'une taxe sur les buanderies chinoises de Montréal est un acte pour nettoyer l'environnement ou pour attaquer des groupes bien spécifiques?

Le cannabis, comme vous le savez, a été interdit dans les années 1920, et plus spécifiquement depuis ce temps. Il est revenu en force dans les «sixties» ou, si vous préférez, lors de la Révolution tranquille si on parle d'ici, par une génération qui voulait faire la révolution du «moi» et qui a popularisé l'usage récréatif du pot, mais qui, malheureusement, par ses lois, demeure incohérente avec ses paroles d'il y a 30 ans.

Je crois que le summum de l'absurdité a été atteint l'année passée lors de la mort affreuse d'un jeune homme, dans un bar de Québec, pendant un concours de beuverie d'alcool, où il était assis sur une chaise et on lui remplissait la bouche d'alcool. Et les jeunes lui criaient: «Bois! Bois! Bois!» Et, ils tapaient du pied et frappaient des mains. Ce jeune homme est mort. La réaction des médias et de la société a été très décourageante. À vrai dire, le concours se continue aujourd'hui et c'est toujours aussi drôle.

Je trouve incohérent qu'on puisse permettre à des gens de mourir ivres dans les bars et donner des permis à ces gens pour effectuer ce genre de spectacles, en pénalisant le fumeur de pot. À vrai dire, je n'ai pas encore rencontré un juge ou un avocat qui m'a expliqué de façon cohérente pourquoi on légalise l'usage de l'alcool et on interdit l'usage de la marijuana.

Cela fait maintenant deux ans que j'aide Claude Messier à recevoir son exemption 56 pour avoir le droit de fumer du pot; Claude Messier est atteint de dystonie musculaire généralisée où il ressent environ quinze crampes à chaque quinze minutes. Sa seule façon pour l'instant de réduire ces crampes, c'est en utilisant la marijuana. Santé Canada, au bout de cinq formulaires, cinq signatures, a refusé la demande de Claude Messier. Sa demande a été refusée. Cette décision a été une primeure, je tiens à vous le dire. Depuis le 5 avril, Claude Messier est dans l'illégalité. Je tiens à vous dire qu'il est aussi en train de faire ce qu'on appelle de la désobéissance civile, et peut-être aussi de la désobéissance criminelle compte tenu que l'usage du cannabis est toujours un acte criminel.

C'est une des raisons pourquoi je me suis intéressé à cette question parce que je trouve que, comme société avancée, nous sommes victimes de notre incohérence et de notre manque de perception réaliste et rationnelle sur le cannabis.

Ces quelques commentaires étaient ma petite introduction, si vous préférez. Je vais procéder à répondre aux questions plus spécifiques que vous cherchez à soumettre dans votre rapport.

«Les effets du cannabis justifient-ils la criminalisation et la pénalisation prévues au Code criminel?» Eh! bien, à ce titre, je suis obligé de dire non, compte tenu que l'alcool est légal.

Et: «Croyez-vous que les politiques actuelles entraînent des effets positifs ou négatifs?» J'ai de la difficulté à trouver des effets positifs, je dois vous avouer; mais j'en ai beaucoup de négatifs. J'en ai certains qui proviennent d'ailleurs des médias, et je crois qu'ils ont obtenus ces renseignements de vous.

S'il y a déjà 600 000 casiers judiciaires, et à un rythme de 30 000 arrestations par année, je crois que vous avez déjà estimé le coût à 500 millions de dollars en frais judiciaires. Si on suit la logique prohibitionniste, à 30 000 arrestations par année, à 50 000 dollars par année par individu en prison, cela fait un coût total de 1,5 milliards de dollars par année. Et il devient exponentiel au fur et à mesure qu'on fait des arrestations.

Ce qui m'inquiète le plus dans les effets négatifs, c'est les désastres qu'occasionnent la criminalisation, surtout ici, où il y a beaucoup de producteurs de pot. Les meurtres de personnes innocentes, c'est arrivé. Des logements qui brûlent suite à des règlements de comptes, cela aussi est arrivé. Des fermiers terrorisés, cela aussi est arrivé. Un climat de peur s'installe.

Je ne vais pas nommer les membres de ma famille, cependant près d'un chalet dans la région — c'est arrivé un été — il y avait des plants de pot, un membre de la famille les a déracinés. Le week-end après il est revenu au chalet et le lavabo était cassé, les fenêtres étaient cassées, tout était cassé dans le chalet.

Il y a aussi la fraude, le blanchiment d'argent et le terrorisme. Et à ce point, comment voulez-vous qu'un État sérieux contrôle une substance qu'elle rend illégale?

Le plus inquiétant c'est de voir le fossé s'agrandir entre le gouvernement et la réalité sociale. Le déficit démocratique qui est en train de se produire en ce moment est très inquiétant. Les politiciens deviennent quasiment risibles en promettant leurs baisses de taxes et du même coup en agrandissant les prisons. Ils deviennent risibles, incohérents et peu sérieux. La population a de la misère à comprendre et à croire encore en nos politiciens. Pour la population les politiciens ne sont pas des visionnaires. Il y a une contradiction fondamentale: si on agrandit nos prisons, c'est pour les remplir.

Un déficit économique important est en train de se réaliser. Encore aujourd'hui, le lobby policier demande plus d'argent pour combattre le crime organisé. Ils ont fait un point de presse ce midi à ce sujet. Le manque à gagner limite la politique d'intervention de l'État, surtout dans une politique de réduction des méfaits.

«Est-ce qu'une politique publique en matière de marijuana doit viser en priorité à empêcher l'usage ou à minimiser les conséquences de l'utilisation?» Les intervenants sociaux ont plus de difficulté avec les gens qui boivent de l'alcool; je crois qu'il faut regarder cela dans une politique de réduction des méfaits. Et selon les chiffres de la UNDP, la United Nations Drug Program, il y aurait 144 millions de fumeurs de cannabis à l'échelle globale et 144 millions de fumeurs de cannabis en prison. Cela coûte cher.

«Est-ce que Ottawa doit craindre les réactions américaines s'il modifie son approche face au cannabis?» C'est difficile de prévoir le futur. Il est certain qu'il existe une lame de fond aux États-Unis pour la fin de la prohibition des drogues, notamment, et surtout le cannabis.

Aux États-Unis, plusieurs groupes proposent la fin de la prohibition. Par contre, on peut voir aussi aux États-Unis qu'ils ont utilisé une politique des drogues, pas nécessairement pour améliorer le sort de leur propre pays mais plutôt pour contrôler des conflits internationaux. La liste du commerce de l'héroïne et du cannabis fait par le biais des agences américaines est très longue. Ou, pour le moins, ils ferment les yeux. Je pourrais vous en nommer plusieurs, notamment le Guomindang au Yunnan dans les années 1950, au Laos dans les années 1960, et plus récemment en Afghanistan ou si vous préférez, avec le service secret pakistanais et la CIA. D'ailleurs vous avez sans doute lu le livre de M. Cooley, «CIA et Jihad», où on voit clairement le financement du terrorisme par le biais de la vente de drogues.

Si on utilise le contrôle de la drogue pour intervenir un peu partout à travers le monde, c'est une chose, mais la prohibition en est une autre.

Dans le cas où il y aurait fin de la prohibition au Canada, il serait peut-être préférable pour le pays de réaffecter les forces policières, surtout les brigades des stupéfiants, afin d'éviter l'exportation du cannabis aux États-Unis et de fortifier la frontière pour éviter des imbroglios diplomatiques avec les États-Unis, s'ils veulent s'entêter dans la prohibition non productive. Ceci pourrait aussi adoucir l'approche du lobby des brigades des stupéfiants et des forces policières, car ce n'est pas parce que, du jour au lendemain, on va mettre fin à la prohibition qu'il n'y aura plus de crime organisé. Cela n'est pas vrai. Il serait préférable de réaffecter graduellement ces forces vers une concentration un peu plus pointue de la recherche pour mettre fin au commerce illégal des drogues.

Avec la satellisation du Canada dans le concept continental, renforcer la frontière ne serait pas quelque chose qui ferait mal, disons, aux Américains. À vrai dire, peut-être qu'ils seraient bien d'accord à avoir ce genre d'approche. Focaliser les efforts policiers le long de la frontière américaine pourrait permettre d'accentuer la sécurité tant souhaitée par les États-Unis. Et compte tenu que 30 p. 100 des Américains croient que le Canada fait partie des États-Unis, on pourrait passer pour un gros projet pilote.

Si vous me demandez si la tolérance entraîne une augmentation de l'usage, je crois qu'il va y avoir peut-être, du jour au lendemain, une légère augmentation. Peut-être un couple qui voulait fumer un joint et qui n'osait pas, et qui, finalement, vont le faire. Mais il faut plutôt regarder une stabilisation de la consommation s'il y a fin de la prohibition, tout comme, à l'époque de la stabilisation de la consommation d'alcool.

C'est un peu une approche historique que je vous ai faite mais, à ce titre, je voudrais vous citer aussi, en termes d'approche holistique au problème du cannabis, le premier proverbe de Confucius qui a été publié au Québec en 1835, dans le journal L'Écho du pays, un journal libéral à l'époque, le courant libéral, je dis bien, qui tentait de séculariser le réseau de l'éducation au Québec. Mais écoutez bien ce proverbe. Monsieur Boris St-Maurice pourrait peut-être l'utiliser comme slogan politique.

Si le prince veut réduire ses peuples uniquement par des ordonnances et les contenir par les châtiments, ils sauront éviter le châtiment mais ils ne sauront rougir du vice.

Confucius dans L'Écho du pays, 15 octobre 1835.

Le président: Je vous remercie, monsieur Granger.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il des questions?

Le sénateur Banks: Non, mais j'espère que vous allez donner suite à vos paroles et nous envoyer tout cela.

[Français]

Le président: J'ai vu un documentaire récemment sur la chaîne américaine ABC, je crois, sur la relation entre la CIA et les terroristes Afghans.

M. Granger: J'arrive d'un congrès de l'Association canadienne des études asiatiques tenu à Toronto, et on nous a appris que plusieurs livres viennent de paraître sur le sujet.

Le président: Sur le terrorisme et les relations du trafic de la drogue?

M. Granger: Sur les relations du trafic de l'héroïne, et un peu à quoi sert le trafic d'héroïne qui, en bout de piste, est générateur de criminalité et de terrorisme.

Le président: Il n'y a pas de doute qu'après le mois de septembre, on a réouvert la question, on a réappelé certains témoins pour essayer de creuser un peu plus la question du financement du mouvement terroriste. Et si vous avez de l'information additionnelle, cela nous intéresse.

Je remercie mes collègues qui ont accepté de se déplacer à Montréal pour cette séance du comité, le personnel du comité, ainsi que les Montréalais, et les gens de l'Ontario qui ont accepté de se déplacer pour venir nous offrir ici leurs commentaires et leurs suggestions.

La séance est levée.


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