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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 22 - Témoignages pour la séance de l'avant-midi


OTTAWA, le lundi 10 juin 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 8 h 00 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare ouverte cette dernière séance du Comité spécial sur les drogues illicites. En cette journée importante, nous recevrons les représentants des différents ministères et agences responsables pour la mise en oeuvre de la politique canadienne sur les drogues. Dans un premier temps, nous aurons, du ministère du Solliciteur général du Canada, M. Paul Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal, Secteur de la police et de la sécurité. Dans le même panel, nous recevrons, du Service correctionnel du Canada, M. Brian Grant, directeur, Centre de recherche en toxicomanie, et M. Toller, sous-commissaire, administration régionale — prairies. Se joindrons également à ce panel, de la Gendarmerie royale du Canada, M. William Lenton, sous-commissaire, services fédéraux, et M. Chuck Walker, inspecteur, officier responsable, Section des politiques des systèmes opérationnels, Sous-direction de la police contractuelle nationale.

Ayant devant nous une journée chargée, nous tenterons autant que possible de respecter notre horaire. Nous disposons ce matin d'une heure. Par conséquent, nous vous demanderons de procéder à des remarques liminaires assez brèves pour permettre à mes collègues, que je m'empresse de vous présenter, de poser les questions les plus adéquates possibles.

À mon extrême droite, de la province de l'Alberta, le sénateur Tommy Banks — je présume que la plupart d'entre vous le connaissez — ma collègue de la province de Québec, le sénateur Shirley Maheu, et à ma gauche, de l'Île-du- Prince-Édouard, le sénateur Eileen Rossiter.

[Traduction]

Monsieur Kennedy, la parole est à vous.

M. Paul E. Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal, Secteur de la police et de la sécurité, ministère du Solliciteur général: Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités à nous prononcer sur la question de la toxicomanie, qui nous préoccupe au plus haut point. Nous sommes heureux d'avoir la possibilité de vous informer de nos activités et de répondre à vos questions.

Le surintendant de police en chef Souccar est chargé, entre autres choses, de la police des drogues et du programme de lutte contre les toxicomanies administré par la GRC par l'entremise de son Service à la sensibilisation aux drogues. Il est accompagné de l'inspecteur Chuck Walker, associé à chacune des étapes de la prestation des services de la GRC. M. Walker occupe une autre fonction, en ce sens qu'il travaille auprès de la police contractuelle de la force, qui offre à contrat des services aux provinces, aux territoires et aux municipalités. Nous avons pensé qu'il serait utile de compter l'inspecteur Walker parmi nous aujourd'hui puisque le comité s'est montré intéressé par la collecte de données dans le contexte de la détermination du coût de la législation antidrogue au Canada.

Je suis également heureux d'avoir à mes côtés deux collègues du Service correctionnel du Canada: M. Ross Toller, sous-commissaire, Administration régionale — Prairies, qui fera le point sur la situation de la toxicomanie dans les prisons et répondra à vos questions à ce sujet, et M. Brian Grant, Directeur, Centre de recherche en toxicomanie, Île- du-Prince-Édouard. Le centre fait figure de point névralgique de l'ensemble de la recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie menée par le Service correctionnel du Canada dans ses efforts pour réduire les effets négatifs de la toxicomanie.

La réalité du portefeuille du Solliciteur général, des activités du ministère, de la GRC et du Service correctionnel du Canada fait qu'on fournit un large éventail de services liés à la toxicomanie. Nous avons pensé qu'il serait utile de réunir une importante délégation de témoins pour vous donner une idée de tout l'éventail.

Avec votre permission, je vais vous présenter brièvement le déroulement de la journée. Dans un premier temps, j'aimerais présenter un bref exposé faisant état de certains points saillants des activités en cours au sein du portefeuille: les activités que nous menons en réponse à ce que nous appelons les «forces extérieures», par exemple le rapport publié en décembre par le vérificateur général, les questions que vous avez soulevées, monsieur le président, dans la lettre que vous avez adressée au Solliciteur général au sujet du coût de l'application des lois antidrogue par les forces de police, la portée du phénomène de la toxicomanie dans les prisons et les politiques s'y rapportant, les programmes de traitement de la toxicomanie dans les prisons et, enfin, des statistiques sur les infractions touchant la possession. M. Grant interviendra après moi.

Même si on conçoit généralement que le portefeuille du Solliciteur général ne porte que sur l'aspect de la stratégie antidrogue fédérale ayant trait à l'offre, il n'en demeure pas moins que les ministères et les organismes soutiennent la stratégie antidrogue du gouvernement au moyen d'activités qui transcendent toute la gamme de services dans les domaines de la prévention, de la réduction des préjudices, du traitement, de l'application de la loi et de la réintégration. Je ne présenterai pas ces activités en détail, mais les renseignements figurent dans un document d'information que j'ai apporté aujourd'hui et qui vous a été distribué. J'aimerais le déposer au nom du Solliciteur du Canada. On y trouve un survol de ce qui se fait au sein du portefeuille dans les domaines de la prévention, de l'application de la loi, de la réduction des préjudices, du traitement et de la réintégration.

S'ils sont extrêmement importants pour l'avancement de notre lutte contre la toxicomanie, ces piliers sont voués à l'échec sans les efforts d'un ordre différent. Nous devons miser sur des recherches et des évaluations adéquates. De plus, les diverses administrations doivent aborder le problème de façon concertée. Le document en question décrit les mesures prises par le portefeuille pour ce faire.

Il demeure difficile de réaliser des progrès dans la lutte contre la toxicomanie. Nous sommes tous conscients du fait que beaucoup doit être fait. Au cours de la dernière année, certains phénomènes extérieurs ont mis cette réalité en lumière et ont influé sur les travaux du ministère. Parmi les forces les plus importantes qui se sont fait sentir, mentionnons le rapport que le vérificateur général a rendu public en décembre 2001: on y concluait, en partie, que le gouvernement doit améliorer les données dont il dispose sur la nature et l'étendue du problème de la toxicomanie, élaborer des indicateurs de rendement et des données d'évaluation de même que revoir les mécanismes de coordination avec le gouvernement fédéral et d'autres administrations. Votre comité et le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments de la Chambre des communes ont contribué à attirer l'attention du ministère sur ces questions.

En réponse à ces influences, le ministère a pris des mesures pour améliorer ses efforts de lutte contre la toxicomanie. En février, on a créé un groupe de travail du portefeuille chargé de réunir les diverses directions du ministère du Solliciteur général, de la GRC, du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles pour entreprendre la mise au point d'une stratégie intégrée de lutte contre la toxicomanie. La première phase de ces travaux a été la réalisation d'un bilan dont le document auquel j'ai fait référence est l'aboutissement.

Dans un deuxième temps, le groupe de travail s'intéressera à l'efficacité des divers programmes afin de constituer une stratégie de lutte contre la toxicomanie. Nous continuerons d'offrir la même gamme de services que d'habitude, de la prévention à la réintégration. Nous avons pour but d'intégrer les voies distinctes mais parallèles qui existent aujourd'hui au sein du portefeuille. À cette fin, nous avons étudié les divers éléments possibles de notre stratégie. Nous avons tenu compte des objectifs, des buts et des indicateurs de rendement communs aux membres du portefeuille et propres à certains organismes. Nous avons également analysé un cadre stratégique commun mettant en lumière les liens entre les priorités du ministère. Par exemple, la stratégie antidrogue est liée au volet de notre programme national de lutte contre le crime organisé axé sur l'offre. Nous savons que le trafic de drogue demeure la principale source de revenu des groupes appartenant au crime organisé qui interviennent en amont de la chaîne de distribution. Nous devons donc cibler nos efforts sur ces groupes, comme le fait la GRC, pour créer un environnement favorable à la réussite des efforts que nous déployons dans les domaines de la prévention et du traitement. C'est en ce sens que l'application de la loi complète la prévention et le traitement.

Il est tout aussi important d'établir un lien entre notre stratégie antidrogue et nos priorités relatives à la demande, par exemple la stratégie de prévention du crime du portefeuille. On dénote des recoupements importants entre la toxicomanie et la Stratégie nationale sur la sécurité communautaire et la prévention du crime, que le Solliciteur général copréside avec le ministre de la Justice. Depuis son lancement en 1998, la stratégie nationale a financé plus de 150 projets de lutte contre la toxicomanie dans les collectivités de tout le pays. En plus d'élaborer des objectifs communs au portefeuille, nous avons établi que la capacité de recherche jouait un rôle clé. Nous savons, par exemple, que la prévention efficace passe par la recherche et que, du point de vue de la police, la recherche accuse des lacunes.

Nous savons que la police, qui lutte tous les jours contre la toxicomanie, se trouve sur la ligne de front et que son expérience demeure une ressource inexploitée. De plus, au moment d'élaborer une nouvelle stratégie nationale, nous tenons à ce que notre vision ne soit pas qu'un simple ramassis de mesures ponctuelles et à ce qu'elle s'appuie au contraire sur des données probantes. Nous voulons également encourager l'intégration avec les provinces, les territoires et les municipalités.

Maintenant que les honorables sénateurs ont une idée de l'état de la situation et des orientations que nous entendons prendre, permettez-moi de passer aux questions précises que vous avez soulevées, sénateur Nolin, dans votre lettre au Solliciteur général, laquelle portait sur le coût de l'application des lois antidrogue par les forces de police, l'importance du phénomène de la toxicomanie dans les prisons et les politiques s'y rapportant et, enfin, le programme de traitement de la toxicomanie dans les prisons.

En ce qui concerne la première question, à savoir le coût de l'application, je précise d'entrée de jeu que le Programme antidrogue fédéral de la GRC collige des données détaillées sur les dépenses affectées aux activités du programme. En s'aidant de ces données, le vérificateur général a estimé que, en 1999-2000, la GRC avait consacré 164 millions de dollars aux efforts de réduction de l'offre. Ce montant comprenait les coûts directs liés à l'application des lois antidrogue de même que ceux se rapportant à des domaines tels que les produits de la criminalité, les douanes et l'accise.

Comme le vérificateur général l'a fait valoir, ce montant ne concerne que les services fédéraux offerts par la GRC, et non les services de police que la GRC offre à contrat à des provinces ou à des municipalités. Pour ce qui est de la police contractuelle, l'application des lois antidrogue s'effectue parallèlement à un certain nombre d'autres services: en règle générale, les agents contractuels offrent les services normalement associés aux policiers en uniforme, c'est-à-dire les tâches policières normalement effectuées dans les collectivités. Il est donc difficile d'établir le pourcentage de leur temps qu'ils consacrent à une telle activité. Il est encore plus difficile de le faire lorsque les infractions liées aux drogues découlent d'autres infractions, ce qui est souvent le cas.

On ne doit pas oublier que les salaires et les avantages sociaux dont bénéficient les agents de police comptent pour une part importante des coûts associés à toute force policière. Pour déterminer avec exactitude le coût de l'application de la politique antidrogue applicable aux polices contractuelles, on devrait mesurer le temps consacré à ces efforts.

On le fait pour les membres de la GRC travaillant pour les services fédéraux, mais le système actuel ne permet pas de recueillir de telles données dans le cas de la police contractuelle. On s'emploie à la mise au point d'un nouveau système peut-être capable de rendre compte d'une telle information. Cependant, étant donné l'importance des fonctions policières contractuelles exercées au jour le jour, il demeure très difficile de distinguer de façon significative les activités relatives à la lutte antidrogue.

L'inspecteur Walker a apporté avec lui un graphique montrant comment la GRC, les services fédéraux et la police contractuelle colligent des données et pourquoi le service fédéral est en mesure d'évaluer le coût des enquêtes sur les drogues, au contraire de la police contractuelle. Si vous le souhaitez, il pourra vous distribuer le graphique et vous l'expliquer un peu plus tard.

J'aimerais maintenant dire un mot de la façon dont les forces de police provinciales et municipales assument les coûts en question. Récemment, nous avons entrepris un processus pour déterminer l'information dont on dispose sur les coûts de l'application de la loi de même que les lacunes dans ce domaine. Le mois dernier, à l'occasion de la plus récente réunion du Comité national de coordination sur le crime organisé, que je préside, notre ministère a distribué un questionnaire pour colliger les données existantes sur les coûts de l'application de la loi dans les provinces et les territoires. Depuis, le questionnaire en question a été distribué aux forces de police de tout le pays par l'entremise de l'Association canadienne des commissions de police. L'analyse des résultats, une fois que nous aurons reçu les questionnaires, nous intéresse au plus haut point.

La deuxième question du président portait sur l'importance de la consommation de drogue dans les prisons et les politiques s'y rapportant. Près de 70 p. 100 des délinquants sous responsabilité fédérale ont des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie. Plus de la moitié d'entre eux étaient sous l'influence de drogues ou d'alcool au moment de la perpétration du crime qui leur a valu leur peine d'emprisonnement actuelle. Environ 20 p. 100 des détenus ont été reconnus coupables d'infractions liées aux drogues. Dans le contexte d'une population carcérale profondément enracinée dans la culture de la drogue, il est très difficile de faire en sorte que les drogues n'entrent pas dans les prisons.

Le Service correctionnel du Canada fait appel à un certain nombre de mesures d'application pour remédier au problème de l'offre de drogue dans les établissements fédéraux. Il effectue des fouilles, surveille les secteurs où il existe de fort risque de contrebande dans les établissements et travaille avec les forces de police pour mettre en commun des données sur les questions relatives aux drogues.

En 2001, le Service correctionnel du Canada a introduit des détecteurs ioniques dans tous les établissements afin de limiter l'introduction de drogues. En septembre 2003, on s'attend à ce qu'un chien détecteur de drogue soit présent dans tous les établissements. On a recours à des analyses d'urine pour identifier des délinquants qui consomment de la drogue et les dissuader de le faire. Les résultats du programme de tests d'urine aléatoires donnent certaines indications sur les drogues utilisées et les utilisateurs. Les résultats nationaux du programme d'échantillonnage aléatoire pour 2000-2001 font état de 12 p. 100 de tests positifs pour au moins une drogue.

Votre troisième question, monsieur le président, portait sur le programme de traitement offert dans les prisons. Tous les délinquants ont accès à des programmes de traitement. Un éventail de programmes s'offre aux délinquants pour rompre le cycle de la dépendance et réintégrer la collectivité en toute sécurité. De même, les délinquants ont accès à des services de soutien par l'entremise des Alcooliques Anonymes et des Narcotiques Anonymes. Pour les détenus qui souhaitent ne pas consommer d'alcool ni de drogues, le Service correctionnel du Canada établit des unités de soutien intensif dans tous les établissements pour hommes à sécurité maximale, minimale et moyenne. Ces unités fournissent un environnement mieux structuré, y compris un plus grand nombre de fouilles et de dépistage de drogue, pour aider les délinquants dans leurs efforts pour renoncer à leurs habitudes de consommation. On prévoit établir des unités semblables dans tous les établissements pour femmes en 2002-2003.

L'étude réalisée en 1999 a fait état de résultats intéressants: parmi les délinquants ayant participé à un programme de traitement de la toxicomanie avant leur mise en liberté, le nombre de réincarcérations a été inférieur de 13 p. 100, le nombre de nouvelles condamnations, inférieur de 29 p. 100, et le nombre d'infractions violentes, inférieur de 53 p. 100 au cours de l'année suivant la remise en liberté, par rapport à un groupe témoin de délinquants n'ayant pas suivi le programme.

Avant de conclure, j'aimerais dire quelques mots au sujet des statistiques sur les infractions relatives aux drogues. Je suis certain qu'on vous a abondamment parlé des taux d'infraction. Avec votre permission, je vous invite à interpréter prudemment les statistiques citées hors contexte. À titre d'exemple, certains, après avoir comparé le taux d'infraction pour possession au taux d'infraction pour trafic, en sont venus à la conclusion que la police cible les utilisateurs individuels.

Nous avons quelques raisons de croire qu'il n'en est rien. On devrait comprendre les statistiques dans le contexte dans lequel elles ont été recueillies. Le fait que les statistiques rendent compte d'un taux élevé de possession et d'autres infractions s'explique peut-être par quelques raisons. On doit ainsi tenir compte du phénomène de la négociation de plaidoyers, en vertu duquel des infractions plus graves, y compris pour trafic, culture et possession en vue d'un trafic, sont abandonnées en échange d'un plaidoyer de culpabilité à des accusations de possession. Il est possible que cette pratique altère les données. Dans de tels cas, la possession est toujours une infraction plus mineure et incluse. Des données démographiques, par exemple le phénomène du baby-boom et de l'écho, peuvent avoir pour effet d'augmenter la consommation de drogue et, par conséquent, les infractions qui s'y rattachent. En ce qui concerne les délits mineurs, je constate généralement que bon nombre de délinquants sont âgés de 15 à 24 ans. On observe donc de petits soubresauts rendant compte de la présence des enfants du baby-boom et de l'écho.

La façon dont Statistique Canada recueille les données a aussi son importance. On me dit que les infractions liées au trafic ne comptent que pour une seule infraction même si elles s'inscrivent sur une période donnée. C'est ce qu'on appelle la règle de l'«infraction continue». Les infractions pour possession, en revanche, ne sont pas consignées de cette façon. De plus, la première version du service de déclaration uniforme de la criminalité de Statistique Canada qu'utilise aujourd'hui la GRC pour présenter des infractions exige que seules les infractions pénales et les infractions pour trafic les plus graves liées à un incident soient signalées. Dans un cas d'entrée par effraction, où un agent de police trouve de la marijuana sur l'accusé, Statistique Canada consignera l'inculpation pour possession et non celle pour entrée par effraction. Des études de cas montrent que la vaste majorité des infractions pour possession de cannabis découlent d'autres infractions, par exemple des entrées par effraction. Mon affirmation s'appuie sur l'Analyse des résultats d'une étude sur la narco-criminalité menée dans la région d'Ottawa-Carleton de 1996 à 1998.

On a introduit une série d'instruments législatifs et stratégiques novateurs et équilibrés, qui vont des tribunaux de traitement de la toxicomanie aux condamnations avec sursis en passant par les programmes de mise en garde par la police et les programmes de déjudiciarisation, pour éviter aux utilisateurs des démêlés plus profonds avec le système de justice pénale.

En conclusion, je constate que les honorables sénateurs ont entendu Bob Lesser, surintendant principal de la GRC, en octobre et plus récemment à l'occasion de sa comparution avec l'Association canadienne des chefs de police (ACCP). Cependant, je ne crois pas qu'on vous ait parlé expressément du contexte correctionnel. Voilà pourquoi nous avons avec nous aujourd'hui le sous-commissaire Toller, qui a déjà comparu devant le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments de la Chambre des communes. Il sera en mesure de répondre à vos questions. M. Grant aimerait maintenant faire quelques commentaires.

M. Brian Grant, directeur, Centre de recherche en toxicomanie, Service correctionnel du Canada: Honorables sénateurs, le Solliciteur général, l'honorable Lawrence MacAulay, a fait l'annonce du Centre de recherche en toxicomanie du Service correctionnel du Canada en novembre 1999. Un nouveau centre a ouvert ses portes à Montague, à l'Île-du-Prince-Édouard, en mai 2001. Il a pour fonction d'effectuer des recherches appliquées pour aider le service à comprendre les questions qui entourent la toxicomanie et mettre au point des programmes capables d'aider les délinquants à surmonter leur pharmacodépendance. Nous bénéficions d'une occasion unique de travailler auprès des délinquants incarcérés et de ceux qui vivent dans la collectivité. De cette façon, nous pouvons apporter une contribution à la sécurité de l'ensemble des Canadiens.

Le centre est unique au monde. Il s'agit du seul centre de recherche créé par un organisme correctionnel pour s'attaquer expressément aux problèmes que posent les toxicomanies. Avec son effectif de 20 employés, le centre compte en outre parmi les plus importants centres de recherche en toxicomanie du Canada. S'il a été établi, c'est parce que nous comprenons que, grâce à la recherche et à l'élaboration de programmes, nous pouvons faire en sorte que les délinquants bénéficient des programmes les plus efficaces et les plus efficients qui soient. Cependant, les connaissances que nous générons ont des avantages qui vont bien au-delà de services correctionnels et s'appliquent à tous les Canadiens.

Au centre, nous mettons l'accent sur quatre aspects: premièrement, l'élaboration de programmes actuellement centrée sur des programmes sensibles aux différences culturelles à l'intention des femmes et des délinquants autochtones; deuxièmement, la recherche axée sur les programmes dans les domaines comme les interventions communautaires, le maintien à la méthadone, les unités de soutien intensif et le syndrome d'alcoolisme fœtal. Le troisième secteur qui nous intéresse est l'évaluation et le contrôle, lesquels nous permettent de mesurer des tendances au fil du temps pour évaluer la réussite de nos interventions. Le dernier aspect, qui est aussi le plus important, a trait à la diffusion des connaissances. Pour ce faire, nous avons recours à des rapports, à des réunions et à des partenariats avec des ministères du gouvernement, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, les universités et les collèges et les organismes communautaires qui travaillent dans le domaine des toxicomanies.

Récemment, nous avons réuni 160 chercheurs, employés des services correctionnels et représentants d'organismes communautaires du Canada et d'ailleurs s'intéressant aux toxicomanies pour participer à une conférence internationale d'experts. La conférence avait pour but d'élaborer une série de priorités en matière de R-D. Elle a également encouragé la collaboration entre administrations: en effet, elles font toutes face à des problèmes analogues de toxicomanies dans leur réseau d'établissement correctionnel.

La recherche est un volet clé de toute stratégie antidrogue efficace, et l'élaboration de programmes novateurs doit permettre la mise en application de ces recherches. Le Centre de recherche en toxicomanie réunit ces deux facteurs. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Nous en sommes aux derniers stades de la préparation de notre rapport. Bien entendu, certaines données nous manquent. Je vais vous prendre au mot et demander à nos deux attachés de recherche de communiquer avec vous ou avec vos collègues pour établir les chiffres en question. Nous cherchons à comprendre pourquoi, à première vue, les chiffres semblent se contredire.

Le sénateur Banks: Ma première question s'adresse à M. Grant. Y a-t-il dans le réseau des établissements correctionnels des titulaires d'un permis ministériel leur permettant de consommer du cannabis à des fins médicales?

M. Grant: Je crois comprendre qu'il n'y en a pas pour le moment.

Le sénateur Banks: Avez-vous une idée, monsieur Kennedy, du pourcentage d'infractions pour possession de cannabis qui, comme vous l'avez dit, «découlent» d'autres infractions? Vous avez dit avoir une idée approximative du nombre de personnes qui, à la suite d'une entrée par effraction, par exemple, ou d'autres crimes, seront aussi inculpées de possession. Avez-vous un pourcentage à nous communiquer?

M. Kennedy: Je peux faire certains commentaires généraux à ce sujet, puis je céderai la parole à M. Walker.

Le sénateur Banks: Pendant que vous en serez à vos commentaires généraux, peut-être pourriez-vous nous expliquer comment Statistique Canada consignerait un tel cas.

M. Kennedy: Je vais répondre au premier élément de votre question. Puis je vais m'en remettre à l'inspecteur, qui s'occupe de la collecte de données répondant aux besoins de Statistique Canada.

Lorsqu'on arrête l'auteur d'une infraction, coupable de quelque délit mineur, on assiste à un phénomène particulier. La personne est interceptée, arrêtée et fouillée: on cherche des armes ou autre chose. Si elle a des drogues en sa possession, elle sera inculpée. En d'autres termes, l'infraction première n'était plus nécessairement liée aux drogues; il s'agissait d'autre chose, mais on trouve des drogues pendant une fouille. La même chose pourrait se produire lorsqu'on intercepte et fouille un véhicule: dans de tels cas, la découverte de drogue découle d'une autre infraction, quelle qu'elle soit.

En ce qui concerne les infractions liées aux drogues, il arrive que les services de police interviennent parce qu'ils ont affaire à une culture hydroponique. Ils examinent la situation et, selon la quantité de drogue saisie, ils décideront peut- être de porter des accusations non pas pour la culture hydroponique, mais bien plutôt pour la possession. Peut-être la quantité saisie n'est-elle pas suffisante pour justifier le dépôt d'accusations plus graves. Dans ce contexte, on arrête et fouille les particuliers. Si on trouve de la marijuana en leur possession — il n'est pas rare que les trafiquants de drogue ou les personnes qui en cultivent aient de la marijuana sur eux pour leur consommation personnelle —, on rendra peut- être compte des incidents comme s'il s'agissait, en regard des condamnations, de cas de possession. En fait, on n'a pas affaire à une personne qui marchait dans la rue ou se trouvait chez soi avec un joint de marijuana. Il s'agit d'une infraction qui découle d'une autre infraction.

De la même façon, j'ai en main certaines données sur les peines d'emprisonnement purgées par les personnes reconnues coupables de possession de marijuana. Je travaille dans ce domaine depuis environ 28 ans. Au début des années 70, j'ai agi pendant huit ans comme procureur fédéral chargé d'infractions liées aux drogues. À l'époque, le gouvernement avait introduit les libérations absolues et conditionnelles comme moyen d'atténuer le phénomène des délinquants qui en étaient à une première infraction et qu'on a surpris en possession de marijuana, ce qui leur valait un casier judiciaire. Comme vous le savez, dans les cas de libération, la personne est reconnue coupable, mais elle n'est plus condamnée. On l'assujettit plutôt à une période de probation.

À la fin des années 70 et au début des années 80, nous devions travailler d'arrache-pied pour obtenir une peine d'emprisonnement pour possession de marijuana. En général, il fallait qu'on ait affaire à une personne qui s'était rendue coupable d'infractions multiples. On pouvait dire: «On vous a déjà donné assez de chances.» Ou encore, la possession s'assortissait d'une autre forme d'activité criminelle. Ne pas imposer de peine d'emprisonnement à la suite d'accusations portant sur la marijuana n'avait pas vraiment de sens — c'est un exemple. On imposait une peine d'emprisonnement, laquelle était généralement purgée concurremment à toute autre peine. On observait le même phénomène relativement à d'autres infractions. À moins d'avoir exercé dans le domaine, on a parfois l'impression, à l'examen des statistiques sorties de leur contexte, que la situation est inhabituelle. Cependant, lorsque les choses sont remises dans leur contexte, on comprend le fonctionnement réel.

Voilà pourquoi je vous invite à faire preuve de prudence dans l'examen des données. Je sais que chacun fait de son mieux, mais les données peuvent paraître inhabituelles, sauf lorsqu'on travaille dans le domaine.

Le sénateur Banks: Nous nous sommes intéressés à ces chiffres, et le président a fait référence à certains que nous aimerions consolider. Nous nous rendons compte que les policiers ne courent pas les rues dans l'espoir d'appréhender des personnes qui ont un joint de marijuana sur elles. Vous avez dit que les méthodes utilisées par Statistique Canada pour rendre compte des données avaient un effet de distorsion.

M. Kennedy: Je vais laisser le soin de répondre à l'inspecteur Walker.

M. Chuck Walker, inspecteur, officier responsable, Section des politiques et des systèmes opérationnels, Sous-direction de la police contractuelle nationale, Gendarmerie royale du Canada: Le système que nous utilisons présentement pour saisir les données statistiques alimente une déclaration uniforme de la criminalité appelée DUC 1. Il s'agit de la première déclaration de la criminalité mise au point par le Centre canadien de la statistique juridique il y a de nombreuses années. Depuis, on a renouvelé les déclarations, lesquelles supposent plus de consultations auprès des policiers que celle que nous utilisons présentement.

Ce sont les règles applicables à cette déclaration qui régissent les données qui sont acheminées à Statistique Canada et celles que nous saisissons à nos propres fins.

On a fait plus tôt référence à la règle de l'«infraction la plus grave». Il s'agit d'une occurrence fréquente, en particulier dans les affaires de la police contractuelle. Nous recevons un appel pour une entrée par effraction, par exemple. Dans le cadre de l'enquête, on porte des accusations pour possession de marijuana.

C'est la gravité des infractions qui détermine celles dont nous rendons compte à Statistique Canada. Lorsqu'on a affaire à des cas d'entrée par effraction mêlés à pratiquement toutes les infractions liées aux drogues, et pas seulement les cas de possession, ce sont les données relatives à l'entrée par effraction qui sont acheminées, selon la règle de l'infraction la plus grave.

Le sénateur Banks: De la même façon, on retrouve dans la population carcérale un pourcentage plus grand de personnes accusées de possession et d'autres infractions que ce que révèlent les statistiques.

M. Walker: Cela ne fait aucun doute.

Le président: La possession simple n'est pas la seule infraction, les entrées par effraction constituant l'exemple le plus répandu. Comme on a affaire à une infraction plus grave que la possession simple, les dossiers rendront compte de l'entrée par effraction, et non de la possession.

M. Walker: Exactement.

Le président: Si j'ai bien suivi M. Kennedy, la possession simple est consignée dans les statistiques en même temps qu'un autre crime. Pour un seul et même incident, on pourra consigner deux crimes.

M. Walker: Je veux parler du cas de la GRC parce que nous utilisons le DUC 1, forme de déclaration obéissant à la règle de l'infraction la plus grave. Pour tout incident donné, nous rendons compte uniquement de l'infraction criminelle et du délit de la route le plus grave.

Dans les versions plus récentes des déclarations utilisées par certains services de police, par exemple le DUC 2.1, outil actuellement utilisé par Statistique Canada, la règle est qu'on consigne les quatre infractions les plus graves découlant du même incident.

Le président: Dans votre témoignage, monsieur Kennedy, vous avez fait référence à une nouvelle façon de consigner les crimes.

M. Kennedy: En ce qui concerne la plus ancienne, vous ne devez pas oublier ce qui risquait de se produire. En mai 1997, le gouvernement a adopté la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Auparavant, la possession de marijuana était une infraction hybride passible d'une peine d'emprisonnement maximale de sept ans. Depuis, il s'agit uniquement d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité lorsqu'on a affaire à des quantités inférieures à un gramme de marijuana. À l'examen des données, on doit tenir compte du fait que le seuil était légèrement plus élevé en 1997. Les cas de voies de fait simples ou de vol entraînaient peut-être une sanction moins sévère que les sept années pouvant être imposées pour possession de marijuana.

Le président: Je vais demander à M. Lafrenière de communiquer avec vous pour examiner vos chiffres. Nous tenons à bien les comprendre. Si le chiffre de 30 000 par année que nous avançons est incorrect, nous allons le modifier. Nous ne voulons pas citer de données qui ne reflètent pas la réalité. S'il y a un chiffre, nous tenons à le connaître.

Le sénateur Banks: Le régime de collecte de données plus nouveau est-il en place? A-t-on supprimé l'ancien? Sommes-nous aujourd'hui au stade où chacun s'entend sur les chiffres ou allons-nous y parvenir?

M. Walker: Nous y arriverons. On s'affaire présentement au remplacement des systèmes utilisés par la GRC. L'adoption de la nouvelle déclaration entraîne un certain défi technologique. L'application que nous utilisons pour la collecte de données est le Système des rapports statistiques sur les opérations (SRSO), qui ne peut pas transmettre les données du DUC à la nouvelle déclaration.

Nous allons très bientôt adopter de nouveaux systèmes de gestion de la consignation des incidents. En fait, on a déjà envoyé les appels d'offres. On recevra sous peu les soumissions. Après une brève période d'évaluation, on s'affairera à la mise au point de la technologie de remplacement et on la mettra en œuvre.

Le nouveau système sera compatible avec le DUC 2,1, ce qui signifie que nous colligerons les données et les ferons parvenir selon les règles qui s'appliquent à cette déclaration — à savoir les quatre infractions les plus graves pour chaque incident. À ce moment-là, la plupart des grandes forces de police du Canada compteront des pommes de la même façon.

Le sénateur Banks: Avez-vous un échéancier en tête?

M. Walker: La nouvelle application est le Système de rapports et d'incidents de la police (SRIP). Selon les échéanciers prévus, un contrat sera octroyé cet été. Nous recevrons la première version un an plus tard. L'année suivante, 80 p. 100 des utilisateurs de la GRC commenceront à s'en servir.

Le sénateur Banks: Vous avez dit, monsieur Kennedy, que, parmi les détenus dont les crimes avaient trait à la toxicomanie, 20 p. 100 avaient été incarcérés pour des infractions liées aux drogues. Dois-je comprendre que les 80 p. 100 qui restent ont rapport à des incidents liés à l'alcool?

M. Ross Toller, sous-commissaire, Administration régionale — Prairies, ministère du Solliciteur général: Nous n'avons pas avec nous les données ventilant les 20 p. 100 de notre population, mais nous pouvons vous les procurer.

Le sénateur Banks: Non, je ne veux pas parler des 20 p. 100 de la population, mais plutôt des 20 p. 100 de personnes trouvées coupables accessoirement liées à la toxicomanie.

M. Toller: Vingt pour cent des détenus purgent une peine pour une infraction au Code criminel liée aux drogues. J'ajouterais qu'on fait état de problèmes de toxicomanie pour jusqu'à 70 p. 100 des détenus. Cependant, le nombre est nettement plus grand que les 20 p. 100 qui ont été directement inculpés d'infractions liées aux drogues.

Le sénateur Banks: Ce sont deux choses distinctes. Vous parlez de la population en général, et M. Kennedy parlait de cas où le crime était directement relié à la toxicomanie, quoique de façon accessoire.

M. Kennedy: Ce que j'ai dit, c'est que près de 70 p. 100 des délinquants sous responsabilité fédérale éprouvaient des difficultés liées à l'alcoolisme ou à la toxicomanie. Plus de la moitié d'entre eux étaient sous l'effet de l'alcool ou de drogues au moment de la perpétration de l'infraction.

Il peut s'agir d'une dispute conjugale à l'occasion de laquelle la personne a les facultés affaiblies, d'une agression ou d'une forme de violence plus grave. On arrête la personne et on l'incarcère. Dans ce cas, l'alcool a de toute évidence joué un rôle important. Par ailleurs, 20 p. 100 des détenus ont été reconnus coupables d'infractions liées aux drogues.

Dans le domaine de la prévention, il existe de toute évidence une corrélation entre l'alcoolisme et la toxicomanie et des comportements antisociaux qui vous valent une peine d'emprisonnement. Dans les établissements fédéraux, en particulier depuis l'introduction des peines avec sursis, l'alcool et les drogues sont des facteurs qui jouent un rôle important dans la perpétration d'infractions graves.

Je suis certain que Santé Canada vous a présenté des statistiques. L'alcool est la drogue dont on abuse le plus souvent.

Le sénateur Maheu: M. Kennedy a fait allusion à ses longs antécédents au sein du système. Il nous a parlé du défi que représentent les drogues dans les établissements pénitentiaires, des détecteurs ioniques et du chien détecteur qu'on retrouvera sous peu dans tous les établissements.

J'ai pour ma part 20 années d'expérience relativement au dossier des drogues dans les établissements pénitentiaires. En français, on dit: «Plus ça va, plus c'est pareil.» Je plaisante. Quel changement avez-vous observé au cours des 20 dernières années? D'après ce que M. Grant et vous avez dit, je n'ai pas l'impression que la situation des établissements pénitentiaires ait beaucoup changé au cours des 20 dernières années. Que se passe-t-il?

M. Kennedy: J'ai 28 années d'expérience dans ce domaine particulier. Je participe également à des tribunes internationales. Je dirige la délégation canadienne à la commission hémisphérique qui lutte contre la toxicomanie. Le Dr Beale a également comparu devant vous.

Nous devons situer le problème dans le contexte, de la même façon que nous le faisons pour tout comportement antisocial. On entend parler de la «lutte aux drogues», ce qui laisse entendre que nous parviendrions à les éliminer. Nous avons affaire à la condition humaine et à des comportements antisociaux, qu'il s'agisse du vol, de la prostitution ou d'un acte aussi simple que le fait de mentir. Quelqu'un, je crois, a produit une étude montrant que même les meilleurs d'entre nous mentent deux cents fois par jour — on fait référence aux petits mensonges sociaux qui nous permettent de continuer à vivre —, mais nous ne renonçons pas pour autant à la vérité. Il existe un code de la route. Cependant, je soupçonne de nombreuses personnes de commettre des excès de vitesse. Elles modèrent probablement leurs transports en raison de l'existence du code de la route. Nous tentons de contrôler le comportement humain de façon qu'il ne porte pas de graves préjudices à la société.

Il existe des pays qui ont moins bien réussi que le Canada à contrôler le problème de la toxicomanie. Qui plus est, nous connaissons la criminalité dont le problème s'accompagne — corruption, crime organisé, violence et ainsi de suite.

Je tiens à situer mon objectif dans le contexte. Je n'ai pas pour but d'éliminer le mensonge, le vol ou la toxicomanie. Les personnes de ma génération avaient l'habitude de dire au sujet des méthamphétamines: «Le speed tue.» On avait affaire à un grave problème d'usage intraveineux. Il s'est estompé pendant un certain temps avant de revenir en force avec une autre génération. Chaque génération doit apprendre de nouveau certaines leçons. Dans les années 1890 et 1900, la cocaïne présentait un problème d'envergure. Il a disparu et est de retour aujourd'hui. Notre société est aux prises avec ces phénomènes. Le mot «lutte» utilisé en français laisse entrevoir davantage la notion de démêlés que de «guerre», mot utilisé en anglais. La société s'est efforcée de contenir ces problèmes avant qu'ils ne deviennent irrépressibles.

C'est un principe que nous devrions garder à l'esprit au vu de la rhétorique qui entoure cette question depuis des années, selon laquelle on réussira, d'une façon ou d'une autre, à faire disparaître les drogues. Je pense qu'elles vont disparaître le jour où nous seront tous morts. La toxicomanie est un phénomène lié à la condition humaine. Il s'agit uniquement d'une substance menant à l'accoutumance.

M. Toller: Je travaille dans ce domaine depuis 25 ans. Ce qui n'a pas changé, c'est la volonté des citoyens de s'adonner à des activités liées aux drogues. Comme M. Kennedy a souligné, avec une population intéressée par ce genre d'activité atteignant 70 p. 100, il est clair que les niveaux de motivation ne disparaissent pas dès l'instant où les intéressés sont admis dans un établissement fédéral ou font l'objet d'autres types d'intervention.

Au fil des ans, nous avons apporté des améliorations spectaculaires dans un certain nombre de domaines. Nous avons eu recours au détecteur ionique. Nous continuons d'examiner de nouvelles technologies dans l'espoir de réduire les activités touchant l'offre. La présence d'un chien détecteur de drogue dans chacun des établissements nous assure une accessibilité immédiate. Le recours à ces chiens se révèle efficace. Au cours des dernières années, nous avons été témoins de progrès dans le programme d'analyse d'urine, qui n'existait pas il y a deux ou trois décennies. Notre réseau d'information, les communications et le partage de l'information avec la police et d'autres organismes se sont améliorés de façon remarquable au cours des dernières années.

Dans nos programmes, nous avons réalisé des progrès considérables. Nous encourageons les détenus à renoncer à leur habitude et nous les soutenons au moyen d'un éventail de programmes de pointe. Nous effectuons des évaluations à un stade précoce pour déterminer les niveaux d'intervention nécessaires. Avec l'alcool, par exemple, il est possible que l'alcoolisme mondain ait peu d'effet sur le comportement criminel, mais l'alcoolisme pur et dur exige une intervention plus intensive.

Nos programmes sont agréés. Ils s'appuient sur des comités nationaux et des recherches. Nous élaborons un éventail de projets de recherche pour définir ce qui fonctionne bien. Nous constatons certains résultats importants qui, pour la plupart, comptent un élément cognitif en ce qui concerne la redéfinition de l'intérêt que suscite l'adoption de ce genre de comportement social.

Nous avons également mis au point des unités de soutien intensif dans nos établissements. Il y a quelques décennies, vous n'auriez rien trouvé de ce genre. Non seulement a-t-on amélioré les fouilles et les analyses d'urine, mais en plus on renforce le désir et la motivation de s'attaquer au problème.

À mon avis, nous continuons de réaliser des progrès. Ce qui n'a pas changé, ainsi que vous l'avez indiqué, c'est l'intérêt d'une partie de la population pour l'adoption de ce genre de comportement.

Le sénateur Maheu: Le Service correctionnel du Canada fournit-il des ressources monétaires suffisantes pour aider les détenus à surmonter leurs problèmes?

M. Toller: Récemment, on a investi considérablement dans le soutien de l'infrastructure de programmes, dans le cadre de l'élaboration et du perfectionnement de nos programmes et de l'examen des recherches. Nous étudierons la possibilité d'injecter de nouveaux fonds dans les secteurs où les résultats sont prometteurs. Au moment où nous entreprenons de définir des interventions qui ont fait leurs preuves, vous constaterez dans ce contexte plus d'activités visant à réduire le comportement criminel.

Le président: J'ai quelques questions. Je tiens à remercier l'ADRC de l'occasion qui nous a été donnée de voir les chiens en action à Windsor. Est-ce le genre de chiens auxquels vous avez fait référence?

M. Toller: Oui. En fait, on les considère comme des chiens d'intervention passifs.

Le président: C'était la question que je voulais poser ensuite. S'agit-il de chiens passifs ou actifs? Nous avons vu les chiens actifs au travail, et l'idée qu'ils puissent effectuer des recherches sur moi ne me plaît pas du tout.

M. Toller: Ils deviennent actifs lorsqu'ils trouvent des drogues. Il s'agit de la même approche.

Le président: Êtes-vous au courant du dossier sur les suspects que l'ADRC tient à jour?

Nous avons eu une rencontre privée avec ces gens. J'ai demandé à M. Lafrenière, au moment où il communiquera avec vous, de déterminer si cette information demeure au Canada ou si elle est communiquée à nos voisins. Je vais lui demander aussi de poser des questions au sujet de la protection des droits que la Charte confère aux Canadiens. Je comprends pourquoi l'ADRC tient à jour une liste de suspects, mais l'ADRC et le CIPC sont deux entités différentes.

Monsieur Kennedy, êtes-vous en mesure de confirmer que la qualité de la connaissance que nous avons du problème de la toxicomanie au Canada et dans le monde est au mieux contradictoire? Que devrions-nous faire pour nous doter de connaissances solides et impartiales? Est-ce par là que nous devrions commencer ou encore par l'étude de la possibilité d'adopter une nouvelle stratégie antidrogue?

M. Kennedy: Non, vous êtes sur la bonne voie. La dernière étude que Santé Canada a réalisée sur la toxicomanie remonte à 1992 ou à 1994. On a consacré certaines études aux utilisateurs. Le Manitoba et l'Ontario ont réalisé certaines études dans les écoles.

Les données mondiales sont inégales et sporadiques, pour dire le moins. Elles nous fournissent des indications générales, mais beaucoup reste à faire. Le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies fait lui aussi du bon travail. Par l'intermédiaire des Nations Unies et de la commission hémisphérique, nous tentons d'introduire le Mécanisme multilatéral d'évaluation (MME) pour déterminer la situation dans 34 pays et tenter d'établir une base de données à des fins comparatives. La question qu'on pose toujours est la suivante: «Avez-vous un impact ou réalisez- vous des progrès?» C'est difficile à dire tant et aussi longtemps qu'on ne dispose pas d'une base de données valide et fiable. Nous n'en sommes pas encore là.

Le président: L'observation de la prévalence est une chose, et la recherche en est une autre. Je ne veux pas entrer dans les outils précis, mais je suis certain que vous savez exactement ce que je veux dire. Au cours des quatre dernières années, on a entrepris quelque 4 000 projets de recherche, et les protocoles ne correspondent pas exactement à ceux sur lesquels nous voulions fonder la politique antidrogue canadienne. Parfois, on adopte la conclusion avant d'avoir les résultats en main. Ce dont on a besoin, c'est de recherche impartiale, neutre, objective et fondée sur des données probantes. Je pense que nous travaillons dans le même but.

M. Kennedy: Oui, assurément.

Le président: La recherche doit aussi bénéficier d'un financement suffisant.

M. Kennedy: Oui, vous avez raison. Il s'agit d'un grave problème partout dans le monde. Nous sommes en train de perdre des générations à cause de la toxicomanie. L'une de nos principales préoccupations a trait aux jeunes, parce que certaines données laissent croire qu'ils commencent de plus en plus tôt à consommer. Ce sont les années de formation, celles au cours desquelles on acquiert des valeurs, des connaissances et des aptitudes à la vie en société. Lorsqu'on vieillit, on a du mal à rattraper le temps perdu. Il existe de nouvelles drogues de confection comme l'ecstasy, et nous nous interrogeons sur les effets pour les utilisateurs.

Lorsqu'on colmate une brèche, une autre s'ouvre ailleurs. À maints égards, ces drogues nous poseront davantage de problèmes puisqu'on n'aura pas affaire à des cultures, comme c'est le cas pour l'héroïne, la cocaïne ou la marijuana. Dans des sociétés industrialisées avancées comme l'Europe, le Canada et les États-Unis, un chimiste doué peut fabriquer les drogues en question à profit. Quelles sont les répercussions pour les utilisateurs? La situation est préoccupante.

Nous avons besoin de recherche valable sur les tendances relatives aux drogues, de manière à pouvoir mettre au point des interventions. L'éducation et la prévention sont la clé. Notre barque prend l'eau, et nous devons tenter de colmater la brèche et d'écoper en même temps. Pendant que nous nous affairons, on perce un trou ailleurs. Au plus fort de la lutte contre la cocaïne, quelqu'un a mis au point le crack. Un autre a conçu les méthamphétamines. L'idée d'utiliser des seringues déplaît? Qu'à cela ne tienne. On a mis au point l'Ice, qui se fume. La cote de popularité de l'héroïne baissait? On a accouché de l'héroïne qui se fume.

Le président: On obéit aux lois du marché.

M. Kennedy: Exactement.

L'autre enjeu a trait à la pertinence des données. Il arrive parfois qu'on desserve ses intérêts en évaluant l'ampleur du problème. Le phénomène repose sur une formule: imaginons que nous saisissons seulement 10 p. 100 de la drogue. L'approche ne semble pas scientifique puisque, si je saisis une tonne de cocaïne, je postule qu'il y en a dix tonnes. Si j'en saisis dix tonnes, l'hypothèse est qu'il y en a 100 tonnes. Un tel raisonnement m'est toujours apparu illogique puisqu'il suffirait de ne rien saisir pour régler le problème.

Nous avons besoin de données adéquates sur les propriétés pharmacologiques, et nous devons connaître les répercussions sur la santé humaine, sans parler de l'ampleur du problème. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'on doit effectuer un éventail de recherche plus complet.

Le président: La terminologie me pose un autre problème. En 1964, l'Organisation mondiale de la Santé a recommandé d'éviter d'utiliser le mot français «toxicomanie» pour de nombreuses raisons fondées sur la véritable signification du mot. Je crois comprendre qu'on l'utilise dans la version française et qu'on assimile, à tort, l'expression «substance abuse» à «toxicomanie». Par l'expression «substance abuse», faites-vous référence à la notion de dépendance? S'agit-il de deux problèmes différents? Si nous pouvions nous entendre sur les mêmes termes, nous aurions réglé 25 p. 100 du problème.

Vous avez fait référence à une étude portant sur les condamnations. A-t-elle été menée pour le compte de la police d'Ottawa?

M. Kennedy: Je crois qu'il s'agit de l'étude réalisée à Ottawa.

Le président: Dans la recherche que vous menez au Centre de recherche en toxicomanie, coordonnez-vous vos activités avec celles de l'ACSM de Toronto?

M. Grant: Nous avons eu des rencontres avec des représentants de l'association. Une part de notre programme de recherche vise l'établissement de liens au sein de la communauté et la coopération. En fait, ces personnes étaient massivement représentées à l'occasion de notre dernière conférence internationale. De bonnes occasions s'offrent à nous dans ce domaine.

Le président: Si je pose la question, c'est parce que, pour ces gens, l'abstinence n'est pas une règle.

M. Grant: Exactement. Dans notre programme, nous ne commençons pas par demander aux gens d'accepter l'abstinence comme mode de traitement de la toxicomanie. Ils ne sont pas autorisés à consommer des drogues pendant qu'ils sont détenus. Cependant, on érige un mur devant les intéressés: pour être admis dans un programme, ils devront renoncer à toute forme d'utilisation, quelle que soit la substance concernée.

Si, par ailleurs, vous leur dites que le programme a pour but de leur enseigner à contrôler leur problème de consommation, ce qui représente un point de vue plus positif, les personnes qui accusent une forte dépendance se rendent souvent compte, à la conclusion du programme, qu'elles ne peuvent continuer de consommer, et c'est leur choix. Il vaut beaucoup mieux qu'elles fassent ce choix par elles-mêmes que de le leur imposer dans le cadre du programme.

Le président: Par conséquent, vous n'appliquez pas la règle dès le premier jour de leur participation au programme, n'est-ce pas?

M. Grant: À l'occasion de leur première visite, nous ne leur disons pas qu'ils doivent cesser de consommer.

Le président: La personne est en prison, et les drogues sont interdites.

M. Grant: Les drogues sont interdites en prison, mais, à leur sortie, les intéressés peuvent recommencer à consommer ou s'en abstenir. C'est l'espoir que nous caressons à la fin du programme. Cependant, l'abstinence est peut- être la seule solution qui s'offre aux personnes atteintes d'une forte dépendance. Pour d'autres, les alcooliques, par exemple, ramener la consommation à un niveau sûr peut être une solution acceptable. Lorsqu'elles renoncent aux substances qu'elles utilisent, les personnes renoncent à leurs structures de soutien. Nous devons leur fournir une structure de remplacement dans l'espoir qu'elles finiront par faire le bon choix.

Le président: J'ai une dernière question à poser au sujet de l'analyse d'urine. Est-il vrai que les prisonniers utilisent d'autres drogues parce que le cannabis laisse des traces dans leur urine? Avez-vous observé qu'ils passent à autre chose?

M. Grant: Nous n'avons pas fait un tel constat. L'autre jour, j'examinais des informations à ce propos, et l'une des statistiques les plus intéressantes fait état d'une recrudescence de la consommation de marijuana. Les données relatives aux analyses d'urine indiquent que l'utilisation de la marijuana était à la hausse dans la région du Pacifique, où se pose aussi le problème de consommation d'héroïne le plus aigu. Si les intéressés se tournaient vers l'héroïne pour éviter d'être dépistés, nous ne constaterions pas une augmentation de la consommation de marijuana. Cette dernière est demeurée relativement stable au fil des ans, et la consommation d'autres drogues n'a pas augmenté. Nous n'avons pas de données qui confirment ce que vous avancez.

Le président: Disposez-vous de statistiques fiables sur la consommation de cannabis dans le réseau des établissements pénitentiaires du Canada?

M. Grant: Oui, et ces données proviennent de deux sources. Celles qui résultent des analyses d'urine sont probablement les plus objectives. Nous savons combien de personnes ont consommé de la marijuana. Nous avons également en main les chiffres concernant d'autres drogues.

Nous disposons également de données sur la consommation de cannabis que les détenus fournissent eux-mêmes au moment de leur admission dans nos établissements. Nous savons que 80 p. 100 des délinquants consommaient du cannabis dans la collectivité. Quelque 50 p. 100 d'entre eux sont les utilisateurs habituels de cannabis. Nous le savons à la lumière de l'évaluation que nous effectuons à leur arrivée.

Le sénateur Banks: À ce propos, les analyses d'urine font-elles l'objet d'un programme universel dans la population carcérale? Des problèmes se posent-ils en regard de la Charte?

M. Toller: Il s'agit d'un programme universel. En fait, nous appliquons un programme aléatoire en vertu duquel, dans chacun des établissements, on assujettit tous les mois 5 p. 100 de la population à des analyses d'urine. Les noms sont tirés au hasard. Le programme repose en partie sur le motif. Ainsi, lorsque nous avons des motifs valables de croire à l'existence d'un cas de toxicomanie, nous avons une procédure à suivre. Le processus aléatoire est plus défini. Il a été cautionné par le système judiciaire et fonctionne assez bien.

Le sénateur Banks: Les analyses d'urine effectuées pour des motifs valables s'ajoutent-elles à celles qui sont effectuées au hasard?

M. Toller: Absolument. Dans de tels cas, on s'appuie sur des activités ou des comportements observés.

Le sénateur Banks: Ces statistiques sont-elles intégrées les unes aux autres?

M. Toller: Non, nous tenons des statistiques distinctes à ce sujet.

Le sénateur Banks: Récemment, il y a eu toute une histoire au sujet des personnes qui fument en prison. Où en est ce dossier? Je n'ai rien vu à ce sujet.

M. Toller: Vous faites référence aux personnes qui fument des cigarettes ordinaires?

Le sénateur Banks: Oui.

M. Toller: Il y a toujours des secteurs où il est permis de fumer, mais nous offrons de nombreuses unités sans fumée. Comme on l'observe souvent dans la collectivité en général, les détenus doivent aller fumer à l'extérieur. Nous offrons des cellules dans des secteurs où la cigarette est interdite.

Le président: Merci d'avoir accepté notre invitation. Saluez le ministre de notre part. Nous attendons avec impatience sa réaction à notre rapport. Je suis certain qu'il vous sera utile dans vos entreprises futures.

[Français]

Nous recevons maintenant M. Michols, représentant un ministère fort important dans la poursuite de nos travaux.

[Traduction]

Merci d'avoir accepté notre invitation à comparaître. Aujourd'hui, nous avons parmi nous M. Michols, Mme Lynch, Mme Goulet et Mme Airth.

M. Dann Michols, sous-ministre adjoint, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité de consommateurs, Santé Canada: Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités aujourd'hui. Nous répondons à votre lettre, laquelle contenait un large éventail de questions. J'invite Mme Lynch à vous présenter un petit document d'information que nous avons préparé: on y décrit la stratégie antidrogue et on y répond à certaines des questions que vous avez soulevées.

J'ai demandé à Mme Goulet, directrice générale du Programme de la lutte au tabagisme, qui fait également partie de ma direction générale, de nous accompagner. Il existe certaines préoccupations communes liées aux impacts sur la santé de l'inhalation de marijuana et de produits du tabac. Il serait intéressant que votre comité se penche sur ces questions dans le cadre de ses travaux.

Je vais demander à Mme Lynch de vous présenter le document d'information, dont vous avez reçu copie. On y présente ce que fait Santé Canada dans ce domaine.

Mme Gillian Lynch, directrice générale, Programme de la stratégie antidrogue et de substances contrôlées, Santé Canada: Honorables sénateurs, nous tenons à vous informer aujourd'hui de la stratégie antidrogue du Canada, du rôle joué par Santé Canada dans le cadre de cette stratégie et des relations que nous entretenons avec nos partenaires.

Dans ce contexte, nous répondrons aux questions que vous avez soulevées, monsieur le président dans la lettre que vous avez adressée à la ministre McLellan. Nous allons parler des mécanismes de coordination, de vos préoccupations touchant l'information et de vos questions au sujet de la consommation de marijuana à des fins médicales.

Pour situer le débat sur la toxicomanie au Canada, je vais aborder quelques faits. L'alcool demeure la drogue dont l'usage est le plus répandu au Canada, et il s'agit du principal problème à St. John's et d'un problème qui demeure important à Winnipeg. L'alcool continue de jouer un rôle dans les accidents de la route. Les jeunes Autochtones sont de deux à six fois plus susceptibles que les autres jeunes du pays d'éprouver des problèmes liés à l'alcool. On note aussi l'émergence de problèmes comme la consommation de drogue et la conduite automobile, c'est-à-dire la consommation de cannabis par les jeunes et de médicaments psychotropes par les aînés. La consommation de drogues de synthèse représente une tendance de plus en plus importante dans le contexte du mouvement «rave»...

Le président: Quand vous parlez de la consommation de drogue et de la conduite, faites-vous référence à la seule consommation de drogue ou à la consommation de drogue et d'alcool?

Mme Lynch: Il peut s'agir des deux.

Le président: Pouvez-vous analyser les conséquences sur la conduite de la consommation de drogue, de la consommation d'alcool et du mélange des deux?

Mme Lynch: Je n'ai pas cette information en main. Cependant, nous pouvons voir si on dispose de données sur la différence entre les deux.

Le président: Je vous remercie.

Mme Lynch: Le mouvement «rave»a entraîné la consommation de MDA, ecstasy et de nouvelles substances. De plus en plus, on constate la consommation d'un cocktail de ces drogues de synthèse. La production clandestine de drogues de synthèse grandissante est un problème connexe au Canada. C'est ce qui nous préoccupe.

En ce qui concerne les conséquences pour la santé, la consommation de drogue injectable est une préoccupation et une priorité. Plus du tiers des nouveaux cas de VIH répertoriés en 1999 ont été attribués à la consommation de drogue injectable. On estime également à 4 500 le nombre annuel de nouvelles infections à l'hépatite C, dont 63 p. 100 seraient liées à la consommation de drogue injectable. Fait intéressant, on constate, à l'examen des données, qu'environ 100 000 Canadiens consomment des drogues injectables. Ce nombre exclut ceux qui s'injectent des stéroïdes. Si on tient compte d'eux, on arrive à environ 125 000. Quelque 11 000 personnes consomment des drogues injectables à Montréal; dans la conurbation de Vancouver, leur nombre est d'environ 12 000.

La plupart des documents sur les coûts dont nous disposons sont relativement âgés. Cependant, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) a, en 1996, réalisé une étude à partir des coûts pour 1992. Selon les estimations du centre, le coût total de la consommation d'alcool et de drogues illicites au pays s'élevait à environ 8,9 milliards de dollars, soit environ 2,67 p. 100 du PIB total. Les dépenses liées à l'alcool se chiffraient à 7,5 milliards de dollars, contre 1,4 milliard de dollars pour la consommation de drogues illicites. Par comparaison, le tabac, dont ne tient pas compte le chiffre que j'ai mentionné, coûte environ 9,5 milliards de dollars.

Le volet le plus important du coût de la consommation de drogues illicites avait trait à la perte de productivité. Même si les cas de mortalité imputables à la consommation de drogues illicites sont relativement peu nombreux par rapport à l'alcool ou au tabac, ce sont les jeunes qui tendent à mourir des suites de la consommation de drogues illicites. On en est venu à la conclusion que l'essentiel des coûts imputables à l'alcool et aux drogues illicites était évitable.

La stratégie antidrogue canadienne fait la promotion de l'équilibre entre la réduction de l'offre et la demande de drogue. Dans cette stratégie, on établit les liens et le nombre de ministères de la Santé associés au processus, sans oublier le fait que la toxicomanie est d'abord et avant tout une question de santé. Santé Canada, qui coordonne les efforts fédéraux, collabore avec d'autres ministères fédéraux, les gouvernements provinciaux et territoriaux, l'industrie, les professionnels et des intervenants de tous les secteurs d'activité pertinents. La stratégie repose sur quatre piliers: la prévention, l'application de la loi et le contrôle, le traitement et la réadaptation et, enfin, la réduction des préjudices. La stratégie a pour objectif à long terme d'associer la réduction des préjudices de l'alcool et d'autres drogues pour les particuliers, les familles et les collectivités. Il y a certains exemples d'activités fédérales qui soutiennent la stratégie antidrogue du Canada.

Je vais maintenant dire un mot des préoccupations que vous avez exprimées au sujet de la façon dont nous administrons les liens entre les ministères et organismes divers associés à la stratégie antidrogue. Santé Canada fait office de ministère responsable; le sous-ministre adjoint, le comité de direction sur la toxicomanie, orientent les activités courantes du gouvernement fédéral et dressent l'ordre de priorité; au sein de chacun des ministères, des comités tentent d'administrer le dossier de façon horizontale depuis l'intérieur; et des comités interministériels, y compris le Groupe de travail interministériel sur l'alcool et les autres drogues, élaborent le plan de travail à partir des orientations fournies par le sous-ministre adjoint.

En ce qui concerne les relations fédérales-provinciales, Santé Canada siège à un certain nombre de comités. Certains sont liés au Comité consultatif sur la santé de la population (CCSP), qui nous permet de communiquer directement avec la conférence des sous-ministres et des ministres. D'autres comités travaillent à un niveau fonctionnel, notamment ceux qui s'occupent du traitement de la toxicomanie et du programme de réadaptation.

Le CCLAT est une organisation non gouvernementale qui a été créée par une loi du Parlement. Le centre travaille avec des partenaires du gouvernement fédéral et d'ailleurs, en particulier dans le domaine de la gestion de l'information et de la connaissance. En outre, il existe des mécanismes internationaux. Je mentionnerai plus tard trois secteurs dans lesquels Santé Canada intervient à ce propos.

Les relations avec les municipalités prennent de plus en plus d'ampleur. Les municipalités qui s'attaquent à leurs problèmes de drogue sont plus nombreuses, et l'Accord de Vancouver en est une des illustrations les plus éloquentes.

Passons maintenant à l'historique de la stratégie antidrogue. Au cours de la phase I, soit de 1987 à 1992, on a injecté 210 millions de dollars en sus du financement de base des ministères, et 77 p. 100 de cette somme ont été utilisés pour l'éducation, la prévention et la réadaptation. C'est au cours de la phase I qu'on a lancé le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, à un coût d'environ 2 millions de dollars, si je ne m'abuse. À l'époque, la Stratégie nationale sur la conduite avec des facultés affaiblies est venue clore la phase I.

On a lancé la phase II, de 1992 à 1997, avec un budget prévu de 270 millions de dollars. On estime que, au cours de la période de cinq ans, on a en réalité dépensé 104,4 millions de dollars. On s'est intéressé en particulier aux populations à risque élevé et à la recherche. On avait pour objectif de cibler une partie des sommes pour obtenir le meilleur rendement possible. Les partenaires ont coordonné leurs efforts. C'est à ce moment qu'on a intégré la stratégie nationale sur la conduite avec des facultés affaiblies à la stratégie antidrogue.

Je vais maintenant vous faire part de nos avis sur les résultats de la stratégie antidrogue du Canada. Souvent, il est difficile de mesurer et de définir la cause et l'effet d'une stratégie intégrée exhaustive. Tant de choses se produisent en simultané qu'il est difficile d'établir la cause de ceci ou de cela ou les liens directs avec ceci ou cela. Cependant, nous avons observé une diminution de la consommation d'alcool entre 1989 et 1994 — au cours de la période, les taux de consommation d'alcool ont diminué de 5,6 p. 100. Les personnes qui continuent de boire boivent moins — 4,6 consommations par semaine par rapport à 3,9 consommations par semaine. En même temps, la situation semble s'améliorer dans le dossier de l'alcool au volant. Nous avons constaté que la proportion de personnes qui prenaient deux consommations avant de se mettre au volant était passée de 22,8 p. 100 à 21 p. 100. Au cours de la période, la consommation de cannabis est demeurée relativement stable — 6,9 p. 100 en 1989 et 7,4 p. 100 en 1994.

La phase III de la stratégie antidrogue du Canada, qui visait les années 1997 à 2002, a été renouvelée en 1998. À l'origine, c'est DRHC qui a administré le Programme de traitement et de réadaptation des alcooliques et des toxicomanes, doté d'un budget d'environ 16,5 millions de dollars par année. Par la suite, soit vers 1998, la responsabilité du programme a été cédée à Santé Canada. Je vais y revenir dans un moment. Le montant initial a été légèrement inférieur. Le financement des activités liées à l'application de la loi est demeuré à environ 65 p. 100 des niveaux antérieurs, et Santé Canada a conservé la responsabilité d'assurer la coordination de la stratégie antidrogue.

Que s'est-il passé depuis? On s'est attaqué au problème de la toxicomanie par l'entremise surtout de nombreuses activités ministérielles. On a injecté des fonds additionnels pour répondre à certaines obligations législatives internationales. Dans le budget de 1999, on a investi quelque 13 millions de dollars pour soutenir le service d'analyse des drogues, la réglementation du chanvre et la consommation de marijuana à des fins médicales.

En 2000, on a, dans le cadre du mémoire au Cabinet sur la Stratégie antidrogue internationale, alloué 6 millions de dollars à Santé Canada, au Solliciteur général du Canada, au ministère de la Justice du Canada et à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) pour assurer le respect de nos obligations internationales.

À la suite du réalignement de Santé Canada intervenu en juillet 2000, on a associé les activités législatives et réglementaires aux fonctions touchant la coordination et le leadership concernant la stratégie antidrogue du Canada.

La même direction générale s'est également vu confier le programme lié au tabagisme. Ainsi, on dispose de bonnes possibilités de collaboration lorsque la situation l'exige.

En outre, en 2002-2003, on a haussé de un million le financement du CCLAT pour chacune des trois années suivantes. Ainsi, l'organisme bénéficiera d'un budget total de 1,5 millions de dollars pour chacune des trois années en question.

Dans la diapositive suivante, on utilise la même approche visuelle pour décrire le rôle joué par Santé Canada dans la stratégie antidrogue.

Santé Canada est le centre névralgique de la stratégie. On reconnaît que la toxicomanie est un problème de santé, abordé sous l'angle de la réduction du préjudice et de l'équilibre entre la réduction de la demande et de l'offre. En contrepartie, Santé Canada intervient dans les quatre piliers, et la plupart des secteurs du ministère, agissant comme partenaires, exercent leurs activités dans le cadre de ces quatre piliers. Santé Canada intervient auprès de nombreux partenaires et intervenants, et on trouve ici des exemples d'activités menées un peu partout dans le ministère.

À l'occasion de quelques conférences, on a véhiculé un important message avalisé par Santé Canada, à savoir que des informations et des connaissances fiables sur lesquelles fonder de bonnes décisions constituent un élément essentiel de toute stratégie antidrogue efficace.

À cet égard, on a pris la décision de hausser le financement du CCLAT en 2002. Le CCLAT œuvre dans le domaine de la gestion de l'information et de la connaissance, et on avait pour but de permettre à l'organisme de mettre au point de meilleures stratégies de gestion de l'information et de la connaissance au profit de l'élaboration de politiques.

La diapositive suivante fait état des dépenses actuelles dans le domaine de la toxicomanie. À l'intérieur de la Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs du Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, dont j'assume la responsabilité, nous disposons d'un budget de 34 millions de dollars, et la présente diapositive rend compte de la répartition des fonds.

Il convient de remarquer que le Programme de traitement et de réadaptation des alcooliques et des toxicomanes (PTRAT) fournit aux provinces 14 millions de dollars en accords de contribution pour soutenir les programmes de traitement et de réadaptation de ces dernières.

La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits dépense quelque 70 millions de dollars, et nous allons évoquer un peu plus tard les services fournis. Nous aboutissons donc à un total de 104 millions de dollars.

Il y a des programmes d'assistance financière à participation. À l'intérieur du ministère, on prévoit des fonds pour le VIH/sida, l'hépatite C et le syndrome d'alcoolisme fœtal et les effets de l'alcool sur le fœtus afin de lutter contre des problèmes liés à la consommation de drogues injectables.

À titre d'exemple, le programme lié au VIH/sida dispose de systèmes de surveillance permettant de mesurer la consommation de drogues injectables, tandis que celui qui se rapporte au syndrome d'alcoolisme fœtal et à aux effets de l'alcool sur le fœtus élabore une nouvelle stratégie de prévention.

La diapositive suivante rend compte d'activités précises liées à la toxicomanie. Nous sommes l'autorité nationale compétente concernant les conventions internationales de l'ONU. Nous administrons la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Règlement qui s'y rattache, y compris celui qui a trait à l'accès à la marijuana utilisée à des fins médicales. Sur le plan national, nous jouons un rôle de leadership et de coordination dans les domaines de la prévention, de la réduction des préjudices, du traitement et de la réadaptation, en plus de fournir des services aux Premières nations.

En vertu des conventions internationales et des conventions de l'ONU, nous sommes habilités à délivrer des permis et des certificats d'importation et d'exportation, à exercer un contrôle national sur certains éléments, comme les précurseurs et les produits chimiques essentiels, à fournir de l'information sur l'abus et le trafic illicites de substances psychotropes, à évaluer les quantités à produire, exporter, importer ou inventorier et, enfin, à rendre compte de la consommation ou de l'utilisation et du nombre de services et d'établissements industriels au pays.

Nous sommes membres de trois organismes majeurs: la Commission des stupéfiants de l'Organisation des Nations Unies, la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues et le réseau mondial de recherche sur la prévention du VIH chez les populations consommatrices de drogues de l'Organisation mondiale de la Santé. Il existe trois conventions internationales qui orientent les dispositions législatives nationales de même que les mesures d'application et de contrôle, ainsi qu'on le voit dans l'encadré qui figure à droite. La Convention unique sur les stupéfiants de 1961, à laquelle s'ajoute le protocole de 1972, la Convention de 1971 sur les substances psychotropes et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.

Ces traités obligent les gouvernements à exercer un contrôle sur la production et la distribution de stupéfiants et de substances psychotropes, à combattre la toxicomanie et le trafic illégal, à maintenir les mécanismes administratifs nécessaires et à rendre compte des mesures prises aux organismes internationaux. Ils portent en outre que les stupéfiants et les substances psychotropes ne doivent servir qu'à des fins médicales ou scientifiques. Nous attachons une grande importance à la coopération internationale, et nous intervenons dans les dossiers relatifs aux drogues sur les plans multilatéral, régional et bilatéral.

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances fournit les mécanismes faisant en sorte que l'exportation, l'importation, la production, la distribution, la possession et la consommation de substances réglementées au niveau international ne servent qu'à des fins médicales, scientifiques et industrielles.

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui a modernisé et intégré deux textes de loi antérieurs, la Loi sur les stupéfiants et la Loi sur les aliments et drogues, a vu le jour en 1997. Depuis, nous nous employons à la mise en place de la réglementation nécessaire pour créer un cadre réglementaire exhaustif aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et les deux les plus intéressants sont le Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales, qui est entrée en vigueur en 2001, et le Règlement sur les précurseurs, qui fait présentement l'objet du processus réglementaire.

Je veux maintenant dire un mot de la consommation de marijuana à des fins médicales. Santé Canada s'intéresse au potentiel de la marijuana en tant que médicament, mais nous nous préoccupons aussi de l'atténuation des dangers potentiels. Comme pour tout médicament, on doit établir un équilibre entre l'efficacité et la sécurité.

Il s'agit d'un produit qui se fume. Comme dans les autres cas, la fumée comprend des centaines de substances, dont bon nombre sont cancérogènes. On devra mener encore de nombreuses recherches sur l'efficacité et la sécurité de la consommation de marijuana à des fins médicales.

Certaines recherches montrent que la marijuana, si on utilise la cigarette comme point de comparaison, a des taux de goudron de 50 à 100 p. 100 supérieurs à ceux du tabac, selon les conditions de consommation.

Nous savons également qu'on ne fume pas la marijuana comme on fume le tabac. On aspire plus à fond. On fait descendre la fumée dans les poumons, où on la garde pendant plus longtemps. Ce phénomène crée certaines inquiétudes touchant l'exposition.

Beaucoup de travail reste à faire sur la question de l'utilisation chronique. Certaines études font état de changements histopathologiques au niveau moléculaire. Cependant, on déplore une pénurie d'études solides et valides faisant l'évaluation des risques de cancer du poumon.

Santé Canada est d'avis qu'on doit contribuer à l'avancement des connaissances scientifiques entourant l'efficacité et la sécurité de la consommation de marijuana, et nous avons donc fait de la recherche une priorité.

En raison de la pénurie de données scientifiques, aucun pays du monde n'a approuvé la marijuana en tant que produit thérapeutique. Santé Canada, en collaboration avec l'Institut de recherche en santé du Canada, a pris des mesures pour faciliter la recherche sur l'utilisation de la marijuana à des fins médicales. On a ainsi créé le Programme de recherche sur l'usage de la marijuana à des fins médicales (PRUMFM) applicable jusqu'en 2007. Son financement pourrait atteindre 7,5 millions de dollars.

À l'heure actuelle, deux études sont en cours de conception. À l'Université McGill, on effectue une étude pilote auprès d'environ 32 patients afin d'évaluer les effets de la marijuana qui se fume sur la douleur neuropathique chronique. La Community Research Initiative of Toronto effectue la deuxième étude, qui porte sur l'efficacité du cannabis qui se fume comme moyen de stimuler l'appétit des personnes vivant avec le VIH/sida.

En outre, nous étudions la possibilité de mener de vastes essais cliniques pour recueillir des données sur la sécurité. Nous espérons inclure un grand nombre de personnes bénéficiant d'une autorisation en vertu du Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales pour recueillir des données auprès de patients qui font appel au produit comme moyen de lutte contre un large éventail d'affectations.

Le règlement est entré en vigueur le 30 juillet 2001. Santé Canada s'inquiète du sort de personnes atteintes de maladies graves et débilitantes, et a introduit une réglementation pour répondre à ces préoccupations, tout en continuant de recueillir des données scientifiques sur la consommation de marijuana à des fins médicales.

La réglementation autorise des particuliers à posséder ou à cultiver de la marijuana et les met à l'abri de poursuites aux termes de la loi réglementant certaines drogues et autres substances, dans des circonstances précises et limitées. On indique sur la diapositive les trois catégories de personnes autorisées à posséder de la marijuana à des fins médicales. Les catégories se définissent en vertu des interventions médicales requises: les personnes appartenant au premier groupe ont besoin d'une ordonnance de leur médecin; celles qui appartiennent au groupe deux, d'une ordonnance d'un spécialiste; et, enfin, celles du groupe trois, d'une ordonnance de deux spécialistes. Ce n'est qu'à ces conditions qu'on donnera suite à leur demande.

Il a été relativement difficile de définir les maladies précises à inclure dans chacune des catégories, la plupart des données dont on dispose se révélant anecdotiques. Il y a très peu de données probantes solides et tirées de l'expérience clinique dont on puisse faire la preuve scientifique. Cependant, nous avons utilisé l'expérience mise à notre disposition par l'institut de médecine et l'expérience d'autres pays. On a analysé l'ensemble des renseignements, et les maladies à propos desquelles la preuve nous est apparue comme suffisante ont été incluses dans les trois catégories en question.

La réglementation est en application depuis près de 11 mois, bientôt un an. Nous nous affairons à la mise en place d'un processus d'évaluation. Nous établissons un comité consultatif multipartite qui examinera l'efficacité des demandes, les lignes directives qui régissent la prescription, les mécanismes de distribution et le règlement des questions en suspens. Le comité, qui comptera de 15 à 20 membres, sera présidé par une personne de l'extérieur.

Nous participons également à des groupes de travail, composés surtout de médecins, pour définir certains problèmes que pose l'administration des règlements et les options qui s'offrent pour y remédier. En outre, nous interrogeons personnellement des requérants, des utilisateurs et des professionnels pour connaître leurs vues sur un vaste éventail de sujets. Nous tenons à savoir ce qu'ils pensent du fonctionnement de la réglementation et à recueillir plus de renseignements aux fins de l'élaboration de politiques.

Vous avez demandé combien de demandes avaient été reçues et approuvées. Aux termes de l'article 56, 658 exemptions avaient été accordées en date du 3 mai, et 501 demeuraient valides. En ce qui concerne le Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales, on avait, en date du 3 mai, reçu 490 demandes, dont 255 avaient été approuvées, et on avait délivré 164 licences de production pour usage personnel et 11 licences de production de la personne désignée. Le reste des dossiers demeurent ouverts et sont incomplets. On attend des renseignements additionnels.

Le sénateur Banks: Avant que vous ne passiez à autre chose, pouvez-vous expliquer la différence entre les exemptions accordées en vertu de l'article 56 et les autorisations accordées en vertu du Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales? Je crois comprendre, mais je tiens à m'en assurer.

Mme Lynch: L'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances confère au ministre le pouvoir d'autoriser la consommation d'une drogue dans certaines circonstances. À l'origine, on a eu recours à l'article 56 pour autoriser la consommation de marijuana à des fins médicales. Il s'agissait de vastes pouvoirs discrétionnaires. On a introduit la réglementation pour décrire adéquatement les états pathologiques à l'égard desquels on pouvait utiliser la marijuana. La réglementation est plus précise et descriptive. Nous orientons les requérants vers la réglementation. Cependant, certaines personnes bénéficiant d'exemptions aux termes de l'article 56 se préparent au moment où nous nous parlons à effectuer la transition vers le règlement.

Le sénateur Banks: Je vous remercie.

Mme Lynch: Nos obligations internationales limitent l'utilisation de la marijuana à des fins médicales et scientifiques. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur les aliments et drogues s'appliquent toutes deux à l'offre ou à la distribution de marijuana. Comme nous avons impérativement besoin de recherche pour établir ce que nous ferons dans le dossier de la marijuana consommée à des fins médicales, nous devons assujettir l'offre à des essais cliniques. Pour cette raison, nous avons besoin d'un approvisionnement en marijuana propre à la recherche.

Nous avons donc passé un marché avec Prairie Plant Systems, qui a pour mandat d'établir les normes de fabrication et de transformation nécessaires pour nous assurer un approvisionnement en marijuana propre à la recherche. On entend s'assurer ainsi que la production respecte les normes imposées. Nous devons également nous doter de méthodes qui permettent de faire l'essai des produits mis au point. Nous tenons à être en mesure de définir et de mesurer les principaux ingrédients actifs, y compris le THC et d'autres cannabinoïdes. Ces méthodes, qui sont nouvelles, doivent être examinées et approuvées par Santé Canada, ce qui prend du temps.

La sécurité du produit revêt une importance capitale. Nous devons veiller à ce que tout soit conforme. Ce n'est qu'ainsi que nous disposerons d'un produit répondant aux normes de qualité et de sécurité des médicaments. On pourra utiliser la production pour faciliter la tenue d'essais cliniques ciblés et plus généraux, auxquels pourront participer un grand nombre de personnes, par exemple celles qui sont autorisées à consommer en vertu du règlement.

Je veux maintenant me tourner vers le dernier élément du rôle que nous jouons au sein de la stratégie antidrogue du Canada. Santé Canada, qui fait office de leader, coordonne les activités au niveau national avec ses partenaires, et nous faisons appel aux structures et aux mécanismes divers que nous avons définis plus tôt. Nous avons cité des exemples d'initiatives qui, nous semble-t-il, vont de l'avant. Le comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la consommation de drogues injectables a produit le rapport intitulé «Réduire les méfaits associés à l'usage des drogues par injection au Canada», qui renferme plus de 30 recommandations. Plus tard cette année, le même groupe publiera un cadre pour la préparation de rapports sur l'usage des drogues par injection.

En outre, des groupes intéressés par le VIH/sida mènent des activités de recherche, de surveillance et de diffusion des connaissances liées à l'usage de drogue par injection en tant que facteur de risque pour l'hépatite C et le VIH/sida. Au nombre de leurs principales activités, mentionnons les études de surveillance par sentinelle du VIH et de l'hépatite C, des comportements qui s'y rattachent dans diverses régions du Canada ainsi que du contrôle des enquêtes longitudinales et intersectorielles sur la consommation de drogues injectables.

Le programme de traitement et de réadaptation des alcooliques et des toxicomanes verse 14 millions de dollars aux provinces et aux territoires pour qu'ils renforcent et accroissent leurs efforts dans les domaines du traitement et de la réadaptation. En outre, nous travaillons avec les provinces à l'élaboration de documents sur les meilleures pratiques. L'entreprise s'est révélée extrêmement efficace, et nous avons mis au point un certain nombre de rapports sur les meilleures pratiques. Au cours des deux ou trois dernières années, on a distribué 54 000 exemplaires de ces documents sur les meilleures pratiques. L'évaluation des utilisateurs s'est révélée très positive.

La Direction générale de la santé de la population et de la santé publique, avec l'appui du Comité consultatif national sur le Syndrome de l'alcoolisme fœtal/effets de l'alcool sur le fœtus (SAF/EAF), élabore un vaste effort de collaboration visant à prévenir le SAF/EAF et à améliorer la qualité de vie des personnes qui en sont atteintes.

La direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits offre des programmes de réadaptation, de traitement et de prévention de la toxicomanie aux Premières nations et finance les collectivités pour soutenir le Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones.

Vous aviez des questions au sujet de la recherche et de la prévention. Nous continuons de prendre part à quelques activités de recherche. Au cours des deux premières phases, on a mené des études épidémiologiques ciblées en 1989 et en 1994. Depuis, nous avons continué de jouer un rôle en ajoutant des questions à des enquêtes et en nous associant à un certain nombre d'autres enquêtes, par exemple l'Enquête nationale sur la santé de la population et l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes.

Nous participons également à l'initiative «Les comportements de santé des jeunes d'âge scolaire», étude collaborative transnationale menée par l'Organisation mondiale de la santé. Récemment, nous avons effectué une recherche pour évaluer l'ampleur des problèmes liés à l'alcool et aux toxicomanies chez les Canadiens résidant dans le Nord. Nous travaillons de concert avec le Réseau communautaire canadien d'épidémiologie des toxicomanies (RCCET), qui exerce ses activités par l'intermédiaire du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

À Santé Canada, on dénombre un certain nombre d'activités courantes portant sur les toxicomanies, qui en sont au stade embryonnaire. Dans le cadre de ces études, on aborde la question des déterminants de la santé sous l'angle de la prévention primaire dans le cadre d'initiatives portant sur le développement du jeune enfant sous l'égide du Programme d'action communautaire pour les enfants.

Plus tôt, j'ai également mentionné que nous nous associons aux efforts déployés par certaines municipalités pour lutter contre leurs problèmes de drogues et, en particulier, à l'Accord de Vancouver. Au cours des trois prochaines années, le gouvernement du Canada injectera plus de 7 millions de dollars dans les efforts de promotion de la santé communautaire à Vancouver. Par l'intermédiaire du Programme de traitement et de réadaptation des alcooliques et des toxicomanes (PTRAT), nous fournirons quelque 3,2 millions de dollars pour les programmes de traitement et de réadaptation des toxicomanes et des alcooliques de la Colombie-Britannique.

En conclusion, la stratégie antidrogue actuelle a été approuvée en 1998. Dans l'ensemble du gouvernement, on dénombre une multitude d'activités qui soutiennent la stratégie, et nous continuons de faire office de chef de file.

On a demandé si la stratégie antidrogue nationale devrait être reciblée et renforcée pour répondre aux besoins du nouveau millénaire de façon exhaustive et intégrée. Nous pensons que les recommandations des comités de la Chambre et du Sénat feront œuvre utile en définissant d'éventuels éléments pour une nouvelle stratégie.

Le président: C'est ce que nous allons tenter de faire.

Les attachés de recherche auront peut-être des questions pour vous. Ils communiqueront avec vous.

Le sénateur Banks: Pour le moment, je vais limiter mes questions à la question de la consommation pour des fins médicales.

Nous avons entendu, comme vous ne l'ignorez sans doute pas, des personnes du monde entier qui admettent l'existence de preuves anecdotiques considérables laissant entendre qu'on peut, dans certaines circonstances, utiliser efficacement la marijuana à des fins médicales comme moyen d'atténuer les symptômes qui se rattachent à certaines affections. Les personnes qui sont de cet avis, y compris celles qui sont responsables de programmes et celles qui utilisent actuellement de la marijuana à de telles fins, nous disent aussi qu'il n'y a pas assez de recherche. Vous avez vous-même indiqué que chacun fonctionne de façon ponctuelle à cet égard.

La question est dans l'air depuis maintenant de nombreuses années. Nous donnons l'impression de tourner en rond.

Vous avez fait allusion à quelques efforts notamment le projet en cours à l'université McGill. Nous avons examiné le projet et entendu son directeur. Il s'agit tout au plus de la pointe de l'iceberg. Personne ne semble mener de travaux qui déboucheront sur des résultats prouvant de façon irréfutable l'efficacité ou l'inefficacité de la marijuana.

À l'instar de nombreux autres, nous avions présumé que de telles recherches suscitaient beaucoup d'intérêt. Selon les preuves anecdotiques recueillies, il y a à tout le moins de l'intérêt pour la recherche. Cependant, on ne procède pas comme on le ferait pour d'autres thérapies. Le phénomène s'explique pour une large part, pensons-nous, par le fait que personne n'y gagnera beaucoup. Les compagnies pharmaceutiques n'ont aucun intérêt à effectuer des recherches sur un produit qu'elles ne pourront ni faire breveter ni vendre. Il n'y a rien là de répréhensible. Il reste cependant le gouvernement.

Étant donné ce que vous venez tout juste de nous dire au sujet des recherches irréfutables qu'on doit mener pour répondre à la question, nous devons nous en charger. Le gouvernement du Canada doit s'en charger ou personne ne le fera — à moins que quelqu'un n'accepte de financer les travaux par pure philanthropie, ce qui est extrêmement peu probable.

Vous apparaît-il vraisemblable de penser que le gouvernement du Canada entreprendra les recherches poussées qui devront être menées pour répondre à la question? Le cas échéant, nous ferions figure de chefs de file mondiaux, comme nous l'avons été dans le domaine des soins palliatifs. De même, on réglerait le dilemme une fois pour toutes puisque, pour le moment, nous agissons tous à tâtons, y compris les médecins. Est-ce la direction dans laquelle nous sommes engagés? Voyez-vous la lumière au bout du tunnel?

Mme Lynch: Nous avons le plan de recherche et le programme de recherche. Le plan est assorti d'un budget de 7,5 millions de dollars.

Le sénateur Banks: Est-ce suffisant?

Mme Lynch: Il est trop tôt pour le dire. On montre de l'intérêt pour deux de nos études. Notre expert scientifique en chef, de concert avec les Instituts de recherche en santé du Canada, s'efforce de commander plus de recherche sur la consommation de marijuana à des fins médicales. On a accepté de collaborer avec nous aux efforts visant à identifier des chercheurs intéressés à effectuer ce genre de travail et à veiller à ce qu'on consacre un large éventail de projets de recherche susceptibles de répondre à certaines de ces questions.

J'ignore combien de telles initiatives coûteront. Avec l'argent dont nous disposons, nous devrions pouvoir définir les questions auxquelles nous devrons répondre pour régler le problème à plus long terme.

La réponse rapide, c'est que nous avons assez de fonds pour commencer. Je pense que nous avons déjà connu un bon début. La principale difficulté consiste à recruter les bons chercheurs intéressés par ce genre de travail. Nous nous efforçons de le faire de concert avec les IRSC.

Le sénateur Banks: À la lumière de ce que nous avons entendu, je n'arrive pas à imaginer qu'on puisse être à court de candidats. Je suppose qu'il s'agit d'une affaire d'évaluation.

On nous a dit qu'il y avait une impasse en ce qui a trait à l'application actuelle du règlement aux personnes qui ont demandé à ce qu'on les autorise à consommer de la marijuana à des fins médicales. En vertu de la réglementation actuelle, comme vous l'avez indiqué, quelques médecins à des niveaux d'utilisation différents doivent recommander le traitement pour le requérant.

L'Association canadienne de protection médicale et l'AMC nous ont également dit avoir conseillé à leurs médecins membres, y compris les spécialistes, de ne pas autoriser la consommation de marijuana. En le faisant, ils risquent de compromettre leur assurance-responsabilité professionnelle, ou pis encore.

Nous avons entendu plusieurs témoins qui, par le passé, ont reçu ces autorisations. S'ils devaient chercher aujourd'hui à obtenir une telle autorisation, le médecin dirait probablement: «J'aimerais bien signer ce papier, et je sais que cela vous ferait du bien. Mais, je m'excuse, je ne peux exercer la médecine sans assurance; j'ai les mains liées.»

Voilà le dilemme. Si je suis la personne en question, une fois écoulée la période d'autorisation de six mois qui m'est accordée, je suis contraint soit de reprendre mes souffrances, soit d'enfreindre la loi. Je chercherai à obtenir de la marijuana comme je peux et où je peux en trouver, au mépris de la loi.

Je ne vous l'apprends sûrement pas. Vous avez dit que vous devez rencontrer certains médecins pour discuter des difficultés administratives éprouvées à cet égard. Il me semble que, pour une raison ou une autre, les médecins méprisent l'intention, l'objet et l'orientation philosophique de la réglementation. Je veux savoir ce que nous pouvons faire à ce sujet.

M. Michols: Je pourrais peut-être répondre d'abord, puis Mme Lynch peut prendre le relais.

La politique de Santé Canada à cet égard repose actuellement, comme vous l'avez dit plus tôt, sur la nécessité de faire de la recherche. Santé Canada est entré en jeu parce qu'il n'y avait pas de recherche qui se faisait en vue de corroborer ou d'infirmer l'information anecdotique dont on dispose.

Nous avons mis sur pied un programme pour appuyer la recherche en question. Le ministre de l'époque a décidé que, en attendant les résultats des recherches en question, il faut un mécanisme d'accès pour les malades dont la marijuana pourrait améliorer l'état.

Comme l'a dit Mme Lynch, c'est d'abord l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui a été invoqué. Ensuite, la réglementation a été mise en place.

Tout de même, la situation sous-jacente demeure. Aucune donnée scientifique ne vient confirmer que la marijuana constitue une substance thérapeutique. Les gens sont nombreux à croire qu'elle leur apporte des bienfaits. Il n'existe pas de source légale où se procurer ce produit.

Santé Canada doit prendre en considération deux lois — la Loi sur les aliments et drogues et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances — dans le contexte. Or, on prétend que ce produit se prête à un usage thérapeutique.

En l'absence des données scientifiques en question, les médecins se trouvent bel et bien dans l'embarras. Dans le cas des autres produits thérapeutiques, les médecins se fient à l'information que Santé Canada établit ou analyse au moment d'examiner les médicaments proposés. C'est sur cela que repose la compréhension qu'ont les médecins de produits particuliers. Dans la situation particulière dont il est question ici, ils ne disposent pas de cette analyse.

Grâce au règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales, le fait de cultiver et de posséder à des fins personnelles de la marijuana n'est plus un acte criminel.

C'est le régime réglementaire qui est en place. Nous travaillons de concert avec Prairie Plant Systems, comme l'a dit Mme Lynch, en vue d'établir une source de recherche qui permettra de fournir le produit à des patients dans le contexte d'essais cliniques en bonne et due forme.

Tant que nous n'aurons pas commencé à obtenir les résultats des recherches en question et que le milieu médical n'aura pu déterminer s'il prescrirait cette substance dans des circonstances qui le justifieraient, il y a ce dilemme.

Le sénateur Banks: Le milieu médical n'est pas appelé à prescrire de la marijuana. Cela n'est pas envisagé dans le règlement, d'après la lecture que j'en fais. De même, la demande prévoit, ou elle devrait prévoir — je suis sûr que c'est le cas — que le demandeur, patient, si vous me permettez de dire les choses ainsi, accepte de garantir le médecin contre toute responsabilité. La demande comporte-t-elle une telle disposition?

M. Michols: Non.

Le sénateur Banks: Elle devrait.

M. Michols: Il est question d'une substance dont on dit qu'elle produirait des bienfaits thérapeutiques. Les membres du monde médical doivent participer à l'affaire. Ce sont eux qui ont la formation nécessaire pour déterminer si, à tout le moins, la substance n'a pas d'effet néfaste, même s'ils n'arrivent pas à en déterminer les bienfaits. Comme M. Lynch l'a dit, nous devons maintenant rencontrer les membres du monde médical et déterminer ce qu'il leur faut et ce qu'ils vont faire. Il ne s'agit pas simplement de mettre le produit à la disposition des gens qui croient qu'il a une action thérapeutique.

Le sénateur Banks: Je comprends cela. Je parle des médecins qui croient que la substance est efficace, qui, par le passé, ont signé des demandes et se font maintenant dire: cessez de faire cela.

À première vue — et je sais que ce n'est pas votre faute — il semble y avoir une situation absurde où le gouvernement du Canada, le ministère et le ministre ont affirmé qu'il existe des cas où ces personnes, pour quelque raison que ce soit, devraient pouvoir accéder à de la marijuana à des fins médicales. Or, les préoccupations bien réelles et tout à fait légitimes des médecins viennent s'opposer à cela.

Sommes-nous en train de dire que jusqu'à ce que la question soit réglée, tout le monde sautera dans le vide et tout le monde enfreindra la loi dans six mois, sinon avant, parce que les médecins ne signeront pas les demandes?

M. Michols: Il y a des médecins qui signent des formulaires de demande. Comme Mme Lynch l'a dit, on reçoit tout de même des demandes qui sont présentées sous le régime qui a été instauré.

Le sénateur Banks: Certains médecins ne les signent pas.

M. Michols: C'est juste. C'est le choix qu'ils peuvent faire conformément à leur code d'éthique médicale.

Le sénateur Banks: Travaillez-vous assidûment auprès de la profession médicale à cette question?

Mme Lynch: Oui, nous le faisons. Nous avons déjà rencontré les représentants de l'AMC, et nous devons les rencontrer à nouveau ce mois-ci. De même, nous procédons à l'évaluation qui nous aidera à recueillir des renseignements.

Nous constatons que le nombre de demandes augmente. Il n'y a certes pas de diminution. Nous n'observons pas de diminution du nombre de demandes présentées, d'un mois à l'autre.

M. Michols: Les conditions énoncées dans la loi ont été établies après mûre réflexion. Cela fait l'objet d'une réflexion qui fait appel au milieu médical: quelles sont les conditions, même s'il faut se fier à des informations anecdotiques, qui se prêteraient le mieux au recours à ces substances?

Le sénateur Banks: Une dernière question à ce sujet. Savez-vous qu'il y a un vaporisateur? Nous avons eu droit à une démonstration. Il semble y avoir au moins la possibilité d'éliminer le problème du goudron dans les cas où on fume de la marijuana à des fins médicales.

M. Michols: Nous avons bon espoir de voir toute une série de mécanismes d'administration. Si la marijuana — mais ce serait plus probablement les cannabinoïdes qui en sont les substances actives — présentent bel et bien des avantages médicaux dans diverses situations, nous espérons que d'autres mécanismes d'administration seront conçus et que des recherches seront entreprises. Cela résoudrait peut-être en partie le problème dont vous avez parlé — de faire en sorte que d'autres se lancent dans l'affaire — étant donné la possibilité de brevet et ainsi de suite.

Comme Mme Lynch l'a dit au départ, et c'est ce qui explique la présence de Mme Goulet, la marijuana fumée pose très nettement un problème.

Le sénateur Banks: La partie de la demande dont je parlais — la partie F — dit que le demandeur est conscient du fait qu'aucun avis de conformité n'a été délivré en application de la Loi sur les aliments et drogues concernant l'innocuité et l'efficacité de la marijuana en tant que médicament et que le demandeur saisit bien ce fait.

Ne croyez-vous pas qu'il serait assez difficile pour un demandeur, qui, ayant accepté cela, voudrait poursuivre un médecin pour avoir recommandé la marijuana? Je suis sûr que c'est la raison pour laquelle on a inclus cette disposition.

M. Michols: On a inclus le passage en question pour s'assurer que les demandeurs étaient conscients de la situation, oui.

Le sénateur Banks: Allez-vous demander aux médecins si une clause de non-responsabilité explicite — l'immunité, pour ainsi dire — les rassurerait, eux ou leur assureur — carrément une clause d'indemnité, une garantie à 100 p. 100, sans réserve, accordée par le demandeur au médecin?

Mme Lynch: Nous discutons certainement de leurs préoccupations. Je ne sais pas si cela est possible. Il nous faudrait l'envisager.

Le sénateur Banks: J'espère que vous allez l'envisager.

Le président: J'ai des questions à poser au sujet de la stratégie antidrogue, puis je reviendrai à la question de la marijuana consommée à des fins médicales.

Nombre de ministères sont liés à cette stratégie. Avez-vous discuté de la possibilité qu'un seul organisme central soit chargé de la stratégie antidrogue?

M. Michols: Avons-nous discuté de cette question entre ministères? Non, on ne se trompe pas en disant non.

Une des raisons de cela, c'est que c'est un champ d'action très complexe. Divers ministères qui participent à la conception et à l'exécution de la stratégie antidrogue du Canada s'y trouvent engagés pour de nombreuses raisons qui, de manière périphérique, touchent à la stratégie antidrogue. Comme Mme Lynch l'a dit, Santé Canada participe à l'affaire pour plusieurs raisons, notamment les conséquences de nombre des substances en question ainsi que le contrôle des substances.

Nous n'avons pas discuté des avantages et des inconvénients que présenterait le fait de confier à un seul et unique organisme central la tâche en question.

Le président: Vous avez lu plus d'une fois le chapitre 11 du plus récent rapport de la Vérificatrice générale. Elle y dit:

Le Canada a besoin d'un leadership plus fort et d'une coordination plus uniforme pour établir une stratégie, des objectifs communs et des attentes sur le plan du rendement collectif.

Quelle mesure concrète avez-vous adoptée depuis le dépôt de ce rapport?

Mme Lynch: Nous avons continué à jouer le rôle de coordination en question. Je vais rencontrer les représentants de tous les ministères clés pour essayer de bien relever les lacunes, de déterminer les cas où il serait possible de faire un travail meilleur, dans la mesure où nous avons l'impression d'avoir un rendement inférieur à ce qu'il devrait être.

De même, nous essayons de nous renseigner de meilleure façon, en travaillant avec le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies afin de repérer les informations qui existent aux fins de la formulation des politiques et de la prise de décisions, de repérer les lacunes et de trouver des façons de les combler dans certains cas. À l'heure actuelle, nous travaillons surtout de concert avec nos partenaires à trouver des façons d'améliorer l'efficacité et l'efficience du travail que nous faisons déjà.

Le président: En parlant du CCLAT, croyez-vous que celui-ci dispose d'un budget suffisant pour accomplir le travail qui lui est confié?

Mme Lynch: Nous avons majoré le budget pour les trois années à venir. En 2002-2003, le CCLAT disposera de 1,5 million de dollars. J'ai assisté à la dernière réunion du conseil d'administration, au moment où les membres ont déposé leur plan d'activité pour les trois années à venir. C'est un plan ambitieux, mais j'ai l'impression qu'ils sont sur la bonne voie. Ils vont accomplir un travail important avec les fonds dont ils disposent.

Il s'agit pour nous de travailler ensemble en tant que partenaires pour ne pas qu'il y ait double emploi et pour ne pas se nuire mutuellement. Nous devons nous assurer de synchroniser l'ensemble. Le CCLAT est prêt à faire un travail excellent avec les fonds dont il dispose.

Le président: Il est souvent question de recherche dans votre document, ce qui est logique. Les connaissances sur le sujet doivent être élargies. Comme vous le savez sûrement, au cours des dix dernières années, on a signalé plus de 4 000 études portant sur ce sujet. Toutes ne sont pas pertinentes. Certaines induisent même en erreur, et à dessein.

Nous avons besoin d'un organisme qui pourra étudier la question et présenter un point de vue objectif, impartial et indépendant. Quand je dis «indépendant», j'ai tendance à penser aussi au ministre. Depuis trop longtemps, la politique est un obstacle à l'acquisition du savoir.

Comment le ministère réagirait-il à la création d'un organisme qui, pourvu des finances et des ressources nécessaires, aurait pour responsabilité d'étudier en toute indépendance les connaissances existantes, puis de les élargir?

M. Michols: Il va sans dire que tous les ministères qui participent à l'application de la stratégie antidrogue du Canada aimeraient voir une analyse et une surveillance plus rigoureuses, et même de meilleurs systèmes de rapport, comme la vérificatrice générale l'a proposé. Quant à savoir s'il faudrait qu'un seul organisme s'en charge pour les raisons que vous avez évoquées ou si la capacité d'agir à cet égard réside mieux dans les ministères qui participent à la stratégie antidrogue du Canada, cela dépend dans une grande mesure de l'analyse que l'on peut faire des avantages et des inconvénients de l'affaire.

Comme je l'ai déjà mentionné, il existe de nombreux services à Santé Canada qui s'occupent du contrôle ou de l'atténuation des résultats de la situation, par exemple le Solliciteur général, la GRC et d'autres. Il faudrait envisager d'établir un tel organisme, mais cela dépend, comme vous le dites, de la politique adoptée et du degré de rentabilité des deux options — le statu quo et le rassemblement de ces forces. Cela dépendrait aussi des ressources qui y seraient affectées.

[Français]

Le président: Ma prochaine question s'adresse à Mme Goulet. La comparaison entre le tabac et le cannabis, principalement la marijuana, ne s'arrête seulement qu'au mode de consommation par aspiration orale. En ce sens, la répétitivité de l'action n'est pas la même: la majeure partie des fumeurs de cannabis ne consomment pas régulièrement, mais occasionnellement. Certains d'entre eux font des abus, mais on ne peut pas comparer le consommateur de cannabis avec le consommateur de tabac. C'est une affirmation que nous avons entendue à plusieurs reprises. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Mme Hélène Goulet, directrice générale, Lutte contre le tabagisme, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs: La recherche nous indique que la fumée de la marijuana peut être autant dommageable, sinon plus, que la fumée du tabac, tant pour le fumeur que pour le non-fumeur qui y est exposé. En ce sens, toute décision politique concernant la marijuana doit éviter toute confusion dans l'esprit des Canadiens en veillant à ne pas faire croire que l'usage de la marijuana serait moins nocif que celui du tabac.

Depuis quelques années, des efforts considérables sont fournis aux ressources humaines et financières du pays, à tous les paliers de gouvernement, pour réduire la consommation et la prévalence de l'usage du tabac. Le tabac fait des milliers de victimes annuellement, dont environ un millier de personnes par la fumée secondaire.

Le président: Vous savez que les Canadiens le font quand même?

Mme Goulet: Oui.

Le président: Je ne remets pas en question votre bonne foi. Cependant, ce que vous me dites me semble de plus en plus être un faux-fuyant, car la majeure partie des consommateurs de cannabis nous ont dit — à Montréal, toutefois, un inhalateur nous a été démontré par une personne qui avait une exemption adéquate — que la combustion était la meilleure façon d'obtenir l'effet désiré. Personne n'est venu nous dire qu'il fumait l'équivalent de 25 cigarettes de cannabis par jour. La très grande majorité des consommateurs, surtout ceux qui en font usage à des fins médicales, nous disent qu'une bouffée suffit pour obtenir l'effet désiré. En fait, la plupart des gens qui choisissent d'avoir recours au cannabis à des fins médicales, lorsqu'ils constatent la lourdeur du processus pour obtenir l'exemption, se dirigent immédiatement vers les clubs compassion où les concentrations en THC sont assez élevées. Une bouffée suffit et souvent une seule fois par jour. On ne peut pas comparer une bouffée de marijuana à 25 cigarettes fumées quotidiennement!

Certains Canadiens disent que nous ne vivons pas tous sur la même planète. Ils entendent votre opinion et celle de l'Association médicale canadienne. Vous vous insurgez contre cette possibilité. Ils constatent ce favoritisme de Santé Canada vis-à-vis un produit fumé. On ne peut pas comparer le tabac et le cannabis.

Mme Goulet: Nous devons tenir compte de deux choses. En ce qui concerne Santé Canada et la confusion possible de la politique publique, je ne crois pas qu'il y ait des applications très sérieuses en termes de consommation à des fins médicales dans l'usage de la marijuana par rapport à celui du tabac. Les gens peuvent facilement faire cette distinction dans leur esprit.

La confusion naîtrait d'une politique publique qui permettrait un usage libéral de la marijuana à des fins récréatives par rapport à celui du tabac, que l'on essaie de rendre de moins en moins acceptable, tout en sachant que la marijuana, lorsqu'elle est fumée, a des effets similaires sinon pires que la cigarette, laquelle se fume différemment. Le dommage pourrait alors être encore plus grand.

Le président: J'essaie de restreindre notre discussion à l'usage médical. L'usage récréatif, je vous l'accorde, est un tout autre domaine. C'est également une toute autre culture qui s'applique.

Mme Goulet: Notre politique publique explique facilement la différence entre les deux.

Le président: Je suis d'accord avec vous quant aux éléments cancérigènes contenus dans le cannabis, qui sont plus nombreux que ceux du tabac, mais les consommateurs de cannabis à des fins médicales nous disent qu'il n'y a aucune proportion entre les deux. C'est facile de dire que c'est un faux prétexte.

Mme Goulet: Je comprends votre dilemme.

Le président: Je reviens sur la question de l'usage médical et des exemptions.

[Traduction]

J'ai quelques questions à poser au sujet des données. Quelqu'un saurait-il si, avant 1999, des exemptions étaient accordées en application de l'article 56 ou avant le projet de loi C-8, la loi précédente sur les stupéfiants? J'ai la certitude que la loi précédente comportait une disposition semblable prévoyant des exemptions déterminées par le ministre.

M. Michols: À ma connaissance, et nous pouvons vérifier cela, il n'y avait pas d'exemption à l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, avant l'adoption du règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales.

Le président: Le ministre déterminait les exemptions en application de l'article 56, après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, en 1997, et l'été dernier. Est-ce que ce sont là les chiffres?

M. Michols: Oui. C'était de concert avec l'annonce du programme de recherche sur la marijuana consommée à des fins médicales.

Le président: Sauf tout le respect que je vous dois, en reconnaissant l'effort que vous avez fait, le ministre réagissait à une décision d'un tribunal. C'est de ce fait qu'il a été contraint de recourir à ce régime d'exemption.

Des exemptions étaient-elles accordées avant que les tribunaux forcent le ministre à agir ainsi? Je ne parle pas du cas de M. Parker. Je parle de la décision rendue à Ottawa, ordonnant au ministre d'accorder une exemption.

M. Michols: Je ne crois pas qu'il y ait forcément eu un lien de cause à effet. Certes, au moment où les tribunaux étaient chargés des affaires en question, nous travaillions non seulement à l'élaboration d'un programme de recherche, mais aussi à la question des exemptions.

Comme le sénateur Banks l'a affirmé, il y avait toute une somme d'information anecdotique. Comme le sénateur Banks l'a également affirmé, les recherches ne se faisaient pas, et Santé Canada a encouragé cela. Nous ne pouvions entreprendre l'exercice: nous étions chargés d'administrer la Loi sur les aliments et drogues. Nous sommes chargés de la réglementation des produits thérapeutiques. Pour le financement, il aurait fallu passer par un organisme indépendant, par exemple le Conseil de recherches médicales du Canada, puis, au bout du compte, les IRSC. En même temps, nous reconnaissions qu'il y avait une information anecdotique importante et une demande assez importante. L'article 56 a servi à accorder une exemption à ceux qui, selon le monde médical, devraient pouvoir en bénéficier. La réglementation a permis de mettre en place un cadre plus rigoureux par la suite.

Le président: En regardant vos données au sujet des exemptions, je constate qu'il y a encore 501 exemptions qui s'appliquent sous le régime de l'article 56, exemptions qu'il faudra «convertir» pour qu'elles s'appliquent sous le régime du nouveau règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales.

Mme Lynch: Si les gens en question souhaitent continuer de bénéficier de l'autorisation. Dans certains cas, on a prolongé l'autorisation là où il y avait des motifs valables de croire que la personne ne pouvait réunir toutes les conditions voulues avant que la période d'exemption n'arrive à terme.

Le président: Vos dossiers renferment-ils des renseignements suffisants pour que vous puissiez leur accorder cela d'office?

Mme Lynch: Non. Si l'exemption accordée à quelqu'un en application de l'article 56 doit prendre fin et que la personne a présenté une demande dans le cadre du nouveau règlement, alors il nous faut accorder une prolongation.

Le président: Pourquoi y a-t-il une diminution — cela est passé de 658 exemptions accordées sous le régime de l'article 56 à seulement 501?

Mme Lynch: Plusieurs ont déjà été «transférées», c'est-à-dire qu'elles relèvent déjà du nouveau règlement. Dans certains cas, la personne peut avoir décidé qu'elle ne veut plus bénéficier de l'exemption. Malheureusement, dans certains cas, la personne est peut-être morte.

Le président: Je suis certain que si M. Parker était là, il nous donnerait la permission d'utiliser son nom. Savez-vous qu'il a demandé de bénéficier d'une exemption sans toutefois la recevoir?

Mme Lynch: L'affaire se trouve actuellement devant les tribunaux.

Le président: C'est l'affaire qui a été jugée en Ontario. Il a obtenu gain de cause.

M. Michols: L'affaire est actuellement devant les tribunaux.

Le président: C'est la décision qui a donné lieu à la réglementation. Êtes-vous conscient du fait que M. Parker a essuyé un refus?

Mme Lynch: Nous sommes au courant de l'affaire de M. Parker. Nous savons qu'il se trouve devant le tribunal avec nous en ce moment même, oui.

Le président: J'aimerais poser des questions sur les recherches touchant le danger que présentent certaines substances. Nous avons appris que certains herboristes chinois vendent des produits avant que ceux-ci ne soient autorisés en application de la loi médicale.

[Français]

Ils procèdent à des diagnostics de maladie. Ce n'est pas ce qui me préoccupe. Ce serait plutôt la préoccupation des corporations professionnelles. Dans ces magasins, il se vend des substances qui, selon ce qu'on nous dit, sont beaucoup plus dangereuses que le cannabis et c'est ce qui nous préoccupe. Pouvez-vous commenter cette information qu'on nous a transmise?

[Traduction]

M. Michols: Je ne sais pas trop comment m'y prendre pour répondre à cette question. Les herboristes chinois et les praticiens de la médecine chinoise — quiconque, au Canada, souhaite vendre un produit thérapeutique — est soumis à la Loi sur les aliments et drogues et au régime d'inspection et de fabrication. Santé Canada est habilité à faire enquête sur toute situation de cette nature et à mettre fin aux activités en question s'il s'avère que la personne vend un produit ayant certaines vertus thérapeutiques prétendues, mais n'ayant pas reçu l'approbation voulue dans le cadre de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application.

Le président: Ayant entendu cela, j'ai été voir comment cela se passait. D'énormes quantités de substances en vrac sont vendues de cette façon. Les avez-vous toutes mises à l'essai?

M. Michols: Je ne le sais pas.

Le président: Je ne veux pas nommer l'entreprise où je me suis rendu parce que je ne veux pas qu'on aille harceler l'homme en question. Il avait une quantité considérable de substances.

M. Michols: Je devrais dire qu'il y a un autre service à Santé Canada qui, depuis un certain temps, s'occupe d'élaborer la réglementation concernant les produits naturels de Santé et les prétentions thérapeutiques à cet égard. C'est une question qui préoccupe les autorités depuis un certain nombre d'années déjà et qui a donné lieu à la création d'un régime réglementaire. Nous avons les pouvoirs voulus, si jamais on détermine qu'une substance nuisible aux Canadiens est en vente, intervenir et régler la situation.

Le président: Ne croyez-vous pas qu'il y a ici deux poids deux mesures, si nous comparons la rigueur avec laquelle nous nous attardons au cas du cannabis et toutes les recherches commandées à cet égard aux recherches entreprises sur nombre de ces substances orientales?

M. Michols: Non, je ne trouve pas. Jusqu'à un certain point, cela nous ramène aux questions que vous avez posées pour ce qui est de la comparaison entre le tabac et la marijuana consommée à des fins médicales. Nous nous préoccupons d'abord du tort pouvant être causé aux Canadiens à la suite de la vente et de la consommation des substances. Nous nous soucions également des vertus thérapeutiques prétendues des produits. Le cannabis et la marijuana fumée se trouvent être un sujet important en ce moment, mais nous nous intéressons tout autant aux remèdes chinois qui présentent un danger majeur pour les Canadiens — et nous en avons d'ailleurs retiré du marché.

S'il y a un danger pour les Canadiens, nous sommes habilités à intervenir.

Le président: Pour parler maintenant de Prairie Plant Systems, il paraît que la récolte a été rejetée aux fins de la recherche, n'est-ce pas?

Mme Lynch: L'élaboration d'un médicament doit se faire dans le respect de certaines conditions normalisées. Vous devez savoir exactement ce que vous avez entre les mains. La société Prairie Plant Systems trime très dur pour en arriver à un produit destiné à la recherche. Cela prend beaucoup plus de temps que prévu.

La récolte qu'elle a actuellement entre les mains n'a pas été préparée dans des conditions normalisées prescrites. Par conséquent, le produit ne peut être assimilé à un médicament.

Le président: Je suis certain que cela ne prendrait pas grand-chose pour convaincre certains des bénéficiaires de vos exemptions de consommer le cannabis rejeté aux fins de la recherche; il suffirait de le leur demander.

M. Michols: C'est peut-être vrai. Pour revenir aux observations que nous avons formulées plus tôt — à savoir pourquoi Santé Canada participe à une étude sur la consommation de marijuana à des fins médicales —, disons que c'est pour établir les données scientifiques voulues pour déterminer si la substance peut apporter des bienfaits.

Pour établir les données scientifiques en question, il faut un produit de base qui répond aux normes de la recherche. Il ne s'agit pas de savoir ici si Prairie Plant Systems a bel et bien cultivé de la marijuana; il s'agit de savoir si le produit que la société a conçu est, du point de vue de la recherche, d'un calibre suffisant pour être utilisé à des fins scientifiques et légitimes.

Le président: Je comprends cela. Tout cela a été fait de bonne foi. La première récolte n'a pas été à la hauteur. Tout de même, cette récolte est là. Pourquoi ne pas laisser ceux qui y ont droit légalement en consommer à des fins médicales?

M. Michols: Comme Mme Lynch l'a expliqué, nous sommes encadrés par de conventions internationales et des lois canadiennes. Notre activité consiste à établir une source de marijuana convenable aux fins de projets de recherche qui nous donneront des renseignements sur la substance en vue de décisions qui seront prises à l'avenir. Notre activité ne consiste pas à fournir de la marijuana à des particuliers.

Le président: Il est question de compassion, ici. Voilà une récolte qui ne servira pas à la recherche, pour nombre de bonnes raisons. La marijuana ne peut être utilisée. Nous comprenons tous le règlement qui a permis de cultiver cette substance à des fins personnelles. Tout de même, il y a ceux qui ne peuvent cultiver du cannabis. Les conventions ne s'opposent pas à la consommation du cannabis à des fins médicales. Je suis sûr qu'il y a un membre de l'administration qui peut déterminer que, étant donné que cette récolte ne peut être utilisée par les chercheurs, ceux qui veulent en consommer et qui y ont droit légalement, en application du règlement, peuvent le faire.

M. Michols: Nous devons toujours travailler en fonction de la nécessité de maintenir un programme de recherche. Nous sommes en train de concevoir un programme de recherche visant à déterminer les données scientifiques dont il faudra disposer pour prendre des décisions à long terme. Nous n'en savons pas encore assez sur les effets néfastes possibles du produit en question. Je ne suis pas sûr qu'il serait responsable de permettre que le produit soit offert, hors du cadre des recherches prévues. C'est ce que permettent les conventions internationales.

Le président: Nous nous sommes rendus au Vancouver Compassion Club au moins deux fois. Ce club compte plus de 2 000 membres. Y a-t-il été question d'établir une sorte de partenariat pour que vous puissiez utiliser leurs données et concevoir un protocole de recherche qui fait appel aux membres en question, qui consomment de la marijuana depuis six ans?

M. Michols: Je ne suis pas au fait de données qu'ils seraient en train de recueillir et de protocoles de recherche qui s'appliqueraient, mais ils ont l'occasion de présenter aux IRSC une demande en vue de la production des renseignements de la recherche qu'il nous faut. Par la suite, il faudrait qu'ils se conforment à une série de protocoles de recherche jugés acceptables aux yeux de Santé Canada.

Le président: Nous avons entendu M. Ware, à Montréal, qui étudie les effets de la marijuana. Le cannabis qu'il emploie comporte au maximum une concentration de THC de 8 p. 100. Les divers utilisateurs et représentants du Compassion Club nous disent qu'ils emploient un cannabis dont la concentration de THC peut atteindre 26 p. 100. Je ne sais pas si vous connaissez le Vancouver Compassion Club? Il propose un menu de 15 variétés de cannabis, en fonction de diverses maladies.

Mme Lynch: Je connaissais, mais vous venez de me donner certaines précisions. Je sais tout de même que les Compassion Clubs de ce monde fournissent diverses qualités de marijuana.

M. Michols: Nous savons que le taux de THC d'une récolte de marijuana peut varier entre 0 et 26 p. 100. Nous savons qu'il y a une gradation. L'exercice vise à déterminer quelle concentration donne lieu à quel bienfait et à quel risque, raison d'être du programme de recherche. La récolte où le taux de THC s'élève à 26 p. 100 n'est pas forcément meilleure que les autres; de fait, elle pourrait être plus dangereuse dans certaines circonstances et dans certaines conditions.

Les produits thérapeutiques comportent diverses concentrations d'ingrédients actifs dont l'efficacité dans des situations particulières est prouvée au moyen de tests scientifiques. Il n'y a pas de données scientifiques de cette nature qui existent dans le cas de la marijuana.

Nous savons que fumer comporte des dangers en tant que mécanisme d'administration. Ce sont des risques qui sont connus. Les bienfaits ne sont pas encore prouvés. C'est le dilemme, le problème auquel nous faisons face, au programme de recherche, et c'est là l'intérêt que porte Santé Canada à ce sujet.

Le président: Nous avons appris qu'on a demandé que le protocole de recherche déjà approuvé ici soit approuvé aux États-Unis par les responsables de la DEA. Est-ce vrai?

Mme Lynch: Le premier endroit où nous avons cherché à obtenir de la marijuana à des fins de recherche est le NIDA, le National Institute on Drug Abuse, aux États-Unis. Le NIDA possède le produit sous forme de semences et sous forme séchée. Nous sommes encore en train de négocier avec la NIDA pour en obtenir sous forme séchée.

Pour utiliser leur produit, il nous faut des protocoles qui ont la sanction de leur ministère de la Santé et du NIDA. Une fois que les autorités américaines auront approuvé le protocole scientifique, c'est la DEA qui accorde la permission d'exporter le produit.

M. Michols: Cela étant, et je soupçonne que c'est la raison pour laquelle vous avez posé la question, nous avons jugé nécessaire que Santé Canada établisse une source au pays même, pour que nous puissions tout au moins avoir une emprise sur la qualité du produit et son accessibilité du point de vue de nos chercheurs.

Le sénateur Banks: Pour que nous puissions agir nous-mêmes, selon notre volonté.

M. Michols: Oui, selon notre volonté. À mon avis, rien ne serait pire que d'entamer un projet de recherche portant sur un produit particulier sur lequel nous fondons la normalisation de notre protocole, mais sans avoir un accès continu au produit en question. C'est pourquoi la décision a été prise d'établir une source proprement canadienne.

[Français]

Le président: On dit que les benzodiazépines sont beaucoup plus dangereuses que le cannabis. On les retrouve souvent sur les lieux de certains accidents. Pourquoi donc avoir deux régimes de contrôle différents? Pourquoi avoir un régime de contrôle beaucoup plus prohibitif du cannabis que des benzodiazépines?

[Traduction]

M. Michols: Permettez-moi d'entamer la réponse; et Mme Lynch prendra le relais. Les benzodiazépines sont des produits approuvés à des fins thérapeutiques. Ils présentent un danger s'ils sont consommés de façon immodérée, mais leur utilisation à des fins thérapeutiques est approuvée, tout comme celle d'autres substances contrôlées comme la méthadone. Il existe des données scientifiques qui font voir que la substance peut apporter des bienfaits si elle est employée de telle manière dans telles conditions. Or, nous ne disposons toujours pas de ces données dans le cas de la marijuana. Le cannabis présenté sous forme de comprimés a déjà été approuvé; on peut s'en procurer, mais, selon l'information anecdotique dont nous disposons, il ne convient pas dans plusieurs situations.

Celui qui affirme que les benzodiazépines sont plus dangereuses que le cannabis a raison, mais les benzodiazépines ont été approuvées, nous en connaissons les dangers, et nous pouvons adopter en conséquence la réglementation qui s'impose.

Mme Lynch: Par ailleurs, le règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales garantit seulement que la personne qui a été autorisée à consommer de la marijuana ne sera pas poursuivie en application de la loi. Ce n'est pas le même régime qui s'applique à un médicament comme les benzodiazépines, qui a d'abord été une drogue de recherche, puis qui a fait l'objet d'un avis de conformité avant d'être mis en marché au Canada. Nous n'en sommes pas encore là dans le cas de la marijuana.

Le président: L'éphédrine préoccupe les autorités américaines; elles étudient actuellement un projet de règlement. Pouvez-vous renseigner le comité sur l'état d'avancement de ce projet de règlement et nous dire à quel moment il sera en place?

Mme Lynch: Nous avons publié le projet de règlement dans la partie I de la Gazette le 27 avril, et nous en sommes aujourd'hui à la période des commentaires. Nous espérons que cela sera publié dans la partie II de la Gazette à l'automne et nous aimerions voir édicter le règlement d'ici la fin de l'année civile. À l'automne, nous allons nous préparer à recevoir des demandes de manière à pouvoir commencer à appliquer la réglementation intégralement en janvier.

Le président: Je suis sûr que vos homologues américains en sont conscients, de sorte qu'ils vont dire aux membres du Congrès que quelque chose est en voie de préparation. À la fin, le Canada exercera sur l'éphédrine un plus grand contrôle que les États-Unis.

Mme Lynch: Je ne suis pas sûr de pouvoir commenter cela, mais je peux dire que notre date cible, c'est la fin de l'année civile.

Le sénateur Banks: Monsieur Michols, la frustration que vous allez peut-être détecter dans mes observations et mes questions ne vous vise pas, vous; ce sont plutôt les politiques qui s'appliquent, et je sais que votre travail consiste à les articuler. J'aimerais revenir aux questions du président concernant la récolte déficiente — la culture qui s'est faite dans une mine au Manitoba. C'est une histoire qui, je dois vous le dire, alimente les humoristes. On a décidé de cultiver de la marijuana à des fins de recherche, mais on a aussi décidé que cela se ferait dans une mine au Manitoba. Seul le gouvernement du Canada pouvait en arriver à une telle décision. Que fera-t-on de la récolte rejetée? Va-t-on la brûler?

M. Michols: Je demanderai à Mme Lynch de répondre à la question posée au sujet de cette récolte, mais je parlerai moi-même de l'humour dont il est question ici. Le choix d'une mine pour cultiver la marijuana de source gouvernementale, de fait, était excellent...

Le sénateur Banks: ... Ce n'est pas le cas, jusqu'à maintenant.

M. Michols: ... Tout à fait, jusqu'à maintenant, en raison des paramètres de sécurité appliqués, de la possibilité de contrôler la température, l'humidité, les conditions générales de culture et du fait qu'il s'agit d'une culture hydroponique. C'est une des raisons pour lesquelles cette soumission particulière a été acceptée, par voie concurrentielle. Que tous le saisissent pleinement, cela n'est pas certain.

Le sénateur Banks: Il y a en Colombie-Britannique des experts qui critiquent ce choix.

M. Michols: ... Des «experts» entre guillemets, peut-être.

Le sénateur Banks: ... Du point de vue de l'horticulture.

M. Michols: ... Pour ce qui est de la récolte.

Mme Lynch: J'aimerais revenir à cette question. Cette récolte n'est pas un échec au sens où nous avons affaire ici à un processus de développement. La société Prairie Plant Systems s'est fait remettre des semences provenant d'un mélange de toutes sortes de marijuana. Comme vous le savez, il en existe de nombreuses variétés.

Nous espérions obtenir des semences du NIDA. Soit dit en passant, elles auraient été caractérisées, et nous aurions été sûrs de recevoir des graines de marijuana de grade «A». Cela n'a pas été le cas. Nous avons plutôt employé des graines de grade «C», de sorte qu'il a fallu caractériser les plantes en croissance. Il nous a fallu alors déterminer quels plants présentaient les bonnes caractéristiques aux fins de la recherche. Cette récolte n'est pas un échec, elle s'inscrit plutôt dans le développement d'une récolte de recherche.

Le sénateur Banks: Qu'est-ce qui en adviendra?

Mme Lynch: Nous pouvons l'employer à diverses fins, et nous en avons parlé récemment avec les représentants de PPS. On peut l'utiliser pour des tests, pour déterminer la concentration de cannabinoïdes d'un type de semence particulier. On peut également s'en servir à diverses fins expérimentales, pour que PPS continue d'affiner son travail de conception d'un produit utile à la recherche. On n'a pas à détruire la récolte. Nous pouvons en faire diverses choses.

Le sénateur Banks: Les conventions internationales permettent aux signataires de procéder à des recherches médicales sur la marijuana. Ne permettent-elles pas également l'utilisation à des fins médicales?

M. Michols: Ce serait le cas si nous savions que la marijuana est un médicament.

Le sénateur Banks: Mais personne au monde ne le sait.

M. Michols: Tout à fait.

Le sénateur Banks: C'est un cercle vicieux.

M. Michols: Oui, mais il existe d'autres substances contrôlées qui, à la suite de recherches, ont été approuvées à des fins médicales, par exemple l'héroïne, la cocaïne, la méthadone, dans la mesure où elles sont employées dans une situation particulière pour traiter d'un état particulier. Nous n'en sommes pas encore là pour ce qui touche la marijuana à des fins médicales. Nous espérons y arriver le plus rapidement possible, car cela réglerait plusieurs problèmes, pour vous comme pour nous.

Le sénateur Banks: À quel moment vient-on se heurter à ces conventions internationales? Vous accordez depuis longtemps l'absolution conditionnelle aux personnes condamnées pour certaines formes de possession simple. Cela est- il contraire à une convention internationale? Quelle est notre marge de manœuvre? Jusqu'où pouvons-nous aller avant qu'une discipline internationale nous soit imposée? Je ne limite pas la question au seul domaine de la recherche.

Mme Lynch: Il y a un certain malaise à l'OICS, l'Organe international de contrôle des stupéfiants, face à ce que nous faisons, comme son rapport annuel vous le fait savoir. Les responsables de l'OICS croient que nous allons plus loin que nous le devrions. Comme M. Michols l'a mentionné, normalement, les substances contrôlées ne sont fournies aux utilisateurs que lorsqu'on a eu une preuve suffisante de leur efficacité et de leur innocuité. L'OCIS se soucie de l'orientation que nous avons adoptée.

Je ne sais pas à quel point ils imposeraient leur discipline. Nous discutons certainement de la question avec eux, et ils ont des réserves à ce sujet.

Le président: Sur ce point particulier, comme vous le savez, les trois conventions affirment sans équivoque que leurs dispositions ne sauraient jamais aller à l'encontre d'une constitution nationale ou d'une charte des droits nationale. Le tribunal a affirmé, et j'espère que c'est la réponse que vous avez donnée à Genève, que sa décision reposait sur une analyse des droits fondamentaux de M. Parker.

Mme Lynch: Oui, bien sûr.

Le président: Bien entendu, les chercheurs communiqueront avec vous afin de pouvoir trouver les réponses définitives à nos questions.

[Français]

Du ministère de la Justice, nous recevons M. Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal; M. Croft Michaelson, directeur et avocat général principal, Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites et du Centre national de prévention du crime, nous recevons Mme Patricia Begin, directrice, Recherche et Évaluation.

Nous avions prévu vous entendre jusqu'à 12 h 30 mais il serait préférable de s'en tenir à 12 h 15 puisqu'en fin d'après-midi un témoin s'ajoute à notre liste. Votre présentation sera suivie d'une période de questions.

M. Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je comparais ici pour émettre quelques commentaires et répondre à des questions qui touchent la politique de droit pénal qui concerne les conventions internationales.

M. Michaelson Croft et Mme Patricia Begin ont chacun une présentation à faire et je vais permettre à M. Michaelson de débuter.

[Traduction]

M. Croft Michaelson, directeur et avocat général principal, Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, d'abord, j'aimerais vous donner des renseignements généraux sur le Service fédéral des poursuites, pour que vous puissiez comprendre le rôle et le mandat qui reviennent au Canada. Notre service est le principal organe responsable des poursuites en matière de drogues. Dans chaque province et dans chaque territoire, nous intentons des poursuites en invoquant diverses lois fédérales, notamment la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Notre effectif se compose de 300 avocats à temps plein qui travaillent dans 13 bureaux, situés partout au pays; dans les cas où nos avocats ne peuvent prendre en charge la poursuite, nous disposons de quelque 750 agents permanents qui prennent en charge, au nom du Procureur général, les poursuites en matière de drogues.

La majeure partie de notre travail se rapporte à ce genre de poursuites. J'ai cru qu'il serait utile de vous décrire un peu comment les compétences en la matière s'exercent au Canada. C'est une compétence partagée au sens où, en application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, les provinces peuvent se saisir de l'affaire si la poursuite contre un trafiquant de drogue a été intentée à l'initiative du gouvernement provincial.

Jusqu'à maintenant, deux provinces ont choisi d'exercer cette compétence. Ce sont le Québec et, dans une moindre mesure, le Nouveau-Brunswick. Au Québec, le Service fédéral des poursuites ne prend en charge que les poursuites ayant fait l'objet d'une enquête de la GRC. Dans le reste du Canada, mis à part le cas du Nouveau-Brunswick, le Service s'occupe des poursuites contre les trafiquants de drogue là où l'enquête a été menée par une police municipale, une police provinciale ou la GRC.

Le principal facteur déterminant du travail que nous faisons, c'est l'activité de la police. La police fait enquête et porte l'accusation, puis nous nous occupons de la poursuite. Les activités de la GRC et les polices provinciales et municipales déterminent le nombre d'enquêtes et d'accusations en question. À certains endroits, par exemple, en Colombie-Britannique, au Québec et au Nouveau-Brunswick, la police doit obtenir l'aval de la Couronne avant de porter une accusation.

Ces dernières années, nous sommes les témoins d'une croissance importante de l'activité criminelle liée au trafic des drogues. Les cas auxquels nous avons affaire, de manière générale, dans le contexte des poursuites en matière de drogue continuent de croître en volume et en complexité. Permettez-moi de brosser un bref tableau historique de certaines tendances. Il y a, à long terme, une tendance à la baisse du nombre d'adultes accusés de possession au Canada entre 1977 et 2000. En 1977, 45 000 personnes ont été accusées de possession et, en 2000, il y en a eu 25 000 environ. À l'inverse, durant la même période, le nombre d'adultes accusés de trafic, d'importation et de culture a augmenté de quelque 8 000, à la fin des années 70, à 17 000, au début des années 90.

Nous avons observé une augmentation du nombre d'infractions liées aux drogues à la fin des années 90. Entre 1998 et 1999, le nombre total d'adultes accusés d'une infraction liée aux drogues a augmenté de 12 p. 100. Pour la plus grande part, cela est attribuable à l'augmentation d'infractions liées au cannabis. La tendance s'est maintenue en 2000, avec une augmentation de 9 p. 100 du nombre d'adultes accusés d'une infraction liée à la drogue.

De 1998 à 1999, le nombre total d'adultes accusés d'avoir cultivé de la drogue, d'avoir cultivé le cannabis, a augmenté de 41 p. 100. Pendant la même période, une augmentation du nombre d'accusations pour trafic de drogue a également été observée. Le nombre total d'adultes accusés de trafic de drogue a augmenté de 15 p. 100.

Selon certains rapports récents, l'augmentation du nombre d'accusations ne tient pas forcément à une attitude plus énergique de la part de la police; ce serait plutôt un accroissement réel de l'activité en question. Un rapport portant sur la culture de la marijuana en Colombie-Britannique indique que l'augmentation du nombre de cas est attribuable non pas aux mesures proactives de la part des services précis, mais plutôt au nombre de plaintes formulées par le public.

Je suis sûr que vous êtes au courant des résultats du Sondage sur la consommation de drogues parmi les élèves de l'Ontario, édition 1999, qui témoigne d'un accroissement de la consommation. La Colombie-Britannique présente un cas intéressant, parce qu'elle compte pour quelque 48 p. 100 des coûts que nous engageons en matière de poursuites contre les trafiquants de drogue dont se chargent les agents. Je suis sûr que les honorables sénateurs sont au courant de ces statistiques, mais le taux de fréquence des infractions liées aux drogues, toutes catégories confondues, est presque deux fois plus élevé que la moyenne nationale en Colombie-Britannique: c'est 261 cas pour 100 000 pour ce qui est de la possession de cannabis, par rapport à 147 pour 100 000 en l'an 2000.

Nous avons aussi observé une augmentation du volume d'affaires de drogues en Colombie-Britannique en 2000. Nous avons constaté une augmentation significative du nombre de cas de culture entre 1997 et 2000.

En moyenne, le nombre d'entreprises illégales de culture de la marijuana a augmenté de 36 p. 100 par année, entre 1997 et 2000.

Je sais que le comité s'intéresse particulièrement aux infractions liées au cannabis. La tendance à long terme dans le cas de la simple possession de cannabis est à la baisse, si on prend les chiffres recueillis ces dernières années, mais la tendance pour ce qui est des accusations, elle, est à la hausse.

Vingt-cinq personnes ont été accusées de possession simple en 2000. C'est une augmentation de 26 p. 100 par rapport à 1996 et de 18 p. 100, par rapport à 1999.

Certes, les statistiques laissent voir une grande variabilité d'un service policier à l'autre. Cela va de 25 accusations de possession de cannabis pour une tranche de 100 000 habitants, à Vancouver, à 210 pour une tranche de 100 000, à Thunder Bay, en 1998. Selon l'endroit où vous vous trouvez au Canada, vous observerez une différence pour ce qui est de la tendance à porter des accusations.

Le coût d'une poursuite en matière de drogue...

Le sénateur Banks: Je m'excuse de vous interrompre. Ces statistiques comprennent-elles les cas où l'accusation de possession simple est liée accessoirement à d'autres actes criminels?

M. Michaelson: J'imagine que oui. Ce sont des statistiques globales. Cela devrait comprendre les accusations accessoires.

Le coût des poursuites en matière de drogue que prennent en charge nos avocats s'élève à quelque 35 millions de dollars par année. Le coût des poursuites en matière de drogue dont s'occupent nos agents ont représenté quelque 22 millions de dollars au cours du dernier exercice financier.

Le coût total des poursuites liées aux drogues et réalisées par le Service fédéral des poursuites représente environ 57 millions de dollars par année. Notre analyse pour l'exercice 2000-2001 a permis de voir que le coût des poursuites pour possession de cannabis, par rapport au budget global de 57 millions de dollars à notre disposition, s'élevait à quelque 4,8 million de dollars, autour de 5 millions de dollars, donc soit moins de 10 p. 100 du budget global.

Je sais que le comité s'intéressait aux peines déterminées dans les affaires de possession de drogue. Nous n'avons pas de base de données pour recenser les peines imposées aux contrevenants que nous poursuivons. Nos renseignements sur les habitudes de détermination de la peine sont tirés des statistiques du Centre canadien de la statistique juridique et d'informations anecdotiques fournies par nos procureurs.

Si on regarde uniquement les cas de possession simple, dans leur ensemble, on constate que, pour les seuls cas du cannabis et de la cocaïne, 58 p. 100 des contrevenants déclarés coupables en 1999-2000 ont reçu une amende. L'amende moyenne se situait autour de 200 $. Dix-neuf pour cent des contrevenants ont été libérés sous condition, 13 p. 100 se sont vu imposer une peine d'emprisonnement, et 9 p. 100 on reçu une autre forme de sanction, par exemple une condamnation avec sursis.

Depuis quelques années, le ministère de la Justice a examiné d'assez près le travail du Service fédéral des poursuites en vue de mieux comprendre les pressions et les exigences dont celui-ci est l'objet. Fait encore plus important, nous cherchons à savoir comment le Service fédéral des poursuites peut mieux servir les Canadiens à l'avenir.

Du fait de cet examen, six actions prioritaires ont été établies. Une d'entre elles consiste à établir et à mettre en pratique des solutions de rechange aux poursuites là où cela est convenable. Nous nous appliquons énergiquement à la conception d'une panoplie de mesures de rechange.

Une des mesures en question est, comme l'appellent les procureurs la «déjudiciarisation». Elle s'applique aux personnes qui sont accusées pour la première fois de possession simple de cannabis. À ce moment-là, l'affaire se règle en dehors du système de justice pénale «officiel». Le contrevenant est tenu de poser tel ou tel acte, pour ainsi dire. S'il pose l'acte en question, l'accusation est retirée ou les procédures arrêtées. Le plus souvent, à bien des endroits, la déjudiciarisation prend la forme d'un service communautaire que le contrevenant rend localement.

Nous avons des projets pilotes de traitement de la toxicomanie, dont vous êtes probablement au courant, à Toronto et à Vancouver, les contrevenants-toxicomanes étant aiguillés vers un programme de traitement assez rigoureux, sous la surveillance du tribunal.

Nous avons commencé récemment à mettre en œuvre un «projet pilote de poursuite suspendue», où les procureurs obtiennent des contrevenants accusés de possession de cannabis, au Manitoba, une promesse de bonne conduite. Il s'agit d'un projet pilote. Essentiellement, quand c'est la première fois qu'une personne est accusée de possession simple, le procureur applique divers critères. Si on juge que le programme convient aux contrevenants, les contrevenants signalent qu'ils respecteront la loi, qu'ils ne troubleront pas la paix et qu'ils se conduiront comme il faut. Le procureur arrête alors les procédures. Dans la mesure où les contrevenants en question ne se trouvent pas à nouveau devant un tribunal dans un délai de un an, l'affaire, essentiellement, est abandonnée.

Nous avons un autre programme innovateur, celui-là dans la région de Toronto; c'est un programme de «solution de rechange à la détention» qui s'applique aux jeunes qui pourraient se retrouver gardés en milieu ouvert ou fermé. Un programme de traitement est conçu à l'intention du jeune contrevenant. Celui-ci est aiguillé vers les services communautaires et reçoit une peine autre que la garde en milieu ouvert ou fermé.

Nous avons également commencé à participer récemment, à Vancouver, à un projet pilote de déjudiciarisation applicable à la possession de cannabis. Notre partenaire est la société Elizabeth Frye. Les contrevenants font du service communautaire.

Voilà le genre de mesure de rechange que nous étudions depuis plusieurs années.

Je serai heureux de répondre aux questions que vous voudrez me poser à la suite de l'exposé de Mme Bégin.

Mme Patricia Bégin, directrice, Recherche et évaluation, Centre national de prévention du crime: Honorables sénateurs, comme le temps presse, je ne parlerai pas longtemps de la relation entre la stratégie du Centre national de prévention du crime et la Fédération canadienne des municipalités. L'information se trouve dans les deux langues, dans la trousse d'information qui vous a été remise.

Je parlerai plutôt de la stratégie et de certaines des approches que l'on adopte pour prévenir la toxicomanie et l'activité criminelle qui y est associée. Ensuite, je décrirai brièvement certaines des constatations de premier ordre qui sont tirées de l'évaluation du tribunal torontois chargé des affaires de drogue, le Toronto Drug Treatment Court.

Brièvement, le Centre national de prévention du crime fait partie du plan d'action adopté par le gouvernement du Canada pour réduire la criminalité à la racine et édifier des collectivités plus fortes, plus saines.

Les objectifs clés de l'exercice consistent à mobiliser les partenaires, notamment tous les ordres de gouvernement, les collectivités et les particuliers, pour aider les collectivités à trouver des solutions locales à des problèmes locaux là où il y a de la criminalité et de la victimisation; à sensibiliser le public à la prévention de la criminalité; et à réaliser des recherches sur la prévention du crime et à établir des pratiques exemplaires en ce qui concerne la réduction et la prévention de la victimisation.

La stratégie repose sur l'utilisation d'une méthode proactive de prévention du crime, par l'entremise d'approches axées sur le développement social; par l'entremise des programmes de financement, des politiques et des recherches qu'elle suppose, la stratégie vise à s'attaquer aux facteurs de risque personnels, sociaux et économiques qui conduisent certaines personnes à s'adonner à des actes criminels ou à devenir les victimes d'un acte criminel. Cela comprend la toxicomanie et l'activité criminelle qui y est associée.

Pour atteindre ses objectifs, le Centre national de prévention du crime, qui administre la stratégie, travaille de concert avec toutes sortes de groupes d'intervenants au Canada. Par exemple, nous savons que la toxicomanie et l'activité criminelle qui y est associée font intervenir des aspects sociaux, juridiques et sanitaires. Il s'agit donc d'une question multidisciplinaire qui suppose une responsabilité partagée.

Or, cette responsabilité suppose la collaboration entre les gouvernements. Nous collaborons très étroitement avec nos partenaires provinciaux et territoriaux, des organismes communautaires, les services de santé, les écoles, des particuliers, les tribunaux et les agences d'exécution de la loi.

La Fédération canadienne des municipalités est un partenaire clé de notre stratégie nationale. Les problèmes liés à la criminalité et à la victimisation ont lieu à l'échelle locale, dans les villes et les villages, dans les collectivités et les quartiers. Par conséquent, les solutions doivent être élaborées de concert avec les intervenants intéressés, par exemple la Fédération canadienne des municipalités.

Nous avons fourni à la Fédération canadienne des municipalités l'appui financier nécessaire à sa stratégie municipale antidrogue. Je crois que ses représentants ont comparu devant le comité et fourni des renseignements à ce sujet, de sorte que je ne donnerai pas de précisions.

La stratégie nationale concernant les toxicomanies, la consommation excessive de drogue et les activités criminelles qui y sont associées comprend des projets pilotes comme celui du Toronto Drug Treatment Court. On compte aussi des appuis importants fournis à la ville de Vancouver dans le cadre du projet de remise en valeur du Downtown Eastside. Comme je l'ai dit, Santé, le Solliciteur général et le Centre national de prévention du crime ont appuyé la stratégie municipale antidrogue de la Fédération et son projet en trois étapes.

En outre, la stratégie nationale consistait à déployer des efforts de mobilisation au sein des collectivités de tout le Canada. Parmi les activités en question, citons le fait de bâtir des réseaux pour la prévention de la criminalité en ce qui concerne les toxicomanies, la sensibilisation, les assemblées publiques, les programmes d'éducation, les ateliers, les programmes de mentorat, les conférences et ainsi de suite. J'ai inclus dans la trousse d'information une liste des projets financés qui sont axés sur les drogues illicites, en date du 5 juin 2002. Les dates remontent jusqu'à juin 1998, moment où la stratégie a été lancée. Vous avez devant vous quatre ans d'information.

Le Toronto Drug Treatment Court a ouvert ses portes en décembre 1998 grâce au soutien financier de la Stratégie nationale sur la sécurité communautaire et la prévention du crime. Comme la plupart des honorables sénateurs le savent, c'est le premier tribunal canadien chargé d'affaires liées au traitement des toxicomanes.

J'aimerais traiter de certaines hypothèses qui sous-tendent les tribunaux de cette nature, de manière générale. La première, c'est que la toxicomanie est souvent associée au chômage, à l'itinérance, à une violence physique et sexuelle perpétrée durant l'enfance, à la discorde familiale et à une série de problèmes de santé mentale et physique. Une chose que la recherche a permis de voir, c'est que l'incarcération, à elle seule, ne suffit pas à réduire la consommation de drogue et l'activité criminelle qui y est associée. Le plus souvent, elle ne va pas à la racine des problèmes associés à la toxicomanie.

Les recherches nous disent aussi que les toxicomanes, particulièrement les adeptes de «drogue de la rue» comme la cocaïne et l'héroïne, sont susceptibles de s'adonner à des activités criminelles productrices de revenu et d'avoir des démêlés importants avec la justice pénale et le réseau de la santé. De ce fait, ils sont perçus comme une menace pour la sécurité de la collectivité, et ils suscitent un accroissement de la crainte du public à l'égard de la criminalité et du désordre, et ils exercent des pressions considérables sur la justice pénale et le réseau de la santé. Les recherches nous disent également que les contrevenants-toxicomanes commettent moins d'actes criminels quand ils sont inscrits à un programme de traitement.

Autre hypothèse sous-jacente: les approches axées sur la jurisprudence thérapeutique, par exemple les tribunaux chargés des affaires de drogue, qui visent à assurer la réadaptation et la réintégration des contrevenants-toxicomanes, le système de justice pénale, de concert avec les fournisseurs de traitement et les services communautaires, peuvent servir d'agents de changement et modifier le cheminement de vie du toxicomane.

Pour résumer donc les principales hypothèses en question, le comportement criminel associé à la drogue, la récidive et le recours à la détention peuvent être réduits au moyen d'un modèle de justice de rechange qui combine un traitement sous surveillance judiciaire et des tests d'urine périodiques, un rapport périodique au tribunal et une coopération interorganismes. Voilà, si vous voulez, les fondements théoriques des tribunaux en matière de drogue ayant pris forme depuis 1989 aux États-Unis.

Il est intéressant de noter l'augmentation rapide du nombre de tribunaux de cette nature aux États-Unis. De 1989 à 1997, 161 tribunaux du genre ont été créés. En mai 2001, 688 instances avaient mis en place un tribunal en la matière, et 432 autres étaient prévus. Plus de 1 000 tribunaux exercent actuellement cette activité aux États-Unis.

Les gens se posent peut-être la question suivante: «Est-ce que cela veut dire que les tribunaux chargés des affaires de drogue se révèlent efficaces, d'une façon qui soit scientifiquement rigoureuse?» Il y a eu très peu d'évaluations globales des tribunaux qui soient bien conçues. D'après ce que j'en sais, la situation sera corrigée dans un proche avenir: certaines évaluations en cours permettront d'y arriver, au moyen d'un plan expérimental. Les résultats seront publiés en 2002-2003.

En ce moment, nous disposons de données très limitées sur les résultats des ordonnances des tribunaux chargés des affaires de drogue, par rapport à d'autres approches possibles. La plupart des évaluations ou des recherches effectuées couvrent une période très limitée. Aucun suivi important n'a permis d'établir si les personnes visées se remettent à consommer des drogues de manière excessive et à commettre à nouveau des actes criminels. Faute de groupe témoin adéquat, on ne peut tirer de conclusions quant à l'impact et aux effets du programme.

Certaines données laissent croire au succès de la démarche pour ceux qui persistent et vont jusqu'au bout du programme. Le taux de persévérance des «clients» et leur taux de succès aux États-Unis est élevé par rapport à d'autres programmes de traitement en clinique externe. La récidive et la consommation de drogue parmi ceux qui ont réussi le programme demeurent peu élevés. Les tribunaux en matière de drogue semblent être à l'origine d'économies pour l'exécution de la loi, la probation et la prison. Ce qui est moins clair, c'est l'effet à long terme — pour la consommation de drogue et la récidive — et les caractéristiques des contrevenants dépendants qui réussissent cela.

Brièvement, l'évaluation à Toronto repose sur un schéma quasi expérimental. Le groupe témoin se compose des «clients»jugés admissibles au programme et ayant décidé de ne pas comparaître devant le «tribunal»; mais plutôt de passer par les voies classiques de la justice pénale.

Entre avril 1999, moment où on a commencé à rassembler les données en vue de l'évaluation, et le 5 octobre 2001, le tribunal des drogues s'est penché sur la cause de 284 personnes. Quatre-vingt-trois pour cent d'entre eux, soit 234 personnes, forment le groupe sujet, alors que 17 p. 100 forment le groupe témoin (50).

Dans le groupe de sujets, 16,7 p. 100 des gens sont encore inscrits au programme; 13,7 ou 14 p. 100 l'ont terminé avec succès, c'est-à-dire 32 personnes; et 62 p. 100 ont été expulsés. Le taux de persévérance global se situe à 31 p. 100.

Un aspect que la recherche a permis de mettre en lumière, c'est qu'une fois écoulée la période de trois mois prévue, dans le cas des tribunaux chargés des affaires de drogue, le taux de persévérance atteint 50 p. 100. Le tribunal essaie, par l'entremise des données, de mieux comprendre les caractéristiques des clients jugés admissibles, mais qui ne réussissent pas, et qui sont expulsés ou qui se retirent durant les trois premiers mois.

Une des grandes questions que l'évaluation visera à élucider, et c'est une question critique, c'est le contexte où le tribunal torontois des affaires de drogue a été mis sur pied. Il s'inspire beaucoup des tribunaux de cette nature qui ont été conçus aux États-Unis. Si ces tribunaux ont vu le jour, c'est surtout qu'il y avait des lois antidrogue draconiennes et des peines obligatoires à l'origine de l'augmentation massive du nombre de contrevenants dans les affaires de drogue qui se retrouvaient en prison aux États-Unis. Les coûts associés à ce phénomène y étaient aussi pour quelque chose.

Certains font valoir que, aux États-Unis, les contrevenants sont fortement incités à persévérer, du fait que les règles sont dures.

D'ordinaire, cela prend neuf mois et, au début, les clients doivent comparaître régulièrement devant le tribunal et se soumettre à des tests d'urine réguliers qui, souvent, sont effectués au hasard. Ils sont également contraints de se plier à un traitement et d'organiser leur vie à divers égards: école, emploi, santé et logement. Par conséquent, les gens acceptés doivent assumer une grande part de la responsabilité à l'égard de leur vie et de leur comportement, moyennant d'importants appuis.

Le contexte canadien est différent. Par exemple, les lois régissant la détermination de la peine ne sont pas les mêmes. Le Canada n'a pas tendance à suivre le modèle américain des peines obligatoires, qui, à bien des égards, fait que les juges américains ont les mains liées.

De même, nous avons des condamnations conditionnelles au Canada depuis 1997, je crois. Elles ont été établies à l'intention des contrevenants recevant une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour. Il existe diverses formes de sanctions qui peuvent être associées à une condamnation conditionnelle, mais un des aspects clés, c'est que la peine ne soit pas purgée dans une prison ou dans un établissement.

Il est intéressant de savoir que 83 p. 100 des personnes condamnées à une peine d'emprisonnement en 1996 pour une affaire liée à la drogue ont reçu une peine de deux ans moins un jour, ou encore moins que cela. Cela vaut pour neuf instances. Chez ceux qui sont susceptibles de recevoir une peine de quatre, six ou huit mois et, donc, une condamnation conditionnelle, il est peut-être moins intéressant de comparaître devant le tribunal des affaires de drogue et d'être contraint de se plier aux lignes directrices et aux attentes rigides associées à un tel programme.

L'évaluation a permis de constater que le groupe témoin est plus susceptible d'être formé de jeunes sans emploi ayant une activité illégale comme source de revenu, ayant un casier judiciaire et ayant été mis en prison plus souvent et accusés plus souvent d'une nouvelle infraction depuis le passage au tribunal des affaires de drogue. À bien des égards, le groupe témoin présente un risque beaucoup plus élevé que le groupe sujet.

Le taux de récidive moins élevé noté chez les bénéficiaires du programme de tribunal des affaires de drogue et des services connexes est peut-être lié à leur degré de risques. Nous aimerions approfondir la question qui consiste à savoir si ces différences sont attribuables à la participation au programme ou au degré moindre de risque et à la motivation de changer sa vie.

Les données de l'évaluation dont nous disposons jusqu'à maintenant nous révèlent ce qui suit: le tribunal des affaires de drogue à Toronto est capable de mobiliser les contrevenants et de les faire persévérer. Ceux qui persévèrent ont tendance à terminer le programme avec succès, et les données de suivi limitées ayant été réunies jusqu'à maintenant sembleraient dire qu'ils présentent bel et bien un taux de récidive moins élevé et qu'ils consomment moins de drogue.

Il y a aussi une réduction de la consommation de drogue et de l'activité criminelle chez les contrevenants pendant qu'ils participent au programme. Le taux de réarrestation a tendance à être moins élevé chez le groupe sujet que chez ceux qui ont été expulsés ou qui font partie du groupe témoin. Un des défis de l'évaluation, pour les quelques années à venir, consistera à mieux apparier les groupes de manière à définir les résultats, les impacts et les effets du tribunal sous certains aspects clés, qui touchent la consommation de drogue, l'activité criminelle, la réinsertion «prosociale» au sein de la collectivité, la stabilité familiale et les choses de cette nature.

J'aimerais parler brièvement du cas de Vancouver. Comme vous en avez sûrement entendu parler, la ville de Vancouver doit relever des défis énormes, étant donné les graves problèmes sanitaires et sociaux qui sont associés à l'injection de drogue par voie intraveineuse, et notamment la toxicomanie, les épidémies de maladies infectieuses, le taux élevé de surdose, les maladies mentales, la criminalité, la pauvreté et l'itinérance.

Le Vancouver Drug Treatment Court représente une des nombreuses mesures que la province et la ville ont adoptées, étant donné la fréquence élevée des cas d'injection de drogue à Vancouver. À l'exemple du tribunal de Toronto, celui de Vancouver repose sur un modèle intersectoriel. Fait intéressant, pour ce qui est des comparaisons possibles, le Centre de toxicomanie et de santé mentale prend en charge les traitements à Toronto, de sorte qu'il y a là une équipe dévouée composée de conseillers en traitement des toxicomanies, de médecins et ainsi de suite, réunis en un seul endroit, pour travailler auprès des gens en question.

Ce n'est pas le cas en Colombie-Britannique. Les fournisseurs de traitement ont tendance à être installés localement, à être rattachés à un hôpital, à avoir leur propre cabinet à titre de clinicien. Nous allons étudier les effets du recours à des fournisseurs locaux de traitement, pour le cas des contrevenants-toxicomanes, par rapport au recours à une organisation déjà conçue en ce sens.

Le tribunal a ouvert ses portes en décembre 2001, donc il y a environ six mois. Nous espérons commencer à recevoir, d'ici quelques mois, certains renseignements sur la mise en place du tribunal, sur les défis qu'il a dû relever et sur certaines des façons dont il s'y est pris pour le faire.

Comme le tribunal de Toronto, le tribunal de Vancouver est censé permettre d'instaurer une gestion de cas intensive et de s'assurer que les participants sont mis en relation avec des ressources communautaires et inscrits à des programmes de perfectionnement, au besoin. Ce sera un défi en Colombie-Britannique, là où nombre des services font l'objet de réductions, sinon sont carrément éliminés avec la vague de coupes budgétaires qui déferle en ce moment.

De même, nous prévoyons appliquer un schéma expérimental prévoyant notamment l'attribution au hasard de cas tirés du groupe témoin au tribunal, afin d'obtenir des résultats d'évaluation plus rigoureux.

Le sénateur Banks: Je sais qu'il ne convient pas de qualifier votre entreprise de «guerre faite à la drogue», mais les statistiques m'amènent à réfléchir sur l'efficacité de tous ces programmes. Ils semblent être efficaces chez ceux qui persévèrent. Par ailleurs, nous avons entendu M. Michaelson dire que les poursuites pour trafic de drogue et simple possession sont à la hausse; et, globalement, il me semble qu'il en va de même de la consommation de drogues illicites, malgré tout ce que nous faisons, y compris les tribunaux établis pour les affaires de drogue, la prévention et l'éducation.

Travaillons-nous avec efficience? Est-ce que cela fonctionne même? Des gens de toutes les régions du monde formulent nombre de raisonnements pour nous dire que la guerre faite à la drogue — je sais que ce n'est pas ce que nous faisons — semble être un échec total.

Nous mettons de l'argent là-dedans à la pelletée, mais le phénomène gagne toujours en fréquence.

Peut-on affirmer que, au mieux, tous les efforts déployés ainsi en ce qui concerne la prévention, l'éducation et les programmes des tribunaux des affaires de drogue servent à réduire le rythme d'accroissement du phénomène? Toutes les bonnes choses imaginées, y compris l'argent, les programmes et les recherches, ne semblent pas avoir d'effet sur la consommation générale de drogue, si on se fie aux observations anecdotiques qui nous sont révélées. M. Michaelson nous a dit que les poursuites sont à la hausse. Il a affirmé que cela n'est pas attribuable aux efforts supplémentaires déployés par la police; ce serait plutôt que l'usage devient plus largement répandu. Je vous pose une question marquée. Peut-on espérer au mieux réduire le rythme auquel s'accroît le phénomène au moyen de la prévention, de l'éducation et de l'interdiction?

Mme Bégin: L'approche dite des quatre piliers adoptée pour composer avec le problème de la drogue au Canada — c'est-à-dire l'éducation, la prévention, l'exécution de la loi et la réduction des préjudices — semble couvrir tout le terrain, si vous me permettez cette expression, c'est-à-dire englober tous les moyens qu'une société peut prendre pour régler un problème lié à la drogue ou un problème social. Je parle du fait d'éduquer les jeunes, d'essayer de s'assurer que, grâce à l'exécution de la loi, les trafiquants sont traduits devant les tribunaux, et du fait de répondre aux besoins des toxicomanes sur le plan de la santé et autrement. Quant à savoir s'il s'agit de la bonne approche, en tant que chercheur, j'appuie vivement les décisions fondées sur les faits, j'en fais valoir les mérites. Je crois que nous nous dirigeons de plus en plus dans cette voie, au Canada. Nous imposons des comptes à rendre pour l'argent qui est consacré à des questions sociales et sanitaires, pour déterminer si l'objectif est atteint, c'est-à-dire si la mesure dont il est question permet d'améliorer la santé et la sécurité de la société canadienne.

Le sénateur Banks: Je sais qu'il est impossible d'établir des réponses statistiques irréfutables à la question de savoir si ces programmes sont efficaces. Je reconnais avoir posé la question uniquement pour la forme.

Vous avez dit que la moitié environ des gens sont «expulsés»des programmes. Est-ce parce qu'ils se remettent à consommer?

Mme Bégin: Ils sont expulsés parce qu'ils ne se soumettent pas aux contrôles prévus. La rechute du toxicomane n'est pas un motif d'expulsion automatique, mais le fait de mentir au tribunal l'est.

Le sénateur Banks: C'est pour toutes sortes de raisons.

Mme Bégin: Oui, mais nous sommes assez souples: les gens peuvent faire des erreurs et s'amender.

Le sénateur Banks: Vous avez dit il y a un instant que, pour mesurer l'efficacité de divers programmes, il faut des renseignements fiables. Croyez-vous que l'établissement d'un organisme ou d'un observatoire national chargé de surveiller les tendances en ce qui concerne les drogues illégales est une bonne idée?

Mme Bégin: Je ne crois pas être en mesure de répondre parfaitement à cette question. Je sais qu'il existe un tel organisme en France, mais je ne suis pas au courant des divers éléments qui composent un observatoire. Je crois savoir que le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies a reçu récemment les fonds dont il avait vraiment besoin pour remplir son mandat. Voilà qui peut être une responsabilité, un défi ou un objectif intéressant.

Le sénateur Banks: Êtes-vous d'accord pour dire que, de manière générale, il nous faut de meilleures informations et plus d'information, particulièrement pour ce qui est de la recherche, qu'en ce moment?

Mme Bégin: Ayant lu le rapport de la vérificatrice générale, je dirais que c'est ce qu'elle semble montrer du doigt, oui.

Le sénateur Banks: Monsieur Michaelson, vous avez mentionné le fait que, globalement, nous consacrons 57 millions de dollars par année, environ à des poursuites. Cela ne comprend pas le coût de l'incarcération ou d'autres coûts résiduels, n'est-ce pas?

M. Michaelson: C'est bien cela. Les 57 millions de dollars en question concernent uniquement le Service fédéral des poursuites. Les coûts d'administration des tribunaux n'y figureraient pas. Les coûts engagés par les services correctionnels provinciaux ou fédéraux n'y figureraient pas non plus. Les coûts de l'aide juridique n'y figureraient pas. Certes, les coûts des enquêtes n'y figurent pas.

Le sénateur Banks: La somme de 57 millions de dollars par année ne représente qu'une partie de ce qui est dépensé dans le cas des personnes qui consomment de la drogue. Les sommes prévues pour l'éducation, la prévention, le traitement et la réadaptation se situent autour de 30 millions de dollars par année. Je ne suis pas écolo, je ne suis certainement pas du genre dont le cœur saigne, même si je suis un Rouge. J'espère que vous n'êtes pas trop mêlé.

M. Michaelson: Je ne saurais commenter cela.

Le sénateur Banks: C'était une autre question de pure forme. Ce n'est pas juste. Je voulais simplement souligner que les 57 millions de dollars en question ne représentent que la pointe de l'iceberg, pour ce qui est des coûts que nous engageons réellement.

M. Michaelson: C'est vrai.

Le sénateur Maheu: Madame Bégin, au sujet du taux de succès de 50 p. 100 des deux tribunaux, quel genre de frais sont exigés? Jusqu'où allons-nous? Est-ce que ce sont des premières infractions ou encore des récidives?

M. Michaelson: Une des choses qui distinguent notre approche de celle des Américains, c'est que les contrevenants avec qui nous traitons, devant ces tribunaux chargés des affaires de drogue, ont tendance à être associés à un risque plus élevé. Le plus souvent, ce n'est pas la première fois qu'ils sont accusés de possession de cocaïne ou d'héroïne. Nombre d'entre eux ont beaucoup fréquenté les tribunaux par le passé, surtout en rapport avec leur comportement de toxicomane. Nombre d'entre eux ont été accusés d'avoir commis une infraction liée au trafic. Nous n'acceptons pas de trafiquants «commerciaux». C'est en rapport avec sa toxicomanie même que la personne doit avoir fait le trafic. Nous avons tendance à traiter avec des personnes à risque relativement plus élevé, ce qui est un des facteurs de décrochage. Ce sont des cas difficiles à bien des égards. Le fait qu'un si grand nombre de personnes persévèrent est pour moi une raison d'être optimiste: le tribunal des affaires de drogue est sur la bonne voie.

Le sénateur Maheu: Quelle serait la grande différence entre nos deux tribunaux et les quelque 1 000 tribunaux qui se trouvent aux États-Unis?

M. Michaelson: Je ne suis pas un spécialiste des tribunaux américains. Tout de même, je crois savoir que nombre d'entre eux n'acceptent pas de trafiquants. Ils s'en tiennent aux gens qui ont été accusés de possession.

Si vous êtes accusé de possession aux États-Unis, vous pouvez faire l'objet d'une détention assez importante. Vous pouvez aller en prison. Le plus souvent, ce n'est pas le cas au Canada. C'est une des raisons pour lesquelles les gens qui s'inscrivent aux cours de traitement de la toxicomanie ne sont pas les mêmes.

À certains endroits aux États-Unis, on a élargi les critères de manière à accepter les trafiquants.

[Français]

Le président: Monsieur Saint-Denis, en 1982 votre ministère a rendu public un document sur le rôle du droit criminel. Dans ce document, il est spécifié que le droit criminel doit être utilisé comme dernier rempart de la protection des valeurs sociales lorsqu'on peut démontrer un tort causé à autrui ou à la société.

M. Saint-Denis: Je me souviens du document.

Le président: Cette philosophie posant le rôle du droit criminel dans la société canadienne est-elle encore valable?

M. Saint-Denis: Dans ses grandes lignes, tout à fait.

Le président: Croyez-vous que le cannabis cause de tels torts à autrui ou à la société en général?

M. Saint-Denis: Nous espérons que votre comité ainsi que celui de la Chambre des communes sauront nous éclairer sur ce point.

Certains torts sont causés par l'usage du cannabis, plus particulièrement à la santé. À mon avis, ces torts n'ont pas été mesurés pleinement et on doit les assimiler tout au moins à l'usage du tabac.

Une certaine activité criminelle entoure l'usage du cannabis. Le cannabis doit, dans bien des cas, être acheté, et les gens peu fortunés ont souvent recours à des moyens criminels pour se procurer l'argent.

Le président: Criminalité induite par la notion de prohiber.

M. Saint-Denis: Non. Je parle de gens qui, parce qu'ils n'ont pas l'argent, doivent voler ou commettre des crimes dans le but d'obtenir de l'argent. Ce phénomène existerait, je crois, que le cannabis soit prohibé ou non. Si on éliminait les lois sur le cannabis, si on le décriminalisait complètement ou si on le légalisait, des gens n'auraient pas les moyens de se payer cette substance. Ces personnes devraient donc recourir à des moyens criminels pour se permettre l'usage du cannabis. Il y a donc un certain tort rattaché au cannabis.

Le président: Aux fins de la discussion, peut-on faire un parallèle avec l'alcool?

M. Saint-Denis: Oui.

Le président: Nous avons entendu une série de présentations sur les conséquences de la dépendance à l'alcool. Celles- ci sont d'ailleurs beaucoup plus graves, pernicieuses et délétères. Je présume que ces torts à autrui, dans le cas de l'alcool, sont encore plus évidents que dans le cas du cannabis.

M. Saint-Denis: Vous avez raison.

Le président: Nous tentons d'obtenir une mesure stable de ce principe du tort à autrui et du dommage. On s'aperçoit que ce qui est valable dans un cas ne l'est pas nécessairement dans l'autre.

Les juges de la Cour suprême auront à trancher ce point et nous attendons avec intérêt leurs conclusions. Toutefois, nous devons rédiger un rapport avant que la décision de la Cour suprême ne soit rendue.

Ce document du ministère nous paraît encore très valable et je crois que la réflexion doit se poursuivre. Nous essayons de trouver une façon d'analyser le rôle du droit criminel et cerner les principes qui doivent guider son usage. Des réflexions ont-elles été suscitées au ministère suite à la publication de ce document?

M. Saint-Denis: Il y eut en 1982 une initiative non reliée aux principes de sentence mentionnés dans le document. L'effort visait à minimiser l'impact du droit criminel sur la possession et l'usage du cannabis. Toutefois, cette initiative n'a pas abouti et les choses en sont demeurées là.

Comment traiter l'infraction de possession et l'usage du cannabis? Cette question revient souvent sur la table mais demeure irrésolue.

Le président: Réfléchissons sous un autre angle. Doit-on criminaliser la possession du cannabis même si on arrive à la conclusion que le droit criminel ne devrait pas s'appliquer? On doit prendre pour acquis qu'il y a un tort causé à autrui, ce qui nous oblige à recourir au droit criminel.

M. Saint-Denis: Dans le cas des traités, il s'agit d'un processus basé sur une hypothèse différente. On vise le tort à la santé. Par conséquent, on propose de criminaliser certaines activités. Qu'il s'agisse d'un tort à la société, il n'en demeure pas moins que dans le traité et à la Commission sur les stupéfiants, on se préoccupe avant tout de la santé des gens.

Sommes-nous obligés de criminaliser la possession du cannabis? La réponse est oui. La convention de 1988 dit que l'on doit criminaliser la possession — on parle de possession, de culture et de commerce. Par contre, il n'est pas nécessaire de pénaliser sévèrement. Il existe une alternative, par exemple, le traitement, plutôt que l'imposition de peines d'incarcération.

Voilà l'obligation à laquelle on doit répondre en vertu du traité de 1988. Il faut criminaliser, mais il existe un éventail de possibilités quant à la façon de traiter le problème. On peut imposer des peines avec emprisonnement ou n'imposer que des amendes.

Le président: Ce qui m'amène à la question sous-jacente: la loi canadienne ne va-t-elle pas au-delà des exigences internationales — voire de la convention de 1988 — étant donné justement ces possibilités de mesures alternatives?

M. Saint-Denis: Je ne crois pas que ce soit le cas. Nous avons criminalisé, par conséquent, nous rencontrons notre obligation. La marge de manœuvre réside dans la façon dont on traite les gens qui sont condamnés. Les tribunaux agissent déjà en ce sens en imposant des sentences suspendues ou d'autres mesures. La loi nous procure donc une grande flexibilité dans l'imposition des peines. Nous disposons d'un régime qui offre un certain assouplissement de l'impact criminel. L'amélioration est toujours souhaitable, mais les tribunaux agissent déjà en ce sens.

Le président: Les témoins du ministère de la Santé qui vous ont précédé nous ont parlé de la réaction un peu négative des autorités ou des agences internationales qui ont la responsabilité de la mise en oeuvre de ces traités, surtout concernant l'usage médical du cannabis. Les gens du ministère de la Santé ont confirmé que ces agences avaient été dûment informé que nos tribunaux avaient interprété notre droit constitutionnel et c'est pour ces raisons qu'un tel règlement a été mis en oeuvre. C'est purement hypothétique, mais possible que l'on soit face à une même situation à plus ou moins courte échéance lorsque la Cour suprême rendra ses décisions sur les causes devant elle concernant l'usage récréatif du cannabis.

Vous qui avez une connaissance du droit international en matière de contrôle des drogues, pouvez-vous nous dire quelle est la situation chez nos partenaires internationaux?

Sont-ils prévenus à l'avance qu'il y a une certaine ébullition judiciaire au Canada à cet effet? Je ne pense pas seulement aux Américains.

M. Saint-Denis: Plusieurs de nos amis en Europe sont au courant des développements juridiques au Canada à ce sujet. Ils savent aussi qu'on a ces règlements sur l'usage médical.

On se rencontre une fois par année à Vienne avec la Commission des stupéfiants. Il y a là un échange d'idées et une mise à jour d'information. Certainement, les gens sont au courant. Il y a deux tendances assez divergentes qui semblent se développer sur le plan du cannabis tout au moins. Certains pays ont commencé un processus de...

Le président: Parallélisme!

M. Saint-Denis: Ce n'est pas seulement cela. Certains pays ont commencé à réduire les effets juridiques face à la possession du cannabis. Je pense tout particulièrement à certains pays européens. Il y a d'autres pays où on a tendance à vouloir sévir davantage ou, si on ne sévit pas, au moins ils sont préoccupés par ces tendances qu'ils aperçoivent dans l'Occident, c'est-à-dire les pays de l'Europe de l'ouest et le Canada. Cela semble leur causer des problèmes chez eux. Les jeunes de ces pays s'aperçoivent de ce qui se passe dans d'autres pays. Ils se demandent pourquoi ils sont pénalisés si sévèrement quand, en Espagne, en Suisse, en Angleterre et au Canada, on va dans un sens opposé. Cela leur cause des problèmes assez sérieux. C'est une des questions soulevées récemment dans le contexte des discussions de la Commission sur les stupéfiants. Ces questions continueront d'être soulevées encore quelques temps.

[Traduction]

Le président: Monsieur Michaelson, deux directeurs des services policiers de deux grandes villes, Vancouver et Montréal, nous ont affirmé que les cas de possession simple ne représentaient pas une grande préoccupation. Ils jugeaient cela important, mais disaient n'avoir pas les ressources, le temps, ni même la volonté de s'en occuper.

Si j'interprète bien vos propos, à au moins deux endroits, il y a une grande coopération entre les procureurs de la Couronne et les services policiers qui portent les accusations. Est-ce la première fois que vous entendez une telle remarque de la part d'un service policier, que ce soit à Montréal ou à Vancouver? Est-ce bien établi qu'on se soucie moins des cas de possession de cannabis à ces deux endroits? À Vancouver, de fait, c'était la possession de toute drogue illicite.

M. Michaelson: Cela ne m'a pas étonné. Quand j'ai parlé des accusations que portent les services policiers et de la variabilité des pratiques à cet égard d'un endroit à l'autre au pays, certes, je voulais dire que les policiers dans les grandes villes canadiennes sont aux prises avec toutes sortes de questions et de problèmes, parmi lesquels la possession de drogue. Ils doivent aussi composer avec un nombre beaucoup plus grand d'infractions pour trafic et importation de drogue et de culture de cannabis là où ils travaillent.

Étant donné les rares ressources que les services policiers doivent répartir parmi les dossiers en question, ils vont se concentrer sur les infractions criminelles et plus graves là où ils travaillent. À Vancouver, là où les questions et les problèmes en jeu sont nombreux, la police a déterminé que, tout compte fait, dans l'ensemble, les infractions pour possession simple sont loin d'être situées en tête de liste. Ils n'arriveraient tout simplement pas à traiter le volume d'infractions en question tout en s'occupant des infractions relativement plus graves. Cela n'est pas étonnant.

Le président: Vous avez bien raison. On ne dit pas que ce n'est pas important; plutôt, on dit qu'on n'a pas les ressources pour s'en occuper.

M. Michaelson: Il vous faut décider et répartir vos ressources. Dans les petites localités, là où les problèmes de trafic de drogue et de culture du cannabis n'ont pas la même envergure, les accusations portées pour possession de drogue seront probablement plus fréquentes.

Le président: C'est pourquoi il y a une si grande différence entre Vancouver et Thunder Bay.

M. Michaelson: Vous pourriez choisir au hasard diverses localités canadiennes et constater les diverses tendances quant aux accusations.

Le président: De notre point de vue, il est troublant de voir que une seule et même loi est appliquée différemment d'une province à l'autre. On pourrait aussi comparer deux villes qui se trouvent dans une même province, par exemple, Toronto et Thunder Bay, et constater des différences importantes. Les Canadiens se préoccupent du fait que la loi soit appliquée différemment selon l'endroit où on se trouve. Les gens nous ont dit qu'ils sont très mécontents de cela.

M. Michaelson: Nous nous en soucions également. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous explorons plus énergiquement les solutions de rechange qui s'offrent dans le cas des infractions peu importantes. À un endroit, le contrevenant peut recevoir un simple avertissement de la police, alors qu'ailleurs, il est accusé et traduit devant les tribunaux. Voilà une des raisons pour lesquelles nous souhaitons nous assurer que ce soit la plus grande équité possible qui est appliquée aux affaires qui nous sont confiées.

[Français]

Je vous remercie madame et messieurs d'avoir accepté notre invitation.

Les recherchistes du comité, afin de finaliser nos travaux, vous poseront probablement des questions afin d'approfondir certains éléments de votre témoignage. N'hésitez pas à y répondre.

La séance est levée.


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