Les enfants: des citoyens sans voix
MISE EN ŒUVRE EFFICACE DES OBLIGATIONS INTERNATIONALES DU CANADA RELATIVES AUX DROITS DES ENFANTS
Rapport final du Comité sénatorial permanent des Droits de la personne
L’honorable
Raynell Andreychuk, Présidente
L’honorable
Joan Fraser, Vice-présidente
avril 2007
L’honorable Raynell Andreychuk, présidente
L’honorable Joan Fraser, vice-présidente
et
Les honorables sénateurs :
Romeo Dallaire
*Céline Hervieux-Payette, C.P. (ou Claudette Tardif)
Mobina S.B. Jaffer
Noël A. Kinsella
*Marjory LeBreton C.P. (ou Gerald Comeau)
Sandra M. Lovelace Nicholas
Jim Munson
Nancy Ruth
Vivienne Poy
*Membres d’office
En plus des sénateurs indiqués ci-dessus, les honorables sénateurs Jack Austin, George Baker, C.P., Sharon Carstairs, C.P., Maria Chaput, Ione Christensen, Ethel M. Cochrane, Marisa Ferretti Barth, Elizabeth Hubley, Laurier LaPierre, Rose-Marie Losier-Cool, Terry Mercer, Pana Merchant, Grant Mitchell, Donald H. Oliver, Landon Pearson, Lucie Pépin, Robert W. Peterson, Marie-P. Poulin (Charrette), William Rompkey, C.P., Terrance R. Stratton et Rod A. Zimmer étaient membres du Comité à différents moments au cours de cette étude ou ont participé à ses travaux.
Personnel du Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque du
Parlement :
Laura Barnett, analyste
Personnel de la Direction des Comités du Sénat :
Louise Archambeault, adjointe administrative
Matthieu Boulianne, adjoint administratif
Line Gravel, greffière de comité
Josée Thérien, greffière de comité
Vanessa Moss-Norbury
La Greffière du Comité
Extrait des Journaux du Sénat, du jeudi 27 avril 2006 :
L'honorable sénateur Andreychuk propose, appuyée par l'honorable sénateur Keon,
Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le Comité demandera plus particulièrement l'autorisation d'examiner :
- les obligations qui sont nôtres en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant;
- si les lois du Canada qui s'appliquent aux enfants respectent les obligations qui sont nôtres en vertu de cette convention.
Que les mémoires reçus et les témoignages entendus sur la question par le Comité au cours de la première session de la trente-huitième législature soient déférés au Comité;
Que le Comité présente son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2006, et qu'il conserve jusqu'au 31 mars 2007 tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Extrait des Journaux du Sénat, du mercredi 29 novembre 2006 :
L'honorable sénateur Andreychuk propose, appuyée par l'honorable sénateur Meighen,
Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le jeudi 27 avril 2006, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, autorisé à examiner, pour en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants, soit habilité à reporter la date de présentation de son rapport final du 31 décembre 2006 au 31 mars 2007 et qu'il conserve jusqu'au 30 juin 2007 tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Extrait des Journaux du Sénat, du jeudi 29 mars 2007 :
L'honorable sénateur Fraser propose, appuyée par l'honorable sénateur Milne,
Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le mercredi 29 novembre 2006, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, autorisé à examiner, pour en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants, soit habilité à reporter la date de présentation de son rapport final du 31 mars 2007 au 30 avril 2007 et qu'il conserve jusqu'au 30 juillet 2007 tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Avant-propos de la Présidente. ix
Résumé des recommandations. xvii
1. Examen approfondi du contexte canadien et missions d’étude à l’étranger 2
2. Qui dirige, ici? – Rapport provisoire. 5
Chapitre 2 - Mise en œuvre de traités internationaux au Canada. 8
C. APPLICATION ET MISE EN ŒUVRE.. 9
D. MÉCANISMES D’EXÉCUTION.. 18
1. Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne. 19
2. Pertinence du processus d’établissement de rapports et de suivi 20
Chapitre 3 - Les droits de l’enfant et le contexte canadien. 26
A. BREF HISTORIQUE DE LA CONVENTION.. 26
B. IMPORTANCE CRUCIALE DE METTRE LES DROITS DES ENFANTS AU PREMIER PLAN 27
1. Démarche fondée sur les droits. 27
C. SURVOL DE LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT 34
3. Comité des droits de l’enfant 38
D. ÉCART ENTRE LE DISCOURS SUR LES DROITS ET LA RÉALITÉ.. 39
Chapitre 4 - Mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant 44
A. MISE EN ŒUVRE ET APPLICATION.. 44
1. Absence de loi habilitante. 44
2. Interprétation législative et judiciaire. 46
1. Article 21 – Garde coutumière. 49
2. Alinéa 37c) – Détention de jeunes contrevenants dans des locaux distincts. 50
C. MÉCANISMES D’EXÉCUTION.. 52
D. STRUCTURE FÉDÉRALE DU CANADA.. 53
E. OBSERVATIONS DU COMITÉ.. 55
Chapitre 5 - Articles 12 à 15 : Participation et expression. 59
B. DROIT DES ENFANTS CANADIENS DE PARTICIPER ET D’ÊTRE ENTENDUS 60
Chapitre 6 - Articles 19, 28, 37 et 38 et Protocole facultatif : Violence contre les enfants 67
B. ARTICLES 19 ET 28 : CHÂTIMENTS CORPORELS. 68
C. ARTICLE 19 : INTIMIDATION.. 79
D. ARTICLE 38 ET PROTOCOLE FACULTATIF : PARTICIPATION D’ENFANTS AUX CONFLITS ARMÉS. 82
Chapitre 7 - Articles 19, 32 et 34 à 36 et Protocole facultatif : Exploitation des enfants. 86
B. ARTICLES 34 À 36 ET PROTOCOLE FACULTATIF : EXPLOITATION SEXUELLE 88
C. ARTICLES 32 ET 36 : EXPLOITATION ÉCONOMIQUE.. 91
Chapitre 8 - Articles 37 et 40 : Enfants en conflit avec la loi 95
B. TAUX DE DÉTENTION DES JEUNES AU CANADA.. 98
C. CONDITIONS DE DÉTENTION.. 105
Chapitre 9 - Articles 9, 12, 19, 20 et 25 : Protection de l’enfance. 109
B. DROIT DE L’ENFANT D’ÊTRE ENTENDU ET DE PARTICIPER.. 111
C. PRÉCARITÉ DES PLACEMENTS. 113
D. UNIFORMISATION DE L’ÂGE LIMITE DE LA PROTECTION.. 114
Chapitre 10 - Articles 5, 7, 8, 18, 20 et 21 : Adoption et identité. 117
B. ARTICLES 5, 18, 20 ET 21 : ADOPTION.. 117
C. ARTICLES 7 ET 8 : IDENTITÉ.. 121
1. Enfants adoptés et enfants issus de donneurs anonymes. 121
2. Enfants de parents de même sexe. 124
Chapitre 11 - Articles 7, 9, 10, 11, 21, 22 et 35 et Protocole facultatif : Les enfants migrants 128
B. ADOPTION INTERNATIONALE.. 132
C. RÉUNIFICATION FAMILIALE.. 136
D. ENFANTS SÉPARÉS ET TRAITE DES PERSONNES. 140
E. DÉTENTION D’ENFANTS MIGRANTS. 145
G. INTÉRÊT SUPÉRIEUR DE L’ENFANT.. 149
Chapitre 12 - Articles 18, 28 et 29 : Développement de la petite enfance. 154
Chapitre 13 - Articles 26 et 27 : Pauvreté infantile. 161
Chapitre 14 - Articles 2, 23, 24, 33 et 39 : Santé des enfants. 170
B. LA SANTÉ DES ENFANTS AU CANADA.. 173
C. ENFANTS AYANT DES BESOINS SPÉCIAUX.. 174
Chapitre 15 - Article 2 : Orientation sexuelle. 183
Chapitre 16 - Articles 2 et 30 : Les enfants autochtones. 188
B. LES ENFANTS AUTOCHTONES AU CANADA.. 189
1. Questions relatives à la protection des enfants. 192
5. Conflits de compétences. 207
6. Les enfants autochtones vivant hors réserve. 209
7. Des solutions locales conçues sur mesure. 210
8. Article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. 213
Chapitre 17 - Mise en œuvre effective de la Convention relative aux droits de l’enfant au Canada 215
A. ÉDUCATION ET SENSIBILISATION.. 217
1. Sensibilisation à l’égard de la Convention au Canada. 217
2. Nécessité d’accroître la sensibilisation. 221
B. COMMISSARIAT FÉDÉRAL AUX ENFANTS. 225
2. Rôle du commissaire aux enfants. 230
2. Rôles spécifiques du groupe de travail chargé de la mise en œuvre. 241
3. Nécessité d’une stratégie de sensibilisation. 246
E. COMMENTAIRES DU COMITÉ.. 249
A. LANCEMENT DES NÉGOCIATIONS. 252
1. Consultation et coopération. 252
3. Analyse des intérêts nationaux. 254
B. SIGNATURE ET RATIFICATION.. 256
1. Palier fédéral – Déclaration d’intention officielle. 256
2. Travailler dans un système fédéral 258
3. Étape de la ratification. 259
1. Exigence en matière de rapport aux Nations Unies. 260
D. COMMENTAIRES DU COMITÉ.. 264
Annexe A : Liste des témoins. 269
Annexe B: Convention relative aux droits de l’enfant 285
Annexe D: Protocole facultatif concernant la participation des enfants aux conflits armés 304
Annexe E : Observations finales du Comité des droits de l’enfant 308
Avant-propos de la Présidente
En novembre 2004, le Comité sénatorial des droits de la personne s’est lancé dans une étude des obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants pour déposer un an plus tard un rapport provisoire intitulé Qui dirige, ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants. Le rapport provisoire indiquait que la Convention relative aux droits de l’enfant n’avait pas été intégrée au droit national et qu’il y avait eu des lacunes dans sa mise en œuvre. Il faisait aussi état des inquiétudes des témoins au sujet du manque de sensibilisation du public à la Convention et aux droits des enfants au Canada.
En définitive, le Comité s’est servi de la mise en œuvre par le Canada de la Convention comme d’une lentille à travers laquelle analyser l’attitude globale de notre pays envers la ratification et la mise en œuvre des traités internationaux des droits de la personne, poussant ainsi plus loin le travail amorcé dans sa première étude, Des promesses à tenir : Le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne. En fin de compte, notre étude intensive des droits des enfants et de la Convention relative aux droits de l'enfant n’a fait que confirmer les conclusions antérieures du Comité, à savoir que le Canada doit prendre plus au sérieux les obligations que lui imposent les traités internationaux des droits de la personne. Quand le gouvernement canadien ratifie un traité, il doit tenir ses promesses et travailler avec assiduité à sa mise en œuvre au pays même. Ce n’est pas ce qui se passe actuellement.
Le Canada a signé la Convention relative aux droits de l'enfant le 28 mai 1990 et l’a ratifiée le 13 décembre 1991. Or, l’étude du Comité montre clairement que les gouvernements fédéraux qui se sont succédé n’ont pas tenu les promesses faites au moment de la ratification. Sur le terrain, les droits des enfants sont écartés et même violés dans toutes sortes de situations – il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil au dossier de la pauvreté chez les enfants ou à la situation des enfants autochtones ou ayant des besoins spéciaux. La Convention est en fait marginalisée quant à ses effets directs sur la vie des enfants. Le Comité trouve profondément préoccupant cet état de choses et, par le biais de cette étude, insiste sur l’importance de respecter nos obligations aux termes des traités internationaux des droits de la personne. Si le gouvernement fédéral et les autres ordres de gouvernement prenaient des mesures concrètes de mise en œuvre de la Convention, la vie des enfants s’en trouverait transformée. Dans ce rapport, le Comité demande à tous les ordres de gouvernement au Canada de remplir leurs obligations envers les enfants en améliorant les institutions, les politiques publiques et les lois qui les concernent.
Cette étude sur les droits des enfants tirant à sa fin, je tiens à remercier tous les membres du Comité pour leur enthousiasme et leur dévouement. Tous les sénateurs ont mis à profit leur sphère de compétence et leur expérience de la vie et tous ont été touchés par cette étude de diverses façons. Par ce rapport, ils soulignent combien leur tiennent à cœur le respect intégral et la mise en œuvre concrète des droits des enfants au Canada.
Enfin, je remercie les agents du Sénat et de la Bibliothèque du Parlement qui ont participé à l’étude. Je rends un hommage spécial à Vanessa Moss-Norbury, Josée Thérien et Line Gravel, greffières du Comité, et à Laura Barnett, attachée de recherche du Comité. Je remercie aussi tous ceux qui sont venus témoigner devant le Comité tant au Canada qu’à l’étranger des précieuses perspectives qu’ils nous ont ouvertes sur la Convention relative aux droits de l'enfant, sur la situation des droits des enfants au Canada et sur les moyens les plus efficaces de mettre en œuvre le droit international à l’échelle nationale.
Comme le rapport provisoire avant lui, ce rapport est dédié aux enfants du Canada dans l’espoir que, si ses recommandations se concrétisent, il leur donnera les moyens de faire entendre leur voix comme citoyens dans notre société.
Résumé
Étude (chapitre 1)
En novembre 2004, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à examiner, en vue d’en faire rapport, les obligations internationales du Canada relatives aux droits et libertés des enfants. Dès le départ, le Comité a passé en revue les obligations internationales du Canada relatives aux droits de l’enfant afin de rendre compte des considérations générales liées à la conformité des lois et des politiques nationales à ces obligations du Canada et de respecter le mandat général à l’origine de son premier rapport, paru en 2001 et intitulé Des promesses à tenir : le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne. Le principal objectif de cette étude était d’examiner si la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies avait été mise en œuvre, si elle avait servi les intérêts des enfants canadiens et si elle avait été utilisée comme outil pour s’attaquer aux principaux problèmes auxquels ils sont confrontés.
Le Comité s’est aussi penché sur le rôle du Parlement dans ce contexte.
Mise en œuvre de traités internationaux au Canada (chapitre 2)
En novembre 2005, le Comité a déposé au Sénat son rapport provisoire intitulé Qui dirige, ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants. Ce rapport faisait fond sur Des promesses à tenir et traitait de l’application des obligations internationales dans le droit interne.
Au Canada, les traités internationaux relatifs aux droits de la personne sont rarement intégrés directement au droit national, mais sont plutôt appliqués indirectement, au sens où l’on vérifie la conformité des lois déjà en vigueur aux obligations découlant d’une convention particulière. Le Parlement ne joue aucun rôle dans la ratification; les traités internationaux relatifs aux droits de la personne qui ne sont pas directement intégrés à des lois nationales ne passent donc pas par le processus parlementaire. La mise en œuvre de traités internationaux touchant des lois et des politiques provinciales relève des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral a adopté comme politique de consulter les provinces et les territoires avant de signer et de ratifier des traités sur des questions relevant de leur compétence afin de prendre en compte les aspects complexes de cette situation.
En ce qui a trait aux obligations du Canada en matière de présentation de rapports découlant de traités relatifs aux droits de la personne, le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne facilite la préparation des rapports du Canada aux organes issus de traités des Nations Unies relatifs aux droits de la personne. Lorsqu’un organe issu d’un traité de l’ONU publie ses Observations finales, il incombe au Comité permanent des fonctionnaires de tenir les gouvernements provinciaux et territoriaux au courant des observations concernant la portée des droits garantis par la Convention.
L’une des principales préoccupations des témoins concerne la réticence du gouvernement fédéral à intégrer directement au droit national les traités internationaux sur les droits de la personne. Le gouvernement est toutefois tenu de faire de son mieux pour mettre en œuvre à l’échelle nationale les traités internationaux auxquels il adhère, peu importe les obstacles liés aux sphères de compétence prévues dans la Constitution. Par ailleurs, le Comité a appris qu’en raison de son mandat limité, le Comité permanent des fonctionnaires ne constitue pas un mécanisme efficace pour assurer la coordination entre les diverses compétences ou avec les différents organes créés en vertu d’un traité. Les processus actuels d’établissement et de diffusion des rapports sont trop complexes, et des témoins ont exprimé leurs préoccupations relatives au manque de transparence et de véritable participation du public et du Parlement aux processus d’établissement de rapports et de suivi, de même qu’à l’absence de diffusion au public des Observations finales des organes issus d’un traité.
Droits des enfants et contexte canadien (chapitres 3 à 17)
Le chapitre 3 donne un aperçu de la Convention relative aux droits de l’enfant – des principes qu’elle contient, des protocoles facultatifs et du rôle du Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Le Canada a signé la Convention le 28 mai 1990 et l’a ratifiée le 13 décembre 1991. Ce chapitre met l’accent sur la valeur de la démarche fondée sur les droits, dont les principales caractéristiques sont les suivantes : tous les droits sont égaux et universels; les personnes (y compris les enfants) sont le sujet de leurs propres droits et elles participent au développement au lieu d’être des objets de charité; le cadre fondé sur les droits impose aux États l’obligation de travailler à la mise en œuvre de tous les droits. La démarche fondée sur les droits revêt une importance particulière dans les discussions entourant les droits des enfants en raison de la vulnérabilité souvent intense des enfants, de la concurrence qui existe fréquemment entre les droits des enfants et ceux des adultes, et de la facilité avec laquelle une approche paternaliste et fondée sur les besoins peut en conséquence être adoptée. Le point de vue des enfants est rarement pris en compte dans les décisions gouvernementales, même s’ils forment l’un des groupes les plus touchés par l’action ou l’inaction gouvernementale. Les enfants ne sont pas simplement sous-représentés, ils ne sont pratiquement pas représentés du tout. La Convention relative aux droits de l’enfant place l’enfant au cœur de la démarche, dans le contexte de sa famille, de sa collectivité et de sa culture. Il y a toutefois un écart entre le discours sur les droits et la réalité de la vie des enfants. Nombreux sont ceux qui, au Canada et ailleurs dans le monde, continuent de s’opposer à la mise en œuvre intégrale de la Convention.
Le chapitre 4 porte sur la mise en œuvre de la Convention au Canada, notamment l’absence de mesures législatives habilitantes, l’importance accordée à l’interprétation judiciaire, les réserves du Canada au sujet de la Convention et l’incidence de la structure fédérale du Canada sur la mise en œuvre. Le Comité y constate que l’approche du gouvernement fédéral à l’égard des droits des enfants et de la Convention en particulier est insatisfaisante. L’aspect complexe des diverses compétences, l’absence d’institutions efficaces, la démarche incertaine quant à l’application des mesures législatives sur les droits de la personne, le manque de transparence et le peu d’engagement politique démontrent que l’application de la Convention est inefficace dans le contexte canadien. Pour faire progresser le dossier et favoriser le respect du processus démocratique, il faut accroître la responsabilisation, intensifier la participation du Parlement et du public et adopter une approche plus ouverte, propice à la transparence et favorisant la volonté politique.
Les chapitres 5 à 16 portent sur le respect de certains articles de la Convention relative aux droits de l’enfant au Canada. Ils attirent l’attention sur les observations et les recommandations du Comité concernant la mise en œuvre et l’utilisation de la Convention en ce qui a trait à la participation et à l’expression, à la violence envers les enfants, à l’exploitation des enfants, au système de justice pénale pour les jeunes, au bien-être des enfants, aux questions liées à l’adoption et à l’identité, aux enfants immigrants, aux services de garde et de développement de la petite enfance, à la pauvreté infantile, à la santé, aux enfants membres d’une minorité sexuelle et aux enfants autochtones. L’intention du Comité n’était pas d’étudier ces très importantes questions à fond en vue d’y trouver des réponses, mais bien d’examiner si la Convention relative aux droits de l’enfant avait permis de s’y attaquer. Les observations du Comité sont accompagnées de propositions et de recommandations quant aux mesures que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent prendre pour assurer la protection des droits des enfants au Canada.
Dans le chapitre 17, le Comité conclut que la Convention relative aux droits de l’enfant n’occupe pas une place solide au sein des lois, des politiques et de la conscience collective au Canada. Trop de Canadiens ignorent quels droits sont conférés par la Convention. Pour leur part, les gouvernements et les tribunaux n’y voient qu’un principe directeur rigoureusement formulé avec lequel ils tentent d’harmoniser les lois, plutôt que de la traiter comme une convention ayant force obligatoire. De plus, personne n’a le rôle d’assurer la mise en œuvre effective de la Convention au Canada, et la volonté politique fait défaut. Le succès de la Convention repose sur sa mise en œuvre. Pour être en mesure d’affirmer qu’il respecte pleinement les droits et les libertés de ses enfants, le Canada devrait se conformer davantage à la Convention dans les faits. Le gouvernement fédéral doit prendre les devants pour assurer la mise en œuvre de la Convention.
Le Comité conclut que le gouvernement fédéral n’a mis en place aucun mécanisme afin de garantir le respect de ses obligations dans le cadre des traités internationaux relatifs aux droits de la personne. Il propose donc des mesures visant à assurer une surveillance systématique de la mise en œuvre de la Convention afin d’en garantir le respect. Il préconise notamment l’établissement d’un groupe de travail interministériel chargé de coordonner et de surveiller les lois et les politiques fédérales qui ont une incidence sur les droits des enfants, et la création d’un poste indépendant de commissaire aux enfants dont le titulaire sera chargé de surveiller l’application des droits des enfants à l’échelle fédérale et d’assurer la liaison avec les organismes provinciaux de défense des droits des enfants. Le Comité insiste aussi sur la nécessité d’accroître la sensibilisation à l’égard de la Convention et de la démarche fondée sur les droits qui la sous-tend. Par-dessus tout, il cherche par ses recommandations à consolider la participation active des enfants dans toutes les institutions et tous les mécanismes susceptibles d’avoir une incidence sur leurs droits.
Cadre proposé pour la mise en œuvre de traités internationaux au Canada (chapitre 18)
Enfin, dans le chapitre 18, le Comité signale que le Canada n’a aucun processus moderne, transparent et démocratique de mise en œuvre des traités internationaux sur les droits de la personne. En outre, aucune institution n’assume la responsabilité ultime de l’application efficace des conventions internationales relatives aux droits de la personne. Pour résoudre le problème, le Comité propose un cadre pour améliorer le processus par lequel le Canada ratifie et intègre ses obligations internationales relatives aux droits de la personne. Cette proposition prévoit des niveaux accrus de responsabilité qui aideront à traduire les obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne en des lois, des politiques et des pratiques significatives. Elle insiste tout particulièrement sur l’importance pour les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des droits de la personne d’accepter les obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne et de se réunir immédiatement avec un dynamisme renouvelé afin de tenir des consultations efficaces et de respecter ces obligations.
Le Comité espère, dans l’intérêt de nos enfants, qu’une pleine adhésion à la Convention relative aux droits de l’enfant à titre d’engagement obligatoire atténuera certains des problèmes persistants auxquels ils demeurent confrontés.
Résumé des recommandations
RECOMMANDATION 1 – Participation et expression (page 66)
En vertu des articles 12 à 15 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral affecte des ressources pour que les points de vue des enfants soient véritablement pris en compte dans l’examen ou la mise en œuvre, au niveau fédéral, de lois, de politiques et d’autres décisions qui ont d’importantes répercussions dans leur vie.
RECOMMANDATION 2 – Châtiments corporels (page 78)
En vertu des articles 19 et 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour éliminer les châtiments corporels au Canada, notamment les suivantes :
- le lancement immédiat d’une vaste campagne d’éducation destinée au public et aux parents sur les effets négatifs des châtiments corporels et sur la nécessité d’une meilleure communication entre parents et enfants grâce à des méthodes disciplinaires différentes;
- des recherches devant être entreprises par le ministère de la Santé sur des méthodes disciplinaires différentes et sur les effets des châtiments corporels sur les enfants;
- l’abrogation de l’article 43 du Code criminel d’ici avril 2009
- une analyse devant être menée par le ministère de la Justice afin de déterminer si les moyens de défense existants de la common law, comme ceux fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis, doivent être expressément accessibles aux personnes accusées d’agression contre un enfant.
RECOMMANDATION 3 – Intimidation (page 82)
En vertu de l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral mette en œuvre au Canada une stratégie nationale de lutte contre l’intimidation qui prévoit une campagne d’éducation nationale organisée en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et visant à éduquer les enfants, les parents, les enseignants et d’autres personnes au sujet de l’intimidation, à favoriser le règlement des conflits et à préconiser des moyens d’intervention efficaces.
RECOMMANDATION 4 – Participation
d’enfants aux conflits armés
(page 85)
En vertu de l’article 38 de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Protocole facultatif concernant la participation d’enfants aux conflits armés, le Comité recommande que les Forces canadiennes :
- créent une base de données permettant d’établir des statistiques sur le recrutement et la participation des personnes de moins de 18 ans dans les Forces canadiennes;
- rendent publiques leurs politiques de recrutement relatives aux personnes de moins de 18 ans;
- examinent et évaluent leurs pratiques de recrutement afin de s’assurer qu’elles respectent intégralement la Convention et que la priorité est accordée aux personnes de 18 ans et plus dans le cadre du processus de recrutement;
- fassent rapport au Comité en juillet 2009 au sujet des politiques de recrutement et du respect de la Convention.
RECOMMANDATION 5 – Étude
des Nations Unies sur la violence
(page 85)
Le Comité recommande que le gouvernement fédéral donne suite à l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants et informe la communauté internationale, le Parlement et la population canadienne de ce qu’il fait pour combattre la violence à l’endroit des enfants et de ce qu’il compte faire pour améliorer ses politiques et faire en sorte que le Canada se conforme à la Convention relative aux droits de l’enfant.
RECOMMANDATION 6 – Exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales (page 91)
En vertu des articles 34 à 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore et mette en œuvre une stratégie pour combattre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, qui traite des questions suivantes :
- les prédateurs qui créent une demande pour l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les entreprises et les réseaux fondés sur l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les nouvelles technologies et leurs incidences sur la pornographie juvénile et l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les secteurs problématiques pour ce qui est du rôle joué par les enfants dans l’industrie de la mode, le milieu de la commercialisation, les médias et l’industrie des voyages et du tourisme.
RECOMMANDATION 7 – Travail des enfants (page 94)
En vertu des articles 32 et 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires ainsi que les parents veillent à ce que les enfants qui travaillent le fassent dans des conditions sécuritaires, reçoivent de l’information sur leurs droits et soient encouragés à poursuivre leurs études.
RECOMMANDATION 8 – Enfants
ayant des démêlés avec la justice
(page 108)
En vertu des articles 37 et 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral :
- retire sa clause de réserve visant l’article 37 de la Convention et entreprenne concrètement de travailler avec les provinces et les territoires pour faire en sorte que les jeunes ne soient plus détenus avec les adultes et que les filles ne soient plus détenues avec les garçons;
- s’engage à travailler proactivement avec les provinces et les territoires pour évaluer si la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents fonctionne bien et pour veiller à la mise en œuvre effective de mesures de rechange destinées aux jeunes en conflit avec la loi;
- collabore avec les provinces et les territoires à la formation des représentants des services de protection de l’enfance et des professionnels de la santé en vue de leur permettre de repérer les problèmes suffisamment tôt pour appliquer des stratégies d’intervention préventive à l’intention des enfants qui risquent d’avoir des démêlés avec la justice.
RECOMMANDATION 9 – Protection de l’enfance (page 116)
En vertu des articles 9, 12, 19, 20 et 25 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral organise des consultations fédérales-provinciales-territoriales sur la protection de l’enfance et sur les enfants pris en charge par l’État. Ces consultations devraient examiner sérieusement la mise en œuvre de la Convention sur les plans suivants :
- la nécessité de faire participer davantage les jeunes au processus de protection de l’enfance;
- la possibilité de fixer uniformément à 18 ans l’âge limite légal auquel la protection cesse de s’appliquer;
- la nécessité de maintenir des services de soutien pour les jeunes qui sortent du système de protection de l’enfance.
RECOMMANDATION 10 – Adoption (page 120)
En vertu des articles 5, 18, 20 et 21 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité demande aux gouvernements canadiens de reconnaître la crise de l’adoption sévissant au pays et de s’y attaquer, plus particulièrement en ce qui touche les enfants autochtones. Le Comité recommande au gouvernement fédéral d’entreprendre des consultations avec les provinces et les territoires dans le but :
- d’augmenter le financement fédéral destiné à la promotion du placement d’enfants dans des foyers permanents et à la prestation de services de soutien visant à garder les enfants au sein de leur famille;
- de rationaliser le processus d’adoption;
- d’examiner le respect par le Canada de la Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.
RECOMMANDATION 11 – Identité (page 127)
En vertu des articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que les
négociations fédérales-provinciales-territoriales sur l’adoption proposées dans
la recommandation 10 portent également sur l’accès à l’information relative à
l’identité d’un parent biologique et sur l’utilité d’opposer des veto
concernant la divulgation de l’identité. Le Comité recommande également que
Procréation assistée Canada examine le régime juridique et réglementaire
entourant l’identité des donneurs de gamètes et l’accès à l’information sur les
antécédents médicaux d’un donneur afin de déterminer comment mieux servir les
intérêts de l’enfant.
RECOMMANDATION 12 – Les enfants migrants (page 153)
En vertu des articles 7, 9, 10, 11, 21, 22 et 35 de la Convention relative aux droits de l’enfant et au Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le Comité recommande :
- Que le comité sénatorial chargé d’étudier le projet de loi C‑14 examine très sérieusement les préoccupations exprimées dans le présent rapport et que, si le projet de loi est adopté, le gouvernement fédéral mette en œuvre un projet-pilote en vue de déterminer si les responsables de l’immigration peuvent s’en remettre au processus provincial d’approbation des adoptions pour s’assurer de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant;
- Que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration affecte davantage de ressources pour remédier aux arriérés qui retardent les réunifications familiales, en particulier dans ses bureaux des visas à l’étranger, et qu’il envisage sérieusement de modifier ses directives en matière d’immigration pour permettre que les dossiers des enfants soient traités ici même comme dans le cas des conjoints et que les enfants incluent leurs parents dans leurs demandes de résidence permanente;
- Qu’on mette en place des mesures précises pour l’identification et la protection efficaces d’enfants potentiellement séparés arrivant à la frontière;
- Qu’on accorde toujours la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’on détient des enfants migrants;
- Que les enfants migrants ne pas soient renvoyés dans leur pays d’origine avant qu’ait été prise une décision finale sur l’existence ou non de motifs d’ordre humanitaire impérieux justifiant l’admission de l’enfant au Canada, et avant qu’ait eu lieu qu’un examen exhaustif des risques avant renvoi mettant fortement l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant;
- Que tous les responsables de l’immigration et des services frontaliers qui sont en contact d’une manière quelconque avec des enfants reçoivent une orientation et une formation continue pour qu’ils aient une connaissance approfondie des droits de l’enfant et de la manière de communiquer efficacement avec des enfants ayant des antécédents culturels différents.
RECOMMANDATION 13 – Services de garde et de développement de la petite enfance (page 160)
En vertu des articles 18, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral rencontre les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le but d’aider à coordonner l’établissement des normes mesurables et des lignes directrices en matière de prestation de services de garde et de développement de la petite enfance dans toutes les régions du pays, assorties d’un financement raisonnable. Les consultations devraient commencer sur le champ et les solutions proposées devraient être communiquées à la population canadienne d’ici juillet 2009.
RECOMMANDATION 14 – Pauvreté infantile (page 169)
En vertu des articles 26 et 27 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté chez les enfants qui serait mis en application le plus rapidement possible et comporterait des objectifs et des échéanciers. Le plan devrait comprendre, entre autres, des mesures préventives conçues pour les familles à risque élevé et une stratégie globale de logement.
RECOMMANDATION 15 – Santé des enfants (page 182)
Conformément aux articles 2, 23, 24, 33, et 39 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux adoptent un meilleur processus pour améliorer la prestation de services aux enfants ayant des besoins spéciaux d’ici juillet 2008. Pour résoudre la crise immédiatement et de façon continue, les gouvernements devraient concevoir un processus de consultation des groupes de défense, des fournisseurs de services, des professionnels de la santé et des enfants ayant des besoins spéciaux. L’intervention précoce devrait constituer un élément clé de ces consultations.
RECOMMANDATION 16 – Jeunes
de minorité sexuelle - Statistiques
(page 182)
En vertu de l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour combler les écarts importants au niveau des connaissances et des statistiques en ce qui a trait aux jeunes de minorité sexuelle et aux différences entre les sexes à cet égard.
RECOMMANDATION 17 – Jeunes de minorité sexuelle (page 187)
En vertu de l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que toutes les politiques et les stratégies du gouvernement fédéral relatives à la jeunesse tiennent compte des besoins particuliers des jeunes de minorité sexuelle.
RECOMMANDATION 18 – Enfants autochtones (page 213)
En vertu des articles 2 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande :
- que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne soit abrogé;
- que le gouvernement fédéral accorde la priorité au financement des « mesures les moins perturbantes » pour promouvoir le bien‑être des enfants et qu’il mette davantage l’accent sur la prévention et l’intervention précoce;
- que le gouvernement fédéral fasse du logement l’une de ses grandes priorités et qu’il élabore des initiatives plus efficaces afin de promouvoir le développement économique dans les réserves;
- que le gouvernement fédéral accorde plus de fonds au maintien des services d’aide destinés aux enfants autochtones vivant hors réserve;
- que le gouvernement fédéral examine les services qui sont fournis aux collectivités autochtones afin de s’assurer que l’approche et le contenu sont suffisamment adaptés aux besoins précis des enfants, des jeunes et des familles autochtones et, pour ce faire, qu’il collabore directement avec les collectivités autochtones à l’élaboration de programmes et de services qui répondront à leurs besoins;
- que le gouvernement fédéral élargisse la portée des services de santé afin qu’ils soient aussi offerts à domicile et puissent intervenir tôt auprès des enfants à domicile;
- que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien informe le Comité sur les résultats de la stratégie de participation des jeunes à la lutte contre le suicide et sur l’état d’avancement de la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes autochtones – cette stratégie devrait être mise en œuvre le plus rapidement possible;
- que le gouvernement fédéral accélère ses discussions avec les ministres de l’éducation des provinces et des territoires au sujet des mesures pouvant être prises afin d’encourager les Autochtones à exercer le métier d’enseignant dans les réserves;
- que, tout en reconnaissant la nécessité d’avoir des enseignants autochtones dans les réserves, le gouvernement fédéral travaille en collaboration avec les ministres provinciaux et territoriaux de l’Éducation afin de supprimer les obstacles à l’emploi d’enseignants autochtones qui souhaitent travailler hors des réserves;
- que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires collaborent avec les dirigeants autochtones afin d’examiner soigneusement les politiques qui ont une incidence sur la vie des enfants autochtones dans le cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant;
- Que toutes les politiques et mesures législatives concernant les enfants autochtones insistent sur la nécessité de tenir compte des besoins culturels des enfants autochtones.
RECOMMANDATION 19 – Respect de la Convention (page 217)
Étant donné que le gouvernement fédéral a signé et ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande qu’il la mette immédiatement en œuvre et se conforme aux obligations qui en découlent.
RECOMMANDATION 20 – Commissaire aux enfants (page 238)
Le Parlement doit adopter une loi pour créer un commissariat aux enfants indépendant chargé de surveiller l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant et de protéger les droits des enfants au Canada. Le commissariat doit être tenu de faire rapport au Parlement à chaque année.
RECOMMANDATION 21 – Groupe de travail interministériel chargé de la mise en œuvre (page 248)
Un groupe de travail interministériel chargé de la mise en œuvre des droits des enfants doit être créé pour coordonner les activités, les politiques et les lois touchant les droits des enfants.
RECOMMANDATION 22 – Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne (page 255)
Le Comité recommande que la responsabilité du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne soit transférée immédiatement du ministère du Patrimoine canadien au ministère de la Justice.
RECOMMANDATION 23 – Responsabilité ministérielle (page 266)
Le Comité recommande que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des droits de la personne se réunissent immédiatement avec la ferme intention de prendre en charge le processus de consultation et de mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne.
RECOMMANDATION 24 – Cadre pour la ratification et la mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne (page 266)
a) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore un nouveau cadre de politique pour la signature, la ratification et la mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne, comportant les éléments suivants :
- Avis au Parlement et aux provinces et territoires dès que débutent les négociations en vue d’un traité relatif aux droits de la personne, et engagement d’amorcer des consultations avec le Parlement, tous les ordres de gouvernement et les intervenants;
- Comptes rendus périodiques sur le déroulement des négociations entourant le traité international au Parlement, aux provinces et territoires, et au public;
- Production d’une étude d’impact nationale qui sera mise à la disposition de tous les participants aux consultations;
- Dialogue permanent entre les intervenants qui participent au processus de consultation et le gouvernement;
- Dépôt au Parlement d’une « déclaration d’intention de se conformer », signalant l’intention de l’exécutif de prendre des mesures en vue de la signature de l’instrument international prévoyant un délai raisonnable pour que le Parlement y réagisse;
- Dépôt de l’instrument international au Parlement, une fois qu’il a été ratifié par l’exécutif, accompagné d’un plan de mise en œuvre comportant des conséquences juridiques et financières et d’un calendrier de mise en œuvre. Il faudrait donner au Parlement assez de temps pour réagir à ce plan;
b) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral atteste que toutes les nouvelles lois adoptées sont conformes aux obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne.
c) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore un processus général transparent garantissant la consultation du Parlement et du public au moment de la préparation des rapports nationaux du Canada aux divers organes de l’ONU issus de traité. Les rapports nationaux du Canada, les Observations finales des organes issus de traités et une réponse du gouvernement devraient être déposés au Parlement et soumis à un examen en comité, sous réserve d’un délai de réponse déterminé.
Chapitre 1 - Introduction
A. MANDAT
Le 3 novembre 2004, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (le Comité) à examiner, en vue d’en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Le Comité a plus particulièrement été autorisé à « examiner : les obligations qui sont nôtres en vertu de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant; si les lois du Canada qui s’appliquent aux enfants respectent les obligations qui sont nôtres en vertu de cette convention. »
Le Comité a entendu plus de 215 témoins au cours de son étude approfondie de l’incidence de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant[1] (la Convention) sur le droit canadien. Dès le départ, le Comité a passé en revue les obligations internationales du Canada en matière de droits et libertés des enfants afin de rendre compte des considérations générales liées à la conformité des lois et des politiques nationales aux obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne et de respecter le mandat général à l’origine de son premier rapport, paru en 2001 et intitulé Des promesses à tenir : le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne[2].
En ce qui concerne plus particulièrement les droits des enfants, le Comité a cherché des réponses aux questions suivantes : Le Canada met-il en œuvre la Convention relative aux droits de l’enfant dans ses lois et politiques nationales et, le cas échéant, de quelle façon? Tous les enfants du Canada peuvent-ils bénéficier de la Convention? Des groupes particuliers d’enfants vulnérables peuvent-ils en bénéficier? La Convention a-t-elle fait progresser les politiques fédérales, provinciales et territoriales concernant ces enfants? Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et la société apportent-ils des solutions aux problèmes avec lesquels les enfants d’aujourd’hui sont aux prises? Le Comité a entrepris d’évaluer ce qui fait obstacle à la protection des droits et libertés des enfants énoncés dans la Convention relative aux droits de l’enfant, d’examiner si les politiques et les lois canadiennes sont fidèles aux dispositions de cet instrument international relatif aux droits de la personne et si le Canada respecte ses obligations internationales. Bien qu’il ait concentré son attention sur les initiatives fédérales à cet égard, il est conscient que les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada ont une obligation concomitante de mettre en œuvre la Convention relative aux droits de l’enfant dans leurs territoires respectifs. Le Comité s’est aussi penché sur le rôle du Parlement dans ce contexte.
Même si le Comité devait initialement présenter son rapport au Parlement au plus tard le 22 mars 2005, il a rapidement pris conscience de la nécessité de procéder à une étude plus exhaustive des droits des enfants. Pour cette raison, et compte tenu des exigences du calendrier parlementaire, le délai de présentation de son rapport final a donc été prolongé jusqu’au 31 avril 2007, et le Comité a déposé un rapport provisoire au Sénat en novembre 2005, intitulé Qui dirige ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants[3].
B. TRAVAUX DU COMITÉ
1. Examen approfondi du contexte canadien et missions d’étude à l’étranger
a) Contexte canadien
De décembre 2004 à octobre 2006, le Comité a rencontré à Ottawa des témoins[4] qui ont traité des droits des enfants et de la façon dont le Canada respecte ses obligations internationales découlant de la Convention. Les témoins ont présenté les perspectives du gouvernement, du milieu universitaire, du secteur juridique, des groupes de défense des droits et des jeunes. Le Comité a également tenu une série d’audiences dans différentes régions du pays afin d’examiner les préoccupations et les besoins particuliers des représentants des gouvernements provinciaux, des ombudsmen provinciaux des enfants, des organismes de service sans but lucratif et des enfants. Il s’est déplacé à St. John’s (Terre‑Neuve), à Fredericton (Nouveau-Brunswick), à Charlottetown (Île‑du-Prince-Édouard), à Halifax (Nouvelle-Écosse), à Winnipeg (Manitoba), à Regina (Saskatchewan), à Edmonton (Alberta), à Vancouver (Colombie-Britannique), à Montréal (Québec) et à Toronto (Ontario); il y a rencontré des témoins afin de discuter des lois provinciales actuellement en vigueur, de leur application, des différentes préoccupations concernant les droits des enfants, du degré de sensibilisation à la Convention et aux droits des enfants, et de la façon dont les enfants sont touchés par les lois et les politiques municipales, provinciales et fédérales. Dans le cadre de ces audiences, le Comité a accordé une place particulièrement importante à la voix des enfants eux-mêmes. Les témoignages recueillis et les Observations finales du Comité des droits de l’enfant de l’ONU au sujet du Canada constituent la principale source d’information sur laquelle il a fondé son rapport. Dans le présent rapport, lorsque le Comité mentionne la position du gouvernement fédéral, il faut comprendre qu’il s’agit de la position générale de gouvernements cumulatifs, et non celle d’un gouvernement particulier à une période précise.
b) Analyse comparative
En plus des audiences tenues au Canada, le Comité a effectué deux missions d’étude à l’étranger dans le but de faire des analyses comparatives et d’examiner les subtilités des mécanismes internationaux de défense des droits de la personne, les perspectives d’autres pays relatives à la Convention et la façon dont ils l’appliquent. Dès le début de son mandat, le Comité s’est rendu à Genève, en Suisse, pour y rencontrer des représentants des Nations Unies (ONU) et d’autres institutions afin de mieux comprendre les obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants découlant de la Convention et d’autres instruments onusiens. À cette occasion, il a pu assister aux délibérations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et en rencontrer les membres afin de connaître leur point de vue sur la Convention et le fonctionnement de l’organe de surveillance et de recueillir leurs observations et leurs critiques au sujet des progrès réalisés par le Canada en ce qui a trait au respect de ses obligations. Le Comité a aussi rencontré : le Groupe des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant; des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés; des représentants de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) qui collaborent à l’Étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants; des représentants de l’Organisation internationale du travail; des représentants de l’Union interparlementaire; Mme Mehr Khan, haute commissaire adjointe aux droits de l’homme de l’époque.
Au cours de cette même mission d’étude, le Comité a aussi fait escale à Stockholm, en Suède, souvent considérée comme un chef de file en matière de mise en œuvre de la Convention. Il a profité de l’occasion pour voir comment un gouvernement aux vues similaires s’y prend pour s’acquitter des obligations en matière de présentation de rapports qui lui sont faites en vertu de la Convention, et examiner la façon dont le pays intègre ses obligations internationales à son droit national. Le Comité a rencontré les membres d’un réseau de parlementaires voué à la défense des droits des enfants, de même que des représentants du ministère suédois de la Santé et des Affaires sociales. Enfin, il s’est entretenu avec Lena Nyberg, ombudsman des enfants de la Suède, afin d’en savoir plus sur le fonctionnement de son bureau et de connaître son point de vue sur la situation des droits des enfants en Suède. Il a appris que même si le Parlement de la Suède a adopté un projet de loi déclarant son engagement envers la Convention et qu’il a effectué un examen de ses mesures législatives concernant les enfants, le pays n’a pas de loi habilitante visant le respect de la Convention.
En octobre 2005, le Comité s’est rendu au Royaume-Uni pour poursuivre son étude comparative, étant donné que le cadre parlementaire et l’approche adoptée à l’égard du droit international y présentent certaines similarités avec la réalité canadienne. Les enjeux auxquels est confronté le gouvernement britannique sont en bonne partie les mêmes qu’au Canada, à savoir la prise en charge des enfants par le système de justice pénale et les services de protection de la jeunesse, le châtiment corporel et les taux élevés de pauvreté chez les enfants. Le Comité a rencontré des chercheurs ainsi que des représentants de différents ministères et organismes à Londres et à Édimbourg, notamment le Groupe parlementaire multipartite sur les enfants, le Comité mixte des droits de la personne, le Parlement jeunesse écossais et les commissaires aux enfants de l’Angleterre et de l’Écosse. Il a aussi rencontré des représentants de divers organismes du secteur bénévole qui lui ont fait part de leur point de vue sur la mise en œuvre des droits des enfants et la capacité du gouvernement de respecter ses obligations.
Au cours de cette mission, le Comité s’est aussi arrêté à Oslo, en Norvège, où il a constaté que cet État a non seulement donné l’exemple en devenant le premier pays au monde à désigner un ombudsman national des enfants en 1981, mais qu’il est aussi le seul pays dualiste[5] à avoir intégré expressément ses obligations découlant de la Convention relative aux droits de l’enfant dans une mesure législative habilitante[6]. Le Comité a rencontré des représentants du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Justice et du ministère des Enfants et des Affaires de la famille, de même que des chercheurs et des représentants d’autres organismes, notamment le Bureau de l’ombudsman des enfants, Save the Children Norway et Childwatch International Research Network.
2. Qui dirige, ici? – Rapport provisoire
En novembre 2005, le Comité a déposé son rapport provisoire (Qui dirige, ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants) au Sénat. Dans ce rapport, il a fait l’historique et décrit le contexte des droits des enfants dans le droit canadien et international régissant les droits de la personne, et il a traité de l’application de la Convention dans le droit national. Il a également passé en revue les leçons retenues et s’est attardé aux préoccupations exprimées par les témoins à propos des difficultés de mise en œuvre de la Convention par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en raison de problèmes de compétences, de l’apparente hésitation des différents ordres de gouvernement à respecter à la lettre les dispositions de la Convention, de l’absence de normes uniformes, de la trop grande complexité du mécanisme de présentation de rapports au Comité des droits de l’enfant et de la méconnaissance publique de la Convention et des droits des enfants.
Le rapport provisoire mettait essentiellement l’accent sur le processus de mise en œuvre du droit international au Canada et accordait une attention particulière aux droits des enfants et à la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Comité y a analysé les préoccupations des témoins et recommandé un certain nombre de mécanismes pour améliorer les processus de ratification et d’intégration par le Canada des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant et, de façon plus générale, des traités internationaux portant sur les droits de la personne. Privilégiant une intervention axée sur l’utilisation de politiques, de lois et de mesures de sensibilisation, les recommandations du Comité visaient une plus grande efficacité et une plus grande responsabilisation. Le Comité proposait également des moyens pour améliorer l’application de la Convention au Canada. Dans son rapport provisoire, le Comité a demandé au gouvernement fédéral de se conformer à ses obligations juridiques à l’égard des enfants en améliorant les institutions, les politiques publiques et les lois qui les concernent. Cependant, nous avons aussi noté que de nombreux aspects des droits des enfants relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux, et que ceux-ci doivent participer à toute discussion visant une application plus efficace.
3. Rapport final
Établi à partir du rapport provisoire, le présent rapport final réitère et renforce les recommandations de nature pratique formulées précédemment et met l’accent sur des articles précis de la Convention qui touchent à des questions particulièrement préoccupantes pour le Canada, notamment la participation et l’expression, la violence faite aux enfants, l’exploitation des enfants, le système de justice pénale pour les jeunes, le bien-être des enfants, les questions liées à l’adoption et à l’identité, les enfants immigrants, les questions de santé, les services de garde et de développement de la petite enfance, la pauvreté infantile, les enfants membres d’une minorité sexuelle[7] et les enfants autochtones. En poursuivant son examen approfondi de ces questions, le Comité s’est efforcé de donner suite aux préoccupations qu’il a entendues partout au pays afin d’assurer le respect et l’application efficace d’articles précis de la Convention pour qu’ils profitent à tous les enfants, surtout ceux qui sont les plus marginalisés dans notre société.
Chapitre 2 - Mise en œuvre de traités internationaux au Canada
Chapitre 2 - Mise en œuvre de traités internationaux au Canada
Dans le présent chapitre, le Comité se fonde sur de précédents rapports, soit Des promesses à tenir et Qui dirige, ici?, pour présenter un aperçu de la mise en œuvre de traités internationaux dans le droit canadien avant de traiter plus en détail de la Convention relative aux droits de l’enfant.
A. RATIFICATION
L’organe exécutif du gouvernement fédéral a le pouvoir de signer et de ratifier les traités internationaux. Ce pouvoir n’est pas expressément énoncé dans la Constitution du Canada, puisqu’il découle plutôt de la prérogative royale. Le Cabinet prépare un décret autorisant le ministre des Affaires étrangères à signer un instrument de ratification. Une fois que cet instrument est déposé auprès de l'administration compétente, le Canada est réputé avoir ratifié la convention[8].
Le Parlement, qui représente l’organe législatif, n’intervient pas dans ce processus. Il n’a actuellement aucun rôle officiel à y jouer et n’est nullement tenu selon la loi d’approuver ou d’étudier un traité avant sa ratification. En fait, le Parlement n’est pas informé des activités de négociation d’un traité qui sont entreprises et il n’est pas consulté au sujet de l’élaboration, du coût, du bien-fondé ou de l’incidence de l’instrument. Il est rare que le gouvernement dépose au Parlement les traités qu’il a ratifiés. En conséquence, les traités internationaux relatifs aux droits de la personne qui ne sont pas directement intégrés aux lois nationales échappent à l’examen parlementaire[9].
B. RÉSERVES
Au moment de la ratification, l’organe exécutif a aussi le pouvoir de formuler des réserves à propos des traités internationaux. Une réserve s’entend d’une déclaration unilatérale faite par un État quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’application de certaines dispositions du traité sur son territoire[10]. La réserve a pour but de permettre à un État de ratifier un instrument international afin de laisser le document consensuel suivre son cours, même s’il reconnaît qu’une disposition particulière de cet instrument va à l’encontre de l’intérêt supérieur du pays. Bien que la Convention de Vienne sur le droit des traités décourage les États de formuler des réserves et qu’elle précise que celles-ci « doivent être compatibles avec le but et l’objectif poursuivis par le traité[11] », en bout de ligne, les réserves permettent à la communauté internationale d’en arriver à un compromis – puisqu’elles encouragent la participation du plus grand nombre d’États possible en leur permettant de protéger des intérêts nationaux importants sans compromettre pour autant l’intégrité du traité[12]. Les gouvernements du Canada se sont toujours opposés à l’idée de formuler des réserves au sujet de traités sur les droits de la personne parce qu’ils croient à « la portée universelle des traités régissant les droits de la personne plutôt qu’à une panoplie de programmes juridiques différents propres à chaque État[13] ».
C. APPLICATION ET MISE EN ŒUVRE
Les fonctionnaires et les universitaires qui ont comparu devant le Comité aux fins de la présente étude et du rapport Des promesses à tenir ont donné un aperçu assez détaillé du processus de mise en œuvre des traités internationaux dans le droit national. Ils ont fait ressortir le fait que le Canada fonctionne selon un modèle « dualiste » semblable à celui de nombreux autres pays du Commonwealth lorsque vient le temps d’intégrer les traités internationaux au droit national et de les appliquer. Ainsi, un traité qui a été signé et ratifié par le gouvernement canadien doit être intégré aux lois nationales pour pouvoir effectivement s’appliquer à l’échelle du pays – ce processus n’est ni exécutoire, ni automatique[14], et se distingue du modèle moniste en vigueur dans des pays comme les États-Unis, où une fois que le Congrès a ratifié un traité, cet instrument est applicable dans le droit américain[15]. Comme l’a indiqué Maxwell Yalden, ancien membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, « le Canada est un pays dualiste dans lequel on doit normalement légiférer pour intégrer un traité international au droit canadien afin de pouvoir l’invoquer devant un tribunal »[16]. Malgré la croyance populaire, la signature et la ratification d’un traité ont peu de répercussions juridiques, voire aucune, sur le droit national.
Des témoins des ministères de la Justice et des Affaires étrangères ont souligné que le gouvernement canadien a essentiellement deux approches à l’égard de la mise en œuvre des conventions internationales à l’échelle nationale. Dans certains cas, il élaborera une loi spéciale pour faire appliquer un instrument international particulier à l’échelle nationale. C’est ce qu’il a fait dans le cas du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[17], mis en application au Canada au moyen de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre[18], de la Convention des Nations Unies sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction[19] mise en application au moyen de la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les mines antipersonnel[20], et des Conventions de Genève pour la protection des victimes de guerre mises en application au moyen de la Loi sur les Conventions de Genève[21].
L’autre approche consiste à éviter d’élaborer une loi habilitante spéciale et à s’en remettre plutôt aux lois nationales en vigueur que l’on présume déjà conformes aux principes énoncés dans le traité international. Lorsqu’ils optent pour cette solution, les représentants du gouvernement examinent et analysent d’abord la loi existante avant de ratifier le traité pour déterminer s’il y a lieu de la modifier ou d’en adopter une nouvelle pour se conformer aux obligations découlant du traité en question[22]. Le gouvernement fédéral a adopté comme politique de consulter les provinces et les territoires avant de signer et de ratifier des traités sur des questions relevant de leur compétence afin de prendre en compte les aspects complexes de cette situation. Dans le cas des traités relatifs aux droits de la personne, cette pratique a été officialisée en 1975 dans un accord conclu lors d’une rencontre des ministres fédéral et provinciaux responsables des droits de la personne, qui prévoyait notamment la création d’un Comité permanent fédéral-provincial-territorial des fonctionnaires chargés des droits de la personne[23]. Comme l’a expliqué Irit Weiser, ancienne directrice de la Section des droits de la personne au ministère de la Justice, lors de sa comparution devant le Comité en 2001,
[a]vant la ratification, les fonctionnaires du ministère de la Justice consultent des collègues d’autres ministères fédéraux, d’autres organismes, des gouvernements provinciaux et territoriaux, par l’intermédiaire du comité permanent; ils consultent en outre des groupes autochtones et d’autres groupes non gouvernementaux. Ces consultations permettent de déterminer plusieurs facteurs. Elles permettent de voir si les lois et les politiques canadiennes existantes sont déjà conformes aux obligations découlant des traités. Elles permettent de déterminer s’il y a un manque de compatibilité et, dans ce cas, de décider si une nouvelle législation ou de nouvelles politiques devraient être adoptées ou si les lois et politiques existantes devraient être modifiées. Elles permettent enfin de déterminer s’il convient de maintenir la position du Canada même si elle n’est pas conforme aux dispositions du traité et d’émettre une réserve ou de faire une déclaration officielle[24].
John Holmes du ministère des Affaires étrangères a déclaré en 2001 :
[N]ous ne ratifions pas un traité tant que les provinces et les territoires n’ont pas appuyé la ratification et ne se sont pas conformés aux obligations prévues dans le traité. […] Nous devrions attendre les résultats de l’initiative provinciale ou des indications. Nous devrions attendre que les provinces se soient conformées à l'instrument avant de le ratifier. C’est le processus qui est en place depuis plusieurs années[25].
La politique du gouvernement fédéral à ce chapitre est énoncée dans le Document de base formant partie intégrante des rapports des États parties : Canada[26], qui fait partie des rapports périodiques que le Canada doit présenter aux Nations Unies conformément aux traités internationaux relatifs aux droits de la personne :
Certaines questions relatives aux droits de l’homme relèvent de la compétence fédérale, d'autres des compétences provinciales et territoriales. Par conséquent, les traités correspondants sont mis en œuvre par des mesures législatives et administratives des divers gouvernements canadiens. Il est rare qu’une instance gouvernementale promulgue une loi qui incorpore dans le droit national une convention internationale relative aux droits de l’homme (sauf certains traités particuliers comme les Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de guerre). De nombreuses lois et politiques, adoptées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, contribuent plutôt à ce que le Canada s’acquitte de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme[27].
Les traités internationaux relatifs aux droits de la personne sont donc rarement intégrés directement au droit canadien. Ils sont plutôt appliqués indirectement, au sens où l’on vérifie la conformité des lois déjà en vigueur aux obligations découlant d’une convention particulière. Ce qu’on fait valoir, c’est qu’étant donné que le gouvernement fédéral s’est assuré que le Canada respecte ses obligations indirectement de par la conformité de ses lois préexistantes à la Convention, il n’a pas besoin d’incorporer directement la Convention par la voie d’une loi habilitante ou d’autres mesures législatives plus explicites. Ce processus de vérification incombe toutefois au gouvernement lui-même. L’approche du Canada en la matière se fonde donc sur l’évaluation que fait le gouvernement de sa propre conformité aux dispositions de l’instrument international. Le Comité a appris que des témoins représentant des intérêts variés sont très préoccupés par la réticence du gouvernement fédéral à intégrer directement les traités sur les droits de la personne.
Le Comité s’est interrogé sur les termes « observation » et « observer », dont les définitions respectives sont « action d’observer ce que prescrit une loi, une règle » et « se conformer de façon régulière à (une prescription) »[28]. « On peut dire qu’il y a observation lorsque le comportement réel d’un sujet donné est conforme au comportement prescrit[29] ». Peut-on vraiment dire que nos lois et notre approche axée sur les politiques à l’égard des traités internationaux relatifs aux droits de la personne sont explicitement conformes? Les témoins que nous avons entendus n’en sont pas du tout certains. Ils ont d’ailleurs exhorté le Comité à trouver des façons de mettre en œuvre expressément les modalités de la Convention. Jeffery Wilson, en particulier, a exprimé sa déception face à l’approche du gouvernement :
[C]’est se faire faussement croire que cette convention a un sens. J’insiste pour dire qu’elle n'a pas été ratifiée ni intégrée dans le droit canadien et n'a donc aucun caractère exécutoire et peut tout au plus se prêter à une interprétation. Ce n’est qu'un instrument de persuasion morale[30].
Les incertitudes soulevées par M. Wilson trouvent écho dans le témoignage de certains ministres fédéraux. D’un côté, l’ancien ministre de la Justice, Irwin Cotler, a affirmé que le Canada était pleinement conforme à la Convention de par le processus de consultation du gouvernement fédéral et de son approche de mise en œuvre axée sur les politiques :
[E]n tant que ministre de la Justice, l’une de mes fonctions consiste à veiller à ce que nos lois respectent la Charte canadienne des droits et libertés et nos obligations internationales à l’égard des droits de la personne, y compris celles qui découlent de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Depuis [la ratification], le ministère a continué d’examiner tous les projets de loi et de politiques ayant une incidence directe sur les enfants afin d’en garantir la conformité à la Charte, à la [Convention] et aux autres instruments internationaux de droits de la personne. Ce faisant, nous considérons les droits des enfants dans une perspective contextuelle. Si nous voulons vraiment promouvoir l’intérêt supérieur des enfants, il faut prendre en considération tous leurs droits globalement[31].
En revanche, l’ancien ministre Dosanjh a répondu de façon plus prudente à la question de savoir si le Canada applique effectivement la Convention :
[Q]uand des pays signent des conventions internationales comportant des obligations, on peut présumer, et je le présume effectivement, qu’ils se sentiront liés par ces obligations. [...] Il arrive cependant que nous ne soyons pas en mesure de remplir toutes les obligations que nous avons assumées en signant de tels documents[32].
Les témoins ont fait remarquer que le débat soulevait une question fondamentale : même si le gouvernement fédéral affirme qu’il a examiné ses lois et que le Canada observe la Convention, si aucune de nos lois n’en incorpore directement les modalités, quel recours restera-il à un enfant, à un adulte ou à une institution qui ne croit pas que les lois canadiennes sont conformes à nos obligations internationales en matière de droits de la personne? À l’heure actuelle, aucun organisme ou gouvernement, à part les organes pertinents de l’ONU créés en vertu de traités sur les droits de la personne, n’est mandaté pour répondre à de telles préoccupations[33].
Des témoins se sont inquiétés du fait que le gouvernement ne soit pas très clair à ce sujet et n’ait pas de comptes à rendre. Tout ce qu’on exige du gouvernement fédéral, c’est de remettre au comité pertinent de l’ONU à la fin d’un cycle de quelques années un rapport dans lequel il explique la façon dont le Canada observe la Convention. Maxwell Yalden a exprimé son mécontentement au sujet de cette approche : « [J]e ne crois pas que nous puissions nous retrancher derrière cette doctrine de non-incorporation[34]. »
Le témoignage de l’ancien ministre Cotler devant le Comité a fait ressortir l’ambiguïté de la situation :
Pour conclure, je dirai d’abord qu’il s’agit d’un traité international fondé sur des droits et, ensuite, que nous nous efforçons de rendre nos lois conformes à ce traité. Nous n’avons pas, dans le cas des traités internationaux, l’obligation expresse que nous avons, par exemple, à l’égard de la Charte canadienne des droits et libertés, mais il existe une présomption de conformité relative au droit international. Même en l’absence du caractère obligatoire, nous nous efforçons de rendre nos lois conformes à nos obligations internationales, en tenant compte de la question des compétences mixtes fédérales et provinciales et d’autres considérations du même genre[35].
Le Comité fait remarquer que la structure fédérale du Canada présente des défis particuliers pour ce qui est de l’application efficiente et efficace des conventions sur les droits de la personne. Parce que de nombreuses conventions couvrent une si vaste gamme de sujets relevant des différentes compétences établies par notre Constitution et parce qu’il est tout bonnement compliqué de coordonner treize compétences, la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires n’est pas toujours instantanée. Comme l’a déclaré M. Dosanjh, « [é]tant donné qu’auparavant j’étais au gouvernement provincial, je peux vous dire que le manque de coordination nuit aux pouvoirs publics à tous les échelons et que cela demeure une question grave[36] ».
Il importe de noter que les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de négociation et de ratification de traités ne confèrent pas au Parlement la compétence exclusive d’adopter les lois nécessaires à la mise en œuvre des obligations juridiques du Canada découlant de traités internationaux. La délimitation des champs de compétence prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867 restreint considérablement ces pouvoirs. Comme l’a souligné le Conseil privé dans le Renvoi sur les conventions de travail de 1937, qui fait autorité en la matière, la nécessité pour le gouvernement fédéral de donner suite aux engagements pris en vertu d’un traité international ne peut être invoquée pour justifier un empiètement du gouvernement fédéral dans des sphères de compétence provinciale[37].
En conséquence, la responsabilité de la mise en œuvre de traités internationaux relève des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux lorsque les lois et les politiques provinciales sont touchées. En ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l’enfant, Wayne MacKay, professeur de l’Université Dalhousie, a déclaré :
Le gouvernement fédéral a signé la Convention relative aux droits de l’enfant qui fait du Canada un État responsable du respect des engagements pris. Cependant, selon notre régime constitutionnel, ce sont les provinces et les territoires qui sont responsables du respect de ces engagements.
Comme le Renvoi sur les conventions de travail le confirme, le gouvernement fédéral ne peut pas faire appliquer ces obligations[38].
Des représentants du gouvernement ont souligné lors de leur témoignage que cette obligation d’obtenir la collaboration des provinces pour pouvoir pleinement donner suite aux obligations internationales du Canada a parfois posé des problèmes dans le passé. Le fait que le Canada ne soit pas en mesure de ratifier la Convention no 138 de l’Organisation internationale du travail sur l’âge minimum d’admission à l’emploi[39] le démontre bien. Les provinces appliquent chacune un âge minimum différent, comme l’autorise le paragraphe 92(13) de la Constitution qui prévoit le contrôle exclusif des provinces en matière d’emploi. En conséquence, même si le Canada respecte généralement les principes énoncés dans la Convention no 138, certaines provinces autorisent l’embauche d’enfants dont l’âge est inférieur à ce qu’elle prescrit. Le Canada a fait l’objet de nombreuses critiques en raison de ces écarts et de l’incapacité du gouvernement fédéral de ratifier la Convention[40].
Malgré tout, le Canada a l’obligation de faire de son mieux pour mettre en œuvre à l’échelle nationale les traités internationaux auxquels il adhère, peu importe les obstacles liés aux sphères de compétence prévues dans la Constitution. Peter Leuprecht, de l’Université du Québec à Montréal, et Maxwell Yalden ont insisté sur le fait que même lorsque les consultations et la collaboration des différentes instances s’avère difficile, une fois que le Canada a ratifié un traité international, l’absence de compétence fédérale n’est pas une excuse valable pour justifier l’incapacité d’un pays à se conformer à ses obligations internationales. Cette position est claire en droit international, comme en témoigne la Convention de Vienne sur le droit des traités :
Art. 26 Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi.
Art. 27 Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’article 46.
Cette présomption de bonne foi signifie qu’il doit être dans l’intention des États de faire entrer en vigueur les traités qu’ils ratifient – notamment, par leur mise en en œuvre. Leur signature n’est pas une simple formalité, elle s’accompagne de responsabilités réelles en ce qui concerne le respect effectif de leurs obligations internationales au mieux de leur capacité[41]. L’incapacité d’un État partie de mettre en œuvre des moyens d’exécution suffisants constitue une dérogation au traité. Cet argument est souligné dans l’affaire Arieh Hollis Waldman c. Canada[42], où le Comité des droits de l’homme des Nations Unies reprochait au gouvernement fédéral d’avoir contrevenu à la disposition du Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à garantir l’égalité, en permettant le financement par l’Ontario d’un réseau d’écoles catholiques séparées – malgré le fait que l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise ce traitement de faveur[43].
D. MÉCANISMES D’EXÉCUTION
Comme il est mentionné plus haut dans le présent chapitre, les mécanismes d’exécution sont un autre élément important du processus de mise en œuvre lorsque vient le temps de se conformer au droit international. Si les traités commerciaux internationaux ont toujours été assortis de solides mécanismes d’exécution pour régir les différends commerciaux entre les pays, ce n’est que récemment que les traités internationaux relatifs aux droits de la personne ont commencé à recourir à des mécanismes précis grâce auxquels les pays ne peuvent plus se soustraire impunément à leurs obligations.
La création récente de la Cour pénale internationale, qui impose des sanctions pénales aux auteurs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, est un exemple parfait de ce genre de mécanisme. Les organes des Nations Unies créés en vertu d’un traité, qui sont chargés de surveiller les activités des États en rapport avec l’application d’un traité particulier relatif aux droits de la personne – par exemple, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies – sont des exemples plus courants. Ces organes issus de traités examinent les rapports des pays et publient des Observations finales dans lesquelles ils se prononcent sur le degré de conformité d’un pays avec un traité donné et recommandent des améliorations à apporter. Même si les États parties ne sont nullement tenus de donner suite aux recommandations de ces organes, les traités confèrent à ceux-ci un important rôle de surveillance et les Observations finales ont une valeur politique, morale et persuasive importante.
Le Comité permanent des fonctionnaires chargés des
droits de la personne prépare les rapports du Canada aux organes de l’ONU issus
de traités. En juin 2001 et en avril 2005, des représentants du Comité
permanent des fonctionnaires ont traité du rôle et du mandat de ce comité
devant le Comité sénatorial.
1. Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne
Le Comité permanent des fonctionnaires a été mis sur pied au sein du Programme des droits de la personne du ministère du Patrimoine canadien; il sert de mécanisme permanent de coordination et de collaboration avec les provinces et les territoires en ce qui a trait à la ratification et à la mise en œuvre nationale des instruments internationaux en matière de droits de la personne. Il compte des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et se réunit deux fois par année pour discuter et échanger.
Dans l’exercice de son mandat, il n’a aucun pouvoir politique ni décisionnel, mais il peut présenter aux ministres responsables des recommandations concernant l’établissement des positions du Canada au sujet de questions internationales relatives aux droits de la personne. Dans le passé, il a joué un rôle actif dans la signature et la ratification de traités internationaux en matière de droits de la personne[44].
Selon Eileen Sarkar du ministère du Patrimoine canadien,
[d]epuis 1975, ce comité permet de partager des opinions et d’échanger des renseignements entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur […] les autres traités internationaux concernant les droits de la personne.
Il participe également aux travaux de préparation en vue des examens de l’ONU. Ses membres font plus souvent partie de la délégation canadienne chargée de répondre aux questions concernant le rapport. Le Comité aborde les questions liées aux traités internationaux relatifs aux droits de la personne et analyse plus en profondeur les recommandations précises des comités de l’ONU, incluant le partage de pratiques exemplaires[45].
2. Pertinence du processus d’établissement de rapports et de suivi
Certaines des principales frustrations signalées au Comité, tant lors des audiences qu’au cours de la rédaction du rapport Des promesses à tenir, ont fait ressortir le caractère insatisfaisant de notre processus d’établissement de rapports et de suivi relatif aux Observations finales publiées par les comités de l’ONU. Sur le plan pratique, le Comité a appris que le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne n’était pas efficace et qu’il ne constituait pas un mécanisme satisfaisant pour assurer la coordination entre les diverses compétences ou avec les différents organes créés en vertu d’un traité et établis à Genève et à New York. Le Comité permanent des fonctionnaires n’a pas le mandat nécessaire pour ce faire; il n’est qu’un moyen de consultation et de coordination.
Les préoccupations des témoins allaient au-delà du mandat du Comité permanent des fonctionnaires et s’étendaient au déficit démocratique et à la complexité de l’ensemble du processus d’établissement de rapports et de suivi. Les témoins ont insisté sur le manque de transparence, le peu de participation ministérielle voire politique et l’absence d’intervention parlementaire ou publique. On a fait remarquer que ces questions étaient au cœur de toute démocratie efficace.
a) Rapports présentés au Comité de l’ONU
Au moment d’établir le rapport du Canada pour le Comité des droits de l’enfant, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux préparent chacun leur partie[46]. Les rapports sont ensuite assemblés pour créer le rapport final du Canada qui sera présenté au Comité de l’ONU.
Le processus de consolidation des volumineux rapports des différents gouvernements peut produire des documents complexes. Dans ses dernières Observations finales, le Comité des droits de l’enfant a critiqué la complexité et la longueur des rapports du Canada :
[U]n rapport de synthèse s’appuyant à la fois sur les documents fédéraux et provinciaux aurait fourni au Comité une analyse comparative de la mise en œuvre de la Convention et lui auraient donné une vue d’ensemble plus complète et plus cohérente des mesures louables adoptées par le Canada pour donner effet à la Convention[47].
Le processus de compilation du rapport adopté par le Comité permanent des fonctionnaires est aussi très lent et peut prendre jusqu’à trois ans. À cet égard, Maxwell Yalden fait remarquer que la structure complexe du système fédéral n’est pas une excuse valable :
Nous avons parfois été un peu lents à préparer les rapports aux comités. De notre point de vue, c’est inévitable en raison de la complexité de notre régime fédéral. Ce n’est pas très convaincant auprès d’un organisme international car c’est le Canada, et non les provinces et les territoires, qui est partie au pacte. […] Nous ne pouvons donc pas nous retrancher derrière cette excuse[48].
Il mentionne également la nécessité de produire un rapport simplifié :
Nos rapports seraient beaucoup plus percutants et présenteraient de façon beaucoup plus convaincante nos points de vue s’ils étaient plus courts et s’il y avait de meilleures consultations entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Chaque province fait les choses à sa façon. Certaines énumèrent tous les motifs illégaux de violation des droits de la personne, alors que d’autres ne le font pas. Certaines le font en partie, d’autres non. Il n’y a aucune cohérence dans tout cela et le rapport qui en résulte n'est pas très convaincant[49].
Les préoccupations portent également sur l’absence de véritables interventions du public ou des organisations non gouvernementales dans l’élaboration du rapport du Canada. Dans son premier rapport, intitulé Des promesses à tenir, le Comité a déploré l’absence de toute intervention du Parlement dans la rédaction du rapport ou de tout examen à cet égard[50]. En ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l’enfant, même si le rapport du Canada ne contient que les contributions des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les ONG ont pu, dans le passé, présenter leurs observations au Comité de l’ONU dans un document distinct préparé par la Coalition canadienne pour les droits des enfants.
Il importe de noter que le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH-ONU) a aussi reconnu que ses demandes comportent de lourdes obligations et il examine actuellement des moyens de rationaliser les processus se rattachant aux organes créés en vertu de traités de l’ONU. Chacun de ces organes est aujourd’hui confronté à d’énormes retards dans la réception et l’examen des rapports des pays[51].
Maxwell Yalden et les membres du Comité des droits de l’enfant ont attiré l’attention sur la nécessité de modifier l’ensemble du processus, tant au Canada qu’au sein de l’ONU, afin de mettre en place une nouvelle structure de présentation de rapports plus générale et coordonnée, favorisant un meilleur dialogue.
b) Observations finales du Comité de l’ONU
Le Groupe des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant établi à Genève et le Comité de l’ONU ont signalé des problèmes relatifs à l’approche du Canada à l’égard de la réception des Observations finales du Comité de l’ONU. Lorsqu’un organe issu d’un traité de l’ONU publie ses Observations finales, il incombe au Comité permanent des fonctionnaires de tenir les gouvernements provinciaux et territoriaux au courant des observations concernant la portée des droits garantis par la Convention. Il le fait toutefois à huis clos. Même si les Observations finales sont accessibles sur les sites Web de l’ONU et de Patrimoine canadien, c’est à peu près tout ce qui est fait pour diffuser les observations et les critiques des comités de l’ONU ou pour susciter un débat public ou un suivi. Des témoins ont reproché le manque de transparence du processus et mentionné l’absence d’intervention du Parlement dans la réception et la diffusion des Observations finales.
Des témoins ont dit être préoccupés par le fait que peu de Canadiens sont au courant des Observations finales des comités de l’ONU concernés par les droits de l’enfant, et ils ont fait remarquer que celles-ci ont souvent des répercussions importantes dans le milieu des droits de l’enfant pendant un an, puis elles tombent dans l’oubli[52]. Pour sa part, le Comité des droits de l’enfant a remarqué l’absence de suivi au Canada qui est due au fait que les parlementaires ne sont pas suffisamment renseignés au sujet des obligations de leur pays, le gouvernement ayant tendance à mettre les Observations finales sur les tablettes.
Anne Bayefsky, de l’Université York, qui a comparu devant le Comité en 2001, a signalé le manque de transparence du processus d’établissement de rapports et de la réception des Observations finales :
Ce n’est pas un processus transparent faisant l’objet d’un dialogue ouvert. […] on peut dire qu’il n’y a pas de consultation ce qui est très malheureux. Il n'y a aucune raison qui s’oppose à l’établissement d’un processus plus constructif et plus inclusif qui nous permettrait de déterminer ce que nos rapports devraient contenir et ce qu’il faudrait faire ensuite. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, pour l’instant, personne ne voit ces rapports avant leur dépôt.
Ils sont déposés auprès des comités concernés, mais il y a lieu de se demander ce qu’il arrive après. Les comités font des recommandations sur la foi des rapports. Qu’advient-il de ces recommandations? Si une ONG a été particulièrement active dans un dossier au point d’attirer l'attention de certains médias, les recommandations seront reprises par la presse. Mais, dans la plupart des cas, elles passent inaperçues. Il n’y a pas de processus, ici au Canada, prévoyant la prise en compte du rapport et l’étude des commentaires dont ils font l’objet. Rien ne prévoit leur examen de façon transparente ni l’adoption de démarches constructives pour répondre aux critiques formulées. Rien ne se fait à ce sujet entre deux rapports[53].
c) Constatations du Comité sénatorial
En se fondant sur les témoignages recueillis au Canada et à l’étranger, le Comité a constaté que les processus actuels d’établissement et de diffusion des rapports sont trop complexes et qu’ils entraînent des problèmes de coordination qu’aggrave l’absence d’importants intervenants. Le manque de transparence a soulevé de nombreuses critiques. Le Comité permanent des fonctionnaires semble travailler dans le secret. Très peu de personnes au sein du gouvernement, et encore moins dans le public, sont au courant de sa composition, de ses activités ou de ses délibérations. Bien que les consultations tenues à huis clos favorisent une discussion libre, elles nuisent à la promotion des conventions et de l’état des droits de la personne au Canada.
De plus, même si le Comité permanent des fonctionnaires se réunit deux fois par année, il n’y a eu à l’échelon ministériel aucune réunion intergouvernementale sur les droits de la personne pendant plus de 15 ans. Dans le rapport Des promesses à tenir, le Comité a critiqué l’inertie du Comité permanent des fonctionnaires à cet égard. Le 11 juin 2001, Norman Moyer, président du Comité permanent des fonctionnaires, a déclaré ce qui suit au Comité :
Ces audiences viennent à point nommé pour mon comité. Le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne est en train d’examiner son mandat et ses activités. Par conséquent, tout commentaire éventuel sur la nature de notre comité serait fort apprécié[54].
Dans le témoignage qu’elle a présenté au Comité en 2005, Eileen Sarkar, de Patrimoine canadien, a déclaré : « Vos commentaires ont été pris en compte et je crois qu’à la dernière réunion du [Comité permanent des fonctionnaires], il y a eu une discussion sur la possibilité de proposer aux ministres une réunion au niveau ministériel en 2006[55]. » Le Comité attend que des mesures soient prises à cet égard.
En dernière analyse, les observations formulées par le Comité dans son rapport Des promesses à tenir restent vraies :
Le vrai problème, toutefois, n’est pas que le Comité permanent de hauts fonctionnaires chargés des droits de la personne n’offre pas de tribune publique, au niveau national, où la mise en œuvre des engagements du Canada en matière de droits internationaux de la personne peut être examinée et évaluée. Ce n’est pas sa tâche. Le vrai problème pour le Canada est qu'aucune autre organisation ou institution du gouvernement ne remplit cette fonction[56].
Il manque, au niveau ministériel, une véritable participation politique au processus. De plus, le Parlement n’a aucun rôle à jouer sur le plan de la présentation d’observations ou de la surveillance des activités du Canada se rattachant aux traités sur les droits de la personne. Ce déficit démocratique – auquel s’ajoute le manque de transparence inhérent au système actuel, étant donné l’absence de sensibilisation et d’intervention du public – fait dire au Comité que le processus actuel d’établissement de rapports du Canada et les mécanismes de suivi sont totalement inadéquats.
Chapitre 3 - Les droits de l’enfant et le contexte canadien
Chapitre 3 - Les droits de l’enfant et le contexte canadien
A. BREF HISTORIQUE DE LA CONVENTION
Comme l’a fait remarquer Margaret Somerville, de l’Université McGill, lors de son témoignage devant le Comité, la Convention relative aux droits de l’enfant
traduit sous une forme assez concise la somme de sagesse accumulée suite à des millénaires d'expérience humaine en ce qui concerne les parents et les enfants, à laquelle on a ajouté une sensibilité propre à la fin du XXe siècle dans l'articulation des droits de la personne et exprimant comment cela devrait être si nous pouvions toujours réaliser ce que nous voulons le plus réaliser en matière de droits de la personne[57].
L’élaboration de la Convention relative aux droits de l’enfant était un projet ambitieux et complexe. La rédaction s’est étalée sur 11 ans (de mars 1978 à mars 1989). Le Canada a joué un rôle actif dans le processus, facilitant la communication entre plus de 40 pays aux religions, aux idéologies, aux cultures et aux traditions politiques variées. De plus, l’ancien premier ministre Brian Mulroney a joué un rôle important dans le processus d’adoption lorsqu’il a organisé et coprésidé le Sommet mondial pour les enfants des Nations Unies en 1990 afin d’encourager la ratification de la Convention et la rédaction d’un plan d’action décennal pour les enfants.
Renforcée par une telle volonté politique, la Convention a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en novembre 1989; c’était la première fois que les besoins et les intérêts des enfants étaient « expressément énoncés comme des droits de la personne[58] ». L’instrument a suscité un vif intérêt auprès des dirigeants du monde et a été accueilli avec un remarquable enthousiasme par la communauté internationale. Aujourd’hui, la Convention est le traité international auquel on a le plus souscrit dans l’histoire, 193 pays l’ayant ratifiée[59]. Le Canada a pu ratifier la Convention après que l’ensemble des provinces et des territoires ont manifesté leur appui à celle-ci en envoyant des lettres à cet égard au gouvernement fédéral. Le Canada a signée la Convention le 28 mai 1990 et il l’a ratifiée le 13 décembre 1991.
B. IMPORTANCE CRUCIALE DE METTRE LES DROITS DES ENFANTS AU PREMIER PLAN
1. Démarche fondée sur les droits
[L]es enfants devraient avoir des droits d’être humain et pas uniquement « d’être humain en devenir »[60].
S’il cherche à insister sur la nécessité d’aborder la question des droits des enfants, le Comité n’en est pas moins conscient du fait que le monde en a peut-être assez de se faire dire : « Nos enfants sont notre avenir ». Si l’affirmation demeure vraie, des témoins ont néanmoins insisté sur le fait que le gouvernement, le Parlement et la société civile doivent aller au-delà du cliché et reconnaître que les enfants sont des citoyens aujourd’hui. Avant d’espérer instaurer une véritable culture de droits et de responsabilités dans notre société, il faut d’abord reconnaître ce fait. Il est crucial de préciser la place faite aux droits dans le contexte canadien pour en garantir le plein épanouissement.
Selon les témoins, la démarche fondée sur les droits – qui est intégrée dans la Convention relative aux droits de l’enfant et dans le droit international moderne en matière de droits de la personne – met l’accent sur la nécessité de considérer les enfants comme des personnes ayant des droits qui leur sont propres. Le principe de base est que les enfants ne sont pas simplement des objets de préoccupation qui ont besoin de protection, mais qu’ils doivent aussi être reconnus comme des personnes à part entière. Comme l’a affirmé le juge Jean-Pierre Rosenczveig, président du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants, la Convention relative aux droits de l’enfant
est délibérément tournée vers un XXIe siècle quand elle tient l’enfant pour une personne douée d’une âme et de sentiments ayant des droits, et non seulement comme un petit être fragile qu’il faut défendre contre autrui et contre lui-même[61].
Dans un tel cadre, la protection des droits des enfants dépasse l’accès aux moyens de survie les plus élémentaires ou la satisfaction des besoins fondamentaux, ce qui facilite plutôt la création d’un environnement durable dans lequel ces droits peuvent être protégés à long terme[62]. La démarche fondée sur les droits suppose que « les situations sont envisagées non pas en fonction des besoins humains ou des domaines de développement, mais de l’obligation de respecter les droits des personnes. Ainsi, les gens peuvent demander justice parce que c’est leur droit, et non pas comme une aumône[63]. » Comme l’a souligné le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, « la mise en œuvre des droits fondamentaux des enfants ne doit pas être perçue comme un acte de charité envers eux[64] ». La charité ne suffit pas à la réalisation du plein potentiel des gens, car elle les réduit à des objets de développement au lieu de les voir comme des participants à leur propre développement[65].
Essentiellement, les trois grandes caractéristiques de la démarche fondée sur les droits sont les suivantes[66] :
- tous les droits sont égaux et universels;
- les personnes (y compris les enfants) sont le sujet de leurs propres droits et elles participent au développement au lieu d’être des objets de charité;
- le cadre fondé sur les droits impose aux États l’obligation de travailler à la mise en œuvre de tous les droits.
Cette démarche exige une forme de programme holistique qui permet d’élargir la protection offerte et de porter en même temps une attention particulière aux plus vulnérables et aux plus marginaux de notre société de façon que leurs droits individuels soient pleinement et également respectés[67]. De même, ce cadre :
attribue une obligation morale et juridique aux États, qui doivent faire en sorte que les droits de chacun soient respectés, déterminer les cas dans lesquels ils ne le sont pas et y remédier. En ratifiant les traités portant sur les droits humains, les États assument la responsabilité d’appliquer les droits qui y sont protégés, ils deviennent juridiquement responsables[68].
Selon Kathy Vandergrift, anciennement de Vision mondiale Canada et aujourd’hui présidente de la Coalition canadienne pour les droits des enfants, la démarche fondée sur les droits :
a une réelle valeur ajoutée parce qu’elle place l’être global au centre des préoccupations, puis examine toutes les composantes et tous les facteurs qui peuvent avoir un impact sur sa situation. Il ne s’agit pas de répondre à un besoin unique – de la nourriture, de l’eau, par exemple – mais plutôt de tenir compte de l’enfant dans sa totalité et de le traiter comme un acteur dans une situation, plutôt que comme un simple bénéficiaire passif[69].
La démarche fondée sur les droits témoigne du passage d’un système qui réagit en fonction des cas à un système plus proactif et systémique axé sur la prévention[70]. Voici un exemple de la façon dont cette démarche fonctionne :
[S]i 100 enfants ont besoin d’être vaccinés, l’approche fondée sur les besoins ou sur les problèmes dirait, après que 70 enfants ont été vaccinés, que nous avons eu un excellent taux de succès de 70 %. L’approche fondée sur les droits reconnaît qu’il y a encore 30 enfants qui ont besoin d’être vaccinés. L’approche fondée sur les droits s’applique même aux enfants les plus marginalisés et fait une différence dans la vie de tous les enfants[71].
Les partisans de cette approche font valoir qu’elle vise à instaurer une culture de respect ici et partout dans le monde, dans laquelle nous aurions des comptes à rendre aux enfants eux-mêmes, et non simplement à leur sujet. Kay Tisdall, professeure de politiques sociales à l’Université d’Édimbourg, souligne que notre obligation de rendre compte doit s’appliquer « jusqu’au bout[72] ». C’est seulement ainsi que les enfants pourront acquérir à leur tour le sens des responsabilités.
2. Pourquoi les enfants?
La démarche fondée sur les droits revêt une importance particulière dans les discussions entourant les droits des enfants en raison de la vulnérabilité souvent intense des enfants, de la concurrence qui existe fréquemment entre les droits des enfants et ceux des adultes, et de la facilité avec laquelle une approche paternaliste et fondée sur les besoins peut en conséquence être adoptée.
La société canadienne est bien consciente de l’importance des enfants. Dans son message de présentation du Plan d’action de 2004 du Canada, Un Canada digne des enfants, l’ancienne sénatrice Landon Pearson a précisé pourquoi le Comité trouvait si importante son étude sur les droits des enfants :
Le XXIe siècle appartiendra à nos enfants et nos petits-enfants. Ce sont leurs rêves et leurs aspirations, modelés par les circonstances de leur naissance et du contexte dans lequel ils grandiront, qui donneront au siècle sa définition ultime. Ceux qui ont moins de 18 ans aujourd’hui représentent plus du tiers de la population mondiale et influencent déjà profondément nos vies par leurs décisions et leurs actions. Pour leur bien et pour le nôtre, nous devons faire tout ce qui est possible pour alléger les souffrances dont ils portent le joug, pour leur ouvrir les portes de la réussite et pour leur assurer une culture empreinte de respect. C’est à cela que les jeunes faisaient allusion lorsque, au cours de la Session extraordinaire consacrée aux enfants, en mai 2002, ils ont déclaré à l’Assemblée générale des Nations Unies : « Nous voulons un monde digne des enfants, car un monde digne de nous est un monde digne de tous. »[73]
Dans ce contexte, de nombreux témoins ont insisté sur la vulnérabilité particulière des enfants. Au Canada, ceux-ci forment le seul groupe qui – uniquement pour une raison d’âge – n’a ni voix, ni vote et très peu d’accès aux puissants groupes de pression, aux médias ou aux services juridiques. Le Comité des droits de l’enfant et le Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF ont fait valoir que le point de vue des enfants est rarement pris en compte dans les décisions gouvernementales, même s’ils forment l’un des groupes les plus touchés par l’action ou l’inaction gouvernementale. Les enfants ne sont pas simplement sous-représentés, ils ne sont pratiquement pas représentés du tout[74]. Comme l’a déclaré Al Aynsley‑Green, commissaire aux enfants en Angleterre, et l’a souligné Kay Tisdall, nous devons reconnaître que les enfants sont « les citoyens d’aujourd’hui, non de demain[75] » et adapter nos politiques en conséquence.
Ainsi, nos politiques et nos lois devraient veiller à assurer la dignité de tous les enfants. La dignité et le respect sont des concepts fondamentaux qui sous-tendent la Convention relative aux droits de l’enfant et l’étude du Comité. Comme l’a déclaré Fred Milowsky, agent adjoint pour l’enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique, la Convention « est une vision qui défend la dignité fondamentale des enfants. […] Si vous insistez sur la dignité, le chemin mène naturellement aux droits[76] ».
Et pourtant, il importe de signaler que cette dignité et les droits s’inscrivent dans un contexte beaucoup plus large. M. Milowsky a précisé que la « vision de la Convention place l’enfant au cœur de la démarche – à juste titre dans le contexte de sa famille, de sa collectivité et de sa culture[77] ». La Convention relative aux droits de l’enfant est un instrument global qui reconnaît explicitement que les enfants se développent dans des contextes différents (famille, collectivité et école). Selon Kathy Vandergrift, « [u]ne des beautés de la Convention relative aux droits de l'enfant, c’est justement cette complexité. C'est l’enfant en tant qu’acteur dans le monde, mais pas tout seul contre le monde. C’est l’enfant inséré dans un réseau de milieux de soutien qui, progressivement, développe ses capacités[78] ». Cette idée du contexte est importante dans les discussions sur les droits conflictuels et le rôle des familles. La Convention vise à protéger la dignité des enfants dans le contexte de leur collectivité tout en tenant compte des droits de ceux qui entourent les enfants.
En fait, des témoins ont attiré l’attention du Comité sur le fait que la protection des droits des enfants est utile non seulement pour les enfants, mais également pour la société dans son ensemble. Kathy Vandergrift a mentionné que « [p]lus nous comprenons le potentiel des enfants, plus nous nous éloignons de l’idée de devoir les façonner, dans la mesure où nous comprenons qu’ils nous aident aussi à façonner nos collectivités[79] ». Martha Mackinnon, de Justice for Children and Youth, n’a pas mâché ses mots lorsqu’elle a parlé de l’importance de protéger les droits des enfants :
C’est triste à dire, mais dans la société canadienne nous n’avons pas fait suffisamment de progrès vers une situation où nous serions capables de nous dire que ce n’est pas parce qu’on donne des droits à quelqu’un que des droits nous sont enlevés à nous. […] Ce n’est pas ma perception de la manière dont fonctionnent les droits de la personne. Ma perception est que plus nous tous avons des droits de la personne étendus, mieux nous serons tous collectivement. Par conséquent, la notion voulant que de donner quelque chose à un enfant n’enlève rien à quelqu’un d’autre est un message que nous ne réussissons pas à transmettre [de façon efficace]. C’est un message qui dit que je deviens ainsi un meilleur parent, un parent plus fort. Cela fait de moi une enseignante plus forte et meilleure. Je suis un employeur plus fort et meilleur si chaque enfant avec lequel je travaille sait qu’il est un être humain tout autant que je le suis, et mes droits sont renforcés quand chaque membre de ma société jouit des mêmes droits[80].
Allant plus loin dans la définition du concept, Katherine Covell, professeure au Centre des droits de l’enfant du Collège universitaire du Cap Breton, mentionne « l’importance suprême du respect des droits de l’enfant pour le développement d’une société saine[81] »
Ces observations ont servi de fondement à l’ensemble de l’étude du Comité. La protection des droits de l’enfant peut avoir d’importantes répercussions sur l’enfant en tant que personne et sur la société dans son ensemble. Suzanne Williams, de l’International Institute for Child Rights and Development, a donné un exemple frappant d’une jeune personne dont la prise de conscience relative à ses droits a donné lieu à un enchaînement de changements positifs dans sa vie :
« Les droits de l’enfant m’ont sauvé la vie. » Ainsi s’exprimait une jeune Autochtone canadienne au cours d’une séance organisée par l’International Institute for Child Rights and Development (IICRD), en mars 2004. Tout juste six ans auparavant, cette jeune personne avait assisté à une conférence tenue au Canada à l’intention des jeunes exploités dans le cadre du commerce du sexe. Elle avait alors appris pour la première fois qu’elle avait des droits : elle comptait pour quelque chose. De son point de vue, ces droits avaient fait toute la différence et lui avaient donné une raison de vivre. Aujourd’hui, cette jeune femme s’est affranchie du commerce du sexe, elle va à l’université et elle aide d’autres jeunes encore exploités dans ce commerce à se renseigner sur leurs droits et à refaire leur vie. C’est là seulement un exemple du pouvoir des droits de l’enfant. Le défi présenté au Canada consiste à s’assurer que les droits de l’enfant sont respectés et exercés largement au profit de tous les enfants[82].
Au bout du compte, la promotion et le respect des droits des enfants renforcent la reconnaissance des enfants comme personnes et êtres humains à part entière capables de faire des choix éclairés pour peu qu’on les y aide. En mettant en valeur la dignité d’un enfant, nous encourageons celui-ci à accepter son rôle de citoyen qui comporte des droits et des responsabilités. Kathy Vandergrift a signalé au Comité que « [l]es droits et les responsabilités représentent les deux côtés d’une même médaille; on ne saurait avoir un sans l’autre[83] ». Ainsi, en traitant les enfants comme des personnes investies de responsabilités, nous pouvons former de futures générations d’adultes responsables. Développer une culture de la responsabilité à tous les échelons de la société ne pourra que contribuer à améliorer notre environnement. Stephen Wallace, de l’Agence canadienne de développement international, a donné un exemple éclairant à cet égard :
Les filles et les garçons de moins de 18 ans n’ont peut-être pas le droit de voter. On ne leur accorde peut-être pas, non plus, la possibilité de faire connaître leurs préoccupations. Ils font peut-être partie des membres les plus maltraités et exploités de leurs sociétés. Pourtant, comme nous le constatons dans de nombreux pays en développement, des enfants dirigent déjà la maisonnée et font leur apport économique. Ils s’occupent des plus jeunes et sont même déjà parents. Du point de vue du développement, les enfants ont le pouvoir de perpétuer les cycles de la pauvreté et de la violence. Avec notre aide, ils ont aussi le pouvoir de briser ces cycles et de bâtir un avenir meilleur[84].
Kearney Healy, avocat qui a témoigné devant le Comité, abondait dans le même sens :
[V]ous allez devoir élaborer une politique répondant aux besoins des jeunes et leur permettant de devenir des adultes indépendants et épanouis; et ça, c’est essentiel!
Je vous exhorte à considérer que les enfants ont le droit de devenir des adultes qui réussiront, qui seront sociables, qui auront du talent, qui seront fiables et qui pourront s’enorgueillir de leurs réalisations. J'estime, pour ma part, que cela découle directement de votre idée d’adopter une approche fondée sur le droit des jeunes. Quand on adopte une telle approche, la transformation est surprenante[85].
C. SURVOL DE LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT
1. La Convention
Essentiellement, la Convention établit des normes générales communes relatives aux droits des enfants. Ses dispositions reflètent un grand nombre des principes énoncés dans d’autres instruments internationaux sur les droits de la personne et font en sorte que les droits et responsabilités prévus s’appliquent tout particulièrement aux enfants (de moins de 18 ans) en tenant compte de leurs besoins et de leurs situations. La Convention présente de grands principes et des droits précis et fait en sorte que les organismes qui veillent à la protection des droits des enfants prennent en considération les « différentes réalités culturelles, sociales, économiques et politiques[86] » au moment de faire une évaluation.
La Convention contient trois principes généraux pour orienter l’interprétation et l’application des articles protégeant plus particulièrement les droits des enfants. L’article 2 énonce le principe de non-discrimination :
Art. 2(1) Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.
(2) Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l'enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille.
L’article 3 établit le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être une considération primordiale de l’État dans toute prise de décision touchant les enfants :
Art. 3(1) Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
(2) Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
(3) Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.
Enfin, l’article 12 de la Convention met l’accent sur le droit de l’enfant d’être entendu au sujet de toute question qui le concerne. Les opinions de l’enfant doivent être dûment prises en considération « eu égard à son âge et à son degré de maturité » :
Art. 12(1) Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
(2) À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
Le fait de reconnaître la nécessité de laisser les enfants s’exprimer est un élément déterminant de la protection des droits de l’enfant qui apporte des éclaircissements sur la façon dont les gouvernements et les organismes devraient aborder toute initiative concernant les enfants.
En plus de ces principes généraux, la Convention énonce de nombreux droits particuliers entourant de multiples aspects de la vie d’un enfant, notamment le droit :
- dès la naissance à un nom et à une nationalité;
- de ne pas être séparé de ses parents, sauf par des autorités compétentes soucieuses de protéger son bien-être;
- à la réunification familiale;
- à la protection contre la violence physique ou mentale, y compris la violence sexuelle et d’autres formes d’exploitation;
- de jouir du meilleur état de santé possible;
- dans le cas d’un enfant handicapé, d’avoir accès à des traitements, à des services d’éducation et à des soins spéciaux;
- à l’éducation;
- de jouer.
En plus de respecter ces droits, les États parties doivent s’acquitter d’un certain nombre d’obligations, notamment les suivantes :
- de fournir aux parents une aide appropriée et d’élaborer des politiques en matière de services aux enfants;
- de protéger les enfants contre la consommation de drogues illicites et la participation à la production ou au trafic de drogues;
- de n’imposer ni la peine de mort ni l’emprisonnement à perpétuité pour des crimes commis avant l’âge de 18 ans;
- de traiter les enfants inculpés ou déclarés coupables d’une infraction au droit pénal de manière à favoriser leur sens de la dignité et de la valeur personnelle et à faciliter leur réintégration dans la société;
- de ne pas faire participer directement aux hostilités les jeunes de moins de 15 ans;
- de permettre aux enfants de groupes minoritaires et de populations autochtones d’avoir leur propre vie culturelle, de pratiquer leur propre religion et d’employer leur propre langue;
- d’offrir le traitement ou la formation nécessaires au rétablissement et à la réadaptation des enfants victimes de mauvais traitements, de négligence ou d’exploitation;
- de faire largement connaître aux adultes comme aux enfants les droits énoncés dans la Convention.
2. Protocoles facultatifs
La Convention est assortie de deux protocoles facultatifs portant sur des questions précises abordées dans celle-ci. Le premier, qui concerne la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants[87], est entré en vigueur le 18 janvier 2002. Il élargit les mesures de protection consenties aux enfants par les articles 11 (sur les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger), 21 (sur l’adoption) et 32 à 36 (sur l’exploitation économique et la traite d’enfants). Il résulte des préoccupations au sujet de l’exploitation sexuelle des enfants et reconnaît les conditions sous-jacentes, notamment la pauvreté et le manque d’accès à l’éducation, qui la favorisent. En décembre 2006, il y avait 113 États parties à ce protocole facultatif. Le Canada a ratifié le document le 14 septembre 2005.
Le deuxième protocole facultatif, qui concerne la participation d’enfants aux conflits armés[88], est entré en vigueur le 12 février 2002. Il concerne l’article 38 de la Convention, qui interdit d’enrôler dans les forces armées toute personne de moins de 15 ans. Les États parties à ce protocole doivent indiquer l’âge qu’ils autorisent pour l’enrôlement volontaire au sein de leurs forces armées et garantir que personne ne pourra s’engager dans des hostilités avant l’âge de 18 ans. En décembre 2006, il y avait 110 États parties à ce protocole. Le Canada a ratifié le document le 7 juillet 2000.
Il importe de signaler qu’un État peut être partie à la Convention même s’il ne ratifie pas les protocoles facultatifs, et vice versa. Par exemple, les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, mais ils ont ratifié les deux protocoles facultatifs.
3. Comité des droits de l’enfant
L’article 43 de la Convention prévoit l’établissement du Comité des droits de l’enfant de l’ONU chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention au sein des États parties. Créé en 1991, le Comité des droits de l’enfant est établi à Genève et se réunit trois fois par année dans le cadre de sessions de quatre semaines chacune. Il est formé de 18 spécialistes indépendants (ils étaient 10 au départ), qui proviennent d’États parties à la Convention et qui sont élus pour un mandat de quatre ans. Le Canada est actuellement représenté par David Brent Parfitt.
Les États parties sont tenus de présenter un rapport sur la mise en œuvre de la Convention dans les deux ans suivant la ratification et sur une base quinquennale par la suite. Il est aussi devenu courant que le secteur des ONG présente un rapport parallèle. Après avoir étudié chaque rapport, le Comité de l’ONU adopte des Observations finales sur les progrès accomplis par un État dans la mise en œuvre de la Convention et des recommandations visant des améliorations dans les secteurs où l’État accuse du retard. Même si le Comité de l’ONU n’a aucun mécanisme d’exécution, les Observations finales ont un caractère politique, moral et persuasif. Le Comité des droits de l’enfant encourage tous les États parties à rendre leur processus d’établissement de rapports transparent et à publier leurs rapports ainsi que les Observations finales afin de susciter des débats publics sur la Convention.
Le Comité des droits de l’enfant est chargé de surveiller le respect de la Convention, de même que le respect des protocoles facultatifs. Les rapports des États parties sur les progrès accomplis à l’égard de la mise en œuvre de la Convention doivent également traiter de la mise en œuvre des protocoles facultatifs. En 2004, le Canada a accepté de faire aussi rapport sur la mise en œuvre de son Plan d’action national, Un Canada digne des enfants[89].
Le Comité de l’ONU tient des discussions générales sur des questions se rattachant aux droits de l’enfant, par exemple l’exploitation économique des enfants, les droits de l’enfant dans le contexte familial, les droits de la fille et le système de justice pénale pour les jeunes. Ces discussions thématiques ont lieu environ une fois par année et peuvent donner lieu à des demandes d’études; elles peuvent également servir de fondement à des travaux d’interprétation des articles de la Convention. Le Comité des droits de l’enfant ne s’occupe toutefois pas de plaintes individuelles.
D. ÉCART ENTRE LE DISCOURS SUR LES DROITS ET LA RÉALITÉ
Et pourtant, même si les droits de l’enfant sont importants et que la démarche fondée sur les droits fait partie intégrante de la Convention et d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, des témoins ont fait valoir que nombreux sont ceux qui, au Canada et ailleurs dans le monde, continuent de s’opposer à une mise en œuvre intégrale. Le concept des « droits » est souvent considéré comme dangereux ou menaçant pour les droits de ceux qui détiennent le pouvoir[90]. Margaret Somerville a signalé qu’en pratique, lorsque les droits des enfants sont en conflit avec ceux des adultes, ce sont les adultes qui gagnent :
Nos sociétés s’intéressent surtout à un individualisme excessif et à nos droits, et puisque nous sommes des adultes, les enfants sont oubliés. […] La Charte s’applique effectivement aux enfants; c’est simplement que, dans la pratique, ils ne peuvent revendiquer leurs droits protégés par la Charte. Chacun a des droits en vertu de la Charte, et ensuite, il y a l’exercice de ces droits. Les enfants ne sont pas en mesure d’exercer leurs propres droits. De plus, lorsque leurs droits sont en conflit avec ceux des adultes, ce sont les adultes qui gagnent[91].
Certaines personnes ne sont tout simplement pas au fait de la Convention et de ses conséquences. Le Comité était consterné par le fait que très peu de témoins connaissaient la Convention et les droits inscrits dans celle-ci, mais le Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF a fait remarquer que même quand on est au fait de la Convention,
la nature radicale de la [Convention], qui reconnaît explicitement que les enfants sont des objets de droits, n’est ni pleinement acceptée ni entièrement comprise par bon nombre de gouvernements. On fait fi tout particulièrement du principe de promotion de l’intérêt supérieur de l’enfant qui passe par le respect de ses droits et par l’obligation d’écouter son point de vue et d’agir en conséquence, qui est une étape essentielle de la réalisation des droits des enfants[92].
Des témoins ont critiqué l’écart perçu entre le discours et la réalité en ce qui a trait aux droits des enfants au Canada. Ils jugeaient très préoccupant l’écart existant souvent entre l’intention de se conformer à la Convention et le respect réel de celle-ci au Canada. Même si le gouvernement tente de se conformer à la démarche fondée sur les droits en théorie, de nombreux témoins soutiennent qu’il hésite à s’y soumettre dans la pratique.
Les droits des enfants ont beaucoup évolué au fil de l’histoire canadienne. Les enfants ne sont plus considérés comme des objets ou comme une possession, ni non plus comme de simples éléments d’une cellule familiale[93]. Les enfants d’aujourd’hui sont des personnes à part entière[94]. Toutefois, alors que les mécanismes internationaux de défense des droits de la personne se raffermissent dans le monde, le Canada doit les intégrer à ses lois nationales pour qu’ils aient une force exécutoire sur son territoire. De nombreux témoins qui ont comparu devant le Comité ont insisté sur le fait que le Canada doit témoigner d’une volonté concrète de se conformer à cette obligation. L’avocat Jeffery Wilson a dit craindre que la Convention relative aux droits de l’enfant n’ait pas d’effet sur le plan juridique au Canada – que son application soit inefficace et que, par conséquent, elle ne soit guère utile pour protéger les droits des enfants :
Lorsque j’essaie d’expliquer la Convention à des enfants de 15, 16 et 17 ans, il y en a toujours un parmi eux […] qui demande : « À quoi sert la Convention? » C’est une question valable. […] Il est presque rétrograde pour le Canada d’avoir, en quelque sorte, une convention qui n’a pas de caractère exécutoire ni d’effet juridique pour la distinguer d’autres conventions internationales qu’il a ratifiées. […] Les tribunaux semblent considérer qu’il s’agit d’une bonne chose mais la Convention n’est pas efficace parce qu’elle n’est pas exécutoire. C’est un peu comme dire qu’il existe une convention qui interdit de frapper une femme mais que celle-ci n’a aucune force obligatoire. Ce serait un document étrange[95].
Comme il est mentionné dans le rapport Qui dirige, ici?, le Canada a acquis une réputation de chef de file dans le domaine des droits de la personne. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, il a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et la promotion de nouvelles initiatives en matière de droits de la personne, comme la création de la Cour pénale internationale, et il est aujourd’hui partie à plus de 30 mécanismes internationaux pour la défense des droits de la personne. Et pourtant, de nombreux témoins ont fait remarquer que la réputation actuelle du Canada est surfaite compte tenu de ce qu’il a réellement accompli à cet égard. Comme l’a déclaré Maxwell Yalden, ex-membre du Comité des droits de l’homme de l’ONU,
Je suis d’avis que le Canada a toujours joué un rôle important dans la communauté internationale en ce qui concerne les droits de la personne, mais je dois avouer que je suis de plus en plus impatient devant une communauté aussi riche que la nôtre, qui passe trop souvent son temps à donner des leçons aux autres sans regarder ses propres performances[96].
Billie Schibler, protectrice des enfants du Manitoba, a aussi souligné l’importance de protéger les droits des enfants au pays avant de le faire à l’étranger :
Comme pays, le Canada manque très clairement à son devoir de protéger ses membres les plus vulnérables, de préserver sa ressource la plus précieuse et la plus chère, nos enfants. Nous sommes un pays avancé. Nous avons des ressources naturelles abondantes et de brillants dirigeants, mais, à défaut d’assurer un meilleur avenir à nos enfants, de leur donner de l’espoir, de commencer à les écouter et d’entendre ce qu’ils nous disent, notre province est perdue et notre pays n'a pas d’avenir[97].
Renée Vaugeois, du Centre John Humphrey pour la paix et les droits de la personne, a déclaré : « Nous parlons souvent de la Convention relative aux droits de l’enfant avec ces jeunes. Le dernier groupe que nous avons rencontré a dit « Ce ne sont que des mots. Ces droits sont bafoués tout le temps[98]. »
Le Comité constate que, compte tenu de la situation des droits des enfants à l’intérieur de nos frontières, le Canada ne pourra continuer à se présenter comme un chef de file international à ce chapitre. Le Canada ne pourra insister pour que d’autres pays respectent les droits des enfants s’il manque à ses obligations envers ses enfants[99].
C’est à ces préoccupations que l’étude et le rapport du Comité visent à donner suite. Le Comité a conclu que son étude de la question doit faire avancer le débat sur les droits des enfants et ainsi mieux faire connaître ces droits et inciter le gouvernement à prendre des mesures concrètes. Son étude doit prendre en compte les préoccupations de l’un des groupes les plus vulnérables mais aussi l’un des plus prometteurs de la société canadienne pour faire en sorte que sa voix soit entendue. Par son rapport, le Comité veut attirer l’attention sur ces préoccupations afin d’inciter le Canada à respecter la Convention.
Comme l’a déclaré l’ancien ministre de la Santé, Ujjal Dosanjh, « nous ne pouvons toutefois nous reposer sur nos lauriers[100] ». Selon Martha Mackinnon, le Canada ne peut pas « perdre le leadership moral considérable[101] » qu’il avait au début :
Il importe de noter que le Canada n’a pas simplement signé et ratifié la Convention des Nations Unies. Il s’en est fait le champion, le pilote. Il a incité d’autres pays à la signer; il a contribué à sa rédaction et il a déployé des efforts pour que cet instrument, ce traité international voie le jour et devienne la norme en ce qui concerne les droits humains des enfants. Il est crucial que le Canada, qui en est le parrain, soit un leader mondial pour ce qui est d’intégrer la Convention au droit national. […]
C’est un instrument auquel le Canada souscrit sur la scène internationale. Selon moi, il serait très décevant que la signature d’un traité international devienne la limite des hautes eaux. Si l’on ne passe pas à l’étape de la mise en œuvre, c’est comme si le Canada avait dit : Voici ce que nous pensons de la norme internationale; les autres pays devraient la suivre, mais pas nous.[102]
Chapitre 4 - Mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant
Chapitre 4 - Mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant
Des représentants du gouvernement, des milieux universitaires et d’organismes de défense des droits des enfants de toutes les régions du Canada ont témoigné devant le Comité au sujet de la mise en œuvre de la Convention au Canada. À leurs témoignages et recommandations se sont ajoutés des renseignements obtenus auprès de diverses organisations onusiennes et internationales à Genève, notamment le Comité des droits de l’enfant, et des exemples de l’application de la Convention dans des pays partageant les mêmes vues que le Canada, par exemple la Suède, la Norvège et le Royaume-Uni. Enfin, des jeunes du Canada et de l’étranger ont comparu devant le Comité pour lui faire part de leurs points de vue sur la Convention relative aux droits de l’enfant et de son incidence sur leur vie.
Le Comité est arrivé à la conclusion que la mise en œuvre est essentielle pour assurer le respect de la Convention au Canada. Le manque de mécanismes appropriés pour la mise en œuvre de la Convention est l’un des principaux obstacles à la protection des droits de l’enfant dans notre pays.
A. MISE EN ŒUVRE ET APPLICATION
Art. 4 Les États parties s’engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention. […]
1. Absence de loi habilitante
Les témoins représentant le gouvernement ont signalé au Comité qu’après avoir ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant le 13 décembre 1991, le gouvernement fédéral n’a pas adopté de mesure législative habilitante générale ou particulière pour intégrer la Convention au droit interne. Suivant son approche habituelle à l’égard des traités internationaux relatifs aux droits de la personne, le gouvernement fédéral a plutôt entrepris, avant la ratification, un processus de consultation dans le cadre duquel il a examiné et analysé les lois en vigueur au pays afin de déterminer s’il y avait lieu d’en élaborer ou d’en modifier pour assurer le respect de la Convention. L’ancien ministre de la Justice a décrit l’approche traditionnelle du gouvernement à l’égard de la Convention :
Le Canada étant un État fédéral où de nombreux domaines relèvent de la compétence des provinces ou sont partagés entre les deux ordres de gouvernement, nous sommes très conscients de l’importance de la collaboration avec les provinces et les territoires, aussi bien avant qu’après la ratification d’un instrument international, afin de garantir que le Canada respecte entièrement ses obligations internationales[103].
Après avoir fait quelques mises au point à la suite des consultations, le gouvernement a estimé que la législation canadienne était en conformité avec la Convention relative aux droits de l’enfant et que celle-ci pouvait être réputée mise en œuvre par la voie de la Charte canadienne des droits et libertés[104], des lois fédérales et provinciales en matière de droits de la personne et des autres lois fédérales et provinciales concernant des questions abordées dans la Convention[105].
Le gouvernement s’est heurté à des problèmes de compétence avant d’arriver à cette conclusion. Les droits des enfants et les questions connexes concernent toutes les compétences – que ce soit la protection de l’enfant et le droit de la famille qui relèvent principalement des provinces, ou les questions d’immigration et le droit criminel qui relèvent de la compétence fédérale. Bien que toutes les provinces puissent avoir des lois conformes aux principes énoncés dans la Convention, elles ont souvent recours à des cadres différents. Le large éventail de lois dans chaque province et territoire et les différentes interprétations ou approches qu’ils adoptent à cet égard alourdissent la tâche de ceux qui cherchent à déterminer si les lois du Canada respectent ses obligations internationales. La position du Canada au sujet du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants illustre les problèmes de coordination inhérents au processus de ratification. Même si le gouvernement fédéral a ratifié le Protocole en septembre 2005, près de quatre années se sont écoulées entre la signature et la ratification en raison de problèmes de compétence.
Le gouvernement fédéral a néanmoins soutenu dans le passé que même si les lois nationales en vigueur ne reprennent pas toujours textuellement le libellé de la Convention, le processus de consultation a permis de faire en sorte que les normes mises de l’avant dans nos lois soient égales ou supérieures à celles qui sont énoncées dans la Convention elle‑même.
L’approche axée sur les politiques qui est adoptée à l’égard des obligations internationales du Canada a fait dire à de nombreux témoins que le Canada ne respecte pas pleinement la Convention. Ils ont demandé au Comité s’il suffit de se référer à la Charte, à diverses lois sur les droits de la personne et à d’autres mesures législatives pour garantir la conformité avec la Convention, compte tenu de la nature particulière des droits relatifs à l’enfant qui y sont énoncés. Si l’on ne répète pas dans les lois canadiennes les termes exacts employés dans la Convention, comment peut-on être sûr que les droits des enfants sont réellement exécutoires ou que le Canada se conforme intégralement à la Convention?
2. Interprétation législative et judiciaire
Malgré l’absence au Canada de mesures habilitantes précises concernant la Convention, les témoins ont fait remarquer qu’en plus de son application par l’entremise de diverses lois touchant notamment les droits de la personne, la Convention influe par d’autres moyens sur le droit canadien. Les tribunaux et les organismes décisionnaires peuvent se servir du droit international, y compris de la Convention relative aux droits de l’enfant, pour interpréter des mesures législatives touchant les droits des enfants au Canada. Il y a en common law une présomption interprétative selon laquelle toute loi adoptée au Canada respecte les obligations juridiques internationales de notre pays, même quand elles ne sont pas explicitement mises en œuvre dans le droit interne; on suppose que le Parlement entend légiférer d’une manière qui honore ces obligations[106]. Il faut toutefois garder à l’esprit que cette perspective n’est invoquée ou utilisée qu’occasionnellement devant les tribunaux.
L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[107] est l’une des principales décisions rendues au Canada au sujet de l’influence du droit international sur les obligations nationales, même lorsque l’instrument international en question n’a pas été explicitement mis en œuvre dans les lois canadiennes. En ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l’enfant, la Cour a cité un passage de l’ouvrage Driedger on the Construction of Statutes :
La législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes[108].
La majorité des juges de la Cour dans l’affaire Baker a statué que même si le Canada n’avait pas intégré la Convention relative aux droits de l’enfant au droit interne, le principe directeur de cet instrument faisant de l’intérêt supérieur de l’enfant le point principal des décisions touchant les enfants aurait dû s’appliquer dans ce cas particulier. La Cour a mentionné le rôle important des instruments internationaux en matière de droits de la personne, précisant qu’ils ont une « incidence cruciale sur l’interprétation de l’étendue des droits garantis par la Charte[109] ». Comme il a été signalé dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alberta)[110], le droit international constitue une autorité pertinente et convaincante dans l’interprétation et l’application de la Charte. Des témoignages présentés au Comité à l’étranger, notamment celui de la commissaire à l’enfance et à la jeunesse de l’Écosse, Kathleen Marshall, qui a remarqué « l’autorité progressive[111] » de la Convention, sont aussi valables pour le Canada. Mme Marshall a mentionné qu’en Écosse, la Convention se fait de mieux en mieux connaître « par des voies détournées[112] ».
Par contre, des témoins ont insisté sur le fait que, si les normes internationales en matière de droits de la personne ont un rôle à jouer sur le plan national, il s’agit d’un rôle secondaire. Le processus décisionnel judiciaire tient compte du droit international, mais, en bout de ligne, les valeurs exprimées dans les instruments internationaux qui ne sont pas mis en œuvre dans le droit interne peuvent seulement être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois[113]. Alors que le droit international peut servir à définir les questions relatives aux politiques publiques, son incidence sur le droit national se limite à « l’élucidation de l’intention du législateur [114] ». Même dans l’affaire Baker, la Cour suprême a mis l’accent sur le caractère persuasif plutôt qu’obligatoire de la Convention[115]. À cet égard, Jean-François Noël a déclaré :
Malgré une certaine ouverture de la Cour suprême du Canada en faveur du recours à la Convention relative aux droits de l'enfant à des fins interprétatives, il demeure que tant que la Convention relative aux droits de l’enfant ne sera pas incorporée en droit interne, celle-ci n’aura pas force de loi et le respect de ces principes sera subordonné aux lois en vigueur au Canada[116].
La Convention relative aux droits de l’enfant n’ayant pas été incorporée au droit canadien, elle ne peut pas servir de fondement direct à une action en justice. Irit Weiser a éclairci cette question lors de son témoignage devant le Comité en 2001 :
Si quelqu’un pensait que le Canada a commis une infraction à un article de cette convention, on ne pourrait pas entamer une action devant les cours canadiennes en se basant sur cet article. On pourrait essayer de trouver une disposition de notre Charte ou d'une autre loi et arguer que la Convention a une incidence sur l’interprétation des lois du pays ou de notre Charte et que cela constitue une infraction. On ne pourrait toutefois pas entamer une action en justice en se basant uniquement sur les dispositions du traité[117].
B. RÉSERVES
Les témoins, tant au Canada qu’à
Genève, ont renseigné le Comité sur les réserves du Canada et sa position
relative aux protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant. À
la suite d’un processus de consultation engagé avant la ratification, le Canada
a déposé deux réserves et une déclaration d’interprétation concernant
l’applicabilité de la Convention sur son territoire.
1. Article 21 – Garde coutumière
La première des réserves et la déclaration d’interprétation concernent l’article 21 de la Convention, qui porte sur l’adoption au pays et à l’étranger.
Réserves
(i) Article 21
En vue de s’assurer le plein respect de l’objet et de
l’intention recherchés au paragraphe 20(3) et à l’article 30 de la Convention, le gouvernement du Canada se réserve le droit de ne pas appliquer les
dispositions de l’article 21, dans la mesure où elles pourraient entrer en
conflit avec les formes de garde coutumière au sein des peuples autochtones du
Canada.
Déclaration d’interprétation
Article 30
Le gouvernement du Canada reconnaît que, en ce qui
concerne les questions intéressant les Autochtones du Canada, il doit
s’acquitter de ses responsabilités aux termes de l’article 4 de la Convention en tenant compte des dispositions de l’article 30. En particulier, en
déterminant les mesures qu’il conviendrait de prendre pour mettre en œuvre les
droits que la Convention garantit aux enfants autochtones, il faudra s’assurer
de respecter leur droit de jouir de leur propre culture, de professer et de
pratiquer leur propre religion et de parler leur propre langue en commun avec
les autres membres de leur communauté.
En 2001, John Holmes, du ministère des Affaires étrangères, a déclaré au Comité que le gouvernement avait pris cette position au sujet de l’article 21 afin que l’adoption coutumière chez les Autochtones du Canada ne soit pas interdite en vertu de la Convention qui prévoit que les adoptions sont autorisées par les autorités compétentes en conformité avec les lois et procédures applicables[118].
2. Alinéa 37c) – Détention de jeunes contrevenants dans des locaux distincts
La deuxième réserve concerne l’alinéa 37c), qui porte sur le système de justice pénale pour les jeunes et exige que les États parties gardent les jeunes contrevenants en détention dans des locaux séparés de ceux des contrevenants adultes.
Réserve
(ii) Alinéa 37c)
Le gouvernement du Canada accepte les principes
généraux prévus à l’alinéa 37c) de la Convention, mais se réserve le droit de ne pas séparer les enfants des adultes dans les cas où il n’est pas possible ou
approprié de le faire.
Des témoins ont dit au Comité que le gouvernement avait émis cette réserve pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il voulait laisser une certaine latitude aux collectivités éloignées du Nord canadien, où la construction d’installations distinctes pour un petit nombre de jeunes contrevenants est souvent coûteuse et peu pratique, et où le fait de placer un enfant en détention dans des locaux séparés de ceux des adultes implique de l’envoyer très loin de sa famille. Le gouvernement voulait également éviter une situation où un jeune qui atteint la majorité pendant sa détention est soudainement envoyé dans un centre de détention pour adultes. Enfin, il avait des réserves quant à l’incarcération de jeunes enfants avec de jeunes contrevenants dangereux.
Toutefois, malgré ces raisons, le Comité des droits de l’enfant et de nombreux témoins ont critiqué le Canada pour son refus de retirer ses réserves et de se conformer aux normes internationales à cet égard.
3. Paragraphe 3(2) du Protocole facultatif concernant la participation d’enfants aux conflits armés
Au moment de la ratification du Protocole facultatif, le Canada a fait la déclaration suivante au sujet du paragraphe 3(2) qui prévoit que les États parties autorisant l’engagement volontaire dans les forces armées nationales de personnes de moins de 18 ans mettent en place des mesures de protection spéciales:
Déclaration :
Conformément au paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la participation d'enfants dans les conflits armés, le Canada déclare ce qui suit :
1. Les Forces armées canadiennes permettent l’engagement volontaire à partir de l'âge minimum de 16 ans.
2. Les Forces armées canadiennes ont adopté les garanties suivantes afin de veiller à ce que l’engagement de personnes de moins de 18 ans ne soit pas contracté de force ou sous la contrainte :
a) L’engagement dans les Forces canadiennes est toujours volontaire. Le Canada ne pratique ni la conscription ni d’autres formes d'engagement forcé ou obligatoire. À cet égard, les campagnes d’enrôlement des Forces canadiennes sont des campagnes d'information. Tout individu désireux de se joindre aux Forces canadiennes remplit une demande à cet effet. Si les Forces canadiennes offrent un poste particulier à un candidat, ce dernier n’est pas tenu de l’accepter.
b) L’enrôlement de personnes de moins de 18 ans se fait avec le consentement éclairé et écrit des parents ou des tuteurs. Le paragraphe 3 de l’article 20 de la Loi sur la défense nationale stipule que « l’enrôlement dans les Forces canadiennes des personnes âgées de moins de dix-huit ans est subordonné au consentement de leur père, mère ou tuteur ».
c) Les personnes de moins de 18 ans sont pleinement informées des devoirs associés au service au sein des Forces armées. De nombreux films et feuillets d’information, portant sur les devoirs associés au service au sein des Forces armées, sont mis à la disposition des personnes désireuses de se joindre aux Forces canadiennes.
d) Les personnes de moins de 18 ans sont tenues de fournir des preuves dignes de foi de leur âge avant d’être acceptées dans les Forces armées. Tout candidat doit fournir un document juridiquement reconnu, soit un original ou une copie certifiée de son acte de naissance ou de son certificat de baptême, afin de prouver son âge.
Actuellement, le Canada autorise l’engagement volontaire de personnes de 16 ans au sein des Forces armées canadiennes. La Loi sur la défense nationale [119] a cependant été modifiée de manière à prévenir le déploiement de personnes de moins de 18 ans dans des zones de combat.
C. MÉCANISMES D’EXÉCUTION
Comme il a été mentionné précédemment, le mécanisme d’exécution établi par la Convention relative aux droits de l’enfant prend la forme du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui reçoit des rapports périodiques sur la conformité du Canada avec la Convention. Le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne a pour tâche de faciliter la préparation des rapports du Canada au Comité de l’ONU.
D. STRUCTURE FÉDÉRALE DU CANADA
La façon dont le Canada gère généralement son processus de ratification et de mise en œuvre de traités pourrait être le principal obstacle à la protection efficace des droits de l’enfant au pays, mais d’autres facteurs particuliers font aussi pencher la balance. Inévitablement, la structure fédérale du pays ajoute à la complexité de la mise en œuvre de la Convention au Canada. La question des compétences est un facteur déterminant dans l’application concrète des droits de l’enfant.
Des témoins du Canada et de l’étranger, y compris le Comité de l’ONU par l’entremise de ses Observations finales, ont fait état de l’absence au Canada de normes nationales uniformes dans les principaux domaines ayant une incidence directe sur les droits de l’enfant. Cette situation est attribuable à la structure constitutionnelle du Canada et à la nature générale de la Convention elle-même, qui couvre une vaste gamme de questions relevant de la compétence du gouvernement fédéral et des provinces. Le Comité a entendu des témoignages concernant les normes irrégulières dans l’ensemble du pays pour ce qui est de l’âge minimum d’admission à l’emploi[120], de la prestation de services de santé publics offerts aux enfants autistiques et aux enfants atteints de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF)[121], de la séparation entre jeunes contrevenants et adultes[122] et de l’âge auquel s’appliquent les mesures législatives de protection des enfants[123].
Au cours de ses audiences, le Comité a aussi appris que les institutions mises sur pied pour protéger les droits de l’enfant dans chaque province exerçaient des fonctions très différentes et avaient chacune leur degré d’autonomie et leurs capacités de mener des enquêtes et de remédier aux violations des droits de l’enfant. Neuf provinces canadiennes ont actuellement un protecteur des droits des enfants et des jeunes. Ces organismes indépendants entretiennent un lien et un dialogue informels par l’entremise du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes. Des exemples de ces organismes et de leurs différences ont été présentés au chapitre 4 du Rapport provisoire du Comité. Même si aucun de ces organismes n’est constitué en vertu d’une loi renvoyant à la Convention relative aux droits de l’enfant, dans la pratique, ils invoquent tous la Convention dans le cadre de leurs travaux[124].
Le Centre de recherches Innocenti de l’UNICEF a toutefois fait remarquer que malgré la structure fédérale d’un pays, les gouvernements doivent veiller à ce que les disparités provinciales « n’ouvrent pas la voie à la discrimination contre certains enfants du simple fait qu’ils habitent une province, un état ou une région en particulier[125] ». Les membres du Comité des droits de l’enfant ont dit au Comité qu’ils s’attendaient à ce que le gouvernement fédéral observe la Convention même s’il lui est difficile de veiller à ce que toutes les lois fédérales, provinciales et territoriales y soient conformes. Le Comité de l’ONU considère les questions de compétences mixtes du Canada comme une difficulté interne. Ses dernières Observations finales attirent l’attention sur cette question :
Le Comité relève que l’application d’une bonne partie des dispositions de la Convention est du ressort des provinces et territoires et s’inquiète de ce que cela peut conduire, dans certains cas, à des situations où les normes minimales de la Convention ne sont pas appliquées à tous les enfants du fait de différences au niveau des provinces et territoires.
Le Comité en appelle au gouvernement fédéral pour qu’il veille à ce que les provinces et territoires soient conscients des obligations qu’ils tirent de la Convention et du fait que les droits qui y sont consacrés doivent être mis en œuvre dans l’ensemble des provinces et territoires, par le biais de mesures appropriées, législatives, politiques et autres[126].
Dans son Observation générale sur la mise en œuvre de la Convention, le Comité de l’ONU a tenu à faire observer ce qui suit :
La décentralisation, par attribution de fonctions ou délégation de pouvoirs, ne déchargeait en rien le gouvernement de l’État partie de sa responsabilité directe quant à ses obligations envers tous les enfants relevant de sa juridiction, quelle que soit la structure de l’État[127].
E. OBSERVATIONS DU COMITÉ
Le Comité estime que l’approche du gouvernement fédéral à l’égard du respect des droits de l’enfant et de la Convention en particulier est insatisfaisante. Comme il est mentionné dans le présent chapitre et dans les précédents, l’aspect complexe des diverses compétences, l’absence d’institutions efficaces, la démarche incertaine quant à l’application des mesures législatives sur les droits de la personne, le manque de transparence et le peu d’engagement politique démontrent que l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant est inefficace dans le contexte canadien
Il en est ainsi malgré le ton prometteur adopté dans l’affaire Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) au sujet de l’obligation qu’a le gouvernement de respecter les valeurs énoncées dans la Convention. Le gouvernement et les tribunaux ont donné aux normes internationales sur les droits de la personne une portée nationale, mais leur importance reste toutefois secondaire. Bien que l’on tienne compte du droit international dans le processus décisionnel judiciaire, les valeurs véhiculées dans les instruments internationaux qui ne sont pas directement intégrés à nos lois servent surtout à orienter notre interprétation. Le gouvernement fédéral lui-même fait grand cas de son approche axée sur les politiques et la consultation en ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l’enfant, mais il s’est révélé incapable d’expliquer de façon claire et précise dans quelle mesure le Canada observait la Convention, le libellé exact de celle-ci n’étant qu’occasionnellement repris dans les lois canadiennes.
Tous les ordres de gouvernement du Canada ont la responsabilité et la capacité de protéger les droits des enfants. De toute évidence, on reconnaît de plus en plus l’importance de l’enfant à l’échelle du gouvernement – tout au long de ses audiences, le Comité a pu constater à quel point on se préoccupait de l’intérêt des enfants dans chaque province. Il reste à savoir dans quelle mesure les gouvernements réussissent à protéger les droits des enfants. Les tribunaux canadiens ont commencé à invoquer la Convention dans divers domaines du droit – de l’immigration à la protection des enfants[128]. Pour faire progresser le dossier et favoriser le respect du processus démocratique, il faudrait toutefois accroître la responsabilisation, intensifier la participation du Parlement et du public et adopter une approche plus ouverte, propice à la transparence et favorisant la volonté politique. Il semble qu’actuellement la volonté politique se noie souvent dans la complexité de la coordination et de la collaboration entre les compétences. Kathy Vandergrift a fait ressortir ce point en affirmant que « parfois le meilleur intérêt de l’enfant est occulté par les querelles de clocher entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux[129] ».
Pourtant, en dépit du régime fédéral du Canada, le Comité estime qu’il est possible de bien gérer les questions de compétence. Suzanne Williams abonde dans ce sens :
Bien que ce [les questions de compétence] soit un vrai défi, c’est peut-être aussi une vraie occasion. Plusieurs juridictions s’efforcent d’améliorer la vie des enfants; elles pourraient partager leurs expériences et leurs ressources. La diversité au Canada est un grand atout. Les défis dans le domaine des juridictions ne devraient pas être considérés comme des obstacles infranchissables[130].
Il faudrait se doter de mécanismes tangibles pour garantir le respect au Canada des droits inscrits dans la Convention et pour obliger le gouvernement et le Parlement à rendre des comptes aux enfants et à tous les citoyens. Comme l’a déclaré Suzanne Williams, « [é]tant donné la diversité du Canada au plan des juridictions mais aussi des ordres judiciaires, sans oublier sa composition multiculturelle, le besoin d’une coordination efficace des droits de l’enfant se fait vraiment ressentir[131] ». Dans le cadre de son étude, le Comité a cherché des façons de mieux gérer le cadre de mise en œuvre des droits de l’enfant au Canada afin de donner un nouvel élan à la Convention et de favoriser le développement d’un milieu qui appuie la protection efficace des droits de l’enfant.
Les témoins ont proposé divers mécanismes au Comité : l’instauration d’une forme de loi habilitante, l’établissement d’organismes chargés de surveiller la protection des droits de l’enfant à l’échelon fédéral, l’instauration d’un processus plus rigoureux et mieux structuré visant la ratification et l’intégration du droit international, l’instauration d’un processus de présentation de rapports plus simple et transparent, une vaste diffusion des Observations finales du Comité de l’ONU, la sensibilisation accrue à l’égard des droits inscrits dans la Convention, le renforcement des capacités dans le secteur du bénévolat et, surtout, la participation des enfants à ces processus. Le Comité souhaite particulièrement donner au Parlement un rôle efficace dans l’établissement d’un milieu qui favoriserait davantage la protection réelle des droits de l’enfant au Canada. Les divers mécanismes et recommandations proposés seront traités plus avant aux chapitres 17 et 18.
F. CHAPITRES SUIVANTS
Pour mieux comprendre le bien-fondé de ces recommandations, le Comité a analysé l’application de certains articles de la Convention relative aux droits de l’enfant dans la vie quotidienne des enfants afin de déterminer dans quelle mesure la Convention est mise en œuvre au Canada. Les chapitres 5 à 16 du présent rapport portent sur ces questions relatives aux droits des enfants. L’étude ne visait pas l’examen approfondi de tous les enjeux. Elle ne prend pas en compte chacun des articles de la Convention relative aux droits de l’enfant; certains articles sont traités de façon plus approfondie que d’autres. Les témoins d’un secteur donné connaissent bien certains droits inscrits dans la Convention et se sont servis de cet instrument pour circonscrire le débat sur la politique publique. D’autres droits, par contre, n’ont été abordés par aucun témoin. Le Comité constate par exemple qu’il a reçu très peu d’information sur les droits des filles selon une perspective de genre. Les chapitres qui suivent portent sur l’examen effectué par le Comité de la mise en œuvre et de l’utilisation de la Convention au Canada et ne se veulent pas une étude approfondie de diverses questions concernant les enfants.
Ces chapitres sont fondés sur l’opinion selon laquelle « les droits de l’enfant sont interdépendants[132] » et se chevauchent – il importe de ne pas les examiner séparément. L’article 3 énonce le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui a été pris en compte dans la discussion de tous les thèmes. Ce principe est la pierre angulaire du rapport et de l’étude du Comité.
Pour faire ses observations et ses suggestions, le Comité a gardé à l’esprit le fait que la Convention relative aux droits de l’enfant est fondée sur le concept de réalisation progressive de la protection des droits. Comme l’a fait remarquer Kathy Vandergrift, la Convention n’exige pas des États parties qu’ils s’acquittent de leurs obligations sans attendre. Ils devraient toutefois aller de l’avant avec les principaux indicateurs.
Les chapitres qui suivent font ressortir les observations du Comité relatives à la mise en œuvre et à l’utilisation de la Convention sur le plan de la participation et de l’expression, de la violence envers les enfants, de l’exploitation des enfants, du système de justice pénale pour les jeunes, du bien-être des enfants, des questions liées à l’adoption et à l’identité, des enfants immigrants, des questions des services de garde et de développement de la petite enfance, de la pauvreté infantile, de santé, des enfants membres d’une minorité sexuelle et des enfants autochtones. Étant donné que les obligations juridiques du Canada en vertu de traités internationaux ne permettent pas d’invoquer les différences de compétences pour justifier un moindre respect pour les droits de la personne, les observations du Comité sont accompagnées de propositions et de recommandations quant aux mesures que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent prendre pour assurer la protection des droits des enfants au Canada.
Chapitre 5 - Articles 12 à 15 : Participation et expression
Chapitre 5 - Articles 12 à 15 : Participation et expression
A. INTRODUCTION
Plusieurs articles de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur le droit de l’enfant à la participation et à la liberté d’expression. Comme mentionné au chapitre 3, l’article 12 accorde à l’enfant le droit fondamental d’exprimer son opinion et lui donne la possibilité d’être entendu dans les procédures qui l’intéressent, compte tenu de son âge et de son degré de maturité. Un rapport publié par la Bernard van Leer Foundation signale que l’article 12 confère « un droit important qui autorise l’enfant à être l’acteur de sa propre vie, et pas seulement un bénéficiaire passif des soins et de la protection des adultes[133] » et, de surcroît, « un droit procédural permettant d’accéder à d’autres droits, d’exercer la justice, d’influer sur les résultats et de dénoncer les abus de pouvoir[134] ».
L’article 13 de la Convention complète l’article 12 en mettant l’accent sur la liberté d’expression :
Par. 13(1) L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
(2) L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires :
a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou
b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Les articles 14 et 15 font état de certaines formes de liberté d’expression : la liberté de pensée, de conscience, de religion et d’association.
Par. 14(1) Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
(2) Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.
(3) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.
Par. 15(1) Les États parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.
(2) L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui.
B. DROIT DES ENFANTS CANADIENS DE PARTICIPER ET D’ÊTRE ENTENDUS
La Convention dit que les enfants ont droit à leur propre opinion, mais on ne les encourage jamais à parler. Si nous exprimons nos opinions, il est probable que le décideur en débatte sans vouloir nous écouter […] Si vous partez d’ici en vous souvenant d'une chose, faites en sorte, s’il vous plaît, que ce soit la conscience du fait que les jeunes savent ce qu’ils veulent voir et savent ce dont ils ont besoin pour faire bouger les choses. Il s’agit de bâtir une confiance chez les autres, la confiance que nous savons ce que nous faisons[135].
Quand on en parle et quand on organise ces débats, on écoute vos opinions et vos pensées dans l’école. Mais cela ne va pas plus loin. Il n’y a aucune façon en dehors de l’école d’exprimer ses opinions sur quoi que ce soit, comme la politique ou n’importe quoi d’autre. Il n’y a pas un endroit où vous pouvez dire ce que vous pensez, surtout que vous ne votez pas avant 18 ans[136].
Le droit de l’enfant de participer et d’être entendu est un droit politique important, l’un des principes fondamentaux de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Comité a été informé à maintes reprises que les enfants et les jeunes trouvent qu’on ne les consulte pas et qu’on fait peu de cas de leurs opinions, souvent sur des questions qui ont une influence déterminante dans leur vie. Les articles 12 à 15 de la Convention stipulent que, dans les situations applicables, l’enfant a le droit d’être entendu sur les questions qui touchent son bien-être.
Or, la Convention dispose que, par delà la capacité de mener leur propre vie, les jeunes ont le droit de jouer un rôle ou d’être consultés dans les grandes discussions et décisions qui influent sur leur vie. Il s’agit non seulement d’un droit, mais aussi d’un principe à la base des processus efficaces de prise de décision et d’élaboration des politiques. Comme l’indique le rapport de la Bernard van Leer Foundation, la société doit reconnaître que les enfants sont les experts de leur propre vie et qu’ils expriment souvent des idées intéressantes propres à améliorer la mise en œuvre de diverses politiques et décisions. Lisa Wolff, d’UNICEF Canada, a dit au Comité : « Lorsque nous écoutons les enfants, nous apprenons des choses différentes, et nos politiques sont différentes grâce à leurs commentaires[137]. » Nana, jeune personne qui a témoigné devant le Comité à Toronto, a renchéri en disant qu’il faut reconnaître que les enfants « ont beaucoup de pouvoir et que, s’ils peuvent expliquer comment ils se sentent, ils peuvent également proposer des solutions[138] ». Le Comité est convaincu que les enfants devraient être consultés sur toutes les questions importantes qui touchent leurs droits et leur vie.
Il faut aussi que ce type de consultation soit utile. Le Comité des droits de l’enfant a précisé ce qui suit :
S’il est facile de donner l’impression d’«écouter les enfants», accorder le poids voulu à leurs opinions nécessite en revanche un véritable changement. Le fait d’écouter les enfants ne doit pas être considéré comme un objectif en soi mais plutôt comme un moyen pour les États de faire en sorte que leur interaction avec les enfants et leur action en leur faveur soient davantage axées sur l’application des droits de l’enfant[139].
Quand on consulte les enfants, on devrait les faire participer activement aux décisions : il est crucial d’être attentif à leurs points de vue, et pas seulement à leurs choix. Au lieu d’interpréter les besoins et les souhaits des enfants, les adultes doivent écouter directement ce qu’ils disent. Judy Finlay, intervenante en chef du Bureau d’assistance à l’enfance de l’Ontario, a fait valoir que participer véritablement veut dire : « Ne discutez pas de nous si nous ne sommes pas là[140]. »
Kay Tisdall, de l’Université d’Edinburgh, et Wayne MacKay, de la Faculté de droit Dalhousie, se sont prononcés contre le geste symbolique que constitue souvent la participation d’enfants à des rencontres. Lorsqu’on invite des enfants à des consultations ou à des conférences, il faut prendre leurs opinions au sérieux et ils devraient jouer un rôle dans le processus décisionnel. Comme l’a indiqué Céline Giroux, ancienne vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec :
[I]l ne suffit pas de parler au nom des enfants et des jeunes. Il faut aussi parler avec eux, les aider à s’exprimer eux-mêmes, leur fournir une éducation sur leurs droits et les faire participer aux décisions qui les concernent[141].
Il n’y a de participation véritable que si la parole des jeunes est suivie d’effets. Comme l’a fait observer Brent Parfitt, du Comité des droits de l’enfant :
Bien trop souvent, il ne s’agit que d’un geste symbolique : on invite un certain nombre d’enfants à une conférence nationale pour témoigner de la perspective des jeunes. À mon avis, il ne s’agit pas d’une participation significative des jeunes.
Une participation significative des jeunes, c’est quand les enfants ont leur mot à dire ou un rôle à jouer dans le processus de prise de décision. Cela peut sembler un peu étrange, mais c’est possible, et nous en trouvons de nombreux exemples, tant au niveau des écoles communautaires qu’au niveau gouvernemental, provincial et fédéral[142].
En écoutant les témoignages des jeunes et des autres personnes, le Comité a réalisé que la participation des jeunes peut rendre le processus de décision beaucoup plus fructueux. Pour l’étude des questions essentielles qui se posent aux enfants et aux jeunes de nos jours, il est essentiel de solliciter leurs points de vue et leurs suggestions. Billie Schibler, protectrice des enfants du Manitoba, a bien insisté là-dessus en disant que, dans pareille situation,
[…] il faut chercher les réponses auprès des enfants eux-mêmes. Il faut les amener à nous dire ce dont ils ont besoin et ce qu’ils attendent de nous. Nous devons les écouter […]
Si les professionnels n’ont pas trouvé de solutions, je crois que la seule façon d’essayer d’y parvenir consiste à écouter les jeunes et à aller dans les collectivités pour les rencontrer[143].
L’ancien ministre du Développement social, Ken Dryden, s’est fait l’écho de cette opinion :
Afin d’éviter cela, avoir un élan et une énergie véritables pour aider les enfants, il faut écouter les voix des enfants et pas des voix de mini-adultes. Posez-leur des questions sur leur vie, sur chaque partie de leur vie. Que ressentez-vous quand vous faites telle chose? De quoi êtes-vous le plus fier? Qu’est-ce qui vous dérange[144]?
L’encouragement à la participation dont fait état la Convention est aussi très utile pour favoriser la formation d’une génération de jeunes plus active. Kay Tisdall a indiqué que la participation des jeunes est un puissant moyen de contrer le désenchantement. Wayne MacKay a dit au Comité que la participation fait ressortir ce qu’il y a de plus beau chez les jeunes : le plus souvent « tout le monde peut y gagner parce que, normalement, quand vous confiez des responsabilités à quelqu’un, il dépasse vos attentes[145] ». Kathy Vandergrift a abondé dans ce sens :
Nous pourrions libérer toute une énergie au profit du bien commun au Canada en employant certaines des stratégies que nous employons dans le cadre du développement international, en travaillant auprès des jeunes et en les faisant participer au développement. Le potentiel est là[146].
Ryan Stratton, un jeune qui a témoigné devant le Comité à St. John’s (Terre-Neuve), a dit ceci :
Si vous donniez la possibilité aux jeunes, si vous leur disiez que des possibilités existent et que vous engagez l’un des leurs comme intermédiaire pour les embarquer dans votre démarche, vous pouvez faire participer les jeunes à n’importe quoi, parce que nous voulons participer; nous cherchons des choses à faire. Nous en avons assez d’être chez nous à dire « je m’ennuie, je vais faire une balade ». Nous voulons avoir quelque chose à faire, et si l’occasion se présente, nous nous enthousiasmons vraiment[147].
Comme le signalait le rapport de la Bernard van Leer Foundation, respecter la Convention en permettant à un enfant de participer aux décisions qui concernent sa propre vie peut avoir un effet marqué sur son développement et l’amener à un plus grand niveau de compétence. Selon un rapport préparé pour l’Unité de protection de l’enfant de l’Agence canadienne de développement international : « C’est par l’interaction que les capacités des enfants se développent le plus efficacement : le processus de l’apprentissage suscite le développement et la participation accroît la compétence[148]. » Les enfants qui assument plus de responsabilités face à leur propre vie deviennent moins vulnérables.
Il est maintenant admis que les enfants qui prennent activement des décisions et qui tirent des enseignements de leur expérience personnelle, tout en observant les adultes engagés dans des « causes » auxquelles ils croient, contribuent à apporter un changement et sont moins sujets à la dépression, au désespoir et au suicide[149].
Plusieurs jeunes qui ont comparu devant le Comité ont fait valoir l’importance de la participation. Nathaniel Mayer‑Heft, un élève de Montréal, a dit qu’il faut donner aux enfants un rôle à jouer pour qu’à l’âge adulte ils s’impliquent plus activement dans la société. Même s’ils n’ont pas le droit de vote, il faut les amener à s’intéresser à la politique pour qu’ils découvrent ses liens avec leur vie.
Bien sûr, on ne devrait pas avoir un droit de vote à 12 ans, mais pourquoi ne pas demander aux jeunes leur avis? Pourquoi ne pas amener les étudiants de 12 à 17 ans à s'intéresser à la politique? Ainsi, ils pourraient voter lorsqu’ils atteindraient l'âge de 18 ans. Je crois que cela augmenterait le nombre de jeunes qui votent[150].
Rachel Gardiner, une élève de St. John’s, a émis l’opinion suivante :
[…] les gens deviennent plus engagés quand ils comprennent. Si les jeunes comprenaient en quoi divers aspects du régime politique les touchent, ils s’engageraient plus [… et] peuvent instruire les autres jeunes sur la manière dont ils sont concernés en général afin que tout le monde puisse s’engager et que tout le monde puisse faire une différence[151].
Joelle LaFargue, qui a témoigné devant le Comité à Fredericton, a dit ceci :
Une chose que j’ai remarquée chez les adolescents de mon âge ou plus jeunes, ou même plus vieux, c'est que si vous leur demandez leur opinion, ils haussent les épaules et disent « Je ne sais pas ». Je trouve cela triste car je crois que chacun a droit à ses opinions et à les exprimer. Souvent, les jeunes n’ont pas d’opinions ou disent qu’ils n’ont pas d'opinions parce qu’ils pensent qu’elles ne comptent pas, parce qu'on ne les prendra pas au sérieux ou que lorsqu’ils s’expriment, cela ne change rien […]
Il serait intéressant que les politiciens viennent dans les écoles […] expliquer le processus politique, les genres de choses que font les politiciens, et peut-être avoir davantage de comités comme celui-ci pour recueillir les opinions des enfants. Alors, ils se sentiraient écoutés. Ils seraient ainsi plus instruits car c’est la meilleure façon de faire des choses, si vous avez les connaissances, vous pouvez prendre les bonnes décisions et exprimer des opinions[152].
Lorsqu’on fait fi de ces droits importants prévus dans la Convention, les voix des enfants sont reléguées aux oubliettes, selon une jeune fille qui a témoigné devant le Comité à Toronto[153]. À l’heure actuelle, l’opinion des enfants et des jeunes est rarement prise en compte dans les décisions du gouvernement, du Parlement, des ONG et des fournisseurs de services. Le Comité est convaincu qu’il faudrait encourager les enfants et les jeunes à participer davantage aux processus d’élaboration des politiques et aux affaires politiques. En veillant à ce que leurs opinions soient écoutées et prises en considération dans les décisions politiques, on contribuera pour beaucoup à donner un sens à la Convention relative aux droits de l’enfant dans le contexte canadien.
RECOMMANDATION 1
En vertu des articles 12 à 15 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral affecte des ressources pour que les points de vue des enfants soient véritablement pris en compte dans l’examen ou la mise en œuvre, au niveau fédéral, de lois, de politiques et d’autres décisions qui ont d’importantes répercussions dans leur vie.
Chapitre 6 - Articles 19, 28, 37 et 38 et Protocole facultatif : Violence contre les enfants
Chapitre 6 - Articles 19, 28, 37 et 38 et Protocole facultatif : Violence contre les enfants
A. INTRODUCTION
La Convention relative aux droits de l’enfant est le premier instrument international portant sur les droits de la personne qui traite expressément de la protection des enfants contre la violence. L’article 19 assure aux enfants une protection étendue contre les brutalités et la négligence :
Par. 19(1) Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
(2) Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l'enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d'autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d'intervention judiciaire.
Le paragraphe 28(2) porte sur la question des châtiments corporels à l’école :
Par. 28(2) Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.
L’article 37 interdit la violence à l’endroit des enfants dans le système de justice, notamment la torture et la privation arbitraire de liberté. Pour de plus amples détails sur cet article, voir le chapitre 6.
Enfin, l’article 38 et le Protocole facultatif concernant la participation d’enfants aux conflits armés ont pour sujet les mineurs dans l’armée :
Par. 38(1) Les États parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants.
(2) Les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités.
(3) Les États parties s’abstiennent d’enrôler dans leurs forces armées toute personne n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans. Lorsqu’ils incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les États parties s’efforcent d’enrôler en priorité les plus âgées.
(4) Conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins.
Dans le contexte de la violence contre les enfants, le présent chapitre examine les châtiments corporels à la maison et à l’école, les pratiques d’intimidation et la présence d’enfants dans les Forces armées canadiennes.
B. ARTICLES 19 ET 28 : CHÂTIMENTS CORPORELS
Pour la question des fessées, on dit que la société doit éliminer la violence, mais qu’à la maison c’est permis. Ça ne va pas[154].
J’engage les États à interdire, quel qu’en soit le contexte, toutes les formes de violence à l’encontre des enfants, y compris tous les châtiments corporels[155] […]
Le Comité a entendu de nombreux témoignages au sujet des châtiments corporels, qui sont devenus un point chaud pour les défenseurs des droits des enfants, en raison des droits énoncés dans la Convention relative aux droits de l’enfant et à cause d’un récent arrêt de la Cour suprême du Canada, Canadian Foundation for Children, Youth, and the Law c. Canada (P.G.)[156].
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies définit comme suit les châtiments corporels :
tous châtiments impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il. La plupart de ces châtiments donnent lieu à l’administration d’un coup (« tape », « gifle », « fessée ») à un enfant, avec la main ou à l’aide d’un instrument − fouet, baguette, ceinture, chaussure, cuillère de bois, etc. Ce type de châtiment peut aussi consister à, par exemple, donner un coup de pied, secouer ou projeter un enfant, le griffer, le pincer, le mordre, lui tirer les cheveux, lui «tirer les oreilles» ou bien encore à forcer un enfant à demeurer dans une position inconfortable, à lui infliger une brûlure, à l’ébouillanter ou à le forcer à ingérer quelque chose (par exemple, laver la bouche d’un enfant avec du savon ou l’obliger à avaler des épices piquantes)[157].
Malgré tout, en janvier 2004, la Cour suprême a confirmé la validité constitutionnelle de l’article 43 du Code criminel du Canada[158], le moyen de défense fondé sur la « correction raisonnable », qui autorise l’emploi de la force pour corriger les enfants :
Art. 43 Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.
La Cour a statué que la disposition du Code criminel ne portait pas atteinte aux droits de la personne à la vie, à la liberté et à la sécurité ni aux droits à l’égalité et à la protection contre des peines cruelles et inhabituelles prévus dans la Charte. Cependant, en confirmant la validité de l’article 43, elle a donné une interprétation restrictive du moyen de défense fondé sur la correction raisonnable, en précisant que les châtiments corporels[159] :
- sont en général réservés aux parents – bien que des enseignants puissent parfois avoir recours à la force pour expulser un enfant de la classe ou pour assurer le respect des directives;
- ne peuvent être infligés à des enfants de moins de deux ans ou à des adolescents;
- ne peuvent être infligés à des enfants incapables d’en tirer une leçon à cause d’un handicap ou d’un autre facteur contextuel;
- peuvent être infligés uniquement si la force employée est légère et a un effet transitoire et insignifiant;
- ne peuvent être infligés à l’aide d’objets ou comporter des gifles ou des coups à la tête (ces corrections sont jugées déraisonnables);
- doivent servir à corriger et doivent répondre au comportement réel de l’enfant, et non résulter de la frustration ou d’un tempérament violent;
- doivent servir à retenir ou à maîtriser, ou à manifester une désapprobation symbolique.
La Cour a indiqué que la gravité de l’événement déclencheur n’est pas pertinente pour le recours au moyen de défense prévu à l’article 43 et que les tribunaux détermineront le « caractère raisonnable » en appliquant un critère objectif qui a trait aux circonstances de l’affaire[160].
Il importe de signaler qu’en dehors du droit criminel fédéral, la norme pour les châtiments corporels appliquée dans les foyers d’accueil et dans les classes en vertu des lois provinciales sur l’éducation varie d’une province à l’autre[161]. L’Alberta, l’Ontario et le Manitoba n’ont pas expressément interdit les châtiments corporels dans leurs lois respectives sur l’éducation[162].
S’appuyant sur la Convention relative aux droits de l’enfant, de nombreux témoins, y compris les représentants du Comité des droits de l’enfant, ont comparu devant le Comité pour exhorter le gouvernement fédéral à abroger le moyen de défense prévu à l’article 43 du Code criminel. Marv Bernstein, protecteur des enfants de la Saskatchewan, a déclaré qu’ « il est temps que le Canada agisse en la matière, faute de quoi il s’exposera à l’opprobre international[163] ». Dans ses dernières Observations finales visant le Canada, le Comité des droits de l’enfant a accueilli avec satisfaction :
[…] les efforts déployés par l’État partie pour décourager le recours aux châtiments corporels en favorisant les recherches sur les alternatives possibles, en apportant son soutien à des études sur la fréquence des sévices, en faisant campagne pour une saine éducation parentale et en approfondissant les connaissances et la compréhension du phénomène des sévices sur enfants et de leurs conséquences. Toutefois, le Comité note avec une profonde préoccupation que l’État partie n’a pas adopté de texte de loi à l’effet d’interdire expressément toutes les formes de châtiment corporel et n’a pris aucune mesure pour abroger l’article 43 du Code pénal, qui autorise les châtiments corporels.
Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des textes à l’effet de lever l’autorisation qui existe actuellement de faire usage d’une « force raisonnable » à l’encontre des enfants pour les discipliner et d’interdire expressément toute forme de violence, même modérée, sur la personne d’enfants au sein de la famille, dans les écoles et dans tous les établissements de placement[164].
Claire Crooks, du Centre scientifique de prévention du Centre de toxicomanie et de santé mentale, a dit au Comité qu’ « il est essentiel que la loi établisse la norme à suivre en matière de châtiments corporels[165] ».
Au dire d’un jeune qui a témoigné devant le Comité à St. John’s (Terre-Neuve), les châtiments corporels font plus de tort que de bien :
La violence ne sert absolument à rien, parce que les parents sont censés nous aider à prendre les bonnes décisions. Ils sont censés vous aider. Si vous avez peur de vos parents, si vous avez peur qu’ils vous frappent, vous ne serez pas ouvert avec eux, vous ne leur parlerez pas et vous n’aurez pas de bons rapports avec eux […]
On ne leur fera pas confiance. On ne partagera rien avec eux parce qu’on aura peur d’eux[166].
Concernant l’effet que l’interdiction des châtiments corporels pourrait avoir sur les parents, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré : « Si l’on fait tomber tous les châtiments corporels sous le coup de la loi, ce n’est évidemment pas pour poursuivre et punir davantage de parents[167]. » C’est plutôt
[…] pour satisfaire aux exigences des droits de l’homme en accordant aux enfants la même protection de leur intégrité physique et de leur dignité humaine qu’aux adultes. C’est pour bien faire comprendre que frapper les enfants est mal, au moins aussi mal que de frapper toute autre personne. Ainsi confère-t-on un fondement cohérent à la protection de l’enfant et à une éducation publique promouvant des formes positives de discipline. À mesure que les attitudes changeront, on verra diminuer la nécessité d’exercer des poursuites et de procéder à des interventions formelles dans les familles afin de protéger les enfants[168].
Le Comité des droits de l’enfant a dit dans son Observation générale qu’il s’attend à ce que les États poursuivent rarement les parents en justice :
Le statut de dépendance des enfants et l’intimité spécifiques unissant les membres d’une famille exigent que la décision de poursuivre les parents, ou d’intervenir officiellement dans la famille selon d’autres modalités, soit prise avec le plus grand soin. Dans la plupart des cas, il est improbable que l’ouverture de poursuites contre les parents soit dans l’intérêt supérieur de leurs enfants. Le Comité est d’avis que l’ouverture de poursuites et d’autres types d’interventions officielles (par exemple, l’éloignement de l’enfant ou l’éloignement de l’auteur des faits répréhensibles) ne devraient être envisagés que si pareille mesure apparaît nécessaire pour protéger l’enfant contre un préjudice notable et conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant affecté […]
Cette approche de l’application de la loi devrait être mise en avant dans les conseils et la formation dispensés à toutes les parties intervenant dans le système de protection de l’enfance, en particulier la police, les autorités chargées des poursuites et les tribunaux […]
Si, en dépit de l’interdiction et des programmes positifs d’éducation et de formation, des affaires de châtiments corporels sont mises à jour en dehors du domicile familial (à l’école, dans d’autres institutions ou dans le cadre des diverses formes de protection de remplacement, par exemple), l’ouverture de poursuites est susceptible de constituer une réaction raisonnable[169].
Le Comité souhaite lui aussi que l’article 43 du Code criminel soit abrogé. Dans le monde entier, des pays font actuellement le nécessaire pour interdire les châtiments corporels à la maison et à l’école. Le Comité des droits de l’enfant a constaté qu’en août 2006 plus de 100 pays avaient proscrit les châtiments corporels contre les enfants à l’école et dans le système pénal[170] et qu’au début de 2007, 16 pays européens les avaient expressément bannis en droit et avaient abrogé tous les moyens de défense fondés sur la « correction raisonnable[171] ».
Dans ses Observations finales et son Observation générale sur les châtiments corporels, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies n’a cessé de recommander que les États interdisent toute forme de châtiment corporel, y compris les corrections physiques dans la famille. Pour faciliter la réalisation de cet objectif, il suggère que les États parties lancent des campagnes nationales pour sensibiliser la population aux effets négatifs des punitions corporelles et pour encourager les méthodes d’éducation constructives et non violentes. Dans son Observation générale, le Comité des droits de l’enfant a indiqué :
S’attaquer au problème de la large acceptation ou tolérance à l’égard des châtiments corporels contre les enfants et les éliminer, tant dans la famille qu’à l’école ou dans tout autre contexte, est non seulement une obligation incombant aux États parties en vertu de la Convention, mais aussi un moyen stratégique déterminant sur la voie de la réduction et de la prévention de toutes les formes de violence dans la société […]
En rejetant toute justification de la violence et des humiliations en tant que formes de châtiment à l’encontre des enfants, le Comité ne rejette en rien le concept positif de discipline. Le développement sain des enfants suppose que les parents et les autres adultes concernés fournissent les orientations et les indications nécessaires, en fonction du développement des capacités de l’enfant, afin de contribuer à une croissance les conduisant à une vie responsable dans la société.
Le Comité reconnaît que l’exercice des fonctions parentales et l’administration de soins aux enfants, en particulier aux bébés et aux jeunes enfants, exigent fréquemment des actions et interventions physiques destinées à les protéger mais elles sont très différentes du recours délibéré à la force en vue d’infliger un certain degré de douleur, de désagrément ou d’humiliation à des fins punitives. En tant qu’adultes, nous connaissons par nous‑mêmes la différence entre une action physique de protection et des voies de fait punitives; il n’est pas plus difficile d’établir une distinction en ce qui concerne les actions mettant en jeu des enfants[172].
Dans cette optique, indépendamment de l’abrogation de l’article 43, des témoins ont nettement fait ressortir la nécessité d’éduquer le public et les parents, et entre autres de les sensibiliser à d’autres formes de mesures disciplinaires. Comme l’a dit Brent Parfitt, membre du Comité des droits de l’enfant :
Si le Canada n’est pas prêt à appliquer les recommandations, il devrait au moins faire preuve d'un certain leadership dans le domaine des rapports adéquats entre parents et enfants et trouver une autre solution que les châtiments corporels lorsque l’on parle de la discipline des enfants.
Je crois que le Sénat pourrait appuyer l’éducation parentale, spécialement dans le cadre de l’éducation secondaire, où d’autres solutions que les châtiments sont enseignées. Malheureusement, ou peut-être heureusement, la plupart d’entre nous apprenons l’art d’être parents par nos parents, ce qui peut être une bonne chose ou une mauvaise chose.
Si nos parents faisaient usage du châtiment corporel, il est très probable que nous ayons recours au même type de moyens disciplinaires. On devrait donc apprendre, à l’école, d’autres moyens de faire régner la discipline, au lieu du châtiment corporel[173].
Jim Igliorte, protecteur des enfants et des jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador, a mis en relief la nécessité d’une campagne d’éducation nationale sur les effets dommageables des punitions corporelles et a souligné les bienfaits d’une action disciplinaire constructive exercée à l’égard d’un enfant par tous les adultes en situation d’autorité. Cette campagne pourrait faire ressortir la différence entre une intervention physique qui sert à protéger l’enfant et l’usage délibéré et punitif de la force pour infliger de la douleur, de l’inconfort ou une humiliation.
Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a écrit que « toute stratégie nationale qui tend à l’élimination des châtiments corporels doit comporter […] des mesures à plus long terme visant à influer sur l’opinion publique ainsi qu’à promouvoir des moyens différents et positifs d’entretenir des relations et de communiquer[174] ». Joan Durrant a dit qu’il fallait axer la relation parents-enfants sur l’enseignement et l’orientation plutôt que sur l’exercice du pouvoir et l’usage de sanctions. Dans le même ordre d’idées, le Dr Gilles Julien, pédiatre social et président de la Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale, a indiqué dans son témoignage que les parents doivent apprendre à communiquer aux enfants des règles claires et des balises : « [L]es enfants ont besoin de repères. Ils n’ont pas besoin d’être frappés[175]. » Sensibiliser les parents et leur enseigner de nouvelles formes de relation et de communication peuvent faire naître chez eux une « compréhension […] viscérale[176] » plus profonde de la manière d’aborder les mesures disciplinaires à long terme.
Cette question recueille un large consensus parmi les spécialistes des droits des enfants. Plus de 220 organisations professionnelles ont souscrit à la Déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents[177], qui favorise des méthodes disciplinaires plus constructives. Le but n’est pas de pénaliser les parents, mais de les éduquer et de les soutenir[178]. Jaap Doek a affirmé ce qui suit :
Dans le monde de mes rêves, chaque nouveau parent aurait un examen de compétences parentales à passer, un peu comme doivent s’y prêter les nouveaux conducteurs avant d’être autorisés à rouler sur la voie publique. Bien sûr, c’est impossible. Les gouvernements ont néanmoins un rôle important à jouer dans la promotion de cours de compétences parentales […] Le problème, c’est que ce sont les adultes qui ont le plus le sens des responsabilités qui sont les plus susceptibles d’assister aux cours de compétences parentales, mais ce sont aussi ceux qui sont le moins susceptibles d’être violents à l’endroit de leurs enfants. Il faut trouver des moyens de cibler les parents non réceptifs et de faire participer à ces cours ceux qui sont le plus à risque d’avoir un comportement violent. Mais il faut le faire sans stigmatiser les parents considérés comme étant à risque élevé. C’est là le défi[179].
Et pourtant, des témoins ont dit que la campagne d’éducation devrait cibler plus que les parents. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a fait observer qu’il faudrait mettre au point des orientations claires pour les enseignants et le personnel préscolaire, le personnel des services de santé, les travailleurs sociaux et d’autres professionnels clés concernant leur rôle dans la prévention des châtiments corporels et la manière de réagir à des situations concrètes lorsqu’un enfant est peut-être victime de violence[180].
Le Comité signale donc d’emblée que toute initiative prise dans ce domaine doit avoir l’éducation pour objectif primordial. Cette position a été adoptée par le Comité des droits de l’enfant, dont les membres ont dit au Comité sénatorial que l’éducation du public est encore plus importante que les changements législatifs. Il est clair qu’il faut poursuivre la recherche sur des méthodes disciplinaires différentes et sur les effets des châtiments corporels sur les enfants. Le Comité estime également que le gouvernement fédéral devrait lancer des programmes d’éducation dans le domaine public pour générer un mouvement sociétal contre les châtiments corporels propre à soutenir les familles dans leurs démarches. Comme le fait valoir l’étude charnière sur la violence à l’encontre des enfants publiée récemment par les Nations Unies, qui s’est basée sur la Convention relative aux droits de l’enfant dans ses exposés et ses recommandations, il faudrait élaborer des programmes d’éducation adaptés à la spécificité des sexes pour favoriser de saines relations entre parents et enfants, orienter les parents vers des méthodes disciplinaires et des mesures d’éducation constructives et positives en tenant compte des aptitudes de l’enfant et de l’importance de respecter son point de vue. L’éducation est nécessaire aussi pour éviter que les parents craignent la disparition du moyen de défense fondé sur la correction raisonnable. Le Comité s’inspire de l’avis donné par le Comité des droits de l’enfant dans l’Observation générale qui porte sur les châtiments corporels :
Eu égard à la large acceptation traditionnelle des châtiments corporels, une interdiction ne peut à elle seule suffire à induire le changement nécessaire des attitudes et des pratiques. Une action globale de sensibilisation au droit de l’enfant d’être protégé et aux lois destinées à donner effet à ce droit s’impose […]
En outre, il faut que les États s’attachent à promouvoir systématiquement auprès des parents, des prestataires de soins, des enseignants et des autres personnes travaillant avec les enfants et les familles la nécessité de relations et d’une éducation positives et non violentes. Le Comité souligne que la Convention prescrit l’élimination non seulement des châtiments corporels, mais de tous les châtiments cruels ou dégradants contre les enfants. La Convention n’a pas pour objet de prescrire en détail quel type de relation les parents devraient entretenir avec leurs enfants ou comment ils devraient les orienter. La Convention définit en revanche un corps de principe devant régir les relations des membres de la famille et des enseignants, des prestataires de soins et des autres personnes concernées avec les enfants. Les besoins des enfants en termes de développement doivent être respectés. Les enfants s’inspirent des actes et non des paroles des adultes pour apprendre. Quant les adultes avec lesquels un enfant entretient les relations les plus étroites font usage de violence et de traitements humiliants dans leurs rapports avec cet enfant, ils affichent leur manque de respect pour les droits de l’homme et dispensent un enseignement aussi nocif que dangereux à l’enfant en lui donnant à penser qu’il s’agit de moyens légitimes à mettre en œuvre pour tenter de régler un conflit ou d’obtenir un changement de comportement[181].
À la lumière de ces réflexions, le Comité reprend les propos de Paulo Sérgio Pinheiro, l’expert indépendant qui a dirigé l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants :
L’une des hypothèses de base de la Convention relative aux droits de l’enfant, figurant dans le préambule, est que la famille constitue le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants, et est par conséquent l’unité la mieux à même de protéger l’enfant et d’assurer sa sécurité physique et affective. L’intimité et l’autonomie de la famille sont chéries dans toutes les sociétés et le droit à une vie privée et à une vie de famille, à un foyer et à la correspondance est garanti dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. C’est peut-être dans le contexte de la famille, considérée par la plupart comme la plus « privée » des sphères privées, qu’éliminer et combattre la violence dont sont victimes les enfants s’avèrent le plus difficile. Le droit des enfants à la vie, à la survie, au développement, à la dignité et à l’intégrité physique ne s’arrête toutefois pas au seuil du domicile familial et les États ont l’obligation de protéger ce droit au sein des foyers[182].
RECOMMANDATION 2
En vertu des articles 19 et 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour éliminer les châtiments corporels au Canada, notamment les suivantes :
- le lancement immédiat d’une vaste campagne d’éducation destinée au public et aux parents sur les effets négatifs des châtiments corporels et sur la nécessité d’une meilleure communication entre parents et enfants grâce à des méthodes disciplinaires différentes;
- des recherches devant être entreprises par le ministère de la Santé sur des méthodes disciplinaires différentes et sur les effets des châtiments corporels sur les enfants;
- l’abrogation de l’article 43 du Code criminel d’ici avril 2009;
- une analyse devant être menée par le ministère de la Justice afin de déterminer si les moyens de défense existants de la common law, comme ceux fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis, doivent être expressément accessibles aux personnes accusées d’agression contre un enfant.
C. ARTICLE 19 : INTIMIDATION
L’intimidation est une forme de violence contre les enfants qui préoccupe sérieusement les personnes qui ont comparu devant le Comité dans le contexte des droits des enfants et du respect par le Canada de l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant. L’intimidation revêt des formes diverses. Le plus souvent, on l’associe à une agression physique ou verbale commise à l’endroit d’un enfant par d’autres enfants. Pourtant, elle peut prendre de nombreuses autres formes plus subtiles, telles que des comportements sexuels déplacés, des insultes, du commérage et de l’exclusion sociale.
Faye Mishna, de l’Université de Toronto, a fourni au Comité des données statistiques sur l’intimidation au Canada. Elle a dit qu’entre 10 et 30 p. 100 des enfants sondés au Canada avaient été victimes d’intimidation à l’école au moins une partie du temps et que, selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé, les jeunes Canadiens avaient un taux de victimisation plus élevé que la moyenne internationale sous différents aspects[183].
Mme Mishna a aussi parlé des différences entre les garçons et les filles dans les pratiques d’intimidation. Les garçons sont plus susceptibles de se faire intimider et victimiser avec des tactiques d’intimidation stéréotypées et traditionnelles. Si les garçons sont davantage victimes d’agressions physiques directes, les filles, en revanche, subissent plutôt des agressions indirectes, comme l’exclusion sociale et le commérage. Il importe de prendre en compte ces différences dans les études sur le sujet. Mme Mishna a aussi fait remarquer que l’intimidation est particulièrement préoccupante pour les groupes d’enfants déjà marginalisés ou vulnérables. Elle résulte souvent de l’intolérance envers les autres, fondée sur l’appartenance apparente à un groupe défini par l’orientation sexuelle, le statut socioéconomique, l’ethnie ou un handicap.
Différents témoins ont fait part au Comité de l’évolution des formes d’intimidation dans la société d’aujourd’hui. Mme Mishna a signalé qu’Internet et les autres nouvelles technologies électroniques, telles que le téléphone cellulaire et la webcaméra, ont remplacé les cours d’école pour les nouvelles formes d’intimidation que sont par exemple le harcèlement, notamment sexuel, et la pornographie. Le caractère anonyme d’Internet rend cette forme d’intimidation particulièrement inquiétante. Dans un mémoire présenté au Comité, Mme Mishna a fait état de statistiques qui révèlent que 46 p. 100 des enfants et des jeunes sondés au Canada ont fait l’objet d’avances sexuelles non sollicitées et de propos à caractère sexuel déplacés dans les salons de clavardage, que 43 p. 100 ont été abordés sur Internet par quelqu’un qui cherchait à obtenir des renseignements personnels et que 25 p. 100 de ceux qui utilisaient Internet ont reçu des courriels haineux.
Souvent, les enfants victimes d’intimidation n’en parlent pas, ce qui peut leur être très préjudiciable. Mme Mishna a dit au Comité que beaucoup d’enfants évitent de demander l’aide des adultes de peur de ne pas être pris au sérieux. De nombreux adultes, en effet, n’assimilent pas certains comportements à de l’intimidation et ne pensent pas que la question est suffisamment sérieuse pour mériter leur attention. Il arrive que les enfants se taisent parce qu’ils ne réalisent pas qu’ils sont victimes, parce qu’ils craignent les représailles ou parce qu’ils ont honte de la situation ou s’en attribuent eux-mêmes la faute. Résultat, les inquiétudes sont tues, ce qui banalise l’intimidation dans la vie des enfants. Les conséquences en sont lourdes au chapitre du cheminement scolaire et social, du développement psychologique et affectif et de la santé physique. Selon Mme Mishna, les enfants qui intimident et les victimes finissent souvent parmi la clientèle du système de justice pour les jeunes, des établissements de santé mentale, des services d’éducation spécialisée et des services sociaux. Un élève qui a témoigné devant le Comité à Toronto a insisté sur les effets insidieux de l’intimidation, disant que « ce traumatisme influera sur [l]a vie [de l’enfant]. S’il ne peut pas confronter la personne qui l’a intimidé, il s’en prendra aux membres de sa famille ou à quelqu’un qui ne se défend pas, et c’est le début d’un cercle vicieux qui doit vraiment être brisé[184] ».
Des témoins ont déploré que le Canada n’honore pas les obligations que la Convention relative aux droits de l’enfant lui impose dans ce domaine. Dans l’étude sur la santé des jeunes de l’Organisation mondiale de la santé, le Canada s’est classé au 26e et au 27e rang, sur 35 pays, au chapitre des mesures prises contre l’intimidation et la victimisation. De nombreux pays mettent sur pied des campagnes nationales contre l’intimidation, ce qui n’est pas encore le cas du Canada, a indiqué Mme Mishna. Celle-ci a informé le Comité au sujet de PREVNet (Promotion des relations et élimination de la violence), nouvelle initiative du Réseau des centres d’excellence, qui travaille actuellement à élaborer une stratégie nationale sur l’intimidation et la victimisation des enfants et des jeunes.
Des témoins ont signalé que plusieurs solutions sont possibles. L’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants a recommandé aux États :
De prévenir et de réduire la violence à l’école à l’aide de programmes spéciaux qui concernent l’ensemble de l’environnement scolaire, notamment en encourageant la création de compétences comme l’adoption de méthodes non violentes pour résoudre les conflits, en appliquant des politiques de lutte contre les brimades et en favorisant le respect de tous les membres de la communauté scolaire[185];
Mme Mishna a également mis en lumière la nécessité de mieux éduquer les enseignants et les parents concernant la victimisation aux mains d’autres enfants et les stratégies d’intervention. Le Comité fait écho à ces préoccupations en affirmant qu’une stratégie nationale s’impose pour combattre l’intimidation au Canada et pour amener notre pays à observer plus scrupuleusement la Convention. Cette stratégie devrait inclure une campagne nationale visant à éduquer les enfants, les parents et les enseignants au sujet de l’intimidation, à favoriser le règlement des conflits et à préconiser des moyens d’intervention efficaces.
RECOMMANDATION 3
En vertu de l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le
gouvernement fédéral mette en œuvre au Canada une stratégie nationale de lutte
contre l’intimidation qui prévoit une campagne d’éducation nationale organisée
en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et visant à
éduquer les enfants, les parents, les enseignants et d’autres personnes au
sujet de l’intimidation, à favoriser le règlement des conflits et à préconiser
des moyens d’intervention efficaces.
D. ARTICLE 38 ET PROTOCOLE FACULTATIF : PARTICIPATION D’ENFANTS AUX CONFLITS ARMÉS
Le Canada a ratifié le Protocole facultatif concernant la participation d’enfants aux conflits armés en juillet 2000, en joignant au document un exposé explicatif précisant que le Canada autorise le recrutement volontaire à 16 ans et décrivant les circonstances applicables[186]. Les personnes de moins de 18 ans doivent présenter des documents faisant foi de leur âge et du consentement des parents ou du tuteur, qui doit connaître et comprendre à fond les droits de l’enfant à cet égard. Avant de s’enrôler, elles doivent aussi regarder une vidéo d’information et lire des brochures pour être pleinement informées de ce qu’implique le recrutement. Les personnes de 16 ans peuvent seulement s’inscrire au collège militaire ou s’enrôler dans les réserves. Une fois recrutées, les personnes de moins de 18 ans peuvent quitter l’armée n’importe quand sans pénalité. En outre, la Loi sur la défense nationale du Canada a été modifiée de façon à préciser que les personnes de moins de 18 ans ne peuvent pas être déployées sur un théâtre d’hostilités.
Des témoins se sont dits mécontents du fait que le Canada autorise le recrutement volontaire en plus bas âge que dans beaucoup d’autres pays industrialisés. Ils ont affirmé que le Canada ne devrait pas permettre le recrutement à 16 ans et qu’il devrait relever l’âge du recrutement dans les Forces armées canadiennes et retirer l’exposé explicatif qui accompagne le Protocole facultatif. La Coalition canadienne pour les droits des enfants a déploré que l’armée cible de plus en plus les jeunes (de 16 à 34 ans) dans ses programmes de recrutement[187], et Kathy Vandergrift a signalé que les jeunes de moins de 18 ans reçoivent un entraînement militaire complet même s’ils ne sont pas envoyés sur un théâtre d’hostilités. Les professeurs Schabas et Driedger ont fait état des conséquences du recrutement de mineurs dans l’armée en disant qu’il faut les encourager à terminer leurs études secondaires plutôt qu’à s’enrôler prématurément.
Dans ses Observations finales concernant le Protocole facultatif, le Comité des droits de l’enfant exprime certaines des mêmes préoccupations et réprimande le Canada pour n’avoir pas donné la priorité aux plus âgés dans le processus de recrutement.
Le Comité note avec satisfaction que selon le paragraphe 3 de l’article 20 de la loi sur la défense nationale, l’engagement dans les forces régulières ou de réserve canadiennes d’une personne âgée de 16 à 18 ans est subordonné au consentement de son père, sa mère ou son tuteur, conformément à l’article 3 b) du Protocole. Il est néanmoins préoccupé, eu égard au paragraphe 3 de l’article 38 de la Convention, par le fait qu’aucune mesure n’a été prise pour accorder la priorité aux plus âgés dans les procédures de recrutement.
Le Comité recommande à l’État partie de donner la priorité aux plus âgés dans les procédures de recrutement volontaire et d’envisager de relever l’âge de l’engagement volontaire.
Le Comité invite l’État partie à donner des renseignements complémentaires sur le statut des enfants qui fréquentent le Collège militaire royal du Canada, en précisant notamment si ces enfants sont considérés comme de simples étudiants civils d’une école militaire ou déjà comme des recrues militaires[188].
Le Comité est sensible à ces préoccupations et réitère sans équivoque l’opinion exprimée par un certain nombre de témoins, à savoir que, pour en venir à respecter en tous points la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada devrait retirer l’exposé explicatif qu’il a joint au Protocole facultatif, de façon que l’armée ne puisse pas recruter des personnes de moins de 18 ans. Le Comité insiste non seulement sur la nécessité de respecter la Convention et d’encourager les jeunes à poursuivre leurs études, mais aussi sur le fait qu’il existe d’autres solutions. Tout en reconnaissant que la Loi sur la défense nationale interdit l’envoi de personnes de moins de 18 ans dans un théâtre d’hostilités, le Comité constate que les mineurs recrutés dans l’armée reçoivent tout de même un entraînement militaire complet. Il juge cette situation inacceptable. Comme l’a indiqué Kathy Vandergrift, d’autres solutions consisteraient par exemple à permettre aux moins de 18 ans de suivre une formation en consolidation de la paix et en d’autres domaines qui, sans aller jusqu’à l’entraînement militaire, leur ferait acquérir des compétences utiles pour une future carrière.
Faisant écho à une recommandation de Kathy Vandergrift, le Comité note le manque de données statistiques sur le nombre de jeunes de 16 et 17 ans enrôlés dans l’armée. Les Forces armées canadiennes tiennent actuellement des statistiques sur les recrues de 16 à 19 ans, mais qui ne sont pas ventilées selon l’âge, de sorte que le gouvernement fédéral n’est pas en mesure de vérifier s’il se conforme aux obligations internationales énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant et le Protocole facultatif. Tant qu’elles compteront dans leurs rangs des jeunes de moins de 18 ans, les Forces armées canadiennes devraient établir des statistiques sur le nombre de recrues de 16 et 17 ans.
Le Comité tient à souligner le rôle important de chef de file que joue le Canada au niveau international dans la protection des droits de la personne et des droits des enfants. En permettant que des mineurs soient recrutés dans l’armée, le Canada laisse entendre au reste du monde qu’il n’attache pas une importance primordiale à cette question et que les distinctions entre le recrutement et l’engagement militaire peuvent être floues. Le Comité trouve ce message inacceptable. Lorsque les distinctions sont floues, des erreurs peuvent se produire. Tout récemment, le gouvernement britannique a découvert qu’il avait envoyé par inadvertance 15 recrues de moins de 18 ans en Irak[189]. Le Comité exhorte le gouvernement fédéral à se conformer en tous points à la Convention relative aux droits de l’enfant à cet égard de façon que le Canada puisse demeurer un chef de file au niveau international.
RECOMMANDATION 4
En vertu de l’article 38 de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Protocole facultatif concernant la participation d’enfants aux conflits armés, le Comité recommande que les Forces canadiennes :
- créent une base de données permettant d’établir des statistiques sur le recrutement et la participation des personnes de moins de 18 ans dans les Forces canadiennes;
- rendent publiques leurs politiques de recrutement relatives aux personnes de moins de 18 ans;
- examinent et évaluent leurs pratiques de recrutement afin de s’assurer qu’elles respectent intégralement la Convention et que la priorité est accordée aux personnes de 18 ans et plus dans le cadre du processus de recrutement;
- fassent rapport au Comité en juillet 2009 au sujet des politiques de recrutement et du respect de la Convention.
RECOMMANDATION 5
Le Comité recommande que le gouvernement fédéral donne suite à l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants et informe la communauté internationale, le Parlement et la population canadienne de ce qu’il fait pour combattre la violence à l’endroit des enfants et de ce qu’il compte faire pour améliorer ses politiques et faire en sorte que le Canada se conforme à la Convention relative aux droits de l’enfant.
Chapitre 7 - Articles 19, 32 et 34 à 36 et Protocole facultatif : Exploitation des enfants
Chapitre 7 - Articles 19, 32 et 34 à 36 et Protocole facultatif : Exploitation des enfants
A. INTRODUCTION
L’exploitation est un terme général qui englobe de nombreuses violations des droits de l’enfant. À titre d’exemple, l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant, examiné au chapitre précédent, porte sur la violence et l’exploitation. L’article 36 vise l’exploitation dans un sens plus global.
Art. 36 Les États parties protègent l’enfant contre toutes autres formes d’exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être.
Le présent chapitre traite de l’exploitation sexuelle et de l’exploitation économique, deux questions particulièrement préoccupantes pour les personnes qui ont comparu devant le Comité.
L’article 32 de la Convention a trait à l’exploitation économique et au travail des enfants :
Par. 32(1) Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social.
(2) Les États parties prennent des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives pour assurer l’application du présent article. À cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des autres instruments internationaux, les États parties, en particulier :
a) Fixent un âge minimum ou des âges minimums d’admission à l’emploi;
b) Prévoient une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d’emploi;
c) Prévoient des peines ou autres sanctions appropriées pour assurer l’application effective du présent article.
Cette disposition va de pair avec la Convention no 138 de l’Organisation internationale du travail sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, mentionnée au chapitre 2, qui fixe de façon générale à 15 ans l’âge minimum pour occuper un emploi :
Art. 1 Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à poursuivre une politique nationale visant à assurer l’abolition effective du travail des enfants et à élever progressivement l’âge minimum d’admission à l’emploi ou au travail à un niveau permettant aux adolescents d’atteindre le plus complet développement physique et mental.
Par. 2(1) Tout Membre qui ratifie la présente convention devra spécifier, dans une déclaration annexée à sa ratification, un âge minimum d'admission à l’emploi ou au travail sur son territoire et dans les moyens de transport immatriculés sur son territoire; sous réserve des dispositions des articles 4 à 8 de la présente convention, aucune personne d'un âge inférieur à ce minimum ne devra être admise à l’emploi ou au travail dans une profession quelconque.
(2) Tout Membre ayant ratifié la présente convention pourra, par la suite, informer le Directeur général du Bureau international du Travail, par de nouvelles déclarations, qu’il relève l’âge minimum spécifié précédemment.
(3) L’âge minimum spécifié conformément au paragraphe 1 du présent article ne devra pas être inférieur à l’âge auquel cesse la scolarité obligatoire, ni en tout cas à quinze ans.
Les articles 34 et 35 de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur l’exploitation sexuelle et la traite des enfants (la question de la traite sera étudiée plus en détail au chapitre 11).
Art. 34 Les États parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle. À cette fin, les États prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher:
a) Que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale;
b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales;
c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique.
Art. 35 Les États parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.
Toutes les dispositions citées plus haut sont appuyées par le Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, qui élargit la protection accordée aux enfants dans les articles de la Convention qui visent les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger, l’adoption, l’exploitation économique et la traite des enfants.
B. ARTICLES 34 À 36 ET PROTOCOLE FACULTATIF : EXPLOITATION SEXUELLE
Quoiqu’il n’ait pas obtenu des témoins une grande quantité d’informations sur le recours à la Convention relative aux droits de l’enfant en ce qui concerne l’exploitation sexuelle, le Comité reconnaît que la question est importante. La pornographie infantile, l’exploitation sexuelle sur Internet, l’exploitation sexuelle à des fins commerciales et les agressions sexuelles ont souvent été abordées au cours des audiences, mais rarement examinées à fond. Le Comité des droits de l’enfant s’est intéressé à l’exploitation sexuelle dans ses dernières Observations finales :
Le Comité se félicite du rôle que joue le Canada sur la scène nationale et internationale pour ce qui est de promouvoir la sensibilisation au phénomène de l’exploitation sexuelle et de lutter contre ce phénomène, et prend acte notamment de l’adoption en 1997 d’amendements au Code pénal (projet de loi C‑27) et du dépôt en 2002 du projet de loi C‑15A, visant à faciliter l’appréhension des personnes sollicitant les services d’enfants victimes d’exploitation sexuelle et les poursuites contre ces personnes, et devant permettre notamment de poursuivre au Canada tout ressortissant canadien pour un acte d’exploitation sexuelle sur enfant commis à l’étranger. Le Comité est en revanche préoccupé par la vulnérabilité des enfants des rues et en particulier des enfants autochtones. Ceux-ci sont surreprésentés dans le commerce sexuel, qui leur apparaît comme un moyen de survie. Le Comité s’inquiète aussi de l’accroissement du nombre des femmes et des enfants étrangers faisant l’objet de la traite qui entrent sur le sol canadien.
Le Comité recommande à l’État partie d’améliorer encore la protection et l’assistance fournies aux victimes d’exploitation sexuelle et de traite, y compris sur le plan de la prévention, de la réinsertion sociale, de l’accès aux soins de santé et à une assistance psychologique, toutes mesures qui doivent être prises dans le respect des spécificités culturelles et de manière coordonnée, ce qui passe notamment par une coopération plus étroite avec les organisations non gouvernementales et les pays d’origine[190].
Le rapport final de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants[191] fait ressortir le problème de l’exploitation sexuelle et ses conséquences; il indique que les victimes sont plus susceptibles de faire des fugues, ce qui les rend encore plus vulnérables à l’exploitation sexuelle dans la rue. Dans son récent rapport, le Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes signale que la première expérience de prostitution chez beaucoup de personnes se situe entre 14 et 18 ans[192].
Internet et les nouvelles technologies électroniques sont aussi une grande source de préoccupation. Les chiffres communiqués par Faye Mishna, de l’Université de Toronto, et cités dans le chapitre précédent sont particulièrement révélateurs. Mme Mishna a indiqué qu’Internet facilite la distribution de matériel de pornographie infantile, et qu’en outre 46 p. 100 des enfants et des jeunes sondés au Canada avaient fait l’objet d’avances sexuelles non sollicitées et de propos à caractère sexuel déplacés dans les salons de clavardage. Le Comité s’intéresse énormément aux initiatives qui ont pour objet de combattre l’exploitation sexuelle pratiquée sur Internet et au moyen des téléphones cellulaires, car ces technologies sont de plus en plus accessibles aux jeunes et l’imposition de limites et de restrictions est difficile.
L’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants a également mis en lumière le nombre beaucoup plus élevé de filles que de garçons exploités sexuellement. Confirmant l’information donnée par Marilyn Hedlund, de la Division des services à l’enfance et à la famille du gouvernement de la Saskatchewan, et Angela Cameron, du FREDA Centre for Research on Violence against Women and Children, le rapport de l’ONU signale que la majorité des enfants exploités sexuellement, notamment à des fins commerciales, et victimes de violence sexuelle sont des filles. Sudabeh Mashkuri, du Metro Action Committee on Violence Against Women and Children, a, dans un mémoire présenté au Comité, fourni des statistiques montrant qu’au Canada les filles subissent en général plus d’agressions sexuelles et physiques commises par des membres de la famille que les garçons et risquent quatre fois plus d’être violentées sexuellement. Des statistiques révèlent que les filles sont les victimes dans huit agressions sexuelles sur dix commises par des membres de la famille contre des enfants ou des jeunes[193].
La Convention relative aux droits de l’enfant consacre plusieurs articles et un protocole facultatif au problème de l’exploitation sexuelle. Comme il s’agit de toute évidence d’un problème grave, le Comité estime qu’il faudrait une action plus poussée pour renforcer la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle au Canada. D’abord, le Comité tient à souligner la Stratégie nationale pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle sur Internet, qui vise à : accroître la capacité des services de police dans ce domaine; informer et sensibiliser le public pour éviter de faire des victimes; et favoriser la création de partenariats avec le milieu de l’apprentissage en ligne, le secteur privé et les autres ordres de gouvernement pour établir des stratégies efficaces de sensibilisation et d’éducation du public et de prévention du crime. Le Comité constate tout particulièrement le bon travail effectué par Cyberaide.ca, site servant à dénoncer l’exploitation sexuelle des enfants qui a été lancé dans l’ensemble du pays en janvier 2005. Suivant l’orientation de la Stratégie nationale, ainsi que les commentaires sur la prostitution faits par le Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le Comité demande au gouvernement fédéral d’établir une stratégie nationale visant expressément à combattre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
RECOMMANDATION 6
En vertu des articles 34 à 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore et mette en œuvre une stratégie pour combattre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, qui traite des questions suivantes :
- les prédateurs qui créent une demande pour l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les entreprises et les réseaux fondés sur l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les nouvelles technologies et leurs incidences sur la pornographie juvénile et l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales;
- les secteurs problématiques pour ce qui est du rôle joué par les enfants dans l’industrie de la mode, le milieu de la commercialisation, les médias et l’industrie des voyages et du tourisme.
C. ARTICLES 32 ET 36 : EXPLOITATION ÉCONOMIQUE
Comme mentionné précédemment, le Canada n’a pas encore ratifié une des deux conventions fondamentales sur le travail des enfants : la Convention no 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi. Bien que le Canada demeure respectueux en général des principes énoncés dans cette convention, des témoins du Bureau international du travail et du Congrès du travail du Canada ont dit que l’absence de ratification donne une mauvaise réputation au Canada aux yeux des 147 autres États parties[194].
Le Comité des droits de l’enfant formule la même critique dans ses Observations finales :
Le Comité note avec une grande satisfaction que le Canada a dégagé des ressources pour travailler à l’échelon international à l’élimination de l’exploitation économique des enfants. Il regrette toutefois le manque d’informations fournies dans le rapport de l’État partie sur la situation en la matière sur son propre territoire. Il est en outre préoccupé de ce que le Canada n’ait pas ratifié la Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi et constate avec inquiétude que des enfants de moins de 13 ans participent à l’activité économique.
Le Comité recommande à l’État partie de ratifier la Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi et de prendre les mesures nécessaires à son application effective. Il encourage en outre l’État partie à entreprendre des recherches de visée nationale afin de procéder à une évaluation complète de l’ampleur du problème du travail des enfants et de prendre, le cas échéant, des mesures pour prévenir efficacement l’exploitation d’enfants par le travail au Canada[195].
Le gouvernement fédéral n’arrive pas à ratifier la Convention parce que chaque province a compétence pour fixer son propre âge minimum. Actuellement, certaines provinces enfreignent l’âge limite prévu par la Convention no 138. Ainsi, l’Alberta fixe l’âge minimum à 12 ans (avant d’occuper un emploi, l’enfant doit obtenir la permission de ses parents et du directeur des Normes d’emploi)[196]. Quelques provinces ne veulent pas se mêler de la participation des enfants au travail sur la ferme familiale.
Invoquant à l’appui de ses arguments les obligations du Canada énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention no 138, Barbara Byers, du Congrès du travail du Canada, a dit se préoccuper des enfants qui sont sur le marché du travail, non pas parce qu’ils ne devraient jamais être autorisés à exercer un emploi avant 15 ans, mais en raison des problèmes liés à la fréquentation scolaire, aux blessures et à l’exploitation. Elle déplore le sort des enfants qui doivent manquer l’école pour travailler et le nombre d’accidents qui impliquent des enfants dans les fermes et les autres lieux de travail. Dans un article de Law Now, Linda McKay‑Panos cite un rapport de Statistique Canada selon lequel les jeunes qui travaillent plus de 30 heures par semaine sont 2,4 fois plus susceptibles d’abandonner l’école avant d’obtenir leur diplôme. Elle ajoute qu’entre 2000 et 2004, 12 personnes de 12 à 19 ans sont mortes au travail en Alberta. Elle fait aussi état d’un rapport du gouvernement de l’Alberta selon lequel les jeunes travailleurs (entre 15 et 24 ans) sont plus susceptibles de se faire blesser dans leur emploi que les travailleurs plus âgés parce qu’ils n’ont pas les habiletés nécessaires pour faire fonctionner l’équipement. Un sondage réalisé en 2005 auprès d’étudiants de la Colombie-Britannique a révélé que le cinquième d’entre eux avaient déclaré s’être blessés au travail[197].
Barbara Byers a dit au Comité qu’un des grands problèmes posés par le travail est le fait que les enfants connaissent rarement les lois et les règlements, ou leurs droits, et sont incapables de déterminer dans quels cas un employeur agit équitablement. Ainsi, les jeunes travailleurs ne savent pas nécessairement dans quels cas ils ont droit à des pauses ou à un salaire. Ils ne connaissent pas nécessairement, non plus, leur droit de travailler sans subir de harcèlement sexuel. Mme Byers a signalé que certains jeunes sont même blâmés pour des accidents qui se produisent au travail et qu’ils peuvent se faire congédier s’ils tentent de défendre leurs droits.
Le Comité sait que le gouvernement fédéral n’a pas la compétence pour demander aux provinces de modifier leurs lois sur l’âge d’emploi minimum. Toutefois, pour assurer la protection des droits des enfants au Canada, le gouvernement fédéral devrait entreprendre un dialogue suivi avec les provinces et les territoires au sujet du travail des enfants. Ensemble, ils pourraient examiner en détail la raison d’être de la Convention no 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et les raisons pour lesquelles certaines provinces veulent un âge plus bas. Ils devraient aussi étudier les problèmes concernant la fréquentation scolaire, les blessures au travail et les normes d’emploi. Comme l’ont indiqué également Barbara Byers et les représentants du Bureau international du travail, le Comité ne veut pas empêcher les enfants de travailler sur la ferme familiale ou de garder des enfants plus jeunes. L’acquisition d’une expérience de travail est enrichissante pour eux. Le Comité entretient cependant de sérieuses réserves sur les conditions de travail et juge nécessaire que les enfants aient la possibilité d’obtenir leur diplôme d’études secondaires avant de s’intégrer pour de bon au marché du travail. Les droits et l’intérêt supérieur des enfants devraient guider toutes les initiatives prises dans ce domaine.
RECOMMANDATION 7
En vertu des articles 32 et 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires ainsi que les parents veillent à ce que les enfants qui travaillent le fassent dans des conditions sécuritaires, reçoivent de l’information sur leurs droits et soient encouragés à poursuivre leurs études.
Chapitre 8 - Articles 37 et 40 : Enfants en conflit avec la loi
Chapitre 8 - Articles 37 et 40 : Enfants en conflit avec la loi
A. INTRODUCTION
La justice applicable aux adolescents et la détention des mineurs sont des questions d’actualité au Canada et dans le monde. Des gouvernements de pays industrialisés tentent tant bien que mal d’adopter de nouvelles mesures législatives pour réprimer la criminalité chez les jeunes et assurer leur réadaptation.
Les articles 37 et 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant visent les enfants en conflit avec la loi. Voici l’article 37 :
Art. 37 Les États parties veillent à ce que :
a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans;
b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible;
c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles;
d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière.
Cet article vise à ce qu’aucun enfant ne soit privé de sa liberté arbitrairement ou illégalement et à ce qu’un enfant en détention ait le droit d’avoir accès rapidement à une aide juridique ou autre et le droit de contester la légalité de sa détention. Il affirme que les États ne doivent priver un enfant de sa liberté qu’en dernier ressort et pendant une période aussi brève que possible. Les enfants ne peuvent jamais être condamnés à la peine capitale ou à l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ou de mise en liberté sous condition. Enfin, l’article 37 exige que les enfants en détention soient séparés des adultes sauf s’il est jugé bon de ne pas le faire dans leur intérêt supérieur. Toutefois, comme indiqué au chapitre 4, le Canada a ajouté cette clause de réserve à l’alinéa 37c) :
Le gouvernement du Canada accepte les principes généraux prévus à l’alinéa 37c) de la Convention, mais se réserve le droit de ne pas séparer les enfants des adultes dans les cas où il n’est pas possible ou approprié de le faire.
Des témoins ont dit que le gouvernement avait adopté cette clause de réserve pour se donner une marge de manœuvre dans les localités éloignées du Nord, pour éviter la situation où un enfant qui atteint l’âge de 18 ans pendant sa peine d’emprisonnement doive tout à coup être transféré dans un établissement pour adultes, et aussi pour apaiser les craintes quant à l’incarcération d’enfants avec de jeunes délinquants dangereux.
L’article 40 de la Convention encourage les États parties à appliquer des solutions de rechange aux peines traditionnelles et à éviter la détention des mineurs sauf si la réadaptation ne peut se faire sans une peine d’emprisonnement. Il énonce aussi les droits et garanties nécessaires à un juste procès et requiert l’établissement d’un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale.
Art. 40(1) Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.
(2) À cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des instruments internationaux, les États parties veillent en particulier :
a) À ce qu’aucun enfant ne soit suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale en raison d’actions ou d’omissions qui n’étaient pas interdites par le droit national ou international au moment où elles ont été commises;
b) À ce que tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit aux garanties suivantes :
i) Être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie;
ii) Être informé dans le plus court délai et directement des accusations portées contre lui, ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de ses parents ou représentants légaux, et bénéficier d'une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense;
iii) Que sa cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable aux termes de la loi, en présence de son conseil juridique ou autre et, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux;
iv) Ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable; interroger ou faire interroger les témoins à charge, et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans des conditions d’égalité;
v) S’il est reconnu avoir enfreint la loi pénale, faire appel de cette décision et de toute mesure arrêtée en conséquence devant une autorité ou une instance judiciaire supérieure compétentes, indépendantes et impartiales, conformément à la loi;
vi) Se faire assister gratuitement d'un interprète s’il ne comprend ou ne parle pas la langue utilisée;
vii) Que sa vie privée soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure.
3) Les États parties s'efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale, et en particulier :
a) D’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale;
b) De prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire, étant cependant entendu que les droits de l'homme et les garanties légales doivent être pleinement respectés.
4) Toute une gamme de dispositions, relatives notamment aux soins, à l’orientation et à la supervision, aux conseils, à la probation, au placement familial, aux programmes d'éducation générale et professionnelle et aux solutions autres qu'institutionnelles seront prévues en vue d'assurer aux enfants un traitement conforme à leur bien-être et proportionné à leur situation et à l’infraction.
En définitive, la Convention relative aux droits de l’enfant exige des États parties qu’ils élaborent et mettent en œuvre une politique complète d’application de la justice pour les jeunes et les encourage à établir un système de justice spécialisé dont l’objectif suprême est la réintégration sociale des enfants. La politique d’application de la justice pour les jeunes devrait porter sur la prévention de la délinquance; les interventions sans recours à la procédure judiciaire et les interventions dans le contexte de la procédure judiciaire; l’âge minimum de la responsabilité criminelle et l’âge maximum applicable à la justice pour les jeunes; les garanties d’un procès équitable; la privation de liberté, y compris la détention avant le procès et l’incarcération après le procès[198].
B. TAUX DE DÉTENTION DES JEUNES AU CANADA
Le Canadien moyen pourrait penser que la détention des jeunes dans son pays ne suscite pas d’inquiétudes; en fait, le Comité a pris connaissance de faits qui révèlent clairement que cette question préoccupe grandement les défenseurs des droits des enfants. Des témoins ont informé le Comité que le pourcentage d’enfants en détention au Canada est supérieur à celui de la plupart des autres pays démocratiques et industrialisés et que les enfants appartenant aux minorités ethniques et aux communautés autochtones y sont représentés de façon disproportionnée[199].
L’entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents[200] en 2003 avait pour objet de diminuer le taux de détention des jeunes. Cette loi, qui a remplacé la Loi sur les jeunes contrevenants, vise à ce que le tribunal n’impose un placement sous garde que si l’adolescent a commis une infraction avec violence; n’a pas respecté les peines ne comportant pas de placement sous garde qui lui ont déjà été imposées; a commis un acte criminel pour lequel un adulte est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans; ou, dans des cas exceptionnels, a commis un acte criminel, et l’imposition d’une peine autre que le placement sous garde enfreindrait les objectifs et principes de la Loi en matière de détermination de la peine.
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, le nombre de jeunes de 12 à 17 ans placés sous garde (en milieu fermé, en milieu ouvert ou en détention provisoire) est passé de 25 000 en 1999-2000 à 17 100 en 2003-2004. Le taux d’incarcération (taux quotidien moyen de jeunes sous garde par tranche de 10 000 jeunes) se situait à 8,8 p. 100 en 2003, ce qui représentait une baisse de 55 p. 100 par rapport à 1994-1995. Le nombre de jeunes placés en milieu fermé est en baisse lui aussi : il a diminué de 43 p. 100 entre 2002-2003 et 2003-2004. Enfin, le taux de détention après condamnation représenté par les adolescentes est passé de 16 p. 100 à 13 p. 100 entre 1999‑2000 et 2003‑2004[201].
Cependant, toutes les statistiques ne sont pas positives. La proportion des jeunes autochtones admis en détention après condamnation a augmenté de 2002‑2003 à 2003‑2004, passant de 22 p. 100 à 28 p. 100 du total des jeunes admis en détention après condamnation chez les garçons et de 28 p. 100 à 35 p. 100 chez les filles[202]. Non seulement le pourcentage plus élevé d’adolescentes autochtones est notable, mais il ne faut pas perdre de vue que, selon des témoignages présentés devant le Comité, 5 p. 100 seulement de la population totale de jeunes au Canada est composée d’Autochtones. Le nombre de jeunes autochtones placés sous garde, et surtout d’adolescentes autochtones, est particulièrement élevé[203]. Il reste qu’en dépit des améliorations, le Canada continue d’avoir un taux de détention plus élevé que la plupart des autres pays industrialisés et, de ce fait, manque clairement aux obligations que lui impose la Convention relative aux droits de l’enfant.
Les pourcentages sont plus élevés dans certaines provinces que dans d’autres. Le Comité a cherché à se renseigner sur les jeunes en conflit avec la loi en Saskatchewan, car on lui avait signalé qu’en juin 2004 cette province avait le plus haut taux de procédures intentées devant les tribunaux pour adolescents au Canada et le taux le plus élevé d’incarcération des jeunes. La proportion de jeunes qui ont fait l’objet d’accusations en Saskatchewan est plus de deux fois supérieure à celle du Canada. Une étude publiée par Statistique Canada en décembre 2005 a révélé que le nombre de jeunes en détention après condamnation a diminué dans tout le Canada et que c’est la Saskatchewan qui a enregistré la baisse la plus marquée (-24 p. 100)[204]. Kearney Healy, avocat, a informé le Comité que de 75 à 80 p. 100 des jeunes placés sous garde en Saskatchewan ont un handicap, et le gouvernement de cette province a dit que 75 p. 100 des jeunes placés sous garde sont Autochtones, alors que seulement 14 p. 100 des jeunes de la province sont Autochtones[205].
Des témoins comme William Schabas, du Irish Centre for Human Rights, se sont dits mécontents du fait que le Canada viole la Convention par son taux élevé de détention des jeunes. Dans ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant a indiqué ce qui suit :
Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption en avril 2003 d’une nouvelle législation. Il se félicite des initiatives de prévention de la criminalité et des alternatives aux procédures judiciaires. Il n’en reste pas moins préoccupé de ce que des condamnations pour adultes sont fréquemment imposées à des enfants dès l’âge de 14 ans; de ce que le nombre de jeunes en détention figure parmi les plus élevés des pays industrialisés; de ce que le placement de délinquants mineurs et adultes dans les mêmes lieux de détention est toujours légal et de ce qu’il est possible d’avoir accès aux dossiers concernant des mineurs et de rendre publique l’identité des mineurs délinquants. De plus, l’idée que se fait le grand public de la délinquance juvénile semble faussée par les stéréotypes que véhiculent les médias.
Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre ses efforts en vue d’établir un système de justice pour mineurs qui intègre pleinement dans sa législation, dans ses politiques et dans sa pratique les dispositions et les principes de la Convention, en particulier ses articles 3, 37, 40 et 39, ainsi que les autres normes internationales applicables dans ce domaine, telles que l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté et les Directives relatives aux enfants dans le système de justice pénale. En particulier, le Comité invite instamment l’État partie à :
a) Veiller à ce qu’aucun individu de moins de 18 ans ne soit jugé comme un adulte, quelles que soient les circonstances ou la gravité de l’infraction commise;
b) Garantir que les opinions des enfants soient dûment prises en considération et respectées dans toutes les procédures judiciaires les intéressant;
c) Veiller à ce que le droit au respect de la vie privée de tous les enfants en conflit avec la loi soit pleinement respecté, conformément à l’article 40, paragraphe 2 b) vii) de la Convention;
d) Prendre les mesures qui s’imposent (par exemple des mesures de substitution à la privation de liberté ou la libération conditionnelle) pour réduire considérablement le nombre d’enfants en détention et veiller à ce que la détention ne soit imposée qu’en dernier ressort et pour une période aussi brève que possible et à ce qu’en tout état de cause, les enfants soient toujours détenus séparément des adultes[206].
Kearney Healy a expliqué au Comité pourquoi, à son avis, les pourcentages sont aussi élevés en Saskatchewan :
[…] nous avons tendance à davantage miser sur le contrôle que sur le développement des jeunes en difficulté [...] [B]eaucoup d’enfants sont en grande difficulté parce qu'ils ne connaissent pas leurs parents, du fait que leur taux de suicide est élevé et ainsi de suite. Ils sont marginalisés à plus d’un titre et, plutôt que de répondre à leurs besoins, nous avons simplement cherché à les contrôler[207].
Bill Thibodeau, du centre pour jeunes EGADZ de Saskatoon, a rappelé énergiquement l’incapacité des autorités à répondre aux besoins des jeunes en conflit avec la loi :
Hier, j’ai participé à une réunion en compagnie d’un garçon de 17 ans qui avait participé à un combat particulièrement violent il y a quatre ans. C’était un combat à main nue, sans arme. Or, depuis quatre ans, aucune école n’est disposée à l’accepter. Ce n’est qu’hier, enfin, qu’une école a déclaré qu’elle était prête à l’accepter mais pour une heure par semaine seulement. C’est stupide! Comment parvenir à mobiliser ce jeune, comment lui dire qu’il peut s’attendre à plus? Il aura bientôt 18 ans et, à moins qu’il n’entretienne un véritable espoir d’avenir, il finira par intégrer une bande de rue et il fera partie de ceux à propos [de] qui on dira : « Eh bien, nous avons tout essayé, mais on dirait qu’il n’a pas compris[208]. »
La réticence des autorités à promouvoir véritablement le recours à des mesures de rechange ou de réadaptation paraît être une question très préoccupante non seulement en Saskatchewan, mais aussi dans l’ensemble du Canada.
Le Comité estime qu’il est devenu urgent, pour les gouvernements du pays, de revoir leurs façons d’aborder les questions de justice pénale et de détention applicables aux adolescents afin de corriger le taux élevé de détention que le Canada enregistre par rapport aux autres pays industrialisés et d’amener celui-ci à se conformer à l’objet de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Le Comité constate que le recours à des mesures de rechange ne suffit pas. Les enfants en conflit avec la loi se trouvent souvent dans cette situation à cause d’une série d’autres problèmes et expériences vécus beaucoup plus tôt dans leur vie. Comme l’indique un rapport de l’organisme Save the Children, en traitant les jeunes comme des criminels sans s’attaquer aux problèmes qui les ont amenés à enfreindre la loi, on les rend encore plus marginaux et plus vulnérables[209]. Pour honorer leurs obligations et remédier au taux élevé de jeunes détenus, les gouvernements devraient mettre en œuvre des stratégies plus efficaces de détermination des problèmes et d’intervention dès les premiers stades. Si les enfants qui ont des besoins spéciaux ou qui ont été en contact avec le système de protection de l’enfance finissent souvent par avoir des démêlés avec la justice, il faut adopter des solutions pendant qu’ils sont vus par des professionnels de la santé ou de la protection de l’enfance. Le traitement d’un problème sur le tard ne sera jamais aussi fructueux qu’une intervention dès les premiers stades. Le problème réside davantage dans l’approche générale de la société face aux enfants que dans le système de justice pour les jeunes. Par un examen plus attentif des grands problèmes, le gouvernement fédéral sera à même de trouver des moyens plus efficaces d’affronter les causes fondamentales de la criminalité chez les jeunes et de venir en aide aux jeunes en conflit avec la loi en les laissant dans leur famille et dans leur milieu de vie et en leur procurant de meilleurs outils qui leur permettront de faire des choix plus judicieux.
Pour ce qui est des mesures de rechange, le gouvernement fédéral doit travailler de façon proactive avec les provinces et les territoires à la mise en œuvre effective de mesures de rechange destinées aux jeunes en conflit avec la loi. Les mesures de justice réparatrice axées sur la responsabilité du délinquant à l’égard de la victime, sur l’intégration du délinquant et sur le rétablissement d’un climat social harmonieux sont importantes pour la réalisation de cet objectif. Comme le prescrit l’article 37, la détention doit punir seulement les crimes les plus graves[210]. L’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants signale que la « détention devrait être réservée aux enfants délinquants qui sont considérés comme présentant un danger véritable pour autrui[211] […] ». Otto Driedger, de l’Université de Regina, a affirmé que, pour en venir à respecter la Convention, il faudrait opter pour des modèles de justice réparatrice « – non pas en tant que solution de remplacement absolue, mais en tant que formule parallèle – nous parviendrons à combattre la polarisation. Toutefois, il faudra du temps[212] ».
Le gouvernement de la Saskatchewan a adopté certaines mesures de rechange pour combattre les taux élevés de criminalité et de détention chez les jeunes. Beaucoup de ces mesures pourraient servir de modèle au reste du pays. Par exemple, dans un mémoire soumis au Comité, Betty Ann Pottruff a donné des renseignements sur les programmes éducatifs destinés aux jeunes délinquants et sur le recours à des tribunaux spéciaux pour le traitement des toxicomanes et la violence familiale. Elle a indiqué que la Saskatchewan comptait de plus en plus sur le pouvoir discrétionnaire de la police pour les accusations, les programmes de déjudiciarisation, les processus extra-judiciaires et l’orientation d’un plus grand nombre de jeunes vers les services de santé aux fins d’évaluation et de traitement. Elle a informé le Comité des programmes spéciaux axés sur les infractions courantes chez les jeunes, comme les vols d’automobiles. Le programme de lutte contre les vols d’automobiles combine la surveillance, le placement sous garde, l’éducation et des mesures de rechange pour les délinquants primaires, ce qui a conduit à une réduction de 44,1 p. 100 des vols à Regina. Bill Thibodeau a aussi parlé au Comité de programmes appliqués en Saskatchewan qui amènent des jeunes – « que les services de police et les services du procureur considèrent comme ce qu’il y a de pire à Saskatoon[213] » – à s’intéresser à certaines activités. Il a expliqué que des jeunes en conflit avec la loi ont participé à ces programmes et
sont ressortis transformés ayant trouvé la pleine possession de leurs moyens et s’intéressant désormais vraiment à notre collectivité. Ils sont prêts à donner beaucoup de leurs temps libres et de leur énergie pour améliorer leur collectivité.
Cette transformation n’est pas le produit de la supervision, mais de l’emballement des jeunes face à la possibilité de passer de ce qu’ils sont à l’état d’adulte ayant réussi. Celui ou celle qui aurait pu être le gamin du fond de la classe que personne n’aime, passe devant et dit au reste de la classe « réveillez-vous, nous pouvons améliorer le monde ». Ce genre de démarche est incroyablement payante[214].
Kearney Healy a fait au Comité une autre proposition intéressante sur la façon d’aborder les jeunes en conflit avec la loi : la création d’un « comité d’accompagnement » du jeune qui réunirait le travailleur social, un enseignant, un représentant de l’aide juridique et des intervenants appartenant à la famille et qui serait chargé de trouver des solutions dans le milieu de vie du jeune.
C. CONDITIONS DE DÉTENTION
Au sujet des conditions de détention, certains témoins ont critiqué le Canada pour la clause de réserve qu’il a jointe à l’alinéa 37c) et pour l’hébergement occasionnel de jeunes avec des adultes dans les établissements de détention. Susan Reid, du Centre for Research on Youth at Risk de l’Université St. Thomas, à Fredericton, a dit au Comité que les jeunes sont parfois installés avec les adultes non pas du fait de l’exception prévue dans l’intérêt supérieur de l’enfant, mais parce que c’est une solution pragmatique au problème de la surpopulation ou des lits vides, notamment dans des endroits comme les localités éloignées du Nord, où il est souvent difficile, voire impossible, de construire plusieurs établissements pour une population aussi restreinte. Le Comité des droits de l’enfant continue de déplorer la clause de réserve, regrettant les efforts plutôt lents, dit-il, du gouvernement pour la retirer. Il a indiqué que l’intérêt supérieur d’un enfant ne doit pas être interprété comme une question de commodité pour les États parties.
En définitive, le souci de séparer les enfants des adultes tient au besoin de protéger les enfants contre l’exploitation, les mauvais traitements et l’influence négative des adultes incarcérés. L’Observation générale du Comité qui porte sur la justice pour les jeunes précise qu’« il a été amplement démontré que le placement d’enfants dans des prisons pour adultes compromet leur sécurité fondamentale, leur bien-être et leur capacité future de mener une vie honnête et de s’intégrer[215] ». Même les gardiens des établissements pour adultes sont une source de préoccupation, car ils ont souvent été formés pour traiter avec des adultes qui sont des criminels endurcis. Les défenseurs des enfants soutiennent que les mineurs devraient être séparés des adultes pour que leurs établissements de détention puissent répondre à leurs besoins particuliers[216].
Dans le même ordre d’idées, Judy Finlay, intervenante en chef du Bureau d’assistance à l’enfance de l’Ontario, et Peter Leuprecht, professeur à l’Université du Québec à Montréal, ont attiré l’attention du Comité sur le fait que des jeunes contrevenants et des jeunes ayant besoin de protection se retrouvent dans les mêmes établissements : « [D]ans certains centres de réadaptation, il y a une clientèle mixte de jeunes contrevenants, de jeunes prévenus et de jeunes en protection, condamnée à la garde fermée[217]. »
L’influence négative, qui est une cause d’inquiétude dans le cas des enfants détenus avec des adultes, suscite aussi des préoccupations dans le cas des enfants confiés aux services de protection de l’enfance et qui sont en contact étroit avec de jeunes délinquants. Comme l’a fait observer M. Leuprecht : « La Commission des droits de la personne du Québec a conclu à l'illégalité de cette mixité qui continue néanmoins[218]. » Mme Finlay a parlé du profond impact que cette mixité peut avoir sur des groupes d’enfants particulièrement marginalisés, comme les enfants autochtones.
Le Comité a appris que de jeunes délinquantes sont parfois logées dans les mêmes unités résidentielles que les garçons. Asia Czapska, de Justice for Girls, a parlé des prisons pour jeunes de Prince George et de Victoria, en Colombie-Britannique, où il s’agit d’une « pratique courante[219] ». Elle a dit que le gouvernement provincial invoque, à l’appui de ces mesures, les mêmes motifs que pour la mixité des mineurs et des adultes : il y a très peu de jeunes délinquantes, les filles logées séparément vivraient en fait dans des conditions d’isolement et il n’y a pas assez d’unités de détention pour séparer les filles et les garçons. Mme Czapska a indiqué au Comité que les adolescentes logées avec des garçons dans les centres de détention des deux villes mentionnées sont souvent victimes de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles.
M. Leuprecht a également fait remarquer que les conditions de détention dans certains établissements vont à l’encontre d’une série de droits de l’enfant et peuvent parfois être assimilées à un traitement inhumain et dégradant :
[…] les conditions dans lesquelles des jeunes sont détenus violent une série de droits fondamentaux reconnus par les instances provinciales, fédérales et internationales. Plus particulièrement, des mesures d’isolement et de retrait sont imposées d’une manière hautement critiquable et que l’on peut qualifier au moins de traitement inhumain et dégradant. De plus, l’usage de la force par les surveillants est fréquent. Pour ce qui est du Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a mené un grand nombre d'enquêtes dont les résultats sont affligeants[220].
À la lumière de ces témoignages, le Comité a conclu que le Canada contrevient nettement aux obligations énoncées à l’article 37. La clause de réserve ajoutée par le Canada à cet article ne fait que faciliter le non-respect de la Convention. Par conséquent, le gouvernement fédéral devrait retirer sa clause de réserve liée à l’article 37 de la Convention et entreprendre concrètement de travailler avec les provinces et les territoires pour faire en sorte que les jeunes ne soient plus détenus avec les adultes et que les filles ne soient plus détenues avec les garçons. La Convention prévoit déjà des exceptions fondées sur l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple la situation d’un adolescent qui a presque 18 ans et qui devra très bientôt être transféré dans un établissement pour adultes et le cas de jeunes délinquants qui présentent un danger pour leurs codétenus. Au Canada, les gouvernements persistent à laisser les considérations pragmatiques passer avant l’intérêt supérieur de l’enfant. Pourtant, il existe souvent des solutions pratiques à ce type de problème : le gouvernement fédéral doit collaborer avec les provinces et les territoires en vue de les trouver.
RECOMMANDATION 8
En vertu des articles 37 et 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral :
- retire sa clause de réserve visant l’article 37 de la Convention et entreprenne concrètement de travailler avec les provinces et les territoires pour faire en sorte que les jeunes ne soient plus détenus avec les adultes et que les filles ne soient plus détenues avec les garçons;
- s’engage à travailler proactivement avec les provinces et les territoires pour évaluer si la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents fonctionne bien et pour veiller à la mise en œuvre effective de mesures de rechange destinées aux jeunes en conflit avec la loi;
- collabore avec les provinces et les territoires à la formation des représentants des services de protection de l’enfance et des professionnels de la santé en vue de leur permettre de repérer les problèmes suffisamment tôt pour appliquer des stratégies d’intervention préventive à l’intention des enfants qui risquent d’avoir des démêlés avec la justice.
Chapitre 9 - Articles 9, 12, 19, 20 et 25 : Protection de l’enfance
Chapitre 9 - Articles 9, 12, 19, 20 et 25 : Protection de l’enfance
A. INTRODUCTION
Plusieurs dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur la protection et le bien-être de l’enfant. Elles touchent en particulier aux situations où un enfant peut devoir être séparé de ses parents. L’article 9 présente les mesures générales qui doivent être en place avant que la séparation puisse se produire :
Par. 9(1) Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.
(2) Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.
(3) Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
(4) Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’État partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l’enfant. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées.
L’article 12 énonce le droit qu’a l’enfant d’exprimer son opinion dans ce type de procédure :
Par. 12(1) Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
(2) À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
Les articles 19 et 20 portent sur la responsabilité qu’a l’État d’intervenir si un enfant est maltraité ou violenté :
Art. 19(1) Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
(2) Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire.
Par. 20(1) Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État.
(2) Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.
(3) Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.
Enfin, l’article 25 souligne la nécessité d’un examen périodique de la décision de séparer l’enfant de ses parents.
Art. 25 Les États parties reconnaissent à l’enfant qui a été placé par les autorités compétentes pour recevoir des soins, une protection ou un traitement physique ou mental, le droit à un examen périodique dudit traitement et de toute autre circonstance relative à son placement.
B. DROIT DE L’ENFANT D’ÊTRE ENTENDU ET DE PARTICIPER
Pendant les audiences qu’il a tenues dans tout le Canada, le Comité a appris que de nombreux enfants et adolescents confiés à la garde de l’État sont d’avis que l’on viole leurs droits prévus par la Convention relative aux droits de l’enfant parce qu’on ne prend pas en considération leur opinion dans les procédures et les décisions concernant leur bien-être. C’est un point de vue qui a été particulièrement mis en évidence dans les audiences tenues en Saskatchewan, notamment par Jessica McFarlane, du Saskatchewan Youth in Care and Custody Network, et Marv Bernstein, protecteur des enfants de la Saskatchewan. Dans un mémoire, M. Bernstein a écrit que « des jeunes vulnérables et sans aucun moyen ont l’impression de ne pas être entendus comme ils le devraient dans le cadre des procédures judiciaires[221] ».
M. Bernstein a dit au Comité que,
contrairement aux autres lois provinciales et territoriales de protection de l’enfance, la loi de la Saskatchewan sur les services à la famille et à l’enfant interdit explicitement qu’un enfant soit partie à une procédure et donc qu’il puisse directement participer à des poursuites en matière de protection de l'enfance, quel que soit son âge[222].
Il a indiqué que les lois de la Saskatchewan ne respectent pas les articles 9 et 12 de la Convention, selon lesquels les États parties doivent garantir à l’enfant le droit d'être représenté distinctement par un avocat lors d’audiences portant sur sa protection lorsque cette mesure est dans son intérêt supérieur, lorsque son opinion pourra ainsi être prise en considération, lorsqu’il a la capacité de donner des instructions à un avocat ou lorsque son intérêt diffère de celui des parents ou de l’État. À titre d’exemple, alors que la Loi sur les services à l’enfance et à la famille[223] de l’Ontario accorde un rôle indépendant à l’avocat d’un enfant dans des procédures judiciaires ou administratives concernant le bien-être de celui‑ci, le paragraphe 29(2) de la Child and Family Services Act[224] de la Saskatchewan refuse aux enfants le droit d’être partie à ce genre d’instance. L’article 4 peut permettre que les désirs de l’enfant soient pris en considération dans la mesure du possible, compte tenu de son âge et de son degré de maturité, mais la loi n’autorise pas à agir dans son intérêt supérieur et donne la possibilité de ne pas prendre en considération l’opinion de l’enfant pour des raisons de logistique ou de commodité plutôt qu’en raison de son incapacité de communiquer son opinion. M. Bernstein a dit au Comité que la loi de la Saskatchewan insiste trop sur « les intérêts des parents [et] ne considère pas [les enfants] comme des êtres humains à part entière même s’ils ont des intérêts et des besoins en propre[225] ».
Le Comité reconnaît que la protection de l’enfance relève principalement de la compétence provinciale, mais il est question dans ce cas-ci du respect et de l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant. Il ne peut recommander que les provinces modifient leurs lois ou politiques en matière de protection de l’enfance; par contre, il peut suggérer que les provinces et les territoires accordent plus d’importance à l’application effective des droits prévus par la Convention en ce qui a trait au bien-être de l’enfant. À cet égard, les gouvernements du Canada doivent examiner leurs lois concernant le droit de l’enfant d’être entendu. Dans le mémoire qu’il a présenté au Comité, Marv Bernstein a fait valoir que les provinces devraient se doter de lois solides qui garantissent le droit de l’enfant d’être entendu, au lieu de faire en sorte que la participation des enfants soit sollicitée dans certaines circonstances seulement. Jessica McFarlane a aussi, dans son mémoire, suggéré d’autoriser les enfants à participer ou à contribuer à l’établissement de leur plan d’intervention (études, placement dans un foyer d’accueil ou un foyer de groupe, intervention d’un travailleur social, etc.). Les services fonctionnent bien lorsqu’on tient compte des besoins particuliers de l’enfant pris en charge, qu’il s’agisse de counselling, d’un foyer ou d’un traitement médical adéquat. Il est essentiel de cerner les différents besoins pour édifier un système de protection de l’enfance bien adapté, qui défend les intérêts des enfants, et non ceux des parents ou de l’État. Le Comité suggère que les gouvernements provinciaux et territoriaux examinent sérieusement la nécessité de favoriser la contribution des jeunes au processus de protection de l’enfance. Pour que la Convention relative aux droits de l’enfant soit respectée, il faut écouter le point de vue des enfants et à tout le moins prendre en considération leurs souhaits et leur intérêt supérieur. Les enfants ne pourront prendre acte de leurs responsabilités dans le système de protection de l’enfance que s’ils ont le sentiment de pouvoir maîtriser leur propre vie.
C. PRÉCARITÉ DES PLACEMENTS
Jessica McFarlane a également parlé au Comité du problème des enfants pris en charge par l’État qui passent d’un foyer à l’autre. Ce phénomène est courant, car il faut souvent du temps pour trouver une place permanente dans une famille, et il arrive que cela ne se concrétise jamais. Dans un mémoire présenté au Comité et dans son témoignage verbal, Mme McFarlane a précisé que cette précarité peut causer des torts psychologiques à long terme aux enfants pris en charge. Sans stabilité et sans relations personnelles permanentes, ces enfants ont du mal à faire confiance aux autres. Les sentiments consécutifs de rejet, d’acceptation et, encore une fois, de rejet les empêchent de nouer facilement des relations personnelles durables qui sont importantes pour la stabilité ultérieure. Des études montrent que les enfants qui ont été continuellement ballottés d’un foyer à l’autre ont plus de difficulté à poursuivre leurs études et à s’adapter lorsqu’ils sortent du système de protection de l’enfance. Les conséquences à long terme de cette précarité peuvent être désastreuses pour des enfants qui sont déjà marginalisés et vulnérables, par exemple les enfants autochtones, largement surreprésentés dans le système de protection de l’enfance.
Par conséquent, le Comité invite les gouvernements provinciaux et territoriaux à envisager de fixer uniformément à 18 ans l’âge limite légal auquel la protection cesse de s’appliquer pour que le Canada se conforme à la définition de l’enfant énoncée dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Les enfants sont de plus en plus mobiles de nos jours; il serait donc plus que jamais nécessaire d’uniformiser l’âge limite afin d’assurer une protection satisfaisante aux enfants vulnérables.
D. UNIFORMISATION DE L’ÂGE LIMITE DE LA PROTECTION
Au cours de ses audiences dans tout le Canada, le Comité s’est vu rappeler fréquemment qu’il n’y a pas d’âge limite uniforme pour le droit à la protection de l’enfance au Canada. La protection de l’enfance est un domaine de compétence exclusivement provinciale; c’est pourquoi l’âge limite à partir duquel un enfant est considéré comme autonome et n’a plus besoin de la protection de l’État varie d’une province à l’autre. Peter Dudding, de la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada, et Jahanshah Assadi, représentant au Canada du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ont donné l’exemple de la Colombie-Britannique, où les jeunes bénéficient d’une certaine protection en vertu de la loi sur la protection de l’enfance jusqu’à l’âge de 19 ans, tandis qu’en Ontario l’âge limite est de 16 ans. Ces différences font que les fournisseurs de services qui s’occupent des jeunes migrants arrivés au Canada sans leurs parents appliquent des normes différentes pour deux des principales provinces d’accueil du pays; en Ontario, on ne peut pas adresser aux services de protection de l’enfance des enfants de plus de 16 ans qui arrivent sans leurs parents.
D’autres témoins ont souligné les écarts qui existent dans certaines provinces entre l’âge auquel un enfant est considéré comme autonome et l’âge de la scolarité obligatoire. Comme l’a indiqué Susan Reid, du Centre for Research on Youth at Risk, de l’Université St. Thomas :
Il est également intéressant de noter qu’au Nouveau-Brunswick on a voulu, par le biais de la Loi sur l'éducation, faire passer l’âge de scolarité obligatoire de 16 ans à 18 ans. En théorie, des enfants de 16 ou de 17 ans pourraient se retrouver sans abri mais tout de même être obligés de fréquenter l’école[226].
Jessica McFarlane a formulé les mêmes arguments, en faisant remarquer qu’en plus de différents âges limites, on a différents niveaux de soutien pour les jeunes qui sortent du système de protection de l’enfance. Elle a signalé que, dans certaines provinces, les enfants qui atteignent l’âge limite en plein milieu de l’année scolaire peuvent tout à coup être privés de tous les services, à un moment de leur vie où ils se sentent déjà très marginalisés et vulnérables. La loi peut dans les faits leur enlever un réseau de soutien dont ils ont un besoin criant.
Le Comité est convaincu que, pour que le Canada respecte en tous points les obligations énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant, les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient examiner attentivement la nécessité d’un soutien post-intervention et la nécessité d’aider les jeunes qui sortent du système de protection à établir un plan financier et à garder le contact avec les services de soutien dont ils pourront avoir besoin ultérieurement.
Des statistiques montrent que les enfants sont particulièrement vulnérables aux agressions physiques, notamment sexuelles, aux mauvais traitements et à la négligence, qui sont souvent le fait de personnes que l’enfant connaît et en qui il a confiance[227]. La mise en place d’un système de protection efficace est la première condition nécessaire pour assurer la santé et le bien-être des enfants et pour honorer les obligations prévues par la Convention.
RECOMMANDATION 9
En vertu des articles 9, 12, 19, 20 et 25 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral organise des consultations fédérales-provinciales-territoriales sur la protection de l’enfance et sur les enfants pris en charge par l’État. Ces consultations devraient examiner la mise en œuvre de la Convention sur les plans suivants :
- la nécessité de faire participer davantage les jeunes au processus de protection de l’enfance;
- la possibilité de fixer uniformément à 18 ans l’âge limite légal auquel la protection cesse de s’appliquer;
- la nécessité de maintenir des services de soutien pour les jeunes qui sortent du système de protection de l’enfance.
Chapitre 10 - Articles 5, 7, 8, 18, 20 et 21 : Adoption et identité
Chapitre 10 - Articles 5, 7, 8, 18, 20 et 21 : Adoption et identité
A. INTRODUCTION
Certains articles de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur l’adoption et les obligations qui s’ensuivent pour les parents et les tuteurs légaux. D’autres articles traitent du droit de l’enfant à une identité; pour de nombreuses personnes, ce droit implique la possibilité de connaître l’identité des parents biologiques. Pendant plusieurs audiences du Comité, les discussions entourant l’adoption et les enfants issus de dons de gamètes ont aussi donné lieu à un examen de la question de l’identité[228].
B. ARTICLES 5, 18, 20 ET 21 : ADOPTION
Les dispositions 5 et 18(1) portent sur l’obligation des États de respecter les droits et les responsabilités des parents et des tuteurs qui élèvent des enfants.
Art. 5 Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention.
Par. 18(1) Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les articles 20 et 21 portent précisément sur les obligations d’un État en ce qui a trait à l’adoption.
Par. 20 (1) Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État.
(2) Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.
(3) Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.
Art. 21 Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires;
b) Reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé;
c) Veillent, en cas d’adoption à l'étranger, à ce que l’enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption nationale;
d) Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables;
e) Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s’efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents.
Dans le cadre de ses audiences, le Comité a pris connaissance du grand nombre d’enfants en attente d’adoption au Canada. Selon un sondage effectué par le Conseil d’adoption du Canada, environ 76 000 enfants sont pris en charge par des organismes provinciaux, territoriaux et des Premières nations partout au pays. Plus de 22 000 enfants sont en attente d’adoption, alors que moins de 1 700 enfants sont adoptés chaque année au Canada. Elspeth Ross, du Conseil d’adoption du Canada, a signalé au Comité que le nombre d’enfants adoptés à l’étranger et amenés au Canada est plus élevé que le nombre d’enfants adoptés ici même. Plus de la moitié des enfants en attente d’adoption au Canada sont Autochtones[229]. Le Comité ne peut que conclure à une crise de l’adoption au Canada et à la nécessité de trouver des solutions à cette situation afin de nous acquitter de nos obligations découlant de la Convention.
Tout comme la protection de l’enfant, l’adoption relève de la compétence provinciale. Aucune norme ne s’applique à l’ensemble du pays. Par exemple, seuls certains territoires et provinces exigent des évaluations du milieu familial avant qu’un enfant ne soit placé dans une famille; de même, seuls certains territoires et provinces exigent la prestation de services de counselling pour les parents biologiques[230]. Elspeth Ross a mentionné au Comité que le Colombie-Britannique, l’Alberta, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario déploient des efforts considérables pour trouver des foyers adoptifs pour les enfants, tandis que le Québec prend des mesures pour modifier sa législation. Les initiatives ne sont toutefois pas coordonnées à l’échelle nationale et le nombre d’enfants en attente d’adoption reste élevé.
Dans ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a présenté quelques observations générales sur les politiques et les lois en matière d’adoption au Canada :
Le Comité trouve encourageante la priorité accordée par l’État partie à la promotion de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale de 1993, sur son territoire et à l’étranger. Pour autant, il relève qu’alors que l’adoption est placée sous la juridiction des provinces et des territoires, la ratification de la Convention de La Haye n’a pas été suivie de mesures d’ordre juridique et autre, dans toutes les provinces. Le Comité est également préoccupé de ce que certaines provinces ne reconnaissent pas le droit de l’enfant adopté de connaître, dans la mesure du possible, ses parents biologiques (art. 7).
Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de modifier sa législation de façon à ce que les informations sur la date et le lieu de naissance des enfants adoptés et sur leurs parents biologiques soient conservées et mises à la disposition de ces enfants. Le Comité recommande en outre que le Gouvernement fédéral veille à la pleine mise en œuvre de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale de 1993 sur l’ensemble de son territoire[231].
Le Comité reconnaît que ces questions relèvent de la compétence provinciale. Il veut toutefois reprendre à son compte les recommandations d’Elspeth Ross, qui a proposé que le gouvernement fédéral se conforme à la Convention relative aux droits de l’enfant et améliore la situation de milliers d’enfants en attente d’adoption en affectant plus de fonds à la promotion du placement d’enfants canadiens dans des foyers permanents et en offrant des services de soutien visant à laisser les enfants dans leur famille naturelle. Mme Ross a aussi proposé que les gouvernements canadiens mettent en valeur et encouragent d’autres formes d’adoption, comme l’adoption ouverte (qui encourage l’enfant adopté à nouer des relations avec sa famille naturelle), la tutelle et la prise en charge par la parenté, afin d’assurer à certains des enfants les plus vulnérables du Canada des foyers sécuritaires et soucieux de leur bien-être. Le gouvernement fédéral pourrait entamer des discussions avec les provinces et les territoires à cet égard.
RECOMMANDATION 10
En vertu des articles 5, 18, 20 et 21 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité demande aux gouvernements canadiens de reconnaître la crise de l’adoption sévissant au pays et de s’y attaquer, plus particulièrement en ce qui touche les enfants autochtones. Le Comité recommande au gouvernement fédéral d’entreprendre des consultations avec les provinces et les territoires dans le but :
- d’augmenter le financement fédéral destiné à la promotion du placement d’enfants dans des foyers permanents et à la prestation de services de soutien visant à garder les enfants au sein de leur famille;
- de rationaliser le processus d’adoption
-
d’examiner le
respect par le Canada de la Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.
C. ARTICLES 7 ET 8 : IDENTITÉ
Les articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant concernent le droit de l’enfant à une identité. Ils portent sur l’obligation de l’État et des parents d’enregistrer un enfant dès sa naissance, et sur le droit de l’enfant d’avoir un nom, d’acquérir une nationalité et de connaître ses parents.
Par. 7(1) L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
(2) Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride.
Par. 8(1) Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.
(2) Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible.
1. Enfants adoptés et enfants issus de donneurs anonymes
Des témoins ont déclaré au Comité qu’actuellement, au Canada, seuls l’Alberta, Terre-Neuve, les Territoires du Nord-Ouest et la Colombie-Britannique permettent aux enfants adoptés de connaître l’identité de leurs parents biologiques (en Ontario, une mesure législative en ce sens a reçu la sanction royale en novembre 2005, mais elle n’est pas encore entrée pleinement en vigueur). De ces provinces et territoires, seuls les Territoires du Nord-Ouest n’imposent aucune restriction à cet égard, c’est‑à-dire qu’aucun parent biologique ne peut y interdire la divulgation de son identité à son enfant. Le Comité des droits de l’enfant a soulevé le problème dans ses Observations finales : « Le Comité est également préoccupé de ce que certaines provinces ne reconnaissent pas le droit de l’enfant adopté de connaître, dans la mesure du possible, ses parents biologiques (art. 7)[232]. »
Les obligations du Canada ne s’arrêtent toutefois pas aux enfants adoptés. Margaret Somerville, de l’Université McGill, a précisé au Comité que le recours accru aux nouvelles techniques de procréation assistée a une incidence importante sur les enfants canadiens de nos jours et pourrait en avoir une plus grande encore dans l’avenir. Elle soutient cependant que les politiques et les lois actuelles touchant les enfants nés grâce aux techniques de procréation assistée ne tiennent pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur de ces enfants. Les gouvernements et les responsables de l’élaboration des politiques n’abordent pas le problème du point de vue de l’enfant.
En ce qui a trait aux enfants issus de dons de gamètes, Barry Stevens, de l’Alliance of People Produced by Assisted Reproductive Technology, a signalé au Comité que la Loi sur la procréation assistée[233] du Canada – qui interdit des activités comme le clonage humain, exerce un contrôle sur la recherche comportant des embryons in vitro, et vise à protéger la santé et la sécurité des Canadiens qui utilisent des techniques de procréation assistée ou qui sont nés grâce à celles-ci – n’autorise pas l’identification d’un donneur de gamètes. Cette loi précise que la santé et le bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions concernant l’usage de ces techniques, mais elle ne permet pas à ces enfants de connaître l’identité de leur parent biologique; quiconque diffuse cette information peut faire l’objet d’une accusation au pénal. L’enfant n’a droit qu’à un aperçu de l’état de santé du parent biologique au moment du don.
Le Comité a appris que l’impossibilité de connaître l’identité d’un parent biologique peut entraîner divers problèmes pour les enfants, notamment des préoccupations en matière de santé, des dilemmes concernant la consanguinité et des problèmes liés au sentiment d’identité de l’enfant. Barry Stevens a insisté sur le fait que la connaissance des antécédents médicaux des parents est fondamentalement importante pour la santé de l’enfant lui-même. De nombreux enfants adoptés n’ont pas accès aux antécédents médicaux de leurs parents biologiques. Dans le cas des enfants issus de dons de gamètes, un aperçu de l’état de santé du donneur au moment de la naissance n’est pas suffisant; l’enfant doit pouvoir retracer les antécédents médicaux d’un donneur et connaître les maladies héréditaires qui pourraient se manifester ultérieurement au cours de sa vie. Selon M. Stevens, en refusant aux enfants l’accès à ces renseignements, notre société crée une catégorie de personnes gravement désavantagées sur le plan de la santé par rapport au reste de la population.
M. Stevens a également mentionné au Comité que les problèmes relatifs à la consanguinité chez les enfants issus de dons de gamètes sont plus fréquents qu’on ne pourrait le croire. Il n’est pas rare qu’un donneur de sperme engendre des dizaines d’enfants. Les enfants issus d’un même donneur grandissent souvent dans la même collectivité et pourraient s’épouser ou avoir des enfants ensemble une fois devenus adultes. M. Stevens a déclaré :
En ne donnant aucun renseignement sur l’identité du donneur, on accroît les possibilités qu'une personne rencontre et marie son demi-frère ou sa demi-sœur et peut-être même son père biologique. Cela peut paraître hautement improbable, mais il ne faut pas oublier que les gens ont tendance à se tenir en groupe. Les gens aux vues similaires ont tendance à se regrouper et il arrive souvent qu’ils aient des contacts parce qu’ils ont des origines communes.
Je connais personnellement deux familles dont les enfants sont amis. Ni les mères, ni les enfants ne savent ce que j’ai appris tout à fait par hasard, c’est-à-dire que les enfants sont issus du même donneur. La nouvelle loi règle en partie ce problème en permettant à ces personnes de vérifier auprès de la clinique où elles ont été conçues la possibilité de liens de consanguinité avec la personne qu’elles comptent épouser[234].
Les besoins de l’enfant relatifs à son identité n’ont peut-être pas le fondement scientifique des préoccupations en matière de santé et de consanguinité, mais ils constituent une partie très importante de ses droits et de son bien-être émotionnel. Barry Stevens a déclaré :
[J]e soutiens également qu’il est très important pour tout être humain de savoir d’où il vient et de connaître ses origines. […] C’est également vrai de tous les organismes. Un organisme unicellulaire peut reconnaître ses semblables. C’est l’un des mécanismes les plus fondamentaux, si l’on peut dire, dont les êtres humains disposent. Le thème de la recherche du père est omniprésent dans notre culture, d’Œdipe à Star Wars, et ce pour le meilleur comme pour le pire. Il est important de connaître notre généalogie, pas seulement à titre de passe-temps, mais en tant que besoin réel et viscéral, pour mieux comprendre qui nous sommes. Nous tournons souvent le dos à toute notre histoire et notre développement de même qu’à notre biologie, de façon plutôt arrogante et dangereuse[235].
2. Enfants de parents de même sexe
Fiona Kelly, candidate au doctorat de l’Université de la Colombie-Britannique, a parlé au Comité de la situation d’enfants issus de donneurs et élevés par des parents de même sexe. (Il ne s’agit pas nécessairement d’une situation comportant un donneur anonyme; il peut être question d’un homme identifié qui a accepté d’être un donneur pour permettre à un couple de lesbiennes d’avoir un enfant.) Si l’on prend l’exemple d’un enfant conçu par insémination par donneur pour un couple de lesbiennes, le nom du donneur est généralement inscrit sur le certificat de naissance. Ainsi le donneur est le père légal de l’enfant. Alors que le nom de la femme qui donne naissance à l’enfant est inscrit sur le certificat comme celui de la mère légale de l’enfant, dans de nombreuses provinces, l’autre mère est complètement exclue et n’a aucun lien légal avec l’enfant.
L’approche juridique à l’égard de cette question varie selon la province : dans certaines, lorsque le donneur est anonyme, le nom des deux mères peut être inscrit sur le certificat de naissance[236]; dans d’autres, la mère non biologique n’a absolument aucun lien légal avec l’enfant. Pour résoudre le problème, la mère non biologique peut choisir d’adopter légalement l’enfant; toutefois, le processus d’adoption peut prendre au moins six mois dans la plupart des provinces et comporte souvent des frais de plusieurs milliers de dollars.
Fiona Kelly a déclaré au Comité :
[L]e Canada a laissé tomber ces enfants. Ils demeurent juridiquement vulnérables, alors que les enfants conçus par insémination artificielle par donneur pour un couple hétérosexuel sont juridiquement protégés. Autrement dit, la loi canadienne ne permet pas actuellement à ces enfants de partir sur un pied d’égalité[237].
Le Comité a conclu que les politiques d’adoption et d’insémination par donneur actuellement en vigueur au Canada ne servent pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Les enfants ont droit à leur identité – le droit de savoir qui ils sont – et ce droit n’est pas toujours adéquatement protégé au Canada.
Une grande partie de ce droit est lié au besoin qu’a l’enfant de connaître l’identité de ses parents biologiques. Barry Stevens a signalé au Comité que cela ne signifie pas nécessairement que les enfants adoptés et les enfants issus d’un don de gamètes devraient avoir le droit de communiquer avec leurs parents biologiques, mais ils devraient avoir accès à des renseignements de base comme un nom. Une autre partie importante du droit à l’identité concerne le droit de l’enfant de connaître les antécédents médicaux de ses parents, eu égard au besoin de l’enfant d’avoir des chances égales de vivre en santé.
À l’instar de Barry Stevens et de Fiona Kelly, le Comité est d’avis que les responsabilités et droits parentaux des donneurs de gamètes devraient être résolument abolis, c’est-à-dire que les donneurs ne devraient nullement être considérés comme des parents devant la loi. Si cette distinction était apportée, les donneurs seraient moins réfractaires à l’idée de la divulgation de leur identité, et il serait possible de répondre aux besoins des couples de lesbiennes dont Mme Kelly a fait état. M. Stevens a signalé au Comité que ces responsabilités et droits parentaux ont déjà été abolis dans certaines provinces, notamment le Québec et Terre-Neuve. Il a fait remarquer que les enfants qui sont à la recherche d’éléments constitutifs de leur identité ne sont pas nécessairement à la recherche d’un parent: « En tant qu’homme adulte, je ne suis pas à la recherche d’un père. J’ai déjà eu un père. La grande majorité des enfants issus de l’insémination artificielle sont à la recherche de renseignements, c’est bien différent[238]. »
Comme il a été mentionné précédemment dans le présent chapitre, l’adoption relève de la compétence des provinces. Le Comité est d’avis que, pour faire en sorte que le Canada se conforme pleinement à la Convention relative aux droits de l’enfant, les négociations fédérales-provinciales-territoriales sur l’adoption qui sont proposées dans la recommandation 10 devraient également porter sur la question de la divulgation de l’identité d’un parent biologique et sur l’utilité d’opposer des veto concernant la divulgation de l’identité.
En ce qui a trait à la procréation assistée, le présent chapitre a soulevé d’importantes questions qui doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi. L’organisme établi en vertu de la Loi sur la procréation assistée, Procréation assistée Canada, est devenu opérationnel en décembre 2006. Son mandat comprend la surveillance et l’analyse de l’évolution de la procréation assistée tant au Canada qu’à l’étranger, la consultation de personnes et d’organismes tant au Canada qu’à l’étranger, et la prestation de conseils au ministre de la Santé sur la procréation assistée et sur d’autres questions prévues par la Loi[239]. Parmi ses premières tâches, Procréation assistée Canada devrait examiner le régime juridique et réglementaire entourant l’identité des donneurs afin de déterminer comment mieux servir les intérêts de l’enfant. Dans le cadre de cet examen, il faudrait reconnaître que l’accès à l’information relative à l’identité d’un donneur et aux renseignements médicaux après le don est essentiel au bien-être physique et psychologique de l’enfant. Le règlement d’application de la Loi sur la procréation assistée est toujours en cours d’élaboration; il faudrait le terminer dans les plus brefs délais afin d’avoir en place un régime juridique et réglementaire complet permettant de protéger les droits de l’enfant à cet égard.
RECOMMANDATION 11
En vertu des articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que les négociations fédérales-provinciales-territoriales sur l’adoption proposées dans la recommandation 10 portent également sur l’accès à l’information relative à l’identité d’un parent biologique et sur l’utilité d’opposer des veto concernant la divulgation de l’identité. Le Comité recommande également que Procréation assistée Canada examine le régime juridique et réglementaire entourant l’identité des donneurs de gamètes et l’accès à l’information sur les antécédents médicaux d’un donneur afin de déterminer comment mieux servir les intérêts de l’enfant.
Chapitre 11 - Articles 7, 9, 10, 11, 21, 22 et 35 et Protocole facultatif : Les enfants migrants
Chapitre 11 - Articles 7, 9, 10, 11, 21, 22 et 35 et Protocole facultatif : Les enfants migrants
A. INTRODUCTION
Plusieurs dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur les droits des enfants migrants. Par exemple, comme l’indique le chapitre précédent, l’article 7 affirme le droit de l’enfant à un nom et à une nationalité ainsi que, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents. Cet article est important, entre autres parce qu’il contribue à faire en sorte que les enfants qui entrent au Canada disposent des documents nécessaires à leur identification et à leur protection.
Comme on le mentionne au chapitre 9, l’article 9 traite du droit de l’enfant de ne pas être séparé contre son gré de ses parents. Cette notion revêt une importance particulière dans le contexte de l’immigration car des enfants peuvent être séparés de leurs parents en cours de migration. L’article 10 va encore plus loin en énonçant le droit à la réunification familiale. Les États parties sont tenus de traiter les demandes de réunification dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Ils doivent en outre permettre aux enfants d’entretenir des contacts réguliers avec leurs parents qui résident dans un autre État.
Par. 10(1) conformément à l’obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille.
(2) Un enfant dont les parents résident dans des États différents a le droit d’entretenir, sauf circonstances exceptionnelles, des relations personnelles et des contacts directs réguliers avec ses deux parents. A cette fin, et conformément à l’obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, les États parties respectent le droit qu’ont l’enfant et ses parents de quitter tout pays, y compris le leur, et de revenir dans leur propre pays. Le droit de quitter tout pays ne peut faire l’objet que des restrictions prescrites par la loi qui sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans la présente Convention.
L’article 11 dispose que les États parties doivent prendre les mesures voulues pour empêcher que des enfants ne soient emmenés illégalement en dehors de leur propre pays. Cette obligation est particulièrement pertinente dans le contexte de l’enlèvement d’enfants par l’un des parents.
Par. 11(1) Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger.
(2) À cette fin, les États parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants.
Il a déjà été question, au chapitre 10, de l’article 21 qui porte sur l’adoption, et en particulier sur l’adoption à l’étranger. Le paragraphe 21(c) prévoit notamment l’application de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption nationale.
Par. 21 Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires;
b) Reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé;
c) Veillent, en cas d’adoption à l’étranger, à ce que l’enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption nationale;
d) Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables;
e) Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s’efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents.
L’article 22 traite des enfants réfugiés. Les États parties doivent s’assurer que les enfants réfugiés reçoivent une aide humanitaire et une protection appropriée.
Par. 22(1) Les États parties prennent les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États sont parties.
(2) À cette fin, les États parties collaborent, selon qu’ils le jugent nécessaire, à tous les efforts faits par l’Organisation des Nations Unies et les autres organisations intergouvernementales ou non gouvernementales compétentes collaborant avec l’Organisation des Nations Unies pour protéger et aider les enfants qui se trouvent en pareille situation et pour rechercher les père et mère ou autres membres de la famille de tout enfant réfugié en vue d’obtenir les renseignements nécessaires pour le réunir à sa famille. Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit.
Enfin, comme l’indique le chapitre 7, l’article 35 et le Protocol facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants visent à protéger les enfants de la traite des personnes.
Art. 35 Les États parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.
De toute évidence, la protection des droits des enfants migrants au Canada est un domaine à améliorer. Des enfants qui ont fuit la guerre, l’exploitation sexuelle et la persécution arrivent régulièrement à nos frontières. À cet égard, le Comité des droits de l’enfant a relevé de nombreux sujets de préoccupation :
Le Comité se félicite de l’incorporation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la nouvelle loi de 2002 sur l’immigration et la protection des réfugiés et des efforts déployés pour prendre les intérêts des enfants en considération dans les procédures d'immigration, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et diverses organisations non gouvernementales. Le Comité constate cependant qu’il n’a pas été donné une suite suffisante à certaines des préoccupations précédemment exprimées, en particulier dans des domaines comme le regroupement familial, l’expulsion ou la privation de liberté, où la priorité n’est pas toujours accordée à ceux qui ont le plus besoin d’aide. Le Comité note avec une préoccupation particulière l’absence :
a) De politique nationale touchant les enfants non accompagnés demandeurs d’asile;
b) De procédure standard pour la désignation d’un représentant légal de ces enfants;
c) De définition des « enfants séparés » et de données fiables sur les enfants demandeurs d’asile;
d) De formation adaptée et d’approche cohérente des autorités fédérales dans la remise des enfants vulnérables aux services sociaux.
Conformément aux principes et aux dispositions de la Convention, en particulier à ses articles 2, 3, 22 et 37, et en ce qui concerne les enfants, qu’ils soient demandeurs d’asile ou non, le Comité recommande à l’État partie :
a) D’adopter et de mettre en œuvre une politique nationale sur les enfants séparés demandant l’asile au Canada;
b) D’appliquer une procédure qui permette de désigner des représentants légaux et qui définisse aussi, clairement, la nature et l’étendue de la responsabilité de ces représentants;
c) D’éviter, par principe, de placer des mineurs non accompagnés en détention et de rendre plus clair que, dans l’intention du législateur, ce type de détention est une mesure de «dernier ressort», le droit de contester rapidement la légalité de toute détention étant garanti conformément à l’article 37 de la Convention;
d) D’élaborer de meilleures lignes directrices opérationnelles et de politique générale en matière de retour dans le pays d’origine des enfants séparés qui n’ont pas besoin de protection internationale;
e) De veiller à ce que les enfants réfugiés et demandeurs d’asile aient accès aux services fondamentaux, tels que l’éducation et la santé, et à ce que l’octroi des prestations aux familles de demandeurs d’asile se fasse sans discrimination susceptible de se répercuter sur les enfants;
f) De veiller à la rapidité des procédures en matière de regroupement familial[240].
Le Comité a été profondément touché par les témoignages entendus au sujet des enfants migrants. Qu’il s’agisse de familles séparées, d’enfants émotionnellement traumatisés et vivant seuls dans un nouveau pays, ou d’enfants achetés et vendus à des fins de prostitution ou pour les faire travailler dans des conditions d’exploitation, les témoins se sont exprimés de façon éloquente sur cette catégorie d’enfants vulnérables. Ils ont fait état de préoccupations particulières – concernant l’adoption internationale, la réunification familiale, les enfants séparés, la traite des enfants, la détention d’enfants migrants, l’intérêt supérieur de l’enfant migrant et le rôle du représentant désigné – dont il sera question dans les paragraphes suivants.
B. ADOPTION INTERNATIONALE
Au cours de la dernière décennie, environ 2 000 enfants ont été adoptés chaque année à l’étranger – davantage que le nombre d’enfants adoptés chaque année au Canada[241]. En octobre 2005, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes a produit un rapport[242] recommandant que les enfants adoptés à l’étranger aient droit à la citoyenneté canadienne sans être obligés de devenir d’abord des résidents permanents, à condition qu’il s’agisse d’une adoption authentique selon la Convention de La Haye sur l’adoption internationale. Dans Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Dular[243], la Cour fédérale a aussi déclaré que les distinctions en droit fondées sur le lien parental adoptif violent l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés énonçant les droits à l’égalité.
Pourtant, des témoins ont dit au Comité qu’il existe dans le processus actuel de demande de citoyenneté une distinction entre les enfants adoptés et les enfants biologiques. La procédure d’adoption d’un enfant à l’étranger est onéreuse et injuste tant pour les parents que pour l’enfant adopté – elle contrevient aux dispositions législatives canadiennes en matière d’égalité ainsi qu’à la Convention relative aux droits de l’enfant. Ces témoins nous ont indiqué que, pour qu’un enfant adopté à l’étranger puisse acquérir la citoyenneté canadienne, ses parents doivent le parrainer afin de lui obtenir le statut de résident permanent en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[244]. Ce n’est qu’après l’octroi à l’enfant du statut de résident permanent qu’ils peuvent présenter une demande de citoyenneté. Ce processus peut prendre des années et implique des dépenses substantielles de la part des parents.
L’une des principales raisons d’être de ce long processus est d’aider le gouvernement fédéral à écarter les risques pour la sécurité nationale et à prévenir l’exploitation et la traite des enfants ou les adoptions de complaisance visant à contourner les exigences canadiennes en matière d’immigration.
Toutefois, des témoins ont fait valoir au Comité que la Convention relative aux droits de l’enfant s’applique à tous les enfants sans discrimination – la citoyenneté canadienne devrait être automatiquement octroyée aux enfants adoptés à l’étranger, de même qu’elle l’est à un enfant biologique de parents canadiens. Ils nous ont dit que le processus est trop long et injuste pour les enfants adoptés, car il établit une distinction entre ceux‑ci et les enfants biologiques. Il peut également assujettir les enfants adoptés à toute une panoplie d’obstacles et de risques liés à l’immigration pendant une grande partie de leur vie.
L’une de ces situations se produit lorsque les parents négligent de présenter une demande de citoyenneté pour leur enfant adopté. S’il commet une infraction criminelle avant d’obtenir sa citoyenneté, l’enfant peut être déporté à l’extérieur du pays[245]. Cet enfant peut même ignorer qu’il ne possède pas la citoyenneté canadienne jusqu’à ce que le crime soit commis et qu’on entame les procédures de renvoi. Janet Dench, du Canadian Refugee Council, et Marian Shermarke, du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile, de Montréal, ont signalé que l’enfant pourrait avoir vécu toute sa vie ou presque au Canada, ne pas parler un seul mot de sa langue « maternelle » et ne pas connaître une seule personne dans son pays d’origine. Elles nous ont dit que cette situation contrevenait directement aux obligations du Canada en vertu de la Convention.
Dans l’optique de cette observation, le gouvernement fédéral a proposé des modifications à la Loi sur la citoyenneté[246] dans le projet de loi C‑14[247], que le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes a examiné et dont il a fait rapport en octobre 2006[248]. Le projet de loi C‑14 faciliterait l’adoption internationale, éliminerait la nécessité de demander le statut de résident permanent et ferait en sorte que les enfants adoptés en viennent à être traités sur un pied d’égalité avec les enfants biologiques en vertu de la loi. En fin de compte, un enfant adopté à l’étranger pourra obtenir la citoyenneté en vertu du projet de loi C‑14 si l’adoption a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant, si elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant, si elle a été faite conformément au droit du lieu d’adoption et du pays de résidence de l’adoptant, et si elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.
Malgré la satisfaction générale à laquelle ces propositions de modification ont donné lieu, certains témoins ont exprimé des réserves. Robert Marsh a déclaré que même si le projet de loi C‑14 réduisait le fardeau administratif de l’adoption à l’étranger, les enfants adoptés et biologiques continueraient d’être traités différemment en vertu de la loi. Les enfants adoptés devront encore présenter une demande de citoyenneté canadienne, alors que les enfants biologiques n’auront qu’à demander une preuve de citoyenneté. Selon lui, il s’agit peut-être d’une distinction mineure sur le plan administratif, mais elle importe sur le plan symbolique.
Par ailleurs, tout comme Robert Marsh, Jim Kelly a souligné que les responsables fédéraux de l’immigration devraient encore approuver le processus d’adoption ayant déjà eu lieu et confirmer ainsi que l’adoption était véritablement dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon M. Marsh, l’adoption aura déjà été approuvée par les autorités provinciales compétentes à ce stade. Il a dit ne pas être certain que les responsables fédéraux de l’immigration aient la formation voulue pour enquêter sur la véritable nature d’une adoption et il a avancé que ces personnes devraient concentrer leur attention sur les cas problématiques plutôt que de revoir tous les dossiers d’adoption à l’étranger.
Réfutant les arguments du gouvernement fédéral évoqués ci‑dessus pour le contrôle des adoptions, Agnes Lee a fait remarquer que les jeunes enfants constituaient rarement une menace pour la sécurité nationale et que les trafiquants d’enfants ne seraient pas portés à présenter une demande de citoyenneté canadienne pour un enfant victime de la traite ayant déjà franchi les étapes du processus d’adoption et résidant au Canada. C’est pourquoi le processus provincial d’adoption est si rigoureux au départ. Robert Marsh a soutenu qu’en fin de compte, « ce devrait être aux autorités d’assumer le fardeau de la preuve en cas de refus, et que dans les cas types, la citoyenneté devrait être automatique s’il s’agit d’une adoption légitime[249] ». Des témoins ont indiqué au Comité qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de refuser d’accorder automatiquement la citoyenneté aux enfants adoptés à l’étranger après que l’adoption a été approuvée par les autorités provinciales : « Refuser d’accorder automatiquement la citoyenneté aux enfants ne leur fournit pas une protection accrue[250]. »
Le Comité observe qu’il s’agit là d’un problème difficile. Des raisons fondamentales expliquent pourquoi le gouvernement fédéral n’accorde pas automatiquement la citoyenneté. Au-delà des préoccupations touchant la sécurité nationale et les adoptions de complaisance, le gouvernement fédéral n’octroie pas automatiquement la citoyenneté parce qu’il doit surveiller la traite des enfants et d’autres formes d’exploitation. Toutefois, le problème pourrait tenir au fait qu’on n’a pas réussi à trouver un équilibre approprié. Le Parlement est actuellement saisi du projet de loi C‑14, qui sera renvoyé à un comité du Sénat pour examen. Le Comité exhorte le comité sénatorial à examiner très sérieusement les préoccupations exprimées dans le présent rapport et à permettre aux témoins qui ont comparu devant lui de venir s’exprimer à nouveau sur les dispositions particulières de la mesure proposée. Si le projet de loi est adopté, le gouvernement fédéral pourrait envisager de mettre en œuvre un projet-pilote en vue de déterminer si les responsables de l’immigration peuvent s’en remettre au processus provincial d’approbation des adoptions pour s’assurer de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
C. RÉUNIFICATION FAMILIALE
Les enfants migrants et les familles d’immigrants au Canada éprouvent également de graves difficultés au chapitre de la réunification familiale. Dans ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU reproche au Canada l’insuffisance de ses mesures visant à faciliter la réunification familiale. En tant que signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada est censé traiter les demandes faites par des enfants aux fins de la réunification familiale « dans un esprit positif, avec humanité et diligence »; pourtant, nos immigrants sont constamment obligés de composer avec de longs délais et, partant, des séparations prolongées entre les parents et les enfants.
Brian Grant, directeur général des Relations internationales et intergouvernementales à Citoyenneté et Immigration Canada, a indiqué au Comité que son ministère appliquait une norme de service de six mois pour la réunification des familles nucléaires. Toutefois, les statistiques publiées par le ministère révèlent qu’entre août 2005 et septembre 2006, seulement la moitié des demandes concernant des enfants parrainés dans la catégorie du regroupement familial avaient été traitées après quatre mois. La proportion avait augmenté à 70 p. 100 après huit mois[251]. Pour les personnes à charge des réfugiés au cours de la même période, seulement 30 p. 100 des demandes avaient été traitées après sept mois[252]. Marian Shermarke a déploré cette situation et en a attribué la cause à un manque de ressources et à l’absence de mécanismes visant à assurer le traitement prioritaire des demandes d’immigration des enfants.
On a dit au Comité que les tests d’ADN fréquemment exigés par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration afin de prouver la filiation avaient souvent entraîné des retards et des séparations prolongées, ce qui contrevient directement à l’intérêt supérieur de l’enfant. Bien qu’ils deviennent de plus en plus accessibles, ces tests sont trop dispendieux pour la plupart des familles d’immigrants et peuvent créer des problèmes au sein de certaines familles, comme découvrir qu’un enfant n’est pas l’enfant biologique de l’un des parents. Janet Dench a fait valoir que l’exigence des tests d’ADN signifie en fin de compte que le Canada ne reconnaît pas les autres types de liens de parenté et n’accepte comme immigrants que les enfants biologiques. Cela risque de priver certains enfants de leurs familles.
Le Comité a aussi appris l’existence d’une différence importante entre les demandes de parents et celles d’enfants acceptés comme réfugiés au Canada. Un adulte admis comme réfugié au pays peut inclure ses enfants et son conjoint dans sa demande de résidence permanente. Par contre, un enfant admis comme réfugié ne peut inclure ni ses parents ni ses frères et sœurs dans pareille demande. Des témoins ont dit au Comité que cette différence semble inspirée de la crainte que des parents n’envoient leurs enfants au Canada pour y demander l’asile et établir une « tête de pont » pour l’ensemble de la famille. Mais ils ont fait remarquer que si le gouvernement canadien accorde à un enfant le statut de réfugié, il s’ensuit que ce dernier est légitimement fondé à demander l’asile et qu’il est donc probable que ses parents aient d’aussi bonnes raisons de présenter une demande similaire. D’après sœur Deborah Isaacs, en cas de doute, on peut supposer que la séparation familiale est plus pénible que ce qu’il en coûtera plus tard pour un renvoi si on découvre que les motifs invoqués par les parents n’étaient pas valides.
Enfin, Janet Dench et sœur Deborah Isaacs ont signalé au Comité un autre obstacle à la réunification familiale. En vertu de la politique canadienne d’immigration, un membre de la famille dont le dossier n’est pas examiné au moment où le parrain arrive au Canada ne peut être admis par la suite en tant que membre de la famille. Ainsi, un enfant qui n’était pas né lorsque le parent est arrivé pour la première fois au Canada et qui, par conséquent, n’a pas été mentionné dans la demande d’immigration, peut se voir refuser l’admission au Canada lorsque le parent présente ensuite une demande de réunification.
Plusieurs témoins ont décrit l’effet dévastateur qu’une séparation prolongée peut avoir tant sur les enfants que sur leurs familles; selon eux, de telles séparations peuvent entraîner en une marginalisation émotive, et ce même si la famille vient à être réunie physiquement. Séparés de leurs familles, les enfants sont enclins à se sentir abandonnés ou à penser qu’ils ne sont pas aimés, ce qui souvent donne lieu à une perte de confiance en leurs parents. Les enfants et les parents souffrent souvent de dépression, et même lorsque la famille est réunie, des conflits sont fréquents et les liens familiaux peuvent se disloquer. Marian Shermarke a précisé pour le Comité les effets de la séparation :
Sur le terrain, on côtoie des enfants [envoyés avant leur famille au Canada] qui inconsciemment refusent de manger. Ils suivent d’ailleurs des thérapies auprès des psychologues. Ils sont rongés par la culpabilité d’avoir laissé les membres de leur famille dans des situations critiques et ils se sentent terriblement coupables de vivre dans un confort contrairement aux membres de leur famille.
Nous voyons quotidiennement que cela a un impact sur leur développement. Pour contrer ce phénomène, on essaie de faire un budget avec des enfants pour qu’ils puissent envoyer au moins 20 $ par mois à certains membres de leur famille, afin de diminuer leur culpabilité.
[...] le processus de réunification des familles est très lent et plus le temps passe, plus la dynamique familiale risque d’être perturbée quand toute la famille sera enfin réunie.
Beaucoup de parents nous disent qu’ils ont l’impression d'accueillir des étrangers. Lorsque l’enfant est rejeté, c’est souvent parce que la réunification de la famille a pris beaucoup de temps[253].
Quant aux expériences réussies, Victor Porter de MOSAIC, a raconté ce qui suit au Comité :
Nous voyons constamment des situations où les choses tournent bien. L’une des belles choses liées au travail que nous faisons, c’est que, à peu près chaque mois, une mère ou un père vient nous présenter leurs enfants et nous disent : « Nous avons enfin obtenu pour eux le droit d’établissement. Les voici. Vous savez, les enfants, c’est la personne qui nous a aidés. » Ce sont des exemples de réussite. Le problème, c’est qu’il y a tellement de gaspillage de temps et de ressources. Les parents envoient de l’argent là où sont leurs enfants. Les enfants arrivent ici et ne savent pas que leurs parents ont travaillé très dur pour faire en sorte qu’on les amène ici. Certains en veulent à leurs parents : « Pourquoi ne m’as-tu pas fait venir plus tôt? Pourquoi ai-je dû attendre cinq ans, trois ans, quatre ans? » Ce sont des exemples de problèmes qui ressortent encore et encore dans le cadre de nos programmes destinés aux familles, où l’on tient des séances de counselling et d’éducation familiale en groupe, et ainsi de suite, et il ne s’agit pas d’événements isolés. Cela se répète. Il y a une tendance en ce qui concerne la relation entre l’enfant qui arrive plus tard et ses parents[254].
D’après Janet Dench, le gouvernement, comme dans le cas des politiques visant l’adoption internationale, justifie souvent des mesures particulières qui ont pour effet de prolonger la séparation des familles en invoquant la nécessité de protéger les enfants de la traite d’enfants et d’autres formes d’exploitation. Mais elle met en cause le recours à cet argument pour justifier des retards pouvant causer de tels préjudices à des enfants sur le plan émotif et même sur le plan physique.
Encore une fois, le Comité observe qu’on n’a peut-être pas été trouvé le juste équilibre. Le Comité a été mis très au fait des longs délais auxquels font face nombre de familles et d’enfants migrants, aux longues séparations qui peuvent s’ensuivre de même qu’aux répercussions néfastes de ces situations sur le plan émotif et même physique. Afin d’établir un équilibre adéquat et d’arrêter l’approche la plus efficace possible des droits de l’enfant dans le cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration devrait affecter davantage de ressources et d’énergie pour remédier à ces arriérés, en particulier dans ses bureaux des visas à l’étranger. Il devrait traiter plus rapidement les demandes, en accordant toute l’attention voulue à la nécessité de garder les familles réunies ou de les réunir aussitôt que possible. Victor Porter a indiqué que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration devrait envisager sérieusement de modifier ses directives pour permettre que les enfants soient réunis avec leurs familles au Canada et que leurs dossiers soient traités ici même comme dans le cas des conjoints.
D. ENFANTS SÉPARÉS ET TRAITE DES PERSONNES
La situation des enfants séparés au Canada constitue un autre sujet de préoccupation constante du point de vue de la réunification familiale. Ces enfants sont définis comme étant des enfants se trouvant à l’extérieur de leur pays d’origine, sans parents ou sans parent-substitut légal ou habituel. Cela comprend le cas d’un enfant qui arrive au Canada avec un membre de la parenté qui n’est pas son tuteur légal et qui peut ne pas être en mesure de fournir à l’enfant une protection adéquate au Canada. Une autre expression utilisée fréquemment est celle de « mineur non accompagné », bien qu’elle s’applique à un groupe plus restreint d’enfants migrants – ceux qui arrivent entièrement seuls au Canada[255].
Différentes raisons peuvent expliquer la séparation d’enfants de leurs parents; ils peuvent arriver aux frontières canadiennes à cause de la guerre ou d’autres menaces pour leur sécurité, par suite d’expériences comme enfants soldats, pour des raisons de sécurité à la suite de bouleversements socio-politiques, parce que leurs parents ont disparu ou ont été emprisonnés, ou en quête d’un avenir meilleur. Un portrait des enfants séparés au Canada a commencé à émerger des mémoires présentés au Comité par Marian Shermarke et Claude Malette. D’après ces documents, 82 p. 100 des 207 enfants séparés interrogés avaient 14 ans ou plus, et 65 p. 100 étaient des garçons[256]. À leur arrivée au Canada, ils peuvent être particulièrement vulnérables car ils doivent souvent composer avec la séparation de leur famille ou des traumatismes liés à la mort, une angoisse découlant de leur situation incertaine au Canada, le choc d’avoir été témoin ou victime de violence, ou encore l’anxiété inhérente à l’adaptation à une nouvelle langue et à une nouvelle culture[257].
Le Canada a été l’un des premiers pays industrialisés à réagir au problème des enfants séparés en publiant, en 1996, des directives sur les enfants demandeurs d’asile[258]. Ces directives établissent les procédures pour traiter les demandes de statut de réfugié des enfants, une section particulière étant consacrée aux enfants séparés. Bien qu’elles ne soient pas obligatoires pour les membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les directives fixent des normes qui doivent généralement être respectées. Par contraste, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’a pas de dispositions consacrées spécifiquement aux enfants séparés. Comme nous l’ont appris Claudette Deschênes, de l’Agence des services frontaliers du Canada, et Paul Aterman, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada doivent déjà accorder une attention particulière à tous les enfants migrants, chaque cas étant obligatoire déféré pour un examen secondaire détaillé. À la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le dossier des enfants non accompagnés est également traité en priorité.
En 2005, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a traité plus de 25 000 revendications du statut, dont 540 ont été définis initialement comme provenant de mineurs non accompagnés. Même si on a fini par constater que la majorité de ces enfants avaient de la famille au Canada[259], nombre d’entre eux demeuraient vraisemblablement séparés de leurs parents ou de leur parent-substitut légal/habituel.
Brian Grant a indiqué au Comité que Citoyenneté et Immigration Canada « s’affaire à établir une politique exhaustive sur le réétablissement des enfants mineurs seuls[260] », laquelle dépendra en fin de compte de la disponibilité de parents adoptifs ou de tuteurs légaux capables d’assurer la sécurité et la protection de ces enfants. Comme on l’indique au chapitre 9, l’âge où les enfants ne bénéficient plus de la protection de l’enfance varie à l’échelle du pays. Jahanshah Assadi, du bureau canadien du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, s’est dit particulièrement préoccupé du fait que l’âge en question ne soit que de 16 ans en Ontario, car cette province accueille la majorité des enfants séparés demandeurs d’asile au Canada. S’il n’y a aucune possibilité de réunification familiale, un enfant peut être déclaré pupille de l’État jusqu’à l’âge de 18 ans, mais il doit d’abord obtenir le statut de résident permanent; il s’agit souvent d’un long processus et, entre-temps, l’enfant est laissé sans tuteur légal[261]. Cela constitue une violation flagrante des droits de l’enfant en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant. Sœur Deborah Isaacs a en outre mentionné qu’avant l’âge de 18 ans, un enfant ne pouvait présenter une demande de citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté – seul un parent ou un tuteur le peut. Comme les provinces ne peuvent présenter de demandes de citoyenneté au nom d’enfants séparés placés en famille d’accueil, ces enfants ne peuvent, avant l’âge de 18 ans, régulariser leur statut au titre de l’immigration. Enfin, les enfants séparés sont aussi désavantagés dans certaines provinces, comme le Québec, où ils ne peuvent demander l’assistance sociale avant l’âge de 18 ans. Jusqu’à ce moment, il incombe au gouvernement provincial de pourvoir financièrement aux besoins de l’enfant[262].
Un problème se juxtapose à celui qu’on vient de décrire, celui des enfants achetés, vendus et amenés au Canada à des fins d’exploitation sexuelle ou autre; il s’agit de cas particulièrement horribles, ce qui peut arriver de pire à des enfants non accompagnés au Canada. C’est là une source d’inquiétude particulière au sujet des enfants (et plus précisément des filles), car il est facile pour un adulte de faire passer un enfant pour le sien. La traite des enfants est l’une des principales raisons qui expliquent le regard attentif que porte le gouvernement sur la migration et les demandes de citoyenneté des enfants.
Même si le gouvernement ne possède pas de preuve concrète qu’il existe un problème de traite des enfants au Canada[263], les preuves empiriques abondent. Les fournisseurs de services signalent qu’il n’existe pas de chiffres officiels parce que la traite est une activité de l’ombre et qu’elle est très difficile à déceler. Qui plus est, les enfants ne peuvent être exploités qu’une fois la frontière franchie – il n’est pas nécessairement facile de repérer la traite au passage frontalier ou en lisant une demande d’immigration.
Le gouvernement fédéral a pris différentes initiatives pour lutter contre la traite des personnes. En 2005, le Code criminel s’est enrichi des articles 279.01 à 279.04 afin d’interdire précisément :
- la traite des personnes, définie comme le fait de recruter, de transporter, de transférer, de recevoir, de cacher ou d’héberger une personne, ou d’exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter;
- de bénéficier matériellement de la traite de personnes;
- de retenir ou de détruire des documents de voyage d’une personne ou des documents établissant l’identité ou le statut d’immigrant d’une personne, en vue de faciliter la traite de cette personne.
Outre ces dispositions du Code criminel, l’article 118 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés vise la traite transfrontalière des personnes. Cet article définit l’infraction en question – organiser sciemment l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition – et interdit le recrutement, le transport, l’accueil et l’hébergement des personnes victimes de la traite. Les articles 122 et 123 décrivent l’infraction additionnelle qui consiste à utiliser, à acheter ou à vendre des documents de voyage en vue de contrevenir à la Loi.
En mai 2006, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a également mis en œuvre une politique visant à accorder gratuitement des permis de séjour temporaire de 120 jours aux personnes victimes de la traite[264]. Les personnes qui obtiennent ces permis peuvent bénéficier d’une assistance médicale et de counselling social ainsi que d’autres services en matière de santé. Les permis peuvent aussi être octroyés après qu’un agent de l’immigration a déterminé s’il est raisonnablement sûr et possible pour la personne en question de retourner dans son pays d’origine ou son dernier pays de résidence permanente pour y refaire sa vie, si la contribution de cette personne est nécessaire pour aider les autorités à faire enquête et à intenter des poursuites et si elle est disposée à le faire, ainsi que tout autre facteur pertinent.
Aucun de ces textes de loi et programmes ne vise précisément les enfants, et il reste à voir dans quelle mesure les besoins et intérêts particuliers de ceux-ci seront pris en compte dans les processus de mise en œuvre.
Par ailleurs, le Comité croit qu’il y a lieu d’appliquer certaines mesures afin de mieux protéger les enfants séparés et non accompagnés et d’assurer le strict respect de la Convention par le Canada. Dans son Observation générale sur le traitement des enfants non accompagnés et séparés, le Comité des droits de l’enfant a souligné ce qui suit :
Le but ultime de la prise en charge d’un enfant non accompagné ou séparé est de définir une solution durable qui permette de répondre à tous ses besoins en matière de protection, tienne compte de l’opinion de l’intéressé et, si possible, mette un terme à la situation de non-accompagnement ou de séparation[265].
De l’avis du Comité, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration devrait envisager sérieusement de permettre aux enfants séparés d’inclure leurs parents dans leur demande de résidence permanente, afin de régler la disparité actuelle entre les demandes des parents et celles des enfants.
Le Comité propose en outre qu’à l’arrivée à la frontière d’un enfant qui pourrait être un enfant séparé, on prenne les mesures suivantes :
- On cherche immédiatement à déterminer si l’enfant est non accompagné ou séparé ou même victime de la traite de personnes – en étant disposé à errer du côté d’une protection accrue pour l’enfant plutôt qu’à attendre une confirmation officielle;
- Des responsables formés en conséquence mènent immédiatement une entrevue avec l’enfant en tenant compte de son âge et de son sexe, afin de déterminer son identité et sa citoyenneté, celle de ses parents et de ses frères et sœurs, les raisons de la séparation ainsi que d’éventuelles vulnérabilités ou besoins de protection particuliers;
- On fournit à l’enfant des pièces d’identité, dans la mesure du possible, et on entreprend dès que possible des démarches actives en vue de trouver les membres de sa famille;
- On met en place un mécanisme clair afin de pourvoir à l’intervention automatique des autorités responsables du bien-être des enfants après qu’il est établi que l’enfant est vulnérable, afin de lui offrir la protection voulue et d’autres services;
- On nomme dès que possible un tuteur de l’enfant qui le demeurera jusqu’à ce que celui‑ci atteigne l’âge de 18 ans ou quitte le pays.
Comme il est recommandé au chapitre 9 relativement à la protection de l’enfant, le gouvernement fédéral devrait également examiner avec les provinces et les territoires des moyens de faire en sorte que les enfants séparés qui arrivent au Canada bénéficient d’une protection et de soins minimaux jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 18 ans.
E. DÉTENTION D’ENFANTS MIGRANTS
Des témoins ont aussi exprimé des préoccupations au sujet de la détention d’enfants migrants au Canada. En particulier, ils ont fait référence au cas des 134 enfants séparés qui sont arrivés en Colombie-Britannique en provenance de la Chine, en 1999. Dix-huit de ces enfants ont été gardés dans des centres de détention pour jeunes pendant sept mois parce qu’on les soupçonnait d’être de mèche avec des passeurs clandestins[266].
À l’instar de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’article 60 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés énonce clairement que la détention des enfants doit n’être qu’une mesure de dernier recours. D’après Claudette Deschênes, il s’agit là d’un élément important du programme de formation des agents d’immigration. Elle a dit au Comité :
Les mineurs ne sont détenus qu'en dernier recours, en tenant compte de la disponibilité des solutions de rechange à la détention, de la durée prévue de la détention et du risque que le mineur demeure sous l’emprise des passeurs ou des trafiquants qui l’ont amené au Canada et du genre d’établissement de détention. La décision de détenir un enfant n’est jamais prise sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans les cas d'un mineur non accompagné, nous communiquons habituellement avec les services sociaux de la province, mais cela ne fonctionne pas toujours[267].
Soulignant qu’« il est très rare que des mineurs soient détenus[268] », elle nous a dit que, lorsque de telles détentions ont lieu, les enfants sont habituellement gardés pendant moins de six jours dans un centre de l’immigration. Il peut s’agir des installations à Toronto, semblables à celles d’un hôtel, ou d’installations protégées à d’autres endroits. Lorsque des enfants sont détenus pendant plus de six ou sept jours, on leur offre des services d’éducation. Paul Aterman nous a indiqué qu’au cours des 18 derniers mois, il a toujours eu moins de 10 enfants migrants détenus à l’échelle du pays, et pour des périodes n’ayant pas dépassé 12 jours. Il faut se rappeler, a-t-il dit, que la détention est parfois dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Mme Deschênes nous a mentionné qu’en 2005-2006, 715 enfants migrants avaient été détenus au Canada, dont 70 p. 100 pendant moins de six jours. Parmi ces enfants, 620 étaient accompagnés et 95 étaient non accompagnés. Cela a été corroboré par Marian Shermarke, qui a dit que les enfants accompagnés par leurs parents risquaient beaucoup plus d’être détenus que les enfants séparés.
Le Comité tient à souligner que le gouvernement fédéral doit tout mettre en œuvre pour respecter la Convention relative aux droits de l’enfant à cet égard, et qu’il faudrait toujours accorder la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les responsables de l’immigration et des services frontaliers devraient veiller à ce que les politiques et lignes directrices en place soient respectées : les enfants ne devraient être détenus qu’en dernier recours et pour une période minimale. Lorsqu’ils sont en détention, ils devraient également bénéficier de services d’éducation et de counselling et d’activités récréatives. Comme l’a précisé le Comité des droits de l’enfant :
En cas de détention, à titre de mesure exceptionnelle, les conditions de détention doivent être commandées par l’intérêt supérieur de l’enfant et respecter pleinement les alinéas a et c de l’article 37 de la Convention et les autres obligations internationales. Des dispositions spéciales doivent être prises pour mettre en place des quartiers adaptés aux enfants permettant de les séparer des adultes, à moins qu’il ne soit pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de procéder de la sorte. La démarche sous-jacente d’un tel programme devrait être la «prise en charge» et non la «détention». Les installations ne devraient pas être situées dans des zones isolées, ni être dépourvues d’accès à des ressources communautaires appropriées culturellement et d’accès à une assistance juridictionnelle. Les enfants devraient avoir la possibilité d’entretenir des contacts réguliers et de recevoir la visite d’amis, de parents, de leur conseiller religieux, social ou juridique et de leur tuteur. Ils devraient également avoir la possibilité de se procurer tous les articles de première nécessité, ainsi que de bénéficier, au besoin, d’un traitement médical et de conseils psychologiques appropriés. Durant leur détention, les enfants ont le droit à l’éducation, laquelle devrait dans l’idéal être dispensée en dehors des locaux de détention afin de faciliter la poursuite de l’éducation à la libération[269].
F. REPRÉSENTANT DÉSIGNÉ
Au Canada, lorsqu’un enfant migrant est partie à une procédure de demande d’asile et qu’il n’a pas la capacité de se représenter lui-même, la loi prévoit qu’on lui affecte un représentant désigné. Le rôle de cette personne consiste à défendre l’intérêt supérieur de l’enfant devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rôle souvent assumé par un avocat, un travailleur social ou une autre personne connue de l’enfant, comme le parent. Le représentant désigné n’agit comme tuteur que dans le cadre de la procédure de l’immigration, et non à l’extérieur dans le cadre social. Il peut engager et mandater un conseil, prendre des décisions concernant la procédure, rechercher des éléments de preuve et agir comme témoin, tout en tenant l’enfant au courant de l’évolution de la situation[270].
Le travail du représentant désigné ne s’effectue pas de la même manière dans toutes les régions. Paul Aterman a indiqué ce qui suit au Comité :
Au Québec, par exemple, nous entretenons des rapports constants avec les ONG qui s’occupent surtout d'enfants immigrants et réfugiés. Nous, à la Commission, entretenons des rapports réguliers avec eux. Ils sont notre lien avec l’organisme de services sociaux. C'est une relation de travail très efficace.
À Toronto, nous avons dû un peu improviser. Nous avons des rapports avec le cabinet de droit McCarthy Tétrault, qui offre gratuitement ses services aux enfants qui comparaissent devant nous. Parfois, nous avons affaire avec des avocats qui agissent à titre de représentants désignés et, parfois, ce sont des organismes de services sociaux. C’est un peu au cas par cas[271].
Les témoins qui ont comparu devant le Comité avaient généralement une bonne perception de la nomination et du rôle d’un représentant désigné, mais des préoccupations ont néanmoins été exprimées. Par exemple, le bureau canadien du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés a souligné que ce représentant ne répondait pas à tous les besoins de l’enfant en matière de tutelle et qu’il y aurait lieu d’instaurer un mécanisme pour que les enfants séparés reçoivent une protection adéquate dès leur arrivée au Canada. Le Conseil canadien des réfugiés a fait écho à cette préoccupation dans un document présenté au Comité où il observe que le rôle du représentant désigné n’est pas prévu dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et que le représentant n’a pas le mandat d’aider l’enfant à se préparer avant l’audience. Il s’ensuit qu’un enfant migrant peut être interrogé par des responsables de l’immigration ou des services frontaliers sans qu’un tuteur ne soit présent pour représenter ses intérêts[272]. Dans l’optique des obligations du Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité propose que le gouvernement fédéral envisage la possibilité d’élargir le rôle du représentant désigné afin qu’il prête assistance aux enfants au moment de leur arrivée au Canada.
G. INTÉRÊT SUPÉRIEUR DE L’ENFANT
Le principe de « l’intérêt supérieur de l’enfant » refait surface très fréquemment dans les discussions sur les droits des enfants migrants. Dans Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le tribunal a décidé à la majorité que même si le Canada n’avait pas intégré à sa législation la Convention relative aux droits de l’enfant, le principe directeur de celle-ci faisant de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale dans les décisions à leur sujet devrait jouer un rôle dans le processus décisionnel du gouvernement.
Sur le plan concret, la législation canadienne de l’immigration mentionne explicitement l’intérêt supérieur de l’enfant dans maints contextes, et Brian Grant nous a indiqué qu’en 2005, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration avait produit des directives améliorées sur l’intérêt supérieur de l’enfant migrant. La formation des agents de l’immigration s’appuie sur ces lignes directrices. Par ailleurs, Paul Aterman a expliqué comment on appliquait le principe de l’intérêt supérieur dans la gestion des dossiers des demandeurs d’asile. Si les membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne peuvent invoquer ce principe pour justifier une décision différente, ils peuvent du moins traiter le dossier de manière différente.
Toutefois, d’autres témoins ont critiqué l’approche du gouvernement à l’égard du principe de l’intérêt supérieur, faisant valoir que « l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas présent dans l’esprit des gens qui sont chargés des cas en question[273] » et que le Canada ne respecte donc pas la Convention. D’après Janet Dench, le gouvernement considère que les mentions explicites de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la politique et la législation signifient que les responsables ne sont pas obligés d’en tenir compte lorsqu’il n’est pas explicitement mentionné. Mme Dench et sœur Deborah Isaacs nous ont également dit que le gouvernement a pour politique de seulement « tenir compte » de l’intérêt supérieur de l’enfant plutôt que d’en faire une « considération primordiale », comme l’exige la Convention. Enfin, elles ont souligné que les demandes reposant sur des motifs d’ordre humanitaire (qui tiennent compte effectivement de l’intérêt supérieur de l’enfant) sont si longues à traiter que le principe de l’intérêt supérieur est souvent passé sous silence avant que n’interviennent des mesures plus draconiennes, comme l’expulsion.
Des représentants du gouvernement ont dit au Comité que les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada et de Citoyenneté et Immigration affectés aux postes frontaliers avaient tous la formation voulue pour interroger des enfants, et que les membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié étaient formés pour traiter avec sensibilité les enfants pendant les auditions d’immigration[274]. D’après Paul Aterman, la Commission est en train d’élaborer des lignes directrices sur l’interaction avec les personnes vulnérables qui comparaissent devant elle. Il a ajouté que les membres de la Commission reçoivent également une orientation et une formation continues en ce qui touche l’incidence sur leur travail des obligations internationales du Canada en matière de droits humains. Cette formation attache une importance particulière à la façon de se comporter avec les enfants témoins, à l’application du principe de l’intérêt supérieur sur les plans de la procédure et du fonds, et aux nouvelles dispositions législatives qui touchent les enfants.
Toutefois, des témoins ont signalé que les lignes directrices canadiennes de 1996 concernant les enfants n’obligent pas les responsables qui interrogent ces derniers à être formés dans la manière de mener des entrevues avec eux ou à posséder un bagage de connaissances sur le développement de l’enfant. À leur avis, la formation que reçoivent actuellement les responsables de l’immigration et des services frontaliers est insuffisante : ils ont besoin non seulement de connaître la loi, mais également d’être informés au sujet des antécédents et de la langue de l’enfant. Marian Shermarke est allée jusqu’à proposer la création d’un comité spécial de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié chargé précisément des dossiers des enfants migrants, à la manière des procédures spécialisées qu’on est en train d’instituer dans les tribunaux du pays.
Enfin, le Comité s’est fait dire que le renvoi d’un enfant migrant dans son pays d’origine peut s’avérer une expérience traumatisante, voire dommageable. David Matas et sœur Deborah Isaacs nous ont indiqué qu’il n’y avait à l’heure actuelle, dans la politique et la législation canadiennes, aucun mécanisme pour la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque celui‑ci est renvoyé du Canada.
Selon eux, le gouvernement ne considère pas nécessairement la séparation d’avec les parents comme un préjudice indu et, bien que le renvoi puisse être reporté jusqu’à ce que l’enfant termine ses classes au Canada, le seul véritable mécanisme de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant est une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, comme on l’a mentionné plus haut, il n’y a pas de coordination entre la demande d’immigration pour motifs d’ordre humanitaire et la procédure de renvoi, et la décision finale peut prendre des mois ou des années. Lorsqu’elle intervient, l’enfant peut déjà avoir été déporté.
Cette situation contrevient nettement aux obligations du gouvernement fédéral en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le respect de ses obligations juridiques par le Canada signifie qu’il devrait tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant non seulement dans les procédures visant le renvoi de l’enfant, mais également dans celles visant le renvoi de ses parents. La déportation des parents peut avoir un impact considérable sur un enfant ayant un statut juridique et qui est laissé derrière.
Par conséquent, le Comité souligne que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait toujours être une considération primordiale dans les décisions en matière d’immigration qui touchent les enfants. Tous les responsables de l’immigration et des services frontaliers qui sont en contact avec des enfants devraient recevoir une orientation et une formation continue pour qu’ils aient une connaissance approfondie des droits de l’enfant et de la manière de communiquer efficacement avec des enfants ayant des antécédents culturels différents. On devrait améliorer et réviser les programmes de formation actuels afin de tenir compte des observations et des critiques exprimées dans le présent rapport.
Faisant écho aux recommandations de David Matas et Jahanshah Assadi, le Comité propose en outre que les responsables fédéraux de l’immigration veillent à ce que les enfants migrants ne pas soient renvoyés dans leur pays d’origine avant qu’ait été prise une décision finale sur l’existence ou non de motifs d’ordre humanitaire impérieux justifiant l’admission de l’enfant au Canada, et avant qu’ait eu lieu qu’un examen exhaustif des risques avant renvoi mettant fortement l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Si l’enfant est renvoyé, les responsables devraient s’assurer que des mesures de protection appropriées sont en place dans le pays d’origine. Par exemple, comme le signale le Comité de l’ONU dans son Observation générale, on ne devrait pas renvoyer des enfants qui risquent d’être à nouveau victimes de la traite de personnes sauf si le renvoi correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant et que des mesures appropriées pour sa protection ont été prises dans le pays d’origine. Celles-ci englobent des services de counselling pour l’enfant et la localisation de la famille afin de mettre en place les dispositions voulues de prise en charge et de tutelle pour le retour de l’enfant.
RECOMMANDATION 12
En vertu des articles 7, 9, 10, 11, 21, 22 et 35 de la Convention relative aux droits de l’enfant et au Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le Comité recommande :
- Que le comité sénatorial chargé d’étudier le projet de loi C‑14 examine très sérieusement les préoccupations exprimées dans le présent rapport et que, si le projet de loi est adopté, le gouvernement fédéral mette en œuvre un projet-pilote en vue de déterminer si les responsables de l’immigration peuvent s’en remettre au processus provincial d’approbation des adoptions pour s’assurer de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant;
- Que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration affecte davantage de ressources pour remédier aux arriérés qui retardent les réunifications familiales, en particulier dans ses bureaux des visas à l’étranger, et qu’il envisage sérieusement de modifier ses directives en matière d’immigration pour permettre que les dossiers des enfants soient traités ici même comme dans le cas des conjoints et que les enfants incluent leurs parents dans leurs demandes de résidence permanente;
- Qu’on mette en place des mesures précises pour l’identification et la protection efficaces d’enfants potentiellement séparés arrivant à la frontière;
- Qu’on accorde toujours la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’on détient des enfants migrants;
- Que les enfants migrants ne pas soient renvoyés dans leur pays d’origine avant qu’ait été prise une décision finale sur l’existence ou non de motifs d’ordre humanitaire impérieux justifiant l’admission de l’enfant au Canada, et avant qu’ait eu lieu qu’un examen exhaustif des risques avant renvoi mettant fortement l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant;
- Que tous les responsables de l’immigration et des services frontaliers qui sont en contact d’une manière quelconque avec des enfants reçoivent une orientation et une formation continue pour qu’ils aient une connaissance approfondie des droits de l’enfant et de la manière de communiquer efficacement avec des enfants ayant des antécédents culturels différents.
Chapitre 12 - Articles 18, 28 et 29 : Développement de la petite enfance
Chapitre 12 - Articles 18, 28 et 29 : Développement de la petite enfance
Les articles 18, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant portent sur les services de garde et de développement de la petite enfance.
Les articles 28 et 29 traitent du droit de l’enfant à l’éducation. Le paragraphe 28(1) prévoit ce qui suit :
Par. 28(1) Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :
a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;
b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin;
c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés;
d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles;
e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire.
L’article 29 porte sur la qualité de l’éducation :
Par. 29(1) Les États parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :
a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;
b) Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;
c) Inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;
d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone;
e) Inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.
(2) Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’État aura prescrites.
Comme il est mentionné dans le chapitre 10, l’article 18 concerne la responsabilité de l’État d’aider les parents dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever leurs enfants, et de veiller à ce que ceux-ci bénéficient de services et d’établissements de garde d’enfants.
La Convention relative aux droits de l’enfant met tout particulièrement l’accent sur la nécessité de protéger les droits de l’enfant dès sa naissance. Il faut s’occuper des besoins et des droits de l’enfant alors qu’il est en bas âge. La question des services de garde et de développement de la petite enfance a donné lieu à un débat animé parmi les témoins qui ont comparu devant le Comité; tous s’entendaient néanmoins sur les avantages considérables que les initiatives à cet égard comportent pour les enfants. Le Comité fait remarquer que les services de garde et d’éducation de la petite enfance vont au-delà de la garderie, et englobent le congé de maternité et le congé parental, le soutien et les soins prénataux, les soins médicaux et l’enseignement primaire. Les provinces et les territoires canadiens sont généralement responsables de la politique en matière de services de garde et de développement de la petite enfance ainsi que du financement et de la prestations de ces services, tandis que le gouvernement fédéral offre des programmes de services de garde et de développement de la petite enfance à des populations en particulier (collectivités autochtones, familles des militaires et nouveaux Canadiens), de même que des prestations de congé parental et de maternité et des déductions fiscales pour les frais de garde d’enfants.
Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a critiqué le rendement du Canada en matière de services de garde et de développement de la petite enfance :
Le Comité se félicite des mesures prises par le Gouvernement pour apporter une aide aux familles par le biais d’un allongement du congé parental, d’une hausse des déductions fiscales et des prestations sociales en faveur de l’enfance ainsi que de programmes spécifiques pour les Autochtones. Il relève toutefois avec préoccupation qu’en matière de soins aux enfants, certaines sources d’information pointent du doigt les coûts élevés, le manque de places et l’absence de normes à l’échelle nationale.
Le Comité encourage l’État partie à effectuer une analyse comparative au niveau des provinces et des territoires afin de cerner les variations des prestations de soins aux enfants et les conséquences que ces variations peuvent avoir sur ces enfants ainsi qu’à réfléchir à des méthodes coordonnées devant permettre à tous les enfants d’avoir accès à des soins de qualité indépendamment de leur situation économique ou de leur lieu de résidence[275].
Un certain nombre de témoins[276] ont rappelé que le Canada ne respecte pas la Convention à cet égard. Ils ont déclaré qu’au Canada, les services à la petite enfance sont offerts par un ensemble disparate et non coordonné de fournisseurs[277], et ils ont donné des précisions sur des statistiques canadiennes et appris au Comité qu’il y a une pénurie de places pour les enfants de six à 12 ans ayant des besoins spéciaux. En 2004, seulement 15,5 p. 100 des enfants canadiens de moins de 12 ans avaient accès à une place en services de garde homologués et réglementés, tandis qu’en 2006, un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques a révélé que 24 p. 100 des enfants canadiens de six ans et moins avaient accès à des places en services de garde réglementés. Selon ce rapport, le nombre de Canadiens de trois ans ayant une place dans un service de garde homologué et réglementé était dérisoire[278].
L’accès à une place dans un service de garde varie considérablement d’un endroit à l’autre du pays. Par exemple, moins de 5 p. 100 des enfants de la Saskatchewan ont une place dans un service de garde, alors que le tiers des enfants du Québec en ont une. En fait, 43 p. 100 des places en services de garde réglementés du Canada se trouvent au Québec. Environ 80 p. 100 des places en services de garde sont créées par le secteur sans but lucratif.
Des témoins ont insisté sur les conséquences de la pénurie de places en services de garde au Canada; ils ont signalé au Comité que les deux tiers des femmes ayant des enfants de moins de trois ans, 75 p. 100 des femmes ayant des enfants de trois à cinq ans et 82 p. 100 des femmes ayant des enfants de six à 15 ans font partie de la population active[279]. Comme ces proportions sont à la hausse, il faut trouver des solutions pour répondre à ces besoins croissants et pour que les enfants reçoivent ainsi les services de garde de qualité auxquels ils ont droit.
Susan Prentice, de Child Care Coalition of Manitoba, a déclaré au Comité que les parents paient souvent plus de 7 000 $ par année pour des places en services de garde réglementés et que, dans la plupart des provinces, une famille doit avoir un revenu bien en deçà du seuil de pauvreté pour être admissible à des subventions. Selon le rapport de 2006 de l’OCDE, seulement 22 p. 100 des chefs de famille monoparentale et environ 5 p. 100 des femmes mariées vivant dans une famille à faible revenu ont accès à des subventions pour frais de garde. En 2001, 36 p. 100 des enfants résidant à l’extérieur du Québec ont reçu ces subventions. Des témoins ont dit clairement au Comité que les enfants pauvres ont généralement moins accès aux services de garde que les enfants mieux nantis. Il existe moins de programmes de services de garde dans les quartiers défavorisés, et ceux qui sont offerts sont généralement de moindre qualité.
Des témoins ont également cité le rapport de l’OCDE et mentionné au Comité que le Canada ne respecte pas les normes de l’OCDE en matière de services aux enfants. Le Canada investit seulement environ 0,3 p. 100 de son produit intérieur brut dans les services à la petite enfance, alors que l’OCDE recommande d’en investir 1 p. 100. Des 14 pays de l’OCDE qui ont fait l’objet de l’enquête, le Canada était celui où les dépenses publiques consacrées aux services à la petite enfance étaient les moins élevées. Martha Friendly, de la Childcare Resource and Research Unit de l’Université de Toronto, a déclaré que, sur le plan des mesures prises par le Canada en matière de services de garde et d’éducation de la petite enfance, « notre résultat se situe quelque part entre le niveau 1, qui est purement symbolique, et le niveau 2, qui évoque des mesures sporadiques[280] ». Un rapport publié en mars 2007 par le Council for Early Childhood Development indique en outre que les dépenses publiques globales consacrées aux enfants de zéro à six ans sont moindres que le montant affecté aux enfants d’âge scolaire[281].
Des experts ont loué les avantages à long terme que des services de garde de qualité peuvent avoir pour les enfants, plus particulièrement ceux de familles à faible revenu[282]. Ces avantages sont notamment liés à un meilleur esprit de collaboration et à de plus grandes aptitudes cognitives et sociales. Nathaniel Mayer-Heft, étudiant à Montréal, a déclaré que les enfants doivent acquérir l’esprit de collaboration en bas âge afin d’être mieux en mesure de résoudre des problèmes de violence et d’intimidation plus tard au cours de la vie. Des soins de qualité peuvent aussi protéger un enfant contre certaines des conséquences négatives à long terme d’une enfance vécue dans la pauvreté. Cette constatation concerne tout particulièrement les filles, dont la présence à l’école peut être interrompue en raison de responsabilités familiales comme les soins à leurs jeunes frères et sœurs.
Sue Rossi, du Programme d’action communautaire pour les enfants de la Colombie-Britannique, a déclaré au Comité :
Énormément d’études révèlent que les enfants qui se développent bien de la naissance jusqu’à l’âge de six ans terminent leurs études avec succès, ne tombent pas dans la délinquance, sont équilibrés et deviennent de bons citoyens actifs. Nous devons briser ce cercle vicieux et donner aux parents le rôle qui leur revient[283].
Comme l’ont fait remarquer Barbara Byers et le Comité des droits de l’enfant dans son Observation générale sur le système judiciaire pour les jeunes, l’investissement dans des services de qualité pour les enfants peut contribuer de façon importante à éviter que les jeunes aient ultérieurement affaire au système judiciaire et au système de protection de la jeunesse.
Ces témoignages ont convaincu le Comité de la nécessité d’améliorer les services de garde et de développement de la petite enfance afin que le Canada se conforme à ses obligations découlant de la Convention. Selon Adrienne Montani, de la British Columbia Child and Youth Coalition, l’accès à des services de garde et d’éducation de qualité devrait être un droit pour tous les enfants plutôt qu’un privilège.
RECOMMANDATION 13
En vertu des articles 18, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral rencontre les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le but d’aider à coordonner l’établissement de normes mesurables et des lignes directrices en matière de prestation de services de garde et de développement de la petite enfance dans toutes les régions du pays, assorties d’un financement raisonnable. Les consultations devraient commencer sur le champ et les solutions proposées devraient être communiquées à la population canadienne d’ici juillet 2009.
Chapitre 13 - Articles 26 et 27 : Pauvreté infantile
Chapitre 13 - Articles 26 et 27 : Pauvreté infantile
Dans la Convention relative aux droits de l’enfant, la pauvreté chez les enfants est traitée comme un problème grave qui peut se répercuter de façon importante sur d’autres aspects préoccupants qui contribuent à la vulnérabilité des enfants dans la société en général. Les articles 26 et 27 traitent plus particulièrement de cette question. L’article 26 porte sur le droit de l’enfant de profiter de la sécurité sociale :
Par. 26(1) Les États parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et prennent les mesures nécessaires pour assurer la pleine réalisation de ce droit en conformité avec leur législation nationale.
(2) Les prestations doivent, lorsqu’il y a lieu, être accordées compte tenu des ressources et de la situation de l’enfant et des personnes responsables de son entretien, ainsi que de toute autre considération applicable à la demande de prestation faite par l’enfant ou en son nom.
L’article 27 concerne le droit à un niveau de vie convenable et les obligations de l’État à cet égard :
Par. 27(1) Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social.
(2) C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant.
(3) Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement.
(4) Les États parties prennent toutes les mesures appropriées en vue d’assurer le recouvrement de la pension alimentaire de l’enfant auprès de ses parents ou des autres personnes ayant une responsabilité financière à son égard, que ce soit sur leur territoire ou à l’étranger. En particulier, pour tenir compte des cas où la personne qui a une responsabilité financière à l’égard de l’enfant vit dans un État autre que celui de l’enfant, les États parties favorisent l’adhésion à des accords internationaux ou la conclusion de tels accords ainsi que l’adoption de tous autres arrangements appropriés.
Essentiellement, la Convention reconnaît que les parents et les tuteurs doivent assumer au premier chef la responsabilité économique des enfants. Toutefois, en cas de besoin, elle enjoint les États d’accorder une aide matérielle directement aux enfants ou par l’entremise de leurs parents.
À cet égard, le Comité juge tout d’abord important de reconnaître que chacun a une façon différente de définir la pauvreté. Dans la présente partie du rapport, le Comité mettra l’accent sur la nécessité pour le Canada de se conformer aux articles 26 et 27 de la Convention, et il se penchera sur les définitions de la pauvreté données par divers témoins ainsi que celles présentées dans les études auxquelles ils peuvent se référer.
Les témoins ont attiré l’attention du Comité sur la gravité du problème de la pauvreté chez les enfants au Canada. David Agnew, ancien président d’UNICEF Canada, a mentionné au Comité qu’en 2005, une étude de l’UNICEF sur les taux de pauvreté infantile dans les pays de l’OCDE a révélé que le Canada s’est classé au 19e rang parmi 26 pays, 15 p. 100 de ses enfants vivant dans la pauvreté. Selon le Rapport 2006 sur la pauvreté des enfants et des familles au Canada de Campagne 2000, plus de 1,2 million d’enfants vivent dans la pauvreté au Canada, soit un enfant sur six[284]. Ce nombre a augmenté de 20 p. 100 depuis 1989[285]. Les statistiques sont encore plus alarmantes en Colombie‑Britannique et à Terre-Neuve-et-Labrador, où près d’un enfant sur quatre vit dans la pauvreté. Le Québec est la seule province où les taux de pauvreté infantile ont diminué de façon constante au cours des 10 dernières années[286]. À Toronto, un enfant de moins de 14 ans sur trois vit dans la pauvreté, chiffre particulièrement renversant si l’on tient compte du fait que 80 p. 100 de la population canadienne réside dans les villes[287].
Les conséquences de la pauvreté infantile sont renversantes. À la base, Stephen Wallace, de l’Agence canadienne de développement international, a signalé que « [l]a pauvreté nie aux enfants leurs droits de la personne à une étape névralgique de leur développement[288] », tandis que Gilles Julien, président de la Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale, a fait remarquer que les enfants les plus vulnérables se trouvent dans les collectivités les plus pauvres du Canada. Selon le Rapport 2006 sur la pauvreté des enfants et des familles au Canada, 27,7 p. 100 des enfants handicapés, 40 p. 100 des enfants autochtones, 25 p. 100 des enfants des collectivités des Premières nations, et 40,4 p. 100 des enfants immigrants vivent dans la pauvreté (près du double de la moyenne nationale[289]). Pourtant, le Dr Gilles Julien a déclaré que les enfants dans les collectivités défavorisées
manquent d’accessibilité à des services adaptés. Leurs droits fondamentaux sont bafoués quotidiennement parce qu’ils n’ont pas accès à ce qu’il faut pour se développer de façon adéquate. […] [Q]uand on est pauvre, on a moins de chances de faire respecter nos droits[290].
La pauvreté peut mener directement à l’exclusion sociale et à d’autres formes de marginalisation. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, le Dr Gilles Julien, le Dr Nicolas Steinmetz et Adrienne Montani ont mentionné au Comité que les enfants de familles à faible revenu ont tendance à être en moins bonne santé, à avoir un taux d’abandon scolaire plus élevé et à souffrir davantage de la faim et de malnutrition. Les familles pauvres sont aussi plus susceptibles de compter un plus grand nombre d’enfants ayant des besoins spéciaux et d’enfants pris en charge, et les enfants y courent des risques plus élevés de subir des mauvais traitements et des blessures accidentelles[291].
Un des principaux problèmes, c’est que la pauvreté ne touche généralement pas une seule génération; elle devient un cercle vicieux et se poursuit d’une génération à l’autre. Krista Thompson a raconté au Comité ce qu’elle a pu observer dans le cadre de son travail à Covenant House :
Les parents des jeunes que nous voyons ont peu ou pas d’éducation. Ils ont survécu un peu comme leurs enfants survivent aujourd’hui. C’est un cycle. Il faut pouvoir briser ce cercle vicieux en améliorant les conditions de vie et l’accès à l’éducation[292].
Trop souvent, le cycle de la pauvreté entraîne les enfants dans l’itinérance. Selon un rapport publié en 2006 par l’Agence de santé publique du Canada, 150 000 jeunes de 15 à 24 ans vivraient dans la rue au Canada. Deux fois plus de garçons que de filles sont sans abri[293].
Les problèmes associés à la pauvreté sont exacerbés pour les jeunes sans-abri. Selon le rapport de l’Agence de santé publique, il s’agit d’une population très vulnérable psychologiquement et physiquement, qui possède peu d’instruction et de compétences professionnelles et qui consomme fréquemment des drogues ou se livre à la prostitution. Plus de la moitié des jeunes interrogés ont déclaré avoir passé du temps dans un centre de détention pour jeunes ou avoir été incarcérés dans une prison ou un établissement de détention; les deux tiers d’entre eux étaient des jeunes hommes et le tiers des jeunes femmes. Vingt pour cent des répondants ont signalé avoir fait usage de drogues injectables. Krista Thompson a décrit de façon particulièrement éloquente la vulnérabilité des jeunes vivant dans la rue :
Les jeunes me disent avoir commencé à prendre de la méthamphétamine parce qu’ils avaient peur de s’endormir dans une ruelle. Ils sont sans domicile. Ils vivent dans la rue. Ils seront violés, battus ou tués s’ils s’endorment. Une dose de cinq dollars de méthamphétamine leur permettra de rester éveillés pendant 36 heures. C’est une question de survie[294].
Elle a insisté sur le fait que ces jeunes ont souvent droit à des services mais ils les reçoivent rarement - « [b]eaucoup sont simplement passés entre les mailles du filet[295] ». Les travailleurs sociaux ne suffisent pas à la tâche et ils n’ont ni le temps ni les ressources pour s’occuper de jeunes de plus de 16 ans. « [Q]uand un jeune a 16 ans, les travailleurs sociaux lui disent : « Tu es assez grand maintenant. Je dois me préoccuper d’enfants de huit ans. Je n’ai pas suffisamment de temps, d’argent ou d’énergie pour m’occuper de toi, alors tu dois t’organiser[296]. » Elle a fait remarquer qu’il y a une énorme demande de services de traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme pour ces jeunes, mais que l’accès à ces services est limité à moins de payer pour obtenir des services privés. Les jeunes de la rue ont souvent besoin de soutien à vie, mais « [l]à n’est pas le rôle d'une organisation caritative qui survit grâce à des dons. C’est le rôle de la société et du gouvernement de fournir, dans certains cas, un soutien à vie à ces jeunes gens qui ont tant souffert[297] ».
Dans ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant a repris certaines des préoccupations relatives au nombre d’enfants pauvres au Canada, et il a affirmé on ne peut plus clairement qu’il fallait adopter rapidement des mesures efficaces pour que le Canada se conforme à la Convention :
Niveau de vie
Le Comité se réjouit d’apprendre que l’étude du phénomène des sans-abri est désormais une priorité parmi les domaines de recherche de la Société canadienne d’hypothèque et de logement, car les sources d’information sont pour l’heure limitées. Il reste que le Comité partage les préoccupations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/1/Add.31, par. 24 et 46), qui a relevé que les maires des dix plus grandes villes du Canada avaient qualifié ce phénomène de désastre national et en avaient appelé au Gouvernement pour qu’il mette en place une stratégie nationale de diminution du nombre des sans-abri et de réduction de la pauvreté.
Le Comité réaffirme la préoccupation qu’il avait précédemment exprimée face au phénomène nouveau de la pauvreté des enfants, et partage les inquiétudes exprimées par le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes quant aux changements économiques et structurels constatés dans le pays et à l’aggravation de la pauvreté parmi les femmes, qui touchent particulièrement les mères célibataires et d’autres groupes vulnérables, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les enfants.
Le Comité recommande que de nouvelles études soient réalisées pour identifier les causes de l’augmentation du nombre des sans-abri, en particulier parmi les enfants, et établir toute corrélation entre cette situation et la maltraitance d’enfants, la prostitution d’enfants, la pornographie mettant en scène des enfants et la traite d’enfants. Le Comité encourage l’État partie à renforcer encore les services d’accompagnement qu’il met à la disposition des enfants sans abri, tout en s’attachant à limiter et prévenir ce phénomène.
Le Comité recommande à l’État partie de continuer à s’attaquer aux facteurs responsables de la hausse du nombre d’enfants vivant dans la pauvreté et de mettre au point des programmes et politiques pour permettre à toutes les familles de disposer de ressources et d’équipements adéquats, en accordant l’attention voulue à la situation des femmes célibataires, comme le lui avait suggéré le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (A/52/38/Rev.1, par. 336), ainsi qu’à celle d’autres groupes vulnérables.
Enfants de la rue
Le Comité regrette que le rapport de l’État partie manque d’informations sur les enfants des rues, alors qu’ils sont un certain nombre dans cette situation. Sa préoccupation est d’autant plus grande que d’après les statistiques des principaux centres urbains, les enfants comptent pour une part importante de la population des sans-abri du Canada, que les enfants autochtones sont largement surreprésentés dans ce groupe et que l’on recense parmi les causes du phénomène la pauvreté et des situations de sévices ou de négligence au sein de la famille.
Le Comité recommande à l’État partie de procéder à une étude pour évaluer l’ampleur et les causes du phénomène des enfants sans abri et d’envisager la mise au point d’une stratégie globale pour répondre aux besoins de ces enfants, en accordant une attention particulière aux groupes les plus vulnérables, avec pour objectif de prévenir et de réduire ce phénomène, dans l’intérêt supérieur de ces enfants et avec leur participation[298].
Le Comité abonde dans le sens d’Adrienne Montani et estime que l’élimination de la pauvreté chez les enfants du Canada doit être fondée sur des mesures universelles qui peuvent atteindre tous les jeunes à risque et non seulement ceux qui sont portés à l’attention du gouvernement ou des services sociaux ni non plus uniquement « les plus pauvres d’entre les pauvres[299]. C’est là la démarche fondée sur les droits qui sous-tend la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Comité signale qu’il faut adopter à l’égard de la pauvreté chez les enfants du Canada une approche globale et cohérente qui utilise la Convention pour évaluer sa réussite.
Le modèle de pédiatrie sociale utilisé par Gilles Julien et Nicolas Steinmetz se prête au genre de d’intervention de grande portée qu’exige la situation. Dans le mémoire qu’ils ont présenté au Comité, les deux témoins ont avancé ce qui suit :
La pédiatrie sociale est une approche de santé globale centrée sur l’enfant, basée sur la prévention et l’éducation auprès des familles dans les milieux à risque. Elle vise à assurer le respect des droits de l’enfant et de ses besoins en privilégiant le développement, la protection et la stimulation physique, affective, sociale et intellectuelle des enfants plus vulnérables. Toutes les interventions en pédiatrie sociale sont axées vers le rapprochement et les échanges entre les enfants et leurs parents, favorisant ainsi les consensus et l’intégration sociale et culturelle au sein de la famille. Enfin, elle repose sur l’utilisation et la mise en commun des ressources des réseaux familiaux, scolaires, communautaires et institutionnels déjà en place dans la société[300].
Gilles Julien a fait remarquer que le respect de la Convention s’inscrit bien dans ce contexte :
[À la] lecture [de la Convention], on y trouve à peu près tout ce dont on a besoin pour organiser un vrai programme de soutien aux enfants dans la communauté. Tout est là. La convention est très inspirante pour des gens qui, comme nous, défendent les droits de l’enfant à l’école, à l’hôpital, quand ils n’ont pas assez de services dans leur communauté, quand ils n’ont pas accès à des loisirs suffisants, quand ils ont besoin de protection localement. La convention est là pour nous supporter.
En général, quand on l’utilise de cette façon, et on l’a utilisé récemment au Tribunal : de quel droit on fait cela à un enfant? C’est écrit dans la convention que l’enfant a droit à être protégé, à avoir une éducation, d’aller à l’école dans une école qu’il reconnaît et qui s’adapte à lui, et non pas l’inverse. On peut l’utiliser à peu près à toutes les sauces dans notre travail quotidien, ce qui est inspirant, mais qui amène une puissance aussi dans nos interventions qui est très intéressante.
C’est certain que pour nous, la Convention est un don du Ciel[301].
La pédiatrie sociale est un exemple de la façon pratique et efficace de mettre en œuvre la Convention relative aux droits de l’enfant dans les collectivités afin d’avoir des effets positifs dans la vie des enfants. Le Comité croit qu’en adoptant une approche qui utilise, met en commun et renforce les ressources actuelles, les gouvernements peuvent travailler en collaboration avec les ONG et les collectivités afin de réduire ou de supprimer la pauvreté chez les enfants.
Finalement, il faut une stratégie nationale de réduction de la pauvreté fondée sur les principes de la Convention. En travaillant en consultation avec les provinces et les territoires, le gouvernement fédéral devrait élaborer et financer une stratégie globale de logement abordable. Il serait aussi possible d’utiliser du financement ciblé pour appuyer des organismes qui viennent en aide aux jeunes de la rue et à d’autres enfants à risque en leur offrant un endroit neutre où aller, une aide alimentaire et un refuge, des traitements pour la toxicomanie, des consultations médicales, de même que des services d’éducation, de développement des compétences et de préparation à l’emploi.
La pauvreté infantile est une réalité, et ses conséquences désastreuses se manifestent dans la vie quotidienne des enfants. Krista Thompson a bien fait comprendre le problème au Comité en lui donnant un exemple saisissant de ce qu’elle a constaté à Covenant House :
Nous aidons beaucoup de jeunes à trouver du travail, notamment en leur donnant une formation préalable à l’emploi. J’ai remarqué que, souvent, lorsqu’un jeune est bien habillé, que ses chaussures sont cirées et que nous l’aidons à rédiger son curriculum vitae, il a du mal à communiquer avec les gens. Beaucoup de ces jeunes sourient rarement. Je croyais que c’était parce qu’ils étaient renfrognés, fâchés, et je les en blâme pas. Mais en réalité, ils ne sourient pas parce que leurs dents sont en si mauvais état qu’ils ne veulent pas les montrer. Cela peut sembler anodin, mais sans sourire, un jeune aura de la difficulté à entrer en contact avec le monde[302].
C’est sur le plan de la réalité quotidienne que la Convention peut permettre de changer les choses.
RECOMMANDATION 14
En vertu des articles 26 et 27 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté chez les enfants qui serait mis en application le plus rapidement possible et comporterait des objectifs et des échéanciers. Le plan devrait comprendre, entre autres, des mesures préventives conçues pour les familles à risque élevé et une stratégie globale de logement.
Chapitre 14 - Articles 2, 23, 24, 33 et 39 : Santé des enfants
Chapitre 14 - Articles 2, 23, 24, 33 et 39 : Santé des enfants
A. INTRODUCTION
Comme il a déjà été mentionné au chapitre 3, l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant énonce le principe élémentaire de non-discrimination, en vertu duquel les États parties s’engagent à respecter les droits énoncés dans la Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur compétence, indépendamment de leur incapacité. Dans son Observation générale sur les droits des enfants handicapés, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies traite de cette disposition en ces termes :
L’inclusion explicite de l’incapacité au nombre des motifs de discrimination illicite à l’article 2 est inédite et peut s’expliquer par le fait que les enfants handicapés font partie de l’un des groupes d’enfants les plus vulnérables. La discrimination se produit – souvent de facto – dans divers aspects de la vie et du développement des enfants handicapés. Par exemple, la discrimination et la stigmatisation sociales entraînent leur marginalisation et leur exclusion, et peuvent même menacer leur survie et leur développement en raison de leurs comportements violents. La discrimination dans la prestation de services les exclut de l’éducation et les prive de l’accès à des services sociaux et de santé de qualité. Le manque d’éducation et de formation professionnelle qui conviennent constitue une autre forme de discrimination, car ces enfants seront privés de perspectives d’emploi dans l’avenir. Les stigmates sociaux, les peurs, la surprotection, les attitudes négatives, les idées préconçues et les préjugés visant les enfants handicapés restent bien présents dans de nombreuses collectivités et entraînent la marginalisation et l’aliénation des enfants handicapés[303].
D’autres dispositions de la Convention touchent également les droits des enfants en ce qui concerne leur santé ou leur incapacité. Ainsi, l’article 23 traite expressément des droits des enfants handicapés :
Par. 23(1) Les États parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité.
(2) Les États parties reconnaissent le droit à des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et encouragent et assurent, dans la mesure des ressources disponibles, l’octroi, sur demande, aux enfants handicapés remplissant les conditions requises et à ceux qui en ont la charge, d’une aide adaptée à l’état de l’enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié.
(3) Eu égard aux besoins particuliers des enfants handicapés, l’aide fournie conformément au paragraphe 2 du présent article est gratuite chaque fois qu’il est possible, compte tenu des ressources financières de leurs parents ou de ceux à qui l’enfant est confié, et elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l’éducation, à la formation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l’emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel.
(4) Dans un esprit de coopération internationale, les États parties favorisent l’échange d’informations pertinentes dans le domaine des soins de santé préventifs et du traitement médical, psychologique et fonctionnel des enfants handicapés, y compris par la diffusion d’informations concernant les méthodes de rééducation et les services de formation professionnelle, ainsi que l’accès à ces données, en vue de permettre aux États parties d'améliorer leurs capacités et leurs compétences et d’élargir leur expérience dans ces domaines. À cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.
Dans cette disposition, il est demandé à l’État de prendre des mesures pour que les enfants handicapés puissent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité. L’article 23 traite du droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et de l’octroi d’une aide aux personnes qui en ont la charge. Cette aide doit être adaptée à l’état de l’enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié. Le message sous-jacent de cette disposition, c’est que les enfants handicapés devraient être des membres à part entière de la société[304].
L’article 24 porte sur la santé des enfants et leurs services de santé :
Par. 24(1) Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.
(2) Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants;
b) Assurer à tous les enfants l’assistance médicale et les soins de santé nécessaires, l’accent étant mis sur le développement des soins de santé primaires;
c) Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre de soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel;
d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés;
e) Faire en sorte que tous les groupes de la société, en particulier les parents et les enfants, reçoivent une information sur la santé et la nutrition de l’enfant, les avantages de l’allaitement au sein, l’hygiène et la salubrité de l’environnement et la prévention des accidents, et bénéficient d’une aide leur permettant de mettre à profit cette information;
f) Développer les soins de santé préventifs, les conseils aux parents et l’éducation et les services en matière de planification familiale.
(3) Les États parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.
(4) Les États parties s’engagent à favoriser et à encourager la coopération internationale en vue d’assurer progressivement la pleine réalisation du droit reconnu dans le présent article. À cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.
La Convention s’intéresse ensuite à des questions de santé particulières concernant les enfants. L’article 33 traite de la question de la consommation abusive de stupéfiants, prévoyant que :
Art. 33 Les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances.
Enfin, l’article 39 traite de la réadaptation des enfants victimes de diverses formes de violence.
Art. 39 Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. Cette réadaptation et cette réinsertion se déroulent dans des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de l’enfant.
B. LA SANTÉ DES ENFANTS AU CANADA
Comparativement à ceux d’un grand nombre d’autres pays, les enfants du Canada sont en excellente santé et ont accès à des services de santé de qualité. Récemment, le Canada s’est classé sixième parmi les pays de l’OCDE au chapitre de la santé et de la sécurité des enfants[305] et cinquième parmi 125 pays au chapitre de l’état de santé des enfants[306]. Cependant, le Comité des droits de l’enfant fait quand même état de quelques graves préoccupations. Dans ses Observations finales, le Comité énonce que :
Santé et services de santé
Le Comité considère comme positif l’engagement que manifeste le Gouvernement à développer les soins de santé destinés aux Canadiens, notamment par une hausse des crédits budgétaires et par l’intérêt prioritaire accordé aux programmes de santé en faveur des autochtones. Il s’inquiète néanmoins du fait, reconnu par l’État partie, que tous les Canadiens ne bénéficient pas dans des conditions d’égalité du niveau moyen de santé, relativement élevé. Les disparités entre provinces et territoires sont un sujet de préoccupation, en particulier pour ce qui est de l’universalité et de l’accessibilité dans les communautés rurales et du nord du pays ainsi que pour les enfants des communautés autochtones. Le Comité s’inquiète particulièrement de la prévalence disproportionnellement élevée du syndrome de mort subite du nourrisson et du syndrome d’alcoolisme fœtal chez les enfants autochtones.
Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures pour veiller à ce que tous les enfants jouissent sur un pied d'égalité de la même qualité de services de santé, en accordant une attention particulière aux enfants autochtones et aux enfants des zones rurales et isolées.
Santé des adolescents
Le Comité trouve heureuse la tendance générale à la baisse des taux de mortalité infantile dans l’État partie, mais relève avec une profonde préoccupation le taux de mortalité élevé dans la population autochtone et les taux de suicide et d’abus des substances importants chez les jeunes de ce groupe démographique.
Le Comité suggère à l’État partie de continuer à accorder la priorité à l’étude des causes possibles de suicide chez les jeunes et des caractéristiques des personnes qui apparaissent comme les plus à risque, et à prendre dès que possible des mesures pour mettre en place des programmes complémentaires d'assistance, de prévention et d’intervention dans les domaines de la santé mentale, de l’éducation et de l’emploi qui soient de nature à réduire l’ampleur de ce phénomène tragique[307].
C. ENFANTS AYANT DES BESOINS SPÉCIAUX
Les témoins qui ont comparu devant le Comité relativement aux questions de santé ont centré leurs observations sur les enfants ayant des besoins spéciaux, notamment les enfants autistes et ceux atteints de troubles causés par l’alcoolisation foetale (ETCAF). Pour nombre de Canadiens, cette catégorie d’enfants est clairement un sujet de vive préoccupation qui revêt une importance spéciale par suite de l’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées[308] par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2006. Le Comité félicite le gouvernement du Canada d’avoir signé cet instrument en mars 2007, et il est impatient de connaître les mesures qui seront prises en vue de sa ratification et de sa mise ne œuvre. Il reconnaît également le travail accompli par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour la publication en mars 2007 de son rapport intitulé Payer maintenant ou payer plus tard – Les familles d’enfants autistes en crise[309].
Un des principaux problèmes avec lesquels sont aux prises les enfants ayant des besoins spéciaux au Canada est le besoin de plus de ressources pour payer les traitements et services spécialisés. Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont dit que les parents d’enfants ayant des besoins spéciaux doivent assumer un fardeau supplémentaire, car ils doivent trouver l’argent pour payer les traitements de leurs enfants. Ces parents doivent souvent déménager dans de plus grands centres urbains où des traitements et des services spécialisés sont plus facilement accessibles.
Yude Henteleff a souligné qu’on trouve souvent dans les lois concernant les services de santé spécialisés pour les enfants au Canada l’énoncé « sous réserve des ressources disponibles » ou la condition selon laquelle les parents doivent prouver qu’ils sont aux prises avec des difficultés excessives. Il a dit que « la discrimination est admissible sur la base de motifs économiques[310] », et il a souligné que pareilles conditions ne sont pas habituellement rattachées à la prestation de services aux enfants n’ayant pas de besoins spéciaux. Il a dit : « Cela signifie qu’il y a une norme pour les premiers et une autre pour les seconds. Quelle est cette norme? Eh bien, c’est une norme qui se fonde sur des considérations économiques plutôt que sur les droits de la personne[311]. » Faire une telle distinction constitue clairement une violation de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Birgitta von Krosigk a fait état du dilemme que pose la prestation de services aux enfants ayant des besoins spéciaux au moyen d’un régime de financement distinct, soulignant que ces enfants sont particulièrement vulnérables et qu’ils doivent être mis sur le même pied que les autres enfants :
Nous sommes tous censés être des citoyens à part entière du Canada. On ne devrait pas créer une situation où une modeste part du gâteau, c’est-à-dire le Trésor, l’argent des contribuables, est mise de côté pour les personnes handicapées, et où les personnes handicapées doivent se disputer les miettes. Nous devrions adopter un point de vue plus sain et nous demander ce qui est bon pour la société […] C'est troublant, l’idée selon laquelle ceux d’entre nous qui sont physiquement aptes et ont des ressources jouissent d'une sorte d'accès aux ressources du gouvernement, alors que les gens qui sont le plus vulnérables doivent justifier leur admissibilité[312].
Mme von Krosigk a été avocate dans l’affaire Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général)[313], arrêt rendu en 2004 par la Cour suprême du Canada dans lequel la Cour a conclu que le manque de financement pour tout traitement médicalement nécessaire en Colombie-Britannique n’a pas porté atteinte aux droits à l’égalité garantis par la Charte dont jouit l’enfant des requérants souffrant d’autisme et nécessitant une thérapie spéciale qui n’était pas financée par le gouvernement au moment du procès.
Des témoins ont également parlé au Comité de problèmes liés à l’accessibilité aux traitements. En ce qui concerne plus particulièrement les enfants autistes, Yvette Ludwig de l’organisme Families for Effective Autism Treatment a dit qu’il n’y a pas suffisamment de programmes dont l’efficacité est scientifiquement prouvée pour les enfants ayant des besoins spéciaux. Elle a ajouté que les listes d’attente sont longues pour les programmes qui existent et que, si leur enfant est accepté, les parents doivent assumer le fardeau financier associé aux services et aux traitements requis. Des témoins ont dit que l’accès aux programmes variait beaucoup, non seulement d’une province à l’autre, où l’âge auquel l’aide au traitement prend fin n’est pas le même (la santé relevant de la compétence provinciale), mais également d’une région d’une même province à l’autre. Les parents des enfants qui vivent dans des régions éloignées ou simplement dans des régions où il n’y a pas de programmes dont l’efficacité est scientifiquement prouvée doivent souvent déraciner leur famille en entier pour être plus proches des services ou songer à envoyer leur enfant vivre ailleurs afin d’avoir accès aux services. Cela alourdit encore davantage le fardeau financier des parents d’enfants ayant des besoins spéciaux et peut même avoir comme effet un déni de traitement pour certains enfants.
Une autre question que les témoins ont clairement fait ressortir a trait au besoin de financement de services d’intervention précoce pour les enfants ayant des besoins spéciaux. Les chercheurs constatent de plus en plus qu’une intervention tôt dans la vie des enfants peut faire une grande différence dans le traitement de leurs besoins particuliers. Stuart Shanker, de l’Université York, a souligné qu’à l’heure actuelle, chez quelque 50 p. 100 des enfants autistes en Ontario, la maladie dont ils souffrent n’est pas diagnostiquée avant qu’ils atteignent l’âge de cinq ans et que, déjà, ils requièrent un traitement intensif, qui est très coûteux et pas très efficace[314]. Cependant, il a précisé que, dans environ 84 p. 100 des cas, les enfants autistes qui sont traités à l’âge de trois ans au plus tard peuvent être replacés sur une voie de développement cérébral saine. Les médecins ont en outre soutenu récemment que les enfants atteints de ETCAF peuvent se développer au même rythme que les enfants normaux s’ils font l’objet d’une stimulation mentale et d’un soutien émotif constants dans les deux premières années de leur vie[315].
En ce concerne la création de cadres d’éducation spécialisée pour les enfants ayant des besoins spéciaux, le Comité des droits de l’enfant a souligné, dans son Observation générale sur les enfants handicapés, que les enfants handicapés ont le même droit à l’éducation que les autres enfants et devraient pouvoir exercer ce droit sans discrimination. Toutefois, les témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial ont exprimé des points de vue différents sur la question de savoir si les enfants ayant des besoins spéciaux devraient être pleinement intégrés dans le système d’éducation publique ou s’ils devraient avoir des services spécialisés conçus pour leurs besoins.
Des parents d’enfants ayant des besoins spéciaux ont dit au Comité que le problème commençait lorsque ceux-ci étaient placés dans une classe normale. Il peut arriver que l’enseignant estime ne pas pouvoir répondre correctement aux besoins de l’enfant et qu’un adjoint à l’enseignement spécialisé soit embauché, ou que tous les enfants ayant des besoins spéciaux de l’école soient regroupés dans une classe aménagée spécialement pour eux. Cependant, ces parents ont dit au Comité que, le plus souvent, les enfants ainsi regroupés ne reçoivent pas l’enseignement général. Ils ne veulent pas que leurs enfants soient isolés, mais souhaitent plutôt qu’ils puissent vivre une expérience normale et aspirer à une vie meilleure. Traitant de la question de l’affectation des ressources, Gail Wilkinson, du groupe Families for Effective Autism Treatment, a dit au Comité qu’en mettant à l’écart les enfants ayant des besoins spéciaux, on provoque véritablement la « marginalisation de ces enfants et de leurs familles au sein de la société[316] ». Sa collègue et elle ont également soulevé la question de la réaction des parents d’enfants n’ayant pas des besoins spéciaux, qui ont accusé les enfants ayant des besoins spéciaux de « voler » les fonds destinés à leurs enfants.
Cependant, Yude Henteleff a critiqué le manque de classes pour enfants ayant des besoins spéciaux en raison des compressions budgétaires. Il a fait valoir que les services d’éducation à fournir aux enfants ayant des besoins spéciaux devraient l’être de manière non discriminatoire, avec un accès égal aux programmes d’éducation et aux ressources. Il a dit que la solution idéale pour les enfants ayant des besoins spéciaux n’était ni l’inclusion totale ni l’exclusion totale :
Il n’y a rien de mal à l’inclusivité. Il est bon de mettre ensemble les enfants ayant des besoins spéciaux et ceux qui n’en ont pas pour qu’ils apprennent les uns des autres. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe qu’un seul moyen de répondre aux besoins de tous les enfants. La salle de classe inclusive n’est pas faite pour tous les enfants. Il faut prévoir des variantes sur ce thème[317].
Le Comité des droits de l’enfant a souscrit à ce point de vue dans son Observation générale, en ces termes :
Le Comité reconnaît qu’il faut modifier les pratiques scolaires et former les enseignants pour qu’ils puissent enseigner aux enfants ayant des capacités diverses et faire en sorte qu’ils atteignent des résultats scolaires acceptables.
Les enfants handicapés étant très différents les uns des autres, les parents, les enseignants et les autres professionnels spécialisés doivent aider chacun des enfants à mettre en valeur ses talents et ses capacités en matière de communication, de langue, d’interaction, d’orientation et de résolution des problèmes de la manière qui convient le mieux à chacun. Quiconque s’occupe de la mise en valeur des talents et des capacités de l’enfant ainsi que de son autodéveloppement doit observer de près les progrès réalisés et écouter attentivement les communications verbales et émotives de l’enfant afin de soutenir l’éducation et le développement d’une manière bien ciblée et des plus appropriées […]
L’éducation inclusive devrait être l’objectif poursuivi dans l’enseignement aux enfants handicapés. Cependant, le placement et le genre d’éducation doivent être dictés par les besoins éducationnels de chacun des enfants, étant donné que l’éducation de certains enfants handicapés requiert un type de soutien que ne peut fournir le système scolaire normal. De façon générale, toutes les écoles devraient, en matière d’éducation des enfants handicapés, pouvoir fournir un soutien individuel et des services appropriés […] Cependant, le Comité souligne que l’étendue de l’inclusion peut varier. Des services et des options de programmes doivent être maintenus dans les cas où l’éducation inclusive est irréalisable dans un avenir immédiat ou si les capacités de l’enfant handicapé ne peuvent être complètement mises en valeur.
[…] Au cœur de l’éducation inclusive, on trouve un ensemble de valeurs, de principes et de pratiques visant à assurer une éducation sensée, efficace et de qualité non seulement aux enfants handicapés, mais encore à tous les enfants […] L’inclusion peut comprendre toute une série de formules, du placement de tous les enfants handicapés dans une classe normale au placement dans une classe normale à des degrés variables d’inclusion comportant un certain pourcentage d’éducation spéciale. Il importe de comprendre que l’inclusion ne doit pas être interprétée ou pratiquée comme étant simplement l’intégration des enfants handicapés dans les classes normales, quels que soient leurs besoins et leurs difficultés. Une étroite collaboration entre les éducateurs chargés de l’éducation spéciale et ceux chargés de l’éducation ordinaire est essentielle. Les programmes scolaires doivent être réévalués et refondus pour répondre aux besoins des enfants handicapés comme des enfants non handicapés. Les programmes de formation des enseignants et des autres professionnels du système d’éducation doivent être modifiés de manière à refléter pleinement les principes de l’éducation inclusive[318].
Enfin, le Comité a appris que les enfants ayant des besoins spéciaux sont souvent particulièrement vulnérables aux mauvais traitements et au délaissement – parfois au sein de leur famille et souvent de la part de leurs pairs. Yvette Ludwig a dit que les enfants ayant des besoins spéciaux sont fréquemment mal compris et considérés comme « différents », et peuvent par conséquent devenir plus facilement victimes d’intimidation et d’autres formes de marginalisation. Faye Mishna, de l’Université de Toronto, a également déclaré que les enfants ayant des difficultés d’apprentissage et des besoins spéciaux font l’objet d’actes d’intimidation plus souvent que les enfants n’ayant pas de besoins spéciaux. Un exemple récent de mauvais traitements dont les médias ont beaucoup parlé concerne un adolescent de 14 ans atteint de spina-bifida qui, à la fin de 2006 à Winnipeg, a été enfermé dans un hangar en flammes par des jeunes de son âge[319].
Dans son Observation générale, le Comité des droits de l’enfant a souligné que les filles handicapées pourraient être encore plus vulnérables à pareille discrimination et que les États devraient porter une attention particulière à cela afin d’assurer aux filles handicapées une protection adéquate, l’accès aux services qui conviennent et leur pleine inclusion dans la société. Mme Sudabeh Mashkuri, du Metro Action Committee on Violence Against Women and Children, a souscrit à ce principe. En effet, elle a dit que les filles handicapées sont victimes de quatre fois plus d’agressions sexuelles que la moyenne nationale.
Reconnaissant le fait que la santé et l’éducation relèvent largement de la compétence provinciale, le Comité n’en estime pas moins que le Canada doit respecter davantage la Convention relative aux droits de l’enfant en ce qui a trait aux enfants ayant des besoins spéciaux. Le gouvernement fédéral doit inviter les provinces et les territoires à discuter d’une variété de questions concernant les enfants ayant des besoins spéciaux. Yude Henteleff a même proposé la création d’un comité fédéral-provincial-territorial qui travaillerait en consultation avec des ONG et qui disposerait de vrais pouvoirs pour assurer la mise en œuvre des solutions proposées. Comme le Comité des droits de l’enfant l’a dit dans son Observation générale, les États doivent concevoir et mettre en œuvre de manière efficace des politiques visant à garantir que les enfants handicapés et leurs tuteurs obtiennent l’attention et l’aide spéciales auxquelles ils ont droit. Cela ne pourra se produire au Canada sans une coopération poussée et de larges consultations.
Selon les témoignages qu’il a entendus, le Comité est d’avis que ces consultations devraient porter aussi sur la question des ressources. Le Comité des droits de l’enfant a dit que l’offre d’aide et de soins spéciaux devrait être le plus possible gratuite. Les discussions entre les gouvernements devraient porter sur les meilleures pratiques en matière de modes de financement et s’accompagner de la proposition d’initiatives concrètes visant à améliorer la prestation de services aux enfants ayant des besoins spéciaux.
Ces discussions devraient porter également sur les divers niveaux de services offerts dans chacune des provinces et chacun des territoires ainsi que sur la possibilité de l’harmonisation fondée sur l’examen des meilleures pratiques. Enfin, les consultations devraient porter sur la nécessité de la prestation efficace de services par des professionnels dûment formés dans le système scolaire et d’autres systèmes de soutien et de services destinés aux enfants, aussi bien que sur les programmes de sensibilisation pour les parents et les professionnels de la santé afin de les aider à déceler très tôt les cas d’enfants ayant des besoins spéciaux.
Le Comité voudrait que ce processus de consultation englobe les enfants ayant des besoins spéciaux eux-mêmes – et pas seulement les gouvernements, les groupes de défense, les scientifiques et les fournisseurs de services. Douglas McMillan, de l’IWK Health Centre, en Nouvelle-Écosse, a dit que la voix des enfants handicapés n’est pas entendue au Canada. Or, comme l’a fait remarquer le Conseil de la santé du Canada, les programmes efficaces destinés aux jeunes les font participer à la détermination de leurs besoins, à la planification et à la prestation des services qui leur sont destinés[320]. Le Comité constate que lorsque les jeunes parlent, les stéréotypes peuvent être plus facilement évacués. Les enfants ayant des besoins spéciaux pourraient sans doute apporter une grande contribution à ce processus de consultation. Comme l’a dit Bridget Cairns, de la Prince Edward Island Association for Community Living : « C’est en effet ce que chaque parent avec un enfant handicapé souhaite : que leur enfant ait sa propre voix, et s’ils n’ont pas la capacité de prendre la parole, qu’on les aide à exprimer leur personnalité[321]. »
RECOMMANDATION 16
En vertu des articles 2, 23, 24, 33, et 39 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux adoptent un meilleur processus pour améliorer la prestation de services aux enfants ayant des besoins spéciaux d’ici juillet 2008. Pour résoudre la crise immédiatement et de façon continue, les gouvernements devraient concevoir un processus de consultation des groupes de défense, des fournisseurs de services, des professionnels de la santé et des enfants ayant des besoins spéciaux. L’intervention précoce devrait constituer un élément clé de ces consultations.
Chapitre 15 - Article 2 : Orientation sexuelle
Chapitre 15 - Article 2 : Orientation sexuelle
Il n’y a rien dans la Convention relative aux droits de l’enfant qui porte précisément sur l’orientation sexuelle en ce qui a trait aux enfants. Toutefois, si l’article 2, qui interdit la discrimination, ne précise pas le motif de l’orientation sexuelle, il inclut néanmoins la mention « autre situation ». Les droits des enfants de minorité sexuelle sont donc protégés aux termes de cette rubrique : les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant, indépendamment de son orientation sexuelle.
La question des enfants ayant une orientation sexuelle autre que celle de la majorité est souvent passée sous silence dans le contexte plus large des conflits portant sur l’orientation sexuelle des adultes. Toutefois, un grand nombre d’enfants doivent y faire face au quotidien. Ces enfants sont souvent aux prises avec leurs propres peurs et leur désarroi et ils subissent la violence et les menaces de leurs pairs et même de leur propre famille.
Kristopher Wells, de l’Université de l’Alberta, a dit au Comité que selon l’une des seules études à avoir porté sur l’orientation et l’identité sexuelles des jeunes à l’échelle nationale, une analyse faite en 2004 qui portait sur 135 jeunes de 13 à 29 ans des quatre coins du pays, 3,5 p. 100 des répondants considéraient qu’ils faisaient partie d’un groupe de minorité sexuelle. De plus, 11 p. 100 des répondants avaient des doutes sur leur hétérosexualité puisqu’ils avaient déjà eu des expériences homosexuelles.
En ce qui a trait à l’acceptation de l’orientation sexuelle différente de la norme, 62 p. 100 des répondants ont dit être à l’aise ou tout à fait à l’aise avec les enjeux concernant les lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres. En fait, comme l’a souligné Chris Buchner de GAB Youth Service de Vancouver, comme les homosexuels mâles adultes s’affichent de plus en plus dans notre société, les jeunes garçons ont tendance à afficher leur identité sexuelle à un plus jeune âge. Toutefois, l’acceptation de l’homosexualité n’est pas universelle. M. Buchner a également souligné que le lesbianisme n’est pas aussi facilement accepté que l’homosexualité masculine et que les jeunes filles ne sont peut-être pas encore aussi à l’aise que les jeunes garçons de parler de leur orientation sexuelle.
Malgré le grand nombre de lesbiennes, gais, bisexuels ou transgenres dans notre société et le fait qu’un grand nombre de jeunes et d’adultes n’y voient pas de problème, la discrimination est très courante et se manifeste souvent par des actes de violence. Selon les constatations faites dans le cadre de l’Étude de l’ONU sur la violence contre les enfants, les jeunes de minorité sexuelle sont plus souvent victimes de harcèlement sexuel que les autres. Faye Mishna de l’Université de Toronto nous a dit que les lesbiennes, gais, bisexuels ou transgenres risquent beaucoup plus que les autres jeunes de faire l’objet de harcèlement dans les écoles et la collectivité en général. Dans un mémoire présenté au Comité, elle a souligné que 84 p. 100 des jeunes de minorité sexuelle faisaient l’objet de harcèlement verbal et que 25 p. 100 ont rapporté avoir fait l’objet de violence physique. Kristopher Wells a fait part de certaines statistiques, soulignant que 28 p. 100 des jeunes de 15 à 19 ans avaient été témoins d’actes de violence à l’égard de jeunes de minorité sexuelle. Il a souligné que cette violence visait en grande partie les jeunes garçons :
Nous constatons, particulièrement dans les écoles secondaires et chez les jeunes, que la plupart de la violence est dirigée contre les jeunes hommes, simplement parce que les jeunes lesbiennes ou les femmes qui se posent des questions sont souvent perçues comme étant au service des hommes. Elles sont perçues comme un objet de désir idéalisé.
Ce n’est pas menaçant pour la masculinité d’un jeune que de voir deux femmes s’embrasser, mais c’est une menace de voir deux hommes poser le même geste, ou de faire l’objet d’affection parce que c’est une menace directe contre lui, contre sa propre identité[322].
D’autres, comme Fiona Kelly, de l’Université de la Colombie-Britannique, et Chris Buchner ont signalé au Comité que les jeunes garçons et les jeunes filles de minorité sexuelle faisaient autant l’objet d’intimidation, mais que cela ne s’exprimait pas de la même façon. Fiona Kelly a dit :
[J]e crois par ailleurs qu’il faut presque sortir du cadre de la sexualité pour comprendre l’intimidation à l’école et la manière dont les jeunes femmes sont victimes d’intimidation. Il s’agit dans tellement de cas de rectitude sexuelle, et si la jeune femme se déclare homosexuelle, et que, au bout du compte, elle représente une menace pour son sexe, alors l’intimidation est souvent de nature sexuelle. Il s’agit de l’affirmation de l’hétérosexualité ou du comportement sexuel adéquat par le harcèlement sexuel des jeunes femmes[323].
Les répercussions de l’intimidation, tant physique que psychologique, peuvent être désastreuses pour les jeunes qui se sentent déjà marginalisés dans leur famille, à l’école et dans la société en général. Faye Mishna nous a dit que les jeunes de minorité sexuelle ont moins tendance à demander l’aide de leurs pairs, des professionnels de l’école ou de leurs parents parce qu’ils craignent une réaction homophobe et une plus grande victimisation. Les jeunes de minorité sexuelle ont davantage tendance à abandonner l’école ou les groupes de soutien, à fuguer et à se tourner vers les drogues ou l’alcool et même vers la prostitution pour contrer les stigmates, la honte, l’intimidation et la victimisation. Kristopher Wells a signalé au Comité que les jeunes de minorité sexuelle sont plus enclins à la dépression, qu’ils ont plus d’idées suicidaires ou qu’ils font davantage de tentatives de suicide : « Les statistiques sur le suicide sont absolument renversantes pour cette communauté; ces jeunes sont deux à trois fois plus susceptibles que leurs pairs hétérosexuels d’envisager et de tenter le suicide[324]. »
Les statistiques qui démontrent que de 11 à 35 p. 100 des jeunes de la rue se considèrent comme faisant partie de la minorité sexuelle illustrent bien les répercussions entraînées par cette marginalisation[325]. Chris Buchner a souligné que la difficulté de trouver un logement approprié pour ces jeunes sans abri expliquait en partie ce fort pourcentage. Il a souligné que bon nombre de programmes visant les jeunes de la rue ont des fondements chrétiens et que les jeunes de minorité sexuelle ne se sentaient pas à l’aise dans ce contexte. L’organisme GAB Youth Services, qui s’occupe des jeunes de minorité sexuelle, a cherché à répondre aux besoins particuliers de ces jeunes. Les responsables se sont rendu compte que les jeunes garçons se présentaient en plus grand nombre dans les centres d’accueil, alors que les filles utilisaient les autres services disponibles. L’organisme a donc mis sur pied un groupe s’adressant uniquement aux filles.
Les témoins qui sont venus parler des jeunes de minorité sexuelle ont présenté bon nombre de propositions intéressantes en vue de régler ces problèmes et de permettre au Canada de mieux remplir ses obligations à l’égard des jeunes de minorités visibles aux termes de la Convention. Le Comité appuie l’insistance sur la nécessité d’une plus grande intervention dans le système scolaire et d’une plus grande sensibilisation à l’égard des questions relatives à l’orientation sexuelle et au counselling pour les jeunes de minorité sexuelle et ceux qui ne sont pas sûrs de leur orientation. Kristopher Wells a dit au Comité que les conseillers pédagogiques étaient bien placés pour s’assurer que ces jeunes trouvent du soutien, qu’ils ont le counselling approprié et qu’ils peuvent accéder à d’autres types de ressources au besoin. Il a parlé d’une étude menée en Colombie-Britannique auprès de 77 jeunes, dont 39 p. 100 avaient avoué à un professeur ou un conseiller pédagogique être gai ou lesbienne. Il y a à l’école une importante possibilité d’intervention dans la vie des enfants qu’il ne faut pas sous-estimer. M. Wells a dit : « [s]i les jeunes n’ont pas de soutien à la maison, vers quoi se tournent-ils? Ils se tournent souvent vers leurs écoles, mais, s’ils n’ont pas de soutien dans leurs écoles, ils se tournent souvent vers la rue où ils tentent de trouver une source quelconque de soutien simplement pour survivre »[326].
Toutefois, les interventions dans les écoles ne seront tout probablement pas suffisantes. Les jeunes de minorité sexuelle marginalisés continueront de passer à travers les mailles du filet et risquent encore de se retrouver dans la rue. Le gouvernement fédéral devrait accorder un financement aux fournisseurs de services qui viennent en aide aux jeunes de la rue et tentent de leur trouver un abri, et il doit porter une attention particulière aux jeunes de minorité sexuelle pour les aider à retrouver leur équilibre.
RECOMMANDATION 16
En vertu de l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour combler les écarts importants au niveau des connaissances et des statistiques en ce qui a trait aux jeunes de minorité sexuelle et aux différences entre les sexes à cet égard.
RECOMMANDATION 17
En vertu de l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande que toutes les politiques et les stratégies du gouvernement fédéral relatives à la jeunesse tiennent compte des besoins particuliers des jeunes de minorité sexuelle.
Chapitre 16 - Articles 2 et 30 : Les enfants autochtones
Chapitre 16 - Articles 2 et 30 : Les enfants autochtones
A. INTRODUCTION
Les articles 2 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant sont les dispositions qui ont les répercussions les plus directes sur les droits des enfants autochtones au Canada. L’article 2 exhorte les États à respecter les droits qui sont énoncés dans la Convention et à les garantir à tout enfant, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. Toutes ces catégories s’appliquent d’une façon ou d’une autre aux enfants autochtones.
L’article 30 est plus spécifique. Il précise l’importance de ne pas priver les enfants autochtones du droit d’avoir leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion ou d’employer leur propre langue en commun avec les autres membres de leur groupe.
Art. 30 Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.
Au-delà de ces dispositions bien précises, tous les autres articles de la Convention s’appliquent également aux enfants autochtones comme à tous les autres enfants, sans rapport avec la collectivité dans laquelle ils vivent. Compte tenu du statut constitutionnel distinct des enfants autochtones[327] au Canada, le gouvernement fédéral applique souvent ces dispositions plus générales de façon différente. Par exemple, le gouvernement fédéral a prévu une clause de réserve relativement à l’article 21 de la Convention, tel que précisé dans la partie B1 du chapitre 4. Cette clause de réserve doit permettre d’assurer que les dispositions de la Convention qui exigent que les adoptions soient autorisées par les autorités compétentes, conformément à la législation applicable, n’empêchent pas la reconnaissance des formes de garde coutumière au sein des peuples autochtones du Canada. Le protocole d’entente signé par le gouvernement fédéral précise également que les mesures prises par le gouvernement en vue de mettre en œuvre la Convention au Canada doivent tenir compte des droits de la minorité prévus à l’article 30.
B. LES ENFANTS AUTOCHTONES AU CANADA
Les gouvernements provinciaux offrent des services de protection de l’enfance à la population canadienne en général, mais le gouvernement fédéral est responsable des « Indiens et des terres réservées pour les Indiens », aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867[328], et finance les services offerts aux enfants et aux familles des Premières nations aux termes de la Directive 20-1. Ces services fournissent des services qui tiennent compte des différences culturelles aux enfants qui vivent dans les réserves et qui relèvent des Premières nations. Toutefois, ils doivent respecter les normes et lois provinciales. Certains services offerts aux enfants et aux familles des Premières nations ont été élargis et sont également offerts aux enfants qui ne vivent pas dans les réserves, mais dans les autres cas, ces derniers sont desservis par les autorités provinciales. Les enfants autochtones qui vivent à l’extérieur des réserves relèvent des autorités provinciales pour ce qui est de la garde et de la protection des enfants, bien que certains organismes offrant des services aux enfants et aux familles de Premières nations aient étendu leurs services pour tenir compte des enfants qui vivent à l’extérieur des réserves[329].
De toutes les questions soulevées dans ce rapport, les graves préoccupations relatives aux enfants autochtones au Canada sont probablement celles qui ont été le plus soulignées par les témoins. Ces derniers ont souligné que les enfants autochtones représentaient l’une des catégories d’enfants les plus vulnérables et marginalisés au Canada et qu’ils étaient surreprésentés dans un grand nombre de secteurs. Comme le soulignaient les auteurs d’un mémoire présenté par Vision mondiale Canada, bien que le Canada se situe toujours parmi les premiers pays de l’indicateur du développement humain des Nations Unies, il tombe au 78e rang lorsqu’on évalue le bien-être économique et social des peuples autochtones du Canada en particulier.
Un trop grand nombre d’enfants autochtones vivent dans la pauvreté et sont pris en charge par les systèmes de justice pénale pour les adolescents et de protection de l’enfance. Les enfants autochtones ont également beaucoup plus de problèmes de santé que les autres enfants du pays et l’on note entre autres des problèmes au niveau de la malnutrition, des infirmités, de la consommation de drogues et d’alcool et du suicide. Les Observations finales du Comité des droits de l’enfant soulève un grand nombre de préoccupations à l’égard des enfants autochtones. Le Comité de l’ONU a également consacré deux paragraphes à cette question :
Le Comité accueille avec satisfaction la Déclaration de réconciliation faite par le Gouvernement fédéral, dans laquelle le Canada a exprimé de profonds regrets pour les injustices historiques commises à l’encontre des Autochtones, en particulier dans le cadre du système des écoles résidentielles. Il prend également acte de la priorité accordée par le Gouvernement à l’amélioration des conditions de vie des Autochtones sur l’ensemble du territoire et des nombreuses initiatives prévues dans le budget fédéral depuis l’examen du rapport initial. Le Comité constate cependant avec inquiétude que les enfants autochtones continuent à rencontrer de nombreux problèmes, notamment à être victimes de discrimination dans plusieurs domaines, avec bien davantage de fréquence et de gravité que leurs pairs non autochtones.
Le Comité invite instamment le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour instaurer l’égalité des chances entre enfants autochtones et enfants non autochtones. À cet égard, il réitère en particulier les observations et recommandations liées à la répartition des terres et des ressources formulées par plusieurs organes de suivi des traités relatifs aux droits de l’homme du système des Nations Unies, parmi lesquels le Comité des droits de l'homme (CCPR/C/79/Add.105, par. 8), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (A/57/18, par. 330) ou le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/Add.31, par. 18). Le Comité prend également note des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones et encourage l’État partie à leur donner la suite voulue[330].
En parlant du traitement réservé aux enfants autochtones du Canada, Brent Parfitt a dit «c’est un problème criant qui me fait profondément honte[331] ».
Les témoins ont repris les préoccupations des Nations Unies et exprimé de nombreuses frustrations à l’égard de la situation des enfants autochtones. Maxwell Yalden, ancien membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, a dit : « Nous contrevenons gravement [...] à la Convention relative aux droits de l’enfant dans la mesure où elle s’applique aux enfants autochtones[332]. » Kearney Healy a dit « craindre que les gens ne soient pas disposés à prendre fait et cause pour le développement des enfants autochtones[333]. » Cindy Blackstock de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada a présenté l’un des témoignages les plus convaincants sur les enfants autochtones. Elle a dit ce qui suit :
Au sein de la société canadienne, nous avons normalisé le risque auquel sont exposés les enfants autochtones. Nous ne contestons plus le fait que 30 p. 100 des enfants pris en charge sont Autochtones ou que 50 p. 100 des jeunes qui font l’objet d’exploitation sexuelle sont Autochtones. C’est comme s’il en avait toujours été ainsi, et nous supposons que telle est la situation au sein de la société, même lorsque nous avons le choix d’agir pour abaisser ces nombres. Nous avons normalisé la situation, de sorte qu’elle ne nous frappe plus comme la tragédie qu’elle est en réalité. Chacun de ces jeunes devrait avoir toutes les chances possibles de faire une différence[.]
[L]e manque à gagner de la formule actuelle du financement fédéral […] [est de] 109 millions de dollars par an pour les enfants des Premières nations dans les réserves. C’est un manque à gagner si l’on fait la comparaison avec ce dont bénéficient les enfants non autochtones. Il ne s’agit pas là de compenser les effets des pensionnats, mais de garantir que ces enfants ont la même possibilité de vivre dans leur famille en toute sécurité – 109 millions de dollars[334].
Le Comité reconnaît que la protection des droits des enfants autochtones – et partant la protection de l’avenir des collectivités autochtones – est une question de première importance pour tous les Canadiens et de préoccupation fondamentale en ce qui a trait à la Convention relative aux droits de l’enfant. Les collectivités autochtones et non autochtones devront toujours coexister. On parle de « coexistence à perpétuité[335] ». Pour tous ceux dont la vie est en cause, « [L]e prix à payer pour ne rien faire […] est énorme[336]. » Cindy Blackstock a réitéré ce point en disant au Comité que « c’est notre propre crédibilité morale comme nation que nous risquons en ne faisant rien[337]. »
1. Questions relatives à la protection des enfants
Le gouvernement doit constamment faire le tri parmi les nombreuses priorités au sujet de son budget et il est difficile de prendre des décisions; il reste toutefois que les enfants victimes d’abus et de négligence devraient être en tête de ces priorités. Vous pouvez changer les choses et j’espère que le Canada le fera[338].
L’un des thèmes les plus importants et les plus récurrents en ce qui a trait aux enfants autochtones est le grand nombre de ces enfants qui sont pris en charge par le système de protection de l’enfance. Un rapport publié par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada en août 2005 a souligné qu’entre 1995 et 2001, le nombre d’enfants inscrits comme Indiens pris en charge par le programme de protection de l’enfance a augmenté de 71,5 p. 100 à l’échelle nationale[339]. Selon le rapport Wen:de déposé par cet organisme en 2005, il y a trois fois plus d’enfants des Premières nations pris en charge maintenant qu’il y en avait au plus fort de la période des pensionnats dans les années 1940[340]. Cindy Blackstock nous a dit qu’en mai 2005, 10,23 p. 100 de tous les Indiens inscrits étaient pris en charge par rapport à 0,67 p. 100 pour les enfants non autochtones[341]. Selon Jennifer Lamborn de l’Association des femmes autochtones du Canada, de 30 à 40 p. 100 de tous les enfants pris en charge au Canada sont Autochtones. Les statistiques varient d’une province à l’autre. La situation est particulièrement grave en Colombie-Britannique où plus de la moitié des enfants en tutelle sont Autochtones[342], et en Saskatchewan ainsi qu’au Manitoba où 80 p. 100 des enfants pris en charge sont Autochtones[343].
Cindy Blackstock et Jennifer Lamborn ont souligné que la pauvreté, le logement inadéquat et la toxicomanie sont les principaux éléments qui expliquent la surreprésentation des enfants autochtones dans le système d’aide sociale. Elles jugent toutefois que la formule de financement du gouvernement fédéral a aussi un rôle important à jouer. Mme Blackstock a fait savoir aux membres du Comité que si les provinces accordent généralement aux services d’aide à l’enfance le financement nécessaire pour leur permettre d’épuiser toutes les solutions de rechange avant d’envisager de placer un enfant, le gouvernement fédéral n’offre pas un tel financement aux enfants des Premières nations et le placement devient donc la seule solution. Selon le rapport déposé en août 2005 par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada, le financement que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien accorde pour chaque enfant aux organismes responsables des services à l’enfance et à la famille des Premières nations est de 22 p. 100 inférieur aux sommes moyennes versées par les provinces. Le rapport souligne que l’un des secteurs de financement les plus déficients est celui des « mesures les moins perturbatrices », une gamme de services officiels offerts aux enfants et aux jeunes qui risquent de faire l’objet de mauvais traitements pour leur permettre de rester chez eux en toute sécurité. Mme Blackstock nous a dit :
Il est important de comprendre ce que permet de financer cette formule. Elle assure un financement illimité aux organismes de services à l’enfance des Premières nations, lorsqu’il s’agit de retirer les enfants de leur domicile familial. On suppose alors que le retrait est, bien sûr, effectué en dernier recours. C’est effectivement le cas pour tous les autres enfants du pays, mais pas pour les enfants des Premières nations dans les réserves, vu que le ministère n’accorde pratiquement aucun financement aux familles pour s’occuper comme il le faut de leurs enfants même si ce serait la chose à faire pour redresser la situation de ces enfants et aussi parce que c’est ce qu’il y a de plus sensé économiquement parlant. Beaucoup de ces organismes des Premières nations vous diront qu’il n’est pas difficile d’obtenir 300 $ par jour pour placer un enfant dans un foyer nourricier, mais par contre essayer de donner 25 $ à une famille pour qu’elle puisse nourrir l’enfant et le garder chez elle en toute sécurité, n’est pas possible en vertu de la formule actuelle[344].
Le rapport du mois d’août 2005 souligne que le nombre d’enfants pris en charge pourrait être réduit si le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien fournissait un financement adéquat et soutenu des mesures les moins perturbatrices. Afin de tenter de trouver une solution à ces graves problèmes de financement, l’Assemblée des Premières Nations a fait parvenir à la Commission des droits de la personne, une plainte alléguant que le gouvernement fédéral accorde systématiquement un financement insuffisant aux services d’aide à l’enfance dans les réserves[345].
La Convention relative aux droits de l’enfant insiste tout particulièrement sur l’intérêt supérieur des enfants dans la détermination des modes de garde, tout en tenant compte des facteurs comme la culture, la santé et la sécurité. Des témoins ont affirmé que les communautés autochtones adoptent généralement des mesures de rechange permettant de garder les enfants proches de leur famille, cherchant d’abord une famille d’accueil dans la famille immédiate, puis dans la famille étendue et enfin dans la famille autochtone avant de passer à une famille non autochtone si aucune autre solution n’a pu être trouvée dans la collectivité[346]. Jonathan Thompson de l’Assemblée des Premières Nations a confirmé que bon nombre de collectivités autochtones n’encouragent pas l’adoption, tentant plutôt de garder l’enfant le plus longtemps possible sous le système de prise en charge en permettant les visites familiales, dans l’espoir d’une réunification éventuelle. Il nous a dit que ce n’était pas seulement une pratique traditionnelle, mais que le fait de garder ces enfants sous cette forme de responsabilité traditionnelle était moins coûteux que de les placer dans un foyer d’accueil ou de tenter de trouver de l’aide à l’extérieur de la collectivité. Dexter Kinequon des Services à l’enfance et à la famille autochtone de la bande indienne du Lac LaRonge nous a dit que des organismes de ce genre tentent de mettre au point des ressources au sein des collectivités pour que même si les enfants ne sont pas placés dans leur propre collectivité, ils peuvent à tout le moins être élevés dans la culture et la structure de bande qu’ils connaissent. Cindy Blackstock a souligné que les services à l’enfance et à la famille des Premières nations ont pu établir que les enfants des Premières nations qui vivent dans les réserves sont trois ou quatre fois plus susceptibles d’être placés dans leur collectivité ou dans leur famille étendue que les enfants qui vivent à l’extérieur des réserves.
Il est souvent très difficile d’évaluer les différents facteurs qui assurent l‘intérêt supérieur de l’enfant. Toutefois, le Comité tient à souligner que cela doit être le principal critère dont il faut tenir compte lorsque vient le temps de placer un enfant qui est en danger. La culture n’est qu’un élément dans cette évaluation.
Toutefois, malgré les efforts visant à trouver des solutions de rechange et des formes traditionnelles de services de garde, les enfants autochtones sont toujours beaucoup plus nombreux que les autres enfants canadiens à être pris en charge par les services de protection de l’enfance. Ce n’est pas là une situation idéale, tant du point de vue social et culturel que du point de vue économique. Cindy Blackstock a cité le rapport Wen:de et signalé aux membres du Comité que les besoins des enfants autochtones au niveau des services de protection de la jeunesse sont deux fois plus élevés que pour les enfants non autochtones, mais que l’allocation quotidienne versée aux familles d’accueil vivant dans les réserves est inférieure à celle qui est accordée aux autres familles d’accueil. Dexter Kinequon a souligné qu’il n’existe presque aucune ressource au niveau des services à domicile afin d’aider les familles à se reprendre en main pour pouvoir s’occuper de leurs enfants. Le chef Angus Toulouse de l’Assemblée des Premières Nations nous a également dit que certaines collectivités de Premières nations offrent des services d’aide à l’enfance, mais que l’Assemblée estime que plus de 250 collectivités de Premières nations n’ont pas accès à des services de garde réglementés au sein de la communauté. Ceux qui offrent des services de garde et de développement de la petite enfance ne peuvent compter sur le financement dont ils auraient besoin pour le faire, ce qui signifie qu’il y a insuffisance de services et d’espaces, particulièrement pour les enfants qui ont des besoins spéciaux. Comme l’ont fait remarquer Cindy Blackstock et le chef Jamie Gallant du Native Council of Prince Edward Island, en plus de l’inefficacité du programme de protection de l’enfance dans les réserves, il faut tenir compte du fait que bon nombre de travailleurs sociaux et autres intervenants de première ligne travaillant dans les collectivités autochtones ne sont pas autochtones et n’ont pas la formation nécessaire pour comprendre la langue et la culture des Autochtones. Ces restrictions entraînent donc une marginalisation encore plus poussée des enfants dont ils s’occupent.
Cindy Blackstock et Jonathan Thompson ont souligné que le grand nombre d’enfants autochtones pris en charge par le système de protection de l’enfance a des répercussions sur le niveau de vie des enfants autochtones en général, tant en ce qui a trait aux taux de réussite scolaire, à la dépendance à l’égard de l’aide sociale, aux problèmes de santé et à l’accroissement des problèmes de santé et de l’association au système judiciaire. Toutes ces conséquences ont d’importantes répercussions sur la vie des enfants autochtones et sur la société en général.
La question du maintien de la culture dans le contexte de la protection des enfants fait l’objet d’un important débat dans les collectivités de Premières nations, parmi les responsables de la protection de l’enfance et dans les familles d’accueil. Certains témoins ont particulièrement insisté sur la sécurité et le bien-être de l’enfant. Le Comité reconnaît que la préservation de la culture autochtone est très importante pour les nouvelles générations d’enfants autochtones. La préservation de la culture est également un aspect important de la Convention relative aux droits de l’enfant. Les initiatives visant à préserver les valeurs culturelles, les traditions et la langue sont tout particulièrement importantes lorsqu’on parle de la protection des enfants et de l’éducation.
Marv Bernstein, protecteur des enfants de la Saskatchewan, nous a dit qu’il encourageait les autorités à « respecter les identités culturelles et à être ouverts à cette question de culture, mais pas au risque de compromettre les intérêts, la sécurité et la protection de l’enfant. Ce sont là des droits fondamentaux que mérite chaque enfant de la province, quelles que soient sa culture et sa race[347]. » Deb Davies nous a dit que la Saskatchewan Foster Families Association
[se débat dans son] travail de planification à propos d’enfants dont on nous dit qu’il en va de leurs meilleurs intérêts de les renvoyer dans leur famille naturelle. Comme vous le mentionniez, à partir de quel moment l’enfant a-t-il le droit de dire, quand il a vécu l’éclatement à répétition de sa famille : « Je veux quelque chose de permanent, de sûr ». Nous estimons que les enfants appartiennent à leur famille et à leur milieu d’origine, à condition toutefois qu’ils y soient en sécurité. Les enfants méritent de connaître la régularité et la sécurité, mais la sécurité d’abord et avant tout[348].
D’autres témoins insistent sur le volet culturel et communautaire de l’éducation de l’enfant. Marilyn Hedlund du gouvernement de la Saskatchewan nous a dit que :
Quand on songe aux meilleurs intérêts de l’enfant et à la façon de promouvoir son bien-être, il est difficile de ne pas tenir compte également des intérêts de la famille et de la dimension culturelle, même si je comprends bien qu’il faut mettre l’accent sur la sécurité, sur le bien-être et sur les meilleurs intérêts de l’enfant[349].
Dexter Kinequon a réaffirmé ce point de vue :
Le défenseur des enfants de la Saskatchewan (Saskatchewan Children’s Advocate) a rapporté en 2000 que trois enfants autochtones sur quatre sont placés dans des foyers d’accueil non autochtones. Nous croyons que c’est là une violation flagrante des articles 20 et 30 de la Convention. La raison généralement évoquée pour justifier cet état de choses est qu’il en va de l’intérêt des enfants. Le sens de « meilleur intérêt » a été défini dans plusieurs décisions des tribunaux. Il est rare, toutefois, que le principe de continuité culturelle pour l’enfant exerce une influence dans le choix du foyer d’accueil pour l’enfant. La sécurité et le manque de ressources appropriées sont les raisons les plus souvent évoquées pour justifier le non-respect de la Convention. Nous croyons que les Premières nations ont le droit de déterminer ce qui est dans le meilleur intérêt pour l’enfant autochtone[350].
En définitive, tous ces témoins reconnaissent qu’il est important d’assurer la sécurité de l’enfant et de voir à ce qu’il soit élevé dans la culture autochtone. Le Comité est d’accord avec les propos des témoins, comme Elspeth Ross, qui affirmé que les autorités doivent tenter de trouver des moyens pour offrir une famille permanente dévouée aux enfants autochtones pris en charge, tout en voyant à ce qu’ils ne perdent pas leur lien avec leur culture et leur communauté. C’est la base même de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Jennifer Lamborn et Cindy Blackstock ont insisté sur un moyen important qui permettrait d’accomplir ce but. Le gouvernement fédéral devrait accroître le financement relatif aux « mesures les moins perturbatrices ». Ce sont là des programmes qui offrent de l’aide aux parents afin de créer des conditions qui permettront aux enfants de rester chez eux dans un environnement sûr. Plutôt que d’offrir des fonds uniquement à des fins d’adoption, le gouvernement fédéral devrait tenir compte des lois provinciales en matière d’aide sociale qui prévoient qu’on doit épuiser toutes les solutions possibles avant de soustraire un enfant de son foyer. Cindy Blackstock a souligné que pour ce faire, les responsables de la protection de l’enfance doivent apprendre à faire preuve d’une certaine flexibilité au niveau des dispositions.
Par exemple, il peut y avoir une norme du gouvernement provincial qui dicte que l’enfant ne peut pas partager une chambre. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais pendant 14 ans, ma sœur a dormi dans le lit sous le mien, et ce n’est pas un problème de sécurité pour beaucoup d’enfants. Pourquoi ne pas modifier cette règle si cela pouvait permettre à un enfant de rester chez lui[351]?
Cette approche exigera également que
nous mettions davantage l’accent sur la prévention et l’intervention précoce,
qui sont deux autres secteurs qui n’obtiennent pas un financement adéquat du
gouvernement fédéral, pour les enfants vivant dans les réserves. Marv Bernstein
a dit au Comité qu’à l’heure actuelle, les fonctionnaires « doivent
quasiment attendre qu’une situation de crise survienne pour pouvoir intervenir[352]. » Le Comité appuie le
concept du financement pour les mesures les moins perturbatrices qui,
de concert avec un accent plus soutenu à l’égard de la prévention et de
l’intervention précoce, pourrait constituer l’un des moyens les plus efficaces
pour garantir que les enfants autochtones qui ont besoin de protection
disposent des soins les plus appropriés et qu’ils ne perdent pas les liens avec
leur culture et leur collectivité. Il conviendrait d’insister tout
particulièrement sur la primauté des droits des enfants dans ce contexte.
2. Niveau de vie
La pauvreté ainsi qu’un faible niveau de vie sont deux autres préoccupations importantes en ce qui a trait aux enfants autochtones au Canada. Le Rapport de 2006 de Campagne 2000 sur la pauvreté chez les enfants au Canada souligne qu’environ 60 p. 100 des enfants autochtones de moins de six ans et 40 p. 100 des enfants autochtones qui vivent à l’extérieur des réserves vivent dans la pauvreté. Ces chiffres sont deux fois plus élevés que ceux qui portent sur les enfants non autochtones. Dans les communautés de Premières nations, un enfant sur quatre vit dans la pauvreté.
Jennifer Lamborn nous dit que 44 p. 100 des logements situés dans les réserves sont jugés inadéquats, alors que le Rapport de 2005 sur la pauvreté chez les enfants au Canada souligne qu’environ 25 p. 100 des enfants autochtones vivant à l’extérieur des réserves vivent dans des conditions matérielles très précaires, comparativement à 13 p. 100 de l’ensemble des enfants du Canada. Le surpeuplement dans ces communautés est deux fois plus élevé que dans la population canadienne en général et près de la moitié des logements autochtones sont contaminés par les moisissures[353].
Jonathan Thompson nous a dit ce qui suit : « Quels que soient l’étonnement qu’ils provoquent et la détresse qu’ils évoquent, les chiffres sont connus depuis un certain temps déjà, mais le gouvernement n’a pas agi. Se pourrait-il que la question ne soit pas assez intéressante? Je ne sais pas où réside le problème[354]. »
En ce qui a trait aux conditions de vie, tant dans les réserves qu’à l’extérieur des réserves, le Comité souligne que la pauvreté est au cœur de la majorité des problèmes touchant les enfants autochtones et les collectivités autochtones en général. Dans son témoignage, Sandra Ginnish a dit au Comité qu’en 2005, the gouvernement avait annoncé l’affectation de 295 millions de dollars sur cinq ans pour financer des logements additionnels, des rénovations et l’ajout de nouvelles infrastructures dans les collectivités de Premières nations au Canada. L’objectif est de construire 6 400 logements et en rénover 1 500 autres. Malgré cette initiative, le Comité tient à rappeler que la pauvreté constitue un problème urgent et global aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant. Tous les niveaux de gouvernement doivent collaborer avec les dirigeants autochtones pour les encourager à faire encore plus afin d’améliorer les conditions de vie dans les réserves comme à l’extérieur des réserves. Nous devrions prévoir un financement plus important qui permettrait d’accroître le nombre de logements et de rehausser les subventions au logement afin d’assurer la protection à long terme des droits des enfants autochtones au Canada.
Il faudrait également que ces organismes travaillent en collaboration pour accroître le développement économique dans les réserves. Le chef Angus Toulouse a parlé de la nécessité de créer des possibilités d’emploi dans les réserves pour que les jeunes aient l’occasion et la possibilité de rester dans les réserves s’ils le désirent :
[L]a majorité des jeunes me rappelle toujours qu’il nous faut du développement économique pour créer des occasions d’emploi, pour qu’ils puissent demeurer et s’occuper de leurs parents, et continuer d’être eux-mêmes. Ils veulent s’assurer que leurs enfants connaissent leur culture, leur langue, leurs cérémonies et leurs traditions[.]
Les Premières nations souhaitent donner à leurs jeunes l’occasion de revenir, une fois leurs études faites et une expérience acquise dans leur domaine, pour offrir des services à la communauté avec des aptitudes et des titres scolaires accrus.
Ce ne sont pas tous les jeunes qui veulent aller en ville. Il y a une demande extraordinaire de logements au niveau communautaire. Ce ne sont pas tous des aînés ou des gens qui ne reviennent pas. La demande provient de jeunes qui se sont établis, sont fiancés et sont sur le point de se marier, ou qui sont déjà mariés, et qui ne souhaitent pas quitter la région. Les jeunes sont plus nombreux dans les réserves qu’en dehors de celles-ci[355].
Jonathan Thompson nous a dit que:
Malheureusement, cela prend souvent une tragédie pour que les autorités décident d’agir. […] Il faut de l’argent, mais le simple fait d’injecter de l’argent n’est pas utile. Il faut comprendre pourquoi la situation existe, en saisir les raisons fondamentales. Ensuite, il faut s’y attaquer. Ce genre de mesure, malheureusement, ne se concrétisera probablement pas du jour au lendemain[356].
3. Santé
Dans ses Observations finales, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a dit se préoccuper au plus haut point des questions portant sur la santé des enfants autochtones. Il a parlé du manque de programmes de santé universels et accessibles dans les communautés rurales et du Nord, ainsi que pour les enfants des communautés autochtones et s’est dit tout particulièrement préoccupé du très grand nombre de cas de mort subite du nourrisson et de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale parmi les enfants autochtones. Il s’est également inquiété du fort taux de mortalité chez les peuples autochtones et du taux élevé de suicides et d’abus d’alcool ou d’autres drogues chez les jeunes autochtones. Le Comité de l’ONU a souligné que les taux de suicide et de diabète parmi les jeunes autochtones étaient parmi les plus élevés au monde.
Nous avons entendu des témoignages relatant ces préoccupations. Jonathan Thompson nous a dit que 12 p. 100 de tous les enfants des Premières nations avaient des incapacités et des besoins spéciaux. C’est un pourcentage bien supérieur à ce que l’on retrouve dans le reste de la population et c’est un problème particulièrement important, puisque ces enfants doivent être envoyés à l’extérieur des réserves pour recevoir un traitement adéquat. Dans un mémoire transmis au Comité sénatorial, Yude Henteleff a souligné le très fort taux de trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale chez les enfants et les jeunes autochtones, un taux environ 10 fois plus élevé que ce que l’on retrouve chez les enfants non autochtones. De nouvelles recherches indiquent que ces enfants peuvent atteindre le même niveau de développement que les autres enfants s’ils font l’objet d’une stimulation mentale et de soins psychologiques constants au cours des deux premières années de leur vie, mais ce genre de traitement est beaucoup moins probable pour les enfants qui vivent dans une réserve. Santé Canada a également lancé dernièrement une Initiative sur le diabète chez les Autochtones. Le Programme de prévention et de promotion auprès des Métis, des Autochtones hors réserve et des Inuits en milieu urbain fournit des fonds assortis de délai pour les projets de prévention du diabète et de promotion de la santé et il dessert les Métis, les Autochtones vivant à l’extérieur des réserves et les Inuits vivant dans les villes.
Billie Schibler et Cindy Blackstock ont également souligné le nombre alarmant de suicides chez les jeunes. Mme Blackstock nous a dit que le suicide chez les jeunes n’était pas nécessairement courant dans toutes les communautés, mais qu’il représentait un problème très grave dans bon nombre d’entre elles. Elle nous a dit par exemple qu’en Colombie-Britannique, 90 p. 100 des suicides enregistrés s’étaient produits dans 10 p. 100 des collectivités de Premières nations. Sandra Ginnish et Havelin Anand du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien nous ont parlé des programmes du gouvernement fédéral qui visent à résoudre ces problèmes. Le gouvernement travaille avec les organismes autochtones nationaux depuis 2005 afin de développer un cadre pour la mise sur pied d’une stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes autochtones, laquelle réunira des programmes de prévention, d’intervention précoce et de réponse. Ce cadre devait être mis en œuvre à l’automne 2006, mais le Comité n’a entendu parler d’aucune mesure prise à cet égard. Le gouvernement fédéral s’est également entretenu avec des organismes autochtones dans le but de mettre au point une stratégie d’engagement des jeunes visant à déterminer quelles sont, selon les jeunes, les mesures les plus aptes à prévenir le suicide
Afin de remplir les obligations du Canada aux termes
de la Convention relative aux droits de l’enfant, nous devons
offrir davantage de services de santé dans les réserves, à la fois pour voir à ce
que les enfants qui ont des besoins spéciaux ne deviennent pas des enfants
ayant besoin de protection et devant être pris en charge, et pour nous assurer
que les familles n’ont pas à se déplacer loin de leur communauté pour obtenir
les services dont elles ont besoin. Dexter Kinequon a souligné l’importance
pour Santé Canada de voir à ce que les services de santé puissent intervenir
rapidement et travailler avec les enfants dans leur propre foyer, plutôt que de
devoir les prendre en charge en temps de crise. Des services de soutien à
domicile devront également être offerts pour garantir que les familles et les
enfants ne seront pas obligés de se rendre dans d’autres centres pour obtenir
de tels services. Il nous a parlé de certains cas dans lesquels des enfants
et des jeunes doivent être envoyés à l’extérieur pour être traités et nous a
raconté comment, au cours des quelques semaines suivant leur retour à la
maison, sans appui sur place, ils retombent souvent vite dans la condition dans
laquelle ils se trouvaient avant. « Si aucun changement n’est effectué à
la maison, il est difficile d’amener l’enfant à modifier son comportement[357]. » Il faudrait
encourager les professionnels de la santé autochtones à s’impliquer
davantage dans l’offre de services dans les réserves afin d’assurer la
compréhension et la continuité culturelles[358].
Marlene Peters de la Première nation de Long Plain souligne que ces
professionnels devraient recevoir une formation sur les questions qui
intéressent tout particulièrement les communautés de Premières nations, comme
le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Le Comité a également hâte
de connaître les répercussions de la stratégie d’engagement des jeunes dans la
lutte contre le suicide, ainsi que le statut actuel de la Stratégie nationale autochtone de prévention du suicide chez les jeunes qui devait être mise
sur pied à l’automne 2006.
4. Éducation et culture
Bon nombre de témoins ayant comparu devant le Comité ont parlé de la mauvaise qualité des programmes d’éducation offerts aux enfants autochtones et de la disparition progressive des langues et cultures traditionnelles, tant dans les réserves qu’à l’extérieur.
Les statistiques indiquent un taux de décrochage extrêmement élevé chez les jeunes autochtones. Le chef Angus Toulouse nous a fait savoir que selon les données du recensement de 2001, seulement 31 p. 100 des jeunes des Premières nations de 15 à 24 ans avaient un diplôme d’études secondaires ou un certificat, comparé à 58 p. 100 pour les non-Autochtones. Parmi ceux de 20 à 24 ans, 43 p. 100 des jeunes autochtones n’avaient pas de diplôme d’études secondaires, alors que les chiffres étaient de 16 p. 100 chez les non-Autochtones[359]. Le chef Dennis Meeches de la Première nation de Long Plain a souligné que même si les Premières nations exerçaient le contrôle sur les écoles, elles faisaient face à de graves problèmes au niveau du financement[360] et du décrochage. Les communautés de Premières nations font de nombreux efforts pour tenter de trouver de nouvelles façons de présenter les programmes d’éducation et de régler la situation.
Marilyn McCormack, procureure adjointe des enfants et des jeunes à Terre-Neuve, a dit au Comité que l’un des principaux problèmes en ce qui a trait à l’éducation pour les jeunes autochtones, c’est que le système d’éducation, même dans les réserves, ne tient pas compte de la culture et que les jeunes abandonnent l’école parce que le programme qui y est offert ne répond pas suffisamment à leurs besoins en ce qui a trait au niveau de vie et à la culture. Le chef Angus Toulouse a présenté une opinion semblable et précisé que les jeunes autochtones ressentent vivement le besoin d’un programme tenant compte de leur culture : « [B]on nombre de nos enfants rappellent maintenant aux adultes : vous ne pouvez nous oublier et ne pas nous donner des cours de langue dans nos écoles des Premières nations[361]. » Un étudiant ayant comparu devant le Comité au Nouveau-Brunswick a rappelé l’importance de la culture dans le domaine de l’éducation pour les jeunes. Il a dit :
[S]ur le plan de l’enseignement culturel, chez nous ce sont les anciens qui parlent encore couramment la langue, mais ils sont déjà âgés, autour de 50, 60 et 70 ans. Pour enseigner la langue dans une école ordinaire, il leur faudrait un baccalauréat ou quelque chose du genre, mais je trouve qu’à leur âge, ils devraient en être dispensés pour enseigner la langue. Ils ne vont pas faire ces études-là pour enseigner la langue et je pense qu’ils devraient être autorisés à enseigner, avec peut-être une vérification de leurs antécédents ou quelque chose. Si l’on n’agit pas très vite, alors ce sera une perte totale de la culture[362].
Cheryl, une jeune Ojibwa née à Toronto où elle a grandi, a dit essentiellement la même chose :
Les enfants et les adolescents autochtones doivent apprendre à connaître leur culture et leur langue pour survivre. Si le cycle continue et que la culture et la langue autochtones ne sont pas réenseignées aux enfants et aux adolescents, ce sera peut-être perdu à jamais, et les jeunes n’auront plus leur propre caractère ethnique.
Les enfants et adolescents autochtones d'aujourd’hui doivent apprendre leur véritable histoire parce que cela peut leur sauver la vie et les aider à se trouver une identité et à réussir dans le vrai monde. Leur héritage doit être réanimé pour que la prochaine génération puisse transmettre sa culture et sa langue.
Si les enfants et adolescents autochtones pouvaient apprendre leur histoire, leur culture et leur langue véritables, ils deviendront des êtres équilibrés du point de vue mental, physique, émotif et spirituel. Cela en fera des êtres entiers qui ne se tourneront pas vers l'alcool ou la drogue pour se cacher, mais qui se lanceront sur un nouveau chemin pour améliorer leur culture en vue des générations à venir[363].
Le Comité en est venu à la conclusion
que pour respecter l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant, il faut insister sur la culture dans les écoles des
collectivités autochtones. Kristen Sellon du Charles
J. Andrew Youth Treatment Centre à Sheshatshiu, Labrador, a insisté sur la
nécessité d’engager davantage d’enseignants autochtones. Les enfants et les
jeunes doivent apprendre leurs langues traditionnelles, pas seulement à la
maison, mais dans le cadre de leur programme scolaire. Pour répondre
officieusement aux préoccupations des jeunes autochtones à l’égard de la perte
de leur culture, il faudrait que les Autochtones participent à l’élaboration des
programmes d’études et que les enseignants autochtones dans les classes soient
plus nombreux.. Ces enseignants seraient bien placés pour voir à ce qu’il
existe des programmes axés sur la culture. Le gouvernement fédéral devrait travailler
avec les responsables des Premières nations et les ministres provinciaux et
territoriaux de l’éducation pour discuter des meilleures façons d’encourager
les Autochtones à devenir enseignants et à travailler dans les réserves où ils
peuvent faire beaucoup pour les jeunes autochtones. Les enseignants autochtones
devraient aussi avoir des chances égales de trouver un emploi dans des écoles
situées hors des réserves. L’accès à l’éducation est un élément clé qui a des
répercussions sur la vie et l’avenir des jeunes. Les dirigeants des Premières nations
et tous les niveaux du gouvernement fédéral devraient appliquer les principes
inscrits dans la Convention relative aux droits de l’enfant pour
arriver à apporter de tels changements.
5. Conflits de compétences
Il est clair que les conflits de compétences nuisent considérablement à la protection des droits des enfants autochtones et à la gestion de leur prise en charge. Brent Parfitt a dit au Comité que la façon dont le Canada traite les enfants autochtones est
inexcusable […] et qu’elle a beaucoup à voir avec notre système fédéral.
Il y a la loi fédérale sur les Indiens ainsi que les législations provinciales qui portent sur les questions liées à la protection des enfants, et ces deux séries de lois ne semblent pas aller de pair. Les enfants autochtones continuent de passer entre les mailles du filet, et cela ne devrait pas arriver à notre époque[364].
Dans son rapport publié en août 2005, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada a mis l’accent sur cette préoccupation, signalant que les conflits de compétences érodent considérablement le bien‑être des enfants autochtones vivant dans des réserves. C’est aussi ce qu’a conclu le rapport Wen: de qui cite une enquête révélant que les 12 agences de services à l’enfance et à la famille des Premières nations de tout le pays ont été confrontées à 393 conflits de compétences au cours de la dernière année. La résolution de chaque incident a nécessité en moyenne 54,25 heures-personnes. Fait intéressant, les conflits les plus fréquents étaient ceux opposant des ministères fédéraux, lesquels représentent 36 p. 100 du total. De plus, 27 p. 100 des conflits sont survenus entre des ministères provinciaux et 14 p. 100, entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial. Melanie Pritchard, de la Première nation Long Plain, a dit au Comité que les prestataires des services destinés aux enfants « doivent constamment lutter[365] ».
Les conséquences de ces conflits peuvent être désastreuses. Dexter Kinequon a dit au Comité que « [l]es différends entre les gouvernements et les ministères sur le plan juridique, des responsabilités financières et des mandats ont abouti à un fouillis de programmes et des services compliqués et fragmentés[366] ». Ces différends ont non seulement des répercussions négatives sur la prestation des services dans l’ensemble, mais ils vont souvent à l’encontre des intérêts des enfants autochtones. Un certain nombre de témoins ont mentionné des cas où le dossier d’un enfant s’est fait ballotter d’une agence ou d’un ministère à l’autre, alors qu’il n’y avait personne pour prendre soin de l’enfant. Le Comité trouve cette situation inacceptable.
Le Comité estime que l’une des premières étapes à
franchir afin d’offrir des solutions aux enfants autochtones consiste à établir
des conditions favorisant la collaboration entre tous les ordres de
gouvernement ainsi qu’avec les dirigeants des Premières nations à l’égard des
questions autochtones. Le chef Dennis Meeches a indiqué que les
gouvernements doivent trouver des moyens d’empêcher « le ballottage entre
les diverses autorités[367] »
des dossiers liés aux enfants. Cindy Blackstock et Rita Karakas, d’Aide à
l’enfance – Canada, ont dit que, au lieu de se cacher derrière des dilemmes de
compétences, le gouvernement devait collaborer avec les dirigeants des
Premières nations et les gouvernements provinciaux et territoriaux, et les
encourager à élaborer des solutions concrètes s’inspirant de la Convention relative aux droits de l’enfant en vue de protéger et de faire
respecter les droits des enfants autochtones. En ce qui a trait au bien-être
des enfants, Kathy Vandergrift et Cindy Blackstock ont réitéré les
recommandations formulées dans le rapport Wen: de, indiquant que les
diverses autorités devraient veiller avant tout au bien-être et à la sécurité
des enfants dans la résolution des conflits de compétences. Elles ont
prôné le principe de l’enfant d’abord (« principe de Jordan »), selon
lequel le gouvernement qui reçoit le premier une demande de financement pour
des services destinés à un enfant autochtone est tenu d’en assumer le coût
lorsque des services comparables sont offerts aux enfants non autochtones.
6. Les enfants autochtones vivant hors réserve
Des témoins ont dit au Comité qu’il faudrait aussi surveiller de près la situation des enfants autochtones vivant hors réserve. Dans son rapport de 2005 sur la pauvreté des enfants, l’organisme Campagne 2000 a signalé que 69 p. 100 des Autochtones vivent hors réserve et que 50 p. 100 d’entre eux habitent dans des centres urbains. Le chef Dennis Meeches a dit au Comité que beaucoup de familles et de jeunes autochtones émigrent à la ville, d’une part, à cause de la pénurie de logements dans les réserves et, d’autre part, pour bénéficier de meilleurs débouchés en matière d’éducation et d’emploi.
Pourtant, le chef Jamie Gallant a indiqué qu’il n’existe pas suffisamment de ressources, de programmes et de services destinés aux enfants autochtones non inscrits ou vivant hors réserve, et que la situation des jeunes et des familles vivant hors réserve n’est pas toujours enviable. Dans les grands centres urbains, près de la moitié des enfants autochtones vivent avec un seul parent, souvent dans une pauvreté profonde et persistante. Des témoins ont dit au Comité que les enfants vivant hors réserve ne sont pas exposés à leur histoire ni à leur culture, et que beaucoup d’entre eux ont de la difficulté à s’adapter à leur nouvel environnement et sont fréquemment impliqués dans des actes de violence liés aux gangs ou souffrent d’un problème de drogue. Il faut instaurer des programmes ciblés en dehors des réserves pour leur permettre d’échapper à ces circonstances, mais de tels programmes n’existent pas toujours.
Faisant écho aux commentaires du chef Jamie Gallant et
du chef Dennis Meeches, le Comité souligne qu’il est essentiel de
faire en sorte que les enfants autochtones vivant hors réserve continuent de
bénéficier de services d’aide. Il faudrait mettre en place des services axés
sur la culture afin de répondre aux besoins des enfants autochtones et d’empêcher
l’effondrement social des collectivités autochtones établies hors réserve. Le
chef Meeches a indiqué que ces services doivent venir davantage en aide aux
enfants autochtones et faire la promotion de leur culture. De telles
mesures non seulement sont essentielles pour préserver la culture autochtone,
mais elles permettraient aussi d’améliorer considérablement la vie des enfants
autochtones qui sont attirés vers les gangs et la violence parce qu’ils se
sentent isolés de leur communauté et de leur culture.
7. Des solutions locales conçues sur mesure
Fred Milowsky, agent adjoint pour l’enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique, a émis un point de vue compatible avec l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant, insistant sur le fait que le gouvernement fédéral doit aussi examiner les services qui sont fournis aux collectivités autochtones afin de s’assurer que l’approche et le contenu sont suffisamment adaptés aux besoins précis des enfants, des jeunes et des familles autochtones. Comme l’a fait remarquer Dexter Kinequon, les enfants et les familles des Premières nations « ont droit à une gamme de services […] qui reconnaissent, protègent et tiennent compte des valeurs et des cultures autochtones[368] ». De tels services sont offerts dans le cadre du système de protection de la jeunesse du Manitoba. Cindy Blackstock a dit ceci au Comité :
Il existe un excellent modèle au Manitoba, où quatre organismes se chargent d’offrir des services d’aide à l’enfance hors réserve : il y a d’abord un organisme non autochtone, ensuite un organisme qui agit auprès des Premières nations du sud de la province, un autre qui agit auprès des Premières nations du nord de la province, et enfin un dernier qui s’occupe des Métis. Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que si vous êtes un Métis, vous pouvez choisir d’être desservi par l’organisme que vous voulez. Il en va de même pour tous les clients. Ils peuvent être desservis par l’organisme qui reflète le mieux leurs intérêts culturels et ceux de leurs enfants.
Par ailleurs, ce modèle permet d’exercer un certain contrôle sur la qualité des services offerts, car vous pouvez choisir l’organisme qui est le mieux placé, selon vous, pour régler ces problèmes difficiles[369].
En définitive, le gouvernement fédéral doit collaborer directement avec les collectivités autochtones afin d’élaborer des programmes et des services conçus pour répondre à leurs besoins. Le chef Dennis Meeches a fait valoir que, pour solutionner efficacement les problèmes, il faudra adopter une approche holistique à l’égard des collectivités et des enfants autochtones. Pour sa part, Janet Mirwaldt, l’ancienne protectrice des enfants du Manitoba, a dit au Comité que le seul moyen de remédier à ces problèmes est d’inclure les collectivités autochtones dans la solution. Pour ce faire, les dirigeants autochtones devraient s’associer étroitement au processus – pas seulement les organisations nationales, mais aussi les dirigeants locaux.
Les représentants du gouvernement ont exprimé un point de vue semblable, indiquant au Comité que leurs initiatives les plus fructueuses sont celles qui font appel à ce type d’approche locale intégrée. Comme l’a indiqué Kelly Stone, directrice de la Division de l’enfance et de l’adolescence à Santé Canada :
[…] les expériences réussies […] ont été menées en collaboration étroite avec les communautés autochtones en tenant compte de leurs différences culturelles, de leurs traditions, de la façon dont les anciens perçoivent leur histoire et leurs coutumes, et du type d’éducation qu’ils veulent que leurs enfants reçoivent. Ces programmes, dans un sens, sont été pris en charge par la communauté. Les fonctionnaires n’imposent rien. La communauté façonne les programmes en fonction de ses besoins en bénéficiant de conseils qui lui permettent de renforcer ses capacités[370].
Sandra Ginnish a dit au Comité : « En ce qui concerne les consultations, à mon avis, il est juste de dire que par le passé, les programmes et les politiques destinés aux Premières nations étaient rejetés par la communauté s’ils n’étaient pas élaborés en étroite collaboration avec celle-ci[371]. »
Les témoins autochtones ont encouragé le gouvernement à mettre davantage l’accent sur ce type d’initiatives, indiquant que les réussites dans ce domaine ne sont pas nécessairement la norme et que la participation locale n’est pas prise au sérieux. Dexter Kinequon a dit ceci au Comité :
L’un des problèmes très important auquel nous sommes confrontés, je pense, c’est le manque de vision du gouvernement fédéral au sujet des peuples des Premières nations […] Les communautés autochtones ont des problèmes et le gouvernement fédéral ne sait tout simplement pas que faire. Des politiques sont mises en place pour régler ces problèmes, et si elles ne fonctionnent pas, on se contente de les remplacer par d’autres. Il n’y a pas de vision d’ensemble sur la manière de résoudre ces problèmes systémiques […]
Le gouvernement fédéral doit adopter une nouvelle approche, une nouvelle philosophie fondée sur la transparence. Actuellement, le principe directeur à tous points de vue est de dépenser le moins possible d’argent pour résoudre une situation […]
À titre de directeur d’une agence de services d’aide à l’enfance, je peux vous dire que je dois lutter contre les injustices faites à l’endroit des organisations autochtones qui traitent avec la bureaucratie gouvernementale. Il n’y a souvent aucune réciprocité; tout se passe souvent à sens unique. Lorsque je traite avec le gouvernement, j’ai souvent le sentiment d’être comme un enfant[372] […]
Cindy Blackstock a dit qu’il est important de reconnaître que les solutions à de nombreux problèmes existent déjà au sein des collectivités autochtones, et que leur mise en œuvre réussie nécessite du financement et une aide gouvernementale :
Je vous dirais que mon plus grand espoir pour cette génération d’enfants autochtones et des Premières nations du Canada, c’est que beaucoup de collectivités ont déjà des solutions. Il s’agit maintenant de donner à chacune les mêmes ressources pour les mettre en œuvre […]
[U]n des aînés m’a fait remarquer que les représentants d’ONG ne se rendaient pas compte que nous avions déjà des solutions. Ils n’ont pas besoin de nous proposer des solutions. Ils doivent simplement nous aider à trouver des ressources pour mettre en œuvre nos propres solutions idéales […]
Pour commencer, nous devons financer les collectivités afin de les aider à se doter d’un plan durable, puis à le mettre en œuvre en fonction de leurs propres priorités[373].
8. Article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne
Enfin, le chef Angus Toulouse et Cindy Blackstock ont réclamé l’abolition de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne[374]. Cet article empêche les Premières nations de se prévaloir des mécanismes de réparation prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui est « sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi ». Comme l’a noté Cindy Blackstock :
La Commission des droits de la personne, en vertu de l’article 67, empêche quiconque relevant de la Loi sur les Indiens de s’en prévaloir. Par voie de conséquence, les enfants et les familles n’ont aucune possibilité de réparer les violations des droits de la personne si ce n’est devant les tribunaux. Ces enfants qui vivent les violations les plus graves en matière de droits de la personne n’ont pas accès aux mécanismes de réparation qui leur permettraient d’en assurer le règlement[375].
Les témoins qui ont comparu devant le Comité n’étaient pas les seuls à réclamer cette mesure; le Parlement et la Commission canadienne des droits de la personne sont récemment intervenus dans ce dossier. Dans un rapport publié en octobre 2005, la Commission canadienne des droits de la personne a demandé au gouvernement fédéral d’abroger l’article 67[376]. Le Comité a été encouragé de constater que le gouvernement a franchi un premier pas dans cette direction, en décembre 2006, en présentant le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne[377]. Cette question peut donc enfin être débattue.
RECOMMANDATION 18
En vertu des articles 2 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande :
- que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne soit abrogé;
-
que le gouvernement fédéral accorde la
priorité au financement des
« mesures les moins perturbantes » pour promouvoir le bien‑être des
enfants et qu’il mette davantage l’accent sur la prévention et l’intervention
précoce;
- que le gouvernement fédéral fasse du logement l’une de ses grandes priorités et qu’il élabore des initiatives plus efficaces afin de promouvoir le développement économique dans les réserves;
- que le gouvernement fédéral accorde plus de fonds au maintien des services d’aide destinés aux enfants autochtones vivant hors réserve;
- que le gouvernement fédéral examine les services qui sont fournis aux collectivités autochtones afin de s’assurer que l’approche et le contenu sont suffisamment adaptés aux besoins précis des enfants, des jeunes et des familles autochtones et, pour ce faire, qu’il collabore directement avec les collectivités autochtones à l’élaboration de programmes et de services qui répondront à leurs besoins;
- que le gouvernement fédéral élargisse la portée des services de santé afin qu’ils soient aussi offerts à domicile et puissent intervenir tôt auprès des enfants à domicile;
- que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien informe le Comité sur les résultats de la stratégie de participation des jeunes à la lutte contre le suicide et sur l’état d’avancement de la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes autochtones – cette stratégie devrait être mise en œuvre le plus rapidement possible;
- que le gouvernement fédéral accélère ses discussions avec les ministres de l’éducation des provinces et des territoires au sujet des mesures pouvant être prises afin d’encourager les Autochtones à exercer le métier d’enseignant dans les réserves;
- que, tout en reconnaissant la nécessité d’avoir des enseignants autochtones dans les réserves, le gouvernement fédéral travaille en collaboration avec les ministres provinciaux et territoriaux de l’Éducation afin de supprimer les obstacles à l’emploi d’enseignants autochtones qui souhaitent travailler hors des réserves;
- que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires collaborent avec les dirigeants autochtones afin d’examiner soigneusement les politiques qui ont une incidence sur la vie des enfants autochtones dans le cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant;
- que toutes les politiques et mesures législatives concernant les enfants autochtones insistent sur la nécessité de tenir compte des besoins culturels des enfants autochtones.
Chapitre 17 - Mise en œuvre effective de la Convention relative aux droits de l’enfant au Canada
Chapitre 17 - Mise en œuvre effective de la Convention relative aux droits de l’enfant au Canada
Il est important d’en faire encore plus pour qu’au Canada, les objectifs et les principes de la Convention relative aux droits de l’enfant soient respectés en totalité et de façon concrète [...] Il ne suffit pas de rêver d’une société juste et compatissante, nous pouvons l’édifier[378].
À l’issue de ses travaux, le Comité a fermement conclu que la Convention relative aux droits de l’enfant n’occupe pas une place solide au sein des lois, des politiques et de la conscience collective au Canada. Trop de Canadiens ignorent quels droits sont conférés par la Convention. Pour leur part, les gouvernements et les tribunaux n’y voient qu’un principe directeur rigoureusement formulé avec lequel ils tentent d’harmoniser les lois, plutôt que de la traiter comme un texte devant être appliqué dans les faits. Personne n’a le rôle d’assurer la mise en œuvre effective de la Convention au Canada, et la volonté politique fait défaut.
Lorsque le Comité s’est entretenu avec les membres du Comité des droits de l’enfant, ces derniers ont souligné que le succès de la Convention repose sur sa mise en œuvre. Ils ont indiqué que, pour être en mesure d’affirmer qu’il respecte pleinement les droits et les libertés de ses enfants, le Canada doit se conformer davantage à la Convention dans les faits. Comme l’a fait remarquer Peter Leuprecht, de l’Université du Québec à Montréal, la Convention comporte à la fois des obligations passives et actives. À l’article 2,
[l]’obligation passive de respecter exige qu’un État partie ne viole pas les droits énoncés dans la Convention. L’obligation de garantir va bien plus loin que cela; elle signifie que l’État a une obligation expresse de prendre les mesures nécessaires afin que les enfants jouissent de leurs droits et les exercent[379].
Le gouvernement fédéral doit prendre les devants pour assurer la mise en œuvre de la Convention.
S’inspirant des constatations formulées dans le rapport provisoire, le Comité a conclu que le gouvernement fédéral n’a mis en place aucun mécanisme afin de garantir le respect de ses obligations dans le cadre des traités internationaux relatifs aux droits de la personne. Il faudra donc instaurer des mécanismes visant à garantir la protection des droits des enfants au Canada. Comme l’a indiqué Lisa Wolff d’UNICEF Canada :
[…] à moins que le Canada ne franchisse certaines étapes précises en vue de l’élaboration de mesures et de mécanismes juridiques et administratifs plus efficaces pour l’application des droits des enfants, ceux-ci vont demeurer figés dans le contexte de modifications législatives ponctuelles dépendant de la bonne volonté imprévisible des parlementaires, dans les espaces vides entre les sphères de compétence et dans un processus de responsabilisation incertain […]
La ratification de la convention n’était que la première étape du processus de conformité avec celle-ci, et il faut la renforcer par un éventail de mesures qui vont remédier à toutes les conséquences perçues d’une ratification hâtive et permettre d’aborder des enjeux changeants[380].
En réponse aux inquiétudes exprimées par des témoins de tout le Canada et de l’étranger, le Comité proposera des mesures visant à assurer une surveillance systématique relativement à la mise en œuvre de la Convention, afin d’en garantir le respect. Le Comité préconise notamment l’établissement d’un groupe de travail interministériel chargé de coordonner et de surveiller les lois et les politiques fédérales qui ont une incidence sur les droits des enfants et la création d’un poste indépendant de commissaire aux enfants dont le titulaire sera chargé de surveiller l’application des droits des enfants à l’échelle fédérale et d’assurer la liaison avec les organismes provinciaux de défense des droits des enfants. Les témoins ont insisté sur la nécessité d’accroître la sensibilisation à l’égard de la Convention et de la démarche fondée sur les droits qui la sous‑tend. Par-dessus tout, le Comité cherche par ses recommandations à consolider la participation active des enfants dans toutes les institutions et tous les mécanismes susceptibles d’avoir une incidence sur leurs droits.
RECOMMANDATION 19
Étant donné
que le gouvernement fédéral a signé et ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité recommande qu’il la mette
immédiatement en œuvre et se conforme aux obligations qui en découlent.
A. ÉDUCATION ET SENSIBILISATION
1. Sensibilisation à l’égard de la Convention au Canada
De nombreux témoins se sont dits préoccupés par le fait que le gouvernement, le Parlement et la population connaissent peu la Convention relative aux droits de l’enfant et les droits qui y sont inscrits. Au fil de ses audiences, le Comité s’est rendu compte que peu de gens connaissent la Convention en dehors des milieux universitaire et militant. Même le mécanisme de rapport du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies n’a pas suffi à y changer quoi que ce soit. Lisa Wolff a fait remarquer que, concrètement, ces rapports rendent le Canada responsable envers la communauté internationale plutôt qu’envers les Canadiens. Elle a dit : « L’UNICEF en saura ainsi davantage sur ce que le Canada a dit au sujet des droits des enfants au Canada que notre peuple lui-même[381]. »
Au sein du gouvernement, même parmi les personnes dont le rôle est de protéger les droits des enfants, la connaissance de la Convention, qui date de près de 20 ans, est au mieux inégale. Le Comité a constaté que certains des fonctionnaires qui œuvrent à protéger les droits des enfants ignorent que cet outil international est à leur disposition. À bien des égards, la Convention n’est simplement pas utilisée comme un outil ou un cadre de protection des droits des enfants. Christine Brennan, du Bureau de l’ombudsman de la Nouvelle‑Écosse, a dit ceci au Comité :
Lors de notre campagne de sensibilisation concernant les droits en matière d’éducation auprès du gouvernement, des jeunes et des autres entités de services à la jeunesse de la province, nous avons constaté que 90 p. 100 des intervenants ne connaissaient même pas l’existence de cette convention. On parle ici des gens qui dirigent les systèmes de services à la jeunesse dans notre province.
La Nouvelle-Écosse est en avance comparativement au reste du pays, mais nous devons admettre avec embarras que les ministères provinciaux, si l’on fait exception de ceux des Services communautaires et de la Justice où nous sommes très proactifs, ne connaissent pas les objectifs de la Convention relative aux droits de l’enfant. Comme toujours, les problèmes et les droits des jeunes figurent loin dans la liste des priorités de notre pays[382].
Bernard Richard, ombudsman du Nouveau-Brunswick, s’occupe également des questions relatives aux droits des enfants. En réponse à une question du Comité sur la fréquence à laquelle la fonction publique et l’Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick ont recours à la Convention, il a répondu ceci :
Rarement ou jamais. J’ai été membre de l’Assemblée législative pendant 13 ans et je ne crois pas avoir entendu mentionner la convention même une seule fois pendant tout ce temps.
En tout cas, nous ne l’utilisons pas dans notre bureau, nous n’y faisons jamais référence. Nous faisons référence à nos lois et à nos droits, à notre Charte des droits et aux lois du Nouveau-Brunswick. Mais, selon moi, la Convention n’est pas utilisée du tout ni prise en considération spécifiquement.
Toujours est-il que votre invitation à témoigner m’a sensibilisé à la Convention. Il est possible que nous changions notre approche dans les mois qui viennent et que nous fassions référence à la Convention dans certains des cas que j’ai mentionnés, parce que j’estime que c’est un outil important que nous n’avons pas encore utilisé au Nouveau- Brunswick[383].
Fait peut-être moins étonnant, les enfants eux-mêmes ignorent l’existence de la Convention et des droits qui y sont inscrits. Dans le cadre de ses audiences pancanadiennes, le Comité a rencontré des jeunes éveillés issus de divers milieux, dont la majorité n’avaient jamais entendu parler de la Convention relative aux droits de l’enfant avant de préparer leur témoignage. Leurs commentaires mettent en relief l’importance de sensibiliser les gens et de connaître ses droits pour être en mesure de les faire respecter. Comme l’a déclaré Megan Fitzgerald, une étudiante de St. John’s :
Florian m’a appelée il y a environ une semaine pour me demander de venir ici [...] Il m’a dit que je devrais lire la Convention relative aux droits de l’enfant. Je me suis demandé ce que ce pouvait bien être, parce que je n’en avais jamais entendu parler auparavant. J’avais honte de l’admettre – parce que je suis élitiste à mon école. Je suis très engagée à l’école, j’ai un très bon rendement scolaire et j’essaie d’être active dans la communauté. Et pourtant, pour quelqu’un comme moi qui en sait tellement sur tout ce qui se passe, du moins dans mon milieu, je ne connaissais rien de mes droits, tels qu’ils sont stipulés dans la Convention relative aux droits de l’enfant.
C’est un vaste élément de l’éducation et de l’habilitation des jeunes. Comment pouvons-nous nous sentir motivés et habilités à intégrer nos droits dans notre propre vie si nous les ignorons? C’est quelque chose sur quoi nous devons travailler ensemble – nous, en tant que jeunes et vous, en tant que gens d’influence. Nous devons y travailler, pour que nous puissions acquérir de l’autonomie et l’intégrer à nos vies[384].
La Convention est reconnue et comprise par très peu de gens et il est rare que ceux qu’elle est censée protéger la connaissent. Même si beaucoup d’enfants comprennent clairement qu’ils ont des droits (comme l’a fait remarquer Katie Cook à Fredericton : « Pour ce qui est de connaître la Convention, je n’ai pas exactement entendu parler du document précis, mais nous savons que nous avons ces droits, surtout en tant qu’enfants. Du moins, moi je sais[385]. »), des témoins de tout le Canada ont indiqué au Comité que cela n’était pas suffisant. Selon eux, pour que la Convention puisse être mise en œuvre intégralement et effectivement au Canada, le public et les principaux intéressés doivent connaître l’incidence de ces droits sur leur vie et les conséquences graves de leur non-respect. Des témoins ont fait valoir que les enfants sont souvent transformés lorsqu’ils découvrent qu’ils ont des droits. Comme l’a souligné le Comité des droits de l’enfant, lorsque nous ignorons les droits qui nous sont conférés à titre individuel, nous ne sommes pas en mesure de les faire respecter :
Si les adultes qui entourent l’enfant, ses parents et d’autres membres de sa famille, ses enseignants et tous ceux qui s’occupent de lui ne comprennent pas quelles sont les implications de la Convention et, surtout, que celle-ci confirme l’égalité de l’enfant en tant que sujet de droits, il est peu probable que les droits énoncés dans la Convention deviennent réalité pour bon nombre d’enfants[386].
C’est particulièrement le cas lorsque les institutions officielles chargées de protéger les droits de l’enfant ignorent ces droits ainsi que la gamme complète des outils mis à leur disposition. Hawa Mire, de l’organisme GoGirls à Vancouver, a présenté des arguments particulièrement émouvants, préconisant que la Convention soit mise en œuvre de façon plus effective et que les enfants et les personnes chargées de protéger leurs droits soient davantage sensibilisés :
L’adoption de la Convention, et son existence même, me semble ne constituer qu’un paquet de mots couchés sur le papier, dont une grande partie n’a aucun effet sur ma vie, et je n’ai vu aucune preuve de l’effet de ces droits sur ma vie. C’est comme savoir que les droits en question existent, tout en comprenant que le système n’est pas nécessairement organisé de façon à me protéger la plupart du temps en vertu de ces droits. Il est aussi intéressant de constater que les gens visés par ces droits n’ont aucune idée de leur existence.
Laissez-moi vous parler un instant de mon expérience personnelle. Le racisme a une influence énorme sur ma vie et fait partie de tout ce que j’ai réussi ou qu’on m’a refusé. Je ne pourrai jamais échapper à la couleur de ma peau, et c’est quelque chose dont je ne souhaite jamais échapper, et qui pousse les autres à placer des obstacles sur mon chemin. Je suis très chanceuse d’être entêtée et déterminée à détruire le plus grand nombre d’obstacles possible. Lorsque je vous dis que la liste des droits qui figurent dans la Convention ne sont rien d’autre pour moi que du papier, je ne fais pas que le dire pour le plaisir. J’ai le sentiment que mon expérience personnelle donne corps à mes paroles[387].
2. Nécessité d’accroître la sensibilisation
À la lumière de ce témoignage, le Comité a conclu que, avant de pouvoir mettre en œuvre effectivement la Convention relative aux droits de l’enfant au Canada, il faudra sensibiliser davantage la population à son égard. Comme l’a signalé Kathy Vandergrift, l’article 42 de la Convention exige que les États parties « s’engagent à faire largement connaître les principes et les dispositions de la […] Convention, par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants ». Le Canada ne s’acquitte pas pleinement de cette obligation.
Faisant écho au point de vue exprimé par Suzanne Williams, de l’International Institute for Child Rights and Development, le Comité signale qu’il est essentiel de mettre en place une stratégie de communication exhaustive dotée des ressources nécessaires afin de communiquer de l’information sur les droits de l’enfant aux décideurs, aux professionnels, aux travailleurs de première ligne ainsi qu’à la population dans son ensemble, y compris aux enfants. Fred Milowsky a dit ceci :
Il est peu probable que les parties en arrivent à une vision commune des droits ou que la Convention serve d’outil de planification proactif au gouvernement provincial si le grand public ne s’intéresse pas davantage aux droits de l’enfant et à la Convention. Pour que les droits puissent être exercés, une certaine conscientisation s’impose[388].
Le Comité tient à souligner que, au‑delà de la nécessité de faire connaître la Convention, il est essentiel de sensibiliser les Canadiens à la démarche fondée sur les droits, à l’importance des droits des enfants et à la nécessité de les protéger. Marilou Filiatreault, du Conseil jeunesse de Montréal, a donné au Comité un exemple éloquent qui illustre à quel point les questions liées aux enfants sont souvent négligées :
Je suis allée dans une rencontre ce matin, justement, en arrondissement pour rencontrer des élus, leur dire que c’est important la jeunesse, de ne pas les oublier dans leur orientation. Et, les gens me disent : « Marilou, on a des rues à réparer, on a des infrastructures à réparer ». Pour parler en jeune, je leur dis que ce n’est pas « in », la jeunesse [ces] temps-ci […]
Et à ce niveau-là aussi, il y a beaucoup de travail à faire auprès de la population adulte. Ce n’est pas nécessairement des personnes plus âgées qui sont victimes d’âgisme, les jeunes en sont aussi victimes. Je suis une conseillère en emploi et souvent les employeurs répondent : « Ah, mais c’est un jeune ». C’est de dépasser cette barrière-là aussi.
Donc, il y a beaucoup de sensibilisation à faire autant au niveau du politique que de la population, quant à la place aux jeunes et de leur offrir des vrais services[389].
La sensibilisation du public peut prendre diverses formes. Une possibilité serait d’enseigner leurs droits aux enfants dans les écoles. Le Comité a entendu des exemples fascinants concernant l’utilisation de la Convention relative aux droits de l’enfant en Angleterre pour enseigner leurs droits aux enfants[390]. Bien que certaines provinces et certains enseignants aient officieusement instauré des programmes similaires au Canada, il existe peu d’initiatives structurées dans ce domaine. Les jeunes qui ont comparu devant le Comité ont aussi indiqué qu’ils ne sont pas au courant des ressources, des services et des mécanismes de règlement des plaintes qui sont à leur disposition. Joelle LaFargue, l’une des jeunes témoins qui ont comparu devant le Comité au Nouveau‑Brunswick, a dit ceci :
Lorsque j’ai des problèmes et que j’estime qu’un droit est enfreint, je vais habituellement voir un enseignant ou le conseiller d’orientation. J’avais mentionné la Commission des droits de la personne, mais je n’ai jamais su comment la contacter, à moins de regarder l’annuaire téléphonique.
Peut-être vaudrait-il mieux familiariser les gens pour leur dire que si quelqu’un viole leurs droits ils peuvent s’adresser à cette association […] il n’y a aucune information à l’école ou à proximité, d’accès facile.
C’est important[391].
Une façon de remédier à cette situation serait de renseigner les conseillers scolaires au sujet du protecteur des enfants de leur province et des autres ressources disponibles afin qu’ils puissent transmettre cette information aux enfants et aux jeunes qui ont besoin d’aide dans les écoles. Hawa Mire a aussi suggéré de diffuser de l’information sur ces services dans les centres communautaires pour les personnes marginalisées qui ne consultent pas les conseillers scolaires :
Évidemment, la solution la plus simple pour faire comprendre ces droits aux jeunes femmes pour qu’elles les connaissent est l’enseignement en milieu scolaire. Cependant, le problème qui se cache derrière cette solution simple est le suivant : les jeunes qui obtiennent l’information dans les écoles ne sont pas nécessairement ceux qui en ont besoin. Je crois que la solution consiste à créer des programmes et des services d’éducation axés sur les jeunes femmes défavorisées des secteurs communautaires neutres. Ce sont ces enfants qui ont besoin de comprendre leurs droits, parce que ce sont eux que notre système tend à ignorer ou à laisser de côté[392].
Faciliter l’accès à l’information sur les droits des enfants peut contribuer considérablement à transformer la vie de ces derniers. Beverley Smith, de la Care of the Child Coalition, a dit au Comité qu’elle adore « le pouvoir des enfants quand ils sont convaincus de leurs droits[393] ».
Toutefois, le Comité signale que les parents ont également besoin d’informations sur les droits des enfants et d’outils pour les protéger. Jane Ursel, de RESOLVE Manitoba, a dit au Comité qu’il faudrait modifier fondamentalement toute la philosophie qui entoure les besoins des parents en matière de sensibilisation et que l’information relative aux droits des enfants ne devrait pas être diffusée dans un climat de confrontation ni d’une manière punitive, ciblant les parents et les enfants à risque. Joan Durrant, de l’Université du Manitoba, a dit au Comité que tous les parents ont besoin d’une telle forme d’aide : « Nous faisons vraiment fausse route en supposant que tous les parents savent élever des enfants, que c’est un talent naturel[394][…] » Pour illustrer ce point, Jane Ursel a fait remarquer que les cours prénataux suscitent un intérêt universel auprès des jeunes mères, parce qu’ils sont gratuits et pratiques, et que les participantes ne s’y sentent pas jugées, alors que les cours parentaux ne sont habituellement offerts gratuitement qu’aux parents jugés à risque. Le Comité insiste sur le fait que les parents doivent être informés des services dont ils peuvent se prévaloir sans risquer d’être jugés incompétents. Ces services doivent mettre l’accent sur les aptitudes parentales, la nécessité d’éviter les châtiments corporels et la façon d’aider les enfants à surmonter leurs problèmes[395]. Billie Schibler, protectrice des enfants du Manitoba, a affirmé que ces services doivent aussi promouvoir l’importance de donner de l’affection aux enfants, car « il ne s’agit pas seulement de leur donner à manger à temps[396] ». Joan Durrant a dit ceci au Comité :
Le fait d’apprendre que tous les bébés crient et qu’ils ont tous besoin d’être nourris toutes les trois heures peut énormément réduire les crises de rage qui amènent certains parents à secouer violemment leur nouveau-né. Le fait d’entendre d’autres parents parler des mêmes problèmes peut être extrêmement apaisant[397].
Elle a aussi signalé l’avantage que procurent les politiques en matière de travail qui permettent aux parents de s’absenter pour participer à ces programmes essentiels.
Enfin, de nombreux témoins ont soulevé la nécessité de mieux former les professionnels qui s’occupent des enfants et des questions liées aux enfants : les juges; les avocats; les enseignants; les décideurs de première ligne tels les membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les agents de douane et les gardiens; les médiateurs du droit de la famille; les policiers; les travailleurs sociaux. Ces professionnels devraient recevoir une solide formation de base sur la Convention relative aux droits de l’enfant, son application en droit canadien, la façon la plus efficace d’en appliquer les principes afin de promouvoir les intérêts de l’enfant et la façon d’intervenir auprès des enfants. Les décideurs et les rédacteurs législatifs devraient connaître les principes et la terminologie de la Convention[398].
B. COMMISSARIAT FÉDÉRAL AUX ENFANTS
1. L’organisme
Au cours des audiences qui ont duré plus de deux ans, les témoins qui ont comparu devant le Comité ont condamné le fait que le Canada est un des rares pays développés du monde qui n’ait pas de mécanisme financé sur une base permanente pour veiller à la protection des droits des enfants. Au cours de son étude, le Comité a rencontré les ombudsmen des enfants de la Norvège et de la Suède, les commissaires aux enfants de la Nouvelle-Zélande, de l’Écosse et de l’Angleterre.
Le Comité s’est vite rendu compte qu’une de ses principales propositions devait porter sur la création d’un commissariat fédéral aux enfants au Canada « afin de promouvoir une gouvernance efficace et responsable en la matière et d’offrir des services uniformisés à tous les enfants[399]». Presque tous les témoins qui ont comparu devant le Comité, experts indépendants, défenseurs des droits des enfants ou spécialistes affiliés aux Nations Unies, se sont dits favorables à la création d’un tel organisme de surveillance. Le Comité des droits de l’enfant a particulièrement reproché au Canada de ne pas avoir d’organisme fédéral de surveillance, dans ses plus récentes Observations finales :
Le Comité note que huit provinces canadiennes disposent d’un médiateur pour les enfants. [...] Le Comité regrette [en outre] qu’une telle institution n’ait pas été créée au niveau fédéral.
Le Comité recommande à l’État partie d’instaurer au niveau fédéral un bureau du médiateur chargé des droits de l’enfant et de veiller à ce que ceux‑ci [sic] soient dotés de financements suffisants pour fonctionner en toute efficacité[400].
Dans son Observation générale sur la mise en œuvre des organismes de surveillance, le Comité des Nations Unies a souligné que la création d’un tel organisme fait partie des obligations de l’État partie en vertu de l’article 4 de la Convention, où il est stipulé :
[...] le Comité des droits de l’enfant considère que la mise en place de tels organes entre dans le champ de l’engagement pris par l’État partie lors de la ratification de la Convention de s’attacher à la mettre en œuvre et d’œuvrer à la réalisation universelle des droits de l’enfant[401].
Les Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme[402] adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993 dressent la liste des éléments essentiels à ces institutions nationales : un vaste mandat énoncé dans un texte législatif; une composition de nature à assurer une représentation pluraliste des forces sociales; le pouvoir de promouvoir et de protéger les droits de l’homme; des crédits suffisants pour garantir son autonomie vis-à-vis de l’État et des responsabilités qui consistent, par exemple, à élaborer des rapports sur la situation des droits de l’homme, à promouvoir l’harmonisation de la législation nationale avec les obligations internationales, à encourager la mise en œuvre à l’échelle nationale, à contribuer aux rapports que les États parties doivent présenter aux organes des Nations Unies responsables des traités, à la sensibilisation de l’opinion publique par l’information et à la recherche.
a) Nom
Le Comité propose que le nouvel organisme porte le nom de « Commissariat aux enfants », afin de faire ressortir toute l’importance de la démarche fondée sur les droits de la Convention. Le témoignage de la Nouvelle‑Zélande, où la loi a été modifiée en 2003 pour insister sur cette distinction, souligne toute l’importance d’une telle démarche. Cindy Kiro, commissaire aux enfants de la Nouvelle‑Zélande, en a expliqué les implications :
Le changement de nom est très important. La loi initiale parlait du commissaire pour les enfants; c’est maintenant le Commissaire aux enfants. Ce changement vise à souligner le rôle qui revient aux enfants et indique également un important changement puisque, à l’origine, le rôle visait essentiellement la protection des enfants, notamment le fonctionnement de notre agence officielle d’aide à l’enfance. [...] L’accent est maintenant plus clairement mis sur les droits des enfants. Ainsi, nous sommes passés d’un système plus axé sur la protection qui, selon moi, réagissait en fonction des cas à un système axé sur les droits, plus proactif et systémique et qui permet d’examiner comment intervenir pour empêcher certaines choses de se produire[403].
b) Indépendance
Des témoins de tout le Canada et de l’étranger ont décrit l’organisation d’un tel bureau. Ils ont insisté sur le fait que le commissaire aux enfants du Canada devrait être un agent du Parlement – c’est-à-dire qu’il devrait être nommé par lui et devrait rendre compte de ses actes devant lui et, par son entremise, devant les enfants et l’ensemble des citoyens. En plus d’être une entité distincte et sans lien de dépendance, cet organisme devrait être investi de pouvoirs législatifs réels pour être en mesure de surveiller efficacement la mise en œuvre et la protection des droits des enfants[404]. Comme l’a signalé le Comité des droits de l’enfant, « […] si ces institutions ne sont pas pourvues des moyens nécessaires pour fonctionner efficacement et s’acquitter de leur mission, leur mandat et pouvoirs risquent d’être réduits à néant ou l’exercice de leurs pouvoirs d’être restreint[405] ».
La situation de l’ombudsman des enfants de la Norvège, Reidar Hjermann, démontre bien l’importance de cette question. Même s’il est théoriquement autonome, son bureau relève en réalité du ministère de l’Enfance et de la Famille – qui est précisément l’instance qu’il a la responsabilité de surveiller. Par le passé, cette mainmise a parfois restreint les pouvoirs de l’ombudsman, notamment lorsqu’il s’est fait rappeler à l’ordre par le ministère, qui estimait que les questions comme le versement par le gouvernement de prestations familiales aux parents qui gardent leurs enfants d’âge préscolaire à la maison plutôt que de les envoyer à l’école, sont de nature politique et ne doivent pas, par conséquent, faire l’objet de commentaires ou de critiques de la part de l’organisme de surveillance[406].
En somme, le Commissariat aux enfants mérite davantage que d’être une « simple coquille vide[407] ». Le professeur Nicholas Bala, de l’Université Queen’s, et Jeffery Wilson, ont pour leur part insisté sur l’absolue nécessité de créer un solide organisme de surveillance doté de pouvoirs tangibles :
M. Wilson : [...] Il faudrait que le défenseur des enfants détienne certains pouvoirs. Il faut qu’il puisse intervenir. S’il ne peut pas intervenir, cela poserait un grave problème.
M. Bala : Je suis tout à fait d’accord là‑dessus. Il ne faut pas que la création d’un poste de commissaire aux enfants soit une simple manœuvre de relations publiques pour le gouvernement fédéral. Il faut que cette personne possède des pouvoirs d’enquête pour formuler des recommandations ou offrir directement des recours aux enfants. Cette personne devrait également posséder des pouvoirs juridiques, disposer d’un budget et être autonome.
Vous avez posé une question extrêmement importante. La présence d’un commissaire à l’éthique signifie‑t‑elle que les politiciens n’ont plus à se préoccuper d’éthique? La présence d’un commissaire à l’éthique et de hauts fonctionnaires de ce genre, ont [sic] souligné et accru l’importance de la question.
Il existe une tension légitime entre le gouvernement et ces bureaux. Tant qu’ils possèdent la visibilité, l’indépendance et les pouvoirs voulus, ils permettent d’améliorer la situation en ce qui concerne les différents types de cas dont ils s’occupent. Le vérificateur général en est un autre bon exemple[408].
Le Comité est convaincu qu’une des principales raisons d’être du Commissariat aux enfants devrait être d’assumer la responsabilité en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l’enfant et de responsabiliser le gouvernement à l’endroit des enfants et de l’ensemble des citoyens. Il insiste sur le fait que le commissariat ne peut pas être un simple subterfuge utilisé par les parlementaires et le gouvernement pour se soustraire à leurs responsabilités en ce qui concerne les droits des enfants. Le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes a fait écho à ce principe devant le Comité :
Un commissaire aux enfants contribuerait à la responsabilisation et ferait en sorte que l’engagement du gouvernement envers la [Convention] se traduise par des mesures concrètes. Il servirait également de modèle pour évaluer l’efficacité des politiques et des lois existantes et projetées[409].
Le Commissariat aux enfants devrait être plus qu’un autre organe bureaucratique. Le commissaire serait une personne qui simplifierait les formalités administratives et prendrait des mesures efficaces afin de protéger les intérêts des enfants.
c) Nécessité d’une loi
Les témoins ont aussi souligné la nécessité d’une loi clairement libellée précisant les pouvoirs et les obligations du nouveau bureau, comme c’est le cas pour des organismes analogues tels le Commissariat aux langues officielles ou le Commissariat à la protection de la vie privée. Rita Karakas, d’Aide à l’enfance Canada, a d’ailleurs déclaré :
Comme dans le cas du Commissaire aux langues officielles, il faut qu’il y ait une loi habilitante de telle sorte que le commissaire ait des moyens aussi, tout comme le vérificateur général dispose de moyens. Il faut qu’il ait la capacité d’agir, d’intervenir[410].
Toutefois, il ne suffit pas que la loi établisse les responsabilités génériques de cet organisme de surveillance : le commissaire devrait être tenu par la loi de veiller au respect de la Convention relative aux droits de l’enfant. Par exemple, en 1993, la Suède a été la première à promulguer une loi qui lie explicitement le mandat de l’ombudsman à la mise en œuvre de la Convention à l’échelle nationale[411]. De même, en Nouvelle-Zélande, la loi ne se contente pas d’invoquer la Convention, elle joint cet instrument international en annexe, d’où son importance accrue dans le rôle imparti au commissaire.
Enfin, la nouvelle loi canadienne devrait imposer au commissaire aux enfants la responsabilité législative d’entendre les enfants et de les faire participer à ses activités.
2. Rôle du commissaire aux enfants
a) Surveillance
Le commissaire aux enfants devrait notamment surveiller la mise en œuvre de la Convention par le gouvernement fédéral d’un bout à l’autre du pays. Le Comité reconnaît que la mise en œuvre incombe au gouvernement, mais que d’autres mécanismes sont nécessaires pour en assurer l’efficacité.
Tous les témoins favorables à la création d’une telle entité ont insisté sur la nécessité pour le commissaire aux enfants de soumettre les lois, les services et le financement des programmes fédéraux ayant une incidence sur les enfants et sur leurs droits à un examen continu – et de se prononcer par le biais « de recommandations, d’évaluations et de critiques[412] » sur l’action ou l’inaction du gouvernement en faveur de changements. Kathleen Marshall, la commissaire aux enfants et aux adolescents de l’Écosse a fait valoir que le commissaire doit s’employer à faire en sorte que le gouvernement tienne ses promesses et qu’à cette fin, il lui incombe de faire ressortir les aspects sous lesquels le droit, les politiques et les pratiques canadiennes ne respectent pas les droits énoncés dans la Convention[413].
Le Comité propose que le commissaire aux enfants ait aussi le mandat d’aider le gouvernement fédéral à produire les rapports périodiques du Canada au Comité des droits de l’enfant, afin de donner suite partiellement aux nombreuses critiques qu’il a entendues au sujet de ce mécanisme de rapport. L’aide du commissaire pourrait notamment consister à formuler des avis ou des recommandations et pourrait même aller jusqu’à la production d’un rapport parallèle à l’intention du gouvernement et du Comité des droits de l’enfant.
Enfin, dans le contexte de ce rôle de surveillance, le Commissaire devrait avoir le mandat de présenter annuellement au Parlement un rapport de son évaluation de la mise en œuvre de la Convention par le gouvernement fédéral. Ce rapport serait essentiellement une évaluation de la situation des droits des enfants au Canada pour une année donnée.
Ce que les parents, les citoyens et les politiciens veulent savoir, c’est comment vont nos enfants. Nous voulons savoir comment vont leur santé, leur éducation, et tous les autres aspects de leur vie. Comment se portent-ils? Comment leur situation se comparent-elle à la situation des jeunes l’an passé, il y a cinq ans ou il y a 20 ans? Comment leur situation se compare-t-elle à la situation des enfants d’autres pays? Nous voulons également savoir comment nos enfants vont par rapport aux standards que nous avons en tête. En tant que Canadiens, nous avons une certaine idée de ce que ça veut dire d’être Canadiens. Quelle est leur situation par rapport à cela[414]?
Le Comité des droits de l’enfant l’a bien dit : déposer un rapport annuel équivaudrait « à donner aux parlementaires la possibilité d’examiner le travail [du commissaire] en faveur des droits de l’enfant et le degré de respect de la Convention par l’État[415] ». En outre, la production du rapport contribuerait à sensibiliser le gouvernement et le public aux droits protégés par la Convention. Le Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF a souligné que les rapports annuels rendent visibles le véritable vécu des enfants, améliorent encore la compréhension et, il faut l’espérer, suscitent un débat sur les violations de leurs droits[416].
b) Pouvoirs d’enquête
Des témoins ont affirmé de façon catégorique que le commissaire aux enfants devait aussi être investi de vastes pouvoirs d’enquête indépendante – non seulement sur la mise en œuvre de la Convention par le gouvernement, mais aussi sur les questions plus systémiques et sur les plaintes concernant les droits des enfants au Canada. De cette façon, le commissaire serait en mesure de stimuler le débat public sur divers thèmes et de formuler des recommandations de changement utiles.
À l’instar de la professeure Joanna Harrington, le Comité est d’avis que le rôle du commissaire aux enfants du Canada consiste en définitive à être le porte-parole général des enfants et à mener des enquêtes systémiques comme les ombudsmen des enfants de la Suède, de l’Écosse et de l’Angleterre, qui ne sont pas habilités à intervenir dans des cas précis. Le Comité est convaincu que le commissaire pourrait s’employer à faire en sorte que des mécanismes soient mis en place pour traiter les plaintes mettant précisément en cause les droits des enfants, plutôt que de les traiter lui‑même. Cela suppose qu’il renverrait les cas particuliers aux défenseurs et ombudsmen provinciaux des enfants, de mêmes que les questions touchant l’immigration et les Autochtones au tribunal fédéral compétent. Comme Save the Children Norway l’a déclaré dans le rapport de son ombudsman des enfants :
Qu’il soit en mesure de traiter des plaintes individuelles ou pas, il est important que l’ombudsman ait toujours à l’œil les forces de la société qui portent atteinte aux droits des enfants ou qui leur font obstacle, et qu’il y sensibilise les organes gouvernementaux responsables ainsi que le public. Les plaintes individuelles pourraient servir de base à des initiatives plus générales visant à modifier la législation ou à supprimer d’autres facteurs à l’origine de violations des droits des enfants[417].
c) Sensibilisation
Sur la foi de ses discussions avec les ombudsmen nationaux des enfants d’autres pays, le Comité a conclu qu’il devrait incomber au commissaire aux enfants du Canada de faire un travail de sensibilisation de façon à donner pleinement suite aux obligations du Canada en vertu de l’article 42 de la Convention. Suivant les propositions formulées dans la partie A du présent chapitre, le commissaire devrait avoir le pouvoir de faire des campagnes de sensibilisation pour renseigner le public sur la Convention et sur les droits qui y sont reconnus ainsi que sur des enjeux particuliers touchant les enfants. Par exemple, en Nouvelle‑Zélande, le Bureau de la commissaire aux enfants organise des ateliers intensifs sur la défense des droits des enfants d’un bout à l’autre du pays et publie un bulletin trimestriel sur les questions relatives aux enfants.
Une part importante du travail du commissaire aux enfants devrait consister à assurer son accessibilité et sa visibilité auprès des enfants, des parents et fournisseurs de services de tout le Canada. En faisant de la publicité pour faire connaître son existence et ses responsabilités, il contribuera à accroître sa propre accessibilité. Cet argument a été repris par tous les commissaires qui ont témoigné devant le Comité. Tout comme la sensibilisation, la facilitation de l’accès au commissaire aux enfants est un élément crucial pour assurer une protection efficace des droits des enfants. Des témoins ont fait valoir que les ressources sont sous‑utilisées et que la surveillance et la protection des droits laissent à désirer lorsque les enfants et les adultes ne sont pas au courant des ressources à leur disposition.
On fait valoir le même point dans le Digest du Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF sur les organismes de surveillance créés aux termes de la Convention :
Les droits ne sont guère utiles si personne ne les connaît ou ne les comprend. Le rôle des institutions responsables de la protection des droits de l’homme qui interviennent en faveur des enfants est crucial pour informer les enfants, les gouvernements et le public de ces droits, de la façon de les faire respecter et des raisons pour lesquelles ils sont importants. Leur succès se mesure à leur degré de visibilité et d’accessibilité auprès des enfants[418].
d) Affaires autochtones
Après ses discussions avec les témoins sur la vulnérabilité particulière des enfants autochtones et sur leur marginalisation évidente dans la société canadienne, le Comité est fermement convaincu que le Bureau du commissaire aux enfants devrait confier à un responsable de haut rang la mission d’enquêter sur la protection des droits des enfants autochtones et d’en assurer la surveillance. Les enfants des Premières nations ne peuvent pas se tourner vers les défenseurs provinciaux actuels en raison des obstacles posés par les sphères de compétence. Comme Cindy Blackstock, de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada, l’a déclaré dans son témoignage devant le Comité, « il faut qu’il y ait quelqu’un au niveau fédéral qui se penche sur les violations des droits des enfants autochtones dans les divers domaines afin que nous sachions en quoi elles consistent[419] ».
Le haut responsable en question devrait occuper un poste d’influence au Bureau du commissaire de façon à ce que le rôle précis qui lui est confié ne soit pas perdu dans la multitude des autres enjeux et enquêtes relevant du commissaire; peut‑être y aurait-il lieu de confier ce rôle à un sous‑commissaire.
L’organisation du Commissariat aux enfants de la Nouvelle‑Zélande est un bon exemple de la façon dont on pourrait s’y prendre pour faire en sorte que les questions touchant les enfants autochtones figurent au nombre des priorités du Bureau du commissaire aux enfants. Non seulement la commissaire actuelle est « une femme maorie [dont l’]ascendance la rend particulièrement sensible à la question du bien‑être de tous les enfants en Nouvelle‑Zélande[420] », mais son Bureau veille aussi à ce qu’une attention particulière soit portée à la protection des droits des enfants autochtones dans ce pays . Cindy Kiro l’a d’ailleurs dit clairement :
Le sort des enfants maoris constitue une priorité pour mon bureau, et ce, pour deux raisons. D’abord, les statistiques et les expériences négatives que vous venez de décrire concernant les collectivités autochtones du Canada s’appliquent également aux enfants maoris, en Nouvelle‑Zélande. [...]
Ensuite, [...] l’État et la société ont des droits et des obligations à l’égard de ces peuples et collectivités. Franchement, ces populations ne se trouvent qu’en Nouvelle‑Zélande[421].
e) Liaison
Les défenseurs provinciaux des enfants ont souligné devant le Comité que le commissaire aux enfants devrait assurer la liaison avec le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes pour faciliter la protection des droits des enfants et faire en sorte qu’elle fasse l’objet d’une surveillance efficace dans tout le Canada. Marv Bernstein, du Bureau du défenseur des droits des enfants de la Saskatchewan, a signalé au Comité qu’en raison du système fédéral,
[m]es homologues défenseurs des enfants dans les autres provinces et territoires et moi-même cherchons à combler ce vide grâce au Canadian Council of Provincial Child and Youth Advocates auquel nous appartenons et nous essayons de mobiliser Ottawa chaque fois que sa politique a des répercussions sur les droits des enfants. Nous pouvons bien évidemment défendre les intérêts des enfants dans nos provinces respectives en appliquant la loi fédérale, mais on constate un vide très net à l’échelon fédéral. Nous aimerions pouvoir collaborer avec un commissaire canadien aux droits de l’enfant[.]
L’activité est souvent intense, mais ce qui semble faire parfois défaut, c’est la coordination, la formulation d’une vision, l’impression d’une orientation, l’intégration des services et le travail en partenariat[422].
Par ailleurs, Fred Milowsky, agent adjoint pour l’enfance et la jeunesse en Colombie-Britannique a constaté que, « du côté fédéral, il y a bel et bien un vide qu’il faut combler[423] ».
Le commissaire aux enfants pourrait apporter une contribution à cet égard et faciliter le dialogue entre les provinces, de manière à ce qu’on crée un réseau de protection plus efficace[424]. Même si la législation diffère d’une province à l’autre et que les mandats des protecteurs des enfants sont différents, ceux-ci pourront partager de l’information et des statistiques de nature à faciliter le dialogue et les enquêtes sur des questions particulières et plus systémiques concernant la protection des droits des enfants. Comme l’a signalé Marv Bernstein, le Commissariat aux enfants pourrait exercer des pressions pour qu’il y ait des protecteurs des enfants indépendants dans toutes les provinces. À l’échelle fédérale et provinciale, les protecteurs pourraient unir leurs efforts pour établir des pratiques exemplaires et faciliter l’établissement de normes nationales, par l’entremise du bureau du commissaire fédéral qui assurerait la coordination. Judy Finlay, protectrice des enfants pour la province de l’Ontario, a fait valoir que ces organismes peuvent mettre à profit les frictions entre les provinces pour faciliter le dialogue et la mise en œuvre de changements positifs :
Un commissaire [fédéral] peut aider à expliquer le problème et à trouver des solutions. Je ne crois pas que les frictions soient une mauvaise chose. Il faut qu’il y ait un dialogue au pays, et les enfants doivent y prendre part. Si des jeunes et des enfants participaient à la conversation, nous saurions rapidement ce qui importe, car les jeunes nous aideraient à le déterminer. [...]
Bien que les organismes de défense des droits des enfants diffèrent d’une province à l’autre ainsi que leur mandat, nous estimons qu’ils partagent tous les mêmes préoccupations. Notre conseil est en faveur de la création d’un poste de commissaire et il serait prêt à travailler en étroite collaboration avec son titulaire. Presque toutes les provinces comptent maintenant un protecteur des enfants nommé par la province. Assurer la communication entre les provinces et le commissaire par l’entremise des protecteurs des enfants pourrait contribuer à atténuer les frictions qui existent entre les provinces et le gouvernement fédéral[425].
Le commissaire aux enfants devrait aussi inciter les divers échelons de gouvernement, les organismes non gouvernementaux et les autres fournisseurs de services à collaborer entre eux et à se consulter. Actuellement, ces intervenants aux quatre coins du Canada travaillent à la protection des droits des enfants selon une approche pour le moins décousue. Le Groupe des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant s’est dit frustré du manque de cohésion qui empêche les ONG qui défendent les droits des enfants au Canada d’exercer une surveillance systématique de l’application des droits des enfants[426]. Le Dr Julien a signalé qu’[i]l y a beaucoup de groupes communautaires, mais ces groupes, souvent, ils ne se parlent pas[427]. Les groupes et les intervenants dans le domaine des droits des enfants se demandent souvent « à qui parler[428] ». Le commissaire aux enfants pourrait jouer un rôle important en facilitant le réseautage de ces ONG.
f) Participation des enfants
Le Comité propose instamment que le commissaire aux enfants soit tenu par la loi d’écouter les enfants et de les faire participer à ses activités. Aux termes de l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, les enfants ont le droit d’exprimer leur opinion sur toute question les concernant et d’obtenir que celle-ci soit prise au sérieux. Le commissaire aux enfants devrait avoir le mandat de s’acquitter de cette obligation en tant que défenseur des droits des enfants au niveau fédéral. Comme l’a souligné le Comité des droits de l’enfant, les institutions concernées « doivent s’employer à établir des contacts directs avec les enfants et à les impliquer et à les consulter de manière appropriée[429] ». Cela dit, non seulement le commissaire devrait avoir le mandat de faire participer les enfants, mais cette participation devrait être utile et tangible. Le Bureau du commissaire aux enfants est l’endroit idéal pour ce faire. À titre d’exemple, la commissaire aux enfants de la Nouvelle-Zélande s’est adjoint un groupe témoin de jeunes qu’elle consulte pour mieux prendre le pouls de la situation des enfants d’un bout à l’autre du pays.
Le Comité a conclu que la loi devrait conférer au commissaire aux enfants non seulement le droit d’entendre les enfants, mais aussi la responsabilité de le faire de façon concrète. Marilyn McCormack, de l’Office of the Child and Youth Advocate de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, l’a d’ailleurs bien fait ressortir dans son témoignage :
Je pense que ça devrait être dans toutes les lois concernant les enfants. C’est ce que nous prônons. Dans notre loi, on lit que nous avons le droit de rencontrer les enfants et les jeunes et de les interroger. Je pense que ce devrait être dans toutes les lois concernant les enfants, que les enfants doivent être entendus. À mon avis, ce serait une excellente chose[430].
Le Comité est convaincu qu’avec ces moyens, le commissaire aux enfants du Canada pourrait avoir un puissant effet catalyseur sur l’évolution des lois, des politiques et des attitudes.
RECOMMANDATION 20
Le Parlement doit adopter une loi pour créer un commissariat aux
enfants indépendant chargé de surveiller l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant et de protéger les droits des
enfants au Canada. Le commissariat doit être tenu de faire rapport au Parlement
à chaque année.
C. GROUPE DE TRAVAIL INTERMINISTÉRIEL CHARGÉ DE LA MISE EN ŒUVRE DES DROITS DES ENFANTS AU SEIN DE L’ADMINISTRATION FÉDÉRALE
1. L’organisme
En plus de réclamer la création d’un commissariat aux enfants indépendant pour veiller au respect des droits des enfants au Canada, les témoins ont particulièrement déploré l’éparpillement actuel des responsabilités relatives aux enfants au sein de l’administration fédérale. Nicolas Steinmetz de la Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale a décrit le travail cloisonné au sein des gouvernements et des ministères à l’échelle fédérale et provinciale :
On doit se rappeler que cela prend vraiment tout un village pour élever un enfant. Nous ne sommes pas des villages d’antan, mais bien une société complexe qui agit par l'entremise des lois, des règlements, des politiques gouvernementales dans tous les ministères.
Quand on doit parler avec des gens d’un ministère pour un octroi d’argent pour faire le travail de la pédiatrie sociale, on se rend compte qu’on parle avec des gens d’un ministère au sein duquel il y a aussi des îlots. Par exemple, si le Dr Julien veut aider à préparer les enfants à la réussite à l'école, il doit également travailler avec les gens du ministère de l’Éducation. Sauf que les interlocuteurs du ministère de l’Éducation considèrent que d’assurer le développement d'un enfant revient au ministère de la Santé, alors qu’ils n'ont rien à voir avec cela. Et c’est difficile de leur faire comprendre que pour une chose comme le développement d'un être humain, c’est toute la société qui est impliquée et que la façon dont nous sommes organisés comme gouvernement ne reflète pas le besoin des gens, mais illustre plutôt le besoin du gouvernement d'organiser ses affaires, et ce n'est pas toujours la même chose[431].
Faisant écho aux recommandations de nombreux témoins comme Suzanne Williams, la protectrice des enfants pour la province de l’Ontario, Judy Finlay, et le ministre de la Justice, le Comité recommande que le gouvernement fédéral crée un groupe de travail interministériel chargé d’assurer la protection des droits des enfants dans l’ensemble de l’administration fédérale, afin d’accroître la conformité du Canada à la Convention relative aux droits de l’enfant et d’en assurer la mise en œuvre au sein de l’appareil gouvernemental lui‑même.
Quand le Canada a ratifié la Convention, en 1991, la responsabilité d’en coordonner la mise en œuvre et de préparer les rapports destinés au Comité des droits de l’enfant incombait au ministère de la Justice ainsi qu’au Bureau des enfants de Santé Canada. Ce sont maintenant le ministère de la Justice et la Division de l’enfance et de l’adolescence de l’Agence de santé publique du Canada qui s’occupent de compiler les données devant figurer dans la partie du rapport du Canada aux Nations Unies qui concerne le gouvernement fédéral.
Des témoins ont cependant souligné qu’il ne suffit pas de confier la responsabilité des rapports à ces deux ministères. En effet, de nombreux organes de l’administration fédérale s’occupent de dossiers concernant les droits des enfants; il nous faut donc un organisme de coordination pour institutionnaliser les liens et les responsabilités de ces ministères, organismes et agences. Comme le Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF l’a fait valoir,
[i]l n’est habituellement pas possible de réunir toutes les questions assujetties à la Convention sous l’égide d’un seul et même organisme gouvernemental, parce que l’action de pratiquement tous les organismes gouvernementaux a une incidence sur la vie des enfants. L’expérience a fait ressortir les dangers de la marginalisation que peut entraîner le fait de confier à une seule entité de la responsabilité de la politique concernant les enfants[432].
Le nouveau groupe de travail chargé de la mise en œuvre coordonnerait donc les activités, les politiques et les lois applicables aux droits des enfants dans l’ensemble de l’administration fédérale – ministères de la Justice, de la Citoyenneté et Immigration, des Ressources humaines et Développement des compétences, du Développement social, de la Sécurité publique et Protection civile, du Patrimoine canadien, des Affaires indiennes et du Nord canadien ainsi que des Affaires étrangères, et Agence canadienne de développement international – de façon à rendre compte de toutes les mesures gouvernementales concernant les enfants. Le Comité verrait d’un bon œil que ce groupe de travail relève du Bureau du Conseil privé, qui est l’instance qui exerce le plus d’influence sur les efforts de coopération interministérielle. Si toutefois cette solution n’est pas envisageable, le Comité propose que le groupe de travail soit présidé par le ministère de la Justice, puisque c’est le ministère qui influe le plus étroitement sur la législation régissant tous les aspects des droits des enfants dans l’ensemble du Canada.
Au cours de ses missions d’étude en Europe, le Comité a constaté que de nombreux pays se sont dotés d’organismes de coordination analogues pour s’acquitter plus efficacement de leurs obligations en vertu de la Convention. Par exemple, le ministère de la Santé et des Affaires sociales de la Suède a confié à un secrétariat spécial le soin de coordonner les mécanismes en vigueur dans l’ensemble de l’administration gouvernementale de façon que le point de vue de l’enfant se reflète dans la politique gouvernementale à tous les niveaux, et de produire le rapport de la Suède au Comité des Nations Unies[433]. L’Angleterre a aussi au sein du Cabinet un sous-comité interministériel responsable des affaires intérieures (politique relative aux enfants), constitué de représentants de tous les ministères qui se réunissent à intervalles réguliers pour veiller à l’application de la Convention par l’ensemble des ministères[434]. Judy Finlay a insisté sur la nécessité du leadership fédéral à cet égard :
[...] il nous faut un bureau au sein du gouvernement fédéral dont le mandat consisterait à appliquer d’une manière opérationnelle le plan d’action national et la Convention. Nous sommes des autorités provinciales. Nous faisons le suivi et nous nous assurons que les lois provinciales et fédérales qui concernent nos enfants sont respectées, mais nous le faisons uniquement à l’échelle provinciale. Sans direction coordonnée et centralisée, il n’existe aucun engagement à l’échelle nationale pour que les principes et les objectifs de la Convention soient appliqués[435].
2. Rôles spécifiques du groupe de travail chargé de la mise en œuvre
Le Comité recommande que le groupe de travail assume de multiples rôles en ce qui concerne, par exemple, la coordination et la mise en œuvre, la surveillance, la promotion du Plan d’action national du Canada, Un Canada digne des enfants, et l’adoption de mesures pour que les enfants et les droits des enfants jouissent d’une visibilité accrue.
a) Analyse des effets sur les enfants – Évaluation de la législation dans l’optique des droits des enfants
Le Comité est convaincu de la nécessité de confier au premier chef à ce groupe de travail la responsabilité de veiller à ce que toute la législation fédérale soit compatible avec les obligations du Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le groupe de travail devrait soumettre toute la législation existante et proposée à un examen approfondi en se servant de la Convention comme liste de contrôle. Comme l’a précisé le Comité des droits de l’enfant,
[i]l est nécessaire d’examiner la Convention non seulement article par article mais aussi de globalement pour tenir compte de l’interdépendance et de l’indivisibilité des droits de l’homme. L’examen doit être continu plutôt que ponctuel et porter à la fois sur les lois qui sont proposées et sur celles qui sont déjà en vigueur[436].
Katherine Covell a souligné que pour y arriver, le groupe de travail devrait fonder son analyse de la législation et des politiques sur les enfants. L’examen de la législation doit donc se faire dans l’optique des droits des enfants, autrement dit il faut procéder à une étude d’impact pour déterminer quels effets un projet de loi donné risque d’avoir sur eux. Le Comité des droits de l’enfant a décrit ce processus de la façon suivante :
Pour garantir que l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants (paragraphe 1 de l’article 3) et que toutes les dispositions de la Convention sont respectées dans la législation et au stade de l’élaboration et de l’exécution des politiques à tous les niveaux de gouvernement, il faut qu’existe un processus permanent d’analyse des effets des décisions sur les enfants (qui prévoie les effets de toute proposition de loi, de politique ou de crédits budgétaires touchant les enfants et l’exercice de leurs droits) et d’évaluation de ces effets (évaluation des effets concrets de l’application des décisions)[437].
Joan Durrant de l’Université du Manitoba a dit au comité que le Canada peut s’inspirer du modèle de la Suède en matière de droits de l’enfant. Comme l’a fait remarquer Kathy Vandergrift, « l’administration dispose de méthodes pour évaluer l’impact sur d’autres fronts[438] ». Elle peut réaliser une telle évaluation. À ce moment-là, « cela s’inscrit dans la décision à prendre[439] ».
Le Comité est convaincu que l’adoption d’une approche basée sur une liste de contrôle permettrait de veiller à ce que les droits des enfants et les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention aient vraiment force de loi au Canada. Bien que ce ne soit pas nécessairement évident à première vue, presque tous les aspects de la politique gouvernementale et de la législation ont d’une façon ou d’une autre une incidence sur les enfants : on n’a qu’à penser, par exemple, à la législation sur la santé, sur l’environnement ou sur l’économie. Comme le Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF l’a affirmé dans son Digest sur les organismes de surveillance des droits des enfants, « une politique économique qui n’a d’effet sur les enfants, ça n’existe pas[440] ».
b) Consultations permanentes
Les critiques formulées à propos du mode de consultation actuellement en vigueur au Canada ont convaincu le Comité de la nécessité d’investir le groupe de travail d’une autre responsabilité, à savoir celle de mener des consultations permanentes auprès des provinces, des territoires et des autres intervenants – notamment les enfants –afin de s’assurer que les lois du Canada demeurent conformes à ses obligations en vertu de la Convention. Le groupe de travail assumerait donc un rôle de coordination puisqu’il organiserait des consultations auprès des organismes gouvernementaux intéressés pour sensibiliser les provinces à leurs obligations et aux solutions à leur disposition en matière de lois et de politiques. Le Comité remarque que, dans un système fédéral, les réseaux fonctionnent souvent mieux que les autres cadres de fonctionnement. Ce qu’il nous faut, c’est un système de nature à encourager la collaboration. Le défi consiste à l’institutionnaliser[441].
La création d’un groupe de travail s’impose pour donner suite aux réserves exprimées par le du Comité des droits de l’enfant quant à la capacité du Comité permanent des fonctionnaires ou de n’importe quel autre organisme de coordonner efficacement le respect des droits des enfants au Canada :
Le Comité [...] reste toutefois préoccupé de ce que ni le Comité permanent des fonctionnaires chargé des droits de la personne ni le secrétaire d’État à l’enfance et à la jeunesse ne soit spécialement chargé des tâches de coordination et de suivi de la mise en œuvre de la Convention.
Le Comité encourage l’État partie à renforcer la coordination et le suivi et à en assurer l’efficacité, en particulier, entre les autorités fédérales, provinciales et territoriales, dans le domaine de la mise en œuvre des politiques de promotion et de protection de l’enfance [...] en vue de limiter et si possible d’éliminer toute possibilité de disparité ou de discrimination dans la mise en œuvre de la Convention[442].
c) Rapports aux Nations Unies
Le Comité a déjà insisté sur la nécessité d’alléger et de rendre plus efficient et transparent le processus de production des rapports du Canada au Comité des droits de l’enfant ainsi qu’à tous les organismes responsables des traités des Nations Unies, mais il rappelle que le prochain rapport que le Canada doit soumettre en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant est censé être déposé le 11 janvier 2009. Le gouvernement devrait donc bientôt entreprendre des consultations pour s’attaquer à cette tâche colossale, comme en témoigne la préparation du dernier rapport du Canada qui a nécessité environ trois ans. Le délai est dans moins de deux ans.
Pour faire suite aux préoccupations exprimées par le Comité des Nations Unies et par les témoins, le Comité propose que, une fois établi, le groupe de travail en question se charge de préparer la partie du rapport que doit remettre le Canada au Comité des Nations Unies portant sur le gouvernement fédéral et collabore étroitement avec le Comité permanent des fonctionnaires pour l’aider au besoin durant les consultations auprès des provinces et des territoires. Le groupe de travail serait le mieux placé pour faire ce travail étant donné les consultations permanentes qu’il mènera auprès des autres instances gouvernementales compétentes et intervenants.
Fred Milowsky, agent adjoint pour l’enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique, a fait remarquer que le processus actuel est un processus à tendance réactive, à savoir que le rapport des ONG constitue une réaction au rapport du gouvernement et que « cela a tendance à créer des affrontements plutôt que de la coopération entre le gouvernement et les ONG[443] ». M. Milowsky souligne la nécessité d’un dialogue constructif entre le gouvernement et les ONG dans la préparation de leurs rapports respectifs au Comité de l’ONU.
Le Comité tient à souligner que le groupe de travail devrait aussi avoir le mandat de faire participer les enfants à la préparation du rapport du Canada, afin d’acquérir une meilleure compréhension de la situation des enfants dont les droits sont les plus directement touchés par les politiques et la législation à l’étude. Cette participation pourrait être obtenue dans le cadre de consultations permanentes ou grâce à l’établissement direct de mécanismes pour faciliter le dialogue tout au long de la préparation du rapport.
Toutefois, la nécessité d’alléger et de simplifier le processus ne se limite pas à la préparation du rapport d’État partie. Le HCDH-ONU a reconnu que ses propres exigences sont lourdes; il se penche actuellement sur la question afin de voir quelle serait la meilleure façon d’alléger le processus de fonctionnement des organismes responsables des traités des Nations Unies. Chacun de ces organismes affiche actuellement d’énormes arriérés pour ce qui est de la réception et de l’examen des rapports des États parties, et cet arriéré continue de grossir. En 2004, le Canada a donné au HCDH-ONU 5 millions de dollars, répartis sur trois ans, en financement de base, pour l’aider à uniformiser et à simplifier le processus de présentation et d’examen des rapports et en octobre 2005, il a donné un autre 3 millions de dollars. Les discussions à ce sujet se poursuivent, mais il vaut la peine de signaler que déjà, le Comité des droits de l’enfant a été scindé en deux entités distinctes. En 2006, ces deux entités parallèles du Comité des Nations Unies, composées de neuf membres chacune, ont partagé l’étude des rapports afin de réduire l’arriéré accumulé.
Par son don, le Canada a déjà commencé à contribuer au processus de réforme. Le Comité est favorable au renforcement de l’orientation positive adoptée par le HCDH-ONU pour simplifier en permanence la procédure de présentation et d’examen des rapports et permettre ainsi une analyse approfondie de la mise en œuvre de la Convention par un pays donné et un allégement du fardeau que représente la préparation des rapports pour les États parties, qui doivent actuellement y consacrer des années.
Enfin, le Comité propose que le groupe de travail soit chargé de la préparation du rapport de suivi donné par le gouvernement aux Observations finales du Comité des Nations Unies, qui doit être déposé au Parlement. Ce rapport devrait faire état en détail de la réaction du gouvernement fédéral et de la façon dont celui-ci a donné suite à chacune des suggestions et des recommandations du Comité des Nations Unies.
En dernière analyse, le Comité fait écho aux propos de la professeure Kay Tisdall de l’Université d’Édimbourg, qui a souligné que la présentation de rapports aux comités des Nations Unies sera un exercice « vide de sens[444] », si le Canada ne met pas les efforts qu’il faut dans le processus. Le Comité des droits de l’enfant l’a dit dans son Observation générale à propos de la mise en œuvre de la Convention :
Ce processus constitue une façon unique de rendre compte [...] de la façon dont les États traitent les enfants et leurs droits. Mais il ne peut avoir d’effet véritable sur la vie des enfants que si les rapports sont diffusés et examinés de manière constructive au niveau national[445].
3. Nécessité d’une stratégie de sensibilisation
En plus de mettre l’accent sur la législation et sur les exigences en matière de rapports, les témoins ont insisté sur l’importance pour le groupe de travail de privilégier la sensibilisation et de concevoir une « stratégie de communication détaillée et bien dotée[446] » afin que l’information sur les droits des enfants soit facilement accessible aux enfants eux‑mêmes, à leurs protecteurs, aux décideurs, aux spécialistes, aux travailleurs de première ligne et au public en général. Dans le sens des propositions formulées dans la partie A du présent chapitre, le Comité est d’avis que cette stratégie de portée générale doit prévoir des mécanismes de diffusion de l’information aux organismes gouvernementaux et indépendants participant à la mise en œuvre de la Convention ainsi que des moyens pour entrer en contact avec eux. Le groupe de travail devrait veiller à ce que ces renseignements soient librement diffusés dans les écoles.
Le Comité propose que le groupe de travail veille à ce que le texte de la Convention soit largement diffusé, dans une version adaptée aux enfants et dans plusieurs langues, afin de le rendre aussi accessible que possible aux enfants et aux familles les plus marginalisées de la société canadienne.
Les témoins interrogés au Canada et à l’étranger de
même que le Comité des droits de l’enfant ont souligné que la sensibilisation
aux questions touchant les droits des enfants est une obligation absolue en
vertu de l’article 42 de la Convention. Non seulement cette obligation exige un partage de l’information sur la Convention elle‑même, mais elle suppose aussi que le rapport d’État partie du Canada, les Observations finales
du Comité des Nations Unies et la réponse du gouvernement à tous les
intervenants intéressés soient largement diffusés. Le Comité propose que la
nouveau groupe de travail s’inspire de l’exemple de la Suède, qui a publié son rapport d’État partie révisé sous forme de livre après l’avoir soumis
aux Nations Unies, et en a distribué des exemplaires aux ONG ainsi qu’aux
autorités locales afin de préparer le terrain à des discussions ultérieures[447].
4. Résultats
Les avantages de la mise en place d’un groupe de travail comme celui‑là ont été clairement expliqués au Comité. Des études de cas internationales confirment que
[l]a mise en place d’institutions et de structures permanentes axées sur les droits des enfants au sein des administrations gouvernementales a été cruciale pour assurer une mise en œuvre coordonnée de la Convention et en accroître la visibilité auprès du grand public. L’adoption d’une approche plus coordonnée est un atout pour s’assurer de la participation de la société civile, tout comme la capacité de tenir compte du vue de l’enfant dans le processus d’élaboration des politiques. Ces mécanismes ont permis de faire une place aux enfants dans le plan d’action national, de mieux harmoniser les activités les concernant et d’élaborer une stratégie pour concrétiser le respect de leurs droits et évaluer les progrès réalisés à ce chapitre[448].
Le Comité souligne aussi qu’il est crucial que le groupe de travail soit tenu de faire participer les enfants à ses activités si nous voulons que les droits des enfants et l’approche fondée sur ces droits soient appliqués efficacement au Canada.
RECOMMANDATION 21
Un groupe de travail interministériel chargé de la mise en œuvre des droits des enfants doit être créé pour coordonner les activités, les politiques et les lois touchant les droits des enfants.
D. CUEILLETTE DE DONNÉES
Enfin, le Comité souhaite faire ressortir le fait que le Commissariat aux enfants et le groupe de travail seraient bien placés pour recueillir des données statistiques. Des témoins aux quatre coins du Canada ont déploré le manque de statistiques nationales sur des questions relatives aux enfants. Bien que l’on puisse recueillir des données à l’échelle provinciale, voire locale, il n’existe pas de mécanisme de coordination et d’intégration de ces données de manière à créer un tableau national de la situation au Canada. Des témoins ont réclamé que le gouvernement améliore la cueillette de données dans plusieurs domaines touchant les droits des enfants.
Le Comité reconnaît la difficulté de la tâche. Il est très difficile d’obtenir des données précises et utiles en soi. En fait, c’est l’interprétation et l’analyse qui rend les données utiles.
Les statistiques nationales générales peuvent aider les intervenants à mieux comprendre une question, à créer un système plus complet relativement à la surveillance des manquements par rapport aux droits des enfants, à évaluer l’impact des initiatives et à élaborer des stratégies d’intervention. Des témoins ont souligné l’importance qu’il y a à avoir des statistiques utiles en cela qu’elles aident les organismes à se mobiliser autour d’une question donnée. Le Commissariat aux enfants et le groupe de travail fédéral peuvent jouer un rôle important dans la cueillette de données statistiques ou l’initiation d’un dialogue avec les organismes de statistiques en vue de la création d’une base de données nationale sur des questions touchant les enfants.
E. COMMENTAIRES DU COMITÉ
Le Comité avait pour mandat d’examiner les obligations internationales du Canada en ce qui concerne les droits et libertés des enfants et de voir si la législation, les politiques et la pratique en vigueur au Canada peuvent être considérées comme conformes aux exigences en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant. À la lumière des observations et des critiques formulées par le Comité des droits de l’enfant et au terme de deux années d’audiences au Canada et à l’étranger, le Comité a pris conscience du fait qu’il ne peut y avoir de conformité intégrale ni donc de protection réelle et complète des droits des enfants sans une mise en œuvre concrète de la Convention. Or, cette mise en œuvre concrète fait défaut.
Sensible aux préoccupations exprimées tout au long de ses audiences, le Comité a tenté de combler « l’abîme qui sépare le discours sur les droits et la réalité quotidienne vécue par les enfants[449]! ». Le Comité a structuré ses délibérations en fonction de la démarche fondée sur les droits établie dans la Convention, en partant du principe que les enfants sont un des groupes les plus intrinsèquement vulnérables et sous‑représentés du Canada. Le Comité a abordé sa mission dans une optique plus viable afin de trouver des solutions de nature à garantir un respect plus global des droits des enfants dans l’ensemble de la société canadienne.
En plus d’amener le Comité à formuler des recommandations précises sur les droits de groupes d’enfants particulièrement vulnérables cette approche l’a amené à recommander la création d’un groupe de travail interministériel, où sera centralisée la coordination de la mise en œuvre de la Convention dans l’ensemble de l’administration fédérale. Elle nous a aussi amené à recommander la création d’un commissaire aux enfants, un mécanisme de surveillance capable d’appliquer efficacement ces droits et de responsabiliser le gouvernement, par l’intermédiaire du Parlement, vis‑à‑vis du public en général ainsi que des enfants en particulier. Dans toutes ses recommandations, le Comité a insisté sur l’absolue nécessité de faciliter la participation des enfants à tous les mécanismes influant sur leurs droits. Il faut que les voix et non simplement les choix des enfants soient entendus au niveau national.
Le Comité insiste sur la nécessité d’agir maintenant de manière à protéger la vie et les droits des membres de notre société qui comptent parmi les plus vulnérables.
Au‑delà de la question des droits des enfants, la démarche du Comité souligne plus encore l’importance des observations déjà formulés dans son précédent rapport Des promesses à tenir quant à l’inefficience et l’insuffisance des mécanismes canadiens de ratification et de mise en œuvre des traités internationaux en matière de droits de la personne en général. Le Canada ne pourra respecter ses obligations internationales en matière de droits de la personne que s’il arrive à tenir ses promesses quant à la conformité. Le Comité est convaincu que ce n’est qu’en renforçant l’efficacité de son processus de ratification et en insistant sur l’obligation d’en rendre compte que le Canada pourra vraiment prétendre rester un chef de file dans le domaine des droits de la personne. À quoi bon, en effet, avoir une réputation qui dépasse ses propres frontières si elle n’est pas vraiment méritée chez soi. Le dernier chapitre du présent rapport présentera un modèle de plan d’action menant le Canada à respecter ses obligations internationales en matière de droits de la personne.
Chapitre 18 - Ratification et intégration des traités internationaux relatifs aux droits de la personne : Cadre pour un changement
Chapitre 18 - Ratification et intégration des traités internationaux relatifs aux droits de la personne : Cadre pour un changement
Des mois de témoignages – auxquels s’ajoutent les observations, les critiques et les recommandations du Comité des droits de l’enfant – ont convaincu le Comité sénatorial des failles de l’approche utilisée par le Canada pour appliquer la Convention relative aux droits de l’enfant et, par ricochet, de son approche utilisée pour adopter et appliquer les traités internationaux relatifs aux droits de la personne en général au Canada. N’étant ni inclusifs ni transparents, les mécanismes en place actuellement pour négocier, ratifier et intégrer ces traités sont inefficients et inefficaces et ne permettent qu’occasionnellement une réelle conformité. Le cœur du problème est l’absence de processus moderne, transparent et démocratique d’application des traités, compris et accepté au Canada. Aucune institution n’assume la responsabilité ultime de l’application efficace des conventions internationales relatives aux droits de la personne. Les séances du Comité qui ont porté sur la Convention relative aux droits de l’enfant ont démontré que, en raison de l’absence de ce processus, le Canada n’a pas pu atteindre les objectifs de la Convention et répondre aux attentes créées par la signature et la ratification.
Il est impossible de retourner en arrière pour suggérer une meilleure approche de la Convention relative aux droits de l’enfant. Mais le Comité peut faire des suggestions pour transformer l’approche future du Canada à l’égard des traités internationaux relatifs aux droits de la personne.
Se fondant sur ce qu’il a entendu, le Comité est arrivé à un cadre – décrit dans le présent chapitre – pour améliorer le processus par lequel le Canada ratifie et intègre ses obligations internationales relatives aux droits de la personne. Cette proposition prévoit des niveaux accrus de responsabilité qui aideront à traduire les obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne en des lois, des politiques et des pratiques significatives.
A. LANCEMENT DES NÉGOCIATIONS
1. Consultation et coopération
En ce qui concerne les premières étapes de la négociation d’un traité, le Comité constate que la position et le rôle traditionnels du Canada sur la scène internationale sont tels que notre pays joue souvent un rôle de leadership durant les négociations qui mènent à la rédaction et à l’adoption de traités des Nations Unies relatifs aux droits de la personne. Chose certaine, le gouvernement fédéral est généralement en première ligne pour bâtir un consensus international. Ces négociations sont souvent longues et elles peuvent s’échelonner sur plusieurs années, voire des décennies.
La transparence et la communication sont donc essentielles à cette étape. Les préoccupations des témoins au sujet de la ratification ont fait ressortir l’importance de démarrer très tôt la sensibilisation et les consultations essentielles au bon fonctionnement de tout mécanisme de mise en œuvre. À l’heure actuelle, le Parlement ne joue aucun rôle dans ce processus. Le Comité estime que, dès que s’amorcent des négociations en vue d’un traité international, il faudrait prendre des mesures au Canada pour assurer une sensibilisation nationale aux enjeux du traité envisagé et aux obligations que pourraient devoir respecter tous les ordres de gouvernement au Canada. L’information sur les négociations devrait être affichée sur les sites gouvernementaux pertinents, et les consultations avec les autres ordres de gouvernement, le Parlement et les autres parties intéressées devraient débuter dès qu’il est pratique de le faire.
Comme les tribunaux l’ont fait remarquer dans le Renvoi sur les conventions de travail, la nécessité pour le gouvernement fédéral de donner suite aux engagements pris en vertu d’un traité international ne peut être invoquée pour justifier un empiètement du gouvernement fédéral dans des sphères de compétence provinciales. La responsabilité de l’application des traités internationaux relève des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux lorsque les lois et les politiques provinciales sont touchées. Le lancement rapide des consultations faciliterait une coopération accrue entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à long terme, ce qui pourrait résoudre certains conflits de compétence et problèmes de coordination notés ailleurs dans le présent rapport. Comme l’a déclaré Suzanne Williams, de l’International Institute for Child Rights and Development : « Il s’agit d’établir un dialogue, ce qui est un défi constant dans le système fédéral, mais possible[450] ». Même si de nombreux témoins provinciaux ont exprimé leur inquiétude au sujet des difficultés de la coordination entre les niveaux de gouvernement, ils ont souligné que des réseaux informels comme ceux qui pourraient être créés dès le début des négociations d’un traité sont importants pour faire fonctionner le système. Bernard Richard, ombudsman du Nouveau-Brunswick, craint « que nous ne perdions beaucoup de temps à débattre de questions de compétences alors que nous avons démontré qu’il est possible de façon informelle de surmonter certains obstacles[451] ». Une collaboration dès ces premières étapes faciliterait la mise en place d’un réseau d’information informel grâce auquel les gouvernements provinciaux et territoriaux sauront ce qu’on attend d’eux au regard des engagements pris par le Canada dans le contexte d’un traité international sur les droits de la personne.
2. Amorce du processus
Le Comité a conclu qu’il faut un nouveau cadre pour que le Canada respecte ses obligations internationales. D’après les témoignages entendus, il estime que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des droits de la personne devraient s’approprier le processus et s’efforcer de concevoir des consultations plus ouvertes et transparentes. En guise de première étape, le Parlement et les provinces et territoires devraient certainement être informés dès que débutent les négociations en vue de la signature d’un traité relatif aux droits de la personne afin d’amorcer les consultations.
Le Comité l’a déjà dit, de nombreux témoins ont dénoncé l’inefficacité du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne, à qui il manque à la fois la volonté politique et un mandat efficace, ce qui le rend incapable sous sa forme actuelle d’atteindre les buts et d’appliquer les recommandations du présent rapport. Le Comité sénatorial propose qu’on remédie à cette situation en transférant la responsabilité du Comité permanent des fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien à celui de la Justice. Cette approche a été proposée par Joanna Harrington, de l’Université de l’Alberta, qui trouvait « vraiment inacceptable que les traités internationaux en matière de droits de la personne signés par le Canada relèvent du ministère du Patrimoine[452] » et qui ajoutait qu’une telle approche marginalise les obligations internationales du Canada quant aux droits de la personne. La prise en charge du Comité permanent des fonctionnaires par le ministère de la Justice ferait en sorte que l’instance responsable du suivi et de la mise en œuvre des lois fédérales dans tout le Canada serait intimement consciente des obligations du gouvernement en vertu des traités internationaux et qu’elle aurait la possibilité de mettre ces lois en application. Un tel transfert placerait également les obligations internationales relatives aux droits de la personne sur un pied d’égalité avec l’obligation du ministère de la Justice d’examiner toutes les lois pour s’assurer qu’elles sont conformes à la Charte des droits et libertés.
RECOMMANDATION 22
Le Comité recommande que la responsabilité du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne soit transférée immédiatement du ministère du Patrimoine canadien au ministère de la Justice.
3. Analyse des intérêts nationaux
Le Comité suggère que le gouvernement s’assure que les ministres canadiens responsables des droits de la personne sont mandatés pour entreprendre de vastes consultations visant à examiner les implications des traités en cours de négociation. En guise de première étape dans ce processus, ces ministres pourraient demander au Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne de rédiger un rapport à distribuer à tous ceux qui participent aux consultations – le Parlement, tous les ordres de gouvernement et les intervenants de la société civile. Semblable à l’« analyse des intérêts nationaux[453] » du gouvernement australien, ce rapport pourrait être un document explicatif qui définirait les buts et les conséquences du traité en question, y compris : une description des obligations imposées; les implications législatives, juridiques et financières; ainsi que les conséquences économiques, environnementales, sociales et culturelles du traité[454]. Le rapport devrait être largement diffusé et être affiché sur les sites Internet du gouvernement. Après la distribution du rapport, les ministres devraient également établir une tribune appropriée pour que tous les intervenants puissent donner leur point de vue.
En plus de permettre aux intervenants de s’exprimer sur les obligations internationales relatives aux droits de la personne, le rapport et le processus de consultation proposés devraient faire partie de la procédure normale du gouvernement fédéral pour examiner et analyser les lois fédérales et provinciales existantes afin de déterminer si les lois existantes sont conformes, et s’il faut les modifier ou en adopter de nouvelles pour respecter les obligations relatives au nouveau traité. Les témoins ont fait remarquer que ces consultations donneraient ainsi au Parlement, aux provinces et aux territoires ainsi qu’aux intervenants intéressés la possibilité d’évaluer si les plans du gouvernement en vue de l’intégration et de la mise en œuvre sont suffisants.
Les consultations suggérées faciliteraient les négociations nationales du gouvernement. Elles se dérouleraient parallèlement aux négociations internationales et porteraient sur les grands principes en jeu. Elles permettraient au gouvernement d’avoir une première impression de l’approche des divers intervenants par rapport à la question ou au traité envisagé et des répercussions sur les lois et les politiques nationales. Elles permettraient aussi aux intervenants de se renseigner sur les enjeux et de prendre les mesures qu’ils jugeraient nécessaires. L’objectif visé consiste à renforcer le dialogue, la coopération et la coordination.
B. SIGNATURE ET RATIFICATION
1. Palier fédéral – Déclaration d’intention officielle
Dans Des promesses à tenir, le Comité avait demandé de renforcer les moyens permettant au Canada de mettre en œuvre directement ses obligations internationales relatives aux droits de la personne. La présente étude sur les droits des enfants n’a fait que renforcer nos préoccupations antérieures. Plusieurs des témoins qui ont comparu devant le Comité ont beaucoup insisté sur la nécessité d’intégrer expressément les obligations internationales en matière de droits de la personne du Canada à la législation canadienne au moyen de mesures législatives habilitantes[455]. Ils ont soutenu que l’un des problèmes criants de l’approche du Canada à l’égard de la Convention relative aux droits de l’enfant est cette absence d’intégration directe. Comme l’a déclaré Brent Parfitt,
Nous l’avons signée, nous l’avons ratifiée, mais nous ne l’avons pas adaptée – c’est-à-dire que nous n’en avons pas fait une loi de notre pays. Je comprends qu’il y a des complications fédérales et provinciales, mais je crois qu’il est tout de même possible pour le Canada d’accorder une plus grande priorité à la mise en œuvre de cette convention[456].
C’est pourquoi le Comité propose que le gouvernement fédéral dépose au Parlement une « déclaration d’intention de se conformer », signalant l’intention de l’exécutif de prendre des mesures en vue de la signature de l’instrument international.
Le Comité est très conscient des difficultés posées par l’adoption d’une loi habilitante spécifique dans le contexte de traités généraux sur les droits de la personne portant sur des grands principes et ayant des répercussions sur les pouvoirs législatifs de tous les ordres de gouvernement. Le raisonnement du Document fondamental faisant partie des rapports des États parties : Canada – cité au chapitre 2 – est valide. Des témoins comme Peter Dudding, de la Ligue pour le bien‑être de l’enfance du Canada, et Claire Crooks, du Centre scientifique de prévention du Centre de toxicomanie et de santé mentale, ont déclaré au Comité qu’une loi habilitante peut parfois compliquer le respect des compétences et entraîner la création de mécanismes impossibles à soutenir efficacement dans certaines circonstances, autrement dit risque de faire plus de tort que de bien. Comme l’Union interparlementaire l’a écrit dans son guide sur la protection de l’enfant,
une législation en pleine conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’enfant, mais qu’on ne peut appliquer faute de l’infrastructure nécessaire, n’a pas d’existence réelle et ne permet pas d’atteindre les objectifs visés; à certains égards, elle peut même se révéler contre‑productive[457].
Mais le dépôt d’une déclaration d’intention informelle pourrait être une façon de signaler officiellement les intentions du gouvernement fédéral. Cette formalité pourrait simplement consister à déposer au Parlement le traité accompagné de deux documents : une déclaration confirmant que le gouvernement fédéral a examiné toute la législation pertinente et peut assurer au Parlement que les lois du Canada sont conformes à ses obligations aux termes du traité, ainsi qu’une déclaration officielle selon laquelle le gouvernement fédéral entend se conformer au traité.
Le dépôt d’une telle déclaration d’intention répondrait aux exigences d’une démocratie efficace en veillant à ce que les droits de la personne en question soient clairement reconnus comme des droits et ne soient plus une question de volonté politique. Il aurait aussi pour effet d’établir fermement l’interprétation que fait le gouvernement des droits reconnus dans le traité. Il ne serait plus possible pour lui de soutenir, comme il l’a fait dans l’affaire Baker, qu’il n’est pas lié, au Canada, par ses engagements internationaux en matière de droits de la personne. Les tribunaux pourraient aussi choisir des interprétations de la loi analogues à celles qui figurent dans le traité international. Cette approche pourrait avoir le double avantage d’apaiser les critiques déplorant que les tribunaux jouent un rôle trop important dans l’interprétation et l’application des instruments internationaux, ce qui mène souvent à des résultats divergents[458], et de donner du mordant au traité, puisque le gouvernement s’exposerait à des répercussions concrètes devant les tribunaux, par exemple, s’il faisait fi de ses obligations.
Enfin, le dépôt d’une déclaration d’intention contribuerait aussi à sensibiliser davantage les Canadiens au traité lui‑même aussi bien qu’à la portée de sa ratification. Des témoins ont exprimé de vives inquiétudes, en disant que rares sont les Canadiens qui savent qu’un traité doit être effectivement mis en œuvre pour pouvoir être applicable en droit canadien et que la ratification ne lie le pays d’aucune façon. C’est ce que Martha Mackinnon, de Justice for Children and Youth, a exprimé de la façon suivante :
Moi‑même, je ne l’ai découvert [que la ratification d’un traité ne signifie pas nécessairement qu’il a force de loi au Canada] qu’un mois ou deux après le début de mon premier cours de droit international public, [...] et j’ai été épouvantée. Je me suis sentie trahie. C’était la première fois, même comme étudiante en droit, que je comprenais qu’un État pouvait peser de tout son poids et signer un document et déclarer ensuite : « Mais nous n’en sommes pas vraiment convaincus ». Je ne crois pas que les Canadiens, pour la plupart, s’imaginent que tel est le cas[459].
2. Travailler dans un système fédéral
En prenant bonne note des craintes des témoins quant au manque de dialogue et de coordination entre les divers ordres de gouvernement, le Comité estime que, une fois déposée sa déclaration d’intention, le gouvernement fédéral devrait profiter de la tribune offerte par le Comité permanent des fonctionnaires ou tout autre mécanisme pour poursuivre les discussions avec les provinces et les territoires.
Les témoins ont insisté sur le fait que, après avoir signé le traité – et par extension créé des attentes que les provinces et les territoires s’y conformeront dans leur législation et leurs politiques – le gouvernement fédéral ne peut pas tout simplement abandonner la partie, pas plus qu’il ne saurait blâmer les provinces et les territoires pour leur manque de conformité sur les questions de compétence. Le dialogue permanent est essentiel pour assurer la conformité et une mise en œuvre efficace d’un océan à l’autre.
3. Étape de la ratification
Déposer une déclaration d’intention au Parlement et assurer des consultations permanentes conserverait à l’exécutif ses pleins pouvoirs de signature et de ratification des traités internationaux sur les droits de la personne, rendrait le processus plus ouvert et imposerait une plus grande obligation de rendre compte au public. Afin de renforcer davantage le processus, le Comité propose que, une fois que l’exécutif a officiellement ratifié le traité, cet instrument international soit déposé dans les deux chambres du Parlement. Comme Ken Norman, de l’Université de la Saskatchewan, l’a dit lorsqu’il a comparu devant le Comité en 2001, « la question du déficit démocratique pourrait être réglée en déposant un document au Parlement avant la ratification, pour pouvoir entamer un débat politique sur ces normes[460] ».
C. APRÈS LA RATIFICATION – DONNER SUITE EFFICACEMENT AUX OBLIGATIONS DU CANADA EN VERTU DES TRAITÉS INTERNATIONAUX
1. Exigence en matière de rapport aux Nations Unies
Les témoins sont allés au‑delà du processus de ratification, en faisant des recommandations au sujet des traités internationaux sur les droits de la personne existants et futurs, en soulignant la nécessité d’une efficience, d’une transparence et d’une responsabilisation accrues dans le processus de rapport aux organismes des Nations Unies créés par traité. Comme nous l’avons déjà souligné, le processus actuel est lourd et inefficient; il constitue un problème tant pour les organismes créés par traité, qui doivent lire et analyser ces rapports[461], que pour le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne, qui doit composer avec la difficulté de coordonner les compétences.
Tara Ashtakala, de la Coalition canadienne pour les droits des enfants, et Maxwell Yalden ont insisté sur le fait qu’une des premières étapes dans la réforme de ce processus pourrait consister à faire en sorte que les ministres responsables veillent à ce que le Comité permanent des fonctionnaires ait des délais réalistes à respecter. Ils ont fait valoir que le Comité permanent des fonctionnaires doit commencer ses consultations plus tôt, pour que les provinces et les territoires soient informés amplement à l’avance de leurs obligations en matière de rapport, sachant qu’il peut falloir des années pour produire un rapport exhaustif à l’intention des organismes des Nations Unies créés par traité, et que ces rapports des États parties doivent être produits tous les quatre ou cinq ans, selon le traité[462]. Le Comité est convaincu que le Parlement doit aussi avoir sa place à la table durant ces consultations, et que les parlementaires ayant des connaissances particulières dans les domaines discutés doivent être expressément invités à y participer.
Une fois que ces rapports sont produits, le Comité estime que le Parlement a un rôle important à jouer pour sensibiliser la population à la question et accroître la responsabilisation du gouvernement, en surveillant la conformité. Les témoins ont insisté sur l’absence de suivi après que les comités des Nations Unies présentent leurs Observations finales. Faisant écho à de nombreux témoins, Kathy Vandergrift a déclaré au Comité que, « à l’heure actuelle, les rapports sur le Canada n’aboutissent nulle part[463] ».
S’inspirant des suggestions de Kathy Vandergrift, Joanna Harrington et Brent Parfitt, le Comité a conclu que les rapports du Canada comme État partie, de même que les Observations finales de l’organisme des Nations Unies créé par traité et la réponse du gouvernement devraient être déposés au Parlement et soumis à un examen en comité. Cette approche serait analogue à la pratique de pays comme la Suède où l’on dépose au Parlement les Observations finales du Comité des droits de l’enfant. Au Canada, les comités parlementaires pourraient demander au président de l’organe créé par le traité pertinent de témoigner afin d’expliquer les Observations finales. Ils pourraient aussi demander à des groupes de défense des droits et à des spécialistes en la matière de leur faire part de leurs commentaires et de leurs observations sur la conformité du Canada à ses obligations internationales. Enfin, ces comités pourraient demander aux ministres et aux fonctionnaires du gouvernement de répondre et d’expliquer leur position. Cette approche fait écho aux observations de Maxwell Yalden :
Je serais aussi d’accord pour que le Parlement examine de plus près ces rapports [...] Une fois le rapport rédigé, le Parlement pourrait peut‑être y jeter un coup d’œil. En tout cas, quand le Comité des droits de l’enfant ou le Comité des droits de l’homme présentent leurs conclusions, votre comité [sénatorial des droits de la personne] devrait les examiner. Il devrait convoquer des témoins du gouvernement pour qu’ils lui expliquent pourquoi nous sommes en infraction avec telle ou telle obligation énoncée dans ces pactes. Ce serait utile car cela contribuerait à maintenir la pression sur le gouvernement, et ce serait donc positif[464].
Une telle approche garantirait l’institutionnalisation de consultations constantes et d’un suivi de l’application et du respect des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne[465]. En effet, l’examen de ces rapports par les parlementaires accroîtrait non seulement la responsabilisation du gouvernement, mais offrirait aussi au public une excellente occasion de contribuer, en plus de le sensibiliser davantage grâce à une diffusion élargie des rapports. Par ce processus, les comités parlementaires pourraient même proposer des solutions à certains des problèmes examinés. Il ne faut pas que l’examen parlementaire soit fermé, mais plutôt ouvert et porté à l’attention de tous les citoyens intéressés. Le Comité des droits de l’enfant l’a dit dans son Observation générale à propos de la mise en œuvre de la Convention :
Ce processus constitue une façon unique de rendre compte [...] de la façon dont les États traitent les enfants et leurs droits. Mais il ne peut avoir d’effet véritable sur la vie des enfants que si les rapports sont diffusés et examinés de manière constructive au niveau national[466].
Au cours de ses audiences en Suède, le Comité a appris qu’un réseau de parlementaires de tous les partis voué à la protection des droits des enfants s’était penché sur la question et en était arrivé à la conclusion que le Parlement est la tribune idéale où exposer les questions soulevées dans les Observations finales[467]. En outre, le guide sur la protection de l’enfant de l’Union interparlementaire est clair :
Les parlementaires [...] peuvent non seulement influer sur la question et sur les décisions du gouvernement, mais aussi prendre contact avec les collectivités locales et les électeurs pour influencer les opinions et orienter les actions locales [...]
Guides de l’opinion et représentants du peuple, les parlementaires ont également un rôle non négligeable en matière de prise de conscience; ils sensibilisent le public aux problèmes de société importants, non seulement dans leur propre circonscription, mais aussi à l’échelon national et international[468].
En définitive, le processus de rapport aux Nations Unies est une démarche de sensibilisation et de persuasion morale puisque les organismes des Nations Unies créés par traité n’ont pas eux‑mêmes de pouvoirs d’exécution. Cela dit, les recommandations du Comité sénatorial ne peuvent pas faire autrement qu’accroître les pouvoirs dont ils disposent. Un membre du Comité des droits de l’enfant nous a d’ailleurs déclaré que la participation des parlementaires crée de grandes possibilités d’introduction de changements dans les sociétés démocratiques[469].
2. Recours aux instruments internationaux pour proposer de nouvelles lois et de nouvelles politiques
Enfin, presque tous les témoins qui ont comparu devant le Comité ont réclamé une assurance que toutes les nouvelles lois proposées par le gouvernement fédéral et adoptées par le Parlement seraient conformes aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.
Le Comité s’est fait dire que tous les ministères et organismes doivent attester que la Charte canadienne des droits et libertés est respectée dans les projets de loi et de politique. Le ministre de la Justice est tenu par la loi de faire en sorte que les projets de loi du gouvernement soient conformes à la Charte[470].
Pourtant, même si la Cour suprême du Canada a statué qu’il faut généralement partir du principe que la Charte offre une protection des droits au moins égale à celle prévue par les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne[471], le Comité n’est pas convaincu que ce soit là une garantie suffisante.
Le Comité propose que le gouvernement tienne pleinement et systématiquement compte des engagements du Canada en vertu des principaux traités internationaux sur les droits de la personne dans ses projets de loi et de politique. Un peu comme il le fait pour la Charte, le gouvernement devrait attester que toutes les lois adoptées sont conformes aux obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne. De plus, le Comité estime qu’il est important que les rédacteurs des lois reçoivent une formation en droit international des droits de la personne, afin qu’ils utilisent leur connaissance des conventions internationales pertinentes ainsi que des concepts et de la terminologie concernant ces conventions. Mme Harrington l’a dit très clairement :
Le fait de faire des obligations internationales en matière de respect des droits de la personne des obligations juridiques devant être garanties par le ministère de la Justice, en plus d’observer les dispositions de la Charte, et de rendre nos lois conformes aux traités internationaux en matière de droits de la personne attirerait davantage l’attention sur ces obligations et garantirait leur révision et leur mise en œuvre continues[472].
Par ses audiences, le Comité en est venu à penser que cette étape est essentielle pour protéger les droits de la personne et assurer le respect des obligations internationales du Canada relativement aux droits de la personne. En outre, puisque ces droits sont déjà bien établis dans la législation canadienne, l’ajout d’un tel processus n’alourdirait pas exagérément le système.
D. COMMENTAIRES DU COMITÉ
Pour répondre comme il se doit aux inquiétudes des témoins, le Comité a conclu que le Parlement et la société civile doivent jouer un rôle accru dans le processus de ratification des traités internationaux en matière de droits de la personne. En s’efforçant d’assurer la transparence, l’examen et les consultations, le gouvernement sera perçu comme de plus en plus responsable et respectueux du droit international, et la légitimité des obligations du Canada en vertu de ces traités internationaux sera plus grande[473].
Il se peut que la mise en œuvre du processus de consultations plus poussé décrit dans le présent chapitre entraîne des coûts, particulièrement en termes de temps. Pourtant, comme les critiques sur le processus de ratification des traités et d’intégration de leurs obligations tournent actuellement autour de leur lourdeur et du manque de coordination entre les ordres de gouvernement, le Comité est d’avis qu’une transparence et des consultations accrues réduiraient la complexité du système et assureraient une coopération plus étroite, ce qui améliorerait la coordination et, à long terme, mènerait à un meilleur emploi du temps.
Il importe de souligner que les témoins n’ont pas soutenu que le Canada devrait s’empresser de se conformer à ses engagements internationaux en matière de droits de la personne. Le Comité préconise donc plutôt l’adoption de mécanismes pour accroître la sensibilisation des ordres de gouvernement et des intervenants, de façon à assurer la coopération, la coordination et la conformité de tous les paliers de gouvernement aux obligations internationales du Canada. Cela contribuera à générer un respect accru à l’égard du droit international puisqu’il sera ainsi démontré que la législation et les obligations du pays s’appliquent dans un contexte démocratique, où le gouvernement et les parlementaires doivent rendre des comptes à la nation[474].
En résumé, le Comité préconise l’établissement d’un cadre de politique pour la ratification et la mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne. Ce cadre devrait comprendre les éléments suivants :
- Avis au Parlement et aux provinces et territoires dès que débutent les négociations en vue d’un traité relatif aux droits de la personne, et engagement d’amorcer des consultations avec le Parlement, tous les ordres de gouvernement et les intervenants;
- Comptes rendus périodiques sur le déroulement des négociations entourant le traité international au Parlement, aux provinces et territoires, et au public;
- Production d’une étude d’impact nationale qui sera mise à la disposition de tous les participants aux consultations;
- Dialogue permanent entre les intervenants qui participent au processus de consultation et le gouvernement;
- Dépôt au Parlement d’une « déclaration d’intention de se conformer », signalant l’intention de l’exécutif de prendre des mesures en vue de la signature de l’instrument international prévoyant un délai raisonnable pour que le Parlement y réagisse;
- Dépôt de l’instrument international au Parlement, une fois qu’il a été ratifié par l’exécutif, accompagné d’un plan de mise en œuvre comportant des conséquences juridiques et financières et d’un calendrier de mise en œuvre. Il faudrait donner au Parlement assez de temps pour réagir à ce plan;
- Attestation que toutes les nouvelles lois adoptées sont conformes aux obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne;
- Élaboration d’un processus général transparent garantissant la consultation du Parlement et du public au moment de la préparation des rapports nationaux du Canada aux divers organes de l’ONU issus de traité. Les rapports nationaux du Canada, les Observations finales des organes issus de traités et une réponse du gouvernement devraient être déposés au Parlement et soumis à un examen en comité, sous réserve d’un délai de réponse déterminé.
RECOMMANDATION 23
Le Comité recommande que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des droits de la personne se réunissent immédiatement avec la ferme intention de prendre en charge le processus de consultation et de mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne.
RECOMMANDATION 24
a) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore un nouveau cadre de politique pour la signature, la ratification et la mise en œuvre des obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne, comportant les éléments suivants :
- Avis au Parlement et aux provinces et territoires dès que débutent les négociations en vue d’un traité relatif aux droits de la personne, et engagement d’amorcer des consultations avec le Parlement, tous les ordres de gouvernement et les intervenants;
- Comptes rendus périodiques sur le déroulement des négociations entourant le traité international au Parlement, aux provinces et territoires, et au public;
- Production d’une étude d’impact nationale qui sera mise à la disposition de tous les participants aux consultations;
- Dialogue permanent entre les intervenants qui participent au processus de consultation et le gouvernement;
- Dépôt au Parlement d’une « déclaration d’intention de se conformer », signalant l’intention de l’exécutif de prendre des mesures en vue de la signature de l’instrument international prévoyant un délai raisonnable pour que le Parlement y réagisse;
- Dépôt de l’instrument international aux deux chambres du Parlement, une fois qu’il a été ratifié par l’exécutif, accompagné d’un plan de mise en œuvre comportant des conséquences juridiques et financières et d’un calendrier de mise en œuvre. Il faudrait donner au Parlement assez de temps pour réagir à ce plan;
b) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral atteste que toutes les nouvelles lois adoptées sont conformes aux obligations internationales du Canada relatives aux droits de la personne.
c) Le Comité recommande que le gouvernement fédéral élabore un processus général transparent garantissant la consultation du Parlement et du public au moment de la préparation des rapports nationaux du Canada aux divers organes de l’ONU issus de traité. Les rapports nationaux du Canada, les Observations finales des organes issus de traités et une réponse du gouvernement devraient être déposés au Parlement et soumis à un examen en comité, sous réserve d’un délai de réponse déterminé.
[1] Résolution 44/25 1989 de l’Assemblée générale de l’ONU, voir l’annexe B.
[2] Rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Des promesses à tenir : le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne, décembre 2001, www.parl.gc.ca/fr/Content/SEN/Committee/371/huma/rep/rep02dec01-f.htm Le Comité avait pour mandat d’étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
[3] Rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Qui dirige ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants, novembre 2005, www.parl.gc.ca/fr/Content/SEN/Committee/381/huma/rep/rep19nov05-f.htm
[4] Voir la liste complète des témoins à l’annexe A.
[5] Voir l’explication du terme « dualisme » à la partie C du chapitre 2 du présent rapport.
[6] Pour en savoir plus sur la Loi sur les droits de la personne (2003) de la Norvège, voir la note 455.
[7] Dans le présent rapport, l’expression « enfants membres d’une minorité sexuelle » s’entend d’une personne de moins de 18 ans qui est lesbienne, gaie, bisexuelle ou transgenre ou qui s’interroge au sujet de son orientation sexuelle.
[8] Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1978] 2 R.C.S. 141; Procureur général du Canada c. Procureur général de l’Ontario, [1937] 1 D.L.R. 673 (J.C.P.C.) (Renvoi sur les conventions de travail); Joanna Harrington, Acteurs étatiques et le déficit démocratique : Le rôle du Parlement dans la conclusion de traités, document préparé pour le ministère de la Justice, mai 2005, p. 7 et 8 ainsi que 26 et 27.
[9] Joanna Harrington, Acteurs étatiques et le déficit démocratique, p. 2 à 5 et 27 à 32.
[10] Nicole LaViolette, Les principaux instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada n’a pas encore adhéré, janvier 2005, p. 63.
[11] Convention de Vienne sur le droit des traités, doc. A/Conf 39/28 de l'ONU, art. 2.
[12] J.-Maurice Arbour, Droit international public, 4e éd., Cowansville (Québec), éd. Yvon Blais, 2002, p. 99; Nicole LaViolette, Les principaux instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada n’a pas encore adhéré, p. 63.
[13] Nicole LaViolette, Les principaux instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada n’a pas encore adhéré, p. 62.
[14] Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes; Renvoi sur les conventions de travail; Joanna Harrington, Acteurs étatiques et le déficit démocratique, p. 8.
[15] Benjamin Dolin fait toutefois remarquer que « l’effet des traités ratifiés par les États-Unis n’est pas toujours évident. La jurisprudence américaine considère que seuls certains traités sont automatiquement exécutoires. » Voir Les instruments internationaux de protection des droits de la personne et leur applicabilité au Canada (Ottawa : Bibliothèque du Parlement, juillet 2005), p. 25.
[16] Maxwell Yalden, ancien membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, témoignage devant le Comité, 21 mars 2005.
[17] Doc. A/CONF.183/9 de l’ONU.
[18] S.C. (2000), ch. 24.
[19] Doc. A/C.1/57/L.36 de l’ONU.
[20] S.C. (1997), ch. 33.
[21] L.R.C. (1985), chap. G‑3.
[22] L’honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice, témoignage devant le Comité, 11 avril 2005.
[23] Des promesse à tenir, p. 24. Pour une discussion plus approfondie du rôle du Comité permanent, voir la partie D du présent chapitre.
[24] Irit Weiser, directrice, Section des droits de la personne, ministère de la Justice, témoignage devant le Comité, 11 juin 2001.
[25] John Holmes, directeur, Direction du droit onusien, criminel et des traités, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, témoignage devant le Comité, 11 juin 2001.
[26] HRI/CORE/1/Add.91, 12 janvier 1998.
[27] Ibid., par. 138.
[28] Judy Pearsal, dir., Concise Oxford English Dictionary: Thumb Index Edition, 10e éd. révisée (Oxford:
Oxford University Press, 2002). [traduction]
[29] Oran Young, Compliance and Public Authority (Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1979), p. 172. [traduction]
[30] Jeffery Wilson, avocat, témoignage devant le Comité, 13 décembre 2004.
[31] Témoignage d’Irwin Cotler.
[32] L’honorable Ujjal Dosanjh, ministre de la Santé, témoignage devant le Comité, 6 juin 2005.
[33] Ces organes sont les suivants : le Comité des droits de l’enfant, le Comité des droits de l’homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité contre la torture et la Commission sur les travailleurs migrants.
[34] Témoignage de Maxwell Yalden.
[35] Témoignage d’Irwin Cotler.
[36] Témoignage d’Ujjal Dosanjh.
[37] Dolin, Les instruments internationaux de protection des droits de la personne et leur applicabilité au Canada, p. 13 à 15.
[38] Wayne MacKay, professeur, Faculté de droit, Université Dalhousie, témoignage devant le Comité, 16 juin 2005.
[39] 1015 U.N.T.S. 297.
[40] Jane Stewart, directrice exécutive par intérim du Secteur de l’emploi, et Frans Roselaars, directeur du Programme sur l’élimination des pires formes de travail des enfants, Organisation internationale du travail, témoignage devant le Comité, 27 janvier 2005.
[41] Rebecca Cook, « Violations of Women’s Human Rights », Harvard Human Rights Journal, vol. 7, 1994, p. 147.
[42] ICCPR/C/67/D/694/1996, Comité des droits de l’homme, 67e session, du 18 octobre au 5 novembre 1999.
[43] Malgré la réprimande du Comité des droits de l’homme, le gouvernement fédéral a soutenu que l’éducation était un domaine de compétence provinciale et qu’il ne pouvait rien faire. Pour sa part, le gouvernement de l’Ontario a refusé de modifier ses lois pour se conformer à cette décision.
[44] Nicole LaViolette, Les principaux instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada n’a pas encore adhéré, janvier 2005, p. 62.
[45] Eileen Sarkar, sous-ministre adjointe, ministère du Patrimoine canadien, témoignage devant le Comité, 18 avril 2005.
[46] Les ministères de la Justice et de la Santé préparent la partie fédérale du rapport destiné au Comité des droits de l’enfant.
[47] Comité des droits de l’enfant, Observations finales, CRC/C/15/Add.215, 27 octobre 2003, par. 2,
voir l’annexe E.
[48] Témoignage de Maxwell Yalden.
[49] Ibid.
[50] Des promesses à tenir, p. 24 et 31.
[51] Deirdre Kent, conseillère, Mission canadienne à Genève, témoignage devant le Comité, 27 janvier 2005; HCDH-ONU, « Enhancing the Human Rights Treaty Body System: The Treaty Bodies’ Response to the Secretary-General’s Agenda for Further Change », www.ohchr.org/english/bodies/treaty/reform.htm
[52] Témoignage d’Elaine Petitat-Côté, Réseau international des groupes d’action pour l’alimentation infantile, et d’Hélène Sackstein, Réseau international des groups d’action pour l’alimentation infantile du monde Arabe, Groupe des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant, 28 janvier 2005.
[53] Témoignage d’Anne Bayefsky, professeure, Département de science politique, Université York, 4 juin 2001.
[54] Témoignage de Norman Moyer, sous-ministre adjoint, Identité canadienne, président du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne, 11 juin 2001.
[55] Témoignage d’Eileen Sarkar.
[56] Des promesses à tenir, p. 25.
[57] Margaret Somerville, professeure, Centre de médecine, d’éthique et de droit, Université McGill, témoignage devant le Comité, 15 mai 2006.
[58] Ombudsman du Danemark, de la Suède, de l’Islande et de la Norvège, The Best Interests of the Child in our Time: A Discussion Paper on the Concept of the Best Interest of the Child in a Nordic Perspective, octobre 1999, p. 7.
[59] En mars 2007, les États-Unis et la Somalie étaient les seuls pays à avoir signé la Convention sans l’avoir encore ratifiée.
[60] Otto Drieger, Otto Driedger, professeur émérite, Université de Regina, School of Human Justice, témoignage, 19 septembre 2006.
[61] Le juge Jean-Pierre Rosenczveig, président du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants, Conférence du Bureau international des droits des enfants, Mise en œuvre des droits de l’enfant : perspectives nationales et internationales, Montréal, 18 novembre 2004.
[62] Rana Khan, juriste, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Canada), témoignage devant le Comité, 2 mai 2005.
[63] Mary Robinson, avant-propos de A Human Rights Conceptual Framework for UNICEF, Marta Santos Pais, Florence (Italie), UNICEF, 1999, p. iv.
[64] Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, Observation générale no 5 : Mesures d’application générales de la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 4, 42 et 44, par. 6), CRC/GC/2003/5, 27 novembre 2003, par. 11.
[65] Tara Collins, la sénatrice Landon Pearson et Caroline Delany, document de travail, Une démarche fondée sur les droits, avril 2002, p. 3; Anne McGillivray, professeure, Université du Manitoba, témoignage devant le Comité, 26 septembre 2005.
[66] Collins, Pearson et Delany, Une démarche fondée sur les droits, p. 2.
[67] Suzanne Williams, directrice générale, International Institute for Child Rights and Development, témoignage devant le Comité, 21 février 2005.
[68] Collins, Pearson et Delany, Une démarche fondée sur les droits, p. 4.
[69] Kathy Vandergrift, présidente du Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armés, Vision mondiale Canada, témoignage devant le Comité, 14 février 2005.
[70] Cindy Kiro, commissaire aux enfants de la Nouvelle-Zélande, témoignage devant le Comité, 30 mai 2005.
[71] Témoignage de Suzanne Williams.
[72] Kay Tisdall, professeure de politiques sociales, directrice de programme, Université d’Édimbourg, témoignage devant le Comité, 12 octobre 2005.
[73] Un Canada digne des enfants, p. 9.
[74] Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, Digest no 8, p. 1à 3 et 13; Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Observation générale no 2 : Le rôle des institutions nationales indépendantes de défense des droits de l’homme dans la promotion et la protection des droits de l’enfant, CRC/GC/2002/2, 15 novembre 2002, par. 5.
[75] Professeur Al Aynsley-Green, commissaire aux enfants en Angleterre, témoignage devant le Comité, 10 octobre 2005.
[76] Fred Milowsky, agent adjoint pour l’enfance et la jeunesse, témoignage devant le Comité, 21 septembre 2006.
[77] Ibid.
[78] Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les droits des enfants, témoignage devant le Comité, 23 octobre 2006.
[79] Ibid.
[80] Martha Mackinnon, directrice générale, Justice for Children and Youth, témoignage devant le Comité, 18 avril 2005.
[81] Katherine Covell, professeure, Collège universitaire du Cap Breton, Centre des droits de l’enfant, témoignage devant le Comité, 7 février 2005.
[82] Suzanne Williams, Remplir les obligations du Canada dans le cadre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant : Des concepts abstraits à des avantages réels pour les enfants, mémoire présenté au Comité, 21 février 2005, p. 3.
[83] Témoignage de Kathy Vandergrift, 23 octobre 2006.
[84] Stephen Wallace, vice-président, Direction générale des politiques, Agence canadienne de développement international, témoignage devant le Comité, 15 mai 2006.
[85] Kearney Healy, avocat, témoignage devant le Comité, 19 septembre 2006.
[86] Haut Commissariat aux droits de l’homme, Fiche d’information no 10 (Rev. 1), Les droits de l’enfant, www.unhchr.ch/french/html/menu6/2/fs10_fr.htm .
[87] Résolution 54/263 de l’Assemblée générale, 25 mai 2000, voir l’annexe C.
[88] Résolution 54/263 de l’Assemblée générale, 25 mai 2000, voir l’annexe D.
[89] Un Canada digne des enfants : plan d’action du Canada suite à la Session extraordinaire des Nations Unies consacrée aux enfants de mai 2002, gouvernement du Canada, avril 2004.
[90] Témoignage d’Al Aynsley-Green.
[91] Témoignage de Margaret Somerville.
[92] Innocenti Digest, no 8, juin 2001, p. 4.
[93] Pour plus de précisions sur l’histoire des droits des enfants au Canada, voir le chapitre 2 du rapport provisoire du Comité, Qui dirige, ici? Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants.
[94] Anne McGillivray, de l’Université du Manitoba, a exprimé des vues semblables.
[95] Témoignage de Jeffery Wilson.
[96] Témoignage de Maxwell Yalden.
[97] Billie Schibler, protectrice des enfants du Manitoba, témoignage devant le Comité, 18 septembre 2006.
[98] Renée Vaugeois, directrice exécutive, Centre John Humphrey pour la paix et les droits de la personne, témoignage devant le Comité, 20 septembre 2006.
[99] Témoignage de Kathy Vandergrift, 23 octobre 2006.
[100] Témoignage d’Ujjal Dosanjh.
[101] Témoignage de Martha Mackinnon.
[102] Ibid.
[103] Témoignage d’Irwin Cotler.
[104] Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, chap. 11.
[105] Le Canada a toutefois émis des réserves relatives aux dispositions 21 et 37c) de la Convention. Témoignage d’Irwin Cotler. Pour plus d’information sur ces réserves, voir la partie A2 du présent chapitre.
[106] Des promesses à tenir, p. 21; Stephen Toope, « Inside and Out: The Stories of International Law and Domestic Law », Revue de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick, vol. 50, 2001, p. 15; Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982.
[107] [1999] 2 R.C.S. 817. Dans cette affaire, Mme Baker était une immigrante clandestine ayant fait l’objet d’un avis d’expulsion. Elle en a appelé de cette décision en invoquant des raisons d’ordre humanitaire, notamment le fait que ses enfants nés au Canada seraient privés de leur mère. Citoyenneté et Immigration Canada a confirmé la décision relative à l’expulsion sans toutefois fournir de raisons. La cause a fait l’objet d’une révision judiciaire et a ensuite été portée en appel devant la Cour suprême du Canada.
[108] Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 330. [traduction]
[109] Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), para. 70. Voir également Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 et R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.
[110] [1987] 1 R.C.S. 313.
[111] Kathleen Marshall, commissaire à l’enfance et à la jeunesse de l’Écosse, témoignage devant le Comité, 12 octobre 2005.
[112] Ibid.
[113] Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), para. 70; Benjamin Dolin, Les instruments internationaux de protection des droits de la personne et leur applicabilité au Canada.
p. 9 et 10.
[114] Benjamin Dolin, Les instruments internationaux de protection des droits de la personne et leur applicabilité au Canada. p. 9.
[115] L’honorable juge Jacques Chamberland, Conférence du Bureau international des droits des enfants, Mise en œuvre des droits de l’enfant : perspectives nationales et internationales, Montréal, 19 novembre 2004; Jutta Brunnée et Stephen Toope, « A Hesitant Embrace: Baker and the Application of International Law by Canadian Courts », (2002) vol. 40, Annuaire canadien de droit international, p. 3.
[116] Jean-François Noël, directeur général, Bureau international pour les droits des enfants, témoignage devant le Comtié, 21 février 2005.
[117] Témoignage d’Irit Weiser.
[118] Témoignage de John Holmes.
[119] L.R.C. (1985), ch. N-5.
[120] Pour plus d’information sur cette question, voir le chapitre 7.
[121] Pour plus d’information sur cette question, voir le chapitre 12.
[122] Pour plus d’information sur cette question, voir le chapitre 8.
[123] Pour plus d’information sur cette question, voir le chapitre 9.
[124] Linda C. Reif, The Domestic Application of International Human Rights Law in Canada: The Role of
Canada’s National Human Rights Institutions, document préparé pour le ministère de la Justice, 2005, p. 31 et 32 et 49 à 51.
[125] Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, Summary Report: Study on the Impact of the Implementation of the Convention on the Rights of the Child (2004), p. 16, (uniquement en anglais)
www.unicef-icdc.org/publications/pdf/CRC_Impact_summaryreport.pdf .
[126] Comité des droits de l’enfant, Observations finales, par. 8 et 9.
[127] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 5, par. 40.
[128] Chamberland, conférence du Bureau international des droits des enfants. Dans R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, la Cour suprême a évoqué l’engagement du Canada à protéger les enfants, tel que démontré par sa ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’adhésion quasi universelle à la Convention et l’intégration au droit canadien d’autres mesures visant à protéger les droits de l’enfant; dans D.B.S. v. S.R.G., [2005] ABCA 2, la Cour d’appel de l’Alberta a statué qu’il fallait rendre les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants conformes à la Convention; dans Québec (Ministre de la Justice) c. Canada (ministre de la Justice) (2003), 228 D.L.R. (4th) 63, la Cour d’appel du Québec a déclaré qu’on pouvait se servir de la Convention comme outil d’interprétation; dans U.C. v. Alberta (Director of Welfare) (2003), 223 D.L.R. (4th) 662, la Cour d’appel de l’Alberta s’est inspirée de la Convention pour donner poids à l’intérêt supérieur de l’enfant et pour donner son juste poids à l’opinion éclairée d’un enfant; dans L.D. c. A.P., [2000] J.Q. no 5221, la Cour d’appel du Québec a maintenu que le tribunal pouvait invoquer les valeurs exprimées dans la Convention pour interpréter le droit même si elle n’avait pas été incorporée au droit canadien; même dans Canadian Foundation for Children, Youth, and the Law c. Canada (procureur général), bien que la Cour suprême ait maintenu, à terme, l’article 43 du Code criminel, selon lequel le recours à la force raisonnable pour corriger un enfant n’entraîne pas de sanction pénale, le tribunal s’est inspiré de la Convention pour déterminer la signification et la portée de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
[129] Témoignage de Kathy Vandergrift, 14 février 2005.
[130] Témoignage de Suzanne Williams.
[131] Ibid.
[132] Jennifer Lamborn, Recherche et soutien politique, Association des femmes autochtones du Canada, témoignage devant le Comité, 29 mai 2006.
[133] Gerison Lansdown, Can you Hear Me? The Right of Young Children to Participate in Decisions Affecting Them, Working Papers in Early Childhood Development, no 36, Bernard van Leer Foundation, La Haye, mai 2005, p. 1, www.bernardvanleer.org/publication_store/publication_store_publications/Can_you_hear_me_The_right_of_young_children_to_participate_in_decisions_affecting_them/file. [traduction]
[134] Ibid. [traduction]
[135] Hawa Mire, GoGirls, FREDA Centre for Research on Violence against Women, témoignage devant le Comité, 21 septembre 2006.
[136] Katie Cook, témoignage devant le Comité, 14 juin 2005.
[137] Lisa Wolff, directrice, Plaidoyer et éducation, UNICEF Canada, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007.
[138] Nana, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007.
[139] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 5, par. 12.
[140] Judy Finlay, intervenante en chef, Assistance à l’enfance de l’Ontario, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007.
[141] Céline Giroux, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
du Québec, conférence du Bureau international des droits des enfants, Mise en oeuvre des droits de l’enfant : Perspectives nationales et internationales, Montréal, 18 novembre 2004.
[142] David Brent Parfitt, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, témoignage devant le Comité, 6 novembre 2006.
[143] Témoignage de Billie Schibler.
[144] L’honorable Ken Dryden, ministre du Développement social, témoignage devant le Comité,
26 septembre 2005.
[145] Témoignage de Wayne MacKay.
[146] Témoignage de Kathy Vandergrift, 23 octobre 2006.
[147] Ryan Stratton, témoignage devant le Comité, 13 juin 2005.
[148] Philip Cook, Natasha Blanchet-Cohen et Stuart Hart, Les enfants, nos partenaires : La participation des enfants au changement social, International Institute for Child Rights and Development, 2004, p. 14, www.acdi-cida.gc.ca/INET/IMAGES.NSF/vLUImages/Childprotection/$file/FR_Children As Partners_08cs.pdf
[149] Ibid., p. 12 et 13.
[150] Nathaniel Mayer-Heft, école secondaire Beutel, témoignage devant le Comité, 6 novembre 2006.
[151] Rachel Gardiner, témoignage devant le Comité, 13 juin 2005.
[152] Joelle LaFargue, témoignage devant le Comité, 14 juin 2005.
[153] Aisha, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007.
[154] Dr Nicolas Steinmetz, directeur général de la Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale, témoignage devant le Comité, 6 novembre 2006.
[155] Paulo Sérgio Pinheiro, Rapport de l’expert indépendant chargé de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants, A/61/299, 29 août 2006, par. 98, www.violencestudy.org/IMG/pdf/French.pdf
[156] [2004] 1 R.C.S. 76.
[157] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 8 : Le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (art. 19, 28 (par. 2) et 37, entre autres), CRC/C/GC/8, 21 août 2006, par. 11.
[158] S.R.C. 1985, ch. C-46.
[159] Wade Riordan Raaflaub, La loi et le châtiment corporel : l’article 43 du Code criminel, PRB 05-10, (Ottawa : Bibliothèque du Parlement, 23 janvier 2006).
[160] Ibid.
[161] Joan Durrant, Département des sciences sociales et de la famille, Université du Manitoba, témoignage devant le Comité, 18 septembre 2006.
[162] Toutefois, beaucoup de conseils scolaires de l’Ontario et du Manitoba interdisent les châtiments corporels dans leurs politiques. Voir Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children, Ending Legalised Violence Against Children: North America Special Report, 2005, www.endcorporalpunishment.org/pages/pdfs/Report-NorthAmerica.pdf .
[163] Marv Bernstein, protecteur des enfants de la Saskatchewan, témoignage devant le Comité,
19 septembre 2006.
[164] Comité des droits de l’enfant, Observations finales, par. 32 et 33.
[165] Claire Crooks, directrice adjointe, Centre scientifique de prévention du Centre de toxicomanie et de santé mentale, témoignage devant le Comité, 14 février 2005.
[166] Témoignage de Ryan Stratton.
[167] Conseil de l’Europe, commissaire aux droits de l’homme, Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l’intégrité physique est aussi un droit de l’enfant », document thématique 2006/01 : https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1008957&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679.
[168] Ibid.
[169] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 8, par. 41 à 43.
[170] Ibid.
[171] Ces pays sont l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Allemagne, la Hongrie, l’Islande, la Grèce, la Lettonie, la Norvège, les Pays-Bas, la Roumanie, la Suède et l’Ukraine.
[172] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 8, par. 3, 13 et 14.
[173] Témoignage de Brent Parfitt.
[174] Commissaire aux droits de l’homme, Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l’intégrité physique est aussi un droit de l’enfant ».
[175] Dr Gilles Julien, pédiatre social et président, Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale, témoignage devant le Comité, 6 novembre 2006.
[176] Témoignage de Martha Mackinnon.
[177] Joan Durrant, R. Ensom et la Coalition sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents, Déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents, 2004, www.cheo.on.ca/francais/pdf/joint_statement_f.pdf .
[178] Témoignage de Suzanne Williams.
[179] Bernard van Leer Foundation, Early Childhood Matters. [traduction]
[180] Commissaire aux droits de l’homme, Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l’intégrité physique est aussi un droit de l’enfant ».
[181] Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 8, par. 45 et 46.
[182] Rapport de l’expert indépendant chargé de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants, par. 38.
[183] Faye Mishna, professeure agrégée, Faculté du travail social, Université de Toronto, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007; Candace Currie et al. éd., Young People’s Health in Context: Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) study: international report from the 2001/2002 Survey, Health Policy for Children and Adolescents, no 4, Organisation mondiale de la santé, 2004.
[184] Joel, témoignage devant le Comité, 29 janvier 2007.
[185] Rapport de l’expert indépendant chargé de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants, par. 111.
[186] Pour plus de renseignements, voir la partie B3 du chapitre 4.
[187] Coalition canadienne pour les droits des enfants, www.crin.org/docs/Canada_OPAC_Report_CCRC.doc.
[188] Comité des droits de l’enfant, Observations finales – Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 8 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, CRC/C/OPAC/CAN/CO/1, 9 juin 2006,
par. 8 à 10.
[189] « British Government Says it ‘Inadvertently’ Sent 15 Child Soldiers to Iraq », Canadian Press Wire, 3 février 2007. Le gouvernement britannique applique les mêmes règles que le Canada pour le consentement parental au recrutement de personnes de moins de 18 ans et pour l’interdiction de les déployer sur un théâtre d’hostilités.
[190] Comité des droits de l’enfant, Observations finales, par. 52 et 53.
[191] Paulo Sérgio Pinheiro, Rapport mondial sur la violence à l’encontre des enfants, 2006, www.violencestudy.org/r25 .
[192] Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, Le défi du changement : Étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada, décembre 2006, p. 11, http://cmte.parl.gc.ca/fr/Content/HOC/committee/391/just/reports/rp2599932/justrp06/sslrrp06-f.pdf.
[193] Voir aussi Lucie Ogrodnik, rév., La violence familiale au Canada : un profil statistique 2006, Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, juillet 2006.
[194] Témoignages de Jane Stewart et de Frans Roselaars.
[195] Comité des droits de l’enfant, Observations finales, par. 50 et 51.
[196] Les enfants de moins de 15 ans sont autorisés à travailler deux heures pendant les journées scolaires et huit heures les autres journées.
[197] Linda McKay-Panos, « Child Labour: Just an International Issue? », Law Now, vol. 31(1), septembre/octobre 2006, p. 63.
[198] Comité des droits de l’enfant, General Comment No. 10: Children’s Rights in Juvenile Justice, version non révisée, CRC/C/GC/10, 2 février 2007; Florence Martin et John Parry-Williams, « The Right not to Lose Hope: Children in Conflict with the Law – A Policy Analysis and Examples of Good Practice », Save the Children, 2005, www.rb.se/NR/rdonlyres/F6E94ABB-559E-40A4-8EEE-B258B8DB553A/0/TheRightnottoLoseHope.pdf .
[199] William Schabas, directeur, Irish Centre for Human Rights, National University of Ireland, témoignage devant le Comité, 21 mars 2005. Voir aussi Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, Juvenile Justice, Innocenti Digest no 3, janvier 1998, p. 13, http://unicef-icdc.org/publications/pdf/digest3e.pdf.
[200] L.C. 2002, ch. 1.