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VETE

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 4 - Témoignages du 18 avril 2007


OTTAWA, le mercredi 18 avril 2007

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à midi, afin d'étudier les services et les avantages sociaux offerts aux membres des Forces canadiennes, aux anciens combattants, aux membres des missions de maintien de la paix et à leurs familles en reconnaissance des services rendus au Canada.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : C'est avec plaisir que je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants. Nous tenons cette réunion pour discuter du panneau explicatif en exposition au Musée canadien de la guerre et qui s'intitule Une controverse qui persiste.

Aujourd'hui, nous allons entendre les témoignages du lieutenant-colonel à la retraite Dean Black, directeur exécutif de l'Association de la Force aérienne du Canada; M. Jack Frost, président national de la Légion royale canadienne; du brigadier-général à la retraite Duane Daly, secrétaire national de la Légion royale canadienne. Nous accueillons également M. Donald Elliott, président de la Division de Toronto de la Aircrew Association et, à titre personnel, le lieutenant-général à la retraite William Carr.

Je suis le sénateur Day, président de ce sous-comité, et je viens du Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné du sénateur Kenny, de l'Ontario, qui préside le comité principal, soit le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Le sénateur Atkins, représentant l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, est également avec nous.

Avant de commencer, j'aimerais mentionner les noms des membres du comité qui sont en retard : le sénateur Dallaire et le sénateur Downe, qui lui vient de l'Île-du-Prince-Édouard et travaille là-bas avec Anciens Combattants Canada; il essaiera de se joindre à nous plus tard.

Brigadier-général (à la retraite) Duane Daly, secrétaire national, Légion royale canadienne : Je suis honoré d'être ici aujourd'hui et d'être accompagné de M. Jack Frost, qui est présent par solidarité envers les anciens combattants de la Force aérienne. Nous sommes ici pour discuter de l'exposition sur le Bomber Command présentée au Musée canadien de la guerre.

Il est malheureux, chers sénateurs, que cette exposition ait déclenché une polémique qui s'est amplifiée à cause d'un malentendu et d'une attitude intransigeante. J'espère que votre examen permettra d'aller au fond du problème et d'aboutir à un compromis acceptable pour toutes les parties concernées.

Tout d'abord, je tiens à souligner que la Légion attache beaucoup d'importance au Musée canadien de la guerre, un merveilleux établissement conçu pour raconter l'histoire glorieuse des anciens combattants du Canada, des sacrifices qu'ils ont faits et de l'évolution de notre pays. Les guerres jouent un rôle dans l'histoire de la démocratie et, en particulier, dans le façonnement de notre mode de vie. C'est pourquoi nous devons rendre hommage à ceux et celles qui ont répondu à l'appel, même à l'époque lointaine où nous étions une colonie de la Grande-Bretagne et de la France, et se sont sacrifiés jusqu'à donner leur vie pour notre pays.

Nous sommes très fiers de notre nouveau musée et des immenses efforts consacrés à la création des expositions remarquables sur les anciens combattants.

La galerie de la guerre aérienne est très réussie. Cependant, on ne peut en dire autant d'une des expositions qui y est présentée, c'est-à-dire celle sur le Bomber Command. Cette exposition vise à rendre hommage aux sacrifices et au dévouement de nos aviateurs qui ont mené la campagne de bombardement contre l'Allemagne. Toutefois, pour une raison quelconque, le musée a décidé de mettre l'accent sur la controverse qui suscite l'intérêt des universitaires depuis la fin de la guerre.

Soyons clairs : les militaires qui ont participé aux frappes aériennes n'ont aucun doute quant à l'efficacité de cette campagne de bombardement. Je vais laisser aux anciens combattants de la Force aérienne qui sont des nôtres aujourd'hui le soin d'expliquer à quel point leur engagement a permis d'abréger la guerre.

J'aimerais me pencher sur l'élément qui fait l'objet de notre discussion d'aujourd'hui, c'est-à-dire le panneau intitulé Une controverse qui persiste. Pourquoi le musée en a-t-il fait la composante principale de l'exposition sur le Bomber Command?

En mettant bien en vue un énorme panneau sur lequel il est inscrit, en gros caractères, Une controverse qui persiste, ainsi que des photographies géantes de civils morts gisant dans les rues de villes ravagées par les bombes, le musée transmet un message subjectif et incomplet. Il remet en question l'objectif et l'efficacité de la campagne de bombardement ainsi que les sacrifices qu'ont faits les anciens combattants pour mener la guerre à sa fin.

Il importe de souligner que les anciens combattants ne nient pas qu'une controverse persiste — les universitaires et les historiens se penchent d'ailleurs sur cette question — et ils acceptent volontiers que dans le cadre de l'exposition, on mentionne brièvement que l'efficacité de la campagne de frappes aériennes visant à annihiler l'effort de guerre de l'Allemagne avait prêté à controverse.

La Légion a demandé à M. Geurts, le président-directeur général du Musée de la guerre, s'il était disposé à rencontrer le secrétaire national, en l'occurrence moi-même, et des anciens combattants de la Force aérienne, le 5 octobre 2006, dans le but d'arriver à un compromis acceptable à l'égard du panneau. Malheureusement, M. Geurts a dit qu'une réunion n'était pas nécessaire et qu'il n'avait aucune intention d'enlever le panneau et les photos qui choquent les anciens combattants.

C'est alors que la situation s'est détériorée. Le musée avait non seulement manqué de tact en présentant une exposition tendancieuse, ce qui a insulté les anciens combattants de la Force aérienne de l'ensemble du pays, mais avait aussi fait preuve d'une intransigeance vexante en refusant de rencontrer les anciens combattants afin de discuter de leurs préoccupations légitimes et de leur consternation.

Par conséquent, le 12 novembre 2006, j'ai fait part de la situation au comité du Musée canadien de la guerre, dont je suis membre. Le président du comité, le général Paul Manson, étant tout à fait en faveur d'un compromis, s'est engagé à faire appel au conseil d'administration de la Société du Musée canadien des civilisations, la société d'État responsable du Musée canadien de la guerre. Le conseil ayant demandé que la question soit étudiée, M. Victor Rabinovitch, président-directeur général de la Société, a invité quatre éminents historiens à examiner l'exposition, ainsi que le panneau, et à répondre aux questions suivantes : L'exposition du Musée de la guerre sur la campagne de bombardements stratégiques est-elle présentée de façon impartiale et explique-t-elle le rôle qu'elle a joué dans l'ensemble de la campagne militaire européenne? Certaines personnes ont condamné la présence d'un panneau intitulé Une controverse qui persiste. Présente-t-il de façon appropriée la perspective actuelle de certaines des répercussions des frappes aériennes durant la guerre?

Les quatre historiens avaient des opinions divergentes, surtout en ce qui a trait au panneau. Étant donné que deux d'entre eux ont remis en question la pertinence, voire l'importance, du panneau, on se serait attendu à ce que M. Rabinovitch le fasse enlever. Mais, curieusement, il a adopté une position tout à fait contraire. Il a déclaré que, puisque l'exposition dans son ensemble présentait un point de vue impartial, il n'était pas en faveur d'un compromis à l'égard du panneau. C'est alors que l'affaire a pris de l'ampleur.

Ce qui est encore plus curieux, mis à part le fait que les divergences d'opinions auraient dû être suffisantes pour donner raison aux anciens combattants, c'est que M. Rabinovitch n'a pas exposé aux historiens le véritable problème.

Les anciens combattants ne contestent pas le fait qu'une controverse persiste et ils acceptent qu'il en soit question dans le cadre de l'exposition. En effet, ce n'est pas la véracité du texte sur le panneau qui pose problème. Ce qui préoccupe les anciens combattants, c'est le fait que le musée ait accordé une aussi grande place à cette controverse, et qu'en affichant les photos horrifiantes, il donne à penser qu'il est d'avis que la campagne de bombardement n'a entraîné que la destruction de villes et la mort inutile de milliers de civils. Il s'agit là d'une opinion partiale et injuste à l'égard de ceux et celles qui ont donné leur vie durant la campagne aérienne.

Le malaise qu'éprouvent les anciens combattants aujourd'hui est tout à fait compréhensible. Ils demandent simplement que ce panneau soit remplacé par une mention concise de la controverse sur un des autres panneaux explicatifs. Même si certaines personnes considèrent que les faits présentés sur le panneau sont exacts, nous sommes d'avis que cet élément de l'exposition ne contribue aucunement à renforcer le message que le Jour du Souvenir permet de véhiculer ni à mettre en évidence le courage et le dévouement des aviateurs qui devaient vivre chaque jour comme si c'était le dernier. Le message sur le panneau n'est pas pertinent et dénature le thème de l'exposition en plus d'être litigieux et partial, ce qui n'enseigne rien d'intéressant aux jeunes et à l'ensemble du public sur les objectifs de la campagne de bombardement et sur le fait que des anciens combattants ont donné leur vie pour que ces objectifs soient atteints. De plus, les photos affichées sont inacceptables.

Au nom des 400 000 membres de la Légion royale canadienne, par soutien envers les anciens combattants courageux du Bomber Command, nous demandons au Sénat du Canada de persuader les dirigeants du Musée canadien de la guerre d'enlever le panneau intitulé Une controverse qui persiste et les photos de civils morts. La Légion souhaite que le Musée modifie l'exposition sur le Bomber Command afin de mettre en évidence le sacrifice énorme que les anciens combattants de la Force aérienne ont fait dans le but de mettre fin à la guerre et de contribuer à la victoire.

En dernier lieu, honorables sénateurs, nous vous prions d'examiner toute la question de la gouvernance du Musée canadien de la guerre. Est-il approprié que la Société du Musée des civilisations soit chargée de gérer le Musée de la guerre? Nous ne le croyons pas. Ces deux musées ont des objectifs si différents que chacun devrait avoir son propre conseil d'administration. Nous proposons donc que le Musée canadien de la guerre soit géré par un conseil distinct composé d'anciens combattants, de membres chevronnés des Forces canadiennes, d'historiens et de représentants du grand public. Il s'agit d'une question cruciale qui doit être traitée sans délai.

Je vous remercie de nous avoir permis de faire cet exposé aujourd'hui.

Le président : Je vous remercie, brigadier-général Daly, de nous avoir donné un aperçu de la situation concernant cet élément en particulier de l'exposition sur le Bomber Command du Musée canadien de la guerre. La question que vous soulevez à l'égard de la gouvernance en est une que nous n'avons pas prise en considération, mais elle est intéressante et fera l'objet d'un examen.

Lieutenant-colonel (à la retraite) Dean C. Black, CD, directeur exécutif, Association de la Force aérienne du Canada : Monsieur le président et membres du comité, au nom de l'Association de la Force aérienne du Canada, je suis heureux de pouvoir participer à vos importantes discussions.

Lors de leur assemblée générale annuelle, tenue en octobre dernier, les membres de l'Association ont adopté une résolution exprimant leur mécontentement à l'égard du texte du panneau intitulé Une controverse qui persiste, qu'on peut voir au Musée canadien de la guerre dans le cadre de son exposition sur le Bomber Command de la Seconde Guerre mondiale. Toute l'Association s'intéresse grandement à ce sujet épineux. La description de la campagne de bombardements stratégiques est injuste et il y a des raisons logiques et impérieuses de remédier à la situation.

Ceux d'entre nous qui ne sont pas des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ont de la difficulté à comprendre l'émotion intense que suscite cette question. Nous n'avons pas connu les circonstances terribles dans lesquelles ces Canadiens ont servi. Nous n'avons pas idée de ce que c'était que de se réveiller chaque matin sans savoir si la mission de la journée allait être la dernière. Nous devrions nous fier à ceux qui ont connu ces difficultés pour nous faire une idée juste de la situation. Ceux qui ont relevé ces défis étaient des jeunes hommes qui risquaient de perdre la vie pour leur pays; ils suivaient les ordres légitimes qu'ils avaient reçus et ils étaient fiers de leur capacité d'accomplir efficacement leur mission et de survivre.

La remise en question de leurs motivation quelque 65 ans plus tard est répugnante aux yeux de tous. Se sentant insultés et critiqués de façon injuste, ils exigent que l'exposition soit modifiée, et nous sommes d'accord avec eux. Nous croyons qu'en accordant moins d'importance à cette controverse qui persiste et en montrant le phénomène de la guerre dans son ensemble, les anciens combattants s'estimeraient satisfaits. Soyons clairs — nous ne sommes pas en faveur de réécrire l'histoire mais plutôt de présenter de façon plus équitable les circonstances dans lesquelles la campagne de bombardement s'est déroulée.

Nous n'avons pas, par ailleurs, de reproches à faire au Musée canadien de la guerre. C'est un endroit extraordinaire et le personnel mérite des félicitations pour son travail d'enseignement, d'information et de commémoration. Mais hélas, tant que la présentation du bombardement stratégique comportera un certain panneau, le Musée laissera à désirer aux yeux des anciens combattants dans ces trois secteurs. Le panneau suggère que ces vétérans se sont battus en vain et par des moyens moralement contestables. De nos jours, ce n'est pas ce que nous apprend l'histoire.

Le panneau du Musée semble faire abstraction des implications de la guerre totale puisqu'il donne à entendre que le bombardement stratégique était une dimension inutile de la guerre. Ce n'est tout simplement pas vrai. Quand Staline s'est plaint que les Alliés se battraient jusqu'au dernier Russe, les Alliés se sont servis du bombardement stratégique comme étant le moyen le plus rapide d'ouvrir un deuxième front. Les pressions exercées sur le front de l'Est se sont atténuées et la production économique allemande a immédiatement été compromise. Bien qu'il soit regrettable que 600 000 Allemands aient péri dans les bombardements, le phénomène de la guerre totale nous autorise à croire qu'un certain nombre d'entre eux n'étaient ni des innocents ni des non-combattants. Des études récentes continuent de corroborer cette affirmation. Richard Holmes, par exemple, montre clairement que, derrière les responsables d'une guerre, s'étire une longue liste de coupables. La guerre totale met à contribution tout le monde et c'est justement ce que les critiques ont du mal à accepter.

Aucun auteur contemporain ne semble avoir saisi le vrai sens de la guerre totale mieux que Hans J. Morgenthau. À ses yeux, la proportion croissante de citoyens qui s'identifient complètement de par leurs émotions et leurs convictions à la guerre et la proportion croissante d'entre eux qui y participent sont des traits distinctifs de la guerre totale.

De même, Richard Overy a fait état des affectations de ressources humaines et économiques de part et d'autre qui définissent la guerre totale. Contrairement au panneau du Musée de la guerre, M. Overy déclare que la pluie de bombes qui est tombée sur les villes allemandes a dégradé des industries jadis florissantes, réduisant ainsi la production d'avions et de chars de 31 et de 35 p. 100 respectivement.

En combinant les critères distinctifs d'une guerre totale selon M. Morgenthau aux données de M. Overy, nous apprenons pourquoi la défaite de l'ennemi exigeait la destruction complète des industries de guerre nazies et de tous les citoyens qui dépendaient de ces industries et contribuaient à maintenir celles-ci, qui sont les coupables, ce que j'ai évoqué plus tôt. Ce sont des objectifs que les forces aériennes s'étaient fixés. Les Alliés ont mené la guerre en recourant largement à tous les moyens militaires, y compris le bombardement stratégique. Les équipages de nos bombardiers ont fait du mieux qu'ils ont pu et ont constamment cherché à améliorer leur métier.

Avec le temps, les restrictions relatives aux bombardements alliés ont été levées, mais les principes de distinction et de proportionnalité ont été maintenus. Nos conseillers scientifiques ont fait du mieux qu'ils ont pu et les améliorations qu'ils ont apportées ont façonné les techniques et les tactiques de bombardement pour les générations à venir. La Seconde Guerre mondiale a pris fin, l'ennemi a capitulé et aucune autre guerre de cette envergure n'a eu lieu depuis lors. Et c'est aux anciens combattants faisant partie des équipages des bombardiers que le mérite revient.

Chose étonnante, au lieu de commémorer les 10 000 membres d'équipage des bombardiers alliés qui ne sont jamais rentrés chez eux, au Canada, le panneau d'affichage du Musée laisse entendre que leur action était d'une moralité douteuse. Parmi les mots figurant sur le panneau, ces sont les suivants qui sont les plus faux : « Les raids ont peu affaibli la production de guerre allemande sinon que vers la fin de la guerre. La valeur et la moralité des attaques continuent de faire l'objet d'intenses débats. »

Dans une large mesure, c'était précisément en raison de la grande efficacité de la campagne de bombardement stratégique que l'auteur de ces propos peut faire référence aux « étapes finales de la guerre ». La citation dans sa forme actuelle ne reflète pas la réalité; c'est une fausseté visant à ternir la réputation. En l'absence de bombardiers, la fin de la guerre, qui ne serait peut-être jamais arrivée, aurait fort probablement été repoussée bien après 1945, ce qui aurait fait des milliers de victimes supplémentaires.

L'utilisation du terme « raid » est une inexactitude qu'il convient de qualifier de « jeu de mots » visant à minimiser l'importance. Ces missions de bombardement faisaient partie d'une longue campagne stratégique bien planifiée conçue précisément pour détruire le moteur économique de l'ennemi.

Grâce à des milliers, dont 10 000 ne sont jamais rentrés au Canada, de membres d'équipages de bombardiers dans les forces aériennes alliées, la campagne stratégique des forces aériennes a été efficace. On ne sait trop pourquoi le Musée de la guerre a étalé au grand jour ce qui n'est rien d'autre qu'une mode intellectuelle dépassée axée sur la prétendue immoralité du bombardement stratégique et des polémiques désuètes et mal informées concernant l'efficacité de ce bombardement. Albert Speer, le ministre de l'Armement de Hitler a déclaré, il y a presque 40 ans, que l'industrie allemande s'est arrêtée le 12 mai 1944, lorsque 935 bombardiers ont atteint leurs cibles. Adam Tooze, auteur du récent livre The Wages of Destruction : The Making and Breaking of the Nazi Economy, avance que M. Speer lui- même croyait que la fin était arrivée beaucoup plus tôt, à l'été de 1943.

Enfin, plus tôt cette année, un membre du personnel du Musée a fait la déclaration suivante : « Le respect du Musée à l'endroit des anciens combattants demeure toujours des plus profonds et sans réserve. Ainsi en est-il également de son respect pour l'histoire. » L'histoire est une étude du passé; c'est une expérience cumulée. Le respect de l'histoire devrait donc comporter une réflexion et une reconnaissance continues des études actuelles. Le panneau semble cependant faire abstraction de l'expérience cumulée puisque le bombardement stratégique était considéré comme une controverse il y a 45 ans. Le panneau offensant est un énorme pas en arrière. Il est difficile de trouver sur ce panneau des preuves de respect de l'histoire dans cet exemple. La situation étant déjà pénible pour les vétérans qui ont survécu, il est également difficile de trouver des preuves de respect de l'histoire pour nos héros vieillissants. Un historien respecté du nom de Leopold von Ranke a établi des normes professionnelles en matière de formation historique au milieu du XIXe siècle. Il soutenait que les historiens devraient s'abstenir de juger le passé et s'en tenir au récit des événements. Chaque période de l'histoire devrait être comprise dans son cadre particulier.

Si on examine attentivement la collection du Musée de la guerre, je crois qu'à une exception près, nous pouvons dire que le Musée réussit à merveille à se mettre au diapason de la pensée de M. von Ranke et de ses partisans. Cette exception est le panneau Une controverse qui persiste, car il évoque un message qui porte un jugement sur le passé. Les mots utilisés encouragent à juger les équipages de bombardiers qui ont participé aux bombardements. Il repose sur l'application des normes techniques d'après-guerre pour évoquer l'immoralité et l'incompétence.

Le directeur de la recherche du Musée fait valoir qu'un panneau adjacent comprend plusieurs photographies, dont l'une qui établit le lien entre l'imprécision de l'équipement et les « dommages collatéraux » occasionnés par le bombardement de cibles civiles. Ces phrases semblent être peu fidèles à l'histoire. L'équipement utilisé pour le bombardement durant la guerre était précis pour l'époque, dans tous les sens du terme. « Dommages collatéraux » est une expression familière qui est davantage accolée aux années 1990 qu'aux années 1940 et le phénomène de guerre totale qui s'est manifesté durant la Seconde Guerre mondiale met en doute l'existence de la notion de cible civile dans l'Allemagne nazie.

Des milliers d'années d'histoire nous révèlent que ce qui ressort de la guerre est rarement moralement acceptable, mais plutôt répréhensible. C'est la guerre. De toutes les expositions du Musée canadien de la guerre présentant la guerre dans un contexte canadien, pourquoi la campagne de bombardement stratégique est-elle la seule qui comporte un panneau dénonçant l'immoralité et l'inefficacité? Est-ce ainsi que le Musée canadien de la guerre définit l'équilibre? Il est donc proposé de remplacer le texte du panneau par quelque chose de plus convenable comme ce passage tiré de l'ouvrage de David L. Bashow, professeur auxiliaire d'histoire au Collège militaire royal, intitulé No Prouder Place : Canadians and the Bomber Command Experience, 1939-1945 :

En attaquant l'ennemi chez lui, le bombardement allié du Troisième Reich et de ses alliés s'inscrivait dans la stratégie de guerre de la Grande-Bretagne. Le deuxième front qu'il ouvrait détournait de la campagne de l'ennemi contre les Soviétiques et donc de son effort de guerre principal des quantités massives de main-d'œuvre et de matériel destinées à contrer la menace et à réparer les dommages subis. La campagne de bombardement a porté de durs coups à l'infrastructure économique et industrielle de l'Allemagne et rendu nécessaire la décentralisation de ses industries de guerre. Enfin, en détruisant les défenses aériennes, les approvisionnements pétroliers et les réseaux de transport de l'ennemi, elle a pavé la voie à l'invasion de l'Allemagne par le Nord-Ouest de l'Europe en 1944.

La mesure proposée est juste et appropriée. L'Association de la Force aérienne du Canada implore le Musée canadien de la guerre de rectifier cette situation immédiatement et cherche à obtenir l'appui du comité en ce sens.

Donald Elliott, président, Division de Toronto, Aircrew Association : Je suis un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale. J'étais navigateur dans le 99e escadron de la RAF. J'ai été observateur dans le 99e escadron, ce qui signifie que j'établissais le cheminement des aéronefs jusqu'aux cibles puis je devais aller dans le nez de l'appareil où le site de bombardement était situé. J'ai 90 ans et mon cerveau me fait défaut parfois, alors je demanderai à mon jeune ami ce que je devrais dire.

Le 8 juillet 1941, mon appareil a été abattu par des tirs allemands au-dessus de Cologne. Je suis un avocat à la retraite et vous constaterez dans mon exposé que j'ai fait beaucoup de travail contractuel plus tôt dans ma carrière, ce qui exigeait de porter attention aux mots et c'est ce que je fais ici. J'ai obtenu mon doctorat en économie à l'Université de Georgie en 1983.

Le paragraphe important du panneau Une controverse qui persiste se lit comme suit : « Le bombardement stratégique — Les bombardements massifs de l'Allemagne causèrent de grandes destructions et d'immenses pertes de vie humaine ». Le paragraphe suivant se lit comme suit : « Le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés. »

Qui conteste amèrement le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique? Le paragraphe se poursuit par : « l'objectif du « Bomber Command » était de détruire le moral des civils et de forcer l'Allemagne à se rendre en détruisant ses villes et ses installations industrielles. Bien que le « Bomber Command » et les attaques américaines aient tué 600 000 Allemands... ». Je tiens à vous faire remarquer, comme je l'ai dit plus tôt, je suis avocat, qu'on ne parle pas de « civils allemands ». Il est écrit « Allemands » et donc, pour un avocat, il faut s'interroger si ce terme comprend les marins qui ont été tués lorsque le Tirpitz a coulé? Le terme englobe-t-il les équipages d'aéronefs en vol la nuit et le jour qui ont péri lorsque leur appareil a été abattu? Si le Musée veut présenter des comptes rendus, ceux- ci doivent être exacts. Je vous signale qu'un ne l'est pas.

En ce qui concerne la déclaration, que bien que les attaques aient causé la mort de 600 000 Allemands et fait plus de cinq millions de sans-abri, les raids n'ont entraîné que peu de réductions dans la production de guerre allemande jusqu'à tard dans la guerre, je demande ce qu'on entend par « tard dans la guerre ».

D'après moi, ces réductions dans la production de guerre allemande étaient minimes seulement parce que d'avril à septembre 1944, le Bomber Command était sous les ordres du général Eisenhower. Il servait d'arme tactique pour attaquer les armées allemandes un peu partout. J'en reparlerai plus en détail tout à l'heure. Je répète que si vous voulez présenter des comptes rendus, il n'est pas suffisant d'inscrire « jusqu'à tard dans la guerre ». Cela ne veut rien dire.

Comparaître devant votre comité me rappelle qu'il y a 15 ans, j'ai été appelé à témoigner devant le comité du sénateur Marshall, qui faisait enquête sur le documentaire télévisé The Valour and the Horror. J'étais alors un jeune vétéran de 75 ans du Bomber Command. Les anciens combattants qui vivent encore demandent aujourd'hui la même chose que ce qu'ils demandaient à cette époque : nous voulons que les productions concernant le Bomber Command soient exactes et équitables. Si elles contiennent des citations, nous voulons en connaître la source. Quand j'ai regardé The Valour and the Horror, je l'ai enregistré puis je l'ai transcrit pour en faire un script. Cependant, il n'y avait aucun moyen de trouver la source du texte. Je croyais que, puisque la production avait l'aval de la SRC et de l'Office national du film, toute l'information serait exacte; j'étais très naïf. Elle comportait de nombreuses erreurs dans le texte et dans le contexte. Je suggère de demander la source des citations. Le Musée canadien de la guerre devrait inscrire un chiffre à côté de chaque citation et conserver un exemplaire de l'ouvrage d'où la citation a été tirée. Si quelqu'un est vraiment intéressé, il peut aller consulter l'ouvrage pour vérifier d'où proviennent les renseignements et lire exactement ce qui a été dit.

Je crois savoir que votre comité entendra plus tard des responsables du Musée canadien de la guerre. Nous vous saurions reconnaissants d'obtenir des réponses aux questions suivantes.

Un vétéran du Bomber Command, Terry Goodwin, m'a dit qu'il a parlé à un membre du personnel du Musée, Dean Oliver, du titre Une controverse qui persiste. M. Oliver lui a dit que l'expression s'inspirait du rapport du sénateur Marshall, qui parlait d'un « débat qui persiste ». N'aurait-il pas mieux valu employer le mot « débat » plutôt que « controverse », d'autant plus que la photo, au bas à droite, indique : « Des images comme celles-ci ont alimenté le débat concernant l'offensive aérienne »?

Je vous ai fourni ces photos prises en juillet de l'année dernière. Elles n'ont pas été prises par un photographe professionnel. C'est pourquoi j'ai inscrit des notes au bas de chacune d'elles.

En regardant cette photo, on constate que la légende ne comporte aucune indication de l'endroit, de la date et des circonstances dans lesquelles la photo a été prise. On peut y lire : « Pertes civiles. Des images comme celles-ci ont alimenté le débat concernant l'offensive aérienne ». A-t-elle été prise à Londres, à Coventry, à Rotterdam, à Varsovie? A-t-elle servi à des fins de propagande nazie? Les gens qu'on voit sont-ils des employés d'une usine allemande? Si c'est le cas, pourquoi n'avaient-ils pas été évacués dans un abri ou un endroit plus sûr?

Pour les vétérans du Bomber Command, cette image brutale, sans explication concernant son origine, révèle que les responsables du Musée canadien de la guerre les considèrent comme étant des criminels de guerre.

La photo d'à côté semble le confirmer puisque la légende dit : « Pour n'atteindre que des objectifs stratégiques tels que des usines et des gares ferroviaires, comme à Münster, les bombardiers alliés finissaient par détruire des villes entières dans le cadre des dommages collatéraux ».

Quand cette photo a-t-elle été prise? On ne le dit pas. Je soupçonne qu'elle présente les résultats d'un raid lancé par 160 Lancasters contre Münster le 21 mars 1945 lorsque les bombardiers pouvaient mener leurs activités en plein jour. La photo montre deux locomotives renversées et des hangars ferroviaires endommagés, mais on voit le clocher d'une église qui semble intact. Pourquoi cette photo d'une attaque directe contre une cible de guerre est-elle intitulée « Dommages collatéraux »? Cela ne fait que susciter la colère des vétérans du Bomber Command.

Pour revenir au titre « Bombardement stratégique », que signifie le mot « massifs » dans l'expression « bombardements massifs »? Est-ce que cela s'applique aux appareils des 8e et 15e escadrilles des Forces aériennes des États-Unis? On ne définit pas la présence américaine, et les 8e et 15e escadrilles étaient là et faisaient du bon travail. Sans cette définition, c'est encore une fois le Bomber Command qui semble visé exclusivement.

Que signifie l'expression « de grandes destructions et d'immenses pertes de vie humaine »? De quelle façon les pertes de vie en Allemagne se comparent-elles au massacre de six millions de juifs par les nazis? Comment les responsables du Musée décriraient-ils cette situation? Pourquoi ne pas dire plutôt : « Les raids de bombardiers sur l'Allemagne ont entraîné beaucoup de dégâts et de pertes de vie ». Pourquoi les responsables du Musée ont-ils besoin d'utiliser des adjectifs tendant à renforcer l'impression que les équipages du Bomber Command se sont rendus coupables de crimes de guerre?

Les aviateurs canadiens — moi y compris — qui ont piloté des appareils du Bomber Command au-dessus de l'Europe occupée par les nazis, courant ainsi de grands risques, étaient encouragés par l'idée qu'ils combattaient pour une bonne cause, ce qui était tout à fait vrai, et qu'ils le faisaient d'une manière acceptable pour la population canadienne, ce qui était également vrai. Voilà maintenant que le panneau et les photographies s'y rattachant, réalisées par des gens qui n'ont jamais eu à affronter les mêmes dangers, suggère que nous avons contribué à un crime immoral. Pour les anciens combattants, c'est une grave insulte. Par ailleurs, cette insulte est intensifiée par le fait que le panneau ne mentionne aucunement les réalisations du Bomber Command, à titre d'arme tactique.

D'avril à septembre 1944, toutes les forces de bombardiers stratégiques, appartenant tant à la Royal Air Force qu'aux Forces aériennes des États-Unis, ont été placées sous la direction du commandant suprême allié, le général Eisenhower, chaque fois qu'elles avaient à mener des opérations liées au débarquement en Europe. Tous les engagements en prévision ou à l'appui de l'invasion bénéficiaient d'une priorité absolue.

Le 25 mars 1944, le commandement allié a établi des plans visant à bombarder les grands centres ferroviaires en France et en Belgique pour limiter dans la mesure du possible l'envoi de renforts allemands avant et après le débarquement. Le Bomber Command s'est vu confier la mission de détruire 37 gares, mission dont il s'est parfaitement acquitté. De plus, les bombardiers alliés ont attaqué les aérodromes, les dépôts de munitions et les camps militaires, de même que les défenses côtières entre Calais et les plages de Normandie. Ils avaient reçu l'ordre de lancer deux fois plus de bombes sur les environs de Calais pour renforcer l'impression, chez les Allemands, que le débarquement aurait lieu là.

Dans la nuit du 4 au 5 juin, le Bomber Command a lancé des parachutistes et 5 000 tonnes de bombes sur les défenses côtières, détruisant, de concert avec la Marine, neuf des dix batteries de Normandie. Dans les semaines qui ont suivi le débarquement, le Bomber Command a mené plus de 3 500 missions pour perturber les communications allemandes et attaquer les unités navales allemandes qui tentaient de détruire les bateaux de ravitaillement alliés pendant leur traversée de la Manche. Par la suite, le Bomber Command a assuré un soutien tactique étroit aux troupes canadiennes durant les batailles de Caen et de la poche de Falaise. Le général Montgomery avait écrit une lettre de félicitations au maréchal de l'air Harris pour remercier le Bomber Command de son aide au cours de ces batailles. Plus tard, le Bomber Command a attaqué cinq ports côtiers, permettant aux Canadiens de les occuper et de prendre des milliers de prisonniers de guerre avec relativement peu de pertes. Par conséquent, lorsque le Bomber Command a été déchargé de ses obligations en septembre 1944, le maréchal Harris a reçu des remerciements dithyrambiques de la part d'Eisenhower pour l'action du Bomber Command. Harris lui-même s'est vu décerner l'US Order of Merit par le président Roosevelt.

Des équipages canadiens ont participé à toutes ces batailles. Pourtant, lors de ma dernière visite au Musée canadien de la guerre, en août 2006, je n'ai trouvé aucune mention de ces réalisations dans la galerie 3. Au cours des cinq mois allant d'avril à septembre 1944, le Bomber Command a lancé relativement peu d'attaques contre l'Allemagne. Son but était essentiellement d'empêcher les Allemands d'envoyer des batteries de canons antiaériens en France. Sur le panneau, toute cette importante période de la guerre a été résumée en 16 mots : « Les raids n'ont pas réussi à réduire de façon importante la production de guerre allemande avant les derniers stades de la guerre. » Est-il surprenant, dans ces conditions, que les vétérans du Bomber Command se sentent gravement insultés par le panneau Une controverse qui persiste et les photos qu'il contient? Il y a en outre un encadré attribuant les paroles suivantes au maréchal de l'air Harris : « La mesure dans laquelle le Bomber Command a pu contribuer à la solution des grands problèmes de la guerre est tout à fait remarquable. » Comme d'habitude, on ne mentionne et n'explique pas les problèmes auxquels le Bomber Command a été confronté. Cependant, dans son livre The Hardest Victory, Denis Richards énumère à la page 302 les réalisations du Bomber Command :

Intervention à Dunkerque, bombardement de péniches d'invasion, soutien du moral britannique, campagne de minage, rôle important dans la défaite des U-boats et la destruction de la flotte allemande, contribution à la défaite de l'Italie, contribution à la maîtrise de la menace des fusées V, soutien des armées alliées aux moments critiques après le débarquement en Normandie, mobilisation de ressources considérables de l'Allemagne dans la défense antiaérienne, offensive mortelle finale contre le pétrole et les communications. La liste des réalisations est assez impressionnante, quel que soit le point de vue qu'on ait sur les pertes de production causées par le bombardement de zone.

Encore une fois, jusqu'au 20 août 2006, seule la mobilisation d'importantes ressources allemandes dans la défense antiaérienne était mentionnée sur l'un des plus petits panneaux de la galerie 3.

Un dernier point : si on s'interroge sur les parties à la controverse, on ne peut pas trouver de réponse sur le panneau. On peut se demander si la controverse oppose les vétérans du Bomber Command entre eux ou peut-être ces vétérans à leurs commandants. C'est seulement en consultant le site web du Musée qu'on trouve la ligne suivante : « Les historiens ont vivement débattu de la moralité et de l'efficacité du bombardement stratégique. » Sur le panneau, le mot « vivement » a été remplacé par « amèrement » et les historiens ne sont pas mentionnés. Pourquoi? Ce sont des sujets de ce genre que les anciens combattants veulent discuter avec les responsables canadiens du Bomber Command. Une réunion était prévue à cet effet pour le 5 octobre 2006.

Vous savez que cette réunion n'a pas eu lieu parce les représentants du Musée de la guerre ont refusé de témoigner sous prétexte qu'ils ne changeraient pas d'idée. Les représentants de sept associations différentes de l'ARC étaient prêts à se rendre à Ottawa quand on leur a annoncé que les responsables du Musée ne seraient pas présents en raison de la futilité d'une telle réunion. Autrement dit, ils n'étaient pas disposés à changer quoi que ce soit. Voilà la raison de notre appel au comité.

La division de Toronto de l'Aircrew Association se joint à l'Association des Forces aériennes du Canada pour demander que le panneau Une controverse qui persiste soit remplacé par un panneau reproduisant un passage du livre de David Bashow, No Prouder Place : Canadians and the Bomber Command Experience 1939-1945. Puisque vous l'avez sous les yeux, je ne le lirai pas.

Quand j'ai regardé The Valour and the Horror pour la première fois, j'avais l'estomac à l'envers et je me suis demandé pourquoi la CBC et Brian McKenna infligeaient cela aux anciens combattants. Quand j'ai vu pour la première fois Une controverse qui persiste, j'ai eu la même réaction. J'ai reçu toutes sortes de lettres et de courriels à propos de ce panneau et je suis étonné de voir à quel point les anciens combattants des équipages du Bomber Command sont en colère. Ce sujet leur tient vraiment beaucoup à cœur, et nous vous serions reconnaissants de recevoir l'appui du comité.

Le président : Merci, monsieur Elliot. Nous vous remercions de nous avoir fait part de vos observations. La citation de David Bashow dont vous avez fait référence a été mentionnée plus tôt dans l'exposé du lieutenant-colonel Black.

Lieutenant-général (à la retraite) William Carr, témoignage à titre personnel : Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis ici parce qu'on m'a demandé d'intervenir dans cette affaire lorsque beaucoup de gens ont découvert les sentiments et l'intérêt que suscitait chez moi le panneau du Musée canadien de la guerre. M. Elliott était l'une de ces personnes. Quand je lui ai souhaité un joyeux 90e anniversaire l'autre jour, je lui ai demandé à quoi il devait sa longévité, il a répondu : « La malchance. »

M. Elliot : Ce n'est pas vrai. Quand on me demande comment je vais, je dis « Heureux d'être en vie. »

Lgén Carr : Durant la Seconde Guerre mondiale, la RAF du Bomber Command a largué 1 059 656 tonnes de bombes sur l'Europe. Les 8e et 15e escadrilles des Forces aériennes des États-Unis en ont lâché 700 000 tonnes supplémentaires. Chez les Alliés, il y a eu 82 000 membres d'équipages tués et 34 000 blessés ou prisonniers de guerre. Le Bomber Command a perdu 12 330 appareils, abattus ou trop endommagés pour être réparés et les Forces aériennes des États-Unis ont perdu 9 066 bombardiers en Europe. Des 94 000 membres de l'ARC qui ont servi à l'étranger, 27 000 étaient des membres d'équipages d'aéronefs de combat. Les deux tiers faisaient partie d'escadrons de la RAF et le tiers restant servait dans les escadrons de l'ARC. Près de 15 000 d'entre eux ont été tués, dont 10 000 étaient au service du Bomber Command.

Le taux de mortalité du Bomber Command était juste derrière celui enregistré par la flotte de sous-marins allemands où 60 p. 100 de nos pilotes ont perdu la vie, 3 p. 100 ont été gravement blessés, 12 p. 100 ont été faits prisonniers, 1 p. 100 ont évité la capture et seulement 24 p. 100 s'en sont tirés sains et saufs. En y repensant bien, chaque mission de bombardement était un suicide. Le taux de survie d'un bombardier du Bomber Command prenant part à deux séries de vols opérationnels était de 5 p. 100.

Dans cette introduction, j'essaie de faire comprendre pourquoi les anciens combattants ont raison d'être indignés par l'attitude cavalière et dégradante de l'auteur du texte et des faits saillants du panneau Une controverse qui persiste exposé au Musée canadien de la guerre.

Je ne faisais pas partie du Bomber Command, mais je suis un heureux survivant de la Seconde Guerre mondiale qui a participé à 142 missions de photographie aérienne de cibles ennemies. Nous sommes peu à avoir fait de la photographie, mais non armés et seuls, nous avions un superbe avion et des appareils photo de première qualité munis de lentilles fabriquées en Allemagne, je dois préciser. Je fais partie des 45 p. 100 qui ont survécu à la série de vols opérationnels. J'ai beaucoup d'admiration et de respect pour le travail inégalé des incomparables pilotes du Bomber Command, qui nous ont aidés à gagner la Seconde Guerre mondiale. Ce respect découle non seulement de ce que j'ai vu de mes propres yeux, mais aussi des renseignements détaillés que je me suis fait un devoir d'apprendre sur leurs activités et pourquoi ils méritent sans l'ombre d'un doute le respect le plus profond et la gratitude de notre nation. Les Canadiens ne peuvent pas permettre que leur mémoire soit entachée.

Je ne répéterai pas ce qu'a dit le général Daley concernant la place de choix qu'occupe le panneau; il est impossible de ne pas le remarquer en entrant dans la galerie 3. Il est bien en évidence sur le mur de gauche. Le bombardement est bien relaté dans cette galerie. Le compte rendu est très instructif, mais cousu d'erreurs. En plus du mauvais choix de mots concernant le bombardement stratégique, l'insinuation selon laquelle le 6e Groupe de l'ARC serait responsable de toute la participation de l'ARC au Bomber Command est fausse. En fait, seulement 40 p. 100 des membres d'équipages d'aéronefs canadiens du Bomber Command ont servi dans le 6e Groupe de l'ARC, les 60 p. 100 restants étaient dans des escadrons de la RAF. Même si cette information ne présente peut-être aucun intérêt pour le débat entourant le panneau incriminé, elle peut prouver que même les historiens du musée peuvent commettre des erreurs.

Les anciens combattants soutiennent que l'énoncé, « Le bien-fondé et la moralité du bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés », porte un jugement insinuant que ceux qui ont participé à l'offensive ont agi de façon immorale et n'étaient rien d'autre que des criminels de guerre qui larguaient des bombes et tuaient d'innocents civils.

« Bomber Harris », le commandant, n'a pas établi les objectifs et la politique du Bomber Command. Le Cabinet britannique a fixé les objectifs, qui ont été approuvés par Churchill et communiqués au commandant Harris par le chef d'état-major de la Force aérienne. Il ne faisait que suivre les ordres et recevait parfois des instructions détaillées sur des cibles précises; Dresden en est un bon exemple.

Les équipages de bombardiers ont aussi suivi les ordres, à un coût terrible. Ils n'avaient pas le choix. Puisque nous avons abondamment traité du sujet du bombardement de précision tel que nous le concevons à l'heure actuelle, je n'en reparlerai pas sauf pour mettre en évidence que, eu égard à l'incapacité d'atteindre des cibles avec précision, un groupe spécial de la Pathfinder Force a été créé afin de contribuer à prévenir et à atténuer le problème des dommages collatéraux.

La question de la production a déjà été soulevée. Elle n'a effectivement pas été réduite autant qu'elle aurait pu l'être. Le fait est que la campagne de bombardement a coûté tellement en termes de main-d'œuvre pour faire fonctionner les canons antiaériens et réparer les dommages causés par les bombes et sans cette campagne de bombardement, la guerre aurait duré beaucoup plus longtemps et aurait coûté beaucoup plus cher. C'est indéniable.

Les requêtes présentées ont été mentionnées, mais j'aimerais entrer un peu plus dans les détails. Nous avons présenté des demandes notamment au Cabinet du premier ministre, à la ministre du Patrimoine canadien, au PDG du Musée canadien des civilisations ainsi qu'au PDG et au directeur de la recherche et des expositions du Musée canadien de la guerre. Malgré des demandes faites par la Légion royale canadienne, des Anciens combattants de l'armée, de la marine et des forces aériennes du Canada, l'Association de la Force aérienne du Canada, l'Association des pilotes et observateurs du temps de guerre et l'Aircrew Association en tête de liste, rien n'indique que du soutien quelconque a été offert pour donner suite à ces demandes.

Je ne répéterai pas la décision du PDG du Musée canadien des civilisations de rejeter les recommandations des historiens qu'il a nommés. Nous ne comprenons pas.

Les anciens combattants des équipages d'aéronefs de la Seconde Guerre mondiale, appuyés par grand nombre de simples citoyens canadiens, estiment que le texte du panneau Une controverse qui persiste exposé dans la galerie 3 du Musée canadien de la guerre les juge coupables d'avoir commis des actes réprouvés par la morale de par leur participation active à la campagne de bombardement contre l'Allemagne. Ils sont indignés qu'une institution publique comme le Musée canadien de la guerre ose mettre en doute la raison pour laquelle ils ont rempli leur mission où un grand nombre de leurs collègues aviateurs ont perdu la vie.

Le personnel du Musée et le PDG du Musée canadien des civilisations nient qu'il y ait de bonnes raisons de se plier aux demandes, que tout le monde juge raisonnables et justifiées, des anciens combattants des forces aériennes visant à modifier le texte sur le panneau. Ces responsables veulent avec arrogance garder un texte qui, de l'avis des anciens combattants, est manifestement une insulte au service exceptionnel et comportant des risques mortels fourni par les équipages du Bomber Command pour gagner la guerre.

La réputation de notre magnifique nouveau Musée de la guerre est ternie parce que des responsables et des membres du personnel font preuve d'intransigeance et n'acceptent pas que les anciens combattants remettent en question leur jugement.

Enfin, sir Winston Churchill a décrit en quelques mots le travail du Bomber Command dans une lettre adressée à « Bomber Harris » à la fin de la guerre en le qualifiant de « devoir noblement accompli ».

De toute évidence, c'était le cas. Ne serait-ce pas là un texte plus approprié pour le panneau? D'après les anciens combattants, le texte actuel est non seulement carrément injuste et empreint de jugement, mais il est également arrogant, moralement biaisé et malhonnête. Le panneau actuellement exposé dans la galerie 3 du Musée est inacceptable et doit être changé. Je recommande qu'un nouveau panneau intitulé Devoir noblement accompli soit préparé, et que le texte soit exactement celui qui a déjà été suggéré par deux autres témoins, soit un passage tiré du livre de David Bashow, No Prouder Place : Canadians and the Bomber Command Experience, 1939-1945.

Le président : Nous vous remercions de nous avoir fait part de vos observations. Nous comprenons votre point de vue, que vous avez fait valoir de façon appropriée, succincte et claire au nom des membres de votre association. Nous aimerions poursuivre avec les questions et les précisions. Comme d'habitude, le sénateur pose une question à un témoin en particulier ou à tous les témoins; si vous souhaitez ajouter quelque chose sur un sujet donné, veuillez me le faire savoir et je vous céderai la parole.

Le sénateur Kenny : Je dois commencer par dire que j'ai un parti pris. Mon père était pilote dans l'ARC. Il pilotait le jour J et son appareil a été abattu à Arnhem. Il a été fait prisonnier de guerre. S'il était encore en vie, je peux l'imaginer assis à vos côtés aujourd'hui.

Général Carr, vous avez fourni des statistiques et évoqué le taux de mortalité élevé chez les membres du Bomber Command. Un tour opérationnel correspondait généralement à 30 missions. Quel était le taux de survie d'un équipage de bombardier à un tour de 30 missions?

M. Elliott : Environ 25 p. 100.

Le sénateur Kenny : Vous aviez une chance sur quatre de survivre à votre tour opérationnel?

M. Elliott : Oui, vous suiviez ensuite six mois de formation et retourniez pour un second tour de 20 missions. Vos chances de survie diminuaient alors à 5 p. 100.

Le sénateur Kenny : Le Musée canadien de la guerre en fait-il mention?

M. Elliott : Non, pas que je sache.

Le sénateur Kenny : Y a-t-il une comparaison entre les pertes subies par les membres d'équipage, dans le cas du Bomber Command plus particulièrement, et les pertes subies par d'autres types de combattants? Vous en avez discuté, général Carr. En parle-t-on?

Lgén Carr : Non, on n'en parle pas.

Le sénateur Kenny : Le Musée traite-t-il du blitz, du bombardement de Coventry, des événements qui se sont produits avant que les Alliés ne renforcent leur capacité pour attaquer l'Allemagne?

Lgén Carr : Si je me souviens bien, on en parle vaguement sur un panneau, mais la mention est très brève et n'attire pas l'attention. En fait, j'ai mené des recherches pour trouver des données statistiques sur le nombre de victimes faites en Grande-Bretagne par le blitz et les bombes volantes.

Le sénateur Kenny : Ces données sont-elles mises en évidence au Musée?

Lgén Carr : Non, pas du tout.

Le sénateur Kenny : Les responsables du Musée vous ont-ils donné plus d'explications concernant leur refus de vous entendre?

Bgén Daley : Je n'en reviens toujours pas qu'ils aient refusé. Pour être juste envers M. Geurts, le président directeur- général du Musée canadien de la guerre, il a répondu aux questions de chacun des anciens combattants. Quand il est devenu évident que la communauté des anciens combattants des forces aériennes s'entendait pour dire que l'affiche déformait les faits, nous avons demandé si nous pouvions rencontrer M. Geurts et son historien en chef pour tenter de trouver un compromis. Malheureusement, une décision avait déjà été prise et il a répondu qu'il était inutile de nous rencontrer, puisque les responsables du Musée n'étaient pas disposés à modifier le panneau.

Le sénateur Kenny : Il est clair que les sujets que j'ai abordés jusqu'à présent concernant les risques énormes que le Bomber Command a pris, les pertes de vie, le fait que le Royaume-Uni avait déjà subi le blitz, semblent tous briller par leur absence. Ce que vous proposez au comité, c'est de remplacer le texte par un extrait du livre de M. Bashow.

Tout à l'heure, vous avez reconnu le droit des universitaires à l'interprétation; vous avez reconnu qu'il existait différents points de vue sur la façon dont le bombardement avait été mené; et vous avez beaucoup insisté sur le caractère offensif du texte qui figure sur le panneau. Si votre proposition était adoptée par le musée, il n'y aurait aucune référence à la divergence des points de vue parmi les historiens au sujet du bombardement.

Le professeur Bashow ne semble pas en tenir compte dans la déclaration que vous nous avez présentée. Cela semble incomplet en quelque sorte. Jugez-vous que la déclaration est détaillée ou la trouvez-vous un peu incomplète?

M. Elliott : Elle est aussi détaillée que possible, mais si nous pouvions régler cette question en leur laissant adopter leur propre discours. Je suis en train de chercher la phrase.

Lcol Black : « Amèrement contesté. »

M. Elliott : Non.

Lgén Carr : On peut lire sur la page web : « Les historiens contestent amèrement la validité... »

M. Elliott : Non, ils disent : « Le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés. » Alors, s'ils veulent mettre ce genre de discours pour vous satisfaire, je suis sûr que je pourrai convaincre mon groupe d'accepter ce libellé.

Le sénateur Kenny : Ce n'est pas pour me satisfaire, monsieur Elliott. C'est pour assurer que le musée fait le bon choix. Tel est l'objectif.

Lcol Black : C'est un excellent point. Jadis, l'Association de la Force aérienne du Canada était disposée à faire un tel compromis. Très tôt, nos efforts tenaient compte de la nuance que M. Elliott vient d'exposer avec tant de professionnalisme. Nous voulions des termes comme « certains historiens ». Ces petites nuances importantes faisaient partie de notre tentative initiale, mais l'intransigeance s'est mêlée à tout cela, jusqu'au point où nous visons maintenant un changement radical.

M. Elliott : Je suis tout à fait d'accord. J'étais à Calgary la semaine passée, pour assister à une réunion de la succursale de l'Aircrew Association au sud de l'Alberta. J'ai été étonné par la vigueur des propos. À leur avis, il fallait abandonner le tout, sans même donner une deuxième chance.

Bgén Daley : J'aimerais souligner le fait qu'une proposition a été présentée au musée. Évidemment, personne ne nie l'existence d'une controverse ou même d'un « débat », pour emprunter un meilleur terme utilisé par M. Elliott. Il y a eu beaucoup de débats. Il y a eu une proposition. Allez-y. Incluez ce point; c'est un fait. Le problème, c'est le poids accordé par le musée à la controverse.

Lgén Carr : J'ai correspondu avec M. Rabinovitch et, pour le compte d'un grand nombre de nos anciens combattants, je lui ai suggéré que lui et son personnel s'assoient avec nous, l'Aircrew Association, afin de trouver un certain compromis au niveau du texte sans continuer à porter atteinte à la réputation de notre merveilleux Musée canadien de la guerre, mais je n'ai reçu aucune réponse positive.

Le président : Votre opinion représente-t-elle l'ensemble des associations des anciens combattants? Y a-t-il un autre point de vue que nous devrions entendre? Pouvons-nous assumer que vous avez présenté leur point de vue?

M. Elliott : J'en suis certain, parce que j'ai parlé avec Bruce Allen, le président de la Bomber Command Association à Sarnia. J'ai aussi parlé avec le dirigeant de l'Association des prisonniers de guerre et celui de l'association d'Halifax. J'ai dû réunir ces deux protagonistes pour aller à Ottawa. Ils partagent mon point de vue.

Le sénateur Atkins : Brigadier-général Daley, lorsque vous avez fait la demande à M. Geurts et qu'il vous a répondu qu'il n'y avait aucune raison de tenir une réunion, car une décision avait été prise, qui représentait-il au regard de cette décision?

Bgén Daley : J'imagine que c'est là une partie de la question à l'étude aujourd'hui. De toute évidence, M. Geurts ne travaille pas seul, à cause de la question que j'ai commentée plus tôt. Il travaille au sein de la gouvernance du Musée canadien des civilisations. Je crois qu'il s'agissait d'une décision interne prise par les agents du musée. Selon l'interprétation que j'en fais, M. Geurts était en mesure de communiquer cette réponse.

Le sénateur Atkins : Si telle était leur décision, ils ont certainement reconnu qu'elle polariserait tout le dossier.

Bgén Daley : Je pense que oui, mais parallèlement, ils continuaient de proclamer la légitimité de leur cause; de dire que nous avions tort, qu'ils avaient le droit d'interpréter et de se documenter et qu'il serait inapproprié que les membres du public leur demandent de réécrire leur description des faits historiques.

Le sénateur Atkins : En fin de compte, c'est une question de fierté d'auteur.

Bgén Daley : Sans doute.

Le sénateur Atkins : La Légion a laissé entendre qu'elle pourrait boycotter le Musée canadien de la guerre. Selon vous, à quoi servirait cette mesure?

Bgén Daley : La Légion n'a jamais officiellement proclamé un boycottage du Musée canadien de la guerre. Nous sommes de fervents partisans du Musée de la guerre. Nous siégeons au comité du Musée de la guerre et nous essayons de fournir une orientation par le biais de cet organisme.

La question du boycottage a été rapportée dans les médias. Cette idée provenait du Comité Mayday. La revue Legion Magazine — qui n'est pas un porte-parole officiel du président national et de sa direction, mais une revue indépendante — a suggéré, de son propre chef, que les membres du comité des anciens combattants devraient aider le Mayday Committee à atteindre ces objectifs. Les médias ont fini par croire que cela signifiait qu'il fallait éviter toute participation au musée afin de le boycotter.

Le sénateur Atkins : Combien y a-t-il de membres à la Légion?

Bgén Daley : La Légion compte 400 000 membres, mais je crois que ce qui est important — et aussi en réponse à l'une des questions du sénateur Kenny tout à l'heure —, c'est le fait que le comité du Musée de la guerre compte des anciens combattants parmi ses membres. En raison de la façon dont sont organisés les anciens combattants, la Légion a un seul porte-parole. On y trouve aussi des observateurs qui sont des Anciens combattants de l'armée, de la marine et des forces aériennes au Canada. Ils ont un siège au comité du Musée de la guerre, tout comme le Conseil national des associations d'anciens combattants, l'organisation de M. Chadderton. Ces trois organisations d'anciens combattants ont, de façon unanime, exhorté le musée à examiner un compromis; cela représente plus de 400 000 membres de la Légion royale canadienne.

Le sénateur Atkins : Combien d'administrateurs le musée compte-t-il?

Bgén Daley : Je ne saurais répondre à cette question.

M. Elliott : Il y a un conseil d'administration et, pour autant que je sache, il y avait au moins dix membres. À l'expiration du mandat du général Manson, le conseil ne comptait plus aucun membre ayant une expérience militaire. Fredrik Eaton et Jack Granatstein ont été nommés par la suite. Nous avions écrit à Mme Oda pour lui suggérer d'inclure certains de nos membres au comité afin de faire valoir notre point de vue, mais elle a préféré chercher ailleurs.

Le sénateur Atkins : Combien de membres de l'organisation supérieure, c'est-à-dire la Société du Musée canadien des civilisations, possèdent une expérience militaire?

Bgén Daley : Le général Manson était le seul membre qui possédait une expérience militaire au sein du conseil d'administration de la Société du Musée canadien des civilisations. En tant que membre de ce conseil, il était chargé de présider le comité du Musée de la guerre qui se composait des trois organisations principales, mais tous les autres membres — environ sept autres — faisaient partie du conseil du Musée des civilisations.

Je crois pouvoir dire que le général Manson, en tant que président du comité du Musée de la guerre, appuyait sans réserve les anciens combattants et a dit éloquemment que le panneau devait être changé. C'est lui qui a fait l'exposé au conseil.

Ce qui nous a surpris, la Légion et les anciens combattants, c'est que la décision finalement prise après l'enquête menée par les quatre historiens a été communiquée par le président-directeur général du Musée des civilisations et non par le Musée canadien de la guerre. Quelle sorte de pouvoir le président ou le directeur général du Musée canadien de la guerre exercent-ils dans la résolution de ces questions? Cette question nous laisse perplexes. Quel est le but du comité du Musée de la guerre dans les efforts visant à résoudre ces questions? Là encore, on s'y perd.

Le sénateur Atkins : Cela nous amène à nous interroger sur la nature du débat au sein du conseil.

Le président : Pour faire une mise au point, brigadier-général Daley, vous avez dit que le général Manson est l'ancien chef d'état-major de la Force aérienne au Canada. A-t-il joué un rôle dans l'édification du nouveau Musée de la guerre?

Bgén Daley : Le général Manson est aussi l'ancien chef d'état-major de la Défense et il a dirigé la collecte de fonds pour le compte du Musée de la guerre, un projet qui a eu beaucoup de succès. Je dois dire, évidemment, que la Société du Musée canadien des civilisations a aussi joué un rôle essentiel dans le financement du nouveau musée.

Le président : Mon but était d'essayer de mettre en évidence — et vous l'avez bien fait — le rôle de la Force aérienne et de son personnel retraité dans la construction du nouveau Musée de la guerre.

Le sénateur Dallaire : J'espère que cela ne signifie pas que vous avez des commentaires sur l'aspect physique du bâtiment et sa ressemblance à un hangar d'aviation.

Savez-vous de quelle façon la campagne de bombardement est présentée dans les musées au Royaume-Uni et aux États-Unis?

M. Elliott : J'ai participé à une émission de radio avec Anna Maria Tremonti sur la chaîne CBC. Elle avait interviewé un expert des États-Unis qui disait que lorsque le Smithsonian Institute avait exposé l'Enola Gay, l'avion qui a largué la bombe atomique, ils avaient près de 500 panneaux relatifs à l'avion. La plupart des panneaux comportaient des messages hostiles liés au bombardement. Le gouvernement a donc ordonné de conserver seulement deux panneaux. Je crois que l'un d'eux indiquait le nom de l'avion et l'autre disait que cet avion avait largué la première bombe atomique. L'expert était heureux de constater que les anciens combattants canadiens n'avaient pas demandé l'aide du gouvernement. Il avait tort, bien sûr. Nous l'avions fait.

Le sénateur Dallaire : À propos de cette campagne particulière — pas la campagne asiatique mais la campagne de l'Europe du Nord-Ouest —, sait-on précisément ce que disent les Britanniques et les Américains dans leurs musées?

M. Elliott : J'ai visité le musée de la force aérienne britannique, qui porte surtout sur les aéronefs. Je ne me souviens pas si ce musée avait quelque chose de similaire. Je sais seulement que le musée américain se trouve à Dayton, en Ohio, et qu'ils en sont très fiers.

Le sénateur Dallaire : Il ne s'agit pas d'un musée national en tant que tel; il s'agit d'une base aérienne.

M. Elliott : Oui.

Le sénateur Dallaire : Vous êtes avocat, donc vous savez que même si des événements peuvent se produire, on ne peut pas les effacer, à moins d'en présenter la preuve en tribunal. Il faut des preuves documentaires, des témoignages et ainsi de suite. Dans le cas qui nous préoccupe, quelles initiatives ont été prises pour aller à la source des analyses, c'est- à-dire dans le milieu universitaire, pour chercher à obtenir des interprétations plus rigoureuses de cette campagne auprès des pairs et pour élaborer, à partir de ces renseignements, vos arguments destinés au musée et peut-être au gouvernement?

À titre d'exemple, l'Association de la Force aérienne du Canada ne pourrait-elle pas organiser un symposium de trois jours pour étudier cette question, en invitant particulièrement des universitaires et des historiens et ainsi de suite, et apporter un nouvel argument intellectuel à la problématique?

M. Elliott : Je sais qu'ils ont procédé ainsi en Grande-Bretagne, mais nous ne l'avons pas envisagé ici, parce que nous ne l'avons pas fait. C'est tout.

Lcol Black : C'est relativement tôt dans le processus, mais je ne peux m'empêcher de me demander si les gens éprouveraient de la sympathie ou porteraient une attention envers un tel effort, en sachant que quatre des plus renommés historiens du Canada se sont vu offrir une occasion de faire exactement cela, seulement pour être ignorés par le musée.

Le sénateur Dallaire : Dans une campagne qui vise à changer quelque chose, on ne va quand même pas commencer par dire que l'on ne peut plus utiliser cette option. Même si les anciens combattants ont vécu ces expériences et possèdent ce bagage, les civils canadiens veulent connaître le point de vue de tierces personnes sur ce sujet. Il serait tout à fait approprié d'encourager les personnes qui savent écrire et qui ont déjà analysé cette question à organiser des symposiums, des débats et des discussions. Cela contrecarrererait mieux l'argument selon lequel il s'agit d'une démonstration erronée et déplacée de cette campagne. Ces données vous permettraient de prendre une autre position. S'ils refusent d'accepter cela, c'est qu'ils font preuve de malhonnêteté intellectuelle vis-à-vis de la campagne. S'ils ne sont pas en mesure de débattre cette question de façon intellectuelle et rigoureuse plutôt que de façon émotionnelle, ce sont eux qui sont dans l'erreur et pas ceux qui ont vécu cette campagne. J'ai bien peur de dire que, devant un tribunal, les dimensions juridiques de cette question risquent de ne pas tenir la route. Je crois que vous devriez envisager la question sous le même angle qu'eux et prouver qu'ils sont dans l'erreur du point de vue intellectuel.

Le président : À titre de précision, monsieur Elliott, en réponse aux questions du sénateur Kenny, vous avez parlé de la première série de vols de 30 sorties. Vous avez dit que la chance de survie était de 25 p. 100. Vous avez dit que le personnel avait ensuite été affecté à un travail de bureau pendant un certain temps avant de participer aux 20 sorties de la série de vols suivante. Les chances de survie étaient de 5 p. 100 dans les deux séries de vols.

M. Elliott : Oui.

Le président : Il a été question de Londres et de Coventry. Si je me souviens bien, on en fait quelque peu allusion au tout début de l'exposition.

M. Elliott : Je ne crois pas qu'on en fasse allusion dans l'exposition mais, d'après ce que je me souviens, un panneau indique que les Allemands avaient violemment attaqué Londres durant une opération éclair. Je suis sûr qu'il n'y a aucune mention des pertes britanniques, par exemple.

Le président : Je suppose que l'argument dans ce cas, c'est qu'il s'agit d'une exposition sur le Bomber Command. Je me demande quelle serait votre réaction si le dernier panneau faisait référence au bombardement stratégique dans les deux camps pendant la guerre et si, au lieu de faire allusion à la valeur et à la moralité du bombardement par les Alliés et les Américains de l'Allemagne, le panneau disait seulement qu'il y avait eu un bombardement stratégique et qu'il existe différents points de vue sur son efficacité. Est-ce que cela diminuerait les inquiétudes?

M. Elliott : Ce que vous dites est intéressant, car c'est ce que je croyais au départ. Lorsqu'on m'a demandé de commenter ce panneau, c'est la première chose à laquelle j'ai pensé. Toutefois, lorsque nous avons vu les conclusions finales de David Bashow sur la jaquette du livre, cela m'a semblé si approprié que j'ai abandonné l'idée de faire ce que vous suggérez.

Le président : M. Bashow se concentre sur le bombardement du Troisième Reich par les Alliés. Il a utilisé une formulation et une approche différentes, mais il a adopté un seul point de vue, l'attaque des Alliés contre l'Allemagne.

M. Elliott : Oui.

Le président : Vous avez soulevé un point important. Nous n'essayons pas — ni le comité sénatorial ni vous, les présentateurs et les représentants des diverses associations d'anciens combattants — de réécrire l'histoire ici, ce dont se plaignent généralement les universitaires.

Ce qui nous préoccupe particulièrement — et vous nous avez fait part de vos préoccupations —, c'est l'interprétation des termes « La valeur et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés. » Nous nous sommes concentrés sur cette phrase aujourd'hui, et il n'y a aucun doute que certaines personnes, même pendant la guerre, n'étaient pas d'accord quant à l'efficacité du bombardement stratégique et peut-être la moralité.

M. Elliott : C'est exact.

Le président : Vous ne le contestez pas, mais vous dites que la façon dont le tout est présenté insinue que les membres de l'équipage ont fait preuve d'immoralité et l'idée qu'ils ont commis des crimes de guerre. Est-ce que j'interprète correctement vos commentaires?

M. Elliott : Oui.

Le sénateur Dallaire : J'ai l'impression que le ton général de l'exposition est accusatoire envers l'équipage et même envers les généraux qui ont décidé de se lancer dans cette campagne. Le ton insinue que nous avions mis en œuvre un concept immoral d'opérations et que nous n'avons pas eu de compte à rendre. Voilà le ton emprunté dans la formulation du texte et c'est la principale objection, car le texte fait des accusations d'un crime de guerre qui n'est pas prouvé.

Le président : Si j'ai bien compris, au lieu de qualifier d'immorales la décision et la directive de procéder à un bombardement stratégique, le texte qualifie d'immorale l'exécution même des ordres par l'équipage.

Le sénateur Dallaire : Oui, par extension.

Le sénateur Atkins : Que répondez-vous aux historiens qui pensent qu'il ne convient pas au sous-comité sénatorial d'intervenir dans ce dossier?

M. Elliott : Eh bien, c'est ce que nous allons découvrir.

Le président : Merci beaucoup, messieurs, d'avoir présenté la question si clairement. Nous comprenons les propos et nous attendons avec impatience, tout comme vous, j'en suis sûr, la réponse du personnel du Musée de la guerre la semaine prochaine. Nous veillerons à ce que vous receviez un exemplaire de la transcription.

La séance est levée.


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