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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 7 - Témoignages du 27 mai 2010


OTTAWA, le jeudi 27 mai 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour étudier le projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans).

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, bienvenue au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Nous poursuivons ce matin l'étude du projet de loi C-268. Deux groupes de témoins nous présenteront leur point de vue sur les peines minimales obligatoires.

Nous commencerons par M. Spratt, directeur de la Criminal Lawyers' Association. M. Spratt connaît bien les comités du Sénat, car il a comparu un certain nombre de fois au nom de l'association. Il s'occupe exclusivement de défendre les personnes accusées d'infractions criminelles chez Webber Schroeder Goldstein Abergel, à Ottawa.

Bienvenue, monsieur Spratt; vous avez environ sept minutes pour présenter votre exposé, qui sera suivi d'une discussion.

Michael Spratt, directeur, Criminal Lawyers' Association : Je vous remercie beaucoup. Je suis heureux de témoigner devant le comité. La Criminal Lawyers' Association, la CLA, est une organisation à but non lucratif qui comprend plus de 1 000 criminalistes de l'Ontario et d'ailleurs. Nous représentons surtout les accusés au pénal. Nous sommes régulièrement consultés par les comités des gouvernements fédéral et provinciaux qui s'occupent de questions relatives à l'administration de la justice et de l'aide juridique. Nous participons souvent aux discussions sur l'accès à la justice.

Avant tout, je dirais que l'objectif du projet de loi est louable. Je n'ai rien contre l'idée de protéger les plus vulnérables de la société, en particulier les enfants.

Notre principale objection concerne les peines minimales obligatoires, qui concernent bien sûr des personnes présumées innocentes, mais qui font néanmoins l'objet d'accusations au pénal. Ces gens sont les plus directement touchés par l'imposition de peines minimales obligatoires.

À notre avis, ces peines présentent de nombreux problèmes. Je vais en énumérer quelques-uns à l'instant.

Le premier grand problème à l'égard des peines minimales obligatoires, c'est l'utilité. Il semble y avoir peu de données empiriques qui montrent que ces peines sont efficaces pour atteindre l'objectif du Parlement. Il y a peu de données fiables selon lesquelles elles ont un effet dissuasif précis ou un effet dissuasif général.

Le deuxième problème, c'est que les peines minimales obligatoires représentent une solution unique qui limite ou annule le pouvoir discrétionnaire des juges, un aspect très important de notre système. La limitation de ce pouvoir peut mener à des peines inéquitables et injustes.

Le troisième problème, c'est que les peines minimales obligatoires entraînent deux désavantages. D'une part, elles réduisent le nombre d'affaires réglées en peu de temps. Il y a peu d'avantages à rechercher un règlement dans le cas d'une peine minimale obligatoire si votre degré de culpabilité est peu élevé, si vous n'avez pas de casier judiciaire et si vous savez que vous serez probablement condamné à la peine minimale, peu importe ce que vous ferez après le procès ou peu importe que vous plaidiez coupable.

D'autre part, les peines minimales obligatoires conduisent très souvent à la négociation de plaidoyers, même quand ce n'est pas indiqué. J'en parlerai plus tard.

Enfin, le dernier grand problème, c'est que ces peines peuvent nuire de façon exagérée aux gens issus des minorités et aux personnes vulnérables.

Je vais parler de ces sujets un à un, mais je limiterai mes observations à l'efficacité des peines minimales obligatoires. Je vous ai remis un mémoire qui contient certaines données empiriques. Comme d'autres sont meilleurs que moi pour parler de chiffres, je ne vais pas m'attarder là-dessus.

Le plus grand problème, c'est que ces peines limitent le pouvoir judiciaire discrétionnaire, ce qui n'est pas souhaitable pour un certain nombre de raisons. Durant les procès, les juges entendent les plaidoiries des parties. Ils connaissent bien les faits particuliers aux affaires, mais plus important encore, la situation de chaque délinquant, car la détermination de la peine est un processus personnalisé. Les juges examinent l'infraction, les circonstances et la situation des délinquants. Ils peuvent ainsi imposer des peines justes qui permettent d'atteindre les objectifs du processus judiciaire : dissuader l'intéressé et d'autres personnes et, ce qui est peut-être plus important encore, réadapter le délinquant.

Non seulement les juges sont les mieux placés pour déterminer les peines appropriées, justes et équitables, mais leurs décisions sont aussi révisables. Les juges doivent fournir leurs motifs, et si ces motifs sont insuffisants ou si une partie n'est pas d'accord, on peut s'adresser à des cours d'appel et se prévaloir du mécanisme de révision.

Nous avons une grande confiance dans le système judiciaire. Un aspect peut-être plus important que les peines elles- mêmes, c'est que les juges déterminent si les procureurs de la Couronne ont rempli leur obligation — prouver la culpabilité du prévenu hors de tout doute raisonnable. Nous avons raison de penser que les juges font du très bon travail. Ces personnes sont nommées par le gouvernement; elles représentent la crème du domaine juridique. Le système judiciaire du pays est l'un des meilleurs. Il y a les procureurs de la Couronne, régis par les règles d'éthique, les avocats de la défense, qui doivent respecter le code de déontologie, et les juges, qui connaissent à fond le domaine et qui sont incorruptibles. En fait, les démocraties émergentes consultent souvent le Canada sur la façon de structurer les systèmes judiciaire et juridique. On nous demande conseil parce que nos juges sont incorruptibles et intelligents, et qu'ils sont les mieux placés pour fixer des peines justes et appropriées.

Si on applique les peines minimales obligatoires, on retire le pouvoir discrétionnaire aux juges. Dans les faits, il reste toujours un certain pouvoir discrétionnaire, mais il change de mains et il n'est plus révisable ni transparent. Ce sont les policiers qui choisissent alors les accusations et les circonstances où ils vont porter des accusations. M. Chaffe, de l'Association canadienne des juristes de l'État, vous dira sûrement qu'une grande partie du pouvoir discrétionnaire revient également aux procureurs de la Couronne, qui choisissent aussi les accusations et les négociations de plaidoyers qu'ils vont engager.

Durant nos négociations de plaidoyers avec les procureurs de la Couronne, les juges sont très souvent disponibles pour faciliter le règlement ou réduire les points litigieux. Il s'agit de séances à huis clos, dont les décisions ne sont pas révisables. Bien souvent, il y a de fortes pressions pour que les procureurs abandonnent l'accusation qui entraîne une peine minimale obligatoire et que les accusés plaident coupables à d'autres accusations. Le résultat est peut-être le même pour le prévenu, mais au moins le juge d'instruction a le pouvoir discrétionnaire d'imposer la peine qu'il estime appropriée. Cette façon de faire n'est pas transparente ni révisable, deux qualités qui sont pourtant les marques distinctives de notre système. Les autres pays ont bien sûr écarté les peines minimales obligatoires. C'est malheureux que nous en soyons plus tributaires ces dernières années.

Je dis que les juges sont les mieux placés pour examiner les faits et connaître les circonstances particulières aux délinquants. C'est important de le mentionner, car je pourrais parler toute la journée des circonstances des infractions et des délinquants ainsi que des degrés de culpabilité. Les combinaisons sont infinies, ce qui donne bien sûr des peines différentes.

C'est particulièrement important de comprendre cela dans le contexte du projet de loi, car l'infraction est, peut-être à juste titre, définie de manière générale. La mesure législative s'applique à quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne âgée de moins de 18 ans ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d'une telle personne, en vue de l'exploiter ou de faciliter son exploitation. Cette définition générale est peut-être appropriée et elle ne me pose aucun problème.

Néanmoins, qui a commis une infraction selon les principes juridiques? Ce n'est pas seulement le principal responsable, mais aussi ceux qui l'ont aidé. Lorsqu'on songe à cela et à la définition donnée dans le projet de loi, on constate qu'il y a des infractions et des catégories de délinquants très différentes.

Quand on pense à la tête dirigeante d'un réseau de traite, qui brutalise et intimide les victimes, on se dit que cette personne recevra une peine sévère. Qu'il y ait des peines minimales obligatoires ou non, la peine imposée à ce criminel sera fort probablement plus longue que cinq ans.

Si on songe à la personne qui participe à la traite, on se dit qu'elle essaie peut-être d'échapper à une situation. La personne qui transporte l'enfant ne se préoccupe peut-être pas de ce qui va lui arriver. Elle peut avoir différentes raisons — qui ne sont pas nécessairement économiques. Elle essaie peut-être de se sortir du pétrin. Quantité d'explications peuvent accroître ou atténuer la culpabilité de quelqu'un sur les plans moral et juridique.

Cependant, les peines minimales obligatoires s'appliqueraient autant au dirigeant qu'au simple participant. La peine minimale obligatoire prévue pourrait être adéquate pour l'un, tandis qu'une peine plus sévère pourrait être appropriée pour l'autre. N'empêche qu'une peine minimale obligatoire de cinq ans pourrait être injuste et inéquitable si on examine les circonstances particulières au délinquant coupable à un moindre degré.

On peut réfléchir aux possibilités toute la journée, mais ce n'est pas nécessaire. C'est le travail des juges, qui sont payés et ont les connaissances pour entendre les affaires.

Une solution unique ne profite pas à la justice et n'est pas un objectif louable. Durant la période de questions, nous pourrons parler de certaines considérations d'ordre pratique concernant les peines minimales obligatoires, de l'incitation à plaider coupable si les accusations sont réduites pour éviter que ces peines s'appliquent et de l'incitation à aller de l'avant avec le procès si on est susceptible d'être condamné à la peine minimale, comme ce qui se passe déjà dans le cas des peines minimales obligatoires en vigueur.

Nous devrions chercher à faciliter les règlements pour accélérer le processus. Comme nous le savons tous, les budgets sont serrés, le système judiciaire est débordé et il y a de longs délais. Nous ne voulons pas non plus qu'il y ait inutilement plus de procès.

Durant la période de questions, nous pourrons aussi parler de l'effet négatif ou exagéré des peines minimales obligatoires sur les personnes issues des minorités et les défavorisés. Il en est aussi question dans le mémoire.

Le président : Je vous remercie. Au cours de la période de questions, nous aurons l'occasion de discuter davantage de ces sujets et de préciser certaines informations que vous avez fournies.

Vous avez mentionné que d'autres pays abandonnent les peines minimales obligatoires. Pouvez-vous donner des exemples et dire pourquoi?

M. Spratt : Bien sûr. La réponse se trouve dans le mémoire, où certaines études sont mentionnées.

Par exemple, examinons le cas des États-Unis. Nous connaissons tous la loi des trois fautes de cet État. Au Michigan, on écarte les peines minimales obligatoires pour se concentrer sur les peines d'emprisonnement avec sursis, la détention à domicile et le pouvoir judiciaire discrétionnaire. Reste à espérer que cela est fait précisément pour favoriser l'équité et l'impartialité du système de justice.

Cela dit, comme l'ont appris les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles durant les témoignages sur les mesures législatives concernant l'adéquation de la peine et du crime, les peines minimales obligatoires et la limitation de la détention présentencielle ne servent qu'à augmenter la population carcérale et le fardeau du système déjà surchargé.

Le président : Honorables sénateurs, je vous demanderais s'il vous plaît de vous en tenir à sept minutes chacun.

Le sénateur Ogilvie : Je veux tout d'abord faire deux ou trois observations avant de passer aux questions particulières qui concernent votre exposé. Selon moi — je vais le dire sans détour —, votre organisation n'est pas désintéressée. En fait, il est dans votre intérêt professionnel et financier d'avoir une plus grande flexibilité pour ce qui est de la détermination de la peine, car cela rehausse votre crédibilité chez les clients.

Concernant vos commentaires sur les juges, j'aimerais vivre dans le monde idéal que vous avez évoqué. De toute ma vie, je n'ai jamais vu les membres d'une profession incarner dans leur ensemble les caractéristiques que vous avez attribuées aux juges ce matin. Je souligne que ces personnes sont souvent nommées à des fins politiques, ce qui complexifie la tâche qui nous incombe.

Revenons au projet de loi même, qui porte sur la destruction délibérée de la vie de jeunes, à la période de leur développement où ils sont les plus vulnérables. Ces personnes sont exploitées par le biais de la traite pour diverses raisons — qu'il s'agisse de l'exploitation sexuelle, dont nous connaissons tous les effets dévastateurs, ou de violence physique, dont l'ablation d'organes, tout aussi préjudiciable à long terme. Ces actes mènent à la destruction totale de la vie des victimes. Ils n'ont pas qu'un effet à court terme; ils minent les jeunes durant les étapes les plus décisives de leur développement.

Concernant l'utilité de l'effet dissuasif, dont vous avez parlé, les peines minimales obligatoires empêchent au moins les criminels de harceler les victimes durant un certain temps et elles permettent, dans une certaine mesure, aux victimes de se réadapter sans subir d'autres conséquences. Bien des raisons me poussent à croire que les peines minimales obligatoires sont dignes d'intérêt.

Une solution unique élimine le pouvoir judiciaire discrétionnaire — c'est exact. Pour les raisons que j'ai indiquées plus tôt, j'estime qu'on devrait supprimer ce pouvoir dans les affaires qui nous intéressent.

Quand on dit que moins d'affaires sont réglées rapidement, je réponds qu'il importe surtout qu'elles le soient de manière appropriée.

Concernant le fait que les peines minimales obligatoires nuisent de façon exagérée aux gens issus des minorités et aux personnes vulnérables, je suis fatigué d'entendre dire que celui qui a violenté quelqu'un — d'aussi vulnérable qu'un jeune — devrait recevoir un traitement différent selon son origine ethnique ou d'autres particularités.

Je n'ai pas de question à vous poser, même si je suis sûr que vous voudrez commenter ce que je viens de dire. Mais je trouve que vos arguments ne sont pas valables. Des choses comme l'engorgement du système judiciaire ne justifient pas l'imposition d'une peine que la société estime peu acceptable selon les circonstances du crime.

M. Spratt : Je répète tout d'abord que nous ne sommes pas contre la raison d'être du projet de loi. Nous croyons simplement qu'il y a des moyens plus justes que les peines minimales obligatoires pour atteindre les objectifs.

Deux autres moyens me viennent en tête spontanément. Premièrement, on peut faire de l'âge un facteur aggravant. Deuxièmement, si on ajoute les peines minimales obligatoires à la loi, il devrait y avoir une disposition dérogatoire facultative pour modifier ces peines dans les circonstances exceptionnelles. Cela rétablirait l'équité et réduirait de beaucoup mes préoccupations.

Les membres de la CLA ne sont pas désintéressés — vous avez raison. Cependant, je ne cherche pas à obtenir un avantage financier ni à rehausser ma crédibilité chez mes clients, qui me font confiance parce que ce sont l'équité et les peines appropriées qui m'intéressent.

Les particularités d'une personne — pas seulement son origine ethnique, mais aussi ses antécédents, la raison qui l'a poussée à commettre un crime, ses problèmes de dépendance et ainsi de suite — importent et doivent être prises en compte dans la détermination de la peine. Non seulement cela permet d'imposer une peine appropriée, juste et équitable, mais c'est également nécessaire pour atteindre l'objectif que nous poursuivons tous, soit la réadaptation du délinquant.

Une chose est sûre concernant le détenu : il sera libéré. La société ne gagne rien si on impose une peine qui ne reflète pas la situation de l'individu et ne permet pas de s'occuper de lui adéquatement. Les membres de la CLA ont effectivement un intérêt là-dedans, parce qu'ils recherchent des peines appropriées, justes et équitables.

Enfin, je vais parler de vos commentaires sur les juges. C'est vrai, nous ne vivons pas dans un monde idéal; les juges commettent des erreurs. C'est pourquoi le système accusatoire comprend un mécanisme de révision. Contrairement à bien des accusés, les procureurs de la Couronne ont les moyens financiers d'interjeter appel pour qu'une décision soit révisée, non seulement par la Cour d'appel, mais aussi par la Cour suprême, où les juges, en particulier ceux de la Cour suprême, sont nommés de façon plus transparente.

On ne doit pas perdre de vue que les juges sont les meilleurs dans le domaine. Le gouvernement établit des directives pour déterminer qui peut devenir juge. Les gens doivent avoir pratiqué le droit pendant dix ans. Le processus pour obtenir un poste est rigoureux; un comité évalue les candidatures. La société, les criminalistes et leurs clients font confiance aux juges pour déterminer la culpabilité ou l'innocence des accusés.

Je plaide devant des juges tous les jours. J'ai plaidé à la Cour de justice, à la Cour supérieure et à la Cour d'appel de l'Ontario. J'ai participé à des procès pour meurtre devant jury. N'oublions pas que les jurés participent également au processus de détermination de culpabilité ou d'innocence. Je ferais confiance à n'importe quel juge canadien pour déterminer si je suis coupable ou innocent de quelque chose.

Le sénateur Callbeck : Hier, des témoins nous ont dit que les peines imposées aux coupables de traite de jeunes sont généralement clémentes. On essaie de corriger la situation par cette mesure législative. Vous affirmez que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas. Je ne suis pas non plus en faveur de ces peines dans la plupart des cas. Toutefois, si on n'applique pas de telles mesures, comment peut-on faire en sorte que les gens qui participent à la traite de jeunes reçoivent des peines plus sévères?

M. Spratt : Je ne sais pas comment on a conclu que cinq ans est une peine minimale juste mais, au lieu d'imposer une sanction de ce genre, on pourrait avoir un énoncé de principe. L'âge de la personne pourrait être un facteur aggravant.

Concernant la traite de mineurs et d'autres infractions, le problème, c'est que les peines minimales obligatoires deviennent très souvent la nouvelle norme. Cela se passe tout le temps concernant les infractions relatives aux armes à feu; les gens méritent des peines plus sévères, mais ils reçoivent la peine minimale.

L'autre problème, c'est qu'infliger des peines minimales augmente l'attrait d'un règlement qui n'a rien à voir avec l'accusation de traite. Par exemple, si une personne est accusée en vertu des dispositions proposées dans le projet de loi et que sa situation ou quelque chose d'autre réduit sa culpabilité — il y a des degrés sur les plans moral et juridique pour toutes les infractions —, on peut faire des pressions pour obtenir un règlement qui ne concerne pas la traite, mais les voies de fait, la séquestration ou un autre type d'infraction. Ce processus n'est évidemment pas transparent pour ce qui est d'attribuer le blâme et la responsabilité.

Je crois connaître certaines affaires dont vous avez parlé, madame le sénateur, à propos de peines clémentes. Il n'y a pas beaucoup d'affaires de ce genre qui sont traitées présentement. Par exemple, l'affaire Eve est assez récente. Il y a peut-être une courbe d'apprentissage pour les procureurs et les juges. Toujours est-il qu'on peut éduquer les gens et qu'il y a des moyens d'assurer l'imposition de peines appropriées.

On ne doit jamais oublier qu'il y a divers processus de révision. On devrait interjeter appel si la peine est vraiment inappropriée ou trop clémente. Le gouvernement possède les ressources nécessaires. Il est légitime de faire appel en ce qui a trait à la justesse de la peine.

Nous savons très bien que les peines minimales obligatoires peuvent être injustes et inéquitables.

Le sénateur Callbeck : Si vous deviez voir à ce qu'on impose des peines appropriées, quels changements apporteriez- vous? Vous recommandez certaines choses dans le document, mais que feriez-vous?

M. Spratt : Il devrait y avoir un énoncé de principe, où l'âge serait un facteur aggravant; c'en est déjà peut-être un, mais on devrait l'inscrire dans la loi. Le degré de violence comme facteur aggravant pourrait aussi y être ajouté.

Lorsqu'on traite un projet de loi ou une question d'actualité, la sensibilisation est ce qu'il y a de plus important. On devrait sensibiliser la magistrature et la population, parce que ce sont des citoyens qui font des pressions sur le système judiciaire et les procureurs de la Couronne pour imposer des peines plus sévères. Grâce à la sensibilisation, on peut avoir le meilleur des deux mondes. Les procureurs de la Couronne peuvent chercher à obtenir des peines plus sévères et les juges sont conscients des difficultés dont vous avez parlé.

En revanche, il faut une certaine souplesse. Dans certaines circonstances, le pouvoir discrétionnaire est aussi un objectif valable. On peut avoir des objectifs importants, comme ceux du projet de loi, mais il ne faut pas perdre de vue les choses tout aussi importantes que sont le pouvoir judiciaire discrétionnaire, la proportionnalité et l'équité.

Le sénateur Callbeck : Vous mentionnez le public et dites dans le mémoire qu'il est clairement moins intéressé qu'auparavant à l'imposition de peines minimales obligatoires, au même titre que les législateurs. Quelle preuve avez- vous pour avancer cela?

M. Spratt : À propos de l'intérêt moindre du public concernant les peines minimales obligatoires? Excusez-moi, mais pouvez-vous me dire de quelle page il est question?

Le sénateur Callbeck : Page 7.

M. Spratt : Je vous remercie.

Le sénateur Callbeck : C'est à la troisième phrase du deuxième paragraphe.

M. Spratt : Il s'agit d'une étude menée par Julian V. Roberts en janvier 2005 pour la Division de la recherche et de la statistique de Justice Canada. Voilà d'où nous avons tiré cette conclusion. On pourrait dire que si elle était sensibilisée adéquatement aux problèmes causés par les peines minimales obligatoires, la population serait encore moins encline à militer en faveur d'un recours toujours accru à ces peines, à plus forte raison que l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, d'autres pays qui appliquent la common law, ont abandonné une telle pratique en matière légale.

Le président : Il y a maintenant plus de sénateurs qui veulent prendre la parole. Étant donné le temps qu'il nous reste pour ce groupe de témoins, chaque personne aura assez de quatre minutes pour une question et une réponse brèves. Cela ne laisse toutefois pas vraiment assez de temps pour un préambule.

Le sénateur Eaton : Dites-moi, monsieur Spratt, n'a-t-il pas des peines minimales obligatoires pour le meurtre, le meurtre au deuxième degré et l'homicide involontaire coupable?

M. Spratt : Certaines peines minimales obligatoires sont effectivement en vigueur. Il y en a qui ont été jugées inconstitutionnelles, tandis que d'autres sont toujours appliquées.

Le sénateur Eaton : Quelles sont celles qui ont cours?

M. Spratt : Il y en a un certain nombre.

Le sénateur Eaton : Concernant le meurtre?

M. Spratt : Le meurtre au premier degré.

Le sénateur Eaton : Qu'en est-il du meurtre au deuxième degré?

M. Spratt : Le meurtre au deuxième degré est punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Il n'y a cependant pas de période minimale d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, contrairement au meurtre au premier degré, pour lequel on ne peut pas être mis en liberté avant 25 ans. Il n'y a pas de période minimale d'inadmissibilité à la libération conditionnelle si vous êtes reconnu coupable de meurtre au deuxième degré, mais vous serez néanmoins toujours surveillé par la Commission des libérations conditionnelles.

Le sénateur Eaton : Et concernant le viol?

M. Spratt : Il n'y a pas de peines minimales pour l'agression sexuelle.

Le sénateur Eaton : Si on a violé une femme, il n'y a pas de peines minimales qui s'appliquent. Que le violeur soit le mari ou un inconnu, le juge pourrait-il lui donner deux ans sans faire de distinction?

M. Spratt : Si une femme a été victime d'agression sexuelle, nous faisons confiance au juge pour qu'il inflige une peine appropriée.

Le sénateur Eaton : Ne croyez-vous pas que l'infraction sexuelle contre un enfant ou l'exploitation de main-d'œuvre enfantine soit un crime au moins aussi atroce que le meurtre au deuxième degré?

M. Spratt : Voilà le problème quand on ne fait pas dans la nuance. On peut en effet imaginer bien des scénarios où un délinquant commet un meurtre, où un enfant subit des actes innommables. Le problème à l'égard des peines minimales obligatoires, c'est qu'on ne peut pas concevoir toutes les circonstances qui peuvent être liées à un crime, ce qui m'empêche par ailleurs de répondre à votre question.

Le sénateur Eaton : Ce doit être par manque d'imagination que je ne peux pas comprendre pourquoi vous vous opposez à l'imposition d'une peine minimale obligatoire à quiconque a exploité un enfant.

M. Spratt : Je fais confiance aux juges.

Le sénateur Eaton : Je présume que je ne suis pas entièrement d'accord avec vous sur le sujet. S'il reste assez de temps, pouvez-vous donner plus de détails sur l'impact qu'auraient les peines minimales obligatoires sur les personnes vulnérables ou les personnes issues des minorités? Pourquoi y a-t-il des circonstances atténuantes qui s'appliquent à elles, mais pas à nous?

M. Spratt : En ce qui concerne la situation personnelle, on constate, surtout aux États-Unis, mais aussi au Canada, que certains groupes sont surreprésentés dans la population carcérale. Je vais prendre l'exemple des Autochtones, car il m'apparaît être le plus simple compte tenu du temps dont nous disposons. En fait, la chose a été intégrée au Code criminel. Depuis l'affaire Gladue, les délinquants autochtones ont droit à un traitement particulier à leur origine ethnique. Dans la détermination de la peine, on doit tenir compte de la situation personnelle de ces gens, de leur histoire et des facteurs propres à cette communauté qui peuvent pousser à commettre des infractions. Ces facteurs doivent être pris en compte non seulement dans la détermination de la culpabilité des individus et des motifs à l'origine de leurs infractions, mais également dans le choix des moyens qui seront pris pour les réadapter.

Le sénateur Eaton : N'est-ce pas de la condescendance?

M. Spratt : Le gouvernement ne semblait pas de cet avis, tout comme la Cour suprême lorsqu'elle a rendu des décisions et fait des déclarations.

Le sénateur Martin : Je vous remercie, monsieur Spratt, de votre exposé d'aujourd'hui. Je pense que nous sommes d'accord à certains égards, mais nous divergeons beaucoup d'opinions sur l'interprétation. Par exemple, je suis d'accord pour dire que nos distingués juges sont particulièrement compétents et intelligents, et je sais qu'ils sont tenus de se conformer à des règles d'éthique. Nous respectons tous le pouvoir judiciaire, mais aucun système n'est parfait.

Comme vous le dites, ces affaires sont nouvelles dans notre système. Seulement cinq peines ont été imposées. Le sénateur Callbeck a d'ailleurs souligné que ces peines sont très clémentes selon les normes canadiennes relatives aux mineurs. Le système est injuste et inéquitable concernant les adultes qui commettent des infractions et les mineurs qui en sont les victimes. On peut voir qu'il y a des lacunes dans l'application du Code criminel et des dispositions qui ont été mises en place en 2005. Les peines imposées ne sont pas celles que les Canadiens veulent pour protéger les enfants.

Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de l'atteinte des objectifs au chapitre de l'équité, de l'adéquation des peines ou de la réadaptation. Cependant, comment réadapter les délinquants qui purgent une peine de seulement une semaine, un mois ou un an? Ces gens ont commis des infractions contre des mineurs qui étaient vraiment à leur merci. Nous sommes d'accord sur les objectifs, mais le système comporte à l'évidence des problèmes. En fin de compte, le projet de loi sert à corriger ces lacunes.

Pour reprendre vos dires, on est en train d'apprendre. Cela dit, combien d'autres victimes faudra-t-il avant qu'on ait appris la leçon? Combien de familles devront encore souffrir? Les enfants sont des personnes vulnérables.

Notre système est imparfait. Que feriez-vous pour combler les lacunes que vous avez constatées? Même si nous sommes en désaccord, vous pouvez commenter ce que j'ai dit. Je n'ai pas posé de question et j'aimerais dire bien d'autres choses, mais je dispose d'un temps limité. Alors, je vais vous donner le reste du temps pour répondre.

M. Spratt : J'encourage vivement les membres du comité à réfléchir au fait que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif. D'autres témoins plus expérimentés que moi vous le diront. Le sujet est d'ailleurs évoqué dans mon mémoire.

Le sénateur Martin : Je ne parle pas de dissuasion, mais de dénonciation, un principe important.

Le président : Il reste très peu de temps.

M. Spratt : Il y a la dénonciation, mais la réadaptation et la dissuasion sont selon moi d'autres principes importants.

Il s'agit d'un nouveau domaine en droit. Je ne pense pas que les tribunaux d'appel se soient prononcés sur les peines dont vous avez parlé.

D'autres modifications à la loi répondront à certaines de vos préoccupations. Même si je me suis prononcé contre l'idée, l'élimination du crédit double se traduira par des peines plus longues. Lorsqu'on dit qu'un délinquant purge seulement une semaine pour une infraction, il faut se rappeler que ce n'est pas la durée de la peine imposée. Dans l'affaire Eve, le coupable a passé plus d'un an en détention présentencielle. Il vivait dans des conditions horribles et n'avait pas accès à des programmes de réadaptation, ce qui est déplorable. Quand on parle de peines clémentes, il ne faut pas oublier les changements apportés à la loi et leur incidence sur le calcul en double du temps passé en détention présentencielle.

En fin de compte, je suis d'accord avec vous. Il faut s'attaquer à ce problème. On parle de personnes vulnérables. Si le gouvernement rend obligatoire une peine minimale, il devrait à tout le moins y avoir une disposition dérogatoire facultative qui s'applique dans les circonstances extraordinaires. Un juge ne pourrait imposer une peine inférieure à la peine minimale que dans de telles situations.

Le sénateur Plett : Je veux remercier le sénateur Ogilvie de son excellent préambule. Il a parlé de la plupart des choses dont je voulais discuter. Je suis d'accord avec lui.

Je veux vous faire comprendre comment je me sens. Je ne suis pas préoccupé par Imani Nakpangi, mais par Eve et les milliers de personnes dans sa situation. Vous vous souciez peut-être du délinquant; pour ma part, je me concentre sur la victime. J'estime que la peine minimale dans ce projet de loi n'est pas suffisante.

Si un juge peut déroger à la disposition dans les circonstances exceptionnelles, je pense que cela répond à votre préoccupation. Nous avons prévu une peine minimale dans le projet de loi, et toute dérogation devrait aller uniquement dans le sens de la peine maximale. Je vous comprends d'avoir une confiance inébranlable dans les juges. Cependant, vous dites qu'ils ne donneront jamais plus que les peines minimales. Si vous avez autant confiance dans les juges que vous le dites, il faudrait s'attendre à ce que les juges imposent des peines plus sévères que la peine minimale dans les affaires comme celle de Imani Nakpangi, soit plus de cinq ans. J'aimerais croire que les juges au Canada imposeraient plus que cela.

Vous parlez de facteurs aggravants, comme l'âge. Il est question de l'âge partout dans ce projet de loi, qui concerne les jeunes. Vous dites que la population veut de moins en moins qu'on prescrive des peines minimales. Vous avez en outre des preuves à l'appui. Or, je m'entretiens avec bien des citoyens qui ne souhaitent rien de moins que des peines plus sévères.

J'aimerais vous entendre de nouveau sur les juges et dire pourquoi vous estimez qu'ils infligeraient une peine de 5 ans au lieu d'une peine de 10 dans une affaire comme celle de Eve.

M. Spratt : Dans une telle affaire, la personne pourrait ne pas être condamnée à 5 ans. Sa situation personnelle serait prise en considération. Le crime commis par Imani Nakpangi était assez horrible. Je me serais attendu à ce qu'il ait plus que cela. Mais je ne crois pas qu'on se soit prononcé sur l'affaire en cour d'appel.

Le problème des peines minimales obligatoires, c'est qu'elles peuvent aussi nuire à la transparence. Vous et moi, monsieur le sénateur, ainsi que les gens avec qui vous avez discuté, sommes d'accord pour dire que nous voulons un système transparent. Nous souhaitons connaître les motifs pour les peines imposées. Nous parlons d'une même voix à ce sujet.

Je m'occupe constamment d'affaires concernant des infractions liées aux armes à feu, qui font l'objet de peines minimales obligatoires. Par ailleurs, il n'y a pas de peine de ce genre pour l'agression sexuelle, mais il y en a une pour les contacts sexuels.

Je m'occupe présentement d'une affaire de distribution de pornographie juvénile. Si la Couronne procède par mise en accusation, le prévenu est passible d'une peine minimale obligatoire d'un an pour distribution de pornographie juvénile et d'une peine minimale obligatoire de 90 jours pour possession de tel matériel. Dans cette affaire, il est très tentant d'engager des négociations de plaidoyers à huis clos avec les procureurs de la Couronne pour qu'ils laissent tomber l'accusation la plus grave si le prévenu plaide coupable à l'autre.

C'est toujours la même histoire. On n'en entendrait pas parler, à cause du huis clos. Les peines minimales obligatoires nuisent à la transparence.

Le sénateur Dyck : Je suis d'accord avec beaucoup de vos affirmations. Le sénateur Plett m'a enlevé les mots de la bouche quand il a dit que ce projet de loi est une affaire d'âge. L'âge est un facteur aggravant, parce qu'il est question de mineurs. Dans le discours que j'ai prononcé lors de la deuxième lecture du projet de loi, j'ai exprimé l'idée de doser la sévérité en fonction de l'âge, parce que j'estime que les jeunes enfants sont plus vulnérables et plus susceptibles de souffrir de séquelles plus graves de la traite de personnes.

Cependant, un aspect intéressant du projet de loi est de permettre aux juges de considérer la peine minimale obligatoire comme une peine à laquelle on peut ajouter d'autres peines. Nous devrions laisser cette faculté à la discrétion du juge. Je ne suis pas contre l'imposition d'une peine minimale obligatoire pour cette infraction; c'est un minimum.

Dans d'autres pays, comme les États-Unis, la Thaïlande et l'Inde, on impose des peines minimales obligatoires pour la traite d'enfants à des fins sexuelles. Les peines y sont plus sévères — de 7 à 10 ans. Mais on n'y impose pas de telles peines pour la traite d'enfants contraints au travail.

La distinction est importante. C'est pourquoi je pense que, peut-être, on devrait la faire. Vous avez parlé de différents types d'infractions. Vous avez imaginé des cas de trafic de personnes mineures qui n'exigeraient pas de peine minimale obligatoire. Dans le cas d'un mineur victime de la traite et contraint à un travail non relié à l'exploitation sexuelle, pouvez-vous nous donner un exemple qui pourrait constituer une exception?

M. Spratt : Voyez les principes qui s'appliquent au participant à une infraction. Cette loi s'applique à la personne qui n'est pas le cerveau derrière l'infraction. Il peut s'agir d'un individu qui voyage simplement avec un jeune, qui l'amène au Canada pour le confier à un autre. On s'accorde à dire que c'est une conduite répréhensible. Cependant, il faut reconnaître que cet individu n'est pas le cerveau de l'opération. La peine minimale obligatoire ne permet pas de s'adapter avec précision à sa culpabilité ni à ses motifs pour la commission de l'acte.

On rangerait les individus faisant la traite d'enfants pour leur propre satisfaction ou dans un but lucratif dans une catégorie différente de celles des personnes insouciantes ou même ignorantes des faits. Notre droit connaît la notion d'insouciance. Les personnes insouciantes sont tenues de savoir; elles auraient dû s'informer. Celles qui sont délibérément aveugles à leur conduite dans le transport et la remise d'un enfant à un tiers, même si elles n'ont rien organisé, sont bien sûr coupables d'une infraction, d'une conduite répréhensible.

Toutefois, on devrait traiter différemment les personnes qui commettent une action, par exemple fuir une région déchirée par la guerre ou obtenir un avantage pour leur famille, des personnes qui ont commis un acte gratuit, motivé par l'appât du gain.

C'est le problème des peines minimales. Il est sûrement approprié de condamner à une peine de cinq ans le cerveau, le meneur qui agit de façon tout à fait gratuite et malicieuse pour son propre avantage. Je conviendrais avec vous qu'une peine plus sévère conviendrait dans ce cas. Une peine minimale de cinq ans qui s'applique à tous les cas est-elle appropriée pour un individu dont la culpabilité morale est faible? Peut-on poser le problème en ces termes? Peut-on affirmer que, dans tous les cas simples que l'on peut imaginer — en étant généreux pour le délinquant, en lui concédant tous les bénéfices, tous les facteurs atténuants imaginables, y compris qu'il vient d'un pays déchiré par la guerre et qu'il ne retire absolument rien de l'infraction, si ce n'est la sécurité de sa famille — une peine de cinq ans convient? Essayons d'imaginer de tels exemples. S'en trouve-t-il un qui peut ne pas justifier cinq ans? C'est ici, je suppose, que nous divergeons d'opinion.

Sénateur Seidman : Pour moi, le projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (peines minimales pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de 18 ans), est très clair. Je dois dire que je suis un peu alarmée par le silence de votre exposé et de vos conclusions sur le cas précis de la traite de personnes. Vous semblez la confondre avec tout autre crime ordinaire, passible d'une peine minimale obligatoire dont nous pourrions nous occuper.

Connaissez-vous le bulletin de renseignements stratégiques publié en 2008 par le Service canadien de renseignements criminels et intitulé « Le crime organisé et la traite intérieure des personnes au Canada », dans lequel on sonne l'alarme contre le problème national de plus en plus grave qu'est la traite de personnes? En effet, ce crime est commis par des réseaux bien organisés plutôt que par des individus. Aux États-Unis, on lit dans le Trafficking in Persons Report de 2009 que les organismes canadiens chargés de l'application de la loi ont déploré la difficulté de requérir les peines adéquates pour les responsables.

Soyons plus précis, maintenant, sur ce dont il est question en matière de peines minimales obligatoires. Ne supposons pas simplement que ce crime est comparable à n'importe quel crime classique, car le comité s'inscrit catégoriquement en faux contre cette affirmation. Avez-vous l'impression que le système de justice pénale réprime efficacement la traite de mineures?

M. Spratt : Pour commencer, en réponse à votre question, selon laquelle je n'ai pas parlé de traite de personnes, je suis contre. C'est un crime sérieux, qu'on doit réprimer. Je ne pense pas être en désaccord avec ce qui s'est dit, dans ce comité, à ce sujet.

Cependant, il est certain que l'imposition d'une peine minimale obligatoire de 5 ans, de 10 ans ou de 20 ans permettra d'atteindre le but visé. Il faut cependant mesurer le résultat en fonction de l'équité, de la position que nous avons toujours tenue en matière du pouvoir discrétionnaire de nos juges et de l'utilité de ces peines. Vont-elles dissuader les réseaux bien organisés dont les cerveaux se trouvent à l'étranger d'envoyer ici des personnes dont ils font la traite?

Encore une fois, je recommanderais vivement au comité d'écouter les auteurs d'études sur la question. Les peines minimales obligatoires n'ont aucun effet dissuasif général. Si le comité et le Parlement affirmaient clairement qu'ils comprennent que les peines minimales obligatoires n'ont aucun effet dissuasif et qu'elles peuvent mener à des injustices, mais que, néanmoins, ils les imposent parce qu'il s'agit de punir et de dénoncer, parfait. Ce sera probablement constitutionnel. Il y aura probablement des contestations particulières sur ce terrain, lorsque les circonstances particulières s'y prêteront. Mais, si nous voulons privilégier la punition et la dénonciation par rapport aux autres objectifs primordiaux de la justice que sont la proportionnalité de la peine, la réhabilitation et la dissuasion, bravo! et affirmons-le.

Cependant, je tiens à vous dire que les peines minimales obligatoires ne donnent pas de résultats transparents. Les faits semblent montrer qu'elles n'ont pas d'effet dissuasif. Elles favoriseront la multiplication des procès, elles s'appliqueront de manière injuste et aboutiront à des résultats également injustes. Au bout du compte, nous n'avons pas besoin d'engager ce débat. En ma qualité d'avocat qui exerce quotidiennement dans le prétoire, je suis en mesure d'affirmer que nous n'avons pas besoin d'en imposer, parce que notre pouvoir judiciaire est le mieux placé pour s'assurer que la justice donne des résultats appropriés.

Le sénateur Seidman : Vous parlez sans cesse de faits. J'aimerais savoir exactement combien d'études et quel genre d'études prouvent de façon irréfutable que ces peines sont inefficaces.

M. Spratt : J'en cite certaines dans le document.

Le sénateur Seidman : Combien?

M. Spratt : Je ne saurais dire. Je les cite. Vous pouvez les trouver. Je ferais remarquer que si le pays et si le gouvernement abandonnent leur position traditionnelle en faveur du pouvoir discrétionnaire des juges et de l'équité, mon travail ne devrait pas être de présenter des études au comité. Cependant, le gouvernement devrait être en mesure de dire pourquoi il abandonne cette position. Je n'ai pas encore vu d'études affirmant que les peines minimales obligatoires ont un meilleur effet dissuasif que les autres types de peines.

Le sénateur Demers : Merci d'être des nôtres ce matin. J'ai vécu 21 ans aux États-Unis. Je ne suis pas avocat, mais j'ai des amis. Aux États-Unis, la justice semble plus sévère, j'en conviens. Sauf votre respect, je pense que les peines sont parfois ridicules. Les victimes semblent avoir moins de liberté de manœuvre que le délinquant. Les sentences sont souvent trop clémentes. Un ivrogne qui, dernièrement, a été arrêté 15 fois pour ivresse au volant sera enfin puni après avoir fait une victime. Une de nos artistes, dont je tairai le nom, a été agressée par son imprésario quand elle avait de 8 à 12 ans. Elle est maintenant totalement perturbée pour le reste de sa vie pendant que lui joue au golf. Faute de temps et parce que je respecte celui du sénateur Eggleton, je me bornerai à ce seul exemple. Savons-nous ce que nous faisons? Quelqu'un est-il à l'écoute? D'après moi, c'est une farce. Les prisonniers qu'on libère, je le sais parce qu'on m'a invité à prononcer des conférences dans des prisons, mènent une plus belle vie que les victimes. C'est tout ce que j'ai à dire.

Le président : Avez-vous une courte observation à faire?

M. Spratt : La conduite en état d'ébriété est un crime grave; 15 arrestations, c'est déplorable; or, il existe des peines minimales obligatoires pour les deuxième, troisième et quatrième infractions. Il est évident qu'elles n'ont pas donné de résultats.

Le sénateur Hubley : Monsieur Spratt, je reviens à votre principale objection contre les peines minimales obligatoires, c'est-à-dire qu'elles limitent le pouvoir discrétionnaire des juges. Vous avez mentionné que vous aimeriez faire des observations sur les détails pratiques de ces peines et sur le pouvoir discrétionnaire que peuvent ensuite exercer les procureurs de la Couronne ou la police. Pourriez-vous mettre en évidence les problèmes susceptibles de découler de la limitation du pouvoir discrétionnaire des juges, du fait des peines minimales obligatoires, et nous dire lesquels, en raison de détails pratiques, pourraient être repris à un autre niveau du système juridique? Pourriez-vous faire des observations ou donner d'autres exemples?

M. Spratt : Le meilleur exemple que je peux donner sur les peines minimales obligatoires et le pouvoir discrétionnaire de la Couronne réside dans l'honorabilité des procureurs de la Couronne. Ils font un bon travail. J'ai des rapports quotidiens avec eux. M. Chaffe me suit. J'ai comparu devant des comités avec lui, et il n'y a pas de meilleure personne avec qui discuter.

Cependant, il faut éviter de retirer aux juges leur pouvoir discrétionnaire et de le confier à des personnes sur qui nous n'avons aucun contrôle judiciaire. Le meilleur exemple vient des crimes commis avec des armes à feu. Pour un vol qualifié commis avec une arme à feu, la peine minimale obligatoire est de quatre ans. Bien sûr, quand on commet ce crime, on peut être accusé de beaucoup d'autres choses — possession d'arme à feu, voies de fait — des infractions qui peuvent ne pas être passibles des mêmes peines minimales obligatoires.

Très souvent, la Couronne exercera son pouvoir discrétionnaire et ne prouvera pas que l'arme était une arme à feu. On s'accordera à dire que c'était une imitation d'arme à feu, ce pour quoi la peine minimale obligatoire est moindre. Le délinquant qui souhaite reconnaître la responsabilité de son crime mais qui, peu importe la raison, ne supporte pas l'idée de passer quatre années en prison y trouve son compte (peine écourtée, prise en considération de circonstances personnelles atténuantes).

Dans ce cas, on l'incite à se décider, ce qui est louable, parce que quatre années peuvent ne pas convenir. En même temps, nous faisons confiance aux procureurs de la Couronne pour qu'ils exercent un pouvoir discrétionnaire sur les chefs d'accusation à retenir et les preuves à fournir. Encore une fois, ces personnes sont honorables, mais, en même temps, il semble ironique d'accorder un pouvoir discrétionnaire à un procureur de la Couronne, qui échappe au contrôle judiciaire, et de le retirer au juge, qui lui, y était assujetti. Il se produira une inévitabilité. À mon avis, la société devrait éviter de s'engager dans cette voie.

Le président : Sur cette note, je vous remercie, au nom du comité, pour votre exposé et vos commentaires.

M. Spratt : Merci beaucoup.

Le président : Nous accueillons maintenant Jamie Chaffe, président de l'Association canadienne des juristes de l'État, depuis avril 2008. Avant cela, il a poursuivi une carrière distinguée à l'Ontario Crown Attorneys' Association, dont il a été le président pendant un certain temps.

Jamie Chaffe, président, Association canadienne des juristes de l'État : Merci. Je serai extrêmement bref dans mes remarques liminaires. J'espère pouvoir aider le comité sur cette question très intéressante. Merci beaucoup d'avoir invité notre association, l'ACJE.

Notre organisation est constituée de procureurs de la Couronne et de civilistes employés par la Couronne, dans l'administration fédérale et celle de chacune des provinces. Ces organisations membres représentent les procureurs de première ligne dans chaque province, au Service fédéral des poursuites pénales du Canada et au ministère de la Justice.

L'ACJE représente au niveau national les intérêts de ces procureurs auprès de leurs ministères respectifs de la Justice et auprès du système judiciaire en général. Ses observations sur un projet de loi sont apolitiques, non partisanes, comme il convient à son rôle d'agent quasi judiciaire dans le système judiciaire canadien. Nous ne dirons pas d'un projet de modification de la loi qu'il est le reflet d'une bonne ou d'une mauvaise politique. Nous nous efforcerons plutôt de donner un aperçu de ses répercussions systémiques probables, sur le terrain, d'après le point de vue d'un procureur de première ligne. Nous sommes convaincus que ce point de vue est indispensable à votre travail de législateur.

Pendant la préparation de ces exposés, nous avons sondé chaque association provinciale et fédérale de procureurs de la Couronne sur ses opinions et sur les conséquences probables du projet de loi C-268. Nous avons essayé d'analyser et de prévoir ses répercussions sur des aspects concrets de l'exercice quotidien du droit dans le système canadien de justice pénale.

Le projet de loi C-268 institue de nouvelles peines minimales d'emprisonnement pour les personnes inculpées en vertu des articles du Code criminel s'appliquant à la traite de personnes. Tous les ressorts sont d'avis que, dans la mesure où ces accusations seront portées, et il semble qu'elles seront portées plus souvent, ces peines réduiront le nombre de plaidoyers de culpabilité à ces chefs d'accusation et augmenteront le taux de litige.

Nous prévoyons aussi que le projet de loi C-268 augmentera la charge de travail à l'étape de l'audience de détermination de la peine. Que nos procureurs auront du travail à faire également en matière d'appels, parce que l'on contestera la constitutionnalité des nouvelles dispositions.

À l'instar des autres modifications du Code criminel qui ont consacré de nouvelles infractions, de nouvelles peines minimales obligatoires et de nouvelles procédures pour la désignation du statut de délinquant dangereux, le projet de loi C-268 augmentera sensiblement le nombre de procès et diminuera celui des plaidoyers de culpabilité. C'est important pour les ressorts déjà surchargés de travail et où il s'écoule passablement de temps entre le dépôt de l'accusation et le procès.

Le projet de loi C-268 peut aboutir à un ajustement nécessaire de la peine et de son prononcé. Dans les ressorts surchargés de travail, les procureurs de la Couronne et les juges d'avant procès peuvent très bien offrir des allègements de peines ou la déjudiciarisation aux délinquants accusés d'autres infractions, pour remédier au manque de capacité provoqué par cette nouvelle charge de travail.

Lorsque de telles pressions se feront sentir, les procureurs de la Couronne devront désengorger les tribunaux et ils y parviendront probablement en soustrayant les affaires concernant des infractions non violentes aux tribunaux, habituellement des infractions contre les biens. Faute de mieux financer la justice pour la doter d'une infrastructure suffisante, à l'appui de ce projet de loi — j'entends plus de procureurs, de tribunaux, de juges et d'agents de probation, de libération conditionnelle et de correction — ces nouvelles dispositions représentent une nouvelle orientation du système de justice pénale qu'il faudra nécessairement provisionner aux dépens des poursuites contre d'autres infractions criminelles.

Le président : Vous avez dit que cela augmenterait la proportion d'inculpés subissant un procès; qu'il y aura moins de plaidoyers de culpabilité; qu'on en demandera davantage à un système déjà surchargé et qu'il faudra plus d'argent. Je comprends votre point de vue, mais qu'en est-il de la sécurité publique?

Je pense qu'un grand nombre de gens demandent la protection du public, sans égard à la sanction; la question de la sécurité du public entre en ligne de compte pour déterminer s'il est approprié d'imposer des peines plus lourdes. Est-ce que les peines minimales obligatoires permettent d'accroître la sécurité du public?

M. Chaffe : Je crois qu'avec l'ajout de peines minimales obligatoires, il faut réévaluer les ressources limitées dont dispose le système de justice pénale en fonction des accusations qui nécessiteront du temps au tribunal. Nous ne sommes pas en mesure de commenter le bien-fondé des politiques qui entourent la promulgation des lois. Ce que nous essayons de dire, c'est qu'en raison des peines minimales obligatoires, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, les ressources limitées seront nécessairement consacrées aux accusations qui comportent des peines minimales. Pour y parvenir, il faut absolument désengorger le système, qui est fermé et limité, en faisant le tri des autres accusations afin de dégager du temps pour celles passibles de peines minimales.

Je ne suis pas certain d'avoir répondu en respectant l'esprit de votre question, mais je dois être prudent et ne pas commenter les politiques. Permettez-moi de vous expliquer un peu mieux notre rôle. Les procureurs de la Couronne partout au pays pourraient être en désaccord avec une politique — à savoir si une loi est judicieuse —, mais ce n'est pas tout. Nous avons un rôle tout à fait particulier à jouer au sein du système de justice pénale. Nous avons une fonction quasi judiciaire. Notre obligation primordiale est de veiller à ce que justice soit faite. Nous avons fait le serment de défendre la primauté du droit, et c'est notre rôle. Une autre obligation fondamentale des procureurs de la Couronne consiste à assurer la mise en vigueur des lois. Quand une loi fédérale en justice pénale est adoptée, c'est à nous de la mettre en application.

Au quotidien, un procureur examine au tribunal la liste des procès ou bien celle des poursuites dont il est responsable au cours du mois à venir. Il est pris en sandwich entre les dossiers prioritaires et les dossiers pour lesquels il doit désengorger le tribunal. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres intervenants dans le système de justice pénale qui soient plus sensibles que nous au problème de sécurité du public dont vous avez parlé. Notre grand défi consiste à trouver une solution avec les ressources limitées dont nous disposons.

Le président : Le projet de loi ne prévoit pas davantage de ressources. Quelles sont les conséquences si vous n'en obtenez pas d'autres? Est-ce que certains individus ne seront pas poursuivis — dispose-t-on d'une période limitée pour les traduire en justice, après quoi ils seront libérés puisque le système est engorgé? Qu'arrivera-t-il si vous ne recevez pas de fonds additionnels?

M. Chaffe : Je ne dirais pas que les individus accusés d'avoir commis ce genre d'infractions seraient libérés. Les peines minimales obligatoires feraient en sorte qu'il y ait un procès. Il serait moins probable que l'avocat et le prévenu présentent un plaidoyer de culpabilité.

Les procès pour ce genre d'infractions en particulier sont très difficiles pour les procureurs de la Couronne. Les témoins sont jeunes et, souvent, ils ont subi un stress consécutif à un traumatisme — et certainement un stress tout court. Les procureurs sont aux prises avec des problèmes d'interprétation et de traduction. Certains témoins présentent des troubles de mémoire. Si une victime s'est prostituée contre son gré, la crédibilité qui entre habituellement en ligne de compte dans un cas ordinaire sera ébranlée.

Le président : Le projet de loi semble allonger le processus. Même s'il ne permet pas la libération d'une personne qui ne l'aurait pas été autrement, le processus sera probablement long et compliqué. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Chaffe : Les poursuites sont très difficiles dans ces dossiers; rappelons-nous qu'il n'y a pas beaucoup de cas devant les tribunaux à l'heure actuelle, peut-être à peine 32. Entre 2007 et 2008, 13 accusations d'exploitation sexuelle ont été portées en vertu des anciennes dispositions. Cela représente une infime fraction des accusations auxquelles les procureurs travaillent, mais il semble que ce nombre augmente relativement vite.

Aujourd'hui, nous avons entendu parler de certains individus qui, aux yeux du public, s'en tirent à bon compte avec des peines légères. D'ailleurs, nous en entendons constamment parler. Cette perception alimente la crainte que des individus ayant commis des actes terribles s'en tirent à bon compte.

Il semble qu'on ne nous donne jamais les raisons pour lesquelles un juge décide d'imposer une peine plus courte que celles auxquelles d'autres juges auraient pensé. Pourquoi? Est-ce une question de manque de transparence, ou est-ce plutôt parce que les juges se fient à la moyenne? S'il existe des raisons d'imposer une peine plus courte, pourquoi ne pas en informer le public, qui pourrait mieux comprendre les peines qui semblent parfois être affreusement courtes?

M. Chaffe : J'imagine que chaque cas est différent, mais je comprends l'esprit de votre question. Le public assistant à n'importe quel procès au pays entendrait les raisons pour lesquelles une peine en particulier a été imposée. Il comprendrait que les juges essaient souvent de tenir compte des faits en fonction des lignes directrices sur la détermination de la peine dans chaque cas. Avant de déterminer une peine pour un cas en particulier, le juge évalue ce qui est approprié ou non.

Depuis au moins les 15 dernières années, il est de plus en plus évident que les organismes chargés des poursuites judiciaires et les tribunaux doivent être désengorgés pour pouvoir se pencher sur les infractions les plus violentes parmi celles qui doivent être jugées. Cet engorgement s'explique en grande partie par le manque chronique de fonds du système de justice pénale. Il faut prévoir du temps pour ces cas. Puisque les tribunaux sont engorgés, nous devons inévitablement trier les cas non prioritaires qui entraîneront une négociation de plaidoyers, probablement principalement dans les cas d'infractions contre les biens.

Le sénateur Plett : Vous avez dit que votre objectif principal, c'est que justice soit faite. Tous les sénateurs seraient probablement d'accord pour dire que c'est également notre objectif, et nous devons choisir la direction à suivre pour y arriver.

Je fais partie de la vieille école qui ne se soucie pas de l'auteur du crime, mais plutôt de la victime. Je crois que c'est un moyen de s'assurer que les victimes obtiennent en quelque sorte réparation des crimes épouvantables dont ils ont été la proie.

On ne répare pas quelque chose qui n'est pas brisé. Toutefois, je crois que le cas d'Ève démontre que la loi actuelle ne fonctionne pas. Il est inacceptable qu'un individu comme Imani Nakpangi passe seulement un peu plus d'un an en prison. Il faut faire quelque chose.

J'ai énormément de respect pour vous et pour le travail que vous accomplissez, mais je dois vous dire que je ne me soucie guère de la charge de travail. Savoir que nos tribunaux sont engorgés ne m'intéresse pas. Le plus important, c'est de s'assurer que nous faisons ce qu'il faut pour les victimes.

Je peux facilement vous dire d'engager plus d'avocats si vous n'en avez pas suffisamment, ou bien de trouver davantage de fonds. Si les tribunaux deviennent plus engorgés qu'ils ne le sont à l'heure actuelle, peut-être que ce sera à nous ou à d'autres intervenants d'obtenir davantage de fonds.

Aussi, on nous répète sans cesse qu'on ne peut mettre plus d'individus en prison puisqu'elles sont surpeuplées. Qu'est-ce que ça peut bien faire? Ajoutez une, deux ou trois couchettes dans les cellules. Le sénateur Demers a parlé plus tôt des conditions qui existent dans certaines de nos prisons. Nous ne sommes pas ici pour nous inquiéter des individus qui ont la vie dure en prison.

Si la charge de travail est trop importante, il faudra peut-être faire avancer certains de ces dossiers un peu plus rapidement. Nous avons entendu un témoin spécialiste du domaine de la défense avec le premier groupe d'experts. À mon avis, tout le monde est débordé notamment à cause de la façon dont les avocats de la défense peuvent faire traîner les choses. C'est peut-être simpliste comme explication.

Je n'ai aucune question à vous poser. Je n'avais que ces commentaires à formuler. Je me soucie seulement des victimes. Les auteurs de crimes ne sont pas importants à mes yeux. Les tribunaux et la trop grande charge de travail des avocats, ça m'est égal, tout comme notre propre surcharge de travail.

Je me soucie de toutes les Ève de ce monde. Je pense que le projet de loi permet aux victimes d'obtenir un début de compensation pour ce qu'elles ont subi. Je serais ravi d'entendre vos commentaires à cet égard, mais je n'ai aucune question en particulier.

M. Chaffe : À mon avis, le système de justice pénale n'est pas vraiment compliqué. Comme tout système, sa capacité est limitée. Aucun procureur de la Couronne au Canada n'a peur de travailler dur. Mes collègues partout au pays sont nombreux à travailler d'arrache-pied pour donner leur 100 p. 100 et plus encore.

Cependant, tout système a sa limite. Lorsque cette limite est atteinte ou dépassée, les législateurs doivent faire attention aux lois qu'ils rédigent. Si le système manque de ressources pour mettre les lois en application, vous en verrez les conséquences.

Les législateurs sont aux prises avec cette réalité. Le système de justice pénale manque chroniquement de fonds. Disons que nos installations de production ne nous permettent pas de fabriquer suffisamment de voitures. Si vous voulez que nous fabriquions beaucoup de bonnes voitures, nous aurons besoin de bien plus de chaînes de production que les trois ou quatre dont nous disposons. L'infrastructure du système de justice pénale doit pouvoir soutenir le genre de lois que vous rédigez actuellement. C'est extrêmement important si l'unique objectif est d'obtenir des résultats.

En ce qui concerne les prisons, on ne peut évidemment pas se contenter d'ajouter des lits superposés. À cause des mesures législatives qui ont été adoptées, on se retrouve actuellement avec trois ou quatre prisonniers par cellule. Toutefois, cela ne règle pas le problème fondamental du nombre insuffisant d'installations.

Les procureurs de la Couronne au pays vous diront qu'il est essentiel que les mesures législatives que vous rédigez soient soutenues par des ressources suffisantes.

Le sénateur Plett : Je tiens à répéter que j'ai un très grand respect pour votre travail. Je n'ai aucunement voulu insinuer que vos collègues et vous ne travaillez pas d'arrache-pied. Je suis bien conscient de l'ampleur de vos tâches. En quelque sorte, il nous incombe sans doute de vous aider à obtenir davantage de financement pour engager le personnel dont vous avez besoin afin de poursuivre votre bon travail. Merci.

M. Chaffe : Je n'avais pas interprété votre commentaire de cette façon, sénateur.

Le sénateur Eaton : Nous avons entendu à plusieurs reprises que le trafic et l'exploitation d'enfants sont des types de crimes plutôt récents que nous ne connaissons pas encore bien, mais je crois qu'ils ont toujours existé. On en parlait tout simplement moins auparavant qu'aujourd'hui.

En tant que procureur de la Couronne, ne voudriez-vous pas insister sur la gravité d'un crime comme l'exploitation sexuelle ou le travail forcé d'un enfant? Les peines minimales obligatoires indiquent clairement au système judiciaire que ces crimes sont graves. Il faudrait considérer ces infractions au même titre qu'un meurtre au second degré et un homicide involontaire, qui sont des crimes graves, et leur accorder autant de temps.

M. Chaffe : Les procureurs de la Couronne prennent vraiment ces crimes au sérieux. Toutefois, puisqu'on n'a pas encore atteint une masse critique de poursuites, il n'existe pas beaucoup de dispositions législatives concernant la détermination de la peine dans ces cas.

Je ne veux pas commenter le bien-fondé des peines minimales obligatoires.

Le sénateur Eaton : Je ne vous demande pas de le faire. Je parle plutôt de l'optique; si elles existent, les peines minimales obligatoires obligent les procureurs de la Couronne à leur donner autant d'importance, par exemple, que l'homicide involontaire du sénateur Dyck ou le meurtre au second degré du sénateur Eaton. On ne peut pas simplement banaliser ce genre d'affaire parce qu'il s'agit d'un enfant ou d'une jeune femme autochtone de 17 ans.

M. Chaffe : Je doute que la mesure législative change beaucoup le point de vue des procureurs de la Couronne. Les faits sont éloquents. Ce sont des crimes haineux. Je m'attends à ce que les procureurs de la Couronne qui se trouvent devant ces faits essaient d'obtenir des peines sévères.

Je ne suis pas prêt à commenter l'optique, mais je peux vous dire que les procureurs de la Couronne ont quotidiennement affaire avec des crimes graves. Nous essayons très fort d'augmenter les ressources des tribunaux de sorte qu'on puisse traduire en justice les auteurs de crimes haineux. Aux yeux de tous, les crimes dont il est question aujourd'hui en font évidemment partie.

Le sénateur Eaton : J'ai probablement mal employé le mot « optique ». Ce que je voulais dire, c'est que le fait que le public prend vraiment ces crimes au sérieux frappe l'imagination des tribunaux. Jusqu'à maintenant, cela n'avait pas été le cas. Il se peut que les procureurs de la Couronne aient pris ces crimes au sérieux, mais cela ne semble pas s'être traduit dans les quelques décisions qui ont été rendues.

M. Chaffe : Je ne suis pas prêt à commenter les décisions des tribunaux, en particulier sans connaître les faits.

Le sénateur Eaton : M. Spratt a parlé de la réadaptation des délinquants sexuels. Quel en est le taux de réussite en prison?

M. Chaffe : Je ne connais pas les statistiques. Je sais qu'il existe différentes catégories de délinquants sexuels.

Le sénateur Eaton : J'aurais cru qu'un procureur de la Couronne aurait une idée des chances de réadaptation avant de demander une peine.

M. Chaffe : Si les circonstances le justifiaient, je m'attendrais à ce que l'individu passe une sorte d'évaluation psychiatrique pour déterminer de quel genre de délinquant il s'agit, et si, dans son cas, la réadaptation est possible ou non selon les traitements psychiatriques d'aujourd'hui. Nous aurions certainement accès à ce genre d'information pour les crimes graves.

Le sénateur Eaton : Il n'existe donc aucune statistique?

M. Chaffe : Je suis certain qu'il y en a, mais je ne les ai pas sous la main.

Le sénateur Martin : J'essaie de me concentrer sur la réalité et sur votre façon de voir les choses plutôt que de vous demander votre avis sur de trop nombreuses conjectures, mais j'ai tout de même une question hypothétique.

Vous avez mentionné que les cas de trafic de mineurs et d'exploitation sexuelle présentaient un grand défi en raison du bas âge des victimes et parce qu'elles ont peut-être perdu la mémoire ou subi un traumatisme. Vous essayez d'obtenir le soutien de la famille ou d'autres personnes. Ce sont des cas difficiles, vu la nature clandestine de ce genre de crimes.

En vertu des lois actuelles, c'est-à-dire sans les peines minimales obligatoires ni le projet de loi C-268, est-ce difficile de traduire les responsables devant les tribunaux? Vous avez dit que les peines minimales obligatoires garantissaient que les accusés subissent un procès; mais à l'heure actuelle, compte tenu des difficultés relatives à ces cas, est-ce dur d'obtenir un procès?

M. Chaffe : Nous n'avons pas énormément d'expérience avec les cas de trafic humain. J'ai appris hier par l'entremise d'un témoin qu'il y avait maintenant, au total, 32 cas devant les tribunaux au Canada. Ces cas figurent parmi les poursuites les plus difficiles. Nous avons affaire à des enfants de moins de 18 ans qui ont vécu une situation extrêmement pénible. Bien souvent, les victimes auront besoin des services d'interprètes et de traducteurs puisqu'elles ne parlent pas la langue utilisée par le poursuivant ou le tribunal. Les organismes d'aide aux témoins et les procureurs de la Couronne devront considérablement les aider à bien se préparer pour témoigner. Elles auront besoin de soutien pour vivre au Canada pendant le procès. Il est aussi probable qu'elles aient besoin d'un soutien psychologique en raison du traumatisme qu'elles ont vécu. Si elles ont subi un grand stress au cours de l'infraction, elles pourraient bien présenter des troubles de la mémoire, un problème courant chez les enfants lors de tout évènement, et plus particulièrement lors d'un traumatisme.

Je viens de vous énumérer des difficultés à l'égard de la victime seulement. Si l'on considère la poursuite en général d'un point de vue juridique, il faudra mener de vastes consultations auprès du corps de police qui songe à porter des accusations. Les ressources policières sur le terrain sont limitées. Je crois que la GRC dispose de six centres régionaux et de 160 agents qui sont en mesure d'examiner ce genre de cas. Sinon, il faut consulter les autres forces policières au pays qui pourraient avoir affaire à ce genre d'infraction.

Culturellement, les témoins dans ce genre d'affaires sont souvent réticents à parler aux autorités, selon leur pays d'origine. Ils pourraient ne pas vouloir témoigner volontairement.

Ce sont des poursuites très difficiles qui exigent beaucoup de main-d'œuvre. Le simple recours à un interprète pour les délibérations a pour effet de doubler la durée de temps passé devant le tribunal.

Et les problèmes ne se limitent pas aux seules considérations de main-d'œuvre. Ce sont des dossiers difficiles à monter. Cela étant dit, il existe déjà dans le Code criminel des dispositions qui nous aident à composer avec les enfants victimes. Au chapitre du droit de la preuve, des améliorations ont été apportées pour faciliter le dépôt de déclarations devant le tribunal lorsque les témoins sont réticents à comparaître.

Tout le monde devrait bien comprendre qu'il s'agit de cas extrêmement difficiles qui exigent une grande quantité de ressources. Plus nous sommes saisis de cas semblables, plus nos ressources sont accaparées. Il faut seulement s'imaginer toutes les ressources nécessaires pour intenter de telles poursuites. Les forces policières sont grandement mises à contribution, tout comme les services de soutien aux victimes-témoins et les autres services en matière de poursuite. Ces efforts ne sont couronnés de succès que si les ressources suffisantes peuvent être déployées. Nous avons besoin d'une formation et d'une expertise en la matière et il nous faudrait aussi davantage de temps à consacrer aux cas semblables, ce qui est souvent la principale difficulté.

Le sénateur Martin : Les représentants de la GRC qui ont témoigné hier devant notre comité ont indiqué que les 34 cas dont les tribunaux ont été saisis mettent tous en cause des Canadiens. Vous avez parlé de victimes qui s'expriment dans une autre langue, mais avez-vous une idée du nombre d'autres cas qui n'ont pas pu être portés devant le tribunal en raison des difficultés dont vous faites état?

Dans le contexte des nombreuses facettes de ce très important problème de traite de personnes et du défi global qu'il représente, ce projet de loi constitue une étape importante, mais nous savons pertinemment qu'il n'est pas une fin en soi; c'est l'amorce de bien d'autres mesures que notre pays doit prendre en collaboration avec plusieurs partenaires. Quelques-uns de ces partenaires importants sont d'ailleurs venus nous parler hier.

Vous avez dit que vous étiez actuellement à la limite de vos capacités et qu'en l'absence de peines minimales, bon nombre de ces dossiers ne seraient même pas soumis aux tribunaux en raison des difficultés à surmonter. Vous avez énormément de travail de préparation à faire. L'imposition de peines minimales nous garantit tout au moins qu'il y aura procès. Est-ce que je dénature vos propos?

M. Chaffe : Je ne crois pas. Désolé de vous avoir interrompue.

Le sénateur Martin : Dans un monde idéal, si nous devions nous donner les capacités requises, est-ce que cela garantirait qu'il y aurait un procès dans tous les cas?

M. Chaffe : S'il est plus probable que ces causes se retrouvent effectivement devant le tribunal, c'est que très peu d'inculpés vont plaider coupable s'ils s'exposent à une peine de cinq ou six ans. D'après notre expérience dans les différentes régions du pays, ils vont plutôt courir le risque de subir un procès. Compte tenu de la vulnérabilité des victimes, c'est souvent un risque qu'ils vont être enclins à courir. La peine sera-t-elle plus lourde s'ils sont reconnus coupables? Est-ce que le témoin va tenir bon devant le tribunal? Est-ce que la Couronne sera en mesure de produire une preuve suffisante pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable? Il y a moins de chances qu'un inculpé plaide coupable à des accusations semblables si une peine minimale s'applique.

Vous ne devriez pas nécessairement vous préoccuper des difficultés associées à la préparation de ces causes pour la poursuite, mais soyez assurés que nous nous employons à faire tout ce qu'il faut.

Le sénateur Champagne : Je m'efforce de canaliser toute l'information que nous avons obtenue au sujet de ce projet de loi au cours des derniers jours pour arriver à mieux comprendre la situation.

À un moment donné, on nous a dit de faire confiance aux juges. Ils vont imposer les peines qui conviennent. Vous n'avez pas besoin de peines minimales. Remettez-vous-en aux juges.

Vous nous dites qu'en l'absence d'une peine minimale, certains criminels vont plaider coupable en espérant s'en tirer avec une peine moins lourde. Vous faites valoir également qu'il peut être difficile de prouver la culpabilité d'une personne devant le tribunal.

Pourquoi en arrivons-nous à de telles considérations? Les citoyens qui nous entourent, les gens dans la rue sont favorables à l'imposition de peines minimales. Si l'on considère que le temps d'incarcération du prévenu avant son procès compte en double, une personne trouvée coupable d'une infraction contre un enfant ou une très jeune femme sur une période de deux, trois ou cinq ans, peut se retrouver avec une peine d'un an, voire d'une semaine; elle n'a qu'à purger le sixième de sa peine et elle est libérée; ou est-ce le cinquième? Je ne suis pas avocate, comme vous pouvez le constater. Je sais par contre que les choses se passent ainsi.

Nous en sommes rendus à un point où nous, c'est-à-dire Monsieur et madame Tout-le-monde, avons besoin d'une peine minimale, sans quoi les coupables vont recouvrer leur liberté et pourront recommencer leurs méfaits. Quelqu'un a proposé hier cinq coups de fouet par semaine aux coupables pendant leur année d'incarcération. En tant que procureur de la Couronne, ne souhaitez-vous pas obtenir un verdict de culpabilité et convaincre le juge d'imposer une peine très sévère aux criminels qui s'en prennent aux enfants? N'est-ce pas la raison pour laquelle les gens réclament la peine minimale?

M. Chaffe : Je ne crois pas pouvoir répondre à cette question. Je ne prétends pas être en mesure de vous dire ce que les gens pensent du système de justice pénale.

Le sénateur Champagne : Sonder l'opinion des gens, cela fait partie de notre travail.

M. Chaffe : Je suis persuadé que vous êtes à l'écoute des citoyens bien plus que je puis l'être. Cependant, d'après ce que j'ai appris du système de justice pénale, les peines suivent les méfaits. Lors d'une audience de détermination de la peine, le procureur et le juge doivent d'abord et avant tout être capables de produire une preuve suffisante pour justifier la peine visée. Les procès coûtent cher. L'obtention des éléments de preuve également.

Le sénateur Champagne : Au sein de notre société, il y a aussi des coûts importants pour des jeunes comme ma petite- fille qui risquent de se retrouver dans une situation où elles sont victimes de la traite. Les coûts moraux et financiers sont également énormes.

M. Chaffe : Je suis d'accord.

Le sénateur Champagne : Comme l'indiquait le sénateur Plett, le coût n'est pas un motif suffisant pour renoncer à une peine minimale. Est-ce que le coût financier est la principale raison pour laquelle vous préconisez ou espérez que le projet de loi C-268 ne devienne pas l'une des lois de notre pays?

M. Chaffe : Nous ne prenons pas position au sujet de ce projet de loi. Nous essayons d'aider le comité à mieux comprendre les répercussions concrètes pour les procureurs sur le terrain. Nous prévoyons ne pas être capables de négocier un plaidoyer dans ce contexte. Nous devrons aller devant les tribunaux. À l'issue du procès, nous réclamerons la peine qui s'impose.

La frustration que je perçois dans vos propos — comme c'est souvent le cas avec les groupes représentant les victimes — est sans doute symptomatique d'un système de justice pénale qui ne dispose tout simplement pas des ressources nécessaires pour exercer la justice de la façon dont les gens seraient en droit de s'attendre. C'est peut-être aussi un symptôme d'une connaissance insuffisante du fonctionnement du système, des faits et de la teneur des lois canadiennes pour la détermination des peines. Je me laisse aller à des supputations plutôt risquées et je suppose que les dirigeants de nos organisations membres partout au pays sont un peu inquiets de m'entendre ainsi m'engager dans cette voie.

Je ne crois pas être en mesure de vous aider quant à la source des frustrations dont vous êtes saisie. J'ai mon opinion personnelle, mais je ne suis pas ici pour en débattre.

Le sénateur Champagne : Je ne sais plus trop quoi penser quand les procureurs de la Couronne et les criminalistes s'opposent de concert aux peines minimales. Vous ne l'avez pas affirmé en ces termes-là, je sais, mais j'ai nettement l'impression que vous nous dites : « Êtes-vous bien sûrs de vouloir emprunter cette voie? » Je m'inquiète du très peu d'enthousiasme que ce projet de loi semble susciter de part et d'autre.

M. Chaffe : Je ne voudrais pas que vous interprétiez à tort l'exposé que je vous ai présenté. Si vous deviez en retenir quelque chose, ce serait que nous aurons besoin des ressources suffisantes pour appliquer ces nouvelles dispositions législatives si elles sont adoptées. C'est ce dont nous avons besoin.

Le sénateur Dyck : Merci pour votre exposé, monsieur Chaffe. Nous nous penchons sur une question extrêmement délicate. Nous nous préoccupons tous du sort des victimes de la traite des personnes. Nous recevons tous un grand nombre de lettres et de courriels de citoyens de tout le pays qui s'inquiètent de la traite des mineurs. Leurs préoccupations vont presque toutes dans le sens de la traite à des fins d'exploitation pour le commerce du sexe.

Je me demande si en imposant des peines minimales obligatoires, nous rendons vraiment justice aux victimes de la traite pour les fins du commerce du sexe. Il semble bien que c'est en ce sens que se définissent tous les cas qui se sont produits jusqu'à maintenant au Canada. Est-il équitable de leur accorder le même traitement qu'aux personnes qui sont victimes de la traite pour d'autres types de travail forcé? Pouvez-vous nous dire si vous croyez que ces crimes sont suffisamment similaires pour justifier une peine identique?

M. Chaffe : Je suis persuadé que nous pouvons tous penser à des circonstances où il ne semble pas y avoir concordance entre la situation vécue et la peine imposée. Selon le libellé proposé, il semblerait que toutes les formes de travail forcé seraient visées. Dans le cadre du système de justice pénale, on cherche à imposer la peine juste et appropriée en fonction des faits reprochés. Il va de soi qu'une partie de ce pouvoir discrétionnaire s'évanouit avec l'application d'une peine minimale obligatoire. Je ne crois pas pouvoir vous en dire bien davantage.

Le sénateur Dyck : On nous a également fait valoir hier qu'il était difficile de prouver qu'une personne s'est rendue coupable de vivre des produits de l'exploitation d'un mineur à des fins de prostitution. Est-ce que l'infraction prévue dans le cadre du projet de loi C-268 serait plus facile à prouver?

M. Chaffe : Tout dépend vraiment des faits dans les différentes causes. Je peux imaginer certaines circonstances où cela serait plus facile et d'autres où ça le serait moins. C'est vraiment une question à déterminer au cas par cas.

Le sénateur Dyck : D'une manière générale, vous ne pouvez pas affirmer qu'il serait plus difficile de prouver qu'une personne a vécu des fruits de la prostitution d'un mineur que de produire la preuve de l'infraction prévue en application du projet de loi C-268. Rien ne garantit que cette nouvelle infraction serait plus facile à prouver?

M. Chaffe : Il ne fait aucun doute que le projet de loi C-268 est d'application plus large. La définition qu'on y donne de l'exploitation semble permettre des interventions plus étendues relativement à certains faits. Je crois que je pourrais être d'accord si c'est bien ce qu'on a essayé de faire valoir hier. Il est bien évident que c'est plus vaste que le seul fait de vivre des fruits de la prostitution.

Le sénateur Dyck : Vous avez souligné ce matin que l'imposition d'une peine minimale obligatoire peut en fait rendre les choses plus pénibles pour la victime en l'obligeant à comparaître devant le tribunal. Si la personne plaide coupable à une accusation moins grave, la victime n'aurait pas nécessairement à comparaître?

M. Chaffe : S'il y a plaidoyer de culpabilité, la victime n'a pas à témoigner. La poursuite produit alors une déclaration sur les répercussions sur la victime, mais c'est l'un des facteurs pris en considération par les procureurs pour évaluer la solidité de leur dossier. Les tribunaux en tiennent également compte lorsqu'ils étudient les circonstances atténuantes pour la détermination de la peine. Un inculpé peut ainsi réduire sa peine en n'imposant pas le fardeau d'un procès criminel à la victime qui évite ainsi un moment plutôt désagréable, c'est le moins que l'on puisse dire.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Chaffe, le témoin qui vous a précédé — et je sais que vous avez entendu son témoignage — nous a remis un mémoire. Il nous y propose quelques modifications dont nous n'avons pas pu discuter en sa présence. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. La première concerne une échéance pour l'examen de la loi. Il indique que la loi devrait faire l'objet d'un examen, dans cinq ans peut-être, pour voir si elle produit vraiment les résultats escomptés.

M. Chaffe : Je ne suis pas sûr de pouvoir me permettre de formuler des commentaires à ce sujet.

Le sénateur Callbeck : Vous allez peut-être me répondre la même chose au sujet de la deuxième modification proposée. Il s'agit d'une clause de dérogation possible. Autrement dit, le juge aurait la possibilité de ne pas s'en remettre aux peines minimales prévues dans certains cas exceptionnels.

M. Chaffe : Je ne vais pas vous être très utile à ce propos non plus. Je crois toutefois que la Cour suprême s'est prononcée au sujet de dispositions semblables. Je ne me souviens pas de quelle décision il s'agissait exactement, mais la Cour suprême du Canada a eu à trancher relativement à une contestation constitutionnelle touchant les peines minimales obligatoires. Si je ne m'abuse, elle a fait droit aux allégations voulant que des exceptions de la sorte aillent à l'encontre des objectifs de la loi.

Je ne saurais vous en dire davantage, car il y a déjà un bon moment que j'ai pris connaissance de cette décision. Il y a toujours le risque que je fasse erreur à ce sujet. Si je peux retrouver la cause en question, je me ferai un plaisir de la transmettre au comité. Sinon, je ne crois pas pouvoir beaucoup vous aider.

Le sénateur Plett : Vous avez répété à quelques reprises que vous n'étiez pas ici aujourd'hui pour vous prononcer en faveur ou à l'encontre de ce projet de loi. Comme votre rapport ne fait pas ressortir beaucoup d'éléments favorables au projet de loi, j'en déduirais que vous ne l'appuyez certainement pas.

M. Chaffe : C'est une déduction que je ne ferais pas. Nous essayons simplement de faire valoir les répercussions qu'auraient sur notre travail les mesures législatives proposées.

Le sénateur Plett : Le sénateur Martin vous a déjà posé la question sans obtenir de réponse et peut-être que ce sera la même chose pour moi. Si nous pouvions disposer des ressources, des fonds et de tous les procureurs nécessaires — je sais que tout cela est hypothétique — et si ces éléments ne posaient pas problème, seriez-vous un peu plus favorable à ce projet de loi?

M. Chaffe : Je m'objecte à l'idée que nous devions absolument être pour ou contre ce projet de loi.

Le sénateur Plett : Seriez-vous favorable au projet de loi?

M. Chaffe : Il faudrait que je soumette la question à toutes nos organisations membres au pays. J'aurais tendance à croire qu'on me répondrait qu'il y aurait peu de répercussions systémiques sur le travail des procureurs si nous disposions effectivement des ressources requises. Sénateur Plett, comprenez bien ce que j'essaie de vous dire. Les répercussions ne se feraient pas nécessairement ressentir sur les poursuites découlant de ce projet de loi. Cela toucherait notre capacité d'intenter des poursuites en vertu de toutes les autres dispositions du Code criminel que nous devons écarter du système de justice pénale pour faire de la place aux cas de traite de personnes. C'est ce que j'essaie de faire valoir ici. Si nous nous en tenons à notre principe de commenter uniquement les impacts systémiques, il n'y en aurait pas beaucoup si les ressources étaient suffisantes.

Le sénateur Plett : Vous avez indiqué que les peines minimales obligatoires allaient assurément faire grimper le nombre de procès; les tribunaux seront saisis d'un plus grand nombre de causes parce qu'il vous sera impossible de négocier des plaidoyers. Je crois pourtant que vous pourriez tout de même le faire. Vous pourriez faire valoir à l'inculpé que s'il ne plaide pas coupable, vous allez demander une peine de 10 ans plutôt que 5, ce qui pourrait certes l'inciter à y penser à deux fois.

M. Chaffe : C'est une tactique que je pourrais utiliser dans un cas particulier, mais si je m'en tiens à des commentaires généraux sur ce projet de loi, je ne veux pas vraiment vous répondre à ce sujet.

Le sénateur Plett : C'était juste une observation de ma part. Merci beaucoup.

Le président : Permettez-moi une autre question. Selon ce que vous nous dites, il y a dans certaines causes plaidoyer de culpabilité en échange d'une peine qui peut être négociée par exemple à deux ans, mais si la peine minimale est fixée à cinq ans, il deviendrait plus probable — mais pas inévitable, selon ce que vient de nous dire le sénateur Plett — qu'il y ait un procès en bonne et due forme.

La différence, c'est que dans le cas d'une négociation de plaidoyer, la victime n'a pas à se présenter devant le tribunal et à vivre une situation extrêmement pénible. Mais en l'absence d'une entente, lorsque l'inculpé estime qu'il peut s'en tirer ou éviter la peine de cinq ans, la victime est obligée de comparaître. Selon vous, c'est alors plus risqué en raison de facteurs psychologiques, de considérations linguistiques et de différents autres éléments qui entrent en jeu, comme les trous de mémoire. Est-ce que cela résume bien ce que vous nous avez dit à ce propos?

M. Chaffe : Non. La négociation de plaidoyer est un exercice très difficile auquel nous devons nous livrer quotidiennement. Il s'agit d'utiliser judicieusement les pouvoirs dont nous disposons en tant que procureurs de la Couronne, tant dans les pourparlers entre avocats que dans les discussions avec les juges préalablement au procès.

Bien des facteurs entrent en ligne de compte quand vient le temps de négocier un plaidoyer. Il faut notamment qu'il existe une possibilité raisonnable de condamnation. Le procureur doit aussi se demander si l'intérêt public exige qu'il y ait poursuite. Bien évidemment, pour déterminer s'il y a une possibilité raisonnable de condamnation, il faut prendre en compte toutes les failles possibles dans le dossier de la Couronne, notamment quant à la solidité des témoins et à leur capacité de témoigner en cour. Pour toute négociation de plaidoyer, il y a une pléthore de facteurs à considérer.

Quand je parlais de risques, j'essayais de me mettre à la place du prévenu. C'est une bonne façon d'analyser l'impact d'une loi. Il s'agit de gérer les risques que vous encourez lorsqu'on vous accuse de quelque chose. Quelles sont mes meilleures chances de m'en tirer? Je me retrouve dans cette situation; si je plaide coupable, j'aurai une peine de cinq ans. Est-ce que je veux courir le risque? Est-ce que je veux risquer, sur un coup de dés, de me voir imposer après un procès une peine encore plus lourde, en misant sur la possibilité que la Couronne ne soit pas en mesure d'établir la preuve hors de tout doute raisonnable?

Pour ce qui est des incitatifs à plaider coupable ou non, je crois que les peines minimales ont un impact considérable dans l'esprit de l'inculpé. D'après notre expérience, il y aura moins de négociations de plaidoyer et davantage de procès.

Le président : Monsieur Spratt, le témoin qui vous a précédé, a indiqué qu'il faisait confiance au système judiciaire. Il a dit que tout n'était pas parfait, mais qu'il y avait des procédures d'appel. Partagez-vous sa confiance à l'égard de notre système judiciaire?

M. Chaffe : Oui, j'estime que notre pays peut compter sur une excellente magistrature, mais nos juges doivent composer avec le même ensemble limité de ressources que tous les autres intervenants du système judiciaire. Il est important que votre comité comprenne bien que tout système souffrant d'un sous-financement chronique va nécessairement produire des résultats aberrants. Et ces résultats peuvent miner la confiance du public envers le système judiciaire.

Les procureurs, les avocats de la défense et les juges sont sans doute les acteurs les plus connus de notre système de justice pénale. Ils doivent composer quotidiennement avec ces ressources très limitées. J'estime que les juges, tout particulièrement, font un excellent travail avec les ressources à leur disposition.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Chaffe, de nous avoir présenté aujourd'hui les points de vue de votre organisation. Ces informations utiles nous aideront certes à prendre une décision concernant le projet de loi C-268. Nous allons poursuivre notre étude de ce projet de loi mercredi prochain. Ce sera peut-être la dernière séance qui y sera consacrée.

(La séance est levée.)


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