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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Témoignages du 2 juin 2010


OTTAWA, le mercredi 2 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans), se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel et prévoyant une peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de 18 ans.

Nous accueillons deux groupes de témoins aujourd'hui; nous passerons moins de temps avec le deuxième groupe, qui se compose de deux personnes provenant d'un seul et même organisme. Nous allons passer 15 ou 20 minutes avec ce groupe-là, de façon à pouvoir commencer l'étude article par article du projet de loi à la fin.

Le premier groupe compte deux personnes. John Winterdyk est directeur du Centre for Criminology and Justice Research. Il a déjà dirigé le département des études de justice de la Mount Royal University, à Calgary. Il est titulaire d'un baccalauréat spécialisé en psychologie de l'Université Wilfrid Laurier et d'un doctorat en criminologie de l'école de criminologie de l'Université Simon Fraser.

Son travail est axé sur les jeunes contrevenants, la théorie criminologique, les dimensions biosociales de la criminalité, la criminologie comparée et la justice pénale. Il a publié de nombreux écrits concernant la théorie criminologique, les jeunes à risque, le service correctionnel et les questions liées à la justice pénale.

Nous accueillons par vidéoconférence, depuis Vancouver, Benjamin Perrin, professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université de Colombie-Britannique. M. Perrin est chargé de cours au Liu Institute for Global Issues. Le droit criminel canadien et international, le droit humanitaire international et la traite de personnes figurent parmi les sujets d'intérêt de son enseignement et de sa recherche.

M. Perrin est fondateur du Future Group, organisation non gouvernementale qui lutte contre la traite des êtres humains et travaille auprès des victimes à l'étranger, prête assistance aux poursuites extraterritoriales et réalise des recherches d'intérêt public sur la question.

Bienvenue à vous deux. Je vais commencer par le témoignage par vidéo et demanderai à chacun d'entre vous de présenter une déclaration préliminaire d'environ sept minutes, après quoi nous entamerons un débat avec le comité.

Benjamin Perrin, professeur adjoint, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup; merci de me permettre de me joindre à vous aujourd'hui par le truchement de la vidéoconférence.

Pour plusieurs raisons, ce projet de loi présente un caractère historique : premièrement, le seul fait qu'un projet de loi émanant d'un député ait cheminé jusqu'à votre comité témoigne, vous le savez très bien, de l'importance de la question en jeu. Ce projet de loi particulier tire son origine des discussions que j'ai eues avec celle qui parraine ce dernier à la Chambre, la députée Joy Smith. Le tout a commencé avec des recherches que nous venons d'achever ici même à UBC, soit une étude de trois ans consistant en une analyse globale de la traite des personnes au Canada. Dans le cours de l'étude, j'ai interviewé des travailleurs sociaux et des policiers travaillant sur la ligne de front. Dans certains cas, j'ai rencontré aussi des victimes et « survivants ». Nous avons obtenu l'accès à des milliers de pages sous le régime des lois sur l'accès à l'information.

Nous allons publier notre étude en octobre. Nombre des cas dont je vais vous parler aujourd'hui n'ont jamais été révélés au grand jour. Essentiellement, il s'agit de dire qu'il y a bel et bien une traite des êtres humains au Canada. C'est une entreprise criminelle systématisée qui bafoue les droits de la personne, et c'est une chose qui se fait dans toutes les grandes régions du pays.

Contrairement à certains mythes et stéréotypes, la traite des personnes ne se résume pas simplement à l'histoire de ressortissants étrangers que des éléments criminels organisés font venir au Canada pour les exploiter. C'est un élément de la traite de personnes, mais il y a aussi les hommes, les femmes et les enfants étrangers qui sont amenés au Canada pour y être exploités sexuellement à des fins commerciales dans divers établissements de travail forcé.

Depuis plusieurs années, nous prenons conscience de la traite des mineurs organisée en vue de leur exploitation sexuelle au Canada même. C'est le phénomène troublant qui est à l'origine du projet de loi. Nous parlons de victimes canadiennes. Généralement, ce sont des adolescentes qui sont recrutées de manière systématique et impitoyable par des criminels, des gangs de rue et des réseaux vaguement affiliés.

Je donnerai brièvement quatre exemples pour décrire l'enjeu et pour faire voir au comité toute l'ampleur du phénomène devant lequel se trouvent nos forces policières et les raisons pour lesquelles les services de police nous exhortent à adopter ce projet de loi.

Il y a eu en Colombie-Britannique l'histoire d'une fille de 14 ans qu'on a attirée et recrutée grâce à Facebook. On l'a amenée à Victoria. Un garçon qu'elle prenait pour son « ami de coeur » a recouru à la force et à des menaces pour l'obliger à se prostituer dans la rue.

Nombre d'entre vous connaissent déjà l'affaire d'Imani Nakpangi. L'affaire a débouché sur la première condamnation pour traite de personnes. C'est l'histoire de deux mineures vendues sur Craigslist. Nakpangi a recouru à une force physique abusive, proféré des menaces contre la victime et ses êtres chers et fait appel à de nombreuses autres méthodes pour exercer son emprise sur les victimes.

Les trafiquants ont fait usage de tatouages et d'autres procédés pour marquer les victimes. Nakpangi a écrit son nom en encre indélébile sur le cou d'une de ses victimes. La fille, une jeune sans-abri recrutée à l'âge de 15 ans, s'est retrouvée sous son emprise pendant deux ans et demi. Il a gagné 360 000 $ en vendant la jeune femme, que nous appelons Ève pour dissimuler son identité. Ces années-là lui sont perdues à jamais. Dans sa déclaration à titre de victime, elle a parlé des cauchemars qu'elle faits. Essayant de se rétablir, elle mène une vie horrible. Heureusement, de bons policiers ont pu faire enquête sur l'infraction en question et faire condamner son trafiquant.

Malheureusement, la peine que M. Nakpangi aura à purger en rapport avec ce chef d'accusation — la traite d'un être humain — sera inférieure au temps pendant lequel il a exploité la victime. Quelle que soit notre façon d'aborder la question, cela illustre crûment que la peine initiale pour le trafic d'enfants au Canada est nettement inférieure aux attentes de nombreuses personnes et, fait plus important, inférieure aux normes internationales.

Une autre affaire illustre la fausse distinction que font souvent des gens dans les débats sur la question entre la traite à des fins sexuelles et le travail forcé. Souvent, ces formes d'exploitation sont combinées. Pendant nos recherches, nous avons découvert le cas d'une fille de 16 ans de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Amenée au Canada pour travailler comme gardienne d'enfants, elle s'est retrouvée essentiellement en état de servitude domestique — contrainte à travailler de longues heures, privée de ses papiers d'identité, et exploitée physiquement et sexuellement la nuit venue. S'il fallait analyser son cas, on dirait qu'elle était victime de la traite des personnes à des fins de travail forcé le jour et d'exploitation sexuelle la nuit. Ses exploiteurs n'ont jamais eu à répondre de leurs actes.

Il y a même eu une victime de 11 ans qu'on a interceptée au moment où elle entrait au Canada en compagnie de quelqu'un qui se faisait passer pour un de ses parents. Une enquête a révélé qu'elle était destinée à être exploitée.

Enfin, il y a une affaire qui s'est produite à quelques rues, littéralement, d'où vous vous trouvez, à Ottawa. Laura Emerson rôdait dans les refuges pour femmes à la recherche de mineures qu'elle pouvait exploiter et qu'elle gardait sous son emprise physiquement, par des moyens violents. Notamment, elle enfermait ses victimes dans le coffre d'une voiture. Elle battait ses victimes, les forçait à consommer du crack et les menaçait si elle s'apercevait qu'elles voulaient s'enfuir. Pour s'enfuir, une victime en particulier s'est précipitée dans les eaux glaciales de la rivière Gatineau. Laura Emerson l'a ramenée en la traînant par les cheveux.

Nous savons que les victimes recrutées sont d'abord et avant tout des mineures. Tandis que vous entendez parler de traite en vue de l'exploitation sexuelle d'adultes et de mineurs, n'oubliez pas que bon nombre des victimes que nous voyons en tant qu'adultes ont été recrutées, ciblées et exploitées d'abord en tant que mineures.

Qui sont les trafiquants? Partout au pays, les forces policières ont commencé à les identifier. Il s'agit notamment de gangs de rue violents comme les Halifax's North Preston's Finest, de Halifax, les Ledbury Banff Crips d'Ottawa, auxquels Laura Emerson et son associé masculin auraient été affiliés, et les gangs haïtiens Bloods et Crips du Grand Toronto.

Les policiers nous disent que ce sont des personnes armées et dangereuses. Les agents se font dire de ne pas les aborder s'ils les aperçoivent. Je vous poserai quant à moi la question suivante : comment voulez-vous qu'une fille de 14, 15 ou 16 ans échappe à l'emprise de tels personnages? Comment croyez-vous qu'une personne peut avoir la confiance nécessaire pour témoigner devant le tribunal là où, dans certains cas, ces trafiquants sont libérés une semaine seulement après avoir été condamnés?

L'affaire qui a vraiment illustré la nécessité du projet de loi C-268 est celle de Michael Lennox Mark. C'est la première fois où quelqu'un a été condamné pour traite des personnes au Québec. La victime était une Canadienne de 17 ans contrainte à la prostitution. Son trafiquant a plaidé coupable et a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans, peine extraordinairement peu rigoureuse pour un crime grave et violent de cette nature. Il a eu droit à un crédit double pour une année de détention avant le procès et a fini par purger une semaine d'emprisonnement une fois condamné. On ne devrait pas s'étonner de savoir que cette jeune Canadienne de 17 ans a refusé de lire sa déclaration de victime devant le tribunal lorsqu'elle a appris que son exploiteur serait libre une semaine plus tard.

Essentiellement, les services policiers s'inquiètent profondément du fait que les tribunaux n'ont pas reconnu la gravité de l'infraction en question ni sa nature systématique. J'ai deux documents à présenter au comité aujourd'hui. J'ai signé dans l'Alberta Law Review, un article qui expose en détail les raisons pour lesquelles le projet de loi C-268 est compatible avec nos obligations juridiques internationales. Fixer l'âge à 18 ans concorde avec la Convention relative aux droits de l'enfant, que le Canada a ratifié, le Protocole facultatif concernant la vente d'enfants et le Protocole de Palerme, comme on l'appelle, soit le protocole de l'ONU contre la traite des personnes. Le Canada a déjà convenu du fait que 18 ans est l'âge en deçà duquel il faut prévoir une protection supplémentaire par des lois.

Parmi les documents supplémentaires que vous avez devant vous, citons un rapport du Service canadien de renseignements criminels intitulé Le crime organisé et la traite intérieure des personnes au Canada. C'est littéralement un appel à l'aide. Publié en août 2008, le document souligne à l'intention des services policiers qu'il s'agit d'une entreprise systématique menée à l'échelle du pays.

Essentiellement, le projet de loi C-268 vise à dénoncer cette conduite, à isoler les auteurs de méfait de la société. Le législateur y reconnaît le caractère extrême de l'infraction en question.

Je terminerai en faisant la lecture d'un paragraphe d'un guide qui m'a été remis par un service policier et un groupe de victimes. Publié sur Internet, le guide en question montre aux trafiquants comment attirer et recruter les victimes en vue de leur exploitation sexuelle au pays. C'est le travail de préparation qui est décrit :

Tu commences à la vêtir, à penser à sa place, à la posséder... Si vous avez des relations sexuelles, ralentissez la cadence. Après les relations sexuelles, allez faire des courses avec elle et achetez-lui un article. Si elle veut une nouvelle coiffure ou se faire faire les ongles, c'est très bien. Elle commencera à ressentir un sentiment d'accomplissement.

Après un mois, remplace les courses par de l'argent comptant. Remplace l'amour par des baises crues. Elle commencera à être en manque d'intimité et sera prête à faire des efforts pour revenir dans tes bonnes grâces.

Après avoir brisé son esprit, tu verras qu'elle n'a plus d'estime de soi. Là tu deviens le maquereau, tu mets un prix à l'article que tu as fabriqué.

Pour conclure, les trafiquants ont un plan en tête. Ils sont impitoyables. Ils tirent un revenu énorme de la traite. Nos lois actuelles ne les obligent pas à répondre de leurs actes. Je vous exhorte à adopter le projet de loi C-268 rapidement et sans modification.

John Winterdyk, directeur, Center for Criminology and Justice Research, Mount Royal University, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de me permettre de venir ici aujourd'hui. Je serai bref. Je ne suis pas avocat; je suis spécialiste des sciences sociales. J'aborderai cette question d'un point de vue un peu différent. Évidemment, je déplore toute forme de traite des personnes, qu'elle touche les mineurs ou les adultes, sous quelque forme que ce soit.

Cependant, à titre de spécialiste des sciences sociales, je vous exhorte à vous demander si le simple fait d'adopter une loi punitive produira un effet dissuasif marqué. Fondamentalement, le Code criminel et toute forme de punition reposent sur le principe de la dissuasion générale ou spécifique.

Fixer à cet égard une norme minimale concorde avec les protocoles des Nations Unies et s'accorde avec ce que font d'autres pays. À titre d'illustration, voyez l'article de M. Perrin à propos des États-Unis et, dans une certaine mesure, mon propre mémoire. Cependant, il n'y a pas de preuve de l'utilité de la dissuasion générale ou spécifique à cet égard. Je conviens du fait que le Canada doit agir pour régler le problème, mais, d'abord, nous ne saisissons pas l'ampleur véritable du phénomène. Selon les estimations, l'industrie vaut entre 12 et 32 milliards de dollars et fait entre 600 et plusieurs milliers de victimes, selon la source que vous consultez. Si nous voulons agir, nous devons comprendre la motivation sous-jacente de la traite des personnes et ses causes. Selon la région étudiée, par exemple les pays des Balkans ou de la côte du Pacifique, les motifs de recrutement ont tendance à être très différents. La peine dissuasive pouvant aller de cinq à 14 ans et jusqu'à la perpétuité, la connotation est tout à fait différente d'un cas à l'autre.

J'encourage le comité à prendre en considération un autre facteur lorsqu'il envisage de fixer une sanction minimale : la mesure dans laquelle l'auteur de l'infraction reconnaît la pénalité ou y prête même attention. Les crimes commis par ailleurs, par exemple en lien avec la guerre aux drogues, la guerre au terrorisme et pratiquement toute autre forme de criminalité nous le montrent : la plupart des criminels ne songent pas aux conséquences d'une peine minimale à recevoir étant donné que moins de 1 p. 100 des infractions comme la traite des personnes sont détectées ou signalées, ou les deux. Les principes sous-tendant la dissuasion sont la certitude, la célérité et la sévérité.

M. Perrin donne d'excellents exemples d'individus qui ont tiré des revenus exorbitants de la traite, mais subi des sanctions essentiellement inconséquentes pour avoir été pris. Il est peu probable qu'un autre trafiquant observe cela ou y prête même attention, directement ou indirectement. Par exemple, mes recherches m'ont permis de constater que la plupart des jeunes ne se considèrent pas comme étant à risque d'être appréhendés. Qu'on fixe le minimum à rien ou à cinq ans ou encore à 10 ans, la mesure dissuasive ne sera pas efficace chez le délinquant opportuniste.

Nous devons exprimer publiquement le fait que nous n'allons pas tolérer les actes du genre. Il faut réunir les énergies et les ressources nécessaires pour comprendre les trafiquants et les victimes et aménager en première ligne les mesures de soutien qui s'imposent pour y arriver. À cet égard, nous venons, un collègue et moi, d'achever une étude portant sur la capacité de sécurité à la frontière canadienne, là où il s'agit de repérer et d'identifier les arrivants au pays. Il s'agit d'une étude comparative confrontant les États-Unis et le Canada. Les résultats sont catastrophiques. À l'ASFC, l'agent moyen ne connaît aucune des techniques d'identification, de reconnaissance ou d'intervention utiles lorsqu'on a affaire à des gens qui arrivent ainsi au pays. Voilà un exemple qui est simple.

Si le projet de loi va de l'avant, je propose que, en sus de la sanction minimale, certains des produits du crime commis soient réinvestis dans la prévention et des interventions dans les pays d'origine, de transit et de destination, pour favoriser la compréhension et l'éducation. De cette façon-là, nous aborderions le problème d'une manière collective, plutôt que de penser que le fait d'apporter cette modification au Code criminel produira des résultats marqués. J'arrive tout juste des Balkans.

Le président : Je remercie les deux témoins de l'exposé qu'ils ont présenté.

Je passe à la période de questions. Indubitablement, nous devons agir pour contrer ces horribles crimes. J'en suis sûr, nous sommes tous d'accord sur l'idée de les prévenir, au départ, plutôt que de réagir une fois le méfait commis. Nous sommes d'accord pour dire que les gens qui commettent ces crimes devraient recevoir une sanction appropriée. Je ne suis pas convaincu du fait que les minimums obligatoires soient une solution au problème ou que les minimums obligatoires aient un effet dissuasif.

À notre dernière rencontre, l'Association canadienne des juristes de l'État nous a dit que ce projet de loi se traduirait par un nombre moindre de plaidoyers de culpabilité, si le minimum de cinq ans est à l'origine d'un plus grand nombre de causes. Or, si l'appareil judiciaire est submergé, le temps qu'il faut pour arriver au procès sera plus long, ce qui veut dire que la mémoire des gens, y compris celle des victimes, commence à défaillir. Dans certains cas où il y a de tels retards, la victime est contrainte de revivre le crime devant le tribunal, ce qui a un effet traumatisant. Auparavant, l'État pouvait se concerter avec le tribunal en vue de négocier le plaidoyer. Je sais que ce n'est peut-être pas la mesure la plus appréciée chez les gens, mais n'oubliez pas que chaque affaire comporte des circonstances particulières. On ne peut simplement dire que tout cela revient au même.

Les deux avocats venus témoigner à la dernière rencontre ont exprimé la confiance qu'ils faisaient à l'appareil judiciaire. Ce n'est pas tout le monde qui fait entièrement confiance à l'appareil judiciaire, mais n'oubliez pas que celui- ci comprend des juges, qui instruisent les affaires, et un processus d'appel dont l'État peut se prévaloir s'il tient la peine accordée pour trop légère.

Nous ne recevons pas beaucoup d'information quant aux raisons pour lesquelles les peines en question semblent être tout à fait éloignées de ce qu'elles devraient être. Il est difficile d'imaginer en quoi on peut aboutir à une peine d'une semaine ou deux ou encore d'un an ou deux. Parfois, l'histoire qui nous est relatée est incomplète. Dans quelques-uns des cas mentionnés, il y a eu d'autres chefs d'accusations portés et d'autres peines imposées. Les peines étaient consécutives dans certains cas, donc c'était non pas une semaine après tout, mais plutôt plusieurs années. Il y a aussi la question de savoir pendant combien de temps l'accusé a été détenu avant le procès. Bien sûr, si ce projet de loi est adopté, les avocats de la Couronne feront détenir les gens sur une plus longue période étant donné que les accusés plaideront coupables, en raison de la peine minimale.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez tous les deux. La peine minimale obligatoire est-elle une mesure qui s'impose? Ne devrions-nous pas nous concentrer davantage sur la prévention? Ne devrions-nous pas chercher d'autres façons de réduire le nombre d'horribles crimes ainsi commis?

M. Perrin : Je note que six questions distinctes ont été soulevées. Je vais les aborder une à une. D'abord, il y a la question de savoir si le projet de loi C-268 et les minimums obligatoires sont efficaces comme facteurs de dissuasion, de manière générale. Cela nous renvoie à un des arguments principaux de M. Winterdyk. Les documents législatifs de la Chambre à ce sujet et l'article que j'ai signé moi-même sur la question montrent que le raisonnement principal du projet de loi C-268 ne repose pas sur l'idée de dissuasion générale. Il s'articule plutôt autour d'autres principes reconnus de détermination de la peine, dont la dénonciation, l'isolement du délinquant de la société et la protection des victimes. Ce projet de loi applique les principes déclinés. J'inverserai la question en vous disant qu'il n'y a pas de preuve de l'effet de dissuasion générale des peines minimales obligatoires. Je dirai au comité qu'il existe des preuves concrètes du fait que la façon dont nos tribunaux déterminent actuellement la peine manque tout à fait à la tâche s'il s'agit de protéger les victimes et d'obliger les trafiquants à répondre de leurs actes.

Deuxièmement, pour ce qui est d'un nombre moindre de plaidoyers de culpabilité, je vous dirais que la charge de travail excessive pour la Couronne dans de nombreuses provinces, ce qui renvoie à un champ de responsabilité provinciale, représente un problème distinct qu'il faut chercher à régler, tout comme la question de la formation des juges à propos de cette question. Je suis d'accord avec les mesures évoquées. J'appuie sans réserve d'autres propositions de M. Winterdyk, par exemple l'accroissement des activités de prévention, et il y a eu des appels en faveur d'un plan d'action national. Le projet de loi C-268 n'est pas trop ambitieux. Il cible un élément précis du problème et il a le mérite d'exister, ici maintenant, devant vos yeux. Je vous exhorte à l'adopter, car ce serait un élément efficace d'un plan plus vaste. Si le comité souhaite approfondir la question et appuyer les collègues qui cherchent à élaborer une stratégie nationale, je serai tout à fait heureux de travailler avec vous à un tel projet. Par contre, voici le projet de loi que vous avez devant les yeux aujourd'hui.

Je ne considère pas comme efficace une peine d'emprisonnement de deux ans imposée à la suite d'un plaidoyer de culpabilité si la personne finit par passer seulement une semaine en prison. Comme le dossier le montre, c'est ce qui s'est passé dans le cas de Michael Lennox Mark. Il n'y avait pas d'autres accusations portées contre lui, et il a été relâché dans la semaine. Nous ne souhaitons pas encourager des plaidoyers de culpabilité de ce genre, et c'est pourquoi nous établissons ces peines minimales au départ.

roisièmement, l'expérience traumatisante vécue par les victimes lorsqu'elles sont appelées à témoigner devant un tribunal est tout à fait une question dont il faut tenir compte aussi. Le projet de loi C-49 a été adopté pour traiter des infractions d'ordre général concernant la traite des personnes, alors que le projet de loi C-268 y tient lieu de complément en créant des sanctions plus sévères là où la victime a moins de 18 ans. Heureusement, le projet de loi C-49 a servi à instaurer toute une série de mesures de protection de la victime, par exemple, la protection de son identité face au public, notamment au moment de témoigner par lien vidéo, et plusieurs autres mesures aussi. On a donc mis en place des mesures pour donner aux victimes la confiance nécessaire pour témoigner.

Quatrièmement, il y a la foi en l'appareil judiciaire et le fait que nous devrions simplement faire confiance aux juges. J'aimerais lire une citation. Le passage est tiré d'un ouvrage intitulé Rapport et recommandations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution. C'est l'oeuvre du groupe de travail fédéral-provincial-territorial ayant étudié la question. Le passage a trait à une question liée à la traite des personnes en vue de leur exploitation sexuelle. Les auteurs se penchent sur la peine minimale de cinq ans prévue au paragraphe 212(2.1) du Code criminel, soit l'infraction grave qui consiste à vivre des produits de la prostitution d'une personne de moins de 18 ans; les auteurs du rapport formulent l'observation suivante, que les provinces et le gouvernement fédéral ont appuyée par la suite :

[...] il est difficile d'imaginer un cas pour lequel la peine minimale ne serait pas appropriée [...] Cette mesure témoigne réellement de la répugnance de la société envers les crimes de ce genre en imposant une peine qui correspond à la gravité de l'offense. La protection du public et le dégoût exprimé par le public devant un tel comportement sembleraient exigent que la peine minimum à purger dans un établissement correctionnel soit fixée par la loi et non par les autorités judiciaires et administratives.

De manière générale, il est reconnu que la nature extrême de l'exploitation des enfants justifie une intervention législative. Nous avons établi des peines minimales obligatoires dans le cas du meurtre, de l'homicide involontaire commis avec une arme à feu, de la possession de pornographie infantile et d'infractions liées aux drogues. Certains d'entre vous sont peut-être en accord, ou en désaccord, avec cela. Par contre, la mesure conçue contre le type de conduite dont il est question ici, la traite d'un enfant, bénéficie d'appuis nettement plus vastes et est nettement plus justifiée.

M. Winterdyk : La notion de dénonciation est intéressante elle aussi. Pour connaître la perception de la dénonciation, il faut savoir qui entend le message. Le public a déjà cette activité en horreur. Essentiellement, que vous envoyiez ou non le message aux auteurs de l'infraction importe peu, si on songe au grand nombre de personnes dont il est question. L'estimation la plus prudente chiffre à 600 le nombre de personnes qui font l'objet de la traite tous les ans; disons donc qu'il y a un délinquant auteur de l'infraction pour chacune des personnes en question. En regard de cela, le nombre d'affaires qui se retrouvent devant les tribunaux est lamentable.

Nous savons déjà que l'appareil judiciaire est surchargé de travail et qu'il est en train de s'effondrer sur lui-même du fait des coûts engendrés. Nous devons comprendre que la traite des personnes correspond à ce que j'ai qualifié de « dis- ease », en anglais, dans diverses publications. Je mets le trait d'union entre « dis » et « ease » pour laisser entrevoir non seulement les problèmes psychologiques qui se manifestent, mais aussi le problème social, les déséquilibres économiques qui existent dans le monde et ici même au Canada et qui permettent qu'il y ait exploitation. Quelle que soit la façon dont les gens se retrouvent dans une telle situation, le législateur ne peut régler tous les problèmes que je viens d'évoquer.

S'il s'agit de dire au public ou aux auteurs de l'infraction en question que nous allons prendre la chose au sérieux, il existe d'autres façons de prendre la chose au sérieux. Les lois se sont révélées être un merveilleux outil, mais si on veut se pencher sur l'efficacité du Code criminel, il faut voir que son volume a triplé depuis le tournant du dernier siècle, mais la criminalité ne décline pas. Nous devons nous attaquer aux problèmes d'ordre général liés à la société et à la traite des personnes et, comme M. Perrin l'a fait remarquer, il s'agit non pas seulement d'un problème international, mais aussi d'un problème canadien. Quant aux auteurs des infractions au Canada même, si nous examinons la situation des trafiquants et non pas seulement celle des victimes, nous verrons qu'ils souffrent beaucoup eux aussi du mal évoqué : « dis-ease ». Si nous ne sommes pas en mesure de les aider, le simple fait de modifier le Code criminel ne fera pas disparaître le problème.

Comme nous le savons tous, ce n'est pas en raison d'un parfait état de santé physique et psychologique que la plupart de délinquants se retrouvent en milieu correctionnel. Ils y sont parce que plus de 60 ou 80 p. 100 d'entre eux se débattent avec des problèmes sociaux, économiques et de santé mentale.

Le sénateur Plett : Monsieur Winterdyk, vous avez laissé entendre que nous ne savons pas si les peines minimales portent vraiment fruit et que la preuve de leur efficacité n'est pas faite. En réalité, si nous n'essayons pas une chose, nous ne saurons jamais si elle porte fruit ou non. Nous n'avons pas de peines minimales obligatoires en ce moment. Or, le système que nous avons en ce moment ne fonctionne visiblement pas, comme M. Perrin l'a dit.

Je crois que nous devons punir l'auteur de l'infraction, d'abord et avant tout. À mes yeux, et j'ai peut-être quelques réserves en disant cela, l'aspect dissuasif passe en second lieu, après, à mon avis, la punition elle-même. En réalité, le fait de se trouver emprisonné est excellent pour dissuader quelqu'un de s'adonner à la traite des personnes. Le délinquant s'adonnera peut-être à un trafic quelconque à l'intérieur des murs de la prison, mais il ne vendra pas d'enfants dans la rue s'il est en prison. Voilà qui est en soi un excellent moyen de dissuasion.

Je me soucie d'abord et avant tout de protéger la victime. Vous avez tout à fait raison, monsieur, de dire que les Lennox Mark de ce monde et les Imani Nakpangi de ce monde ont visiblement des problèmes terribles. Je n'en doute pas pour un instant. Peut-être serait-il même possible de leur venir en aide, mais c'est une aide qu'ils doivent recevoir derrière les barreaux d'une prison, là où ils ne peuvent faire de mal à des enfants innocents. Comme M. Perrin l'a dit, Imani Nakpangi tatouait et marquait ses victimes pour leur laver le cerveau, pour qu'elles deviennent un autre Imani Nakpangi dans la rue.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Winterdyk : il ne faut pas opter pour les peines minimales de cinq ans, il faut opter pour des peines minimales de 10 à 15 ans. Je voudrais certainement que ces gens se retrouvent en prison beaucoup plus longtemps. Comme je l'ai dit, s'ils se trouvent en prison, ils ne s'adonneront pas à la traite des personnes.

Je suis d'accord avec l'excellente observation que vous avez faite en disant que les produits de ces crimes horribles devraient servir à aider les victimes et non pas à aider les auteurs de l'infraction. Certes, je suis tout à fait d'accord avec cette observation.

Notre président a fait remarquer que quelques avocats venus témoigner la semaine dernière n'étaient pas d'accord avec les peines minimales obligatoires. Je tiens à rappeler au comité que le groupe que nous avons reçu, une journée ou deux avant, Statistique Canada, le ministère de la Justice et la GRC — je me trompe peut-être dans tous les cas —, mais j'ai certainement l'impression qu'ils étaient tous d'accord avec l'idée des peines minimales obligatoires. Je ferais valoir que ce sont quatre groupes qui appuient les peines minimales obligatoires contre deux qui les rejettent. Certes, je suis d'accord avec les groupes qui les appuient.

Le président se demandait si nous entendions tout ce qu'il y avait à dire sur le sujet. Je ne crois pas que ce soit le cas. Je crois certainement qu'il y en a beaucoup que nous n'avons pas entendu. Pour être franc, je ne veux plus entendre parler de Lennox Mark et d'Imani Nakpangi. Si je n'ai pas la bonne attitude, je m'en excuse, mais je ne me soucie pas de ces personnes-là au point où nous en sommes. Je me soucie des Ève de ce monde et de la fille de 17 ans qui a été violée maintes et maintes fois. Encore une fois, la prévention consiste à garder l'auteur de l'infraction en prison.

Pour certaines des questions en jeu, le système judiciaire ne m'inspire pas beaucoup de confiance, mais je vous rappellerai que je ne crois pas que ce soit forcément la faute du juge chaque fois. C'est la faute du système. Les avocats qui ont témoigné la semaine dernière ont parlé de tous les plaidoyers négociés. Heureusement, nous nous sommes débarrassés du fiasco du « deux pour un ». C'est une mesure extraordinairement positive. Ça ferait seulement que Lennox Mark se retrouverait avec une peine de 24 mois plutôt que 12, ce qui est encore insuffisant.

Je vous remercie tous les deux de la contribution que vous avez apportée au débat aujourd'hui, mais je dois dire une chose, et je ne voudrais jamais que les gens disent qu'il faudrait opter pour un scrutin secret... tout de même, comme quelqu'un me l'a dit un jour, il ne te reste plus grand-chose à cacher, Don. Tout le monde sait quel sera mon vote en rapport avec ce projet de loi particulier, et j'espère certainement que tout le monde va faire de même.

Si vous avez des observations à faire à propos de mes observations à moi, n'hésitez pas. Je n'ai pas posé de questions; j'ai plutôt formulé un certain nombre d'observations.

M. Winterdyk : Je comprends la gravité de l'affaire, je crois que nous comprenons tous cela. En fin de compte, j'entends ce que j'assimile à un processus réactif. Oui, les auteurs des infractions doivent répondre de leurs actes, mais si nous n'intégrons pas à la mesure cette notion de dissuasion, ils auront des successeurs pour s'occuper de la traite des personnes. D'amples recherches démontrent que là où un message n'est pas envoyé dans la collectivité générale, il n'a pas d'effet d'entraînement et n'atteint pas les futurs délinquants. Si vous souhaitez simplement punir les auteurs d'infraction que vous parvenez à identifier, à appréhender et à contraindre à une peine, très bien. Cependant, qu'allons- nous faire de tous les nouveaux délinquants qui prennent le relais?

Si vous jetez un oeil à la documentation, vous verrez qu'avec les mesures que nous adoptons et les mesures que la communauté internationale adopte, les délinquants eux-mêmes adoptent des mesures de leur côté. Auparavant, nous nous occupions seulement de la traite des personnes à l'échelle internationale. Maintenant, du fait des mesures de sécurité instaurées à la frontière, la traite intérieure des personnes devient un problème. Comme c'est toujours le cas, le crime tend à évoluer dans la mesure où les auteurs estiment que la sanction n'est pas efficace.

M. Perrin : Je veux mettre fin à ce faux débat sur la dissuasion. Ce que les données démontrent, et ceci est absolument vrai, c'est que la dissuasion générale passe par un accroissement des mesures de répression, une meilleure éducation du public et une sensibilisation accrue aux cas où des gens sont arrêtés pour avoir commis une infraction et tenus de répondre de leurs actes.

L'élément clé que semblent oublier tous ceux qui affirment que le projet de loi C-268 n'aura pas d'effet dissuasif, c'est que, quelle que soit l'ampleur des mesures de répression adoptées, quel que soit le degré de conscientisation du public auquel on arrive, si la loi permet toujours que le délinquant n'ait à passer qu'une semaine en prison après avoir été condamné, cela n'aura d'effet dissuasif sur personne.

J'entends souvent des propos mutuellement exclusifs du genre de la part de ceux qui ont des réserves à propos de ce projet de loi. Je leur dirais que le projet de loi fait partie de la solution au problème et que nous ne devrions pas tomber dans le piège du dicton qui dit que le mieux est l'ennemi du bien. Certes, je suis tout à fait d'accord avec l'instauration d'un plan d'action national plus vaste qui, systématiquement, prendrait aux trafiquants les produits de la criminalité. Je suis d'accord avec les mesures de prévention aussi.

Comme je l'ai dit plus tôt, c'est ce projet de loi que vous avez devant les yeux aujourd'hui. Le Parlement minoritaire a maintenant l'occasion de l'adopter sans modification, avant le congé de l'été, et c'est ce que je recommande, encore une fois.

La question a été posée : qui entend le message de dénonciation si personne ne sait vraiment ce qui se passe devant les tribunaux. Je peux vous dire que l'affaire de Michael Lennox Mark n'a pas été connue du public tant que nos chercheurs ne l'ont pas repérée et signalée dans l'article de l'Alberta Law Review. C'est un examen des dossiers du tribunal qui nous a permis de repérer l'affaire.

Je peux vous dire qui entend le message de dénonciation. Plus de 14 000 Canadiens ont signé une pétition pour appuyer le projet de loi, y compris l'Assembly of Manitoba Chiefs.

N'oublions pas la personne qui importe plus que tout : la victime qui s'est présentée au tribunal, mais a décidé de ne pas raconter son histoire parce que son trafiquant allait être libéré dans la semaine.

Le sénateur Martin : Merci à vous deux de vos présentations.

J'ai une question pour M. Winterdyk concernant la nécessité d'appuyer en première ligne pour s'attaquer au problème. Vous avez parlé de la nécessité d'accroître les mesures de répression et de fournir ce genre d'appui. M. Perrin a mentionné que, durant les recherches menées pendant trois ans, il a consulté ou rencontré des agents en première ligne. C'est bien cela?

M. Perrin : Oui, j'ai parlé aux agents de première ligne dans huit villes canadiennes.

Le sénateur Martin : J'aimerais en savoir plus sur ce que vous avez entendu. Nous avons recueilli les propos de témoins provenant de la GRC. Nous avons interviewé d'autres responsables, dont bon nombre ont dit que, étant donné que les dispositions sont nouvelles, depuis 2005, il y a des affaires qui se trouvent actuellement devant les tribunaux, mais que, pour ce qui est de la traite des personnes, le nombre d'affaires augmente, mais nous en sommes encore à nous éduquer en la matière et il nous faut en apprendre davantage sur ce crime.

Monsieur Perrin, pouvez-vous nous révéler ce que vous ont dit les policiers que vous avez rencontrés dans les huit villes en question? Nous avons besoin de savoir ce qu'ils ont dit.

M. Perrin : Je vous remercie de poser la question et je souligne que vous avez soulevé un point crucial. La GRC a le Centre national de coordination contre la traite de personnes, mais le centre en question n'a absolument aucune capacité d'enquête en ce moment. Toutes les affaires de traite de personnes dont j'ai fait part au comité ont fait l'objet d'enquêtes de la part des services de police municipaux, qui, vous avez eu raison de le dire, ne sont pas venus témoigner devant le comité.

Ce que m'ont dit les agents des huit villes en question, soit Montréal, Québec, Ottawa, Winnipeg, Edmonton, Calgary, Vancouver et Victoria, c'est que, au départ, ils commencent enfin à comprendre ce qu'est la traite des personnes. Cela tient en partie au fait que le phénomène est à ce point clandestin. Les victimes ont accès à très peu de ressources. Cela représente une grande préoccupation. Ce sont les gouvernements provinciaux qui sont responsables des services aux victimes.

Mis à part la question du Code criminel, de la frontière et de l'immigration qui sont de responsabilité fédérale, si la victime est étrangère, tous les services en question relèvent de la compétence provinciale. Citons notamment l'endroit où la victime vit, le logement auquel elle a droit, les services médicaux qu'elle peut obtenir pour faire disparaître ou modifier les tatouages, la possibilité de réintégrer l'école secondaire et le genre de soutien du revenu ou le travail ou l'éducation auxquels elle peut s'attendre. Seules l'Alberta et la Colombie-Britannique ont mis en place un système complet. Du côté de l'Ontario, c'est un trou béant.

J'ai eu l'occasion de rencontrer le premier ministre Dalton McGuinty, à qui j'ai présenté le dossier, un peu comme je l'ai fait avec vous aujourd'hui, et j'ai demandé aux provinces de se manifester et d'instaurer des services aux victimes.

Le rôle du gouvernement fédéral consiste à s'assurer que nos lois fédérales sont bien pensées et bien articulées. Les responsables de l'application de la loi à l'origine des premières poursuites en la matière, particulièrement la police de la région de Peel dans le Grand Toronto, sont justement ceux qui ont affirmé que les peines étaient inadéquates, en particulier, et recommandaient à notre équipe de chercheurs de proposer l'inclusion de peines minimales obligatoires dans le projet de loi C-268 et dans le Code criminel. L'idée est venue des agents en première ligne, qui sont certainement ceux qui ont affaire à ces cas.

Les policiers m'ont dit que les trafiquants au Canada considèrent comme une blague les peines qui leur sont imposées. Qui pourrait leur reprocher d'avoir l'impression que c'est une blague? Si vous gagnez 360 000 $ sur deux ans, mais que vous vous retrouvez à purger une peine d'emprisonnement d'un an ou deux, ce n'est pas si horrible comme prix à payer, et nous parlons ici de quelqu'un qui s'est fait prendre. Comme nous l'avons entendu dire, la plupart ne sont pas appréhendés.

Les responsables de l'exécution de la loi s'inquiètent vraiment de ce que le Code criminel ne soit pas à la hauteur. De fait, l'Association canadienne des policiers a donné son appui au projet de loi C-268. Nous devons écouter nos agents lorsqu'ils nous disent que ces criminels violents et organisés ne prennent pas la loi au sérieux et, de ce fait, continuent à agir avec impunité.

Le sénateur Martin : Vous avez dit que les lois sont un outil extraordinaire. Oui, c'est un outil à notre disposition; cependant, l'outil qui n'est pas affûté peut être moins utile, moins efficace.

Je crois que ce projet de loi nous fait voir en quoi nous pouvons améliorer l'outil en question étant donné que les dispositions en la matière existent d'ores et déjà. Tout de même, comme vous l'avez dit, monsieur Perrin, il existe certaines lacunes. Comme les premiers cas le montrent, les peines ne servent pas les victimes et elles ne servent pas le public comme il le faudrait.

Vous avez dit aussi que la communauté internationale est responsable. C'est un phénomène qui prend de l'ampleur de par le monde. Toutefois, il est vrai que d'autres instances se sont attaquées à la question en adoptant des sanctions plus rigoureuses. Certains des membres du comité nous ont dit qu'il nous faudrait des sanctions plus rigoureuses.

Pouvez-vous dire pourquoi il s'agit d'un minimum obligatoire de cinq ans et non pas de 10 ou de 15 ans, comme cela se fait ailleurs? En quoi une peine minimale obligatoire de cinq ans se rapporte-t-elle très précisément à ce qui peut se faire au Canada?

M. Perrin : C'est une question que nous avons étudiée très attentivement. Nous voulions nous assurer que le minimum n'était ni trop bas ni trop élevé.

Ceux parmi vous qui ont des enfants connaissez l'histoire de Boucle d'or et les trois ours. Certains sénateurs diront que c'est trop haut, d'autres diront que c'est trop bas. Ça veut probablement dire que c'est juste comme il faut.

Pour y aller plus directement, tout de même, nous avons examiné les normes constitutionnelles énoncées dans l'arrêt Ferguson, de la Cour suprême du Canada, et les propos de la juge en chef du Canada au sujet du critère actuellement appliqué.

On m'a demandé de ne pas trop entrer dans les détails juridiques ou techniques de l'affaire, mais, en tant que criminaliste et professeur de droit criminel, je suis d'avis que le projet de loi C-268 est conforme à la Constitution et que le minimum de cinq ans constitue un niveau approprié. Je crois qu'il y aurait la possibilité d'une contestation fructueuse en application de la Constitution si la peine minimale adoptée était de 10 ou de 15 ans. La victime ne serait pas protégée en pareil cas.

Appliquer une loi qui a simplement l'apparence de la fermeté, mais qui sera déclarée inconstitutionnelle n'aidera pas ces victimes. J'insiste donc pour dire que le projet de loi C-268 représente une intervention mesurée. C'est une réaction dosée au phénomène qui tient compte du critère énoncé par la Cour suprême du Canada. De même, le projet de loi reconnaît que la traite des personnes n'est pas une infraction qui peut se commettre par inadvertance ou comporter une part négligeable de faute morale. La part de faute morale attribuée à la traite des personnes est la plus élevée, c'est-à-dire que c'est un acte intentionnel. De ce fait, nous croyons que le projet de loi sera jugé valable.

Nous avons aussi comparé la peine minimale de cinq ans prévue au paragraphe 212(2.1) du Code criminel. Il existe d'importantes différences entre les dispositions du projet de loi C-268 et cet article du Code criminel. Cependant, le tribunal nous a dit qu'il prendrait en considération des infractions semblables ou liées pour voir si les peines minimales concordent. Nous avons pris la peine d'assurer la parité du Code criminel avec le projet de loi C-268, de telle sorte que le paragraphe 212(2.1) et le projet de loi prévoient tous deux cette peine minimale de base, soit cinq ans.

Le sénateur Dyck : Je crois que tout le monde ici est d'accord pour dire qu'il faut adopter des mesures pour protéger les mineurs contre la traite au Canada. C'est un crime terrible. L'imposition de peines minimales obligatoires soulevait des préoccupations.

À propos des cas mentionnés, vous avez dit que Michael Lennox Mark a purgé une semaine d'emprisonnement seulement. Cela ne se reproduit plus avec les mesures législatives adoptées récemment. Vous avez oublié de mentionner le fait que, dans les deux cas, Imani Nakpangi et Michael Lennox Mark ont été condamnés pour traite des personnes de même que pour d'autres infractions. Dans le cas de Lennox Mark, il s'est vu imposer une peine d'emprisonnement de deux ans pour proxénétisme. Sa peine totale s'élevait donc à quatre ans. La peine totale de M. Nakpangi s'élevait à cinq ans.

Le projet de loi C-268 propose une peine plus rigoureuse comme option, mais les autres options demeurent. Comment en avez-vous tenu compte au moment de rédiger le projet de loi, pour imposer une peine minimale obligatoire de cinq ans, sachant que la personne peut être accusée d'avoir commis d'autres infractions?

M. Perrin : L'usage concernant les peines concurrentes et consécutives est déjà établi. Essentiellement, si quelqu'un est condamné en lien avec deux infractions et se voit imposer deux années d'emprisonnement pour chacune d'entre elles, il appartient au juge de déterminer s'il doit purger les deux peines en même temps, de sorte que la peine réellement appliquée aux deux chefs d'accusation représente seulement deux ans. Dans d'autres cas rares, les peines sont purgées de façon consécutive.

Si j'ai bien compris l'affaire Lennox Mark — et il vous faudrait l'examiner plus à fond si vous disposez d'éléments qui laissent croire à l'inverse —, l'auteur de l'infraction n'a pas reçu des peines consécutives. Par contre, Imani Nakpangi s'est vu imposer des peines consécutives. Il y avait deux victimes dans cette affaire, et la peine totale s'est élevée à cinq ans. Imani Nakpangi s'est vu créditer le temps passé en détention avant le processus, comme nous l'avons déjà mentionné.

Vous avez demandé comment nous en avons tenu compte par rapport aux autres infractions. L'élaboration des politiques de justice criminelle et du Code criminel prend pour référence les actes criminels considérés en eux-mêmes. Nous n'envisageons pas l'idée qu'un meurtrier puisse aussi avoir commis un vol par effraction, agressé quelqu'un en route vers la maison ou commis un vol. Ce sont des crimes séparés.

De même, dans le cas qui nous occupe, les trafiquants en question ont commis des crimes séparés. S'ils prennent des photos de leurs victimes mineures et les publient sur Internet, ce que bon nombre sont censés avoir fait, c'est une infraction distincte, soit la distribution de pornographie juvénile.

Pourquoi imposer une peine moindre à celui qui vend les faveurs sexuelles de sa victime à Pierre, Jean, Jacques? Pourquoi réduire cette peine ou penser que l'acte en question est moins grave si le délinquant a aussi commis d'autres crimes? Je ne vois pas la logique. Nous avons employé la méthode qui est courante en droit criminel, c'est-à-dire que nous avons envisagé chaque élément criminel séparément.

Le sénateur Dyck : D'après certains témoins et les observations de certains commentateurs, la traite des femmes et des enfants se fait presque entièrement aux fins de leur exploitation sexuelle à but lucratif — autrement dit, de la prostitution. Pourquoi le projet de loi C-268 ne soulève-t-il pas expressément cette question?

Les conventions de l'ONU et l'Organisation internationale du travail traitent des pires formes de travail des enfants. Cela comprend l'exploitation sexuelle à des fins commerciales et le trafic de la drogue. La traite des mineurs ne prend pas qu'une forme. Pourquoi n'avez-vous pas fait dans le projet de loi C-268 deux distinctions particulières pour le cas des mineurs qui sont vendus expressément en vue de leur exploitation sexuelle, au profit du trafiquant?

M. Perrin : Ce projet de loi vise à englober toutes les formes de traite des personnes, car cela nous renvoie à l'engagement du Canada. Le Canada a ratifié le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir le trafic des femmes et des enfants en 2002. En ayant signé le traité en question, qui a force d'exécution, le Canada a promis notamment de créer l'infraction « traite des personnes » englobant toutes les formes de traite des personnes. Ce projet de loi s'inspire d'une obligation juridique internationale. Le Canada doit s'assurer que ces lois permettent de s'attaquer à ces formes de traite.

Y a-t-il au Canada ce que nous appelons la traite en vue du travail forcé, sous une forme ou une autre? Il s'agit par exemple de la servitude domestique — le cas d'une mineure qui ne peut quitter la résidence de la personne qui l'a fait venir au Canada pour qu'elle donne des services de gardiennage ou de massage. Ces gens-là sont traités littéralement comme s'ils étaient des esclaves de l'ère moderne.

Le Canada devrait-il prendre moins au sérieux ces formes d'exploitation? J'ai évoqué plus tôt un cas qui montre que séparer la traite en vue de l'exploitation sexuelle et la traite en vue du travail forcé représente une fausse distinction.

Le projet de loi C-268 repose sur l'idée que nous devons prendre au sérieux toutes ces formes d'exploitation. De ce fait, nous nous retrouvons avec des affaires comme celles de la jeune fille de Saint-Vincent-et-les-Grenadines dont je vous ai parlé, qui faisait le ménage le jour et était violée par l'homme de la maison le soir. Il n'y a pas eu d'échange commercial; aucune somme d'argent n'a changé de mains. Nous devons concevoir les lois avec soin pour nous assurer de ratisser assez large pour englober toutes les formes de traite qui peuvent et qui ont pu être conçues.

Je ferais une dernière mise en garde à propos des États-Unis, où l'infraction de traite des mineurs existe depuis de nombreuses années. Les États-Unis ont eu le bonheur de se donner une loi qui englobe la traite en vue de l'exploitation sexuelle et la traite en vue du travail forcé, car cela leur permettait d'affronter les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentaient. Aujourd'hui, leurs lois prévoient des peines nettement plus lourdes en cas de traite en vue de l'exploitation sexuelle. Plusieurs organisations non gouvernementales et organismes féministes les ont vertement critiqués.

Le sénateur Dyck : Est-ce que cette loi est encore en vigueur aux États-Unis?

M. Perrin : Certainement. Les États-Unis imposent une peine minimale de 15 ans pour la traite de victimes âgées de moins de 14 ans et une peine minimale de dix ans pour la traite de victimes âgées de 14 à 18 ans. La principale différence, c'est que les États-Unis n'ont pas ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. Le Canada s'est donc engagé à respecter des normes tout à fait différentes de celles que suivent les États-Unis.

Le sénateur Dyck : Est-il correct de dire que les États-Unis n'ont pas prévu de peine minimale obligatoire pour la traite de personnes en vue de les faire travailler?

M. Perrin : Oui, c'est bien ce que j'ai compris.

M. Winterdyk : J'aimerais revenir à la question que le sénateur Martin a posée à M. Perrin. Notre étude portait sur les agents de première ligne de l'ASFC. Nous avons aussi interviewé des cadres supérieurs de la GRC qui, sous le couvert de l'anonymat, ont accepté d'aborder la question des ressources dont ils disposent pour empêcher l'entrée de ces agresseurs au Canada. Les personnes interrogées ont toutes reconnu qu'il n'existait pour ainsi dire aucune ressource disponible pour appréhender ces personnes ou les empêcher d'entrer au pays. Les cadres supérieurs ont accès à des programmes de formation de base, mais à peu près rien n'est offert au personnel de première ligne.

Dans ce rapport, on suggère entre autres de fournir des ressources afin d'empêcher les agresseurs d'entrer au pays. Quand nous disons que nous voulons fournir davantage de ressources pour l'ensemble du système de justice pénale, que ce soit pour l'application de la loi, pour le système correctionnel ou pour le processus judiciaire, nous ne faisons qu'ajouter des étages à un système de justice pénale dont les citoyens n'arrivent plus à assumer les coûts.

On a fait valoir que le système de justice pénale devait continuer à être axé sur la dénonciation, mais, ce faisant, quand nous utilisons l'expression « réponse mesurée », nous ne disons pas selon qui cette réponse est mesurée. Est-ce qu'une peine de cinq ans serait acceptable aux yeux de tous les Canadiens? Devrions-nous mettre en pratique le principe utilitaire du bénéfice du plus grand nombre? Devrions-nous aller à l'extrême, pousser la loi jusqu'à ses limites, et prévoir plutôt une peine de 10 ou de 12 ans?

Le système de justice pénale doit continuer à faire ce qu'il fait déjà. Nous ne pouvons pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Pendant ce temps, nous devons étudier les propositions axées sur la prévention, l'éducation, la confiscation des biens, et ainsi de suite. Prenons l'exemple du Royaume-Uni, qui est aux prises avec un problème de traite des personnes tout aussi horrible. Il y a quelques semaines, la police de la communauté urbaine de Londres a dissous l'unité de lutte contre la traite des personnes parce qu'elle n'avait pas assez de ressources. Ce n'est pas que les responsables ne reconnaissent pas qu'il s'agit d'un problème grave, c'est qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour lutter contre ce problème. Nous devons nous aussi tenir compte de ce fait et réfléchir sérieusement à la façon dont nous pouvons le mieux utiliser les ressources dont nous disposons pour affronter ce triste problème.

Le sénateur Eaton : C'est intéressant. Mais cela m'afflige de constater que le président et M. Winterdyk se préoccupent tous les deux davantage du système judiciaire. Vous semblez plus préoccupés du système judiciaire que de ce qui est au coeur du problème. Vous nous avez dit en de beaux termes savants que vous ne croyiez pas aux effets dissuasifs. C'est ce que votre recherche vous a permis de constater, et je respecte ce fait. Oubliez le système et l'appareil judiciaires. Croyez-vous qu'il faut punir l'exploitation sexuelle?

M. Winterdyk : C'est une question tendancieuse et très intéressante. Je crois qu'il faut envoyer au grand public le message selon lequel il y a apparence de justice. Au bout du compte, nous n'obtenons pas les résultats que nous recherchions, peu importe les châtiments que nous imposons pour viol ou pour terrorisme. Je répète que le Code criminel a littéralement triplé de volume depuis le XXe siècle. Le taux de récidive dans les établissements carcéraux nous fait comprendre que, même si nous enfermons des gens, ils vont tôt ou tard sortir de prison; le message qui circule, c'est que dès leur sortie ils reprennent leurs activités antérieures. Je mène actuellement une étude sur les gangs.

Le sénateur Eaton : Avez-vous des données quelconques sur les programmes de réinsertion sociale et leur taux de réussite, dans les prisons, en ce qui concerne les proxénètes ou les gens qui ont des problèmes de nature sexuelle?

M. Winterdyk : C'est une très bonne question. Comme le M. Perrin l'a signalé, notre problème découle en partie du fait qu'il existe un vaste corpus de documents, mais la qualité des documents qui portent sur la traite de personnes laisse assez à désirer. Je suis justement en train d'étudier certains de ces documents. Je me trouvais récemment dans les Balkans, où des gens effectuent justement une étude sur l'efficacité de ce type d'interventions, mais il est encore trop tôt pour savoir si elles ont un effet dissuasif réel.

Le sénateur Eaton : En réalité, la peine d'emprisonnement est peut-être la seule protection que l'on peut offrir au public.

M. Winterdyk : Je suis d'accord avec vous. C'est la seule protection dont le public dispose à l'heure actuelle. Comme je l'ai dit plus tôt, ce qui me préoccupe le plus, c'est le besoin de contrer les auteurs de ces crimes, mais aussi de contrer la prochaine génération de ces délinquants.

Le sénateur Merchant : Ma question s'adresse à M. Perrin. Pourquoi les États-Unis sont-ils critiqués en raison de leur loi sur l'exploitation sexuelle des mineures? Quel est son défaut? C'est bien ce que vous avez dit, n'est-ce pas?

M. Perrin : Oui, on a critiqué les États-Unis parce que leur loi ne tient pas compte de ce que la communauté internationale a reconnu, c'est-à-dire qu'il existe d'autres formes de traite de personnes qui ne se limitent pas aux actes sexuels. Dans certains cas, ces autres formes sont tout aussi dégradantes que les différentes formes d'exploitation sexuelle, et elles changent également le cours d'une vie. La loi promulguée aux États-Unis ne tient pas compte non plus de ce qui constitue l'exploitation sexuelle. Nous avons eu le même problème quand il a été question de la loi sur le viol et les agressions sexuelles. Si vous pensez connaître une bonne définition de l'exploitation sexuelle, j'aimerais beaucoup que vous me la donniez, parce que l'expression en elle-même a été chaudement débattue. Par exemple, est-ce qu'il s'agit d'exploitation sexuelle quand on affiche la photo d'une personne mineure sur le site Craigslist afin de vendre ses services sexuels? Nous vous répondons par l'affirmative, oui. Et qu'en est-il des personnes forcées à se dévêtir pour danser? S'agit- il d'exploitation sexuelle? La jeune fille dont j'ai parlé plus tôt, qui a été réduite à l'esclavage domestique et qui a été agressée par son employeur toutes les nuits, est-elle exploitée sexuellement?

Le problème survient lorsqu'on essaie de s'en tenir à une forme de traite qui nous préoccupe davantage car elle nous semble la plus flagrante; cette façon de faire creuse d'importantes lacunes dans la loi. C'est la raison pour laquelle l'approche des États-Unis a été contestée.

J'encourage les membres de votre comité à jeter un coup d'oeil sur le livre The Slave Next Door, publié récemment aux États-Unis par le chercheur Kevin Bales. Parfois, les cas de soi-disant traite d'esclaves, aux États-Unis, sont on ne peut plus évidents. La première affaire dont il est question, dès les premières pages de ce livre, concerne une personne qui, à l'extérieur, vivait littéralement enchaînée, dans un coin du Texas où la température s'élève à 40 degrés Celsius, et qui, à l'intérieur, était traitée comme une esclave domestique à l'insu de tout le monde.

Nous devons faire attention, aujourd'hui, car nous ne voulons pas rédiger une loi qui sera trop restreinte et qui ne sera pas adaptée à toutes les formes de traites de personnes qui existent à notre connaissance au Canada. Il serait naïf de penser que cela ne se passe pas ici.

Le sénateur Merchant : C'est bien là le problème. Il est difficile de définir une situation et de ne prévoir qu'une forme de châtiment pour toutes les situations. C'est ce qui m'ennuie quand il est question des peines.

M. Perrin : La définition du terme « exploitation » utilisée dans le projet de loi C-268 reprend le libellé de la proposition d'Irwin Cotler, qui était alors ministre de la Justice et procureur général. Ce projet de loi utilise également la définition de la traite de personnes qui figure actuellement dans le Code criminel. Je trouve tout à fait absurde que l'on ait prévu, dans le Code criminel, une infraction générale liée à la traite des personnes et qu'ensuite, on en isole une disposition liée à l'exploitation sexuelle des enfants parce que l'on croit que c'est pire que la traite des personnes ou des enfants, quel qu'en soit le motif. Cela ne me semble pas respecter l'engagement qu'a pris le Canada, qui consiste à définir toutes les formes de traites de personnes.

La définition est assez précise, et les tribunaux, à mesure que les causes se présenteront, se mettront à l'interpréter. Nous attendons de voir de quelles preuves supplémentaires ils disposeront. Ce n'est pas encore le temps de rafistoler cette définition. Nous ferons cela plus tard. Le projet de loi C-268 utilise la même définition et apporte un changement ciblé, en s'attachant à la question de l'imposition des peines.

Le sénateur Cordy : Monsieur Perrin, vous avez dit être très étonné de voir un projet de loi émanant d'un député se rendre si loin. Il y a un ou deux ans, le sénateur libéral Phalen, de la Nouvelle-Écosse, a présenté un projet de loi sur la traite des personnes. Cependant, le Parlement s'est prorogé, et nous n'avons donc pas eu le temps d'étudier le projet de loi avant la retraite du sénateur.

Toutes les personnes présentes ici aujourd'hui seront d'accord pour dire que la traite des personnes est un crime horrible. Il est perpétré dans tous les grands centres du Canada. Nous sommes portés à penser que c'est un crime qui se produit sur la scène internationale, mais cela se passe dans notre propre cour. Les enfants et les femmes sans abri sont les plus susceptibles d'en être les victimes. J'ai déjà siégé au conseil d'administration d'un centre pour adolescents sans abri à Halifax.

Une chose me frappe, monsieur Winterdyk. Avez-vous bien dit que moins de 1 p. 100 des auteurs de ces crimes sont découverts et font l'objet d'un signalement?

M. Winterdyk : Moins de 1 p. 100 d'entre eux vont être condamnés.

Le sénateur Cordy : Des mesures punitives ne vont rien changer à la situation étant donné que 99 p. 100 des délinquants ne sont jamais jugés coupables ni condamnés. Si le Canada ne prend pas d'autres mesures pour dissuader les auteurs de ce crime, le projet de loi que nous étudions ne concernera que 1 p. 100 des crimes qui sont commis?

M. Winterdyk : Exactement.

Le sénateur Cordy : Cela fait peur.

M. Perrin : Si vous me le permettez, j'aimerais indiquer qu'à mon avis, cette statistique, 1 p. 100, n'est pas très claire. Nous avons besoin de clarification. Selon mes recherches, rien n'indique qu'il n'y aurait au Canada qu'un taux de condamnation de 1 p. 100. Le taux est beaucoup plus élevé que cela. Le comité a besoin d'éclaircissements au sujet de ce que M. Winterdyk mentionne.

M. Winterdyk : Cette proportion de 1 p. 100 dont on parle renvoie à un commentaire que j'ai fait plus tôt, quand j'ai dit que nous ne connaissions même pas le nombre exact d'auteurs de ce type de crime au Canada. Cette proportion de 1 p. 100 est fondée sur une approximation très large du nombre de délinquants et du nombre potentiel de délinquants. Si nous avions des statistiques officielles, nous pourrions dire qu'il n'y en a que 600, auquel cas la proportion de 1 p. 100 serait déjà faible; s'il y en a 8 000 ou davantage, cette proportion serait extrêmement faible.

Les recherches menées aux États-Unis ont révélé que, étant donné que nous nous préoccupons du problème, même si nous ne le comprenons pas, nous fixons des paramètres autour de choses que nous ne comprenons pas pleinement. Je ne dis pas que notre réaction est exagérée, mais, plutôt que d'agir par réflexe, nous devrions chercher à comprendre le phénomène afin de pouvoir prendre les mesures appropriées.

Il se forme enfin un corpus de documents. Les recherches de M. Perrin, une partie des miennes et ce qui se fait d'innovateur aux États-Unis et dans les autres pays, tout ça va commencer à jeter de la lumière sur ces questions complexes, et nous pourrions aller au-delà des renseignements descriptifs que nous tirons des études de cas. Tous les cas ne font pas jurisprudence.

Le président : Merci. Nous n'avons plus de temps. Merci aux deux témoins.

Nous allons maintenant passer à notre second groupe d'experts. Nous recevons deux témoins du Bureau international des droits des enfants. Mme Nadja Pollaert est la directrice générale. Elle a obtenu un diplôme en relations internationales de l'Institut d'études politiques de Paris et une maîtrise de l'Université de Montréal. Elle a travaillé de nombreuses années à titre de coordonnatrice du Comité d'aide aux réfugiés, se consacrant à la défense des droits des réfugiés et des demandeurs d'asile.

M. Camille Karbassi est chargé du programme dans le cadre du projet contre la traite d'enfants. Il a obtenu un diplôme en droit international de l'Université de Paris. Il a par la suite acquis une vaste expertise dans le domaine des droits de la personne et de la traite des personnes. Il a longtemps travaillé sur ces questions en Amérique du Sud, auprès de différentes ONG et a participé à la préparation de rapports des Nations Unies portant sur l'esclavage moderne. Il a élaboré, à l'intention des travailleurs de première ligne du Canada, un programme de formation qui s'attache à l'identification des enfants victimes de traite.

[Français]

Nadja Pollaert, directrice générale, Bureau international des droits des enfants : D'abord, permettez-moi de vous remercier pour cette opportunité. C'est un privilège de pouvoir comparaître devant vous cet après-midi.

Selon nous, il faut d'abord se poser la question pourquoi nous avons si peu d'accusations de traite aujourd'hui au Canada. C'est une question à laquelle n'ont pas répondu encore le professeur Perrin ou M. Winterdyk. Ensuite, ayant travaillé avec les policiers et les organisations de défense des droits des victimes, nous désirons vous faire remarquer que parfois les anciennes victimes peuvent collaborer au recrutement des nouvelles victimes.

De notre côté, nous nous sommes positionnés d'un point de vue des droits de l'enfant, ce qui est très différent, et selon nous, quand on regarde les autres instruments internationaux, comme les U.N guidelines on crime prevention, c'est très important de regarder les 3P, soit la prévention, la protection et la poursuite.

Le Canada a déjà adopté un ensemble de lois contre l'exploitation sexuelle, toutes notamment mentionnées dans le premier rapport du Canada sur la mise en œuvre du protocole optionnel contre la vente d'enfants et l'exploitation sexuelle.

Nous avons pu confirmer auprès des policiers auxquels nous avons parlé, notamment dans la région de Montréal, que ces lois sont très efficaces, qu'elles font ce qu'elles doivent faire, c'est-à-dire incarcérer les agresseurs et protéger les victimes.

Camille Karbassi, chargé de programme, Traite d'enfants, Bureau international des droits des enfants : J'aimerais rajouter que nous sommes en parfait accord avec la recommandation no 6 du rapport sénatorial sur les enfants, intitulé Des citoyens sans voix.

Nous pensons que c'est important d'avoir une approche holistique et de prendre en considération la prévention aussi, pas seulement la répression, et comprendre la complexité du phénomène de la traite avant d'apporter une réponse aussi importante au niveau législatif. C'est un problème extrêmement complexe, très difficile à cerner.

Je pense aussi que c'est important, comme disait Mme Pollaert, de comprendre pourquoi il y a si peu de sentences. Est-ce un problème de preuve, de mise en accusation?

Il est également important de sensibiliser et former les juges, de comprendre qu'ils ont un rôle important à jouer et qu'il faut leur laisser une certaine marge de manœuvre aussi. C'est un peu notre position, parce qu'une position qui ne donne pas de marge de manœuvre aux juges est une position dangereuse. Comme on le disait, souvent, les victimes deviennent ensuite trafiquants, donc c'est important aussi de voir comment on peut adapter la réponse en fonction de la situation.

Mme Pollaert : On a donné une formation à plusieurs organisations qui travaillent auprès des jeunes dans la rue et aux stations d'autobus, les jeunes qui sont exploités et en situation de vulnérabilité. Les intervenants nous disaient que l'un des problèmes, c'est l'accès à la protection.

Nous avons eu des tables rondes avec la Protection de la jeunesse, la GRC, l'Agence frontalière, Citoyenneté et Immigration Canada et la police de Montréal. Je pense qu'il est important de souligner ceci : souvent les jeunes victimes d'un réseau de traite dans le milieu des gangs de rue ne veulent pas forcément en sortir, ne se perçoivent pas forcément toujours comme des victimes. Voilà un autre aspect qu'il faut regarder : nous avons beaucoup de difficulté parfois à les amener à témoigner, parce les victimes n'ont pas vraiment une autre option de vie et elles sont captives de ce réseau et de cette manipulation.

Nous voudrions attirer votre attention sur le fait que des victimes peuvent quelquefois devenir des recruteurs. Si la sentence minimale était portée à cinq ans, il y un danger pour les anciennes victimes, car le juge n'aurait plus la marge de manœuvre pour prendre en considération cet aspect, c'est-à-dire le cas d'une victime qui devient un agresseur ou qui commet un crime.

Il faudrait se pencher sur tout l'aspect de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Nous avons comparu au Comité sénatorial permanent des droits de la personne à ce sujet, et nous savons qu'il n'y a aucune stratégie en place à l'heure actuelle. Il y a, toutefois, beaucoup de volonté et nous avons produit un rapport dressant un portrait de la traite au Canada. Présentement, il n'y a même pas de différenciation entre la traite d'enfants et la traite d'adultes. C'est donc un problème. Toute la violence faite aux enfants et l'exploitation sexuelle et la manipulation sur Internet sont des domaines où nous pouvons constater que l'action n'est pas cohérente. Ce serait donc aussi une situation important à considérer.

[Traduction]

Le président : Vous avez été brefs. Merci. Vous avez parlé des victimes qui recrutent de nouvelles victimes. Ce qui m'ennuie, entre autres, quand on parle de peine minimale obligatoire, c'est que les auteurs de ce crime ne sont pas tous les mêmes. Évidemment, nous voulons que les auteurs des crimes sordides dont a parlé M. Perrin se voient infliger une peine appropriée. Cependant, les délinquants sont parfois eux-mêmes des victimes qui doivent recruter de nouvelles victimes. J'aimerais que vous parliez un peu plus de cela. Est-ce que ces victimes méritent une peine de cinq ans? Nous savons aussi que, par ailleurs, des gens sont manipulés, subissent un lavage de cerveau et sont prêts à faire ce genre de choses. Ils seraient visés par ce projet de loi et pourrait se voir infliger une peine minimale de cinq ans. Pourriez-vous m'en dire plus sur de telles situations?

[Français]

M. Karbassi : Il est important d'avoir une approche au cas par cas. Souvent, des jeunes filles qui ont été des victimes peuvent jouer un rôle fondamental dans le recrutement parce qu'elles arrivent à gagner la confiance de nouvelles victimes. Elles sont manipulées et on ne peut pas vraiment les considérer comme des trafiquantes parce qu'elles sont manipulées et qu'elles ont perdu déjà, en grande partie, leur humanité parce qu'elles sont d'anciennes victimes. Il est important de garder cette approche de cas par cas et de ne pas tout mettre dans le même sac.

[Traduction]

Mme Pollaert : J'aimerais ajouter que les lois qui régissent l'asile et l'immigration sont de plus en plus restrictives car elles ciblent le trafic international. Dans bien des cas, les gens entrent au Canada clandestinement car ils n'ont pas toujours les moyens de le faire légalement.

Nous n'en avions pas encore parlé, mais, dans des cas très précis, les victimes de la traite des personnes peuvent obtenir une autorisation temporaire pour six mois. Nous estimons que cela ne fait pas vraiment partie de la procédure. Les gens qui travaillent auprès des réfugiés nous ont dit que ces personnes ne portaient pas plainte. Elles n'ont aucune assurance selon laquelle elles ne seront pas renvoyées d'où elles viennent. Souvent, la collaboration fait défaut entre les intervenants des tribunaux, de l'immigration et des services frontaliers. J'ai eu à m'occuper d'une femme du Bangladesh qui avait été victime de la traite des personnes et qui a voulu témoigner; CIC l'a expulsée avant qu'elle ne puisse le faire. En général, ce n'est pas une bonne idée, si vous voulez que le tribunal puisse entendre les témoignages.

La protection des victimes, en particulier les ressortissants étrangers et les personnes qui n'ont pas de statut au Canada, se bute à d'importants obstacles. Pour commencer, il s'agit d'une autorisation discrétionnaire, et il n'est pas obligatoire de la donner. C'est l'agent d'immigration qui décide s'il convient de la donner ou non. Il est difficile de gagner la confiance des victimes et de leur dire qu'elles ont des chances de s'en sortir.

Nous sommes d'avis que l'on n'a pas tenu compte d'un aspect principal, c'est-à-dire l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est inscrit à l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant. Après six mois, un enfant peut être renvoyé chez lui. Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas eu d'évaluation en profondeur des possibilités qu'ils deviennent de nouveau une victime des trafiquants.

[Français]

Le sénateur Champagne : Vous nous parlez beaucoup, l'un et l'autre, de votre préférence pour faire du cas par cas et qu'il n'y ait pas vraiment de peine minimale, ceci afin de donner au juge la marge de manœuvre la plus large possible. En théorie, je trouve cela tout à fait correct. Mais on a vu ce qui se passe quand finalement on attrape un de ces agresseurs, on le met en taule pendant quelque temps et on arrive avec deux fois le nombre de jours passés en prison avant son procès; donc on compte les jours en double et, finalement, après avoir agressé quelqu'un et avoir fait de quelqu'un une victime pendant deux ans ou pendant trois ans, il va faire une semaine en prison. Je me demande si, dans ces cas, il ne serait pas mieux d'avoir au moins une peine minimale avant qu'on puisse le retourner dans la rue pour qu'il recommence le même manège?

Mme Pollaert : En principe, nous sommes d'accord avec vous. Mais on voudrait que vous considériez, lors de votre décision, qu'il existe tout de même des lois contre l'exploitation sexuelle des enfants qui ont beaucoup de force. C'est quelque chose qui n'a pas été présentée aujourd'hui. Je n'ai pas de statistiques détaillées. Il y a beaucoup de cas d'exploitation sexuelle des enfants devant les tribunaux et les gens reçoivent des sentences.

Les policiers ont souvent tendance — et on le sait par des policiers qui travaillent sur le terrain — à utiliser les lois contre l'exploitation sexuelle et la Loi contre le gangstérisme en se disant que finalement, ils vont arriver au même résultat. La personne va être incarcérée. La traite est tellement difficile à prouver parce que c'est plus long et plus compliqué. On se met plus en danger de ne pas pouvoir être capable de poursuivre l'individu alors qu'avec les lois présentement en place, on y arrive très bien. Je vous inviterais donc à faire cet exercice de comparaison entre les lois déjà en place et leur efficacité, surtout la combinaison de l'exploitation sexuelle et la Loi sur le gangstérisme versus la Loi sur la traite de personnes.

Le sénateur Champagne : Nous avons aussi les problèmes de jeunes qui sont placés dans une famille, dans une maison, par exemple. Et c'est vraiment du travail forcé. Ce serait inclus également. Vous parliez de la différence entre la traite d'enfants et la traite d'adultes. C'est justement ce trou dans la loi que viendrait boucher le projet de loi C-268 puisque tous les jeunes âgés de moins de 18 ans seront, à tout le moins, couverts par cette loi. Nous risquerions moins que des victimes recrutent d'autres victimes. C'est ce dont vous nous parliez. Cela m'a étonnée; je ne sais pas si certains de mes collègues ont réagi de la même façon au fait que des victimes recrutent d'autres victimes. C'est peut-être la façon d'obtenir un meilleur traitement du geôlier.

Le projet de loi C-268 ne ferait-il pas en sorte que, lorsque ce sont des enfants de 18 ans et moins, ce soit considéré comme un crime, mais que les agresseurs puissent être condamnés à une peine minimale? Vous êtes complètement contre cette idée?

Mme Pollaert : Nous ne sommes pas venus ici pour être contre ou pour; je pense qu'il est important pour nous de faire valoir que, dans certains cas, si les jeunes passent de victimes à recruteurs, c'est important de le considérer et de voir comment on pourrait aménager cette proposition pour intégrer cet aspect.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame Pollaert, vous avez parlé des victimes qui recrutent d'autres victimes. Si les victimes qui font du recrutement sont mineures, elles subiront leur procès à ce titre, et notre projet de loi ne s'appliquera pas à leur cas. Il ne s'y appliquerait que s'il s'agissait de personnes de plus de 18 ans. Je ne suis pas convaincu que cela soit tout à fait pertinent. S'il s'agit d'adultes qui s'adonnent à la criminalité, c'est horriblement triste. Nous devrions tenter de travailler auprès de ces personnes et de les aider avant qu'elles ne s'engagent dans ce type de délinquance.

J'ai parlé à une personne qui se trouve à être un ancien procureur général provincial. J'ai discuté avec lui de cas comme ceux dont vous avez parlé, où la marge de manoeuvre est quasiment inexistante; les délinquants doivent être jugés, malgré les circonstances. Cet ancien procureur était presque sûr du fait que, quand il existe des circonstances atténuantes — je déteste avoir à dire cela —, il existe suffisamment de brèches pour qu'une personne soit jugée pour une autre infraction que la traite des personnes.

Nous disons toujours que nous sommes prêts à faire confiance à notre système judiciaire et à nos juges. Je dois également faire confiance au procureur, lorsqu'il dit qu'une personne peut être jugée pour un autre crime s'il existe des circonstances atténuantes. C'est peut-être une façon de se dérober.

Je l'ai dit à plusieurs reprises, et ce sera probablement la dernière fois que je vais le dire car la séance du comité tire à sa fin : nous nous occupons beaucoup des criminels, et nous laissons les victimes à leur souffrance. Il est temps que nous commencions à punir les criminels plutôt que les victimes.

Mme Pollaert : Je crois que vous abordez le problème sous le mauvais angle. Le fait qu'il n'y ait pas actuellement de causes portées devant les tribunaux ne tient pas au fait qu'il n'existe pas de peine minimale. Il n'y a pas de causes car les gens ne sont pas prêts à témoigner. La police a également de la difficulté à réunir des preuves.

Je ne crois pas que ce projet de loi changera grand-chose à l'exploitation sexuelle des enfants ou à la traite de personnes au Canada. Nous avons donné cette formation à une vingtaine d'organisations. Nous travaillons avec des gens qui travaillent auprès des enfants et des jeunes en difficulté, qui peuvent être victimes d'exploitation sexuelle. Ces jeunes ne savent même pas à qui s'adresser ni quoi faire quand ils rencontrent un enfant qui se trouve dans cette situation. À Montréal, par exemple, les gangs qui s'adonnent à ce trafic téléphonent aux filles de l'extérieur des centres pour jeunes. La manipulation, tout comme les autres facteurs, sont toujours en cause. Ce que propose le projet de loi, à mon avis, ne concerne pas la protection des victimes.

Le sénateur Plett : Vous dites que le projet de loi n'aidera pas ces victimes, mais vous ne m'avez pas convaincu du fait qu'il pourrait leur nuire. Malheureusement, nous ne mettrons pas fin à la criminalité. Nous aurions beau pouvoir compter sur la peine capitale, nous ne mettrions pas fin à la criminalité, même si les criminels ne seraient jamais les mêmes. On ne peut pas se contenter de hausser les épaules en disant que, de toute façon, ça ne marchera pas et que nous devrions nous contenter de laisser les choses comme elles sont. La traite de personnes est un problème, et il faut y voir.

Le sénateur Cordy : J'aurais aimé ne pas vous entendre dire que nous devrions laisser les choses comme elles sont. Je tiens à vous remercier tous les deux pour le travail que vous faites auprès des enfants et pour défendre les droits des enfants du monde entier.

Je sais qu'une faible proportion de trafiquants font l'objet de poursuites et sont jugés coupables. Qu'il s'agisse d'une proportion de 1 ou de 10 p. 100, nous savons que c'est une faible proportion. Et c'est inquiétant, car nous allons déposer un projet de loi qui ne s'appliquera qu'à un tout petit pourcentage de criminels; or, le problème ne cesse de prendre de l'ampleur.

Je ne crois pas qu'un criminel se demande s'il écopera de un, cinq ou dix ans, car ils ne sont pas nombreux à se faire prendre. Ils ont plutôt l'impression qu'ils ne se feront pas prendre, et ne s'empêchent pas de commettre ces crimes de crainte d'être envoyés en prison pour cinq ans.

La traite de personnes est un crime horrible. Nous voulons que tous ceux qui sont jugés coupables soient punis sévèrement en raison de ce que vivent leurs victimes, qui sont, dans bien des cas, les membres les plus vulnérables de la société du Canada et des autres pays.

À mon avis, le projet de loi C-268 ne va pas assez loin. Il aborde les aspects punitifs que l'on doit associer à ce crime, mais j'aurais aimé qu'il aborde également l'aide que nous pouvons offrir à ces personnes. Nous parlons de briser le cycle de la pauvreté; j'aimerais que nous parlions également de briser le cycle de la traite des personnes. Je ne crois pas que les châtiments à eux seuls réussissent à mettre fin à ce cycle.

Vous avez parlé de victimes qui devenaient des criminels. Si vous les envoyez en prison pour cinq ans, vous allez encore une fois en faire des victimes alors que vous auriez dû les aider lorsqu'elles étaient des victimes; c'est le travail que votre organisme accomplit.

Que devrions-nous faire d'autre? Nous avons entendu des témoins dire que nous devrions éduquer le personnel des frontières, qui est incapable de savoir qui, parmi les personnes qui traversent la frontière, peut être victime de la traite des personnes; les témoins ont également affirmé que les produits de la criminalité devraient servir à aider les victimes et que la GRC a besoin de plus de ressources pour s'attaquer à ce problème.

Bien des gens pensent que la traite de personnes ne consiste tout simplement qu'à faire entrer des gens d'autres pays. Ce trafic est courant dans toutes les grandes villes du Canada. Je ne crois pas que les gens comprennent à quel point ce problème est grave et étendu. Nous devrions peut-être adopter un plan d'action national pour lutter contre la traite des personnes?

Mme Pollaert : Cette idée d'adopter un plan d'action national n'est pas nouvelle. Le gouvernement lui-même s'est dit intéressé par la mise en oeuvre de ce plan, mais rien n'a été fait jusqu'ici.

Il y a un autre problème. Nous parlons beaucoup de traite de personnes, mais nous voudrions que les groupes internationaux de défense des droits des enfants élargissent la définition de l'exploitation sexuelle des enfants, ce qui nous ramène au sujet qui préoccupe également le Sénat. Je vous ai dit que nous avions déjà eu le privilège de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne en octobre.

Nous avons demandé que l'on crée un poste d'ombudsman national pour les enfants du Canada, qui coordonnerait les différents projets concernant l'exploitation sexuelle et la violence à l'égard des enfants. Ce serait une bonne façon d'établir un mode de coordination et de cerner les pratiques exemplaires.

Nous comparaissons régulièrement devant le comité contre l'exploitation sexuelle des enfants, qui est présidé par le sénateur Dallaire, et de nombreux organismes autochtones participent à ces séances. Après toutes ces années, nous en sommes venus à la conclusion qu'il fallait faire plus de place aux pratiques exemplaires et recommandées qu'aux mesures punitives si l'on désirait prévenir la traite des personnes, en particulier dans les collectivités autochtones. Nous avons travaillé de concert avec des centres pour femmes autochtones, et nous avons appris que la situation dans les réserves les préoccupe. La prévention est un des facteurs clés.

Le sénateur Dyck : Ce qui me préoccupe le plus, dans ce projet de loi, c'est qu'il met ensemble toutes les formes de travail forcé des mineurs. Cependant, la Convention de l'Organisation internationale du travail dit qu'il faut donner la priorité aux pires formes de travail des enfants. Dans la catégorie des pires formes de travail, il faut inclure l'exploitation sexuelle à des fins commerciales et l'utilisation d'enfants dans le trafic de la drogue.

Pensez-vous que le projet de loi ne devrait pas à tout le moins faire état du fait que la plupart des enfants qui sont victimes de traite seront obligés de travailler dans le commerce du sexe au profit du trafiquant?

M. Karbassi : Je crois qu'il est important d'envisager la traite à des fins d'exploitation sexuelle sous toutes ses facettes. Au Canada, c'est l'exploitation sexuelle qui est la plus courante. Cependant, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le préciser dans le projet de loi, car un projet de loi a des objectifs à long terme et que nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. Il est mieux de mentionner toutes les formes de traite des personnes plutôt qu'une seule.

Mme Pollaert : Nous sommes en faveur des instruments internationaux, et le Canada a ratifié bon nombre d'entre eux. Le rapport du Canada sur le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant la vente des enfants, la prostitution des enfants et la pornographie se présente en fait comme un répertoire de lois.

Je ne suis pas avocate, mais j'aime beaucoup les lois quand elles sont appliquées. Nous n'avons pas trouvé dans le rapport du Canada, présenté au Comité des droits de l'enfant, beaucoup d'informations utiles concernant l'application de ces lois. Nous restons sceptiques quant aux répercussions possibles de ce projet de loi sur les enfants et sur les jeunes.

Le sénateur Dyck : Vous avez parlé du fait que la victime devrait témoigner et des problèmes que cela soulève. L'un de nos témoins précédents a déclaré que, lorsque des peines minimales obligatoires étaient prévues et que l'affaire est portée devant un tribunal, la victime doit témoigner. Pensez-vous que la victime serait forcée à témoigner si une peine obligatoire minimale était prévue? Est-ce que le fait d'imposer des sentences obligatoires n'aura pas ainsi un effet négatif?

Mme Pollaert : Ce sera certainement un effet négatif. Nous avons participé à la rédaction de l'ébauche des lignes directrices des Nations Unies concernant les enfants victimes et les autres victimes de la criminalité. L'un des articles que la communauté internationale a adoptés prévoit que les enfants ne doivent pas avoir à participer aux procédures pénales. Un enfant ou un jeune qui a été exploité ou agressé devrait avoir la possibilité de refuser de témoigner. Il est important de respecter en premier lieu l'intérêt supérieur de l'enfant.

Le sénateur Merchant : Pourriez-vous me parler des autres administrations, semblables au Canada, qui ont adopté les pratiques exemplaires dont vous avez parlé, afin que nous puissions nous y reporter en préparant ces projets de loi? Nous avons entendu dire il y a quelques minutes que les programmes des États-Unis faisaient l'objet de critiques.

M. Karbassi : En Europe, par exemple, certaines administrations se consacrent beaucoup plus à la prévention qu'aux poursuites. Ces pays ont obtenu de très bons résultats en s'attachant à la prévention. L'Angleterre et l'Irlande ont établi de très bonnes pratiques en matière de coordination des services. Ces pays ont mis en oeuvre une stratégie concrète qui est très fructueuse. Ils n'imposent pas de peines minimales, mais les juges et les policiers sont bien informés. Et les dossiers concernant la traite des personnes sont plus nombreux à être renvoyés au système pénal. C'est une bonne pratique, et le Canada devrait s'en inspirer.

Le sénateur Merchant : Pensez-vous que cela est extrêmement coûteux? Pourquoi ne pourrions-nous pas mettre ces pratiques en oeuvre? Si quelqu'un fait quelque chose de façon efficace, pourquoi cherchons-nous à réinventer la roue? Si quelque chose fonctionne, ailleurs, qu'est-ce qui nous empêche d'adopter ces pratiques au Canada?

Mme Pollaert : Quand nous avons, en 2002, préparé notre premier rapport sur la traite des enfants, pour déterminer s'il y avait là un problème, nous avons constaté qu'il n'y avait pas beaucoup de collaboration entre les différents ordres de gouvernement et les ONG. Il y a un problème du côté de la coordination.

L'un des résultats des travaux du comité présidé par le sénateur Dallaire, c'est que nous savons qu'il faut prendre des mesures. À l'heure actuelle, il y a à l'échelle locale, et en particulier dans les collectivités autochtones, de nombreuses initiatives de prévention de la traite ou de l'exploitation sexuelle des jeunes filles. Ces initiatives sont peut-être mal financées, mais les responsables ont la volonté de réunir ces informations et d'évaluer les pratiques exemplaires. Ce serait une bonne recommandation à suivre.

Le sénateur Martin : Quand on vous écoute tous les deux, il est évident que vous vous préoccupez beaucoup des victimes et de la défense de leurs droits. Toutes les personnes présentes autour de la table partagent les mêmes espoirs et les mêmes buts; nous voulons tous régler le problème, combler les lacunes et renforcer notre système.

Ce projet de loi concerne une disposition précise que nous voulons ajouter au Code criminel. Cela ne veut surtout pas dire que nous négligeons les autres besoins de notre société et de notre pays. La députée qui a parrainé le projet de loi a témoigné, et les professeurs qui font partie du groupe d'experts ont tous affirmé clairement qu'il s'agit d'une approche à multiples facettes qui permettra d'étudier cette question importante. La loi n'est qu'un élément de cette approche.

Nous avons parlé de mettre fin au cycle de la traite des personnes. Par quel bout allons-nous prendre le problème? Nous avons établi que les dispositions de la loi actuelle qui interdisent le trafic des personnes ne sont pas assez efficaces car les auteurs de ce crime ne sont tout simplement pas punis. Il faut faire quelque chose, et ce projet de loi s'attaque justement aux lacunes qui peuvent exister.

Quelque chose me chicote. Comme je suis un ancien enseignant, j'ai pu observer le terrible problème de l'intimidation et le phénomène des fiers-à-bras qui sont d'anciennes victimes et qui se mettent eux aussi à intimider les autres; cela n'enlève rien à la gravité de la chose. Il est bien malheureux que ces victimes deviennent à leur tour des agresseurs. Vous dites que chaque cas est unique, mais les victimes sont toujours les mêmes personnes.

Je pourrais faire valoir que les victimes, celles qui deviennent des agresseurs, ne sont pas des criminels de carrière. Le projet de loi C-268 pourrait peut-être agir comme facteur dissuasif si les lois étaient claires. C'est une déclaration plus qu'autre chose. Je me préoccupe de ce type de facteur dissuasif. Le projet de loi aborde d'autres principes de détermination de la peine, par exemple, la dénonciation.

Nous savons qu'il y a beaucoup d'autres choses que nous devrions faire, mais ce projet de loi comble une lacune que nous avons observée dans le système actuel.

Le sénateur Demers : Je serai bref et j'appuierai ce que vient de dire le sénateur Plett. Merci d'être ici, merci aussi d'avoir été honnêtes.

Vous avez mentionné le fait que personne ne se rend devant les tribunaux car il n'y a pas de témoins. Nous pouvons emprisonner les criminels pendant cinq ans, au maximum, nous pouvons, par exemple, emprisonner cette jeune fille qui ensuite se retrouvera dans la rue. Elle n'a aucune chance. Ce peut être une jeune fille, un jeune garçon, un jeune enfant. La victime saura qu'elle dispose de quelques années pour reprendre sa vie en main si le criminel est emprisonné. Elle peut déménager. Si le criminel ne reçoit qu'une peine de six semaines ou de six mois, il sera vite de retour dans la rue, et elle n'aura aucune chance de reprendre sa vie en main. S'il est emprisonné pour cinq ans, la victime aura le temps de commencer une nouvelle vie. C'est une façon de lui donner une chance de passer à autre chose et d'améliorer sa situation. Elle voudra témoigner si elle sait que le criminel devra purger une peine de cinq ans. C'était seulement une opinion.

À l'heure actuelle, cette jeune fille sait que la crapule, excusez l'expression, sera de retour dans la rue après une semaine ou deux, ou six mois. Elle sait qu'elle n'a ni le temps ni l'argent de se trouver un autre endroit pour vivre. Est- ce que cela a du bon sens?

[Français]

Mme Pollaert : En ce qui a trait à la question des preuves, je pense que ce n'est pas juste parce que la personne ne sera pas incarcérée pour cinq ans. On a un système où la personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. Forcément, il faut amasser beaucoup de preuves pour démontrer que c'est un cas de traite. Comme M. Perrin l'a exprimé avec brio, comme d'habitude, c'est très difficile à démontrer.

Je ne pense pas que les victimes, ce qu'on voit avec les gens avec qui on travaille, si elles hésitent à déposer une plainte et aller en cour, c'est plutôt parce qu'elles savent qu'il y aura la preuve, les procédures juridiques, vous le savez mieux que moi, à la fin, ce n'est pas toujours la justice qui va être rendue. C'est un effet général de la justice dans une démocratie. Je ne dirais pas juste que cela a un lien avec une sentence minimale.

[Traduction]

Le sénateur Eaton : Merci. Ce que vous dites est très subtil et très intéressant.

Mme Smith a parlé du projet de loi C-268. Je suis sûre que vous savez tous que le paragraphe 212(2.1) du Code criminel porte précisément sur les gains financiers ou les avantages que l'on peut tirer de la prostitution de personnes mineures. Devant un tribunal, vous devez prouver qu'une personne a vécu des produits de la traite des personnes ou de la prostitution. Le projet de loi C-268 ne prévoit pas ce fardeau de la preuve et s'attache plutôt aux méthodes utilisées pour faire le trafic et à la façon dont la victime est exploitée. Elle peut être forcée à travailler et à avoir des relations sexuelles.

Vous voyez peut-être, madame Pollaert, que si le projet de loi C-268 est adopté, il sera plus facile pour les tribunaux d'accuser et de condamner des criminels s'il n'y a pas de dispositions relatives au fardeau de la preuve financière.

Le président : Y a-t-il d'autres commentaires?

Nous sommes donc rendus à la fin de la première partie de cette séance. Merci aux deux témoins de s'être présentés et félicitations pour votre travail auprès du Bureau international des droits des enfants.

Honorables sénateurs, j'aimerais dire une chose avant que l'on passe à l'étude article par article du projet de loi C- 268. Il arrive de temps à autre que des membres me demandent de pouvoir poser des questions supplémentaires. J'ai parlé de cela au comité directeur. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il est très difficile, particulièrement lorsque les délais sont serrés, d'accepter des questions supplémentaires. On peut rapidement perdre le contrôle. Si l'on permet à une personne de poser une question, d'autres voudront en poser également. Je crois que la meilleure façon pour nous de fonctionner est de ne pas permettre les questions supplémentaires, sauf si nous disposons d'assez de temps, et de dresser plutôt une liste des personnes qui poseront une question pendant la deuxième série de questions.

Passons donc à l'étude du projet de loi C-268. Le sénateur Dyck prévoit présenter un amendement dont le texte a été distribué et qui concerne l'article 2. Certains sénateurs ne connaissent pas cette méthode; elle peut leur sembler archaïque, parfois, mais j'utiliserai des termes précis qui sont tout à fait conventionnels. J'irai lentement de façon à ne pas passer par-dessus un sujet dont quelqu'un voudrait discuter.

Acceptez-vous que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans)?

Des voix : D'accord.

Le président : Doit-on réserver l'étude du titre?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1 est adopté.

L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Dyck : Je propose :

Que le projet de loi C-268 soit modifié à l'article 2, à la page 1, par substitution, aux lignes 22 à 25, de ce qui suit :

« peine minimale étant de six ans :

(i) soit s'il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l'infraction,

(ii) soit si l'exploitation de la personne comprend la fourniture de services sexuels pour lesquels il reçoit, ou s'attend à recevoir, un avantage matériel, notamment pécuniaire; »

Le président : Voulez-vous discuter de cet amendement?

Le sénateur Dyck : Voulez-vous que je donne des explications?

Des voix : Oui.

Le sénateur Dyck : L'alinéa (i) ne change pas grand-chose, en anglais, et ne change rien, en français. En anglais, on substitue « the person » à « they » afin de bien distinguer le criminel et sa victime. L'alinéa (ii) intègre la notion selon laquelle le criminel a exploité sa victime en exigeant d'elle des services sexuels pour lesquels il obtiendra un bénéfice financier. Cela entraîne pour le criminel une peine de six ans plutôt qu'une peine de cinq ans.

Le sénateur Eaton : Est-ce que la disposition sur le fait de vivre des produits de la prostitution ne prévoit pas déjà cela?

Le sénateur Dyck : Oui, mais pas au regard de cette infraction-ci.

Le sénateur Eaton : Les criminels peuvent être condamnés en vertu de l'article 212 du Code criminel.

Le sénateur Dyck : Oui.

Le président : Voulez-vous discuter d'autres choses à propos de cet amendement?

Le sénateur Martin : J'ai une question à poser aux membres du comité et peut-être au sénateur Dyck, qui propose cet amendement. En ajoutant l'alinéa (ii) « la fourniture de services sexuels pour lesquels il reçoit, ou s'attend à recevoir, un avantage matériel, notamment pécuniaire », est-ce que l'on ne rend pas plus difficile, pour la Couronne, d'obtenir une condamnation? N'avons-nous pas déjà entendu dire qu'il était déjà très difficile de condamner une personne en prouvant qu'elle a retiré des avantages financiers?

Le sénateur Dyck : C'est ce que Mme Smith a indiqué, mais un avocat — je ne sais plus quel avocat — a dit par la suite qu'il ne pensait pas que cela était le cas. Cela dépendrait des circonstances particulières de l'affaire. On ne peut pas généraliser ainsi.

Le sénateur Martin : Je me demande seulement si cet amendement n'est pas davantage restrictif.

Le sénateur Dyck : Si une personne s'adonnait à la traite des mineurs dans le but précis de faire travailler ce mineur dans l'industrie du sexe, elle recevrait une peine de six ans plutôt qu'une peine de cinq ans. C'est le but de cet amendement. Si un criminel s'adonne à la traite des personnes et exige d'une personne mineure qu'elle fasse le trottoir et qu'elle fournisse des services sexuels, cette personne sera emprisonnée pendant six ans, non pas cinq ans.

Le sénateur Martin : Le projet de loi est concis et très précis. Est-ce qu'on peut y ajouter quelque chose pour le rendre plus efficace? Je ne suis pas avocat; je ne peux pas commenter ce changement particulier.

Le président : J'accepte les questions qui s'adressent au sénateur Dyck. Ensuite, je laisserai la parole aux intervenants. Y a-t-il d'autres questions pour le sénateur Dyck?

Le sénateur Martin : Quel avocat avez-vous consulté sur ce sujet?

Le sénateur Dyck : J'ai consulté Janice Tokar et Mark Audcent, légistes et conseillers parlementaires au Sénat du Canada.

Le sénateur Martin : Et qu'ont-ils dit à ce propos?

Le sénateur Dyck : Ils ont rédigé l'amendement. Nous en avons parlé, et ils ont dit que l'amendement serait pertinent, en se fondant sur ce qu'ils connaissent du droit criminel.

Le président : Ils vous ont préparé le libellé dans le langage juridique. Ils ne vous ont pas donné l'orientation politique. Cette question revient au comité. Les gens du milieu juridique ne disent pas que c'est correct d'agir ainsi. Plutôt, ils disent comment il faut l'écrire si c'est ce que nous voulons faire.

Le sénateur Martin : Cela ne m'enlève pas mes inquiétudes.

Le sénateur Ogilvie : Je veux que cela soit clair : je vais voter contre cet amendement. Le premier alinéa n'est pas nécessaire, et le second change la nature du projet de loi en introduisant un risque que nous ne devrions pas prendre à cette étape-ci. Il faut que le Canada adopte ce projet de loi, et je suis opposé à cet amendement puisqu'il repousserait la possibilité de nous attaquer le plus rapidement possible à ces crimes horribles et haineux.

Le président : Il faut savoir que tout amendement à ce projet de loi sera présenté au Sénat. Si le Sénat adopte un amendement à ce projet de loi, le projet de loi retourne à la Chambre des communes. Les sénateurs devraient savoir comment cela se déroule, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne devraient pas agir ainsi.

Le sénateur Champagne : Ne soyez pas fâché contre moi. Je disais tout simplement que cela me dérange. C'est tout ce que j'ai dit, sénateur Eggleton. Nous ne sommes pas en assemblée générale.

Le sénateur Eaton : Je répète que l'article 212 du Code criminel aborde le même sujet que le sénateur Dyck, c'est-à- dire les victimes qui sont obligées de fournir des services sexuels en vue de produite des avantages financiers. C'est là qu'est la différence entre le projet de loi et l'article 212 du Code criminel, le fait de vivre des produits de la prostitution, une disposition qui est déjà en vigueur.

Le président : Dois-je passer au vote? L'amendement proposé par le sénateur Dyck est-il adopté? Qui est pour? Qui est contre?

Des voix : Non.

Le président : L'amendement est rejeté.

L'article 2 du projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2 est adopté. Interrompez-moi si vous voulez présenter d'autres amendements.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 3 est adopté.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 7 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 8 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : J'indiquerai qu'il y a une dissidence. Voulez-vous aller plus loin?

Le sénateur Cordy : Je parlais de présenter des observations.

Le président : Je vais y venir. Le projet de loi est adopté avec dissidence.

Est-ce que les membres du comité voudraient joindre des observations au rapport?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Le président : Sénateur Cordy, voulez-vous exposer rapidement votre position?

Le sénateur Cordy : Je n'ai rien de formel, j'ai simplement pris quelques notes en écoutant les témoins aujourd'hui.

Nous avons entendu dire que la GRC avait mis sur pied une division qui se consacrait au trafic des personnes, mais que cette division n'a aucun pouvoir d'enquête en raison du manque de ressources. Je ne peux donc pas vraiment espérer que ce projet de loi fera quelque chose, s'il n'y a pas de ressources pour trouver les personnes qui commettent le crime de faire le trafic de personnes de moins de 18 ans.

Mon observation est la suivante : la division de la GRC qui est chargée du trafic des personnes n'a aucun pouvoir d'enquête à cause du manque de ressources. Il faudrait donner à la GRC les ressources qui lui permettront d'empêcher les gens de faire le trafic de personnes mineures et de les appréhender.

Si la division de la GRC n'a pas ces ressources, on peut bien adopter 5 000 lois, mais elles n'auront aucune utilité. Nous avons entendu aujourd'hui un témoin affirmer que 1 p. 100 seulement des trafiquants étaient jugés coupables et condamnés. Et même si nous pouvions en poursuivre 20 p. 100, à quoi servirait d'adopter des lois que notre service national de police ne peut pas appliquer en raison du manque de ressources? Nous croyons tous qu'il faut que ces gens soient traduits devant les tribunaux, mais on ne peut pas adopter une loi si on n'a pas les ressources nécessaires pour l'appliquer.

Nous avons aussi entendu dire que les agents des services frontaliers n'avaient pas suivi de formation dans ce domaine. Il faudrait qu'ils soient formés si l'on veut qu'ils aient la capacité de reconnaître les situations où l'on essaie de faire passer la frontière à des personnes de moins de 18 ans.

J'aimerais que ces aspects soient inscrits dans les observations.

Le président : Y a-t-il d'autres propositions à intégrer aux observations avant que nous passions au débat?

Le sénateur Dyck : L'un des témoins a dit que l'imposition d'une peine minimale obligatoire aurait une conséquence imprévue en réduisant le nombre de plaidoyers de culpabilité. Les criminels devraient se présenter devant un tribunal, et la victime aurait à témoigner. Lorsque la victime est jeune, cela équivaut essentiellement à en faire encore une fois une victime. L'obligation d'avoir à témoigner oblige la victime à revivre son traumatisme.

Le président : Vous voulez inscrire cela à titre d'observation?

Le sénateur Dyck : Oui.

Le président : Je vais mettre les observations proposées sur la table. Voulez-vous proposer d'autres observations? Ce sera le tour du sénateur Plett, du sénateur Champagne et du sénateur Martin.

Le sénateur Plett : J'ai quelques commentaires à faire au sujet de l'observation du sénateur Cordy. Pour commencer, je ne crois pas que nous devrions accorder foi à cette statistique du 1 p. 100. Celui qui l'a donné a reconnu qu'il l'avait pour ainsi dire inventée et qu'il ne pouvait absolument pas l'étayer. Il a dit que, sur 600 personnes, cela représentait environ 1 p. 100, et que, sur 8 000 personnes, cela représentant moins de 1 p. 100. Il nous a donné un chiffre qui figure sur le procès- verbal et qu'il ne peut absolument pas justifier. Il ne faudrait pas en tenir compte.

Je n'ai pas entendu les intervenants de la GRC dire que la gendarmerie n'avait pas de ressources. Le procureur a dit qu'il n'avait pas de ressources. La GRC est tout à fait en faveur de ce projet de loi. Les deux intervenants, ici même, ont dit cela. Ils n'ont jamais parlé d'un manque de ressources. Nous ne pouvons pas intégrer une observation selon laquelle les intervenants de la GRC auraient dit qu'il y avait un manque de ressources, parce que cela n'est pas du tout le cas.

Le sénateur Cordy : Devons-nous garder la seconde partie, qui propose que l'on donne des ressources à la GRC?

Le sénateur Plett : Je trouve que les observations n'ont trait qu'à des situations strictement hypothétiques. Nous avons adopté aujourd'hui un projet de loi. Nous formulons des hypothèses sur ce qui est et sur ce qui n'est pas. Je pense que nous perdons tout simplement notre temps. Je crois que nous devrions présenter ce projet de loi au Sénat de façon à ce que la loi soit adoptée le plus rapidement possible. Je suis contre toute observation.

Le sénateur Champagne : Sénateur Dyck, j'aimerais tout simplement mentionner qu'on nous a expliqué que, lorsque des jeunes doivent se présenter devant les tribunaux, on prend toutes sortes de mesures pour les protéger. On peut organiser une vidéoconférence de façon qu'ils puissent témoigner dans une autre salle sans avoir à faire face à leur agresseur, par exemple. C'est déjà tout prévu dans la loi, pas celle-ci, mais dans l'autre loi qui s'applique.

Je comprends votre inquiétude, mais, si des mesures ont déjà été prises, je ne vois pas pourquoi il faudrait en ajouter dans ce projet de loi. Cela se ferait de façon automatique si la victime est âgée de moins de 18 ans, évidemment, sauf s'il s'écoule deux ou trois ans avant le procès. Cette victime serait protégée. Je ne crois pas que cela soit nécessaire de l'indiquer dans une observation.

Le sénateur Martin : En principe, je suis d'accord avec ce que dit le sénateur Cordy. Bien sûr, tout le monde a besoin de plus de ressources pour faire ce qu'il a à faire, mais nous n'avons pas entendu les intervenants de la GRC dire qu'il manquait de ressources et qu'ils étaient incapables de faire leur travail. Le Centre de lutte contre le trafic des personnes n'a pas reçu le mandat de mener des enquêtes, mais les autres services de la GRC pourraient se charger de telles enquêtes. M. Perrin a dit que de nombreuses forces de police du pays font la même chose.

De plus, nous n'avons pas entendu les victimes dire qu'elles avaient l'impression d'être encore une fois des victimes. Nous avons entendu les groupes de défense de leurs intérêts. En ce qui concerne ce qu'éprouvent les victimes, je ne crois pas que nous devrions intégrer des observations qui concernent des groupes dont nous n'avons pas entendu nous- mêmes les témoins. On ne sait pas si c'est vrai ou faux, mais nous venons d'adopter le projet de loi et nous devrions nous intéresser à ses aspects positifs. C'est ma position.

Le sénateur Eaton : Je dirais qu'il s'agit de ouï-dire.

Le président : Le sénateur Cordy a proposé un amendement en deux parties. Le sénateur Dyck a aussi proposé un amendement. Voulez-vous que je passe aux questions?

Si nous nous occupons des observations, il faudrait demander au personnel compétent de les écrire dans un langage et dans une forme appropriés afin de refléter les témoignages entendus ici aujourd'hui.

Qui est en faveur des observations proposées par le sénateur Cordy?

Des voix : D'accord.

Le président : Qui est contre?

Des voix : Contre.

Le président : L'observation est rejetée.

Qui est en faveur de l'observation proposée par le sénateur Dyck?

Des voix : D'accord.

Le président : Qui est contre?

Des voix : Contre.

Le président : L'observation est rejetée. Acceptez-vous que je fasse rapport du projet de loi au sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Je vais donc le faire.

(La séance est levée.)


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