Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages du 27 octobre 2010


OTTAWA, le jeudi 27 octobre 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 16 pour étudier la préparation du Canada en cas de pandémie.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la préparation et les interventions en cas de pandémie. Nous abordons plus particulièrement les questions émergentes en recherche et en éthique.

Nous tiendrons aujourd'hui deux tables rondes. Pendant la première heure et quart, nous accueillerons deux témoins, puis nous en accueillerons deux autres pendant la deuxième table ronde, de 17 h 30 à 18 h 45.

Pour la première partie, nous accueillons le Dr Alain Beaudet, président des Instituts de recherche en santé du Canada, IRSC. En plus d'occuper ce poste prestigieux, il connaît aussi une brillante carrière à l'Institut et hôpital neurologiques de Montréal, établissement de renommée mondiale.

Nous accueillons aussi M. Bhagirath Singh, directeur du Centre de l'immunologie humaine à l'Université de Western Ontario. Il a été directeur scientifique de l'Institut des maladies infectieuses et immunitaires des IRSC de 2001 à 2009, c'est-à-dire depuis sa création. En 2003, il avait la responsabilité de trouver une façon de réagir rapidement, sur le plan de la recherche, à la menace que constituait le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, et il a créé le Consortium canadien de recherche sur le SRAS. À partir de 2006, il a coordonné la recherche sur la pandémie d'influenza, notamment par la création de l'Initiative de recherche stratégique sur la capacité d'intervention en cas de pandémie des IRSC. Il a toutefois quitté récemment les IRSC et il témoigne aujourd'hui devant nous à titre personnel.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Docteur Beaudet, vous pouvez commencer. Vous avez environ sept minutes chacun.

Dr Alain Beaudet, président, Instituts de recherche en santé du Canada : Je remercie le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de me donner l'occasion de discuter du rôle de la recherche et des Instituts de recherche en santé du Canada dans la planification en cas de pandémie.

Comme l'ont mentionné des témoins qui ont comparu devant le comité, l'intervention coordonnée du Canada pendant la pandémie de grippe HIN1 en 2009 n'aurait pas pu avoir lieu sans des années de planification et d'investissements dans la recherche sur la préparation en cas de pandémie. Les répercussions de la pandémie d'influenza H1N1 en 2009 auraient pu être bien pires sans toutes ces années de planification.

[Français]

Depuis 2006, des investissements de 21,5 millions de dollars du gouvernement du Canada, ciblés en recherche, nous ont permis d'acquérir des connaissances essentielles pour nous préparer à faire face à une éventuelle pandémie. Ces investissements, auxquels se sont ajoutés 24,2 millions de dollars en fonds d'appariement levés auprès de partenaires publics et privés, ont effectivement permis aux Instituts canadiens de recherche en santé d'investir massivement en recherche sur l'influenza. Nous avons ciblé nos efforts sur la mise au point de vaccins efficaces contre le virus de l'influenza, sur une meilleure connaissance de la biologie du virus, sur l'élaboration de tests diagnostiques rapides, sur la prévention de la propagation du virus, sur le développement de nouvelles approches de traitements, et enfin sur la mise en place d'un contrat éthique juridique et social.

Comme vous pouvez le constater sur le graphique qui vous a été distribué, le nombre de publications canadiennes portant sur la grippe H1N1 et les pandémies a doublé depuis 2006. Ces investissements ont également permis au Canada de développer une infrastructure de recherche qui s'est avérée cruciale pour nous permettre de répondre rapidement et efficacement aux risques de pandémie de la grippe H1N1. Ils nous ont en effet permis de mettre sur pied en un temps record un réseau de recherche sur l'influenza codirigé, en collaboration étroite, par les IRSC et l'Agence de la santé publique du Canada.

[Traduction]

En 2009, ce Réseau de recherche sur l'influenza de l'ASPC et des IRSC a joué un rôle clé dans l'élaboration et la mise à l'essai de méthodes permettant d'évaluer l'innocuité et l'efficacité des vaccins contre l'influenza, et d'évaluer et de mettre en œuvre des programmes. Grâce à ce réseau, le Canada a pu procéder à quatre essais distincts afin d'évaluer rapidement l'innocuité et l'immunogénicité du vaccin grippal pandémique H1N1 au sein de diverses populations à risque. D'autres essais réussis ont aussi permis d'examiner diverses stratégies de déploiement de programmes de vaccination de masse dans le but d'améliorer la couverture vaccinale, de garantir l'innocuité du vaccin chez les enfants allergiques aux œufs, et d'améliorer l'efficacité du vaccin en ce qui concerne la prévention des hospitalisations et des conséquences graves.

En plus de procéder à tous ces essais cliniques, le Réseau de recherche sur l'influenza de l'ASPC et des IRSC a aussi effectué un archivage détaillé des échantillons d'origine biologique et des réactifs. L'information archivée peut être consultée par le grand public et par des chercheurs universitaires qui souhaitent obtenir des réponses à des questions sur les programmes de vaccination contre l'influenza.

Pour conclure, je répète que la préparation du Canada en cas de menaces mondiales, comme le SRAS et le H1N1, dépend de notre capacité à mobiliser rapidement nos chercheurs de calibre international. Grâce au Réseau de recherche sur l'influenza, qui compte maintenant plus de 90 enquêteurs provenant de 30 établissements partout au Canada, et qui est en mesure d'organiser et d'exécuter des essais de recherche clinique rapidement, notre milieu scientifique est bien solide et assez souple pour soutenir un effort immédiat visant à cerner les agents infectieux et à élaborer des stratégies de prévention et de traitement pour lutter contre la menace que représentent diverses maladies infectieuses.

En outre, même en l'absence de menace immédiate, le Réseau est un moyen unique d'effectuer de la recherche de façon continue pour évaluer l'innocuité et l'efficacité des vaccins contre la grippe saisonnière, qui entraîne jusqu'à 8 000 décès par année au Canada seulement.

Le financement que les IRSC reçoivent pour l'Initiative de recherche stratégique sur la capacité d'intervention en cas de pandémie, qui permet de mettre en œuvre des projets comme le Réseau de recherche sur l'influenza de l'ASPC et des IRSC, prend fin en mars 2011. Si le réseau, dont l'importance a été reconnue dans la mise en œuvre d'une intervention coordonnée à la pandémie de H1N1 en 2009, devait être démantelé, cela pourrait compromettre la capacité du Canada d'intervenir rapidement et efficacement si l'on devait faire face non seulement à des menaces comme de nouvelles formes mutantes du virus de l'influenza, mais aussi à de nouvelles menaces de pandémie, comme le virus du Nil occidental, la maladie de Lyme, les bactéries multirésistantes, et les autres menaces inconnues qui risquent d'apparaître en cette époque où les déplacements augmentent, le commerce s'accélère et le climat change.

Enfin, j'en profite pour informer les membres du comité que le directeur scientifique de l'Institut des maladies infectieuses et immunitaires des IRSC, Marc Ouellette, et son équipe organisent une vaste conférence scientifique sur la préparation du Canada en cas de pandémie, conférence qui mettra l'accent sur les résultats, les répercussions et les leçons apprises de l'Initiative canadienne de recherche sur la capacité d'intervention en cas de pandémie. Cette rencontre aura lieu à Montréal les 12 et 13 novembre 2010, et je suis certain que le Dr Ouellette serait ravi de comparaître devant le comité pour discuter des conclusions de cette rencontre importante.

Bhagirath Singh, directeur, Centre de l'immunologie humaine, Université de Western Ontario, à titre personnel : Honorables membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je remercie le comité de m'avoir invité à faire part de mes réflexions personnelles et de mes expériences concrètes concernant la question à l'étude aujourd'hui.

Mes commentaires reflètent mes connaissances personnelles de la recherche dans ce domaine, ainsi que la recherche que j'ai moi-même effectuée en immunologie depuis les 30 dernières années. La création des IRSC en 2000 et de l'Agence de santé publique du Canada en 2003, à la suite de l'éclosion du SRAS, a entraîné des changements déterminants dans la façon dont nous percevons la recherche au Canada, particulièrement en ce qui concerne la façon de faire face aux pandémies et aux maladies infectieuses.

Les investissements des IRSC dans la création et l'application de connaissances constituent le fondement de la recherche future et de la façon dont nous utiliserons les résultats de cette recherche dans le secteur de la santé publique, mais la participation de l'Agence de santé publique aux activités de surveillance et de renforcement du système de santé joue un rôle capital dans le fonctionnement de ce secteur et de ce système.

Comme l'a fait remarquer le Dr Beaudet, il existe une collaboration efficace entre ces deux organismes, qui a commencé il y a de nombreuses années et qui se poursuit aujourd'hui. À la suite de l'éclosion de SRAS en 2003, il est devenu clair que le Canada n'était pas prêt à intervenir en cas de pandémie, grande ou petite. Nous avons donc pris une nouvelle direction et avons créé l'Agence de santé publique, et, en Ontario, l'Agence de protection et de promotion de la santé de l'Ontario afin de pouvoir faire face aux nombreuses difficultés associées aux maladies infectieuses.

Il y a eu le SRAS, le virus du Nil occidental, la bactérie C. difficile, la maladie de la vache folle et la grippe aviaire, et la menace se poursuit. Chaque année, nous faisons face à de nombreux nouveaux défis dans le secteur des maladies infectieuses.

L'influenza revient chaque année, que nous y soyons préparés ou non. Elle tue en moyenne 4 000 Canadiens et en rend malade des milliers d'autres, en plus d'entraîner des coûts énormes pour notre système de santé.

L'influenza pandémique, pour sa part, apparaît tous les 30 ou 40 ans et tue des millions de personnes partout dans le monde. Il existe un lien entre ces deux types d'éclosions d'influenza. Nous devons nous préparer à faire face à l'influenza saisonnière puisque cela nous donne une idée de la façon dont nous interviendrons en cas de pandémie. À la suite des difficultés auxquelles nous avons fait face en 2005, les IRSC et l'Agence de santé publique ont organisé conjointement une conférence afin de consulter leurs partenaires, ce qui a entraîné des initiatives conjointes de recherche sur la capacité d'intervention en cas de pandémie.

À cette époque, en 2005-2006, il va de soi que le Canada et les États-Unis ont tous deux investi beaucoup d'argent dans la lutte contre les pandémies, et je peux vous dire que la recherche fait partie des secteurs importants qui ont reçu du financement du Parlement canadien. Malheureusement, le financement accordé à la recherche correspondait à environ 2 p. 100 du milliard de dollars engagés, soit 21,5 millions de dollars. Malgré le caractère modeste de l'investissement, quand j'étais le directeur des IRSC mentionnés par le Dr Beaudet, nous avons lancé, avec l'aide des divers partenaires financiers et d'autres organismes, une importante initiative de recherche, l'Initiative de recherche stratégique sur la capacité d'intervention en cas de pandémie. Cette initiative est devenue, en 2006, le fondement de la réponse de la recherche dans le cadre de la préparation en cas de pandémie à venir.

Grâce à la nature collaborative de l'initiative, et grâce aux efforts auxquels le personnel des instituts et moi-même avons grandement participé, le financement de la recherche qui était de 21,5 millions de dollars a atteint plus de 43 millions de dollars. Ce financement quinquennal prendra fin en mars 2011, ce qui ne devrait pas, au bout du compte, permettre d'attirer ou de retenir les personnes qui travaillent dans ce secteur. Celles-ci quitteront probablement le secteur pour aller travailler dans d'autres secteurs de recherche. On peut certainement parler d'une occasion manquée.

Avons-nous vraiment réglé le problème des futures pandémies? Le financement sera-t-il toujours disponible quand nous en aurons besoin? Il faut réfléchir à certaines de ces difficultés à mesure que nous allons de l'avant. Il y a toujours un défi à relever. Quand nous faisons face à une pandémie, tout le monde pense à notre façon d'y réagir. Nous ne pouvons pas nous occuper d'un programme de recherche en pleine pandémie, et c'est pourquoi la préparation devient l'élément clé de notre façon de relever ces défis au fur et à mesure qu'ils se présentent.

Quand la grippe H1N1 a fait son apparition, nous avons relevé le défi grâce à notre préparation entreprise en 2006. Les chiffres sont disponibles, et je vous ai remis le document intitulé « La recherche sur l'état de préparation ouvre la voie à la réaction des autorités publiques à la pandémie de grippe (H1N1) de 2009. » Il s'agit d'un document factuel qui décrit en détail ce que nous avons fait et comment nous l'avons fait, et les moyens que nous avons pris pour relever le défi.

Nous avons aussi organisé plusieurs rencontres financées à même notre programme. Elles ont permis au milieu scientifique et à nos partenaires d'en savoir plus sur l'évolution de la situation et les difficultés à surmonter. De cette façon, tout le monde a pu travailler en collaboration pour trouver une façon de régler les enjeux qui surgissent en cas de pandémie.

Il y a trois recommandations que j'aimerais porter à votre attention. D'abord, il faudrait continuer à prévoir du financement dédié. Les IRSC et d'autres organismes de financement reçoivent leur juste part du financement pour la recherche. Cependant, si celui-ci n'est pas dédié, il ne se concrétise habituellement pas par un engagement approfondi et à long terme dans un secteur en particulier de la recherche. Pour que nous puissions faire face à l'évolution des défis en ce qui concerne les maladies infectieuses, il faut que la recherche sur les pandémies soit appuyée par des initiatives fédérales de recherche; ce peut être par l'entremise des IRSC ou par d'autres moyens, mais il faut des initiatives. Le financement doit être souple de façon à ce que nous puissions l'utiliser quand nous en avons vraiment besoin plutôt que de simplement dépenser l'argent.

Deuxièmement, les programmes de financement et de recherche en santé décrits ont permis de renforcer les capacités de recherche, comme nous l'avons fait pour les pandémies au cours des quatre dernières années. Ces capacités nous permettent de nous distinguer de bien d'autres pays du monde. Le Canada a été le chef de file de l'élaboration du plan de lutte contre la pandémie, et c'est grâce au financement dédié de la recherche que nous avons pu réussir à le mettre en place.

Enfin, nous devons aussi réfléchir à une équipe de recherche d'intervention rapide. Depuis le début de mes travaux concernant le SRAS, j'ai constaté qu'il devenait évident que nous avons besoin d'une équipe autonome comme notre Équipe d'intervention en cas de catastrophe, qui est prête quand on en a besoin, ce qui permet de réunir dans un court délai les meilleurs cerveaux afin d'intervenir. La recherche n'a pas comme seul but d'effectuer de la surveillance et de concevoir des produits; c'est aussi la façon de régler des problèmes. Pour l'éclosion du SRAS comme pour la pandémie de H1N1, le Canada a été le chef de file du séquençage du virus. Nous avons été le premier pays à connaître le séquençage de ce virus parce que nous disposions de la plate-forme technologique requise et que nous avons été capables d'intervenir en nous servant de la recherche pour concevoir les outils de diagnostic.

Nous avons prouvé que la recherche est payante. Elle est la façon de faire face aux difficultés. On ne peut pas tout simplement se contenter d'admettre que des événements surviendront et que nous ne pourrons pas intervenir.

Je remercie le Parlement du Canada d'avoir financé l'initiative en matière de pandémie. C'est un investissement qui s'est révélé payant. Étant donné que le financement actuel tire à sa fin, nous avons l'occasion de réfléchir de nouveau à toute cette question et nous pouvons décider que le Canada doit être un chef de file dans ce domaine. La seule façon pour nous de jouer ce rôle de chef de file, c'est d'offrir un soutien dédié à nos chercheurs qui consacrent leur temps et leur énergie à construire les réseaux dont nous avons parlé.

Le président : Je vais commencer. J'ai une question pour le Dr Beaudet, puis une autre pour M. Singh.

Docteur Beaudet, vous avez mentionné la fin du financement l'an prochain. J'aimerais savoir en quoi cela aura une incidence sur quelques sujets qui ont été abordés devant le comité et qui ont une certaine valeur en ce qui concerne la recherche. Est-ce que votre travail concerne l'un ou l'autre de ces deux sujets? La fin du financement aura-t-elle des répercussions sur ceux-ci?

D'abord, on nous a dit que nous n'avions pas assez de capacité, sur le plan des systèmes électroniques, pour recueillir, gérer et transmettre les données cliniques et épidémiologiques. Les IRSC jouent-ils un rôle dans la création ou le maintien d'une telle infrastructure?

Nous avons aussi entendu dire qu'une nouvelle technologie de vaccin, notamment fondée sur la lignée cellulaire et l'ADN, était en voie d'être mise au point, et qu'elle pourrait permettre de produire des vaccins plus rapidement qu'avec la technologie se servant d'œufs.

Pouvez-vous préciser la mesure dans laquelle vous participez à cette recherche, décrire l'état actuel de la recherche à ce sujet, et nous dire si la disparition du financement à la fin de l'exercice, comme vous l'avez dit, aura une incidence sur ces secteurs?

Dr Beaudet : Ce financement nous a permis de réaliser deux choses. D'abord, nous avons pu renforcer nos capacités, c'est-à-dire de susciter l'intérêt de certains des meilleurs cerveaux du pays en matière de recherche et de maladies infectieuses. Vous avez vu les résultats; cela a fonctionné. De toute évidence, ces personnes étaient d'excellents chercheurs canadiens, mais leur intérêt a changé, et c'est une bonne nouvelle pour ce qui est de la préparation à intervenir en cas de crise. C'est aussi une bonne nouvelle en ce sens que les étudiants et les stagiaires postdoctoraux de ces chercheurs travailleront à des projets liés à l'influenza. Nous préparons la prochaine génération de chercheurs.

Le deuxième avantage, c'est que nous avons pu construire une infrastructure. En sciences, il est difficile d'inciter des scientifiques à collaborer. De par sa nature, la science est concurrentielle; les chercheurs agissent naturellement de façon concurrentielle. Cependant, ils acceptent de collaborer quand c'est pour le bien commun. C'est exactement ce que l'Initiative de recherche sur la capacité d'intervention en cas de pandémie nous a permis de faire, c'est-à-dire de regrouper les chercheurs afin qu'ils collaborent, et qu'ils le fassent de façon à ce que, quand la pandémie sera là, nous puissions rapidement lancer des appels de demandes.

Nous avons ainsi pu recevoir d'excellentes demandes provenant d'excellents chercheurs, qui ont pu être évaluées et mises en œuvre rapidement — plus rapidement qu'à l'habitude. Je ne dis pas que nous ne voulons pas bouger rapidement, mais vous savez comment ça se passe. De toute évidence, la réponse est oui. Le financement est essentiel non seulement au renforcement des capacités, mais aussi au maintien d'une infrastructure qui sera essentielle.

Pour répondre un peu plus précisément aux deux points que vous avez abordés, je dirais qu'il faut, au Canada, de façon générale, améliorer la création des bases de données et des dossiers électroniques et l'accès à ceux-ci. Nous sommes au courant de cette lacune, et plusieurs de nos programmes ont pour but d'améliorer ces aspects. L'un d'eux est le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, le RIEM. L'un de buts établis du réseau est d'améliorer l'accès aux bases de données électroniques, plus particulièrement de permettre aux diverses bases de données des diverses provinces de communiquer entre elles, à tout le moins, d'offrir des façons de regrouper les données afin que nous puissions mieux utiliser les données exceptionnelles que notre système de soins de santé universel a produites et que nous n'utilisons pas suffisamment.

Il existe aussi un besoin d'ordre plus général, et je parle de la production de dossiers électroniques. Je ne m'embarquerai pas dans cette question. Je crois que vous savez exactement de quoi je parle. Nous ne sommes pas encore rendus là, mais cela aura toute une incidence. Il existe aussi, de façon plus générale, un besoin pour une infrastructure de recherche clinique au pays. Les IRSC sont bien au fait de ce besoin et ont créé la Stratégie de recherche axée sur le patient. Ils ont élaboré la stratégie en collaboration avec des partenaires — des provinces, des organismes du secteur privé et des organisations non gouvernementales, des ONG — afin d'améliorer l'infrastructure, les communications et les moyens de soutenir la recherche clinique en général, ainsi que les moyens de soutenir plusieurs réseaux de ce type au pays, parce que nous avons besoin de réseaux pour élaborer des essais cliniques dans d'autres secteurs.

En ce qui concerne la vaccination et les aspects techniques de la production de vaccins, je vais m'en remettre à M. Singh. Il est plus compétent que moi pour parler de ce sujet.

M. Singh : Il ne fait aucun doute que la technologie de vaccin n'a pas évolué aussi rapidement qu'on l'aurait pensé. Pour ce qui est de la technologie qui consiste à se servir d'œufs pour créer des vaccins, elle remonte à près de 60 ans. La technologie permettant de produire des vaccins dans des cultures tissulaires sans utiliser d'œufs existe bel et bien, mais son utilisation à grande échelle, de façon à ce que les entreprises puissent véritablement produire des vaccins, coûte cher. Il n'y a pas de problèmes techniques puisque nous possédons les technologies, mais il est difficile de les adapter pour que des fabricants les utilisent pour produire des vaccins. C'est là qu'il y a des lacunes, et elles sont énormes parce que l'investissement que le secteur privé devra effectuer viendra modifier la façon dont il fait actuellement des affaires. Ce sont là les obstacles à surmonter.

Le président : La recherche est en cours, donc?

M. Singh : La recherche est en cours, à l'échelle mondiale.

Le président : Est-ce que l'élimination, au printemps prochain, du financement versé aux IRSC aura des répercussions sur la recherche, ou s'il s'agit de recherche effectuée par le secteur privé?

M. Singh : Il n'y a aucun doute à ce sujet : nous avons besoin de la recherche fondamentale pour continuer à améliorer cette technologie de façon à éliminer les obstacles qui pourraient nuire à l'élaboration de vaccins. Sans la recherche, nous ne pouvons pas faire de progrès.

Le président : J'aimerais rapidement vous poser une autre question, monsieur Singh. Vous avez proposé une Équipe canadienne de recherche d'intervention rapide, l'ECRIR. Nous avons constaté, au fil de nos audiences, qu'il y a toute une série de plans, de comités, de réseaux — tout ce que vous voulez — qui sont connus sous leurs acronymes. Nous en avons demandé une liste afin de pouvoir nous y reconnaître. Pensez-vous que cette équipe pourrait remplacer certains groupes existants?

M. Singh : Non. La recherche ne fait pas partie de l'un ou l'autre de ces programmes. Tous les organismes fédéraux disposent de divers mécanismes d'intervention rapide, de surveillance et de diagnostic, mais ils n'ont pas d'équipe de recherche à ce sujet.

Nous pensons qu'il est inutile de créer un autre organisme. Les IRSC peuvent créer l'équipe, mais elle devra avoir une orientation précise, et du financement devra lui être alloué expressément, comme c'est le cas pour le VIH ou l'hépatite C. Il faudra aussi prévoir des liens avec les provinces et, peut-être, avec des organismes internationaux. Cependant, l'équipe devra être gérée comme un réseau de recherche.

Le sénateur Eaton : Je vais aborder la question d'un autre point de vue. Le SRAS est arrivé au Canada par avion, je pense; quelqu'un est descendu d'un avion à Toronto en provenance de Hong Kong ou de la Chine et il avait le SRAS. À l'Hôpital St. Michael's, on procède actuellement à une recherche sur un programme informatique qui permettrait, dans le cas où une personne atteinte de l'influenza descendrait d'un avion à Montréal en provenance de Paris pendant une épidémie, de savoir où elle se rendrait ensuite.

Est-ce une chose que vous faites aussi, ou avez-vous déjà entendu parler de ce dispositif de suivi? Ils peuvent prévoir où la maladie se répandra ensuite au pays, et même dans le monde. J'ai vu cette technologie fonctionner, et c'est intéressant.

M. Singh : C'est une idée fascinante. Cependant, comment peut-on y arriver, d'un point de vue pratique? Si quelqu'un est atteint d'une infection, il y a une période d'incubation, qui peut être de quelques jours. C'est une chose de pouvoir dire que la personne qui est descendue de l'avion avait la grippe, mais si les symptômes de la grippe apparaissent chez cette personne une fois qu'elle est arrivée chez elle, c'est une tout autre chose de savoir comment la maladie évoluera.

Les modèles constituent une excellente façon de prédire l'évolution d'une situation, mais, d'un point de vue pratique, ils présentent des limites en raison de la nature humaine, qui est bien différente de ce que les modèles mathématiques peuvent prévoir.

Le sénateur Eaton : C'est un programme informatique élaboré par des médecins. Je pourrais les mettre en contact avec vous pour que vous puissiez en discuter entre spécialistes.

En ce qui concerne votre planification en cas de pandémie, si une pandémie commence dans une école, que feriez- vous pour essayer de suivre son activité et de prédire où elle se propagera?

M. Singh : Les modèles ont été créés. Vous avez tout à fait raison : il existe des modèles qui démontrent clairement comment effectuer ce suivi. Cependant, d'un point de vue pratique, le fonctionnement de ces modèles présente des limites. L'Agence de santé publique du Canada est au courant de cette méthode. La surveillance fait partie de ses responsabilités, et elle se sert, de fait, de cette méthode.

Dr Beaudet : Vous avez tout à fait raison de dire qu'il est essentiel de pouvoir déterminer où une pandémie a pris naissance. Nous étions à peu près certains que la prochaine pandémie viendrait d'Asie, et pourtant, elle est venue du Mexique. Personne n'avait prévu cela. C'était important de pouvoir remonter rapidement jusqu'à l'origine de la pandémie, au Mexique, pour que les autorités mexicaines puissent prendre des mesures, ce qu'elles ont fait.

Le sénateur Eaton : Une fois que la pandémie a été arrivée au pays, vous n'aviez aucune façon de prédire à quelle vitesse elle se propagerait et dans quelles villes, en vous fondant, entre autres, sur le nombre de personnes qui arrivaient du Mexique ou qui s'y rendaient?

Dr Beaudet : Nous finançons un groupe qui élabore ce type de modèle de façon à suivre les profils de transmission de la pandémie au pays.

Le sénateur Eaton : C'est une information qui peut être utile pour les hôpitaux, les écoles et les responsables des communications.

Dr Beaudet : Oui, c'est pourquoi je l'ai mentionnée.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être venu aujourd'hui.

Vous avez parlé du financement. Je constate que l'institut a financé cinq projets de recherche sur le H1N1 sur une période de deux ans. Ces projets sont-ils toujours en cours ou ont-ils pris fin? Pouvez-vous nous donner un aperçu de la nature de ces projets?

M. Singh : Plusieurs projets reçoivent du financement. Près de 70 projets ont reçu du financement au cours des cinq dernières années. Certains sont des projets à court terme, d'autres, à long terme. Ils prendront tous fin en mars prochain. Certaines recherches ont entraîné des résultats qui sont disponibles à l'heure actuelle, mais d'autres devront prendre fin à ce moment.

Le sénateur Callbeck : Il est écrit ici qu'il y avait cinq nouveaux projets sur le H1N1. Ces projets ont-ils été menés à terme?

M. Singh : Il y en a plus que cinq; il s'agit peut-être de cinq subventions d'équipes. Les projets sont en cours actuellement.

Le sénateur Callbeck : Dans le Plan canadien de lutte contre la pandémie d'influenza dans le secteur de la santé, il est écrit que votre institut ne s'occupait que de la surveillance. Êtes-vous d'accord? Sinon, quel était plus précisément votre rôle?

Dr Beaudet : Non; c'est l'Agence de la santé publique du Canada qui s'occupe de la surveillance. L'institut en question est l'Institut des maladies infectieuses et immunitaires des Instituts de recherche en santé du Canada, c'est-à- dire l'un des 13 instituts qui ont participé étroitement au plan. C'est le domaine d'expertise de l'institut, et il avait la responsabilité de soutenir la recherche dans ce domaine, de lancer rapidement des appels de propositions, ce qu'il a fait de façon extraordinaire, et de s'assurer de la qualité de la recherche que nous appuyons, c'est-à-dire de choisir le meilleur projet, toujours à l'aide d'un processus d'examen par les pairs.

Le sénateur Callbeck : Votre rôle dans le cadre de ce plan devrait donc être modifié. Dans ce document, il est écrit que les IRSC participent uniquement à la surveillance.

Dr Beaudet : Je ne sais pas exactement de quel document vous parlez. De toute évidence, le rôle des IRSC est de soutenir la recherche en santé, tandis que la surveillance relève de l'Agence de santé publique du Canada. Nous faisons tous deux partie du même portefeuille, le portefeuille de la Santé, mais nos programmes sont différents. Cela dit, nous collaborons étroitement. Le réseau dont je parlais est un réseau conjoint. Un organisme est responsable des questions de santé publique, et nous sommes responsables des questions liées à la recherche sur la santé.

Le sénateur Callbeck : Cette information est tirée du Plan canadien de lutte contre la pandémie d'influenza dans le secteur de la santé.

Dr Beaudet : Les deux organismes participaient. C'est probablement ce qui explique la confusion. Les deux organismes participaient à l'intervention : l'Agence de santé publique, d'un côté, et nous, de l'autre côté, qui nous occupions du volet « recherche » de l'intervention.

Le sénateur Ogilvie : Ma question en est plutôt une d'intérêt personnel. C'est simplement une question de précision qui m'est venue à l'esprit.

Au début des années 1980, il y a eu une émergence du virus de l'immunodéficience humaine, le VIH. Est-ce qu'on considérait, à l'époque, qu'il s'agissait d'une pandémie?

Dr Beaudet : Je ne m'en souviens pas; j'étais trop jeune.

M. Singh : Le VIH n'a pas été désigné comme étant une pandémie, mais vous voyez ce qui est arrivé : il est devenu pandémique.

Le sénateur Ogilvie : J'ai rarement vu le terme « pandémie » associé au VIH, mais quand j'observe la définition d'« épidémie » et de « pandémie », je suis étonné de constater que le VIH n'a jamais été considéré ou traité comme tel. C'est une question d'ordre général.

Dr Beaudet : Il a fallu du temps pour déterminer qu'il s'agissait bien d'une entité, d'une maladie. La situation était tout autre dans le cas de l'influenza.

Le sénateur Ogilvie : Monsieur Singh, vous avez commencé à répondre à cette question, et j'aimerais en savoir plus; il s'agit de la question sur la possibilité d'un vaccin fondé sur la culture cellulaire et l'ADN. Je suis d'accord avec la brève explication que vous avez donnée en résumé, et j'expliquerai dans un instant les raisons pour lesquelles j'aimerais creuser davantage cette question.

Pouvez-vous revenir sur cette explication un peu plus lentement et nous donner votre point de vue personnel, à titre de professionnel, sur la mesure dans laquelle on pourrait réussir, à l'aide de la technologie actuelle, à élaborer un vaccin fondé sur l'ADN pour une nouvelle souche émergente du virus de l'influenza si celle-ci devait apparaître d'ici, disons, le printemps prochain?

M. Singh : L'élaboration du vaccin exige un effort de recherche. Cela peut prendre six mois, un an ou deux ans. Si nous réussissons à identifier le virus, pouvons-nous revenir en arrière et déterminer quelle partie du virus permettra de créer un vaccin efficace? Un virus produit toutes sortes de choses. Il y a deux façons de fabriquer un vaccin. Nous pouvons prendre le virus en entier, le tuer, puis l'utiliser comme vaccin. Nous pouvons aussi prendre seulement les parties du virus qui entraînent une forte réaction du système immunitaire de façon à ce que le corps puisse produire une réaction immunitaire. Ce sont deux méthodes différentes. La façon dont on décidera de produire le vaccin en tant que tel est un facteur important.

Ensuite, les adjuvants — je suis sûr que vous en avez entendu parler — accroissent l'efficacité du vaccin. Même si on réussit à cerner une partie du virus qui ferait une bonne cible pour le vaccin, il reste à obtenir une bonne réponse immunitaire. C'est là un des aspects qui exigent beaucoup de recherche si l'on veut produire et fabriquer le vaccin. Comme vous pouvez le constater, la période qui s'écoule entre la recherche et la production du vaccin en tant que tel peut être longue ou courte selon la nature du virus.

Le sénateur Ogilvie : Laissez-moi vous expliquer pourquoi j'ai posé la question. Pendant une séance que nous avons tenue par le passé, un témoin a dit avec enthousiasme que, si nous avions utilisé la méthode fondée sur l'ADN face à ce problème, nous aurions obtenu le vaccin deux ou trois mois plus tôt. Il était enthousiaste parce qu'il disait que, si nous adoptions cette méthode dans le cadre d'une éventuelle pandémie, ce serait une vraie farce — bon, il n'a pas utilisé cette expression, qui est l'interprétation que j'ai faite de ce qu'il voulait dire — d'élaborer rapidement le vaccin, et ce, en grandes quantités.

Quand je lui ai fait part d'un certain doute à propos du caractère pratique de la solution, il n'a pas perdu son enthousiasme et a dit qu'il s'agissait, d'après lui, d'une solution à notre portée. Je ne savais pas que c'était une chose que nous étions près d'être capables de faire, surtout quand il est question de nouveaux agents infectieux qui émergent. En fait, mon impression correspond à la situation que vous avez si bien décrite.

Puis-je donc conclure que, ce que vous dites, c'est que les vaccins fondés sur l'ADN pourraient être, éventuellement, une solution de rechange, mais qu'il y a deux aspects de cette réalité dont il faut tenir compte? D'abord, il y a la recherche en tant que telle qui permet de cerner ce qui servira éventuellement de base au vaccin. Ensuite, comme vous l'avez dit clairement dans votre réponse, plus tôt, il y a le fait que ce n'est pas, pour l'instant, possible, sur le plan pratique, d'augmenter la recherche de façon à être capable de produire des centaines de millions de doses.

M. Singh : Si c'était si simple, nous aurions un vaccin pour le VIH. Je n'ai pas besoin d'en dire plus.

Dr Beaudet : Vous avez soulevé un point important.

Je parle maintenant du milieu scientifique en général. Je crois que nous avons fait preuve de complaisance dans notre façon de percevoir les vaccins. Cela semblait si facile. Pasteur a obtenu des résultats immédiatement. Cela fonctionnait avec des œufs puis, tout à coup, il y a eu le syndrome d'immunodéficience acquise, le sida, et nous nous sommes rendus compte que nous ne comprenions pas bien le fonctionnement de base du corps humain. Nous n'avons pas consacré l'argent, le temps et les efforts pour mieux comprendre la situation et pour trouver d'autres façons de mieux comprendre le système immunitaire — le système immunitaire humain — et pour envisager d'autres méthodes de fabrication des vaccins. Nous pensons que le temps est maintenant venu de faire cet effort.

Je crois qu'une partie des travaux que nous finançons sur la production d'un vaccin contre le sida, dont certains sont faits en collaboration avec la fondation Gates, nous aideront, entre autres, à inventer d'autres vaccins pour d'autres types de virus. Vous soulevez une question importante.

Le sénateur Ogilvie : Je vous remercie tous les deux parce que cette question est importante. S'il y a des bureaucrates chevronnés ou d'autres personnes qui estiment qu'il s'agit d'un exercice tout simple, la situation est grave. J'ai utilisé un autre exemple, celui du VIH, parce que tout le monde met l'accent sur le HIN1, comme si la seule pandémie possible était une pandémie d'influenza, tandis que les situations les plus graves auxquelles nous pourrions faire face pourraient être causées par d'autres agents. Il y a l'exemple du VIH. Comme vous l'avez fait remarquer à juste titre, s'il s'agissait d'un exercice banal, nous aurions déjà ce vaccin compte tenu de toutes les études qui existent sur la composition génétique du virus. Vos réponses sont très importantes pour le compte rendu. Merci beaucoup.

M. Singh : Nous avons dépensé 20 milliards de dollars ou plus pour le vaccin contre le VIH et, comme vous pouvez le voir, nous n'avons toujours pas trouvé la solution. C'est pourquoi j'ai accepté le défi de diriger un centre de l'immunologie humaine. Nous devons comprendre l'immunologie humaine, et nous devons revenir à la recherche fondamentale. C'est ce que je fais maintenant, dans ma nouvelle vie.

Le sénateur Braley : Le sénateur Callbeck a posé une partie de mes questions parce que je voulais en savoir plus sur le rôle des IRSC et sur ce que celui-ci devrait être. Nous avons obtenu des explications à ce sujet. Cependant, qui a la responsabilité d'identifier le virus ou de déterminer ce qui ne va pas? Qui a la responsabilité de s'assurer que le vaccin est sûr? Qui est responsable, dans la hiérarchie, et qui relève de qui? Sur le plan des communications, qu'il s'agisse ou non d'une nouvelle communication, il y a de la confusion. Quand j'ai lu l'information pour la première fois, j'ai compris, à tort, la même chose que le sénateur Callbeck concernant la responsabilité de chacun.

Dr Beaudet : Comme vous l'avez vu pendant la crise de la grippe H1N1, le rôle de réglementation revient à l'Agence de santé publique du Canada, qui a été créée à cette fin à la suite de la pandémie du SRAS.

Notre rôle est un rôle de soutien, en ce sens que nous fournissons des résultats à l'Agence de santé publique du Canada et à Santé Canada. Notre rôle est de fournir le deuxième type d'information que vous mentionnez, par exemple, d'effectuer les essais cliniques qui nous fourniront de l'information sur l'innocuité et l'efficacité des vaccins et qui nous permettront de déterminer s'il faut ajouter un adjuvant au vaccin. Nous sommes responsables du volet de la recherche qui permet d'obtenir des preuves scientifiques. Tout ce qui touche la réglementation et la prise de décisions relève de l'Agence de santé publique du Canada.

Le sénateur Braley : Si l'on va un peu plus loin, on peut dire que vous n'avez pas de personnel en tant que tel. De toute évidence, vous vous servez de chercheurs qui travaillent dans divers hôpitaux ou dans diverses universités et vous établissez des liens entre eux.

Dr Beaudet : C'est exact.

Le sénateur Braley : Est-ce que la coopération dans le cadre du programme a été excellente?

Dr Beaudet : Oui, excellente.

Le sénateur Braley : Est-ce que tout a fonctionné comme prévu?

Dr Beaudet : Tout à fait. C'est pourquoi nous sommes si inquiets à propos de l'idée de perdre tout cela. Nous avons constitué un réseau. Ce faisant, nous avons réuni près de 90 scientifiques de partout au pays, les meilleurs du domaine, afin qu'ils collaborent et travaillent ensemble. Pour y arriver, nous leur fournissons l'argent requis pour soutenir ce réseau et pour soutenir l'infrastructure humaine requise pour le maintenir. Nous avons créé cette infrastructure afin d'être capables d'aller chercher les ressources dont nous avons besoin pour effectuer la recherche quand le besoin se présente puisque nous n'avons pas de personnel. C'est exactement ce qui s'est produit; les ressources étaient là. Nous voulons être certains de conserver cette infrastructure pour la prochaine pandémie.

Le sénateur Braley : Vous avez parlé d'argent. C'est ce que j'ai compris. C'était ma prochaine question : est-ce que vous les payez? Y a-t-il assez d'essais fondés sur des preuves, par exemple? Quand vous créez des solutions aussi rapidement et que vous essayez d'agir de façon expéditive, qui décide que les essais dureront trois mois, six mois ou neuf mois? Est-ce que ce sont des décisions qui relèvent de vous?

Dr Beaudet : Cela relève de nous. Toutes les propositions concernant des essais sont passées en revue par des spécialistes. Ils nous disent si la durée proposée a du sens, si le nombre de patients inscrit est suffisant pour recueillir des données qui seront significatives sur le plan statistique, et cetera. C'est nous qui nous occupons de cela.

M. Singh : Habituellement, il y a des spécialistes, et nous faisons appel à des spécialistes de l'étranger, et pas seulement à des personnes des collectivités locales. C'est un processus qui fait l'objet d'un examen par les pairs.

Le sénateur Braley : Allez-vous aussi dans d'autres pays?

M. Singh : Tout à fait.

Dr Beaudet : Tout à fait; nous faisons venir des spécialistes.

M. Singh : Quand nous avons commencé en 2003-2004, il y avait, je dirais, à peu près cinq personnes qui faisaient de la recherche sur la grippe au pays. Maintenant, il y a près de...

Le sénateur Braley : Le grand public doit se sentir à l'aise avec l'information et tout cela, comme une sorte de service à la clientèle.

M. Singh : Tout à fait. Cependant, s'il n'y a pas de financement, nous ne pouvons pas y arriver.

Dr Beaudet : Le Canada arrive au premier rang dans le monde pour la qualité et les répercussions de ses publications sur la recherche clinique.

Le sénateur Braley : Je suis au courant.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup à vous deux d'être ici aujourd'hui et de faire un travail exceptionnel. Je remercie aussi les IRSC de leur travail exceptionnel dans ce domaine, mais aussi dans bien d'autres domaines.

Je veux parler de la question des ressources humaines en général. Des témoins sont venus nous dire que des chercheurs cliniciens et des épidémiologistes étaient utilisés à pleine capacité pendant la crise de la pandémie. Ils travaillaient sept jours sur sept. Ils avaient de la difficulté à trouver les ressources humaines requises pour faire face à une pandémie en période de crise.

Ces témoins nous ont dit que ces spécialistes étaient détachés pendant deux ou trois semaines. Chaque fois qu'une nouvelle personne arrivait, celle-ci devait être formée; elle n'avait pas à tout savoir sur l'épidémiologie, mais elle devait savoir un peu ce qui se faisait et ce qui était l'objectif.

Comment pouvons-nous régler ce problème? Il est facile de planifier la recherche pendant des périodes comme celle que l'on vit présentement, c'est-à-dire pendant que nous nous préparons à la prochaine pandémie, mais c'était plus difficile pendant, par exemple, la période allant d'avril dernier à Noël, où vous étiez, je ne dirais pas « dépassé », mais où vous essayiez de maintenir vos activités 24 heures sur 24.

Qu'allons-nous faire, au Canada, pour avoir les ressources humaines requises pour accomplir ces choses?

Dr Beaudet : C'est une question déterminante. Comme je l'ai dit, en ce qui concerne la préparation en cas de pandémie, nous avons maintenant, à tout le moins, un réseau de personnes qui possèdent l'infrastructure requise, et je crois que c'est important de maintenir ce réseau. Vous mentionnez un problème énorme dans tous les secteurs de la recherche clinique, et ce, pour diverses raisons. Il y a de moins en moins de professionnels de la santé qui s'intéressent à la recherche ou qui ont le temps d'y participer; la demande du côté clinique est si grande que c'est devenu extrêmement difficile pour eux de consacrer du temps à la recherche clinique. La situation est la même pour les médecins et les infirmières.

Quand on planifie les ressources humaines sur le plan clinique, il ne faut pas oublier que les cliniciens en santé qui font de la recherche jouent un rôle essentiel pour les activités de recherche clinique. Il faut former ces personnes, leur laisser du temps, les rémunérer adéquatement et leur fournir l'infrastructure qui leur permettra de poursuivre ce travail exceptionnellement important qui fait, comme je l'ai dit, la renommée du Canada.

C'est un aspect dont nous nous sommes rendu compte, auquel nous avons fini par adhérer, et dans lequel nous investissons de l'argent, mais il faut en investir davantage. C'est un aspect qui se trouve au cœur de notre stratégie de recherche axée sur les patients : nous assurer que les professionnels de la santé qui effectuent de la recherche ont les moyens de le faire, et nous assurer que les professionnels de la santé qui font de la recherche ont accès à des cheminements de carrière intéressants. Ils sont un maillon essentiel de la chaîne de la recherche clinique. Ce sont eux qui effectuent la recherche auprès des patients.

M. Singh : Les universités et les hôpitaux ont aussi la responsabilité de protéger le temps des scientifiques pour qu'ils effectuent de la recherche, parce qu'il n'y a pas que les organismes bailleurs de fonds qui décident; il y a aussi l'environnement local. Les universités doivent assumer la responsabilité de mettre en place du personnel qui recevra des ressources, sinon, nous n'aurons pas de chercheurs cliniciens au Canada dans l'avenir.

Le sénateur Cordy : Ce serait malheureux, mais, espérons-le, nous pourrons commencer à nous occuper de la question dès maintenant.

Dr Beaudet : Il y a des solutions.

Le sénateur Cordy : J'aime le terme « recherche axée sur les patients ». C'est une bonne façon de dire les choses.

J'aimerais discuter de ce que vous faites avec l'information et les données que vous recueillez. De nombreux témoins avant vous nous ont parlé — et c'est pourquoi j'y reviens — des systèmes électroniques de collecte et de transmission des données. Est-ce que les IRSC ont la capacité de recueillir et de transmettre les données? À qui transmettez-vous vos données? Est-ce que cela dépend de l'objet de vos recherches? Vous avez dit plus tôt que l'Agence de la santé publique du Canada participait à tout cela, mais j'aimerais savoir qui d'autre a accès aux données.

Dr Beaudet : D'abord, les données finissent, tôt ou tard, par être publiées, et dans des publications auxquelles tout le monde a accès puisque les recherches sont financées par des fonds publics.

Ensuite, il se fait, aux IRSC, une production de rapports en fin de subventions, qui se fait de façon entièrement électronique. Les titulaires de subventions doivent, à la fin de la période de subventions, fournir un rapport sur les résultats qu'ils ont obtenus. Ce rapport est aussi rendu public, ce qui signifie que l'information qu'il contient est accessible. Il est important, aussi, pour nous, de pouvoir utiliser cette information pour cerner les lacunes et les besoins et pour savoir si les projets que nous avons financés fonctionnent.

Les conférences jouent aussi un rôle très important dans l'échange et la transmission de l'information. C'est pourquoi nous organisons une conférence à Montréal le mois prochain qui portera sur ce sujet en particulier, ce qui permettra aux chercheurs dont les travaux concernaient la préparation et les interventions en cas de pandémie de H1N1 de se réunir, d'échanger des points de vue, de faire part de leurs résultats et, bien honnêtement, de se préparer à la prochaine pandémie, même si nous ne sommes pas pressés qu'elle arrive.

Le sénateur Cordy : Nous devons nous préparer.

Dr Beaudet : Il y aura une pandémie. Nous ne savons pas quand, mais il y en aura une.

Le président : J'ai quelques autres questions.

Monsieur Singh, est-ce que l'équipe de recherche d'intervention rapide est aussi une réponse — ma question fait suite à celle que le sénateur Cordy a posée — au problème mentionné précédemment, c'est-à-dire le fait qu'il n'y a pas assez d'épidémiologistes et de spécialistes de la méthodologie pour faire de la recherche? Est-ce que ce type d'équipe permettrait d'améliorer l'accès à ces personnes-ressources et de rallier des gens?

M. Singh : Quand nous mettons sur pied des équipes, ce sont des équipes multidisciplinaires — elles regroupent des épidémiologistes, des fondamentalistes et des chercheurs cliniciens — puisque le but d'une équipe est non seulement d'effectuer des travaux sur un sujet, mais aussi de regrouper les meilleurs cerveaux et de les mettre au travail. Une équipe peut se diviser le travail. Mais il faut absolument avoir une équipe parce que sinon, une main risque de ne pas savoir ce que fait l'autre main. C'est donc l'élément clé dont il faut tenir compte quand nous mettons sur pied ces équipes.

Je vous ai remis un document. Il contient une description de la façon dont nous créons des équipes. Des représentants de l'Agence de la santé publique, des universités et de l'industrie se sont tous réunis, ce qui nous a permis d'établir le réseau et de déterminer ce que devraient être les priorités pour les prochaines années, de même que la façon dont nous devrions nous y prendre pour aller de l'avant. C'est ce que nous faisons quand nous sommes à l'étape de la préparation, et s'il devait y avoir un nouveau virus aujourd'hui, comment interviendrions-nous? Nous devons réunir tous les membres de l'équipe, des représentants, par exemple, du secteur de la biologie, de la génétique ou de la vaccination, pour qu'ils décident comment on doit affronter ce virus. C'est à cela que sert l'équipe.

Le président : Ma question s'adresse au Dr Beaudet ou à vous deux. Y a-t-il des volets de la recherche des IRSC sur l'influenza et la pandémie d'influenza qui traitent de l'éthique? Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet?

M. Singh : L'un des témoins que vous entendrez plus tard aujourd'hui, le Dr Ross Upshur, a fait partie de notre équipe, et il avait aussi des liens avec l'Organisation mondiale de la Santé. Il se trouvait à la fine pointe des questions éthiques canadiennes en matière de pandémie. Des 70 programmes que j'ai mentionnés que nous avons financés, au moins quatre ou cinq concernaient des enjeux éthiques — les conséquences et les enjeux sociaux associés à l'obtention d'approbations, par exemple, la façon d'obtenir rapidement une approbation, disons, pour un vaccin. Le réseau de la vaccination dont vous avez entendu parler, qui a son siège à Halifax, a été confronté à cet enjeu parce qu'il avait besoin d'obtenir une approbation pour procéder à un essai. Je suis certain que la recherche axée sur les patients constitue un exemple parfait. Nous ne pouvons pas procéder à la recherche sans régler les enjeux éthiques.

Dr Beaudet : Chaque essai clinique doit obtenir une approbation officielle de la part d'un comité d'examen sur l'éthique. Ces essais cliniques ne font pas exception à la règle.

M. Singh : C'est la même chose pour la recherche sur l'humain; les chercheurs doivent obtenir une approbation éthique.

Le président : Avez-vous des recommandations en particulier à nous présenter à ce sujet pour l'avenir?

M. Singh : Il s'agit d'un enjeu complexe. Si des gens, à Halifax, veulent une approbation éthique, est-ce que les gens qui sont à Vancouver vont l'accepter? Ils doivent obtenir l'approbation éthique pour 27 universités. Vous pouvez imaginer la situation, en cas d'éclosion pandémique — le fait de devoir obtenir les approbations. C'est l'équipe de recherche d'intervention rapide qui aura la responsabilité de s'assurer que des protocoles sont en place avant que l'éclosion ait lieu.

Dr Beaudet : Il s'agit d'un aspect important et complexe de la recherche clinique au Canada. L'approbation éthique relève des comités d'examen sur l'éthique qui se trouvent dans chaque établissement du pays. Lorsqu'on parle d'essais multicentriques, cela signifie qu'il y a de multiples approbations éthiques. Ce que nous souhaiterions, et ce que nous essayons d'encourager, c'est un système moins lourd, un système plus efficace, qui garantirait tout de même une pleine protection du patient. Dans ce système, il y aurait moins de comités d'examen sur l'éthique, ou, à tout le moins, dans le cas des projets multicentriques, il y aurait un conseil, ou un conseil par province, disons, qui approuverait les projets, et tous les autres établissements accepteraient les résultats de l'examen effectué par ce conseil. Ce serait un peu comme un processus d'accréditation.

C'est un enjeu complexe, mais dont nous devons absolument nous occuper si nous voulons être en mesure d'intervenir rapidement et de demeurer concurrentiels sur le plan de la recherche clinique au pays parce qu'il faut parfois beaucoup de temps pour obtenir l'approbation d'un essai en particulier de la part de tous ces conseils distincts. Nous sommes conscients du problème, et nous essayons de le régler avec les provinces.

Le président : Cette question nous mène à notre prochaine table ronde, qui traite de ce sujet. S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier nos témoins de nous avoir aidés à mieux comprendre la situation et d'avoir contribué à notre dialogue.

Pendant la deuxième table ronde de la réunion, nous aborderons des questions d'ordre éthique et juridique. Nous accueillons deux personnes qui nous aideront à mieux comprendre ces questions.

Le Dr Ross Upshur est directeur du Centre conjoint de bioéthique de l'Université de Toronto. Le Dr Upshur a conçu des cours et enseigné dans des programmes de premier, de second et de troisième cycles en éthique, en épidémiologie et en philosophie de la médecine. Il a été un membre actif de conseils consultatifs pour la Commission mixte internationale, pour Médecins Sans Frontières, pour le Réseau Sciences et Développement — SciDev.Net — et pour plusieurs magazines médicaux. Il s'est entretenu avec l'Organisation mondiale de la Santé et l'Initiative des Grand Challenges in Global Health.

Françoise Baylis est professeure au département de bioéthique de l'Université Dalhousie. Ses intérêts actuels en matière de recherche sont très variés : les nouvelles technologies, la procréation assistée, la recherche qui touche les femmes, la recherche sur les cellules souches, la santé des femmes, la santé publique et l'éthique féministe.

À l'heure actuelle, Mme Baylis fait partie du conseil d'administration du Centre canadien pour l'éthique dans le sport en plus de faire partie de la Commission sectorielle sur les sciences naturelles, sociales et humaines de la Commission canadienne pour l'UNESCO.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Nous allons commencer avec le Dr Upshur.

Dr Ross Upshur, directeur, Centre conjoint de bioéthique, Université de Toronto, à titre personnel : Je dois commencer par m'excuser auprès du comité. On m'a demandé de présenter des observations par écrit, mais cette requête passait un peu inaperçue parmi tous les autres renseignements transmis dans le premier courrier électronique que j'ai reçu, et je n'étais pas certain de pouvoir y arriver. Je m'excuse de ne rien présenter par écrit.

Le comité peut peut-être accéder au type de travaux que nous effectuons, qui sont des travaux d'éthique appliquée, et aux documents que nous rédigeons plus facilement qu'il peut accéder au séquençage du génome du virus de l'influenza. C'est avec plaisir que je transmettrai certains de ces documents au comité, plus particulièrement ceux qui concernent certains enjeux éthiques et l'engagement des citoyens et du milieu. Je les enverrai à la greffière.

Je vais profiter de l'occasion pour remercier les Instituts de recherche en santé du Canada; j'ai été précédé de MM. Singh et Beaudet, qui ont tous deux appuyé certaines des recherches que j'ai menées au cours des sept à dix dernières années, recherches qui portaient sur les enjeux éthiques liés à l'intervention en cas de menaces pathogènes diverses — d'abord, le SRAS, et ensuite, l'influenza et les pandémies d'influenza.

Je viens de parler du SRAS; je vais donc partir de là. Pour reprendre une partie de la discussion que j'ai entendue à la toute fin de la table ronde précédente, le Canada a tout à fait raison d'être fier de la contribution de certains de ses chercheurs à la compréhension des enjeux éthiques liés à l'intervention en cas de pandémie. M. Jaro Kotalik de l'Université Lakehead a écrit l'un des premiers articles dans un magazine influent, le magazine Bioethics. Ma collègue de l'Université Dalhousie, à ma gauche, fait, en collaboration avec MM. Kenny et Sherwin, des travaux de recherche fondamentale parmi les plus essentiels concernant notre façon de reconcevoir nos obligations en cas de pandémie. M. Alfieri de l'Université de Montréal a joué un rôle influent en fournissant de l'information pour le Plan canadien de lutte contre la pandémie d'influenza dans le secteur de la santé.

Ma propre équipe et mon propre groupe ont aussi fait leur part. Nous avons publié, en 2005, un livre blanc sur les enjeux éthiques liés à la préparation en cas de pandémie, qui a servi de fondement à l'Organisation mondiale de la Santé pour une consultation mondiale sur les enjeux éthiques. J'ai eu le privilège de présider l'un des groupes de travail qui s'occupait plus particulièrement des obligations des travailleurs de la santé dans les situations où ils se placent dans les situations de risque en faisant leur travail, et qui essayait de déterminer comment on peut savoir où tracer la limite.

Dans le rapport, intitulé « Stand on Guard for Thee », nous cernions quatre grands enjeux. Il s'agit de l'héritage que nous a laissé le SRAS. Ce ne sont pas les seuls enjeux importants, mais ils méritent qu'on s'y attarde.

L'un d'entre eux concerne le recours à des mesures restrictives, comme la quarantaine et l'isolement, pour contrôler les maladies transmissibles. Nous avons appris du SRAS — et on m'a retiré de mon rôle agréable de médecin de famille bienveillant pour que je devienne agent de quarantaine pour la santé publique de la région de York, et je peux vous assurer que ce n'est vraiment pas agréable de devoir dire aux gens qu'ils sont placés en quarantaine pour dix jours et que, s'ils ne respectent pas cette quarantaine, ils feront face à de graves conséquences.

Nous avons pris notre rôle au sérieux, et nous avons essayé d'aborder ces enjeux d'un point de vue plus fondamental. Nous nous sommes demandé quels étaient les enjeux éthiques associés à la suspension des droits et libertés d'une personne pour le bien de la santé publique.

Un autre enjeu, auquel j'ai déjà fait allusion, concernait les tâches et les obligations des fournisseurs de soins de santé dans le cadre de leurs fonctions. Dans le cas du SRAS, nous avons remarqué que les travailleurs de la santé étaient touchés de façon disproportionnée. À la suite du SRAS, il est devenu pertinent de se poser des questions à propos des obligations des travailleurs de la santé et de l'endroit où la limite doit être tracée. Nous nous sommes penchés sur ces enjeux.

L'un des aspects qui a une importance immense dans la compréhension d'une partie de la complexité éthique de l'intervention en cas de pandémie, c'est l'affectation des ressources et la détermination des priorités, c'est-à-dire de quelle façon nous allons utiliser les rares ressources, qui en profitera, et quels seront les critères utilisés pour prendre ces décisions. Il y a encore de nombreuses questions sans réponse à ce sujet. Nous avons aussi fait face à cet enjeu au moment de l'éclosion de H1N1, plus particulièrement quand nous avons commencé à discuter pour savoir qui figurait sur la liste des priorités une journée, mais pas le lendemain. En passant, pour un médecin de famille, ces listes n'avaient souvent aucun sens. Quand une famille constituée d'une mère, d'un père et de quatre enfants se présentait et qu'un seul membre de la famille figurait sur la liste de priorité, il semblait très cruel de devoir dire : « Tu peux avoir le vaccin aujourd'hui, mais les autres devront revenir quand ils seront sur la liste de priorité ».

Cela n'a aucun sens. Si une personne âgée fragile se présente un vendredi, mais que c'est le lundi qu'elle figure sur la liste des priorités, il me semble que c'est cruel et anormal de lui demander de revenir, surtout si on tient compte du prix exorbitant du stationnement près des hôpitaux de nos jours.

Un quatrième enjeu préoccupant concerne le rôle du Canada à titre de citoyen du monde, son rôle en matière de gouvernance mondiale, et ce qu'il peut apporter à titre de pays parmi les plus riches et les mieux nantis du monde pour aider et appuyer ceux qui sont moins chanceux. Comme Margaret Chan se plaît à le dire, et nous en avons aussi discuté, une pandémie illustre notre vulnérabilité universelle à titre d'êtres humains. Nous sommes tous dans la même galère, alors pourquoi une frontière ferait-elle une aussi grande différence? Le virus ne respecte pas les frontières. Comment pouvons-nous aider et appuyer les autres? Quel est le rôle du Canada quand vient le temps d'aider et d'agir le mieux possible en cas de pandémie?

À partir de notre livre blanc, nous avons mené deux autres études connexes. Il est important de dire qu'il y a des enjeux éthiques, mais il est aussi important d'écouter les citoyens pour savoir ce que sont, d'après eux, les enjeux, et pour savoir si les valeurs et les principes qui nous semblaient importants à titre d'universitaires et de cliniciens le sont aussi pour les gens de partout au Canada.

Nous avons organisé des séances de discussion ouverte dans trois villes distinctes au cours desquelles nous avons réuni des gens — qui n'avaient pas été sélectionnés — pendant une journée pour qu'ils étudient des scénarios concernant ces quatre aspects afin de réfléchir aux enjeux éthiques. Ça a été une expérience géniale de voir les gens s'engager; cela a eu l'effet d'une conversion. À la suite des séances, les gens disaient : « Ce serait fantastique si nous pouvions faire le même exercice pour tous les sujets. » Nous avons aussi procédé à des sondages, qui pourraient avoir un lien avec vos délibérations. Les gens font confiance à la santé publique et à leur médecin. Ce sont vers eux qu'ils se tournent pour avoir des conseils et des directives.

Enfin, notre projet actuel est le programme canadien de recherche sur l'éthique en cas de pandémie. Dans le cadre de ce programme, nous avons mobilisé des citoyens et entrepris une réflexion sur les enjeux éthiques, réflexion qui n'a peut-être pas été aussi approfondie, cohérente et conséquente qu'elle aurait dû l'être. Vous avez probablement entendu cette critique de la part d'autres témoins, et c'est aussi ce que j'ai lu. Nous avons remarqué qu'il y avait tout un fouillis d'organismes et de groupes désignés par une série de lettres qui essayaient de coordonner une intervention.

Nous avons rencontré trois groupes de personnes : les décideurs; les exécutants, c'est-à-dire les médecins, les infirmières et les fournisseurs de soins de santé; et les populations touchées. Je n'utiliserai pas l'expression « vulnérable » parce que les personnes désignées comme telles n'aimaient pas cette étiquette. Je les appellerai les « populations ayant des besoins spéciaux ». Grâce à cette subvention, nous avons réuni ces personnes afin qu'elles discutent de leurs méthodes de planification, de leurs façons de coordonner leurs activités, et de leurs préoccupations face à l'avenir. Il y avait des représentants stratégiques de l'Agence de santé publique du Canada, de l'Organisation mondiale de la Santé et de l'Agence ontarienne de protection et de promotion de la santé. Nous avons réuni des représentants des organismes de réglementation des professionnels de la santé, comme les infirmières, les médecins, les pharmaciens, les ergothérapeutes et les physiothérapeutes, de même que des représentants de groupes d'aînés, de collectivités des Premières nations, d'organismes de réadaptation et d'autres groupes qui s'occupent de refuges pour sans-abri afin de connaître les enjeux qui les touchent. Pendant que nous utilisions cette subvention de recherche sur la préparation, le H1N1 a frappé, et nous sommes entrés en mode intervention.

Nous nous sommes entre autres occupés de l'échange de données entre organismes et de l'échange d'échantillons. Nous avons fait un travail correct, mais nous aurions pu faire mieux. Il y avait la question de l'éthique de la recherche. J'espère que nous aurons le temps de revenir sur ce que le Dr Beaudet et M. Singh ont dit à propos des études multicentriques. Il existe des solutions qui semblent prometteuses.

En mai, après la pandémie, nous avons réuni de nouveau tous ces groupes pour les interroger au sujet des leçons apprises. Quelles avaient été nos réussites, et quels avaient été nos échecs? Trois enjeux ont fait surface.

L'un d'entre eux a été mentionné par toutes les personnes qui ont témoigné devant le comité, et c'est le fait que la communication a été sous-optimale, et qu'il faut l'améliorer.

Le deuxième enjeu concernait la façon d'établir les priorités — par quels moyens et en fonction de quels motifs — et la façon de transmettre cette information. Sur ce plan aussi, la communication peut être améliorée. Les collectivités adorent participer et veulent que les décideurs tiennent compte de leurs points de vue. Les décideurs aiment savoir ce que pense le grand public à ce sujet. Tout n'est pas parfait; il arrive que des intérêts particuliers se glissent dans tout ça. Cependant, on peut y arriver.

Enfin, la communication au sujet des risques est importante. Ce qu'il y a de plus important, c'est la confiance. À mon avis, la confiance est une des notions les plus fascinantes de l'éthique humaine puisque peu de gens peuvent vous dire ce que c'est et comment l'obtenir, mais à peu près tout le monde le sait quand la confiance n'est pas au rendez- vous. La façon dont les organismes, les cliniciens et les groupes peuvent créer des liens de confiance entre eux et avec les collectivités constitue donc l'un des enjeux les plus importants.

Je vais m'arrêter ici, et j'espère que j'aurai plus de temps pour répondre aux questions.

Le président : Merci beaucoup. C'est maintenant le tour de Mme Baylis.

Françoise Baylis, professeure, Département de bioéthique, Université Dalhousie, à titre personnel : Il y aura sûrement des répétitions dans ce que je dirai, et c'est bon signe, parce que cela veut dire que nous avons choisi les bons thèmes à aborder avec vous.

Mon travail dans ce secteur est tout récent; il remonte seulement à deux ou trois ans, quand une de mes collègues à l'Université Dalhousie, sœur Nuala Kenny, a reçu une subvention des IRSC concernant la planification en cas de pandémie. Nous étions inquiets quand nous avons présenté la demande de subvention parce que l'appel de propositions concernait la planification en cas de pandémie et que notre proposition consistait à dire qu'il est impossible de faire de la planification pour une épidémie si on ne prend pas du recul pour faire des travaux essentiels sur l'éthique en santé publique. Si nous ne comprenons pas la santé publique et que nous n'avons pas de plan à ce sujet, nos plans en cas de pandémie ne fonctionneront pas. Le projet que nous proposions, c'était ces travaux essentiels. Nous avons décidé de tenter notre chance. Ils pourraient nous financer, à moins qu'ils ne souhaitent financer que les travaux sur les pandémies.

Nous avons reçu du financement, et les travaux dont je vais vous parler aujourd'hui ont été effectués grâce à ce financement.

Je vais vous parler brièvement de quatre points, et j'espère qu'ils susciteront votre intérêt. C'est avec plaisir que je vous en dirai plus sur l'un ou l'autre de ces points et sur d'autres sujets.

Le premier point concerne la gouvernance, plus particulièrement l'importance capitale d'obtenir la confiance du public, dont quelqu'un a déjà parlé.

Le second point concerne l'importance de communiquer efficacement pour instaurer et maintenir un climat de confiance.

Le troisième point concerne la détermination des priorités, plus particulièrement la séquence de la vaccination. Vous avez entendu parler de cet enjeu, et je vais essayer de vous en dire plus.

Le dernier point, qui m'est très cher, concerne l'équité. Je veux, à ce sujet, insister sur le fardeau disproportionné que représente la maladie pour les collectivités des Premières nations. À titre indicatif, j'ajoute que je m'intéresse vivement à nos obligations internationales en période d'épidémie à l'échelle mondiale, un aspect qui a aussi été mentionné. Je n'aborderai pas cette question dans mon bref exposé. Je vous ai remis une copie de deux courts articles sur le sujet.

Je vais commencer par parler de la confiance du public et de la pandémie de 2009.

Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, voulaient que les gens choisissent la vaccination. Ils voulaient que la vaccination se déroule de façon à répondre d'abord aux besoins de santé des personnes les plus à risque; c'est pourquoi ils ont tenté d'élaborer un plan de séquence. Pour ce faire, ils avaient toutefois besoin de la confiance du public, et, pour obtenir cette confiance, ils devaient mettre les Canadiens au courant de deux choses : d'abord, que le vaccin était sûr et efficace, et ensuite, que le plan de séquence était équitable.

Or, je veux souligner que le public a reçu des messages contradictoires concernant l'innocuité du vaccin avec adjuvant, surtout après le cafouillage concernant l'administration du vaccin aux femmes enceintes. De plus, les gens pouvaient difficilement avoir confiance dans le plan de séquence de la vaccination puisque ce plan, supposément établi d'après les plus récentes preuves scientifiques et épidémiologiques et des considérations d'ordre juridique et éthique — c'est du moins ce que nous disait l'Agence de santé publique du Canada — variait d'un endroit à un autre.

Le virus ne changeait pas à mesure qu'il se propageait dans le pays, mais l'ordre dans lequel les Canadiens avaient accès au vaccin changeait. La confiance du public a donc été mise à l'épreuve, ce qui a par la suite mis en péril la réalisation des objectifs de santé publique.

J'aimerais aborder brièvement la question de la communication efficace. Encore une fois, l'Agence de la santé publique du Canada et d'autres autorités en matière de santé publique n'ont pas su, d'après moi, communiquer efficacement avec le grand public en général. Les gens étaient confus et, dans bien des cas, ils avaient raison de l'être. À l'époque, j'ai participé à de nombreuses émissions de radio, et j'étais étonnée de voir le contenu des courriels que je recevais par la suite. Dans certains cas, on me disait : « Merci. J'ai enfin compris quelque chose. »

Je suis une spécialiste de l'éthique. Je n'aurais pas dû avoir à répondre à des questions de base auxquelles j'étais capable de répondre, mais qui relevaient de quelqu'un d'autre, à qui on aurait dû les poser.

Une stratégie qui aurait pu aider à régler ce problème aurait été un plan qui aurait commencé par de l'information de base sur la vaccination. À mon avis, il aurait fallu lancer une campagne d'information publique minutieusement orchestrée dès l'été 2009, bien avant qu'il y ait cet énervement, pourrait-on dire, bien avant l'apparition de la pandémie d'influenza H1N1 au Canada. Dans un premier temps, la campagne aurait dû porter sur les éléments essentiels : qu'est- ce qu'un vaccin? Je peux vous dire qu'avant cette pandémie, de nombreux Canadiens n'auraient pas pu répondre à cette question. Comment fonctionnent les vaccins? Les Canadiens ne comprenaient pas ce processus. Pourquoi vaccinons-nous systématiquement les enfants et les nouveau-nés? Pourquoi les personnes âgées se font-elles vacciner contre la grippe saisonnière? Nous aurions pu répondre à ces questions puis nous appuyer sur ces connaissances de base pour expliquer ce qui devait ou ne devait pas être fait concernant le H1N1.

En outre, je dirais, d'un point de vue général, pour la prochaine fois, qu'il reste du travail à faire en ce qui concerne l'amélioration de la chronologie du contenu des communications avec le public, et l'utilisation efficace des réseaux sociaux. Je ne fais vraiment pas partie de cette génération, mais ils sont importants. Enfin, il serait important de créer des partenariats avec des leaders d'opinion de confiance et avec les médias. Je ne peux insister assez sur l'importance de ce dernier point, et c'est avec plaisir que je reviendrai sur la question plus tard.

Mon troisième point concerne la séquence de la vaccination. Vous en avez probablement beaucoup entendu parler, mais j'aimerais ajouter quelque chose. Si d'autres pays du monde ont désigné des groupes qui devaient recevoir le vaccin en priorité, le gouvernement du Canada, lui, s'est engagé à fournir le vaccin à tous les Canadiens qui en avaient besoin ou qui souhaitaient le recevoir. Cependant, le vaccin ne pouvait pas être disponible pour tout le monde dès le premier jour, et, même si ça avait été le cas, il aurait été impossible de l'administrer à tous les Canadiens le premier jour. Tout le monde savait donc qu'il fallait établir un plan de distribution.

Il était question non pas d'administrer le vaccin selon le principe du premier arrivé, premier servi, mais plutôt de privilégier les personnes les plus à risque. Deux groupes ont été ciblés, et j'ai consacré une diapositive à chacun. Le premier groupe était constitué des personnes à qui la vaccination bénéficierait le plus, et le second groupe, des autres personnes susceptibles de bénéficier de l'immunisation.

On peut contester ces listes, mais je n'en ai pas l'intention. Je m'en remets aux compétences des personnes qui les ont élaborées. Ce qui me préoccupe, c'est que ces listes n'étaient que des recommandations que les provinces et les territoires étaient libres de suivre ou non. Certaines provinces et certains territoires ont choisi de ne pas utiliser ces listes, ce qui a entraîné un manque d'uniformité à l'échelle du pays.

Si vous prenez les deux diapositives suivantes, vous allez voir à quoi aurait dû ressembler le plan si l'on avait voulu offrir le vaccin aux groupes qui pouvaient le plus bénéficier du vaccin. C'est cette image, et je remercie l'un de mes étudiants de deuxième cycle qui a fait le tableau. Le second tableau a été fait dans le cadre des travaux de l'un de mes étudiants de deuxième cycle dans le domaine de l'obstétrique et de la gynécologie. Nous avons effectué un suivi de l'accès aux vaccins pour les femmes enceintes dans ma petite région du monde, les provinces maritimes. Vous pouvez facilement voir qu'il n'y a aucune uniformité. Nous avons dû, au bout du compte, fermer des cliniques avant de les rouvrir. La vaccination était offerte au grand public, puis a cessé de l'être. Je pourrais vous parler longtemps de cette situation.

Le problème, c'est que, si vous avez un plan et que vous ne le suivez pas, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gens vous fassent confiance et pensent que c'était, au départ, un bon plan puisque, après tout, vous n'avez pas cru bon de le suivre quand il a été temps de prendre des décisions. La situation était confuse; elle entraînait de la frustration, et je dirais même qu'elle aurait pu devenir dangereuse pour les Canadiens si le virus avait été plus virulent.

Je sais que je navigue dans des eaux constitutionnelles complexes et contentieuses, puisque la santé est un champ de compétence des provinces, mais il y a un problème qu'il faut régler rapidement. À mon avis, il doit y avoir une intervention cohérente en cas de pandémie. Il y aurait peut-être lieu d'élaborer des lois uniformes par le biais de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. Ce mécanisme a permis d'harmoniser de nombreuses lois dans des domaines liés à la santé, par exemple, la Loi sur les directives en matière de soins de santé, la Loi uniforme sur le don de tissus humains, la Loi sur le consentement des mineurs aux traitements médicaux, et d'autres encore.

Néanmoins, si l'on va plus loin encore, et c'est là que la controverse commence, il y a lieu de se demander sérieusement dès maintenant, et non en situation de crise dans l'avenir, à quel moment nous croyons, à titre de Canadiens, et vous, à titre de membres du gouvernement, qu'une pandémie est davantage une question de « paix, d'ordre et de bon gouvernement » qu'une question de santé, qui non seulement justifie, mais exige, l'intervention du gouvernement fédéral. Il faut s'occuper rapidement de cette question. Que se serait-il passé si le virus H1N1 avait été plus virulent, si des milliers et des milliers de Canadiens étaient morts et s'il avait fallu déployer des mesures d'urgence?

En terminant, j'aimerais parler brièvement de l'éthique relationnelle en matière de santé publique, qui est le sujet de recherche fondamentale dont nous nous occupons à Dalhousie. J'aimerais appliquer ce principe éthique d'un point de vue pratique pour régler le problème du fardeau disproportionné de la maladie pour les Premières nations.

Notre approche de la planification en cas de pandémie s'inscrit à juste titre dans une éthique relationnelle en matière de santé publique. Notre but est de promouvoir la santé des personnes et des collectivités et de réduire les inégalités sur le plan de la santé. Cette approche met l'accent sur l'identité individuelle relationnelle, l'autonomie relationnelle, la justice sociale relationnelle et la solidarité relationnelle et pourrait se révéler utile pour la planification en cas de pandémie.

Une caractéristique importante de l'éthique relationnelle est la reconnaissance de la vulnérabilité mutuelle mais non égale. Nous ne sommes pas, à titre de Canadiens, également visés ni affectés par les préoccupations et les politiques en matière de santé publique. Nous devons répondre aux besoins des personnes défavorisées et leur assurer un accès équitable aux biens sociaux. Ce raisonnement confirme la croyance selon laquelle les gouvernements du Canada — fédéral, provinciaux et territoriaux, ne se sont pas acquittés de leurs obligations éthiques envers les membres des Premières nations, leurs familles et leurs collectivités au fil des ans, des mois et des semaines qui ont précédé la pandémie d'influenza H1N1 au Canada.

Cette pandémie a touché les Premières nations d'une manière disproportionnée, tant dans les réserves qu'à l'extérieur. Nous disposons actuellement de données à ce sujet. Nous aurions pu prévoir ce lourd fardeau si nous avions adopté une approche d'éthique relationnelle en matière de santé publique puisque cette approche nous aurait permis de nous concentrer sur les problèmes de justice sociale ainsi que sur la marginalisation politique, économique et sociale dont ont été victimes les Premières nations et dont ils sont encore victimes aujourd'hui.

Un cadre relationnel en matière de santé publique prévoit des interventions possibles en cas de pandémie qui nous amènent vers autre chose que l'intervention d'urgence, certains aspects comme la vaccination et les protocoles de triage des soins intensifs, par exemple. Nous avons plutôt choisi de mettre l'accent sur l'intervention d'urgence sans accorder assez d'attention à la santé publique.

Si nous avions traité la pandémie d'influenza à travers la lentille de la théorie relationnelle et si nous avions examiné attentivement la situation, que se serait-il passé de différent? Nous aurions notamment compris que l'état de santé de ces collectivités était déjà plus fragile, de façon disproportionnée, que celui de la population en général en raison, surtout, de problèmes persistants comme la pauvreté, le manque de logements adéquats, le chômage et le manque d'accès à des possibilités de développement économique. Si nous nous étions véritablement ouvert grand les yeux, nous aurions peut-être également constaté notre échec collectif à éliminer ces menaces fondamentales à la santé publique ainsi que notre échec à mettre en place des mesures d'intervention d'urgence appropriées.

Le président : Vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

Tout d'abord, j'aimerais vous poser une question sur une chose que ni l'un ni l'autre n'a mentionnée. Je suis curieux de savoir où nous nous situons relativement aux lignes directrices de l'Organisation mondiale de la Santé et à la question de l'éthique. L'OMS a publié un document intitulé Considérations éthiques dans l'élaboration des mesures de santé publique face à une pandémie de grippe, qui couvre tous les aspects, comme l'équilibre des droits, des intérêts et des valeurs; les données probantes à la base des mesures de santé publique; la transparence; l'engagement du public et la mobilisation sociale; l'information, l'éducation et la communication; et enfin, les ressources limitées.

Comment le Canada s'en est-il sorti pendant la pandémie de H1N1 par rapport au document de l'OMS? Vous nous avez tous deux dit dans quels domaines vous estimez qu'il y a du travail à faire. Vous avez été très clairs. Y a-t-il un domaine de ce plan qui doit être amélioré?

Mme Baylis : Très tôt, l'OMS a fait appel à de nombreux pays pour qu'ils fassent don de vaccins aux pays en développement dans le cadre d'une intervention mondiale globale. À l'époque, j'étais convaincue que le Canada a lamentablement échoué à répondre à cet appel, et j'en suis tout aussi convaincue aujourd'hui. Au départ, notre gouvernement a affirmé qu'il ne contribuerait pas, et ce, à une époque où les États-Unis, le Royaume-Uni et différentes autres administrations se sont engagés à faire une contribution. La réponse originale du Canada était la suivante : si nous avions des vaccins en excédent, alors nous les retournerions à l'entreprise; puisque GlaxoSmithKline et d'autres s'étaient également engagés à faire des dons aux pays en développement, l'entreprise pourrait choisir d'ajouter ces vaccins à son bassin. Seulement, à cette époque, nous n'allions contribuer d'aucune manière. Par la suite, les plans ont changé.

À ce moment-là, j'ai affirmé publiquement que j'avais honte, et pas seulement à cause de ce que j'estimais être une décision prise à la légère. Si vous comprenez la manière dont le virus fonctionne, c'est illogique de l'envisager en fonction de frontières géographiques, comme on l'a déjà très bien expliqué. Cela ne correspond pas aux valeurs de mon pays, ni aux miennes en tant que de Canadienne. Voilà l'aspect le plus important de ma réflexion quant à cette intervention.

Dans ce document, il y a différentes contributions importantes. Il est très informatif sur la question des procédures. À grande échelle, je ne trouve rien à y redire, mais c'était la première fois qu'on faisait un appel public pour que nous assumions nos obligations, tout comme les autres, et nous n'y avons pas répondu.

Le président : Mais, par la suite, nous avons fourni des vaccins, n'est-ce pas?

Dr Upshur : Nous en avons envoyé un peu au Mexique.

Le sénateur Cordy : Sauf que le Mexique n'en avait pas besoin. Le Dr Butler-Jones a dit que nous avions envoyé cinq millions de doses, mais, à l'époque, le Mexique n'en avait pas besoin. L'Agence canadienne de développement international a également reçu cinq millions de doses, mais je pense qu'il était trop tard.

Dr Upshur : Des travaux effectués au Canada ont servi de modèle au document et ont exercé une grande influence. Des représentants canadiens ont participé à la consultation mondiale, et l'un des groupes de travail était présidé par un Canadien. Le sommaire et les recommandations ont été rédigés par Alex Capron, un Américain, qui était à la tête du Département d'éthique de l'OMS à l'époque. Nous pouvons être fiers d'avoir exercé de l'influence à l'échelle mondiale et d'avoir participé concrètement à l'élaboration du cadre.

Quant à savoir si le cadre élaboré était approprié, je suis de plus en plus convaincu par l'approche relationnelle d'intervention en cas de pandémie tirée de la réflexion du groupe de Dalhousie. J'appelle cela, à ma manière spontanée d'envisager les choses, les principes « qui cimentent les peuples ». En période de pandémie, des principes d'éthique qui reconnaissent notre vulnérabilité mutuelle et notre interdépendance sont importants. En outre, au sujet de l'argument de Mme Baylis sur les conséquences différentielles de cet état de choses, la vulnérabilité continue d'être d'une grande importance, et je tiens à appuyer son point de vue sur les Premières nations. Des représentants autochtones ont participé à nos forums d'intervenants, et ils nous ont dit sans détour comment nous les avons laissés tomber, aujourd'hui comme par le passé, de par la manière dont nous sommes intervenus pendant la crise de la grippe H1N1.

Permettez-moi d'insister pour rappeler que, cette fois, nous avons beaucoup mieux fait que pendant la crise du SRAS. Pendant cette crise, j'ai travaillé sur le terrain à titre d'épidémiologiste. Nous avons vu les scientifiques de laboratoire séquencer le gène tandis que nous travaillions avec nos notes au brouillon pour tenter de comprendre qui était atteint de quoi, et pour harmoniser les rapports sur les cas aux fins de suivi. À cet égard, nous nous en sommes bien mieux tirés.

Nous avons également été témoins d'une collaboration mondiale sans précédent. Les nations ont communiqué et échangé des renseignements. Nous avons commencé à constater certains des avantages de la technologie de réseautage social. L'un de mes collègues de l'Université de Toronto s'intéresse aux messages sur l'influenza et les vaccins qui circulent sur YouTube, Facebook, Twitter et tous les autres médias de réseautage social.

Nous avons pu examiner en temps réel l'évolution d'un virus chez les populations humaines — du jamais vu! —, parce que nous avons été en mesure de faire la séquence des virus et de localiser les endroits où apparaissaient des résistances au vaccin. Nous ne devons pas oublier que le virus est toujours présent. Nous n'en avons pas fini avec le H1N1.

Mme Baylis veut prendre du recul et revenir à l'essentiel en matière d'éthique. Prenons un peu de recul et revenons à l'essentiel en matière de virus. Le virus de la pandémie de 1968 s'est transformé pour devenir le virus de la grippe saisonnière habituelle. Le taux de morbidité et de mortalité associé au virus H3N2 de 1968 à 2010 était substantiel. Il est comparable à ceux de la pandémie d'influenza de 1919 et les surpasse même.

Les gens prétendent que le virus H1N1 est maintenant en train de devenir une simple grippe saisonnière. Mes premiers résultats de recherche montrent une augmentation absolue de la morbidité et de la mortalité associées à la grippe saisonnière habituelle, tout particulièrement chez les aînés. Nous avons eu 40 répétitions générales de pandémie de grippe saisonnière; pourtant, nous avons peu fait pour nous préparer à la poussée d'un nouveau virus en nous servant de la grippe saisonnière.

De nombreuses espèces de mammifères sont porteuses de virus de l'influenza. Le Canada est sans doute le réservoir le plus important de virus d'influenza au monde, parce que les oiseaux aquatiques en sont porteurs. L'été, la présence de tous les canards transforme le Bouclier canadien en une véritable mine d'or de tous les virus de l'influenza. Le virus n'a pas dit son dernier mot, et nous le reverrons. Nous ne pouvons nous asseoir sur nos lauriers en prétendant nous en être tirés aisément avec le H1N1 : ce serait une erreur monumentale.

Le président : Madame Baylis, vous laissez entendre que le gouvernement fédéral devrait recourir à la disposition relative à « la paix, l'ordre et le bon gouvernement » pour imposer la séquence de vaccination des groupes prioritaires. Proposez-vous que le gouvernement fédéral prenne la décision, ou qu'il élabore la solution de concert avec les provinces?

Mme Baylis : Je pense que si vous voulez vraiment trouver une solution, le gouvernement devrait commencer dès maintenant à collaborer avec les provinces pour en arriver à une entente, dans ce que j'espère être un contexte de coopération. L'objectif visé n'est pas qu'une partie ou l'autre impose son autorité. Il s'agit plutôt de reconnaître qu'il peut venir un moment où certaines valeurs doivent avoir préséance, et que la manière la plus efficace d'agir dans l'intérêt des Canadiens sera d'intervenir de manière uniforme à l'échelle nationale.

Il serait possible de se croiser les bras et de dire que, comme c'est la santé, nous ne pouvons rien faire, que c'est aux provinces de décider; nous pouvons formuler des recommandations générales et les supplier de les suivre, et conclure que, au bout du compte, c'est leur décision. Cependant, nous disposons de certains mécanismes qui permettent au gouvernement fédéral d'intervenir de plein droit. Engageons dès maintenant la conversation avec les provinces, dans un esprit de collaboration, et tentons d'en arriver à une entente pour nous assurer que tous comprennent les règles du jeu. Les provinces peuvent continuer à agir comme elles l'ont fait jusqu'ici, jusqu'à un certain point.

J'ignore où se trouve la frontière exacte, mais il doit y en avoir une. Je n'arrive pas à croire que les Canadiens pourraient accepter que leur gouvernement fédéral se croise les bras et prétende ne rien pouvoir faire. Étant donné que nous pouvons prévoir qu'il y aura des critères sur lesquels nous appuyer pour déterminer le moment propice où intervenir, tentons dès maintenant de fixer ces critères, de sorte que quand le moment où le gouvernement fédéral doit ou veut agir sera venu, les paramètres seront établis.

La pire chose que nous pourrions faire dans un tel moment, ce serait de lancer un débat constitutionnel. Qui veut d'un débat juridique au beau milieu d'une pandémie? Nous pouvons dès maintenant faire du bon travail pour déterminer le moment approprié d'insister sur une intervention commune, en assoyant les bonnes personnes autour de la table, tout en respectant la Constitution.

Le président : Vous avez parlé d'information de base sur les vaccins. Cela va au-delà du H1N1.

Mme Baylis : C'est exact.

Le président : On parle d'information de base sur les vaccins, point à la ligne. L'information porterait également sur une situation de pandémie, où l'on a besoin des vaccins.

Dans ce cas, proposez-vous la même chose, ou croyez-vous qu'il faudrait laisser cela aux provinces?

Mme Baylis : L'information est un enjeu complexe, parce que nous ne pouvons l'imposer aux personnes à qui nous la destinons. Cependant, nous nous trouvons dans une période de transition où il nous faut apprendre comment nous servir des nouveaux médias, en partenariat. Les nouveaux médias d'information sont en période de transition. Ils sont en train de s'inventer de nouveaux rôles et de faire la part de ce qui constitue du divertissement, de l'information, du journalisme d'enquête, et cetera. Il est possible de faire montre de créativité pour satisfaire les intérêts des deux parties. Une grande partie de l'attention des médias aurait pu être orientée de manière plus positive si ces derniers avaient eu pour objectif commun d'aider les Canadiens. Ce n'était pas le cas, et, je le répète, il nous faudra nous pencher sur cette question.

Au début de l'été, j'ai déployé bien des efforts pour convaincre la CBC-SRC d'organiser une assemblée générale. J'ai, entre autres, suggéré d'inviter des spécialistes canadiens qui répondraient aux questions d'un auditoire composé de tous ces gens de partout au Canada qui croient avoir le pouvoir de décider de la manière de gérer les choses. Demandons aux Canadiens de dire aux spécialistes ce que les Canadiens ont besoin de savoir, ce qui leur donnera confiance en leur gouvernement et le moment où ils voudront se faire vacciner ou pas. Les gouvernements avaient des espoirs et des plans. Bien sûr, il y a eu des consultations, mais il aurait été possible de mener ces consultations d'une manière informative pour le public et de créer un effet d'entraînement en matière d'apprentissage.

Le sénateur Callbeck : Je vous remercie tous les deux de votre présence parmi nous aujourd'hui.

Vous avez parlé de communication. Docteur Upshur, vous avez dit qu'il nous faut améliorer les communications. Madame Baylis, vous avez parlé de la confusion qui régnait parfois dans l'esprit du public. De nombreux témoins nous ont mentionné cela.

Plus tôt, vous avez parlé d'information de base. Vous avez affirmé que vous croyez qu'il y a du travail à faire. Vous avez ensuite dressé la liste de trois domaines. J'aimerais que vous nous donniez des détails sur chacun d'entre eux. Le premier était d'améliorer la chronologie et le contenu des messages destinés au public.

Mme Baylis : Pour l'essentiel, nous avons vu des annonces publiques à la télévision. Nous avons vu David Butler- Jones encourager les gens à se faire vacciner, et je suis certaine qu'il y a eu d'autres genres d'annonces publiques dans les autres provinces. J'aurais préféré que nous procédions à une campagne d'information publique beaucoup plus tôt, et d'une manière qui ne met pas forcément l'accent sur le H1N1. On a parlé du H1N1 dans les actualités parce que le phénomène ne se limitait pas au Canada. Grâce à Internet, nous aurions pu apprendre ce qui se passait ou pas en Australie, par exemple. Je pense qu'il aurait été possible de mettre en place un processus progressif bien planifié qui ne présumait pas des connaissances du public. Il était intéressant de constater que oui, dans le contexte de l'éducation des Canadiens, il fallait les informer de la différence entre un vaccin avec adjuvant ou sans adjuvant. La plupart des Canadiens n'auraient pas su la différence avant le H1N1.

La question est devenue controversée, mais le cafouillage n'aurait peut-être pas eu lieu s'il y avait eu une campagne d'information appropriée bien avant; nous avons plutôt constaté une série d'événements où les médias ont monté en épingle cette différence, où les gens se sont inquiétés, et où la population dont nous parlons, c'est-à-dire les femmes enceintes, n'a même pas l'habitude de se faire vacciner pour la grippe saisonnière. Tant au Canada qu'aux États-Unis, on recommande depuis les années 1960 que les femmes enceintes se fassent vacciner contre l'influenza saisonnière. À l'heure actuelle, 15 p. 100 des femmes enceintes se font donner ce vaccin de leur propre gré.

On se retrouve devant un groupe à risque qui a toutes les raisons de ne pas se faire vacciner et qui, traditionnellement, ne l'a pas fait, et le message qu'on leur diffuse n'est ni réfléchi ni cohérent. Toute cette confusion était inutile.

Dr Upshur : Nous avons eu plusieurs années de vaccination contre la grippe saisonnière pour améliorer la compréhension chez les femmes enceintes, par exemple, et tenter d'accroître leur volonté de se faire vacciner avant l'éclosion du H1N1. Comme l'a judicieusement mentionné Mme Baylis, on recommande aux femmes enceintes ou aux femmes qui sont enceintes pendant la saison de l'influenza de se faire vacciner. Les niveaux de recours à la vaccination sont faibles. Avant l'éclosion de l'influenza, il y a eu beaucoup d'occasions d'améliorer ce recours à la vaccination. C'est la même chose maintenant. Nous entrons dans un cycle d'influenza saisonnière. Mettons en place les fondements de la compréhension et de la communication, afin que nous n'ayons pas à réinventer la roue la prochaine fois qu'un nouveau virus se pointera le bout du nez.

Mme Baylis : Dans ma province — comme j'entends parler de ce sujet dans les médias, je présume que cette discussion a lieu partout au pays —, on s'intéresse beaucoup aux leçons apprises. Quand j'aborde la question de la communication avec notre spécialiste de la santé publique à l'échelon local, je suis aux prises avec une résistance complète; on ne veut pas même entendre le type de critique que les gens tentent de formuler d'une manière constructive. Cette résistance est un autre facteur qui aggrave un problème particulier en lien avec cette question. Peut-être qu'il y a des gens qui se sentent un peu vexés. J'ai passé beaucoup de temps à dire que, sur le terrain, les gens travaillent fort, mais il s'agit d'un problème global qui va bien au-delà des intérêts d'une seule personne. Il s'agit d'élaborer une stratégie pour informer plus de 30 millions de personnes. Nous ne pouvons pas les informer au petit bonheur.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé d'utiliser de manière efficace les outils de réseautage social. Pourriez-vous nous donner des détails, s'il vous plaît?

Mme Baylis : Différents mécanismes sont à notre disposition à partir de moyens simples. Par exemple, j'habite sur un campus universitaire. Quand on entre dans l'un des nombreux édifices, il y a maintenant des écrans de télévision qui présentent des annonces et ainsi de suite. Il y a des moyens qui permettent à l'université de diffuser des messages à une importante collectivité. Par conséquent, ces mécanismes doivent servir à mettre en œuvre un véritable plan, en matière de disponibilité des cliniques, et cetera. Voilà où nous avons eu des problèmes. Le choix du moyen de communication dépend également de ce que vous savez devoir communiquer. Je suis en partie préoccupée par le type de mécanismes qui sont utilisés. Les deux exemples que j'ai donnés ne sont pas complexes. Il s'agit de choses qui ont lieu sur Facebook et sur Twitter, et sur toutes ces choses que je ne prétends pas connaître, mais ce sont les mécanismes dont se servent mes enfants. C'est là que les messages sont diffusés. S'ils croient que quelque chose est important, le message se propage rapidement. Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question. Ma fille de 16 ans pourrait mieux vous expliquer comment employer ces mécanismes.

Dr Upshur : Il y a eu des travaux de recherche dynamiques qui étudient la manière dont ces nouveaux médias de réseautage social ont servi à communiquer des messages, tant les bons que les nuisibles, au sujet du H1N1, des vaccins, des antiviraux, entre autres. Quelques personnes de l'Université de Toronto, ainsi qu'une autre, ici à l'Université d'Ottawa, ont mené ces travaux de recherche; ils présenteront une communication en novembre, à la réunion de l'Initiative de recherche stratégique sur la capacité d'intervention en cas de pandémie, qui regroupe toute la recherche qui a été menée sur les pandémies au Canada. Je pense que c'est important.

Le président : Vous avez dit que cette réunion a lieu en novembre?

Dr Upshur : Oui, du 11 au 13 novembre.

Le président : Est-ce que ces personnes pourraient nous fournir de l'information maintenant?

Dr Upshur : Vous pouvez communiquer avec Marc Ouellette, qui a succédé à M. Singh. Le programme est en cours d'élaboration et devrait être disponible bientôt. C'est sur le web.

Le sénateur Callbeck : Votre troisième élément portait sur les partenariats avec les médias.

Mme Baylis : La question des partenariats est associée au fait que bon nombre des personnes qui jouent un rôle public entretiennent des liens avec les médias. Ils peuvent faire appel aux médias et leur demander s'ils veulent faire un reportage sur cette question. Il y a moyen pour les institutions de structurer la diffusion de cette information pour en faire davantage qu'un simple bon reportage. Au cours des premiers jours de la crise du H1N1, on recherchait la controverse en présentant la situation sous un jour particulier, et les médias cherchaient à comprendre le rôle qu'ils jouaient. Il y aurait eu des moyens — une fois de plus, cela aurait nécessité beaucoup de planification —, pour nouer des partenariats et des liens, sans empêcher les médias de jouer le rôle d'enquêteur, de poser des questions difficiles, et ainsi de suite. Les médias voulaient jouer un rôle d'information. Presque tous avaient des questions et des réponses. Il y avait des questions et des réponses sur le site Web de l'ASPC, à CTV, à la CBC-SRC et dans chaque grand journal. Ils ne racontaient pas tous la même chose. Lorsqu'on tente d'établir l'identité des personnes qui ont déterminé quelles questions étaient importantes et ce qu'elles sont devenues, voilà, une fois de plus, un domaine où un partenariat avec les Canadiens aurait été avantageux. Ils auraient pu cerner les questions qui comptaient pour eux, plutôt que de voir quelqu'un d'autre décider de ce que les gens devaient savoir, en fonction d'un point de vue universitaire, scientifique ou politique.

Voilà ce que j'entends par partenariats, c'est-à-dire de découvrir ce que les gens ont besoin de savoir; colliger cette information; la formuler pour la rendre accessible au plus grand nombre, c'est-à-dire, d'après ce qu'on nous dit maintenant, qu'il faut qu'un jeune de huitième année puisse comprendre; et tenter de déterminer s'il est possible de présenter de l'information que les gens seraient disposés à reconnaître comme source commune, plutôt que la diversité d'informations à laquelle nous avons été confrontés. Je ne prétends pas que nous pouvons mettre fin à cette diversité. J'affirme que nous aurions pu tenter de dialoguer et de négocier. Cela n'aurait peut-être pas réussi, mais je pense que les médias voulaient faire davantage que de s'en tenir au rôle du journaliste d'enquête à la recherche du scoop et du reportage sensationnaliste, qu'il s'agisse du tricheur qui profitait de passe-droits pour ne pas faire la file, de la personne qui refusait de se faire vacciner ou à qui l'on refusait le vaccin.

Dr Upshur : Je crois qu'il y a également eu des exemples formidables de journalisme accompli. En particulier, je pense à Helen Branswell et à André Picard, qui ont fait d'excellents reportages sur le H1N1, et sur l'influenza en général.

Le sénateur Callbeck : L'information a semé beaucoup de confusion dans le public, c'est indéniable. C'est une situation difficile, parce que les médias veulent habituellement couvrir un sujet sur tous ses angles. Voilà pourquoi les gens étaient si perplexes.

Mme Baylis : Le gouvernement doit assumer sa part de responsabilité. À titre d'exemple, mentionnons le cafouillage autour de la question du vaccin avec ou sans adjuvant. Si l'on se penche sur les données et sur l'aspect scientifique, ce cafouillage était injustifié. Si l'on examine ce qui s'est passé dans d'autres pays, différentes approches ont été adoptées. Les États-Unis ont adopté le vaccin sans adjuvant. La Grande-Bretagne a choisi le vaccin avec adjuvant. Ni l'un ni l'autre n'a fait de valse-hésitation. La science se portait à la défense de la décision initiale prise par le gouvernement d'administrer le vaccin avec adjuvant. Ce cafouillage était injustifié.

Toutefois, cette décision a complètement miné la confiance du public, qui se posait la question suivante : si ce vaccin ne convient pas aux femmes enceintes, est-ce que je devrais le prendre? Encore maintenant, je ne m'explique pas pourquoi cette question n'a pas été gérée différemment. Quand on examine la recommandation de l'Agence de la santé publique, elle ne correspond pas à celle formulée par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Si vous parlez à ceux qui travaillaient sur le terrain, les médecins, ou les spécialistes en obstétrique-gynécologie, ils tentaient de savoir quoi faire, et, chaque jour, ils consultaient le site Web pour tenter de comprendre ce qui arrivait.

Puis, il y a eu des renseignements contradictoires relativement à la limite des 20 semaines de grossesse; il fallait déterminer si une femme avait atteint cette limite ou pas. Une fois de plus, à mon avis, voilà une information qui n'a pas été très utile pour donner confiance à cette population, ou à l'ensemble des Canadiens. Je pense que c'est une situation qui illustre ce que nous aurions fait autrement.

Le sénateur Eaton : Ce sont des sujets fascinants.

Madame Baylis, vous avez dit que ce serait bien si le gouvernement avait un instrument qui l'emporte sur les autres en cas d'urgence en matière de santé, et qu'il faudrait parler de cet instrument dès maintenant. Parlez-vous de quelque chose de similaire à la Loi sur les mesures de guerre, mais qui porterait plutôt sur des mesures de santé? Si le gouvernement déclarait une pandémie ou une urgence en matière de santé, il aurait planifié à l'avance, de concert avec les provinces, que ce serait lui qui prendrait la décision relative aux groupes prioritaires et à la séquence de distribution des ressources allouées aux provinces; c'est le gouvernement fédéral qui déciderait de la fermeture des écoles; c'est lui qui déciderait de l'intervention de l'armée; ou de quoi que ce soit d'autre qui pourrait se révéler utile. Est-ce le genre de choses que vous proposez?

Mme Baylis : Je propose quelque chose qui ressemble à cela. J'espère que nous ne finirons pas par avoir à faire une analogie avec la Loi sur les mesures de guerre, pour toutes sortes de raisons.

Le sénateur Eaton : Quelque chose qui, en cas d'urgence, fonctionnerait. Que nous soyons d'accord ou pas — j'étais au Québec à l'époque, et cela m'a beaucoup rassurée, mais c'est une autre histoire.

Mme Baylis : Je pense que ce que je propose est possible. Imaginons un scénario où une partie du pays précise est frappée particulièrement durement. Imaginons que les ressources dont nous avons besoin — qu'il s'agisse de gens, de personnel, de places en soins intensifs, de vaccins, ou de quoi que ce soit d'autre — sont ailleurs. Je vous brosse un tableau plutôt sombre, mais imaginons que cela se passe ailleurs au Canada.

Est-ce que ce sera le moment de nous asseoir et d'avoir de longues conversations bilatérales entre deux provinces pour déterminer si l'une d'entre elles aimerait, pourrait ou devrait aider?

Le sénateur Eaton : Je suis d'accord avec vous. À Toronto, une certaine confusion régnait, parce que certaines écoles étaient fermées, et, les jours où ces mêmes écoles rouvraient leurs portes, il n'y avait que quelques rares élèves, et nous avons fermé toutes les écoles dans la région. La confusion régnait.

Mme Baylis : La crise du SRAS a permis de faire avancer les choses. Le Dr Upshur peut peut-être en parler. Cette question est également abordée dans le rapport de David Naylor, dans lequel il se penche sur certains des enjeux éthiques et juridiques. Une fois de plus, il renvoie à la disposition sur « la paix, l'ordre et le bon gouvernement ». Le mécanisme existe. En ce moment, je ne sais pas vraiment comment cela pourrait fonctionner. À mon avis, il est prioritaire d'asseoir les bonnes personnes autour de la table pour commencer à établir comment ce mécanisme pourrait servir.

La beauté de la chose, c'est qu'en procédant maintenant, ce ne serait pas fait de manière improvisée au beau milieu d'une urgence ou d'une crise. Les parties feraient beaucoup d'efforts pour dire : arrivons-en à une entente; exerçons notre imagination morale; réfléchissons aux pires scénarios; et voici le moment où nous croyons qu'il serait raisonnable d'intervenir. Avec de la chance, cela permettrait d'en arriver à une compréhension et à une entente autour du fait, que si ce pouvoir est utilisé, ce sera dans un contexte défini qui, au moins, n'étonnera personne. Cela pourrait susciter de la contrariété ou des désaccords, mais, au moins, il y aura eu des efforts pour préparer le terrain.

Le sénateur Eaton : Au moins, les gens auront approuvé, et s'il faut réaffecter des fournitures d'une région du pays à une autre, quelqu'un à Ottawa sera en train d'abattre les cloisons, et prendra les décisions en ayant un portrait d'ensemble.

Dr Upshur : Pour donner suite à ce point, je pense que c'est le professeur Choudhury, de l'Université de Toronto, qui a rédigé la section du rapport qui traite de la réforme juridique qui serait nécessaire. Cette section avait été soumise à la Commission Naylor sur le SRAS.

M. Kumanan Wilson est-il venu témoigner devant votre comité? Il se trouve ici, à Ottawa. Il occupe la Chaire de recherche du Canada sur les politiques de santé publique.

Le président : Nous l'avons invité, mais il n'était pas disponible.

Dr Upshur : Je vais tenter de le convaincre. Il comprend les lois sur les enjeux de santé publique fédéraux- provinciaux, et a rédigé des articles sur les réformes ou les instruments qui peuvent permettre d'arriver à ces fins.

Le président : Ce serait utile s'il pouvait nous envoyer quelque chose sur cette question.

Dr Upshur : Je m'assurerai qu'il vous envoie ses articles. Il fait partie de notre équipe de recherche. En tant que chercheur principal, je vais l'implorer d'être un bon citoyen et de vous envoyer ses travaux, qui, je crois, pourraient étayer les travaux de votre comité.

Le sénateur Eaton : L'enjeu des communications est revenu sur la table à maintes reprises. Une chose que je ne comprenais pas, mais que j'ai fini par comprendre un peu mieux, c'est que quand j'entendais le mot « pandémie », je présumais que des centaines et des milliers de personnes étaient malades. Tranquillement, j'ai compris que l'Organisation mondiale de la Santé regardait une carte du monde et affirmait : le virus est en Afrique du Sud, il est ici, il est là. C'est donc une pandémie.

Devrions-nous, quand nous ne sommes pas en situation de pandémie, créer notre propre ensemble de mots que les Canadiens peuvent comprendre, et qui ne renverront pas tant à des régions géographiques, mais davantage à la gravité de la pandémie ou au nombre de personnes qui sont malades? Je pense que je ne suis pas la seule à avoir mal compris. À entendre le mot « pandémie », on croyait qu'il s'agissait de l'influenza du début du XXe siècle. Je pense que nous pouvons faire plus de travail sur les mots et les définitions, et dire au public canadien, oui, 500 personnes sont malades, pas 500 000.

Dr Upshur : Le mot « pandémie » est un terme du domaine de l'épidémiologie des maladies transmissibles. Il a une étiologie grecque charmante — il est composé de la racine « pan », qui signifie « tout » et « demos » qui signifie « gens ».

L'un des critères qui caractérisent un virus d'influenza pandémique, c'est que la nouvelle souche de virus qui vient d'être identifiée se propage rapidement partout dans le monde. Il s'agit d'un descripteur géographique, pas d'un descripteur de gravité. Je suis tout à fait d'accord : à l'avenir, il nous faudra découpler la distribution géographique de la maladie de sa gravité. D'après les niveaux de déclaration de pandémie utilisés par l'Organisation mondiale de la Santé — qui, de son poste d'observation à Genève, surveille le monde entier —, le virus peut être grave et violent dans certaines régions, comme c'était tout d'abord le cas au Mexique, mais moins grave ailleurs. Il y a à la fois gravité et la dispersion géographique. Je pense que vous constaterez que l'on prendra des mesures et que l'on apportera des changements à cette approche.

Le sénateur Eaton : Je l'espère, même s'il s'agit simplement d'un diagramme de couleurs. Question de confiance, cela donnerait davantage confiance aux gens, parce qu'ils n'auraient pas l'impression que le gouvernement exagère. Je pense que, à la fin de la crise du H1N1, bon nombre de personnes se disaient : « Tout ça pour ça? »

Dr Upshur : C'est un peu étrange que les gens se soient montrés déçus que le nombre de décès n'ait pas été plus élevé.

Le sénateur Eaton : On a suscité des attentes.

Le président : La pandémie était toute une affaire.

Dr Upshur : En effet, et beaucoup de personnes dans le monde ont été malades. Ne l'oublions pas. Selon moi, il n'y a pas de fin à une pandémie. Nous n'en avons pas encore fini.

Le sénateur Eaton : Ce n'est pas ce que j'affirme. Comme l'a dit Mme Baylis, pour établir une certaine mesure de confiance, il faut employer les bons mots.

Mme Baylis : L'autre chose dont nous devons également nous méfier, c'est que nous ne pouvons pas inventer des mots qui ne fonctionneront que dans un contexte canadien, en raison du contexte de mondialisation dans lequel nous vivons. On ne peut empêcher les gens d'entendre et de savoir. Ce qu'il nous faut, c'est un découplage de la distribution par rapport à la gravité.

Par exemple, on aurait pu parler de ce genre de choses pendant l'été, tandis qu'il n'y avait pas de crise en santé immédiate, ni de perception de crise en santé dans un contexte canadien. On aurait pu présenter l'histoire en disant qu'il y avait une pandémie à ce moment-là. Que signifie le mot pandémie? Voilà ce dont je parlais quand j'ai dit qu'il nous fallait de l'information de base pour que, quand les choses se produisent dans un contexte donné, il y ait un cadre de référence.

C'est ce que nous faisons avec les enfants dans d'autres situations. Nous leur offrons de l'éducation sexuelle, et je pense que mon fils était âgé de huit ans à l'époque. L'objectif est de tenter de leur permettre de comprendre des mots et des notions bien avant qu'ils n'aient besoin de les utiliser et de passer à l'acte.

Le sénateur Eaton : Je reste convaincue qu'il nous faut mettre au point un vocabulaire qui signale la gravité tout comme la répartition géographique.

Dr Upshur : L'Organisation mondiale de la Santé a retenu cette leçon, mais il faudra du temps. Vous avez travaillé au gouvernement. Le changement est parfois long à venir. En raison de tous les États membres que compte l'Organisation mondiale de la Santé, il faut passer par l'Assemblée mondiale de la Santé. Nous aurons peut-être quelque chose d'ici 2015. Mais non, je blague.

Le sénateur Cordy : Ce qui me préoccupe, c'est que, parce que, heureusement, la pandémie n'était pas aussi grave que les gens ne le craignaient, quand surgira la prochaine pandémie, les gens deviennent beaucoup plus complaisants et désinvoltes, et se diront : « Peut-être que je n'irai pas me faire vacciner », et des choses du genre.

Ma question porte sur les groupes prioritaires. Je n'aimerais pas avoir à décider des groupes prioritaires — qui passe en premier, qui passe en deuxième, et ainsi de suite. Nous avons entendu les témoignages d'un syndicat d'infirmières, de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, de policiers et de pompiers — tout le monde ne peut pas être dans un groupe prioritaire.

L'une des choses qui m'ont frappée, c'est le témoignage des Autochtones des Premières nations qui ont comparu devant le comité. En ce qui concerne l'élaboration des priorités, ils ont parlé du manque d'attention, réel ou apparent, accordé aux aspects culturels.

Plus tard, après la fin de la séance, je me suis assise avec eux et leur ai demandé de m'en dire plus là-dessus. Deux d'entre eux m'ont dit qu'ils ne se feraient jamais vacciner avant que les aînés de leur collectivité n'aient reçu leur vaccin, peu importe ce qu'on en dise à Ottawa ou ailleurs. C'était l'un des points qu'ils ont soulevés.

Un autre enjeu s'applique non seulement aux membres des Premières nations, mais également à ceux qui habitent dans les régions éloignées dont le Dr Upshur a parlé un peu plus tôt. Ils parcourent 20 milles avec leurs enfants, et seulement l'un d'entre eux peut être vacciné. Ça les oblige donc à revenir un autre jour pour leur autre enfant. Et il leur faut revenir encore une fois pour faire vacciner leurs parents. Cette approche est complètement illogique.

Madame Baylis, vous avez mentionné les conditions de vie des Autochtones. Quand trois générations habitent ensemble dans des conditions sanitaires médiocres et des logements surpeuplés, à quoi sert-il de faire vacciner une seule personne du ménage? Si une personne attrape le virus pandémique, ils vont tous l'attraper.

Au moment d'élaborer des priorités, il y a tant de choses que nous devons prendre en considération. Je suis d'accord avec vous, madame Baylis : nous ne pouvons élaborer les priorités au beau milieu d'une pandémie. Que devons-nous faire?

Mme Baylis : J'ai deux commentaires à faire. Quand le Dr Upshur a fait sa déclaration, il a affirmé que c'était une approche cruelle. Dans mes notes, j'ai écrit que c'était non seulement cruel, mais que c'était mal.

Dr Upshur : C'était stupide.

Mme Baylis : C'est idiot, aussi; c'est une approche cruelle, terrible et stupide. Cette approche est indéfendable. J'aimerais me servir de cet exemple pour expliquer comment je pense que nos travaux sur la théorie relationnelle pourraient avoir une incidence.

L'un des aspects fondateurs de ce travail, c'est qu'il reconnaît que les gens habitent dans des familles et des collectivités. C'est dans ce contexte qu'ils acquièrent leur identité, qu'ils apprennent ce que sont leurs priorités et ce que cela signifie que d'être attentif au bien-être des autres. Dans une telle perspective philosophique, nous n'en serions jamais arrivés avec ce genre de liste, qui reflétait une perspective étroite d'un individu considéré de manière isolée, comme si un bébé pouvait vivre tout seul au monde et se présenter par lui-même pour se faire vacciner.

Voici un exemple concret : si on avait commencé par une théorie selon laquelle les gens sont intégrés dans des familles, alors on aurait adopté une philosophie qui aurait permis une plus grande inclusion relationnelle. Ainsi, on aurait dit, même si nous avons une liste de groupes prioritaires, si une personne se retrouvait sur la liste, alors toute personne qui l'accompagne serait vaccinée en même temps.

Les gens ont repoussé cette proposition en rétorquant : il y aura de la triche. C'est vrai, il y aura de la triche. Pourtant, il y a des endroits dans le monde où on réussit à mettre en place des transports en commun qui fonctionnent en fonction d'un code d'honneur. On ne met pas en place une infrastructure complète pour tenter de contrecarrer les quelques personnes qui pourraient tenter de contourner le système. Ils passent beaucoup de temps à informer.

À propos de ça, j'ai passé beaucoup de temps à tenter d'expliquer aux gens pourquoi c'était une bonne chose, sur le plan moral, que d'attendre leur tour, et que c'était également la chose intelligente à faire. Nous voulions qu'ils saisissent qu'il s'agit d'un risque commun et que le fait de s'assurer de vacciner tous ceux qui passaient avant eux contribuait à leur protection. Une fois de plus, il s'agit d'une leçon élémentaire sur laquelle on aurait dû travailler à l'avance. C'est la première chose que je voulais dire.

La deuxième chose dont je veux vous parler traite des conditions de vie qui rendaient déjà les choses difficiles au chapitre de la santé publique. Nous menons présentement des recherches sur la qualité de l'eau partout au Canada. C'est scandaleux de constater la quantité de collectivités des Premières nations qui n'ont pas accès à de l'eau non contaminée. Ici, l'Agence de la santé publique du Canada dit aux gens de se laver les mains, et partout on trébuche sur des bouteilles de désinfectants. Elles sont là pour rester. Les désinfectants sont partout, pas seulement à l'hôpital, mais jusque dans les banques.

Ensuite, nous entendons dire que certaines collectivités des Premières nations n'ont même pas accès à des désinfectants, et encore moins à de l'eau non contaminée, parce que nous nous inquiétons du fait que les désinfectants sont à base d'alcool. Tout ce qui me vient à l'esprit, c'est : vous voulez que les gens aient le sentiment de faire partie de cette collectivité et que vous vous préoccupez de leur bien-être; aviez-vous réfléchi à quoi que ce soit? Aviez-vous un plan? »

Ce sont des choses élémentaires. Seulement, quand on voit ce genre d'incident se produire de différentes manières et à divers moments, on se demande en quoi consiste la stratégie, et si quelqu'un porte attention aux problèmes sous- jacents, au contexte culturel ou aux priorités.

C'est pourquoi j'insiste fortement pour vous dire : nous devons réfléchir à cet enjeu dans l'optique de la santé publique, et nous aurions dû le faire il y a des années. Il est important de reconnaître le caractère inéquitable de notre vulnérabilité en même temps que nous reconnaissons que nous sommes tous vulnérables.

Dr Upshur : Si le comité ne devait retenir qu'un seul message sur lequel il formulerait des recommandations, je lui dirais d'investir dans des méthodes appropriées d'établissement des priorités et d'allocation de ressources. C'est une tâche qu'il est difficile de réussir. C'est controversé et c'est incroyablement important.

Dès le départ, nous avons fait valoir qu'il fallait tirer ce genre de leçon. Ce n'est pas quand les salles d'urgence sont bondées qu'il faut commencer à discuter pour déterminer qui passera en premier. Nous devons organiser une discussion publique encadrée par des principes pour dégager les valeurs qui orienteront les décisions. Au sud de la frontière, il y a eu des discussions influentes qui sont en réalité des variations autour des thèmes des chances équitables ou de l'efficacité — par exemple, que les personnes qui sont susceptibles de vivre plus longtemps devraient profiter des investissements dans les vaccins, les médicaments qui sauvent les vies et la technologie, par opposition aux personnes plus âgées. D'autres feront valoir exactement le contraire, comme dans l'exemple que vous avez donné, où ils n'auraient jamais envisagé de ne pas prendre soin de leurs aînés en premier. Il nous faut tenir ces discussions selon les principes qui orienteront la séquence de nos priorités.

L'ouragan Katrina nous a donné une bonne leçon de choses. L'eau s'engouffrait dans un hôpital, et il y avait une panne d'électricité. Les cliniciens voulaient évacuer les personnes les plus malades, les pompiers voulaient secourir les blessés capables de marcher, et les hélicoptères n'en avaient que pour les femmes enceintes. Je fais valoir que lorsque l'eau monte et que les digues sont rompues, ce n'est pas le moment de se disputer sur des principes élémentaires de philosophie.

Nous pouvons faire mieux en organisant une vaste discussion publique sur les priorités. La méthode, nous l'avons; nous avons demandé aux gens de nous dire comment ils estiment que ces discussions devraient se tenir. Je serais heureux de vous communiquer cette information.

C'est l'une des choses les plus importantes pour la suite des choses. Nous ne pouvons laisser le contenu de cette discussion latente et tacite, et dire que nous nous appuierons sur la croyance selon laquelle la science sera là en temps opportun pour étayer nos décisions. Je peux vous assurer qu'elle n'est presque jamais au rendez-vous, et c'est pourquoi les principes éthiques sont si importants. Souvent, nous n'avons que nos valeurs et les buts que nous tentons de réaliser pour établir notre intervention en santé publique. Nous pouvons attendre d'accumuler les renseignements techniques, mais ils sont durement acquis, et cela prend du temps. Il nous faut souvent prendre les décisions à l'avance. Avant la prochaine pandémie, il nous reste du temps pour procéder à un meilleur établissement des priorités.

Le sénateur Cordy : Les gens ont tendance à ne pas réfléchir de manière rationnelle s'il y a quelqu'un atteint du H1N1 à l'école de leurs enfants.

Dr Upshur : Un bon exemple de cela, c'est quand les aînés se retrouvent sur la liste des groupes prioritaires. Si nous décrétons qu'ils se retrouvent au bas de la liste, nous aurions peut-être de la résistance. Si nous les consultons, les choses pourraient se passer autrement. D'excellentes études démontrent que les personnes plus âgées seraient disposées à céder leur place dans une liste d'attente de chirurgie des artères coronariennes, pour peu qu'on leur pose la question, qu'on les écoute et qu'on leur donne la possibilité de se prononcer.

Comme je l'ai appris, c'est facile de dire que nous communiquerons avec le public, mais c'est difficile d'écouter et surtout de prendre au sérieux ce que l'on entend. Si nous demandons aux gens ce qu'ils veulent, nous pourrions obtenir des réponses hétérogènes. Certains accepteraient de bon gré, d'autres pas. Néanmoins, si nous souhaitons orienter nos efforts en fonction des personnes, comme nous en avons parlé auparavant, et adopter une approche relationnelle, nous devons réfléchir à la manière dont les gens envisagent leur propre personne et leurs relations, ce à quoi ils accordent de la valeur, et ensuite nous adapter à ce point de vue.

Le sénateur Cordy : Mon autre question donne suite à une question posée par le sénateur Eaton. Le gouvernement fédéral devrait-il avoir le mandat d'exiger la vaccination de groupes à risque? Pouvez-vous imaginer ne serait-ce qu'une seule situation où ce serait approprié?

Dr Upshur : Non.

Le sénateur Cordy : La vaccination est-elle toujours volontaire? J'ignore la réponse. Je suis curieuse.

Dr Upshur : Tant que les droits de la personne et l'exercice de la liberté de conscience auront droit de cité, ce sera très difficile. On parle de la vaccination obligatoire, mais on ne peut l'imposer. On trouve un paradoxe intéressant au sud de la frontière, terre de liberté et de bravoure, comme le dit l'hymne national. Dans l'arrêt Jacobson c. Massachusetts, il a été décidé que le fait d'imposer la vaccination contre la varicelle n'était pas une violation constitutionnelle de l'intégrité du corps humain.

Au Canada, notre cadre juridique est complètement différent. L'expression juridique « objection de conscience » est tirée d'une décision relative au refus de vacciner contre la varicelle au R.-U., et nous avons adopté cette décision. Il nous faudrait nous débarrasser de beaucoup d'éléments de notre tradition juridique pour nous débarrasser des dispositions d'exercice de la liberté de conscience dans un cas de refus de se faire vacciner pour imposer la vaccination ou la rendre obligatoire. Cela n'a pas bien fonctionné.

Mme Baylis : Nous continuons de nous pencher sur cet enjeu avec certains des chercheurs juridiques qui participent à la recherche sur laquelle je travaille présentement qui porte plus étroitement sur la question de la vaccination obligatoire des fournisseurs de soins de santé. L'analyse juridique dans le cadre de ce travail n'est pas encore terminée.

En attendant, pas nécessairement pour le H1N1, mais pour le vaccin de la grippe saisonnière, nous travaillons avec l'agence de la santé publique de notre province pour étudier cette notion de refus. Il s'agit, bien sûr, du fait que les gens doivent donner leur consentement, mais nos établissements de soins de santé perpétuent une philosophie selon laquelle les gens n'ont pas le droit de tuer un enfant et sa grand-mère.

De fait, du moins à l'hôpital pour enfants où j'effectue une partie de mon travail, si une personne porteuse d'un virus se présente, elle met quelqu'un à risque. Nous nous servons de l'exemple de l'enfant et de sa grand-mère comme des deux populations à risque. La personne porteuse du virus a peut-être le droit de ne pas se faire vacciner, mais cela ne se traduit pas par le droit de mettre d'autres personnes à risque. Il nous faut alors examiner les conséquences si cette personne est priée ou tenue de rester chez elle du simple fait d'avoir fait un choix. On peut faire le parallèle avec la situation suivante : « J'ai le droit de refuser de passer dans un scanner, mais, alors, on n'est pas obligé de me laisser embarquer dans l'avion ».

Nous avons introduit cette notion de refus, qui est le contraire du consentement. De façon intéressante, les gens sont autorisés à refuser, et ils le font. En ce moment, tout ce que nous demandons, c'est que la personne signe un document qui atteste le fait qu'elle ne souhaite pas être vaccinée. À cause de cette signature, néanmoins, la personne doit se présenter. C'est dans ce contexte qu'on l'informe des conséquences de son choix. Plusieurs personnes changent d'avis.

Je ne devrais pas vous donner de pourcentage, parce que je suis certaine de me tromper. Il reste encore un pourcentage de nos travailleurs en soins de santé qui choisissent de ne pas se faire vacciner. Jusqu'ici, nous ne sommes pas intervenus relativement à ce choix, mais, par le truchement de campagnes d'information et en exigeant d'eux qu'ils s'engagent sérieusement en signant un document, nous tentons de nous assurer qu'ils sont informés sur cette question et qu'ils refusent d'être vaccinés. Je pense qu'il y a encore du travail à faire sur cette question.

Dr Upshur : C'est une solution élégante, parce qu'elle ne porte pas atteinte au droit d'une personne de refuser une thérapie qu'elle ne souhaite pas suivre, mais on conserve les pouvoirs corrélatifs d'exclure cette personne de la collectivité, si elle devait poser un risque pour les autres.

Le président : Ou de l'écarter de son emploi en soins de santé.

Dr Upshur : Oui, de la réaffecter ou de l'envoyer travailler ailleurs. C'est compliqué, mais, à mon avis, la vaccination imposée ne se trouve nulle part à l'horizon. L'argument moral en faveur de la vaccination des fournisseurs de soins de santé est puissant, et nous avons également rédigé des articles à ce sujet.

Le sénateur Seidman : Merci d'être parmi nous ce soir. J'ai une question à vous poser, mais j'aimerais d'abord donner rapidement suite à la question mise de l'avant par le sénateur Cordy.

Bien qu'il ne fasse aucun doute que de nombreux facteurs sociodémographiques ont transformé les collectivités autochtones en populations à risque extrêmement élevé, je tiens à faire quelques observations aux fins du compte rendu, et à rappeler certains de faits que nous avons entendus au cours de séances précédentes.

Par exemple, les collectivités autochtones ont affiché certains des taux de vaccination les plus élevés. Une deuxième chose que nous avons entendue, c'est que le travail de planification de la pandémie et du plan de préparation pour cette collectivité a débuté en 2006, alors il y avait tout de même une tentative de préparation à l'avance.

Je fais valoir ces points aux fins du compte rendu, afin de mettre de l'avant ce que nous avons entendu de la part d'autres témoins.

J'en viens à ma question principale, qui porte en premier lieu sur l'accès au vaccin; pas tant dans le sens où nous en avons parlé aujourd'hui, mais plutôt relativement à la détermination des personnes qui devraient être vaccinées en raison de leur exposition en milieu de travail. À première vue, il semble facile de répondre à cette question puisque, comme nous le savons, nous avons commencé par dire que tous les travailleurs de soins de santé devraient être vaccinés immédiatement en raison de leur exposition. La question se transforme alors pour devenir la suivante : leur famille devra-t-elle être vaccinée? Les autres membres du personnel qui travaillent dans le système hospitalier devraient-ils être vaccinés? Les policiers devraient-ils être vaccinés? Enfin, les personnes qui travaillent à notre chaîne d'approvisionnement alimentaire devraient-elles être vaccinées? L'enjeu devient rapidement complexe. Que pensez-vous de cet enjeu au chapitre de l'éthique?

Mme Baylis : Quelques commentaires rapides. En ce qui concerne le taux de vaccination élevé chez les peuples autochtones, c'est vrai, mais seulement dans certaines parties du pays. Ce taux de vaccination est élevé parce qu'un plan d'intervention différent était mis en place dans différentes parties du pays, attribuable à des différences locales et géographiques; dans le cadre de ce plan, les infirmières en santé publique se rendaient dans les collectivités parce que l'on ne s'attendait pas à ce que ces populations se présentent aux cliniques, entre autres. La variabilité des taux de vaccination est attribuable à certaines différences dans les modalités de prestation des services.

Examinons les données qui proviennent de Winnipeg : cette population est représentée de manière disproportionnée par rapport à sa proportion dans la population, par rapport à ce qui se produit quand un Autochtone attrape le virus, qu'il se retrouve aux soins intensifs et qu'il meurt. Le Journal de l'Association médicale canadienne publie des sommaires intéressants de ces travaux, et les données sont saisissantes.

Quant au fait que le travail de préparation en matière de santé publique a été terminé en 2006, c'est vrai, mais il a été très difficile de faire le suivi de cet argent. Nous voyons que des millions de dollars ont été engagés, mais nous n'arrivons pas à savoir ce qui correspond à de nouvelles injections d'argent, et comment cet argent est dépensé. Comme je l'ai dit, le projet sur lequel nous travaillons présentement consiste à faire le relevé de l'eau non contaminée, un sujet qui, à notre avis, aurait dû être complètement distinct de la pandémie. Et pourtant, c'est un enjeu qui devient important, et nous n'avons constaté aucun changement majeur pendant cette même période.

Je pense qu'il s'agit d'un enjeu complexe; je ne prétends pas que ce n'est pas le cas. Je serais heureuse que nous y portions attention.

Quant à la question des groupes qui se retrouvent sur la liste, la liste elle-même est l'une des choses dont j'ai été satisfaite dans le contexte canadien; étant donné le cynisme qui me caractérise ces temps-ci, je ne me serais peut-être pas attendue à cela. Ailleurs, en France par exemple, les grandes sociétés se sont retrouvées sur la liste. Si des employés travaillaient pour une grande société qui faisait rouler l'économie, le pays ne pourrait se permettre de laisser la société piquer du nez, alors elle se retrouvait sur la liste. Ailleurs, d'autres personnes se retrouvaient sur la liste alors qu'ils n'auraient pas dû y être. Revenons à nos travailleurs en soins de santé : aurait-il fallu conclure que ce groupe incluait l'urgence? Pour certains, c'était le cas; pour d'autres, non, en fonction de l'interprétation que l'on faisait de ce terme.

Une liste de groupes prioritaires peut susciter différentes réactions. Je laisserai le soin au Dr Upshur d'ajouter quoi que ce soit sur la liste à laquelle nous sommes arrivés dans le contexte canadien.

Quand j'ai fait ma déclaration, j'ai pris grand soin de dire que, en ce moment, ce n'est pas mon rôle de remettre en question cette liste. Sur le plan scientifique, je ne suis pas suffisamment informée, mais j'aime croire que les gens qui l'ont élaborée avaient accès à cette information et qu'ils comprenaient véritablement où se situaient les risques les plus importants pour les populations et les sous-populations au chapitre de la santé.

Si vous le permettez, j'attire votre attention sur cette question. C'est l'occasion pour moi d'expliquer cette diapositive. À mon avis, c'est un microcosme de ce qui s'est produit au Canada. Nous n'avons pas les ressources pour le faire au Canada, mais si la situation changeait, je suis convaincue que c'est le genre de chose que nous veillerons à reproduire.

Tous les jours, nous avons lu tous les journaux des trois provinces, dans les deux langues officielles. Nous avons choisi de nous informer dans les journaux. Pourquoi? Parce que nous n'arrivions pas à obtenir l'information des agences de santé publique des provinces; non pas parce qu'elles refusaient de nous la donner, mais parce qu'elles n'avaient aucune forme de documentation cohérente. Tentez de découvrir ce qui faisait l'objet d'un suivi et vous serez étonné. Cela donne envie de se demander qui prenait les notes, au juste.

Mais ce qui compte encore davantage, c'est que nous avons également réfléchi d'un point de vue de procédure : que savaient les Canadiens? Ils ignoraient ce qui se trouvait dans le communiqué de presse. Ils ne connaissaient que ce qui avait fait son chemin jusque dans un média public qui leur donnait accès à cette information.

Ce que je souhaite vous faire comprendre, c'est que, dans certains cas, les travailleurs en soins de santé ont eu un accès prioritaire dès le début. Quelque part, un plan a été amorcé pour veiller à ce qu'il y ait un accès prioritaire. Ensuite, nous constatons que le grand public a eu accès. Nulle part dans ce plan est-il indiqué que le grand public aurait dû avoir accès.

Que s'est-il passé, du moins dans notre partie du monde? Voilà ce à quoi sert ce charmant index; il signifie : « Euh, il y a un problème ici ». On a poliment demandé aux gens : « Nous pensons que nous allons manquer de vaccins; pourriez-vous attendre votre tour? » Lorsqu'ils ont refusé de le faire de bon gré, on a fini par fermer les cliniques.

Il est également intéressant de constater la différence du traitement réservé aux femmes enceintes. Vous remarquerez que parfois la région sur le diagramme est foncée, alors qu'ailleurs, elle est en grisé.

Les régions foncées indiquent les périodes au cours desquelles toutes les femmes enceintes devaient se présenter, alors que les régions en grisé représentent les périodes où les femmes enceintes de moins de 20 semaines devaient se présenter. Ce diagramme illustre le suivi que nous avons fait auprès d'une seule population à laquelle nous étions particulièrement intéressés. Si nous parcourons tout le pays et faisons le suivi de chaque population, il est si différent que, à un certain point, je me demande si cela valait tout le temps, l'effort et l'énergie des gens, dont j'espère qu'ils étaient talentueux, des gens qui ont travaillé à élaborer une liste de séquence de vaccination. Est-ce qu'il vaut la peine que nous consacrions notre temps, nos efforts et nos énergies à adapter cette liste, si nous ne sommes pas convaincus que c'était la bonne? Je vous réponds oui, mais seulement si nous suivons la liste. Si nous n'avons aucune intention de la suivre, alors je me demande à quoi ont servi les efforts qui y ont été consacrés. Je présume que la plupart d'entre nous croyons que cela vaut la peine d'arriver à la bonne liste, mais nous n'y arriverons pas sans l'autre élément essentiel, c'est-à-dire le fait d'être convaincus que cette liste servira.

Le sénateur Seidman : Qu'en pensez-vous, docteur?

Dr Upshur : Aux échelons tant international, national que local, on a beaucoup réfléchi à l'accès prioritaire, c'est-à-dire qui doit recevoir le vaccin en premier. Partout, la réponse est universelle : on accepte que l'accès prioritaire inclue les fournisseurs de soins de santé. Cependant, comme vous le signalez judicieusement, jusqu'où va cet accès? Quelle doit être la portée de l'accès prioritaire? Je pense que les gens ont conclu qu'il fallait assurer l'infrastructure essentielle, alors l'accès prioritaire incluait les personnes qui contribuent à l'approvisionnement en eau, à la gestion des eaux usées, c'est-à-dire toute la chaîne des gens qui sont essentiels au fonctionnement de la société.

Une fois de plus, cela nous ramène à la question de la gravité. Dans une pandémie grave, où un taux de morbidité et de mortalité élevé pourrait menacer le fonctionnement de la société, il nous faut adopter une acception beaucoup plus large des personnes qui auraient droit à un accès prioritaire pour assurer le fonctionnement de l'approvisionnement essentiel — l'approvisionnement en nourriture, en eau, l'assainissement, et cetera. Il faut revenir à une compréhension de la dynamique d'une éclosion d'influenza, pandémique ou autre. Le sommet des éclosions dure environ six semaines. Quand la pandémie arrive, elle ne dure pas pour toujours. Lorsqu'elles sont à leur sommet, les éclosions sont brèves et intenses. La maladie dure de trois à cinq jours pour les personnes qui se rétablissent. Même dans les scénarios du pire cas, de 95 à 99 p. 100 des gens survivront et se rétabliront. Par contre, ils seront très malades.

Dans le cadre de la préparation, vous devez voir et prévoir ce qu'il vous faut absolument, par nécessité, avoir en place pour assurer le bon fonctionnement de la société pendant une pandémie grave, et où il serait possible d'avoir un deuxième et un troisième niveaux. Une documentation fournie illustre les réflexions des gens qui se sont penchés sur cette question. Nous avons également la contribution du public relativement aux personnes qu'on estime qu'ils devraient se retrouver dans les premier, deuxième et troisième niveaux. Il y a une part de réflexion dans cette contribution, et je transmettrai ces renseignements. Je ne veux pas sortir des chiffres de mon chapeau, car nous disposons d'estimations précises.

Le sénateur Seidman : C'est très bien.

Par exemple, dans les milieux de travail en soins de santé, dans les hôpitaux, on a tenté de rendre la vaccination obligatoire. Si les membres du personnel ne se faisaient pas vacciner, ils se voyaient imposer des amendes, ou, s'ils tombaient malades, ils perdaient leur paye. Que pensez-vous de ces tentatives?

Dr Upshur : Ce que j'en conclus, c'est que l'on peut probablement en faire beaucoup plus en amont, avant de prendre des mesures plus draconiennes. Je pense que la plupart des fournisseurs de soins de santé ne souhaitent pas être un vecteur de maladie pour leurs patients.

Dans une étude, l'un de mes collègues a montré que la culture de travail et la culture de l'organisation ont une influence sur les taux de vaccination. Il y a différentes manières d'exercer une influence sur le taux de vaccination pour faire en sorte que cela devienne amusant. On peut organiser des compétitions entre les services et assimiler cela à un geste citoyen. Par ailleurs, il y a bien des manières d'appliquer des mesures draconiennes qui prendront les employés à rebrousse-poil, aggraveront le caractère dysfonctionnel de certains milieux de travail et le stress associé à la gestion du personnel. Nous pouvons faire preuve de beaucoup plus de créativité et de soutien pour favoriser la vaccination avant de prendre des mesures plus strictes, mais il faut toujours rappeler fermement que les fournisseurs de soins de santé sont tenus par une importante obligation de ne pas infecter leurs patients.

Le sénateur Seidman : Je vous remercie, j'apprécie vos commentaires.

Le sénateur Callbeck : J'ai une courte question sur ce diagramme. Prenons l'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard. D'après ce que je comprends, le 30 octobre, il y a eu pénurie de vaccins, parce qu'il est écrit « fermé » juste là.

Mme Baylis : Oui.

Le sénateur Callbeck : Juste au-dessus, il est indiqué toutes les femmes enceintes, et en dessous, les travailleurs de la santé. Que s'est-il passé?

Mme Baylis : Les symboles indiquent que ces deux groupes étaient admissibles pour se présenter à la clinique. Dans ce diagramme en particulier, nous faisions le suivi du moment où les femmes enceintes étaient admissibles à la vaccination. Elles sont restées admissibles à la vaccination. Il n'y avait tout simplement pas de vaccins à ce moment-là.

Le sénateur Callbeck : D'accord. Merci.

Le président : Voici ce qui nous amène à la fin de la séance. Nous vous remercions d'être venus ici et de nous avoir communiqué vos réflexions, nombreuses recommandations et suggestions d'amélioration. Nous l'apprécions.

(La séance est levée.)


Haut de page