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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 20 - Témoignages du 17 février 2011


OTTAWA, le jeudi 17 février 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les enjeux sociaux d'actualité pour les grandes villes canadiennes (sujet : cohésion et inclusion sociale).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. Je déclare la séance ouverte.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Mon nom est Kelvin Ogilvie. Je suis le vice-président du comité, et je vais présider la séance d'aujourd'hui.

Avant de procéder aux présentations, sachez que nous n'avons qu'un seul groupe de témoins aujourd'hui. Nous allons entendre deux témoins, et la séance devrait se terminer au plus tard à 12 h 30. Est-ce que cela vous convient?

Des voix : Oui.

Le vice-président : Avant d'accueillir officiellement nos invités, j'aimerais que mes collègues se présentent à tour de rôle. Nous allons commencer par ma droite.

Le sénateur Martin : Bonjour. Je suis Yonah Martin et je viens de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Le sénateur Braley : Je suis David Braley, de l'Ontario.

Le sénateur Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le sénateur Eaton : Je suis Nicky Eaton, de Toronto.

Le sénateur Callbeck : Je suis Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Merchant : Bonjour, je suis Pana Merchant, de Regina, en Saskatchewan.

Le vice-président : Merci. Comme vous pouvez le constater, nous accueillons aujourd'hui deux témoins. Monsieur Bramadat, qui comparaît à titre personnel, nous entretiendra des minorités religieuses. Il est directeur du Centre for Studies in Religion and Society, à l'Université de Victoria. Également à titre personnel, nous recevons Kristopher Wells, chercheur à l'Institute for Sexual Minority Studies and Services de l'Université d'Alberta. Soyez les bienvenus.

J'inviterais donc M. Bramadat à prendre la parole, suivi de M. Wells. Nous enchaînerons ensuite avec la période de questions.

Paul Bramadat, directeur, Centre for Studies in Religion and Society, Université de Victoria, à titre personnel : Bonjour. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui, et comme j'arrive de Victoria, je m'attendais à un temps plus froid.

Le sénateur Cordy : Vous arrivez trop tard.

M. Bramadat : C'est ce que j'ai entendu. J'ai l'impression d'être à Vancouver et non à Ottawa.

Mon exposé contient des bonnes et des mauvaises nouvelles, ainsi que des observations sur la place qu'occupe la laïcité dans les débats sur les minorités religieuses au Canada.

Comme vous le savez sans doute, de nombreuses institutions et politiques relatives à la religion au Canada ont été mises en place pour mettre un terme aux conflits entre les protestants et les catholiques. Bien que ces inventions aient permis de maintenir la paix entre ces deux groupes, dès les années 1960, il était devenu manifeste qu'il fallait créer de nouvelles institutions et politiques pour le monde multiculturel postcolonial dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Nous avons établi de nouvelles politiques. Évidemment, la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la Loi sur le multiculturalisme canadien sont probablement les deux initiatives les plus importantes, et nous les avons intégrées à nos anciennes structures.

Cependant, les politiques, les lois et les philosophies qui ont été adoptées pour gérer le pluralisme religieux dans les années 1960 n'ont pas simplement remplacé les politiques, valeurs et postulats religieux implicitement chrétiens du 19e siècle. Par conséquent, la situation est devenue ambiguë. Les principes généraux relativement progressifs des accommodements raisonnables, la Charte ou les divers codes des droits de la personne influencent parfois le dénouement des débats publics. L'issue est parfois déterminée par les croyances ou les opinions publiques souvent xénophobes du 19e siècle à propos des nouveaux arrivants et des minorités religieuses.

Bien entendu, aujourd'hui, les perspectives autant traditionnelles qu'émergentes se reflètent dans les débats sur la polygamie, le mariage homosexuel et la façon dont l'État devrait réagir à l'égard du port du kirpan, du hijab et de l'attitude positive envers l'homosexualité dans les écoles et le matériel scolaire.

Parfois, ces perspectives donnent lieu à des scénarios qui peuvent paraître saugrenus aux yeux de certaines minorités religieuses, notamment la séparation de l'Église et de l'État sur la question du mariage entre personnes de même sexe et les garanties constitutionnelles en ce qui concerne les écoles séparées catholiques romaines financées par l'État.

Sur certaines questions, notre société affirme être complètement laïque, et sur d'autres, elle privilégie un groupe religieux en particulier au détriment de tous les autres et du principe de la séparation de l'Église et de l'État.

La bonne nouvelle, c'est que comparativement à beaucoup d'autres démocraties libérales occidentales, le Canada est en bonne posture. Les mécanismes juridiques et politiques comme la Charte, les codes des droits de la personne, les lois en matière d'emploi et le Code criminel permettent aux minorités religieuses de demander réparation lorsqu'elles sont victimes de discrimination. Certains ministères et organismes fédéraux et provinciaux tels que Citoyenneté et Immigration Canada financent plusieurs initiatives antiracistes qui favorisent l'inclusion sociale et culturelle des communautés religieuses minoritaires. Au-delà de ce soutien structurel, il y a la culture politique et la philosophie répandue, voire inconditionnelle, qui préconisent l'inclusion et la diversité au Canada.

Bien entendu, il y a aussi des mauvaises nouvelles. Beaucoup de Canadiens sont fiers des structures officielles que nous avons créées pour promouvoir la diversité culturelle, mais ces structures sont loin de suffire. Elles n'empêchent pas un étudiant de proférer des insultes à l'égard des juifs, des musulmans ou des sikhs. À elles seules, nos politiques et nos lois ne facilitent pas les choses lorsqu'il faut déposer une plainte ou parler à un voisin. Par conséquent, nous devons plus que jamais protéger et même améliorer ces structures ainsi que cette mosaïque multiculturelle plus vaste et, à mon avis, plus profonde, qui définit le Canada.

Quelles sont les questions en jeu ici? Il faut se rappeler que les débats sur des enjeux majeurs comme la sécurité nationale, le multiculturalisme, l'immigration et les accommodements, de même que sur des questions de moindre importance comme le zonage résidentiel, la réglementation dans les sports et les politiques fiscales reflètent des controverses, non seulement au Canada, forcément, mais aussi dans toutes les autres démocraties libérales occidentales, quant à l'avenir de la laïcité et à la place que devraient occuper les minorités religieuses au sein de sociétés supposément laïques.

Gérard Bouchard et Charles Taylor ont récemment popularisé la tension qui s'opère entre la laïcité ouverte et la laïcité fermée. Même s'il existe bien des formes de laïcité partout en Occident, les gens définissent la « laïcité fermée » comme étant une laïcité dans laquelle les revendications et les groupes religieux sont exclus de la sphère publique.

Beaucoup de Canadiens estiment qu'on devrait demander aux gens de laisser leur identité religieuse au vestiaire de l'hôtel de ville, du tribunal, de la classe, du Parlement et d'autres lieux publics. À ces endroits, les gens sont censés fonctionner comme des citoyens et non comme des citoyens religieux, et ils devraient traduire leurs motivations religieuses en termes laïques pouvant être compris par tous les autres citoyens, en principe.

La laïcité fermée semble être un bon moyen de maintenir le tribalisme, la misogynie et la violence associés à la religion en dehors de la scène publique. De plus, en théorie, elle protège notamment les droits accordés aux femmes, à la religion et aux gais et lesbiennes.

Personnellement, je comprends ces préoccupations. Cependant, pour ces minorités religieuses qui ne peuvent s'imaginer autrement qu'en citoyens religieux, une laïcité explicitement ou implicitement fermée véhicule comme message que le Canada ne les accepte pas tels qu'ils sont.

Il faudrait donc emprunter une nouvelle avenue : la laïcité ouverte. Nous devons viser une société dans laquelle nous sommes guidés par les principes essentiels de la Charte et soucieux d'élaborer des lois, des politiques et une philosophie générale qui font en sorte que les revendications et les identités religieuses sont les bienvenues dans toutes les couches de notre société. Chose certaine, la tâche sera ardue, mais il faut à tout prix remédier à la situation actuelle, qui est plutôt controversée, litigieuse et ambiguë.

Ceci n'est pas un appel à relativiser. En tant que société, nous pouvons encore décider d'interdire le port du kirpan dans certains endroits de même que le port de signes religieux évidents chez les juges. De pareilles décisions peuvent être prises et exprimées lorsque cela soulève des préoccupations d'ordre pratique et que cela va à l'encontre des principes de la Charte.

Dans une société laïque ouverte, il faut pouvoir dire « non » à certains groupes religieux, mais de façon diplomate. Dans le climat actuel, à quelques endroits au Canada, le « non » est souvent dit de façon méprisante et humiliante. Ce qui pose aussi problème, c'est qu'on le fait souvent sans esprit critique, et ce, même si les principes de la Charte sont des préceptes exempts de jugement de valeur bien établis plutôt que de simples inventions de l'homme risibles et imparfaites qui reflètent les valeurs et les intérêts de groupes précis à des moments précis.

Si nous voulons adopter une forme plus ouverte de laïcité, il faudra dissiper la confusion qui règne en ce moment. Selon nos politiques et nos pratiques, à certains moments, nous acceptons les minorités religieuses, et à d'autres, non. En fait, nous ne sommes ouverts que lorsqu'elles adoptent une attitude laïque en public. À mon avis, la situation actuelle fait en sorte d'aliéner les membres de ces minorités et prive la société de leurs idées.

C'est ce qui met fin à mon exposé. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer dans ce dossier. Je me réjouis de prendre part à vos discussions constructives.

Le vice-président : Merci. J'inviterais maintenant M. Wells à prendre la parole.

Kristopher Wells : chercheur, Institute for Sexual Minority Studies and Services, Université d'Alberta, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à vous adresser la parole aujourd'hui. Je vais centrer mes observations sur l'importance qu'il y a à reconnaître la diversité et la différence par rapport aux minorités sexuelles et la question de la cohésion et de l'inclusion sociale.

Je vais d'abord définir brièvement le concept de minorité sexuelle. Issu de la recherche, du droit et de la législation modernes, le terme est peu à peu devenu une catégorie englobant les identités lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre, transsexuelle et atypique — les identités autres qu'hétérosexuelle.

Cette notion de minorité sexuelle a sa source dans des jugements de principe de la Cour suprême du Canada, dont les arrêts Egan, en 1995, et Vriend, en 1998. Dans l'arrêt Egan, la Cour suprême statue que l'orientation sexuelle doit être considérée comme un motif analogue aux caractéristiques mentionnées au paragraphe 15(1) de la Charte, qu'on appelle communément les dispositions sur l'égalité de la Charte.

Dans l'arrêt Vriend, elle fait ajouter l'orientation sexuelle à la loi sur les droits de la personne de l'Alberta. Chose à souligner, elle y réaffirme aussi les droits à l'égalité de tous les gais et lesbiennes au Canada.

Les minorités sexuelles n'ont pas toujours été abordées dans les discussions sur le multiculturalisme ni, par le fait même, dans les définitions de la diversité culturelle. Jusqu'à récemment, leurs membres étaient considérés comme des parias sociaux. On ne parlait jamais de ces identités en bonne société. Il y a 40 ans à peine, c'est-à-dire avant 1969, les gais et les lesbiennes étaient considérés comme des criminels et des dégénérés sociaux au Canada.

L'égalité a beau avoir fait de grands pas avec la légalisation du mariage homosexuel, la discrimination envers les minorités sexuelles reste fréquente et prononcée dans notre société. Selon le dernier rapport du Centre canadien de la statistique juridique, les lesbiennes, les gais et les bisexuels comptent parmi les groupes les plus souvent victimes de crimes motivés par la haine et les préjugés. Les crimes de haine motivés par l'orientation sexuelle sont les plus violents de tous les crimes rapportés. Il importe aussi de noter qu'environ 1 crime de haine sur 10 seulement est déclaré à la police.

Dans les écoles primaires et secondaires, où il m'arrive souvent de mener mes travaux de recherche, on dit que le langage homophobe et l'intimidation sont endémiques et qu'ils ne visent pas seulement les minorités sexuelles, mais n'importe quel jeune perçu comme étant différent. Des études révèlent qu'au Canada, les principaux auteurs de crimes haineux sont des jeunes et que les principales victimes sont aussi des jeunes. D'après des études nord-américaines, l'agresseur homophobe typique serait un homme blanc âgé entre 15 et 25 ans.

La recherche et l'expérience nous montrent que l'un des meilleurs moyens de combattre les préjugés, c'est de faire connaissance avec quelqu'un qui est différent. La question est de savoir comment favoriser ces contacts enrichissants avec la diversité et la différence dans nos grandes villes et surtout dans nos collectivités rurales.

En association avec le Service de police d'Edmonton, nous tâchons de favoriser ce dialogue en créant des comités de liaison communautaire composés de membres des communautés chinoise, autochtone, noire, juive, indo-canadienne, musulmane, afro-canadienne et GLBT. À tous ces comités siège un membre chevronné du SPE, et les présidents élus par la base se réunissent quatre fois par année en tant que conseil consultatif communautaire du chef. Comme ce conseil se réunit avec le chef et des hauts gradés du SPE, il permet aux minorités de faire connaître leurs besoins et leurs préoccupations en haut lieu. Le mot d'ordre, c'est que les habitants d'Edmonton ne sont en sécurité que dans la mesure où le sont leurs concitoyens les plus vulnérables, c'est-à-dire les minorités.

Diverses minorités assises autour de cette table nous ont appris que les minorités sexuelles ont essentiellement les mêmes besoins que les autres minorités, notamment la sécurité et le sentiment d'appartenance accueillante et valorisante à la majorité. La différence, c'est que, contrairement à la plupart des autres minorités, la minorité sexuelle est une « minorité invisible », c'est-à-dire qu'on peut difficilement reconnaître ses membres simplement en les regardant ou en parlant avec eux. Leur invisibilité même est souvent un gage de sécurité.

Les jeunes des minorités sexuelles, par exemple, se trouvent souvent devant le dilemme suivant : pour avoir accès aux services et au soutien disponibles, ils doivent révéler leur identité, mais en révélant leur identité, ils s'exposent à des représailles. C'est pourquoi beaucoup restent silencieux et invisibles, se privant ainsi du soutien et des services dont ils ont besoin. Il en va de même pour les membres âgés des minorités sexuelles.

Une autre grande différence réside dans le fait qu'il y a des minorités sexuelles dans toutes les communautés confessionnelles, ethniques, linguistiques, culturelles et racialisées. Là encore, leur invisibilité est un gage de sécurité et d'appartenance au groupe.

Certaines communautés ethniques, culturelles ou confessionnelles, par exemple, peuvent être ouvertement hostiles aux minorités sexuelles, d'où la tendance des GLBT à se cacher et à s'isoler du groupe. On nous répond souvent : « Nous n'avons pas de lesbiennes ou de gais dans notre communauté », par conséquent, nous n'avons pas à nous occuper de ces questions.

C'est souvent une remarque que font les directeurs d'école.

Les membres des minorités sexuelles doivent souvent louvoyer entre trois mondes différents. Par exemple, s'ils sont autochtones et gais, ou « bispirituels », comme on dit, ils risquent d'être rejetés à la fois par la société dominante par racisme et homophobie, et par la communauté autochtone, à cause d'expériences liées à la colonisation et de préjugés contre les minorités sexuelles.

Ils peuvent même être rejetés par leur propre minorité sexuelle du fait que bon nombre de ses membres ont adopté les stéréotypes dominants et les préjugés à l'endroit des autochtones. Ces gens finissent parfois par se trouver coincés entre trois mondes sans sentiment d'appartenance accueillante et valorisante à un groupe. En somme, il n'y a pas de refuge pour eux, d'où leur grande vulnérabilité.

Quelles sont les priorités pour l'inclusion sociale des minorités sexuelles? Il est d'abord essentiel de reconnaître les GLBT comme une minorité distincte au même titre que les minorités culturelles, linguistiques, religieuses et ethniques. Il faut privilégier l'inclusion et l'intégration dans l'ensemble des politiques et des programmes fédéraux, provinciaux et municipaux en faveur des minorités. Il arrive trop souvent qu'à cause de leur invisibilité, les minorités sexuelles ne sont pas incluses dans ces programmes et services.

Nous devrions également reconnaître et comprendre les besoins particuliers des transgenres et des transsexuels au sein des minorités sexuelles et les risques auxquels ils s'exposent. Par exemple, le projet de loi C-389, dont le Sénat doit être saisi, vise à intégrer l'identité et l'expression sexuelles à la Loi canadienne sur les droits de la personne et aux dispositions du Code criminel du Canada en matière de crimes haineux.

En somme, les gens doivent sentir qu'ils sont inclus dans le droit et la législation. C'est tout particulièrement le cas pour les transgenres et les transsexuels qui, selon la recherche, comptent parmi les groupes les plus marginalisés et vulnérables de notre société.

Il nous faut aussi soutenir l'engagement et l'infrastructure communautaires. Par exemple, les centres de fierté communautaires et les défilés et festivals de la fierté sont essentiels pour instiller un sentiment d'appartenance accueillante et valorisante à la collectivité. Les défilés de la fierté ne sont pas seulement une bonne affaire pour les municipalités, ils contribuent aussi à susciter un engagement social et un sentiment d'appartenance à la collectivité.

Il faut absolument aller au-delà de la tolérance. La tolérance est un concept courant, mais tout imprégné de domination. Tolérer quelqu'un, c'est endurer sa présence sans remettre en question ses propres valeurs ou croyances. C'est une forme superficielle d'inclusion.

Pour devenir authentiquement inclusive, multiculturelle et pluraliste, notre société doit dépasser la tolérance pour accéder à l'acceptation, à l'appréciation et, espérons-le, à la célébration de la diversité et de la différence.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Ce sera un plaisir pour moi de m'entretenir avec vous.

Le vice-président : Merci beaucoup. Manifestement, vous nous avez tous deux présenté des enjeux qui sont d'actualité, qui ne datent pas d'hier et qui seront importants dans l'avenir. Je vais maintenant inviter mes collègues à vous poser des questions. Commençons par le sénateur Eaton.

Le sénateur Eaton : Merci à vous deux. C'est fascinant. Vous soulevez beaucoup de sujets de discussion intéressants.

Puis-je commencer par vous, monsieur Bramadat? Nous avons eu quelques discussions concernant l'égalité des sexes par rapport aux libertés religieuses. Vous avez parlé de l'existence d'une laïcité « fermée » et d'une laïcité « ouverte ». Je pense au projet de loi d'initiative parlementaire de Steven Blaney dont la Chambre des communes est saisie actuellement, qui prévoit le vote à visage découvert. Pouvez-vous nous en parler? Que pensez-vous de ce projet de loi?

M. Bramadat : C'est une bonne question. Il est important d'examiner ce projet de loi et de nous demander pourquoi nous ciblons ce petit groupe de femmes qui couvrent leur visage, tant à Montréal qu'ailleurs au pays.

Le sénateur Eaton : Est-ce le nombre qui est important, ou bien le principe?

M. Bramadat : Examinons le principe, car il y a d'autres façons de voter sans dévoiler son visage. Les citoyens canadiens qui vivent en Indonésie ont d'autres moyens de voter; nous ne leur demandons pas de venir ici et de montrer leur visage. En ce qui concerne cette catégorie de Canadiens qui vivent à l'étranger et qui peuvent voter aux élections, pourquoi est-ce que personne ne présente de projet de loi qui les empêcherait d'exercer ce droit, alors que ce groupe de femmes musulmanes voilées est considéré comme une menace? C'est la première question dont nous devons tenir compte.

Ensuite, nous devons nous demander s'il y aurait d'autres façons de résoudre cette situation qui seraient acceptables pour les musulmanes. Par exemple, je connais bien des musulmanes orthodoxes qui disent accepter sans problème de montrer leur visage pour voter; elles n'ont qu'à le dévoiler à une femme et non à un homme.

Ce n'est pas si compliqué à faire sur le plan pratique. Même si ce projet de loi est adopté, lorsqu'une femme musulmane portant un voile qui couvre tout son visage vient voter, elle peut aller à l'écart et dévoiler son visage afin de confirmer son identité et son droit de voter. Pour autant que je sache, la plupart des femmes musulmanes accepteront cette solution.

Le sénateur Eaton : C'est une solution pratique. Je comprends ce que vous voulez dire.

Comme j'utilise souvent le transport aérien, je me sentirais mal à l'aise de franchir les contrôles de sécurité derrière quelqu'un qui n'aurait pas à enlever son hijab ou sa burqa, car n'importe qui pourrait se cacher en dessous. Est-ce la même chose pour vous? Ou bien croyez-vous qu'il s'agit là d'une autre forme d'accommodement?

M. Bramadat : Je ferai deux observations. D'abord, pouvons-nous résoudre ce problème de la même façon que le problème relatif au vote? Encore une fois, nous parlons d'un petit nombre de femmes.

Supposons que nous amenions la femme à la salle d'inspection et que nous lui demandions simplement de montrer son visage à une femme. C'est une façon de confirmer qu'elle est bien la personne dont le nom figure sur le billet.

Supposons que nous ne pouvions pas régler le problème de cette façon et que nous devions la croire sur parole en ce qui concerne son identité. Me sentirais-je plus mal à l'aise à côté d'elle qu'à côté d'autres personnes? Pas nécessairement.

Le sénateur Eaton : Je ne me sentirais pas mal à l'aise de me tenir ou de m'asseoir à côté d'elle si nous ne prenions pas l'avion. Je suis obligée d'enlever mes chaussures, mes colliers, ma ceinture et ma veste, si je porte quelque chose en dessous, mais quelqu'un d'autre peut franchir les contrôles le visage couvert, dans certains cas, au nom d'un principe religieux.

M. Bramadat : Elle doit tout de même franchir les zones de contrôle et si elle a quoi que ce soit en métal, on la fouillera, comme on le fait habituellement. Pourquoi présumerions-nous que lorsqu'elle embarque dans un avion, elle est plus susceptible d'être armée que le type portant un complet Armani assis à côté de vous? Il a dû enlever ses chaussures et sa ceinture et vous pouvez voir son visage, oui, mais cette musulmane entièrement voilée a franchi le même système de contrôle que lui.

Le sénateur Eaton : Croyez-vous que les gens qui immigrent dans ce pays, où nous encourageons l'équité entre les sexes... En tant que femme, j'ai parfois le sentiment qu'il n'y a pas d'équité entre les sexes. Pourquoi des gens viennent- ils dans ce pays s'ils ne veulent pas... Je donne l'impression d'être très intolérante. Si j'émigrais en Arabie saoudite, je ne pourrais certainement pas me promener avec les vêtements que je porte actuellement. On ne me permettrait pas de descendre de l'avion habillée de cette façon, et j'accepterais ces règles.

Je suis toujours surprise que des immigrantes ne veuillent pas montrer leur visage pour voter ou qu'elles veuillent porter le hijab lorsqu'elles conduisent une voiture, même si cela nuit à leur vision périphérique. Je suis surprise que nous ne leur disions pas que ce sont des principes que nous défendons dans ce pays.

Jusqu'où devons-nous aller?

M. Bramadat : Jusqu'où devons-nous aller pour tenir compte des croyances religieuses des autres?

Le sénateur Eaton : Oui.

M. Bramadat : Je crois que nous devons aller assez loin. Il faut que nous nous demandions en quoi au juste cette femme qui porte le hijab compromet notre liberté et notre dignité. Dans la société canadienne, il y a bien d'autres situations dans lesquelles l'égalité des femmes n'est pas reconnue entièrement, dans l'Église catholique, par exemple.

Le sénateur Eaton : Je ne suis pas d'accord. Je suis catholique et je suis tout à fait à l'aise en ce qui concerne l'Église catholique.

M. Bramadat : Oui, mais vous êtes également à l'aise avec la structure de l'Église catholique selon laquelle les femmes ont des rôles distincts et avec le fait qu'elles ne sont pas autorisées à devenir prêtres.

Le sénateur Eaton : Oui; je peux avoir des enfants et pas vous. Je l'accepte. Il y a des différences entre vous et moi.

M. Bramadat : C'est exact. Les différences entre les sexes, le fait que vous pouvez avoir des enfants et moi pas, c'est inscrit dans notre nature, mais le principe hiérarchique religieux selon lequel je peux être un dirigeant et pas vous, ça ne l'est pas.

En tant que catholique, vous acceptez cette différence entre les sexes, et c'est une forme de diversité légitime au sein de la société canadienne. Vous ne dites pas que nous devrions expulser les catholiques ni insister pour qu'ils changent cela.

Je veux simplement dire qu'il est important que nous nous demandions pourquoi cette pièce de vêtement portée par ce petit groupe de personnes nous dérange tant. Dans certains cas, cela reflète peut-être une certaine forme d'inégalité entre les sexes, mais dans d'autres, cela reflète simplement un système de valeurs différent par rapport à ce que devrait être la modestie féminine.

Le sénateur Eaton : Vous avez tout à fait raison. Toutefois, je trouve choquant de voir deux femmes entièrement voilées marcher derrière un homme et être traitées injustement; c'est tout. Nous confirmons cette différence en ne la remettant pas en question dans ce pays. Vous avez raison, mais vous êtes beaucoup plus tolérant que je ne le suis.

Monsieur Wells, mon meilleur ami est homosexuel et mes enfants ont des amis homosexuels. Je n'ai constaté aucun des problèmes dont vous parlez. Dans ce cas, s'agirait-il d'homosexuels qui font exception parce qu'ils se sont bien adaptés?

M. Wells : Chaque cas est différent. Nous parlons d'une communauté diversifiée. Je crois que votre exemple démontre à quel point nous avons progressé dans la société et accéléré le processus d'égalité. Nous constatons qu'il y a, en particulier chez les jeunes, beaucoup plus d'objectifs communs. Nous constatons une représentation positive des gais et lesbiennes à la télévision. Cela fait davantage partie de notre langage social quotidien.

Toutefois, bien des gens se heurtent encore à des difficultés particulières, surtout s'ils vivent à l'extérieur d'un centre urbain où l'on offre maintenant davantage de services de soutien; pour les jeunes gais ou lesbiennes ou les jeunes qui se questionnent sur leur sexualité et qui habitent dans ma province, dans une région rurale de l'Alberta, ce n'est pas toujours facile.

Il existe toujours une présomption d'hétérosexualité. Dès la naissance d'un enfant, on croit qu'il est hétérosexuel; autrement, personne n'aurait jamais à se déclarer ouvertement homosexuel. Tout de suite, on privilégie une identité plutôt qu'une autre. Le défi que représente le fait de révéler son homosexualité est tributaire du milieu, de l'environnement familial, de l'ouverture des membres de la famille également, de l'expérience vécue par les jeunes avec les autres; comme je l'ai dit, le fait de connaître quelqu'un de différent. Si les gens connaissent d'autres gais ou lesbiennes, il y a de fortes chances qu'ils fassent preuve d'ouverture.

Le sénateur Eaton : Vous dites qu'ils veulent devenir un groupe distinct. Comment peuvent-ils alors être traités comme tout le monde?

M. Wells : C'est un peu comme ce qui crée un groupe culturel ou une minorité culturelle. Il y a souvent des croyances communes. Il y a une affiliation commune. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'il est important d'avoir des centres de fierté communautaires dans de nombreuses villes. C'est un espace commun où l'on peut se rassembler. Ce qui est différent, c'est qu'on n'enseigne pas l'histoire de ce groupe dans les salles de classe. Lorsque les homosexuels sont victimes de discrimination à l'école, par exemple lorsqu'on utilise à leur endroit un langage homophobe, parfois, ils ne peuvent pas parler de leur expérience à leur famille afin d'en retirer quelque chose de positif.

La famille de certains jeunes, par exemple, peut être une source de discrimination. C'est pourquoi il est si important qu'ils trouvent d'autres membres de la communauté qui ont vécu une expérience similaire.

À Edmonton, nous travaillons en collaboration avec les associations Grands Frères et Grandes Sœurs afin de créer ce que nous appelons un programme de mentorat « pédé à pédé ». Nous utilisons le mot « pédé » parce que beaucoup de jeunes l'utilisent.

Le sénateur Eaton : Je trouve cela péjoratif.

M. Wells : Ça l'est, en effet. C'était le mot à ne pas prononcer. À une certaine époque, il était considéré comme la pire insulte qu'on pouvait lancer à quelqu'un. En un sens, les homosexuels se sont réapproprié ce langage. Si nous reprenons ce mot, comment va-t-on nous appeler maintenant? Cependant, son histoire est également unique.

Le sénateur Eaton : Des êtres humains.

M. Wells : Idéalement, c'est un processus d'humanisation : il faut voir la personne pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle apporte à notre société ou à nos relations.

Le sénateur Eaton : La sexualité n'a rien à voir avec l'identité.

M. Wells : C'est intéressant. Certaines personnes disent que nous nous engageons dans une voie où ce n'est plus ce qui définit notre identité.

Le sénateur Eaton : On doit être une personne avant tout.

M. Wells : C'est la même chose en ce qui concerne le sexe. Certaines personnes diraient que mon identité sexuelle constitue une réalité unique qui me rend différent, disons, des hommes de la société, et que je devrais être conscient de mon identité féminine dans cette société; elle fait partie de moi. Ce n'est pas toute mon identité, mais c'en est une partie importante.

Le sénateur Merchant : Soyez tous les deux les bienvenus. C'est très instructif. Nous parlons maintenant des minorités religieuses. En raison des changements apportés au système d'immigration et à la rapidité avec laquelle nous voyons différents visages et différentes cultures apparaître, nous oublions parfois qu'il s'agit de petites minorités. Pouvez-vous nous dire, monsieur Bramadat, en ce qui a trait aux minorités religieuses dans la société canadienne, quelle est la taille du groupe dont nous parlons, comparativement au groupe judéo-chrétien que nous connaissons bien et avec lequel nous sommes à l'aise?

M. Bramadat : Je peux vous donner une estimation. Dans le cadre du recensement canadien, on ne recueille des données sur la religion que tous les dix ans. Les dernières statistiques publiées remontent à 2001. Si nous relevons les tendances pour plusieurs décennies, les dernières statistiques que nous avons au sujet des musulmans indiquent qu'ils sont 570 000, mais selon moi, ils doivent être aujourd'hui entre 700 000 et 800 000. Les hindous et les sikhs sont à peu près le même nombre. Nous avons ici un nombre disproportionné de sikhs, par rapport à l'Inde.

Le sénateur Merchant : Permettez-moi de vous interrompre. Pourriez-vous nous donner les pourcentages? Est-ce possible? Sinon, ce n'est pas grave.

M. Bramadat : La population canadienne est constituée d'environ 2 à 3 p. 100 de personnes de religion musulmane, soit 800 000 sur 32 millions d'habitants. Y a-t-il quelqu'un de plus doué en mathématiques que moi?

La communauté juive représente encore environ 1 p. 100 de la population. Elle s'est légèrement agrandie dans la dernière décennie; elle compte donc environ 350 000 ou 360 000 personnes. Les communautés hindoue et sikhe représentent environ 1 p. 100, peut-être un peu plus maintenant. Elles sont d'environ 500 000 personnes, alors disons 1,5 p. 100 de la population.

La communauté bouddhiste compte à peu près le même nombre de personnes, peut-être un peu moins.

Quant aux Premières nations, il est difficile de savoir où elles figureraient dans les statistiques sur la religion, mais il y a de plus en plus de gens qui se décrivent comme des spiritualistes traditionnels plutôt que comme chrétiens. Étant donné que ce groupe connaît une croissance au sein de la population autochtone, il représente donc peut-être 1 p. 100 de la population également.

Nous devons aussi nous rappeler que parmi les chrétiens, il y a également des minorités. Il y a les Mormons, les Témoins de Jéhovah, et certains groupes évangéliques qui se considèrent comme des minorités religieuses au Canada, c'est-à-dire qu'ils croient que le Canada central est contrôlé par les catholiques, les anglicans et les membres de l'Église unie et qu'ils se trouvent à la périphérie de ces mondes.

Nous croyons qu'en 2017, il y aura environ 10 p. 100 de non-chrétiens. De plus, le nombre de gens qui disent ne pas avoir de religion augmente rapidement, ce qui ne veut pas dire que ce sont des athées, une catégorie différente qui n'augmente pas très rapidement. Le nombre de personnes qui ne se sentent plus à l'aise au sein d'une structure institutionnelle confessionnelle est d'environ 15 p. 100, selon l'étude consultée. Ce groupe est plus important que la catégorie des non-chrétiens et des non-juifs réunis.

Le sénateur Merchant : J'ai ici des notes de la Bibliothèque du Parlement qui vous attribuent toutes ces statistiques, d'où ma question. Je vois qu'entre 1991 et 2001 le nombre de Canadiens qui se sont déclarés musulmans a augmenté de 129 p. 100, que le nombre d'hindous a augmenté de 89 p. 100 et celui des bouddhistes de 84 p. 100; le nombre de sikhs a progressé de 89 p. 100 et celui de juifs de 4 p. 100. Avec l'immigration, ils sont beaucoup plus nombreux qu'auparavant.

M. Bramadat : Oui.

Le sénateur Merchant : Y a-t-il, selon vous, un segment de la population qui est plus ouvert aux nouveaux venus? Est-ce qu'il est plus difficile à ceux d'entre nous qui sommes un peu plus âgés de les accepter? Est-ce plus facile pour les jeunes? Nous plaçons nos espoirs en eux. Qu'en pensez-vous?

M. Bramadat : Les jeunes, surtout, sont de plus en plus ouverts, dans les trois ou cinq grands centres urbains du Canada, et particulièrement à Montréal, à Toronto et à Vancouver, mais peut-être aussi à Calgary, à Edmonton et à Winnipeg. Quand je me ballade dans les rues de Vancouver, de Toronto et de Montréal, je trouve réconfortant de voir le nombre de couples de 18 ou 20 ans, ou un peu plus, dont les deux membres sont de races différentes et, du moins en apparence, de religions différentes. L'âge des répondants influe sur les statistiques qui ressortent des sondages d'opinion dans lesquels on demande aux gens si l'idée que leur sœur, leur fille ou leur fils épouse une personne qui n'est pas comme eux les rend mal à l'aise. Bien des gens âgés dans la trentaine ou la quarantaine sont devenus plus tolérants à cet égard, alors c'est assez encourageant.

Le sénateur Merchant : Il nous arrive de voir des sondages d'opinion selon lesquels, par exemple, 82 p. 100 des Canadiens disent accepter les personnes d'autres confessions religieuses, mais je ne sais jamais quelles questions sont posées dans ces sondages. Vous avez parlé d'acceptation et de tolérance. Je me demande parfois si cette statistique signifie que 82 p. 100 des Canadiens toléreraient quelqu'un d'une autre religion ou d'une autre race, et s'ils seraient aussi nombreux à accepter quelqu'un de différent.

M. Bramadat : Il y a des gens qui disent que la tolérance est une étape vers l'acceptation. On ne peut dire d'une société qu'elle est civilisée sans au moins cela, il me semble. Ensuite on cherche à aller plus loin, on vise une acceptation plus profondément ancrée, tant des minorités sexuelles que des minorités religieuses.

Je suis peut-être optimiste, mais j'ai l'impression que l'acceptation gagne tout doucement du terrain, de façon irrégulière. Nous savons qu'il y a au pays des endroits qui, pour un tas de raisons d'ordre politique, résistent à la croissance de ces communautés, surtout des communautés musulmanes. Toute l'attention est concentrée sur les communautés musulmanes et sikhes, malheureusement, mais c'est la réalité politique. Il y a des régions au pays où le sujet suscite un plus grand malaise, mais si on compare le Canada à d'autres grandes démocraties libérales de l'Occident, nous avons un très fort penchant vers la gauche, au chapitre de l'acceptation de la diversité ethnique, religieuse et raciale, quand il s'agit de dire si nous apprécierions d'avoir telle ou telle personne pour voisin; ou que notre fils ou notre fille épouse telle autre personne. Il suffit de comparer les statistiques du Canada avec celles de bien d'autres pays pour voir d'énormes différences.

Le sénateur Merchant : Il y a un phénomène qui suscite des inquiétudes, surtout en ce qui concerne les musulmans. À propos des nouveaux venus au pays, au-delà de la première génération, on craint la radicalisation des jeunes musulmans. De quoi s'agit-il?

M. Bramadat : Vous voulez savoir ce qui motive ces inquiétudes, ou s'il est vrai qu'il y en a?

Le sénateur Merchant : Ce qui fait parfois que la deuxième génération de nouveaux venus est tellement radicalisée, mais pas la première génération?

M. Bramadat : Jusqu'ici, voici ce que vivaient les nouveaux venus, et je parierais que c'est ce qu'ont connu beaucoup d'entre nous, ici, ou nos parents : ils débarquaient ici en provenance de leur pays; ils faisaient certains sacrifices — ils avaient peut-être été médecins ou avocats et devenaient chauffeurs de taxi ou travailleurs sociaux; et leurs enfants devenaient comptables, médecins ou avocats. Les gens de cette génération font des sacrifices, et leurs enfants peuvent avoir de belles maisons et de belles voitures.

Il apparaît maintenant que ce scénario est en train de changer. Quand nous cherchons à savoir pourquoi et parmi quels groupes les choses changent, nous constatons que la radicalisation paraît être le principal vecteur de ce changement. L'arrivée au Canada sera encore probablement difficile pour un immigrant italien ou hollandais, mais lui et ses enfants parviendront certainement à se faire une place au pays. Par contre, une personne qui arrive d'un pays déchiré par la guerre, de l'Afrique ou d'ailleurs dans le monde, peut être la cible d'autres formes de discrimination — la discrimination raciale ou religieuse, selon le cas —, alors la difficulté vient de ce que la situation pour eux a changé, comparativement à celle de l'immigrant traditionnel et à ce que beaucoup d'entre nous avons connu ou dont nous avons entendu parler.

Selon certains, la radicalisation survient dans les communautés où les tensions que crée cette nouvelle situation sont ressenties le plus durement. Bien des gens ont été étonnés dans la communauté musulmane. Ce sont des jeunes dans la vingtaine, immigrants de la seconde génération, issus souvent de familles de classe moyenne de Burlington, de Brampton ou d'ailleurs. Les gens se demandent bien ce qui se passe. La vérité, c'est que le monde dans lequel ils vivent a peu de choses en commun avec celui que la plupart d'entre nous connaissons.

Je ne veux pas trop m'attarder là-dessus, mais il y a une différence radicale dans l'utilisation que fait la plus jeune génération des médias sociaux et d'Internet en général; ce n'est pas négligeable, c'est une différence radicale. Même s'ils grandissent dans un milieu assez aisé, ils peuvent se sentir relativement proches de ce qui se passe, de luttes qui se livrent à 5 000 ou 10 000 kilomètres d'eux. C'est parce qu'ils vivent ces cultures dans l'imagination, d'une façon que peu d'entre nous pouvons concevoir.

J'utilise Internet et j'y suis à l'aise, mais pour moi, ce n'est pas un lieu. C'est un outil pour communiquer avec mes amis. Pour bien du monde, c'est une espèce de lieu. C'est pourquoi les gens sont toujours consternés de voir survenir cette espèce de radicalisation parmi des gens qui, a priori, semblent parfaitement intégrés : qu'est-ce qui arrive à un tel? Qu'est- ce qui se passe quand un tel n'est pas à l'école, ni dans aucun des cadres normaux dans lesquels nous le prétendons intégré?

Ils vont ailleurs, dans ce monde virtuel, où n'existent pas les frontières traditionnelles, pour ainsi dire, que nous reconnaissons. Il n'y a pas d'arbitre de hockey pour dire « calme-toi », il n'y a pas d'enseignant; il n'y a pas d'imam pouvant conseiller la modération. Tous les paris sont ouverts, et c'est de là que vient une grande partie du problème.

Le sénateur Cordy : Je vous remercie d'être des nôtres. C'est intéressant. Je pense que la notion d'inclusion des minorités évoque pour tout le monde les minorités raciales, les femmes et les Autochtones. C'est pourquoi il est bon de parler ce matin des minorités sexuelles et religieuses.

Monsieur Bramadat, j'ai trouvé vos propos intéressants. Il y a toujours eu des guerres de religion, elles n'ont jamais cessé. Vous suggérez entre autres une laïcité ouverte plus généralisée. Pourriez-vous nous expliquer exactement ce que vous entendez par là, et comment, selon vous, l'adoption de ce concept pourrait être dans l'intérêt de tous?

M. Bramadat : Le concept est toujours évoqué par opposition à la laïcité fermée, qui est plus facile à comprendre pour la plupart, parce qu'il est plus facile de décréter que le langage religieux ou l'identité religieuse sont exclus des tribunaux, de l'hôtel de ville ou d'autres lieux.

La laïcité ouverte est plus complexe. On peut dire, d'une certaine façon, que le Canada souscrit déjà à ce concept. Nous en négocions les éléments un à un, mais le concept en soi est suffisamment nouveau qu'un débat plus approfondi s'impose. J'ai des exemples pour mieux me faire comprendre, si vous voulez. Il me vient à l'esprit deux ou trois contextes sociaux différents.

Il y a d'abord l'éducation. Les politiques provinciales en matière d'éducation religieuse sont extrêmement diverses. Seul le Québec a cette politique qui exige que les élèves acquièrent quelques connaissances de base sur les religions du monde. C'est une politique assez rare.

Le Québec est très différent, au chapitre des minorités religieuses. C'est là que surviennent tellement de situations difficiles et litigieuses, mais le gouvernement de cette province a consacré plus de temps que tout autre à une réflexion sur les moyens à prendre, comme société, pour que nos enfants qui fréquentent l'école puissent participer à la diversité religieuse qui les entoure, ou au moins avoir la possibilité de le faire.

Beaucoup d'entre vous savez que le Québec a institué en 2008 un cours d'éthique et de culture religieuse, qui est désormais obligatoire. Les autres provinces sont loin d'accorder au sujet autant de réflexion que le Québec. Ce cours est un exemple de laïcité ouverte, parce que la diversité religieuse sur la scène publique est source de grandes préoccupations pour le Québec, surtout dans le contexte officiel de la scène publique; et pourtant, c'est la province, la culture, la nation, si on veut, qui a adopté l'approche expérimentale la plus intéressante et la plus rigoureuse pour s'attaquer à ce que j'appellerais le problème véritable de l'analphabétisme religieux. Il est très réel.

Qui a décidé que mon fils âgé de huit ans, à la fin du secondaire, ne saura rien des religions sikhe, musulmane, hindoue ou chrétienne? Qui a décidé cela pour ma famille? Pas moi. C'est le ministre de l'Éducation qui a décidé qu'il est indispensable que mon fils sache quelle est la capitale de l'Île-du-Prince Edward, et c'est important qu'il le sache — je sais que c'est de là que vous venez, monsieur le sénateur Callbeck — mais est-ce vraiment plus important pour lui, un gamin de Victoria, de savoir cela que d'avoir quelques connaissances sur la foi sikhe, l'islam, le judaïsme ou le christianisme? Quelqu'un en a décidé pour lui.

Le Québec, en tant que société, a pris une décision intéressante pour parer à ce problème d'analphabétisme religieux. C'est encore tout récent — depuis 2008 seulement — alors il serait difficile de dire comment cela se passe et l'incidence véritable qu'aura cette décision sur la société québécoise. Pour moi, c'est un exemple de laïcité ouverte. Ils n'ont pas dit non à la religion dans les écoles — du moins, ils n'ont pas rejeté toute forme de religion dans les écoles.

Les autres provinces auraient beaucoup à gagner à s'inspirer de l'expérience du Québec en matière d'éducation religieuse des enfants, à en tirer des leçons sur ce qui fonctionne ou pas.

Il y a un autre endroit où se déroulent ces négociations : les hôpitaux. Les nouvelles sont bonnes, sur ce plan. Les hôpitaux sont de plus en plus disposés à tenir compte des besoins religieux de leurs patients. Je pense, par exemple, aux centres de soins de longue durée et aux centres de soins palliatifs. Nous savons qu'une personne est mourante, que son état ne s'améliorera pas. Y a-t-il quelque chose que puissent faire les médecins et infirmiers et infirmières d'un établissement pour répondre aux besoins religieux de leur patient afin qu'il puisse mourir en paix?

Les centres de soins du Canada sont de plus en plus ouverts à ce besoin. Je vais vous donner un exemple. Les hindous orthodoxes veulent mourir par terre plutôt que sur un lit. Ils ont de nombreuses raisons pour cela, et nous pouvons probablement en imaginer certaines, entre autres qu'ils veulent être plus près de la terre au moment de mourir. Il est plus difficile pour une infirmière ou un médecin d'examiner un mourant par terre, d'administrer un traitement ou de s'occuper de divers problèmes. Certains hindous veulent même boire de l'eau du Gange. Alors qu'un médecin ou une infirmière cherche à apaiser la douleur dont souffre son patient, celui-ci boit l'eau qui est probablement la plus polluée sur la surface de la Terre, et c'est un défi que d'en trouver. En fait, le patient pourrait tenir encore trois semaines dans l'agonie causée non seulement par le cancer, mais aussi par la diarrhée.

Les hôpitaux et les établissements de soins palliatifs sont de mieux en mieux disposés à l'égard des méthodes qui pourraient être efficaces. Je dirais que c'est une sorte de laïcisme ouvert. Bien que ces établissements soient financés par l'État, nous y percevons une ouverture timide.

Je dis « timide », seulement, parce que, dans certains cas, on peut à peine parler d'ouverture, mais, dans d'autres cas, elle est indéniable. On commence à se faire à l'idée que, peut-être, il y a moyen de s'ajuster et de consentir des accommodements. Depuis des années, on offre, dans les hôpitaux, de la nourriture kascher et halal. Dans un certain sens, cela a fonctionné.

Je ne tiens pas à m'appesantir sur trop d'affaires confiées aux tribunaux, mais voilà un autre contexte où nous constatons le souci d'un équilibre entre besoins collectifs et individuels. Dans l'affaire Multani, qui a porté sur le port du kirpan à l'école, le tribunal l'a autorisé, mais en exigeant sa fixation de manière si serrée, sous les vêtements, que cette arme est difficile à utiliser immédiatement par une personne devenue furieuse.

Ce sont des exemples — le réseau scolaire, le réseau de santé et la justice —, mais, la plupart du temps, des solutions sont trouvées entre voisins, entre collègues ou dans la relation enseignant-enseignés. La plupart du temps, les tribunaux des droits de la personne n'en ont jamais connaissance, ce qui est parfaitement normal. Quel peut être notre apport à la vie publique ou au discours canadien pour faciliter la résolution, dans la pratique, de ce genre de relations interpersonnelles? J'ignore si cela répond à votre question.

Le sénateur Cordy : Votre réponse est utile. On revient à l'époque où on n'enseignait pas les méthodes de limitation des naissances à l'école, de crainte d'exacerber la sexualité des élèves; au silence sur la religion, les autres religions, de crainte qu'ils ne les étudient.

Monsieur Wells, merci de votre témoignage. Vous avez dit que le groupe des lesbiennes, gais, bisexuels et transsexuels était le plus visé au Canada. Cela ne m'étonne pas. Je dirais même que les cas dont nous entendons parler sont probablement la pointe de l'iceberg; que beaucoup de cas ne sont même pas signalés à la police ni à personne d'autre.

Vous avez dit que les victimes et les agresseurs étaient majoritairement des jeunes. Cela m'étonne en quelque sorte, parce que je pensais que nos jeunes étaient plus ouverts d'esprit que nous à leur âge.

Toutefois, cela ne me surprend pas. Les jeunes, en effet, sont à la recherche d'eux-mêmes. Ils ne veulent pas être différents de ceux de leur groupe d'âge. C'est compréhensible.

À Edmonton, quels programmes pourraient être exemplaires pour d'autres collectivités? Je crois que les villes diffèrent des campagnes. Je le vois en Nouvelle-Écosse. Vous avez parlé de la différence en Alberta. Je pense que nous pourrions la constater partout. Quels genres de programmes donnent des résultats avec les groupes de jeunes et pourraient être utiles dans d'autres collectivités?

M Wells : Il y a un certain nombre de conditions à remplir. Premièrement, il faut s'assurer de l'existence d'un groupe de jeunes, ce qui permet de découvrir un dénominateur commun aux expériences. Souvent, les jeunes se sont dits heureux d'être aimés, de faire enfin partie d'une majorité plutôt que d'être toujours minoritaires dans tous les autres groupes.

C'est un sentiment renforçateur. Il procure un sentiment d'appartenance, d'attachement.

Nous avons constaté que le groupe de jeunes d'Edmonton qui se réunissent tous les samedis, de 19 à 21 heures, savent qu'ils disposent pendant deux heures d'un havre où ils peuvent trouver acceptation et soutien, en dépit de tout ce qui survient d'autre dans leurs vies.

Nous avons commencé ainsi, comme un groupe communautaire de base formé de bénévoles. Les jeunes nous ont dit qu'ils avaient besoin de plus de deux heures; qu'ils avaient besoin d'un endroit pour se rencontrer, afin de mieux connaître leur communauté, leur histoire, et apprendre des compétences et des stratégies pour améliorer leurs vies et modifier les services offerts à l'école ou ailleurs.

Nous avons créé un programme, « camp fYrefly », qui s'adresse aux jeunes et qui vise à leur inculquer la résilience et des qualités de chef. Dans ce programme, nous avons aménagé un camp d'été de quatre jours, consacré aux qualités de chef, où nous avons réuni, pour qu'ils forment une communauté, une cinquantaine de jeunes d'un peu partout au pays — de jeunes ruraux, particulièrement — pour qu'ils s'approprient ces qualités afin de les transmettre à leur milieu après y être retournés. En outre, ils savaient alors qu'ils ne seraient pas seuls; qu'ils pouvaient compter en tout temps sur un réseau d'appui.

M. Bramadat a parlé du pouvoir d'Internet. Il est réconfortant de savoir qu'on n'est pas seul, qu'en cas de pépin, un simple courriel permettra de trouver du soutien. Les jeunes ont trouvé le nom du camp : « fYrefly », avec un y, pour : fostering, youth, resiliency, energy, fun, leadership, yeah!, c'est-à-dire accueil, jeunesse, résilience, énergie, plaisir, leadership, oh oui!

Beaucoup de jeunes qui ont participé au camp fYrefly disent qu'il diffère de toutes les expériences et de tous les programmes de camps d'été qu'ils ont connus. Nous essayons d'en faire des agents de changement, au sens positif du terme.

Nous avons voulu que les programmes du camp soient semblables à ceux des autres mouvements de justice sociale. Nous avons examiné l'expérience des écoles dites citizenship schools, dans le Sud des États-Unis, et Highlander schools, qui s'adressent à la communauté afro-américaine et qui favorisent l'alphabétisation de ses membres pour qu'ils puissent s'inscrire comme électeurs et s'affranchir de l'oppression.

Nous nous inspirons de ce modèle des écoles de la liberté ainsi que de l'expérience de la communauté féministe. Il s'agit de se réunir, dans une cuisine, par exemple, et de s'approprier, individuellement et collectivement les expériences de tous. L'isolement et l'aliénation risquent de mener, comme M. Bramadat l'a dit, à la radicalisation, laquelle conduit à la recherche d'un groupe qui procurera un sentiment d'appartenance. On devient la proie d'extrémistes ou, c'est le cas de nombreux jeunes qui appartiennent à la minorité sexuelle, on intériorise cette expérience en homophobie, selon le raisonnement suivant : « Tout ce qu'on m'a dit, c'était que j'étais mauvais, immoral, que je ne valais rien; en conséquence, je ne mérite pas mieux ».

Chez n'importe quel jeune, le processus consiste toujours à passer de l'intériorisation à l'extériorisation, pour chercher et trouver de l'aide. Le camp durait quatre jours, et les jeunes nous ont demandé ce qu'il en était des 361 autres jours dans notre communauté.

À partir de là et avec le concours de partenaires tels que l'Edmonton Community Fondation, Centraide et la ville d'Edmonton, nous avons créé un poste de défenseur et d'agent de terrain auprès des jeunes de la minorité sexuelle, dont la tâche est de travailler avec ces jeunes, dans la communauté, et de les mettre en rapport avec des services et de l'aide qui les feront se sentir acceptés.

Nous savons que si un organisme n'est pas accueillant la première fois qu'un jeune s'adresse à lui, souvent, il n'y aura probablement pas de deuxième fois. Il faut que ce premier contact, cette première expérience soient quelque chose de positif. Si l'organisme connaît mal les jeunes appartenant à une minorité sexuelle, leurs facteurs particuliers de risque ou leurs besoins, l'agent de terrain entre en scène, pour le sensibiliser, de manière à ce que le prochain jeune qui s'adressera à lui se sentira accueilli et appuyé. L'organisme saura quelles questions lui poser pour qu'il se livre davantage, ce qui pourrait l'aider à recevoir un traitement ou à trouver une ressource mieux adaptée à ses besoins.

Tout dépend des questions et de l'ambiance. Pour la réussite des programmes en question, nous sommes en grande partie redevables à nos partenaires dans la collectivité. Nous devons beaucoup à ce partenariat.

La vice-présidente : Avez-vous une petite question?

Le sénateur Cordy : Vous avez fait allusion aux problèmes que représente la reconnaissance des minorités sexuelles en tant que minorités distinctes. Nous en constatons l'existence même au Parlement. Chaque fois qu'on entreprend l'étude d'un projet de loi où il est question de gais, de lesbiennes, de transgenres, de bisexuels, nous recevons beaucoup de courriels. J'imagine que la reconnaissance est difficile.

M. Wells : Elle présente un défi. Comme je l'ai mentionné, les minorités sexuelles existent dans toutes les autres communautés. On ne les perçoit pas nécessairement comme distinctes. Nous constatons que leur acceptation sincère dans une communauté permet de faire l'économie d'autres types d'appui.

Comme le sénateur Eaton l'a dit, nous serions passés, d'après certains chercheurs, à un monde « postgai », où la sexualité ne définit plus l'identité. On peut tracer un parallèle avec les États-Unis. L'arrivée du président Obama, un Afro-américain, à la Maison-Blanche, qui est ainsi devenu, peut-être, l'homme le plus puissant du monde, nous a fait basculer dans un monde « postracial ». Est-ce vrai, uniquement parce qu'un seul Afro-américain détient le pouvoir et l'autorité?

Le sénateur Seidman : Monsieur Bramadat, vous avez posé une question importante dans votre exposé et vous avez proféré le maître mot de multiculturalisme, à la page 2 de votre exposé, comme suit :

Il est intéressant de se souvenir que les débats portant au Canada sur des enjeux importants tels que la sécurité nationale, le multiculturalisme, l'immigration et les accommodements [...] ont leurs équivalents [...] dans les discussions qui ont lieu dans toutes les autres démocraties libérales occidentales sur l'avenir de la laïcité et la place que les revendications religieuses des minorités devraient occuper dans des sociétés réputées laïques.

Je ne pouvais pas ne pas mentionner ce passage, parce qu'il est très important.

Vous aviez demandé, auparavant : « Quels sont les grands enjeux? »

Cette question se pose souvent. Récemment, la Grande-Bretagne a rejoint d'autres pays européens et l'Australie en déclarant qu'elle n'était plus officiellement une société multiculturelle. Elle dit qu'elle ne peut plus adhérer à ce principe qui morcelle la cohésion et la sécurité sociales. Le Canada est peut-être la dernière société multiculturelle, à ce qu'il paraît, mais je n'en suis pas certaine.

Certains préconisent donc de bien renseigner tous les candidats immigrants au Canada sur les valeurs canadiennes et de leur faire signer un document dans lequel ils affirment pouvoir les respecter. Qu'en pensez-vous?

Au Canada, notre société est construite sur des valeurs essentielles. En tant que Canadiens, avons-nous la responsabilité de les protéger?

M. Bramadat : Il y a beaucoup de matière dans cette question; c'est une excellente question. Vous avez probablement raison quand vous dites que nous sommes l'une des dernières sociétés officiellement multiculturelles. L'Allemagne et les Pays-Bas ont pris leurs distances; la France n'a vraiment jamais fait partie de ce groupe; le Royaume-Uni s'est également distancié, comme l'Australie.

Il faut cependant se rappeler que l'expérience européenne du multiculturalisme diffère de la nôtre. Beaucoup de minorités ethniques d'Europe sont constituées de travailleurs invités ou de leurs enfants. Autrement dit, il s'agit de ressortissants de divers pays, qui se sont installés après la guerre pour reconstruire l'Europe qui s'était presque détruite elle-même.

On croyait que, après la reconstruction des routes, des égouts, et cetera, ils retourneraient chez eux. À tort. Beaucoup venaient des colonies. Ils parlaient donc la langue du pays. Ils estimaient que ce pays devait, dans une certaine mesure, devenir leur patrie, en vertu du raisonnement suivant : vous avez envahi mon pays il y a longtemps, vous l'avez colonisé; vous avez insisté pour que je vienne participer à la reconstruction de vos infrastructures, ce que j'ai fait. Vous me dites maintenant que je ne suis plus le bienvenu.

Au Canada, la situation est différente. Nos minorités ethniques sont constituées, d'une certaine manière, de professionnels, mais qui ont plutôt été triés sur le volet. Depuis la fin des années 1960, c'est la méthode de sélection que nous avons généralement appliquée. Nous avons accueilli les meilleurs et les plus brillants, du moins pendant la plus grande partie de la période qui a succédé aux années 1960. Nous avons des médecins, des ingénieurs, des comptables, des avocats, et cetera, et, souvent, des Africains très instruits. Je ne suis pas sûr qu'on puisse comparer ces groupes.

En Europe, beaucoup de groupes ethniques sont économiquement plus défavorisés que les nôtres, en ce qui concerne l'instruction, la santé, et cetera. Les pays d'Europe affrontent des difficultés différentes des nôtres, qui découlent en grande partie de leurs politiques d'immigration.

Au premier chef, donc, les situations ne sont pas exactement comparables. Toutefois, comme je l'ai dit, la croyance de l'immigrant dans l'amélioration de son sort, après la première génération, commence à être battue en brèche, principalement pour des motifs raciaux.

Devrions-nous demander aux arrivants de signer une promesse d'adhérer à telles ou telles valeurs de base? La plupart les connaissent déjà. Ils avaient accès à Internet, là où ils vivaient. Ils ont une idée de l'histoire du Canada, du caractère international de son image de marque, si vous voulez. Ils ne sont pas consternés par le froid, par la vogue des beignes ou par la légalité du mariage entre personnes de même sexe. Ils savent tout cela. Ils savent également que nous sommes une société multiculturelle. Ils arrivent avec certaines hypothèses concernant les conséquences que cela aura pour eux.

À leur arrivée, certains sont scandalisés par la mise en question de leur identité ethnique, culturelle, religieuse ou raciale. Ils se font dire que notre multiculturalisme n'est pas compatible avec tel ou tel élément de leur identité.

Beaucoup d'arrivants disent qu'ils pensaient que le multiculturalisme faisait partie intégrante de la société canadienne; ils se demandent pourquoi leur coiffure cause tant de commotion.

Je ne pense pas qu'il serait sage d'exiger la signature d'un tel document. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Les valeurs de base sont déjà bien connues des nouveaux arrivants. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème, mais les problèmes à l'horizon ne sont pas ceux de l'Europe.

Les problèmes que nous affrontons sont différents, mais je ne vois pas notre pays devenir, comme les États européens, aux prises avec ce nombre de problèmes. Je ne pense pas qu'il sera utile de faire signer un document aux immigrants. Imaginez les discussions au sein du comité chargé de rédiger ce document? Est-ce qu'il se lirait comme suit : « Nous, en tant que société, affirmons les différences, l'égalité entre les sexes, la démocratie, et cetera? »

Peu de gens avoueront, à leur arrivée, qu'ils ne sont pas d'accord avec l'égalité des sexes. Certaines pourraient dire, comme le sénateur Eaton, que leur définition de cette notion diffère de la nôtre, que c'est, par exemple, le fait de toujours avoir une relation particulière avec leur mari.

Le sénateur Eaton : Ou par le fait de ne pas aller à l'école, de ne pas sortir seule, de ne pas avoir de permis de conduire ou de ne pas signer de bail.

M. Bramadat : Je ne dis pas que la définition de l'égalité des sexes dans d'autres cultures me plaît ou qu'elle est nécessairement sans problème. La question est plutôt : fait-elle tellement problème que cela justifie d'exiger des nouveaux arrivants au Canada qu'ils signent la promesse en question. Il faut répondre à cette question.

Ceux qui professent les opinions les plus marginales semblent peu nombreux. Ce document pourrait contribuer à les aliéner davantage de leurs familles et des sociétés auxquelles ils cherchent à s'intégrer à un certain point. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre commentaire.

Le sénateur Seidman : Je pense que la connaissance de certaines notions telles que l'égalité des sexes et de leur signification, que vous attribuez à ces gens, vous l'avez déduite du contexte dans lequel ils vivent au Canada. En dépit de vos affirmations, il se peut qu'ils ne sachent pas vraiment, avant d'arriver ici, de quoi il retourne et qu'ils aient besoin de s'informer à ce sujet. Par exemple, ils peuvent s'imaginer que le multiculturalisme les autorise à avoir la charia au Canada et que nous n'y voyons pas d'objection. Est-ce que ce serait utile, par exemple, de préciser ce que nous entendons par égalité des sexes?

M. Bramadat : Selon moi, les immigrants ne sont pas nombreux à penser que la charia peut s'appliquer d'une quelconque façon au Canada. Cela dit, un petit groupe d'entre eux pensent qu'ils peuvent mettre à l'épreuve les valeurs canadiennes de diversité, de tolérance, d'acceptation de l'autre, et cetera. Pour ce qui est des mariages, les immigrants ne s'étonnent pas qu'au Canada, les relations entre le mari et la femme puissent être différentes. Cependant, ils sont surpris si un Canadien condamne les relations qui existent dans leur couple.

À leur arrivée, les immigrants connaissent les principaux modes de vie des Canadiens, mais ils s'étonnent parfois des critiques acerbes qu'ils reçoivent, si je puis dire.

Le sénateur Seidman : Les Canadiens partagent des valeurs fondamentales. Avons-nous la responsabilité de protéger ces valeurs?

M. Bramadat : Tout à fait. Afin de protéger ces valeurs, il faut discuter des problèmes de la façon la plus ouverte possible. Votre comité offre la possibilité de discuter. Il semble y avoir toutefois des efforts à déployer pour protéger les valeurs fondamentales d'accommodement, de diversité, de pluralité et de multiculturalisme. Par exemple, si on prend l'avion, il faut accepter de s'asseoir à côté de quelqu'un qui nous rend mal à l'aise.

Le sénateur Eaton : Non, ce qui me préoccupe, c'est la sécurité. Je ne veux pas passer derrière une femme qui porte le hijab ou la burqa. Les gens qui se trouvent à bord du même avion que moi ne me posent pas de problème.

M. Bramadat : Le genre de diversité que nous souhaitons n'est pas toujours agréable. Oui, nous devons protéger les valeurs fondamentales, et cela suppose un certain dérangement dans nos habitudes.

Le sénateur Seidman : À votre avis, comment pouvons-nous défendre ces valeurs?

M. Bramadat : Nous pouvons le faire grâce aux institutions, comme en éducation, en santé et dans le système de justice. Ce sont les trois principaux secteurs où ces questions tombent dans le domaine public. Il faut être à la fois rigoureusement accommodants et ouverts à la discussion sur des points de vue diamétralement opposés. Nous pouvons voir à ce que ces secteurs fassent un bon travail à cet égard et, jusqu'ici, il y a lieu d'être optimistes. Il faut également prendre garde de croire que ce qui arrive en Europe va forcément se produire ici et que les valeurs canadiennes sont sur leur déclin, simplement parce que les gens ici adoptent des styles de vie différents. Ce pourrait être la bonne façon de régler le problème.

Le sénateur Callbeck : Je veux parler d'une étude sur les immigrants hindous, sikhs et musulmans et leur sentiment d'appartenance au Canada. Ces immigrants avaient un sentiment d'appartenance plus fort que celui des membres de leur communauté nés au Canada. Il semble que ce sentiment diminue à chaque génération. Que pensez-vous de telles conclusions?

M. Bramadat : C'est une bonne question. L'étude ne porte pas sur bon nombre de générations. Quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pour cent des musulmans sont de première génération et leurs enfants sont âgés d'environ 15 à 25 ans.

En effet, la première génération a un plus grand sentiment d'appartenance au Canada. Les gens se plaignent des mêmes choses que les Canadiens, comme la météo, l'impôt, et cetera. Il est trop difficile de dire si, en général, le sentiment d'appartenance de la deuxième génération est moins important. Certains immigrants de deuxième génération redéfinissent ce que cela signifie d'être canadien, mais je trouve que la question de ce genre de sondage est formulée de manière trop générale.

Concernant les gens de première génération, on choisit déjà dans le processus d'immigration ceux qui sont le plus motivés à devenir canadiens. Comme vous dites, les immigrants de première génération ont un sentiment d'appartenance plus fort que la moyenne.

Même si je suis toujours réticent aux généralisations grossières, je peux dire que les membres de la deuxième génération parlent sans accent. Ils se sentent à l'aise, ils ne s'étonnent pas de la société canadienne et ils perçoivent — peut-être mieux que leurs parents — certains défauts de cette société, en particulier concernant les origines et l'inclusion. Par exemple, ces gens voient d'autres choses s'ils sont différents et s'ils sont gais et lesbiennes.

De nombreux immigrants de deuxième génération s'étonnent de la société canadienne et ils sont, peut-être, moins optimistes que leurs parents. Il faudra attendre encore deux ou trois générations avant de pouvoir vérifier si la tendance se maintient. C'est peut-être le reflet de simples différences dans la famille. Mon père, nouvel arrivant, tenait beaucoup à l'intégration à la société canadienne et au multiculturalisme. J'avais de la difficulté à le convaincre que les défauts du Canada, telles mesures ou un acte de racisme, détonnaient par rapport à son grand optimisme.

Mon père était incapable d'en parler. Dans ma propre famille, je constate des différences en ce qui a trait au sentiment d'appartenance. Mon père avait un sentiment très fort si on le compare au mien. Cela signifie sans doute que le sentiment d'appartenance de ma génération est plus faible que celui de la génération précédente, mais ce que je vis est un peu plus complexe que ce que ressentait mon père.

Je me demande si mon sentiment d'appartenance représente pour vous une grande menace à la société canadienne.

Le sénateur Callbeck : Qu'avez-vous à dire à ce sujet, monsieur Wells?

M. Wells : Oui et non, concernant les minorités sexuelles. Le sentiment d'inclusion et d'appartenance devient si fort. On se demande si on se sent inclus et représenté. Ce sont des questions de visibilité et d'inclusion authentiques.

Par exemple, les jeunes des minorités sexuelles peuvent avoir un sentiment d'appartenance plus fort envers leur communauté homosexuelle qu'à l'égard de leur culture, en raison des interdits et des tabous. Souvent, les gens de certaines communautés disent que l'homosexualité est une maladie occidentale tout à fait inexistante dans leur culture et qu'elle s'inscrit dans une propagande à laquelle ils n'adhèrent pas, mais qu'ils doivent peut-être la tolérer au Canada.

Comme M. Bramadat l'a dit, la question des mariages entre personnes de même sexe est d'actualité et nous avons constaté certains problèmes qu'elle pose dans le guide de l'immigrant du gouvernement fédéral, dont les journalistes ont parlé l'an dernier concernant les messages que le Canada essaie d'envoyer au reste du monde.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Wells, la Déclaration uniforme de la criminalité indique que les crimes motivés par l'orientation sexuelle ont presque doublé en 2008 par rapport à 2007. S'agit-il d'une simple hausse des cas déclarés ou d'une augmentation réelle?

M Wells : Dans une certaine mesure, c'est peut-être les deux. Par exemple, les membres de minorités qui viennent de pays déchirés par la guerre et sans loi ont de la difficulté à entrer en relation avec les policiers.

Les discussions sur les crimes haineux et la sensibilisation qui se fait sur ce sujet se traduisent par une augmentation des cas déclarés et des statistiques, par conséquent. Ces statistiques ne sont pas forcément négatives; elles veulent peut- être dire qu'on fait plus confiance aux policiers.

Il est difficile de dire si les minorités sexuelles signalent plus de cas survenant au Canada. On se demande si la violence augmente ou si elle a toujours été présente. Par exemple, je connais bien des lesbiennes ou des gais d'Edmonton qui ne se tiendront pas la main s'ils marchent dans l'avenue Whyte, parce qu'ils craignent qu'on les attaque ou qu'on leur crie des choses si on passe en voiture. Les hétérosexuels n'y pensent pas à deux fois avant d'afficher ce genre de signe d'affection.

Si vous le permettez, il est intéressant de savoir que le service de police d'Edmonton a mis sur pied une unité des crimes haineux, une des seules au Canada, et qu'elle doit travailler en particulier avec les minorités. Comment faire pour que des recrues, par exemple, des policiers blancs de 25 ans qui n'ont pas beaucoup d'expérience des contacts avec les minorités, comprennent la réalité de ces gens? Comment peut-on faire comprendre à ces recrues ce que ressent une femme qui marche la nuit pour se rendre à sa voiture et qui craint pour sa sécurité?

Entre autres activités, nous avons demandé aux recrues de même sexe de s'habiller de façon normale et de marcher à deux, main dans la main, dans l'avenue Whyte.

Pour la première fois de leur vie, certaines de ces recrues ont dit qu'elles avaient eu peur. Elles ont parlé de la réaction des autres, qui les avaient dévisagés sans rien dire. Il s'agit d'un exercice très révélateur, car les recrues ne profitent plus, par exemple, du privilège d'être un homme, d'être blanc ou de faire certaines choses. Nous commençons à appliquer la méthode à d'autres formes d'oppression.

L'objectif, ce n'est pas que l'exercice profite aux gais et aux lesbiennes et qu'on parle d'eux, mais c'est de ressentir ce que cela signifie d'être différent et mis à l'écart.

Dans une certaine mesure, j'espère qu'un plus grand nombre de crimes haineux seront déclarés, car cela voudra dire que davantage de gens seront sensibilisés. Les gens sauront que le crime haineux est inacceptable dans notre société. Les policiers doivent se montrer ouverts à ceux qui rapportent des cas et dire qu'il s'agit d'une préoccupation légitime.

De plus, on prend les crimes haineux plus au sérieux, dans le système de justice. Tout dernièrement, on a imposé des peines plus sévères pour ce genre de crimes. Nous voulons faire comprendre à la population que la haine n'est pas tolérée, au Canada.

Le sénateur Dyck : Je vous remercie, messieurs. Les exposés étaient clairs. J'ai suivi de près la discussion et les idées se bousculent dans ma tête.

Monsieur Bramadat, vous avez dit quelque chose qui m'a frappée et qui ressort également de l'exposé de M. Wells : les principes de notre Charte résultent de certaines valeurs. Les valeurs de la société ou du pays sont celles des citoyens et elles sont inscrites dans notre Charte et nos diverses lois.

Vous avez aussi dit que nous croyons à des valeurs canadiennes. Quant à moi, ces valeurs constituent l'idéologie que nous souhaitons adopter. Ici et ailleurs, le Canada est perçu comme un pays qui accueille les gens de partout dans le monde. Il est évident qu'en raison de mes origines, je crois fermement au multiculturalisme, mais malgré nos valeurs, certains Canadiens sont victimes de crimes haineux et de discrimination.

Nous avons beaucoup parlé des victimes de la discrimination. Cependant, il paraît clair que de nombreux Canadiens ne croient pas à cette forme de violence.

La discrimination existe depuis la nuit des temps. Que faisons-nous pour étudier les gens qui commettent des actes de discrimination et les valeurs qu'ils prônent? Pourquoi n'acceptent-ils pas ceux qui ont une orientation sexuelle, une religion et des croyances différentes parce qu'ils viennent d'un autre pays? Que faisons-nous pour nous pencher sur le problème?

À mon avis, les gens ont toujours eu beau jeu de commettre des actes d'intimidation, de sectarisme et de racisme, ici et ailleurs dans le monde. Comment les sensibiliser et leur faire comprendre qu'ils ont des points en commun avec leurs victimes?

M. Bramadat : C'est une excellente question; il est difficile de trouver la solution miracle à un tel problème.

Dans une certaine mesure, il est juste de dire que c'est une réaction typique des mammifères et qu'il y a des agresseurs et des gens blessants partout. Certains n'ont aucune sensibilité et sont incapables de voir l'être humain lorsqu'ils sont en présence d'un gai ou d'une autre personne différente.

Pourvu qu'il soit possible d'aider les agresseurs potentiels, la sensibilisation est, d'après moi, la meilleure façon d'atteindre notre objectif. Nous essayons de sensibiliser les jeunes de nos écoles à l'immigration et à ce genre de choses.

La manière dont la religion s'inscrit dans le message général me fascine, car les enfants apprennent parfois une version simpliste et édulcorée du christianisme, de l'islam ou autre. Bon nombre d'entre eux ne trouvent pas nécessairement que la description des autres religions correspond à ce qu'ils entendent aux nouvelles, à ce qu'ils observent sur la rue ou à ce que leur montrent leurs voisins sikhs, bouddhistes ou hindous. Pour beaucoup, c'est la confusion.

Je préférerais que le système d'éducation s'occupe de quelques-unes de ces questions, du moins dans un premier temps, ne serait-ce qu'en partie. La religion pourrait être enseignée comme l'histoire, la politique et la géographie, mais pas de manière naïve ni idyllique. Cela ne sert à rien. Sinon, les enfants croient que tous les chrétiens tendent l'autre joue parce qu'on le leur a dit.

Ils remarquent ensuite que la réalité est différente et ils se sentent trahis. Ils se mettent alors à douter de ce qu'ils ont appris sur les musulmans et les sikhs. Nous devons leur enseigner la religion de manière pragmatique pour éviter qu'ils ne soient effrayés lorsqu'ils rencontrent quelqu'un d'une autre confession.

Cela n'est pas une garantie de tolérance mutuelle, pas plus que ne l'est l'enseignement de la diversité sexuelle; mais c'est un début. Les décideurs pourraient vouloir intégrer cet enseignement dans les programmes d'études. Toutefois, bien des professeurs ont du mal à imaginer comment le faire. C'est complexe, et c'est cher. Cela pourrait donner lieu à des tonnes de poursuites.

Sur le plan du discours public, nos médecins, avocats, journalistes et politiciens — les gens qui font l'actualité — ne connaissent bien souvent rien aux religions. Ce n'est pas de leur faute. Ce genre de cours de base ne sont pas obligatoires dans les facultés de droit, de médecine ou de journalisme. Ce serait bien d'offrir cet enseignement dans les écoles ainsi que dans les programmes de formation des professionnels.

M. Wells : Je conviens de l'importance capitale de l'éducation, dont nous discutons, mais la façon de procéder est complètement décousue.

M. Bramadat a évoqué la manière dont le Québec aborde la religion. Or, nous avons constaté que l'Alberta avait pris des mesures régressives en adoptant le projet de loi 44, qui interdit de parler de sexualité, d'orientation sexuelle et de religion dans les écoles sans obtenir le consentement préalable des parents.

On est en droit de se demander, alors, quels sont le rôle et la responsabilité de l'éducation publique. Est-ce d'enseigner les valeurs inculquées à la maison ou bien celles d'un citoyen canadien responsable et respectueux?

C'est une question de diversité; il faut trouver comment aller au-delà de la compréhension superficielle de la diversité et du multiculturalisme, et ne pas nous limiter à la tenue vestimentaire, aux danses et aux habitudes alimentaires. Alors, comment favoriser une expérience enrichissante de la diversité? La responsabilité n'incombe pas seulement au secteur de l'éducation.

À Edmonton, par exemple, nous avons beaucoup discuté avec les Oilers d'Edmonton, notre équipe de hockey qui appartient maintenant au groupe Katz. Ce qui est très particulier pour cette équipe, si on la compare aux autres franchises de sport professionnel, c'est que la majorité des détenteurs de cartes d'abonnement sont des citoyens, des gens ordinaires qui se sont serré la ceinture pour se les procurer. Les entreprises n'achètent pas 90 p. 100 de ces cartes pour ensuite les redistribuer. La relation avec la collectivité doit donc être différente.

Le groupe Katz cherche le moyen d'amener les membres des communautés minoritaires à faire partie de la base de partisans qui n'existait pas autrefois; il cherche aussi à intéresser les membres des minorités sexuelles. Il a compris que c'est peut-être un autre créneau inexploité. Surtout, le groupe se demande ce que représente pour lui le fait d'être un organisme communautaire de premier plan et de véhiculer les valeurs d'Edmonton, qui s'est proclamée ville défenseure des droits de la personne.

Et cela ne touche pas que la Ville d'Edmonton — je sais qu'un représentant du bureau de l'inclusion et de la diversité est venu comparaître —; les services de police viennent de créer une unité spécialisée dans la diversité, l'équité et les droits de la personne. Depuis 10 ans, l'Association des enseignants de l'Alberta met en œuvre un programme sur la diversité, l'équité et les droits de la personne dans les écoles; d'autres entreprises socialement responsables prennent part à la discussion.

Voici la question que je me pose toujours : comment faire pour que cette discussion exceptionnelle devienne courante et qu'elle fasse partie de nos mœurs sociales? Je ne crois pas qu'un programme, une politique ou une intervention peuvent à eux seuls changer la donne. Modifier la culture, c'est modifier mille pratiques, et même plus. C'est un changement d'attitudes qui se mesure sur une très longue période.

Le sénateur Dyck : Ai-je le temps de poser une deuxième question?

Le vice-président : Oui, vous avez le temps.

Le sénateur Dyck : Vous avez tous les deux parlé du rôle des jeunes dans les actes discriminatoires commis contre divers groupes. Certains témoins ont parlé des groupes de victimes, qui rassemblent des gens ayant vécu des expériences similaires, que l'on sensibilise au problème, que l'on aide à se sentir acceptées et à reprendre confiance en elles.

Est-ce qu'un phénomène semblable se produit avec les jeunes qui font de l'intimidation ou de la discrimination? Croyez-vous que ce genre de comportement se propage de façon insidieuse parce qu'il y a des bandes ou des groupes de jeunes qui s'encouragent mutuellement? Je suppose que l'attitude d'un jeune dépend de son groupe, de ses amis et du fait que le comportement est encouragé ou non au sein du groupe. Existe-t-il une façon de s'infiltrer dans un groupe ou de s'adresser à ces jeunes pour leur montrer autre chose et élargir leurs horizons, afin qu'ils commencent à se trouver des points en commun avec ceux qu'ils harcèlent? Y a-t-il moyen de les rapprocher?

M. Wells : On doit d'abord se demander comment identifier les jeunes à risque dans les écoles. Comme vous l'avez dit, il y a les victimes classiques, mais aussi celles susceptibles d'être l'objet d'actes de violence ou de discrimination. Ces situations s'expliquent en grande partie par l'absence de liens avec le groupe de pairs visé.

Votre mère avait raison de dire « qui se ressemble s'assemble », dans le sens le plus large. Les jeunes adhèrent aux valeurs de leurs pairs, ainsi qu'à ce qui est acceptable ou non au sein de leur cercle d'amis. Les écoles, surtout, ont pris des mesures intéressantes. Elles ont notamment organisé des journées d'intégration, où les élèves désignés doivent sortir de leur univers pendant une journée pour aller discuter à la cafétéria avec des élèves différents d'eux.

La manière la plus simple de combattre les préjugés, c'est de considérer l'autre comme une personne. Lors de crimes haineux, ce genre de préjugés se traduit par des actes particulièrement violents, car les victimes sont déshumanisées; elles sont perçues comme des objets sur lesquels on s'acharne.

Fondamentalement, comment peut-on favoriser un processus d'humanisation et en finir avec la déshumanisation? Quelles questions doit-on poser? Quels engagements concrets faut-il prendre? À mes yeux, ce processus devient un élément essentiel de l'intervention.

Par exemple, les membres de la Aryan Guard, un groupe militant pour la suprématie blanche, ont déjà défilé dans les rues de Calgary. Ils ont déjà recruté dans les cours d'école et distribué des disques compacts d'information sur leurs activités. Ils ciblent les jeunes vulnérables et désenchantés, à qui ils disent : « Voici ce que c'est, une communauté; vous trouverez chez nous tout ce qu'il vous manque. »

Il arrive souvent qu'un tel groupe reproche aux groupes minoritaires de leur voler leurs droits; c'est-à-dire leur position légitime et leur statut au sein de la société.

Les messages commencent alors à influencer les gens. C'est de l'endoctrinement. Comment le détecter? Qu'en est-il des liens avec les parents et la famille? Cette dernière a une importance capitale. La famille est le facteur de résilience le plus important pour tous les jeunes de toutes origines. Comment travailler auprès des familles pour les doter de compétences parentales? Cela constitue aussi un volet essentiel de l'intervention communautaire.

Les jeunes ne vivent pas en vase clos. Nous cherchons à savoir à qui ils sont très attachés, de même que les messages et l'éducation qu'ils reçoivent. Pour certains jeunes, le groupe confessionnel auquel ils appartiennent contribue aussi à la résilience.

Nous disons qu'un jeune a besoin d'avoir, dans son entourage, au moins un adulte de confiance vers qui il peut se tourner, mais nous espérons qu'il aura beaucoup plus de soutien. Le fait qu'un jeune puisse communiquer avec quelqu'un dans un moment difficile, s'il se sent seul ou isolé peut changer le cours des choses. Ce quelqu'un doit être ouvert, ne pas faire preuve de discrimination et ne porter aucun jugement.

Le vice-président : Nous devons poursuivre. Il y a encore trois sénateurs sur la liste, et le temps file.

[Français]

Le sénateur Champagne : Je voudrais revenir sur un sujet qu'a abordé le sénateur Eaton, soit le projet de loi présenté par Steven Blaney.

Je crois fermement que voter est un droit, mais c'est aussi un devoir. On voit même qu'il y a des guerres civiles et des révolutions parce que les gens veulent avoir le droit d'élire ceux qui vont gouverner un pays ou un État. Toutefois, je pense que voir ce projet de loi comme étant anti-islam, c'est le voir vraiment de façon unidimensionnelle.

Je vous dirai que cela a pris racine lors du dernier scrutin où, dans un quartier de Montréal, est arrivé tout un groupe de jeunes avec des masques d'Halloween représentant les chefs des différents partis. Ça devenait très difficile de savoir qui était là vraiment, qui avait voté, qui reviendrait peut-être voter en disant être quelqu'un d'autre avec le même masque. Ce projet de loi est donc né de cet incident.

Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est arrivé une fois lors d'un scrutin, mais on veut essayer d'éviter que ce genre d'incident se reproduise. À mon avis, c'est trop facile de dire que c'est contre les femmes musulmanes qui vont voter avec des voiles. Peut-être que M. Bramadat voudra commenter plus tard à ce sujet.

Monsieur Wells, j'ai été très étonnée de trouver dans votre présentation tout un paragraphe nous vantant les qualités et les bienfaits des défilés de la Fierté gaie. Je n'ai rien contre les gais, mais c'est le défilé qui me dérange un peu.

Très souvent c'est d'un goût pour le moins douteux et je trouve que cela nourrit ce sentiment de crainte, voire d'agressivité face aux gais. On ne voit pas de défilés de la Fierté hétéro. On est comme on est et je ne vois pas pourquoi on doit avoir une fierté particulière parce qu'on est né gai. J'accepte très bien qu'on naisse gai, mais je comprends mal que vous parliez de tous les bienfaits de ces défilés.

J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi le fait de se promener dans la rue dans des attirails souvent de mauvais goût et dire : « Moi je suis fier d'être né gai » apporte tous ces bienfaits. Je ne comprends pas.

[Traduction]

M. Bramadat : Dans une certaine mesure, votre question fait suite à notre discussion avec le sénateur Eaton. Si vous me le permettez, j'aimerais demander des éclaircissements : quel était l'objectif de ceux qui sont allés voter affublés de masques de hockey et d'Halloween?

Le sénateur Champagne : Ils voulaient passer à la télévision, c'est tout. Mais c'était quand même difficile de les identifier. Si l'un d'entre eux était revenu caché sous un masque différent, ou bien sous le même masque, mais prétendant être quelqu'un d'autre, le vote aurait pu être compromis.

M. Bramadat : Corrigez-moi si j'ai tort, mais j'ai l'impression que même si ces gens sont à l'origine du débat sur le vote masqué ou voilé au Québec, la discussion a vite fini par tourner autour du voile musulman.

Ce n'est pas comme s'il avait été question, du début à la fin, de gens portant des masques de hockey ou qui représentent des têtes de mort. On s'est empressé d'établir un parallèle avec une femme qui se présenterait à l'isoloir le visage complètement couvert, une situation hypothétique; c'est vrai.

Je pose cette question en partie pour rappeler à chacun que la communauté musulmane n'est pas à l'origine de la controverse et du scandale entourant le vote voilé au Québec. La controverse lui a été imposée, d'une certaine manière, et elle a dû y faire face. Or, tout ce débat public s'est forgé autour d'une hypothèse.

Je ne sais pas si j'irais jusqu'à qualifier d'anti-islamique le projet de loi. Bien sûr, le ton de certaines discussions l'était. On peut s'attendre à des dérapages dans n'importe quel débat, et ces remarques étaient prévisibles.

Le sénateur Champagne : Malheureusement.

M. Bramadat : Tout à fait. Bien sûr, il est important que nous nous attaquions à la question en tant que société, mais que fait-on avec une personne vivant en Indonésie, qui envoie son bulletin de vote par la poste? Il y a bien plus de gens dans cette situation que de femmes musulmanes voilées. Pourquoi ne saisissons-nous pas l'occasion pour instaurer une laïcité ouverte? Lorsque nous — les autorités électorales québécoises — sommes aux prises avec un problème comme la possibilité qu'une personne vote voilée, nous devrions peut-être organiser une longue réunion avec des groupes musulmans pour leur demander de nous proposer des solutions satisfaisantes pour tout le monde, au cas où pareille situation se présenterait. Nous avons besoin de voir le visage des femmes, mais elles ne peuvent pas le montrer aux hommes : pouvons-nous trouver une solution pratique?

Ce problème aurait pu être réglé rapidement.

Le sénateur Champagne : Je crois que vous avez bien compris ma question. À mon avis, les gens ont tort de qualifier le projet de loi d'anti-islamique. Ce n'est pas vrai. Certes, il touche les femmes musulmanes, mais il n'a jamais eu pour objectif de soulever ce problème.

M. Bramadat : Dans mon exposé, j'ai dit que tout dépendait de la manière d'exprimer son refus. Vous êtes bien conscients que le ton du débat à Montréal entourant la controverse sur le vote voilé pouvait facilement donner l'impression à la communauté musulmane que le projet de loi était principalement anti-islamique.

De façon similaire, les acclamations entendues dernièrement à l'Assemblée nationale après le résultat du vote sur la question du kirpan — ces acclamations et cette exaltation exprimées à l'Assemblée nationale — pourraient paraître, aux yeux d'un sikh, comme étant antisikh.

À mon avis, lorsqu'on dit non à quelqu'un, on devrait le faire avec regret : « Nous voulions vous inclure, mais à cause de ce principe ou de cette considération pratique, nous ne le pouvons pas. » La façon de dire « non » devrait laisser entendre que l'on a malheureusement échoué; on est désolé, mais on ne peut pas accepter telle ou telle demande.

Cependant, lorsqu'on dit non avec exaltation, comme si on avait une fois de plus repoussé les barbares, on peut comprendre pourquoi une personne ou un groupe pourrait le prendre comme un rejet personnel et non comme un rejet de ses principes. Dans le discours public, c'est ça le problème; c'est devenu une sorte de lutte contre les barbares.

M. Wells : Je vais tenter de répondre brièvement à votre question. La question de la parade de la fierté gaie revient souvent. Même certains membres de cette minorité sexuelle critiquent la tenue de l'événement, cette idée de provoquer délibérément les gens. Beaucoup de ces critiques découlent de la répression de longue date de la sexualité en général au sein de la société.

On dit souvent qu'une répression sévère entraîne une sorte de réaction manifeste, qu'on le veuille ou non. Ça fait partie de la vie. Une partie de cette collectivité a conservé ses racines hors la loi.

La société canadienne a tenu un débat similaire concernant la légalisation des mariages homosexuels. De nombreux membres de la communauté gaie et lesbienne se sont vertement opposés à cette légalisation. Ils ne voyaient aucune raison de joindre une institution patriarcale qui abaisse les femmes. C'était leur critique. Le mariage tire son origine des droits de propriété.

D'autres ont dit qu'ils voulaient être libres de choisir, parce que c'est une question de légalisation de l'égalité : traiter tous les citoyens de la même façon et accorder à tous les mêmes droits, dont celui de se marier. Pour certains, c'est important. Pour d'autres, ce l'est moins; ils préfèrent tenir leur propre cérémonie d'union.

Un des problèmes, c'est la diversité de cette communauté sexuelle minoritaire. Comme de nombreuses autres, elle a parfois de la difficulté à s'unir pour une même cause.

La même question se pose au sujet d'autres communautés. Pourquoi célébrer la culture des Caraïbes avec la Caribana? Pourquoi célébrer le Nouvel An chinois? C'est une question de fierté; on est fier de son identité et d'appartenir à une communauté. Peut-être qu'il n'y a pas de parade de la fierté hétérosexuelle, parce que c'est la communauté par défaut. Certains diront que l'hétérosexualité au quotidien, c'est accepté; ne pas avoir peur d'être soi- même.

[Français]

Le sénateur Champagne : Pendant longtemps les femmes ont été minoritaires dans notre société. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, sur le plan démographique du moins, puisque les femmes vivent beaucoup plus longtemps que les hommes. Mais je crois qu'une femme qui n'a pour rêve dans la vie que d'être égale à l'homme a bien peu d'ambition.

Je me demande si un jour on en arrivera à dire que la religion catholique romaine est minoritaire par rapport aux autres religions. Parce que c'est la religion qui exige le célibat et qui exclut les femmes du ministère, est-ce qu'elle est appelée à devenir une religion vraiment minoritaire?

[Traduction]

M. Bramadat : Sur le plan purement démographique, la communauté catholique n'est pas près d'être minoritaire.

Le sénateur Eaton : Êtes-vous catholique?

M. Bramadat : Non.

Le sénateur Eaton : Alors, s'il vous plaît, n'utilisez pas la religion catholique comme exemple. Je trouve cela insultant, car je suis catholique.

Le vice-président : Nous allons donner la parole au témoin.

M. Bramadat : Je ne faisais que répondre à la question du sénateur. Je crois simplement que, sur le plan purement démographique, la communauté catholique n'est pas près d'être minoritaire. Beaucoup d'immigrants sont catholiques, dont les Philippins. Entre 1991 et 2001, ils ont été un peu plus nombreux à immigrer ici.

Le sénateur Champagne : Merci.

Le sénateur Martin : J'aurais quelques commentaires à formuler et deux questions brèves à poser. Je ne sais pas par où commencer, car, comme d'autres sénateurs, il y a beaucoup de choses qui me traversent l'esprit.

Je dirais d'abord que, parfois, j'ai l'impression que mon mari fait partie d'une minorité visible. Il est de descendance écossaise-anglaise, et nous habitons dans un quartier de Vancouver Est où la population est à 85 p. 100 asiatique. Après les Olympiques, la CBC a diffusé une émission dans laquelle on pouvait voir un père et son fils visiter de petits villages partout au pays pour y jouer au hockey sur des étangs ou des lacs et aller chez Tim Hortons. Mon mari était cloué devant le téléviseur, car cette émission lui rappelait sa jeunesse. Il a grandi dans les Kootenays. Pour moi, c'était l'image d'une vie que nous n'avons pas en ce moment à Vancouver Est.

Nos discussions sur l'inclusion m'ont rappelé qu'il y a des minorités partout au pays. Chacun a son opinion sur quel groupe constitue une minorité. J'ai l'impression de m'exprimer au nom des gens comme mon mari.

En tant qu'enseignante, j'aimerais faire une observation au sujet de la religion dans les salles de classe. J'ai enseigné les sciences humaines. J'ai enseigné principalement au secondaire, mais aussi dans une école intermédiaire pendant sept ans. Les étudiants de sixième année ont un manuel intitulé Global Citizens avec lequel ils peuvent approfondir leurs connaissances sur différentes cultures, sur la responsabilité dans le monde, sur la façon de créer son propre organisme sans but lucratif et sur les services à rendre. C'est un merveilleux programme.

En septième et huitième années, les enseignants ont le choix. Je sais que, dans mon école, on enseignait les religions du monde en huitième année. Dans mes classes, j'encourageais les étudiants de différentes croyances à faire une présentation sur leur religion et les autres à y participer. C'était un environnement d'apprentissage très diversifié.

L'éducation change les mentalités en matière d'inclusion, et je tiens à dire que la Colombie-Britannique s'en sort bien à ce chapitre. Les provinces où ce changement est lent à venir devraient s'inspirer du programme de la Colombie- Britannique. Je suis fière du travail des enseignants dans notre province.

Ma question, monsieur Wells, porte sur le camp fYrefly. J'aime les camps. Je travaille avec les jeunes, et j'ai été directrice et superviseure de camp. La formation des superviseurs de camp est un élément essentiel. Les camps accueillent des jeunes qui sont vulnérables et qui désirent appartenir à un groupe. Les conseillers et superviseurs de camp ont donc l'importante responsabilité de donner l'exemple en matière de modes de vie sains. Je ne veux rien présumer, mais ceux qui occupent des postes de leadership peuvent avoir beaucoup d'influence sur les jeunes.

Certains de mes étudiants du secondaire ont exploré leur sexualité. Ils ont eu des relations homosexuelles pour se rendre compte que ce n'était que par curiosité. Les étudiants sont tous différents. Pouvez-vous nous parler du genre de formation que vous offrez à vos conseillers et superviseurs de camp? Ils jouent un rôle important.

M. Wells : Absolument. Ce qu'il y a d'unique à propos de notre camp, c'est que nous enseignons et formons. Donc, le programme du camp est exécuté comme n'importe quel programme scolaire. Nous offrons une formation rigoureuse. Avant le début du camp, les adultes bénévoles reçoivent une formation détaillée portant sur différents aspects, dont la divulgation ainsi que les politiques et procédures du camp.

Un des ateliers de base que nous offrons porte sur les relations saines, et celui-ci est obligatoire pour tous les participants au camp. Les jeunes sont divisés selon leur âge, pour que les conversations soient appropriées pour eux, et nous invitons nos partenaires communautaires qui se spécialisent dans ce domaine à participer à l'atelier.

Nous en sommes maintenant à notre huitième année. Nous offrons un camp à Edmonton et un en Saskatchewan avec l'aide de partenaires communautaires. Nous tentons d'établir d'autres camps ailleurs au pays.

En ce qui concerne la proportion de superviseurs, elle est d'environ un adulte formé par six participants, ce qui est aussi bon que dans n'importe quel autre camp.

Une autre chose que nous avons rapidement réalisée, c'est que les activités axées sur les arts donnent de meilleurs résultats. Nous avons découvert que de nombreux jeunes expriment davantage leurs pensées et leurs émotions de cette façon qu'avec des mots.

Nous offrons également les services d'un psychologue-conseil. Nous avons recours à des professionnels, comme des éducateurs et des travailleurs sociaux — des gens confiants, à l'aise et ayant déjà travaillé avec les jeunes et désirant aider les plus vulnérables d'entre eux. La qualité et le comportement de ces professionnels sont scrutés à la loupe et rigoureusement évalués.

À la fin du camp, nos bénévoles nous donnent leurs impressions sur ce que nous pourrions améliorer, mais aussi sur les besoins des jeunes et ce qui nous manque pour les aider, car c'est ça le plus important. Nous essayons de faire en sorte que le programme soit axé sur les jeunes.

Plutôt que de considérer ces jeunes comme étant à risque, nous tentons de voir leur potentiel. Qu'arrive-t-il lorsqu'on les considère différemment? Nous sommes conscients que tous les jeunes ont des talents particuliers et qu'ils ont beaucoup à offrir à la collectivité. Notre travail consiste à les aider à exploiter ce potentiel.

Le sénateur Martin : Monsieur Bramadat, je suis arrivée au Canada au début des années 1970, à l'époque où, à l'école, on chantait l'hymne national et le « God Save the Queen » et où on récitait le Notre Père. Tous mes amis à Vancouver Est étaient des immigrants, comme moi. Nos parents étaient des conservateurs aux valeurs partagées et imposaient des règles strictes. Nous avions plus peur d'eux que des conséquences de faire des mauvais coups à l'école. Par conséquent, nous étions sages à l'école. Nous avions des valeurs communes.

J'aimerais aborder la question de l'identité canadienne. Je suis fière du multiculturalisme qui règne au Canada. Cependant, l'identité canadienne, ce qui nous unit, a connu des ratées depuis un certain temps, alors que nous oublions parfois d'écouter les autres et de chercher à atteindre un certain équilibre.

Auriez-vous une observation à faire au sujet de l'importance pour le Canada de chérir les différentes cultures et les identités distinctes? Le plus important, c'est de partager cette identité canadienne. J'ai partagé cette identité, dans mon quartier de Vancouver Est, et j'ai l'impression que nous nous en éloignons. Pourriez-vous nous parler du concept de l'identité canadienne?

M. Bramadat : Je crois qu'il est possible d'avoir les deux. Il est clair que c'est un gros problème en Europe. J'essaie de trouver les éléments d'information qui montrent que c'est aussi un gros problème au Canada, mais sans succès. Nous avons eu les Olympiques et nous avons toutes sortes d'autres événements sportifs qui unissent les Canadiens. Nous avons des rivalités régionales traditionnelles, le multiculturalisme en tant que politique et le bilinguisme. Je crois que nous avons ces deux éléments et que nous nous en sortons bien comparativement à d'autres démocraties libérales.

Je conviens qu'il faut accorder de l'importance à la diversité des nouveaux arrivants et chercher à leur donner une idée de la « canadianité ». Bien entendu, personne n'a encore réussi à bien la définir. C'est peut-être ce qui fait la magie du Canada.

Cela pourrait expliquer pourquoi les choses vont bien ici, comparativement à ce que l'on voit en Europe. Nous n'avons pas déclaré : « D'ici le 13 juin 2014, nous aurons défini l'identité canadienne. » D'ailleurs, le tout est axé ici sur la souplesse, le dialogue et l'esprit communautaire. C'est peut-être ça son secret.

Le vice-président : Merci beaucoup. Merci, chers collègues. De toute évidence, vous avez été actifs au cours de ces discussions. Je remercie le sénateur Braley de sa compréhension; nous avions convenu de lever la séance à cette heure- ci.

J'aimerais remercier nos deux témoins. Il est remarquable d'avoir deux porte-paroles aussi convaincants provenant de deux secteurs qui ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde. J'aurais aimé poser une question à M. Bramadat au sujet de la laïcité ouverte versus les problèmes que l'identité religieuse a créés pour les autres au fil du temps, notamment les communautés auxquelles M. Wells a fait référence aujourd'hui. Malheureusement, je vais devoir, moi aussi, renoncer à ma question.

J'ai beaucoup aimé vos réponses, et je crois que mes collègues ont bien exploré le sujet. Nous vous remercions pour l'ouverture dont vous avez fait preuve. Je mets fin à la réunion.

(La séance est levée.)


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