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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 5 - Témoignages du 12 décembre 2011


OTTAWA, le lundi 12 décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 16 h 36, pour étudier l'utilisation d'Internet, des nouveaux médias, des médias sociaux et le respect des droits linguistiques des Canadiens.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Je me présente, je suis le sénateur Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité. Avant de présenter le témoin qui comparaît aujourd'hui, j'aimerais inviter les membres du comité qui sont ici à se présenter.

Le sénateur Poirier : Sénateur Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, du Québec.

Le sénateur Losier-Cool : Rose-Marie Losier-Cool, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Le comité étudie l'utilisation d'Internet, des nouveaux médias, des médias sociaux et le respect des droits linguistiques des Canadiens. Il accueille aujourd'hui Mme Anne Robineau, une chercheure qui travaille à l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de l'Université de Moncton, où elle s'intéresse aux communautés artistiques francophones du Nouveau-Brunswick et aux publics des arts et de la culture chez les francophones hors Québec. Mme Robineau s'intéresse également à la vitalité culturelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire, ainsi qu'aux choix linguistiques dans l'usage des nouveaux médias.

Madame, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui. Les membres du comité ont bien hâte de vous entendre au sujet de vos travaux, et suite à votre présentation, nous passerons à une période de questions.

Anne Robineau, chercheure, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Université de Moncton : Merci de votre invitation. Aujourd'hui, je vais me concentrer sur les pratiques artistiques et la consommation culturelle via Internet chez les communautés francophones en situation minoritaire, bien qu'il y ait des éléments qui puissent servir de comparaison avec les communautés anglophones du Québec.

Je vais faire référence à quelques recherches au cours de ma présentation. Il y en a une qui sera publiée bientôt et qui porte sur les artistes francophones en situation minoritaire du Canada, et dans laquelle j'aborde la question du numérique. L'objet de la recherche n'est pas sur le numérique, mais il y est question parce qu'il s'agit d'un enjeu de plus en plus important. Il est donc inévitable d'en traiter dans la recherche.

Je vais donc développer trois points qui concernent autant les créateurs que les usagers du web, et surtout leur comportement par rapport à la consommation culturelle.

Quand on regarde un peu ce qui se passe chez les artistes ou chez ceux qui créent du contenu pour des plateformes Internet, on s'aperçoit qu'il y a une tendance à la création multiplateforme.

De plus en plus, les artistes vont utiliser des médias traditionnels, certes, mais ils vont combiner plusieurs outils du web et ils vont aussi utiliser d'autres applications mobiles. On voit donc qu'il y a cette combinaison de façons de créer qui transforme comme jamais la façon de proposer des contenus culturels, que ce soit en français ou en anglais.

Les artistes francophones suivent aussi le mouvement. Dans la recherche que je vais bientôt publier, on estime qu'environ 560 artistes œuvrent dans le domaine des arts médiatiques uniquement. Mais il faut savoir qu'on utilise le numérique dans d'autres formes d'art aussi, que ce soit la danse, la musique ou les spectacles qui offrent des projections multimédias.

Et à l'intérieur de cela, il faut aussi distinguer l'art qui utilise les outils numériques pour diffuser des informations sur les œuvres et l'art qui va spécifiquement utiliser les outils Web pour la création qui ne peuvent exister qu'à travers le Web. Il s'agit donc de deux choses différentes : les arts numériques et les outils numériques de diffusion des œuvres et de la culture.

Il y a aussi la constitution d'un patrimoine culturel et artistique puisque cela permet d'archiver toutes sortes de contenus. Notamment, si vous consultez les sites Web des organismes culturels et artistiques de francophones en milieu minoritaire, vous remarquerez qu'ils ont vraiment emboîté le pas. On peut y voir des dossiers d'artistes dans lesquels il y a des informations sur le type d'œuvre.

Vous pouvez, par exemple, aller visiter le tout nouveau site de l'Association des artistes acadiens, l'AAAPNB dans lequel vous accédez à un ensemble de profils d'artistes du Nouveau-Brunswick. Ils ne sont pas tous là, mais il y en a un certain nombre et ce, dans toutes sortes de disciplines.

Si on passe du côté des usagers, il y a certaines tendances qui se dégagent. On voit que des publics cibles et des communautés d'intérêt se forment autour de certaines pratiques artistiques et de certaines œuvres. Les gens qui ont des goûts spécifiques pour des œuvres vont se servir du web pour créer un réseau, en plus d'échanger et critiquer des contenus.

J'en viens à la partie qui traite des risques : cela ne se fait pas toujours en français. Je dirais que c'est cette tendance qu'on a un peu de mal à mesurer parce qu'il n'y a pas encore assez d'études qui permettent de le faire, mais chez les jeunes, il y a quand même une consommation de produits culturels en anglais par rapport à certains médium comme la musique, par exemple.

On observe cela non seulement dans les communautés francophones en situation minoritaire, mais même au Québec. C'est une tendance qui est là, qui est difficile à contrer, mais à laquelle il faut faire encore plus attention quand on est en situation minoritaire à cause des particularités des communautés, des couples exogames, de la transmission du français qui se fait un peu moins dans certaines régions.

Vous avez donc tout un ensemble qui, avec le web, offre un potentiel, mais qui est exposé à certains risques qui n'ont pas été suffisamment évalués en ce qui concerne la consommation culturelle.

Par contre, on observe un peu partout dans le monde une augmentation de l'utilisation de médias sociaux, de nouvelles technologies de toutes sortes à travers des blogues, des réseaux qu'on connaît comme Facebook, et cetera. La tendance est là. C'est donc quelque chose qu'il faut surveiller en gardant en tête que même si ces outils existent, ça ne veut pas dire que les individus vont forcément consommer plus de culture ou vont avoir accès systématiquement à plus de contenus culturels.

Il y a des études, notamment en France, qui font l'observation des comportements culturels. Ceux qui sont déjà de grands consommateurs culturels vont utiliser les médias sociaux pour bénéficier d'une offre plus importante ou pour aller chercher de l'information plus facilement sur les œuvres qu'ils aiment.

Les outils technologiques ne vont pas forcément convertir tout de suite un public aux œuvres et à l'art en général. C'est quelque chose sur lequel il faudrait se pencher parce que justement, ça pourrait être des outils intéressants pour promouvoir les arts et la culture dans les milieux francophones en situation minoritaire.

Il faudrait essayer d'ajuster la tendance, d'une part, pour des publics qui sont déjà convertis aux œuvres en général et d'autres qui pourraient l'être et qui pourraient être d'autant plus intéressés qu'ils aiment utiliser déjà ces nouvelles technologies.

Ensuite, si vous regardez du côté de l'accès, d'une part vous avez le fait que tout le monde n'utilise pas nécessairement les nouvelles technologies et les médias sociaux, et ce pour différentes raisons, dont le niveau de scolarité qui joue pour beaucoup.

D'autre part, vous avez une certaine partie de la population qui est exclue à cause du taux d'analphabétisme élevé. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, on a évalué qu'il y avait à peu près 66 p. 100 des francophones qui étaient dans les niveaux les plus bas, ce qu'on appelle niveaux I et II. Ce sont des gens qui ne reconnaissent qu'un ou deux mots dans un contenu quelconque ou qui ne vont lire que de courts paragraphes.

De façon générale, on pourrait faire l'hypothèse qu'il y a une partie de la population qui, d'emblée, est exclue du monde de l'écrit. Dans les nouvelles technologies, le monde de l'écrit domine quand même beaucoup, même s'il y a des outils comme des écrans tactiles avec des icônes, et cetera, et que tout le monde pourrait a priori se les approprier, mais je dirais que le phénomène peut aussi comporter d'autres risques par rapport à une mauvaise interprétation des droits d'utiliser certains contenus ou par rapport à la vie privée et aux choses qu'on échange à l'intérieur des médias sociaux.

Certaines régions n'ont peut-être pas encore accès à Internet haute vitesse. Les contenus en ligne sont de plus en plus sophistiqués. Il faut parfois beaucoup de temps pour les télécharger, beaucoup d'espace et de mémoire. Pour ces régions, il est difficile d'accéder à ces contenus. Il existe donc une inégalité sur ce plan également.

J'aimerais parler des facteurs qui touchent directement la capacité de produire des contenus en ligne et la capacité des artistes de vivre de leur art. On s'est habitués à la gratuité des contenus en ligne. On trouve quelques fois des abonnements, mais règle générale on a l'impression que le contenu est facilement accessible. Cela soulève toutes sortes de problèmes pour ceux qui sont à l'origine de ce qu'on peut lire et consulter en ligne. De plus, cela a le défaut de créer certains désavantages pour les artistes qui œuvrent en milieu minoritaire et qui ont déjà de la difficulté à réunir les ressources pour produire des œuvres ou des contenus qui pourraient être placés sur ces technologies numériques.

Des recommandations peuvent se faire sur plusieurs plans. Parlons tout d'abord des besoins en formation. Les outils sont là, mais on voit des changements et une adaptation est nécessaire. Certaines personnes qui aimeraient utiliser ces outils ont une carrière déjà avancée. Il y a donc des besoins en formation pour de très jeunes artistes ou simplement des consommateurs de la culture, mais aussi pour des personnes avancées en quête de perfectionnement professionnel. C'est le cas tant pour les artistes que pour ceux qui gèrent ces milieux de l'art et qui ont, par exemple, à centraliser des informations ou évaluer des subventions. Cette formation s'adresserait donc tant aux organismes communautaires qu'aux organismes publics du gouvernement fédéral.

Il existe aussi des besoins en termes de connaissances scientifiques, à savoir quelles sont justement ces nouvelles tendances par rapport à la consommation culturelle. On a de la difficulté, encore aujourd'hui, à évaluer les préférences de nos communautés francophones vis-à-vis la culture. Plusieurs situations sont permanentes, d'autres sont publiques, que l'on connaît moins et qui sont dues à la transformation des communautés francophones. Certains facteurs sont liés à l'immigration, d'autres au fait que l'on retrouve de plus en plus de couples exogames. Ces facteurs modifient donc le rapport avec la langue et la transmission de celle-ci au foyer, par exemple, par la télé que l'on regarde ou la radio que l'on écoute. Il est donc important d'avoir des recherches qui puissent nous aider à cibler certaines actions pour promouvoir les œuvres et la culture francophone.

Il faut également considérer le fait que les technologies numériques ont des effets différents selon les disciplines artistiques. Plus tôt, je parlais du fait que les arts numériques deviennent un champ disciplinaire en tant que tel. Cependant, toutes les autres formes d'art vont utiliser les technologies numériques pour, par exemple, promouvoir les artistes ou diffuser de l'information sur des spectacles à venir. Tout cela va constituer un patrimoine artistique qui pourrait être utilisé à des fins éducatives aussi, dans d'autres circonstances, notamment dans les écoles.

On observe ce phénomène dans d'autres provinces également. Par exemple, l'an dernier, le Conseil des arts et des lettres du Québec a fait parvenir un rapport au ministre de la Culture sur justement la possibilité d'avoir une meilleure connaissance sur le numérique. Un certain nombre d'actions ont résulté de cette démarche et dont on pourrait peut- être se servir pour les communautés de langue officielle.

Vous avez donc un portrait d'ensemble qui est en train de se faire sur l'utilisation des technologies numériques. Vous avez aussi toute une série de consultations des principaux acteurs. Un forum a été organisé pour valider un peu tout ce qui avait été dit lors de ces consultations.

En Angleterre, vous avez un conseil des arts qui a été très actif au point de vue des connaissances dont on avait besoin pour mieux saisir les transformations liées au numérique dans les arts et la culture. Vous avez aussi, chez les communautés francophones, des revues qui vont aborder des thèmes spécifiques par rapport aux technologies numériques.

Pour terminer, j'aimerais mentionner un excellent numéro de la revue Liaison — qui est une revue d'art pour les communautés francophones en milieu minoritaire — sur les droits d'auteur. On parlait de la problématique des droits d'auteur avec la transformation apportée par les technologies numériques.

La présidente : Merci de votre exposé.

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'ai lu quelque part que vous aviez obtenu une subvention de 30 000 $ pour dresser un portrait de la situation des artistes francophones hors Québec. Votre étude a-t-elle commencé?

Mme Robineau : Oui.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Avez-vous pu déterminer si Internet influence la culture francophone au pays? Également, avez-vous observé si Internet a servi à développer une nouvelle culture francophone?

Mme Robineau : On m'a beaucoup consultée car ma recherche a porté sur six disciplines, dans toutes les provinces et territoires sauf le Québec — je suis tout de même allée voir ce qui se faisait au Québec pour diverses raisons. On constate, notamment par les outils web, que les organismes communautaires sont déjà bien ancrés dans cette option numérique. On le voit aussi à travers les informations qu'on peut obtenir sur les artistes et les activités que ceux-ci organisent parfois en ligne. Je pourrais citer, par exemple, le RAFA, qui est un organisme culturel de l'Alberta et qui organise des sessions de formation en ligne destinée aux artistes. Il y a donc déjà du réseautage qui se fait.

Vous avez évidemment la Fédération culturelle canadienne-française qui est l'organisation qui représente un ensemble d'organismes artistiques franco-canadiens, qui ont un site web, un blogue. À mon avis, grâce à cela, il y a une circulation des informations un peu plus efficace. De là, est-ce qu'il y a une nouvelle culture? C'est difficile à évaluer. J'ai constaté qu'il y avait quand même des inégalités.

Il y a une volonté de se doter de ces outils parce qu'on voit bien que cela rapporte. On peut faire une promotion des œuvres et des artistes de la culture francophone beaucoup plus facilement. En même temps, cela demande des ressources parfois importantes pour des organismes communautaires qui n'en ont souvent pas beaucoup. Alors cela dépend des personnes qui sont là. Elles peuvent être plus ou moins à l'aise avec ces technologies, elles peuvent proposer des projets assez innovants, elles ont parfois à gérer simplement le quotidien et elles n'ont pas le temps d'alimenter des sites web. Il y a une inégalité de ce point de vue, en tout cas en ce qui a trait aux ressources. Cependant, la volonté est là parce que cela donne une visibilité vraiment importante.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Avez-vous remarqué si les artistes francophones, qui utilisent les nouveaux médias, communiquent davantage avec les autres francophones hors Québec? Par exemple, quelqu'un de l'Alberta, est-ce que vous le voyez communiquer avec des gens de la Saskatchewan? Est-ce qu'il prend la peine de communiquer avec des gens du Québec et du Nouveau-Brunswick? Qu'avez-vous observé là-dessus?

Mme Robineau : Il y a des occasions de réseautage et à un moment donné, il y a des besoins de rencontres plus formelles. Justement, au mois de juin, j'ai assisté à un forum organisé par la Fédération culturelle canadienne-française qui portait sur les pratiques artistiques. Il y avait à peu près 200 intervenants dont au moins la moitié était des artistes et ils étaient contents de pouvoir se réunir. Beaucoup se connaissaient virtuellement parce qu'ils avaient échangé régulièrement à travers le réseau. Souvent, les organismes vont distribuer des lettres d'envoi. Les gens peuvent être abonnés à différentes lettres d'envoi. À ce forum, les gens se connaissaient sans même s'être rencontrés. Il était donc possiblement plus facile d'entrer en contact parce que les personnes connaissaient déjà ce que faisaient les autres.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Quand ils ont la chance de se réunir par la suite lors d'une rencontre formelle, ils doivent être heureux de rencontrer l'interlocuteur qu'ils avaient sur le web.

Mme Robineau : Cela a un effet mobilisateur pour des actions à entreprendre par la suite. Le web permet de réseauter les gens, mais il permet aussi d'alimenter continuellement les liens entre les différentes communautés. Cependant, je ne sais pas si tout le monde a accès aux réseaux ou si tout le monde y participe activement. Plusieurs le font, mais là non plus, on n'a pas d'évaluation du nombre de participants.

La présidente : Êtes-vous en mesure de nous dire si ces artistes qui s'étaient rencontrés virtuellement venaient de provinces où le réseau était plus fort que d'autres ou y avait-il une représentation assez équitable de toutes les provinces et territoires?

Mme Robineau : Il y a toujours beaucoup de gens en Ontario. Il y avait aussi beaucoup de gens qui venaient de l'Acadie, mais c'était quand même assez équitable. Cependant, il n'y avait personne du Nunavut, même s'il y a quelques artistes là-bas. Il y avait des artistes des territoires et des intervenants culturels à la tête d'associations dans les territoires. C'est toujours un problème, mais au moins cela permet d'avoir un accès. Je sais qu'au Nunavut, c'est plus difficile.

J'ai fait une étude sur les francophones des territoires, je suis bien placée pour savoir qu'il y a des médias dans chaque territoire. Dans les trois territoires, il y a des médias communautaires et des journaux en ligne. Jusqu'à tout récemment, il y a un an à peu près, il y avait des médias en ligne aussi au Nunavut, mais je pense qu'ils ont manqué de ressources, et là on a moins de sources d'informations sur ce qui se passe à ce moment-ci. Il est important d'avoir les nouvelles locales en français et je sais qu'ils ont toutes sortes de demandes, notamment par rapport à Radio-Canada. C'est très important pour eux.

Le sénateur Losier-Cool : Bienvenue, madame Robineau. Il me fait toujours plaisir de recevoir quelqu'un de notre coin de pays. Pourriez-vous, brièvement, nous parler de l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques? Quelle est votre relation avec le Conseil des Arts du Canada ou encore avec la Fédération culturelle canadienne- française que vous avez mentionnée?

Mme Robineau : L'institut a été fondé il y a neuf ans; on va fêter le dixième anniversaire l'année prochaine. C'est un organisme indépendant qui est situé à l'Université de Moncton, dont un des fondateurs est d'ailleurs Yvon Fontaine, le recteur actuel de l'Université de Moncton. On est une petite équipe de chercheurs qui effectuent des recherches en sciences sociales qui portent sur toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada. On a beau être situé au Nouveau-Brunswick, nos travaux sont vraiment pancanadiens. On fait également des recherches sur les anglophones du Québec.

À l'intérieur de l'institut, on est en fait trois chercheurs à temps plein et à peu près une quarantaine de chercheurs associés. Étant donné qu'on est une petite équipe, on ne peut pas avoir l'expertise de tous les champs. On va donc chercher l'expertise de professeurs et de chercheurs dans d'autres universités. On a différents axes de recherche en éducation, en santé, en gouvernance et en économie. Je travaille plus spécifiquement sur l'axe de la culture et des jeunes, et aussi un peu sur l'éducation.

Le sénateur Losier-Cool : Le financement de l'institut provient de Patrimoine canadien ou de l'université?

Mme Robineau : Il vient de Patrimoine canadien. C'est un fonds de fiducie qui a été accordé à la fondation de l'institut et qui fait en sorte qu'on peut aller chercher des projets à côté de cela.

Il y a donc un fonds qui permet une stabilité des recherches sur les langues officielles.

Je voudrais ajouter que, depuis trois ans, on développe aussi beaucoup plus les recherches sur les anglophones du Québec. Le Centre de l'éducation permanente de l'Université Concordia héberge maintenant une branche de l'institut qui est coordonnée par Lorraine O'Donnell, chercheure historienne qui tente d'établir un réseautage entre les chercheurs qui travaillent sur les anglophones du Québec.

Le sénateur Losier-Cool : Je vous remercie pour cette réponse. Je voudrais maintenant que vous nous aidiez un peu dans les recommandations que vous nous avez données à la page 2. Vous comprenez que notre comité va faire des recommandations, mais on voudrait voir les recommandations que vous nous suggérez.

Quand vous parlez des besoins de formation sur les nouvelles technologies pour les créateurs, croyez-vous que les maisons de formation sont assez branchées?

Mme Robineau : Non. Je crois que l'université, et même les collèges communautaires, auraient besoin d'avoir des programmes de formation sur ces technologies. Je sais qu'il y a, par exemple, des formations en graphisme. Il y a des choses qui existent, on ne part pas de rien. C'est la création mais c'est aussi toute l'administration autour de ces nouveaux services.

Il y a aussi des gens qui devraient être spécialisés, par exemple sur les droits d'auteur. Parce qu'il y a différents contextes où on peut créer une œuvre à partir d'une autre. Dans ce cas, quel est le statut de l'œuvre et quel est le statut de l'artiste qui a puisé dans quelque chose qui existait déjà? C'est tout un univers.

Le sénateur Losier-Cool : Je voudrais savoir qui est responsable de ces formations? Je comprends qu'il y a les collèges communautaires, les maisons de formation et les universités.

Mais vous allez plus loin maintenant et vous parlez des organismes qui soutiennent les arts. Quelle est la responsabilité du gouvernement fédéral par rapport à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui stipule que le gouvernement se doit d'aider les communautés? Est-ce que les nouvelles technologies sont une responsabilité?

Mme Robineau : Il y a des choses qui se font. Par exemple, Téléfilm Canada offre, présentement, un atelier sur le réseautage, et une partie des places sont offertes à des francophones en situation minoritaire. Ça fait partie de leur programme sur les langues officielles. Il y a donc déjà des choses qui se font. Mais il est évident que c'est toujours en fonction des ressources que les agences ont.

Le sénateur Losier-Cool : C'est toujours en fonction des ressources, c'est toujours une question de sous.

Mme Robineau : Probablement qu'il y aurait besoin de concertation pour mieux cibler ce qui serait le plus efficace ou le plus avantageux ou encore ce qui répondrait le mieux aux besoins de ces artistes, de ces créateurs, en fait de tous les intervenants qui travaillent dans le milieu culturel et qui participent à l'épanouissement des communautés.

Le sénateur Losier-Cool : La semaine dernière, il y avait une activité à Montréal pour aider les artistes pauvres, les artistes qui ne réussissent pas à subvenir à leurs besoins. Je me dis que si, à Montréal, les artistes ne réussissent pas, est- ce que les artistes francophones en situation minoritaire réussissent à vivre seulement de leur art?

Mme Robineau : Oui, il y en a quelques-uns, mais dans la moyenne canadienne et québécoise, ils ont des revenus assez faibles. C'est sûr qu'ils ont d'énormes besoins par rapport à ça. La situation en milieu minoritaire, ça vient parfois accentuer certains problèmes. Par exemple, si c'est un projet collectif, d'avoir des ressources de formation en français ou même simplement pour s'associer à d'autres personnes qui viendraient compléter le projet artistique mais qui n'utilisent pas le français comme langue de travail.

Le sénateur Losier-Cool : En musique surtout.

Mme Robineau : En musique, oui, et en cinéma.

Le sénateur Losier-Cool : En ce qui concerne la consommation culturelle, selon vos recherches, est-ce que ce sont les personnes qui se servent le plus des médias sociaux? Ou est-ce en éducation ou encore en santé? Est-ce que vous diriez que les gens qui consomment plus de produits culturels, qui vont le plus voir des concerts, qui achètent plus de livres et cetera, sont les plus grands usagers des nouvelles technologies?

Mme Robineau : Il n'y a pas d'étude à ce sujet chez les francophones en milieu minoritaire en ce moment. Mais dans les tendances qu'on observe au Québec ou en France, souvent le comportement culturel ou le fait que les gens vont consommer beaucoup sera lié à la scolarité et au revenu, et puis à l'offre culturelle. Dans le fond, s'il y a une offre culturelle assez importante, ils vont être plus amenés à consommer, mais c'est relié à différents facteurs, à toute la transmission du goût par ce qu'on appelle les pairs, c'est-à-dire en premier lieu les parents, l'école et les amis. C'est donc pour ça que pour les jeunes consommateurs, c'est important parce que les pairs ont une grande influence. D'autres jeunes de leur âge vont leur dire qu'ils aiment telle musique, vont leur suggérer de lire tel livre et c'est comme ça qu'ils vont s'influencer. Et dans ce qu'on observe, sans nécessairement avoir fait d'études là-dessus, il y a beaucoup d'échanges qui se font en anglais ou qui se dirigent vers les produits culturels en anglais chez les francophones.

Le sénateur Losier-Cool : Une dernière question, madame la présidente. Je sais que ce n'est peut-être pas le sujet de votre recherche, mais selon vous, pensez-vous que le Conseil du Trésor du Canada consulte, demande ou s'informe auprès de l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques qui fait des études en minorité linguistique pour savoir si les affaires vont bien? En fait, je devrais dire : comment les affaires pourraient-elles aller mieux?

Mme Robineau : Peut-être pas assez souvent. Il faudrait peut-être demander ça au conseil d'administration, mais probablement qu'il y aurait toujours place à l'amélioration.

Le sénateur Losier-Cool : Les communications.

Le sénateur Poirier : Plusieurs de mes questions ont été posées parle sénateur Losier-Cool. Je voulais connaître le rôle et les obligations du gouvernement fédéral envers la Loi sur langues officielles. Est-ce que le gouvernement répond bien? Est-ce que nos institutions d'enseignement ont l'information ou est-ce qu'il y a un manque? Ce sont donc à peu près les mêmes questions quele sénateur Losier-Cool a posées.

Si vous aviez une recommandation à nous faire, une des places où on devrait commencer, ce serait de s'assurer que nos institutions sont équipées pour offrir la formation dont la population a besoin.

Mme Robineau : Oui. En fait, il y a des choses qui devraient être faites simultanément, c'est-à-dire évaluer ce qu'on a comme formation dans les universités, dans les institutions d'enseignement en général sur la formation par rapport à ces nouvelles technologies.

Il faut aussi savoir qui les utilise et à quel point. À mon avis, c'est ce qui peut orienter de meilleures actions. On sait que les écoles réalisent davantage de projets grâce aux nouvelles technologies. Elles ont accès à des outils technologiques et les contenus en français correspondent à leur réalité locale.

Par exemple, les étudiants universitaires francophones hors Québec pourraient regarder davantage de choses faites au Québec et qui sont destinées à leur âge, mais ils ne se reconnaîtraient pas nécessairement dans cette réalité québécoise. Il y a donc des besoins. Une étude du Commissariat aux langues officielles soulignait le fait que même s'il y a des contenus en français, il faut s'assurer qu'ils correspondent à une certaine réalité plus proche d'eux.

Le sénateur Poirier : Est-ce que les recherches que vous avez faites concluent qu'il y a un manque de formation sur la façon d'utiliser le web et les médias sociaux? Est-ce qu'il est parfois difficile de faire des recherches pour un travail quelconque ou de trouver la traduction d'un contenu? Est-ce que c'est un problème?

Mme Robineau : Il y a parfois de la formation ponctuelle ou du perfectionnement professionnel qui servent à former assez rapidement les usagers. Mais le plus critique, à mon avis, c'est la multitude de sources d'information à travers le web, tout ce choix qui existe sur le web et qui remet en question tout la validité ou la légitimité de certaines sources.

Aujourd'hui les informations n'ont pas la même légitimité du point de vue scientifique. Certaines informations ne sont pas considérées comme étant fausses parce que les usagers ne savent pas que tel ou tel site serait plus recommandé qu'un autre.

Je parle surtout de ce qu'on appelle les technologies wiki — Wikipedia, par exemple — dans lesquelles les gens peuvent alimenter toutes sortes de contenus, ce qui fait que les sources ne sont pas nécessairement toujours fiables. C'est un problème par rapport à la formation de ceux qui utilisent ces sources.

Le sénateur Poirier : Est-ce que les sources dont vous parlez proviennent du gouvernement fédéral?

Mme Robineau : Non.

Le sénateur Poirier : Est-ce que les informations qui sont disponibles à travers le gouvernement fédéral sont offertes dans les deux langues officielles? Avez-vous remarqué des lacunes plus particulièrement dans les régions minoritaires?

Mme Robineau : Je n'ai pas évalué le contenu du gouvernement fédéral et je ne peux pas trop m'avancer là-dessus, mais l'offre en anglais est toujours plus importante en général. En ce qui concerne les institutions fédérales, ça prendrait vraiment une analyse plus rigoureuse et non pas seulement des hypothèses. Ce serait intéressant d'examiner ce qui pourrait être fait en français. Parce que des fois il y a des contenus qui émergent d'abord en anglais et ce serait moins difficile de les adapter en français que de tout recommencer. Il faudrait regarder ça de plus près, pas forcément dans le milieu artistique, mais aussi dans plusieurs secteurs.

Le sénateur De Bané : Votre texte est extrêmement riche et contient beaucoup de pistes de réflexion. À la lumière de toutes ces réflexions, avez-vous des recommandations à formuler pour le Comité sénatorial des langues officielles?

Il y a tellement de choses que vous identifiez et on voit que vous avez énormément réfléchi à ces sujets, que vous êtes au courant de toutes les études que d'autres chercheurs ont publiées. Quelles politiques devrions-nous recommander aux termes de nos délibérations?

Compte tenu de tout cela, je me demande où on s'en va. Quand je regarde TV5, que je vois qu'à Paris il y a un engouement pour le cinéma américain et pour la chansonnette anglaise, que ça a l'air de faire très chic à Paris, je me dis que si c'est ça à travers le monde, qu'est-ce que c'est chez nous?

Par exemple, vous portez à notre attention le fait que l'Office national du film et l'atelier de Téléfilm Canada n'ont réservé que 18 places sur 560 pour les francophones hors Québec. Cela représente un tiers de 1 p. 100. Parmi toute la communauté francophone du Canada, les francophones hors Québec comptent pour 16 p. 100 et ils ne reçoivent que 18 places sur 560. Ça n'a aucun bon sens.

Il y a aussi le gouvernement du Québec qui finance tout ça, mais pour les communautés exposées à l'extérieur, le fait que Téléfilm Canada ne leur accorde qu'un tiers de 1 p. 100 plutôt que 16 p. 100, cela me saisit. Avez-vous eu la même réaction que moi?

Mme Robineau : Vous faite faite référence à une note que j'ai incluse par rapport à un atelier à Téléfilm Canada. Ce qui était encourageant, c'est qu'il y avait un atelier qui portait sur le réseautage et qu'en fonction de leurs ressources, ils ont un certain nombre de places dans ces ateliers. J'ai noté qu'il y avait 18 places pour les artistes francophones hors Québec. Je me souviens qu'il y avait 40 places pour les artistes qui venaient du Québec.

Selon une étude qui va être publiée bientôt sur les artistes de la francophonie canadienne, il y a à peu près 560 artistes qui œuvrent dans le milieu des arts médiatiques, qui aimeraient probablement avoir au moins une formation, et c'est seulement ceux qui œuvrent en art médiatique.

Le sénateur De Bané : Il y a donc 560 artistes hors Québec?

Mme Robineau : En art médiatique. Il y en a beaucoup plus dans les autres disciplines.

Le sénateur De Bané : Donc 560 artistes en art médiatique à l'extérieur du Québec. Sur ce nombre, 18 sont invités à profiter de ces ateliers. C'est microscopique.

Mme Robineau : Cela pourrait être une recommandation, qu'il y ait plus de fonds d'investis pour la formation, mais sur les technologies numériques en général.

Le sénateur De Bané : Cela ne prend pas de courage de parler français à Chicoutimi, mais c'est très difficile pour la personne qui habite à Saint-Boniface, qui veut maintenir sa langue et sa culture, qui veut participer dans la production médiatique, artistique, et cetera.

Vous nous dites que 96 p. 100 des jeunes âgés de 16 à 24 ans utilisent Internet et que, pour les personnes âgées, c'est beaucoup moins, environ 29 p. 100, c'est une génération qui naît avec cela.

Il paraît qu'un bon pourcentage des enfants entre deux et cinq ans sait se servir d'ordinateurs. Cela m'inquiète de voir qu'on n'a pas pris cela en compte, lorsqu'on regarde, par exemple, la contribution du gouvernement canadien à la création imprimée par rapport à ces nouveaux médias qui n'existaient pas dans ma jeunesse.

En tout cas, n'hésitez pas à nous faire le plus de recommandations possible parce que manifestement, vous avez beaucoup réfléchi à ces questions, vous les connaissez sous toutes leurs coutures. On est inquiet de voir que cette jeunesse n'a pas tout l'appui nécessaire pour pouvoir utiliser ces médias.

On a besoin de vos recommandations. Si jamais il y a d'autres documents que vous pouvez nous transmettre d'ici la production du rapport par la présidente, cela nous intéresserait énormément. On cherche des recommandations pratico-pratiques qui pourraient faire partie de nos recommandations au gouvernement. Ici, on est un groupe non partisan, on travaille ensemble et on essaie de trouver des réponses à des questions, évidemment, extrêmement complexes.

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'ai maintenant une question qui découle de l'intervention du sénateur De Bané.

Vous avez mentionné qu'il y avait 560 places de formation médiatique à Téléfilm Canada.

Mme Robineau : Il y a 560 artistes en art médiatique, des gens qui œuvrent en audiovisuel, cinéma.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Vous avez dit qu'il y avait 40 Québécois francophones au Québec et 18 hors Québec. Si je compte bien, cela signifie qu'il y en a 502 qui sont anglophones? Je pense que ce n'est pas équitable.

Mme Robineau : Ce sont les places.

La présidente : Est-ce que vous pourriez nous faire parvenir des informations supplémentaires, étant donné que le temps commence à manquer?

Mme Robineau : Oui, il n'y a pas de problème.

La présidente : Cela permettra àle sénateur Fortin-Duplessis de poser son autre question.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je voulais savoir si le milieu culturel francophone doit s'inquiéter ou se réjouir de la montée en puissance de Internet.

Mme Robineau : Intéressant. C'est difficile de répondre rapidement, mais il y a une réponse positive et une autre négative.

Le côté positif, c'est que les coûts sont parfois moins importants pour faire du réseautage. Cela permet probablement un accès et une promotion de la culture francophone peut-être un peu plus faciles.

Je trouve que ce qui est risqué, ce qu'on observe, c'est qu'il y a quand même une génération qui arrive et qui consomme beaucoup de produits en anglais. Il y a vraiment une sensibilisation à faire par rapport à l'utilisation de sa langue et la promotion de sa culture en français. Mais il y a aussi toutes sortes d'enjeux autour de cela qu'il faut analyser de près par rapport à l'accès, l'offre culturelle en français qui reflète notre réalité et qui est probablement insuffisante au moment où on se parle, qui est mal adaptée finalement à ces nouveaux outils où elle permet d'être diffusée. Donc, il y a du bon et du mauvais là-dedans.

La présidente : Pouvez-vous nous donner un exemple concret de ce que le gouvernement fédéral pourrait faire?

Mme Robineau : Il y a tellement de choses, je dirais que ce qui est le plus problématique, ce sont les droits d'auteur parce que c'est vraiment un équilibre à avoir entre les consommateurs et les artistes qui créent le contenu. Donc, il faut identifier de meilleures façons de rétribuer ceux qui produisent ces contenus en ligne, sans pour autant brimer le droit des francophones d'accéder à cette culture en français en ligne, qui est si difficile parfois à avoir dans certaines régions. Ce serait vraiment important.

Puis des analyses plus systématiques de la situation, des changements de comportements vis-à-vis cette consommation culturelle. On n'a pas actuellement ces évaluations.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup. J'aimerais vous remercier et vous dire à quel point nous avons apprécié votre présentation.

Le sénateur Losier-Cool : Et continuez votre beau travail.

La présidente : Si vous avez des informations additionnelles, faites-les parvenir au comité, parce que nous n'avons pas encore terminé notre étude. Merci.

Honorables sénateurs, je vais suspendre pour quelques instants et nous reprenons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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