Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 14 - Témoignages du 3 décembre 2012
OTTAWA, le lundi 3 décembre 2012
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 16 h 35, pour faire une étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis Maria Chaput, sénatrice du Manitoba et présidente du comité. Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Sénatrice Fortin-Duplessis du Québec.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur De Bané : Pierre De Bané du Québec.
Le sénateur Tardif : Claudette Tardif de l'Alberta.
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, St-Louis-de-Kent au Nouveau-Brunswick.
La présidente : Le comité poursuit son étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion. Nous accueillons aujourd'hui, des représentantes d'organismes francophones de l'Alberta et de la Nouvelle-Écosse, soit Mme Dolorèse Nolette, présidente de l'Association canadienne-française de l'Alberta, accompagnée de Mme Isabelle Laurin, directrice des affaires publiques, et Mme Marie-Claude Rioux, directrice générale de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse ainsi que M. Justin Mury, président, et Ghislain Boudreau, vice-président.
Au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions.
J'invite maintenant Mme Nolette à prendre la parole. Elle sera suivie de Mme Rioux. Par la suite, les sénateurs poseront leurs questions.
Dolorèse Nolette, présidente, Association canadienne-française de l'Alberta : Honorables sénateurs, bonsoir. Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir réinvité l'ACFA à comparaître dans le cadre de votre étude sur les obligations de CBC/ Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la radiodiffusion.
Je suis Dolorèse Nolette, présidente de l'Association canadienne-française de l'Alberta aussi appelée ACFA. Je suis accompagnée de notre directrice aux affaires publiques, Mme Isabelle Laurin. Depuis 1926, l'ACFA est l'organisme porte- parole de la Francophonie albertaine. Nous sommes donc ici aujourd'hui, au nom des 238 000 Albertaines et Albertains composant la collectivité de langue française en Alberta.
Je tiens à vous mentionner que mercredi dernier, nous avons comparu devant le CRTC concernant le renouvellement desalicences de CBC/Radio-Canada. En Alberta, la Société Radio-Canada constitue le seul et unique diffuseur de programmation et de nouvelles albertaines en français et joue donc un rôle unique et absolument essentiel au sein de notre communauté.
L'ACFA a appuyé le renouvellement des licences de CBC/Radio-Canada. Cependant, notre appui a aussi été motivé par une inquiétude d'affaiblir, et voire même de perdre le seul service de radiodiffusion et de télédiffusion locales accessibles par les auditeurs de langue française en Alberta.
J'aimerais partager avec vous quelques considérations concernant la situation albertaine, en lien avec votre étude. L'un des enjeux actuels exprimés par les communautés de langues officielles vivant en situation minoritaire et le manque de reflet de la Francophonie hors Québec aux émissions et bulletins nationaux de Radio-Canada. Nous croyons que Radio-Canada manque à son mandat qui vise à tisser des liens entre les citoyens canadiens et à refléter la diversité des communautés réparties d'un océan à l'autre. La communauté francophone de l'Alberta a besoin de trouver son reflet sur les ondes de la Société Radio-Canada tant au niveau local que national, mais souhaite aussi prendre connaissance de la diversité régionale à travers le pays pas seulement ce qui se passe au Québec.
Nous considérons que l'équipe de Radio-Canada Alberta fait généralement un excellent travail. Cependant, nos stations disposent de peu de ressources afin de couvrir l'ensemble de la province et de nos communautés qui sont éparpillées, de Grande Prairie dans le nord-ouest à Lethbridge dans le sud, en passant par Canmore, Bonnyville et Fort McMurray. Chez nous, la couverture régionale est souvent l'une des faiblesses nommées. La situation s'était améliorée grâce au Fonds d'amélioration de la programmation locale, le FAPL, qui permettait plus de déplacements en région.
Or, nous apprenions récemment l'élimination progressive du FAPL. L'élimination de l'appui financier à la programmation locale affaiblit la raison d'être de la Société Radio-Canada en Alberta, et il est difficile de croire que la SRC saura absorber ce manque à gagner sans toucher à la programmation locale. Pour illustrer l'impact négatif de cette décision, nous avons dressé une liste d'au moins huit programmes récents qui bénéficiaient de ce financement en Alberta. Ces programmes permettaient de faire connaître et rayonner les artistes de chez nous, les activités culturelles de la francophonie albertaine et même d'apporter une vision francophone à des célébrations et à des enjeux albertains.
L'ACFA déplore la disparition de cette programmation locale en français et espère voir le rétablissement du financement de la programmation locale reflétant les réalités albertaines aux Albertains et aux Canadiens, au-delà des nouvelles quotidiennes.
Nous aimerions aussi porter à votre attention la situation de la ville de Jasper. Depuis plus de 20 ans, la communauté francophone de Jasper se mobilise pour accéder à la radio française de Radio-Canada, mais sans succès. En 2007, la frustration s'est faite sentir de façon aiguë lorsque l'un des plus grands rassemblements culturels de la Francophonie albertaine, la Fête franco-albertaine, s'est tenue à Jasper. Comme à l'habitude, Radio-Canada Alberta était un partenaire important de l'événement et la radio française de Radio-Canada était présente sur place afin de diffuser les émissions. Ironiquement, les festivaliers et les intéressés potentiels localement ne pouvaient pas écouter les émissions locales présentées. La densité topographique a été citée comme raison empêchant l'obtention des ondes radiophoniques pour Jasper. Pourtant, la radio anglaise de CBC peut y être captée. Il est à noter que la ville de Jasper est située à l'intérieur d'un parc national, le parc national Jasper, qui doit offrir des services dans les deux langues officielles et qui est visité par environ deux millions de visiteurs annuellement. Par ailleurs, la ville de Jasper compte une école francophone et une école d'immersion française. En mai 2011, le gouvernement de l'Alberta annonçait même la construction d'une nouvelle école francophone à Jasper afin de mieux répondre aux besoins de cette communauté grandissante. Ceci démontre la vitalité francophone à Jasper autant de ses visiteurs que de la communauté locale.
Les représentants de Radio-Canada ont suggéré aux résidants et aux travailleurs saisonniers de Jasper d'accéder à la radio française de Radio-Canada par Sirius ou le Web. Il est à noter que Sirius est une radio payante et qu'elle diffuse la programmation montréalaise de Radio-Canada, et non la programmation locale. Par ailleurs, le Web n'est pas une solution pour des visiteurs et des citoyens qui sont souvent des automobilistes plus que des internautes.
Pour nous, il s'agit d'un cas important de non-équivalence entre les langues officielles puisque le service existe en anglais, mais non en français. Il s'agit donc d'une mesure négative envers notre communauté.
En ce qui concerne la partie VII de la Loi sur les langues officielles, nous croyons que la Société Radio-Canada, en tant qu'institution fédérale, a un devoir de consultations envers notre communauté de langues officielles en situation minoritaire. Les rapports entre Radio-Canada Alberta et la communauté francophone de l'Alberta sont historiques et demeurent très précieux. La communauté francophone de l'Alberta apprécie énormément les partenariats établis au niveau médiatique et événementiel avec Radio-Canada.
Cela dit, dans un environnement de roulement continu du personnel-cadre, les liens deviennent de plus en plus ponctuels et dépendent des intervenants en poste. Lorsque le poste de direction des communications régionales de l'Alberta a été rapatrié à Vancouver, notre communauté n'a pas été consultée.
Or, cette personne a un rôle de liaison important à jouer entre Radio-Canada et notre communauté, et la distance géographique créée ne permet pas toujours une compréhension complète des enjeux. En l'absence d'un mécanisme de consultation structuré et structurant, entre Radio-Canada et notre communauté, il n'y a que des conversations autour d'enjeux aléatoires. Nous aimerions qu'il y ait une formalisation des relations afin que les communautés puissent faire valoir ses préoccupations, ses besoins et ses priorités à Radio-Canada.
Enfin, nous croyons que les engagements en matière de dualité linguistique ne visent pas seulement Radio-Canada, mais aussi CBC. Toutefois, nous avons l'impression d'être invisibles à leurs yeux. Pourtant, nous croyons que CBC/Radio- Canada occupe un créneau particulier et de ce fait, a la possibilité de bâtir des ponts et favoriser une meilleure compréhension entre les Canadiens de langue française et les Canadiens de langue anglaise partout au pays.
En conclusion, nous tenons à réaffirmer notre profond attachement envers la Société Radio-Canada. Les francophones de nos communautés ont besoin de Radio-Canada pour se voir, s'entendre et favoriser leur épanouissement. C'est donc avec beaucoup de respect que nous vous soumettons ces considérations, dans l'espoir qu'elles sauront influencer des changements importants au bénéfice de la vitalité de la collectivité de langue française en Alberta. Je vous remercie de votre attention et nous serons disposés à répondre à vos questions.
Marie-Claude Rioux, directrice générale, Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse : Bonsoir, je suis accompagnée aujourd'hui, de deux experts en matière de communication, c'est-à-dire à ma droite, Justin Mury, président de la Fédération acadienne de la nouvelle-Écosse, qui a également fait un stage de journalisme à la SRC, Chronicle Herald, à CTV Atlantique, il a été employé de la radio communautaire de l'île Madame, et journaliste pigiste pour le Courrier de la Nouvelle-Écosse.
À ma gauche, Ghislain Boudreau, vice-président sectoriel de la Fédération acadienne. Il est directeur général depuis quatre ans de la radio communautaire CIFA, trésorier de l'ARC et vice-président de l'ARCA, l'Alliance des radios communautaires de l'Atlantique.
Encore une fois, merci de cette invitation à vous partager nos réflexions en matière de respect de la Loi sur les langues officielles par Radio-Canada.
Incorporée le 14 octobre 1968, la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse a été créée dans le but de promouvoir l'épanouissement et le développement global de la communauté acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse en collaboration avec ses membres composés d'organismes régionaux, provinciaux et institutionnels d'expression française.
La Fédération acadienne agit comme une vraie fédération et regroupe 29 organismes régionaux, sectoriels et clientèles désireux d'œuvrer à l'avancement de la mission de la Fédération acadienne.
La Fédération acadienne accomplit sa mission en agissant comme porte-parole principal de la population acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse, en favorisant la concertation et le partenariat de l'ensemble des organismes œuvrant au sein de la communauté acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse tout en respectant le mandat de chaque organisme, en offrant des services et les programmes répondant aux besoins de ses membres et en appuyant ses membres dans le développement et l'épanouissement de la communauté acadienne et francophone de la Nouvelle- Écosse.
La Société Radio-Canada est au cœur du dossier des communications de la Fédération acadienne. Les Acadiens et les francophones de notre province sont en effet très conscients de l'importance du diffuseur public dans leur vie. Ils savent qu'aucun diffuseur privé ne serait prêt à effectuer des immobilisations nécessaires pour servir les régions éloignées pour diffuser radio et télé, et pour maintenir une présence Web sur des territoires où les cotes d'écoute ne pèsent pas lourd. Pour la communauté acadienne de la Nouvelle-Écosse, la SRC est la seule en mesure d'offrir de tels services en français.
En dépit de cette importance reconnue par les Acadiens et les francophones de notre province, il n'en demeure pas moins que notre communauté est très loin d'être satisfaite des services de la SRC, en particulier pour ce qui est de la couverture relative à la Nouvelle-Écosse.
Une partie du mandat de Radio-Canada concerne tout particulièrement l'Acadie et les communautés francophones dans leur ensemble; a) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions, et b) contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationale.
En 2007 et en 2009, la Société nationale de l'Acadie a rendu publiques des études sur la présence des régions au niveau national, radio et télé. Ces études indiquaient clairement que les nouvelles, les intervenants, les experts, les commentateurs politiques et les sujets traités reflètent très majoritairement la réalité montréalaise, et malheureusement, rien n'a changé depuis 2009. Il est en effet très rare qu'un expert de l'Acadie, et encore moins de l'Acadie de la Nouvelle-Écosse, soit invité dans le cadre d'émissions d'affaires publiques pour commenter et apporter un point de vue différent. Il en va de même pour les émissions de variété où des artistes québécois, parfois de parfaits inconnus, sont invités dans le cadre de plusieurs émissions au cours de la même semaine tandis que les artistes acadiens doivent pratiquement devenir incontournable avant de bénéficier d'une certaine attention.
Quant au traitement Web, pour n'importe quelle journée choisie au hasard, les nouvelles du Québec sont nettement plus nombreuses que celles du national ou de l'international, tandis que les nouvelles de notre province sont quasi inexistantes. À preuve, dans l'édition Web du jeudi 8 novembre 2012, la manchette principale fait état de l'UPAC qui poursuit ses perquisitions à Laval, tandis que trois manchettes secondaires portent sur les dossiers internationaux, deux manchettes secondaires sur l'Ontario, une manchette secondaire sur le Québec et une manchette secondaire sur un dossier national. En fait, il semble que les animateurs, les recherchistes, les réalisateurs et autres artisans considèrent Radio-Canada comme une station régionale bien plus que comme un réseau national.
En Nouvelle-Écosse, comme un peu partout au pays je crois, on parle de Radio-Montréal, plutôt que la SRC. Ce surnom reflète bien le sentiment des Acadiens et des francophones de notre province qu'une nouvelle de moindre importance en provenance de Montréal aura un traitement préférentiel par rapport à une nouvelle d'envergure pour la Nouvelle-Écosse.
Ces observations sont corroborées du fait que des émissions comme L'épicerie, La facture et autres émissions ne viennent pratiquement jamais en Nouvelle-Écosse, que des évènements d'envergure nationale ou internationale ne sont commentés qu'à partir de Montréal avec des experts québécois. Cette situation est très dommageable pour les Acadiens et les francophones de notre province qui ont le sentiment d'être des citoyens de deuxième classe. Ce n'est pas en voyant uniquement des Québécois à l'antenne que les Acadiens et francophones de notre province vont se sentir valorisés. À plus long terme, enfin, c'est la mémoire québécoise dans toute sa diversité qui est préservée, au détriment de la nôtre et de celle de la Francophonie canadienne dans son ensemble, nous croyons.
En sommes, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse ne se reconnaissent pas du tout dans le produit radio-canadien, ils ne se voient pas, ils ne s'entendent pas, et ils ne se lisent pas.
Nous comprenons qu'en raison des restrictions budgétaires annuelles, en particulier suite à la décision du CRTC de ne pas renouveler le FAPL, la SRC se voit obligée de confier la production d'émissions à des compagnies privées. Cependant, il nous semble que cette dévolution des pouvoirs devrait se faire dans le respect du mandat de la SRC et de la diversité régionale du pays, nonobstant les cotes d'écoute et les revenus publicitaires.
Je tiens ici à faire une parenthèse pour dire à quel point je suis inquiète du commentaire du président Lalande de Radio-Canada, devant le CRTC la semaine passée, lorsqu'il affirmait qu'il n'était aucunement question qu'on dépasse de 15 p. 100 de couverture lors des journaux télévisés de Radio-Canada. Ceci est pour Radio-Canada national. Du côté Radio-Canada Acadie, si la Fédération acadienne applaudit la couverture d'événements d'envergure comme La soirée des élections ou les Jeux de l'Acadie, elle déplore toute de même le traitement préférentiel accordé au Nouveau- Brunswick par rapport à la Nouvelle-Écosse et aux autres provinces de l'Atlantique.
À titre d'exemple toujours, la couverture du jeudi 8 novembre 2012 pour la région Acadie, sur le site Web de la SRC, présente quatre manchettes du Nouveau-Brunswick et aucune des autres provinces atlantiques, et ce, alors que la Fédération acadienne se présente la journée même devant le comité de modification aux lois pour la question de l'abolition des circonscriptions électorales acadiennes protégées, qui est une question extrêmement importante et prioritaire pour notre communauté, il va sans dire.
En sommes, la Nouvelle-Écosse, qui se trouve déjà marginalisée du côté de la SRC Montréal, se trouve également marginalisée par Radio-Canada Acadie, sur le Web. Et il en est ainsi pour la radio et pour la télé.
Par ailleurs, la SRC ne produit que deux émissions régionales radiophoniques en provenance de la Nouvelle-Écosse, à savoir l'émission Le réveil/Nouvelle-Écosse, et Au rythme des courants, tandis qu'aucune émission télé n'est produite à partir d'Halifax. Encore une fois, l'Acadie de la Nouvelle-Écosse se trouve nettement désavantagée en comparaison avec Moncton et Montréal. À titre d'exemple, la grille horaire hebdomadaire de la radio de la SRC fait état de 32 émissions produites à partir de Montréal, de quatre émissions produites à partir du Nouveau-Brunswick, tandis que la Nouvelle- Écosse ne dispose que de deux émissions, produites à partir d'Halifax. À noter que trois des quatre émissions produites au Nouveau-Brunswick sont diffusées en Atlantique, et qu'aucune des émissions produites au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse n'est diffusée sur l'ensemble du réseau.
Conclusion, en dépit de la qualité de la production de la Société Radio-Canada, il n'en demeure pas moins que pour la communauté acadienne et francophone que nous représentons, la SRC pourrait mieux s'acquitter de son mandat de refléter la globalité canadienne et de rendre compte de la diversité régionale du pays tout en répondant aux besoins particuliers des régions.
Nous espérons que les audiences du CRTC relatives au renouvellement de la licence de la SRC et que la présente consultation par le Comité sénatorial permanent des langues officielles permettront à la SRC — j'irais jusqu'à dire obligeront la SRC de faire en sorte que les Acadiens et les francophones de notre province s'y reconnaissent davantage, qu'ils soient ainsi en mesure de mieux connaître les francophones des autres provinces et de célébrer notre diversité.
Le sénateur Tardif : Je tiens tout d'abord à remercier les deux organismes porte-parole de leur communauté pour leur excellente présentation. Vous avez présenté de façon claire et concise les enjeux particuliers des communautés francophones.
Il y a un constat commun qui ressort des présentations des témoins qui ont comparu devant notre comité, et de façon générale, je dirais que les organismes reconnaissent le rôle essentiel que joue Radio-Canada dans leur province et dans leur région.
Cependant, il y a une profonde inquiétude et une insatisfaction à l'égard de la capacité de Radio-Canada de refléter la Francophonie canadienne dans toutes les régions et qu'elle est surtout concentrée sur Montréal et surtout sur le Québec.
L'ACFA, plus tôt, a mentionné le rôle de partenaire qu'a joué Radio-Canada Alberta. Comment voyez-vous le rôle de partenaire dans un contexte de compressions budgétaires? Croyez-vous que cela pourrait avoir un effet? Je crois que vous y avez fait allusion, mais comment voyez-vous l'effet des compressions budgétaires dans le rôle de partenaire que peut jouer un radiodiffuseur public? J'aimerais bien aussi entendre l'organisme porte-parole de la Nouvelle-Écosse sur cette question.
Mme Nolette : Nous y avons justement fait allusion dans notre présentation, en indiquant notre profonde inquiétude vis-à-vis la diminution des budgets. Cela aura sûrement un impact sur la présence déjà difficile de Radio-Canada, étant donné la géographie de l'Alberta et le fait qu'on retrouve des francophones dans tous les coins de la province. Les distances sont si grandes que la SRC a de la difficulté à couvrir certains événements importants de la Francophonie albertaine. Nous appréhendons la diminution progressive du FAPL. Il y avait eu justement une porte d'entrée à une présence plus visible dans les différentes régions et pour les événements marqués. Nous craignons, en particulier, avec cette diminution progressive des fonds, qu'il y ait un impact marqué sur la capacité des équipes de la SRC à se déplacer partout en province pour être présents et offrir la lentille sur ce qui se passe dans ces différentes régions, offrir cette visibilité ailleurs en province et ailleurs au Canada.
Mme Rioux : Je serai un peu moins polie que Mme Nolette. J'œuvre au sein des organismes sans but lucratif depuis environ 20 ans, et depuis 20 ans on nous sert cette excuse de coupures à Radio-Canada pour expliquer le fait qu'on soit peu visibles à la télé, à la radio et sur Internet. À mon avis, ce n'est qu'une excuse. Je crois que certains précédents juridiques l'ont démontré, quand on a un budget, on établit les priorités et on détermine où on veut mettre la priorité. Il semble que pour Radio-Canada, les régions acadiennes et, en tout cas, en Nouvelle-Écosse, quand on parle de la Nouvelle-Écosse, on parle généralement de ce qui se passe à Halifax. Vous vous rendez donc compte que si déjà à Halifax on se trouve minoritaire au sein de Radio-Canada en Acadie, et encore plus au sein de Radio-Canada à Montréal, imaginez ce que les régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse, de Clare, Richmond, Chéticamp et Pomquet pensent. À mon avis, ce n'est qu'une excuse.
Deuxièmement, au lieu de déplacer des journalistes en région, on aurait tout avantage à récupérer les professionnels et les personnes qui demeurent au sein de ces régions pour agir comme reporters, pour transmettre le message des régions et la réalité des régions au sein de la SRC. Ce serait plus dynamique et cela permettrait de tenir compte des besoins des régions et ce, à moindre frais, tout en assurant la visibilité de nos régions respectives.
Le sénateur Tardif : Avez-vous subi des compressions? Radio-Canada dans votre région a-t-elle subi des compressions au cours des deux dernières années?
Mme Rioux : Il y a deux ans, à l'heure du dîner, à l'antenne de Radio-Canada était diffusée une tribune. Je commentais l'actualité à cette époque. C'était une tribune téléphonique et une émission radiophonique à partir de Moncton qui était diffusée là tous les jours et qui parlait de l'actualité atlantique. Cette tribune n'existe plus, malheureusement.
On entend aussi que, en raison des coupures de cette année à Radio-Canada, on commence à limiter la couverture journalistique lors d'événements de la communauté acadienne et francophone, pour ne s'en tenir qu'aux actualités du matin. Les journalistes ne seront plus nécessairement en mesure de se déplacer en après-midi puisqu'il s'agit de surtemps et qu'on ne paiera pas le surtemps des journalistes. Comme vous le savez, pour la très grande majorité de nos organismes, les lancements et les conférences de presse se déroulent en fin de semaine, en soirée ou, à tout le moins, en après-midi. À mon avis, ce sont des moyens ou des mesures concrètes que l'on verra dans un avenir très rapproché, je soupçonne même qu'on peut le constater dès maintenant.
Mme Nolette : Chez nous, en Alberta, une des choses qu'il faut absolument souligner, c'est le fait que la présence de nouvelles régionales ou provinciales pour l'Alberta a été confirmée au moins pour cette année et maintenue. On peut avoir accès à des nouvelles à tous les jours, donc sept jours par semaine, ici, en Alberta — ce qui n'était pas le cas. L'an dernier, on n'en avait que cinq jours par semaine. Là où on craint des coupures ou des diminutions, c'est dans les différents projets d'été, la présence aux événements et dans les grands rassemblements. Où on pouvait compter sur la présence de Radio-Canada, d'équipes de la radio, d'équipes de la télévision, on ne peut plus le faire. Certaines émissions spéciales pour des anniversaires particuliers ou des activités très particulières ne reverront plus le jour.
Le sénateur Tardif : Avec des coupures de 200 millions de dollars sur les trois prochaines années, craignez-vous une centralisation et que les régions seront davantage marginalisées?
Mme Nolette : Le fait que le directeur des communications de l'Alberta ait été muté, que ce poste de cadre ait été transféré à Vancouver, par exemple, fait en sorte qu'il y a une présence de moins en Alberta par rapport aux personnes avec qui on peut interagir et avoir le sentiment d'être entendus et compris. En soi, cette régionalisation est une préoccupation au niveau de la gestion de Radio-Canada. De plus, nous sommes portés à croire que la régionalisation de plus en plus croissante des différentes émissions et programmations est ce à quoi on peut s'attendre.
Mme Rioux : J'aimerais renchérir également à ce sujet. Nous craignons les coupures additionnelles. Déjà cette année, le bulletin de nouvelles régionales de Radio-Canada, lors de l'émission du matin, n'est plus à la demie de l'heure. Il est très facile de prendre des habitudes, et on sait à quel point il est important d'avoir des habitudes radiophoniques. On peut compter sur une heure en particulier pour écouter les nouvelles régionales. Or, le bulletin est déplacé à la 38e minute, parfois à la 40e minute et parfois à la 34e minute de l'heure — on ne sait jamais. Ce qu'on sait, c'est que la commentatrice de nouvelles — car il ne s'agit plus de lecteur de nouvelles mais bien de nouvelles parlées — fait les nouvelles parlées également pour l'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et, je crois, pour le Nouveau-Brunswick. Cela fait en sorte qu'il y a un décalage entre la nouvelle parlée à la demie de l'heure à l'Île-du-Prince-Édouard et nous qui suivons. Comme on ne sait jamais quand le bulletin de nouvelles commencera, on risque de manquer des nouvelles importantes.
D'autre part, le nombre de minutes consacrées aux nouvelles régionales a été considérablement amputé depuis deux ans, passant d'environ neuf minutes à près de quatre minutes. Qui plus est, dans ce bulletin, on n'entend pas que des nouvelles de la Nouvelle-Écosse.
On s'inquiète des nouvelles coupures. En fait, on se demande comment ils pourraient faire davantage de compressions, mis à part l'émission au complet, et là je vous assure qu'il y aurait un tollé de la communauté acadienne et francophone ici. Vraiment, on est effectivement très mal desservis.
Ceci étant dit, je tiens à préciser l'excellence du travail des journalistes de Radio-Canada dans la région d'Halifax et en Nouvelle-Écosse en général. Cela dit, j'ai vraiment l'impression qu'on ne leur donne pas les outils nécessaires pour faire leur travail.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup. En tout premier lieu, mesdames Nolette et Rioux, j'ai aimé entendre vos mémoires. Cela me fait toujours quelque chose d'entendre des communautés francophones qui se sentent complètement ou presque rejetées, pas traitées comme les autres; je trouve cela très difficile. Dans sa stratégie de 2015 : Partout, pour tous, CBC/Radio-Canada s'engage à maintenir et à accroître les genres d'émissions régionales au-delà de l'information pour refléter les communautés locales. Je voudrais savoir, mesdames, si vos communautés en situation minoritaire ont été consultées par Radio-Canada concernant votre avenir? Avez-vous eu des consultations avec Radio-Canada? J'ai posé la question aux autres groupes qui sont venus auparavant, et vraiment cela m'a éclairée.
Mme Nolette : C'est un des arguments que nous avons fait valoir devant le CRTC concernant justement ce manque de consultation et ce manque de possibilité de dialogue que la Francophonie en Alberta ressent, c'est-à-dire qu'aucune porte n'est ouverte pour la consultation. Comment Radio-Canada compte-t-elle faire pour répondre à nos besoins sans nous avoir parlé, c'est ce qui nous préoccupe.
Mme Rioux : Je vais confirmer la même chose pour la Nouvelle-Écosse; c'est exactement ce que Mme Nolette a dit. À ma connaissance, il y a eu une consultation de la communauté acadienne à l'époque où M. Sylvain Lachance et M. Alain Saulnier étaient à Radio-Canada, et cela fait déjà à peu près cinq ans de cela. À ma connaissance, il n'y en a pas eu d'autre depuis. On subit les décisions qui viennent de Radio-Canada Montréal et on vit avec les conséquences en étant informés par la bande de celles-ci, ou très en retard. Et à ce moment-là, il est déjà trop tard pour réagir.
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aurais encore deux questions.
La présidente : Oui, mais le sénateur Robichaud aimerait d'abord poser une question complémentaire à la vôtre; je vous reviens ensuite.
Le sénateur Robichaud : Vous avez déploré le manque de consultation et vous venez de nous l'affirmer. Qu'est-ce que les gens de Radio-Canada vous répondent? Parce que vous avez certainement porté à leur attention ce manque de consultation pour les régions francophones du pays? Qu'est-ce qu'on vous répond?
Mme Rioux : Ce qu'on nous répond, c'est qu'on comprend tout à fait nos préoccupations. On comprend tout à fait nos inquiétudes, et il n'y a absolument rien qui change d'une année à l'autre. Alors, un moment donné, c'est un dialogue de sourds et cela vient confirmer qu'on n'est absolument pas écoutés et qu'on ne tient pas compte de nos besoins. Encore une fois, je répète que l'excuse qu'on nous donne est les compressions budgétaires à la SRC. Pour moi, ce n'est pas une excuse valable.
Mme Nolette : Pour notre part, quand il s'agit de discuter de grandes orientations et d'enjeux qui nous préoccupent à titre de communauté, il n'y a aucun lien de communication avec Radio-Canada.
La présidente : Merci. Je cède la parole à la sénatrice Fortin-Duplessis.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.
Je n'ose presque pas poser ma question parce que les gens ont l'air d'avoir été tellement maltraités par Radio- Canada, mais je voudrais savoir si, au moins, vous avez eu un petit exemple de quelque chose de bien que Radio- Canada ait fait.
Mme Nolette : Là où le travail sur le terrain se fait en collaboration, en partenariat et qu'il enrichit notre développement communautaire, là où c'est très difficile, là où on ne se sent vraiment pas entendus ni visibles, c'est lorsqu'on traverse la province et qu'on traite avec des personnes-cadres ou lorsqu'on voit et qu'on entend Radio-Canada du point de vue national. Concernant nos interactions actuelles au niveau de la province et de notre région avec Radio-Canada, il y a plein de beaux exemples de collaboration, de partenariat et d'écoute; mais il y a une diminution de la présence d'administrateurs ou de directeurs au niveau de la régionalisation.
Mme Rioux : Du côté des bonnes nouvelles, Radio-Canada couvre de façon admirable la journée nationale de l'Acadie, la fête nationale de l'Acadie, sauf que cette fête se déroule toujours, à moins que je ne me trompe, au Nouveau-Brunswick. Mais on se reconnaît là-dedans, au moins. Par ailleurs, il y a des événements d'envergure comme les Jeux de l'Acadie qui, cette année, exceptionnellement, se déroulaient en Nouvelle-Écosse. Il y a eu une présence de Radio-Canada; il faut bien comprendre que, de Moncton, la distance n'est pas beaucoup plus grande pour se rendre dans la région d'Argyle — que de se rendre dans la région à Edmundston au Nouveau-Brunswick — si les Jeux d'Acadie avaient eu lieu dans cette région. Alors oui, la couverture a été extraordinaire, donc c'est pour des événements d'envergure à large rayonnement. Mais autrement, pour ce qui est d'autres événements et d'autres activités, malheureusement, vous me voyez dans l'impossibilité de sortir des exemples qui seraient intéressants.
La présidente : Permettez-vous une question complémentaire par la sénatrice Poirier?
Le sénateur Poirier : Merci d'être ici avec nous aujourd'hui. Les services que vous recevez aujourd'hui, sont-ils mieux, les mêmes ou pires qu'il y a cinq ans, 10 ans ou 20 ans?
Mme Rioux : Pour la Nouvelle-Écosse, ils sont pires. On avait une journaliste de Radio-Canada qui couvrait la région du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse qui a pris sa retraite; elle n'a pas été remplacée. On avait un journaliste sportif qui est déménagé à Moncton; il n'a pas été remplacé. On avait une journaliste pour la région du Cap-Breton et j'apprends que son poste sera pourvu, mais chaque fois cela prend un très grand laps de temps.
Il faut comprendre quelque chose; quand on vient d'une situation en milieu minoritaire aussi minoritaire que la Nouvelle-Écosse, les Acadiens ont une certaine méfiance à l'égard des journalistes. Il faut bâtir un lien de confiance entre le journaliste et la communauté acadienne pour voir des Acadiens se confier et partager leurs préoccupations, leurs besoins, leur réalité. Et quand on change autant de personnel, chaque fois, c'est à rebâtir. Chaque fois, non seulement on a le vide de l'absence de cette personne qui n'a pas été remplacée, mais en plus, on a la crainte et le temps que cela prend pour reconstruire la confiance auprès des Acadiens de la Nouvelle-Écosse. C'est donc certainement pire qu'il y a cinq ans.
Je vous ai donné l'exemple tantôt de l'émission du midi qui a été abolie pour être remplacée par une émission du réseau. Je vous ai donné l'exemple des journalistes qui n'ont pas été remplacés et cela continue. Malheureusement, on ne peut pas faire un constat d'amélioration, on ne peut faire qu'un constat de diminution de services.
Mme Nolette : En Alberta, la situation n'est pas aussi claire qu'elle semble l'être pour Mme Rioux. Nous vivons une situation en dent de scie, donc très dépendante des individus sur place et des fonds disponibles. Puisqu'il n'y a aucune réglementation, rien n'oblige Radio-Canada, premièrement, de consulter ni, deuxièmement, d'assurer une certaine présence. La situation dans laquelle on évolue demeure toujours la même au sens où nous sommes dépendants des individus sur les lieux.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je m'adresse à Mme Nolette. Je trouve désolant que vous ne puissiez pas avoir la radio de Radio-Canada à Jasper, car la communauté est très importante. J'imagine qu'à Edmonton ou Calgary il doit y avoir des nouvelles en français pour les communautés. C'est une injustice, et je ne sais pas comment on pourrait faire pour changer cela.
Mme Nolette : C'est une question de capter les ondes de la radio diffusée d'Edmonton vers Jasper. Notre association provinciale a collaboré avec la communauté et l'association locale pour faire avancer la situation et faire part des réponses que j'ai énoncées dans mon allocution à Radio-Canada. En même temps, nous profitons de cette occasion pour souligner le fait qu'à Jasper nous pouvons capter les ondes de CBC Radio 2, mais qu'on ne peut pas capter les ondes de Radio-Canada, malgré le fait qu'on nous avait dit que c'était virtuellement impossible pour Radio-Canada d'être captée à Jasper. On ramène la question à la surface, et pour bâtir une sensibilisation autour de la question et pour poursuivre d'autres avenues en collaboration avec la communauté de Jasper.
Mme Rioux : J'aimerais vous faire remarquer qu'à Truro, en Nouvelle-Écosse, c'était strictement la même situation. Truro est moins grande que Jasper, mais n'empêche qu'elle est située dans une soucoupe géographique et les ondes ne se rendent pas.
Il faut savoir que Truro a encore son école depuis 1997. De 10 élèves, elle est passée à plus de 250 élèves. Cela crée une mobilisation de la communauté francophone, mais c'est toujours impossible de capter la radio de Radio-Canada à Truro.
Le sénateur Tardif : J'aimerais revenir sur la situation de Jasper et maintenant certainement de Truro. Lorsque vous avez mentionné cela, et cela fait plus de 20 ans que la situation existe, lors de votre comparution devant le CRTC, quelle a été leur réaction? Est-ce qu'ils vous ont offert des suggestions sur la façon de remédier à la situation? Quelle a été la réponse?
Mme Nolette : Nous avons profité de l'occasion pour nous présenter devant le CRTC pour souligner la situation. Bien sûr, on nous a questionnés, et les commentaires des conseillers du panel démontraient jusqu'à quel point ils trouvaient déplorable la situation, mais en même temps ils n'ont offert aucune solution. Ils ont pris bonne note de tout ce qu'on apportait. Reste maintenant à savoir à quelle réflexion cela mènera le CRTC.
Le sénateur McIntyre : Tout d'abord, je remercie et félicite les deux organismes pour leur présentation. Le système canadien de radiodiffusion identifie trois composantes distinctes : les secteurs public, privé et communautaire. Nous savons tous que le radiodiffuseur public doit jouer un rôle de premier plan, c'est-à-dire qu'il a la responsabilité principale de promouvoir la langue française partout à travers le Canada. Autrement dit, le radiodiffuseur public devrait s'occuper de la promotion de la langue française tant au Québec que hors Québec.
Cela dit, selon vous, quel rôle devrait jouer le secteur privé et le secteur communautaire?
Mme Rioux : Les deux secteurs doivent être complémentaires au secteur public. On assiste parfois à certains partenariats entre le secteur communautaire et le secteur public. En Nouvelle-Écosse, le secteur privé francophone, on oublie cela, c'est inexistant. C'est clair. Pour le secteur communautaire, on a de nombreuses radios communautaires et j'ose croire qu'elles ont été créées justement parce que les francophones et les Acadiens de Nouvelle-Écosse ne se reconnaissent pas au sein de Radio-Canada. On crée un besoin et on crée des outils lorsqu'on n'en a pas.
En ce qui concerne les partenariats, il y a des partages d'émissions faites en commun. Il y a aussi des antennes qui sont partagées, mais même en Nouvelle-Écosse, le partage de l'équipement, par exemple, et du matériel de Radio- Canada avec les radios communautaires est beaucoup moindre que ce qui se fait dans l'Ouest.
J'aimerais donner la parole à mon vice-président, qui est directeur général d'une radio communautaire dans la région d'Argyle qui va vous expliquera davantage ce qui en est.
Ghislain Boudreau, Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse : Je vous donne un exemple, ma radio communautaire existe depuis 1990. Nous avons toujours eu un partenariat avec Radio-Canada pour le loyer de notre antenne. Nous louons un espace sur l'antenne de Radio-Canada. Nous payons environ 1 000 $ par mois pour cette antenne. C'est un gros montant pour la radio communautaire.
Marie-Claude Rioux voulait dire qu'il n'y a pas d'égalité entre l'Atlantique et l'Ouest. J'essaie depuis quatre ans d'avoir ma radio, d'avoir un lien sur la génératrice, sur le site de Radio-Canada, mais cela m'est toujours refusé. Par contre, je sais qu'une autre radio communautaire dans l'Ouest, et dans l'édifice même de Radio-Canada, est sur la génératrice de Radio-Canada. Cela ne leur coûte pas plus que nous. Ce serait bien d'avoir l'égalité entre toutes les radios communautaires à travers le pays.
Mme Nolette : Pour poursuivre dans la même veine que la réponse précédente, les radios privées francophones en Alberta, on oublie cela nous aussi. Il y a deux radios communautaires en Alberta qui sont nées du besoin des francophones d'entendre leur voix chez eux.
Il y a au moins deux ou trois autres projets de radio communautaire qui sont embryonnaires. Mais si je comprends bien, ce sont des projets qui évoluent en marge de Radio-Canada. Je ne crois pas qu'il y ait des efforts ou des possibilités de collaboration.
Quoi qu'il en soit, je ne peux pas parler en grande connaissance de cause, sauf pour vous dire que j'ai quand même été un des membres fondateurs de la radio communautaire du nord-ouest de l'Alberta, de ma communauté d'origine, et qu'à ce moment-là, on développait vraiment en marge de Radio-Canada.
Je crois que le radiodiffuseur public, Radio-Canada, a un rôle et une responsabilité envers le développement communautaire et envers ces communautés, et il a ce rôle de collaboration en promotion et en développement de la langue et de l'appartenance à la communauté francophone.
Le sénateur McIntyre : J'aurais une autre question. Vous avez tous les deux présenté des mémoires. Dans le cas de l'Alberta, ce fut la présentation d'un mémoire au CRTC dans le cadre du renouvellement des licences du radiodiffuseur, CBC/Radio-Canada, au mois de novembre dernier, alors que pour la Nouvelle-Écosse, il s'agit plutôt d'un mémoire présenté à notre comité.
Cela dit, avez-vous des attentes précises vis-à-vis le CRTC et de notre comité? Et le cas échéant, lesquelles?
Mme Rioux : Pour moi, les attentes sont claires. Je crois qu'il faut forcer Radio-Canada à respecter son mandat qui est de vraiment couvrir l'ensemble de la communauté francophone au Canada.
Vous savez, on peut faire un exercice de comparaison avec CBC. Ce dernier est beaucoup plus présent en région que Radio-Canada ne l'est. Je ne comprends pas pourquoi. Je trouve que cela commence à rassembler à un affront de Radio-Canada. Parce que lorsque cela fait plus de 20 ans qu'on transmet le même message, cela devient à la longue extrêmement frustrant.
Donc si personne ne force la Société Radio-Canada à réellement respecter son mandat, et si personne ne remet le président de la SRC à l'ordre lorsqu'il présente au CRTC des arguments ou un point de vue disant qu'il est impossible d'augmenter de plus de 15 p. 100 le contenu régional dans les nouvelles de Radio-Canada, qui va le faire à ce moment- là? Cela fait 20 ans qu'on le dit, qu'on le répète.
J'ai déjà présenté un mémoire au CRTC alors que j'étais à la Fédération des parents, dans une autre vie, et je peux vous dire que la situation n'a pas changé; en fait, elle s'est détériorée. C'est extrêmement décourageant pour nous.
On vous supplie donc de forcer Radio-Canada à respecter son mandat et de ne pas tenir compte uniquement des cotes d'écoute. Parce que c'est sûr qu'à ce rythme, on n'aura jamais la présence qu'on veut.
Je comprends qu'une radio privée doit respecter les cotes d'écoute ou en tenir compte, mais quand une radio publique ou un service public censé représenter l'ensemble de la communauté nous donne l'excuse des cotes d'écoute pour justifier le manque de présence des régions de la Francophonie canadienne, c'est extrêmement frustrant.
On compte donc sur vous pour passer le message et on espère que le CRTC va imposer à Radio-Canada, puisque c'est l'organisme réglementaire, l'obligation de respecter son mandat.
Le sénateur De Bané : Merci, madame la présidente. J'aimerais tout d'abord dire à madame Nolette, à madame Rioux ainsi qu'aux personnes qui les accompagnent toute mon admiration pour la vitalité des communautés en Alberta et en Nouvelle-Écosse.
J'ai grandi surtout à Trois-Rivières et à Québec, où je n'ai jamais eu l'occasion de parler anglais. J'ai appris l'autre langue officielle quand je suis arrivé à Ottawa mais je n'avais pas l'occasion de le parler. Je lisais l'anglais mais je ne pouvais pas le parler. Et voir votre vitalité et votre détermination, c'est quelque chose de très important.
J'ai été très frappé, comme beaucoup d'autres, par la force de la voix des communautés francophones, des provinces à majorité anglophone au CRTC. J'ai senti que cela a été un impact extrêmement fort et le CRTC en a pris note.
La nomination de M. Cormier au poste de directeur général de l'information à Radio-Canada a été un événement très important. C'est un homme qui est profondément sensible aux réalités de l'extérieur du Québec. Cela ne doit pas nous faire perdre de vue l'immensité du défi qui se présente devant lui. Il est à Montréal, où se trouve la très grande majorité des effectifs de Radio-Canada comme journalistes, comme techniciens, comme recherchistes, comme animateurs, comme artistes. Il n'y a que cela à Radio-Canada à Montréal.
Et à CBC, madame Rioux, il y a le cas contraire. CBC n'a que le tiers de ses journalistes en Ontario — le tiers —, dans une province qui compte 13 millions d'habitants, ce qui est presque la moitié du Canada anglophone. Cela explique pourquoi ils ont des journalistes en Nouvelle-Écosse. Alors que Radio-Canada a environ deux tiers de ses journalistes au Québec. Et sur une échelle per capita, il y a trois fois plus de journalistes par tête de pipe au Québec qu'il y en a en Ontario. Cela vous explique pourquoi il y a beaucoup moins de journalistes qu'il ne devrait y avoir en Nouvelle-Écosse et il n'y en a qu'un seul dans l'immense territoire de Terre-Neuve-et-Labrador.
Cela étant, ce que vous avez dit est extrêmement important. Et la Loi sur la radiodiffusion a donné une seule mission — la même — à la Société Radio-Canada, qui s'appelle en anglais CBC corporation. Ce ne sont pas deux sociétés. Il n'y en a qu'une seule dans la loi, il n'y en a pas deux. Il y a un seul président. Cette société ne fonctionne pas de la même façon. Dans un cas, elle est pancanadienne, et dans l'autre, elle est québécoise. Et vous avez absolument raison.
C'est pourquoi il est expressément dit à l'article 3.(1)m) de la Loi sur la radiodiffusion que cette société doit donner aux communautés en milieu minoritaire une présence régionale, que Radio-Canada fait du mieux qu'elle peut, mais également, une visibilité nationale. Et cela, elle ne le fait pas.
Le 26 mars dernier, nous avons reçu la directrice générale des services régionaux. Elle nous a dit que les communautés en milieu minoritaire ont le droit d'être reflétées sur le réseau pancanadien. Cependant, dans les faits, tel que vous l'avez dit, ce n'est pas vrai, vous ne l'êtes pas.
Vous avez créé une onde de choc. Je voudrais vous dire que je commence à sentir que, finalement, Radio-Canada se réveille. Je voulais vous le dire de tout mon cœur et de toute mon admiration.
Comme disait le sénateur McIntyre, on a besoin de savoir ce que vous attendez de nous parce que nous sommes là pour exiger que la mission définie dans la Loi sur la radiodiffusion soit respectée. Maintenant que nous avons non seulement la Loi sur les langues officielles, mais la loi suprême du pays, soit notre Constitution, où les deux langues sont censées être reflétées à travers ce haut-parleur qu'est Radio-Canada, vous avez absolument raison.
En terminant, je voudrais vous dire que les deux mémoires sont de très grande qualité. Madame Nolette, quand je vois qu'entre 2006 et 2011, selon Statistique Canada, il y a 13 000 personnes de plus en Alberta qui parlent français, cela me fait réellement chaud au cœur. Bravo et merci aux deux organismes.
Le sénateur Robichaud : Personnellement, plus j'entends les témoins qui se présentent devant nous, plus j'ai l'impression que nous sommes entrés dans une spirale dont il sera très difficile de se défaire : les compressions budgétaires entraînent des coupures d'émissions — ce sont les régions qui subissent les premières coupures — qui entrainent une baisse au niveau des cotes d'écoute. Je ne peux penser autrement qu'à un moment donné, les gens vont abandonner Radio-Canada parce qu'elle ne remplira plus sa mission qui est de connecter les communautés francophones du pays.
Je ne crois pas que les radios communautaires pourront remplir ce rôle parce qu'ils n'ont pas les moyens financiers ni les ressources. Où allons-nous avec tout cela? Je me sens vraiment inquiet.
Mme Rioux : J'aimerais d'abord réagir aux propos du sénateur De Bané pour lui dire qu'on aimerait vous enjoindre ainsi que l'ensemble du Comité sénatorial permanent des langues officielles à ne pas vous laisser endormir par les belles paroles de la vice-présidence de Radio-Canada ainsi que de M. Cormier. La réalité est tout autre et, au-delà de la bonne volonté ou des bonnes paroles, il n'en demeure pas moins — et nous, les communautés francophones et acadiennes, on connaît bien la gestion axée sur les résultats — qu'en matière de résultats, Radio-Canada fait très, très piètre figure.
L'autre chose également, lorsqu'on présente nos doléances — et le sénateur Robichaud le saura très bien, Radio- Canada a été l'objet de critiques très acerbes dans L'Acadie Nouvelle et au Nouveau-Brunswick, et lorsqu'on présente nos doléances à Radio-Canada, le président nie tout problème, alors qu'en réalité, ce sont des faits exprimés par la communauté.
Le moins qu'on puisse faire serait d'offrir une écoute attentive et voir ce qui peut se faire pour régler le problème. Ce n'est pas ce qui se produit, malheureusement.
Alors, oui, vous avez raison d'être inquiet, oui, vous avez raison en disant qu'on s'en va vers une spirale sans cesse grandissante parce qu'on est de moins en moins présents.
Comme vous le savez, le taux d'assimilation au Canada continue quand même d'exister. On a des gens qui perdent leur langue, il y a de plus en plus de familles exogames également, alors si Radio-Canada n'est pas présent pour nous représenter et nous permettre de nous connaître entre nous... Vous savez, je donne toujours l'exemple que nous, on sait, par exemple, qu'il y a eu trois meurtres qui se sont produits au Québec hier — trois enfants, et c'est extrêmement malheureux —, mais jamais je croirai qu'il n'y a pas eu de meurtre à Halifax non plus. C'est vraiment disproportionné, parce que nous sommes parfaitement capables d'avoir une discussion avec les Québécois sur une question d'actualité, mais l'inverse n'est pas vrai.
Vous avez raison de dire que vous avez des préoccupations et le but de notre mémoire est de partager ces préoccupations.
Mme Nolette : La fameuse augmentation de la Francophonie albertaine depuis le dernier recensement, en fin de compte, ce sont des gens qui viennent de partout au Canada et d'ailleurs dans le monde francophone. Les francophones en Alberta ont besoin d'entendre les voix et de voir des visages de chez eux lorsqu'ils sont chez nous. C'est aussi un rôle que Radio-Canada peut assumer, en prenant la responsabilité de refléter les francophones de partout au Canada.
En plus, je pense que toute cette question de chien qui court après sa queue — parce que c'est un peu cela aussi —, j'aimerais réitérer le besoin pour la Société Radio-Canada de se donner une réglementation ferme qui parle de responsabilités en termes de résultats, de responsabilités pour refléter la Francophonie canadienne et aussi de réglementation par rapport à la consultation réelle, à un véritable dialogue.
Le sénateur De Bané : Je voudrais simplement dire un mot à madame Rioux. Vous avez dit que la mission de Radio- Canada n'est pas de courir après des cotes d'écoute. À ce sujet, j'aimerais vous dire que vous êtes en bonne compagnie, parce qu'en 1977, le président du CRTC, en réponse au premier ministre du Canada, a dit au début de son rapport — un rapport spécial que le premier ministre lui avait demandé — il a dit que la mission de Radio-Canada n'est pas relative aux cotes d'écoute, que la mission du radiodiffuseur public national, c'est la qualité des émissions et de s'acquitter des missions que la loi lui donne.
C'est dans le rapport spécial de M. Boyle, président du CRTC, au premier ministre du Canada qui lui avait demandé ce rapport. C'est mentionné dans la première page du rapport que « la mission du radiodiffuseur national, ce n'est pas de courir après les cotes d'écoute ». C'est ce que d'ailleurs Céline Galipeau avait dit à Moncton pour justifier la raison pour laquelle ils ne couvrent pas l'extérieur du Québec. Elle a invoqué la raison qu'il y a de la concurrence à Montréal de la part de TVA et qu'ils sont bien obligés de se concentrer sur le Québec
La présidente : Merci, sénateur De Bané, je tiens à remercier les témoins que nous avons accueillis aujourd'hui, c'est- à-dire les représentants des organismes de l'Alberta et de la Nouvelle-Écosse.
Au nom des membres du Comité des langues officielles, je tiens à remercier du fond de cœur les témoins que nous avons accueillis aujourd'hui, c'est-à-dire les représentants d'organismes de l'Alberta et de la Nouvelle-Écosse. Je vous remercie pour vos excellentes présentations ainsi que pour vos réponses directes et précises aux questions des sénateurs.
Honorables sénateurs, avant de quitter, j'aimerais vous rappeler que le comité tiendra une réunion hors créneau ce mercredi à compter de 15 h 30 pour entendre le ministre du Patrimoine canadien des langues officielles.
Je vous remercie encore chers témoins et, honorables sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)