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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 18 - Témoignages du 22 avril 2013


OTTAWA, le lundi 22 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis la sénatrice Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité.

Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Sénatrice Suzanne Fortin-Duplessis, Québec.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, Québec, en remplacement de la sénatrice Andrée Champagne.

Le sénateur Mockler : Sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Dawson : Sénateur Dennis Dawson, de la ville de Québec, en remplacement du sénateur Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Tardif : Sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.

La présidente : Le comité poursuit son étude des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

Le comité a entendu jusqu'à maintenant plus d'une trentaine de témoins dans le cadre de cette étude. Cela comprend les représentants de CBC/Radio-Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le commissaire aux langues officielles, le ministre du Patrimoine canadien et des langues officielles, des chercheurs ainsi que des organismes francophones et anglophones.

Plusieurs des témoins ont rappelé que la jeunesse qui représente l'avenir doit être au cœur des stratégies de CBC/ Radio-Canada. Le comité a donc pris l'initiative d'inviter des représentants du secteur de la jeunesse à venir témoigner devant lui pour connaître la perception des jeunes Canadiens au sujet des obligations linguistiques de CBC/Radio- Canada.

C'est avec grand plaisir que nous accueillons aujourd'hui un troisième groupe de jeunes. Je souhaite la bienvenue à trois jeunes francophones de la province du Québec, Marc-André Provost, Pier-Luc Laurin et Michaël Séguin. Au nom des membres du comité, je remercie les témoins de prendre le temps de nous présenter leur point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions.

Le comité a demandé aux témoins de faire une présentation de sept minutes chacun, et les sénateurs suivront avec des questions. J'invite M. Provost à prendre la parole et les deux autres témoins suivront.

Marc-André Provost, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je voudrais tout d'abord remercier les sénateurs de nous accueillir aujourd'hui. C'est quand même plaisant de voir que vous êtes à l'écoute de la jeunesse canadienne et cela nous fait plaisir d'être ici en tant que porte-parole des jeunes Québécois.

La Société Radio-Canada a été déterminante dans le développement des francophones du Canada. Elle fut le seul média de masse francophone en Amérique du Nord pendant de nombreuses années, ce qui lui assurait des cotes d'écoute extraordinaires et une présence incroyable dans chaque foyer canadien.

Radio-Canada fut au cœur de la production d'émissions télévisées québécoises et franco-canadiennes. Sa présence dans la vie de bien des Canadiens est reliée à de grands moments de l'histoire car elle permettait à tous de vivre ces moments confortablement assis dans le salon, en français.

Pour ce qui est de la radio de Radio-Canada, je suis un fidèle auditeur. Habitant la région de l'Outaouais, c'est donc la station d'Ottawa que j'écoute. Je préfère Radio-Canada aux autres stations car elle offre des émissions d'actualités locales et nationales de façon professionnelle.

Mais la force de la station reste les émissions d'actualités régionales. Même si ce qui intéresse davantage les jeunes ce sont les informations sur ce qui se passe chez eux, dans leur ville, il serait faux de dire que l'actualité internationale ne les intéresse pas. Il faut donc trouver le juste équilibre entre les deux.

Chaque chaîne régionale permet aux francophones d'avoir, dans leur langue première, les informations sur leur communauté et veille à la survie de cette communauté. Les services en français sont indispensables. Dans les cas d'urgence ou pour faciliter la communication avec les citoyens francophones, il est important d'avoir la chaîne francophone de Radio-Canada.

En ce qui concerne la télévision, les dernières années de Radio-Canada ont été difficiles et CBC/Radio-Canada a dû faire face à beaucoup de concurrence d'une multitude de chaînes américaines, spécialement pour ce qui est de CBC. Selon moi, la plus grande perte de la station francophone de la télévision de Radio-Canada reste La Soirée du hockey. Cette émission était une tradition pour les fans du Canadien de Montréal et d'autres équipes du Canada. Elle avait des cotes d'écoute incroyables, depuis des dizaines d'années, et permettait à tous, gratuitement, d'avoir accès à un match du sport national sur la chaîne nationale.

Depuis ce temps, la couverture des sports par la station est difficile. Aucun match de l'Impact, des Canadiens ou des Alouettes n'est disponible via la télévision d'État, alors que du côté de la CBC, le Hockey Night in Canada existe toujours et offre aux anglophones l'accès à plusieurs matchs de la LNH.

La station francophone a également perdu de belles soirées de cote d'écoute au profit de sa concurrente, spécialement TVA, même si des grands succès comme Tout le monde en parle permettent de faire concurrence à ces cotes d'écoute.

Ce qui doit permettre à Radio-Canada de se démarquer, ce qui a fait son nom, c'est entre autres la production de séries de télévision locales, avec des acteurs locaux, ainsi que de miser sur la qualité.

Pour ce qui est de la présence de CBC/Radio-Canada sur Internet, parmi la multitude de services offerts, la création de TOU.TV a permis aux consommateurs d'avoir accès à l'ensemble des émissions au moment où ils le désirent et sur l'écran qu'ils choisissent. L'heure de diffusion, qui est souvent un handicap à l'augmentation des cotes d'écoute pour bien des émissions, n'est plus un problème. Cependant, depuis qu'elle produit du contenu web, CBC/Radio-Canada doit affronter la concurrence des stations à l'échelle de la planète. C'est donc la production locale et la diffusion sur le Web de produits culturels canadiens qui permettront à CBC/Radio-Canada de faire la promotion de la culture canadienne à l'international. TOU.TV devient donc une fenêtre internationale sur la culture canadienne.

En ce qui a trait à Espace musique, je dois avouer que je ne suis pas un grand consommateur. Espace musique est en concurrence avec des géants internationaux permettant aux gens d'entendre la chanson qu'ils veulent au moment et à l'endroit qu'ils veulent. C'est un marché agressif. Pour faire face à ses compétiteurs, CBC/Radio-Canada aurait avantage à se tourner vers la diffusion de ce qui se fait dans les communautés canadiennes.

CBC/Radio-Canada devrait se préoccuper davantage du créneau de la jeunesse canadienne, spécialement sur les plates-formes télévision et Internet. Lorsque j'étais jeune — même si je le suis encore —, Radio-Canada proposait un ensemble d'émissions jeunesse stimulantes qui s'adressaient directement aux jeunes de ma génération, car elles étaient produites par des gens qui vivaient la réalité canadienne. C'est cette recette qui forge l'identité d'un peuple. C'est en démontrant ce que les siens sont capables de faire, entendre la musique de nos artistes, les exploits de nos sportifs, les découvertes de nos chercheurs, les décisions de nos politiciens et la réalité de nos citoyens qu'un attachement et un sentiment d'appartenance se créent.

Radio-Canada et CBC doivent conserver leur indépendance quant au pouvoir politique et garder la rigueur dont ils ont fait preuve depuis toujours, tout en faisant la promotion des productions de chez nous. Je vous remercie.

Pier-Luc Laurin, à titre personnel : Bonjour, messieurs et mesdames les sénateurs. C'est avec plaisir que je participe à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles afin de présenter mon point de vue concernant Radio-Canada.

Mon nom est Pier-Luc Laurin, je suis étudiant en études québécoises et politiques à l'Université de Montréal. C'est avec fierté que je représente la jeunesse canadienne et plus particulièrement celle de ma région, Lanaudière.

Pour brosser un portrait rapide de mon coin de pays, Lanaudière est une région à forte majorité francophone. Par contre, une communauté anglophone et une réalité de plus en plus évidente de dualité linguistique au sud de la région, près de Montréal, viennent compléter le portrait linguistique de cette région.

Une des questions auxquelles on nous a demandé de réfléchir est de savoir quelle place occupe Radio-Canada dans notre vie. Pour ma part, je dirais qu'elle est bien présente. Parmi les multiples plates-formes offertes, j'utilise l'application mobile ou l'outil web quotidiennement afin de suivre les bulletins d'information et plus précisément l'actualité internationale. Je suis aussi la page Facebook de Radio-Canada qui est, encore une fois, un excellent outil de résumé d'information.

Je consulte la plate-forme TOU.TV assez régulièrement afin d'écouter différentes émissions de divertissement. Contrairement aux autres, j'écoute peu la télévision de Radio-Canada et aucunement la radio. J'utilise principalement Radio-Canada pour la quête d'informations au quotidien et pour certaines émissions comme Infoman et Et Dieu créa... Laflaque qui sont des divertissements mais qui sont aussi des émissions très instructives. Je consulte également le site web de Radio-Canada pour les archives, particulièrement pour les informations scolaires.

Les sénateurs voulaient également savoir si nous croyons que Radio-Canada a un rôle particulier à jouer envers la jeunesse canadienne. À cette question, je répondrai : absolument. Tout d'abord, Radio-Canada est, selon moi, un outil important de divertissement, d'information et d'archives mais elle est d'abord et avant tout un outil d'éducation citoyenne.

Sa grande accessibilité financière, intellectuelle, physique et temporelle permet à tous les jeunes d'avoir accès aux différentes plates-formes.

Ensuite, en utilisant un argument plus régionaliste, le développement des régions passe par la participation citoyenne. L'importance de l'information locale et régionale et l'importance de la décentralisation de l'information vers les régions permettraient une plus grande ouverture pour les jeunes et une meilleure possibilité d'apprentissage.

Radio-Canada joue et doit jouer un rôle pour appuyer les citoyens jeunes à apprendre son pouvoir de citoyen. L'accès à l'information et les connaissances qu'elle apporte sont la porte d'entrée du sentiment de compétence et d'esprit critique. Il ne faut pas absolument connaître pour bien comprendre qui nous sommes au plan local. Mais il faut absolument connaître et bien comprendre qui nous sommes sur les plans local et régional sur notre culture, notre langue, nos origines, nos marchés économiques, nos droits et nos valeurs pour ensuite orienter notre avenir et prendre part aux décisions et au développement de notre milieu de vie.

Afin de pouvoir prendre part aux décisions et être les acteurs principaux de leur destinée, les jeunes ont besoin de connaître leur passé, leurs racines, mais aussi leur présent et celui du monde dans lequel ils évoluent. Radio-Canada contribue déjà à cela, par exemple, la Boussole électorale des élections de mai 2011 a été un outil très bénéfique. Des outils tels que celui-là sont bénéfiques et aident à développer un intérêt pour la chose publique. Le divertissement aussi joue un grand et puissant rôle. Le contenu influence plus qu'on ne le croit en termes d'éducation sur les mentalités.

Les réflexions qu'apportent différentes émissions telles 19-2 permettent de comprendre certaines réalités qui aident à porter un jugement différent et éclairé sur des enjeux de notre société.

Par ailleurs, le lien entre le local et l'international est très important. Radio-Canada est un des rares médias au Québec qui offre une couverture internationale aussi large et d'une aussi grande qualité. Dans la réalité actuelle de la mondialisation et le fait que les jeunes s'intéressent de plus en plus à l'international, cette couverture internationale est primordiale. Les jeunes voyagent énormément et les nouveaux médias nivellent les différences et permettent le développement de communautés centrées sur les intérêts communs plutôt que sur le simple concept de l'espace.

Il faut non seulement connaître d'où l'on vient, mais le monde dans lequel on évolue et le faire dans le respect des principes et des valeurs. Cela passe par l'instruction, par les connaissances.

Des jeunes avec des idées et des opinions peuvent discuter tout en se respectant. Ce sont des jeunes informés, confiants en leurs compétences, enracinés localement, mais aussi tournés vers le monde et intéressés par les autres. En somme, découvrir pour comprendre et comprendre pour aimer.

De plus, il faut faire attention à la centralisation qui est bien présente et qui délaisse les régions. Par exemple, Lanaudière est frappée par une montréalisation très importante. Autant par les journaux quotidiens que par les médias télévisuels ou radiophoniques, Montréal est le centre d'intérêt, et les enjeux régionaux sont souvent oubliés.

Finalement, l'importance de la dualité linguistique et culturelle aux yeux de la jeunesse du Québec est unique au monde et toujours préoccupante. Comment Radio-Canada peut-elle contribuer à l'ouverture des cultures et à la transmission de celle-ci? C'est une question très importante et à laquelle il faut réfléchir.

L'ouverture entre le Canada anglais et le Canada français est sans contredit une question primordiale, car à ma connaissance, CBC pour les jeunes Québécois n'existe pas, et la culture canadienne anglaise est très peu accessible dans nos médias francophones. Voilà ma perception du rôle que devrait jouer Radio-Canada. Je vous remercie.

Michaël Séguin, à titre personnel : Bonjour. Merci beaucoup de m'accueillir à votre comité. Cela fait un peu spécial de venir au Sénat. C'est intéressant de pouvoir vous rencontrer pour discuter avec vous, et de voir ce qui se passe à l'intérieur de cette vénérable institution, afin de partager mon point de vue en tant que simple citoyen. Cela m'a beaucoup surpris. Je trouve cela inusité et intéressant.

Je suis candidat au doctorat en sociologie à l'Université de Montréal et chargé de cours, mais ce n'est pas à titre de sociologue que j'interviens ce soir, car je n'ai pas fait de recherche en sociologie des médias, alors je n'en ai pas la compétence. Je suis ici plutôt à titre de citoyen, de jeune, qui veut partager l'usage que je fais des médias et plus particulièrement de Radio-Canada avec vous.

Fidèle à ce que m'a donné la greffière, je vais partager ma relation générale que j'ai avec Radio-Canada, ensuite je vous parlerai de l'usage que j'en fais et, finalement, du rôle qu'elle doit jouer dans notre société.

Pour ce qui est de ma relation à Radio-Canada, c'est vraiment un compagnon du quotidien. Cela fait partie de mon mode de vie, que je sois à la maison, en voiture, le matin j'ouvre la radio et j'écoute Radio-Canada, les nouvelles. C'est ma source d'information première si je veux savoir ce qui se passe au Québec, au Canada et dans le monde. Si un événement important se produit, que ce soit un attentat à Boston ou de la police qui descend sur le campus de l'Université de Montréal, comme c'est arrivé lors de la grève étudiante l'an passé, je me tourne vers Radio-Canada, soit à la radio ou sur Internet, pour voir ce qui se passe.

J'aime particulièrement ouvrir Radio-Canada à l'improviste pour voir qu'est-ce qui joue, de quoi on parle puis tomber sur des surprises, que ce soit une émission de cuisine, de sport ou autres. Cela amène une ouverture culturelle intéressante et enrichissante. Pour terminer sur ma relation à Radio-Canada, je dirais que c'est, au fond, mon principal lien avec le Canada. Ce qui fait que je me sens Canadien ou que je puisse être au courant de ce qui se passe ailleurs au Canada, cela passe beaucoup par ce médium d'information. Donc, l'usage que j'en fais, comme je vous disais, c'est principalement pour me tenir au courant de l'actualité et être au fait des différentes analyses sur les enjeux sociopolitiques de l'heure.

J'écoute particulièrement la radio, parfois la télévision, des trucs comme C'est bien meilleur le matin, Désautels, Médium Large ou la fin de semaine, l'émission humoristique À la semaine prochaine. J'apprécie beaucoup la plate- forme TOU.TV. Je m'y réfère de temps en temps. Je n'écoute pas beaucoup la télé, mais souvent des collègues vont me demander si j'ai vu une émission et ils me diront que c'est intéressant ce qui s'est passé la semaine dernière. Alors je peux retourner, télécharger et voir en direct.

Une des choses que j'apprécie particulièrement de Radio-Canada et qui fait une grande différence par rapport à d'autres radiodiffuseurs disponibles dans la région du Montréal métropolitain, c'est que c'est un réseau qui me donne une information généralement crédible avec un minimum de jugement de valeur et qui dépasse les faits divers comme les accidents d'auto, les incendies ou les vols commis à gauche et droite. Je ne dis pas que ce n'est pas important de savoir ce qui se passe dans sa localité, mais je trouve que Radio-Canada permet d'aller au-delà du fait divers dans sa couverture. Autre chose que j'apprécie, c'est que la crédibilité de l'information de Radio-Canada fait que je peux m'y fier autant au plan tant personnel que professionnel.

Par exemple, cette présente session, je donne un cours d'introduction à la sociologie. À différentes reprises, j'ai inclus des reportages de Radio-Canada dans mon cours pour faire des études de cas. Cela permettait aux étudiants de se référer à l'actualité, à des choses concrètes qui se déroulent, pour pouvoir y appliquer des théories sociologiques.

Finalement, pour ce qui est du rôle de CBC/Radio-Canada vis-à-vis la jeunesse, que ce soit la radio, Internet ou la télé, je vois trois rôles majeurs que Radio-Canada est appelée à remplir. Le premier concerne l'importance de susciter la conscience nationale; le deuxième est de veiller à une participation citoyenne active; et le dernier, de sensibiliser à la situation des différentes minorités autant ethniques que linguistiques de notre pays.

Pour ce qui est du premier rôle, comme l'indique la Loi sur la radiodiffusion, CBC/Radio-Canada a un rôle fondamental à jouer dans la création et le partage d'une identité nationale canadienne. Je viens de Rigaud, dans la région de Vaudreuil-Soulanges, qui est située à l'ouest de Montréal. C'est plus particulièrement dans des milieux plus homogènes au point de vue ethnolinguistique, comme dans ma région, que Radio-Canada a un rôle extrêmement important à jouer pour nous éveiller à ce qui se passe à l'extérieur de Montréal, du Québec ou d'ailleurs au Canada.

Comme l'ont dit mes collègues, et comme vous l'avez entendu plusieurs fois, Radio-Canada est très montréalo- centrique, du moins dans sa version francophone. C'est clair qu'il y a quelque chose d'extrêmement important à faire pour qu'on n'entende pas parler simplement d'élections provinciales dans les autres provinces ou de pipelines qu'on bâtit à gauche et à droite. Il y a quelque chose à développer davantage.

Le second rôle important de Radio-Canada est de soutenir les citoyens face à leurs devoirs politiques. La démocratie ne consiste pas seulement qu'à voter aux quatre ou cinq ans. Elle exige une vigilance active de la part des citoyens face à leurs élus. Les médias, et Radio-Canada particulièrement, jouent ce rôle primordial, qui est à la fois d'assurer l'imputabilité des politiciens et d'alimenter la vigilance des citoyens. C'est quelque chose qu'ils font assez bien dans la couverture des débats parlementaires et des différents scandales qui éclatent au quotidien.

Ce qu'ils font un peu moins et qui serait beaucoup plus à développer, c'est l'importance d'aider les citoyens à dépasser l'apathie politique, à dépasser le sentiment que la politique est tellement loin qu'ils ne peuvent rien par rapport à cela. Il me semble que Radio-Canada a un rôle très important à jouer pour susciter une mobilisation du côté des citoyens et pour nous aider à vaincre l'image que le Parlement est un espèce de donjon fortifié où seule une petite élite peut y accéder. Au contraire, les citoyens ont un rôle, que ce soit un rôle en allant voter, en prenant la rue, en écrivant des pétitions.

Comme mon collègue, je suis d'accord avec le fait que cela a été extrêmement intéressant de doter les citoyens de la boussole électorale qui était un outil concret pour les aider dans leur choix électoral.

De la même façon, l'usage de plus en plus répandu des médias sociaux a un rôle très important parce que cela permet de vaincre la relation du point de vue de l'approche descendante concernant la diffusion d'informations et développe davantage une approche ascendante selon laquelle les gens peuvent interagir avec le diffuseur et donner leur opinion.

Un dernier rôle très important de Radio-Canada est d'éveiller les citoyens à la réalité des groupes minoritaires. Par « minoritaires », j'entends autant les communautés francophones hors Québec que les communautés anglophones du Québec, la situation des nations autochtones ou celle des immigrants aux quatre coins du pays. À mon sens, Radio- Canada peut contribuer à faire du Canada un pays où une multitude de cultures ont leur place, justement en rendant ces multiples cultures moins étrangères et moins menaçantes pour le citoyen moyen qui vit dans un milieu plutôt homogène.

Évidemment, ce n'est pas seulement à Radio-Canada de lutter contre le racisme dans notre pays, mais il me semble que Radio-Canada a un rôle important à jouer puisque, que ce soit par le biais de la télévision, de la radio ou même par Internet, Radio-Canada contribue à définir ce qui est normal et acceptable dans notre pays. Si les commentateurs et les chroniqueurs sont, la plupart du temps, des Blancs, cela amène à concevoir la normalité comme étant blanche. Si la couverture médiatique des Autochtones est toujours faite en termes misérabilistes, cela amène à développer une image misérabiliste des Autochtones. En ce sens, Radio-Canada a un rôle très important à jouer dans le vivre ensemble pluriel qui est le nôtre comme pays bilingue et multiculturel.

En conclusion, Radio-Canada a un rôle fondamental personnellement dans ma vie comme citoyen canadien et me semble être un organe fondamental pour veiller au développement de la conscience nationale des citoyens, pour les amener à être actifs dans le débat politique et, finalement, pour les amener à prendre davantage conscience de la différence ethno-linguistique qui existe dans notre pays.

La présidente : Merci beaucoup, messieurs. Je donne d'abord la parole au sénateur Fortin-Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. C'était très intéressant de vous entendre. Plusieurs intervenants que nous avons entendus dans le cadre des travaux de ce comité considèrent que Radio-Canada, en tant que radiodiffuseur national, a la capacité de rapprocher les communautés minoritaires de toutes les provinces du Canada, mais ne le fait pas toujours comme il le devrait et qu'il a aussi la capacité d'aider à la création d'un plus grand sentiment d'appartenance à la francophonie canadienne.

Monsieur Séguin, vous avez beaucoup donné votre point de vue et vous pouvez encore le partager; vous avez tous les trois mentionné que les nouvelles internationales étaient très importantes pour vous, mais êtes-vous intéressés par les nouvelles des événements qui se passent dans les autres provinces du Canada?

M. Provost : C'est sûr que l'actualité nationale canadienne concerne des enjeux intéressants pour les jeunes; nous aimons savoir ce qui se passe dans notre pays. Quand on parle d'actualité internationale, notre jeunesse est reconnue comme étant ouverte vers le monde. On veut savoir non seulement ce qui se passe sur le continent ici, mais pour l'ensemble de la planète. Donc, cela vaut autant pour les nouvelles locales, que ce soit les nouvelles du Nouveau-Brunswick ou de l'Alberta elles sont importantes à nos yeux. Si l'information est plus de mise et que c'est une information internationale, je ne vois pas pourquoi on devrait couper des informations internationales pour remplir un contenu d'information canadienne. C'est ma façon de voir les choses.

M. Laurin : Je vois cela comme une question d'habitude. En fait, nous ne sommes pas habitués, je pense, aux nouvelles nationales canadiennes de ce qui se passe ailleurs et pour les minorités francophones. Nous sommes plus habitués aux nouvelles de notre province et aux nouvelles internationales. Je pense que c'est dû à ce manque, le fait qu'on s'y intéresse moins et qu'on se pose moins la question à savoir ce qui se passe ailleurs. Voilà.

M. Séguin : À mon sens, c'est une lacune à combler. Le réseau existe déjà. Il faut faire avec les deux langues, mais les nouvelles sont couvertes d'un bout à l'autre du pays; donc, comment en arriver à faciliter l'échange d'informations? Je ne connais pas du tout Radio-Canada en termes organisationnels, mais comment pourrait-on en arriver à faciliter l'échange d'informations pour arrêter de considérer les différentes problématiques qui sont vécues en vase clos? Par exemple, des problèmes avec les urgences, probablement qu'il y en a à la grandeur du pays; il doit y avoir des provinces où c'est plus efficace que d'autres.

Je serais intéressé à entendre parler davantage de ce qui se passe ailleurs au Canada. Dans les faits, concernant les bulletins de nouvelles que j'écoute le plus, cela ne se fait pas. D'une certaine façon, je suis d'accord avec le fait que c'est quelque chose qui n'existe pas à l'heure actuelle. D'un côté, il est vrai qu'au Québec les médias tendent à être centrés sur le Québec, mais d'un autre côté, ce qu'on nous propose comme programmation ne nous amènent pas beaucoup à nous ouvrir sur le reste. Il y a donc un cercle vicieux à rompre.

Mais qu'est-ce que vous en pensez, vous? Est-ce que j'ai le droit de renverser la vapeur et le demander?

La présidente : Habituellement, les sénateurs posent les questions.

M. Séguin : Excusez-moi.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui, je peux quand même lui répondre, madame la présidente, parce que moi aussi je pense comme les témoins que nous avons accueillis précédemment, à savoir qu'ils trouvaient tellement qu'ils n'étaient pas informés sur ce qui se passait ailleurs. Quand Mme Alison Redford a eu des problèmes à vendre son pétrole, elle a essayé de le vendre aux États-Unis, de le sortir par le Nord, et cela ne marchait pas. C'est quelque chose de super important parce que l'Alberta a été toujours la vache à lait pour le Canada, et là ils ne pouvaient pas réussir à vendre leur pétrole; qu'est-ce qui se passe? De cela, on n'en entend pas parler, mais c'est drôlement important. On ne nous parle pas assez de ce qui se passe dans les autres provinces, mais c'est important. À Montréal, vous le savez quand vous écoutez Radio-Canada et vous en avez tantôt parlé, on a surtout des nouvelles de Montréal.

J'aimerais que vous me brossiez un portrait des médias que vous consultez. Ma dernière question sera de savoir si vous avez des exemples de partenariats entre CBC/Radio-Canada et les organismes jeunesse que vous connaissez?

M. Provost : Personnellement, je n'ai pas connaissance de partenariats CBC/Radio-Canada avec des organismes jeunesse, Quant à l'information d'ici et celle des autres provinces que nous recevons, c'est sûr qu'on se sent un peu moins touchés parce que ce sont des enjeux qui sont aussi plus provinciaux que fédéraux. On a deux ministères de l'Environnement, par exemple, alors on entend donc souvent parler de ce qui est très local, du ministère provincial. Concernant les enjeux à l'extérieur du Québec, on y a difficilement accès parce que nos enjeux locaux occupent une grosse place dans les médias.

M. Laurin : J'utilise Radio-Canada surtout avec les médias sociaux, mais j'utilise aussi le web mobile. Cela, c'est seulement pour l'information. Lorsque je veux m'informer, c'est Radio-Canada. Je l'utilise quand même assez régulièrement, mais pas via la radio ou la télévision. La télévision, c'est plus pour les séries.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Dans vos loisirs, ce sont les séries que vous écoutez?

M. Laurin : C'est cela. Pour le divertissement, j'utilise la télévision; pour le reste, c'est pour l'information que Radio- Canada est très utile, notamment au niveau international. Aussi, je n'ai pas connaissance de liens entre des organismes jeunesse et CBC/Radio-Canada, mais c'est une bonne suggestion.

Le sénateur Dawson : Comme je l'ai dit au début, je ne suis pas un membre permanent du comité. Je préside toutefois un autre comité du Sénat : le Comité sénatorial permanent des transports et des communications qui étudiera, au cours des prochaines semaines, un autre volet touchant Radio-Canada et dont vous n'avez pas parlé, à savoir Radio Canada International.

Radio Canada International a une vocation très différente de ce dont vous parlez, qui est de diffuser le Canada à l'étranger et de donner à certains pays une source d'information neutre mais d'un point de vue canadien. Malheureusement, une des raisons pour lesquelles ce sera étudié, c'est que des coupes budgétaires sont prévues à Radio Canada International, et donc un volet de ce que Radio-Canada faisait, à savoir véhiculer l'image du Canada à l'étranger, semble être amoindri. Je vous invite à venir suivre les débats du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

D'ailleurs, j'inviterai Radio-Canada à le faire aussi, car, honnêtement, si vous regardez la couverture que Radio- Canada a donné du Sénat canadien au cours des dernières années, à part des mauvaises nouvelles, lorsqu'il y a un problème au Sénat, il est rare qu'ils couvrent le lancement d'un rapport. Nous avons rendu public la semaine dernière notre rapport sur une étude que nous avons menée sur l'industrie du transport aérien au Canada, qui est une étude importante. Je n'ai vu personne de Radio-Canada couvrir ce sujet, parce que c'est un rapport du Sénat et cela ne les intéresse pas. Je ne dis pas cela juste pour critiquer en tant que sénateur, mais il y a beaucoup de problèmes à Radio- Canada et nous aurons l'occasion d'en examiner un volet avec Radio Canada International.

Vous avez parlé de la « montréalo-centricité » de Radio-Canada. Mon collègue le sénateur De Bané pourrait nous en dire plus — et je ne sais pas si l'expression vient de son rapport — mais on peut même parler de « Radio-Plateau ». Ce n'est pas seulement Montréal, c'est une partie de Montréal. Ce n'est pas le Montréal du West Island, ni le Montréal de l'est, ni Rigaud — malheureusement pour vous —, c'est vraiment Montréal tel que vu par une classe intellectuelle un peu « plateau-centrique ».

En tout cas, je vous invite à suivre notre étude de Radio Canada International.

Concernant les jeunes, j'aime les commentaires sur la collaboration, car il y a eu une époque où les émissions jeunesse de Radio-Canada étaient au centre de leur activité visant la formation des jeunes Québécois et Canadiens français. On sent qu'il y a peut-être une faiblesse à ce niveau. Je ne sais pas si vous avez des commentaires à faire sur les émissions récentes. Peut-être aussi que la compétition que représente Internet rend la vie de Radio-Canada plus difficile pour ce qui est de s'adresser aux jeunes.

Est-ce que vous avez des recommandations? Parmi les recommandations que ce comité devra faire, pensez-vous qu'on devrait suggérer de voir si on peut créer une table de concertation entre CBC, Radio-Canada et les organismes jeunesse du Canada pour voir si Radio-Canada est en train de manquer une clientèle qui, comme toi, Pier-Luc, ne les voit qu'au travers de son iPad ou de son ordinateur? Est-ce que, peut-être, Radio-Canada devrait développer une collaboration avec vous pour le faire?

Nous avons eu plusieurs témoins, ces dernières semaines, qui pourraient se retrouver autour de la même table. Avez- vous des commentaires là-dessus?

M. Laurin : Ce qui me vient en tête, et j'en ai parlé tantôt avec mes collègues, par rapport au Web, c'est que les organismes jeunesse et Radio-Canada pourraient discuter ensemble de l'ouverture à l'autre, dont nous avons souvent parlé. Pour le reste du Canada, pour l'information, c'est un TOU.TV anglophone. Je ne sais pas si ça existe déjà, mais je trouverais que ce serait une suggestion intéressante pour avoir accès à des séries qui viennent du Canada anglophone. Sinon, oui, il faut qu'il y ait un partenariat avec la jeunesse. Il faut qu'on s'intéresse à ce dont la jeunesse a besoin. Je pense que Radio-Canada a toujours montré son côté éducatif et je trouve très important de le conserver, comparativement aux autres mesures.

Le sénateur Dawson : En terminant, et encore une fois je ne sais pas si je me réfère à ce que j'ai pu voir dans le rapport du sénateur De Bané, mais on a deux Radio-Canada. Il y a CBC et Radio-Canada. L'un est contrôlé à Toronto par une gang de Toronto qui a des idées torontoises des choses; et il y a Radio-Canada à Montréal. Il y a eu une période où Radio-Canada à Ottawa avait un semblant de siège social, où des décisions se prenaient qui regroupaient les intérêts des deux institutions. De plus en plus, les deux tours vivent séparément. Elles ont beau avoir un conseil d'administration conjoint, souvent on se retrouve dans la situation où les membres du conseil d'administration du Canada anglais ne parlent pas français, et ceux du Canada français ne parlent pas anglais. Ce sont deux mondes qui ne se côtoient pas.

Il y a eu un président, que je ne nommerai pas, qui s'était vu demander un jour ce qu'il pensait de cette émission d'humour qui rassemblait 3 millions et demis de spectateur le vendredi : La petite vie — vous êtes trop jeunes pour vous en souvenir. Trois millions et demi de personnes écoutaient La petite vie, et le président de Radio-Canada ne savait pas de quoi on parlait. Il y avait plus de gens qui écoutaient La petite vie que les 10 émissions les plus écoutées au Canada, excepté Hockey Night in Canada. Quant à moi, c'est le problème.

La réalité, c'est que Radio-Canada, c'est deux entités, il faut le reconnaître. Ces deux entités devraient s'asseoir avec les jeunes pour voir quels programmes peuvent s'adresser à eux.

La présidente : Messieurs Séguin et Provost, vouliez-vous répondre au sénateur Dawson?

M. Provost : En ce qui concerne les émissions jeunesse, aujourd'hui, ce qui est difficile pour Radio-Canada c'est qu'ils font face à une forte concurrence de la part des chaînes spécialisées. Lorsque j'étais jeune, on n'avait pas de chaînes de dessins animés. On avait Radio-Canada le samedi matin, très tôt, qui passait des émissions pour les enfants; c'était à peu près le seul moment où on avait des émissions pour les jeunes. Aujourd'hui, les jeunes ont à leur disposition des chaînes comme Télétoon et d'autres, des chaînes spécialisées dans le contenu pour enfants. C'est selon moi une clientèle qui est difficile à atteindre, car ils sont déjà habitués et fidèles à ces postes. Il y a un gros travail à faire.

Aussi, comme je le disais dans ma présentation, d'après moi le succès de cela passe par des enregistrements d'émissions locales, pratiquement régionales. Le poste Radio-Canada d'Ottawa pourrait faire quelque chose pour la région d'Ottawa-Gatineau; Montréal est une autre réalité que je connais un peu moins.

Je pense qu'il s'agit d'être local et d'aller dans le présent des enfants; je pense que la clef qu'il faut chercher est là.

M. Séguin : Au fond, le contenu jeunesse, surtout si on pense enfance, à Radio-Canada, je ne le vois pas beaucoup. Pour reprendre ce que disait le sénateur Dawson et l'idée qu'il y a deux Radio-Canada, une chose que je sens, à propos du Radio-Canada « plateau-centrique », c'est que, au fond, on est beaucoup plus tourné vers la francophonie que vers le reste du Canada. Il y a là certainement quelque chose à développer. Ce n'est pas que ce n'est pas intéressant de savoir quelles sont les nouvelles et les livres de l'heure en Suisse, en France et en Belgique, mais il se passe des choses ailleurs au Canada; cela ne nous parvient pas et c'est triste.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence et merci pour vos présentations. Ces dernières semaines, nous avons reçu différents groupes de jeunes, venant de différentes régions du Canada. Beaucoup des choses qu'ils nous ont dites recoupent ce que vous nous avez dit. C'est donc, certainement, que les faits que vous nous décrivez correspondent à une réalité à laquelle les jeunes font face aujourd'hui.

Également, lors des dernières audiences du CRTC, Radio-Canada avait mentionné son intention de concentrer son contenu jeunesse sur Internet plutôt que sur la télévision. Cependant, ils ont changé d'idée depuis, suite aux revendications de divers intervenants.

Quelle serait, d'après vous, la meilleure façon d'inciter les jeunes à revenir ou à rester fidèle à Radio-Canada, plutôt que d'aller voir ailleurs?

M. Provost : Comme je le disais plus tôt, je pense aux productions locales. Je pense que, en montrant des contenus faits par des Canadiens pour des Canadiens, on va pouvoir concurrencer ce qui se passe sur Internet où on trouve plutôt du contenu qui vise les Américains ou la francophonie européenne. Je pense qu'un contenu local, canadien, pourrait trouver sa popularité auprès de ce public.

La sénatrice Poirier : Cela m'amène à une autre question. Selon vous, est-ce que les chaînes régionales comme TVA et ou Télé-Québec répondent plus que Radio-Canada aux besoins des jeunes? Est-ce que les gens se tournent plus vers les radios communautaires?

M. Provost : Pour l'information locale, oui. Les chaînes nationales nous offrent des nouvelles en soirée où on ne parle bien souvent que de Montréal, comme on le disait plus tôt. Je devrai y penser encore un peu, car votre question est très bonne.

M. Séguin : J'aimerais vous raconter une anecdote. À mon avis, il y a un enjeu de classes sociales à Radio-Canada. Mes parents sont agriculteurs. Je suis de retour chez mes parents depuis un an. Chez nous, il y a un combat pour la télévision. Quand mes parents sont absents, je regarde la télévision de Radio-Canada. Lorsqu'ils reviennent, eux syntonisent TVA ou VRAK-TV. Il se produit la même chose en voiture. On alterne entre le 95,1 pour Radio-Canada et CKOI au 96,9.

Pour toute une génération voire une population de plus en plus intéressée par la télé-réalité et ce qui parfois ressemble à de la télé-potinage, le côté intellectuel de Radio-Canada n'intéresse pas. Je ne sais pas comment Radio- Canada pourrait rejoindre une clientèle plus large sans pour autant diluer son contenu. Les gens qui ont plus d'éducation ou un intérêt politique et culturel plus large doivent aussi s'y retrouver. Je vois là un enjeu à savoir comment rejoindre un public et intéresser les gens, tout en offrant un contenu plus recherché. C'est un enjeu déchirant pour lequel je n'ai pas de réponse.

La sénatrice Poirier : Des groupes nous ont dit, surtout en régions minoritaires, qu'étant donné que Radio-Canada ne répond pas nécessairement à leurs besoins, ils sont portés à se tourner vers les médias anglophones. Avez-vous constaté ce même phénomène parmi les jeunes?

M. Provost : En l'Outaouais, j'ai constaté que ce phénomène est plus fort qu'à Montréal. La proximité avec Ottawa fait en sorte que les jeunes ont une meilleure connaissance des deux langues officielles. Ils ont donc plus de facilité à passer d'une langue à l'autre lorsqu'il s'agit de la télévision.

J'aimerais revenir à une question, concernant la télévision locale, que vous m'avez posée plus tôt et à laquelle je désirais réfléchir plus longuement. À mon avis, Télé-Québec ne pourra jamais concurrencer avec Radio-Canada avec les fonds offerts par le gouvernement provincial. Cette télé ne pourra jamais avoir un aussi bon contenu étant donné la façon dont elle est gérée présentement.

TVA, étant une télévision privée, se concentre davantage sur les cotes d'écoute que sur le contenu de ses émissions. Radio-Canada, pour sa part, se démarque par sa crédibilité. C'est une télé plus sérieuse, comparativement à ce qu'on peut voir sur les autres chaînes. Radio-Canada devrait continuer dans cette spécificité et garder son identité, sinon on partagera des cotes d'écoute qui ne sont pas vraiment les nôtres.

M. Laurin : Vous m'enlevez les mots de la bouche. C'est exactement la façon dont je voulais répondre à votre question sur la qualité de l'information à Radio-Canada et le caractère éducatif comparativement à Télé-Québec, TVA et la chaîne V.

Ce que j'aime de Radio-Canada est son caractère éducatif qui représente bien les régions. Les émissions ne sont pas de la télé-réalité. La matière est concrète et on peut apprendre des choses. Ce que j'aime bien aussi de Radio-Canada est, par exemple, les séries tournées en région où l'on peut se reconnaître. Je crois que cet aspect peut toucher les jeunes. C'est le cas en particulier lorsqu'un jeune du nord de la Lanaudière, par exemple, voit que c'est sa ville qui est filmée dans une série qui devient très populaire, avec des acteurs populaires, et où peuvent figurer parfois des habitants locaux. Il m'est arrivé, et aussi à des gens autour de moi, que l'on soit allé tourner chez nous. Il est intéressant de voir son environnement à la télé. Contrairement à d'autres stations, c'est ce que je trouve bien de Radio-Canada.

Cet aspect qui touche les gens peut les ramener à écouter Radio-Canada, sans compromettre la qualité de l'information et de Radio-Canada.

La sénatrice Poirier : J'ai une dernière question. Si vous n'êtes pas en mesure d'y répondre immédiatement, vous pourrez envoyer votre réponse au comité.

Notre exercice tire à sa fin, et bientôt nous devrons préparer un rapport. En tant que jeunes, auriez-vous des suggestions que vous aimeriez voir faire partie des recommandations de notre rapport? Dans l'affirmative, je vous invite à les partager avec nous aujourd'hui. Vous nous en avez mentionnées dans vos discours. Je vous invite donc à envoyer vos suggestions au comité afin qu'elles soient prises en considération avec les autres que nous avons reçues des autres groupes de jeunes.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, merci de vos belles présentations. On entend souvent dire que les jeunes n'écoutent pas, ou peu, la radio, et qu'ils regardent moins la télévision, préférant plutôt se tourner vers Internet, les médias sociaux et les nouvelles plateformes électroniques. Si Radio-Canada souhaite avoir un avenir, il doit être orienté plutôt vers les nouvelles plateformes électroniques.

Selon vous, la radio et la télévision de Radio-Canada ont-ils un avenir auprès de la jeunesse? Ce point de vue est-il partagé par la majorité des francophones à travers le Canada?

M. Laurin : Oui, je pense qu'il y a un avenir pour la radio et la télévision. Encore une fois, on jouit d'une bonne qualité à la radio et à la télévision. Pour ma part, je n'écoute pas la radio. Je ne pourrai donc pas me prononcer sur ce sujet. La télévision toutefois est la première chose que j'écoute. Je trouve donc qu'elle est pertinente.

Pour ce qui est des médias sociaux et du Web, il est important d'y travailler encore plus pour faire compétition.

Je reviens encore une fois aux outils que nous avons touchant des événements nationaux comme les élections. Je ne sais pas s'il était de Radio-Canada, mais je me souviens d'un outil en particulier qui s'appelait « Gérer sa ville ». De tels outils sont géniaux sur Internet et peuvent être utilisés.

La télévision a encore un avenir chez nous, Canadiens français.

M. Provost : À mon avis, la télé et la radio ont toujours leur place. En milieu de travail, les gens écoutent toujours la radio et c'est un besoin.

J'ai visité des bureaux de ministères. Toutefois, certaines compagnies font jouer de la musique diffusée à la radio dans leur commerce, ce qui permet aux gens d'entendre ce qui se passe ici.

Pour ce qui est des plateformes télé ou radio, je réponds oui, via les plateformes électroniques, il y a moyen de s'assurer que la télévision de Radio-Canada soit accessible sur les applications. Il en va de même pour la radio. Il s'agit de mélanger le tout en une interconnexion. À titre d'exemple, sur TOU.TV ou Espace Musique, on devrait tout retrouver sur le même site. Ce serait beaucoup plus facile pour les auditeurs. Les plateformes télé et radio doivent occuper leur place via les plateformes électroniques. À mon avis, c'est un tout qui doit se tenir.

M. Séguin : J'ajouterais aux propos de mes collègues, qui l'ont très bien dit. Il y a une facilité à ouvrir la télévision et à écouter la radio. Quand on va sur Internet, il faut une certaine volonté. On bâtit un peu notre menu et il faut vouloir le bâtir. Or, si je suis chez moi, que je fais du ménage et que Radio-Canada offre du contenu qui m'intéresse déjà, j'ouvre la télé, je lui jette un coup d'œil et je peux faire un tas d'autres choses en même temps. C'est la même chose avec la radio.

Il faut développer davantage le Web et tout ce qui est interactif via les médias sociaux. Toutefois, cela n'empêche pas les formes traditionnelles de perdurer. Il y a quelques années, on a commencé à se demander si, grâce à Internet, l'enseignement magistral n'allait pas disparaître des universités. Or, il n'est jamais disparu. Les médias ont transformé la façon dont on enseigne. On essaie d'être plus interactif aujourd'hui. Toutefois, on retrouve encore des amphithéâtres où se donne un enseignement magistral. Je dirais que c'est un peu la même chose avec la télé.

Le sénateur McIntyre : De façon générale, les jeunes Canadiens regardent beaucoup les événements sportifs, que ce soit le hockey, le football, le soccer, le tennis, et j'en passe. Dans le cadre d'un événement sportif, je comprends que vous vous sentiez davantage interpellés par le réseau français de Radio-Canada que le réseau anglais de la CBC.

Qu'est-ce qui explique votre appartenance ou votre éloignement à l'un ou l'autre de ces deux réseaux?

M. Provost : C'est la langue.

M. Laurin : C'est la même chose.

Le sénateur McIntyre : Et si l'événement sportif n'est pas disponible en français, vous vous tournez vers le réseau anglais?

M. Laurin : Exactement. Le hockey étant notre sport national, on l'a écouté longtemps sur RDS sans qu'il y ait de compétiteurs en français, ce qui a fait que RDS est devenu notre réseau principal de sport. Je n'ai même pas connaissance d'une autre chaîne de télévision de sport en français au Québec. C'est peut-être une des raisons.

M. Séguin : Je ne suis pas sportif, mais pendant quelque temps, j'ai essayé d'écouter CBC. Je suis bilingue mais je sentais que ça ne cliquait pas culturellement. En plus, je trouvais que les préoccupations de Toronto ne me rejoignaient pas, je suis donc revenu assez rapidement à écouter la culture du Plateau, qui est plus près de la mienne.

Le sénateur McIntyre : Personnellement, je ne manque aucune partie des Canadiens à RDS.

Le sénateur De Bané : J'ai écouté avec grand intérêt vos réflexions et vos analyses. Pour ma part, la question qui me hante depuis quelques années c'est de savoir pourquoi des générations entières de Québécois sont complètement désengagées du Canada.

J'ai demandé l'aide de l'École de journalisme de l'Université Carleton qui est une des grandes écoles de journalisme dans ce pays. Ils ont mis la main sur le Téléjournal de Radio-Canada et The National de CBC pour chaque jour des années 2010 et 2011.

Du côté de Radio-Canada, il en est ressorti que près de 50 p. 100 des bulletins de nouvelles concernent le Québec. Pour le deuxième bloc, ce sont les nouvelles internationales, comme M. Séguin l'a remarqué. Et troisièmement, ce sont les nouvelles concernant le Parlement fédéral, mais du point de vue du gouvernement du Québec. Ce qui fait qu'il y a en moyenne, sur un bulletin de nouvelles de près d'une demi-heure, deux minutes sur les neuf autres provinces canadiennes et les territoires. C'est ce que cela a donné.

Cette étude, je l'ai publiée. Radio-Canada s'est défendue en disant que l'étude était basée sur le Téléjournal et The National et qu'il y a plusieurs autres bulletins de nouvelles en 24 heures, à 5 heures le matin, et cetera. Évidemment, ils ont oublié l'analyse du CRTC qui a dit qu'il y avait un bulletin de nouvelles le soir, au réseau français et au réseau anglais, qui doit donner une vue globale de tout le Canada; un bulletin de nouvelles.

Alors ils n'ont pas fait la moindre critique de cette étude, et si elle vous intéresse, je vous l'enverrai volontiers. C'est une étude remarquable de deux ans, 365 jours par années, sur les deux réseaux. Et vous avez raison de dire qu'à TVA et au canal V, les nouvelles ce n'est vraiment pas sérieux. Si vous voulez gratter davantage, vous découvrirez qu'à l'exception d'Ottawa, à l'exception de Radio-Canada, aucune chaine d'information du Québec, y compris La Presse, n'a de journalistes à plein temps à l'extérieur du Québec. Par contre, La Presse a neuf correspondants étrangers à plein temps à l'extérieur du Canada : New York, Los Angeles, Rio de Janeiro, Moscou, deux à Paris, un à Londres, mais à l'extérieur du Québec et d'Ottawa, personne. Et on parle du plus grand journal.

Comme vous, j'ai lu la Loi sur la radiodiffusion, par laquelle le Parlement du Canada a donné neuf missions à Radio-Canada. M. Séguin a fait allusion à certaines d'entre elles, dont celle de créer une conscience nationale, des échanges culturels, et cetera.

Ce qu'il faut garder à l'esprit, et le CRTC l'a noté, c'est que le rôle d'un journaliste est double : son premier rôle est de recueillir de l'information, et son deuxième de nous transmettre les nouvelles importantes. Et si on ne nous en parle pas, ce n'est pas important.

Comme Radio-Canada ne parle pas du reste du Canada, sauf deux minutes par bulletin de nouvelles, je me suis dit que c'était peut-être ce qui faisait en sorte que des générations entières de jeunes Québécois se sont désengagées du Canada. Parce que les nouvelles du Canada, en général, sont données après les nouvelles internationales. Pour faire comprendre à l'auditeur que là, on a fait le tour du monde, mais là, on arrive à un autre pays très loin de vous, puisqu'il vient après tous les autres.

Je ne sais pas si vous avez remarqué qu'un jeune Québécois, aujourd'hui, n'est pas au courant de la vitalité de la communauté française au Manitoba, en Alberta, au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et que près de 27 p. 100 des Canadiens hors Québec peuvent échanger, communiquer en français; 27 p. 100. On pense que c'est quelques grenailles; une personne sur quatre parmi ceux qui peuvent échanger en français, selon Statistique Canada, n'habite pas au Québec.

Je suis d'accord avec vous que la qualité de Radio-Canada est incomparablement supérieure à celle des autres postes. Ce que veulent les autres postes c'est de l'auditoire pour vendre de la publicité. Ils n'en vendent pas dans les autres provinces. Et pour vendre cette publicité, comme l'a dit M. Laurin, il faut des nouvelles locales. Ce n'est pas en donnant des nouvelles d'ailleurs qu'on y arrivera.

Radio-Canada est financée par les contribuables à travers le Canada et je me dis qu'il n'est pas normal qu'un Canadien, qui veut savoir ce qui se passe dans son pays, doive commencer à regarder RDI à 9 heures et qu'à 10 heures il doive écouter CBC, car il n'y en a qu'un des deux.

Lorsque je parle avec les francophones des autres provinces, ils me disent qu'effectivement, s'ils veulent savoir ce qui se passe au Québec, ils doivent regarder RDI, et s'ils veulent savoir ce qui se passe au Canada, ils doivent regarder CBC.

Comme vous l'a dit le sénateur Dawson, CBC et Radio-Canada sont deux organisations qui existent en vertu d'une seule loi, une seule corporation, pas deux ou trois : la loi a créé une société. Et le CRTC a noté ce que le sénateur Dawson a dit qu'en pratique, les deux ne se parlent jamais. Il n'y a aucune communication entre les deux.

Si jamais cela vous intéresse, j'ai consacré trois volets à ce sujet qui me hantait, à savoir comment il se fait que des générations entières n'ont aucune affinité avec leur pays venant du réseau national et qu'elles ne connaissent rien des communautés francophones de l'extérieur du Québec. Parce qu'entre vous et moi, avouez que parler français dans la belle région de Lanaudière ou près du Saint-Laurent, il n'y a pas grand mérite, comme il n'y a pas grand mérite de le parler à Chicoutimi.

Mais de se battre pour avoir une université francophone au Manitoba, c'est quelque chose. Et pourtant, cela a terriblement agacé Radio-Canada, au point que Céline Galipeau lorsqu'elle a été là-bas, lors du 50e anniversaire de Radio-Canada, elle a demandé aux francophones quand est-ce qu'ils allaient arrêter de parler français, pour l'amour! Voilà ce qui est arrivé. J'aimerais que vous réagissiez à mes réflexions. Et je serai heureux de vous faire parvenir mon étude.

M. Laurin : On est habitués à ne pas avoir accès à l'information d'ailleurs, alors on se concentre sur la nôtre. Pour être intéressés, il faut connaître. Radio-Canada ne doit pas nécessairement essayer d'attirer la clientèle, mais elle doit plutôt intéresser les gens afin de transformer l'information pour qu'elle devienne intéressante. Que faut-il faire? Il faut tranquillement l'introduire de plus en plus et rendre cette information intéressante pour que, au fil du temps, on voit deux ou trois fois ce qui se passe en Saskatchewan, par exemple. Et là, de plus en plus, on voudra savoir ce qui se passe en Saskatchewan et cela va nous intéresser. Il faut y aller de façon progressive pour essayer de savoir ce qui se passe ailleurs. Lorsque je parlais du point de vue local et régional, cela concerne aussi les autres provinces. Il y a, sur le plan local, la ville, la région et la province. Mais c'est aussi régional pour les autres provinces. Il est important que le niveau local ou régional, ce ne soit pas seulement pour notre ville ou notre région.

Finalement, vous pourriez dire à Radio-Canada que si ça ne se parle pas en haut, ça ne se parlera pas en bas non plus. C'est assez logique de savoir pourquoi cela ne fonctionne pas en ce moment, c'est parce que cela vient d'en haut. C'est assez clair.

Le sénateur De Bané : Vous avez tellement raison, M. Laurin.

M. Provost : Comme vous disiez tantôt, c'est vrai qu'on n'entend pas beaucoup parler des nouvelles du reste du Canada dans l'émission Le Téléjournal, au Québec. J'ai une petite réponse à formuler concernant cela. Ce n'est pas une bonne réponse, mais cela en est une : c'est qu'ils doivent faire concurrence aux autres réseaux, comme TVA et V qui, eux, vont offrir des nouvelles très locales. Radio-Canada doit faire concurrence à cela et il le fait de la façon dont vous l'avez expliqué. C'est un problème. Je sais qu'au Nouveau-Brunswick beaucoup de gens disaient manquer d'informations francophones et qu'il était plutôt toujours question de Montréal. C'est quelque chose qu'il faut développer dans chaque province où il y a des bureaux de CBC/Radio-Canada. Il faut offrir un service en français pour les communautés qui sont là, donc de l'information locale pour ces communautés francophones. S'il y a de l'information locale, on pourra à ce moment-là la transférer au niveau national et un peu partout au pays. Mais si on n'a pas de bureau local pour rencontrer ces communautés francophones ou rapporter des nouvelles pour eux, on ne reçoit pas ces nouvelles, nous, au Québec.

Le sénateur De Bané : J'ai dit tantôt que les autres n'ont personne à plein temps à l'extérieur d'Ottawa. Radio- Canada a 230 journalistes à plein temps dans les neuf provinces à l'extérieur du Québec. Sauf que celui qui choisit quelles nouvelles on va passer le soir, évidemment c'est un gars à Montréal. Il reçoit tous les jours, au début de l'après- midi, les bandes vidéo qui viennent de tout le pays. Cela arrive à Montréal. Puis là, il regarde toutes les bandes vidéo une après l'autre. Et il y en a peut-être une d'entre elles qu'il diffusera le soir venu à l'émission Le Téléjournal. Il y a 230 journalistes à plein temps au réseau français dans les autres provinces, mais toutes ces bandes vidéo sont envoyées à Montréal et c'est Montréal qui décide si l'une d'entre elles est digne d'être diffusée à l'émission Le Téléjournal le soir.

M. Provost : D'après moi, c'est qu'ils se trouvent face à des radiodiffuseurs comme TVA et V qui visent davantage la nouvelle provinciale. Et Radio-Canada au Québec doit concurrencer cela s'ils veulent avoir des cotes d'écoute et des parts de marchés pour générer des revenus. Je ne dis pas que c'est la bonne chose.

Le sénateur De Bané : Le CRTC a statué très clairement que la mission de Radio-Canada n'est pas de concurrencer le secteur privé. Le secteur privé, s'il fait telle chose, c'est parfait; mais il y a neuf missions inscrites dans la Loi sur la radiodiffusion que Radio-Canada doit remplir. À cause de cela, on leur donne un milliard de dollars provenant des payeurs de taxes canadiens. Bon. Si tout ce qu'ils veulent, c'est de concurrencer V puis TVA, ce n'est pas cela, leur mission.

M. Séguin : Je trouve votre diagnostic très lucide. Moins on entend parler du reste du Canada, moins on s'y intéresse. Le nationaliste québécois se nourrit de l'ennemi anglais qui est une espèce de gros monstre sans visage. Je le dis comme cela parce que j'ai grandi avec cet ennemi anglais; la ville de Hudson est à côté de Rigaud et on n'allait pas là parce que c'était les Anglais. C'est comme si c'était un autre pays, alors que c'est le village d'à côté.

C'est seulement lorsque j'ai commencé à rencontrer des gens à Ottawa et à Toronto que je me suis rendu compte que les Anglais n'étaient pas des gens si dangereux que cela et qu'ils ne me voulaient pas tant de mal que cela.

D'une certaine façon, je me demande même si, inconsciemment, ce nationalisme n'a pas filtré parmi les décideurs de Radio-Canada à Montréal où on en vient à se dire que ce qui est le plus intéressant est le fait français québécois, notre unicité. Cette unicité, combinée à un désir de vendre et d'atteindre des cotes d'écoute, amène à ne même plus voir l'intérêt de présenter ce qui se passe ailleurs et cela alimente alors un cercle vicieux où on voit de plus en plus l'autre comme le Canada, le reste du Canada, monolithique et anglophone, et qui nous menace, nous, comme société minoritaire. Et cela alimente le discours nationaliste encore plus.

Le sénateur De Bané : Même au Québec où il y a 20 p. 100 de la population qui n'est pas de langue maternelle française, quand j'écoute Radio-Canada le soir, jamais on ne parle de ces groupes. Concernant 20 p. 100 de la population, les anglophones qui sont là depuis déjà près de trois siècles, pas un mot. On n'en parle pas. Bon, sauf lorsqu'on veut évidemment faire monter le ressentiment contre nos compatriotes de langue anglaise. C'est extraordinaire que, même au Québec, on oublie cette communauté. Enfin.

Il y a une chose à laquelle je n'arrive pas à m'habituer; tous les matins, René Homier-Roy a son émission de 5 heures à 9 heures. C'est tous les jours durant quatre heures à la radio de Radio-Canada. Tous les jours, il rejoint des correspondants à l'étranger. Un jour, c'est à Rio, le lendemain ailleurs. Mais jamais il n'appellera, durant ces quatre heures, un correspondant de Radio-Canada quelque part dans les autres provinces. Jamais. Tous les jours. Écoutez-le, moi je l'écoute. On entend des gens de partout dans le monde, mais pas des journalistes des autres provinces canadiennes. Cela n'existe pas.

La présidente : C'est fort intéressant, mais je dois maintenant passer la parole à un autre sénateur.

La sénatrice Tardif : Merci à tous les trois pour vos excellentes présentations. La plupart des questions que je voulais vous poser l'ont été par mes collègues. Cependant, comme vous êtes ici à titre personnel, j'aimerais savoir ce qui vous a motivés à venir nous parler de CBC/Radio-Canada aujourd'hui?

M. Provost : J'ai beaucoup d'intérêt pour le domaine des communications. Cela m'a interpellé. Et étant un auditeur de la radio de Radio-Canada de façon très assidue, je me sentais interpellé par le sujet. J'avais des choses à dire et c'est pour cela que je suis venu.

M. Laurin : En fait, c'est mon Forum jeunesse régional qui cherchait quelqu'un et ils m'ont demandé si cela me tentait. Au Forum jeunesse, on touche beaucoup les préoccupations des jeunes dans notre région. Et voyant votre besoin d'avoir des jeunes, je me suis dit que c'était le temps de représenter la région pour ses intérêts et aussi à titre personnel. C'est pour cela que je tenais à venir aujourd'hui.

M. Séguin : De la même façon, c'est le Forum jeunesse de ma région qui cherchait quelqu'un. Il y a eu un appel à tous et j'ai envoyé mon nom pour deux raisons. La première, c'est par amour pour Radio-Canada. J'aime beaucoup Radio-Canada, j'aime beaucoup ce qu'ils font. Chaque fois que j'entends parler de compressions budgétaires, je trouve cela triste; je me suis donc dit que je devrais venir à Ottawa pour dire qu'il ne faut pas imposer de réductions budgétaires à Radio-Canada.

Après-coup, j'ai pensé que le Sénat c'était moins politique que la Chambre; c'était à côté qu'il fallait que j'aille dire de ne pas couper. L'autre raison, c'était que j'étais très curieux de voir à quoi ressemblait le Sénat.

La sénatrice Tardif : Merci de votre honnêteté.

Le sénateur Dawson : La réponse?

M. Séguin : C'est intéressant, c'est comme un séminaire de maîtrise ou de doctorat, on discute, mais on ne peut pas retourner les questions, par contre.

La sénatrice Tardif : Je sens réellement votre attachement à Radio-Canada. Je trouve cela assez admirable que des jeunes comme vous trois ayez cet amour et cet engagement envers Radio-Canada.

Je viens de l'Alberta, une province majoritairement anglophone, mais qui a quand même une communauté francophone qui démontre beaucoup de vitalité. On cherche toujours à engager nos jeunes à vivre en français. Évidemment, c'est toujours un défi de leur présenter des occasions de vivre en français et de créer ces habitudes de visionner la télévision en français, ou le site Internet ou la radio. Vous êtes du Québec, la situation est un peu différente, mais si vous aviez des suggestions à faire à Radio-Canada à savoir comment aller chercher ces jeunes dans les communautés francophones en milieu minoritaire, comme dans la province de l'Alberta, quelles suggestions feriez- vous?

M. Provost : De les impliquer en les consultant, en allant chercher ce qui les intéresse. La meilleure chose, c'est de les écouter. Rencontrer des jeunes, les écouter et vous connaîtrez leurs besoins et vous serez mieux placés pour leur répondre.

M. Laurin : Cela va un peu plus loin que de les écouter. Il faut aussi inclure les jeunes dans le processus décisionnel. J'ai aucune idée comment fonctionne Radio-Canada ni les autres, mais inclure des jeunes sur les conseils d'administration et d'organisation, dans la programmation, et pas seulement à titre consultatif, mais à titre décisionnel, serait profitable. Ils peuvent donner leur avis mais il faut aussi qu'on en tienne compte.

Un vote autour d'une table, c'est important. Est-ce que, par exemple, encore une fois, je ne sais pas comment cela fonctionne, mais dans les stations régionales de Radio-Canada, comme radio Rive-Nord dans mon coin, y a-t-il des jeunes qui participent et qui peuvent donner leur avis? Est-ce que, en Alberta, des jeunes francophones essaient de donner leur avis à CBC/Radio-Canada? Est-ce qu'on leur demande de venir travailler avec eux? C'est une des questions importantes. Il faut impliquer les jeunes dans le processus décisionnel.

M. Séguin : En ce qui concerne la question du contenu local, j'ai de la famille qui vit en Ontario. Une des choses qui les frustrent chaque fois qu'ils rencontrent des Québécois, c'est leur ethnocentrisme. Ils se pensent un peu supérieurs dans leur manière d'incarner le fait français. Autant les Québécois sont complexés par rapport aux Français, autant il y a un complexe qui existe peut-être ailleurs au Canada, d'où l'importance de produire du contenu dans lequel les jeunes de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick, de la Colombie-Britannique ou de l'Alberta puissent se reconnaître là- dedans aussi.

Je suis pris dans mon propre ethnocentrisme, parce que francophone et Alberta, dans ma tête, ça fait un choc : Ah oui, c'est vrai, il y a des francophones en Alberta aussi! Cela montre que moi, le premier, j'ai du chemin à faire là- dessus. Que les jeune puissent se reconnaître là-dedans est super important.

M. Laurin : J'ai participé récemment à une assemblée de la Fédération de la jeunesse canadienne française, société qui est basée ici à Ottawa. Ils ont soulevé quelque chose d'intéressant par rapport à Radio-Canada et cela vient de me revenir à l'esprit. Dans les régions, lors des bulletins de nouvelles en français, on normalise le français. On n'utilise pas l'accent propre aux régions. C'est important de considérer ce point. Au Québec, on parle un certain français, mais une normalisation est faite ailleurs au Canada pour les minorités francophones, et c'est important d'en tenir compte. Si les présentateurs de nouvelles utilisaient plus l'accent régional, par exemple, cela les intéresserait davantage et cela démontrerait un plus grand respect de la minorité francophone.

La sénatrice Tardif : C'est certainement un point très intéressant. Vous avez parlé de complexe. Souvent les gens croient qu'ils s'expriment moins bien que ceux qui habitent le Québec, et puis au Québec, comme vous dites, les Québécois se sentent inconfortables face à la richesse d'expression que les Français peuvent avoir. Dans la normalisation, il peut y avoir un jugement de valeur et alors un jugement de statut de la langue et des gens qui vivent dans cette langue.

Je suis intéressée par la programmation locale, question que vous avez soulevée à plusieurs reprises. Est-ce pour vous une dimension importante? Parce qu'on dit souvent que lorsqu'on ne se voit pas refléter dans ce que nous sommes, cela crée aussi des problèmes aux plans de l'identité et de l'engagement. Est-ce que vous voyez la programmation locale comme étant un élément dans cette question d'engagement et d'identité dans la Francophonie?

M. Provost : Oui, cela passe par là. Autant l'identité canadienne que l'identité régionale passent par le contenu local. C'est en montrant aux gens ce qui se passe chez eux qu'on vient à les toucher et à leur dire : Regardez il se passe cela chez vous et il se passe cela aussi ailleurs au Canada. Avec l'identité régionale, si on assemble tout cela, alors on va pouvoir faire le national, mais il est très important que dans chaque région, Radio-Canada soit très présente et l'identité de Radio-Canada et l'attachement à Radio-Canada passent par là. Il faut que ce soit des valeurs que les gens partagent.

M. Laurin : Il faut connaître l'autre dans son passé, son présent et son futur de manière à envisager un développement commun, un avenir ensemble. Pour respecter, il faut comprendre, et pour reconnaître, il faut d'abord connaître. Encore une fois, quand je parlais de régional, c'est de bien représenter notre appartenance à notre région propre, par exemple chez nous au Québec, mais aussi au Canada comme tel. Cela part de chez nous, mais après cela, il faut élaborer un peu plus et aller voir plus loin et faire des comparaisons entre une région comme l'Alberta et celle du Québec. C'est simple comme cela.

Le sénateur Mockler : Le mandat de Radio-Canada, juste pour se remémorer un peu, dit qu'on doit contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre. Néanmoins, les services doivent être offerts en français et en anglais de manière à refléter la situation des besoins des particuliers et des collectivités de langue officielle canadiennes. Il faut aussi chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais.

Les jeunes ont un rôle à jouer, et je vous encourage à continuer d'apprendre et à vous conscientiser vis-à-vis des francophones, qu'ils soient du Yukon, de la Colombie-Britannique ou de toute autre province canadienne. Je viens du Nouveau-Brunswick, alors je sais que le combat est constant, et on ne tournera jamais la page. Il faudra travailler en étroite collaboration. Radio-Canada est un instrument de travail pour les Canadiens et les Canadiennes. Il faut renforcer l'identité canadienne et notre présence muliculturelles aussi bien chez les anglophones que chez les francophones qui vivent en milieu minoritaire.

Vous avez un devoir à faire aussi. Vous avez aussi d'autres responsabilités. Selon l'expérience que vous avez, retrouvez-vous ce manque à travers le pays?

M. Provost : Pour ce qui est de l'égalité entre CBC/Radio-Canada, tantôt j'ai parlé rapidement des sports, on parlait du hockey et d'autres sports en général. Pour ce qui est du service de Radio-Canada, le sport francophone, il y a un gros déficit comparativement à CBC en anglais. J'ai parlé du hockey, qui est le sport national, mais qu'il s'agisse de n'importe quel sport. Si on veut parler d'un événement sportif autre que les Jeux olympiques à Radio-Canada, on verra peut-être une partie de tennis. Les émissions de sport à grande écoute ne sont pas présentées.

Je crois que le fait que Radio-Canada offre cet événement gratuitement à tous les Canadiens démontre une déficience au niveau francophone. Je trouve qu'il y a un déséquilibre entre CBC et Radio-Canada au niveau des sports.

M. Laurin : Je suis le premier à reconnaître qu'il y a un manque de connaissances. Encore une fois, c'est peut-être répétitif, mais c'est vraiment l'ouverture envers l'autre, c'est d'aller chercher l'information ailleurs au Canada et notamment, dans les communautés francophones. Je trouve que c'est super important. J'essaie même de m'impliquer, d'aller chercher de l'information, mais c'est difficile. Je pense que cela vient des deux côtés.

Et pour revenir à ce qu'on disait tantôt, je me demande si c'est pareil du côté anglophone. Est-ce que les francophones doivent aller chercher l'information là-bas ou est-ce que cela ne peut pas être donné? Est-ce que les anglophones viennent chercher l'information au Québec, en français?

Vous disiez qu'il n'y avait pas de journalistes de Radio-Canada au Québec qui allaient chercher l'information dans les autres provinces. Est-ce que l'inverse se fait? Est-ce qu'on vient chercher l'information au Québec?

Le sénateur De Bané : Il y a une dizaine de journalistes anglophones à plein temps au Québec.

M. Laurin : Cet échange est important pour connaître l'autre. Il ne faut pas qu'on en arrive à ce que ce ne soit que nous qui allions chercher de l'information. Qu'on nous la donne, qu'on la rende intéressante et qu'on garde un niveau de qualité, mais que ce soit accessible. Je pense que cela doit être progressif; si du jour au lendemain il y a 50 p. 100 de nouvelles uniquement pancanadiennes, c'est choquant aussi. Il faut que ce soit progressif. Je serais très ouvert à cela, mais tranquillement pas vite, c'est important de le faire.

M. Séguin : En fait, j'ajouterais simplement que, encore une fois, c'est une question d'unité nationale. Plusieurs travaux en sociologie ont démontré comment les médias sont fondamentaux pour développer une identité nationale. On a un merveilleux outil entre les mains avec Radio-Canada, même si elle a peut-être besoin d'une petite réforme.

Je pense que vous êtes bien partis dans votre travail pour proposer ces réformes qui permettront justement d'optimiser l'outil qu'on a entre les mains, qui est une belle plate-forme mais qui mérite un peu plus d'unité. Peut-être que Radio-Canada est à l'image du pays, d'une certaine façon.

La présidente : Messieurs, au nom des membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, j'aimerais vous remercier très sincèrement. Pour vous, ce fut une première expérience de venir témoigner devant un comité sénatorial. J'espère qu'elle a été positive pour vous. Laissez-moi vous dire que cela a été très positif pour nous et c'est toujours un plaisir d'entendre le point de vue de jeunes Canadiens et, dans votre cas, de jeunes Canadiens de langue française du Québec.

Je vais vous demander de repartir d'ici ce soir comme ambassadeurs, de ne pas oublier qu'il y a des francophones à l'extérieur du Québec, il y a des Acadiens, il y en a en Alberta, au Manitoba, il y en a partout à travers le Canada. Je vous laisse cela comme mission, parlez-en lorsque vous en avez la chance et continuez le travail que vous faites. Je trouve que c'est excellent.

Au nom des membres du comité, merci beaucoup à vous trois.

Honorables sénateurs, on suspend la séance pour quelques minutes et on reprendra à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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