Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 10 - Témoignages du 12 mars 2012
OTTAWA, le lundi 12 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité).
Etude sur des questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la Fonction publique fédérale, étudier la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en matière d'emploi pour les groupes minoritaires sont réalisés et examiner l'évolution du marché du travail pour les groupes des minorités visibles dans le secteur privé.
Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la 11e réunion de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Ce comité a reçu du Sénat le mandat d'examiner des questions ayant trait aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.
Je m'appelle Mobina Jaffer et, en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.
[Traduction]
Avant de poursuivre, j'aimerais que mes collègues se présentent, en commençant par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Sénateur Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ataullahjan : Sénateur Ataullahjan, de l'Ontario.
Le sénateur Nancy Ruth : Je suis le sénateur Nancy Ruth, de Toronto.
Le sénateur White : Je suis Vernon White, de l'Ontario.
Le sénateur Meredith : Sénateur Meredith, de l'Ontario.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, nous entamons aujourd'hui une étude qui nous a été proposée par notre collègue, le sénateur Nancy Ruth, qui souhaitait que notre comité donne suite à son rapport de novembre 2010. En prévision du premier rapport annuel des États sur la mise en œuvre de la résolution 1325 des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, notre comité examinera plus en profondeur la mise en œuvre de cette résolution au pays et à l'étranger.
[Traduction]
La Résolution 1325 a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 31 octobre 2000. Elle porte sur les effets des conflits armés sur les femmes et les petites filles et souligne plus particulièrement leurs besoins sur les plans du rapatriement, de la réinstallation, du relèvement, de la réinsertion et de la reconstruction après les conflits.
Notre comité a entamé en septembre 2009 son étude sur la mise en œuvre de la résolution, ce qui a conduit au dépôt en novembre 2010 d'un rapport intitulé Les femmes, la paix et la sécurité : Le Canada agit pour renforcer la participation des femmes.
Ce rapport formule 26 recommandations, privilégiant les domaines où le Canada et d'autres États membres des Nations Unies peuvent offrir des ressources concrètes, du personnel spécialisé et des programmes susceptibles d'améliorer le sort des femmes pendant et après les conflits dans trois domaines. Le premier est la participation des femmes à tous les niveaux de la prise de décisions sur toutes les affaires intéressant la paix et la sécurité, le deuxième est la mise en place d'institutions de maintien de la paix et de la sécurité, et le troisième est le renforcement de systèmes de justice pouvant garantir des résultats équitables.
Ce rapport a été complété par un rapport ultérieur déposé par notre comité en décembre 2010, intitulé La formation en Afghanistan : inclure les femmes.
Ce rapport offrait 14 recommandations invitant le gouvernement du Canada à œuvrer pour les droits des femmes en Afghanistan après 2011. Il pressait également notre gouvernement de concevoir et de dispenser un entraînement sexospécifique, étant donné son nouveau rôle en Afghanistan, qui n'est plus le combat mais la formation.
Nous recevons aujourd'hui des témoins qui ne sont pas des nouveaux visages pour notre comité. Le Centre de recherche pour le développement international, ou CRDI, a toujours appuyé notre travail. Mme Duggan a comparu devant nous à différentes reprises et je lui souhaite de nouveau la bienvenue, ainsi qu'à M. de Boer. Nous sommes prêts à écouter vos remarques liminaires.
[Français]
Colleen Duggan, conseillère principale en programme, Centre de recherches pour le développement international : Madame la présidente, membres du comité, je voudrais vous remercier pour l'invitation à venir vous parler aujourd'hui au sujet des femmes, de la paix et de la sécurité, de la contribution du Canada à la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et d'autres relations associées.
[Traduction]
Mon collègue John de Boer est lui aussi très heureux de cette possibilité qui nous est offerte, d'autant qu'il dirige maintenant les programmes du CRDI qui subventionnent nombre des projets dont nous allons traiter aujourd'hui.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, le CRDI, qui est un élément clé de l'aide internationale du Canada, appuie les travaux de recherche dans les pays en développement afin d'y favoriser la croissance et le développement. Le savoir et l'innovation sont des outils essentiels pour se prendre en main. Ce sont par conséquent des éléments cruciaux de la quête d'une prospérité, d'une sécurité et d'une équité accrues. Le CRDI veille donc à promouvoir la diffusion des connaissances acquises auprès de responsables des politiques, de chercheurs et de collectivités de par le monde. Il en résulte des solutions locales, novatrices et durables, qui offrent des choix aux personnes qui en ont le plus besoin et font changer les choses.
Depuis longtemps, le centre finance la recherche portant sur l'égalité des sexes et, de fait, intègre l'analyse sexospécifique dans l'ensemble de sa programmation. Par le soutien qu'il apporte à des travaux de recherche appliquée d'excellente qualité, le centre vient compléter les efforts que le Canada déploie sur la scène internationale en vue de la mise en application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité depuis son adoption en octobre 2000.
Le CRDI s'y emploie en travaillant avec des chercheurs de pays en développement qui, à l'échelon local et national, réunissent des données scientifiques probantes et rigoureuses pouvant guider l'élaboration de politiques publiques judicieuses. Les recherches et analyses que finance le CRDI éclairent également le dialogue multilatéral sur les politiques, notamment les discussions avec les organismes canadiens, internationaux et de la société civile dont je vais parler dans un instant.
Le rôle de la recherche pertinente sur le plan local et d'un dialogue sur les politiques utile, éclairé et fondé sur des données probantes est encore plus crucial dans les États fragiles et les pays touchés par un conflit, où des tentatives antérieures d'élaboration de politiques ont bien souvent échoué. D'ailleurs, le rapport récent de la Banque mondiale sur les conflits, la sécurité et le développement nous rappelle qu'aucun pays à faible revenu fragile ou touché par un conflit n'a encore réalisé un objectif du Millénaire pour le développement.
Dans ces pays, les femmes et les filles subissent souvent de manière excessive les répercussions économiques et sociales de l'agitation politique et de la violence. Il faut souvent de nouvelles idées pour comprendre les éléments moteurs des conflits et de la violence, pour s'y attaquer et pour se pencher sur les possibilités de changement. L'expérience que le CRDI a acquise en travaillant avec des chercheurs et des décideurs tant des pays industrialisés que des pays en développement démontre que des recherches rigoureuses et bien fondées peuvent exercer une influence bénéfique sur les politiques publiques.
Permettez-moi maintenant d'aborder directement le rôle que joue la recherche pour ce qui est de fournir des données probantes à l'appui des stratégies de mise en œuvre de trois des quatre thèmes du Plan d'action du Canada : prévention, participation et protection. Je ne parlerai pas du quatrième thème — les secours et le rétablissement — étant donné que le CRDI finance la recherche pour le développement et que son engagement à cet égard est accessoire.
En ce qui concerne la prévention de la violence, la recherche met en évidence les différents problèmes auxquels les hommes et les femmes, ainsi que les filles et les garçons, font face dans les endroits où il y a conflit. En tête de liste viennent les questions reliées à la violence sexuelle, compte tenu de l'importance que leur accorde le programme d'application de la résolution 1325 et les réalisations passées du CRDI en matière de soutien à la recherche portant sur la prévention de la violence sexuelle et sexospécifique et sur les mesures de réparation destinées aux victimes.
Tout en reconnaissant l'importance des mécanismes de la justice internationale, dont la Cour pénale internationale, le CRDI estime qu'il faut également accorder une place prioritaire au renforcement des mécanismes locaux et nationaux de justice et de réparations destinées aux victimes de violence sexuelle. Depuis dix ans, le centre a investi plus de 7 millions de dollars canadiens dans la recherche appliquée examinant les liens entre la violence sexuelle et sexospécifique, l'impunité et les possibilités de réparation. Ces recherches ont été menées en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Les données probantes très novatrices qui ont émané de certains de ces projets ont exercé une influence stimulante, et parfois inattendue, sur le plan des politiques. À titre d'exemple, l'idée de réparations transformatrices des rapports hommes-femmes — c'est-à-dire de mesures qui s'attaquent à la violence reliée aux conflits et aux facteurs socioéconomiques qui rendent les femmes vulnérables à la victimisation — a été lancée pour la première fois par un chercheur subventionné par le CRDI dans un ouvrage publié en 2007 sous la direction de Mme Navi Pillay, aujourd'hui Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.
L'idée de réparations transformatrices des rapports hommes-femmes est réapparue depuis, à titre de principe directeur, dans des documents d'orientation de haut niveau de l'ONU et dans la jurisprudence régionale en matière de droits de la personne. On la retrouve également dans le dialogue sur les politiques relatives aux réparations destinées aux femmes vivant dans des États fragiles et des pays touchés par un conflit. Il semble aussi que cette idée ait une influence sur les mesures de réparations pilotes mises en œuvre par des organisations des Nations Unies dans l'est de la République démocratique du Congo.
Au Guatemala, la recherche a éclairé le débat politique d'une autre manière : la chercheuse principale d'une étude sur les politiques d'État en matière de réparations, Mme Claudia Paz y Paz, est devenue par la suite procureure de la république, chargée du ministère public. À ce titre, elle continue d'influencer et d'appliquer les lois qui régissent les réparations accordées aux femmes victimes de violence.
Comme en font état la résolution 1325 et le Plan d'action du Canada, la participation des femmes et des filles aux processus d'élaboration de politiques favorisant la paix, la sécurité et la justice revêtent une importance cruciale si l'on veut que la voix des femmes viennent éclairer les décisions qui se répercuteront sur leur avenir et sur le bien-être de leurs familles et de leurs collectivités. Ces cinq dernières années, le CRDI a investi trois millions de dollars dans la production de nouvelles connaissances à ce sujet en Afrique, en Amérique latine et en Asie.
L'expérience nous a appris qu'il est difficile d'arriver à une représentation et une participation constructive — et, partant, à un développement inclusif et à long terme — sans tenir compte de la dynamique des rapports hommes-femmes et des rapports de pouvoir. Des travaux sur la gouvernance démocratique en Sierra Leone, en Égypte et au Kenya sont axés sur la participation des femmes aux décisions politiques, à l'appareil judiciaire et au secteur public. Ils examinent en outre les moyens à prendre pour exercer une influence sur les institutions de l'État, les partis politiques, la société civile et les formes d'organisation sociale fondées sur la parenté, afin de faire progresser les droits et les choix des femmes à titre de citoyennes.
Ce sont habituellement les récits les plus épouvantables de viols en temps de guerre qui font la une des médias, mais la violence sexuelle n'est pas la seule forme de violence que subissent les femmes et les filles dans des situations de précarité et de conflit. Les stratégies de protection mentionnées dans la résolution 1325 comprennent également des mesures visant à protéger les droits des femmes et des filles en cherchant à assurer leur sécurité, leur santé physique et mentale, leur sécurité économique et leur égalité.
Reconnaissant l'importance de l'autonomisation économique des femmes et les liens qu'elle entretient avec l'accès des femmes aux moyens de production, le CRDI a appuyé l'étude qu'a réalisée la Commission nationale de réparation et de réconciliation de la Colombie sur les répercussions différentes qu'a eues la confiscation des terres sur les femmes et sur les hommes. Cela a permis d'élargir les capacités de recherche sur les enjeux et de favoriser le dialogue entre chercheurs et décideurs. Cela a également beaucoup aidé à structurer des groupements de paysannes de différentes générations dans le pays.
L'empreinte de ces nouvelles connaissances et de ces capacités plus poussées en matière de politique est évidente dans les dispositions portant sur l'égalité des femmes de la nouvelle loi sur la restitution des terres de la Colombie. Cette loi établit les conditions auxquelles les terres sont rendues aux personnes et aux familles qui ont été déplacées de force.
Il y a plus de 10 ans maintenant, des chercheurs d'Afrique subventionnés par le CRDI ont commencé à examiner la complexité et la mobilité de la violence en milieu urbain dans des sociétés effectuant la transition d'un régime autoritaire et d'un État fragile à la démocratie. Si la transition fait souvent naître l'espoir d'un nouveau statu quo, elle est aussi porteuse de défis pour les femmes et les filles qui doivent faire face aux pressions et à la violence qui naissent tant dans la sphère domestique que dans l'espace public urbain.
Fort du constat que le monde est désormais résolument urbain, le CRDI compte lancer, en collaboration avec le Department for International Development du Royaume-Uni, une nouvelle initiative de recherche axée sur la réduction de la violence et de la pauvreté en milieu urbain. Cette initiative donnera lieu à la production de nouvelles connaissances sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas sur le plan de la réduction de la violence et des inégalités dans les milieux urbains touchés par l'insécurité chronique et le sous-développement. Elle mettra en outre l'accent sur la mise au point de solutions sexospécifiques novatrices susceptibles de mettre fin à la violence en milieu urbain.
J'espère que certains des projets du CRDI que j'ai décrits aujourd'hui vous montreront que le centre apporte des données probantes cruciales à l'appui de bon nombre des stratégies que préconise le Plan d'action du Canada. Au moyen du financement qu'il accorde à la recherche soutenant les objectifs de prévention, de participation et de protection des droits des femmes et des filles dans les États fragiles et les pays touchés par un conflit, le travail du CRDI est complémentaire des actions que mènent collectivement les acteurs canadiens pour mettre en œuvre ce plan. Le CRDI a à cœur la recherche novatrice et rigoureuse qui permet de s'attaquer à la violence, à l'insécurité et aux injustices liées au sexe.
[Français]
Nous vous remercions de cette opportunité et il nous fera plaisir de répondre à vos questions en anglais ou en français et en anglais.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame Duggan. Je suppose, monsieur de Boer, que vous n'allez pas présenter d'exposé mais que vous serez disposé à répondre aux questions.
J'aimerais un complément d'explication sur ce que vous entendez par « réparations transformatrices des rapports hommes-femmes ».
Mme Duggan : Certains des travaux précoces examinant les mécanismes de réparation mis en place par les États étaient axés sur la notion de réparation des préjudices sous forme financière. Mais souvent, les indemnisations financières ne sont pas toujours appropriées ou suffisantes pour les femmes qui ont été victimes de violence.
Les raisons en sont nombreuses, mais certains facteurs venant à l'esprit sont les barrières sociales et économiques auxquelles se heurtent les femmes dans le monde en développement. Souvent, les femmes ne contrôlent pas leurs propres finances. Elles n'ont pas de compte bancaire. Elles ont des problèmes de mobilité qui les empêchent d'aller toucher ou de retirer les montants d'indemnisation versés.
Tout un axe de recherche porte sur la réalisation que, lorsque les femmes subissent des violences dans un contexte de conflit, les répercussions sur leur vie peuvent prendre de nombreuses formes. À l'évidence, il peut y avoir des conséquences financières en ce sens que, si elles ont été grièvement blessées, leur capacité de gagner un revenu peut être réduite, les blessures subies les empêchant de gagner leur vie en dehors du foyer. C'est une situation particulièrement difficile, par exemple, dans le cas des agricultrices ou des ouvrières agricoles ou des femmes qui doivent compter sur leurs aptitudes physiques pour gagner leur vie. Les effets sur elles peuvent être considérables.
Souvent aussi, des femmes victimes de violence seront gravement traumatisées, ne feront pas confiance aux instances judiciaires nationales et ne penseront même pas pouvoir déposer plainte ou compter qu'elles seront sérieusement écoutées. Leur confiance dans leur propre système judiciaire a été ébranlée, de même que leur confiance dans leur capacité de chercher réparation au moyen des recours en justice traditionnels.
Les femmes sont souvent traumatisées. Elles revivent l'événement traumatique, particulièrement la violence sexuelle, et elles ont besoin d'avoir accès tant à des soins de santé primaires qu'à des soins de santé mentale. Là encore, ces soins peuvent ne pas être à leur portée, selon la qualité du système national de santé ou les ressources dont un pays peut disposer à ce moment-là. Par conséquent, il faut réfléchir à des solutions plus créatives et plus globales, des solutions multidimensionnelles pour répondre aux besoins, quels qu'ils soient, des femmes et des filles victimes de ces formes de violence. Parfois, un versement en argent ne suffit pas.
L'aspect « transformation » intervient lorsqu'on regarde en amont ou que l'on étudie les motifs et les raisons pour lesquels les femmes sont victimes de violence pendant les conflits, en premier lieu. Souvent, on commence par mettre à nu les conditions dans lesquelles elles ont vécu, souvent comme citoyennes de seconde zone — des conditions qui ne leur apportaient pas une protection policière ou autre suffisante. C'est ce qui les rendait vulnérables.
Après le conflit, lorsqu'on cherche à reconstruire les sociétés, plutôt que de renvoyer les femmes dans des situations où elles et leurs familles vont subir à long terme et au quotidien les conséquences de cet état de choses, il faut réfléchir plutôt à une réparation susceptible de les faire progresser comme citoyennes de cette société, de les aider à occuper une plus grande place dans le dialogue démocratique et à revendiquer leurs droits. Il s'agit d'envisager la réparation d'une manière qui soit transformatrice. Il ne s'agit pas de simplement maintenir le statu quo de ces femmes qui ont été des citoyennes de seconde zone avant le conflit. Il ne s'agit pas de recréer le même état de chose. Nous voulons créer une société meilleure. Les réparations sont ainsi conçues comme une passerelle et un moyen de créer les conditions dans lesquelles les femmes pourront devenir des citoyennes à part plus entière.
La présidente : Dans votre exposé, vous avez mentionné le Congo et le Guatemala. Pourriez-vous nous donner un exemple de pays où cela a donné de bons résultats et de pays où il reste encore beaucoup à faire?
Mme Duggan : Le Guatemala vient à l'esprit. La grosse difficulté avec des réparations au niveau de l'État tient au fait que la plupart des pays ont du mal à mettre en place des politiques publiques de cette sorte, par manque de ressources et de capacité. Tant de pays ont déjà bien du mal à mettre en place des régimes administratifs de réparations de cette sorte. Le Guatemala est l'un de ceux qui s'y est efforcé et il a appris un certain nombre de choses sur les types de réparations et de services sociaux qui peuvent être offerts aux femmes.
Par exemple, une indemnisation financière a été offerte à certaines femmes victimes et elles étaient censées toucher des versements. Ce n'était pas beaucoup d'argent, comparativement à un pays comme le Canada, mais c'était beaucoup d'argent pour une femme pauvre du Guatemala. Dans un cas, par exemple, les chèques ont été établis, et le ministère responsable pensait que ce serait une excellente occasion d'aller dans les villages concernés, d'y organiser une petite cérémonie pour remettre les indemnités et reconnaître la souffrance vécue par ces personnes. Évidemment, dans bien des cas, les victimes ne voulaient pas s'exhiber comme victimes de violence sexuelle pour ne pas être exposées à la stigmatisation dans leurs collectivités. Par conséquent, les cérémonies publiques, aussi bien intentionnées qu'elles soient dans un cas comme celui-ci, ne sont pas indiquées. Voilà donc la leçon qui y a été retenue.
Dans le même ordre d'idée, malheureusement, les premiers chèques ont été émis probablement par un ou une comptable zélé qui pensait bien faire en inscrivant « victime de viol » au bas du chèque. Comment aller dans une banque et encaisser un chèque de cette sorte? Quand nous parlons d'appliquer une optique sexospécifique, c'est précisément le genre de chose à laquelle il faut réfléchir, et des leçons ont maintenant été retenues de l'expérience guatémaltèque. Dans ce pays, on a également réfléchi aux droits de propriété des femmes, et notamment des victimes de violence sexuelle et sexiste pour voir si on pouvait leur donner la priorité dans la réforme agraire et la réforme de la propriété foncière, particulièrement les femmes célibataires chefs de ménage. C'est un autre mécanisme envisagé, privilégiant d'abord les plus vulnérables et les raisons de leur vulnérabilité.
Dans la République démocratique du Congo, sans vouloir exagérer la contribution de la recherche dans ce pays, je dirais que la notion de réparations transformatrices des rapports hommes-femmes a largement fait évoluer le dialogue sur les politiques et alimenté ou enrichi le discours politique des Nations Unies et d'autres acteurs multilatéraux et bilatéraux dans ce pays qui réfléchissent à la forme que devraient prendre les réparations. Les résultats de ces projets de recherche ont beaucoup guidé la réflexion sur les types de projets et de programmes conçus sous les auspices d'organisations comme le PNUD et ONU Femmes.
Le sénateur Andreychuk : Il me semble que l'on utilise trop de mots de jargon, par exemple, « transformatif », et cetera. Je ne pense pas qu'ils signifient grand-chose pour les femmes qui se sont trouvées dans cette situation. Les intentions sont bonnes, mais j'entends trop parler de ce que « nous allons faire », « comment nous aidons » « comment nous assistons ». Il semble que si la résolution 1325 doit avoir le moindre effet, il incombera au gouvernement d'ouvrir un dialogue avec le peuple. La Sierra Leone est un cas où les dirigeants devaient être inculpés et tous les autres devaient défiler à la commission de vérité. Aucune des deux mesures n'a porté beaucoup de fruits parce que ceux qui avaient souffert n'ont pas été intégrés au processus.
C'est un point sur lequel j'aimerais avoir votre avis. Est-ce que, au niveau des Nations Unies, on n'est pas trop obnubilé par la formulation de politiques, au point d'oublier comment vraiment aider les gens? C'est eux qui devraient nous dire comment ils veulent sortir de la guerre, et ils ont besoin pour cela qu'on leur donne un espace. Voilà ma première question. Je me fais un peu l'avocate du diable, mais je pense que c'est nécessaire aux fins de la résolution 1325.
Mme Duggan : Ce sont là une question et un commentaire importants. Il est souvent très facile pour nous de tomber dans le piège consistant à tomber par trop amoureux de nos propres concepts et idées.
Je pense que l'expression réparations transformatrices des rapports entre les sexes est parlante pour certains des acteurs multilatéraux et, il est permis de le penser, pour certains des gouvernements qui réfléchissent à ces mécanismes.
Est-ce qu'elle signifie grand-chose pour les victimes elles-mêmes? Probablement pas, mais l'une des grosses difficultés avec une notion comme celle des réparations, encore une fois, tient à ce qui était probablement notre schéma de pensée il y a 10 ans, lorsque nous commencions à réfléchir à la forme que cela pourrait prendre. Nous sommes partis en gros d'un concept de droit de la responsabilité délictuelle, à savoir d'une indemnisation en proportion du préjudice subi. On a alors commencé à se demander comment mesurer cela, comment mesurer le préjudice. Il existe des formules juridiques pour mesurer le préjudice, qui tournent autour de la capacité de la femme de générer un revenu, mais comment mesurer, par exemple, l'impossibilité pour une femme de fonder une famille parce qu'elle n'est plus épousable simplement parce qu'elle a été victime de violence sexuelle? C'est pourquoi il nous faut avoir un dialogue national sur les conditions dans lesquelles vivent les femmes et, sur cette base, déterminer comment aider les femmes à acquérir le statut de citoyennes à part entière, et donc à réellement progresser, au lieu de simplement les ramener dans leurs conditions antérieures.
Utiliserais-je ces termes si j'étais au Soudan à parler avec un groupe de survivantes? Non, probablement pas, mais je serais consciente, ayant travaillé à la conception de programmes dans ces domaines, souvent en collaboration avec un ministère de ces pays, qu'il faut faire le point sur les préjudices infligés dans le passé pour indemniser les victimes, en recherchant les façons dont je pourrais concrètement transformer et améliorer la vie de ces femmes. C'est là où la notion entre en jeu.
Le sénateur Andreychuk : C'est cela que je trouve troublant, car lorsqu'on voyage en Afrique, on rencontre des représentants d'ONG persuadés que la résolution 1325 peut être un bon outil. Cependant, le recours à des formules telles que « Comment puis-je transformer leur vie? » constitue à mes yeux le fond du problème que nous cherchons à résoudre aujourd'hui aux Nations Unies et dans les rapports. De fait, en écoutant ce que les gens veulent — ceux qui vivent dans une culture qui a fait la guerre vont réintégrer cette culture — comment peut-on leur permettre d'évoluer et de changer?
Je dis cela, car le sénateur Jaffer et moi savons qu'en Afrique de l'Est, ce n'est pas une question de droit de la responsabilité délictuelle. C'est souvent une question d'indemnisation. La question pour elles n'est pas la culpabilité ou l'innocence, mais la perte qu'elles ont subie et leur réinsertion dans la société.
Nous avons la résolution 1325, et nous avons dit aux Nations Unies de prendre au sérieux les problèmes des femmes. Nous avons demandé à tout le monde d'éplucher les rapports nationaux, et cetera. Cependant, partout, les meilleurs exemples que j'ai vus sont ceux où les femmes à la sortie du conflit se regroupent, savent ce qu'elles veulent et ne veulent pas, et demandent ensuite de l'aide, plutôt que la démarche inverse : Vous avez souffert, nous allons maintenant vous rétablir. Elles connaissent leurs sociétés et l'art du possible et on peut espérer que la résolution 1325 leur donnera plus de leviers pour accomplir cela. Mais je n'ai pas encore constaté que ce soit le cas.
Mme Duggan : Je suis tout à fait d'accord, car je crois que, dans le cas de grands objectifs comme la résolution 1325, il est difficile de les transposer à un niveau où ils peuvent concrètement être réalisés. La résolution 1325 fixe un objectif très large et ambitieux. Comment traduire les nobles discours en mesures qui vont réellement changer la vie des gens?
C'est un défi, et c'en est un auquel nous sommes confrontés tous les jours au CRDI, car nous devons aussi trouver les moyens de communiquer les résultats des recherches que nous finançons d'une manière qui interpelle les gens et leur permette d'en comprendre l'utilité.
Pour en revenir aux études sur les réparations, je dirais que, dans le cas de quelques-unes des premières que nous avons faites en 2005-2006, les femmes qui travaillaient au projet étaient des femmes de ces pays qui s'en étaient sorties. Il y a eu une série d'études de cas dont les auteurs ont parlé avec ces femmes et consigné ce qui pourrait réellement les aider.
Pour citer un exemple, au Timor oriental, l'équipe de recherche allait voir les femmes et leur demandait : « Voici ce qui a été offert; voici les options proposées dans le but de changer les choses. Êtes-vous d'accord, ou seriez-vous en mesure d'accéder à ce type d'indemnisation? Serait-ce suffisant? »
Dans ce cas-ci, par exemple, les femmes pouvaient répondre : « C'est très bien, mais ce qui m'inquiète au quotidien, c'est que mes enfants ne vont toujours pas à l'école. J'ai peur aussi que si je vais dans ce bureau et prends le chèque, tout le monde saura que j'ai été victime de violence sexuelle. Il vaudrait beaucoup mieux pour moi, par exemple, de pouvoir accéder à quelques autres services. S'il y avait des programmes éducatifs pour mes enfants, vous m'enlèveriez un gros facteur de stress dans ma vie quotidienne. »
Cela montre qu'il nous faut réfléchir de façon créative à la façon d'amener les services sociaux à travailler ensemble. La difficulté est d'y parvenir sur le terrain, surtout lorsqu'on travaille avec les Nations Unies et d'autres organisations multilatérales. Chacun possède sa petite part du gâteau et il est difficile de voir comment les intégrer.
Pour qu'il y ait des réparations transformatrices des rapports entre les sexes, il faut harmoniser de nombreux éléments : il y a les mesures économiques, les mesures sociales, les systèmes de santé, les services éducatifs et le gagne-pain et la formation du revenu. Il faut y réfléchir de manière beaucoup plus holistique, plutôt que d'escompter que quelqu'un accepte un versement d'indemnisation de 10 000 $.On sait que, dans certains cas, notamment en Afrique du Sud, certaines femmes se sont fait enlever par les hommes de leur maison l'indemnité qui leur avait été accordée. C'est très difficile lorsque les femmes ne peuvent même pas gérer leur ménage.
Lorsqu'on aborde cela sous un angle différent et qu'on leur offre des services différents, elles peuvent choisir ce qui est le mieux pour elles. À l'évidence, cela doit être coordonné avec les décideurs politiques de ces pays, qui n'ont pas des ressources inépuisables à leur disposition; ils doivent réfléchir à ce qui est possible et réalisable dans leur situation. Par conséquent, cela peut prendre des formes différentes dans les différents pays.
Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre exposé. À la lumière du rapport récent du comité sur les femmes en Afghanistan et de leur participation au renforcement des capacités et à l'entraînement sexospécifique, et cetera, quel est le niveau de participation actuel des femmes dans ce pays? Quel rôle le Canada y joue-t-il depuis le changement de mission en 2011?
J'ai été très alarmée la semaine dernière; je me trouvais au Pakistan, et l'on y disait que Hamid Karzai a pratiquement déclaré que les femmes étaient des citoyennes de seconde zone. Comment devrions-nous réagir à cela? Que faisons-nous pour les femmes en Afghanistan?
Mme Duggan : Je ne peux me prononcer directement sur ce que devrait être la réaction officielle du gouvernement du Canada, je m'en remets à lui car il lui revient d'arrêter la politique à cet égard. En l'occurrence, si je ne m'abuse, je crois avoir vu dans la presse une déclaration du ministre sur cette situation. Je pense que la position du Canada est assez claire.
En ce qui concerne le CRDI, nous avons appuyé quelques recherches en Afghanistan. Vous ne serez pas surprise d'apprendre que c'est une entreprise très difficile, ne serait-ce que parce que l'infrastructure de recherche en Afghanistan a été tellement décimée par les années de guerre. Les capacités de recherche elles-mêmes sont très réduites.
Il est également très difficile d'obtenir la participation des femmes dans cette recherche. Il n'existe qu'un petit nombre de femmes diplômées d'université qui sont en mesure de le faire. Évidemment, dès que l'on quitte la capitale, les conditions changent. Les conditions de la recherche sont évidemment très différentes à Kaboul et à Kandahar. Les conditions sont très diverses.
Je pense que nous avons connu quelques succès et probablement aussi quelques déceptions, comme la plupart des acteurs en Afghanistan, mais nous sommes résolus à poursuivre notre effort.
Le sénateur Ataullahjan : En tant que femme pashtoune, je suis très intéressée par la condition des femmes pashtounes en Afghanistan; elles ont terriblement souffert sous le régime des talibans. Avez-vous connaissance de programmes qui s'adresseraient spécifiquement à elles?
Mme Duggan : Je n'ai connaissance d'aucun programme que nous appuyons qui s'adresserait aux femmes pashtounes. Peut-être M. de Boer en connaît-il un qui serait offert actuellement.
John de Boer, chef de programme, Gouvernance, sécurité et justice, Centre de recherches pour le développement international : En ce qui concerne le CRDI, non, nous n'avons pas de programmes particuliers en Afghanistan axés sur cette population. Notre travail a été concentré sur le programme de solidarité nationale et les initiatives de microcrédit, deux grosses initiatives qui visent à transformer la vie des femmes, particulièrement sur le plan de leur sécurité économique, et nous cherchons à en évaluer les effets. C'est là-dessus que nos efforts ont été concentrés au cours des trois ou quatre dernières années.
Le sénateur Nancy Ruth : Merci d'être venue nous rencontrer. Qui d'autre au gouvernement se fait le champion de la résolution 1325, sur le plan soit de l'analyse des politiques, soit de l'exécution pratique?
Mme Duggan : Je suppose que les membres du comité ont connaissance du Plan d'action du Canada pour la résolution 1325, qui est...
Le sénateur Nancy Ruth : C'est un document.
Mme Duggan : Oui, c'est un document définissant une série de mesures à prendre par différents ministères. Il s'agit des Affaires étrangères, de l'ACDI...
Le sénateur Nancy Ruth : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Lorsque vous bavardez avec vos collègues qui travaillent à l'ACDI et dans ces autres ministères, que vous disent-ils au sujet de la mise en œuvre de la résolution 1325 dans leur ministère? Avez-vous des indications, officielles ou officieuses, que les choses bougent?
Mme Duggan : Je vois certainement les choses bouger.
Le sénateur Nancy Ruth : Par exemple?
Mme Duggan : Par exemple, dans divers ministères. L'Afghanistan est une énorme destination de l'aide canadienne, et je pense donc que plusieurs ministères sont actifs en Afghanistan, entre autres pays.
Cependant, je crois savoir également que le Plan d'action du Canada prévoit une série de rapports. Le premier rapport d'étape doit être déposé cet automne, sauf erreur, et j'attendrais donc de voir alors quels progrès sont réalisés. Les ministères et organismes concernés par le plan d'action vont devoir faire rapport sur leur exécution du plan. Ces rapports sont en préparation, mais je n'en sais pas plus.
Le sénateur Nancy Ruth : Avez-vous un rôle dans la rédaction de ce rapport? Ou connaissez-vous d'autres organismes gouvernementaux similaires au vôtre à qui l'on aurait demandé de faire rapport?
Mme Duggan : J'ai parlé à d'autres organismes. Du côté du CRDI, nous sommes en contact constant, de personne à personne, avec les responsables des bureaux géographiques et des programmes concernés, mais nous ne participons pas officiellement au groupe interministériel chargé du plan d'action. Nous faisons rapport au Parlement par l'intermédiaire du ministre des Affaires étrangères.
Le sénateur Nancy Ruth : D'accord.
Je veux aborder la Colombie, car vous y êtes allé. L'ACDI a fait une annonce, il y a peut-être un mois, disant qu'elle allait appuyer des programmes mettant en jeu des intérêts financiers canadiens. Je songe notamment aux intérêts miniers canadiens en Colombie, qui sont assez considérables.
Avez-vous pu faire connaître à ces compagnies minières les pratiques exemplaires sur le plan de la condition féminine, de la paix et de la sécurité? Toutes ont donné certains engagements en matière de responsabilité sociale. De fait, il existe un organisme qui traite avec les sociétés canadiennes ayant investi en Colombie. Avez-vous disséminé vos connaissances?
Pour moi, mon attitude vis-à-vis du CRDI est toujours teintée par le fait que je ne suis pas une universitaire, ne l'ai jamais été. Je suis une personne à l'esprit pratique. Je veux voir des résultats concrets. Nous venons de deux mondes différents. Je veux savoir quel usage est fait de vos connaissances lorsqu'il s'agit de traiter avec les sociétés minières canadiennes et de gérer l'argent de l'ACDI, qui soutient ces exploitations. Quel est le rôle de la résolution 1325 à cet égard?
Mme Duggan : Je peux vous parler, par exemple, d'une série de recherches que le CRDI a financée il y a 13 ans environ, connue sous le nom d'IRPM, une vaste initiative visant à étudier la façon dont les collectivités peuvent travailler de manière constructive avec les entreprises minières présentes sur leur territoire. C'était une initiative du CRDI. Il en a résulté quantité de pratiques exemplaires. Les sociétés minières, entre autres, y ont contribué. Une bonne partie de ces recherches a continué à guider la façon dont les entreprises minières conçoivent certaines choses, comme la responsabilité sociale. Je rappelle cependant que c'était il y a 13 ans. Depuis lors, l'architecture des programmes du CRDI a été quelque peu restructurée. Je suis heureuse de vous dire que nous révisons cette structure tous les cinq ans et que nous écoutons les chercheurs sur le terrain pour déterminer quelles sont leurs priorités de recherche.
Dans le cas de la Colombie, nous avons un bureau régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes qui est situé à Montevideo, et notre directeur se rend fréquemment en Colombie.
Le sénateur Nancy Ruth : C'est comme une toile d'araignée ayant son centre à Ottawa, qui s'étend jusqu'en Colombie ou du moins à ce bureau régional, au moyen de laquelle vous demandez : « Qui sont les chercheurs, que font-ils, qu'entendez-vous, et qu'advient-il de ce savoir? Comment canalisez-vous ce savoir? Comment vous assurez-vous que les femmes reçoivent la juste part qui leur revient? »
Mme Duggan : De manière générale, ou dans le domaine minier en particulier?
Le sénateur Nancy Ruth : Même la Colombie. Prenons un pays, et l'exploitation minière en Colombie. Si votre rôle consiste à tisser cette toile d'araignée pour recueillir des connaissances ici et là auprès de tous ces chercheurs qui alimentent un certain groupe central, pour ensuite ramener ce savoir ici, et si vous considérez ensuite le reste du monde — car c'est la mission du CRDI — comment rassemblez-vous tous ces fils pour tisser quelque chose de cohérent qui servira sur place à faire avancer les choses?
Mme Duggan : Encore une fois, pour en revenir au rôle de nos bureaux régionaux, nous sommes une organisation plutôt décentralisée. Nous avons des bureaux régionaux dans le monde entier et ces bureaux régionaux jouent ce rôle important de dissémination en retour.
Par exemple, les bureaux régionaux vont souvent prendre la recherche menée dans un pays comme la Colombie, qui concerne spécifiquement la Colombie. N'oubliez pas que souvent la recherche provenant d'autres régions du monde représente la valeur ajoutée d'une organisation comme le CRDI. Il s'agit de puiser les pratiques exemplaires dans différentes régions. Une fonction typique de notre bureau régional de Montevideo consiste à porter ces résultats de recherche à l'attention des pôles de décision dans un pays comme la Colombie.
M. de Boer : J'aimerais compléter cette réponse. Sur le plan des questions de gouvernance, de sécurité et de justice, nous élaborons tous les cinq ans ce que nous appelons un plan de programmes, qui définit nos principales priorités pour les cinq années suivantes. Ces grandes priorités sont déterminées par des études de cadrage approfondies, des négociations, des entretiens que nous avons tant à l'intérieur d'un pays ou d'une région en particulier qu'avec des intervenants au niveau international.
Pour les cinq prochaines années, l'accent sera mis largement sur l'accès à la justice, particulièrement sur les problèmes de la violence sexuelle et de l'impunité. En ce qui concerne la gouvernance, nous nous penchons sur les règlements politiques. Lorsque vient le temps de parler de condition féminine, de paix et de sécurité, nous posons la question : Comment pouvons-nous amener les femmes à la table de négociation et aider à établir les conditions pour cela? Pour ce qui est de la sécurité, nous nous intéressons particulièrement à l'incidence des programmes de réintégration, et cetera.
La réponse succincte à votre question sur les enjeux liés à l'exploitation minière et à la valeur ajoutée que le CRDI peut contribuer à cet égard, c'est que cet aspect n'est pas directement compris à l'heure actuelle dans nos programmes, car il n'a pas été retenu comme une partie indispensable de notre mission. Ce n'est pas un domaine prioritaire, étant donné nos ressources limitées. Les grandes lignes de notre programme ont été arrêtées en 2011.
C'est pourquoi certains des enjeux sur lesquels nous nous concentrons, choisis après des consultations poussées, ne concernent peut-être pas les préoccupations liées aux sociétés minières ou aux industries d'extraction, mais nous allons nous intéresser directement aux problèmes que sont la violence juvénile, le narcotrafic dans les Amériques, la violence urbaine — et plus particulièrement ses répercussions sur les femmes — ainsi qu'aux stratégies clés pouvant être mises en œuvre à cet égard. Il a fallu opérer des choix pour établir nos programmes, mais nous restons toujours en concertation étroite avec nos homologues du Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, du MDN et du gouvernement du Canada.
Le sénateur Nancy Ruth : La problématique de la violence urbaine m'intéresse beaucoup, et en particulier le transfert du savoir dans ce domaine au Canada. Diverses personnes m'ont dit au fil des ans, depuis la création du CRDI, qu'il est remarquable que nous fassions tant pour aider les pays étrangers à se développer et si peu pour le nôtre.
Qu'avez-vous appris au sujet de certaines collectivités qui puisse être appliqué à l'éducation des Inuits ou des Autochtones toujours en réserve? Je sais que votre mission est là-bas et pas ici, mais je dis simplement qu'il y a là un problème aux yeux de beaucoup qui doivent voter votre budget chaque année.
C'est un commentaire. J'espère que ce que vous avez appris sur les gangs pourra être utile ici, j'espère que la conception de ces recherches, où qu'elles se déroulent, est telle qu'elles peuvent trouver une application dans les villes canadiennes, ou partout au Canada où existent des gangs.
La question réelle est celle des moyens de mesure. Comment mesurez-vous votre réussite? Le CRDI utilise souvent l'expression « enrichir le dialogue ». C'est très bien de participer à des discussions aux Nations Unies sur ceci et cela, concernant des situations nationales, régionales, étatiques et ainsi de suite. Cependant, sur quelle période de temps mesurez-vous votre travail, comment le mesurez-vous, comment savez-vous que vos résultats sont bons et selon quels critères décidez-vous de changer de direction? Comment faites-vous cela?
Mme Duggan : Avant de m'attaquer à cette question, madame le sénateur, j'aimerais revenir sur votre remarque concernant la violence chez les jeunes et les gangs. En quoi cette recherche est-elle applicable au Canada, comment peut-elle aider aussi les Canadiens, et que se passe-t-il au Canada?
L'un des programmes actuels est un partenariat entre le CRDI et le Conseil de recherches en sciences humaines. Il rassemble des universités d'Afrique du Sud, de Colombie et d'un troisième pays dont le nom m'échappe, et des universités au Canada, dans le but d'examiner la violence chez les jeunes et les différentes stratégies utilisées par divers ministères et divers services à la jeunesse afin de prévenir le décrochage scolaire et le recours à la violence.
Dans le cas du Canada, ce travail est largement concentré sur le Nord et les collectivités inuites et les problèmes particuliers que connaissent les jeunes qui y vivent. C'est une façon de transposer les recherches au Canada.
Le sénateur Nancy Ruth : Je dois vous arrêter là. Le Nunavut compte je ne sais combien d'habitants : 50 000, 60 000. Le Canada en a 33 millions. Il y a un déséquilibre. En ce qui concerne le Conseil de recherches en sciences humaines, il faut tellement longtemps pour qu'un universitaire reçoive seulement une subvention pour travailler que je préférerais que vous vous adressiez aux policiers.
La présidente : Puis-je vous inscrire pour un deuxième tour, madame le sénateur?
Le sénateur Nancy Ruth : Oui, vous pouvez.
Le sénateur Meredith : Merci de votre exposé. Je vais reprendre là où le sénateur Nancy Ruth s'est arrêtée sur le sujet de la violence chez les jeunes, car il me tient très à cœur. Nous nous débattons — et mon collègue, le sénateur White, est avec moi et a constaté de première main la problématique de la violence chez les jeunes qui devient une épidémie dans tout le pays... Notre bureau se penche sur une stratégie nationale relative aux jeunes et sur les programmes que nous pouvons mettre en œuvre à l'intention des jeunes à risque dans tout le pays, c'est-à-dire un programme combinant une politique gouvernementale, les services correctionnels, les services de santé et de ressources humaines dans le but d'améliorer la qualité de vie des jeunes. En effet, on constate que la violence et la pauvreté sont indissociables.
Vous avez mentionné dans votre rapport que le Royaume-Uni n'est pas à l'abri, étant donné la multiplication des actes de violence chez lui, et qu'il est également désireux de collaborer. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l'initiative que vous entreprenez avec le Royaume-Uni? Dans la dernière partie de votre exposé, vous avez indiqué que le CRDI collabore avec le Royaume-Uni et que le ministère du Développement international de ce pays prévoit lancer une nouvelle initiative sur la violence et la pauvreté. Pourriez-vous établir ce lien pour moi, s'il vous plaît?
M. de Boer : Merci beaucoup de la question. Concernant ce programme en particulier, nous sommes dans la dernière phase de négociation d'un protocole d'entente avec le ministère du Développement international du Royaume-Uni en vue de lancer un appel de propositions concurrentiel pour déterminer, en particulier, quelles mesures de réduction de la criminalité ou de la violence et de lutte contre l'inégalité et la pauvreté sont efficaces et lesquelles ne le sont pas. Comme vous l'avez mentionné, les deux problèmes vont de pair.
Après une étude assez poussée, nous avons constaté que les politiques mano dura, ou les politiques de la poigne de fer qui se limitent à la répression, ont des effets néfastes, particulièrement sur les femmes, qu'elles effraient les investisseurs et qu'elles ont d'autres conséquences négatives. C'est là une proposition cofinancée avec le Royaume-Uni. Nous cherchons d'autres donateurs. Nous avons eu des pourparlers avec le gouvernement du Canada pour essayer de recenser quelles mesures sont efficaces et lesquelles ne le sont pas.
Sur quoi se fonder pour déterminer ce qui marche bien, vu la dynamique du problème? Comme dans le cas de la question précédente, toute sorte de concepts sont proposés, mais nous ne savons pas ce qui produit de bons résultats. Voilà la première étape. C'est un programme quadriennal qui va se concentrer sur les Amériques, Caraïbes comprises, l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud. Ce sont là les premières régions dans lesquelles nous allons recueillir des éléments probants. Nous les mettrons à l'épreuve. Nous nous en servirons pour contribuer aux dialogues sur la violence urbaine et l'urbanisation qui se déroulent dans le monde et chercherons à mettre en relation les milieux de la planification urbaine, ceux qui connaissent ce qu'une bonne planification urbaine peut accomplir sur le plan de la prévention de la criminalité, et les milieux de lutte contre la pauvreté. Ces gens travaillent souvent en vase clos, et c'est une partie du problème.
Le sénateur Meredith : Je suis impatient de voir cela, car cela aura de profonds effets sur nos centres urbains où nous déplorons une augmentation du nombre de jeunes hommes et jeunes femmes qui meurent dans nos rues.
Ma prochaine question porte sur la mise en pratique et le sénateur Nancy Ruth a également abordé cela. Vu qu'il est urgent de mettre en œuvre la Résolution 1325, à votre avis, déploie-t-on suffisamment de ressources et de pressions au niveau le plus élevé des Nations Unies pour montrer qu'on ne se contente pas de paroles mais qu'on veut véritablement mettre la résolution à exécution? Du point de vue des mécanismes, des ressources et des objectifs, est-ce que suffisamment d'efforts ont été déployés pour cela, ou ne fait-on que rédiger un rapport de plus? Le Plan national du Canada va être publié cet automne. Est-ce que l'on accorde suffisamment d'importance au sujet?
Mme Duggan : C'est intéressant. M. de Boer et moi en parlions justement lorsque nous étions en route pour venir ici. Bien sûr, les niveaux d'engagement seront variables selon les différents États membres des Nations Unies. Je pense que cela nous ramène aussi à la question posée par le sénateur Nancy Ruth sur les méthodes de mesure. Nous avons maintenant une situation où la résolution 1325 existe, de même que des résolutions apparentées. Nous avons des résolutions où il est question d'indicateurs, d'étalonnage et de méthodes de suivi. Il ne reste plus qu'à agir. C'est là le défi à relever.
L'un des plus gros défis tient au fait que vous avez 132 signataires de la résolution 1325 et un nombre croissant de pays dressant des plans d'action. Là encore ces pays sont très hétérogènes. Certains sont la proie de conflits. Vous avez d'autres pays qui n'ont pas de conflit mais qui contribuent beaucoup à l'aide humanitaire fournie pour atténuer les effets des conflits. Il sera plutôt difficile d'obtenir un minimum de comparabilité entre ces pays, car ils se seront dotés de plans d'action bien différents.
Je conviens que ce sera difficile, mais en ce qui concerne la contribution du Canada, le plan d'action national dont nous nous sommes dotés constitue un énorme pas en avant. Je pense que le fait que nous ayons un comité sénatorial qui est sensibilisé à la question, qui l'examine et qui la suit sérieusement est également un pas en avant très considérable.
Pour ce qui est de savoir si les ressources consacrées sont suffisantes, je n'ai pas de données le prouvant, mais je crois que l'intérêt des États membres pour ces questions s'est nettement accru. La Résolution 1325, lors de son adoption, a suscité un intérêt marqué et elle a enclenché une certaine dynamique. Il s'est produit peut-être un léger recul entre 2005 et 2007, puis une remontée, et je pense que cela peut être attribué à des facteurs tels que l'indignation du monde face à ce qui se passe en République démocratique du Congo, la possibilité de mettre en lumière ces pratiques de violence sexuelle et sexiste et le fait que des problèmes importants comme ceux-ci font plus souvent l'objet de discussions entre les pays du G7. Ces problèmes ressurgissent dans différents forums où s'établissent les politiques, pas seulement aux Nations Unies, car ils ont des répercussions sur la paix et la sécurité internationales. Ils sont lourds de conséquences pour de nombreux États membres, non seulement sur le plan de la paix et de la sécurité, mais aussi sur celui des ressources que nous leur consacrons.
M. de Boer : Je dirais qu'il y a une remontée, mais il faut aussi regarder les faits. Prenez en particulier les femmes qui ont participé aux négociations de paix, comme Shadia Marhaban, d'Aceh : elle est l'une des 12 femmes qui ont pris part aux négociations de paix. La réalité est que les femmes, la plupart du temps, en sont exclues. Pourquoi importe-t-il qu'elles soient incluses? C'est parce que c'est là où s'établissent les règles du jeu. C'est là où, dans le cas de l'Afghanistan, on détermine qui est admis et qui ne l'est pas. C'est là où on détermine quels services de base seront fournis, quelle sera la nature de la force de police, la nature des institutions judiciaires. Les conséquences sont énormes. A-t-on fait assez? Probablement pas. Faut-il plus de ressources? Je pense que la réponse est simple, c'est oui.
Il y a une dynamique que nous pouvons mettre à profit et des initiatives comme le Plan d'action national. Le Canada est l'un des 34 pays qui ont un plan national. Il faudrait un dialogue plus soutenu entre le Royaume-Uni et le Canada, entre les pays scandinaves et le Canada, sur la façon d'avancer collectivement et concrètement. C'est là où l'existence d'éléments probants pourrait accélérer les choses, en montrant ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas dans ce domaine.
Le sénateur Hubley : Premièrement, mes excuses pour avoir manqué une partie de votre exposé. Vous avez mentionné le Guatemala. L'exemple que j'aimerais vous donner ne concerne pas nécessairement le Guatemala, mais une situation qui existe peut-être également dans d'autres pays. Vous savez probablement que le taux d'homicide au Guatemala est renversant. Lorsqu'on considère les femmes victimes, il est possible que l'on accorde moins d'importance au meurtre d'une femme qu'à celui d'un homme.
Il existe une organisation de femmes professionnelles qui souhaitent travailler dans cette société afin de résoudre certains de ces problèmes, ou du moins lancer quelques défis au gouvernement. Nous avons parlé de ressources. J'aimerais savoir quels mécanismes peuvent être à la disposition d'une organisation cherchant à assurer la justice pour les femmes dans une société, mais qui peut avoir besoin du soutien supplémentaire pouvant être fourni au titre de la Résolution 1325.
Mme Duggan : Cela dépend de la situation. Par exemple, selon notre expérience au Guatemala, ce qui donne le meilleur résultat est le soutien que nous avons apporté aux chercheurs travaillant sur cette question particulière, la violence sexuelle. La difficulté, lorsque vous essayez d'influencer la politique ou d'attirer l'attention sur un problème, c'est qu'il vous faut deux choses. Il faut être capable de bien communiquer et de bien défendre sa cause, mais il faut aussi des données solides sur lesquelles s'appuyer. Il faut des chiffres, des statistiques, des cas à citer. Dans le cas du Guatemala et des recherches que nous avons financées dans ce domaine, les chercheurs avec lesquels nous avons travaillé ont pu se rassembler et nouer des partenariats avec des organisations de la société civile qui savaient défendre leurs causes et qui avaient des contacts dans les cercles politiques, les ministères et l'appareil judiciaire.
Ces alliances et ces partenariats sont cruciaux à nos yeux, vu le type de recherche que nous finançons. Quelqu'un doit se saisir du message et le mettre sous une forme propre à éveiller l'intérêt des décideurs et à les amener à réagir, mais les chercheurs ne possèdent pas toujours ces aptitudes. Leur message est souvent aride, non percutant, et non cadré de manière à le rendre important ou intelligible aux yeux des décideurs. Toutefois, d'autres, dans les cercles où s'élaborent les politiques, savent s'y prendre. Chez nous, au CRDI, autant nous accordons d'importance à la réalisation d'études scientifiques robustes et solides, autant nous essayons de privilégier en même temps la communication de ces résultats de recherche. Cette recherche doit être communiquée et disséminée de manière à être concrètement utile aux décideurs, afin qu'ils puissent agir.
La présidente : Merci beaucoup. Comme vous pouvez le voir, nous sommes encore plusieurs à avoir des questions, et nous comptons bien vous réinviter. Je tiens à vous remercier tous deux d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Nous serons ravis de collaborer avec vous à l'avenir.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir encore une fois Mme White à notre comité. Elle est la directrice générale de l'Association canadienne pour les Nations Unies et a travaillé pendant très longtemps sur ces questions.
Kathryn White, directrice générale, Association canadienne pour les Nations Unies : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, vous qui êtes tous des champions des femmes — et c'est très clair lorsque je regarde autour de la table — je suis honorée de comparaître devant vous pour traiter de ce sujet vital qu'est la Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité. Je vais me concentrer aujourd'hui sur les droits des femmes en Afghanistan, le rôle que peut jouer le gouvernement canadien pour assurer aux femmes une plus grande égalité à l'heure où nous planifions notre stratégie de retrait et à l'heure où nous exécutons le processus de transition, à la lumière l'examen continu que vous effectuez de l'appareil gouvernemental responsable de l'exécution des obligations nationales et internationales du Canada dans le domaine des droits de la personne.
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a déjà apporté une immense contribution à ces enjeux et j'ai déjà eu l'honneur de comparaître devant vous à ce sujet auparavant.
J'ai été une fois de plus impressionnée par la qualité et la profondeur des questions et j'escompte donc un débat animé. De fait, je vais abréger mes remarques liminaires afin que nous puissions passer aux questions. Je vais donc plonger dans le vif du sujet.
Premièrement, mon équipe m'en voudrait si je ne disais pas que, en sus de mon rôle à l'Association canadienne pour les Nations Unies, je suis également la présidente élue du conseil d'administration de la Fédération mondiale des associations pour les Nations Unies. À ce titre, je représente quelque 110 ANU dans le monde, et vous admettrez que c'est là un rôle important dans la société civile internationale.
Dans mes deux rôles, j'ai le privilège de gérer l'une des organisations non gouvernementales non partisanes les plus anciennes du Canada. Notre mission principale est d'intéresser le public canadien au travail des Nations Unies et aux enjeux mondiaux cruciaux qui nous touchent tous.
Nous remplissons ce mandat au moyen de programmes novateurs qui sont notre signature : un projet national en faveur de la diversité du pays, le projet Multimédias et multiculturalisme; le programme sur les Objectifs du Millénaire pour le développement nationaux et internationaux et la gouvernance, qui produit des résultats réels sur le plan de l'engagement et de la participation des citoyens; et un programme pour une gouvernance meilleure et responsable appelé Sport-in-a-Box.
Nous venons tout juste de tenir notre Simulation internationale canadienne des Nations Unies, qui jouit d'une haute réputation, dans le cadre de laquelle nous rassemblons les jeunes esprits canadiens les plus brillants pour se livrer à une réflexion critique et à la recherche de solutions. La semaine dernière, à Edmonton, nous avons eu le sous-secrétaire général des Nations Unies pour Rio+20, Sha Zukang, qui a prononcé une allocution pour notre simulation de Rio +20. J'ai été ravie de l'accompagner dans une tournée des sables bitumineux de l'Alberta.
Au moyen de ces initiatives, nous nous acquittons régulièrement et avec succès de notre mandat. Je vous remercie de cette occasion de traiter d'un sujet aussi crucial que les droits des femmes. Encore une fois, je reconnais que nombre des personnes autour de cette table travaillent activement avec moi dans ce domaine.
Je veux signaler aussi que nous avons un spécialiste de la sécurité et de la défense. Certains d'entre vous se souviendront que nous avons joué un rôle actif auprès du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, ou DOMP, et je traiterai ici également des services de police, alors préparez-vous. Je salue également le rôle joué par votre comité lui-même relativement à ces enjeux.
Je veux rappeler aussi l'étude qui a fait date et que vous avez vous-mêmes menée, La formation en Afghanistan : inclure les femmes, et je mentionne ici les cinq domaines primordiaux couverts : la réconciliation politique et la protection des droits; le rôle à donner aux femmes dans toute négociation de paix future; la sécurité, qui vous a amenés à vous pencher sur les formateurs, soit les militaires et les policiers canadiens, la mise en valeur d'une formation sexospécifique et de l'utilisation des bons outils dans ce domaine; la justice, soit la responsabilité pour les crimes contre les femmes — sensibilisation et renforcement de la capacité des mécanismes judiciaires requis pour appliquer les lois existantes — et vous savez que la législation relative à l'élimination de la violence faite aux femmes sera abordée également; l'éducation — nous savons qu'elle fait partie du tout premier travail entrepris en Afghanistan, et le Canada a certainement lieu d'être fier de son rôle à cet égard, avec notamment la construction d'écoles; enfin, le développement local, et je pense que là, il s'agit de reconnaître l'importance du savoir local et de la mise en œuvre globale.
Nous parlons ici de la promotion de valeurs universelles dans le contexte local. Nous continuons de voir que les femmes afghanes désirent un meilleur accès aux services, à une éducation de qualité, à une formation professionnelle et aux soins de santé. Comme le mentionne votre rapport, il y a une revendication locale de droits politiques, en dépit des risques. Il est bon de signaler qu'il y a eu davantage de femmes candidates aux élections de septembre 2010 qu'à celles de 2005, à une époque où nous pensions que la sécurité était bien meilleure. C'est donc un fait éloquent, car la sensibilisation ne consiste pas seulement à parler mais aussi à agir. Nous continuons de constater qu'un bon développement doit tenir compte des réalités locales, et qu'il faut utiliser la culture et la religion locales comme point de référence pour expliquer et légitimer les droits de la personne, et en particulier des femmes.
Sur le plan de la réconciliation, de nombreuses ONG et femmes afghanes craignent que leurs droits soient sacrifiés en échange de la paix avec les insurgés. Vous savez que ce risque figure actuellement au premier plan sur notre écran radar. La réconciliation doit englober l'égalité des sexes et le gouvernement afghan doit inclure des femmes dans ces pourparlers. Si les autorités locales voient des avantages au progrès de la condition féminine, elles seront plus susceptibles de protéger les droits des femmes, peu importe ce dont l'élite politique puisse convenir dans un processus de réconciliation.
Le Canada possède des moyens de pression sur le gouvernement afghan. Il a su très bien les exercer par le passé, mais vous savez aussi que nous sommes dans une phase de transition, facteur non négligeable.
Par ailleurs, votre comité a formulé des recommandations concernant la sécurité, la formation sexospécifique et la formation sur les droits juridiques, et nous savons que les Forces canadiennes et la GRC ont besoin d'une formation, comme vous l'avez recommandé. Cependant, je dirais aussi que des progrès ont été réalisés dans ce domaine, et je serais ravie d'en parler.
La justice aussi figure au tout premier plan. D'une certaine façon, je récapitule le rapport, car tous ces enjeux demeurent prépondérants lorsqu'on parle d'égalité des sexes, en tout cas en Afghanistan. N'oublions pas que, dans notre passé, les femmes au Canada ne se plaignaient pas non plus. Il a fallu pour y arriver une sensibilisation, une légitimisation, et cetera. Certaines formes de discrimination demeurent : les femmes doivent demander l'autorisation de leur mari pour sortir de chez elles; les crimes d'honneur subsistent et, si Karzai a bien adopté la loi relative à l'élimination de la violence envers les femmes, elle n'est pas forcément appliquée uniformément. En Afghanistan, les parlementaires conservateurs et ceux qui sont peut-être animés de sentiments religieux peuvent continuer à essayer d'affaiblir la loi.
En ce qui concerne l'éducation, je vous laisse le soin de faire le point. Oui, des progrès ont été accomplis, mais le Canada reconnaît aussi que l'éducation ne doit pas se limiter à l'école élémentaire; il faut en outre, impérativement, se pencher sur la formation d'enseignants locaux.
Lorsqu'on parle de développement local, je veux réellement souligner que les hommes doivent être partie prenante aux projets ciblant les droits des femmes. Cela leur permet de se sentir inclus et de comprendre les buts de l'initiative.
Il y a cependant un risque. Là encore, le mode de participation des hommes au Canada, eh bien — et monsieur le sénateur Meredith, je songe à certaines des questions que vous avez posées à votre interlocutrice précédente, faisant état de problèmes même au Canada. Nous savons, par exemple, qu'aux fins de notre programme Multimédias et multiculturalisme, nous ne pourrons rassembler les hommes en leur disant que nous parlerons de nos sentiments sur le sujet; il faut axer le programme davantage sur l'action. Il n'y a pas lieu d'être surpris le moins du monde que cela vaille aussi pour l'Afghanistan.
Au moment de tirer les leçons du passé, j'aimerais attirer votre attention sur l'action internationale et le rôle des Nations Unies dans tout cela. Puisque cela était sur vos lèvres et imprégnait vos questions, j'ai pensé que ce serait utile.
Voici un rapport qui vient d'être publié. Certains d'entre vous savent peut-être qu'ONU Femmes est sur le point de publier son rapport, Le progrès des femmes dans le monde : en quête de justice. Il traite véritablement, exclusivement, de la justice. J'en ai un exemplaire préliminaire et je me ferais un plaisir de vous le remettre.
Revenons à la mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, la MANUA, et passons en revue certains de ces enjeux, notamment les progrès réalisés. Là encore, madame le sénateur Nancy Ruth, il est question particulièrement de mesures concrètes : la participation des femmes au Conseil supérieur de la paix; l'aide au gouvernement afghan sous forme d'une analyse de la Loi sur l'élimination de la violence envers les femmes; et aussi la participation à la révision des règlements concernant les femmes, les centres de protection et les foyers d'accueil. Cela a d'ailleurs été très controversé, et ces foyers ont été critiqués par des assemblées législatives conservatrices et religieuses sur le plan institutionnel, et cela reste un défi.
La MANUA a soutenu l'incorporation de la condition féminine dans le Programme pour la paix et la réintégration de l'Afghanistan, ce qui a été fait de manière très notable. La mission continue de soutenir le ministère des Affaires féminines, et je pense que cela aussi est très important.
On ne peut ignorer que la situation sécuritaire se détériore. Vous verrez que j'ai indiqué sur ma liste le fait que les incursions nocturnes des forces militaires internationales ont des répercussions négatives sur les femmes rurales. Nous avons vécu récemment une situation horrible et il nous faut admettre les décès causés dans la population locale afghane.
Je ne pense pas que quiconque ici croie un instant à la version américaine, celle d'un attaquant seul. Néanmoins, cela survient à un moment d'insécurité croissante. La plupart des pertes de civils sont causées par des éléments antigouvernementaux, et ces pertes sont considérables. Cela a un effet profond sur les femmes et leur sentiment de sécurité, ainsi que sur la communauté. Vous savez que lors de l'incident d'hier, les cibles étaient particulièrement les femmes et les enfants.
La mission MANUA a appuyé l'inscription de la condition féminine dans 22 programmes nationaux prioritaires, et c'est important. Oui, c'est de l'administration, mais il faut regarder les gens dans les yeux et avoir une conversation avec eux pour que les choses bougent. Je trouve que c'est très important.
J'ai également mentionné la loya jirga, qui a vu une participation considérable des femmes. Le témoin précédent a dit combien il est important que les femmes apprennent à plaider leur cause, à faire du lobbying et à renforcer leur voix pour l'avenir. En ce qui concerne l'action militante pour influencer les politiques, je vous laisse le soin de passer en revue certains de ces problèmes. Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait qu'il s'agit là d'un décret présidentiel, qui n'est donc pas soumis au Parlement. Il y a vraiment lieu de craindre que l'on revienne sur des droits acquis lors de cette transition, une fois que les Américains seront partis et que le Canada passera d'un simple rôle de formation à une stratégie de retrait total.
En septembre 2011, le conseil des ministres a approuvé un règlement sur les centres d'accueil de femmes. C'est un sujet dont vous avez probablement entendu parler, soit le soutien aux femmes et aux filles qui sont en bute à la violence et aux sévices dans leur foyer. Les organisations des Nations Unies ont mis sur pied un groupe de travail chargé de produire des messages et des récits, et c'est important. Il s'agit de faire savoir à la collectivité comment les victimes peuvent porter plainte et ce qu'elles peuvent dire. Ces récits sont téléchargés sur les sites Internet de toutes les organisations participantes de l'ONU, et, de plus en plus, cette dernière s'efforce d'appliquer ce mécanisme appelé Unis dans l'action, de façon à éviter les redondances habituelles.
Il va peut-être sans dire, mais je le dirai néanmoins et à voix haute, que le soutien aux femmes parlementaires afghanes a été de la plus haute importance. La MANUA a apporté son concours à cet égard, mais les Canadiens en Afghanistan ont également fait beaucoup.
Vous verrez, un peu plus loin dans mon texte, que la formation a été facilitée par le cabinet du haut représentant du secrétaire général. Cela a fait une énorme différence, et il y a eu une bonne étude de suivi, c'est-à-dire une enquête avant et après auprès des participantes pour voir si la formation a véritablement changé les choses.
Elles ont également demandé une formation plus poussée, et lorsqu'elles demandent un plus grand respect du protocole, c'est dû à l'impression que lorsque les parlementaires afghanes sont invitées à l'étranger, elles ne sont pas traitées à l'égal des hommes. Je pense qu'il faut chercher des solutions à certains de ces problèmes.
Je mentionne de nouveau la loya jirga et certaines de ces activités.
Permettez-moi de parler un peu des pressions exercées pour que la loi sur l'élimination de toutes les formes de violence envers les femmes soit appliquée intégralement et rapidement. Kaboul, cette année, a marqué le point zéro, pour ainsi dire, de la célébration de la Journée internationale de la femme. ONU Femmes et la MANUA ont pressé le gouvernement afghan de mettre en application pleinement et promptement la loi sur l'élimination de la violence envers les femmes. Malheureusement, elle n'est toujours pas uniformément respectée. Il reste encore à donner des instructions aux autorités locales et à la police, et vous verrez dans toutes mes remarques ultérieures que ces problèmes figurent clairement parmi les enjeux primordiaux que vous avez repérés. Alors que nous avons avancé de deux pas, nous avons peut-être reculé d'un pas, et les craintes sont réelles. Je songe toujours à cette notion de la talibanisation et à ce qui pourrait advenir.
Pour ce qui est des leçons retenues, les résultats du travail coopératif ont été très positifs. Nous voyons que les femmes sont devenues plus visibles dans la société civile et leur capacité à plaider leur cause s'est améliorée. Les réponses des parlementaires afghanes concernant la formation qu'elles ont reçue montrent qu'elles sont avides d'apprendre et prêtes à agir.
Un point qui nous préoccupe fortement est le clivage en quelque sorte que nous observons entre, d'une part, l'optique de la Résolution 1888, qui dit que nous devons protéger les femmes, considérées comme des victimes de violence, et qui tend à voir les femmes comme des victimes — certains pays ont épousé cette optique — et celle de la Résolution 1325, qui parle de l'autonomisation des femmes et de leur pleine participation, et cetera.
Je veux féliciter notre délégation à New York qui continue de présider le groupe des Amis de la Résolution 1325. Je vous invite à lire mes notes car j'ai fait plusieurs appels téléphoniques à New York et notre délégation demeure très bien vue. Son travail est très apprécié, ne serait-ce que sur le plan du soutien technique, mais les efforts qu'elle déploie ne faiblissent pas, elle persiste et fait bouger les choses. Je suis heureuse de la féliciter tout particulièrement.
La présidente : Nous avons une copie des notes, et je vais les faire distribuer à tout le monde. Nous passons à la période des questions.
Le sénateur Meredith : Merci infiniment. Il a été rafraîchissant d'entendre votre exposé.
Vous étiez dans la salle lorsque l'invitée précédente a parlé du fait qu'il reste toujours très difficile de donner une place aux femmes à la table où se prennent les décisions. Vous avez évoqué brièvement le plan d'action national du Canada et dit qu'il va accentuer la pression, espérons-nous.
Que pouvons-nous faire d'autre, à votre avis? La Journée internationale de la femme était la semaine dernière et le président, par ses remarques, n'a pas réservé un accueil très chaleureux à toutes les femmes du monde. Comment pouvons-nous amener les hommes à comprendre, ne serait-ce que l'importance de faire participer les femmes aux décisions prises au sommet, parce que ces décisions ont des répercussions sur leur vie?
Mme White : Le facteur économique est primordial. Autrement dit, une fois qu'il est admis que les femmes sont une force motrice dans une économie forte, cela fait une grosse différence dans une vie. Il nous faut quelques championnes, quelques rebelles qui vont ouvrir la brèche, et des femmes courageuses. N'oubliez pas, en Afghanistan en 2012, comme cela a été le cas chez nous en 1972, il y a des femmes qui savent bien qu'elles seront mal reçues, qu'elles vont se faire traiter de harpies, comme d'habitude, et cetera, et il faudra leur fournir tout le soutien possible pour qu'elles sachent, par exemple, qu'il y a un comité d'amis à New York qui travaille pour qu'on leur donne voix au chapitre. Encore une fois, et je vous renvoie la balle, lorsque les hommes voient que leur prospérité passe par la réussite et la participation des femmes, des changements se produisent.
Le sénateur Meredith : En ce qui concerne le développement économique, on nous a parlé de la sécurité des femmes et de leur rôle dans le développement économique. Comment pensez-vous que les choses vont évoluer en Afghanistan pour les femmes qui souhaitent avoir une entreprise, à l'heure où le Canada se prépare à partir, vu les énormes investissements que le Canada a effectués dans le pays? Comment voyez-vous l'avenir sur le plan du développement économique?
Mme White : J'ai des craintes à différents égards, la situation sécuritaire m'inquiète et j'ai peur de ce qui peut arriver. Il existe des risques réels et graves qu'il ne faut pas minimiser.
Cela dit, je pense que si nous pouvons poursuivre l'effort, notamment celui de votre comité, avec ses délibérations et ses contacts de l'autre côté, cela peut faire bouger les choses.
Vous avez parlé plus tôt de la responsabilité sociale des entreprises. Nous savons que les sociétés canadiennes veulent travailler dans des endroits où règnent la paix et la sécurité. Nous travaillons avec des femmes qui se sentent déjà prises au piège, et le fait que leurs intérêts sécuritaires ne soient pas nécessairement au centre des préoccupations ou une grande priorité les expose encore davantage aux risques.
Il me semble qu'il y aurait là un espace pour des projets pilotes qui verraient la création du même type de centres de développement des affaires que nous avons établis en général pour différentes technologies et différents secteurs. Il faut imaginer les solutions en fonction de la réalité, et la réalité, c'est que la sécurité fait gravement défaut.
Le sénateur Meredith : Merci infiniment.
Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre exposé, madame White.
Très souvent, lorsque l'on parle de l'Afghanistan, il n'est guère question que de Kaboul. Pensez-vous que la vie des femmes rurales a changé? Pensez-vous qu'elles sont plus en sécurité? Avez-vous des chiffres ou des données concernant l'Afghanistan rural?
Mme White : Je m'engage à vous fournir le rapport intégral de la MANUA. Je peux vous dire que votre question est totalement pertinente, car c'est dans les centres urbains que sont allés tous les investissements, que l'on voit les choses bouger, et ils ne sont pas pleinement représentatifs de la vie en Afghanistan. Les progrès réalisés dans les zones rurales ne sont pas du même ordre.
Vous pouvez imaginer que tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à Kaboul sont décuplés en zone rurale. Pardonnez-moi de ne pas avoir les chiffres en main, mais ils sont quelque part dans ma documentation.
J'insiste aussi sur le fait que l'une des recommandations est de travailler avec les femmes pashtounes, parce que c'est là aussi une lacune à laquelle il faudrait remédier.
Le sénateur Ataullahjan : Je vais vous poser la même question qu'aux témoins précédents. Il s'agit de l'attitude de Hamid Karzai, qui a relégué les femmes dans un statut de citoyennes de seconde classe. Je sais qu'il est difficile pour vous de donner une réponse, mais quel message nous faut-il adresser à M. Karzai? Il lance sans cesse des déclarations qui ne sont pas en accord avec ce que nous encourageons le peuple afghan à faire.
Mme White : Cela a été une nouvelle très décevante. D'ailleurs, j'ai relevé l'article d'opinion de Khorshied Samad, que vous avez sûrement vu aussi, où elle parle de l'approbation apparemment donnée par le président Karzai à l'une des lignes directrices les plus strictes du conseil des religieux, laquelle va jusqu'à dire : « Les hommes sont essentiels et les femmes sont secondaires. »
Alors que le Canada et chaque citoyen et contribuable canadien ont investi tant de ressources en faisant montre de tant de bonne volonté dans le but de changer les choses, ce n'est rien de moins qu'étonnant. Nous savons également que la situation est très complexe, à cause du tribalisme, des luttes de pouvoir et des problèmes de sécurité visant l'Afghanistan et le Pakistan, et cetera.
Cependant, si quelqu'un dans la communauté internationale, de concert avec la MANUA — oui, il faut une intervention de la communauté internationale par l'intermédiaire des Nations Unies, mais je dirais aussi que le Canada doit faire entendre sa voix. Nous avons des Canadiens qui sont exposés, et nous avons pris cet engagement en dépit du fait que nos collègues américains ont présenté différents plans de retrait ces derniers temps.
Encore une fois, je vous encouragerais à ne pas vous laisser trop décourager, comme nous le sommes tous après avoir entendu cette nouvelle, et à redoubler d'efforts, car c'est tout ce que nous pouvons faire.
Le sénateur Ataullahjan : J'étais mercredi dans la ville de Peshawar, et j'étais tout près de l'endroit où commence la ceinture tribale. En ce qui concerne les mouvements de personnes entre les différentes villes, beaucoup viennent d'Afghanistan à Peshawar pour se faire soigner. Les femmes ont peur, et je pense qu'elles ont toutes les raisons de l'être, car elles ne voient pas leur vie changer.
Mme White : C'est une remarque importante, et j'en prends bonne note. Merci.
Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas la première fois que le président Karzai se manifeste ainsi dans les médias. C'est systématique chez lui, et nous avons choisi de croire qu'il est contraint. Je pense que c'est un autre signal qui devrait nous faire comprendre que cette attitude est plus qu'une apparence, et que peut-être que le Canada et d'autres devraient choisir une approche différente. Voilà ce que j'en pense.
Vos remarques concernant les Résolutions 1888 et 1325 sont intéressantes. J'en avais déjà entendu des similaires, mais vous avez dit les choses avec beaucoup plus de vigueur. La Résolution 1888 est intervenue, si je me souviens bien, à un moment où nous cherchions à faire saisir à la communauté internationale que le viol devenait un outil de guerre, que c'était inacceptable; la Cour pénale internationale l'avait relevé, mais les incidents qui étaient survenus n'avaient donné lieu à aucune poursuite. Un grand mouvement a été lancé. Il ne s'agissait pas de dire que les femmes étaient des victimes en soi, mais que l'on en faisait des objets de guerre et des instruments dans les luttes de pouvoir.
Je pensais que c'était là la finalité de la Résolution 1388, qu'elle était un complément à d'autres résolutions portant sur les femmes et les enfants qui souffraient le plus des conflits déclenchés par d'autres. C'était un effort pour amener les femmes à la table et changer la dynamique économique dans ces pays. Vous dites maintenant qu'elle est source de frictions. Pourriez-vous vous étendre là-dessus? C'est inquiétant.
Mme White : C'est très troublant. En fait, je serais la dernière à dire que nous n'avons pas besoin de la Résolution 1888; nous en avons tout à fait besoin. Même au moment de son élaboration, qui est intervenue après la 1325, vous savez que certains pays que votre comité connaît très bien résistaient à la pleine participation des femmes à la vie politique, sociale et économique. On en a profité pour faire valoir les enjeux de la résolution 1888. Il est bien évident que l'on fait des femmes des instruments de guerre, et franchement, il n'y a là rien de nouveau pour tout historien ou vieux militaire, nous savons que cela a toujours été le cas. En fait, cela est devenu très flagrant dans les Balkans et en d'autres lieux.
Malheureusement, certains semblent avoir détourné d'une certaine façon cette résolution pour se désengager des responsabilités imposées par la Résolution 1325, soit de permettre aux femmes de participer, de prendre des décisions, de contribuer leurs idées et d'être présentes dans les sphères dirigeantes, par opposition à ce simple rôle de protection des femmes, considérées comme des victimes de violence. La Résolution 1888 n'oblige pas à les inviter à la table. Est-elle néanmoins opportune? Oui, absolument.
Le sénateur Andreychuk : Vous ne pouvez pas prendre une résolution seule, en ignorant les autres.
Mme White : Malheureusement, c'est ce qui se passe.
Le sénateur Andreychuk : D'où provient cette tendance, géographiquement ou institutionnellement?
Mme White : Vous ne serez pas surprise d'apprendre qu'elle est le fait de certains membres du groupe des 77, en particulier des États arabes, des pays non démocratiques qui ont des valeurs conservatrices.
Le sénateur Andreychuk : Est-ce que le printemps arabe a changé cela?
Mme White : J'attends de voir ce que le printemps arabe a changé. Nous suivons cela de près.
Nous espérions un changement considérable du rôle des femmes, particulièrement des jeunes femmes, et de la société civile. J'ai peur pour elles car vous savez que, même avec de nouveaux gouvernements en place, elles semblent avoir disparu. Je pense que c'est un sujet important et je vous encourage à continuer de vous en préoccuper.
Le sénateur Hubley : Merci de votre exposé. J'aimerais que vous parliez des progrès réalisés par les femmes sur le plan de l'éducation, particulièrement de l'éducation des jeunes femmes. Y a-t-il eu un effet? Peut-on le mesurer? Vous pourriez nous dire s'il existe des programmes de mentorat. Je pense que vous avez mentionné le travail fait pour encourager les femmes parlementaires.
Mme White : Manifestement, j'ai trop sabré dans mon texte; je crains avoir retranché certains de ces chiffres de mon rapport, mais je me ferai un plaisir de vous les communiquer.
Je me souviens que certains de ces chiffres sont assez anciens, mais ils sont intéressants et ils méritent d'être répétés. En 2002, il y avait 700 000 jeunes scolarisés, et c'était tous des garçons. En 2008, il y avait 1,75 million de filles à l'école, ainsi qu'un nombre croissant de garçons. Cela a-t-il fait changer les choses? Absolument.
Ce qui me garde éveillée la nuit, c'est que je me demande si nous pourrons faire ce qu'il faut pour ces jeunes qui ont maintenant un minimum d'instruction élémentaire et qui peuvent espérer avoir un avenir. Je n'en suis pas certaine.
Là encore, je vous renvoie à votre excellent travail, puisque vous avez écrit que l'accent mis sur l'éducation primaire ne doit pas nous amener à négliger l'éducation secondaire, sachant qu'il faudra aussi former des enseignants afin d'arriver à une solution durable.
Le sénateur Hubley : Merci. Pouvez-vous me dire comment l'on crée...
La présidente : Le sénateur Andreychuk a une question complémentaire.
Le sénateur Andreychuk : Est-ce que je peux?
Le sénateur Hubley : Absolument.
Le sénateur Andreychuk : Lorsque nous avons rédigé notre rapport, il s'agissait de faire en sorte que les femmes puissent participer et s'instruire. J'ai appris un certain nombre de choses depuis. Les responsables d'un des pays avec lesquels nous avons formé une alliance nous avons appris qu'ils ont choisi de financer ce que les Afghans voulaient, particulièrement en milieu rural. L'idée était que si les Afghans voulaient des écoles de garçons fermées aux filles, ils allaient quand même construire les écoles et les équiper, partant du principe que la plupart de ces enfants, garçons ou filles, n'avaient jamais fréquenté d'école. Si l'on peut dispenser une instruction à quelqu'un, un garçon, il serait alors en mesure de s'informer et de comprendre le monde, peut-être grâce à l'ordinateur, et ce serait une autre façon de changer la dynamique. Nous nous sommes intéressés exclusivement à l'éducation des filles, mais je me demande aujourd'hui s'il ne faudrait pas plutôt viser le plus grand nombre d'enfants possible en dehors de Kaboul, sans tenir compte du sexe.
Mme White : J'adorerais avoir une discussion avec vous — pas forcément au sein de ce comité — concernant le mauvais service que nous rendons aux garçons au Canada. Vous savez peut-être que nous connaissons soudain un taux de décrochage scolaire incroyable, et cetera. Cependant, permettez-moi de revenir au développement, car c'est la problématique à laquelle nous sommes confrontés en ce moment.
Le vieil adage en matière de développement, c'est que si vous instruisez un garçon, vous aurez un homme instruit; si vous instruisez une fille, vous aurez toute une famille instruite. Si nous sommes en partenariat avec un pays qui dit « Donnez-leur ce qu'ils veulent », nous pouvons lui répondre que nous avons les données — comme l'ont demandé mes collègues du CRDI : « Avez-vous les données? » Nous avons les données. Premièrement, l'éducation, même seulement primaire, est la façon la plus rapide de réduire le taux de natalité et le nombre de décès maternels.
Je saisis bien ce que vous dites, et bien entendu cela donne à entendre que nous sommes en train de nous raccrocher à n'importe quelle solution, ce qui peut signifier piocher un peu dans la colonne A et un peu dans la colonne B.
Le sénateur Ataullahjan : Si je me souviens bien du contenu de notre rapport, nous disions que s'il faut impérativement scolariser les filles, il ne faut pas négliger pour autant l'éducation des garçons, car dans cette société, ce sont principalement les hommes et les garçons de la famille qui prennent les décisions pour les femmes, et la plupart des femmes ne vont pas aller à l'encontre de leurs décisions. Je pense que nous avons souligné la nécessité de donner une éducation aux deux sexes.
Mme White : Cela crée des sources de tensions potentielles, d'autres types de tensions sociales. Lorsque les femmes jouissent de leur autonomie, cela engendre la peur et accroît peut-être le risque qu'elles encourent dans leur famille, et c'est donc un problème.
Bien sûr, l'autre problème dans cette phase de transition elle-même est que nous avons des hommes qui ne savent ni lire ni compter, et nous cherchons à leur donner une formation militaire, et c'est très difficile. Oui, le but ultime c'est une société instruite. Par où faut-il commencer? Ce n'est pas évident. Idéalement, il faut préparer les femmes afin qu'elles ne soient pas totalement exclues, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faut le faire au dépens des hommes et des garçons.
Le sénateur Hubley : Est-ce bien ce qui se passe, dans le cadre de nos partenariats et de notre collaboration avec d'autres pays en vue de l'exécution des programmes? Partageons-nous l'information? Connaissons-nous les meilleures pratiques qui donnent des résultats dans d'autres pays?
Mme White : J'aime croire que les Nations Unies, lorsqu'elles fonctionnent à leur meilleur, ont un rôle de facilitation de ce dialogue et de ce transfert des connaissances, pour transposer le savoir et les résultats de recherche venant d'un pays sous forme d'action dans d'autres. Mon meilleur espoir est que le programme des Nations Unies fonctionne comme un tout, de telle façon que les organisations des Nations Unies travaillent de concert et partagent les connaissances, et aussi les transmettent aux pays donateurs, sachant que certains pays donateurs possèdent des données extrêmement précieuses, provenant de projets pilotes, autrement dit possèdent des données qualitatives sur ce qui peut marcher, ce qui nous permet d'avoir ces conversations autour de la table et de partager. Vous l'aurez certainement vécu vous-mêmes, ces conversations de couloir lors des conférences internationales, ou même ici, permettent une meilleure intégration. Il faut le faire, et je suis heureuse de dire ici que cela se fait de plus en plus, et je le constate.
Le sénateur Nancy Ruth : Madame White, j'aimerais parler du plan canadien de mise en œuvre des résolutions intéressant les femmes, la paix et la sécurité. Êtes-vous partie prenante à l'évaluation qui sera faite bientôt? Savez-vous comment elle sera faite? Est-ce que beaucoup d'ONG sont invitées à participer?
Mme White : Je ne suis pas réellement au courant de ce qui se fait. Cependant, je suis réticente à dire que c'est nécessairement la faute du gouvernement. Il nous incombe également de nous manifester et de dire : « Nous sommes là, et nous surveillons. » J'ai certainement eu des conversations, et c'est évidemment l'avantage corollaire apporté par votre comité permanent. J'ai passé beaucoup de coups de fil pour me préparer à répondre à vos questions. Nous allons suivre cela de plus près et faire notre possible pour contribuer.
Le sénateur Nancy Ruth : Offrir aussi une critique?
Mme White : Bien sûr, une critique constructive.
La présidente : J'ai une question pour vous. Je sais très bien que vous êtes en relation avec de nombreux groupements féminins et de femmes dans tout le pays et dans le monde. Vous savez que, dans notre rapport de 2010, notre comité a recommandé trois choses. L'une était d'habiliter les femmes à prendre des décisions, les autres de construire des cadres d'action non sexistes en vue de renforcer la justice et les institutions, et de faciliter l'accès à ces institutions. Est-ce que notre choix de ces trois domaines d'intérêt privilégié est le bon, ou bien faudrait-il ajouter d'autres aspects?
Mme White : À mon avis, c'était là un rapport très solide. Je pense que le travail que vous y avez consacré et l'éventail des avis que vous avez sollicités étaient tout à fait remarquables. Comme vous l'avez dit, cela fait longtemps que je lutte activement contre la discrimination sexuelle. Je pense que vos trois priorités sont suffisamment ouvertes pour couvrir un certain nombre d'enjeux qui n'auraient pas été mentionnés. On pourrait certes apporter quelques ajustements techniques, mais vous avez néanmoins énoncé une orientation générale qui recouvre à la fois les connaissances et les mesures nécessaires.
La présidente : Le rapport dont vous parlez m'intéresse. Évidemment, je ne l'ai pas vu. J'ai cru comprendre que vous vous inscrivez davantage dans l'optique de la justice. Je l'ai toujours appelé la 1325-plus, les résolutions. La 1325 traite de l'impact du conflit sur les femmes. Ensuite nous avons la 1820, qui porte sur la violence sexuelle envers les femmes; la 1888 porte davantage sur la surveillance; et la 1889 concerne une meilleure participation des femmes après un conflit.
Devrait-on élaborer une résolution supplémentaire qui se limiterait aux questions de justice, et qui viserait plus particulièrement l'impunité? L'impunité est déjà couverte par ces autres résolutions. Elle est certainement incluse dans la 1325. Cependant, puisque nous avons d'autres résolutions plus spécifiques, comme la 1820, la 1888 et la 1889, faudrait-il encourager notre gouvernement à promouvoir une résolution portant spécifiquement sur les questions de justice?
Mme White : Madame la présidente, vous avez mis le doigt sur un véritable dilemme, car évidemment, s'il nous faut créer une nouvelle résolution chaque fois qu'un problème grave se pose, cela dilue en quelque sorte l'impact de ce que je considère être le message central de la 1325. Néanmoins, je m'en remets évidemment à votre formation juridique, sachant que cela pourrait être un autre instrument de pression. Franchement, je suis partagée, car évidemment l'adoption de ces nouvelles résolutions exige beaucoup d'énergie d'une organisation. Il faut rassembler des gens autour de la table. Est-ce là un travail utile? Oui, car cela amène les spécialistes, les chercheurs, les parlementaires, et cetera, à se concentrer sur le problème.
Idéalement, nous devrions être en mesure de faire des progrès avec un plus grand nombre de pays dans la conception et la réalisation d'un plan, et je dirais que cela doit être un élément de l'équation de la justice, au lieu d'adopter encore une résolution de plus.
La présidente : Étant donné votre travail avec les femmes, j'aimerais avoir votre avis sur la façon dont on peut rendre les responsables des services de santé, la police, et cetera, sensibles aux besoins particuliers des femmes, et je songe surtout à la formation. L'une des grandes difficultés que nous voyons est que nos hommes et nos femmes ont vu leur rôle de combattants transformé en rôle de formateurs — par exemple, en Afghanistan — et pourtant, lorsque nous parlons aux hommes et aux femmes qui font la formation, la Résolution 1325 n'apparaît même pas sur leur écran radar. Nous avons quelques défis à surmonter.
Mme White : Je suis d'accord avec vous. C'est réellement impératif, et c'est impératif dans tout le système des Nations Unies. Je pense que c'est un rôle que le Canada pourrait assumer parce que, par le biais des Amis de 1325, par le biais des FC — parfois il y a une grande adhésion, et parfois c'est une question de personnalités et ainsi de suite —, nous avons des gens qui sont en mesure de faire avancer ces choses.
Le Centre Pearson pour le maintien de la paix avait un savoir-faire dans ce domaine, surtout celui de la formation de policiers. Je crains de perdre cela, et nous avons besoin d'un champion. Si l'ancien chef était là, nous pourrions lui demander comment — au Canada, c'est l'Association canadienne des chefs de police — on peut travailler avec les militaires, par exemple, pour établir des pratiques exemplaires, car il y a des méthodes qui marchent. Il y a des leviers de changement ici, au niveau national, que nous pourrions également utiliser à l'échelle internationale. Nous ne pouvons pas laisser perdre cela, car il y a des répercussions sur tellement d'autres choses.
Je pense que cela tomberait également à point nommé pour les membres de la GRC et d'autres services de police déployés par le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, et certainement pour nos formateurs. Il y a une occasion à saisir, et il ne faudrait pas la laisser passer.
La présidente : Madame White, vous ayant écoutée et ayant travaillé avec vous en de nombreuses capacités différentes, je me dis qu'en 2002 et en 2001, lorsque les choses ont changé en Afghanistan, l'une des raisons avancées pour notre intervention, celle des États-Unis et d'autres pays était le sort des femmes qui y vivaient. Pourtant, après ces 11 années ou presque, nous entendons le genre de remarques que formule le président Karzai au sujet des femmes.
Parmi ceux qui suivent ces audiences du comité, beaucoup se demanderont s'il a valu la peine d'aller en Afghanistan, car nous allons bientôt en repartir. Allons-nous laisser les femmes dans la même situation qu'à notre arrivée?
Mme White : C'est une question difficile. Je ne ferais pas le travail que je fais si je n'étais pas optimiste, et si je ne pensais pas que des petits changements peuvent engendrer des libertés substantielles, de nouvelles visions du monde, et cetera. Je crois que nul n'imaginait — peut-être l'avons-nous fait — que la tâche sera facile et que, tout d'un coup, il y aurait cette grande libération, que les femmes deviendraient instruites, qu'il y aurait un grand partenariat et que les choses allaient changer.
Je ferais valoir que même au Canada, de temps à autre, il y a des dérapages sur certains enjeux, qui nous galvanisent et nous poussent à écrire à nos députés ou à réclamer des changements. Il nous faut absolument un observatoire permanent dans ce pays. Je dirais aux Canadiens que nous avons consenti un investissement, pour toutes les meilleures raisons du monde. Oui, il y avait de grandes inconnues et il en subsiste. Cependant, nous ne pouvons laisser des mots comme « culture » ou « religion », être invoqués comme raisons pour ne pas respecter les droits de la personne. L'essentiel est là. C'est précisément à vous tous, autour de cette table, qu'il incombe d'insister et de reconnaître que tout bien pesé, une société libre, démocratique et riche comme la nôtre possède quelques obligations, responsabilités et possibilités. Je pense, franchement, que cela a fait de nous un pays meilleur. Il nous a fallu avoir quelques débats qui, peut-être, étaient inconfortables, que nous n'avions jamais tenus auparavant. La lutte contre le sexisme est gravée plus profondément dans nos esprits. J'espère que nous avons tous un dialogue, chez nous, autour de nos tables de cuisine, sur la participation équitable et entière des femmes.
Je dirais aux Canadiens que nous avons fait ce qu'il fallait. Ce n'est jamais facile. Nous devons garder une présence, pas nécessairement physique, encore qu'il nous faille prendre des engagements — et je suis là. Bien sûr, vous vous attendez à ce que je dise qu'il nous faut continuer à verser des contributions financières par l'entremise des Nations Unies et du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, mais nous avons fait ce que nous devions. Le suivi que nous allons assurer, s'il est durable, fera une différence.
Nous avons suscité l'espoir de beaucoup de jeunes femmes et de filles, et de beaucoup de jeunes hommes et de garçons, l'espoir d'un avenir de collaboration. Il nous incombe de demeurer engagés.
La présidente : Merci beaucoup, madame White. Vous avez fait référence à plusieurs reprises aujourd'hui à votre texte, et vous nous en aviez remis une copie.
Honorables sénateurs, j'aimerais que quelqu'un propose une motion d'acceptation du mémoire de Mme White comme pièce au dossier.
Le sénateur Andreychuk : Je croyais que nous avions une règle au Sénat selon laquelle tout témoin peut venir avec un document et le déposer. Nous le ferons ensuite traduire, et cetera. Je ne suis pas sûre de pouvoir accepter une motion, à cause du problème de langue — cela deviendrait alors notre motion. Chaque témoin est libre de répondre dans la langue de son choix. C'est une simple question technique. Nous voulons le texte, mais j'espère que nous allons procéder comme je l'ai dit.
La présidente : Le texte sera traduit et distribué.
Le sénateur Andreychuk : Je pense qu'il suffit que le témoin nous le remette.
La présidente : Puis-je vous demander de déposer le texte afin qu'il puisse être versé à notre dossier?
Mme White : Avec plaisir, je vous remercie.
La présidente : Nous le ferons traduire. Madame White, merci infiniment de votre exposé. Nous apprécions que vous vous soyez jointe à nous une fois de plus, et nous serons ravis de collaborer avec vous à l'avenir.
[Français]
Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette 11e séance de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde. Je suis Mobina Jaffer et je vous souhaite la bienvenue à cette réunion.
Chers collègues, nous nous réunissons à nouveau aujourd'hui pour discuter de questions de discrimination dans les pratiques de recrutement et de promotion dans la fonction publique fédérale.
[Traduction]
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a été autorisé à examiner des questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale. Nous étudions la mesure dans laquelle les objectifs de la Loi sur l'équité en matière d'emploi sont réalisés au sein de la fonction publique fédérale. L'objet de cette loi est de veiller à ce que les employeurs régis par le gouvernement fédéral offrent des possibilités d'emploi égales aux quatre groupes désignés, soit les femmes, les peuples autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles.
La loi impose aux employeurs l'obligation d'évaluer dans quelle mesure l'équité en matière d'emploi est une réalité dans leur milieu de travail et de mettre en œuvre des politiques en vue d'amener les changements nécessaires. La loi s'accompagne également de directives sur la façon de procéder à ces évaluations, par exemple en comparant la représentation des membres des quatre groupes désignés au sein d'un milieu de travail donné à leur disponibilité dans l'ensemble de la population active canadienne.
[Français]
Le comité permanent a déjà produit des rapports sur ces questions. Il a commencé en 2004, par examiner les pratiques d'embauche et de promotion dans la fonction publique fédérale, et par étudier dans quelle mesure les objectifs d'équité en matière d'emploi étaient atteints.
En 2007, il a poursuivi son analyse des pratiques d'embauche et de promotion de la Fonction publique fédérale, et a publié un rapport intitulé L'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale : Nous n'y sommes pas encore.
En 2010, il a publié son rapport le plus récent, intitulé Refléter le nouveau visage du Canada : l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale.
[Traduction]
La grande préoccupation du comité est que l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale n'est pas encore une réalité pour les quatre groupes désignés. Les employés autochtones travaillent principalement dans trois ministères : Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, Service correctionnel Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada. En règle générale, les femmes, quant à elles, occupent encore des postes administratifs peu rémunérés et accusent du retard par rapport aux hommes dans les nominations aux postes de gestion.
Le taux de recrutement pour les personnes handicapées est inférieur à leur niveau de représentation au sein de la population active. Le comité est particulièrement préoccupé par le constat que les personnes membres de minorité visible n'ont pas encore, au sein de la fonction publique, une représentation qui reflète leur disponibilité parmi la population active, et la lenteur avec laquelle des changements sont apportés nous inquiète également.
La Commission de la fonction publique vient tout juste ce mois-ci de publier son rapport annuel 2010-2011, Refléter le nouveau visage du Canada : l'équité en emploi dans la fonction publique. Nous accueillons aujourd'hui des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne, qui est l'un des trois piliers de l'application de la loi. Je suis heureuse de souhaiter la bienvenue à M. David Langtry et à Mme Marie-Claude Girard.
Monsieur Langtry, je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire.
David Langtry, président par intérim, Commission canadienne des droits de la personne : Merci, madame le sénateur, et merci au comité et aux honorables sénateurs d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer à l'importante discussion d'aujourd'hui. Nous espérons être en mesure de contribuer aux travaux effectués par le comité par suite du rapport intitulé Refléter le nouveau visage du Canada : l'équité en emploi dans la fonction publique, publié en juin 2010.
La Commission canadienne des droits de la personne fait la promotion du principe fondamental de l'égalité des chances, et s'efforce de prévenir la discrimination au Canada en favorisant l'instauration de cultures des droits de la personne, en acquérant une meilleure connaissance des droits de la personne grâce à la recherche et à l'élaboration de politiques, en protégeant les droits de la personne grâce à une gestion efficace des cas et des plaintes, et en représentant l'intérêt public dans le but de faire progresser la question des droits de la personne au profit de l'ensemble de la population canadienne.
[Français]
L'égalité des chances constitue la pierre angulaire de la loi ayant donné naissance à la Commission canadienne des droits de la personne. La Loi canadienne sur les droits de la personne laisse entrevoir un Canada soucieux du droit de tous les individus à l'égalité des chances d'épanouissement.
[Traduction]
Promulguée par le Parlement en 1977, la loi énonce 11 motifs de discrimination illicite, y compris la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe et la déficience.
En 1986, le Parlement a adopté la Loi sur l'équité en matière d'emploi, qui avait pour objectif de réaliser l'égalité en milieu de travail et d'accroître la représentation des membres de quatre groupes désignés ayant été désavantagés dans le passé. Comme vous le savez, ces groupes sont les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres de minorités visibles.
En 1996, par suite d'une modification apportée à la Loi sur l'équité en matière d'emploi, la Commission canadienne des droits de la personne a reçu le mandat de veiller à ce que les employeurs visés par cette loi la respectent. À cette fin, elle a commencé, en 1997, à mener des vérifications en vertu de l'article 22.
La Loi sur l'équité en matière d'emploi s'applique à la fonction publique fédérale et aux employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale. Elle offre ainsi une protection à environ 1,1 million d'employés de quelque 640 organisations des secteurs public et privé. Approximativement 13 p. 100 de la population active du Canada sont donc protégés par la Loi sur l'équité en matière d'emploi.
[Français]
Durant mon exposé d'aujourd'hui, je me concentrerai sur les trois éléments suivants : l'objectif d'une vérification de la conformité en matière d'équité en emploi; les répercussions de notre nouvelle démarche; et les leçons tirées des vérifications que nous avons menées.
[Traduction]
L'objectif d'une vérification de la conformité en matière d'équité en emploi est de veiller à ce que les employeurs assujettis à la Loi sur l'équité en matière d'emploi respectent ses dispositions, par le truchement de mesures visant l'égalité en milieu de travail. Dans un premier temps, les employeurs doivent établir le degré de sous-représentation des quatre groupes désignés au sein de leur organisation. Ils doivent ensuite cerner les obstacles à l'équité en matière d'emploi, toujours au sein de leur organisation. Enfin, en consultation avec les représentants des employés, ils doivent élaborer des plans favorisant l'équité en emploi au sein de leur lieu de travail, puis les mettre en œuvre, les examiner et les réviser.
En avril 2010, nous avons amélioré notre processus de vérification de l'équité en emploi afin d'optimiser son incidence et d'accroître sa portée.
Notre Programme de conformité à l'équité en matière d'emploi est axé sur les organisations employant 500 personnes ou plus. Ainsi, il englobe 90 p. 100 des employés visés par la loi. Le programme tient compte de la mesure dans laquelle un employeur a réussi à accroître le taux de représentation des quatre groupes désignés au sein de son organisation, et met l'accent sur les employeurs dont les résultats à cet égard ont été les moins probants.
À présent, le Programme de conformité à l'équité en matière d'emploi s'appuie exclusivement sur un processus de sélection des vérifications fondé sur les résultats et les risques. Cela signifie que les vérifications visent en priorité les employeurs éprouvant le plus de difficulté à réaliser un taux de représentation adéquat des membres des quatre groupes désignés au sein de leur organisation. Les employeurs affichant un bon rendement en matière d'équité en emploi au sein de l'industrie où ils évoluent voient leur réalisation reconnue.
Notre nouvelle démarche nous permet de procéder, dans les trois ans, à une nouvelle évaluation des employeurs ayant obtenu les moins bons résultats. Cette mesure s'est révélée cruciale, vu que de nombreux employeurs ayant affiché un rendement insatisfaisant doivent continuellement surveiller leurs résultats et mettre à jour leur plan d'équité en emploi.
[Français]
En outre, la nouvelle démarche nous permet de présenter aux employeurs s'en étant tirés moins bien que les autres les résultats globaux de leur industrie en matière d'équité en emploi, et de leur montrer ainsi qu'il leur est possible d'améliorer leur rendement.
[Traduction]
Enfin, de manière à faire comprendre à un plus grand nombre d'employeurs le fait qu'ils doivent viser plus haut que le respect des exigences législatives de base en matière d'équité en emploi, nous avons commencé à rédiger des rapports d'étape sur l'équité en emploi. Ces rapports sont destinés aux employeurs ayant obtenu les meilleurs résultats et visent à reconnaître les efforts qu'ils ont déployés et à les encourager à poursuivre dans la même veine et à continuer de progresser. Le fait d'ajouter ces rapports d'étape aux rapports de vérification nous permet de doubler la portée du programme.
En mars 2010, nous avons publié un rapport intitulé Répercussions de la Loi sur l'équité en matière d'emploi et du Programme d'équité en matière d'emploi de la CCDP au fil des années. Nous y avons expliqué dans quelle mesure l'équité en matière d'emploi a progressé entre 1992 et 2008, en plus de décrire les différences notées entre le secteur privé et le secteur public à cet égard. Nous nous ferons un plaisir d'en fournir des exemplaires au greffier du comité afin qu'ils puissent être distribués après cette réunion.
Le programme de vérification a permis à la commission de constater qu'il est nécessaire de rappeler aux employeurs qu'ils ont des obligations législatives à respecter en matière d'équité en emploi. La plupart des employeurs qui participent à une vérification de la conformité sont tenus de mettre en œuvre des mesures supplémentaires aux fins du respect des obligations qui leur incombent selon les dispositions législatives, et cela vaut également pour les employeurs qui, par le passé, s'étaient acquittés de leurs obligations.
De plus, nous avons observé quelques-unes des principales difficultés auxquelles font face les organisations dont les résultats laissent à désirer au moment de réaliser leurs objectifs en matière d'équité en emploi. Parmi ces difficultés, mentionnons des stratégies inadéquates de recrutement, l'absence de séances de formation et de sensibilisation, et des lacunes au chapitre de la surveillance et de la reddition de comptes.
La commission continue de collaborer avec ces organisations, et est mieux placée que quiconque pour leur proposer des stratégies pouvant les aider à surmonter les difficultés auxquelles elles se heurtent. La commission utilise toute une gamme d'outils de prévention de la discrimination pour administrer la Loi canadienne sur les droits de la personne, et a constaté que ces outils sont également utiles au moment d'aider les employeurs à se conformer à la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Les lignes directrices sur les mesures d'adaptation au travail, la Politique relative à l'embauche préférentielle des Autochtones et le nouveau Modèle de maturité pour les droits de la personne ne constituent que trois des outils dont se sert la commission afin de favoriser le respect et d'accroître la diversité en milieu de travail.
Avant de conclure, j'aimerais dire quelques mots à propos du rapport publié en juin 2010 par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Dans ce rapport, le comité recommandait que la Commission canadienne des droits de la personne se serve, et je cite :
[...] des données de recensement les plus récentes dès qu'elles sont publiées pour vérifier si les objectifs en emploi sont atteints et fixer des cibles précises et réalistes à ce sujet.
Je peux vous assurer que la commission utilise toujours les données de recensement les plus récentes au moment de procéder à une vérification auprès d'un employeur sous réglementation fédérale. En outre, vu l'évolution constante des données démographiques touchant les groupes désignés au titre de l'équité en emploi, la commission invite chaque employeur avisé à ne pas se contenter de l'observation des seules exigences législatives de base.
[Français]
La commission joue son rôle d'organisme de vérification de l'équité en emploi depuis 15 ans. Des problèmes subsistent mais la commission croit fermement que les vérifications qu'elle a menées ont contribué à changer les choses d'une manière positive.
[Traduction]
Bien que la réalisation et le maintien d'une représentation équitable des membres des quatre groupes désignés relèvent d'abord et avant tout de la responsabilité des employeurs, j'ai la conviction que, en collaboration avec des organisations comme RHDCC, le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines et le comité, la Commission canadienne des droits de la personne pourra continuer à aider les employeurs à réaliser des progrès. Faisons en sorte de créer une société où nul ne se verra refuser d'occasions ou de chances en matière d'emploi pour des motifs étrangers à sa compétence.
Mme Girard et moi nous ferons un plaisir de répondre à toute question que vous voudrez nous poser.
La présidente : Nous sommes très heureux de vous accueillir ici. Je tiens également à souligner, afin que cela figure au compte rendu, que, lorsque nous vous avons contactés, vous avez été très accommodants et envisagiez avec plaisir de travailler avec nous. Je vous suis reconnaissante de cette générosité.
L'une de nos grandes frustrations tient au fait que nous nous penchons en ce moment sur les données du recensement de 2006. Vous avez parlé, dans vos remarques liminaires, d'encourager les employeurs à ne pas se contenter de ces chiffres. Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire par « ne pas se contenter » de cela?
M. Langtry : Lorsque nous faisons nos évaluations, nos rapports d'étape et nos vérifications, nous examinons les chiffres relatifs à la représentation, et vous avez tout à fait raison. Ce qui frustre également la Commission canadienne des droits de la personne, c'est qu'il faut plusieurs années avant que les données du dernier recensement ne soient disponibles. Si ma mémoire est bonne, c'est en 2009 que nous avons commencé à recevoir les données du recensement de 2006. Nous convenons, cependant, que les données de recensement ont déjà changé lorsque nous les obtenons, et c'est ainsi que, lorsque nous établissons les cibles, les objectifs en matière de représentation, nous précisons dans notre rapport d'étape ou rapport de vérification que l'employeur est encouragé à ne pas se contenter des chiffres indiqués, mais à viser une représentation supérieure.
Par exemple, nous suivons les tendances. Les groupes des minorités visibles et des Autochtones connaissent une rapide croissance. D'autre part, pour ce qui est de la communauté autochtone, les données de recensement ne sont pas aussi fiables, car de nombreux peuplements et réserves des Premières nations ne participent pas au recensement.
Nous portons cela à l'attention des employeurs et leur disons que les chiffres fournis sont une exigence de base, mais que nous les encourageons à ne pas s'en contenter.
La présidente : Je ne sais pas exactement en quoi consiste votre vérification, mais il serait utile pour nous de le savoir, car c'est un aspect qui nous pose problème. Dans votre vérification, quel est votre chiffre en ce qui concerne la disponibilité au sein de la population active pour les femmes? Quel est le pourcentage?
M. Langtry : Si vous permettez, je vais commencer par expliquer le processus de vérification, après quoi je demanderai à Mme Girard, en sa qualité de directrice du programme, de vous entretenir des chiffres à proprement parler.
Je tiens à souligner que le mandat qui revient en vertu de la loi à la Commission canadienne des droits de la personne dans l'exécution de toute vérification est d'examiner les neuf éléments énoncés dans la loi et de déterminer si l'employeur les respecte comme il se doit. Ces neuf éléments concernent essentiellement le plan d'équité en matière d'emploi qui est en place et visent la collecte de données ainsi que l'élaboration, la mise en œuvre et la surveillance de l'application du plan. Je peux vous dire, en tant que président de la commission, que cela peut être frustrant lorsque nous recevons, pour approbation, des rapports de vérification disant que l'employeur est pleinement conforme à la Loi sur l'équité en matière d'emploi, car le fait d'être tout à fait conforme à la loi ne signifie pas qu'il y a pleine représentation. En effet, l'employeur peut ne pas avoir de représentation dans l'un ou l'autre des quatre groupes désignés, mais, tant et aussi longtemps qu'il satisfait aux neuf exigences de la loi, alors il nous faut dire qu'il est conforme à la loi. Encore une fois, l'important est que les différents éléments soient en place. L'employeur peut alors dire : « Nous sommes tout à fait conformes à la loi », et nous, nous répondons : « Vous n'avez pas telle représentation », ce qui est l'une des raisons pour lesquelles nous avons instauré un régime de rapports fondé sur les résultats et les risques, qui nous amène à demander « Quels sont vos résultats? Il est bien que ces éléments soient en place chez vous, mais quels sont vos chiffres? Quels sont les écarts et comment allez-vous faire pour les combler? »
Pour ce qui est des détails, j'inviterai Mme Girard à vous les fournir.
Marie-Claude Girard, directrice, Commission canadienne des droits de la personne : Merci de me donner l'occasion d'intervenir.
Premièrement, cela varie d'un employeur à un autre.
La présidente : Excusez-moi. J'aurais dû être beaucoup plus claire. Je voulais parler de la fonction publique fédérale.
Je vais revenir en arrière. Premièrement, examinons la disponibilité au sein de la population active au Canada pour les femmes, en pourcentage. Pouvez-vous nous fournir cela?
Mme Girard : De manière générale, je ne sais pas, car cela varie selon l'emplacement géographique de l'employeur, ce qu'il recherche et les qualités que doivent posséder les candidates. Voilà pourquoi cela varie beaucoup d'un employeur à un autre.
Disons que vous avez un ministère qui a besoin d'un grand nombre de femmes très instruites. Le taux de disponibilité variera d'un cas à un autre. C'est pourquoi ce n'est pas un nombre fixe que nous visons. Chaque ministère doit établir son propre taux de disponibilité pour chacun des groupes désignés.
La présidente : Passons maintenant à autre chose, connaissez-vous le pourcentage de femmes embauchées dans la fonction publique fédérale?
Mme Girard : Je ne peux pas vous donner le pourcentage d'ensemble, car notre rôle est en réalité de mener des vérifications organisation par organisation. Dans chaque cas, nous vérifions si les chiffres d'emploi correspondent au taux de disponibilité. Nous ne recueillons pas l'information. L'information est recueillie par la Commission de la fonction publique. C'est elle qui surveille la source des données. Dans notre travail de vérification, nous y allons au cas par cas. Nous ne possédons pas les données d'ensemble.
Cependant, lorsque nous faisons une vérification, la première chose que nous demandons à l'employeur, c'est de nous fournir l'analyse de son effectif, ce qui nous permet de voir comment il a établi le taux de disponibilité pour chacun des groupes désignés : Cela est-il logique? A-t-il tenu compte de toutes les exigences de la loi? Voilà quelle est notre tâche première lorsque nous effectuons une vérification auprès d'un employeur. Nous commençons la vérification en examinant la façon dont l'employeur a réalisé l'analyse de son effectif.
La présidente : Madame Girard et monsieur Langtry, notre étude a pour objet d'obtenir les taux de représentation au sein de la fonction publique fédérale pour les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres de minorités visibles, afin de déterminer s'ils correspondent aux taux de disponibilité au sein de la population active. Voilà ce sur quoi porte notre étude.
Lorsque vous dites « organisation par organisation », voulez-vous dire « ministère par ministère »? Est-ce cela que vous êtes en train de dire?
Ces renseignements sont nouveaux, en tout cas pour moi. Avez-vous un document que nous pourrions examiner? Il nous faudrait peut-être alors vous lancer une nouvelle invitation à comparaître pour que vous veniez nous parler de la situation, qui varie d'un ministère à un autre. Donc, premièrement, avez-vous un document que vous pourriez nous fournir? Ensuite, pouvez-vous nous donner une liste des neuf éléments exigés? Si tel est le cas, je vous invite à nous fournir cela. Mes collègues et moi voudrons peut-être vous convoquer de nouveau.
Enfin, comment les choses se passent-elles au sein de la fonction publique fédérale? Y atteint-on les objectifs, pas forcément en étant « conformes » comme vous l'avez dit, mais atteignons-nous les objectifs?
Mme Girard : On constate que cela varie beaucoup lorsqu'on fait une comparaison avec le secteur privé. Nous jouons un double rôle, car nous effectuons des vérifications dans le secteur privé et dans le secteur public. Le secteur public a, dans l'ensemble, une bonne représentation pour trois des quatre groupes, soit ceux des femmes, des Autochtones et des personnes handicapées. Il existe encore certains écarts en ce qui concerne les membres de minorités visibles.
La présidente : Quels sont les écarts?
Mme Girard : Globalement, les membres de minorités visibles ne sont pas pleinement représentés dans le secteur public.
La présidente : Excusez-moi, mais il m'est très difficile de suivre. Pardonnez-moi, mais je ne fais pas ce travail tous les jours.
Lorsque vous dites qu'il y a des écarts, qu'entendez-vous par là, et que faudrait-il faire pour les membres de minorités visibles?
Mme Girard : Ces personnes ne sont pas pleinement représentées. Lorsque je dis qu'il y a un écart, cela veut dire qu'il devrait y avoir davantage de membres de minorités visibles parmi les rangs des fonctionnaires.
La présidente : Quel est l'écart? Quel devrait être le taux, et quel est l'écart?
Mme Girard : Encore une fois, cela varie selon le ministère. Je pourrais vous donner cette information pour chacun des ministères que nous vérifions. À ce sujet, l'étude mentionnée tout à l'heure par M. Langtry indique la tendance.
La présidente : Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous fournir ces données?
Mme Girard : J'aimerais ajouter que la situation dans le secteur public est tout à fait l'inverse de celle relevée dans le secteur privé. Dans le secteur privé, ce ne sont que les membres de minorités visibles qui sont, de manière générale, bien représentés, mais les quatre autres groupes affichent des écarts importants.
M. Langtry : Nous vous fournirons certainement le rapport.
Comme je l'ai indiqué, notre programme vise l'exécution de vérifications distinctes. À titre d'exemple, en 2011, nous avons effectué 53 vérifications d'employeurs. Il s'agissait des employeurs ayant le moins bien réussi. Ils ont fait l'objet d'une vérification complète. Nous parlons ici de 53 entités privées sous réglementation fédérale, ainsi que du secteur public. Nous avons également produit 45 rapports d'étape concernant les employeurs ayant obtenu les meilleurs résultats.
Chacun de ces rapports est un cliché d'un moment précis, et il s'agit pour nous d'examiner la situation de cet employeur et de déterminer quelle est la disponibilité et quelle est la véritable représentation, ce qui nous permet de connaître l'écart précis. Il ne s'agit pas d'un exercice qui englobe la totalité du secteur public; nous y allons ministère par ministère, et c'est pourquoi il est difficile de répondre. Les tendances figurent dans notre rapport de 2010, que nous vous fournirons. Encore une fois, nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir.
La question que vous avez soulevée au sujet de la représentation de membres de minorités visibles est, bien sûr, une préoccupation au sein de la fonction publique fédérale, comme l'a dit Mme Girard. Parmi les quatre groupes, c'est celui qui affiche la plus faible représentation au sein de la fonction publique fédérale. La représentation est bonne pour trois des quatre groupes, et le secteur privé sous réglementation fédérale est le seul qui accuse du retard, comme cela a été indiqué.
Notre rapport cerne plusieurs facteurs pouvant expliquer cette disparité. Nous ne possédons pas les réponses, encore une fois parce que nous effectuons des vérifications distinctes. Cependant, un ou deux facteurs pouvant offrir une certaine explication de cette disparité ont été soulevés. L'un d'entre eux est d'ordre géographique. Si vous regardez le secteur public, il est principalement concentré dans la région d'Ottawa-Gatineau, où 14 p. 100 des résidants sont membres de minorités visibles. Le secteur privé, lui, est surtout concentré dans les plus grands centres, comme Toronto, où 41 p. 100 des habitants sont membres de minorités visibles. L'autre élément est l'exigence de la fonction publique fédérale selon laquelle, pour être fonctionnaire fédéral, il faut être citoyen canadien, alors que 22 p. 100 des membres de minorités visibles dans la population active ne sont pas citoyens canadiens et ne sont donc pas admissibles.
Au fil de nos vérifications, nous exigeons entre autres des employeurs qu'ils précisent les obstacles qui les empêchent d'embaucher. Je vais vous donner, en guise d'exemple, trois des facteurs qu'on nous a mentionnés. L'un est que les promotions et l'avancement sont souvent menés à l'interne. Si au départ, un ministère affiche une faible représentation de membres de minorités visibles, alors il n'y a pas de bassin dans lequel aller puiser. D'autre part, on reconnaît ne pas faire du très bon travail quand il s'agit de recruter au sein des communautés de minorités visibles. On admet également que les membres de minorités visibles n'ont pas tendance à siéger aux comités de sélection.
Plusieurs théories sont avancées. Notre rôle est aussi en partie d'exiger qu'un plan en matière d'équité d'emploi soit conçu, élaboré et sans cesse peaufiné, pour que ces obstacles à l'emploi tombent.
Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre déclaration. Vous avez mentionné le Modèle de maturité pour les droits de la personne. Qu'est-ce que cela comporte? A-t-il contribué nettement à l'amélioration de l'équité en emploi?
M. Langtry : Il s'agit d'une toute nouvelle initiative de la Commission canadienne des droits de la personne. Nous en sommes assez heureux et nous nous ferions, bien sûr, un plaisir de vous renseigner plus avant à ce sujet. Je dis que cette initiative est relativement nouvelle, et je préciserai que nous l'avons lancée il y a deux ou trois semaines. Il s'agit d'un outil d'autoévaluation. Nous l'avons élaboré au cours des 12 derniers mois ou un peu plus, et l'avons mis à l'essai chez 12 employeurs fédéraux, dont nous-mêmes, en vue de bien le délimiter.
Pour dire les choses de manière quelque peu simpliste, il s'agit d'un outil d'autoévaluation. L'idée, c'est que les employeurs soient en mesure d'instaurer une culture axée sur les droits de la personne et d'y travailler. Le fait d'avoir une culture axée sur les droits de la personne présente, bien évidemment, de nombreux avantages, mais le Modèle de maturité pour les droits de la personne s'appuie sur un processus à cinq étapes. La première étape, très élémentaire, est de déterminer s'il y a en place un mécanisme d'examen des disputes ou des différends, tandis que la cinquième étape est celle de l'instauration, en milieu de travail, d'une culture des droits de la personne autosuffisante. En présence d'une telle culture, tous les employés se sentent à l'aise et capables de soulever n'importe quelle préoccupation avec la certitude qu'elle recevra un accueil respectueux et qu'elle sera examinée de manière responsable, pour reprendre les termes employés par le président de la commission.
Ce que nous avons fait, c'est appliquer cela. Comme je le dis, cet outil est nouveau, alors nous ne pouvons pas dire quelle incidence il aura. Nous négociions autrefois des protocoles d'entente avec les employeurs, et c'était une façon très ponctuelle d'intervenir. Lorsque nous traitons avec 640 employeurs, nous ne pouvons pas négocier des protocoles d'entente avec eux tous. Cet outil a été conçu en vue de leur permettre de faire une autoévaluation. Cela suppose un travail énorme et requiert la participation des dirigeants, du syndicat, de la direction, et ainsi de suite.
Comme je le dis, mon explication est peut-être trop simpliste et pas assez approfondie. Nous avons également appliqué ce modèle à l'équité en matière d'emploi de sorte que, dans chacun de nos rapports, nous indiquons si, de notre avis, l'employeur se situe au niveau un, deux, trois, quatre ou cinq, et l'encourageons à utiliser le modèle et les outils qui en font partie pour développer dans le milieu de travail une culture des droits de la personne.
Le sénateur Andreychuk : Merci. Ce que j'entends, c'est que les rapports et les études que nous avons reçus par le passé sont plutôt justes en ce qui concerne les évaluations qu'ils renferment. Vous intervenez dans le cadre d'une vérification. Il y a manifestement un décalage dans le temps. Cela m'importe peu, en ce qui concerne le recensement, car vous ne pouvez pas l'obtenir plus rapidement, et vous analysez, je suppose, le passé et les leçons apprises.
Nous avons dit qu'il y avait quatre groupes désignés et que l'un d'entre eux accusait du retard. C'était celui des minorités visibles. Nous avons également dit qu'il n'y avait pas suffisamment de femmes dans les échelons supérieurs de la direction. Nous avons dit que les choses progressaient pour ce qui est du groupe des personnes handicapées, mais que nous voulions surveiller cette évolution, du fait qu'elle était relativement récente, que la nouvelle convention allait entrer en vigueur et que nous ne savions pas trop ce qui allait en découler.
Nous pensions avoir les bons repères. Vous semblez en convenir. Nous avons également dit qu'il y avait deux problèmes avec la Commission de la fonction publique, dont vous en avez mentionné un, soit que les nouveaux membres des minorités visibles, entre autres, se trouvent peut-être à Vancouver, à Toronto et à Montréal, mais rarement à Ottawa. Nous avions recommandé que des efforts soient déployés pour trouver différentes façons de les attirer, mais sans recourir, comme à l'habitude, à des annonces dans le Globe and Mail, par exemple. Nous avions proposé le recours aux nouvelles technologies, aux journaux locaux de groupes ethniques, et ainsi de suite. Tout ce travail a été fait, et je considère donc que, sur ce plan, le cap a été maintenu.
L'autre chose que nous avions soulignée était que, lorsqu'on procède par contrats de courte durée, ce qui est souvent le mode de fonctionnement du gouvernement, ces personnes acquièrent une compétence, puis, lorsqu'un concours est organisé, devinez qui gagne — pas une personne qui viendrait de plus loin, mais quelqu'un d'ici.
Il semble que l'analyse, les données et les conversations que nous avons eues, entre autres avec la Commission de la fonction publique, font ressortir les difficultés, ainsi que certains des moyens nécessaires pour les surmonter. Votre vérification rétrospective semblait indiquer que nous visions les bons aspects au bon moment et qu'il nous fallait persister en ce sens. Or, vous n'êtes pas en mesure de recommander toutes les choses que pourrait faire la Commission de la fonction publique, ou bien est-ce que je me trompe?
M. Langtry : Je dirais que nous ne le sommes pas du fait du mandat que nous avons, qui est d'effectuer les vérifications distinctes. Cela se limite strictement à une fonction de vérification.
Si vous le permettez, je vais reprendre un peu mes remarques et expliquer la différence entre nos rapports d'étape et nos vérifications. Lorsque nous nous rendons sur place pour aller voir si les choses progressent, ce que nous faisons, en gros, ce sont des comparaisons, ce que nous ne faisions pas avant 2010; nous examinions simplement la disponibilité et la réalisation ou non des objectifs. Ce que nous faisons maintenant, c'est comparer l'employeur visé par la vérification aux autres employeurs de son secteur.
Si nous nous rendions dans une entreprise de camionnage, par exemple, alors nous comparerions son rendement par rapport au reste de l'industrie du camionnage, plutôt que par rapport à l'ensemble. Puis, nous pourrions dire que, si l'entreprise est l'une de celles qui réussissent le mieux dans l'industrie du camionnage, alors la situation ne sera pas forcément formidable, mais du point de vue de notre analyse fondée sur les risques, nous concentrerions nos ressources sur les entreprises ayant moins bien réussi. Dans le cas de l'entreprise ayant mieux réussi, nous établirions un rapport d'étape, alors que dans le cas des autres, ayant moins bien réussi, nous réaliserions une vérification exhaustive, et retournerions les voir au bout de trois ans.
La raison — et je veux dire les choses gentiment —, c'est que nous constatons qu'il faut sans cesse rappeler aux employeurs les obligations qui leur reviennent en vertu de la loi. Lorsque nous entamons une vérification, nous trouvons que très peu d'employeurs sont pleinement conformes à la loi, sans parler de l'aspect représentation. Ils s'améliorent au fil de la vérification, ainsi qu'à l'étape du suivi. C'est pourquoi nous avons décidé de retourner les voir au bout de trois ans.
Nous faisons la même chose dans le secteur public. Lorsque nous examinons un ministère, nous le comparons à d'autres ministères et leur demandons : « Où en êtes-vous dans ce processus? Si vous êtes inférieurs à la moyenne, alors nous ferons une vérification, même si vos résultats sont relativement bons pour ce qui est de la représentation ».
Le sénateur Andreychuk : Nous mettons, dans une certaine mesure, l'accent sur le fait que ceux qui sont aux commandes ont pour responsabilité d'exécuter le mandat, sans quoi il y aura des conséquences. L'absence de prime pourrait être une conséquence, puisque prendre la réalisation des objectifs au sérieux fait partie du rendement qu'on attend d'eux.
Il y a eu des discussions sur la question de savoir s'il s'agit d'un outil approprié ou non. Avez-vous des données anecdotiques ou des résultats de vérification indiquant que ce pourrait être un outil utile ou pas?
M. Langtry : Je vais commencer, et nous verrons ensuite si Mme Girard a quelque chose à ajouter.
Il est certain que, dans le cadre d'une évaluation, nous examinons entre autres la reddition de comptes et déterminons si elle a ou non été intégrée dans la performance gestionnaire, qu'il s'agisse d'une organisation fédérale ou privée. Cependant, pour ce qui est du fédéral, nous fournissons simplement l'information. Nous ne nous occupons pas de la reddition de comptes de la part des sous-ministres, de la performance gestionnaire ou d'autres choses du genre.
En ce qui concerne le secteur privé, d'après mon expérience en tout cas, sur la base des rapports que je reçois, lorsque l'aspect qui nous occupe est intégré dans la véritable reddition de comptes et que les gestionnaires sont tenus d'en faire rapport, et lorsqu'il y a en place des comités patronaux-syndicaux, alors les résultats tendent à être meilleurs.
Mme Girard : La commission a également, avec le Bureau du Conseil privé, une entente selon laquelle, à la fin de chaque année, nous déposons les résultats de nos rapports qui indiquent si les ministères que nous avons vérifiés sont conformes. Nous fournissons un rapport annuel au Bureau du Conseil privé, sur la base de notre protocole d'entente, et le BCP est responsable des évaluations de rendement des administrateurs généraux. Le BCP est au courant des résultats des vérifications de ministères effectuées chaque année par la commission.
Le sénateur Meredith : Merci de votre exposé. J'en ai écouté une partie pendant que je me rendais ici.
Monsieur Langtry, vous avez souligné les efforts déployés pour rejoindre les minorités visibles — dont nous savons qu'elles sont concentrées dans nos centres urbains — et le fait que des membres des minorités visibles aimeraient avoir des emplois au sein de la fonction publique. À votre avis, le gouvernement en fait-il assez? Le sénateur Andreychuk a indiqué que des recommandations en ce sens ont été faites, soit que l'on publie des annonces dans les journaux locaux de groupes ethniques, afin d'informer les minorités visibles des exigences pour qu'elles aient des chances. Vous avez cité le chiffre de 22 p. 100 d'entre elles, mais cela laisse quand même 78 p. 100 des membres de ces minorités visibles qui ont toujours cette possibilité, qui sont canadiens et qui souhaiteraient travailler dans la fonction publique.
Pourriez-vous m'expliquer ce qu'il conviendrait de faire selon vous à partir de maintenant?
M. Langtry : Je ne suis pas certain de pouvoir vous dire les mesures positives qui devraient être prises. Ce que je peux vous dire, c'est que nous appliquons également la Loi canadienne sur les droits de la personne et que nous continuons de recevoir des plaintes de discrimination au travail. Comme vous le savez peut-être, le gros des plaintes visant la fonction publique sont déposées auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et non de la Commission canadienne des droits de la personne. Je parle peut-être davantage du secteur privé, mais je ne crois pas qu'il y ait une grosse différence entre les deux. Nous savons que très peu d'employeurs fédéraux affichent une pleine représentation.
Je mentionnerais également le récent Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux, dont les résultats viennent tout juste d'être publiés, et dans le cadre duquel 14 p. 100 des employés fédéraux ont déclaré avoir été victimes de discrimination au travail. On pourrait déduire de tous ces éléments qu'il y a bel et bien discrimination, et nous continuons d'en traiter.
Tout cela étant dit, encore une fois, notre mandat est de mener des vérifications distinctes; nous ne sommes pas responsables de la loi dans son entier, loin de là, ni du travail d'approche. Notre travail, nous le menons directement auprès de l'employeur concerné, qu'il s'agisse pour nous de fournir un rapport d'étape ou d'exécuter une vérification exhaustive des mesures prises par l'employeur. Nous faisons une analyse et déterminons si le plan d'équité en matière d'emploi en place a bel et bien cerné les obstacles à l'emploi et si l'employeur a pris les mesures nécessaires pour corriger la situation. Si nous retournons trois ans plus tard, alors nous contrôlons ce qui a été fait.
L'un des neuf éléments prévus dans le cadre de nos vérifications est un examen et une révision continue du plan d'équité en matière d'emploi. Il ne s'agit pas simplement d'un plan triennal assorti d'objectifs à court terme. Le plan comporte des objectifs à court et à long termes et doit sans cesse être réexaminé. Il englobe, comme l'a indiqué l'honorable sénateur, des choses comme le travail d'approche, que ce soit auprès de peuples autochtones ou d'autres groupes, ou d'examiner les pratiques d'embauche pour déterminer s'il n'existe pas des obstacles à l'emploi, même non intentionnels.
Le sénateur Meredith : Vous avez mentionné la communauté autochtone et indiqué que les chiffres pour les membres des Premières nations et les Autochtones sont toujours bien bas, que leur représentation ne correspond pas objectifs fixés pour les ministères, et cetera. Que diriez-vous au gouvernement pour l'aider à améliorer ces chiffres pour la communauté autochtone?
M. Langtry : La présidente a souligné à très juste titre que les peuples autochtones sont bien représentés au sein de la fonction publique fédérale; cependant, ces personnes se trouvent concentrées dans un petit nombre de ministères. Cela nous ramène au fait que, si nous vérifions tel ou tel ministère, nous allons constater des chiffres très bas. D'autre part, il arrive de temps à autre qu'on repère des obstacles pour les Autochtones, par exemple, des lacunes dans la formation, l'accès difficile à l'éducation, et ainsi de suite.
Mais peut-être qu'au lieu de digresser sur le leadership national des Premières nations et les initiatives visant à cibler l'éducation comme élément clé du problème, je soulignerai que, lorsque nous faisons nos évaluations, nous les ventilons en fonction également des catégories professionnelles. Comme je l'ai indiqué, qu'il s'agisse de postes de cadre ou autre, lorsque nous examinons le nombre de personnes autochtones, nous pourrions par exemple dire que, oui, votre effectif est représentatif — en d'autres termes, il n'y a pas d'écart —, mais si nous en faisions une ventilation selon les catégories, nous trouverions peut-être qu'au niveau d'entrée, au niveau des postes de commis de bureau, il y a une plus grande concentration d'Autochtones ou de femmes. Nous procédons donc à cette ventilation, en vue d'identifier les écarts par catégorie professionnelle.
Mme Girard : Même si nous essayons de revoir ou de réexaminer tous les employeurs ayant moins bien réussi au bout de trois ans, nous espérons de meilleurs résultats. Nous serons sur place pour rappeler aux employeurs qu'il leur faut mettre en œuvre toutes les stratégies qu'ils auront élaborées pour recruter des membres des groupes moins bien représentés au sein de leur organisation. C'est là la stratégie. C'est pourquoi nous avons refondu le programme, afin qu'il soit davantage fondé sur les risques. Nous l'avons remanié de manière à ce qu'il soit plus efficace et à ce qu'il prévoie que nous rendions plus souvent visite aux employeurs qui réussissent moins bien. Nous constatons que l'employeur oublie son plan et ne le met pas en œuvre si nous ne le soumettons à une vérification qu'aux 10 ans. Il importe que nous allions visiter plus souvent les employeurs.
Le sénateur Hubley : Merci de votre déclaration. Nombreux sont les nouveaux employés qui entrent à la fonction publique comme employés occasionnels ou comme employés nommés pour une période déterminée, et c'est un système qui privilégie ceux qui ont des relations dans la fonction publique. Tant les représentants de l'Alliance de la Fonction publique du Canada que ceux de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada ont indiqué que cela fait obstacle à l'augmentation des taux de représentation des membres de minorités visibles dans la fonction publique fédérale.
Dans quelle mesure le recours à des employés occasionnels ou nommés pour une période déterminée fait-il toujours obstacle à l'augmentation des taux de représentation des minorités visibles?
M. Langtry : Je ne sais trop ce que Mme Girard pourrait dire. Que je sache, nos vérifications ne soulèvent pas cela comme étant un problème. En ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous recevons également des plaintes de personnes qui sont recrutées en tant qu'employés occasionnels ou pour une période déterminée, et dont le contrat n'est pas renouvelé ou prolongé. Ces personnes allèguent alors que ce n'est pas leur rendement qui est en jeu, mais peut-être un des motifs de discrimination illicite. Cela ne répond pas à votre question relativement à l'entrée dans la fonction publique, mais nous recevons certainement des plaintes à ce sujet.
Je ne sais trop si un analyste aborderait cet aspect dans le cadre d'une vérification ou d'un rapport d'étape visant l'équité en matière d'emploi.
Le sénateur Hubley : Lorsque vous menez une vérification, vous ne faites pas de distinction, en ce qui concerne les groupes désignés, entre ceux qui occupent un emploi à temps plein et ceux qui ont été recrutés comme employés occasionnels ou nommés pour une période déterminée, n'est-ce pas?
Mme Girard : Nous ne faisons pas de distinction. Nous veillons à préciser les mesures à prendre pour corriger la situation si nous constatons un écart. Cela se fonde sur leur analyse, mais nous ne faisons pas de distinction entre les employés à temps partiel, les employés à temps plein et les employés occasionnels. Les employeurs doivent avoir un effectif qui soit représentatif de la population.
Le sénateur White : La vaste majorité des résidants d'un certain nombre de collectivités autochtones, au Nunavut surtout, sont loin d'avoir atteint l'âge de recrutement, par exemple, si l'on veut parler de la Commission de la fonction publique ou de nombreux autres employeurs. En fait, dans la très grande majorité des collectivités où vivent les Inuits, entre autres, il n'y a pas d'emplois dans la fonction publique fédérale. S'il y en a, les possibilités sont, au mieux, limitées.
Les facteurs géographiques entrent-ils en jeu, ou le travail se concentre-t-il seulement sur les Autochtones en milieu urbain, eux aussi majoritairement plus jeunes que ce qu'il faut pour être recrutés?
M. Langtry : Nous en tenons compte. Et c'est pourquoi il est difficile de fournir au départ une réponse sur l'écart. Le tout est fonction de facteurs géographiques. Lorsque nous parlons de « disponibilité », ce n'est pas la disponibilité à l'échelle du Canada. À Ottawa, il s'agit, par exemple, de la disponibilité à l'intérieur de la région de la capitale nationale, et les chiffres en matière de disponibilité sont ceux que fournit le rapport sur les données de recensement.
Le sénateur White : Pour poursuivre plus avant dans cette veine, car j'adhère à cette ligne de pensée, si nous prenons la langue la plus parlée à Ottawa, après l'anglais, il se trouve que c'est l'arabe. Environ 160 000 personnes disent de l'arabe qu'elle est leur première langue. Or, à Ottawa, les membres de cette communauté auraient de meilleures chances d'apprendre le français.
Qu'allons-nous faire dans le cas de communautés à Toronto, dans le Lower Mainland, à Vancouver, à Calgary et à Edmonton, où les groupes de minorités visibles n'ont peut-être pas le français comme langue seconde? Si tel est le cas, cela ne joue-t-il pas contre leurs chances d'intégrer le bassin de la fonction publique? C'est très bien à Montréal. Je dirais que ces personnes sont en mesure d'apprendre l'anglais et le français, comme c'est le cas à Ottawa. Cependant, je ne crois pas que les minorités visibles d'autres villes ont les mêmes possibilités. Est-ce qu'on en tient aussi compte?
M. Langtry : Oui. Nous avons examiné cette question, car nous demandons aux employeurs de nous dire pourquoi ils pensent que leur effectif n'est pas représentatif, et c'est ce qu'ils nous ont rapporté. Cependant, nous n'avons pas pu nous convaincre que le bilinguisme, ou l'unilinguisme, soit un facteur en ce qui concerne les membres des minorités visibles. Je ne suis pas en train de dire si tel est ou non le cas, mais nous n'en avons pas vu de preuve. Cependant, des employeurs nous ont dit que c'est là la raison, ou en tout cas une raison.
Le sénateur White : Avons-nous entendu la même chose de la part des communautés concernées? Les employeurs défendront leur impossibilité de livrer ce qu'on leur demande. Avons-nous entendu dire par ces communautés que la raison pour laquelle on ne constate pas une représentation égale de la communauté chinoise de la région du Lower Mainland de Vancouver, c'est que ses membres n'ont pas accès à des services d'éducation en anglais, en français et en chinois au sein de leur collectivité?
M. Langtry : Pas que je sache.
Le sénateur Meredith : Il s'agit toujours du genre de questions au sujet desquelles nous produisons des rapports et vous menez des vérifications. Dans un de vos rapports — je pense que c'était pour la période de 1995 à 2008 — on signalait certaines améliorations en ce qui concerne les objectifs en matière d'équité. À quoi pensez-vous que nous pouvons les attribuer?
M. Langtry : Je dirais que ces améliorations étaient attribuables au fait que nous menions des vérifications de l'équité en matière d'emploi. La loi a été modifiée en 1996, et c'est en octobre 1997 que nous avons commencé à réaliser des vérifications. Lorsque nous nous présentons chez un employeur, celui-ci n'est bien souvent pas conforme à la loi. Un petit nombre d'employeurs le sont, mais pas sur le plan de la représentation, lorsque nous commençons. En vertu de la loi, si l'employeur n'est pas conforme, nous lui demandons de prendre des mesures s'il se montre quelque peu hostile à l'idée. La loi exige que nous usions de persuasion et de négociation. Si cela n'est pas efficace, alors nous pouvons émettre une directive.
Le sénateur Meredith : À quelle fréquence avez-vous émis des directives?
M. Langtry : Après les directives — et je pense que nous en avons émis environ 23 —, si l'employeur n'est toujours pas conforme, alors l'affaire peut être renvoyée au Tribunal de l'équité en matière d'emploi. Nous avons fait quatre renvois seulement au Tribunal de l'équité en matière d'emploi, et tous ces cas sont antérieurs à 2002. Nous avons commencé en 1997, et cela a continué jusqu'en 2002.
Encore une fois, je dirais que, bien que notre mandat se limite à l'exécution d'une vérification, les employeurs savent qu'aucun employeur conforme n'a été convoqué à une audience. Nous n'avons pas eu à intervenir de cette façon depuis de temps. Les vérifications amènent bel et bien une amélioration du rendement; d'après moi, c'est ce qui explique l'amélioration de la situation et c'est pourquoi nous estimons que la Loi sur l'équité en matière d'emploi est efficace, jusqu'à un certain point, et qu'elle est toujours nécessaire. Nous avons presque doublé la portée de notre programme du fait que nous produisons maintenant, en plus des rapports de vérification, des rapports d'étape. Plus nous pourrons rejoindre d'employeurs — encore une fois, en traitant avec les plus gros employeurs, comptant un effectif supérieur à 500, en couvrant 90 p. 100 des employés, et en retournant voir les employeurs affichant les moins bons résultats —, mieux ce sera. Après deux ans, nous continuerons de voir des améliorations parce que ces employeurs continueront de recevoir des rappels. Ils savent que, s'il y a lieu, nous émettrons des directives. Selon la loi, le renvoi devant le tribunal est un dernier recours, mais ils savent que nous sommes prêts à le faire, au besoin.
Le sénateur Meredith : Vous avez plusieurs fois parlé de trois ans. Peut-être qu'il conviendrait de retourner voir ces employeurs plus souvent qu'aux trois ans, ou bien sommes-nous limités par la loi à un échéancier de trois ans?
M. Langtry : Ce n'est pas tant la loi que les ressources disponibles.
Mme Girard : En règle générale, un plan en matière d'équité d'emploi sera élaboré pour une période de trois ans. Il est donc logique de retourner au bout de trois ans, par exemple, pour voir si l'employeur a exécuté son plan et s'il en a élaboré un autre sur la base des écarts restants. C'est pourquoi nous voulons retourner sur place faire le suivi.
La présidente : J'aimerais une précision. Vous avez beaucoup insisté sur des facteurs géographiques. J'ai fait des recherches, mais nous avons des bureaux fédéraux à l'échelle du pays, n'est-ce pas?
M. Langtry : Oui.
La présidente : Nous avons des bureaux fédéraux à Toronto, et nous attendons avec impatience de voir votre vérification pour cette région. Nous avons des bureaux fédéraux dans ma ville, Vancouver, ainsi qu'en Alberta. Les employés ne viennent pas seulement de cette région-ci. Êtes-vous d'accord?
M. Langtry : Absolument.
La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez tellement donné matière à réfléchir. Nous espérons que nous vous verrons plus souvent.
M. Langtry : Nous nous ferons un plaisir de venir ici n'importe quand.
La présidente : Nous allons faire une pause de cinq minutes, après quoi nous poursuivrons à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)