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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 11 - Témoignages du 30 avril 2012


OTTAWA, le lundi 30 avril 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. (sujet : Les programmes fédéraux de soutien aux activités sportives et récréatives pour enfants et adolescents handicapés.)

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la treizième réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

Je m'appelle Mobina Jaffer et, en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

Je vais demander aux membres qui sont ici de se présenter.

Le sénateur Ataullahjan : Je m'appelle Salma Ataullahjan et je représente l'Ontario.

Le sénateur White : Je m'appelle Vern White et je représente l'Ontario.

Le sénateur Hubley : Elizabeth Hubley, Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

La présidente : Le 15 mars 2009, le Sénat a modifié son Règlement afin de créer un nouveau comité permanent, soit celui du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Ce comité assume plusieurs fonctions, notamment celle de sensibiliser le public, de veiller à la bonne mise en application et au respect des lois et principes internationaux des droits de la personne et de s'assurer que les lois et politiques canadiennes sont bien mises en application et ce, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 23 novembre, notre comité a déposé un rapport sur l'exploitation sexuelle des enfants. Au cours de notre étude, nous nous sommes attachés aux causes de l'exploitation sexuelle des enfants et nous avons souligné le rôle de l'intérêt de l'Internet. On a en effet attiré notre attention sur le fait que l'Internet avait élargi la portée de l'exploitation sexuelle en facilitant un contact direct et anonyme.

Après avoir établi le rôle joué par l'Internet dans l'exploitation sexuelle des enfants, notre comité a décidé d'examiner les autres façons dont l'Internet nuit à la sécurité de nos enfants.

Le 30 novembre 2011, le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et d'en faire rapport.

[Traduction]

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne sait que le visage de l'intimidation a évolué, Internet ayant permis sa migration, de l'école et de la cour d'école au foyer. Outre l'intimidation sociale, verbale et physique, de nombreux enfants aujourd'hui sont contraints de supporter la cyberintimidation. Le Service de police de la Ville de Montréal définit la cyberintimidation comme l'affichage de messages menaçants, blessants ou avilissants à propos de quelqu'un par l'entremise de mots ou d'images. Cela comprend également le harcèlement. La cyberintimidation se produit par le biais des courriers électroniques, des bavardoirs, des groupes de discussion, des sites Web et de la messagerie instantanée. C'est un problème que connaissent bon nombre de nos jeunes. Des études récentes indiquent que 25 p. 100 des jeunes internautes affirment avoir reçu par courriel des messages de haine à propos d'autres personnes. Trente-quatre pour cent des jeunes de neuf à 17 ans disent avoir été victimes d'intimidation pendant l'année scolaire. Sur ce nombre, 27 p. 100 ont été victimes de cyberintimidation. Sans protection ni aide, de nombreux enfants victimes de cyberintimidation sont laissés à eux-mêmes pour faire face à ces nouveaux défis. Notre comité a l'intention de voir comment nous pouvons protéger et aider nos enfants.

Nous tenons aujourd'hui notre deuxième réunion sur le cyberintimidation. J'aimerais présenter nos témoins. Le premier groupe est composé de Faye Mishna, doyenne et professeure de la faculté de service social Factor-Inwentash, de l'Université de Toronto, dont la recherche porte notamment sur l'intimidation, la cyberintimidation et le cybercounseling, et de Shaheen Shariff, professeure agrégée, Département d'études intégrées en éducation, de l'Université McGill. Mme Shariff a beaucoup écrit sur les questions de cyberintimidation et sur leur rapport avec le milieu éducatif et les études. Mme Shariff est accompagnée de Mme Manveen Patwalia, adjointe de recherche à l'Université McGill.

Nous allons commencer par les remarques liminaires de Mme Shariff, et nous passerons ensuite à Mme Mishna.

Shaheen Shariff, professeure agrégée, Département d'études intégrées en éducation, faculté de l'éducation, Université McGill : Merci. Honorables sénateurs, merci de m'accueillir aujourd'hui. Je suis ici pour attirer votre attention sur un certain nombre de questions juridiques et de politique importantes qui sont traitées plus en détail dans mon mémoire.

La cyberintimidation est un phénomène complexe et rien n'indique que l'adoption de lois permettra de la prévenir. Sa médiatisation en a conduit certains à demander un durcissement des lois pour la réduire. Mais un certain nombre de juristes à l'échelle internationale soutiennent que des sanctions rigoureuses, comme les lois anti-intimidation, pourraient ne pas avoir les résultats escomptés. La cyberintimidation est ancrée dans la discrimination et l'ignorance, et ce sont ces causes sociétales profondément enracinées auxquelles il faut s'attaquer, plutôt que de blâmer les jeunes ou les technologies numériques. Nous avons déjà des cadres juridiques, comme la Charte canadienne des droits et libertés, les codes provinciaux des droits de la personne, le droit de la responsabilité délictuelle et le droit criminel, qui s'appliquent aux différents aspects de la cyberintimidation ou qui y sont pertinents et peuvent être interprétés dans le contexte numérique.

Ma recherche dans le cadre du projet Définir la frontière de McGill révèle que les natifs numériques, les jeunes qui ont grandi avec les médias numériques, ne sont pas capables de faire la distinction entre les blagues et le divertissement pour amuser les copains et la cyberintimidation qui inflige une souffrance émotionnelle et pose un risque de responsabilité légale. Les jeunes intimidateurs affichent souvent des messages et des insultes choquants pour faire rire les amis sans penser aux effets produits sur les personnes visées.

La médiatisation des suicides liés à l'intimidation me préoccupe. Tout en sensibilisant à ses effets dévastateurs, ces reportages ne doivent pas laisser penser que les médias numériques sont toujours dangereux et que les filtres, les interdictions et la censure vont régler le problème — ou que les jeunes Canadiens les utilisent toujours de façon négative.

Les nouvelles lois provinciales au Canada semblent contradictoires en obligeant les écoles à établir des plans durables de lutte contre l'intimidation, sans disposer des ressources suffisantes pour sensibiliser les enseignants et le personnel scolaire, tout en accordant aux directeurs trop de discrétion pour renvoyer ou suspendre des élèves qui pratiquent la cyberintimidation. Les natifs numériques, qui ne se rendent pas compte des risques juridiques, pourraient être punis trop sévèrement lorsque les responsables scolaires ne comprennent pas la complexité de la cyberintimidation et s'appuient sur des politiques de tolérance zéro. C'est un élément particulièrement important au vu de la promulgation de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, qui adopte une ligne dure à l'égard de la criminalité, en imposant des peines plus longues et plus rigoureuses. Ces mesures réactives pourraient aller à l'encontre des dispositions sur la protection des jeunes de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Notre recherche montre que les jeunes évitent de signaler qu'ils sont victimes de cyberintimidation parce qu'ils ont l'impression que les adultes ne vont pas les aider et par crainte des représailles de la part des intimidateurs. Il est important que les jeunes se sentent en sécurité et sachent que leur vie privée sera protégée s'ils veulent entamer des poursuites en diffamation contre les intimidateurs.

Le dilemme entre la protection de la vie privée du plaignant et le droit du public de savoir dans le système judiciaire ouvert fait actuellement l'objet d'un débat au Canada. La Cour suprême du Canada va bientôt fixer la norme lorsqu'elle va entendre l'affaire A.B. c. Bragg Communications, dans laquelle une adolescente canadienne victime de cyberintimidation a demandé de conserver l'anonymat.

Les dilemmes et les choix offerts aux décideurs canadiens relèvent de notre capacité à apprendre à concilier la libre expression, la protection de la vie privée, la sécurité, la supervision et la réglementation, et participent également de l'obligation du Canada de protéger les jeunes en vertu de l'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Je suis convaincue que le Canada peut être un chef de file en ce qui concerne le respect des articles 19 et 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant. Je demande donc instamment aux honorables sénateurs de tenir compte des implications et des recommandations suivantes.

Les Canadiens doivent s'assurer que les dispositions des articles 19 et 12 s'appliquent à la protection et à la participation de tous les jeunes Canadiens, y compris les auteurs de cyberintimidation, pas seulement les victimes, car ils sont interchangeables — parfois victimes et parfois auteurs.

Repenser les mesures juridiques canadiennes. Nous n'avons pas nécessairement besoin de lois anti-intimidation puisque nous avons déjà des cadres juridiques, comme je l'ai dit tout à l'heure.

Renforcer l'investissement du gouvernement dans les priorités de recherche suivantes, car je crois que ce sont les principaux éléments qui permettront de trouver une réponse efficace au phénomène de la cyberintimidation.

Encourager la littératie juridique et la citoyenneté numérique pour aider les jeunes à établir des filtres afin de tracer la limite entre le jeu et la cyberintimidation et fixer les frontières entre les espaces en ligne publics et privés.

Encourager le gouvernement à appuyer la collaboration entre les groupes des secteurs juridique, éducatif et privé afin de déterminer l'applicabilité des droits de la personne constitutionnels, du droit de responsabilité délictuelle et du droit criminel aux différents aspects de la cyberintimidation et établir des répertoires des mesures juridiques les plus souvent adoptées au Canada.

Incidemment, avant de venir à cette réunion, j'ai appris que nous avions reçu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada justement pour mener des recherches à ce sujet.

Être à l'avant-garde de la recherche internationale et accorder des ressources pour des études longitudinales sur les natifs numériques et sur l'évolution de leurs réalités pour remédier au flou qui existe entre les espaces sociaux en ligne et hors ligne.

Finalement, appuyer les études d'évaluation des politiques et des programmes canadiens pour juger de leur pérennité.

Merci encore de m'avoir donné l'occasion de faire cette présentation au comité.

Faye Mishna, doyenne et professeure, faculté de service social Factor-Inwentash, Université de Toronto : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci. Je vais revenir sur certains des points que j'ai développés dans mon mémoire.

La cyberintimidation peut avoir des effets dévastateurs sur les enfants et les jeunes et inquiète de plus en plus les parents, les éducateurs et la société en général. Je pense qu'il est important de souligner que la cyberintimidation ne peut se comprendre que dans le contexte du cyberespace et dans celui de l'intimidation traditionnelle. On ne peut y réfléchir que dans cette optique. Les fantastiques progrès technologiques des dernières années ont changé à tout jamais notre façon de communiquer et d'interagir.

Les jeunes sont des natifs numériques. Ils n'ont jamais connu un monde sans technologie. Les adultes sont des immigrants; tout cela est très nouveau pour nous. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des jeunes Canadiens utilisent chaque jour les technologies de la communication. Ils acquièrent des compétences technologiques beaucoup plus rapidement que leurs parents et ils en savent beaucoup plus. La technologie a pris une longueur d'avance sur les législateurs, les politiciens et les parents qui doivent maintenant tenter de comprendre comment profiter des avantages tout en réduisant au minimum les risques.

Depuis que les ordinateurs de bureau sont remplacés par des appareils personnels de poche, les parents n'ont d'autre choix que d'accepter l'autonomie inévitable de leurs enfants dans le monde virtuel tout en surveillant leurs activités et, surtout, de maintenir la communication avec eux.

L'intimidation traditionnelle est une forme d'agression qui crée un déséquilibre des forces entre l'auteur et la victime de l'intimidation. L'acte est souvent répétitif, et l'intention de blesser est souvent présente. Jusqu'à présent, il existait trois formes générales d'intimidation : physique, sociale et verbale. Nous avons maintenant la cyberintimidation.

Il n'existe pas encore de définition universelle de la cyberintimidation, ce qui est un point très important. Une des définitions de la cyberintimidation est l'utilisation des technologies de la communication et de l'information pour faire du tort à une autre personne. Cela peut se faire avec n'importe quel appareil technologique et peut comprendre toute sorte de comportements : propager des rumeurs, blesser ou menacer et harceler sexuellement.

Nous savons avec certitude qu'il existe un chevauchement entre la cyberintimidation et l'intimidation traditionnelle. Les jeunes qui intimident en ligne sont également plus susceptibles d'être des auteurs ou des victimes d'intimidation hors ligne. Encore une fois, il faut penser à la cyberintimidation dans le contexte de l'intimidation traditionnelle.

Cependant, nous savons aussi qu'elle est différente. Quelles sont donc ces différences? Premièrement, il peut être incroyablement difficile d'y échapper, car elle suit l'enfant de l'école à la maison — et en fait partout. Nous savons également qu'elle peut provoquer une grande détresse et des effets qui sont beaucoup plus marqués que pour l'intimidation traditionnelle, dont nous savons qu'elle peut avoir des conséquences graves. De même, le profil des jeunes auteurs et victimes d'intimidation dans le cyberespace semble être différent de celui des jeunes auteurs et victimes de l'intimidation traditionnelle. Par conséquent, dans le cyberespace, il peut y avoir une alternance plus fréquente entre victimes et auteurs, ce qu'il est très important de comprendre.

Quelle est la prévalence de la cyberintimidation? Les taux de prévalence dans le monde vont de 6 à 10 p. 100 jusqu'à 72 p. 100. Il existe une énorme variabilité qui s'explique en partie par des différences dans les définitions, les échantillons et les contextes.

La cyberintimidation peut avoir des effets dévastateurs sur l'auteur et la victime et sur leur bien-être. Ils alternent, mais les deux sont vulnérables. Le principal problème vient du fait que tout comme pour l'intimidation traditionnelle, les jeunes hésitent beaucoup à parler aux adultes de la cyberintimidation, probablement encore plus. Cela s'explique en partie par la crainte que les adultes ne comprendront pas et ne sauront pas quoi faire, mais aussi par la crainte qu'ils leur retirent leur appareil, ce qui voudrait dire la fin de leur vie sociale.

Nous constatons que contrairement à l'opinion voulant qu'elle soit anonyme, la cyberintimidation se produit souvent dans le contexte des relations sociales. Elle n'est pas anonyme dans bien des cas et se produit au sein du groupe.

Pourquoi les jeunes font-ils de la cyberintimidation? Ils le font pour de nombreuses raisons : pour attirer l'attention, pour avoir l'air « cool » et passer pour des durs, par jalousie ou pour être populaires ou puissants. Notre étude à l'Université de Toronto a révélé que 25 p. 100 des cas de cyberintimidation se produisent en présence d'observateurs. Dans la cyberintimidation, nous savons que le contenu peut être vu à l'infini et diffusé par quiconque a accès à Internet. Il est presque impossible, voire impossible, de le supprimer.

Quand on parle de cyberintimidation, on tend à penser aux jeunes enfants et aux élèves du secondaire, mais, étant à l'université, je constate qu'elle commence là aussi. On ne sait pas encore à quel point, et il faut étudier la question.

Je peux vous donner un exemple non pas d'intimidation, mais de l'importance des interactions dans le monde virtuel dans les universités. Dans notre programme de maîtrise de la faculté Factor-Inwentash de travail social, on a créé pour la première fois cette année une page Facebook pour tous les étudiants de cette discipline. Cela représente un grand nombre d'étudiants sur une page Facebook. C'est très courant dans les programmes de premier et de deuxième cycles, mais je pense que nous n'avons pas réfléchi aux implications. Or, nous devons le faire.

Il est très important de connaître les motivations de la cyberintimidation et de savoir à quel point l'intimidation motivée par les préjugés est répandue. L'intimidation motivée par les préjugés est la persécution d'une personne ou d'un groupe fondée sur l'appartenance à un groupe, réelle ou perçue — par exemple, le sexe, l'orientation sexuelle, la race, la religion et les capacités. Ce type d'intimidation crée un climat hostile, en particulier pour les jeunes marginalisés, dont nous savons qu'il influera sur leur apprentissage, ainsi que sur tous les aspects de leur comportement social et psychologique. C'est de plus une violation fondamentale de leurs droits.

La cyberintimidation motivée par les préjugés, ainsi que l'intimidation traditionnelle, sont liées à des enjeux sociaux et de politique publique plus vastes. L'homophobie, le racisme, le sexisme et d'autres formes de marginalisation sont présents dans les actes de cyberintimidation. Nous devons nous attaquer à ces préjugés dans l'ensemble de la société. On ne doit pas se limiter aux enfants en cause, mais viser toute la société.

Il n'existe pas de remède miracle à la cyberintimidation qui permette de promouvoir et de protéger les droits des enfants et des jeunes. Premièrement, nous devons comprendre les perspectives des jeunes; nous devons les inclure. Je sais que vous les avez invités ici, ce qui me semble une excellente initiative. Nous devons également comprendre l'importance absolue de la technologie dans leur vie sociale.

Les adultes doivent devenir un refuge pour les jeunes, mais cela ne peut se faire que si les jeunes peuvent leur parler de leurs cyberexpériences difficiles. Les individus, les écoles, les collectivités et les représentants de tous les paliers de gouvernement doivent se concerter. On doit utiliser différents outils et ressources pour assurer la prévention et les interventions. Ce faisant, nous devons nous assurer que nos mesures transcendent la technologie puisqu'elle ne cesse de progresser et que nous ne pouvons pas suivre le rythme.

Que faire? Les jeunes, les parents, les enseignants et les adultes importants dans la vie des enfants doivent être formés pour réfléchir de façon critique et savoir résoudre les problèmes, et nous devons donner aux jeunes la possibilité d'acquérir des pratiques et des comportements sûrs et responsables en ligne.

Il est important de ne pas blâmer la technologie. La cyberintimidation est ancrée dans les relations humaines.

Pour les plus jeunes, ces relations sont ancrées dans le monde virtuel, c'est pourquoi nous devons acquérir les connaissances nécessaires pour renforcer la sécurité et réduire les risques en ligne.

Pour terminer, j'aimerais reprendre les quatre recommandations qui figurent dans mon mémoire. Premièrement, nous devons appuyer des projets existants au Canada qui visent à contrer la cyberintimidation et commencer à accroître la cybersécurité et réduire les risques. Deuxièmement, nous devons élaborer un programme national de recherche sur la cyberintimidation. Troisièmement, nous devons mobiliser les connaissances pertinentes pour que l'information et les faits connus soient mis à la disposition des enfants, des parents et des adultes qui travaillent avec les enfants et leur soient facilement accessibles. Finalement, il est crucial de promouvoir l'éducation et la sensibilisation sur la cyberintimidation et le cyberespace en général.

La présidente : Merci beaucoup à vous deux. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Nous commençons par le sénateur Ataullahjan.

Le sénateur Ataullahjan : Merci, madame Shariff et madame Mishna pour le travail que vous faites sur cette importante nouvelle menace pour les enfants. J'ai beaucoup de questions, mais je vais commencer par les deux premières.

On pense généralement que l'intimidation est quelque chose que font tous les enfants et que ça leur passera. La cyberintimidation est-elle différente de l'intimidation habituelle?

Il me semble que c'est une responsabilité qui incombe à la société dans son ensemble. Les enseignants doivent être formés à l'utilisation acceptable des médias sociaux. Les parents doivent être sensibilisés. Depuis que j'ai proposé cette étude, dans mes déplacements, j'ai parlé à des parents qui étaient assis à côté de moi et certains n'étaient même pas au courant de ce problème. Je leur ai dit que c'était une discussion qu'ils devraient avoir avec leurs adolescents de 14 et 16 ans.

Les parents doivent s'impliquer, mais pensez-vous qu'ils ont aussi une certaine responsabilité? Les médias fixent les normes, que ce soit être trop gros ou trop maigre ou s'habiller de telle ou telle façon. Je pense que c'est une responsabilité que chacun doit assumer dans la société.

Mme Shariff : Voilà de très bonnes questions, madame le sénateur. On doit voir dans la cyberintimidation une prolongation de l'intimidation traditionnelle. L'idée que tout le monde pratique l'intimidation et que cela fait partie de notre éducation a fait l'objet de recherches depuis 10 ans, et ces recherches ont montré très clairement que l'intimidation ne doit pas être acceptée comme quelque chose qui se produit tout le temps.

Les adultes sont souvent eux-mêmes des modèles négatifs. Partout dans la société, au niveau international, on voit de la violence, de la violence au hockey ou de l'intolérance, par exemple, et les jeunes en sont les observateurs.

Comme vous l'avez dit, nous devons certainement mieux former les enseignants. Nous devons améliorer les programmes de formation des enseignants et nous devons également savoir que les programmes ponctuels contre l'intimidation ne donnent aucun résultat — l'invitation occasionnelle d'un expert ou d'une personne qui vient parler de l'intimidation. Ce qui fonctionne et fonctionnera est l'intégration et la modélisation de comportements et d'une communication sociale en ligne et hors ligne respectueux à tous les aspects de la vie et des programmes scolaires. C'est un défi.

Le problème est que les écoles voient parfois les initiatives anti-intimidation comme quelque chose qu'elles doivent faire en plus. Ce ne devrait pas être nécessairement le cas. Ce sujet doit faire partie de l'éducation complète des enfants. La meilleure façon, selon nous, d'aborder ces questions est de réunir les natifs numériques, les experts en technologie et les immigrants numériques, les adultes qui connaissent moins bien la technologie, pour qu'ils travaillent ensemble.

Les jeunes doivent également se faire entendre et se prendre en charge. On doit les habiliter à travailler et même à contribuer aux codes de conduite. En vertu de l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant, nous devons respecter les droits de participation des enfants. Or, le dossier du Canada à cet égard laisse à désirer. Nous devons mieux faire.

Pour y parvenir, on doit notamment mobiliser les jeunes, leur permettre de se prendre en charge et leur donner une responsabilité. Ils finiront par changer de comportement. Cette façon de faire est préférable aux suspensions et aux expulsions puisqu'ils auront toujours accès à la technologie de toute façon.

Mme Mishna : Pour répondre à la première question concernant la fréquence et le fait que cela leur passera, le grand mythe auquel on a cru pendant des années tient au fait que de nombreux enfants pratiquent l'intimidation et qu'elle a touché tant de monde qu'on la juge normale, mais ce n'est pas parce que c'est fréquent que c'est acceptable. Je pense que c'est un mythe très important. La recherche, comme Mme Shariff l'a indiqué, montre que les enfants gardent des séquelles; ils ont grandi avec ce problème qui a eu des conséquences. C'est important; ce n'est pas parce que quelque chose est courant que c'est acceptable.

L'autre problème vient du fait que nous voyons les cas extrêmes d'intimidation, ceux qui sont médiatisés. L'ironie de la cyberintimidation est que parce que c'est dramatique et qu'on le voit sur YouTube, on remarque ces cas dramatiques. D'une part, c'est une bonne chose, car nous en prenons conscience et savons que c'est grave, mais d'autre part, il ne s'agit que de cas extrêmes, ce qui peut entraîner de vives réactions. Comme Mme Shariff l'a dit, ce n'est peut- être pas le meilleur scénario. Ce n'est valable que pour les cas extrêmes.

Ce que l'on néglige, ce sont les situations quotidiennes, qu'il s'agisse d'intimidation ou de cyberintimidation, les petites choses que l'on ne juge pas très graves. Une vieille comptine dit que les coups peuvent faire mal, mais les injures ne causent pas d'enflures, mais on se rend compte maintenant que ce n'est pas vrai, et il en est de même pour la cyberintimidation. Ce que nous devons faire en matière d'éducation, et je pense que c'est important dans le contexte des médias, mais n'est pas digne de mention, car cela ne fait pas les manchettes, c'est de nous rendre compte que ces petites choses de tous les jours commencent très tôt.

À la garderie, de nombreux enfants tiennent déjà des propos homophobes. Ils ne comprennent même pas ce qu'ils disent, et ces propos sont souvent négligés parce qu'on les trouve « mignons » ou parce qu'on estime que les enfants ne comprennent pas ce qu'ils disent. Ils ne savent peut-être pas ce qu'ils disent, mais nous devons trouver un moyen d'aborder le problème sans leur faire honte ni les humilier, par l'éducation, afin que lorsqu'ils arriveront dans les classes supérieures, ce ne sera pas acceptable, mais cela n'a pas à se faire de façon négative.

La formation des enseignants est très importante. Ma recherche a montré que les enseignants travaillent très fort pour enseigner le programme scolaire et tout le reste. Nous devons inclure cette question dans le programme, et je pense que ce n'est pas toujours par des mesures de lutte contre l'intimidation, mais en encourageant des comportements prosociaux et positifs. En ce qui concerne le numérique, il s'agit de savoir comment devenir un citoyen numérique et comment interagir en toute sécurité. Il existe des programmes. Je travaille actuellement sur un programme, OPHEA, qui est amusant et interactif et qui est administré dans un certain nombre d'écoles de l'Ontario. Nous devons l'évaluer pour voir s'il peut aider les élèves à réagir, à résoudre les problèmes et à réfléchir pour pouvoir agir de façon positive.

Les écoles ne doivent pas être les seules à intervenir. Ce n'est pas seulement un problème scolaire; c'est une question communautaire. Les parents, les entreprises, les équipes scolaires — toutes les ONG — doivent participer. C'est une question de société à laquelle on doit s'attaquer et qui ne doit pas être laissée aux écoles.

Le sénateur Andreychuk : Pour revenir au sujet du fait que c'est une étape qu'ils dépasseront, n'est-il pas juste de dire que l'intimidation est une de ces questions auxquelles les enfants apprennent à faire face en grandissant et qu'ils testent les limites dans un contexte social. En l'absence de mesure pour les aider à dépasser ce stade, à comprendre, à ne pas le faire et à faire face aux conséquences, s'ils sont ceux qui subissent, on a alors un problème. L'intimidation devient un comportement ancré qui se poursuit, un comportement scolaire. Vous avez dit que les parents et la collectivité doivent participer.

Une des difficultés de la cyberintimidation, qui la rend différente des autres formes d'intimidation, à mon avis, est que nous n'avons pas encore fixé les limites. Autrement dit, nous n'avons pas de contexte de comportement social dans le cyberespace. Nous ne savons pas ce qu'est la protection de la vie privée et nous ne connaissons pas les conséquences, non seulement pour les enfants, mais également pour les adultes : Qu'est-ce qui est acceptable et qu'est-ce qui ne l'est pas? Par conséquent, ce sont les enfants qui portent tout ce poids, ce qui, selon moi, fait la différence entre la cyberintimidation et tous les autres types d'intimidation. C'est un processus de maturation, mais dans ce nouveau contexte où les adultes n'ont pas encore fixé les règles, alors qu'auparavant, il s'agissait de comportements sociaux antagonistes. Il semble que dans ce cas, les comportements n'ont pas encore été définis. N'ai-je pas raison?

Mme Mishna : Je pense que vous avez raison, et c'est un des grands problèmes. Pour essayer de définir ces comportements, nous pouvons demander aux enfants et aux jeunes de nous aider. Nous avons besoin d'eux pour nous dire ce qui est problématique et ce qui ne l'est pas. Je pense que cela doit être intégré au programme scolaire, mais on doit également sensibiliser les adultes.

Les adultes disent souvent : « Je ne suis pas au courant. Je ne comprends pas. » Ils répondent aussi que : « Les enfants n'interagissent pas vraiment parce que ce n'est pas réel. » Les adultes doivent comprendre que c'est bien réel et qu'ils n'ont pas le choix. Ils doivent se renseigner et plus ils en sauront sur le sujet, plus ils pourront contribuer à définir les comportements. C'est l'occasion de faire participer les jeunes, car dans ce cas, d'une part, ils en savent plus que nous, mais d'autre part, du fait que sur le plan du développement, ils sont encore jeunes et ne savent pas utiliser ce qu'ils savent, ils ont encore besoin de conseils. Nous avons besoin des deux.

Dans nos études, les enfants ont souvent dit qu'ils ne parleraient pas aux parents ou aux enseignants parce qu'ils avaient l'impression qu'on ne les prendrait pas au sérieux et qu'on ne les comprendrait pas. S'ils estiment qu'ils seront pris au sérieux et compris, ils peuvent être utiles. On les utilise de plus en plus dans la recherche comme conseiller pour cette même raison.

Mme Shariff : On doit notamment aider les enfants à prendre conscience de leurs propres filtres internes par rapport à ce qu'ils affichent en ligne. Il s'agit de différents stades de maturité. Les enfants ne réfléchissent pas à ce qu'ils affichent en ligne. Tout comme nous les aidons à comprendre pourquoi ils doivent regarder des deux côtés de la route avant de traverser, nous devons les aider à créer ces filtres internes et à penser à ce qu'ils font quand ils affichent de l'information en ligne.

Dans mon mémoire, j'ai donné des exemples de sextos, de distribution de photographies intimes faite sans réfléchir, des contenus qui peuvent se répandre à l'infini. Il y a eu des exemples dévastateurs, comme à Maple Ridge, en Colombie-Britannique, où les images du viol d'une jeune fille ont été diffusées à grande échelle. Vous avez dit que les adultes n'ont pas encore établi les limites ou trouvé les moyens de réagir à ces questions, c'est pourquoi la police applique le Code criminel et appelle cela de la « distribution de pornographie juvénile ». Mais la plupart du temps, les jeunes ne savent pas et n'avaient pas cette intention. Ils ne distribuent pas de la pornographie juvénile. Ce qu'ils font, c'est pour faire rire leurs amis.

Nous devons commencer beaucoup plus tôt, comme Mme Mishna l'a dit, à un âge très précoce, à créer ces filtres internes parmi les jeunes et les aider à comprendre les limites. Qu'est-ce qu'un commérage? Répandre des rumeurs peut avoir des conséquences et afficher des photos et les modifier en ligne peut aussi avoir des conséquences. Où se situe la limite?

Notre projet, Définir la frontière, est maintenant financé par une subvention de Facebook. C'est important dans le contexte de la collaboration avec les entreprises. Il est bon de voir que les entreprises se préoccupent désormais de fournir une plateforme sûre aux jeunes. Les chercheurs et les entreprises doivent collaborer.

L'autre aspect concerne le renforcement de la littératie juridique, non seulement parmi les jeunes, mais également les enseignants dans les écoles et au sein du public. Il y a 20 ans environ, la juge en chef Bora Laskin avait déclaré que nous devions améliorer l'éducation publique. Malheureusement, cela n'a jamais été suivi d'effet, et nous sommes maintenant confrontés à ces questions qui exigent toute notre attention.

Le sénateur Ataullahjan : Vous avez répondu, je pense, à ma question suivante. L'intimidation électronique est une violation des droits. Devrait-on adopter des lois? Certains craignent qu'une politique sur la cyberintimidation empiète sur les droits constitutionnels à la liberté d'expression. La ligne est assez mince.

Comment fait-on la distinction entre ce qui relève de la liberté d'expression privée et les cas de cyberintimidation par rapport au comportement? Cela est particulièrement important dans ces cas.

Professeure Shariff, pourriez-vous nous parler un peu plus de votre projet, Définir la frontière? C'est très nouveau. On parle de surveiller les logiciels. Est-ce la réponse? Dans quelle mesure empiète-t-on sur les droits des gens et jusqu'où peut aller le gouvernement ou n'importe qui d'autre?

Mme Shariff : Nous avons des lignes directrices qui viennent des États-Unis. La question est plus litigieuse aux États-Unis où plus de cas de cyberintimidation ont été entendus, en particulier dans le contexte de la libre expression. Où, en particulier pour les jeunes, se terminent les droits à la liberté d'expression et quand les écoles ou les établissements peuvent-ils intervenir? Où se situe cette limite?

Les tribunaux ont établi que si les formes d'expression perturbent l'apprentissage en classe de façon importante, parce que ce genre d'intimidation se fait de part et d'autre en classe et à l'extérieur, en ligne, l'école a le droit d'intervenir. Les enfants se taquinent entre eux ou font des blagues sur un enseignant sur Facebook ou toute autre forme de médias sociaux et lorsqu'ils reviennent en classe, ils l'ont tous vu et s'en amusent. Cela peut avoir des conséquences sur l'apprentissage. Si cela nuit à la mission éducative de l'école, elle a le droit d'intervenir. S'il existe une forme de lien quelconque, d'après des affaires marquantes aux États-Unis concernant des enseignants, par exemple, l'école a alors le droit d'intervenir. Si les ordinateurs ou le site web de l'école sont utilisés pour la cyberintimidation, même au niveau universitaire, les éducateurs ont le droit d'intervenir. Voilà certaines des limites que nous avons fixées.

Dans notre projet, Définir la frontière, nous essayons d'informer les intervenants, tels que les décideurs, les parents et les éducateurs, et de faire participer les enfants et les jeunes en ligne à un dialogue sur les moyens d'aborder ces questions. Notre site web est éclairé par la recherche. Ces questions évoluent si rapidement, et lorsque de nouvelles questions surgissent, comme la protection de la vie privée ou la censure, nous avons une équipe de chercheurs, qui comprend des étudiants en droit et des étudiants en éducation, qui font une recherche sur la question. Ils examinent toutes les études, la jurisprudence et les nouvelles lois et rédigent une analyse. Nous essayons d'être à jour et de trouver des moyens d'informer le public.

Mme Mishna : Ce que j'aimerais ajouter, outre l'aspect juridique, c'est que nous devons comprendre que comme pour l'intimidation traditionnelle, les enfants ont différents types de vulnérabilité. L'éducation pour tous sera utile pour de nombreux enfants, mais nous devons identifier ceux qui risquent davantage d'être des victimes ou des agresseurs. C'est là où les services sociaux, les travailleurs sociaux, les conseillers scolaires et les psychologues jouent un rôle important pour faire une évaluation et pour décider d'intervenir. La recherche nous montre les enfants qui sont les plus vulnérables pour que nous puissions travailler avec eux avant d'en arriver à un problème juridique. Les interventions doivent identifier ces enfants et s'occuper d'eux. L'éducation est peut-être suffisante pour la plupart des enfants, mais elle ne l'est pas forcément pour ceux-là en raison d'autres facteurs qui entrent en jeu.

Le sénateur Hubley : Nous en apprenons énormément sur la cyberintimidation. Ma question porte sur ce que nous savons des âges critiques, comment l'intimidation touche aux différents groupes d'âge et comment on détermine l'âge auquel on est le plus vulnérable à la cyberintimidation. Vous avez parlé de la garderie où on connaît les mots, mais sans en connaître le sens, et vous avez parlé des universités. Existe-t-il une forme d'intimidation à l'université? Je peux comprendre les plus jeunes qui sont vulnérables et ne sont pas sûrs d'eux. Les effets sont dévastateurs en raison de la cruauté de certains messages. Vous dites que c'est également répandu dans les universités. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez appris sur la façon dont l'intimidation touche à différents âges?

Mme Mishna : C'est une question importante. La recherche sur la cyberintimidation est assez récente, et je pense que nos connaissances sont insuffisantes. Nous devons notamment avoir un suivi longitudinal. Nous avons entrepris une étude que nous allons suivre pendant trois ans. Nous devons trouver, sur le plan du développement, les enfants qui sont touchés par la cyberintimidation et à quel âge, ainsi que leur sexe. Nos connaissances sont insuffisantes. Nous savons que ce sera différent. Nous savons également que jusqu'à récemment, les enfants des écoles intermédiaires pratiquaient davantage la cyberintimidation. Elle diminue en septième et huitième années et reprend à l'école secondaire. À mesure que la cybertechnologie évolue, la situation évolue aussi. Des enfants beaucoup plus jeunes seront en cause. C'est une priorité qu'il faut traiter.

Quant aux universités, je ne connais aucune recherche sur le sujet, mais il peut en exister. Incidemment, des gens sont venus me voir en tant que travailleuse sociale et doyenne pour me parler de leurs problèmes. Je ne peux pas parler de la question, sauf pour dire que c'était préoccupant.

Mme Shariff : Nous avons vu des tendances dans notre recherche parmi ces générations de jeunes qui grandissent avec les médias numériques, c'est-à-dire les jeunes adultes jusqu'à 28 ans, ainsi que les très jeunes enfants. Nous constatons plus particulièrement une tendance semblable parmi les adolescents et les jeunes adultes. Vous demandiez s'il y avait une différence dans la façon d'intimider, eh bien cette tendance c'est l'impulsion de partager publiquement des informations sans se soucier s'il s'agit d'espaces publics ou privés.

Une de mes collègues à McGill, Claudia Mitchell, a travaillé en Afrique du Sud avec des jeunes filles de 15 ans. Elle leur a demandé de rédiger des journaux intimes à afficher en ligne. Elles ont posté de leur chambre toutes sortes de renseignements très personnels et les ont appelés des journaux publics-privés qui n'étaient destinés qu'à leurs amis. On voit beaucoup d'enfants qui se moquent de leurs enseignants ou qui ridiculisent les enseignants ou leurs camarades. Lorsque les écoles les confrontent, ils disent que c'était simplement une blague entre eux.

À notre université, un étudiant de premier cycle qui assistait à une réunion et qui n'était pas satisfait de son contenu a décidé d'exprimer sa frustration sur Twitter. Il a donc écrit qu'il aimerait avoir un fusil M16 pour tuer tout le monde. Lorsqu'on lui a demandé de s'expliquer, il a répondu qu'il avait simplement exprimé sa frustration. C'est un problème. On doit travailler avec les jeunes pour qu'ils réfléchissent à ce qu'ils affichent et à ce qui est public et ce qui est privé. Même si les limites sont encore floues, on doit trouver des moyens de les préciser.

Mon opinion là-dessus est la suivante : nous disposons de limites et de principes juridiques sur lesquels nous appuyer pour aider les jeunes à comprendre la congruence avec nos principes selon la Charte et à concilier la libre expression, la sécurité et la protection de la vie privée. Madame la juge en chef McLachlin et la commissaire à la vie privée, Jennifer Stoddart, se sont prononcées dans ce débat. C'est un véritable problème. Les jeunes ont peur de signaler qu'ils sont victimes et ont peur de devenir des plaignants dans des poursuites parce qu'ils craignent pour leur vie privée. Ces préoccupations sont étudiées au plus haut niveau, de même que la façon de définir les limites. Nous n'avons pas encore de réponses claires, mais elles commencent à venir. Je suis persuadée que nous avons déjà les principes et que nous n'avons pas à réinventer la roue.

Le sénateur Hubley : À quel âge les enfants comprennent-ils le mot « intimidation » et que ce qu'ils ont fait blesse quelqu'un? Est-ce un acte spontané ou est-il lié à une certaine agression?

Mme Mishna : C'est une question importante. Il y a souvent de l'agression, même à un âge précoce. Mais sur le plan du développement, ce n'est probablement pas avant l'âge de 12 ou 13 ans qu'ils comprennent les effets sur une autre personne. Par conséquent, même s'ils ont voulu être agressifs, ce n'est pas la même chose que de connaître les effets.

C'est une des raisons pour lesquelles on doit leur expliquer les effets pour les aider à comprendre et à avoir de l'empathie. Le programme Racines de l'empathie est essentiel. Il est important de comprendre la nécessité de la tolérance, car ils peuvent être agressifs et ils peuvent vouloir faire mal, mais cela ne veut pas dire qu'ils comprennent vraiment les conséquences. Lorsqu'on parle d'impulsion, on doit leur laisser la possibilité de faire des erreurs et nous laisser la possibilité de les aider à apprendre de ces erreurs plutôt que d'en faire quelque chose d'irrévocable. C'est une distinction ténue que nous avons du mal à définir — en particulier lorsque les médias s'en emparent.

Voyez cet incident récent concernant Tyler Clementi. Ces jeunes venaient d'entrer à l'université — sortaient tout juste de l'école secondaire. Personne ne dirait que ce qui a été fait était acceptable, mais on ne sait pas vraiment si ce jeune homme est devenu un bouc émissaire. Les chercheurs et les universitaires débattent pour savoir s'il s'agissait d'un préjugé ou d'un adolescent qui se comportait mal. Il blessait quelqu'un et il y avait un auditoire. Nous savons également que dès qu'il existe un auditoire, la machine s'emballe.

On doit être très prudents dans ce genre de cas. Il ne s'agit pas de l'excuser, car on doit prendre cela au sérieux, définir les conséquences et les aider, mais il faut laisser une place aux erreurs pendant qu'ils grandissent, sinon on ne les aide pas. On doit les aider en appliquant des stratégies, et c'est aux adultes de le faire.

Le sénateur White : J'ai été heureux de voir que l'on parlait de compétences pour résoudre les différends plutôt que de punition. Je pense que la justice réparatrice dans les écoles depuis 5 ou 10 ans concernant la cyberintimidation a donné des résultats. Je pense au travail réalisé par le directeur d'une école secondaire de Trenton qui a un véritable impact sur la cyberintimidation.

Nous parlons de cyberintimidation, et nos médias en sont presque des participants. On peut lire instantanément des centaines ou même des milliers de messages extrêmement offensants sur les sites web des médias. Ils seront supprimés éventuellement, s'ils sont signalés, mais ils sont là au départ. C'est pratiquement devenu un sport.

Je dois dire que ce n'est pas tant un problème pour les jeunes que pour la population en général. C'est devenu un comportement accepté. Je peux m'imaginer des jeunes qui vont dire : « Vous attendez de nous un certain comportement, alors que les adultes peuvent apparemment écrire n'importe quoi jusqu'à ce que quelqu'un dans un journal ou un média décide de contester un commentaire après qu'il a été signalé », ce qui peut prendre quelques minutes, des heures ou plusieurs jours.

Ce qui me préoccupe le plus actuellement est le fait que les Canadiens acceptent ce type de comportement. Je vois bien pourquoi les jeunes ne comprennent pas. Je n'ai pas de question. J'ai terminé. Merci.

Mme Mishna : Je suis d'accord. C'est un point très important. C'est pourquoi nous devons aborder ce sujet globalement, à tous les niveaux. Il n'y a pas que les enfants.

Mme Shariff : Je suis d'accord également. Je pense que les normes sociétales ont évolué et que nous sommes plus tolérants des formes de comportement négatif. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les adultes sont parfois les pires modèles pour ce genre de comportements.

Nous devons également travailler avec les médias pour leur faire prendre conscience qu'ils devraient éviter éventuellement le sensationnalisme. Ils réussissent bien à sensibiliser, mais dans certains cas, en particulier lorsqu'il s'agit de suicide, des universitaires écrivent que certains jeunes pourraient être influencés par des reportages sur des jeunes qui ont affiché leur message ultime pour leur famille sur YouTube avant de se suicider.

On doit être attentif à la façon dont les médias rendent compte des événements, car ils risquent réellement de contribuer à les perpétuer.

Le sénateur Meredith : Merci de votre présentation. Cette question m'est très personnelle. J'ai eu affaire à des jeunes qui ont été victimes d'intimidation. Madame Mishna, vous avez parlé de leur donner la possibilité d'apprendre de leurs erreurs. Que se passe-t-il lorsque l'erreur a conduit quelqu'un au suicide ou à se faire du mal d'une façon ou d'une autre? Où fixe-t-on la limite?

En tant qu'activiste, j'ai dialogué avec des jeunes et je les ai encouragés. Lorsque des remarques de cyberintimidation étaient portées à mon attention, j'en faisais part aux parents et je faisais intervenir la police. Je pensais que ces actes devaient avoir des conséquences. Je ne pense pas que nous devons attendre.

Mon autre question porte sur les compétences parentales, ce qui est une autre histoire.

Mais d'abord, vous avez parlé de leur donner le temps d'apprendre de leurs erreurs, mais que se passe-t-il lorsque l'erreur est préjudiciable?

Mme Mishna : Je pense en effet que la police doit parfois intervenir. Il faut un continuum.

Mais je pense que si quelqu'un se suicide, c'est pour différentes raisons; de nombreux facteurs entrent en jeu. Sans vouloir minimiser le rôle de l'intimidation, ce n'est peut-être que le dernier facteur.

Parmi ces facteurs, nous savons que si des enfants sont victimes de cyberintimidation ou d'intimidation et si rien n'est fait ou si on le les croit pas ou on ne les prend pas au sérieux, le traumatisme est aggravé.

Cependant, je pense que cette question est très complexe et nous devons comprendre sa complexité. La grande question est de savoir comment agir. Je pense qu'un des moyens consiste à agir au fur et à mesure et de ne pas attendre jusqu'à la fin. Ces comportements ne s'aggravent pas automatiquement, mais ils se sont aggravés. Si l'on n'intervient pas avant qu'ils ne soient évidents, une fois qu'ils ont empiré, il peut être alors important de faire intervenir la police.

Nous savons que l'on peut faire appel à la police ou à la loi plus tôt et de façon non punitive, mais pour travailler avec les enfants et les écoles. C'est ce que nous devons faire avant d'en arriver au pire.

Je conviens que l'on doit appeler la police à un moment donné. Lorsque les enfants agissent de façon dangereuse, on doit imposer des limites. Plus c'est grave, plus la limite doit être stricte. Je pense que c'est très compliqué.

Le sénateur Meredith : On a parlé des parents et de leurs responsabilités lorsqu'un enfant de moins de 18 ans qui devrait être sous leur surveillance fait quelque chose. Qu'en pensez-vous dans l'optique de la sensibilisation des parents et de ce qu'il faudrait faire à ce sujet? Les parents ne reçoivent pas toute l'information nécessaire.

Je vais vous poser une autre question sur les programmes et les conseils scolaires et sur la question de savoir s'ils se rendent bien compte que des vies sont détruites. Vous avez dit que les enseignants ont tendance à penser que ce n'est qu'une autre responsabilité ajoutée à leurs activités quotidiennes. Pourriez-vous me dire ce qu'il en est?

Mme Shariff : Il y a plusieurs aspects à vos questions.

Le sénateur Meredith : Je pense à beaucoup de choses en même temps.

Mme Shariff : Je vais essayer de répondre. Votre question précédente à la professeure Mishna m'a renvoyée à ma recherche de doctorat sur les obligations juridiques des écoles à l'égard de l'intimidation traditionnelle. J'ai constaté que les enfants qui étaient tombés entre les mailles du filet et étaient pris à intimider et les victimes qui étaient tombées entre les mailles du filet et se suicidaient n'étaient pas aussi aidés qu'ils auraient dû l'être par les écoles. Les écoles ne comprenaient pas très bien non plus le rôle des parents qui étaient considérés comme difficiles, exigeants et agressifs. On supposait que les victimes l'avaient cherché. Cela devenait donc une question de réputation de l'école : « Oh, ce genre de chose n'arrive pas dans notre école. » Les victimes devaient partir et aller dans une autre école. Cela se reproduisait à chaque fois.

C'est la même chose avec la cyberintimidation, surtout maintenant que tout est plus complexe. C'était il y a 10 ans, et maintenant, avec la prise de conscience au sujet de l'intimidation et de la cyberintimidation, les écoles changent. Je crois que la plupart d'entre elles essaient de mieux faire.

Je pense que l'on doit accorder davantage de ressources pour donner davantage d'information aux écoles ou plus de connaissances aux enseignants. M. McGuinty a fait adopter une loi anti-intimidation et le Québec a le projet de loi 56 — et je peux parler de la perspective du Québec. J'ai rencontré des représentants de conseils scolaires qui sont très inquiets du fait qu'on leur demande de préparer des plans sur la sécurité des écoles et de rendre compte à différents niveaux au ministère de l'Éducation, alors qu'ils n'ont pas les antécédents nécessaires pour savoir comment s'y prendre. Comment élaborer des plans durables qui donneront des résultats?

Le projet de loi du Québec est contradictoire en ce sens qu'il donne également aux directeurs d'école beaucoup d'autonomie pour expulser les enfants qui sont pris en flagrant délit de cyberintimidation. Comme je l'ai constaté pour ma thèse de doctorat, il arrive souvent que les enfants expulsés ripostent à l'intimidation; ils ont été intimidés et on les provoque. Cela devient très complexe. Je crains que bien d'autres enfants soient renvoyés parce qu'ils ne respectent pas la loi.

Je pense que c'est là où l'on doit accorder plus de ressources pour appuyer les écoles. Je sais que le ministère de l'Éducation du Québec a financé une campagne de sensibilisation sous la forme d'une annonce de service public. Ces fonds auraient été mieux utilisés pour aider les écoles.

Là encore, pour ce qui est de la responsabilité des parents, c'est une responsabilité conjointe. Les écoles où il y a le moins de cyberintimidation ou d'intimidation sont celles où les parents et les enfants participent à la création des programmes, réfléchissent aux conséquences et travaillent ensemble. C'est un effort commun.

Le sénateur Meredith : Vous avez tout à fait raison concernant les parents et leur participation. Lorsque ce cas d'intimidation s'est produit à l'école, le parent de l'agresseur était quelque peu hostile envers l'école. Vous avez raison. Il a dit : « Comment mon fils pourrait-il faire une chose pareille? Mon fils ne ferait jamais ça. » Par conséquent, certains parents se battent contre l'école, alors qu'ils devraient collaborer avec elle pour reconnaître les faits, car les messages étaient bel et bien affichés.

Mme Shariff : Dans certains cas, les parents ne sont pas contents parce que l'école n'est pas suffisamment active. En Colombie-Britannique, il y a quelques années, nous avons eu le cas d'Azmi Jubran dont les parents avaient demandé pendant quatre ans de prendre des mesures pour l'aider, car il était victime d'une horrible intimidation et cyberintimidation. On lui versait de l'acide sur sa chemise et il subissait des formes terribles d'intimidation.

Il a finalement intenté des poursuites en vertu du Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique, car on le traitait d'homosexuel alors qu'il ne l'était pas. C'est donc la voie qu'il a choisie. Un tribunal puis les cours ont été saisis de l'affaire. Il a été conclu que les écoles ont l'obligation d'assurer un climat propice à l'apprentissage. Je pense que les écoles en prennent conscience. Le problème est de savoir comment y arriver.

Mme Mishna : En réponse à votre question sur les parents qui disent que leur enfant ne pourrait pas faire ça, les écoles ont des problèmes avec ces parents qui ne coopèrent pas. Il faut donc des ressources pour traiter cette question. Lorsqu'on ne tient pas compte du cas et qu'il est abandonné, l'enfant victime, et tous les autres, ont des problèmes et la situation ne fait qu'empirer. Nous devons trouver un moyen de rejoindre ce genre de parent et de ne pas se laisser intimider par eux. C'est un élément très important qui aura des effets considérables sur l'enfant et sur tous ceux qui le connaissent.

Le sénateur Zimmer : Dans la même veine et en prenant une direction un peu différente, lorsque j'allais à l'école, on acceptait l'intimidation parce que cela se passait il y a longtemps. Si on allait se plaindre à un enseignant ou au prêtre, on était considéré comme un mouchard, un dénonciateur, et les choses empiraient et il devenait très difficile d'obtenir de l'aide. Les intimidateurs disaient qu'ils allaient arrêter, mais ils vous attrapaient dans un coin sombre.

Quelles sont les garanties qui existent aujourd'hui pour assurer la protection des enfants? À la réunion, les intimidateurs disaient qu'ils allaient arrêter, mais le soir ils se rattrapaient dans un coin sombre, premièrement.

Deuxièmement, votre recherche montre-t-elle une différence entre les filles et les garçons en matière d'intimidation ou est-ce plus ou moins la même chose?

Mme Mishna : En ce qui concerne la première question, c'est une préoccupation constante. Notre recherche et d'autres indiquent que les enfants victimes d'intimidation ne parlent pas, même si le directeur et les parents pensent que ce sera utile, parce qu'ils croient que l'intimidation va empirer. C'est une préoccupation constante.

Je pense que la recherche montre que l'on ne peut pas régler la question en une seule réunion; il faut adopter une approche à l'échelle de l'école et faire participer les autres enfants. Nous savons que les spectateurs sont très importants et nous nous rendons compte que c'est la même chose pour la cyberintimidation. Ce n'est donc pas seulement l'enfant victime. C'est un aspect dont nous n'étions pas conscients auparavant.

L'école doit participer sur tous les plans : politiques, enseignants, parents et spectateurs afin que lorsque l'enfant serait prêt à se venger, il aura de l'aide et sera confronté à des obstacles. C'est effectivement toujours un problème.

Le sénateur Zimmer : Si je peux ajouter une autre question.

La présidente : Auparavant, vouliez-vous répondre, madame Shariff?

Mme Shariff : Vous avez demandé comment les empêcher de continuer l'intimidation dans un coin sombre. Un des moyens de rejoindre les natifs numériques est d'utiliser les médias et les outils numériques. Pour notre projet sur notre site web www.definetheline.ca, nous avons créé des vignettes vidéo bilingues qui durent seulement deux ou trois minutes, mais qui présentent différents scénarios d'intimidation et de cyberintimidation. Les enseignants les aiment beaucoup, car ils peuvent les utiliser en classe pour faire dialoguer les enfants sur ce qu'ils feraient s'ils étaient ce personnage et pour y réfléchir.

Nous parlons également à des jeunes enfants de cinquième et sixième années et nous leur demandons de nous dire comment ils définissent la limite. C'est ce que nous faisons en particulier dans notre projet sur Facebook où nous allons créer des projets interactifs en ligne visant des élèves de neuf à 12 ans puis de 12 à 17 ans. Nous n'avons pas encore commencé.

Pour notre projet précédent, nous avons demandé à des élèves à Vancouver de nous dire comment ils définiraient la limite. Ces images se trouvent sur notre site web. Le site web est en cours de restructuration, mais si vous allez sur le site actuel, vous verrez les enfants qui nous ont dit comment ils définiraient la limite.

À dire vrai, si on donne aux jeunes le bénéfice du doute, ils trouvent des idées assez étonnantes sur la façon d'expliquer à d'autres enfants qu'ils doivent arrêter. Si on leur demande de définir eux-mêmes les limites, ils comprennent pourquoi ils le font, ils en sont fiers, ils s'approprient la démarche et ils font en sorte que ces limites s'appliquent à l'école.

Le sénateur Zimmer : Et au sujet de la proportion entre les filles et les garçons?

Mme Mishna : Pour ce qui est de l'intimidation traditionnelle, les garçons sont plus nombreux, ce qui s'explique en partie par le fait que l'intimidation était souvent considérée comme un acte physique. Lorsque nous avons commencé à constater qu'il y avait une intimidation relationnelle, nous avons vu que les filles sont aussi victimes.

Pour la cyberintimidation, les résultats sont mitigés. Dans notre étude, nous n'avons pas vu de différence dans la fréquence de l'intimidation ou de la victimisation, mais nous avons vu une différence dans la façon de procéder. Il semble y avoir des variations.

Certaines études montrent que les filles pratiquent davantage la cyberintimidation mais que depuis deux ou trois ans, les garçons les rattrapent et la pratiquent davantage. Je pense qu'elle diffère de l'intimidation traditionnelle, mais qu'il existe une différence de nature. Par exemple, les filles sont plus susceptibles d'être intimidées dans le cyberespace en recevant des images de nature sexuelle, en se voyant demander de faire quelque chose de sexuel ou d'être contraintes par des pressions à envoyer une photo, alors que les garçons sont plus susceptibles d'être intimidés par des insultes ou des menaces.

Le sénateur Zimmer : Si on les découvre, on prend l'intimidateur et tout le groupe. Avez-vous constaté une meilleure réaction une fois que les amis de l'intimidateur interviennent et disent : « Écoute, ce n'est pas bien », car cela vient de l'intérieur du groupe, et on ne peut pas blâmer celui ou celle qui se plaint? Si l'intimidateur voit qu'il a perdu sa troupe, il sera beaucoup plus difficile pour lui de continuer. Est-ce quelque chose que vous voyez dans votre recherche?

Mme Shariff : Oui, en effet, et il en existe des exemples très connus. C'est là où les médias sociaux et le réseautage social comme Facebook peuvent avoir un rôle positif. Nous avons vu le pouvoir des médias sociaux récemment au Moyen-Orient lors du printemps arabe.

Mais je vais vous donner un exemple de jeunes qui se sont soutenus mutuellement, et cela se passait au niveau universitaire. Lors de la fusillade à l'université Virginia Tech il y a quelques années, le tireur était d'origine asiatique. Il y a eu toute une discussion sur Facebook dans laquelle un certain nombre de gens ont commencé à dire que tous les Asiatiques étaient mauvais. C'était une discussion plutôt raciste. Un certain nombre d'étudiants ont répliqué en disant : « Non, ce n'est pas une question de race. Vous êtes les racistes. Ce n'est pas une question de race, mais simplement de quelqu'un qui a perdu la tête et a tiré sur tout le monde. » En fait, les étudiants affligés ont reçu beaucoup de soutien.

Je sais que Cathy Wing, du réseau Éducation-Médias, viendra témoigner. Je sais qu'elle a présenté à d'autres conférences de très bons exemples de jeunes qui ont résisté en ligne, même à l'école, et ont dit non. C'est pourquoi il faut qu'ils se prennent en charge et disent : « Non, cela n'est pas acceptable. » Ils ne peuvent le faire que s'ils en arrivent à cette compréhension au fond d'eux-mêmes, s'ils établissent ces filtres internes.

Mme Mishna : Je suis d'accord; c'est un aspect très fort. La recherche a bien montré que lorsque d'autres enfants interviennent, l'intimidation cesse très rapidement.

Il ne faut pas oublier non plus que pour aider les enfants à pouvoir agir ainsi, ils doivent être soutenus par les adultes qu'ils connaissent. C'est un point essentiel, car c'est trop leur demander que de le faire sans cet appui, mais s'ils l'obtiennent et agissent, le résultat est impressionnant.

Le sénateur Zimmer : J'ai été victime d'actes d'intimidation au collège il y a bien des années et je ne l'ai jamais dit aux enseignants ni au prêtre. Je m'en suis sorti parce que j'excellais dans les sports et de cette façon et en représentant le collège, il semble que je faisais ressortir le meilleur chez les autres élèves qui me soutenaient, mais j'ai agi différemment. Je ne les ai pas confrontés. J'excellais d'une autre manière et cela m'a permis de trouver une nouvelle façon de faire face au problème. J'ai eu beaucoup de chance.

La présidente : J'ai une question au sujet des obligations de protéger les enfants en vertu des droits de la personne internationaux.

Madame Shariff, vous avez abordé ce sujet. Comme vous le savez, l'article 19 de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant exige des États parties qu'ils prennent les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger les enfants contre toutes les formes de violence physique ou mentale. À votre avis, le Canada respecte-t-il ses obligations en vertu de cet article?

Mme Shariff : À mon avis, nous avons encore du chemin à faire. Je crains notamment que la façon dont les écoles traitent cette question est celle qui a donné lieu à l'adoption des lois provinciales. Je m'inquiète également au sujet de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, qui touchera les enfants s'ils sont condamnés en vertu de ce genre de loi. Je pense que nous respectons dans une certaine mesure ces obligations, mais des améliorations sont sûrement possibles.

Nous nous inquiétons pour les victimes, et à juste titre; nous devons mieux les protéger, et nous aurons, nous l'espérons, une orientation judiciaire de la Cour suprême du Canada dans l'affaire A.B. c. Bragg Communications Inc. sur les jeunes qui veulent poursuivre leurs agresseurs. Nous devons en outre travailler avec les agresseurs parce qu'ils peuvent également avoir de gros ennuis. Nous devons veiller à concilier les deux aspects, et c'est pourquoi je parle toujours de la nécessité de concilier la libre expression et la vie privée d'une part et la surveillance, la réglementation et la sécurité d'autre part. C'est très difficile.

Je pense que la position du Canada est bien meilleure que celle des États-Unis où l'on insiste beaucoup plus sur la liberté d'expression au détriment des victimes. Malheureusement, nous avons peu de précédents juridiques au Canada pour nous orienter. J'espère que lorsque la Cour suprême commencera à fixer une orientation judiciaire, compte tenu de ses antécédents, je pense que nous réussirons mieux que les États-Unis à respecter au moins l'article 19.

Mme Mishna : Je pense que nous sommes dans la bonne voie. Nous mettons l'accent sur les mesures anti- intimidation et anti-cyberintimidation, mais je pense que parallèlement, nous devons également privilégier la prévention. Nous devons faire les deux. Nous devons offrir une éducation globale, et lorsque je parle d'incorporer ce sujet dans le programme, ce n'est pas pour prendre des mesures contre l'intimidation, mais pour enseigner comment se comporter, avoir de l'empathie et communiquer. Ce n'est pas facile, car les enseignants ont besoin d'aide pour ajouter ce sujet au programme. Les parents et toute la société doivent participer.

Dans le contexte de l'intimidation et de la cyberintimidation, on vit dans une société où il existe des attitudes, des discriminations et des préjugés, même s'il ne s'agit pas d'intimidation comme telle, créant un climat qui donne aux enfants l'impression que c'est acceptable.

Par exemple, si on discute du mariage gai et si on dit que ce n'est pas acceptable, que ça n'arrivera jamais ici, est-ce que les enfants vont penser que c'est acceptable, que l'on peut en parler? Je pense que nous devons aborder la question de façon globale et ne pas se concentrer sur l'intimidation. C'est déjà après coup. Nous devons faire les deux.

La présidente : Y a-t-il d'autres pays ou États parties qui font mieux que le Canada?

Mme Mishna : Je dirais la Scandinavie, mais ce sont de petits pays homogènes où il est plus facile de traiter de ce problème. Mais c'est un modèle à utiliser. La diversité de notre pays est une de ses grandes caractéristiques. Je sais qu'en ce qui concerne l'intimidation traditionnelle, le Canada a perdu du terrain et je ne connais donc pas la réponse pour la cyberintimidation, mais je pense que l'on peut utiliser certains pays comme modèles, des pays où l'apprentissage de la tolérance fait partie du système éducatif. Ce n'est pas un sujet qui vient s'ajouter, il est inhérent au système. C'est plus compliqué au Canada où nous devons tenir compte de la population urbaine et rurale, des Autochtones et ainsi de suite. Il existe des principes fondamentaux, mais ils seront inutiles s'ils ne sont pas adaptés pour le développement des enfants et la société.

Mme Shariff : Nous sommes en train de cartographier ce qui se fait au niveau international en matière de cyberintimidation pour l'UNICEF. La Scandinavie, le Royaume-Uni et l'Australie font un excellent travail dans ce domaine. Il est intéressant de voir que le Brésil a de nouveaux programmes vraiment positifs. Nous avons trouvé d'autres pays en Asie, en Afrique et en Amérique latine qui traitent de la question uniquement dans l'optique du trafic et de la mise en confiance en ligne des enfants et non de la cyberintimidation telle que nous en discutons. Le Canada a la possibilité de créer d'excellents modèles à l'échelle internationale à mesure que ces pays intègrent ces technologies à l'école.

La présidente : La Convention relative aux droits de l'enfant fixe les principaux droits et principes visant à promouvoir et protéger les meilleurs intérêts des enfants. À votre avis, peut-on utiliser une démarche fondée sur les droits et élaborée selon les principes de la Convention pour aider les enfants victimes de cyberintimidation?

Mme Shariff : Oui, je le crois. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si on peut montrer une certaine harmonie avec les principes de la CDE et de notre Charte des droits et libertés et créer des modèles éducatifs qui appliquent ces principes, nous irons beaucoup plus loin que si nous adoptons des lois répressives. Les études de cas qui ont appliqué ces principes sont très utiles.

Dans mon livre, Cyber-Bullying : Issues and Solutions for the School, the Classroom and the Home, j'ai présenté un plan qui permet d'utiliser les principes des droits de la personne pour faire participer les jeunes au programme.

Mme Mishna : Je suis d'accord. La perspective fondée sur les droits de la personne est très utile et joue un rôle très important pour les enfants et les jeunes. Lorsqu'ils apprennent qu'ils sont la cible d'actes d'intimidation ou de cyberintimidation et qu'ils ont le droit de ne pas l'être, ils sont rassurés. Ils n'y avaient pas pensé. De la même façon, les agresseurs ne savent pas qu'ils violent les droits d'une autre personne. C'est une perspective très utile et très importante.

Le sénateur Ataullahjan : Je trouve intéressant d'écouter le sénateur Zimmerman parler de son expérience d'intimidation. Je pense que l'intimidation traditionnelle se déroulait dans la cour de l'école, mais on rentrait ensuite à la maison et on se sentait en sécurité. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la cyberintimidation et que j'en ai parlé avec ma fille, elle m'a fait une remarque qui m'a frappée. Elle a dit que c'était comme une peine de prison : cela ne vous quitte jamais et vous suit partout où vous allez. Il me semble qu'avec la cyberintimidation, on n'est en sécurité nulle part. Traditionnellement, on rentrait à la maison, on était loin de l'agresseur et on se sentait en sécurité, mais ce n'est plus le cas.

Je sais qu'il s'agit d'une forme relativement nouvelle d'intimidation. Savons-nous quels sont les effets à long terme de la cyberintimidation à mesure que les enfants grandissent et deviennent adultes? Est-ce encore trop nouveau pour connaître les conséquences psychologiques et sociales? Existe-t-il des chiffres ou des études à ce sujet?

Mme Mishna : C'est trop nouveau pour connaître les effets à long terme, mais nous avons suffisamment de recul pour savoir que les effets sont plus graves. On sait que les effets de la cyberintimidation sont plus importants que ceux de l'intimidation traditionnelle. Dans notre étude, les enfants l'ont qualifiée « d'intimidation permanente ». On ne peut pas y échapper. On sait que l'intimidation se produit toujours en présence d'un auditoire, mais l'auditoire peut être composé de quelques enfants, d'une classe ou d'une école, ce qui peut être déjà humiliant et dévastateur. Quand on ne sait même pas qui sont les spectateurs ni quelle est l'étendue de la diffusion, c'est encore pire.

Lorsque des enfants savent que quelque chose a été affiché sur eux en ligne, chaque fois qu'ils ouvrent leur ordinateur, ils vont voir s'ils le trouvent. Ils ne peuvent pas s'en empêcher parce qu'ils savent que c'est là quelque part. On doit connaître les effets à long terme, mais on sait déjà que les effets sont plus graves que pour l'intimidation traditionnelle.

Mme Shariff : Je crois aussi qu'il est trop tôt pour le savoir. À partir des effets de l'intimidation traditionnelle, une étude menée en Angleterre que j'avais lue pour mon doctorat indiquait que ceux qui avaient été victimes d'actes d'intimidation pendant une longue période avaient des difficultés à trouver un emploi et à se concentrer et que les taux d'abandon scolaire augmentaient. Un chercheur a interviewé des personnes incarcérées et a découvert qu'un grand nombre d'entre eux avait subi des actes d'intimidation. Les conséquences sont effectivement durables. On nous a parlé de difficulté à se concentrer, et les enfants ont dit se sentir physiquement malades et abandonner l'école. Ce sont là des répercussions, absolument.

Mme Mishna : On constate également un isolement social, les enfants devenant dépressifs et anxieux. On sait que pour apprendre et se développer, il faut se sentir en sécurité. Les effets à long terme peuvent être considérables, tout comme pour les jeunes qui pratiquent l'intimidation. On sait qu'ils sont plus susceptibles de tomber dans la criminalité et de commettre des actes violents au travail ou dans des relations amoureuses. On sait que des effets à long terme sont possibles, et il n'y a donc aucune raison de supposer que ce ne serait pas la même chose avec la cyberintimidation.

Le sénateur Ataullahjan : Votre recherche montre-t-elle que les enfants qui ont grandi — les jeunes à l'université — s'entraident plus rapidement s'ils voient un commentaire offensant affiché en ligne par rapport aux enfants plus jeunes?

Mme Shariff : Non, malheureusement pas.

Mme Mishna : Non.

Mme Shariff : Je pense que c'est pire, mais je ne crois pas que nous disposions de données au niveau universitaire. Il est urgent de mener des recherches au niveau postsecondaire, car il semble y avoir de plus en plus d'actes de cyberintimidation dans les universités et que la situation y est différente du fait que les responsables des universités ne jouent pas le rôle de parents. Il s'agit de jeunes adultes dont la supervision est différente. Je sais que cela se passe généralement dans les résidences des étudiants de premier cycle. Non, malheureusement, ils ne s'entraident pas.

Mme Mishna : Je dirais la même chose, malheureusement.

La présidente : J'aimerais profiter de cette occasion pour remercier Mme Shariff, Mme Mishna et Mme Patwalia d'être venues témoigner. Nous étions impatients de vous entendre, car nous savons que vous avez de vastes connaissances sur ces questions. Vous nous avez donné un bon point de départ en nous présentant des sujets de réflexion pour notre étude. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir pris le temps d'être présentes.

Mme Mishna : Nous sommes ravies que vous entrepreniez cette étude.

La présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir notre deuxième groupe. Nous accueillons Mme Cathy Wing et M. Matthew Johnson, du Réseau Éducation-Médias. Le Réseau Éducation-Médias est un organisme canadien à but non lucratif créé en 1996. En 2000, le Réseau Éducation-Médias a entrepris un projet de recherche consistant à enquêter sur les expériences des enfants et des jeunes qui utilisent Internet.

Madame Wing et monsieur Johnson, bienvenue à notre comité. Nous poserons des questions à la suite de vos remarques liminaires.

Cathy Wing, codirectrice exécutive, Réseau Éducation-Médias : Merci de nous avoir invités à cette réunion aujourd'hui sur ce sujet important. Le Réseau Éducation-Médias est un centre canadien à but non lucratif qui œuvre pour la littératie numérique et l'éducation aux médias. Pour ceux qui ne nous connaissent pas, nous sommes nés d'une initiative du CRTC sur la violence à la télévision au milieu des années 1990. Nous faisions partie au début de l'Office national du film du Canada avant que le CRTC n'ordonne à l'ONF de créer un centre d'information sur les questions médiatiques touchant les enfants.

Dans l'avis de 1996 du CRTC sur la violence à la télévision, la sensibilisation et l'éducation du public ont été citées comme les solutions les plus efficaces pour traiter de la violence dans les médias. L'éducation comme réponse concrète aux questions liées aux médias continue d'être le principe directeur de notre organisme.

Les trois grands volets de notre travail sont les ressources et les programmes de littératie numérique et d'éducation aux médias pour le secteur éducatif, de la maternelle à la 12e année, des programmes et des ressources pour la sensibilisation des parents et du public et la recherche sur l'utilisation d'Internet par les enfants et les adolescents canadiens.

Nous utilisons le terme de littératie numérique pour décrire un large éventail de compétences complexes dont les jeunes ont besoin aujourd'hui pour prendre des décisions judicieuses, informées et éthiques en ligne. Il est essentiel pour acquérir des compétences en littératie numérique d'exercer un bon jugement et d'agir comme de bons cybercitoyens.

Malheureusement, nos écoles n'ont pas les ressources nécessaires pour enseigner ces compétences. Dans le cadre d'une recherche menée l'an dernier avec la Fédération canadienne des enseignants et des enseignantes sur la façon dont la technologie peut enrichir l'apprentissage des élèves, les enseignants nous ont dit que le principal obstacle était le manque de compétences en littératie numérique. On blâme souvent les politiques scolaires qui interdisent ou limitent l'utilisation des téléphones mobiles, des sites Web et des plateformes de médias sociaux et retirent ainsi aux enfants les expériences et les possibilités d'apprentissage authentiques dont ils ont besoin pour acquérir certaines compétences, comme un bon jugement et une utilisation responsable d'Internet.

Un enseignant nous a dit : « Les enfants n'apprennent pas à faire de bons choix quand on leur dit quoi faire et quand ils doivent suivre des instructions. Ils doivent avoir la possibilité de faire autant de mauvais que de bons choix et ils ont besoin des adultes pour les aider à faire les bons choix et à apprendre de leurs erreurs. »

Les élèves disent également que les expériences authentiques améliorent l'apprentissage. Dans les groupes de réflexion que nous avons organisés l'automne dernier avec des parents, des enfants et des adolescents dans tout le Canada en préparation d'un sondage national que nous allons effectuer cette année, presque tous les jeunes participants ont critiqué les mesures de lutte contre la cyberintimidation de leur école. Les élèves nous ont dit à maintes reprises que les programmes de leur école, en général une assemblée ponctuelle, non seulement ne réussissaient pas à trouver un écho chez eux, mais font en sorte qu'ils ne prennent pas la question au sérieux.

Dans bien des cas, ils n'étaient pas d'accord avec l'approche adoptée par leur école et étaient convaincus que les interventions utilisées tendaient à empirer les conflits. Beaucoup ont dit hésiter à signaler les cas d'intimidation en ligne parce qu'ils estimaient que les enseignants allaient probablement aller trop loin par rapport à la situation, très probablement en raison des politiques de tolérance zéro auxquelles ils sont liés.

Les jeunes critiquaient également le fait que les programmes de lutte contre la cyberintimidation pathologisaient une grande partie de leur comportement quotidien et que bon nombre de leurs communications de tous les jours étaient redéfinies comme de l'intimidation par les autorités scolaires. En réalité, le terme « cyberintimidation » a peu de sens parmi les jeunes. Comme Danah Boyd du Berkman Center for Internet & Society l'a noté, ce que les adultes considèrent comme de la cyberintimidation sera pour les jeunes une bagarre, commencer quelque chose ou tout simplement du cinéma.

L'intimidation en ligne est un sujet de recherche relativement nouveau. Nous avons entendu parler de l'excellent travail effectué au Canada par M. Craig, Mme Pepler, Mme Shariff et Mme Mishna. Les chercheurs amassent des connaissances à l'appui d'interventions efficaces dans ce domaine. Il existe des approches prometteuses pour traiter les comportements de cyberintimidation, et je vais les décrire brièvement.

En ce qui concerne l'alphabétisation numérique, il ne s'agit pas d'apprendre des compétences techniques, mais de développer une pensée critique essentielle à l'apprentissage continu et à la citoyenneté dans une société numérique. Le rapport exhaustif du groupe de travail de la Nouvelle-Écosse sur l'intimidation et la cyberintimidation, qui a été publié en février — j'invite fortement tous les membres du comité à le lire, car il est remarquable — demandait que les écoles et les conseils scolaires mettent en œuvre des programmes de littératie numérique à l'intention des étudiants, des parents et du public.

Les enseignants doivent être soutenus dans cette démarche par un perfectionnement professionnel, et nous fournissons aux écoles canadiennes des outils de perfectionnement professionnel sur l'intimidation en ligne depuis 10 ans. De nombreux ministères de l'éducation ont autorisé ces programmes, mais leur mise en œuvre pose un problème, car, bien entendu, le soutien au perfectionnement professionnel fait de plus en plus défaut.

On utilise également une approche fondée sur les normes sociales qui permet aux étudiants d'évaluer leurs propres comportements par rapport à un ensemble de valeurs sociales communes. Ce genre d'approche est très importante puisque tous les reportages et programmes de lutte contre l'intimidation qui tentent de communiquer le sérieux du programme peuvent en fait encourager les jeunes à surestimer la prévalence de l'intimidation. Les jeunes sont alors plus susceptibles d'utiliser des termes négatifs pour parler du comportement d'autres jeunes en ligne, alors même qu'ils parlent de leurs propres expériences de façon positive. C'est un aspect important, car si les jeunes croient que l'intimidation est normale, ils sont plus susceptibles d'avoir et de tolérer ce genre de comportement. D'un autre côté, quand les jeunes sont informés du fait que l'intimidation n'est pas si fréquente, les taux baissent.

On utilise aussi la résilience chez les jeunes pour réduire au minimum la souffrance. Bon nombre des jeunes ayant participé à notre étude ont fait preuve d'une grande résilience en matière de cyberintimidation. Ils avaient établi des stratégies très précises pour faire face à ces situations, par exemple en ignorant la personne et en la bloquant. Si elle continuait, ils lui parlaient directement, estimant qu'il était plus facile d'appeler quelqu'un pour le confronter. Enfin, si cela ne fonctionnait pas, ils se tournaient vers leurs parents pour obtenir de l'aide, pas l'école, mais les parents.

Il est extrêmement important d'encourager des cultures scolaires saines, comme l'ont dit tous les témoins qui sont déjà intervenus. Nous devons créer dans nos écoles des cultures de respect et d'empathie qui se transmettront à tous les aspects de la vie scolaire et aux relations entre les élèves et les enseignants et l'administration. Les parents et la société doivent faire pleinement partie de cette culture.

Les lignes directrices de la Fédération canadienne des enseignants et des enseignantes sur la cyberintimidation énoncent que : « La création d'écoles sécuritaires et bienveillantes qui favorisent des milieux de travail sains pour les membres du personnel enseignant et des milieux d'apprentissage sains pour les enfants et les jeunes devrait constituer une priorité nationale. »

Les approches fondées sur la justice réparatrice sont également adoptées dans les écoles pour examiner les questions sociales dans l'optique des relations interpersonnelles et elles pourraient jouer un rôle important dans les programmes de lutte contre l'intimidation en ligne.

Il existe des modèles axés sur les droits, tels que le programme Rights Respecting Schools du Royaume-Uni, qui semble également prometteur. Ce programme, qui est introduit au Canada par l'UNICEF, ne porte pas précisément sur l'intimidation, mais on a constaté que dans les écoles du Royaume-Uni qui participent, l'intimidation diminue.

Enfin, faire participer les élèves en tant que mentors et leaders, tout en reconnaissant que les adultes apprennent eux- mêmes et qu'ils ne sont pas des experts dans ce domaine, est un aspect extrêmement important de toute approche efficace.

En 2010, nous avons travaillé avec le Landon Pearson Ressource Centre à une étude sur l'enfance et les droits de l'enfant dans le cadre du projet Faire bouger les décisionnaires. Cette étude portait sur les droits de l'enfant et les médias. La recommandation des élèves qui ont participé à ce projet peut s'appliquer à n'importe quel programme qui cible les jeunes. Les élèves nous ont dit : « Nous ne sommes pas stupides; nous sommes avertis et nous savons ce que nous faisons. Nous voulons être informés, nous voulons que nos droits soient respectés, nous voulons participer au débat et nous voulons connaître le côté positif des médias et savoir comment ils nous sont utiles. »

Merci beaucoup. Monsieur Johnson et moi répondrons avec plaisir à vos questions.

La présidente : Monsieur Johnson, allez-vous faire un exposé?

Matthew Johnson, directeur de l'éducation, Réseau Éducation-Médias : Non, merci. Je pense que Mme Wing a tout dit.

Le sénateur Ataullahjan : Je vous remercie de votre présentation. Nous savons que la tolérance zéro n'est pas la solution dans le cas des enfants et de leurs droits; ce sont les statistiques qui nous le disent. Mais pensez-vous que les enseignants devraient être formés pour apprendre à reconnaître les comportements acceptables dans le contexte des médias sociaux? C'est un effort conjoint; les parents, les enseignants, tout le monde doit faire un effort pour enseigner aux enfants la citoyenneté numérique responsable.

Mme Wing : Absolument. Notre étude auprès des enseignants a montré qu'on ne les laisse pas accéder à ces plateformes pour enseigner ces expériences authentiques. Dans la plupart des écoles, ils sont bloqués s'ils veulent utiliser Twitter et Facebook, consulter des sites d'information ou laisser des commentaires. On peut enseigner le comportement éthique en utilisant les outils que les jeunes utilisent tous les jours. C'est une des questions les plus importantes.

M. Johnson : En outre, nous avons constaté dans notre propre recherche que les jeunes enseignants, dont on s'attendrait à ce qu'ils connaissent mieux la technologie numérique, ont en fait plus de difficulté que leurs aînés à intégrer cette technologie dans la classe ou à traiter des questions qu'elle soulève, comme la cyberintimidation

Une autre recherche récente a montré que les étudiants en éducation ici en Ontario s'inquiètent particulièrement de leur capacité à faire face à la cyberintimidation quand ils commenceront à enseigner et veulent une formation sur ce sujet et sur la façon d'enseigner les compétences mêmes dont vous parlez.

Le sénateur Ataullahjan : Cela me surprend. J'aurais pensé que les jeunes enseignants seraient très sensibilisés puisqu'ils ont tendance à utiliser davantage les ordinateurs et Internet que leurs aînés. Comment l'expliquez-vous?

M. Johnson : Cela rejoint notre théorie générale concernant la littératie numérique, à savoir que la compréhension technologique des appareils ne se traduit pas nécessairement par de la littératie. Elle ne donne pas nécessairement la capacité de les utiliser de façon utile, sûre et éthique. Par conséquent, ces enseignants, bien qu'ils connaissent aussi bien les technologies que leurs élèves, estiment ne pas avoir les compétences pédagogiques nécessaires ou les antécédents permettant de les intégrer utilement dans la classe ou, comme je le dis, faire face aux problèmes qui surgissent. La compréhension de la technologie ne permet pas nécessairement de comprendre comment en traiter les ramifications.

Le sénateur Ataullahjan : Bon nombre des enfants qui utilisent Internet sont très peu surveillés. Quel genre d'outils devrions-nous fournir aux enfants? Que doivent-ils comprendre pour devenir responsables de ce qu'ils affichent en ligne?

Mme Wing : Des outils pour les parents ou pour les enfants?

Le sénateur Ataullahjan : Pour les enfants. Que devons-nous leur donner pour qu'ils soient des citoyens numériques responsables? Les enfants sont très souvent en ligne sans surveillance. À quel âge peut-on commencer à enseigner aux enfants la citoyenneté numérique responsable?

Mme Wing : Dès qu'ils vont en ligne, et certains vont en ligne dès deux ans. D'après notre recherche, les jeunes enfants sont bien encadrés, mais il y a une différence entre une bonne surveillance et l'enseignement de ces compétences critiques. Par exemple, le parent peut s'asseoir avec l'enfant quand ils regardent le Club Penguin et penser que c'est un environnement sûr, mais en réalité, cet environnement comporte des aspects commerciaux et ils sont invités également à donner des informations.

Vous pouvez parler à des inconnus sur une partie de ce site web. Dès que les enfants vont en ligne, ils doivent utiliser une multitude de compétences. Nous produisons beaucoup de jeux pour enfants sur notre site qui enseignent ces compétences à un très jeune âge. Je ne pense pas que les enfants rechercheraient nos jeux éducatifs par eux-mêmes. Ils sont destinés à être utilisés par l'adulte et l'enfant, et toutes les leçons sont renforcées chaque fois qu'ils vont en ligne.

M. Johnson : Club Penguin est l'un des premiers endroits où les enfants peuvent être exposés à la cyberintimidation puisqu'un certain nombre de cas d'intimidation ont été signalés, sous la forme notamment de l'exclusion sociale et d'injures. On doit presque admirer l'ingéniosité avec laquelle les jeunes contournent les différentes protections anti- intimidation établies par les concepteurs du jeu.

Il est vrai, comme l'a dit Mme Wing, que les jeunes enfants sont surveillés, et je pense que le problème vient du fait qu'à mesure que la surveillance diminue quand les enfants grandissent, ils ne reçoivent pas nécessairement des instructions sur les compétences dont ils ont besoin. C'est ce dont Mme Wing parlait, les jeux et les autres ressources que nous mettons à la disposition des parents et des enseignants pour les aider à donner ces compétences à mesure qu'ils réduisent la supervision des enfants.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup de votre présentation, madame Wing.

Les intervenants précédents nous ont dit que les enseignants ne parlent pas suffisamment à l'école de l'intimidation dans le contexte de la cyberintimidation. Il leur semblait presque scandaleux que le système éducatif n'obligeait pas les enseignants à en voir la pertinence.

Dans votre présentation, vous parlez d'une approche axée sur la justice réparatrice qui participe des relations interpersonnelles. Pouvez-vous donner plus de détails à ce sujet? Je crois que l'on doit parler aux agresseurs, leur expliquer les conséquences de leurs actes et ce que les autres ressentent, ce qui est très valable. Vous les mettez dans une classe et vous dites : « Voilà ce que ces personnes ont ressenti. » Pouvez-vous parler non seulement de leur exclusion de la classe ou de leur éloignement de leurs camarades, mais également du fait que l'on doit leur montrer ce que les victimes de leurs actes d'intimidation ressentent?

Mme Wing : C'est une approche intéressante. Il y a des programmes de justice réparatrice dans les écoles et ils sont bien intégrés en Nouvelle-Écosse d'après les rapports émanant de la province, mais on commence tout juste à s'en servir dans le domaine de la cyberintimidation et nous ne savons donc pas quelle sera leur efficacité.

La culture scolaire part du principe que chacun est personnellement responsable de ses actes et de leurs effets sur les autres personnes qui fréquentent l'école. Cela fait partie de la culture scolaire dont on a parlé ici et qui veut que tout le monde, y compris le directeur, traite autrui avec empathie et respect.

Nous savons que ce n'est pas toujours ce qui se passe dans nos écoles, malheureusement, mais le principe est que les gens sont personnellement responsables de leurs actes. Toutefois, le but n'est pas de punir. Il est important de ne pas criminaliser les agissements de nos enfants et de rechercher les solutions les mieux adaptées possible. C'est le rôle qui nous revient en tant que mentors, enseignants et adultes.

M. Johnson : Une des raisons pour lesquelles la justice réparatrice peut être particulièrement appropriée dans le cas de la cyberintimidation est que les relations de cyberintimidation sont souvent très complexes et qu'habituellement, les deux parties n'ont pas l'impression d'être victimes ou ne se rendent pas compte qu'elles sont soit l'intimidateur, soit la victime dans une relation qui paraît clairement être une relation d'intimidation.

C'est également une des raisons pour lesquelles une politique de tolérance zéro est sans effet. Si vous êtes incapable d'établir qui est l'intimidateur ou de voir clairement si les deux parties n'ont pas une responsabilité partagée comme cela semble être souvent le cas, vous n'avez d'autre choix que de punir les deux parties, ce qui, bien entendu, n'aura d'effet positif pour personne. C'est pourquoi les solutions plus souples qui respectent les droits des élèves, les modèles comme l'École respectueuse des droits et la preuve sociale sont beaucoup plus efficaces pour faire face à la cyberintimidation.

Nous avons également constaté que, même dans les cas beaucoup plus évidents, les stratégies qui permettent aux deux parties ou aux multiples parties en cause de communiquer au lieu d'imposer simplement une sanction à l'une d'elles ont été plus efficaces. Un de nos projets les plus récents visait à combattre la haine sur Internet et il ressort des études portant sur les interventions auprès des jeunes qui font de la propagande haineuse que si on donne à ces jeunes la possibilité de communiquer avec leurs cibles ou leurs victimes et vice versa, bien entendu, si l'on donne aux victimes la possibilité de communiquer avec eux, les résultats sont beaucoup plus efficaces qu'une lourde punition, même dans ce genre de cas extrême.

Le sénateur Meredith : Une autre question dont vous avez parlé est celle de la propagande haineuse sur Internet. Nous savons que certaines personnes invoquent la liberté d'expression et le droit de pouvoir dire ce qu'elles veulent sans être censurées.

Pensez-vous que nos lois sont suffisamment énergiques pour éviter de victimiser davantage les victimes de la haine en laissant les gens dire ce qu'ils pensent? Estimez-vous que nous devrions raffermir nos lois à cet égard en ce qui concerne la cyberintimidation?

Mme Wing : Nos lois sont très énergiques pour protéger les gens, mais il faut bien comprendre que la haine diffusée sur Internet l'est surtout sur des serveurs qui se trouvent à l'étranger. Peu importe la rigueur de nos lois, nos enfants tombent sur des contenus inappropriés sans que nous puissions y faire quoi que ce soit.

Le sénateur Meredith : Il y a des lois qui entrent en jeu lorsque cette propagande entre dans le contexte canadien, peu importe qu'elle provienne des États-Unis ou d'ailleurs et qu'elle est rediffusée contre les Canadiens. Nos lois vont alors entrer en jeu.

Mme Wing : Les jeunes tombent sur des sites haineux sur lesquels nous n'avons aucune compétence. Voilà pourquoi nous préconisons l'approche éducative en toute matière.

Cela soulève la question de l'utilisation des filtres dans nos écoles. Un des enseignants nous a dit qu'il n'y avait pas de filtre dans son école et que les jeunes étaient tombés sur un site haineux. Ils n'ont pas reconnu la propagande parce qu'elle était très subtile. C'était un site contre l'Holocauste. Les élèves ne savaient pas ce qu'ils regardaient. L'enseignant en question a eu une merveilleuse occasion d'éclairer les élèves, car ils avaient été fascinés par ce site. Ils ne savaient pas comment authentifier les renseignements donnés. C'était une excellente occasion de leur montrer tout d'abord comment authentifier l'information diffusée sur Internet et deuxièmement, de leur faire comprendre que les gens peuvent diffuser n'importe quel message, car il n'y a aucune surveillance.

M. Johnson : Malheureusement, un grand nombre des groupes organisés qui diffusent des messages haineux sur Internet sont devenus extrêmement habiles à se faire passer pour des sources légitimes d'information et de débat. Pour y arriver, ils se présentent souvent comme une ressource utile et adoptent un bon nombre des indices de fiabilité auxquels les élèves se fient. Ces groupes choisiront, par exemple, une adresse web .org. Ils ont des sites Web présentés de façon très professionnelle, ce à quoi les élèves qui font des recherches accordent beaucoup d'importance, comme nous le savons. En raison du soin avec lequel ils déguisent leur message, il serait difficile de s'attaquer à ces groupes à moins d'avoir des lois extrêmement draconiennes. Pour lutter contre la haine, nous informons les élèves des approches juridiques, des solutions que leur offre la loi et de celles dont ils disposent également dans les contextes comme ceux de Facebook et YouTube qui combattent assez activement la haine lorsqu'elle est présente dans leurs sites. Nous cherchons surtout à enseigner aux jeunes comment reconnaître les idéologies haineuses afin qu'ils puissent faire la distinction entre un site qui est éducatif ou qui contribue au débat politique, que l'on soit ou non d'accord avec les idées véhiculées — un site qui présente des arguments légitimes et logiques — ou un site qui cherche à tromper, à manipuler les émotions ou à déshumaniser un ou plusieurs groupes.

Le sénateur Zimmer : Voyez-vous un lien entre l'intimidation, la drogue et les gangs? C'est un jeu de pouvoir. « Si tu ne vends pas ma drogue, tu ne feras pas partie de la bande. Je t'aurai d'une façon ou d'une autre. » C'est une façon d'exercer des pressions et un pouvoir. Avez-vous constaté un lien entre les trois?

M. Johnson : Non, mais cela ne veut pas dire que le lien n'existe pas. Je n'ai pas vu de recherche établissant un lien avec la cyberintimidation et je ne suis pas au courant d'études portant sur ce lien.

Mme Wing : Nous allons faire une recherche et si nous trouvons quelque chose, nous vous l'enverrons.

Le sénateur Zimmer : Pourriez-vous le faire, s'il vous plaît? Je ne dis pas que le lien a été fait, mais c'est une façon d'exercer son pouvoir pour faire faire aux gens ce que l'on veut. Si l'on ne peut pas s'adresser à eux dans la rue, on s'adresse à eux sur Internet.

M. Johnson : Le lien entre la culture scolaire et le niveau d'intimidation a été bien établi. Il a été démontré que si l'on modifie la culture scolaire, par exemple sur le plan hiérarchique, cela contribue largement à réduire l'intimidation. Je ne serais donc pas étonné si une école où les bandes sont très présentes connaissait des problèmes d'intimidation plus graves; néanmoins, je ne peux pas dire qu'il y ait de preuves à cet effet.

Le sénateur Ataullahjan : À propos de ce qu'a dit le sénateur Zimmer, est-ce une certaine culture? Constatez-vous que les jeunes qui consomment de la drogue et boivent de l'alcool ont plus tendance à faire de la cyberintimidation? Y a-t-il des études à ce sujet?

M. Johnson : Pas directement. Nous savons que cela signale un plus grand risque d'exploitation sexuelle en ligne. Un des autres indicateurs est certainement la participation à de l'intimidation. Il y a un lien ou un rapport, mais les études que j'ai vues ne montrent pas un lien direct entre ces activités et l'intimidation. Ces activités et l'intimidation sont des facteurs de risque pour ce qui est d'être exploité sexuellement en ligne ou d'être la cible d'exploitation sexuelle en ligne.

Le sénateur White : Vous décrivez les difficultés, surtout pour les jeunes. Ils font leur apprentissage d'une façon qui n'est sans doute pas la même qu'il y a 10 ans. En général, ce n'est pas par contacts personnels, mais plutôt par des moyens électroniques. Les compétences dont ils ont besoin pour faire face à leurs problèmes sont beaucoup plus personnelles qu'elles ne l'étaient il y a 10 ans. Avez-vous trouvé des moyens de passer des compétences enseignées aujourd'hui à l'école aux compétences en résolution des conflits dont les jeunes ont besoin pour faire face aux problèmes auxquels ils sont confrontés en raison de ces compétences? Les futurs enseignants qui sont actuellement à l'université vous diront que parmi les difficultés qu'ils vont éprouver, leurs contacts personnels ne seront pas aussi forts qu'ils ne l'étaient probablement 10 ans plus tôt. Quand ils entrent dans une salle de classe, ils n'arrivent donc pas à résoudre les problèmes parce qu'ils n'ont pas eu à le faire avant.

Comment faire face aux difficultés que suscite l'ère électronique grâce à l'acquisition de compétences qui ne sont pas développées actuellement?

Mme Wing : C'est pourquoi nous travaillons en collaboration étroite avec les facultés d'éducation et elles accréditent nos outils. La question que M. Johnson a soulevée au sujet des enseignants qui vont en classe, qui n'enseignent pas la technologie et qui n'acceptent pas les téléphones cellulaires en classe est intéressante. C'est simplement parce qu'ils n'ont pas les compétences en gestion de la classe que possèdent les enseignants plus âgés. Nous nous trouvons devant une sorte de fossé, une génération d'enseignants qui sont très compétents à certains égards, mais qui mettent des années à savoir comment gérer une classe. Par conséquent, ils ne vont pas intégrer la technologie de façon utile. Ils ont peur de le faire. C'est un défi énorme, mais ce sont surtout les enseignants d'un certain âge qui font les choses les plus innovantes.

Le sénateur White : Ne serait-il pas logique de faire sortir la technologie de certaines salles de classe afin de pouvoir regagner les compétences que nous perdons? Vous venez de parler des étudiants de l'université qui sont entièrement axés sur la technologie lorsqu'ils arrivent. J'enseigne dans les deux universités d'Ottawa et j'ai eu des étudiants qui m'ont adressé des questions par courriel en plein cours parce qu'ils ne voulaient pas les poser devant tout le monde.

Nous devrions peut-être séparer nos compétences pour que la technologie reste la technologie et que les compétences personnelles dont nous aurons besoin pour le reste de notre vie soient enseignées de façon différente au lieu de s'attendre à ce qu'il y ait toujours un lien entre les deux.

M. Johnson : J'aurais tendance à dire que c'est plus près de la réalité actuelle. Les élèves disent souvent qu'ils doivent laisser une grande partie de leur vie à la porte de l'école. L'intégration de la technologie numérique est si limitée en classe que l'école leur semble être largement sans intérêt parce que toute leur vie se passe en ligne. Ils ne voient pas la distinction entre leur vie hors ligne et en ligne; et cela peut certainement poser des problèmes. Un élément de l'alphabétisation numérique que nous enseignons est la gestion des communications et des relations en ligne, par exemple, la différence entre l'interaction avec quelqu'un face-à-face et en ligne, et comment cette différence peut conduire à la cyberintimidation.

Les élèves et les enseignants nous disent vouloir que l'éducation devienne plus pertinente pour les jeunes et que pour ce faire, il faut y intégrer la technologie, mais de façon intéressante. Un problème qui se pose d'après nos propres recherches est qu'on s'efforce souvent d'amener la technologie en classe, mais qu'il n'y a pas de suivi, de formation ou de possibilité de mentorat. Les enseignants nous ont dit que les professeurs d'un certain âge qui connaissent bien le sujet et savent comment gérer leurs classes n'ont pas la possibilité d'entrer en contact avec les professeurs plus jeunes qui connaissent la technologie afin de trouver des moyens de l'utiliser de façon intéressante.

Tant que la technologie sera simplement présente en classe, nous ne pourrons pas vraiment aborder les problèmes que sa présence aggrave comme la cyberintimidation.

Mme Wing : D'autre part, il faut un changement énorme par rapport à l'enseignant qui se présente aux élèves comme l'expert. Cette évolution se fait très lentement. L'enseignant apprend en même temps que les élèves et ces derniers sont des experts dans de nombreux domaines. Il va falloir un énorme changement qui permettra aux élèves de participer plus activement à l'enseignement.

Le sénateur Meredith : Vous avez dit quelque chose qui m'a frappé au sujet vos recherches sur les communautés marginalisées, du lien entre les ressources et certaines écoles où la technologie n'est pas présente. Ensuite, il y a les élèves qui sont victimes d'intimidation. Y a-t-il un certain pourcentage des élèves, d'après les enseignants à qui vous avez parlé, ou le nombre d'enfants qui se plaignent d'être intimidés à la maison a-t-il augmenté d'après vos recherches dans les communautés marginalisées? J'aimerais le savoir.

Mme Wing : J'ai parlé aujourd'hui de recherche qualitative et de ce que nous allons faire de ces résultats. Nous allons mener une enquête nationale auprès des élèves dans le cadre de laquelle nous allons parler aux enfants des écoles francophones et anglophones de chaque province et territoire, en milieu rural comme en milieu urbain — à 6 000 élèves; c'est la plus vaste étude de ce genre au Canada. Nous allons essayer d'obtenir des données démographiques quand nous ferons cette enquête, ce que nous n'avons pas fait avant. C'est vraiment important.

J'ai participé aux groupes de consultation de Calgary. Nous étions dans une communauté extrêmement défavorisée de Calgary où les parents étaient complètement largués parce que leurs enfants utilisaient des dispositifs...

Le sénateur Meredith : ... qu'ils ne connaissaient même pas.

Mme Wing : Oui. Il fallait qu'ils montrent à leurs parents comment s'en servir.

Il y avait dans la province un site appelé Desire2Learn où les enfants devaient aller chaque soir pour obtenir les devoirs à faire à la maison. Les parents ne savaient pas comment s'en servir. Ils étaient complètement marginalisés par la technologie. Ils ne pouvaient pas aider leurs enfants comme ils le voulaient et cela leur faisait peur. Nous oublions, au Canada, que beaucoup de gens n'ont pas encore la technologie nécessaire pour suivre le mouvement, même avec leurs enfants.

M. Johnson : Comme l'a dit Mme Wing, nous n'avons pas encore eu l'occasion d'analyser les résultats de nos recherches sur le plan quantitatif, mais d'après l'enquête sur la cyberintimidation que nous avons menée ailleurs, l'appartenance à un groupe défavorisé augmente le risque d'être la cible d'intimidation. Si vous êtes pauvre ou handicapé, si vous faites partie d'une minorité visible ou si vous êtes homosexuel, lesbienne, bisexuel ou transsexuel, le risque que vous soyez victime de cyberintimidation augmente.

Le sénateur Meredith : Cela vaut aussi pour les nouveaux immigrants qui arrivent et qui doivent s'intégrer dans la société. Je suppose que cela joue également un rôle et qu'ils sont plus souvent victimes d'intimidation, en plus du choc culturel, en attendant que les gens fassent leur connaissance, et cetera. Ce sont des généralités, mais cela correspond probablement à vos données également.

Le sénateur Harb : Merci pour votre excellent exposé et les bonnes recherches que vous effectuez dans un domaine très important.

J'ai ici un rapport, mais je ne sais pas si vous l'avez. Il s'intitule Stop A Bully et c'est un rapport des intervenants de première ligne. Il semble que l'intimidation soit surtout répandue en septième année, en huitième année et en neuvième année. En septième année, 19 p. 100 des enfants disent en être victimes. En huitième année, c'est 20 p. 100, et en neuvième année, 14 p. 100. Si vous reportez ces données dans un graphique, cela semble viser les enfants âgées de 12 à 14 ans.

Vos études étaient centrées sur les enfants de 12 à 14 ans, et c'est précisément le moment où les garçons ont la voix qui commence à muer, de la barbe qui commence à pousser et où les filles connaissent des changements hormonaux. Cela a-t-il une influence sur leur comportement?

Mme Wing : Au cours de notre dernière enquête, nous avons remarqué que ce sont certainement les années où les enfants sont le plus exposés à de nombreux risques en ligne. C'est l'âge auquel ils explorent leur identité, leur sexualité; ils cherchent à s'isoler de leurs parents et se livrent à un bon nombre d'activités de ce genre en ligne. Ce sont des activités normales qui favorisent leur développement et il est important de le comprendre. Néanmoins, ils s'y livrent dans un environnement entièrement nouveau que nous ne comprenons pas entièrement.

C'est aussi le moment où la surveillance des parents diminue énormément. Nous avons constaté que les filles avaient plus de règles à respecter que les garçons, ce qui était très intéressant, car les garçons prenaient certainement plus de risques en ligne que les filles. Néanmoins, il semble que ce soit la norme culturelle dans notre société.

Ce sont certainement des âges où les risques sont très élevés et une bonne partie de notre matériel éducatif cible donc ces classes-là.

M. Johnson : Wendy Craig, qui a témoigné devant le comité en décembre, a publié une étude récente dans laquelle elle a comparé les statistiques de 2005 avec les travaux qu'elle a faits en 2010. Elle a constaté qu'en 2005, pour les filles, l'intimidation atteignait son point culminant en septième année et diminuait ensuite. Pour les garçons, elle restait assez stable. Néanmoins, en 2010, elle est restée stable chez les filles des différentes classes et elle a augmenté chez les garçons à partir de la sixième année pour atteindre son point culminant en 10e année.

Cela conforte notre décision de cibler surtout les classes de la septième à la 10e année pour produire nos outils concernant l'intimidation et les questions connexes.

Le sénateur Harb : À un moment donné, le comité produira un rapport. Ma deuxième question est en deux volets. Premièrement, connaissez-vous des pratiques exemplaires ou un système adoptés ailleurs dont nous pourrions nous inspirer en reconnaissant que c'est l'exemple à suivre? Deuxièmement, si vous deviez résumer vos recommandations au comité en deux ou trois recommandations précises, quelles seraient-elles?

Mme Wing : Vous avez entendu, je pense, de nombreux experts dire qu'il y a des pratiques exemplaires un peu partout dans le monde, mais le Canada est un pays unique en son genre dont la composition n'est pas homogène. D'autre part, une de nos principales difficultés, en tant qu'organisme éducatif, est qu'il y a au Canada 13 compétences en matière d'éducation. La plupart des pays ont un programme scolaire national et un ministère de l'éducation nationale, mais nous n'avons pas cela au Canada. Il est extrêmement difficile de rallier les commissions scolaires de tout le pays à un programme national.

C'est très logique. Notre pays est très diversifié et nous avons différentes normes locales d'un bout à l'autre du pays. On ne peut pas toujours appliquer les mêmes solutions partout. Je ne pense pas que cela marcherait au Canada. Toute stratégie doit être adaptée aux besoins de la collectivité locale. C'est très complexe.

Cela veut dire que nous ne pouvons pas simplement adopter chez nous ce qui a fonctionné ailleurs. Néanmoins, il y a un grand nombre de pratiques exemplaires et j'ai examiné certaines d'entre elles. Un programme dont on parle constamment est Racines de l'empathie. Je suis sûre que vous le connaissez tous. Il a été utilisé dans le monde entier et pourrait facilement s'intégrer dans les écoles de tout le pays, où il est d'ailleurs largement utilisé.

M. Johnson : Une des particularités de Racines de l'empathie, qui montre ce qui caractérise une bonne intervention, est qu'il ne s'agit pas d'un programme ponctuel. Il est repris de nombreuses fois, idéalement plusieurs fois au cours de la scolarité des élèves. Nous savons que cette répétition est efficace. Nous savons que les interventions uniques et celles qui cherchent surtout à faire peur ou qui insistent énormément sur les conséquences possibles de l'intimidation sont inefficaces. Nous savons, d'après les recherches qui ont été faites ailleurs et nos propres recherches, que ces tactiques n'arrivent pas à convaincre les élèves, mais qu'elles les amènent à prendre l'intimidation moins au sérieux.

Les programmes qui s'échelonnent sur l'ensemble de l'année scolaire et qui prévoient la participation de toute l'école et de toute la collectivité sont efficaces. Il faut faire participer les parents. Lorsque l'école participe à un programme, mais que les parents n'en entendent pas parler, les élèves ne reçoivent pas toujours le même message chez eux qu'à l'école. Nous savons que l'école doit y participer à tous les niveaux. Bien entendu, les élèves doivent y participer. Les enseignants doivent recevoir une formation sur la façon de résoudre les problèmes. Il faut aussi qu'ils sachent clairement à qui s'adresser et quelle procédure suivre pour les aborder afin de ne pas assumer entièrement la responsabilité de porter des jugements et pour savoir comment y faire face en classe, et aussi comment en parler à l'administration.

Ils ont besoin de matériel didactique contre l'intimidation. Toute l'école, y compris l'administration, les parents et les associations de parents doit s'efforcer de changer la culture scolaire de diverses façons pour faire comprendre que l'intimidation est inacceptable et qu'elle est certainement moins fréquente que les élèves ne le croient.

Certaines des autres interventions réellement réussies dont nous avons entendu parler étaient des programmes montrant aux élèves à quel point l'intimidation et les comportements du même genre étaient peu répandus dans leur école. Cela a eu un effet mesurable sur la diminution de la cyberintimidation.

La présidente : Nous avons constaté qu'un grand nombre de jeunes suivent également nos audiences. Vous utilisez certaines expressions que notre auditoire ne connaît peut-être pas. Pourrais-je vous demander de définir ce que vous entendez par Racines de l'empathie?

Mme Wing : Racines de l'empathie est un programme qui a été mis au point au Canada. Des bébés vont en classe. Pendant un an, un bébé vient en classe avec sa mère et les élèves prennent soin de ce bébé, le regardent grandir et occupent une place importante dans sa vie au cours de l'année. Il a été démontré que cela développait l'empathie et la sensibilité des élèves dans toutes sortes de situations.

M. Johnson : Une des raisons pour lesquelles c'est peut-être particulièrement efficace pour combattre la cyberintimidation est que nous ne ressentons pas naturellement de l'empathie pour les gens que nous ne voyons pas ou qui n'ont pas une présence physique devant nous. Nous n'avons pas conscience de la plupart des signaux physiques comme le langage corporel et le ton de voix qui déclenchent notre empathie et nous indiquent que nous sommes allés trop loin, qu'il est temps de reculer, de présenter des excuses ou de désamorcer le conflit. C'est certainement une des raisons pour lesquelles nous savons que certaines situations peuvent dégénérer en cyberintimidation.

Mme Wing : M. Johnson a dit que cela doit se dérouler sur une période d'un an et que le lien avec ce qui se passe à la maison est très important et je voudrais ajouter quelque chose à ce sujet.

Nous avons eu un excellent exemple, dans notre bureau, de ce qu'il ne faut pas faire pour lutter contre l'intimidation. Nous avons dans notre bureau une jeune mère dont le fils est entré de l'école un jour — il était dans une école du Québec — avec un macaron où il y avait le mot bully traversé d'un X. Elle lui a demandé ce que c'était et il a répondu qu'il n'en savait rien. Apparemment, il y avait un programme contre l'intimidation dans son école cette semaine-là, mais les parents n'étaient pas au courant et les enfants ne comprenaient pas ce qui se passait. Cela revenait pratiquement à dire : « Nous avons fait notre programme contre l'intimidation cette semaine afin de pouvoir passer à autre chose. »

Le sénateur Hubley : Merci pour votre exposé. Je vais vous poser une autre question concernant l'âge.

Si je prends les trois principaux éléments de votre travail, pour le premier, vous vous adressez aux classes de la maternelle à la 12e année. Dans l'ensemble de votre travail, constatez-vous qu'il faut tenir compte des différents groupes d'âge et de la façon dont les programmes s'adressent à eux dans nos écoles?

Mme Wing : C'est intéressant. Un de nos programmes s'intitule Grandir avec le Net et c'est une approche éducative de l'utilisation que les enfants font d'Internet. Nous constituons des groupes différents. Nous commençons à neuf ans et nous allons jusqu'à 17 ans parce qu'il y a une énorme différence entre les enfants de ces âges-là, leur stade de développement, la façon dont ils réagissent aux médias et le genre d'interventions que nous devons faire à ces âges différents.

Nos activités dans ce domaine se fondent sur le travail de la Dre Arlette Lefebvre, qui est psychiatre à l'Hôpital pour enfants de Toronto et qui a écrit l'un des premiers livres sur les enfants et Internet.

Ce programme a énormément de succès. Nous demandons aux enseignants de commencer par cet atelier avant de passer aux programmes plus approfondis sur la protection de la vie privée, la cyberintimidation et la sécurité. C'est pour bien comprendre où en est le développement des enfants.

Le sénateur Hubley : Y a-t-il des livres écrits pour les enfants sur l'utilisation de l'information numérique et des médias, l'utilisation d'Internet et la prudence dont ils doivent faire preuve? Y a-t-il, en bibliothèque, des livres sur ces sujets écrits à l'intention des enfants?

Mme Wing : Oui, il y en a. Je me souviens que le premier livre de familiarisation avec les médias que j'ai acheté s'intitulait The Berenstain Bears and Too Much TV. Mes enfants ne l'ont pas du tout aimé.

Les livres ne manquent pas et il y a un bon nombre d'excellents livres de familiarisation avec les médias qui s'adressent également aux enfants. Sherrie Gradin est une auteure canadienne qui a écrit de merveilleux livres très stimulants. Je ne sais pas si les enfants seraient portés ou non à les lire, mais ce sont, en tout cas, d'excellents outils.

La présidente : Madame Wing, vous avez dit que les enfants visitent des sites Internet en dehors de la compétence du Canada, surtout des sites de propagande haineuse. Pourriez-vous, tous les deux, nous en dire plus au sujet de votre étude sur la propagande haineuse?

Monsieur Johnson, vous avez parlé de l'idéologie de la haine. Enseignez-vous à repérer l'idéologie de la haine véhiculée par Internet?

M. Johnson : Cela fait partie d'une vaste étude que nous venons de publier. Sans vouloir trop abuser de votre temps, je dirais que nous enseignons aux jeunes à lire les textes avec l'esprit critique. Bien entendu, cela peut être aussi des textes visuels, mais nous leur montrons à lire avec l'esprit critique et à regarder d'un œil critique ce qu'ils voient en ligne afin de reconnaître, premièrement, les situations dans lesquelles des gens essaient de les manipuler émotionnellement et, deuxièmement, les sites dans lesquels on déshumanise un groupe ou on utilise d'autres éléments idéologiques pour justifier la déshumanisation.

Il ressort de notre examen des recherches sur la propagande haineuse en ligne et l'idéologie haineuse en général que pratiquement chaque groupe haineux présente certaines caractéristiques. Elles ne se retrouvent pas dans toutes les publications de chacun de ces groupes, même si certaines sont pratiquement universelles, mais ces caractéristiques sont communes à tous les types de haine. Nous avons, en tout cas, constaté qu'on peut trouver dans Internet de la propagande haineuse contre pratiquement n'importe quel groupe, diffusée par toutes sortes de groupes.

Cela repose sur la déshumanisation ou le rejet de l'autre. Un autre groupe est dépeint comme étant moins humain pour justifier la haine à son endroit et, par extension, pour justifier tout geste que l'on pourrait inciter à poser contre lui.

La plupart des autres éléments d'une idéologie haineuse appuient le rejet de l'autre. Vous verrez souvent, par exemple, un appel au glorieux passé du groupe haineux ou du groupe auquel il s'associe. Vous verrez souvent un appel à la sanction divine ou scientifique. Souvent, vous verrez qu'on s'appuie sur une pseudoscience ou qu'on invoque faussement une religion.

Comme je l'ai dit, je pourrais facilement en parler jusqu'à la fin de la séance, mais nous examinons cela en détail dans nos outils de perfectionnement professionnel sur la propagande haineuse en ligne de même que dans nos outils didactiques pour la familiarisation avec les médias numériques afin que les jeunes puissent reconnaître les discours haineux, même s'ils sont habilement camouflés.

Mme Wing : Dans notre étude de 2005, qui a été une étude marquante et plutôt étonnante, nous avons demandé aux enfants quel était leur site web favori. Nous avons ensuite examiné des milliers et des milliers de sites Web et l'Université d'Ottawa en a fait l'analyse. Nous avons constaté qu'un des principaux sites favoris des garçons de la quatrième à la neuvième année était www.newgrounds.com, un site totalement inconnu des adultes. Il ne fait pas de propagande haineuse, mais il contient une énorme quantité de contenu inapproprié en grande partie raciste, sectaire et haineux. C'est un site où l'on peut créer des petits jeux flash et les mettre en ligne. On y trouve de la misogynie. On y trouve à peu près n'importe quoi, et nous avons constaté que c'était le site préféré des enfants au Canada. C'était également le cas au Québec et donc dans l'ensemble du pays.

Nous essayons vraiment de sensibiliser les jeunes à ce que nous appelons le spectre de la haine afin qu'ils ne pensent pas que c'est simplement de l'humour. Ils sont immergés dans une culture d'humour cruel en ligne et nous devons leur faire comprendre qu'une grande partie de ces messages sont extrêmement haineux.

Quand nous retournerons dans les classes l'année prochaine, nous chercherons à voir quels sont les sites préférés et s'il y a eu un changement dans la façon dont les jeunes les perçoivent.

La présidente : Les témoins précédents et vous-même avez parlé d'humour en disant que les déclarations sectaires, racistes et haineuses amusent les jeunes. Comment l'expliquez-vous? Où est l'humour? Je vois le sénateur White lever la main. Il pourra peut-être m'éclairer, mais je vais d'abord vous poser la question. Je trouve très inquiétant que les jeunes trouvent ces propos amusants.

M. Johnson : En réalité, il y a deux facteurs. Bien entendu, il y a l'attrait de l'interdit, car les jeunes savent que ce genre de langage est inacceptable. Nous le constatons souvent chez les jeunes qui explorent le Web et qui recherchent les sites dont le contenu est extrêmement violent, sanglant, pornographique ou haineux.

Bien entendu, il y a aussi l'humour, si on peut appeler cela ainsi, que l'on cherche dans l'humiliation, en riant de quelqu'un, en choisissant une cible pour s'en moquer. C'est là qu'il y a un lien avec la cyberintimidation, car quelle que soit la raison de cibler quelqu'un, par haine ou pour des raisons plus personnelles, il y a un mécanisme de groupe qui mène à la cyberintimidation.

C'est une des raisons pour lesquelles, par exemple, le rôle des témoins est si important dans une relation de cyberintimidation. Nous savons que les témoins peuvent avoir énormément d'effet sur la façon dont une relation de cyberintimidation se développe. Nous savons que leur présence va probablement rendre l'auteur de la cyberintimidation plus agressif, mais que les témoins peuvent, s'ils choisissent de le faire, désamorcer une relation ou une situation de cyberintimidation.

C'est une des raisons pour lesquelles nous nous attaquons à la cyberintimidation au moyen de l'éducation aux médias numériques, car elle enseigne que nous avons la responsabilité, non seulement si nous sommes la cible de cyberintimidation ou si nous nous en rendons coupables, mais encore lorsque nous en sommes témoins, d'intervenir pour y mettre fin. Cela vaut aussi pour la haine et une grande partie des ressources en ligne enseignent aux jeunes comment s'y opposer.

Mme Wing : La dérision est également répandue dans la culture populaire, en tout cas dans les émissions que les jeunes regardent. Le genre d'humour que vous trouvez en ligne a beaucoup changé ces 20 dernières années. Il se fonde en grande partie sur la dérision. Je pense que les adultes sont tout aussi coupables de ce genre d'humour, qu'ils n'y voient rien de mal et qu'il faut donc sensibiliser les gens dans notre culture et notre société.

Le sénateur White : J'ai eu une discussion, tout à l'heure, au sujet des opinions formulées immédiatement en ligne dans les médias d'aujourd'hui. Au moment où je vous parle, si un article était publié sur Internet, il pourrait susciter 10 réponses en ligne dont certaines pourraient être haineuses ou qui pourraient toutes être sarcastiques.

Ne pensez-vous pas que la réponse immédiate aux médias, l'influence que cela a sur la façon dont nous nous comportons, jouent également un rôle? Tout d'abord, il n'y a pas de reddition de comptes. Si je fais une déclaration publiquement, je dois rendre compte de mes paroles.

Néanmoins, je peux m'inscrire sous un nom d'utilisateur et écrire à peu près n'importe quoi. Mon message sera peut- être éliminé ultérieurement, mais il est publié immédiatement. Sommes-nous aussi coupables? En tant qu'adultes, nous appliquons ce système de valeurs différent en disant ce que nous voulons ou ce que nous pensons, même si ce n'est pas approprié?

Mme Wing : Absolument. Cela augmente l'impulsivité et l'anonymat est également un facteur. Nous avons certainement vu les messages haineux qui ont circulé après la partie de hockey. C'est une tribune dont les gens se servent pour propager la haine et les adultes en sont coupables autant que les jeunes. Notre société doit réagir.

Le sénateur White : Il y a deux ans, nous avons eu 4 000 manifestants devant le Parlement pendant 14 jours. Pratiquement personne n'a élevé la voix contre ce groupe en public; néanmoins, en réponse à des articles, des centaines d'opinions, parfois plus, qui étaient absolument inappropriées, ont circulé dans le cyberespace. Je n'ai pas trouvé étonnant à l'époque que, dans les écoles, les jeunes ont tenu des propos similaires à ceux que nous lisions dans nos médias locaux, pensant que c'était acceptable parce que c'était anonyme et que s'il y avait un signalement, ces propos seraient supprimés. Ce n'est pas acceptable pour autant.

Je me demande si nous ne prenons pas les choses par le mauvais bout en essayant de dire aux jeunes ce qu'ils devraient faire ou ne pas faire alors que les adultes font sans doute pire que les enfants. C'est du moins mon impression.

Mme Wing : Nous sommes leurs modèles.

M. Johnson : En réalité, chez les jeunes, il est relativement rare que la cyberintimidation soit anonyme. Dans la plupart des cas, la cible sait ou croit savoir qui est le coupable.

Il est tout à fait vrai que non seulement l'anonymat, mais aussi le volume des messages en ligne posent un problème, surtout en ce qui concerne la propagande haineuse. La rubrique des commentaires sur les articles est un des endroits où vous trouverez des propos haineux dans les principaux médias. C'est simplement parce que ces commentaires sont souvent trop nombreux pour pouvoir être décelés et, même s'ils sont supprimés, ils restent là pendant un certain temps. Le même problème se pose dans des sites comme Facebook, YouTube et iTunes. Le contenu haineux peut y subsister parce que le volume est trop important pour que les administrateurs du site puissent le repérer. Des milliers et des milliers d'heures de contenu sont publiées chaque jour sur YouTube. Ces sites comptent sur les utilisateurs pour leur signaler les publications haineuses ou inappropriées. C'est une des raisons pour lesquelles nous enseignons aux jeunes qu'ils ont la responsabilité de dénoncer ce genre de choses et nous leur apprenons à utiliser des outils, par exemple en signalant une vidéo, afin qu'ils puissent intervenir.

Le sénateur White : Je pense que dans le cas de YouTube, Facebook et les autres, le public jeune ou vieux ne s'attend pas à ce que ces sites soient toujours exacts ou respectueux.

Cependant, je pense que nos attentes à l'égard des principaux médias commencent également à diminuer. Je ne m'attends plus à ce que tous les commentaires publiés dans les principaux médias soient respectueux. C'est dommage, car par le passé, la rédaction recevait cinq réponses qu'elle examinait pendant quatre jours pour établir si elles étaient appropriées. Aujourd'hui, on en reçoit des centaines en l'espace de quelques secondes ou moins. On n'établit pas si elles sont appropriées, car c'est le travail de quelqu'un d'autre, même si on en a la responsabilité. Je me demande si les administrateurs du site n'ont pas la responsabilité civile d'intervenir avant un signalement. Je dirais que du point de vue des crimes haineux, il se pourrait qu'à l'avenir ils fassent l'objet d'une enquête pour avoir autorisé la propagation de messages haineux.

Mme Wing : Certains organes de presse envisagent, pour cette raison, de ne plus autoriser les commentaires anonymes.

Il y a aussi des réponses très prosociales dans ce genre de forums. Les gens reprochent aux autres les propos qu'ils tiennent. Ce sont des choses que nous faisons remarquer aux jeunes, surtout pour le type de tribunes auxquelles ils participent.

Le sénateur White : Permettez-moi de dire que le commentaire prosocial est parfois aussi agressif que l'original. Cela devient parfois un champ de bataille pour les adultes qui rivalisent d'agressivité. La partie Boston-Washington en était un parfait exemple. Les messages étaient insultants et les réponses l'ont parfois été tout autant. Nous laissons cela continuer et je m'inquiète surtout pour ce qui est des principaux médias. Je ne voudrais pas qu'on croie que je m'en prends aux médias ou que je m'y attaque, alors je ferais mieux de m'arrêter.

Mme Wing : C'est un bon exemple du rôle du témoin et c'est ce que nous montrons aux jeunes. Nous avons des exemples de tribunes où les enfants affichent des remarques extrêmement haineuses. Ensuite, quelqu'un leur demande des comptes en ligne et l'intervention de ces premières personnes encourage d'autres à en faire autant. Voilà le genre de comportement que nous devons favoriser.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous les deux, madame Wing et monsieur Johnson, pour votre présence ici. Comme vous pouvez le voir, nous pourrions encore passer beaucoup de temps à vous écouter et nous apprécions que vous ayez pris la peine de vous joindre à nous aujourd'hui.

Nous allons passer à notre troisième groupe de témoins. Les représentants de Stop A Bully sont M. Trevor Knowlton, président, et M. Hal Roberts, vice-président. Nous avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire, après quoi nous poserons des questions. Bienvenue.

Vous venez de ma province, ce dont je suis fière. Ce n'est pas souvent que nous recevons des témoins de Colombie- Britannique. Je me réjouis de votre présence ici.

Trevor Knowlton, président, Stop A Bully : Je voudrais tout d'abord remercier le comité sénatorial de nous avoir invités sur la Colline du Parlement. C'est un honneur de témoigner devant vous aujourd'hui. Nous savons que d'éminents chercheurs canadiens et des intervenants clés qui s'efforcent d'apporter des changements ont déjà présenté au Comité de l'information importante au sujet de l'intimidation et de la cyberintimidation. Notre objectif aujourd'hui est de vous faire mieux comprendre le grave problème de l'intimidation et de la cyberintimidation chez les jeunes en vous présentant notre point de vue lorsque nous aidons des élèves, des parents et des écoles partout au Canada. Je témoigne devant vous ce soir en tant que président et fondateur de Stop A Bully, enseignant de l'école secondaire Summerland et père de trois enfants extraordinaires. C'est en jouant ces rôles que j'acquiers l'expérience et la motivation nécessaires pour tenter d'aider les jeunes qui sont victimes d'intimidation, que ce soit à l'école ou en ligne.

L'origine de Stop A Bully remonte à une date bien précise : le 7 mai 2009. Ce jour-là, à mon arrivée à l'école, un courriel qui a commencé à changer ma vie m'attendait. En fait, ce matin-là, chacun des membres du personnel de notre école avait reçu un courriel, transmis de façon anonyme par l'un de nos élèves, qui contenait une vidéo d'intimidation. L'élève avait voulu nous mettre au courant de la vidéo qui avait circulé dans Facebook la veille. La vidéo montrait une agression qui s'était produite sur le terrain de l'école, à l'insu du personnel, la journée précédente.

Après avoir lu le message et regardé la vidéo plusieurs fois, j'étais en colère, et ce pour deux raisons : premièrement, l'agression s'était produite à notre école et impliquait nos élèves, et deuxièmement, l'élève qui avait enfin eu le courage de dénoncer l'agression au personnel avait dû se donner beaucoup de mal pour nous mettre au courant de la situation.

Quatre jours après avoir reçu le courriel, j'ai lancé un programme de dénonciation en ligne de l'intimidation dont tout jeune Canadien peut se servir au besoin. Stop A Bully donne aux jeunes et aux parents la possibilité de dénoncer en toute sécurité l'intimidation et la cyberintimidation à des responsables de l'école sans devoir faire plus et sans risquer de devenir eux-mêmes une cible.

Depuis le lancement de Stop A Bully il y a trois ans, j'en ai appris plus que je ne l'aurais jamais cru sur la douleur et la souffrance que cause l'intimidation chez les jeunes. J'ai également été témoin du véritable désespoir des parents qui essaient de protéger leurs enfants. Depuis le début, leur message est très clair : il faut faire plus.

En tant qu'enseignant au niveau secondaire, je comprends que l'intimidation chez les jeunes, et plus particulièrement la cyberintimidation, sont d'une grande complexité, mais il faut absolument que toutes les structures de notre société permettent d'assurer la sécurité de tous les jeunes. Nous sommes convaincus que le programme Stop A Bully peut être l'un des outils qui contribuent à protéger les jeunes contre l'intimidation à l'école et en ligne. Merci.

Hal Roberts, vice-président, Stop A Bully : Madame la présidente et sénateurs, comme mon collègue l'a mentionné, nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir invités à témoigner devant le comité aujourd'hui. Nous sommes honorés que nos efforts dans le cadre du programme Stop A Bully puissent vous être utiles dans votre étude de la question complexe de l'intimidation chez les jeunes et de l'évolution de la cyberintimidation au Canada.

Je témoigne devant vous ce soir en tant que membre du conseil d'administration du programme Stop A Bully, travailleur social de la protection de l'enfance de la Colombie-Britannique, père et grand-père. Je m'estime chanceux d'avoir pu acquérir une certaine connaissance de ce que vivent les jeunes à l'ère d'Internet grâce à mes propres enfants ainsi qu'aux enfants et aux jeunes que je côtoie quotidiennement dans le cadre de mon travail.

La plupart des adultes ont vécu une expérience liée à l'intimidation au cours de leur jeunesse. Il est indéniable qu'un grand nombre d'entre nous ont joué à un moment ou à un autre de notre enfance ou de notre adolescence le rôle de victime, de bourreau ou d'observateur dans un incident d'intimidation. Il est à espérer qu'à l'instar de la mienne, votre expérience à cet égard s'est bien terminée. Le cas échéant, c'est probablement grâce à l'intervention d'un adulte compréhensif.

L'idée traditionnelle de l'intimidation est liée au milieu scolaire et souvent appelée « intimidation dans la cour d'école ». Les spécialistes des sciences sociales nous disent que l'intimidation traditionnelle a habituellement trois caractéristiques : un déséquilibre dans le rapport de force entre la victime et l'intimidateur, le ciblage intentionnel de la victime, et un cycle incessant d'agressivité. Ce que nous apprenons toutefois au sujet de l'intimidation à l'ère des médias sociaux, c'est que la cyberintimidation ne correspond pas à cette définition. Plus particulièrement, le déséquilibre dans le rapport de force entre la victime et l'intimidateur n'est plus clairement défini, et le rôle que jouent les enfants et les adolescents en ligne peut facilement passer de celui de victime à celui d'intimidateur et à celui de témoin. En conséquence, de nombreuses stratégies d'intervention connaissant un certain succès dans les cas d'intimidation traditionnelle ne peuvent s'appliquer à la cyberintimidation.

Les vérités admises aujourd'hui et notre concept en matière d'intervention dans des cas d'intimidation sont les suivants. Premièrement, la plupart des incidents d'intimidation dans l'enfance sont liés au milieu scolaire des parties concernées. À l'extérieur du domicile familial, la plupart des enfants d'âge scolaire et des adolescents passent une grande partie de leur journée dans un certain cadre scolaire. Il va sans dire que cette présence à l'école implique de nombreux aspects de leur interaction sociale et de leurs expériences avec autrui. Deuxièmement, les spécialistes du développement de l'enfant nous disent que la clé pour modifier un comportement négatif est d'imposer immédiatement une conséquence de sorte que le lien entre le geste et son résultat soit profondément ancré dans le cerveau en développement.

En ce qui concerne le programme Stop A Bully, nous soutenons que ces vérités valent aussi pour lutter contre la cyberintimidation. Par défaut, le système scolaire est la seule structure sociale qui offre le cadre physique pour s'attaquer à la cyberintimidation : les élèves sont régulièrement présents dans un environnement sécuritaire et structuré où ils peuvent avoir des relations de confiance avec des éducateurs qualifiés. Dans le cycle sans fin des médias sociaux qu'offre l'accessibilité à la technologie électronique, le risque de cyberintimidation existe 24 heures sur 24, sept jours par semaine, 365 jours par année. L'instantanéité de la protection et de l'intervention peut être assurée de la meilleure façon dans le cadre scolaire à condition d'avoir accès aux outils d'identification et d'intervention.

Le programme Stop A Bully part de ce principe, et notre énoncé de mission le mentionne comme suit : Stop A Bully vise à favoriser et à accroître la capacité d'intervention de l'école de façon proactive et opportune en cas d'intimidation en produisant un rapport détaillé des incidents d'intimidation et en offrant des stratégies de sensibilisation et de prévention.

En témoignant ce soir, nous espérons vous transmettre de l'information qui vous convaincra du bien-fondé de nos stratégies. Nous croyons fermement que grâce à une aide et à des outils adéquats, les enfants et les adolescents voudront lutter contre la cyberintimidation. Merci.

La présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Nous savons que vous représentez un programme sans but lucratif et pancanadien qui permet aux élèves de dénoncer l'intimidation aux autorités scolaires de façon confidentielle au moyen d'un système de dénonciation en ligne. Comment fonctionne votre système de dénonciation en ligne?

M. Knowlton : Pour le moment, n'importe quel élève du Canada peut se rendre sur le site web s'il est témoin ou victime d'intimidation. Les parents peuvent également aller en ligne. Si les jeunes hésitent à se confier au directeur ou aux enseignants de leur école ou même à leurs parents, car nous constatons que pour diverses raisons, un grand nombre d'entre eux n'osent pas en parler aux adultes qui les entourent, ils peuvent aller en ligne pour soumettre un rapport détaillé au sujet d'une intimidation. Cette dénonciation est ensuite transmise au directeur de l'école. Non seulement on obtient un rapport détaillé de ce qui s'est passé, mais le directeur obtient le récit de ce qui s'est passé.

Souvent, dans le cadre de leurs activités quotidiennes, les directeurs d'école règlent des problèmes mineurs qui surviennent dans l'établissement lorsqu'un élève en insulte un autre ou le pousse dans le couloir. Ils ne voient pas souvent la situation dans son ensemble. Ils vont peut-être résoudre un problème qui concerne un élève en particulier, mais dans sa dénonciation, la victime peut dire : « Oui, j'ai été poussé dans le couloir aujourd'hui et nous avons réglé ce problème, mais cela dure depuis trois ans », ce qui change tout pour le directeur. Ce n'est plus une simple bousculade dans le couloir ou une insulte que l'on va oublier, car il faut se rendre au prochain cours. La dénonciation, le récit des faits et les précisions au sujet de ce qui s'est passé donnent au directeur une perspective beaucoup plus vaste de la situation.

La présidente : Des témoins nous ont dit, et c'est normal, que certaines écoles sont plus conscientes de la cyberintimidation et qu'elles prennent des mesures proactives alors que d'autres écoles ont beaucoup de retard à rattraper. Que faites-vous pour y remédier? Certains directeurs ne sont peut-être pas aussi proactifs que vous le souhaiteriez. Vous avez un programme qui donne d'excellents résultats. Comment faites-vous pour convaincre les directeurs d'école de prêter attention au problème de l'intimidation?

M. Knowlton : Nous comptons sur les élèves et les parents pour être proactifs. Ils peuvent présenter une demande de participation de leur école dans notre site web. Les parents, les élèves, ou parfois même les membres du personnel, peuvent soumettre une demande de participation de l'école dont le texte dit en substance : « Nous aimerions que vous examiniez ce programme. Nous sommes convaincus qu'il aiderait notre école. » Ils peuvent ajouter des observations supplémentaires. C'est envoyé au directeur de l'école.

Il a été extrêmement difficile d'obtenir une réponse des directeurs. C'est soit parce qu'ils ne pensent pas que l'intimidation pose un problème dans leur école ou qu'ils pensent que ce problème se pose ailleurs et une de nos plus grandes difficultés est de les amener à comprendre qu'il se pose dans chaque école. Pour vous donner un exemple, un directeur formidable nous a contactés pour nous dire : « Nous n'avons pas d'intimidation dans notre école et cela ne pose pas de problème, mais je vais participer au programme afin que vous puissiez nous envoyer des affiches au cas où cela finirait par poser un problème. » Au cours de la première semaine qui a suivi son adhésion, il a reçu deux dénonciations. Cela montre, je pense, que même si les directeurs font un travail fantastique, il y a souvent un fossé entre ce que les élèves savent de l'intimidation qui a lieu dans l'école et ce que le personnel en sait.

Le sénateur Ataullahjan : Pour la gouverne des téléspectateurs, je voudrais que vous nous disiez dans quelle mesure votre programme est efficace. Sur le nombre de cas qui vous ont été signalés, combien ont été résolus?

M. Knowlton : Nous transmettons les renseignements aux écoles, mais nous ne faisons pas de suivi pour un certain nombre de raisons. En ce qui concerne notre programme, nous transmettons les renseignements au directeur de l'école. Nous ne savons pas quel élève a envoyé la dénonciation et nous ne pouvons donc pas faire de suivi auprès de cet élève. Pour ce qui est de cet aspect du succès du programme, nous ne le voyons pas souvent.

Il y a un excellent exemple dans la brochure que nous avons distribuée. Il date de quelques semaines. C'est juste pour montrer que de temps en temps, nous avons une petite idée du succès du programme lorsqu'on en parle en public. Lorsque le problème est réglé au sein de l'école, nous ne le voyons pas. Le directeur nous dit que le programme fonctionne, mais nous n'entendons pas parler des cas particuliers.

L'exemple en question était formidable pour nous parce qu'il montre l'efficacité du système de dénonciation. C'est à la page 7. Je vais vous donner un petit aperçu de ce qui s'est passé.

C'était un vendredi soir. Cela a commencé à 15 h 45, un vendredi après-midi. Les élèves ont été informés de l'existence d'un site web dont le seul but était de se moquer d'autres élèves de l'école et de les harceler. Nous avons reçu la première dénonciation à 15 h 45, le vendredi et elle a été suivie de deux autres dénonciations, à 17 h 27 et 18 h 6. Normalement, nous ne savons rien de plus, car nous transmettons les renseignements et c'est au directeur d'y donner suite. Le directeur en question a envoyé, à 21 h 3, ce vendredi soir, un message public sur Twitter disant : « Heureusement que Stop A Bully existe. Merci. » C'était formidable pour nous, car cela confirmait que les choses avaient commencé à bouger le vendredi soir.

En fait, c'est encore mieux. Le samedi matin, à 10 h 04, le directeur a envoyé un autre message public : « Merci à Stop A Bully et à la personne qui a dénoncé. Le site web en question a été fermé. »

Cela montre bien avec quelle rapidité et quelle efficacité on peut résoudre une situation, surtout lorsque les élèves la dénoncent et que les directeurs d'école sont proactifs. Bien entendu, ce directeur a obtenu le nom des élèves qui ont créé ce site web et qui l'administraient ce soir-là, a contacté leurs parents, et au lieu que le site prenne de l'ampleur pendant le week-end, il a été fermé le samedi matin. C'est assez impressionnant.

M. Roberts : Après avoir donné aux enfants et aux parents la possibilité de dénoncer l'intimidation, notre deuxième initiative consiste à fournir une trousse de matériel aux écoles qui demandent à participer au programme dans l'espoir qu'elles chercheront à créer un environnement sûr. Cet après-midi, nous avons entendu parler, à plusieurs reprises, de l'idée de sécuriser tout le milieu scolaire en incitant l'administration scolaire, le personnel, les enseignants, les élèves, les parents et les comités consultatifs de parents à participer et nous espérons pouvoir les amener à créer un environnement sûr pour dénoncer les incidents et peut-être aussi s'occuper de la prévention.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie pour votre exposé de ce soir. Comment envoyer le message aux directeurs d'école? Participent-ils à votre programme de leur propre initiative ou est-ce un programme auquel ils adhèrent et qu'ils appliquent dans leurs écoles?

M. Knowlton : Je répondrai deux choses. Premièrement, n'importe quel élève peut se servir du programme, quelle que soit son école. Quand j'ai conçu le programme, je voulais être certain que, peu importe si les adultes croyaient ou non que l'intimidation posait un problème dans leur école, si un élève voulait dénoncer un cas d'intimidation ou était en difficulté, le programme serait à sa disposition.

Lorsqu'une école décide de participer au programme, cela entraîne un certain nombre de choses. Elle reçoit de la documentation telle que des affiches qu'elle peut utiliser pour faire connaître le programme au sein de l'école et il est alors plus facile aux élèves de faire une dénonciation en ligne. En général, les écoles créent également un lien avec le programme dans leur site web.

Pour ce qui est de participer au programme, il faut que le directeur y adhère. Nous avons eu un certain nombre d'enseignants qui ont essayé de convaincre leur directeur de participer au programme pour diverses raisons. Il reste difficile de convaincre tout le monde de le faire.

Le sénateur Hubley : Vous dites que tous les élèves ont accès au programme. Dans ce cas, que faites-vous lorsqu'un élève est dans une école qui ne participe pas au programme ou dont le directeur ne répond pas?

M. Knowlton : Nous devons trouver le moyen de rejoindre le directeur. Nous essayons de trouver son adresse de courriel directe grâce à divers moyens. La dénonciation d'intimidation sera seulement envoyée au directeur de l'école et nous essayons donc d'obtenir son adresse courriel directe par différents moyens.

Si cela ne fonctionne pas, nous imprimons la plainte d'intimidation et nous l'envoyons par la poste au directeur pour qu'il reçoive les renseignements communiqués par l'élève ou le parent qui tient à ce que l'école sache ce qui se passe.

Le sénateur Hubley : C'est seulement le directeur qui peut résoudre la situation?

M. Roberts : À notre avis, le directeur est le dernier filtre du programme Stop A Bully. Nous lui transmettons les renseignements. C'est son école, ses élèves et il les connaît. C'est à lui de résoudre ces questions lorsque nous lui transmettons les renseignements.

Nous sommes convaincus qu'il y a un fossé entre les élèves et le personnel scolaire et que les élèves savent souvent ce qui se passe. S'ils nous envoient des renseignements anonymement, nous pouvons combler le fossé en transmettant ces renseignements aux autorités scolaires, au directeur, à qui incombe la responsabilité d'y donner suite.

Le sénateur Harb : Vous avez là un programme vraiment excellent. L'éducation est du ressort des provinces. En Colombie-Britannique, avez-vous contacté les commissions scolaires pour qu'elles obligent les écoles à participer à votre programme?

M. Roberts : Nous l'avons fait. Nous n'avons pas beaucoup de succès. Le rapport de Wayne MacKay, qui vient d'être publié en Nouvelle-Écosse, nous appuie beaucoup. Il est vraiment révolutionnaire. Il va dans le même sens que nous en soulignant que, de toute évidence, l'école est l'endroit le plus approprié pour s'attaquer au problème.

M. MacKay fait valoir que les commissions scolaires ont des responsabilités à assumer, que cela leur plaise ou non, qu'elles le fassent de manière préventive ou suite à des poursuites civiles intentées par une victime ou les parents d'une victime.

C'est un facteur de motivation. Nous attendons simplement que les écoles et les commissions scolaires le comprennent.

Le sénateur Harb : Avez-vous contacté le ministère de l'Éducation, par exemple? Les commissions scolaires relèvent du gouvernement provincial. Avez-vous fait valoir au ministère de l'Éducation l'importance de rendre le programme obligatoire? Si c'est le cas, quelle a été leur réponse?

M. Knowlton : Nous avons fourni des renseignements aux diverses provinces et un certain nombre d'entre elles nous ont contactés pour en obtenir. Tout le monde peut nous joindre par l'intermédiaire de notre site web et nous recevons de nombreuses demandes de renseignements.

Le sénateur Harb : À mon avis, le comité devrait songer non seulement à faire connaître votre programme, mais à écrire aux ministres de l'Éducation des provinces pour les inviter à y participer. Vous faites un travail tout à fait exceptionnel.

M. Knowlton : L'échange d'information nous semble absolument essentiel en ce qui concerne la cyberintimidation. On pense parfois que ce sont des renseignements plutôt confidentiels, comme ce qui se passe dans les chambres à coucher, mais ce sont des renseignements très publics. Les élèves savent ce qui se passe. Ils le voient. Si vous demandez à n'importe quel élève ce qui se passe en ligne, il sait qui est ciblé et de qui cela vient, mais ces renseignements ne sont pas transmis aux adultes de l'école. C'est souvent la raison pour laquelle ces derniers ne savent pas qu'ils ont besoin d'un programme contre l'intimidation.

Nous essayons de combler les lacunes en permettant aux élèves de dire en toute sécurité : « Voici ce qui se passe en ligne ou à l'école. »

Le sénateur Harb : Absolument. Merci beaucoup.

Le sénateur Zimmer : Je me demande si malgré votre âge et votre poste, votre lutte contre l'intimidation a suscité des représailles contre vous-même ou un de vos collègues? Je ne parle pas des élèves, mais des enseignants ou de l'administration. Cela les a-t-il déjà incités à essayer de vous intimider?

M. Knowlton : Je pense que c'est arrivé. Je ne peux pas vous citer d'exemple pour le moment. Comme on en a parlé tout à l'heure, il y a toujours un certain niveau d'intimidation dans pratiquement toutes les couches de la société, chez les adultes et au sein des organisations. C'est regrettable et parfois, c'est allé trop loin.

Le sénateur Zimmer : Je ne parle pas de quelqu'un d'autre; je parle de quelqu'un qui a intimidé un élève et qui a ensuite redirigé cette manœuvre contre vous parce que vous êtes intervenu. Je parle de la même personne et non pas de quelqu'un d'autre.

Au lieu de s'attaquer à l'élève, comme vous avez essayé d'intervenir, s'est-on attaqué à vous ou savez-vous si c'est déjà arrivé à quelqu'un?

M. Knowlton : Non, je n'ai pas d'exemple de quelqu'un qui s'est attaqué à nous personnellement. Cela pourrait certainement arriver un jour, mais nous n'avons pas encore eu de cas de ce genre.

M. Roberts : Nous constatons qu'en attirant simplement l'attention sur le problème — et nous avons entendu les autres témoins en parler cet après-midi — les observateurs jouent un rôle important, surtout en ligne. Si vous pouvez faire la lumière sur ce genre d'activité et faire comprendre à ceux qui l'observent qu'elle est inappropriée, l'intimidateur perd son auditoire.

L'idée maîtresse est que si nous pouvons créer une situation où nous faisons la lumière sur ce comportement en soulignant qu'il est inapproprié, souvent, il prend fin. Nous sommes convaincus que si nous pouvons donner cet outil aux enfants et aux adolescents, ils vont l'utiliser.

Le sénateur Andreychuk : Merci pour cette documentation. Comme j'avais deux engagements en même temps, je n'ai malheureusement pas pu entendre votre exposé tout à l'heure.

Comment donnez-vous l'assurance que vous agissez anonymement et que votre intervention ne fera pas courir de risques aux personnes les plus vulnérables? Comment procédez-vous?

M. Knowlton : Sur le plan pratique, nous ne savons même pas qui fait la dénonciation et il nous serait donc impossible de citer de nom. La personne qui dénonce un incident d'intimidation peut faire un rapport entièrement anonyme ou indiquer son nom si elle souhaite qu'un membre du personnel la contacte; par exemple, si un élève qui a des problèmes veut vraiment parler à un conseiller ou si un parent désire parler au directeur de l'école, son nom sera transmis au directeur.

Par conséquent, pour ce qui est de préserver l'anonymat, nous ne savons pas qui dénonce l'incident. Des étapes sont prévues dans le site web pour assurer la validité du rapport — nous avons prévu un certain nombre de mesures à cet effet — car on nous pose souvent la question de la validité de ces dénonciations. Notre système prévoit un certain nombre de filtres à cet effet. Le dernier filtre est le directeur qui prend connaissance du rapport et vérifie les renseignements. C'est à lui de décider de la suite à donner.

Le sénateur Andreychuk : J'en reviens aux anciens programmes de dénonciation anonyme des actes criminels, et cetera. Ils ont été lents à démarrer, car il fallait que le public leur fasse confiance, mais cela s'est fait par le bouche à oreille. Certaines personnes disent que cela fonctionne bien et qu'elles le savent compte tenu de la suite des événements.

Les gens en parlent, disent que c'est anonyme, ce qui donne aux jeunes l'assurance que tout se passera bien.

M. Roberts : Nous affichons nos statistiques et nos renseignements dans notre site web afin que toute personne qui désire utiliser notre site puisse voir qu'il y a des résultats; nous indiquons quelles sont les écoles qui adhèrent à notre programme, quelles sont les demandes de participation des écoles que nous recevons. Tout cela est visible et nous affichons tous nos renseignements. Ils sont mis à jour presque quotidiennement afin que les gens puissent voir que cela donne des résultats.

Nous montrons ce que nous faisons, que lorsque nous recevons une dénonciation, nous l'évaluons et nous la transmettons aux autorités scolaires.

Le sénateur Andreychuk : J'ai une autre question. Vous fermez une source d'intimidation, ce qui met fin à l'intimidation qui a lieu sous cette forme. Néanmoins, si vous n'arrêtez pas l'intimidateur, il sévira ailleurs et cela pourrait être encore plus néfaste. Avez-vous un moyen de dépister toutes les sortes d'intimidation? La fermeture d'un site fait simplement apparaître une autre source d'intimidation ailleurs, comme nous l'avons constaté pour la pornographie juvénile.

Comment garantissez-vous les résultats dont vous parlez dans vos statistiques?

M. Knowlton : Cela nous ramène à la question de la responsabilisation des élèves. Ils savent que si leur école participe à ce programme, ils auront des comptes à rendre. Prenez, par exemple, ce qui s'est passé le vendredi soir. Cela a eu un effet sur toute la population scolaire, car on sait que les élèves qui ont créé ce site web pour harceler d'autres élèves un vendredi ont reçu, le soir même, un appel téléphonique du directeur chez eux et ont dû fermer le site.

Les comptes qu'ils auront à rendre à l'école auront beaucoup d'effet sur ces élèves; ils savent qu'on leur demandera des comptes, en ligne ou à l'école et que ce genre de choses n'est pas acceptable.

Le sénateur Andreychuk : Êtes-vous tombé sur des cas où l'intimidation n'avait pas lieu à l'école? Il y a un peu partout des sites Web où des enfants sont harcelés. Cela ne se passe peut-être pas toujours dans votre quartier ou dans votre milieu.

M. Roberts : L'intimidation est une activité complexe, si bien que pour la plupart des enfants d'âge scolaire, elle finit par avoir des répercussions sur leur expérience à l'école. Qu'elle ait lieu ou non à l'école, cela devient un sujet de conversation ou leurs camarades de classe en sont informés. Ils peuvent y avoir accès au moyen de l'équipement scolaire. Nous savons que l'expérience scolaire est un facteur qui entre en ligne de compte.

Comme il s'agit d'une activité complexe, les directeurs d'école et le personnel scolaire comprennent, bien sûr, qu'il n'existe pas de solution toute faite. Ils ont besoin d'un ensemble d'outils, de diverses méthodologies pour lutter contre l'intimidation. Ils ont besoin de renseignements et de pouvoir se servir de ces outils lorsqu'ils sont confrontés à diverses formes d'intimidation dans leur établissement.

M. Knowlton : Dans la même veine, nous avons parlé de la fermeture d'un site web qui entraîne l'ouverture d'un nouveau site web et de ce genre de choses. Cela nous ramène à l'idée que l'intimidateur a besoin d'un auditoire. Souvent, dans les cas d'intimidation à l'école, surtout s'il s'agit d'une bagarre, elle n'aurait sans doute pas eu lieu si les élèves, l'auditoire, n'avaient pas été là.

Cela peut également arriver en ligne. Par exemple, nous avons eu des cas de comptes Facebook créés sous le nom d'un autre élève. Il est presque impossible de fermer un compte Facebook et cela prendrait des mois. Des élèves créent un faux compte sous le nom d'un autre élève en se faisant passer pour lui. D'autres élèves de l'école se joignent à sa liste d'amis pensant qu'il s'agit bien de cette personne, mais ce n'est qu'une farce.

La conseillère de l'école s'est retrouvée devant une mission presque impossible pour fermer le site ou essayer de voir qui était le coupable. Elle a opté pour une solution entièrement différente. Si vous supprimez l'auditoire, cela règle le problème. Elle a été voir un des élèves les plus influents reliés au site comme amis pour lui dire : « Sais-tu ce qui se passe? Ce n'est pas réellement cette personne. Pourrais-tu avertir tous les autres? Coupez vos liens avec ce compte, car ce n'est pas celui de cette personne. » En raison de l'influence qu'avait cet élève, les autres ont fait comme lui.

Dans certains cas, vous pouvez agir subtilement pour supprimer l'auditoire.

La présidente : J'ai une question qui fait suite à celle du sénateur Andreychuk. Vous adressez-vous aux commissions scolaires ou aux provinces lorsque les écoles ne vous répondent pas? Faites-vous un suivi?

M. Knowlton : C'est parfaitement visible en ligne compte tenu des demandes de participation adressées aux écoles. Tout le monde peut aller en ligne. Tout élève, parent ou membre du personnel qui envoie une demande pour qu'une école participe au programme peut voir le code de couleur correspondant à sa demande. Il verra qu'il est jaune si la demande a été envoyée à l'école. S'il devient bleu, cela signifie que l'école a adhéré au programme. Les gens peuvent voir les résultats.

C'est comme pour les dénonciations. Pour les écoles participantes, les résultats ne sont pas visibles, car les élèves ont la certitude que leur dénonciation sera transmise au directeur et qu'ils n'ont donc pas à s'inquiéter. Si c'est une école non participante, il y a également un code de couleur et si après avoir envoyé un rapport, le code devient vert, les élèves savent que leur directeur l'a reçu.

M. Roberts : Une des recommandations que M. MacKay fait dans son rapport au gouvernement de la Nouvelle- Écosse est d'examiner les programmes existants. S'ils donnent des résultats, il est peut-être souhaitable de les utiliser au lieu de se donner la peine d'établir son propre programme. Adoptez un produit qui a fait ses preuves. Une province comme la Nouvelle-Écosse aurait peut-être tout intérêt à envisager un programme comme le nôtre qui a donné des résultats. Quand nous avons l'occasion d'en discuter avec les autorités scolaires, nous leur suggérons d'examiner ce qui existe déjà.

Le sénateur Ataullahjan : Je voudrais savoir comment les enfants sont informés de l'existence de votre site web. Faites-vous de la publicité? Comment les enfants savent-ils que votre site web existe?

M. Knowlton : Premièrement, nous n'avons pas d'argent pour faire de la publicité et nous n'en faisons donc pas. C'est, dans une large mesure, en faisant une recherche sur Google. Ils trouvent ce renseignement et le transmettent aux autres. On peut voir des parents qui communiquent notre adresse sur Facebook et des élèves qui se la transmettent. Cela a fait graduellement augmenter notre visibilité. C'est une croissance organique. Depuis nos débuts, il y a trois ans, nous n'avons eu aucun budget pour promouvoir notre programme, l'envoyer aux écoles ou embaucher des gens pour téléphoner aux écoles afin de les en informer. Notre croissance a été organique, car l'information a été transmise de parent à parent dans certaines collectivités.

Le sénateur Meredith : Vous avez là un outil vraiment fantastique qui a été caché. Je vais faire suite à la question que ma collègue vient de poser sur la façon dont ces renseignements sont transmis. Vous avez dit que vous n'aviez pas de budget pour cela. Avez-vous songé à faire appel au secteur privé pour vous aider à promouvoir votre programme — aux grandes sociétés — pour qu'elles en fassent une mission sociale? Si vous ne l'avez pas fait, je vous conseille vivement de le faire. À la GTA Faith Alliance, nos efforts ont abouti parce que nous avons fait appel à plusieurs sociétés pour familiariser les jeunes à risque avec la technologie et nous avons réussi.

J'ai une question importante à vous poser au sujet de la gravité des cas signalés et je voudrais savoir si vous prenez l'initiative d'alerter les autorités locales lorsqu'on vous signale un cas grave et que la situation risque de s'aggraver si l'on tarde à intervenir. Vous envoyez votre rapport au directeur, mais avez-vous fait ce genre d'interventions?

M. Roberts : Si nous recevons une dénonciation aussi grave, nous incitons l'intéressé à s'adresser aux autorités locales. Si nous devons aider un élève à le faire, cela fait partie de notre action.

M. Knowlton : Nous avons dû le faire dans un cas. Une élève a trouvé Stop A Bully malheureusement trois jours après le suicide d'une amie. Elle a envoyé son rapport au sujet de l'incident. Bien entendu, c'est une triste affaire. On se demande toujours ce qui aurait pu arriver si elle avait été informée de l'existence du site quatre jours plus tôt. Nous avons transmis le rapport au directeur en l'informant que nous allions le communiquer à la GRC, qui avait ouvert un dossier sur cette affaire.

Pour ce qui est de votre question concernant le parrainage des sociétés, nous avons fait énormément d'efforts. Elles nous ont pratiquement toutes répondu que nous devions commencer par nous enregistrer comme organisme de bienfaisance.

Le sénateur Meredith : Qu'attendez-vous pour le faire?

M. Knowlton : C'est seulement la semaine dernière que nous avons obtenu les services d'un avocat, car nous n'avions pas les moyens d'en payer un. L'avocat va nous aider, mais on nous a dit que cette démarche dure de quatre à six mois.

Le sénateur Meredith : Cela pourrait être accéléré; ce ne devrait pas être aussi long. Compte tenu de la gravité du problème et du bon travail que vous faites, cela pourrait être accéléré par l'entremise de la direction générale. Je suis heureux d'apprendre que vous recherchez l'appui des sociétés pour poursuivre votre excellent travail.

Pour revenir à la question des commissions scolaires, avez-vous des représentants dans chaque province, dans des organisations qui vous aident à promouvoir votre programme ou comptez-vous, à l'avenir, avoir une certaine représentation régionale dans les provinces?

M. Roberts : Nous espérons en arriver là. Nous espérons pouvoir mettre sur pied un programme du même genre que les services d'assistance téléphonique aux enfants. Cela nous permettrait d'avoir une véritable présence nationale. Nous en avons déjà une, mais elle est seulement assurée par un petit groupe de bénévoles. Nous espérons pouvoir élargir notre programme pour combler les vides et en faire vraiment la promotion. Nous ne faisons aucune publicité active pour le moment, mais nous sommes quand même très occupés.

Le sénateur Meredith : Vous avez mentionné des incidents qui se sont produits en Nouvelle-Écosse. Je sais que deux adolescents se sont suicidés là-bas, l'année dernière, et qu'un autre jeune s'est suicidé à Ottawa, à la fin de l'année dernière, après avoir été intimidé en ligne. Les chiffres sont alarmants.

C'est une simple observation, car je vois que vous êtes un organisme sans but lucratif qui a du mal à joindre les deux bouts, mais qui fait un excellent travail. Mon organisation a commencé, il y a 11 ans, en faisant également un excellent travail, mais sans financement. Il est important de voir comment vous pouvez élargir votre rayon d'action en ayant des représentants et comment aborder les commissions scolaires. Il est important que les directeurs de l'éducation soient informés de votre programme, surtout dans des villes comme Toronto où l'intimidation est en hausse. Il y a un nouveau directeur de l'éducation qui favorise une plus grande utilisation de la technologie et incite les jeunes à participer à ces initiatives.

Il serait important de voir comment vous pourriez leur parler. Si vous avez besoin d'aide, je me ferai un plaisir de vous ouvrir des portes. Il faut que nous puissions sauver des vies et c'est ce que fait votre programme. Merci infiniment.

Le sénateur Ataullahjan : Je vous félicite pour le précieux outil que vous donnez aux jeunes, car c'est eux qui subissent les conséquences de l'intimidation.

Vous avez mentionné que les rôles sont fluides et qu'un enfant peut être un agresseur, une victime ou un témoin. Y a-t-il un cycle de violence faisant que les enfants qui sont intimidés deviennent des intimidateurs? Comment peut-on rompre ce cycle?

M. Roberts : C'est ce que nous constatons. En raison du stade de développement où en sont les enfants, ils agissent en grande partie impulsivement sans se rendre compte des conséquences. Ils minimisent vraiment ce qu'ils font. Souvent, ils ne comprennent pas les conséquences de la publication de quelque chose de privé. Il faut l'intervention d'un adulte compréhensif pour les aider à le comprendre. D'autres témoins ont dit qu'il faut développer leur responsabilité morale pour l'utilisation des outils en ligne.

Il y a une certaine fluidité entre les rôles. Souvent, les jeunes ne se rendent pas compte qu'ils peuvent créer un incident et que la fois suivante, ils vont l'observer et en parler à d'autres. À un moment donné, ils peuvent être victimes. Ils ne comprennent pas les divers rôles aussi bien que le ferait un adulte. Souvent, ils ne se rendent pas compte que certains de leurs actes frisent la criminalité. S'ils transmettent des photos de nudité d'un mineur, c'est une infraction au Code criminel concernant la distribution et la production de pornographie juvénile. Cela a fait l'objet d'une cause célèbre en Colombie-Britannique. Souvent, les jeunes ne le comprennent pas et c'est aux adultes de leur entourage de le leur dire.

Comme le dit M. MacKay, vous ne donneriez pas les clés d'une automobile à votre enfant sans qu'il n'apprenne d'abord à conduire et n'obtienne son permis. Pourtant, de nombreux parents achètent ces appareils pour leurs enfants sans vraiment comprendre les risques qu'il y a à mettre un instrument de communication entre leurs mains. Ils ne comprennent pas les risques que les communications de ce genre pourraient représenter pour leurs enfants. Que ce soit un terminal mobile ou l'ordinateur portable qui se trouve dans la chambre, il n'est pas surveillé.

Quand les ordinateurs sont apparus sur le marché, les parents ont été largement informés de la nécessité de les placer dans des endroits sûrs : il faut qu'ils se trouvent dans la cuisine ou en bas où l'on peut exercer une surveillance. Toutefois, avec les terminaux mobiles ou portables, ce n'est plus possible. Les enfants les utilisent en privé et souvent, les parents ignorent totalement comment surveiller ce qui se passe.

M. Knowlton : En ce qui concerne les rôles de victime et d'agresseur, si vous le permettez, je peux vous donner un exemple montrant la complexité de la cyberintimidation. Souvent, pendant le week-end, les élèves affichent en ligne des photos prises avec leur téléphone cellulaire. Dans cet exemple, une jeune fille avait bu beaucoup trop d'alcool et on a pris d'elle des photos très embarrassantes. Ces photos ont été affichées instantanément sur Internet et la scène a donc été vue non seulement par ceux qui participaient à la fête, mais aussi par tous les élèves de l'école. Comme ils sont tous reliés par Facebook, cela leur a sans doute permis de voir les photos dans les heures qui ont suivi.

J'essaie d'imaginer ce qui s'est passé dans la tête de cette jeune fille. Le dimanche, elle a dû se rendre compte, à un moment donné, que toute l'école avait vu cette photo d'elle. Selon le soutien qu'elle a pu recevoir au sein de sa famille elle a pu se sentir extrêmement anxieuse à l'idée de devoir retourner à l'école le lundi matin, sachant que tout le monde avait vu la photo.

Vous voyez dans quel était de désarroi cette jeune fille a pu se retrouver le dimanche soir. Pour en revenir à la photo, il y a de bonnes chances pour qu'elle ait été prise par sa meilleure amie. C'est là que la situation se complique. La jeune fille qui a pris la photo et qui l'a affichée pensait-elle être une intimidatrice ou faisait-elle de la cyberintimidation? Elle a pris ce qu'elle croyait être une photo amusante de son amie, elle l'a publiée dans Internet et a passé la soirée tranquillement.

C'est un exemple qui montre combien la situation peut être complexe. Ce cas de cyberintimidation a pu pousser cette élève au désespoir le dimanche soir et pourtant c'est peut-être sa meilleure amie qui a fait cela sans avoir la moindre idée des torts qu'elle pouvait causer à l'autre jeune fille.

Le sénateur Ataullahjan : Nous n'avons cessé d'entendre dire, toute la soirée, que les parents doivent intervenir. Comment pouvons-nous les y amener? Nous pouvons adopter des lois et parler aux enfants, mais rien ne changera tant que les parents des intimidateurs ne sauront pas ce que leurs enfants font en ligne. Lorsque les gens dénoncent un incident sur Stop A Bully, les directeurs d'école s'adressent-ils aux parents? Ont-ils déjà contacté des parents pour leur faire savoir ce que leur enfant faisait en ligne?

M. Knowlton : Il nous est difficile de le dire, car cela nous ramène à notre rôle. Nous sommes conscients de nos limites. Nous sommes un programme de dénonciation. Nous transmettons les renseignements au directeur d'école sans chercher à savoir ce qui se passe par la suite.

Nous pensons que l'école et son directeur, qui connaît la situation, qui connaît les parents, ont tout intérêt à résoudre la situation. Je suis sûr que des parents sont intervenus. Je suis d'accord pour dire que les parents peuvent apporter la solution de ce problème. Il faut qu'ils sachent ce que font les élèves, les dispositifs dont ils disposent et ce qu'ils en font. Il nous est difficile de répondre à cette question et de vous dire ce que l'on fait exactement des dénonciations.

Le sénateur Ataullahjan : Nous entendons dire, et tous les experts sont d'accord, que la meilleure solution pour assurer la sécurité en ligne est que les parents exercent une surveillance et fassent preuve de vigilance.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous les deux d'être venus. Comme vous pouvez le voir d'après les questions, nous appuyons votre travail et nous vous sommes reconnaissants de faire tout ce travail bénévolement. Nous vous souhaitons bonne chance et nous vous remercions pour votre présence parmi nous.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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