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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 13 - Témoignages du 14 mai 2012


OTTAWA, le lundi 14 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 15e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

Je m'appelle Mobina Jaffer, et en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

Je voudrais vous souhaiter la bienvenue au comité. Je vais présenter les membres du comité en commençant par le vice-président.

Le sénateur Brazeau : Sénateur Patrick Brazeau, du Québec.

Le sénateur Ataullahjan : Sénateur Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

Le sénateur Harb : Sénateur Mac Harb, de l'Ontario.

[Français]

La présidente : Le 15 mars 2001, le Sénat a modifié son Règlement afin de créer un nouveau comité permanent, soit celui des droits de la personne. Ce comité assume plusieurs fonctions, notamment celles de sensibiliser le public, de veiller à la bonne mise en application et au respect des lois et principes internationaux des droits de la personne, et de s'assurer que les lois et politiques canadiennes sont bien mises en application et ce, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 23 novembre, notre comité a déposé un rapport sur l'exploitation sexuelle des enfants. Au cours de notre étude, nous nous sommes attachés aux causes de l'exploitation sexuelle des enfants et nous avons souligné le rôle de l'Internet.

On a en effet attiré notre attention sur le fait que l'Internet avait élargi la portée de l'exploitation sexuelle en facilitant un contact direct et anonyme. Après avoir établi le rôle joué par l'Internet dans l'exploitation sexuelle des enfants, notre comité a décidé d'examiner les autres façons dont l'Internet nuit à la sécurité de nos enfants.

Le 30 novembre 2011, le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et d'en faire rapport.

[Traduction]

Le 30 novembre 2011, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a été autorisé par le Sénat à étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et à faire rapport sur la question.

Le 18 avril 2011, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies a précisé que la violence mentale telle qu'entendue à l'article 19 de la convention peut inclure :

Les brimades et le bizutage psychologiques de la part d'adultes ou d'autres enfants, y compris au moyen de technologies de l'information et de la communication comme les téléphones mobiles et Internet (on parle alors de cyberintimidation).

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne n'ignore pas que l'intimidation a pris une nouvelle forme. Elle est entrée dans les salles de classe et les cours d'écoles, dans la sécurité de nos foyers au moyen d'Internet. En plus de la violence sociale, verbale et physique que doivent subir de nombreux enfants, la cyberintimidation pose un problème supplémentaire pour les jeunes d'aujourd'hui.

La police de Montréal définit la cyberintimidation comme la publication en ligne de messages menaçants ou dégradants à propos d'une personne en se servant de mots ou d'images et cela comprend aussi le harcèlement.

La cyberintimidation se manifeste dans des courriels, dans des clavardoirs, dans des groupes de discussion, dans des sites web et dans des messageries instantanées.

C'est un problème auquel de nombreux jeunes sont confrontés. Selon des études récentes, 25 p. 100 des jeunes qui surfent sur le Net disent avoir reçu des messages haineux, par courriel, au sujet d'autres jeunes.

Au cours de la dernière décennie, nous avons vu l'intimidation passer des salles de classe et des terrains de jeux à nos foyers au moyen d'Internet. De nos jours, en raison de la popularité et de l'utilisation très répandue d'appareils portatifs et de téléphones intelligents, il est devenu très difficile, sinon impossible, d'échapper aux cyberintimidateurs. On pourrait dire que les dispositifs portatifs comme les BlackBerry et les iPhone font maintenant partie de l'anatomie d'un grand nombre de jeunes, car ces derniers s'en séparent rarement.

Sans protection et sans aide, de nombreux enfants qui sont victimes de cyberintimidation se retrouvent seuls pour affronter ces difficultés. Notre comité a l'intention d'examiner les façons dont nous pourrions protéger nos enfants.

C'est avec plaisir que nous vous accueillons au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous avons hâte d'entendre vos déclarations préliminaires. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir aujourd'hui. Je tiens à faire savoir aux téléspectateurs que notre premier groupe de témoins est constitué de Stu Auty, président du Canadian Safe School Network; Paul Taillefer, président de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants; Sandi Urban Hall et David Birnbaum, de l'Association canadienne des commissions scolaires; et A. Wayne MacKay, professeur et doyen associé de recherche, École de droit Schulich, de l'Université Dalhousie, qui témoignera par vidéoconférence. M. MacKay vient d'écrire un rapport sur la cyberintimidation pour le gouvernement de la Nouvelle-Écosse.

Nous avons hâte de vous entendre. Je crois que M. Auty va commencer en premier.

Stu Auty, président, Canadian Safe School Network : Merci pour l'invitation d'aujourd'hui. Parlant au nom de la Canadian Safe School Network, je dirais que nous ne saurions trop insister sur l'importance du sujet d'aujourd'hui.

Personnellement, je suis particulièrement satisfait que le problème soit reconnu à ce niveau. Il semble que le gouvernement canadien — en tout cas le Sénat canadien et le comité — recherche une forme d'intervention qui changera les choses. J'en suis très content. Je me réjouis de participer à cette initiative.

Pratiquement tout le monde, je pense, comprend ce qu'est l'intimidation. Ce n'était pas toujours le cas, il y a quelques années, comme la plupart des gens s'en rendent compte, je crois. Il y a quelques années, c'était une étape par laquelle tout le monde devait passer à l'adolescence. En principe, vous sortiez de l'adolescence en un seul morceau et tout allait bien ensuite. Aujourd'hui, tout le monde, ou presque, reconnaît que ce n'est pas toujours vrai. Certains cas, et la conversation que nous avons aujourd'hui, en ce lieu, soulignent cette réalité.

Le Canadian Safe School Network a pour mission de réduire la violence dans les écoles canadiennes. Nos clients sont les enfants vulnérables qui sont souvent les principales cibles de ce dont nous parlons aujourd'hui, soit la cyberintimidation. Leur adolescence est certainement une période de leur vie où ils subissent les pressions de leurs pairs et ressentent le besoin d'appartenir à un groupe. Comme vous pouvez l'imaginer, une petite fille en huitième année ou un garçon de 12 ans ressentent le besoin d'être comme les autres. Que ce soit les vêtements qu'ils portent ou leur apparence, c'est une période extrêmement importante de leur vie. Comme vous pouvez l'imaginer, si les enfants, qui sont les principales cibles de la cyberintimidation, font l'objet d'un message publié sur Internet qui les qualifie de trop gros ou trop maigres, trop grands ou peut-être trop petits, ou s'ils ont des doutes au sujet de leur identité sexuelle, ces enfants sont des victimes potentielles. C'est une épreuve difficile à traverser. Dans bien des cas, ces messages sont pour eux une forme de torture. Pour un jeune LGTB à la recherche de son identité sexuelle, vous pouvez imaginer la difficulté. Nous savons maintenant que les cas de suicide sont assez fréquents. Nous en entendons parler maintenant, mais on n'en parlait pas avant. Je pense que cela souligne les répercussions que la cyberintimidation a vraiment.

Le Canadian Safe School Network s'efforce de s'acquitter de son mandat grâce à une intervention précoce et à la prévention. Si nous mettons l'accent sur l'intervention précoce et la prévention, c'est pour une raison bien simple. Le plus tôt vous intervenez auprès des enfants qui ont des problèmes de comportement ou d'autres difficultés à l'école, meilleures sont vos chances de les remettre sur la bonne voie. Une fois qu'ils apprennent la différence entre le bien et le mal — ils ne l'apprennent peut-être pas à la maison ou dans la rue, mais à l'école — quand ces enfants atteignent l'âge de 15, 16, 17 ou 18 ans et ont des querelles, il est très peu probable qu'ils prendront un revolver ou un couteau pour résoudre le conflit parce qu'ils connaissent la différence entre le bien et le mal.

Le Canadian Safe School Network mise sur une intervention précoce. Nous avons des programmes, à l'intention des jeunes enfants, qui mettent l'accent sur les valeurs. Les valeurs enseignées à l'école, sinon à la maison, peuvent avoir énormément d'effets sur l'avenir de nos enfants.

Pour vous parler un peu de notre organisme, le Canadian Safe School Network, nous tenons des conférences de perfectionnement professionnel sur la sécurité à l'école aux quatre coins du pays. Nous organisons des sessions d'étude intensive à l'intention des enseignants sur ces questions. Nous élaborons des outils scolaires sur la sécurité à l'école pour les classes de la maternelle à 12e année et nous offrons un programme scolaire de modification du comportement aux écoles primaires de premier niveau. Nous sommes également à l'écoute des jeunes grâce à un forum de questions et réponses sur le Net intitulé « When Nobody's Listening » qui guide et conseille les victimes d'intimidation du monde entier.

Je dois dire que nous avons commencé cela il y a plusieurs années. Notre site reçoit un certain nombre de visites des divers pays du monde. Il y a peu de différence entre ce qui se passe à l'étranger et au Canada; c'est très similaire. Les enfants essaient de progresser dans la vie, mais ils sont tout à coup bloqués pour une raison ou une autre, à cause de l'image qu'on donne d'eux.

Je peux vous dire que la cyberintimidation vient en tête de liste. Nous parlons de l'intimidation physique du passé et de la verbalisation des problèmes qu'un enfant éprouve vis-à-vis d'un autre et d'autres conflits, mais la cyberintimidation vient en tête de liste en ce qui nous concerne. Le genre de renseignements et les visites que nous recevons des différents pays montrent que c'est le principal problème.

Que pouvons-nous faire pour y remédier? Telle était la question. Je crois que je dispose d'environ cinq minutes et je vais donc m'en tenir à cinq minutes.

Que pouvons-nous faire? Qu'est-il possible de faire? Mon organisme y a réfléchi. Comme chacun sait, c'est un problème très complexe. Comme nous nous occupons de ce genre de questions depuis un certain nombre d'années, nous savons que nous ne suffisons plus à la tâche. Nous n'avons pas d'outils comme ceux que nous étions en mesure d'élaborer par le passé. J'ai mentionné les ressources dont nous disposons. Nous élaborons des outils pour les écoles, la formation et ce genre de choses, mais nous ne suffisons pas à la tâche. La cyberintimidation exige de nouveaux outils, des outils provenant de deux formes de règlementation dont nous constatons la nécessité dans notre pays. Nous avons aussi besoin d'une volonté politique. Je ne sais pas ce que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne peut faire au sujet de la volonté politique, mais vous pouvez peut-être mettre le Parlement sur la bonne voie. Nous avons actuellement au Canada une loi sur le harcèlement criminel que nous croyons insuffisante. L'interdiction que prévoit la loi ne cible pas suffisamment, si même elle les cible, les messages électroniques qui ont un impact profondément préjudiciable.

Je vais le répéter. La loi sur le harcèlement criminel est tellement désuète que ce n'est pas l'outil qu'il faut. L'interdiction que prévoit la loi ne vise pas suffisamment, si même elle les vise, les messages électroniques. Il faut changer cela. Je ne suis pas avocat, mais il est facile pour le Parlement de dire qu'il faut modifier la loi, qu'il faut changer les choses et régler le problème dans le cadre de la loi sur le harcèlement que nous avons actuellement. Cette loi exige une modification.

Pour ce qui est de deuxième recommandation, il ne semble pas y avoir de moyen efficace de permettre aux fournisseurs de services d'éliminer les messages négatifs. Pensez à l'importance d'un message négatif. Quand une petite fille ou un petit garçon — ou n'importe qui d'autre — fait l'objet d'un message publié sur Internet, sa première réaction est de vouloir que ce message disparaisse. Il n'existe aucun moyen de le faire disparaître pour le moment. Nous ne pouvons pas supprimer ces messages. Si vous pensez à ce qu'est l'intimidation, selon la définition courante, c'est un acte répété. C'est un acte négatif qui est répété et qui produit sur quelqu'un des effets répétés.

Du point de vue juridique, si vous publiez quelque chose sur Internet, c'est un acte ponctuel — encore une fois, je ne suis pas avocat. Le message reste là. Il n'est pas répété. Sa publication est ponctuelle, mais il y a répétition en ce sens que le message ne disparaît pas. Le message négatif a un effet douloureux qui est répété de nombreuses fois. Si vous y réfléchissez, il faut faire quelque chose. Je ne peux pas vous dire quoi, mais je peux vous dire que le résultat que je souhaite, c'est l'élimination du message; autrement dit, un moyen permettant au gouvernement, aux commissions scolaires, aux écoles, aux enseignants ou aux parents de faire disparaître un message négatif.

J'ai fait quelques recherches pour notre organisme sur le harcèlement et j'ai joint deux exemples qui pourront peut- être éclairer le comité. Le premier est la loi sur le harcèlement criminel du Massachusetts, l'article 43A. Je ne vais pas entrer dans les détails, car je ne suis pas expert en la matière. Toutefois, le Massachusetts a cherché à remédier à la situation en adoptant une loi sur le harcèlement criminel qui vise ce genre de messages électroniques. C'est au Massachusetts.

Au Wisconsin, il y a une loi sur l'utilisation illégale des ordinateurs. Cet État s'est attaqué au problème. Il a énoncé toute une liste d'interdictions qui ne figurent pas dans la loi canadienne sur le harcèlement.

D'autres pays civilisés s'attaquent au problème. Le Canada peut certainement devenir un de ces pays civilisés. Il s'agit seulement d'avoir la volonté politique de le faire.

Je dirai seulement que notre organisme met l'accent sur deux choses. En résumé, le CSSN demande au Comité sénatorial permanent des droits de la personne de recommander au Parlement canadien, premièrement, de légiférer pour obliger les fournisseurs de service à supprimer les messages négatifs et, deuxièmement, de modifier la loi canadienne sur le harcèlement criminel pour qu'elle s'attaque efficacement à la cyberintimidation.

La présidente : Nous avons apprécié votre exposé. Nous allons maintenant entendre la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants.

Paul Taillefer, président, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : Merci, madame la présidente. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Myles Ellis, sous-secrétaire général par intérim de la FCE.

Pour vous présenter la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, c'est un organe national bilingue qui représente 200 000 enseignants au Canada. Nous avons 16 organismes membres dans les provinces et les territoires et un membre affilié. C'est avec plaisir que nous participons, aujourd'hui, aux discussions sur des problèmes reliés à l'utilisation abusive des technologies de l'information et des communications, particulièrement les technologies numériques et les médias sociaux en pleine évolution.

C'est un sujet sur lequel la FCE se penche depuis un certain temps. Nous avons défini la cyberintimidation comme « l'utilisation des technologies de l'information et des communications pour intimider, embarrasser, menacer ou harceler une autre personne ». Cela comprend aussi l'utilisation de ces technologies pour se conduire ou se comporter d'une façon méprisante, diffamatoire, dégradante ou illégale.

Comme je l'ai dit, la FCE a commencé à s'occuper de ce problème en 2007. À notre assemblée générale annuelle de 2008, nous avons adopté une politique détaillée et complète visant à remédier à la cyberintimidation dans l'ensemble du Canada. Les principes directeurs partent du principe que des écoles sûres, favorisant un milieu de travail sain pour les enseignants et un environnement d'apprentissage sain pour les enfants et les adolescents devraient constituer une priorité nationale. Les droits individuels à la liberté d'information et le droit à la liberté de pensée, la liberté de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres médias de communication, doivent être en équilibre avec les droits et responsabilités des enfants et des adolescents et ceux des personnes qui occupent des postes de confiance pour les protéger. La politique de la FCE insiste sur le besoin d'éducation comme l'élément clé qui exige que l'on règle et prévienne la cyberintimidation et que l'on protège les élèves et les enseignants contre ses méfaits. Elle mentionne également les rôles et les responsabilités des parents, des tuteurs, des écoles, des commissions scolaires, des districts scolaires, des enseignants, des élèves, des organisations d'enseignants, des ministères de l'éducation et du gouvernement.

En 2008, nous avons mené une enquête sur les problèmes qui se posent au niveau national sur le plan de l'éducation. Cette enquête a révélé que plus des trois quarts des Canadiens connaissaient l'expression « cyberintimidation ». Ce nombre est probablement plus élevé aujourd'hui. Nous avons aussi demandé aux Canadiens s'ils connaissaient, dans leur collectivité, un élève qui avait été victime de cyberintimidation au cours de l'année précédente. Le tiers des Canadiens interrogés ont répondu « oui » et 16 p. 100 ont dit connaître un enseignant de leur collectivité qui avait également été la cible de cyberintimidation. C'était en 2008. Les enseignants canadiens ont classé cette question comme leur principal sujet de préoccupation parmi six autres sujets. À notre avis, ce qui a été fait jusqu'ici, au Canada, sur le plan de la recherche, des lois et des groupes de travail n'est pas suffisant. Nous avons été trop souvent témoins des conséquences tragiques que l'intimidation peut avoir en provoquant des troubles mentaux et des suicides d'adolescents.

Dans le cadre d'une enquête menée en février dernier, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants a demandé aux enseignants ce qu'ils pensaient des problèmes de santé mentale des élèves de leur école. Nous leur avons demandé quelles étaient, parmi les questions suivantes, celles qui constituaient un problème pressant dans leur établissement. Dans mon mémoire, vous trouverez un graphique. Parmi les problèmes les plus pressants désignés par les enseignants répondants figuraient les troubles de l'attention, les troubles d'apprentissage, le stress et les troubles anxieux. Nous leur avons également demandé quels étaient les obstacles qui pouvaient empêcher de fournir des services de santé mentale aux élèves de leur école. Il n'est pas étonnant que la plupart des enseignants aient répondu que c'était le nombre insuffisant de professionnels de la santé mentale travaillant dans les établissements scolaires.

Nous avons aussi demandé aux enseignants selon quelle fréquence ils avaient vu un élève traité de façon injuste, intimidé ou taquiné à cause d'un problème de santé mentale et 21 p. 100 des enseignants ont répondu qu'ils avaient souvent vu un élève se faire traiter injustement, intimider ou taquiner à cause d'un problème de santé mentale. Seulement 17 p. 100 des enseignants ont pu dire qu'ils n'avaient jamais été témoins d'un traitement injuste provoqué par un problème de santé mentale.

Il y a quelques semaines, le Dr Patrick Bailey, de la Commission de la santé mentale du Canada, a pris la parole à l'assemblée annuelle de l'Association canadienne pour une étude pratique de la loi dans le système éducatif, l'ACEPLSE, à Ottawa. Il a fait le lien entre l'intimidation et la santé mentale. Il a expliqué que des antécédents de victimisation et de mauvaises relations sociales prédisent l'apparition de problèmes émotionnels chez les adolescents et qu'il y a une importante corrélation entre les problèmes émotionnels récurrents et la victimisation future. Il a décrit la victime et l'intimidateur typiques qui souffrent, probablement d'un problème de santé mentale. Il a dit que l'intimidateur typique manifeste un comportement d'extériorisation marqué; des symptômes d'internalisation; à la fois des compétences sociales et des difficultés scolaires; des attitudes et des croyances négatives à l'égard d'autrui; des cognitions autoréférentielles négatives; il est issu d'un milieu familial caractérisé par des conflits et une surveillance parentale inadéquate; il a davantage tendance à percevoir une atmosphère négative dans son école; il est influencé par des facteurs communautaires négatifs; et il a tendance à être influencé de façon négative par ses pairs. Il a dit aussi que la probabilité relative de souffrir de troubles psychiatriques était 9,5 fois plus élevée pour les intimidateurs du sexe masculin, 7,9 fois plus élevée pour les victimes d'intimidation de sexe masculin et 4,3 fois plus élevée pour les victimes du sexe féminin.

Les études montrent, l'une après l'autre, une corrélation directe entre les problèmes de santé mentale attribuables à l'intimidation et les résultats scolaires. Les enseignants veulent intervenir le plus tôt possible, mais ils ont besoin de l'aide des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et des commissions scolaires. Il est temps d'engager un dialogue national officiel entre les gouvernements, les intervenants du secteur de l'éducation et les fournisseurs de TIC privés. Le secteur des TIC doit être directement informé de la difficulté que les écoles, les familles et les collectivités ont à résoudre le problème de la cyberintimidation. Les intervenants doivent entendre ce que les fournisseurs de TIC font pour y remédier et les engagements qu'ils sont prêts à prendre dans le cadre de leurs responsabilités. Le gouvernement doit jouer un rôle pour réunir les parties et faciliter le changement.

La FCE a présenté, à plusieurs reprises, des mémoires à des comités parlementaires et a rencontré les fonctionnaires de Justice Canada pour les exhorter à modifier le Code criminel de façon à remédier au harcèlement en ligne, le cyber harcèlement, et à la cyberintimidation.

Nous avons un certain nombre de recommandations que nous aimerions proposer. Les enseignants canadiens demandent au gouvernement du Canada — aux ministères de la Justice, de la Santé, de la Sécurité publique, de l'Industrie, entre autres — de les soutenir en reconnaissant l'impact considérable d'un usage abusif de la technologie se manifestant par une cyber conduite répréhensible et la cyberintimidation, en soutenant des campagnes de sensibilisation et d'éducation du public portant sur la cyber conduite appropriée et la prévention de la cyberintimidation; en appuyant des modifications au cadre réglementaire pour la classification des films et des jeux vidéo afin de réduire la possibilité que des produits excessivement violents soient vendus aux enfants et aux adolescents; en appuyant des modifications au Code criminel du Canada qui précisent clairement que l'utilisation des technologies de l'information et des communications pour envoyer des messages qui menacent de mort ou d'agression ou qui visent à faire peur et à intimider autrui constitue une infraction punissable en vertu du Code criminel; en aidant à adopter une nouvelle loi sur les technologies de l'information et des communications, la cyber inconduite et la cyberintimidation protégeant les enseignants, les élèves et les autres et en facilitant, grâce à une réglementation et des mesures législatives, un dialogue national avec les fournisseurs de TIC dans le but d'amener le secteur privé et le secteur public à unir leurs efforts contre la cyberintimidation. Ce serait un grand pas en avant pour mettre fin à la cyberintimidation.

Comme cela a été récemment suggéré quand la Commission de la santé mentale du Canada a publié sa Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada, le gouvernement devrait soutenir l'élaboration d'une stratégie nationale pour s'attaquer à l'intimidation, y compris la cyberintimidation. Il faudrait commencer par orchestrer un symposium national des intervenants du milieu de l'enseignement et des dirigeants communautaires pour commencer à adopter une stratégie uniforme d'un bout à l'autre du pays. Conformément à l'adhésion du Canada à la Déclaration des Nations Unies sur les droits de l'enfant, chaque enfant, peu importe l'endroit du pays où il réside, a le droit de vivre dans une collectivité et de fréquenter une école où il est en sécurité.

Je vous remercie de nous avoir invités ici aujourd'hui. Nous avons hâte de poursuivre la discussion.

La présidente : Merci pour cet exposé. Nous allons certainement examiner vos recommandations.

Nous allons maintenant entendre l'Association canadienne des commissions scolaires.

Sandi Urban-Hall, présidente désignée, Association canadienne des commissions scolaires : Merci et bon après-midi, madame la présidente et sénateurs.

L'Association canadienne des commissions scolaires est un organisme national dont les membres sont les commissions scolaires provinciales. Nous représentons plus de 250 commissions scolaires qui desservent plus de 3 millions d'élèves du primaire et du secondaire aux quatre coins du pays. Une bonne partie du travail que nous faisons comme organisation nationale consiste à échanger de l'information et des pratiques exemplaires, à tenir un dialogue national sur de nombreuses questions qui touchent les élèves dans nos systèmes d'éducation provinciaux.

Je suis accompagnée aujourd'hui de David Birnbaum, directeur exécutif de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Mes collègues de la Nouvelle-Écosse ont, dans cet esprit de partage de l'information, fortement recommandé à leurs collègues de l'association nationale de lire l'ouvrage de Wayne MacKay, The Report of the Nova Scotia Task Force on Bullying and Cyberbullying, qui a été publié récemment.

Vous remarquerez particulièrement, dans l'ouvrage de M. MacKay, une analyse des lois, des politiques et pratiques scolaires, de la législation et des recherches existant dans différents endroits, qui donne un aperçu intéressant et global de la situation sur le plan du droit, de la législation et sur le plan pratique.

J'attire aussi votre attention sur le changement de définition que M. MacKay propose dans son rapport. L'intimidation est généralement un comportement répété qui vise à causer, ou dont on sait qu'il cause de la peur, de l'intimidation, de l'humiliation, de la détresse ou d'autres torts à une autre personne sur le plan de son intégrité physique, de ses sentiments, de son estime de soi, de sa réputation ou de ses biens. L'intimidation peut être directe ou indirecte et peut-être faite par écrit, verbalement, physiquement ou par des moyens électroniques ou d'autres formes d'expression.

La cyberintimidation, qu'on appelle également l'intimidation électronique, est une forme d'intimidation exercée au moyen de la technologie. Cela peut inclure l'utilisation d'un ordinateur ou d'autres dispositifs électroniques, l'utilisation des réseaux sociaux, des textos, des messageries instantanées, des sites web, du courriel ou d'autres moyens électroniques. Une personne fait de l'intimidation si elle se livre directement à ce comportement ou si elle aide ou favorise ce comportement d'une façon quelconque.

C'est seulement depuis peu que l'intimidation est perçue comme un problème de relations qui exige donc des résultats au niveau des relations. C'est une forme d'agression qui a lieu dans le cadre d'une relation où une personne affirme son pouvoir interpersonnel sur une autre personne. Dans cette relation, un enfant apprend comment se servir du pouvoir et de l'agression pour dominer ou tourmenter une autre personne, tandis que l'autre enfant est victimisé de façon répétée et risque de se laisser de plus en plus souvent piéger dans des relations abusives.

Paradoxalement, malgré une meilleure sensibilisation aux effets de l'intimidation et de la cyberintimidation dans notre société, la violence augmente et les relations deviennent de plus en plus instables, sans que cela soit considéré comme inacceptable.

Le public, y compris le système d'éducation financé par l'État, a l'obligation d'intervenir et de soutenir à la fois la victime et l'intimidateur. Nous devons éduquer les enfants au sujet de leurs droits, de leurs responsabilités et de leurs relations. Que l'intimidation ait lieu ou non sur le terrain de l'école, ses effets se font sentir à l'école.

Le but des conseils scolaires est de créer un environnement où l'excellence de l'apprentissage est une priorité et tout le monde se sent inclus. Nous croyons que tous les élèves, parents et tuteurs, employés, bénévoles et visiteurs ont le droit d'être en sécurité et de se sentir en sécurité dans leur école. Les élèves sont invités à assumer la responsabilité de leur comportement et à accepter les conséquences de leurs actes.

Les différents conseils scolaires ont des stratégies particulières, mais il y a des thèmes communs qui se fondent sur la recherche et des données que j'aimerais que nous explorions ensemble dans l'entretien que nous aurons après les exposés.

Une série de valeurs et d'attentes clairement définies et bien communiquées a une importance fondamentale. Les écoles utilisent divers programmes éducatifs pour enseigner les valeurs et les comportements appropriés afin d'aider les élèves à apprendre l'importance de faire des choix positifs.

La prévention et la sensibilisation représentent un investissement à long terme et malheureusement, c'est une des choses que le public ne voit pas. Souvent, le travail des commissions scolaires de tout le pays, le travail de mes collègues qui sont ici, reste invisible.

Il importe que vous sachiez que les écoles réagissent devant les comportements des élèves qui posent un risque pour la santé et le bien-être des autres élèves, du personnel et des membres de la collectivité. Ce travail reste en grande partie dans l'ombre, car il est fait dans un environnement respectueux par nos enseignants et nos administrateurs d'écoles. Les politiques de tolérance zéro dont on parle beaucoup donnent l'impression qu'on agit, mais elles ne sont pas efficaces.

La sécurité dans les écoles exige beaucoup plus qu'une simple évaluation de la menace ou une discipline draconienne. Cela exige des initiatives de prévention fondées sur des preuves pour sécuriser l'atmosphère de l'école, des relations solides entre les membres du personnel et les élèves, une formation permanente et une amélioration de l'ensemble des politiques, modes opératoires et protocoles qui visent à promouvoir un comportement socialement responsable.

David Birnbaum, directeur exécutif, Association des commissions scolaires anglophones du Québec, Association canadienne des commissions scolaires : En tant que représentant de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, qui travaille en collaboration étroite avec l'Association canadienne des commissions scolaires, nous voudrions parler de deux expériences que nous avons eues en vous invitant à poser des questions plus tard à ce sujet et nous vous exhortons à tenir compte d'une ou deux priorités fondamentales que nous avons constatées clairement.

La première est que toutes ces technologies constituent à la fois une opportunité et une menace. Nos débats, qu'ils soient d'ordre législatif, moral, comportemental ou éducatif, semblent trop souvent se concentrer sur la technologie omniprésente et la menace qu'elle constitue pour les jeunes.

Nous croyons que, premièrement, nous savons que la technologie restera omniprésente. Nous n'avons pas la possibilité de l'éliminer. Le choix que nous avons est de trouver des moyens de l'adopter et de limiter ses effets négatifs lorsqu'il y en a. L'Association des commissions scolaires anglophones du Québec a eu deux occasions d'examiner ces questions, d'abord par l'entremise d'un groupe de travail que nous avons constitué et qui s'intitulait Épanouissement, respect, responsabilités, Rapport et recommandations sur l'impact d'Internet et des autres technologies de l'information sur les écoles publiques anglophones du Québec.

Nous avons eu le privilège de compter, parmi les membres de ce comité, Mme Shaheen Shariff, qui a témoigné devant le comité lors d'une séance antérieure, ainsi que le sergent-détective de la Sûreté du Québec, la force de police provinciale du Québec.

Une des principales conclusions du groupe de travail est que la technologie doit être comprise, examinée et, comme vous l'avez entendu dire et vous continuerez de l'entendre, j'en suis sûr, elle doit être délimitée et réglementée. Les fournisseurs de cette technologie doivent avoir la possibilité et l'obligation d'assurer une supervision et une coopération avec les forces policières quand c'est nécessaire. Néanmoins, il s'agit là de comportements qui ont toujours été présents et que nos enfants adoptent maintenant de façon parfois dangereuse et parfois très positive. Nous vous exhortons à comprendre, ce qui n'est pas facile, qu'on ne peut pas examiner le problème sans examiner en même temps les possibilités. Si vous faites les deux, la portée et les limites de la loi deviennent évidentes. Comme vous l'avez entendu dire, ce sont des éléments à considérer, mais pas les seuls.

Je dirais qu'une dimension qui relève peut-être davantage de la compétence des provinces en matière d'éducation, mais qu'il est important que vous compreniez, est le manque d'information qui contribue à certains des problèmes dont nous parlons.

Les parents ne comprennent pas aussi bien que leurs enfants comment fonctionnent ces technologies. Ils ne les voient pas comme une menace ou comme une possibilité. Ils ne savent pas comment en parler avec leurs enfants. Nos enseignants doivent avoir les outils voulus pour pouvoir adopter pleinement les TIC et être soutenus par la direction de leurs commissions scolaires et leur gouvernement pour la mise en œuvre de ces technologies, mais cela doit commencer par le perfectionnement professionnel qui nous permettra de faire ce que nous n'avons pas eu à faire jusqu'ici, c'est-à- dire de nous garder au même niveau que nos enfants. Ils comprennent cette technologie mieux que nous et si nous voulons travailler avec eux et les guider, nous devons la comprendre aussi bien qu'eux.

Un dernier principe, que notre présidente nationale a d'ailleurs mentionné, est que nous vous exhortons d'examiner la loi et les politiques dans le cadre d'une discussion nationale que nous croyons vraiment nécessaire de tenir maintenant, tout en reconnaissant les limites de cette discussion. Mais surtout, il faut reconnaître, même si c'est difficile pour des gens de notre génération, les limites absolues de la discipline à cet égard.

Comme Mme Shariff a dû vous le dire, la discipline ne peut pas être la seule solution. Elle doit être assurée dans un certain contexte, être dirigée vers les intimidateurs et toujours associée à l'éducation pour leur permettre d'apprendre d'autres comportements plus appropriés. C'est une tâche difficile qui ne s'arrête pas à la loi, mais la loi en est certainement un des éléments.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions. Je vais d'abord demander un éclaircissement.

Mme Urban Hall : Je ne sais pas si M. MacKay voulait dire quelque chose.

La présidente : Il répondra aux questions et pourra sans doute dire ce qu'il avait à dire. Merci.

Je voudrais seulement une précision en m'adressant d'abord à M. Auty, du Canadian Safe School Network. Vous avez dit que vos clients sont les enfants les plus vulnérables, qui sont souvent la cible de cyberintimidation. Vous avez défini, un peu plus tard, ce que vous entendez par « vulnérable ». Je voudrais alors faire le lien avec ce que M. Taillefer a dit au sujet de l'intimidation. Votre étude montre qu'il y a une corrélation directe entre l'intimidation, les troubles de santé mentale et la réussite scolaire. J'aimerais que vous nous parliez davantage de ces deux aspects.

Pour commencer par vous, monsieur Auty, pourriez-vous définir ce que vous considérez comme des enfants vulnérables? Vous avez abordé la question de l'orientation sexuelle, mais il y a aussi les autres minorités. J'aimerais que vous nous en parliez davantage.

M. Auty : Les enfants qui sont vulnérables sont souvent victimes, comme je l'ai mentionné. La vulnérabilité peut être créée. Un enfant peut être vulnérable dans une école primaire, par exemple, qui est un milieu heureux. Il a des amis et il est apprécié. L'enfant déménage. C'est une adolescente qui s'intéresse aux garçons et à qui les garçons s'intéressent. Elle va dans une autre école et se retrouve tout à coup à l'extérieur du groupe. Elle est vulnérable. Pourquoi est-elle vulnérable dans une école et non pas dans une autre? C'est la réalité. Les circonstances déterminent parfois la vulnérabilité et les enfants LGBT sont certainement vulnérables à cause de leur orientation sexuelle. S'ils sont ouvertement homosexuels ou lesbiennes à l'école, ils sont en minorité. Leur groupe a toujours été vulnérable et victime de la société en général. Ces enfants entrent dans cette catégorie.

Nous pouvons vous donner d'autres exemples. Dans certains cas, c'est une question de popularité. Les enfants peuvent être victimes d'intimidation parce qu'ils ont une forte cote de popularité ou l'inverse. Cela dépend des circonstances. La plupart des écoliers sont plus ou moins vulnérables dans ce genre de situation et ils ne peuvent pas se reposer sur leurs lauriers. Les parents ne peuvent pas être sûrs que tout ira bien si leurs enfants changent d'école, par exemple, car les circonstances changent. Quand elles changent, les résultats peuvent être très imprévisibles.

Vous pouvez imaginer combien cette situation peut être difficile si vous appartenez au groupe LGBT. Il y a aux États- Unis un programme intitulé It Gets Better. Cette appellation suscite un certain débat. La raison de ce débat est que lorsque vous êtes un enfant de 12 ans en huitième année et qui va passer en neuvième année, un an, c'est toute une vie. Cela ira mieux? Les enfants veulent que le problème soit réglé maintenant. Cela ira mieux. Si vous pensez à la 12e année, les enfants voient ce qui les attend pendant leur scolarité au secondaire et pour le moment, ils subissent une véritable torture, mais cela ira mieux. Les jeunes ne comprennent pas cela. C'est incompréhensible. Ils sont extraordinairement vulnérables. Les enfants finissent par renoncer et c'est alors que se manifestent les tendances suicidaires.

La présidente : Je suis peut-être un peu trop simpliste. Vous dites que la situation peut être différente d'une école à l'autre. Serait-il trop simpliste de dire que les enfants vulnérables sont ceux qui ne s'intègrent pas?

M. Auty : Oui, pour une raison ou une autre. Cela peut être culturel ou parce qu'ils appartiennent à une minorité. Ils ne s'intègrent tout simplement pas. Ils veulent s'intégrer. La pression des pairs est extrêmement forte. Ils veulent faire partie de l'équipe. Ils portent les mêmes vêtements. Il y a un grand débat au sujet des uniformes et des raisons pour lesquelles l'école catholique a des uniformes. Le succès de l'uniforme scolaire vient, en partie, de ce qu'il permet à tous les enfants de s'intégrer. Cela élimine la concurrence et empêche de voir quels sont les enfants qui ont plus d'argent que les autres et qui peuvent se payer des plus beaux vêtements. Oui, l'intégration, l'appartenance ou non à une minorité, tout cela a un impact.

En ce qui concerne la santé mentale, comme vous pouvez l'imaginer, l'école reflète la population; 12 à 15 p. 100 des écoliers ont des problèmes de santé mentale, tout comme 12 à 15 p. 100 des membres de la société. Pensez-y. Pensez aux difficultés d'une victime qui a des problèmes de santé mentale. Réfléchissez à quel point cela peut être difficile et explosif. Nous savons que les enfants qui ont été victimes d'intimidation finissent par se mettre en colère et j'ai souvent parlé des victimes qui deviennent des intimidateurs. Il y a un fil conducteur. Dans bien des cas, ceux qui tirent sur leurs camarades à l'école sont des victimes qui sont devenues des agresseurs.

Il y a eu deux facteurs égaliseurs. Le premier qui s'est manifesté est que les enfants ont eu accès à des armes. C'est devenu un important facteur. Le petit gars qui était la victime et ne pouvait pas se défendre contre le groupe intimidateur s'est retrouvé tout à coup avec une bande derrière lui, ce qui lui a donné du pouvoir. Le petit gars a ensuite eu une arme pour le soutenir. Maintenant, le petit gars a le cyberespace pour le soutenir. C'est extraordinaire. C'est ce dont nous parlons aujourd'hui.

Vous vous trouvez devant une situation qui a commencé très récemment en temps réel. C'est un tout nouveau problème en temps réel. Nous y sommes confrontés. Vous avez des enfants qui apprennent à se servir de ce pouvoir. Le réseau de médias sociaux, la compréhension et la communication qui sont à leur portée aujourd'hui, se trouvent partout. Les enfants savent tout. Néanmoins, ils savent tout, mais ont-ils la sagesse nécessaire? C'est l'autre élément de l'équation. Les enfants ont accès à l'électronique, mais ce sont des bébés. Ce sont des adolescents. Il leur manque la sagesse. Ils ne savent pas comment utiliser l'information.

Lorsqu'ils vont sur Facebook, ils ont des amis. Tout le monde veut des amis, mais pouvez-vous avoir 300 amis qui partagent les détails intimes de votre vie, votre monde, vos photos et tout le reste? Je ne le crois pas. Les enfants qui ont autant d'amis manquent souvent de sagesse. Cela fait partie du contexte dont j'ai parlé. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Taillefer : Il ne faut pas oublier que c'est un problème qui a des conséquences vastes et à long terme. Nous avons des études montrant que la plupart des adultes qui souffrent de troubles mentaux ont commencé à avoir ces problèmes au cours de leur adolescence. Lorsque les enfants sont victimisés à l'école et que leur victimisation dure, ils nouent de mauvaises relations sociales.

Comme l'a dit mon collègue, ils deviennent des cibles. Ils sont faibles et deviennent des cibles. C'est une chose qui va les toucher pendant toute leur vie et c'est donc très important. Nous constatons que les résultats scolaires baissent et qu'ils sont incapables de nouer des relations. Cela durera toute leur vie. Voilà pourquoi il est important d'intervenir le plus tôt possible pour pouvoir aider les enfants qui ont de la difficulté à comprendre qu'il y a des limites à ne pas dépasser ou qu'ils doivent avoir un meilleur sens des responsabilités. Le problème est que certaines personnes considèrent la cyberintimidation comme un crime sans victime, car vous ne voyez pas la réaction de la personne qui est attaquée; vous ne comprenez pas la souffrance que vous infligez, si bien que vous ne ressentez pas de remords. Cela consiste seulement à inscrire quelques mots sur un écran. Il faut veiller à éduquer et aider les enfants le plus tôt possible.

Le sénateur Ataullahjan : Merci pour votre exposé. J'ai une ou deux questions. Je ne sais pas combien je peux en poser.

Monsieur Auty, je trouve intéressant de vous entendre parler, en tant que parent et parce que c'est moi qui ai proposé cette étude, justement à cause des conversations que j'ai eues avec mes enfants. J'ai vu ce qui arrivait à certains de leurs amis dans les médias sociaux. Comment pouvons-nous faire participer les parents? Nous entendons constamment parler de statistiques et d'enquêtes. Tous les experts s'entendent à dire que la meilleure solution pour assurer la sécurité en ligne, c'est que les parents soient conscients de ce qui se passe et soient vigilants. Comment amener les parents à intervenir? Comment pouvons-nous les amener à parler à leurs enfants pour voir ce qu'ils font en ligne?

M. Auty : Si nous pouvons arriver à amener les parents à intervenir, c'est ce qui aura le plus d'effets. Cela ne fait aucun doute. Peu importe s'il s'agit d'un enfant qui a des problèmes de comportement à l'école, si vous pouvez amener les parents à travailler avec l'enseignant. Cela fait des années que nous essayons de convaincre les parents d'intervenir. Ce n'est pas facile; sans aucun doute. Investissez un peu d'argent dans des campagnes de sensibilisation du public, ne ratez aucune occasion d'encourager les parents et vous pourrez trouver un certain nombre de stratégies.

Il est important d'avoir la volonté de faire participer les parents. Faites-en une priorité. Les parents ont trop souvent l'impression d'être mis de côté. Souvent, ils ont l'impression d'être étrangers au système scolaire. Ils regardent ce qui s'y passe de l'extérieur. Ils ne savent pas vraiment s'ils doivent se lancer et participer. Cela causera-t-il davantage de problèmes pour leurs enfants? C'est une crainte compréhensible. Il est difficile d'amener les parents à participer et ce n'est pas la réponse à tout. Il n'y a pas de solution universelle. Ce n'est pas le cas. Les gens ont un bagage culturel différent, une attitude et des attentes différentes; le milieu d'où ils viennent est différent, de même que leur situation économique.

Ma réponse générale à cet enjeu complexe est que c'est une des questions auxquelles il est le plus difficile de répondre; une des plus importantes. Elle exige que le gouvernement et la société s'y intéressent et que l'on comprenne l'importance et la valeur de la participation des parents. Nous pouvons certainement faire des progrès si nous y mettons suffisamment d'efforts. Cela ne fait aucun doute. Quand vous y consacrerez vos efforts, vous rejoindrez les parents. Il faut y mettre beaucoup d'efforts. Voilà ma réponse en quelques mots.

Mme Urban Hall : Une des choses fondamentales que les écoles essaient de faire, c'est de construire un environnement inclusif pour tous. En étant inclusive, l'école rend la population scolaire, les élèves, moins vulnérable. Il s'agit notamment de faire en sorte que l'école s'adapte culturellement et intègre la communauté. Cela fait partie de la question que vous posez.

Les écoles essaient de nouer des relations avec les parents, tant en ce qui concerne la réussite scolaire que le comportement des enfants. Un des principaux facteurs de succès d'un élève est la relation de l'école avec sa famille et sa communauté et le soutien que la famille et la communauté lui apportent. L'alliance entre l'école, la famille et la communauté est la stratégie qui permet d'entourer les élèves. Cela doit se faire au moyen d'un dialogue entre le parent et l'école — par exemple, avec l'enseignant ou l'administrateur scolaire — afin que si le parent n'a pas l'impression d'avoir les outils voulus pour tenir cette conversation avec son enfant, il ait des ressources à sa disposition. Il faut également faire appel à ces ressources, car il y a des échanges en classe sur des comportements positifs, des choix positifs et ce qui se passe lorsqu'on ne fait pas un choix positif.

Les écoles publiques de la Saskatchewan sont un bon exemple de modèle d'intervention mis en place pour les cas les plus graves. Elles se sont adressées à la communauté, à la police, aux services sociaux et à la justice et elles ont mis au point un protocole d'évaluation de la menace et de soutien. Il s'agit d'un accord avec tous les services de soutien de la communauté qui s'unissent pour échanger des outils de façon à se soutenir les uns les autres pour travailler avec les élèves et les aider, ainsi qu'avec les enseignants qui travaillent auprès des enfants et ensemble.

De cette façon, et pour revenir à ce dont j'ai parlé tout à l'heure, quand on s'attend à des conséquences très publiques, comme une suspension, par exemple, mais qu'elle n'a pas lieu, le public a l'impression que l'école ou la communauté ne fait rien. Lorsqu'on élargit le dialogue, les gens commencent à se rendre compte que des mesures sont prises. Quelles sont-elles? Elles portent sur les relations. Le problème repose sur les relations et la solution repose sur les relations.

La présidente : Monsieur MacKay, voulez-vous ajouter quelque chose?

A. Wayne MacKay, professeur et doyen associé de recherche, École de droit Schulich, Université Dalhousie : Je vais peut- être revenir d'abord sur ce que Mme Urban Hall vient de dire. Bien entendu, le titre de mon rapport met l'accent sur des relations respectueuses et raisonnables; il n'y a pas de technologie pour cela. Je suis d'accord pour dire que la solution repose sur les relations.

J'ajouterais qu'il faut agir sur un bon nombre de fronts différents. Dans un certain sens, vous pouvez envisager une triple réponse, c'est-à-dire sous la forme de changements législatifs, de mesures proactives de prévention et de programmes d'éducation. Il faut agir sur tous ces fronts avec la participation de nombreux éléments de la collectivité. Cela ne fait aucun doute.

J'ajouterais deux choses, car je sais que vous disposez de peu de temps. Premièrement, je reviendrais avec plaisir, car il est difficile de savoir que choisir après s'être consacré à cette étude pendant un an et avoir formulé 85 recommandations. Certaines idées concernant la compétence fédérale m'ont frappé. Je crois que les membres du comité ont mon rapport.

La recommandation 23, page 47, suggère d'établir des protocoles entre les Commissions des droits de la personne et les autorités scolaires au sujet du harcèlement, de la cyberintimidation et de l'intimidation. Cette idée s'inspire de l'expérience des Australiens qui l'ont fait avec une certaine efficacité. En me préparant pour la séance d'aujourd'hui, je me suis dit que votre comité pourrait peut-être voir, étant donné que c'est le comité des droits de la personne, si la Commission canadienne des droits de la personne ne pourrait pas jouer un rôle équivalent. Étant donné que la cyberintimidation ne connaît pas de frontières, la Commission canadienne des droits de la personne n'a-t-elle pas un rôle à jouer? Cela nous ramène en partie à une question que vous avez posée quant à savoir qui sont les victimes ou qui sont les personnes vulnérables. Ce ne sont pas exclusivement les groupes énumérés dans les codes des droits de la personne, mais ce sont souvent des jeunes femmes, des homosexuels, des lesbiennes, des membres des minorités visibles, et cetera, mais pas exclusivement.

Dans le cadre de notre étude, nous avons fait une enquête en ligne à laquelle nous avons obtenu 5 000 réponses — un chiffre exceptionnel pour ce genre d'enquêtes — dont 60 p. 100 émanaient de jeunes. La première cause d'intimidation qu'ils ont citée était la différence, ce qui peut inclure diverses choses comme la race, une origine autochtone, et cetera. C'était le premier facteur.

Nous avons également organisé un certain nombre de groupes de discussion composés de jeunes aux quatre coins de la province. La principale cause qu'ils ont citée était de loin l'appartenance au groupe LBGT; l'homosexualité était la principale caractéristique des victimes d'intimidation. Voilà quelques observations générales. J'espère avoir d'autres occasions de parler de certains aspects de la question au niveau fédéral.

J'espère que j'aurai d'autres occasions de parler de certains aspects de la question au niveau fédéral.

La présidente : Sénateur Ataullahjan, voulez-vous commencer le deuxième tour?

Le sénateur Ataullahjan : Certainement.

Le sénateur Zimmer : Monsieur Auty, je voudrais vous poser deux questions et j'en aurais ensuite deux de plus au deuxième tour.

Comment le Comité sénatorial permanent des droits de la personne peut-il faciliter le processus d'audiences sénatoriales pour amener le Parlement à apporter des changements à la législation canadienne sur le harcèlement criminel? Autrement dit, quel est le processus politique à suivre pour amener des changements de façon à pouvoir s'attaquer à la cyberintimidation au moyen de la loi actuelle sur le harcèlement criminel afin que nous puissions faire face à ce problème?

M. Auty : N'étant pas membre de la classe politique, je suppose que vous savez cela mieux que moi. Toutefois, en tant qu'observateur, je dirais que le comité pourrait faire une recommandation au Parlement. Que ce soit une initiative multipartite ou partisane, ralliant la majorité ou tous les parlementaires, je souhaiterais que le comité puisse formuler une recommandation non partisane qui serait renvoyée à l'instance parlementaire compétente laquelle serait chargée de présenter un projet de loi. Ce projet de loi aurait d'abord pour but de modifier les dispositions actuelles du Code criminel concernant le harcèlement.

Il y a, au Parlement, des structures qui s'occupent de ce genre de choses et des mécanismes qui permettent de le faire. Je ne connais pas ces mécanismes, mais je sais que les comités comme celui-ci sont là pour mettre en lumière les problèmes de ce genre. Je suppose qu'il y a un processus conduisant du comité, au Parlement, à un projet de loi, à un vote et à l'adoption de ce projet de loi. Je pense que la volonté politique d'agir existe. Vous le savez sans doute mieux que moi, mais je suppose qu'il y a, quelque part, une ou plusieurs personnes puissantes qui verront les recommandations du comité et qui voudront y donner suite, parce que c'est la bonne chose à faire.

Le sénateur Zimmer : Comment le Parlement peut-il convaincre les fournisseurs de services de supprimer les affichages qui produisent un effet permanent de cyberintimidation, par exemple, Google? Que peut faire le gouvernement canadien pour inciter ces fournisseurs de services Internet à supprimer les messages qui font du tort aux jeunes sur Internet?

M. Auty : Nous parlons de Google, Yahoo, Facebook et YouTube. Il y a eu des suppressions en raison d'un sérieux danger. Je suppose que si le gouvernement canadien présentait un projet de loi portant sur cette question, il faudrait amener le fournisseur de services à participer à son application en supprimant des messages dans certaines circonstances, et vous pourriez définir ces circonstances. C'est ce qui me vient à l'esprit. Vous demanderiez à des gens qui s'y connaissent comment amener Google à le faire et comment influencer Mark Zuckerberg. Il y a des moyens d'y arriver. Et des experts pourraient trouver ces moyens. C'est important. Nous savons qu'Internet ne connaît pas de frontières et nous essayons de pénétrer ces frontières afin que le gouvernement puisse intervenir. Le gouvernement du Canada prendra peut-être l'initiative de faire quelque chose. Ce serait souhaitable.

Le sénateur Ataullahjan : Je suis ce qui se passe dans le monde de la cyberintimidation en Australie et en Nouvelle- Zélande. La Nouvelle-Zélande semble avoir plusieurs longueurs d'avance. D'après ce que j'ai compris, elle a un navigateur Internet capable d'imposer des amendes et les victimes d'intimidation peuvent demander des excuses. Également, on peut fermer le compte Internet du délinquant. Pourrions-nous envisager ce genre de choses au Canada?

M. Auty : Pourquoi pas? Si le train est déjà en marche, montons-y. Si des pays le font, ils ont certainement vérifié que la loi permet de le faire. Si on peut le faire en Nouvelle-Zélande, cela veut dire que les choses commencent à bouger. Si le Canada se joint au mouvement, cela lui donnera plus de pouvoir. D'autres pays se sont attaqués à ce problème, ce qui est important. Je me réjouis de l'entendre.

M. Birnbaum : Je dois vous rappeler que vous devez, comme nous en tant qu'enseignants, faire face à une double réalité. Il y a, au Myanmar, une démocratie relative, grâce à la même technologie que celle qui confère des pouvoirs aux cyberintimidateurs. Le Printemps arabe est le fruit de la technologie qui a aussi causé le suicide d'un certain nombre d'enfants vulnérables au Canada. Les solutions seront complexes.

Une chose à laquelle je vous exhorte de réfléchir, et je ne sais pas exactement si c'est une solution législative, mais comme le gouvernement du Canada a d'importants pouvoirs en matière de télécommunications, c'est la possibilité de lancer une campagne d'information pour nous aider à transformer nos adversaires en alliés. Comme l'élève qui est vulnérable, l'intimidateur doit comprendre que ce qu'il publie sur Internet laisse des traces. Son anonymat n'est pas entièrement protégé. À Montréal, il a suffi de quelques heures pour que les étudiants qui ont paralysé le réseau de métro, dans le cadre des protestations étudiantes contre les frais de scolarité, soient arrêtés et que les technologies dont nous parlons permettent de réunir des preuves. Nous ne pensons pas que les parents ou les enfants le comprennent suffisamment.

Dans votre quête de solutions législatives, nous vous exhortons à examiner également d'autres possibilités, y compris des stratégies de communication pour le gouvernement du Canada. Elles doivent viser à rappeler aux gens que certaines des dynamiques, dont plusieurs personnes ont parlé ici, existaient déjà. Le paradigme a changé, mais les dynamiques étaient là avant. Certaines des stratégies d'éducation les plus efficaces que nous ayons eues ont fait appel aux coupables, par exemple en créant des cercles de responsabilité où l'intimidateur est confronté par ses camarades de classe qui lui font comprendre ce qu'il a fait. Ils deviennent des alliés.

Nous avons travaillé en collaboration très étroite, au Québec, avec Chris Nilan, un ancien ailier des Canadiens de Montréal qui prend la parole dans nos écoles. Vous avez tous vu Brian Burke, directeur-général des Maple Leafs de Toronto, donner un exemple atypique de tolérance, de compréhension et d'acceptation des différences. Nous reconnaissons que, comme on l'a dit, les solutions sont très complexes et ne sont pas immédiates. Nous devons notamment faire ce que nous pouvons pour aider les Canadiens à comprendre et à utiliser les outils dont nous parlons, ce qui n'est pas facile.

M. MacKay : Je vais répondre aux deux dernières questions. Premièrement, ma recommandation 43, qui concernait la Nouvelle-Écosse, suggérait aux autorités provinciales de parler à leurs homologues provinciaux du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes au sujet de sa réglementation des fournisseurs de services Internet, ce qui pourrait conduire à l'élimination des messages, et cetera. C'est un sérieux problème. Comme on l'a dit, c'est compliqué, car même si vous voulez supprimer le message pour faire cesser le tort causé, du point de vue de la preuve, le message est souvent éliminé trop rapidement, ce qui empêche d'avoir une preuve pour intenter des poursuites. La façon dont on règle ces problèmes est importante. Voilà ce que je préconiserais.

En deuxième lieu, je reviendrais sur ce qu'a dit M. Birnbaum au sujet des communications. Une initiative que la Nouvelle-Écosse a prise, jusqu'ici, dans le projet de loi C-31, en réponse au rapport, est le lancement d'un important programme de communications destiné à convaincre les gens que l'intimidation n'est pas cool et n'est pas acceptable. Le gouvernement fédéral pourrait également jouer un rôle important à cet égard.

Pour terminer, je n'ai pas mentionné tout à l'heure l'importance de faire participer les jeunes alors que c'est l'un des principaux thèmes de mon rapport. Nous devons certainement faire participer les parents, les enseignants, les commissions scolaires et les autres personnes réunies aujourd'hui autour de la table. Néanmoins, les principaux acteurs sont probablement les jeunes. La justice réparatrice et la médiation par les pairs sont sans doute les solutions les plus prometteuses, car les jeunes sont beaucoup plus prêts à écouter leurs pairs à ce sujet qu'à écouter les adultes.

Enfin, je dirais qu'il y a heureusement des gens qui peuvent servir de modèles, mais j'ai mentionné dans mon rapport quelques modèles de rôles que l'on voit dans les médias et ailleurs et qui ne sont pas très bons.

Le sénateur Zimmer : J'ai quelque chose à dire. J'ai oublié de vous remercier tous pour vos exposés d'aujourd'hui et pour ce que vous faites contre cette forme de lâcheté. Vous avez parfaitement raison; les torts que cela cause aux victimes sont immenses et ineffaçables. Merci.

Le sénateur Meredith : Monsieur Birnbaum, vous avez parlé de dialoguer avec les intimidateurs et de veiller à ce qu'ils assument leurs responsabilités. D'autres diraient : « Que va-t-on faire si mon enfant s'est suicidé à cause des agissements de cet intimidateur? » À partir de quel moment peut-on dire : « Oui, nous voulons dialoguer avec toi, mais tu dois assumer les conséquences de tes actes? »

M. Birnbaum : Vous avez raison. Je n'ai pas voulu dire que la discipline n'a pas un rôle essentiel à jouer. C'est d'ailleurs l'opinion que nous a donnée le sergent-détective de la police du Québec quand nous avons établi notre rapport.

Nous ne pouvons pas compter uniquement sur la discipline et les punitions pour résoudre le problème. D'un autre côté, pour que toute autre approche soit efficace, il faut donner aux parents et à la collectivité l'assurance qu'en cas d'incident que l'on peut clairement qualifier d'illégal et de criminel, l'intervention sera rapide et qu'il y aura aussi la coopération dont nous avons parlé entre la police, l'administration scolaire, les autorités municipales, et cetera. Les sanctions appropriées auront donc été prises. Nous parlions, je suppose, de la majorité des incidents qui causent des souffrances aux enfants, mais qu'il est impossible de considérer comme des actes criminels. En pareil cas, que faire à part s'adresser à la loi? Nous pensons qu'il y a des mesures à prendre.

Mme Urban Hall : Il faut reconnaître, je pense, qu'il y a un éventail de stratégies à utiliser à l'égard de l'intimidateur. Cela va de l'ambiance qui règne à l'école où on s'attend à ce que les élèves se conduisent de façon respectueuse et en ayant le sens des responsabilités et une intervention immédiate en cas de comportement de ce genre, et cela peut aller, dans certains cas, jusqu'au renvoi de l'élève et une poursuite en justice.

L'important est de trouver un juste équilibre afin de ne pas réagir de façon excessive ou insuffisante en pareille situation et de fournir aux membres de la collectivité et au personnel scolaire des outils leur permettant de juger quelle est la solution appropriée.

Je vous renvoie, encore une fois, au protocole que les conseils scolaires de Saskatoon ont établi. Vous pouvez le trouver dans leur site web. Il donne d'excellents exemples des différentes directions que vous pouvez prendre. En fin de compte, les enfants apprennent ce comportement quelque part et le monde est grand. Nous devons leur fournir les moyens de prendre de bonne heure des bonnes décisions.

Quant aux parents dont l'enfant a fait une tentative de suicide ou s'est suicidé, je ne peux pas imaginer la souffrance de cette famille. Rien ne pourra répondre aux besoins de ces parents. Tout ce que nous pouvons faire, c'est mettre en place le maximum de moyens pour empêcher l'intimidation et détecter les enfants qui manifestent un comportement autodestructeur, un désintérêt, qui commencent à montrer des signes de maladie mentale ou de détresse. Nous avons besoin de stratégies pour les deux groupes d'élèves.

M. Taillefer : Vous écoutez les gens depuis un bon bout de temps. Vous avez entendu parler d'un certain nombre de problèmes. Vous avez entendu parler de la dimension législative. Vous avez entendu des histoires très personnelles. Vous avez entendu dire comment les différents groupes abordent la question.

Je dirais que nous avons là une situation très complexe. Je crois nécessaire de voir comment tous ces éléments peuvent s'agencer. Les deux mots que je proposerais sont « coordination » et « cohérence ». De nombreux organismes essaient de trouver des solutions à différents niveaux et certains d'entre eux ont conclu des partenariats. Ces partenariats ne sont pas toujours reliés les uns aux autres. Nous devons voir comment réunir tous les intervenants pour aborder le problème et les questions législatives. C'est une chose qu'il faut résoudre. Je crois que tout le monde y a fait allusion. C'est la participation du gouvernement.

Nous devons ensuite résoudre les problèmes technologiques. Les fournisseurs de services doivent participer à la discussion. Ils ont des responsabilités. Ils doivent participer au débat pour bien comprendre leurs responsabilités au- delà de celles qu'ils ont envers leurs actionnaires et leur marge bénéficiaire. Ils doivent comprendre ce qui arrive aux enfants et quelle est leur responsabilité citoyenne. Ils doivent participer au débat.

Les enseignants, les commissions scolaires et tous les intervenants du milieu de l'éducation doivent également y participer. Si nous ne coordonnons pas nos efforts et si nous n'abordons pas le problème de concert, avec une vision bien claire, nous mettrons longtemps à nous attaquer au cœur du problème.

Le sénateur Meredith : À ce propos, monsieur Taillefer, vous avez parlé des commissions scolaires et des éducateurs. Disposent-ils des ressources suffisantes? Je sais que des commissions scolaires réduisent leurs dépenses dans certains domaines et des gens nous ont dit qu'ils n'ont pas suffisamment de temps ou de personnel à consacrer au problème de l'intimidation.

Comment leur faire comprendre que c'est important? Des vies sont en jeu. Il faut attribuer des ressources à cette question en réduisant les dépenses dans d'autres domaines, car il s'agit de sauver des vies. Comment faire parvenir ce message?

M. Taillefer : Ma réponse est qu'il y a deux choses à considérer. La première est qu'il s'agit certainement d'une question de ressources. Par les temps qui courent, les ressources sont rares. Vous avez mentionné les restrictions budgétaires, et tout le monde en connaît ces jours-ci.

Nous pourrions dire qu'effectivement, nous avons besoin de plus de ressources, ce qui n'est pas faux. Toutefois, nous devons aussi voir comment créer une culture de soutien au sein de ces organisations. La solution ne peut pas être ponctuelle.

Nous avons entendu parler des gens qui vont faire des discours sur la cyberintimidation dans les écoles en disant à quel point cela leur a fait du tort ou a détruit leur famille. Les élèves en ressortent un peu ébranlés, ils s'amusent pendant le week-end et tout est oublié. Ces présentations sont excellentes, mais elles sont ponctuelles. Nous devons créer dans les établissements une culture dans laquelle tout le monde appuie le principe d'une école sûre.

M. MacKay : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de cette dernière question. Premièrement, à propos de ce qu'on vient de dire, je ne prétends pas que mon rapport contient toutes les réponses. Ce n'est absolument pas le cas.

Le sénateur Meredith : Êtes-vous sûr qu'il ne les contient pas toutes?

M. MacKay : Absolument pas. En ce qui concerne les ressources, une de nos recommandations que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a adoptées est la nomination d'un coordonnateur anti-intimidation, pour répondre à votre excellente question quant à ce que nous pouvons faire si nous n'avons pas de ressources. Nous avons entendu de nombreux conseils scolaires et enseignants bien intentionnés dire qu'ils voulaient faire plus, mais ne savaient pas comment, qu'ils avaient besoin d'une formation et qu'ils n'avaient pas les ressources nécessaires. Ce n'est qu'un début, mais c'est au moins un pas dans la bonne direction.

La présidente : Monsieur MacKay, cette personne pourrait-elle être le commissaire à l'enfance qu'ont certains pays?

M. MacKay : Cela pourrait prendre toutes sortes de formes différentes, mais la tâche me semble assez large pour justifier un emploi à plein temps, même si cela pourrait certainement être organisé de cette façon. Il y a différentes façons de le faire.

Il peut être souhaitable que ces personnes soient indépendantes et ne fassent pas partie du gouvernement. Je pense que ce serait donc une bonne formule.

La présidente : J'ai encore trois personnes qui n'ont pas posé de questions et je vais donc vous demander de donner des réponses plus courtes.

Allez-y, monsieur MacKay.

M. MacKay : Pour revenir à la question de tout à l'heure sur ce que vous pouvez faire dans les cas vraiment difficiles, je veux vous faire comprendre pourquoi c'est important. Les approches réparatrices sont extrêmement importantes. J'ai consacré une partie importante de mon rapport à ce sujet et j'appuie certainement ce genre d'approches.

Il y a des cas qui requièrent une réponse forte et le groupe de travail de la Nouvelle-Écosse a été constitué après que trois jeunes femmes se sont suicidées, en partie suite à de la cyberintimidation. Au cours des deux dernières semaines, un jeune homme s'est vanté, sur Facebook, que lui-même et son groupe de 15 jeunes répartis dans différentes régions du pays avaient réussi à pousser ces jeunes femmes à se suicider et il a envoyé ce message aux parents des victimes, entre autres. D'après les preuves que nous avons, il a d'ailleurs continué à cyberintimider d'autres personnes avec l'aide de son groupe. La police et la GRC ont mené enquête, mais n'ont pas porté d'accusations jusqu'ici.

Dans un des appendices, il y a une partie concernant les dispositions existantes du Code criminel, notamment sur le harcèlement et l'intimidation qui pourraient s'appliquer. Néanmoins, la police n'a rien fait jusqu'ici. Cela m'amène à une autre recommandation qui suggère de faire de la cyberintimidation un acte criminel. Comme les policiers nous l'ont déclaré à la commission, ces personnes se moquent des victimes et du public et disent que nous ne pouvons rien faire, car ce ne sont que des paroles. Cela dramatise la situation.

Le sénateur Andreychuk : Merci pour tous vos exposés. En raison du temps limité dont nous disposons, il est difficile de poser des questions.

Je vous ai entendu parler de la cyberintimidation et de la nécessité d'y consacrer des ressources pour s'y attaquer.

Certains d'entre vous n'ignorent pas que j'ai été juge au tribunal de la famille pendant 12 ans. Lorsque je siégeais à ce tribunal, le problème de l'heure était les nouvelles drogues. Les adultes consommaient de l'alcool tandis que les enfants consommaient de la drogue, et cetera.

Il y a eu ensuite les problèmes de santé mentale et nous en avons parlé. Je me demande si nous devrions centrer notre attention sur la cyberintimidation ou sur les enfants et leur maturation. De quoi les enfants ont-ils besoin aujourd'hui? Les difficultés auxquelles ils sont confrontés ne sont pas les mêmes que celles que leurs parents et les autres membres de la société ont connues. Nous essayons simplement de les suivre dans ce processus de maturation. Une formation et des ressources sont nécessaires pour déceler les nouveaux problèmes qui apparaissent dans nos sociétés en transformation, mais si nous les consacrons seulement à ce sujet, nous allons perdre les enfants. Nous parlons de la cyberintimidation, mais il y a peut-être des enfants qui ont toutes sortes d'autres problèmes à surmonter pour grandir et s'instruire et la cyberintimidation en fait partie.

Devrions-nous en faire le sujet de l'heure ou devrions-nous essayer de rattraper notre retard afin de faire tout ce que nous pouvons, en tant que parents, dirigeants communautaires et parlementaires, pour aider nos enfants à grandir et à devenir des bons citoyens?

Mme Urban Hall : Les commissions scolaires du Canada seraient d'accord pour dire que nous devons centrer notre attention sur l'enfant dans sa totalité. La cyberintimidation est une forme très particulière d'intimidation qui peut se manifester pour diverses raisons. L'aide, les interventions et les ressources allouées doivent tenir compte de l'enfant dans sa totalité et de la meilleure façon de soutenir les élèves, leurs familles et la collectivité.

Je suis d'accord pour dire que nous devons chercher à fournir des outils aux parents et aux enfants et à les soutenir dans leur apprentissage afin qu'ils deviennent de bons citoyens qui contribuent à la société. Oui, la cyberintimidation est un problème très important que nous ne pouvons pas sous-estimer, mais la stratégie à cet égard doit s'intégrer dans une approche tenant compte de l'ensemble des besoins de l'enfant.

M. Taillefer : Nous ne saurions faire abstraction de la question de la cyberintimidation et c'est sans doute très important, mais votre remarque l'est tout autant. Un peu comme en rétro-ingénierie. La cyberintimidation constitue l'acte ou le geste accompli, mais qu'est-ce qui nous mène à lui? Est-ce la technologie? Non, ce n'est pas la technologie. Selon les propos de Andreas Schleicher de l'OCDE, la technologie en soi n'est ni bonne ni mauvaise. En classe, sa valeur est déterminée par l'utilisation pédagogique que le personnel enseignant choisit de lui donner. La technologie est quelque chose de neutre. Ce qui nous ramène aux enfants, à essayer de savoir ce qui les fait agir de la sorte.

Oui, vous avez raison. Nous devons nous occuper des enfants sur les plans sociaux, affectif et cognitif pour chercher à régler ces problèmes. Or, avec la cyberintimidation, nous sommes confrontés à quelque chose de foncièrement mauvais. Dans le temps, nous nous contentions d'une bagarre dans la cour de récréation, nous rentrions chez nous avec des écorchures au visage et aux poings et c'était la fin de l'histoire. Il fallait parfois supporter ce genre de situation pendant des années. À présent nous voyons des enfants se suicider ou perdre leur estime d'eux-mêmes au point où ils ne sont plus capables de fonctionner dans la société. Nous nous devons d'intervenir, mais comment? Eh bien, il s'agit de travailler avec eux, de leur faire voir où sont les limites et d'essayer d'en faire des citoyens responsables.

M. Auty : Indubitablement, l'enseignement intégral a toujours fait partie de l'orientation pédagogique de nos écoles. Cela dit, il est vrai que des problèmes sont venus perturber cette dynamique tour à tour au fil des ans.

À mon avis, parmi tous les nouveaux éléments qui surgissent de la sorte, rien n'a su avoir un poids aussi massif sur tous les aspects de l'éducation et du développement de l'enfant qu'Internet. C'est le facteur par excellence, tous dispositifs électroniques confondus. À ce qu'il me semble, nul ne peut nier que les écoles ont toujours privilégié le principe de l'enseignement intégral. Je suis reconnaissant au Sénat et au Comité d'avoir reconnu ce fait, car la question est franchement très importante.

Ce qui a été dit plus tôt sur la Nouvelle-Zélande et l'Australie est en fait une bonne nouvelle pour moi, car je suis heureux d'apprendre que d'autres pays ont emprunté cette voie. Le Canada peut maintenant apporter sa pierre à l'édifice, politiquement parlant.

En toute franchise, je n'y vois aucun inconvénient sur le plan politique. Pour peu que le Canada ait la volonté politique de faire la lumière sur la question, il n'y a rien pour le déconseiller. En effet, je ne puis imaginer que quelqu'un trouverait à y redire. Pourquoi pas? Pourquoi ne pas se joindre aux autres pays, voire s'ériger en chef de file? S'il n'y a que deux ou trois pays qui le font en ce moment, pourquoi ne pas servir de modèle au monde et faire partie de ce leadership? Le comité peut être un véritable poids lourd dans ce contexte. Cela en vaut bien la peine.

Le sénateur Andreychuk : J'ai tout de même une réserve à vous signaler. Nous avons des problèmes avec les enfants et nous voulons trouver une solution. Les écoles ont opté pour la tolérance zéro. C'est une des choses les plus difficiles à respecter qu'on soit en présence d'un jeune contrevenant ou d'un enfant dont le foyer a éclaté. Au moindre signe de colère, que l'enfant s'en prenne à un objet ou à une personne, c'est la tolérance zéro qui prime; ça va jusqu'à l'exclusion, car il s'agit de mettre l'enfant à la porte.

Dans le cas de la cyberintimidation, la tendance à vouloir chercher une justification criminelle ou une réponse du côté des parents pourrait s'avérer tout aussi risquée, à mon avis. Il nous faut comprendre que les possibilités d'intervention peuvent être aussi diverses que variées, suivant le moment et la communauté dont il s'agit. Je songe par exemple aux différences qu'il y a entre les communautés rurales et urbaines ou celles du Nord et du Sud.

Il s'agit de faire la lumière sur la question, de la prendre au sérieux, voire d'élaborer des ressources et de sensibiliser les gens, plutôt que d'essayer de trouver une solution rapide, car nous allons vite être dépassés.

M. Auty : J'ai parlé de « faire la lumière » et non pas tellement de chercher le remède. Pour moi, il s'agit de faire la lumière et permettre que le remède surgisse du problème ainsi éclairé.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie de vos déclarations aujourd'hui. Un aspect dont nous n'avons pas tellement entendu parler c'est la nécessité d'impliquer les jeunes dans la recherche d'une solution et je crois que c'est extrêmement important. Je crois qu'il y a des réponses qui peuvent venir de nos jeunes. Ils peuvent ensuite prendre le problème en charge, dans une certaine mesure, suivant la nature de leur participation.

Quant à l'éducation et à la manière dont l'information est distribuée parmi tous vos ministères et ensuite partout au Canada, comment cela se passe-t-il, le cas échéant? Cette information parvient-elle aux collectivités rurales — dont il a été question — ou aux Autochtones? S'occupe-t-on d'échanger les meilleures pratiques ou modèles?

L'autre question qui me vient à l'esprit est la suivante : à mesure que nous nous occupons de la formation de nos futurs enseignants, intègre-t-on ces aspects dans leur apprentissage?

Mme Urban Hall : En ce qui a trait à votre question au sujet du partage de l'information — de l'optique des commissions et des conseils scolaires — chaque province a sa propre association provinciale de commissions ou conseils scolaires qui tiennent des réunions régulières et veillent au perfectionnement professionnel et à la mise sur pied de structures nécessaires pour la diffusion de l'information au sein de l'administration provinciale. L'Association canadienne des commissions scolaires, quant à elle, chapeaute le tout et intervient à l'échelle nationale. Nous partageons l'information et nos pratiques exemplaires avec nos partenaires sectoriels, le personnel enseignant et les gouvernements locaux.

Ensuite, chaque commission ou conseil scolaire se fonde sur ces informations pour concevoir les programmes et outils de soutien de concert avec le personnel enseignant local, les membres de la collectivité et d'autres partenaires; à terme, ils font parvenir l'information aux associations de parents-enseignants. Chaque province y donne un nom différent. Pour moi, il s'agit de conseils scolaires communautaires et autres soutiens communautaires. Ce genre d'intervention s'adapte aux besoins précis des diverses collectivités et écoles.

M. Birnbaum : Parmi les groupes que vous avez mentionnés, nous dirions qu'il y en a deux qui sont absolument essentiels. Premièrement, les universités, qui réagissent mieux que nous n'osions l'espérer à la formidable évolution des besoins de formation des enseignants pour les classes d'aujourd'hui, car il s'agit de combler l'écart entre les connaissances et les capacités de nos enfants, d'une part, et de leurs enseignants, d'autre part.

Deuxièmement, et je me permets de vous faire remarquer que c'est en train de devenir un obstacle de plus en plus important, les législateurs provinciaux contrôlent 90 p. 100 de tout ce qui est prestation de l'enseignement. Au Québec, nous venons d'étudier un projet de loi sur la cyberintimidation et l'intimidation en général qui impose une série de nouvelles obligations et sanctions. Je suis persuadé que nous pourrons et finirons par travailler avec le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, par l'entremise de l'Association canadienne des commissions scolaires, pour l'aider à comprendre, de la bouche même des praticiens sur le terrain — en liaison, nous l'espérons, avec nos enseignants — le genre de législation provinciale qui pourrait faciliter de bonnes interventions par opposition à des réponses politiques toutes faites.

Le sénateur Ataullahjan : Cette question intéresse l'Association canadienne des commissions scolaires tout autant que la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Quand on parle de cyberintimidation, on parle en général d'enfants. J'ai néanmoins entendu parler d'une enseignante qui a dû démissionner à cause de tous les antidépressifs qu'elle consommait pour tenter de se remettre des injures proférées à son endroit sur Facebook et Twitter. Les médias sociaux sont souvent utilisés pour attaquer les enseignants et d'autres personnes en position d'autorité. Voyez-vous de nombreux cas comme celui-là? Où plaçons-nous le seuil de ce qui peut être considéré comme un comportement acceptable?

Mme Urban Hall : Bien entendu, aucun d'entre nous n'est immunisé contre la cyberintimidation. J'ai entendu parler d'enseignants qui ont fait l'objet d'intimidation et qui ont été harcelés en ligne; même chose à propos de conseillers et de dirigeants de conseils scolaires aussi. Une partie de notre réponse collective doit consister à fournir des outils et du soutien afin que nous sachions quelle est la meilleure manière de se protéger et d'utiliser la technologie, tout en formant le personnel enseignant pour qu'il en fasse autant. Une fois de plus, la chose se résume à apprendre et à enseigner ce qu'on entend par comportement approprié. Il n'y a pas de réponse facile. Je dirais que vous, en tant que personnes, vous vous exposez tout autant à la cyberintimidation et aux critiques dans vos fonctions respectives.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous pour vos déclarations. Vous voyez bien que nous pourrions en avoir pour toute la soirée. Nous avons beaucoup appris à votre contact. Sachez que nous referons appel à vous dans vos divers rôles pour nous parler et discuter plus longuement de ces questions. Merci.

Monsieur MacKay, nous espérons que vous pourrez revenir discuter de cette question avec nous de nouveau. Merci beaucoup.

J'aimerais maintenant accueillir notre deuxième groupe de témoins. J'ai nommé Sharon Wood et Alain Johnson de Jeunesse, J'écoute, et Suzanne McLeod ainsi que Robert Olson, du Centre for Suicide Prevention.

Je demanderais à Mme Wood de commencer avec sa déclaration préliminaire.

Sharon Wood, présidente et directrice générale, Jeunesse, J'écoute : L'organisme Jeunesse, J'écoute est heureux d'avoir été invité à participer aux audiences sur la cyberintimidation au Canada tenues par votre comité sénatorial.

Depuis 1989, nous sommes le seul service de consultation téléphonique national qui aide les jeunes sur les plans de la santé mentale et du bien-être. Au cours des dernières années, en raison des interactions croissantes entre les jeunes et la technologie, nous avons offert aux jeunes de partout au pays de nouveaux moyens de joindre nos services de consultation : en ligne et par messagerie instantanée, en plus du téléphone. Nous leur laissons ainsi le loisir d'opter pour la méthode de leur choix.

Notre fondation fournit des services à de nombreux jeunes de tous les milieux, originaires de collectivités urbaines, rurales ou éloignées, dans les deux langues officielles et à toute heure du jour ou de la nuit, 365 jours sur 365. Les intervenants professionnels de Jeunesse, J'écoute sont présents lorsque d'autres services et d'autres formes de soutien ne sont pas disponibles — lorsque les jeunes qui ont demandé de l'aide se trouvent sur des listes d'attente ou entre deux rendez-vous, qu'ils ne sont pas prêts à demander de l'aide par d'autres moyens, qu'ils sont incapables de le faire ou qu'il n'y a aucune ressource d'aide dans leur collectivité.

Jeunesse, J'écoute offre une perspective unique de nos jours, car les jeunes communiquent avec nous d'une certaine manière. Nos services sont anonymes et confidentiels et nous compilons des statistiques et effectuons de la recherche sur divers sujets liés aux problèmes les plus aigus auxquels les jeunes d'aujourd'hui font face, dont la cyberintimidation.

Chaque jour, les intervenants professionnels de Jeunesse, J'écoute entendent des jeunes leur parler de la cruauté des intimidateurs, de la solitude associée à la dépression, de la peur paralysante engendrée par l'anxiété ou de la tension liée à l'obligation de réussir, de faire face à la concurrence ou de se conformer.

Le nombre d'appels et de messages en ligne reçus par Jeunesse, J'écoute ayant trait à l'intimidation et à la cyberintimidation a augmenté au cours des dernières années. Compte tenu de ce que nous ont appris les jeunes de toutes les régions du Canada sur la nature, la prévalence et les conséquences de la cyberintimidation, nous avons déployé d'importants efforts pour améliorer notre expertise organisationnelle dans ce domaine. Nous avons effectué des recherches approfondies, conçu des formations à l'intention de notre personnel, collaboré à la réalisation de plusieurs études menées par les principaux chercheurs dans ce domaine et nous nous sommes engagés dans des initiatives stratégiques et militantes, notamment avec le concours de Shaheen Shariff, qui fait partie du comité consultatif clinique de notre conseil d'administration. Ainsi, nous avons récemment siégé à la Commission d'étude sur l'intimidation et la cyberintimidation du ministère de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse. Nous avons encore tout récemment été invités à témoigner, à titre d'intervenants, dans une affaire de cyberintimidation portée devant la Cour suprême.

Il est clair que la technologie et les médias sociaux jouent un rôle de premier plan dans la manière dont les jeunes communiquent entre eux. Malheureusement, cette technologie peut aussi servir à humilier et à opprimer les autres et à utiliser son pouvoir sur les autres de façon nocive, comme vous le savez si bien. Alors que l'intimidation classique était souvent limitée par le temps et l'espace — par exemple, elle cessait hors du terrain de jeu et ne pouvait s'exercer qu'en dehors des heures de classe —, la cyberintimidation se déroule devant un auditoire virtuellement planétaire, face auquel les jeunes n'ont aucun refuge.

Pour bien comprendre ce qu'est la cyberintimidation, il faut écouter les jeunes qui la subissent nous expliquer ce qu'ils vivent. À Jeunesse, J'écoute, nous sommes dans une position privilégiée à cet égard, puisque nous entendons les jeunes décrire ce qu'ils vivent dans leurs propres mots, de manière confidentielle et anonyme, sans passer par le filtre de ce que les parents ou éducateurs estiment que les enfants devraient ou pourraient penser.

Voici quelques extraits de messages rédigés par des jeunes et envoyés aux intervenants de Jeunesse, J'écoute afin qu'ils y répondent. Nos intervenants les reçoivent de manière anonyme et veillent à y répondre en respectant l'anonymat et la confidentialité à tout moment :

Citation 1 :

Chaque jour de ma vie, depuis que je suis arrivé à cette école, ils vont sur msn et rient de moi. Ça a commencé quand j'étais en 2e année du secondaire. Des filles se moquaient de moi en ligne, elles m'insultaient en disant tu es une tapette, tu es gay, tu es stupide, tu es un loser, un nègre, un con, tu es laid, tu es reject et plein d'autres choses.

Citation 2 :

Certains des courriels étaient vraiment très durs... J'ai pensé à me suicider.

Citation 3 :

J'ai essayé différentes choses, comme bloquer des courriels et créer de nouvelles adresses mais ils réussissent à me trouver. Je ne sais pas si je peux en supporter encore beaucoup. C'est affreux. Pouvez-vous m'aider?

Citation 4 :

Je me fais constamment intimider sur F! Les gens se moquent tout le temps de moi sur F parce qu'ils n'osent pas le faire devant moi. Je l'ai dit à mon prof et au directeur quelquefois mais ils n'ont jamais rien fait. J'ai effacé certains de ceux qui m'intimident mais ils continuent de m'envoyer des messages et ils écrivent même des commentaires haineux sur moi dans un groupe de conversation sur F. J'en ai parlé à quelqu'un qui m'a dit de ne pas m'en occuper. J'ai essayé, mais je me sens quand même blessé quand je lis des commentaires méchants à mon sujet. Je n'ai pas d'amis proches à qui je pourrais en parler ou qui prendraient ma défense, ce qui rend les choses encore pires. Quelquefois, les amis de ceux qui m'intimident les aident en faisant d'autres commentaires blessants sur moi. Je n'en peux plus! Je suis tellement déprimé à cause de ce qu'ils me disent et d'autres problèmes que j'ai. Je voudrais me tuer tout de suite.

Citation 5 :

Je veux juste dénoncer la cyberintimidation au poste de police de mon quartier... J'ai tellement peur!

Citation 6 :

J'ai une maladie qui fait que je ne peux pas très bien parler, je me suis fait intimider dans l'autobus dernièrement, et j'ai été intimidé en quatrième année. Je suis maintenant en sixième année. Je m'endors souvent en pleurant, le soir, quand j'ai peur.

Citation 7 :

Je faisais de l'intimidation en sixième année et au début de la septième — je suis maintenant en huitième année. Je n'ai jamais physiquement blessé quelqu'un, je les blesse juste avec des mots, et j'ai fait de la cyberintimidation quelquefois. Avant, j'étais solitaire et peu sûr de moi, je n'avais ni frère ni sœur ni animal domestique et je haïssais mes notes et mon image. Il fallait que je fasse quelque chose pour me sentir heureux. C'est devenu une habitude.

Jeunesse, J'écoute est en communication avec des jeunes victimes d'intimidation ainsi qu'avec les auteurs d'intimidation qui cherchent à lutter contre leurs impulsions.

Pour soulever deux ou trois points avant de poursuivre, Jeunesse, J'écoute a fait des recherches et collectes de données sur la cyberintimidation. Nous sommes désormais au courant des nombreuses recherches qui ont été faites dans ce domaine. Nous avons fait nos propres recherches en avril 2007 et publié un rapport intitulé La cyberintimidation : une nouvelle réalité pour les jeunes.

Ce rapport repose sur les réponses des jeunes qui visitent notre site destiné aux adolescents, les jeunes de 12 à 20 ans, au sujet de la cyberintimidation. Compte tenu de ce que nous avons appris à l'époque ainsi que de l'attention toujours croissante suscitée dans les médias, nous avons fait un nouveau sondage en 2001 afin de comparer les résultats. Nous avons donc diffusé une version modifiée du sondage original sur notre site web destiné aux adolescents, et nous avons tiré de nombreux enseignements de l'expérience.

En 2011, 65 p. 100 des répondants disaient avoir fait l'objet de cyberintimidation au moins une fois. Ce résultat est à la fois surprenant et inquiétant compte tenu du fait que les recherches actuelles indiquent qu'entre le quart et le tiers des jeunes, environ, ont été victimes de cyberintimidation. Il y a bien d'autres aspects, et je ne manquerai pas d'en relever quelques-uns.

Sur les formes de cyberintimidation : en comparant les chiffres obtenus lors des sondages de 2011 et de 2007, on constate que les sites de réseautage social tels Facebook et les plateformes de messagerie instantanée MSN ont inverti leur rôle. Là où le réseautage social était au troisième rang, il est passé au premier. Selon nos répondants, la cyberintimidation se fait surtout sur les sites de réseautage social. Aussi, à mesure que les jeunes renoncent au courrier électronique pour s'adonner à la messagerie par cellulaire celle-ci vient remplacer le courriel comme deuxième plateforme la plus répandue.

Parmi les formes d'intimidation subies par les jeunes, les insultes, les rumeurs et les menaces semblent prévaloir, et elles sont souvent associées les unes aux autres. Il y a tout un éventail de raisons pour lesquelles les jeunes hésitent à signaler qu'ils sont victimes de cyberintimidation. Ils ont tendance à penser que cela ne sert à rien. Quand nous avons demandé aux répondants à qui ils en parleraient en premier s'ils étaient victimes de cyberintimidation, la majorité, 65 p. 100, ont dit qu'ils en parleraient d'abord à un ami plutôt qu'à leurs parents, à leurs enseignants ou à des intervenants. Certains, 15 p. 100, se sont servis du champ « Autre » pour indiquer qu'ils n'en parleraient à personne. La plupart des jeunes ont le sentiment qu'ils n'ont que très peu de recours lorsqu'il s'agit de cyberintimidation. Quand nous leur avons demandé s'ils comptaient dénoncer de telles situations, les jeunes ont affirmé : « Je n'en parlerai pas, parce que personne ne m'écouterait », « Je ne le dirai à personne. Je mettrai ce que je ressens par écrit. » « Je garde ça pour moi. C'est mon problème. »

À Jeunesse, J'écoute, nous travaillons à une série de stratégies de prévention et d'intervention face à la cyberintimidation, dont nous pourrons parler un peu plus tard. Il s'agit notamment de ce qui suit : intervenir et répondre efficacement; garantir l'anonymat et la confidentialité aux jeunes qui signalent des situations de cyberintimidation; et encourager les jeunes pour qu'ils se sentent à l'aise en communiquant avec nos intervenants en sachant que l'aide qu'ils recevront leur permettra de passer à l'étape suivante. Nous utilisons les nouvelles technologies pour aider les jeunes. Nous travaillons à diverses initiatives d'éducation et de sensibilisation. Nous sommes engagés à sensibiliser le public au sujet de l'intimidation et de la cyberintimidation, ce que nous faisons à l'aide de notre campagne de sensibilisation des jeunes et de cartes à insérer dans son portefeuille lorsque le jeune communique pour le compte d'un ami. Nous nous prévalons du soutien de nombreux organismes partenaires pour aider à garantir un accès sécuritaire à un service qui fait la différence.

Nous aiguillons les jeunes vers des ressources. Nous nous occupons du suivi des services, de la collecte de données et de la recherche et évaluation en continu. Nous participons activement à obtenir l'implication des jeunes. À Jeunesse, J'écoute, notre service se fonde sur la reconnaissance que les jeunes sont les vrais « experts » en ce qui a trait à leur propre vie. Nous croyons qu'il est impératif qu'ils participent véritablement et authentiquement à la mise au point de solutions aux problèmes avec lesquels ils sont aux prises, en faisant entendre leur voix à l'égard des enjeux importants qu'ils aimeraient voir sur notre site web et nos ressources en ligne.

Nous avons quelques recommandations à formuler afin de réduire les conséquences de la cyberintimidation chez les jeunes. Il sera question de renseigner les Canadiens sur des questions touchant la cyberintimidation par un certain nombre de moyens, par exemple en faisant en sorte que les adultes se familiarisent avec la question et qu'ils comprennent ce qui se passe; en élaborant des définitions et des lignes directrices claires quant à la cyberintimidation afin que les gens puissent s'exprimer de manière claire et concise sur ces questions; et en appuyant les travaux sur la cyberintimidation.

Le gouvernement devrait appuyer les organismes de services sociaux et les établissements d'enseignement afin de les aider à contrer la cyberintimidation et les autres formes de victimisation et de discrimination fondée sur des préjugés dans la société canadienne. Tous les programmes devraient satisfaire à des critères précis, dont les suivants : être fondés sur des données probantes; promouvoir l'apprentissage social et affectif; fournir du soutien individuel; favoriser l'intégration; et être adaptés au contexte local. Nous reconnaissons que les collectivités rurales, éloignées et urbaines ont chacune des problèmes différents.

À Jeunesse, J'écoute, nous sommes sur le terrain dans la vie des enfants chaque jour pour aider les jeunes et nous sommes témoins de leur vécu. Nous savons que ceux qui cherchent à obtenir de l'aide ont effectué un premier pas sur la bonne voie pour trouver de nouveaux moyens d'obtenir le soutien dont ils ont besoin. Nous sommes continuellement en train d'apprendre nous-mêmes et de former nos intervenants et les équiper pour soutenir ces jeunes confrontés aux nouveaux défis que la cyberintimidation pose pour eux.

Suzanne McLeod, préparatrice de programmes d'études, Centre for Suicide Prevention : Bonsoir, honorables sénateurs. Je voudrais vous remercier de cette occasion qui nous est donnée de vous fournir quelques renseignements sur le suicide et la cyberintimidation. Comme on vous l'a dit, je m'appelle Suzanne McLeod et je suis Anishinabe-ikwe, de la Première nation Sagkeeng, au Manitoba. Plus précisément, je travaille au sein de la collectivité autochtone et je collabore également avec le Centre for Suicide Prevention à Calgary.

Nous aimerions commencer par dire que le suicide est un problème complexe qui comprend des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels et qui peut être influencé par les comportements sociétaux et l'entourage de la personne touchée.

Le suicide est la deuxième cause de décès parmi les adolescents canadiens âgés de 15 à 19 ans. Un adolescent canadien sur cinq subit une maladie mentale sous une forme ou une autre, et moins de 10 p. 100 de ces jeunes recevront les services nécessaires pour les aider à surmonter leurs problèmes mentaux ou leurs dépendances.

Le suicide demeure un des problèmes de santé publique les plus graves au Canada. Dans notre mémoire, nous avons fourni les tout derniers chiffres de Statistique Canada sur les suicides au Canada pour vous mettre en contexte. Nous savons que les personnes affichant un comportement suicidaire et celles qui risquent le suicide connaissent un stress affectif vraiment accablant. La plupart des gens qui font des tentatives de suicide ne veulent pas nécessairement mourir; elles veulent seulement mettre fin à la douleur.

Or, nous avons un véritable problème quand vient le temps d'aider les gens qui nourrissent des idées suicidaires. Il est difficile d'amener l'intéressé à parler de ce qui s'est passé ou de dialoguer avec la famille et l'entourage d'une personne ayant commis l'irréparable. La stigmatisation du suicide et le refus relatif de notre société de parler ouvertement du suicide, de même que le risque de suicide et les questions de santé mentale placent un fardeau psychologique démesuré sur la personne vulnérable et se transforment pour elle en autant d'obstacles qui l'empêchent d'obtenir de l'aide.

Nous savons que parler de suicide avec une personne à risque n'augmente pas ses chances de faire une tentative de suicide.

Nous avons demandé aux jeunes pourquoi ils ne cherchaient pas tout simplement à obtenir de l'aide de quelqu'un quand ils avaient des idées suicidaires ou qu'ils faisaient une tentative de suicide. Ils nous ont donné toutes sortes de raisons. Ils avaient peur ou honte qu'on se moque d'eux, ou qu'on leur cherche noise plus fréquemment encore. Ils avaient le sentiment que personne ne les écouterait. Ils ne tenaient pas à ce qu'on leur dise qu'ils avaient tort ou raison. Ils craignaient que quelqu'un vienne leur flanquer une volée de coups. Ils avaient honte d'avoir ce genre de pensées. La plupart des jeunes ne parleront pas à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas vraiment — par exemple, un intervenant scolaire, un facilitateur social, une thérapeute. Les gens avec lesquels ils parlent sont tout d'abord des amis, des gens auxquels ils font confiance.

Les comportements suicidaires et les suicides attribuables à la cyberintimidation sont un phénomène malheureux de plus en plus récurrent dans notre société. Nous avons fourni plusieurs exemples de date récente sous « lived experiences references » dans notre mémoire, que je vous invite à consulter.

La cyberintimidation et l'intimidation classique laissent de nombreux jeunes dans un état de colère, de frustration, de tristesse, de crainte et de honte, et ont des répercussions négatives sur les plans psychologique, affectif et comportemental.

Malgré le nombre croissant d'incidents liés au suicide dans lesquels la cyberintimidation est un facteur déterminant, il n'y a pas vraiment de recherches solides établissant un lien direct entre la cyberintimidation et le suicide. Nous ne disposons tout simplement pas de cette information.

Il existe néanmoins un lien avéré entre l'intimidation classique, le harcèlement et la victimisation par les pairs, ce qui contribue à créer des états de dépression, la perte de l'estime de soi ou encore un sentiment de désespoir et de solitude. Ce sont là invariablement des signes avant-coureurs de pensées et de comportements suicidaires, voire de tentatives de suicide.

Dans nos recherches sur la cyberintimidation et le suicide, nous avons trouvé que toutes les formes d'intimidation, y compris celles infligées en ligne, s'associent très souvent à une recrudescence des idées suicidaires. Les victimes de cyberintimidation étaient deux fois plus susceptibles d'avoir fait une tentative de suicide par opposition aux jeunes qui n'en avaient pas fait l'objet. Les élèves qui font l'expérience de la cyberintimidation, que ce soit comme victimes ou comme auteurs, ont beaucoup moins d'estime d'eux-mêmes que ceux qui y sont exposés de manière limitée ou pas du tout. Les victimes et les auteurs songent davantage au suicide que leurs pairs, de part et d'autre. Le harcèlement sexuel et l'homophobie sont des ingrédients massivement présents dans la cyberintimidation.

Cela dit, aucune recherche n'a, pour l'instant, entièrement exploré le lien entre l'estime de soi et la cyberintimidation, et c'est là un critère clé compte tenu de la relation essentielle qui existe entre l'estime de soi, la « suicidalité » et le suicide proprement dit. Je crois d'ailleurs que M. Patchin en parlera lors de sa déclaration.

Il est parfois difficile pour les adultes de comprendre l'implacable degré d'influence qu'Internet exerce sur les jeunes. Je ne suis pas si vieille que cela, mais j'avoue que je suis bouleversée. Mes enfants sont dans la vingtaine et au début de la trentaine, et c'est incroyable. C'est ainsi qu'ils communiquent et se parlent entre eux, depuis le moment où ils se réveillent le matin jusqu'à l'heure d'aller dormir. Nous assistons à un phénomène qui est présent sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Le cyberintimidateur s'en prend essentiellement aux besoins psychologiques et sociaux de la personne, particulièrement chez les jeunes. Il importe néanmoins de reconnaître que de nombreux adolescents et jeunes qui ont songé au suicide, ou qui en ont fait la tentative, voire qui, à ce que nous sachions, se sont suicidés après avoir été victimes d'intimidation ou cyberintimidation, avaient souvent dans leur vie d'autres problèmes affectifs ou sociaux, ou les deux. Ce n'est pas la cyberintimidation à elle seule qui a produit ce résultat. Il est en fait peu probable qu'elle mène à elle seule au suicide; elle contribuerait plutôt à aggraver les facteurs qui créent l'instabilité et le stress chez la personne en cause.

Le Centre for Suicide Prevention travaille auprès de la collectivité autochtone au développement de programmes d'études ciblés, comprenant des sujets comme la cyberintimidation et le suicide. Nous ciblons la collectivité autochtone en raison de plusieurs facteurs qui nous sont connus. L'âge moyen des Autochtones qui se suicident est sensiblement inférieur à celui du reste de la population. Par exemple, en Alberta l'âge moyen où l'on se suicide se situe à 44 ans. L'âge moyen pour les Autochtones est de 29 ans.

Les suicides chez les jeunes de Premières nations sont de cinq à sept fois plus nombreux que ceux de la moyenne nationale. Parmi les jeunes Inuits, ce taux peut même être jusqu'à 11 fois supérieur. Dans certaines collectivités, nous savons qu'il est de 35 p. 100 plus élevé que la moyenne nationale. Ce taux est parmi les plus élevés au monde.

S'agissant des Autochtones, il faut néanmoins faire une distinction entre les jeunes indiens et les jeunes inuits en raison des facteurs d'isolement et des conditions sociales qui prévalent dans une bonne partie de leurs collectivités.

D'ici 10 ans, de 75 à 85 p. 100 de la population autochtone globale sera selon toute attente constituée de jeunes de moins de 29 ans.

Nous sommes face à une crise potentielle en ce qui a trait au suicide, à l'intimidation et à la cyberintimidation, étant donné que la plupart de ces phénomènes se produisent entre 15 et 19 ans.

Cependant, et non sans quelque réserve, j'aimerais dire que chaque collectivité autochtone est distincte. Nous parlons là uniquement de statistiques générales. Certaines collectivités ont de solides soutiens culturels et sociaux, alors que d'autres n'en ont pas.

Le suicide est le produit d'interactions complexes entre les facteurs de stress environnementaux, situationnels, socioéconomiques et culturels que connaît une personne, le tout en fonction de la structure familiale et de la collectivité en général.

Ce qui fait le caractère unique des collectivités autochtones, c'est que nous avons des liens beaucoup plus intimes entre nous. Nous avons des relations qui remontent à plusieurs générations, qui datent de l'ère des réserves. Nous avons des liens familiaux qui remontent à 150 à 200 ans en raison de la ségrégation dont nous avons fait l'objet en tant qu'Autochtones.

Lorsqu'un drame tel qu'un suicide a lieu dans la collectivité, nous assistons fréquemment à toute une série de suicides, qui se produisent les uns après les autres, particulièrement parmi nos jeunes. Comme par procuration, le suicide affecte chaque personne de la collectivité. Je le sais parce que je l'ai vécu. Nous composons avec ce genre de situation au quotidien.

À cause du chagrin et du traumatisme que provoquent de tels événements, nous n'avons pas le temps de guérir au sein de la collectivité entre un suicide et le suivant. Ce que nous avons certainement constaté, c'est que l'intimidation et la cyberintimidation ont des effets dévastateurs parmi nos jeunes.

La cyberintimidation aggrave tout symptôme de dépression. Elle augmente l'anxiété et élimine tout sentiment de contrôle personnel car la personne n'a plus l'occasion d'affronter l'intimidateur comme elle aurait pu faire sur un terrain de jeu ou à l'école. Ce phénomène isole la personne socialement. Tout cela fait déjà partie du vécu des jeunes Autochtones en raison des effets intergénérationnels de la colonisation, des pensionnats et de l'aide sociale à l'enfance.

Nos jeunes sont en train de connaître la violence familiale, les dépendances et les problèmes de santé mentale au-delà de toute commune mesure. L'introduction et les effets de la cyberintimidation au sein d'une population déjà vulnérable ne font qu'exacerber la situation.

Nous avons fourni quelques exemples dans la brochure intitulée What's Your Story? Vous la trouverez dans votre trousse d'informations. La parole et l'écriture, comme disait Mme Wood... les enfants peuvent s'exprimer très franchement en écrivant. Nous avons des extraits de commentaires des divers enfants autochtones auxquels nous avons parlé au cours d'une rencontre. Leurs commentaires sont très directs et désolants. Ces enfants doivent composer avec des problèmes extrêmement lourds, et ce sur une base quotidienne. Aucun enfant ne devrait jamais être victime de cyberintimidation ou de suicide.

En guise de conclusion, nous aimerions dire que le suicide et la cyberintimidation reflètent la complexité de la psychologie et du comportement humains. Il nous est pour ainsi dire impossible de prédire comment une personne va réagir face à des pressions externes. Le Centre for Suicide Prevention effectue des recherches, organise des ateliers, prépare des programmes d'études, et nous offrons tout cela à n'importe quelle collectivité urbaine, rurale, provinciale, nationale ou internationale, c'est-à-dire à quiconque souhaite obtenir cette information.

Nous offrons une formation, mais ce que nous fournissons plus concrètement, ce sont des informations sur la prévention, l'intervention et la « postvention » à l'égard du suicide. Malgré tout cela, malheureusement, il est pour ainsi dire impossible de prédire un suicide. Tout ce que nous pouvons faire c'est de fournir des outils pour atténuer les risques et aider la personne et la famille à en faire autant auprès des personnes touchées.

Nous avons présenté 17 recommandations sur les thèmes de la loi, du bien-être mental, de la recherche et d'une stratégie nationale. Nous aimerions en souligner sept ici.

La présidente : Désolée, madame McLeod, il ne nous reste qu'une demi-heure. Nous avons les recommandations devant nous. Peut-être que vous pourriez en parler quand nous vous poserons des questions.

Mme McLeod : Je tiens seulement à en souligner sept.

La présidente : Cela nous laissera moins de temps pour poser des questions. Normalement, nous disposons de cinq minutes pour faire une déclaration et ensuite nous posons des questions. Si vous pouvez nous fournir les sept, nous en tiendrons compte, bien évidemment. Cela nous donnera ainsi l'occasion d'étudier certaines des choses que vous avez dites. D'accord?

Mme McLeod : D'accord.

La présidente : Merci.

Le sénateur Ataullahjan : Merci pour vos déclarations et pour l'incroyable travail que vous accomplissez.

Dans les cas auxquels vous avez eu affaire, quelle est la prévalence du phénomène de la cyberintimidation? Ces cas se sont-ils directement rapportés à la cyberintimidation ou à d'autres questions, comme l'intimidation classique, des problèmes familiaux et des mauvais traitements?

Dans un deuxième temps, j'aimerais savoir si vous recevez des appels d'enfants dont les amis se sont suicidés. Je vous pose la question parce qu'il y a six semaines, un ami intime de ma fille, qui se disait de nature optimiste, s'est suicidé. La culpabilité que je constate chez ses amis, surtout chez celui qui avait parlé avec lui la veille de son décès... Que peut- on dire à des enfants qui vivent ce genre de chose? J'ai beaucoup de jeunes comme ça chez moi et je constate à quel point cet événement les a changés.

Mme Wood : Merci pour vos questions. Je demanderais à M. Johnson, qui dirige les services cliniques de notre bureau du Québec et assure la supervision de nos intervenants, d'y répondre.

[Français]

Alain Johnson, directeur des services cliniques en français, Jeunesse, J'écoute : Quand on parle de cyberintimidation, d'intimidation et des effets dramatiques qui peuvent aller jusqu'au suicide, on parle généralement des jeunes qui subissent de l'intimidation ou de la cyberintimidation, et les jeunes qui en sont victimisés. On oublie très souvent les jeunes qui sont autour de ces jeunes, qui sont, au quotidien, témoins de ce qu'on écrit sur Facebook, de ce qu'on dit dans les autobus scolaires, de ce qui se passe à la maison. Et ces jeunes qui sont inquiets pour leurs amis vivent une détresse souvent aussi grande parce qu'ils se sentent impuissants. On a des jeunes qui nous appellent parce qu'ils ont des amis qui ne vont pas bien, qui ont exprimé des idées suicidaires, et qui nous demandent comment intervenir.

Puisqu'à Jeunesse, J'écoute les appels sont confidentiels et anonymes, on ne peut pas intervenir directement auprès de ces jeunes. Par contre, le travail qu'on fait, c'est d'amener le jeune à identifier les alliés naturels dans sa famille, dans son école, dans sa communauté. Quels sont les adultes, les organismes qui vont pouvoir leur venir en aide directement et, surtout, assurer la sécurité du jeune qui ne va pas bien. Cela peut être le suicide, ou des idées de fugue, ou encore décider de quitter l'école parce que l'intimidation est insupportable.

Toutes les recherches le démontrent, les témoins sont souvent la première clé pour diminuer l'intimidation. Le rôle de l'adulte est essentiel pour arrêter les gestes d'intimidation et de cyberintimidation, mais les témoins, les autres jeunes qui sont présents, au lieu d'être silencieux et, je dirais, d'alimenter la puissance de l'intimidateur, ces témoins ont souvent un rôle excessivement important et les jeunes ignorent ce rôle. Je pense que comme adultes, on doit soutenir les jeunes qui sont témoins.

Pour revenir à la question, les jeunes sont souvent des victimes collatérales d'un geste, comme un décès par suicide. Ils sont souvent aussi victimes de l'intimidation qu'ils voient. On doit les soutenir dans leur propre processus de deuil, parce que les témoins, les amis, la famille ont un processus de deuil à faire.

Il arrive qu'un jeune nous appelle pour nous dire qu'il est actuellement sur MSN avec un ami qui parle de suicide, et nous demande comment il peut l'aider. C'est là, je pense, qu'on doit réaliser le pouvoir de la technologie et comment on est malheureusement souvent mal équipés pour répondre au moment de l'urgence. J'espère que cela répond à la question.

[Traduction]

Le sénateur Ataullahjan : Dans la deuxième partie de ma question, je cherchais à savoir si vous recevez des appels d'enfants dont les amis se sont suicidés. Que leur dites-vous? Comment les aidez-vous à composer avec leur chagrin?

Mme McLeod : Le Centre for Suicide Prevention n'est pas un centre d'aide et d'écoute, nous ne recevons donc pas les appels directement des clients. Nous les acheminons vers le centre de détresse à Calgary.

Cependant, dans le contexte des ateliers, il nous est arrivé de parler à des personnes comme vous qui nous posent exactement la même question : comment composez-vous avec cela? Que pouvons-nous faire?

En réponse à votre question, nous ne recevons pas d'appels directement.

Je tiens d'ailleurs à ajouter quelque chose aux propos de M. Johnson. Les enfants nous disent les mêmes choses. Ils sont en train de suggérer qu'ils devraient rendre leurs amis responsables les uns des autres, car ce sont eux qui se retrouvent à devoir faire face à la situation. Ce sont eux qui subissent l'intimidation et la cyberintimidation. Nous pouvons avoir tous les outils, dépliants et messages que vous voudrez, mais ces enfants ne réagiront pas sauf s'il s'agit de leurs amis. La psychologie des jeunes est ainsi faite.

Le sénateur Hubley : Merci pour vos déclarations. Je vais adresser ma question à Mme McLeod, si vous le permettez.

Vous avez évoqué le fait qu'un suicide dans une collectivité autochtone est souvent suivi par d'autres. Avez-vous une explication à cela?

L'autre aspect où j'aimerais que vous me donniez votre avis c'est de savoir comment l'événement fait la une des médias lorsqu'il se produit. On retrouve habituellement beaucoup d'histoires de la sorte dans les médias et elles sont suivies de près. Je me demande si cela a oui ou non une incidence sur ce qui arrive.

Mme McLeod : En réponse à votre question sur les médias, oui, les médias nous donnent une certaine couverture. Quant au nombre de suicides, ils en font souvent écho. Mais je pense qu'on aurait tort d'affirmer que c'est uniquement à cause du nombre de suicides, car dans ce cas les médias devraient se rendre dans certaines collectivités presque toutes les semaines, ou chaque mois.

Pouvez-vous répéter la première partie de votre question?

Le sénateur Hubley : Vous avez dit dans votre déclaration que lorsqu'il y a un suicide parmi la collectivité autochtone, il est souvent suivi par un autre suicide ou même par plusieurs suicides en même temps. Y a-t-il une raison à cela?

Mme McLeod : Pas vraiment. Nous en avons une idée, c'est simplement parce que les enfants ont des liens très étroits entre eux, sur les plans social et psychologique. Nous devons retenir que nous parlons de jeunes, qu'il s'agisse d'Autochtones ou du reste de la population. Les jeunes sont fréquemment affectés par les suicides dans leurs familles ou dans leur entourage. Si un de leurs amis se suicide, il arrive souvent que ces jeunes fassent une tentative de leur côté, car c'est comme si leur copain leur avait ouvert la voie. Le suicide n'est pas vraiment accepté au sein des collectivités autochtones, du moins à certains égards. C'est une honte pour la famille et la collectivité, mais ce n'est pas aussi scandaleux que chez les non-Autochtones.

Je sais que cela ne répond pas vraiment à votre question.

Le sénateur Hubley : C'est bien.

Mme McLeod : Si nous parlons de la psychologie des enfants, nous ne savons pas pourquoi il y a des suicides dans les collectivités autochtones. Ces enfants sont isolés par le simple fait des conditions sociales qui règnent dans leurs collectivités en raison de la pauvreté et du traumatisme intergénérationnel. Ce sont là des aspects particuliers à la collectivité autochtone, et c'est ce qui les relie. Cela devient presque acceptable. Je ne veux pas utiliser ce mot parce qu'il peut être mal interprété, mais c'est l'attitude qu'on adopte. C'est moins scandaleux dans la collectivité autochtone, mais c'est vécu plus intensément à certains égards.

[Français]

M. Johnson : Lorsqu'on essaie d'évaluer le risque suicidaire, le risque qu'un jeune passe à l'action, on doit toujours tenir compte des facteurs de protection, mais aussi des facteurs de risque. On sait que pour un jeune ou un adulte, vivre un deuil par suicide augmente le risque suicidaire. Sachant qu'à l'adolescence, les jeunes ayant tellement besoin d'un sentiment d'appartenance, si un jeune vit le décès par suicide d'un de ses amis, on sait que c'est un facteur de risque supplémentaire. Si le jeune est déjà fragile, déjà vulnérable, c'est sûr que ce deuil peut le rendre encore plus en danger. Ce qui pourrait, dans certains cas, expliquer l'espèce d'effet domino qu'on peut vivre un peu partout. On l'a vécu malheureusement l'an dernier en Nouvelle-Écosse. C'est un phénomène qui est connu sur le plan de la prévention du suicide.

Je vous dirais qu'il est difficile d'évaluer l'impact des médias. Ce n'est pas le fait d'en parler, mais de voir comment on en parle. À l'automne dernier, on a vécu, malheureusement, le décès d'une jeune, à Gatineau, qui s'est suicidée suite à une situation d'intimidation très sévère. Au Québec, cela a fait les médias pendant très longtemps. Le fait d'en avoir parlé dans les médias permet aux jeunes qui vivent la même situation en silence de savoir qu'il y a des portes de sortie, qu'il y a des ressources. Et si cela permet à ces jeunes de tendre la main, d'appeler et de parler avec un adulte, on vient peut-être d'apporter indirectement l'aide à un jeune qui se sentait seul au monde. C'est excessivement délicat, et c'est grandement une question de savoir comment on en parle.

[Traduction]

Mme Wood : Une des rubriques que nos jeunes consultent sur notre site web, est celle que nous avons baptisée « Pose ta question en ligne », ainsi que des forums sur l'intimidation et la cyberintimidation. Les jeunes affichent leur expérience ou une question et un intervenant professionnel y répondra. Il peut s'agir d'une question qui les préoccupe profondément. L'intérêt c'est que la réponse de l'intervenant pourrait ne pas être lue uniquement par la personne qui a posé la question. De 40 à 80 autres jeunes en moyenne pourront lire la réponse.

Les jeunes nous disent qu'en allant sur le site et lisant des questions et des réponses sur un problème auquel ils sont confrontés personnellement, ils se sentent moins seuls et mieux reconnus, car ils s'aperçoivent qu'ils ne sont pas seuls à éprouver la même chose. Cela commence à leur donner une certaine résilience ainsi que la capacité de chercher de l'aide s'il le faut.

C'est aussi une ressource pour les parents que nous invitons à visiter le site, à voir le type de questions que posent les jeunes et à découvrir comment un intervenant professionnel répond à ces questions. Ainsi, les adultes connaîtront le vocabulaire à employer avec leurs enfants.

Robert Olson, bibliothécaire, Centre for Suicide Prevention : Je dois convenir avec M. Johnson que les médias s'y prennent beaucoup mieux qu'avant pour parler des suicides, mais il y a encore place à l'amélioration. Nous avons produit deux ou trois chroniques sur les médias, plus précisément sur les suicides liés à la LNH l'été dernier et sur deux ou trois autres questions. L'Association canadienne pour la prévention du suicide, l'ACPS, fournit des lignes directrices aux médias sur la manière de parler des suicides. Je crois que les médias sont en train de beaucoup s'améliorer.

Une fois de plus, comme dans bien des domaines, nombre de choses sont à améliorer.

Le sénateur Meredith : Madame McLeod, vous avez mentionné un taux de suicide de cinq à sept fois plus élevé chez les collectivités autochtones. Cette donnée m'inquiète et je vous parle comme quelqu'un qui milite contre la violence chez les adolescents depuis les 11 dernières années à Toronto. Nous constatons des problèmes de santé mentale et le fait que les jeunes d'aujourd'hui lancent des attaques vicieuses — qu'il s'agisse d'agressions physiques ou de cyberintimidation — et qu'ils cherchent vraiment à transmettre des messages assez hargneux qui vont droit au but et font mal.

Que font les leaders de ces collectivités? J'examine toujours les choses en commençant par le haut de la pyramide. Pour moi, c'est là qu'il faut chercher l'origine de tout problème au sein d'une collectivité. Nous avons un problème au sein de la communauté noire en ce qui a trait à la violence chez les jeunes, et j'ai assumé le leadership à ce sujet. J'encourage les autres à en faire autant. Voilà que nous avons un problème, une crise est en train de se produire dans la collectivité. Quelle a été la réaction des dirigeants? Quant à moi, je ne me contente pas de dorer la pilule. Nous parlons ici d'enfants dont la vie est en danger.

Mme McLeod : Pour ce qui est de la réponse du leadership et du contexte, je vais répondre à votre question. Les dirigeants sont dans la réserve même, au sein de la collectivité des Premières nations. Nos dirigeants n'ont qu'une réponse très limitée simplement parce que le mot « suicide » est honteux pour les nôtres. Il y a une bonne dose de culpabilité qui s'y rattache. C'est à cause de nos liens familiaux et générationnels. Il y a beaucoup de honte autour du suicide.

Je travaille au sein d'une collectivité de Pieds-Noirs et en parlant aux anciens je découvre qu'il n'y a pas de mot pour « suicide ». Nous cherchons à changer le langage culturel de la collectivité pour commencer à régler la question. Les gens ne sont pas sans savoir que le problème est là, puisqu'ils le constatent régulièrement, mais ils refusent de s'y attaquer. Il faut les sensibiliser en partie par le truchement de la loi ainsi que de campagnes et de stratégies, de même que par l'implantation de soutiens. Les anciens ont aussi un rôle à jouer dans cette sensibilisation. Nous sommes en train d'essayer une stratégie différente au Centre for Suicide Prevention. Nous avons invité les anciens à collaborer. Si vous voulez vous adresser au plus haut échelon de la communauté autochtone, il faut commencer par les anciens; il ne faut pas aller voir le chef et le conseil, car ils suivent les conseils des anciens.

Tout ça est très limité, car le phénomène est plutôt récent, et ce n'est que depuis les années 1980 et 1990 que nous avons entrepris d'étudier le suicide dans les communautés autochtones. Nous commençons à reconnaître que nous avons un problème bien précis au sein de notre collectivité.

Le sénateur Meredith : Je crois que le problème est là. Vous avez beau refuser d'admettre quelque chose d'aussi répandu, le fait est là, on l'a sous les yeux. Pour pouvoir accepter quelque chose et aller de l'avant, il faut commencer par reconnaître qu'il y a un problème. Comment pouvons-nous travailler collectivement pour régler ce problème, conjugué à la marginalisation de ces jeunes, aux conditions déplorables dans lesquelles ils vivent, et au fait qu'ils sont déconnectés? Tels sont les facteurs dont vous avez parlé. Ces jeunes ont le sentiment qu'il n'y a pas d'espoir.

Nous leur parlons de la violence et des armes à feu et nous leur demandons « pourquoi est-ce que vous vous rassemblez? Est-ce parce que vous avez des liens affectifs? » Quand quelqu'un est exclu du groupe, il se dit « Je ne fais plus partie du groupe; je vais mettre fin à ma vie » et cela a des répercussions psychologiques sur tous les autres, et ils disent « je n'ai qu'à mettre fin à mes jours moi aussi ». On constate cet effet domino au sein de la collectivité et c'est tragique. Merci de votre réponse.

Madame Wood, qu'allez-vous faire au sein de votre organisme pour ce qui est d'impliquer les commissions scolaires, aller dans les écoles et en définitive de partager une partie de ce témoignage? J'estime qu'il est essentiel que nous commencions à parler de ces histoires vraies qui sont arrivées aux victimes qui nous contactent — c'est ce que vous faites — et à sensibiliser les intimidateurs également.

Mme Wood : Nous sommes invités dans le système scolaire de quelques provinces. En Ontario, nous avons la chance de pouvoir compter sur un certain soutien financier pour les besoins de diffusion dans les écoles au sujet de l'intimidation et de la cyberintimidation. Un excellent exemple pour nous a été la Semaine de la sensibilisation à l'intimidation, en novembre, où nous avons fait énormément de travail de diffusion dans des établissements allant de l'intermédiaire au secondaire. Nous avons mis à disposition les ressources et le matériel que nous avons en ligne et avons fait participer les jeunes aux échanges concernant les problèmes auxquels ils sont confrontés. Dans la foulée de cet effort de diffusion, nous avons constaté une véritable multiplication du nombre d'appels à notre service dans les semaines et les mois qui ont suivi. En définitive, nous avons réussi à faire de la sensibilisation, c'est-à-dire à favoriser des échanges en langage clair. En donnant aux jeunes quelques exemples et outils, nous les avons outillés pour qu'ils puissent éventuellement demander de l'aide plus tard.

C'est intéressant parce que certains de nos intervenants professionnels qui parlent avec les jeunes tous les jours se sont dotés de moyens pour organiser des exposés et ateliers de nature concrète en milieu scolaire. Quand les jeunes voient un intervenant professionnel, qu'ils comprennent la réalité et sont conscients qu'ils auront du soutien s'ils le demandent, les questions qu'on pose dans un milieu comme celui-là leur permettent d'avoir une idée plus précise de l'accès qu'ils ont aux types de soutien offerts.

Nous avons mis au point des ressources remarquables en ligne pour les enfants et adolescents en ce qui a trait à la sécurité en ligne et à la cybersécurité. Nous espérons que le personnel enseignant en fera usage. Nous les avons distribuées en anglais et en français. Ces outils sont conçus pour aider les jeunes à comprendre comment ils doivent s'y prendre pour veiller à se maintenir en sécurité. Ils ne comprendront même pas le vocabulaire utilisé s'ils sont encore très jeunes, mais si nous les familiarisons dès le départ et si nous fournissons au personnel enseignant ce vocabulaire, le défi se posera en terme d'effectif à déployer, car il faudra toujours plus de personnes et de bénévoles pour se rendre dans les endroits qu'il nous faut atteindre.

Le sénateur Andreychuk : J'ai une question qui revêt un certain intérêt pour moi. Est-ce que les jeunes comprennent que ce qu'ils écrivent en ligne reste là à tout jamais? Avant, on se contentait d'écrire une petite note et de la glisser sous le casier de la personne ciblée. La note était anonyme, on pouvait donc dire toutes sortes de choses cruelles en pensant que personne ne pourrait deviner qui en est l'auteur. De nombreux jeunes avec lesquels je parle pensent que le message a disparu pour de bon puisqu'ils l'ont effacé. On peut inscrire les pensées les plus viles sans avoir à s'autocensurer ni à s'inquiéter de son comportement ni des éventuelles conséquences.

Est-ce que j'ai tort de dire qu'une partie de l'éducation en la matière consiste à veiller à ce qu'ils sachent que cela les suivra tout au long de leur vie et qu'il en sera de même pour la victime?

M. Johnson : Quand nous parlons avec les enfants nous leur fournissons les toutes dernières technologies. Ils ont habituellement deux ou trois générations d'avance sur nous. La plupart d'entre eux savent qu'il y a des caractéristiques de sécurité. Ils peuvent configurer leur page Facebook pour plus de sécurité, mais ils ne le font pas habituellement. Ils parcourent les informations comme nous, et cliquent sur « J'accepte » au bas du formulaire sans rien lire.

Nous fournissons des outils puissants aux enfants. Ils ont accès à ces outils. Les écoles leur demandent d'utiliser ces outils, mais nous avons oublié de leur dire comment s'en servir de manière sûre. Je crois que l'on peut faire beaucoup d'éducation et de prévention en travaillant simplement avec les enfants sur le mode d'emploi des outils. Nous devrions parler de l'éthique sur Internet. Pouvons-nous dire n'importe quoi à n'importe qui? Qu'est-ce qui est privé? Qu'est-ce qui est public? Des choses de la sorte. Il y a beaucoup d'espace pour l'éducation.

Ce n'est pas parce qu'ils sont plus chevronnés que nous sur la manière d'utiliser la technologie, qu'ils savent nécessairement s'en servir de manière sûre.

Le sénateur Andreychuk : Pas plus que les conséquences de son utilisation.

M. Johnson : Tout à fait.

Mme Wood : Lorsqu'un intervenant professionnel parle à un groupe et pose des questions, certains jeunes ne savent même pas qu'ils ont inopinément fait de la cyberintimidation ou créé un fichier éternel. Par exemple, si l'intervenant demande : « Est-ce que l'un de vous, dans cette classe de septième, a déjà affiché sur Facebook la photo de quelqu'un qui n'aurait pas donné son accord pour ça? Autrement dit, avez-vous affiché la photo d'un de vos amis ou de quelqu'un que vous connaissez, tandis que cette personne aurait préféré que vous ne le fassiez pas? » Plusieurs élèves lèvent la main et l'intervenant ou l'enseignant dit : « C'est ainsi que débute la cyberintimidation. Voilà ce qu'il faut faire pour la prévenir. » Le message ou la photo sera là à perpétuité, à tout jamais. Si vous postulez un emploi dans cinq ou 10 ans, quelqu'un pourrait faire une recherche sur votre nom et trouver des choses que vous ne voudriez pas qu'on trouve. C'est uniquement en décrivant des aspects pratiques que nous pouvons communiquer aux jeunes l'importance de ces enjeux.

Le sénateur Andreychuk : Sur les questions de suicide dans les collectivités autochtones, qui n'est pas un enjeu nouveau, je suis heureuse de savoir que vous semblez optimiste, madame McLeod. Sur quels enjeux insistez-vous, sur les technologies modernes ou sur la dynamique communautaire?

Mme McLeod : Nous nous intéressons au bien-être mental au sein de la collectivité sous l'angle du contexte culturel. C'est notre point de mire et c'est pourquoi nous travaillons avec les anciens et faisons participer les jeunes autant que possible. La réalité au sein de la collectivité autochtone, c'est que nous pouvons avoir tous les programmes de participation des parents, de surveillance et de police que vous voulez, tous les soutiens qui existent, mais il arrive souvent, même pour nos travailleurs de première ligne qui vont chez les gens ainsi que pour les enseignants dans les écoles, que ces gens-là aient affaire à des enfants en situation de crise. Nous devons nous occuper de leurs besoins les plus essentiels : Est-ce qu'ils mangent à leur faim? Y a-t-il de la violence familiale au foyer? Ont-ils un endroit où dormir? Un endroit qu'ils peuvent appeler maison? Subissent-ils de mauvais traitements? Tout cela ce sont des besoins primordiaux. Nous avons beau avoir tous les programmes que vous voudrez, il faut résoudre ces choses-là. Nous parlons donc là d'un contexte extrêmement vaste.

La présidente : Madame McLeod, malheureusement je ne vous ai pas laissé finir quand vous vouliez mettre en relief certaines de vos recommandations. Nous avons toutes vos recommandations devant nous. Ce serait utile que vous nous citiez la recommandation, parmi les sept, que vous tenez à mettre en relief. Si vous n'avez pas ce document sous la main maintenant, vous pouvez nous le donner plus tard.

Mme McLeod : Rapidement, la recommandation numéro un que nous aimerions formuler...

La présidente : Mentionnez simplement le numéro de la recommandation. Pourquoi ne pas nous envoyer tout ça plus tard?

Mme McLeod : Premièrement, il convient de définir clairement la cyberintimidation dans une loi.

La présidente : Contentez-vous de nous donner le numéro.

M. Olson : C'est la numéro un.

La présidente : Inutile de vous presser. Vous pouvez nous donner tout cela plus tard et nous le ferons parvenir aux membres du comité.

J'aimerais en profiter pour vous remercier toutes et tous. Vous travaillez au contact de jeunes qui sont dans la détresse et vous vous occupez quotidiennement de questions très difficiles. Nous admirons votre travail et nous vous en remercions. Nous vous savons gré également de nous avoir consacré une grande partie de votre temps aujourd'hui.

J'aimerais à présent accueillir notre dernier groupe de témoins pour ce soir. Soit Justin Patchin, codirecteur, Centre de recherche sur la cyberintimidation à l'University of Wisconsin-Eau Clair, qui se joindra à nous par vidéoconférence.

Nous avons également Michel Boivin, professeur et chaire de Recherche du Canada en développement de l'enfant, École de psychologie de l'Université Laval et enfin Mme Jennifer Shapka, de l'Université de la Colombie-Britannique, de ma province. Bienvenue également.

Nous commencerons par M. Patchin.

Justin W. Patchin, codirecteur, Centre de recherche sur la cyberintimidation, University of Wisconsin-Eau Clair : Bonsoir mesdames et messieurs. Je suis heureux de me retrouver ici aujourd'hui pour vous parler un peu de mes recherches et du travail auquel je consacre ma vie entière depuis 10 ans. Je dois dire que je ne suis pas habitué à inscrire mes commentaires à l'avance et à les lire de la sorte, mais j'ai estimé qu'il serait important afin de vous donner autant d'informations que possible dans le bref intervalle qui m'est accordé pour vous adresser la parole. J'ai l'habitude de présenter un atelier d'une durée de six heures à l'intention des éducateurs sur la question de la cyberintimidation, mais j'ai du mal à croire que quelqu'un ici voudrait me voir parler aussi longtemps.

Par ailleurs, je ferai mes remarques à l'aide de citations et de tableaux et de matériel que vous pourrez consulter au terme du débat.

Je m'appelle Justin Patchin. J'enseigne des cours en justice pénale à l'University Wisconsin-Eau Clair. Je viens d'achever ma huitième année dans ce poste. Avant d'arriver à Eau Clair, j'ai passé cinq ans à la Michigan State University, où j'ai achevé mes études supérieures et où j'ai enseigné et effectué des recherches.

Dès mon arrivée à la Michigan State University, j'ai rencontré Sameer Hinduja, qui était là pour étudier la criminalité informatique. Nous partagions un bureau extrêmement petit et un jour nous avons simplement commencé à parler de nos intérêts respectifs, les miens dans le domaine de la délinquance juvénile, la violence dans les écoles et l'intimidation, les siens dans la criminalité informatique, l'usurpation d'identité et d'autres formes émergentes de criminalité liées à la haute technologie.

Nous avons commencé à réfléchir aux manières dont les jeunes utilisaient la technologie pour se faire mal les uns aux autres. Nous avons entendu le terme « cyberintimidation » mais nous ne savions pas ce que cela comportait. Cela se passait autour de 2001, et personne d'autre n'étudiait ce problème à l'époque, nous avons donc pris les devants.

Nous avons mené depuis sept sondages officiels auprès de plus de 12 000 élèves dans 80 écoles des quatre coins des États-Unis, nous avons interviewé des parents, des éducateurs et des policiers pour obtenir leurs divers points de vue sur le problème.

La présidente : Monsieur Patchin, nous avons une difficulté. Nous sommes un pays bilingue, et nous ne pouvons projeter votre exposé en PowerPoint que s'il est dans les deux langues. Si vous permettez, je vous suggère de vous en tenir à une présentation orale. Vous pouvez nous fournir votre exposé en PowerPoint en anglais, et nous veillerons à le faire parvenir à nos membres. Nous ne pouvons pas du tout profiter du visuel et je vous demanderais de vous limiter à des commentaires verbaux.

M. Patchin : Bien sûr, pas de problème, je le ferai volontiers. Je mettrai l'exposé à votre disposition après mon intervention. La partie visuelle contient uniquement des graphiques et des tableaux. Vous pouvez prendre note de ces données en écoutant mes commentaires et mes remarques et nous pourrons bien sûr discuter de tout cela.

On peut dire que nous étudions ce problème depuis 10 ans. Nous avons posé des questions sur l'intimidation classique qui a lieu dans les écoles, mais il y a beaucoup d'autres chercheurs compétents qui ont également abordé ce problème, alors, et à la lumière du thème de cette discussion, je me limiterai à vous parler de cyberintimidation.

La cyberintimidation implique le recours à des ordinateurs, à des téléphones cellulaires ou à d'autres dispositifs électroniques dans l'intention de faire du mal à d'autres de manière délibérée et répétée. Comme c'est sans doute une définition imparfaite, quand nous effectuons des sondages auprès des élèves et d'autres personnes sur ce problème, nous parlons de cyberintimidation chaque fois que quelqu'un utilise des téléphones cellulaires et d'autres dispositifs électroniques pour harceler, maltraiter quelqu'un d'autre ou s'en moquer en ligne de manière répétée. Nous leur posons ensuite des questions sur neuf types de comportements différents auxquels ils ont pu faire face — texte, vidéo, audio, harcèlement — au cours de leur vie, et dans les 30 derniers jours. Nous consacrons également beaucoup de temps pour rester au fait de ce que font les autres chercheurs, aux États-Unis et à l'étranger.

Que savons-nous de la cyberintimidation? Les chiffres estimatifs du nombre d'adolescents qui ont subi ce phénomène ne font que se multiplier. Je peux citer une étude parue dans une revue universitaire à comité de lecture qui affirme que 72 p. 100 des adolescents ont été victimes de cyberintimidation, alors qu'une autre publication affirme que ce chiffre se situerait plutôt près de 5 p. 100.

Les chiffres sont tout aussi disparates à l'heure de déterminer le nombre d'élèves auteurs d'intimidation. Combien d'adolescents ont été victimes de cyberintimidation? L'été dernier nous avons passé en revue toutes les études publiées en la matière pour tenter de cerner la question. Ces résultats ont été publiés dans notre ouvrage, Cyberbullying Prevention Response : Expert Perspectives, qui comprend des contributions de plusieurs chercheurs.

À l'été 2011, on comptait au moins 42 articles publiés dans des revues scientifiques avec comité de lecture et portant sur tout un éventail de disciplines universitaires. Dans 35 études qui comprenaient les taux de victimisation, les chiffres variaient de 5,5 à 72 p. 100, la moyenne se situant à 24 p. 100. La plupart des études estiment que 6 à 30 p. 100 des adolescents ont connu une forme de cyberintimidation, et, pour les 10 dernières années, ces constatations rejoignent les nôtres. Dans le cadre de nos recherches qui se sont échelonnées sur sept études différentes et auprès de 12 000 élèves, en moyenne, 27 p. 100 des élèves que nous avons consultés ces 10 dernières années ont fait l'objet de cyberintimidation. Plus récemment, nos données portant sur quelque 4 500 élèves de cycles moyen et secondaire de la dernière année scolaire ont révélé qu'environ 21 p. 100 des élèves avaient été victimes de cyberintimidation, soit un adolescent sur cinq. Le nombre d'élèves qui avouent avoir fait de la cyberintimidation est inférieur, mais comparable.

Les 27 études publiées dans des revues avec comité de lecture, études qui portaient sur des comportements de cyberintimidation, sur des comportements blessants, indiquent que de 3 à 44 p. 100 des adolescents ont signalé avoir pratiqué la cyberintimidation, soit une moyenne de 18 p. 100. Cela rejoint également nos propres constatations. Tout au long des travaux que nous avons effectués depuis les 10 dernières années, les élèves qui affirment avoir été victimes de cyberintimidation constituent une moyenne de 17 p. 100 environ.

Nous pouvons faire quelques grandes généralisations à propos de la cyberintimidation en nous fondant sur nos propres recherches et celles des autres. Par exemple, parmi les adolescents, les filles sont tout aussi susceptibles que les garçons, sinon plus, d'être victimes de cyberintimidation. Ce phénomène est lié à un manque d'estime de soi, à des idées suicidaires, à la colère, à la frustration et à une série d'autres problèmes d'ordre affectif et psychologique. La cyberintimidation se rapporte à des questions qui se passent dans le monde réel, dont des problèmes scolaires, des comportements antisociaux, des dépendances et la délinquance.

L'intimidation classique demeure plus répandue que la cyberintimidation, du moins ici aux États-Unis, mais les deux sont pour ainsi dire indissociables, puisque ceux qui font objet d'intimidation à l'école sont tout aussi vulnérables en ligne et les auteurs d'intimidation à l'école auront tendance à le faire en ligne également.

Il faut effectuer beaucoup plus de recherches. Nous n'avons pas de bonnes données longitudinales sur la cyberintimidation. Nous n'avons pas non plus de bonnes évaluations des programmes portant sur la sécurité en ligne ou la cyberintimidation.

J'aimerais récapituler mes commentaires initiaux en parlant de l'importance du climat scolaire. De nombreuses recherches effectuées au cours des 30 dernières années montrent qu'un climat positif à l'école contribue, entre autres résultats souhaitables, à améliorer l'assiduité et le rendement des élèves. Quoique limitées, les recherches effectuées sur le climat scolaire et l'intimidation classique soulignent également son importance à l'heure de prévenir les conflits entre les pairs. La documentation existante a invariablement cerné une relation proportionnellement inverse entre le climat et l'intimidation. Plus le climat est positif à l'école, moins il y a d'intimidation qui se passe à l'école. Nos recherches depuis l'an dernier ont également démontré que, plus le climat à l'école est positif, moins la cyberintimidation et d'autres comportements en ligne posent problème. C'est ce que nous constatons dans les écoles également, qu'il s'agisse des victimes ou des fauteurs.

Nous avons également constaté que les enseignants qui parlent de ces questions avec leurs élèves sont en train de faire une différence. Bien que pratiquement la moitié des élèves aient affirmé que leurs professeurs ne leur ont jamais parlé de l'importance de la sécurité à l'ordinateur, et que quelque 70 p. 100 des élèves aient affirmé que leurs professeurs ne leur ont jamais parlé de la nécessité d'utiliser les téléphones cellulaires de manière responsable, lorsque ces conversations surgissent, elles semblent avoir un effet positif. D'après ce qu'ils nous ont dit, les élèves à qui un professeur avait parlé de la nécessité d'être prudent à l'ordinateur sont sensiblement moins susceptibles de déclarer qu'ils ont commis des actes de cyberintimidation dans les 30 derniers jours.

Enfin, les élèves évoluant dans un meilleur climat scolaire sont plus enclins à dire que leur école est plus susceptible d'intervenir face aux incidents de cyberintimidation signalés à un enseignant ou autre éducateur à l'école. Bref, les éducateurs qui réussissent à établir une classe et un climat scolaire motivant et attentif feront de grands pas en avant pour prévenir toute une série de comportements problématiques à l'école et en ligne.

En guise de conclusion, je voudrais mentionner trois domaines concrets à viser dans vos travaux futurs. Premièrement, il faut davantage de recherches. Nous devons être mieux renseignés sur toutes les formes d'intimidation, savoir ce qui fonctionne dans le domaine de la prévention et de l'intervention.

Deuxièmement, il faut une loi qui soit prescriptive, réfléchie, axée sur la preuve et soutenue par des ressources adéquates. Si le législateur entend sérieusement faire quelque chose pour mettre fin à l'intimidation, il doit aller au-delà de la rhétorique pour fournir des ressources appropriées aux parents, aux écoles et aux policiers.

Troisièmement, le fait d'insister sur l'amélioration du climat scolaire peut avoir une incidence importante sur tout un éventail de comportements problématiques. Si les élèves ont le sentiment qu'on s'occupe d'eux à l'école et s'ils apprécient ce genre de relations, ils s'abstiendront à leur tour d'adopter des comportements qui risquent de détériorer ces relations. L'intimidation et la cyberintimidation ne sont pas uniquement des problèmes scolaires, mais aussi des sujets de préoccupation sociétaux. Tout le monde a un rôle et une responsabilité et cela peut commencer avec nous aujourd'hui.

Je serais heureux de participer au débat.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous passerons maintenant à Mme Shapka.

Jennifer Shapka, professeure agrégée, Département de psychologie de l'éducation et de l'orientation et éducation spécialisée, Université de la Colombie-Britannique : Je vous remercie de m'avoir invitée à parler de mes recherches ici aujourd'hui. Je suis psychologue du développement et je m'intéresse aux répercussions sur la santé des adolescents qui grandissent à l'ère numérique. Dans le cadre de mes travaux, j'ai exploré plusieurs comportements à risque que les adolescents affichent en ligne ou auxquels ils sont exposés, et même si la cyberintimidation est un phénomène assez récent, c'est une composante de plus en plus importante de ce travail.

Mes recherches sur la cyberintimidation ont exploré la façon dont elle diffère des formes classiques d'intimidation, ainsi que la façon dont elle est touchée par la nature des relations entre les parents et l'enfant. Je parlerai brièvement de ce travail pour ensuite formuler quelques recommandations sur la manière dont nous pourrions réduire la cyberintimidation au Canada.

Je prétends personnellement qu'en raison de la nature structurelle et fonctionnelle des technologies de l'information et des communications, il est des aspects de l'agression en ligne dont on ne tient pas compte ou qui diffèrent des définitions actuelles de l'intimidation.

L'intimidation a toujours été définie comme un acte agressif qui vise à faire du mal de manière répétée, et qui se produit dans le cadre d'un déséquilibre de pouvoirs.

En ce qui a trait à l'intention de nuire, nos recherches ont démontré que, pour les adolescents qui affichent des choses en ligne à propos d'autres personnes, il est « simplement question de plaisanter » et très rarement de causer du tort à la personne. Bien entendu, nous savons que les répercussions sont souvent dévastatrices pour la victime et, en fait, certaines études avancent que la cyberintimidation est peut-être plus nocive sur le plan affectif que le fait d'être victime d'intimidation au sens conventionnel du terme.

Quant à la répétition en ligne, nous avons constaté que ce sont les spectateurs virtuels qui sont souvent responsables du sentiment d'humiliation répétée ressentie par les victimes. Par exemple, certains des cas de cyberintimidation les plus médiatisés portaient sur un événement unique, et pourtant la victime continuait à revivre l'événement à maintes reprises parce que la contribution initiale continuait de circuler et d'être affichée par d'autres.

Enfin, le pouvoir. Dans les formes d'intimidation classiques, le pouvoir appartient à la personne la plus forte physiquement ou à celui qui possède le plus de compétences. Dans un environnement virtuel, ce même déséquilibre de pouvoirs ne doit pas nécessairement exister et nos recherches le confirment. D'aucuns ont prétendu que ceux qui ont des compétences technologiques sont ceux qui détiennent le pouvoir en ligne. Néanmoins, comme les interfaces sont de plus en plus conviviales, Internet est devenu un terrain de plus en plus égal. Cela rend l'agression et les représailles en ligne d'autant plus faciles. Nos données suggèrent que cela a contribué à augmenter le nombre de personnes qui signalent avoir été victimes, mais aussi auteurs. Ce constat est préoccupant, car les soi-disant victimes s'en tirent beaucoup moins bien au chapitre des résultats psychosociaux et qu'elles font état de troubles du comportement beaucoup plus complexes.

En soulignant les différences entre les formes d'intimidation classiques et en ligne, je n'essaie pas de minimiser l'importance des agressions se produisant en ligne, pas plus que je ne veux suggérer que rien de tout cela ne reflète nos définitions conventionnelles. Cela dit, les jeunes sont en train de se livrer à de nombreux actes agressifs et hostiles en ligne dont la portée leur échappe, et ce qui m'inquiète, c'est que les programmes d'intervention et de prévention existants risquent de se révéler inefficaces pour ce qui est de cibler et de réduire ce genre de comportements.

Un aspect sur lequel je me suis penchée pour réduire la cyberintimidation, c'est le rôle des parents. Les parents reçoivent un grand message des médias : pour maintenir leurs adolescents en sécurité dans ces échanges en ligne, ils doivent contrôler, surveiller ou gérer les moindres détails des comportements de leurs adolescents en ligne. Malheureusement, ces gestes ne sont pas efficaces et pourraient en fait porter tort au développement de l'adolescent en bonne santé, car les adolescents ont besoin d'atteindre l'autonomie par rapport à leurs parents, de devenir responsables de leurs propres actes et de prendre des décisions d'eux-mêmes. Certes, le travail que nous avons fait a révélé que plus les parents essaient de contrôler les activités en ligne de leurs enfants, plus il y a de chances que leurs enfants admettent avoir participé à des comportements à risque, comme la cyberintimidation. En revanche, si les parents ont une relation ouverte et honnête avec leurs enfants de sorte que ceux-ci se sentent à l'aise et divulguent toutes les choses qu'ils reçoivent en ligne, ils seront beaucoup moins nombreux à signaler des cas de cyberintimidation. Ce schéma révélé par nos constatations vient contredire les messages de crainte que les parents sont en train de recevoir des médias de masse.

Quant à nos recommandations, je suis persuadée que je fais écho à ce que d'autres affirment quand je suggère qu'il nous faut une campagne nationale de sensibilisation du public, ainsi que des programmes d'éducation et de prévention ciblant concrètement la cyberintimidation.

Néanmoins, comme l'ont démontré nos travaux, si ces programmes sont appliqués du haut vers le bas et s'ils ont un caractère punitif ou s'ils visent à contrôler les comportements, ils ne seront pas utiles. Les parents et éducateurs ne sont pas des champions du numérique et ils ne peuvent donc pas avoir le même pouvoir de persuasion que ceux qui s'y connaissent. Faire en sorte que des néophytes enseignent aux experts n'est sans doute pas un moyen efficace de créer des expériences d'apprentissage motivantes pouvant aboutir à un changement de comportement positif. Je crois plutôt que nous devons canaliser le pouvoir de la voix des jeunes et créer des programmes lancés et dirigés par les jeunes. En impliquant les jeunes à des niveaux qui comptent et non pas de manière simplement symbolique, ils participeront de manière active au changement au lieu d'être des victimes que nous cherchons à protéger.

Pour que ces recommandations soient efficaces, je crois également qu'elles doivent être à la fois valables sur le plan écologique et pertinentes pour les jeunes. Cela veut dire qu'elles doivent être incorporées aux outils technologiques à propos desquels nous essayons d'éduquer les jeunes. J'estime que les médias sociaux auront un rôle important à jouer à ce niveau.

Le rôle des parents et des éducateurs sera très important également. Concrètement, nous devons appuyer et éduquer les parents et les enseignants sur la manière de créer des environnements à la maison et à l'école qui intègrent les principes fondamentaux des droits de la personne et de la justice sociale comme une pratique quotidienne. Comme partie intégrante de cela, les parents et les enseignants doivent pouvoir aider les jeunes à renforcer leur capacité de leadership afin que ce soit eux qui veillent à ce que la socialisation en ligne soit inclusive et reflète les principes de responsabilité sociale.

[Français]

Michel Boivin, professeur et chaire de Recherche du Canada en développement de l'enfant, École de psychologie, Université Laval : Je suis très honoré d'être ici aujourd'hui. Je suis à l'Université Laval et je dirige une programmation de recherche sur le développement de l'enfant. Je me définis comme un psychologue de développement avec un background de formation en psychologie sociale. Donc, je peux porter les deux chapeaux selon l'occasion.

Je dirige un programme de recherche sur le développement de l'enfant qui est essentiellement arrimé à de grandes études longitudinales, dont deux études ont été démarrées à l'enfance. Ces études se poursuivent. On en est maintenant à une douzaine d'évaluations répétées. Ces études longitudinales portent sur un ensemble varié de phénomènes, dont l'intimidation, qui est d'un intérêt particulier pour moi.

Je n'ai aucune expertise sur la question de la cyberintimidation. J'ai, par ailleurs, travaillé beaucoup sur la question de l'intimidation, des effets de l'intimidation et des facteurs de risque de l'intimidation, mais la question de la cyberintimidation est relativement nouvelle. C'est un phénomène nouveau qu'on tente actuellement d'intégrer dans nos études longitudinales. On recueille maintenant des données sur cette question, peut-être pas de façon très sophistiquée encore, mais ce sont des projets en cours, donc on pourra éventuellement apprendre même de cette rencontre et apporter des ajouts.

Qu'est-ce qu'on a appris depuis 25 ans sur la question de l'intimidation et de la victimisation? Il y a quand même des études longitudinales qui nous ont informés beaucoup. Nos travaux, et ceux de plusieurs collègues d'un peu partout, nous ont permis de confirmer qu'il y avait environ de 10 à 15 p. 100 d'enfants qui étaient victimisés de façon chronique et répétée dans le temps. Les études longitudinales sont essentiellement des études où on effectue le suivi d'enfants sur plusieurs années, ce qui nous permet de documenter non seulement l'événement lorsqu'il survient à un moment donné, mais aussi de façon chronique, dans quelle mesure les enfants peuvent être exposés à des expériences négatives dans leurs relations avec les pairs.

On a aussi pu confirmer, encore là grâce au pouvoir des études longitudinales, qu'il y avait des impacts importants associés au fait d'avoir été victime d'intimidation, des impacts dont on a parlé abondamment aujourd'hui, dont des impacts sur le plan de la santé mentale, mais aussi sur les comportements et l'attitude vis-à-vis l'école; des impacts généralement négatifs. Mais peut-être que la grande leçon de ces études longitudinales, c'est que plusieurs peuvent être affectés donc exposés aux événements négatifs, mais tous ne réagissent pas de la même façon, et donc, cela reste encore une inconnue : quels sont les facteurs de risque et de protection qui peuvent faire en sorte qu'un enfant, lorsque confronté à cette même réalité, va réagir différemment? C'est un objet de recherche important dans ces études longitudinales.

On a appris que le contexte social était important, que l'intimidation n'était pas un phénomène isolé qui se passait uniquement entre un intimidateur et un intimidé, mais que cela engageait souvent une partie du groupe social; de là l'importance d'intervenir pour mitiger ce genre d'événement négatif. On a aussi appris que le contexte social était important, que les normes sociales et locales étaient importantes, le climat scolaire était important, mais qu'au-delà des facteurs contextuels, il y a des enfants qui, très tôt dans leur développement, sont plus à risque que d'autres d'être exposés à ce type d'événement. Les études longitudinales nous permettent de documenter cet aspect-là.

Il y a plusieurs facteurs de risques. Des choses assez connues comme l'obésité, les problèmes de langage, mais peut- être que le facteur ou les facteurs les plus souvent étudiés sont les comportements sociaux, la façon dont l'enfant se comporte socialement. L'agressivité et l'hyperactivité sont des caractéristiques associées à la probabilité d'être victime de harcèlement tôt en milieu scolaire et, progressivement, on assiste à une moins grande association entre ces facteurs externalisant et la susceptibilité à l'intimidation, pour avoir plus des enfants qui présentent des caractéristiques d'anxiété, d'inhibition, qui deviennent alors des cibles privilégiées, je dirais, peut-être vers la fin du primaire au début du secondaire. Nous avons pu documenter cela également à travers les études longitudinales.

Il y a donc plusieurs facteurs de risque. La question est de savoir qu'est-ce que la cyberintimidation apporte : dans quelle mesure la cyberintimidation change la donne? Je pense qu'il y a au moins quatre éléments dans la cyberintimidation qui laissent croire que la cyberintimidation est un cas particulier qui mériterait toute notre attention — et ce que je vais dire a déjà été évoqué ici aujourd'hui : 1) la difficulté d'y échapper, le fait d'être prisonnier de notre réputation; 2) l'audience qui est beaucoup plus grande dans le cas de la cyberintimidation qui fait que le potentiel de répercussion est beaucoup plus grand; 3) le réseautage, qui est probablement un élément important aussi; on parle des moyens qu'apportent les réseaux sociaux, on ne parle pas de réseaux sociaux pour rien; c'est aussi la capacité de s'organiser pour marginaliser certaines personnes, ce qui est un outil supplémentaire pour les groupes d'enfants. Je pense enfin que la distanciation que permet la cyberintimidation est un élément important qui, probablement, encourage à aller beaucoup plus loin dans les formes d'intimidation.

Cependant, toutes ces questions, à mon avis, ne sont encore que des réflexions. On manque cruellement d'information sur la cyberintimidation sur le plan du développement. À quel moment ce phénomène émerge-t-il? Quels sont les facteurs de risque précurseurs qui annoncent qu'un enfant pourra être intimidateur ou intimidé? Dans nos travaux sur l'intimidation, on a noté, par exemple, que très tôt, même à l'âge préscolaire, certains enfants sont la cible de comportements négatifs de la part d'autrui. Donc la marginalisation, le rejet et la victimisation, d'une certaine façon, commencent très tôt.

Est-ce qu'il y a un lien entre ce qu'on observe à la petite enfance et à l'enfance et les phénomènes de cyberintimidation? On ne connaît rien de cela; on manque cruellement d'études longitudinales sur cette question. Il est dans nos intentions, évidemment, de documenter cet aspect-là. Nos enfants — ceux de nos cohortes longitudinales — auront bientôt 15 ans, l'âge où le phénomène prend vraiment de l'ampleur, et on compte bien pouvoir documenter ces aspects-là ultérieurement.

Je suis maintenant disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Vos recherches vous ont permis de conclure que l'intimidation et la cyberintimidation sont deux choses très différentes, et qu'elles le sont assez pour ne pas nous laisser présumer que des interventions conçues pour l'une sont tout aussi valables pour l'autre. Pourriez-vous tous deux répondre à la question de savoir quelles sont les mesures que les chercheurs, les enseignants, les parents, les législateurs et autres experts devraient prendre à l'issue de ces observations? Comment ces observations devraient-elles façonner la politique et le développement des programmes à l'avenir?

Mme Shapka : Je ne suis pas sûre de me souvenir de toutes les questions, mais n'hésitez pas à me faire savoir si je ne suis pas en train d'y répondre.

Je trouve des différences dans l'intimidation en ligne, et je ne tiens pas à en faire abstraction. Internet est un autre outil que les enfants sont en train d'utiliser pour cibler une personne. Je crois qu'il y a des aspects qui rendent l'expérience unique quand il s'agit de s'y prendre en ligne. J'ai examiné certains de ces cas et il y a encore des aspects à envisager.

Quelle était votre question à propos de la politique?

La présidente : Ma question était la suivante : que devons-nous déduire de vos constatations? Notre politique doit- elle être différente pour l'intimidation et la cyberintimidation?

Mme Shapka : Au cœur de toute campagne de lutte contre l'intimidation, il y a un effort central d'apprentissage et de développement socio-affectif soulignant la responsabilité sociale. Cet aspect est tout à fait essentiel dans les deux cas. Je crois que nous maîtrisons assez bien le langage. J'ai une fille de huit ans qui connaît parfaitement le vocabulaire des intimidateurs et des victimes ainsi que des curieux et des témoins. Nous avons des programmes dans les écoles, mais je ne crois pas que ce serait différent en ligne.

J'estime qu'il s'agit d'éduquer les gens ou d'approfondir la question encore davantage. Nous devons inclure ce qui se passe en ligne et montrer qu'il existe des moyens pour que ce soit différent afin de préciser que la responsabilité sociale s'étend aussi, pour ne pas dire de façon encore plus importante, à ce que nous faisons dans un environnement virtuel. Ils doivent comprendre qu'il est plus facile de s'exprimer sans ambages et de se montrer agressif en ligne, et nous devons pouvoir les aider à comprendre cela.

[Français]

M. Boivin : Ce qui me préoccupe le plus avec la cyberintimidation, c'est son potentiel négatif, pour toutes sortes de raisons qui ont été évoquées ici. Ma première préoccupation est la suivante : si c'est bien le cas que la cyberintimidation est une nouvelle donne et qu'elle augmente l'impact négatif que peut avoir la marginalisation et l'intimidation, je pense que cela mérite toute notre attention. Il y a eu plusieurs témoignages assez poignants aujourd'hui indiquant que cela semble être le cas. Cependant, la recherche systématique, basée sur la population, est manquante à l'heure actuelle. On a besoin de plus d'informations sur cette question, mais il faut rester très vigilant sur cet aspect de l'impact.

L'autre question qui me vient en tête suite à votre intervention c'est : quels sont les facteurs de risque? Est-ce que les facteurs de risque sont les mêmes? Est-ce que les intimidateurs qui vont avoir recours abondamment à la cyberintimidation sont les mêmes que les intimidateurs dans la cour? C'est aussi une question importante sur le plan de l'intervention puisque si on a affaire à des facteurs de risque différents, ce sont des cibles d'intervention différentes. C'est aussi vrai pour l'intimidé.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Patchin, le comité est parfaitement au courant de votre travail. Aujourd'hui d'autres témoins nous ont appris qu'il existe au Wisconsin une loi visant ce type de harcèlement criminel. Pouvez-vous nous dire un mot de cette loi? Êtes-vous conscient de son existence et quel en est l'impact d'après vous?

M. Patchin : Évidemment. Je vais faire le point sur un ou deux aspects.

En revenant à la question précédente et à l'idée que, dans nos recherches, nous trouvons de nombreux dénominateurs communs entre la cyberintimidation et l'intimidation à l'école. Je tiens à préciser que, personnellement, je ne crois pas que la technologie donne naissance à de nouveaux intimidateurs ni à de nouvelles cibles d'intimidation. Il y a un peu de cela, mais il s'agit pour la plupart des mêmes enfants. Cela m'amène à croire qu'il est des interventions qui ont récolté de modestes succès dans les cas d'intimidation, qui pourraient également fonctionner pour la cyberintimidation.

Par exemple, on pourrait songer à inculquer aux enfants qu'il faut traiter les autres avec respect et vivre sa vie avec intégrité, en agissant comme il faut, que ce soit en ligne ou ailleurs. En somme, leur inculquer les principes de la charité la plus élémentaire.

L'autre exemple concret de cyberintimidation à faire entrer en ligne de compte, cette fois-ci sur le plan politique — le débat est d'ailleurs très vif ici aux États-Unis — c'est de savoir si les écoles ont en réalité le pouvoir d'intervenir dans les cas de cyberintimidation, puisque ces comportements ont lieu à l'extérieur du terrain de l'école. Ils se produisent quand les élèves sont en train d'utiliser leurs propres ordinateurs, dans leur temps de loisir, dans l'intimité de leur propre chambre. La question a suscité énormément de débats.

Il est très clair — au moins aux États-Unis — que, en vertu d'une loi de la Cour suprême, les écoles ont l'autorité voulue pour intervenir face à la cyberintimidation ou à tout autre comportement ou langage qui se produit, même à l'extérieur de l'école, si ledit comportement vient déranger de manière importante le milieu d'apprentissage à l'école. Comme vous vous penchez sur des décisions de nature stratégique — et peut-être même sur une loi —, je crois qu'il importe que vous veilliez à ce que ce type d'entente existe au Canada également. Ainsi, les écoles se sentiront habilitées à prendre des mesures en faveur des élèves qui vivent ce genre d'expérience et tentent d'obtenir de l'aide.

Plus concrètement, en ce qui a trait aux lois de l'État du Wisconsin, nous avons une loi qui relève du droit pénal qui condamne l'utilisation de dispositifs électroniques à mauvais escient. Au Wisconsin, l'usage d'une communication électronique dans l'intention de menacer quelqu'un est considéré un délit, une infraction punie d'une peine correctionnelle. Ainsi, l'utilisation de propos obscènes devient passible d'une amende. Ce qui est fascinant, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'agents de police qui ont émis des chefs d'accusation en vertu de cette loi. J'ai parlé à de nombreux agents de police qui visitent les écoles et à d'autres policiers dans tout l'État et il n'y en a que très peu qui sont au courant de cette loi ou qui ont inculpé une personne en vertu de celle-ci. Le plus souvent, ils se contentent d'inculper la personne pour inconduite ou en vertu d'une autre loi de ce genre.

Comme vous le savez peut-être, l'Arizona a récemment tenté d'adopter une loi analogue qui a créé un tollé dans les médias, car ceux-ci y voyaient une entrave à la liberté d'expression. Je n'ai eu vent d'aucune réserve à propos de notre loi et elle est en vigueur depuis 1995. Il se peut que personne ne sache qu'elle existe.

Notre loi sur l'intimidation dans l'État du Wisconsin est assez faible. Elle vient tout juste d'être adoptée, c'était en 2010. Elle se contente d'exiger que les écoles se dotent d'une politique en matière d'intimidation et que notre département d'État de l'Éducation en prévoie certains éléments en proposant une politique modèle. Les écoles ne sont pas tenues d'adopter cette politique concrète. Elles pourraient essentiellement se tirer d'affaire en implantant une politique rudimentaire affirmant que l'intimidation n'est pas une bonne chose, sans donner beaucoup plus de détails. Voilà deux ou trois ans que je préconise auprès des législateurs du Wisconsin qu'il faut ajouter des dispositions à cette loi, l'améliorer et la renforcer pour qu'elle puisse aider les écoles à intervenir face à ce problème.

La présidente : D'après ce qui se passe aux États-Unis, selon mes informations — mais peut-être pas dans votre État —, les agents de police qui visitent les écoles s'y connaissent souvent peu en matière d'intimidation, surtout quand il s'agit de cyberintimidation. Quelle a été votre expérience quant à leurs connaissances à ce sujet?

M. Patchin : Vous l'avez bien dit. Nous avons mené un sondage auprès de policiers il y a 18 mois. Nous avons interrogé un échantillon de ceux qui travaillent quotidiennement dans les écoles. Nous avons également interrogé un échantillon de leurs supérieurs et superviseurs, par exemple un lieutenant ou un chef adjoint ou quelqu'un de plus haut placé dans la hiérarchie, mais qui ne travaillait pas dans les écoles. Le plus grand problème auquel nous nous sommes heurtés dans nos recherches, c'est qu'environ la moitié des policiers conventionnels et leurs patrons ne savaient même pas si leur État avait une loi sur la cyberintimidation. Quant aux agents qui visitent les écoles, 25 p. 100 des répondants ignoraient si leur État avait une telle loi.

Vous avez tout à fait raison; il y a une certaine forme d'ignorance. En ma qualité de professeur de justice pénale, je donne des cours à des agents de police pendant la journée. Je crois qu'il est nécessaire de poursuivre leur formation à propos de ces enjeux, car ils ne doivent vraiment pas intervenir à moins que la loi ne soit clairement violée. Nous prétendons que les forces de l'ordre ont un rôle à jouer, même si la loi n'a pas été enfreinte, qu'elles peuvent faire du travail de prévention, d'éducation et de coordination avec les écoles en vue de résoudre le problème.

Le sénateur Ataullahjan : Monsieur Patchin, ma question s'adresse à vous. Vous avez signé de nombreuses publications et je remarque que vous mettez l'accent sur la prévention dans tous vos ouvrages. Le dernier s'intitule Preventing Cyberbullying and Sexting One Classroom at a Time. Trouvez-vous que les jeunes se rendent compte des répercussions de leurs actions? Y a-t-il plus de filles que de garçons qui participent à ce genre de chose?

Nous avons discuté du rôle des parents, du personnel enseignant et des enfants, mais quel est le rôle de la publicité dans la conceptualisation, par exemple, de qui est « cool » et normal chez les adolescents et même chez les enfants plus jeunes, car les intimidateurs ont tendance à s'en prendre à tout ce qui diffère de la « normalité » au sens défini par les médias. S'il est vrai que nous devons parler d'intimidation aux enfants, il nous faut également inciter les adultes qui occupent des postes influents à assumer leur part de responsabilité.

M. Patchin : Oui, j'en conviens. Une bonne partie de notre travail s'articule autour de la prévention. Je suis tout à fait d'accord. Beaucoup de gens me demandent pourquoi je crois que les enfants optent pour l'intimidation et la cyberintimidation. Nous parlons des tenants et des aboutissants en fonction des recherches; mais je me range entièrement à votre avis. Nous n'avons pas à regarder beaucoup plus loin que du côté du comportement des adultes, des parents, du personnel enseignant et des médias.

Ici, au Wisconsin et aux États-Unis en général, les élections sont imminentes. Il est impossible d'allumer la télévision sans entendre un politicien élever la voix contre un autre et s'adonner à ce qu'on pourrait considérer du harcèlement. Voilà ce que voient les téléspectateurs, sans parler des émissions de téléréalité si populaires parmi le grand public, du moins ici aux États-Unis. En voyant tout cela, les adolescents tiennent à avoir leurs cinq minutes de célébrité. Ils veulent être célèbres. Ils veulent de l'attention; nous n'avons aucun doute à cet égard. S'ils ne peuvent pas obtenir cette renommée d'une manière conventionnelle ou conforme aux mœurs sociales, en réussissant soit dans leurs études ou dans les sports, ils feront tout ce qu'il faudra pour l'obtenir autrement. Le cas se produit dans des situations extrêmes où les adolescents se suicident après avoir été intimidés, sans parler de toute une série d'autres problèmes, et ils deviennent célèbres pendant les quelques minutes où ils meurent, ce qui est tragique.

Je suis d'accord, mais j'ignore s'il y a une solution à ce problème. Compte tenu de ce que font certains adultes dans les causes célèbres et dans les médias, eux aussi ont une part de responsabilité et un rôle à jouer.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup pour votre exposé. Je vais vous donner un peu de répit, monsieur Patchin, mais vous pourrez également répondre si vous le voulez.

Madame Shapka, vous avez parlé de l'engagement des parents et des enseignants. Monsieur Boivin, vous pouvez également vous prononcer là-dessus. Changeons de scénario maintenant en prenant les intimidateurs eux-mêmes. Vous avez parlé de la continuité des messages, de cas où des messages négatifs ont été affichés avec la participation de tiers. A-t- on fait des recherches sur ce qui se passe quand les personnes ayant participé ont ensuite changé d'avis et fait des reproches à l'intimidateur? Parce que, d'un seul coup, tout un groupe de personnes se porte à l'aide de la victime, comme si ces gens avaient une attaque de moralité et prenaient conscience d'avoir mal agi. Y a-t-il eu des choses de la sorte?

Mme Shapka : C'est intéressant. La plupart des constats que je tire des recherches qualitatives et quantitatives auprès des jeunes m'indiquent que cela n'arrive pas. D'autres viennent à la rescousse de la victime mais ce sera en fait comme une sorte de représailles; ils s'en prennent à la personne intimidée au départ.

Le terrain de jeu est plus égal dans un environnement en ligne. Nous y voyons des gens qui agissent comme intimidateurs aussi bien que comme victimes, ce qui a tendance à être le groupe le plus réduit dans l'intimidation classique et le plus vaste pour celle qui se déroule en ligne. Il est très facile de passer d'une forme à l'autre. Si quelqu'un dit quelque chose sur un tiers, la personne fait à son tour un commentaire, une autre personne encore se joint à la conversation et les insultes ne font que proliférer. D'un seul coup, tout le monde a joué un rôle dans un scénario d'intimidation, des témoins à l'intimidateur, en passant par les curieux.

Je crois en effet que c'est une voie à suivre pour un programme de prévention ou d'intervention. Nous parlons de la manière dont les enfants se protègent derrière l'écran de sorte qu'ils se sentent moins inhibés et plus libres d'afficher des choses en ligne, mais nous savons que les curieux et les témoins sont les gens qu'il est le plus difficile de mobiliser dans une situation d'intimidation. Dans un environnement en ligne, si nous canalisons ce manque d'inhibition et l'utilisons à bon escient pour inciter le jeune à agir de cette façon, alors je crois que nous obtiendrons exactement ce dont vous parlez.

Le sénateur Meredith : Croyez-vous que je devrais commencer tout de suite?

Mme Shapka : Oui.

M. Boivin : Les pairs font partie du problème, mais font également partie de la solution. Il y a une chercheuse finlandaise, Christina Salmivalli, renommée pour ses travaux sur le problème de la victimisation des intimidateurs. C'est à elle qu'on doit les termes « défenseurs » et « renforceurs ». Elle les a créés il y a quelques années quand elle cherchait à décrire une foule en présence d'un acte d'intimidation. Il ne s'agit pas concrètement de cyberintimidation, mais cela a été documenté pour l'intimidation classique et pour le rôle que certains enfants jouent pour ce qui est d'atténuer l'impact de l'intimidation en ligne, voire l'événement proprement dit.

M. Patchin : C'est une bonne question. Il n'existe pas de véritables études de qualité ou de recherches empiriques pour confirmer ce que vous avancez, mais on entend tout de même parler de cas où les élèves sont intervenus avec succès. Ce que nous savons en revanche, c'est que la menace d'une punition classique ne suffit pas à empêcher les adolescents d'être auteurs d'intimidation, de cyberintimidation ou de toute autre activité illégale. L'instauration d'une loi faisant de l'intimidation un crime n'empêchera pas les jeunes d'intimider, y compris dans le cyberespace. Par contre, la répréhension de ces actions par les amis et la famille peut amener un jeune à cesser l'intimidation. Les mécanismes de pression informels sont puissants à cet égard.

L'histoire que je raconte, à chaque fois que je donne un exposé aux États-Unis, est celle de la journée de la chemise rose; elle se déroule dans le Nord du Canada et elle a toujours beaucoup de succès. C'est l'histoire d'un étudiant de première année qui porte une chemise rose le premier jour de cours. Quelques étudiants de deuxième année s'en prennent à lui en le traitant d'homosexuel. Voyant cela, quelques étudiants de dernière année vont dans un magasin à un dollar pour acheter 50 chemises roses et publient une note sur Facebook. Le lendemain, cette action a fait boule de neige et plus de 250 étudiants portent du rose. Voilà exactement le type de culture et de climat qu'il faut créer. Dans le cas que je viens de vous relater aucun adulte n'est intervenu, que je sache. Ce sont les étudiants eux-mêmes qui ont décidé de s'exprimer contre ces agissements et de dire que leur culture et leur façon de traiter les gens est bien différente. Ils font passer le message qu'ici nous prenons soin les uns des autres, nous respectons notre prochain. Ce type d'interventions qu'elles soient formelles ou informelles est très prometteur.

Le sénateur Meredith : Merci infiniment pour ce message.

Ma prochaine question porte sur le handicap, la diversité, les injures et le cas des nouveaux immigrants arrivant aux États-Unis et au Canada et qui sont isolés et harcelés. Certaines personnes arrivent à bien gérer ces situations. Madame Shapka, vous avez dit que certaines personnes ne sont pas touchées par des remarques qui à l'opposé auront un effet dévastateur sur d'autres.

Les études effectuées expliquent-elles pourquoi? Je dirais que cela dépend de l'estime de soi de chacun. Pourriez-vous développer ce point en vous concentrant sur les résultats des recherches portant sur les minorités visibles, les nouveaux immigrants, qui expliqueraient pourquoi quelqu'un est visé et se fait intimider, y compris en ligne, parce que cette personne porte un turban par exemple?

Mme Shapka : Comme l'a indiqué le M. Boivin, nous savons que les enfants ont différents facteurs de risque qui les rendent plus susceptibles d'être la cible d'agressions. Le fait d'être différent ou marginalisé d'une façon ou d'une autre, que ce soit parce que l'enfant vient d'une minorité ethnique différente ou parce qu'il est homosexuel, bisexuel renforce les conditions de vulnérabilité.

De plus, je travaille actuellement sur un article avec un coauteur qui traite des différences individuelles encore plus subtiles et comment traiter les informations sociales. Si vous êtes du genre à ressasser les choses et à ne jamais oublier les remarques que l'on vous fait, vous n'allez pas arrêter d'y penser. D'autres personnes sont complètement imperméables aux mêmes remarques et n'y pensent plus. Une personne plus sensible sera particulièrement vulnérable aux attaques, notamment en ligne.

M. Boivin : Je voudrais ajouter qu'il est important de penser davantage en termes de développement social. En effet, la réalité de la vie et du cadre social d'un jeune enfant à l'école élémentaire est certainement très différente de celle d'un enfant plus âgé. Lorsque l'on évoque la cyberintimidation, on pense généralement plus aux adolescents, car la cyberintimidation est plutôt inscrite dans leur réalité que dans celle des jeunes enfants. Si vous examinez l'organisation de la vie sociale, les différences entre les sous-groupes se renforcent avec l'âge. Au secondaire, par exemple, il y a beaucoup plus de sous-groupes.

Il semble que ce que nous observons dans la cyberintimidation est lié à l'appartenance ou non à un sous-groupe ou une minorité, tandis que la réalité des écoles élémentaires peut être assez différente, les sous-groupes ou les minorités ne jouent pas un rôle aussi important dans l'organisation de la vie sociale. C'est du moins ce que je pense, je n'ai pas de données pour confirmer ce que j'avance.

Ce n'est peut-être pas la réponse que vous attendiez, mais je pense que la situation est différente entre les différents groupes d'âge. Bien sûr, si vous vous concentrez sur la cyberintimidation, c'est un problème qui concerne plutôt les adolescents.

Cependant l'intimidation est une réalité dans les écoles élémentaires, peut-être moins dans le cyberespace à cet âge- là, mais c'est un problème bien réel. L'intimidation et la cyberintimidation sont une réalité au primaire.

M. Patchin : Oui. Je suis d'accord avec ce que viennent de dire les deux intervenants précédents. Les enfants sont la cible d'intimidation ou de cyberintimidation s'ils sont différents ou simplement perçus comme étant différents. Nous venons de publier un article traitant particulièrement de l'estime de soi et il est intéressant de noter que nous avons découvert que les élèves qui ont une faible estime d'eux-mêmes auront plus tendance à être soit victimes soit auteurs d'intimidation. Nous ne sommes cependant pas en mesure de déterminer si la faible estime de soi crée davantage de victimes ou d'auteurs d'intimidation. Une fois de plus, nous manquons de données longitudinales. Nous savons pourtant qu'il y a une corrélation. Nous avons collecté des données sur l'orientation sexuelle et sur d'autres différences, et il y a de toute évidence un lien. Dès qu'il y a une différence perceptible, qu'il s'agisse du statut d'immigré ou de l'orientation sexuelle, cela suffit pour mener au harcèlement ou à l'intimidation.

Le sénateur White : Vous vous empressez de faire une distinction entre la cyberintimidation et l'intimidation. Certains disent que la cyberintimidation existe, car elle donne la possibilité de rester anonyme. Cela permet aussi à certaines personnes d'être auteurs de cyberintimidation alors que physiquement ils n'en auraient pas été capables. Cela peut aussi expliquer une augmentation des chiffres.

Mme Shapka : Absolument.

Le sénateur White : Le deuxième volet concerne les succès du programme de justice communautaire contre l'intimidation. L'école est un rouage important de la société en matière de justice; les actions ont-elles eu un effet positif sur la cyberintimidation? En effet, il peut s'avérer que la victime soit en réalité en position de force. Qu'en est-il?

Mme Shapka : Je ne connais aucune étude précise à ce sujet, mais je suppose que les mêmes mécanismes entrent en jeu, donc nous pouvons espérer qu'ils fonctionnent ici aussi. Je crois sincèrement que tous les acteurs de la société, y compris les parents et les écoles, doivent travailler de concert. Je me suis intéressée à cette question après avoir parlé aux administrateurs des écoles. Ils me disent faire face à un problème particulier dont les parents doivent s'occuper, parce que tout ça se passe en dehors des écoles. Puis, j'ai parlé aux parents qui reconnaissent l'existence du problème, mais d'après eux, c'est à l'école de le gérer, car c'est à l'école que tout a commencé. La responsabilité de chacun n'est pas clairement établie.

Si nous adoptons une justice réparatrice en incluant tous les acteurs : les parents, l'école au travers de sa politique scolaire, les victimes, les auteurs et la communauté étudiante dans son ensemble, nous pourrons obtenir des résultats.

Le sénateur White : Pour poursuivre dans la même veine, j'ai une question à laquelle vous pouvez tous répondre. Plusieurs témoins ont parlé d'une réponse législative à ce problème. Même si j'ai été policier, je n'ai pas tendance à gérer ce problème uniquement en faisant appel à la loi. De par mon expérience, et tout particulièrement en ce qui concerne cette question, je dirais même plus que cette approche aurait certainement moins de succès qu'une approche réparatrice. Où vous placez-vous dans ce débat?

M. Patchin : Je peux tenter de répondre en premier. Il y a des exemples, ici aux États-Unis, de pratiques réparatrices employées pour contrer la cyberintimidation. Mais une fois de plus, cela reste limité. J'ai parlé la semaine dernière avec un défenseur de la justice réparatrice qui me disait qu'il a recours, dans certains cas et de façon limitée, à la justice réparatrice pour contrer l'intimidation et la cyberintimidation.

C'est une pratique risquée. Il faut une solide formation, car si l'on confronte la victime avec l'auteur dans une même pièce sans savoir ce que l'on fait, on risque vraiment d'aggraver le problème.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que la loi n'est pas la solution à ce problème. Je reçois régulièrement des appels de législateurs aux États-Unis qui me disent qu'il faut faire adopter une loi portant sur l'intimidation ou la cyberintimidation. Je réponds que nous avons déjà des lois sur le harcèlement, sur la traque furtive et ce genre de choses.

La législation peut jouer un rôle si elle est prescriptive, à savoir si elle recommande aux écoles les mesures à prendre, si elle établit un cadre et, plus important encore, si elle donne aux établissements les moyens d'intervenir, car les ressources manquent cruellement. En revanche, une criminalisation accrue n'aidera en rien.

Je n'ai pas été en mesure d'entendre tous les témoignages aujourd'hui, mais je ne suis pas sûr que des données démontrent un accroissement de la cyberintimidation. Nous en entendons parler davantage, mais cela fait 10 ans que j'étudie ce problème et je ne pense pas qu'il existe de données longitudinales démontrant clairement que ce problème s'aggrave. On en entend parler plus souvent, et petit à petit les victimes en parlent, mais dans l'ensemble c'est un phénomène assez stable. Il y a peut-être une augmentation des cas graves, mais nous devrions de toute façon prendre ces situations au sérieux, quel que soit leur niveau de gravité.

Mme Shapka : Pour ma part, je me ferai l'écho de ce qui vient d'être dit. Je ne pense pas que le problème s'aggrave, mais il y a de plus en plus de possibilités de perpétrer de tels actes, alors que de plus en plus de gens sont présents dans le cyber espace avec l'explosion des moyens de communication modernes. Nous sommes de plus en plus exposés.

Nous savons qu'un nombre croissant d'enfants adoptent l'informatique et les terminaux mobiles de plus en plus jeunes. Je ne pense pas que nous ayons des données qui le confirment, mais si le pourcentage de jeunes pratiquant la cyberintimidation n'augmente pas, il y a tout de même, en chiffres absolus, un accroissement du nombre de jeunes dans chaque tranche d'âge qui ont la possibilité de jouer les fiers-à-bras sur le Web.

À propos de justice réparatrice, y a-t-il une politique que nous pouvons instaurer pour forcer tous les étudiants ou arrondissements scolaires à appliquer une justice réparatrice?

Le sénateur White : En Ontario, presque toutes les commissions scolaires sont actuellement en train de mettre cela en place. À Ottawa, toutes les commissions scolaires intègrent la justice réparatrice dans leurs programmes.

Mme Shapka : C'est formidable. La raison pour laquelle je suis contre l'aspect juridique, c'est parce que nous avons avant tout affaire à des enfants. Leur appliquer une procédure punitive destinée aux adultes n'est pas la bonne solution.

Je reviens sur ce que je disais à propos de l'augmentation du nombre de victimes d'intimidation. Si nous commençons à punir les auteurs, nous pourrions également punir les victimes, car très souvent les victimes sont aussi des auteurs. Ils reproduisent ce qu'on leur a fait.

M. Boivin : Je suis d'accord. J'apprends beaucoup de choses aujourd'hui.

Le sénateur Andreychuk : Merci à vous tous. Cette séance a été très instructive, professeur Boivin. Je n'ai pas de questions à poser au professeur Shapka. Je suis dans l'ensemble d'accord avec vos remarques.

Monsieur Patchin, vous avez dit que l'intimidation prédomine toujours par rapport à la cyberintimidation. Est-ce parce que nous avons des mécanismes pour répondre à l'intimidation et parce que la cyberintimidation est un nouveau phénomène? En d'autres termes, allons-nous assister à une recrudescence de la cyberintimidation? Vous semblez dire que c'est un phénomène stable, mais vous me dites que les formes traditionnelles d'intimidation continuent de prédominer. Quelle va être la tendance à l'avenir d'après vous?

M. Patchin : C'est une très bonne question. J'aime ce genre de question, car il s'agit principalement de données. Nous finirons par avoir la réponse; cela prend du temps, simplement.

Tout ce que je peux dire, c'est que, depuis 2003, nous collectons des données portant sur l'intimidation et la cyberintimidation, et bien sûr il existe des données sur l'intimidation depuis des générations. Les premiers résultats des études semblent démontrer que l'intimidation en milieu scolaire, notamment aux États-Unis, a légèrement décru ces 10 dernières années. Nos recherches, ainsi que les autres études que j'ai examinées, indiquent que la cyberintimidation est relativement stable à quelque pourcentage près depuis cinq ou six ans. Il ne fait aucun doute que la cyberintimidation peut potentiellement s'accroître de par l'accès grandissant aux technologies. Au Centre de recherche sur la cyberintimidation, où je suis professeur, je me concentre sur l'enseignement, c'est mon activité principale.

Ce qui m'importe c'est que les décisions que nous prenons soient guidées par des études et que des données soient collectées. C'est pourquoi notre débat aujourd'hui est très important. Pour revenir à la question de la justice réparatrice, je me félicite d'entendre qu'autant de commissions scolaires au Canada en font usage. Mon premier objectif serait donc de m'assurer qu'une évaluation et un suivi se mettent en place, que l'on collecte des données sur les résultats et les pratiques pour savoir exactement ce qui se passe et en quoi cela aide les collectivités. C'est avant tout de cela qu'il s'agit lorsque l'on parle de justice réparatrice.

Aux États-Unis, nous avons beaucoup d'enseignements à tirer de ce que vous faites. Prenez soin de bien documenter vos progrès pour que d'autres puissent tirer des enseignements de ce que font les écoles. Je terminerai en disant qu'il faut plus de données, plus d'études à ce sujet.

Le sénateur Andreychuk : Professeur Boivin, vous avez indiqué que l'intimidation est fortement liée au contexte dans le sens où tout est question de perception selon notre personnalité, notre génétique, et cetera. C'est le discours que nous avions dans le passé.

Le problème vient-il en partie du fait que l'enfant qui se développe teste les limites et qu'il a moins d'outils à sa portée? Avons-nous ces problèmes parce que nous n'avons pas de règles définissant ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas dans la façon d'utiliser ces nouvelles technologies? Nous sommes tous déstabilisés et j'entends de plus en plus de gens dire qu'en ce qui concerne l'usage de ces nouvelles technologies, il n'y a pas d'étiquette. Comment les enfants peuvent-ils savoir comment et quand les utiliser s'il n'y a pas de règles de civisme? S'agirait-il autant de l'instauration des règles d'usage que d'un problème avec les enfants?

M. Boivin : Peut-être. Je ne suis pas outillé pour répondre correctement à cette question. Je dirais qu'il s'agit en partie d'incivilité. Nous parlons effectivement d'incivilités, d'un manque de civisme envers les autres. C'est une question d'éducation et de comportement en société.

Le sénateur Ataullahjan : Monsieur Patchin, j'ai une question pour vous. Nous distinguons l'intimidation et la cyberintimidation, on dit que l'intimidation traditionnelle est toujours un phénomène plus présent, mais est-ce que la cyberintimidation n'est pas plus agressive et néfaste en ce sens qu'il n'y a pas de façon d'en échapper? Dans un cas d'intimidation classique, vous quittez l'école le soir et laissez vos problèmes derrière vous, mais avec la cyberintimidation cela vous suit partout, que ce soit sur votre ordinateur ou sur votre téléphone par l'intermédiaire de SMS ou sur Facebook.

M. Patchin : Oui, je suis d'accord sur ce point. Les dommages potentiels sont manifestement plus importants avec la cyberintimidation. Ici encore, nous n'avons pas de données pour appuyer nos propos, mais je reçois des courriels et des appels tous les jours; je suis au courant de ce qui se passe. Nous avons publié plusieurs articles qui examinent les conséquences de la cyberintimidation et celles-ci semblent être comparables à celles de l'intimidation classique de la cour de récréation. Mais vous avez raison de dire que les conséquences peuvent être bien plus graves.

L'exemple que je donne, et qui suit le vôtre en quelque sorte, c'est que si je suis victime d'une cyberintimidation grave au point que je change d'école, je veux tourner la page. Je me ferai de nouveaux amis, mais si ces amis font une recherche Google de mon nom, ils vont tomber sur une page Facebook ou des vidéos YouTube et la cyberintimidation m'auront en fait suivi dans ma nouvelle école.

Vous avez raison, j'ai eu plusieurs élèves, des adolescents, qui m'ont contacté et qui m'ont dit exactement ce que vous venez d'affirmer : la cyberintimidation est pire. Particulièrement parce que beaucoup d'adultes ne comprennent pas la nature de la technologie utilisée, ils ne se rendent pas compte à quel point la technologie fait partie de la vie des jeunes et ils se disent a priori que c'est moins grave, car ce ne sont que des mots. Quand j'étais à l'école intermédiaire, je me faisais battre. On pourrait penser que les mots ne sont pas aussi graves, mais c'est faux, et c'est parfois plus injuriant. Vous avez tout à fait raison.

Le président : Merci à vous trois. Je crois que le sénateur Andreychuk a très bien résumé la chose. Nous avons beaucoup appris, merci pour vos exposés et merci d'avoir pris le temps de vous joindre à nous.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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