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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 18 - Témoignages du 5 novembre 2012


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 18 h 2, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 24e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

[Français]

Le comité a été mis sur pied par le Sénat pour constituer un forum de discussion sur les droits de la personne, tant au niveau fédéral que provincial, et pour surveiller et garantir l'égalité de traitement des membres des minorités.

Au fil des années, il a déposé des rapports concernant notamment les Canadiens, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, les enfants, les bien immobiliers et matrimoniaux dans les réserves et l'équité en matière d'emploi au sein de la fonction publique.

[Traduction]

Je m'appelle Mobina Jaffer et je préside le comité. Le vice-président du comité est ici présent. Il va d'abord se présenter, puis les autres sénateurs feront de même. J'aimerais profiter de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à notre comité au sénateur Patterson. Nous sommes très ravis que vous soyez parmi nous.

Le sénateur Brazeau : Sénateur Brazeau, de la province de Québec.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.

Le sénateur Patterson : Sénateur Denis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Hubley : Sénateur Hubley, de l'île du Prince-Édouard.

La présidente : Le 20 mars 2012, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a reçu l'autorisation d'étudier les questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel, et d'en faire rapport. En particulier, le comité va étudier les droits ayant trait à la résidence, à l'accès aux droits, à la participation aux processus de prise de décisions dans la communauté, à la transférabilité des droits ainsi qu'aux recours existants.

Selon les données du recensement de 2006, les Autochtones représentent environ 3,8 p. 100 de la population canadienne. Dans les années 1940, pratiquement tous les Autochtones vivaient dans les réserves en milieu rural. Ce n'est toutefois plus le cas. En fait, en 2006, 54 p. 100 des Autochtones vivaient dans des villes à l'extérieur des réserves. Ce chiffre continue à augmenter aujourd'hui. Présentement, il y a plus d'Autochtones et de membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves en milieu urbain que dans les réserves. Comme le nombre d'Autochtones et de membres des Premières nations habitant à l'extérieur des réserves va croissant, il faut de plus en plus s'assurer que tous les membres des Premières nations, qu'ils habitent dans les réserves ou à l'extérieur, ont accès aux mêmes droits de la personne et aux mêmes protections.

J'aimerais souhaiter la bienvenue au professeur Ian Peach, doyen de la Faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick. Il se spécialise dans les domaines du droit constitutionnel, du droit autochtone, du fédéralisme et des relations intergouvernementales des politiques autochtones ainsi que des négociations sur l'autonomie gouvernementale. M. Peach a participé à deux comités parlementaires sur la réforme constitutionnelle et a agi en qualité de négociateur pour le gouvernement du Yukon lors des négociations sur l'Accord de Charlottetown.

En 1997, M. Peach est devenu le conseiller principal en politique du premier ministre de la Saskatchewan et du Comité du conseil des ministres de la Saskatchewan de la planification et des priorités; à ce titre, il s'est penché sur une panoplie de questions juridiques et politiques dans l'appareil gouvernemental, y compris des négociations sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones et des négociations entre les provinces et le fédéral et entre les provinces et les Premières nations. En 2004, M. Peach a rédigé un article intitulé The Charter of Rights and Off-Reserve First Nations People : A Way to Fill the Public Policy Vacuum? pour l'Institut des politiques publiques de la Saskatchewan.

Monsieur Peach, nous sommes très heureux que vous ayez pu vous libérer avec un si court préavis. Je puis vous assurer que tous les membres du comité ont très hâte d'entendre votre témoignage. Nous savons que vos propos alimenteront nos discussions dans le cadre de notre étude. Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité; la parole est maintenant à vous.

Ian Peach, doyen, Faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick : Merci, madame la présidente. Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs.

Du fait qu'il administre la Loi sur les Indiens et fournit des programmes et services aux Autochtones, le gouvernement fédéral a créé bon nombre de distinctions entre les Autochtones qui y sont admissibles et ceux qui ne l'y sont pas. Ces distinctions étaient fondées sur le lieu de résidence et l'origine raciale. Elles ont été vertement critiquées pour avoir fait de la discrimination à l'endroit des femmes des Premières nations et des Autochtones que la loi fédérale reconnaît désormais comme des « Indiens ». Les Autochtones ont tenté de mettre un terme à ces distinctions en ayant recours à des tribunaux nationaux et à des forums internationaux. Il faut donc se demander si ces divisions peuvent être maintenues et si elles devraient l'être, étant donné leur incidence négative sur les collectivités autochtones et sur le sentiment d'identité des Autochtones. On pourrait se demander si ces distinctions ont même un fondement juridique.

L'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte sur l'égalité des droits, a été utilisé par les Autochtones pour contester ces distinctions fédérales. Dépouillé, le principe de l'article 15 de la Charte, en ce qui concerne les avantages accordés par les gouvernements, soutient que, bien que les gouvernements puissent accorder des avantages à un groupe restreint de personnes, ils ne peuvent pas le faire de façon discriminatoire et, plus particulièrement, ils ne peuvent pas le faire si cela est fondé sur un motif de distinction illicite en vertu de l'article 15 de la Charte.

Bien qu'il n'y ait pas un vaste corpus de jurisprudence qui utilise ce principe pour contester les distinctions établies par les gouvernements lorsqu'ils fournissent des avantages aux Autochtones, plusieurs cas ont toutefois été soulevés. Ainsi, les tribunaux ont systématiquement estimé que les restrictions fondées sur le lieu de résidence en ce qui a trait à la participation à la politique des banques constituaient une violation des droits à l'égalité garantis par la Charte. Ce schéma systématique de victoires nous permet de nous demander si toute restriction fondée sur le lieu de résidence résisterait à une contestation en vertu de la Charte.

De plus, les Indiens non inscrits, les Métis et les Premières nations se sont tous tournés vers les tribunaux afin de tenter de mettre un terme aux distinctions créées entre les peuples autochtones qui étaient fondées sur le statut. Dans un des cas les plus récents présentés à la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Alberta (Affaires autochtones et Développement du Nord) c. Cunningham, d'anciens membres de la municipalité de Peavine Métis Settlement, qui avaient été retirés de la liste des membres de la municipalité parce qu'ils étaient des Indiens inscrits, ont contesté leur exclusion en invoquant les motifs d'égalité.

La Cour suprême du Canada a renversé la décision de la Cour d'appel de l'Alberta et a statué que la Metis Settlements Act était un programme amélioratif qui visait à aider un groupe désavantagé et était donc visé par le paragraphe 15(2) de la Charte. La Cour suprême du Canada élargit l'utilisation de ce paragraphe dans cette décision, que l'on avait vu initialement dans la Reine c. Kapp. Kapp porte l'analyse de l'objectif d'amélioration à un niveau extrême — cette analyse a été formulée pour la première fois dans l'arrêt Law — et l'on s'écarte ainsi de la jurisprudence qui établissait que le paragraphe 15(2) de la Charte n'était qu'un outil d'interprétation pour le paragraphe 15(1). L'arrêt Kapp a eu pour conséquence de maintenir la stratégie du gouvernement fédéral en matière des pêches autochtones lorsqu'un groupe de pêcheurs commerciaux non autochtones, qui, en règle générale, étaient plus désavantagés que les pêcheurs autochtones, avait contesté la stratégie. Les tribunaux sont arrivés à ces résultats en décidant que le paragraphe 15(2) pouvait être invoqué pour justifier toute distinction effectuée par un gouvernement qui visait à améliorer les conditions d'un groupe désavantagé. Cela permet aux programmes et lois des gouvernements de se prévaloir d'une exclusion générale de la rigueur analytique que la Cour suprême du Canada avait essayé d'élaborer dans l'affaire Law, et ce, tant et aussi longtemps que le programme ou la loi est conçu pour aider un groupe de personnes désavantagées. Cela est vrai même si les moyens choisis perpétuent ou renforcent la stéréotypie d'un autre groupe ou la discrimination à son endroit.

Le fait de s'appuyer sur le paragraphe 15(2) pour protéger des distinctions qui renforcent la stéréotypie de certains Autochtones comme étant « moins authentiques » que d'autres en raison de catégories administratives ne permettrait pas de promouvoir une égalité significative. Le simple fait qu'un programme améliore les conditions d'une personne désavantagée ne représente pas, après une lecture attentive de l'affaire Law, un motif adéquat pour justifier qu'il n'y a pas de discrimination. Il faut plutôt prouver que le programme améliore les conditions d'une personne ou d'un groupe qui se trouve dans une situation considérablement plus difficile que celle du groupe de requérants.

Le recours à l'objectif d'amélioration a porté à confusion. Dans certains cas, il semble fondamentalement incohérent avec la décision de la Cour suprême du Canada au sujet de l'affaire Law, dans laquelle les tribunaux ont articulé ces facteurs pour la première fois. Une question à la base de notre exploration reste encore ouverte : Est-ce que le gouvernement fédéral peut et devrait continuer à dépendre des notions de statut définies par le gouvernement fédéral afin de déterminer qui est admissible à ces programmes, services et avantages fournis ou financés par le gouvernement fédéral?

Étant donné que le recours au statut d'Indien et au lieu de résidence fait l'objet de critiques systématiques et importantes en raison de ses effets nocifs sur les collectivités autochtones et leur sentiment d'identité, et étant donné que les règles ont fait l'objet de plusieurs contestations en vertu des droits à l'égalité et qu'ils ont eu bien de causes, il faudrait se demander s'il n'est pas temps que le gouvernement fédéral cesse de définir les Autochtones dans la Loi sur les Indiens et, par conséquent, les divise. Les premières distinctions dont il faudrait se débarrasser dans une nouvelle approche seraient notamment celles qui établissent une distinction fondée sur le lieu de résidence. Comme je l'ai déjà indiqué, ces distinctions ont été rejetées de manière systématique par les tribunaux. Et que cela ne soit pas aussi clair que le cas des membres hors réserve, que l'on a critiqué les règles qui établissent des Autochtones inscrits et non inscrits dans la Loi sur les Indiens suggèrent que le gouvernement fédéral devrait cesser la pratique qui définit qui est un Indien. Si chaque modification aux règles régissant le statut dans la Loi sur les Indiens inscrits mène à des litiges de plus en plus longs et onéreux, l'on peut se demander si le fait d'utiliser la Loi sur les Indiens pour définir qui est un Indien est véritablement dans l'intérêt du public. Le gouvernement fédéral devrait peut-être tout simplement abandonner la tâche de définir ce statut.

Une solution de rechange serait que le gouvernement fédéral accepte qu'il appartient aux collectivités autochtones de déterminer qui sont leurs membres ou leurs citoyens. La solution la plus pratique serait de remplacer le processus de définir les Indiens inscrits par une règle de reconnaissance des règles définissant l'appartenance à une communauté ou une citoyenneté. Cette règle de reconnaissance pourrait comprendre certaines conditions, telles que l'obligation de traiter les hommes et les femmes de manière égale et le fait que les règles doivent être adoptées par un processus démocratique et légitime. En revanche, il faudrait que les règles soient fondées sur une initiative politique qui établit que ce sont les collectivités autochtones elles-mêmes qui détermineront leurs membres et leurs citoyens. Si le gouvernement fédéral souhaite éviter les litiges avec les collectivités autochtones qui veulent se faire reconnaître et avoir un traitement égal à celui des bandes indiennes reconnues dans la Loi sur les Indiens, il faudrait que le gouvernement crée une initiative politique fondée sur la reconnaissance des collectivités non inscrites en tant que Premières nations. De plus, un engagement de traiter les Autochtones dans les réserves et hors réserve de manière égale et de reconnaître les règles d'appartenance pour les membres ou les citoyens des Premières nations permettrait de se débarrasser de la plupart des litiges en matière de droits à l'égalité auxquels le gouvernement fédéral est confronté. Cela ne veut pas dire que les règles établies par les Premières nations ne seraient jamais contestées par des gens exclus du statut de membre. Les gens pourraient continuer à être protégés contre des mesures discriminatoires formulées par les gouvernements des Premières nations en ayant recours à la Loi canadienne sur les droits de la personne et en invoquant la Charte. En revanche, dans un environnement dans lequel les Premières nations élaborent elles-mêmes les règles régissant les membres et la citoyenneté, les contestations individuelles feraient partie de litiges internes chez les Premières nations et non pas de contestations vis-à-vis des gestes de pouvoir colonial chez le gouvernement fédéral. Il est peut-être donc grand temps que le gouvernement fédéral cesse de décider qui est Indien et qui peut se prévaloir de programmes offerts ou financés par le gouvernement fédéral et qu'il permette aux collectivités de déterminer elles-mêmes leurs membres.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Peach. Je commencerai les questions. La semaine dernière, j'ai demandé au sous-ministre adjoint principal pourquoi le Bureau de l'interlocuteur fédéral (BIF) avait été fermé. Si j'ai bien compris son explication, le ministère estimait qu'une réorganisation représentait une meilleure utilisation des ressources. Quelle a été votre réaction à la fermeture du BIF? Pensez-vous que la fermeture et la réorganisation du ministère auront une incidence sur les Premières nations vivant hors réserve?

M. Peach : La réponse courte est la suivante : tout dépend. Le changement de nom du ministère à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada semble reconnaître le fait qu'il n'est plus soutenable de faire la différence entre les Premières nations, ou les « Indiens » comme on les appelle dans la loi fédérale, et les autres peuples autochtones. Ce changement de nom témoigne donc d'une certaine humilité de la part du gouvernement fédéral. Si la fermeture du BIF vise à témoigner de cette nouvelle façon de voir les membres des Premières nations hors réserve et des autres peuples autochtones dans nos politiques, eh bien ce serait une bonne chose. À mon avis, cette nouvelle façon de voir est plus conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et à la jurisprudence en matière d'égalité des droits. Si l'environnement bureaucratique vise tout simplement à faire taire les critiques selon lesquelles l'ancien ministère des Affaires indiennes mettait trop de priorités sur les membres des Premières nations dans les réserves, eh bien là je pense qu'au contraire on s'éloignerait d'une politique qui serait réellement conforme à la charte.

Mais il est encore trop tôt pour juger. Il va falloir voir l'orientation que prennent le ministère et le gouvernement du Canada.

La présidente : Merci, monsieur Peach. Nous passons maintenant au sénateur Brazeau.

Le sénateur Brazeau : Merci, monsieur Peach, de votre exposé des plus intéressants. Vous avez dit qu'il serait grand temps que le gouvernement fédéral cesse d'essayer de définir qui est un Indien et qui ne l'est pas. J'abonde dans le même sens. Nous sommes en 2012, et pourtant, c'est toujours le gouvernement qui décide qui est Indien et qui ne l'est pas et, qui a donc accès ou pas à certains droits, programmes, et prestations.

Prenons, par exemple, le système de vote pour les Premières nations qui mènent leur scrutin selon la coutume. L'on veut habiliter les Premières nations à développer elles-mêmes leur citoyenneté et leur effectif, mais en même temps, certaines communautés excluent les membres des bandes qui vivent hors réserve en leur interdisant le vote du simple fait qu'ils ne vivent pas dans la réserve.

L'on pourrait se demander pourquoi ils agissent de la sorte, d'autant plus que dans la plupart des communautés des Premières nations, la majorité des membres vivent hors réserve. Si toutes ces personnes avaient le droit de vote, le leadership serait peut-être différent dans les communautés autochtones d'un bout à l'autre du pays. Qu'en pensez-vous?

M. Peach : il y a effectivement eu plusieurs cas où les codes de scrutin coutumiers ont effectivement exclu les membres hors réserve, mais ces résultats ont été cassés. Je pense qu'il n'y a en fait que deux cas, mais il faudrait que je vérifie. Dans ces deux cas, le code coutumier a été cassé. Ceci indique que les tribunaux commencent à être sensibles à la question, et qu'il y a un recours pour les membres de bandes qui vivent hors réserve.

Dans l'affaire Corbiere, la plus importante affaire de la Cour suprême du Canada en la matière, l'on dit qu'il y a des circonstances où les administrations des bandes doivent prendre des décisions sur les terres de réserve, ils pourraient élaborer un modèle de gouvernance qui fait la distinction entre les personnes qui vivent dans la réserve et celles qui vivent hors réserve. Pour ces questions précises, c'est-à-dire celles qui concernent les terres de réserve, l'on pourra avoir deux séries de droit de vote. Toutefois, l'exclusion complète de membres hors réserve du droit de vote et du droit de participer à la gouvernance a été déclarée incompatible avec les principes de l'égalité des droits.

Le sénateur Brazeau : Le système actuel est problématique, probablement en raison d'anciennes politiques du gouvernement fédéral qui faisaient elles-mêmes ces distinctions. L'on pourrait dire que la Charte vise à protéger les membres des bandes hors réserve, mais que c'est cette même Charte qui ne défend pas l'accès à d'autres droits. Par exemple, l'on ne parle pas de résidence dans l'article 15 de la Charte. Je voudrais savoir si l'on devrait inclure des dispositions sur la résidence dans cet article, comme genre de garde-fou.

Deuxièmement, si une communauté des Premières nations devait développer un code conforme à la Charte qui inclurait tous les membres pour ce qui est du droit de vote, comment faire en sorte qu'une communauté des Premières nations ait la souplesse voulue pour élaborer ses propres codes tout en défendant les droits des personnes à l'avenir, peu importe où elles choisissent de vivre?

M. Peach : Il faut savoir, tout d'abord, que depuis l'affaire Corbiere à la Cour suprême du Canada, ce ne sont pas tous les droits de résidence qui se trouvent dans l'article 15 de la Charte. Toutefois, les limites imposées par le lieu de résidence des membres autochtones, c'est-à-dire leur droit de participer à la vie communautaire de leur nation, même pour les membres hors réserve, sont considérées discriminatoires. Les lieux de résidence des Autochtones sont perçus comme étant un motif de discrimination analogue à ceux énumérés à l'article 15. Ceci, grâce aux tribunaux.

Maintenant, pour ce qui est de savoir comment les Premières nations peuvent être à l'écoute des besoins et des souhaits de leurs membres, et concevoir des modes d'élection qui sont à l'écoute de ces besoins tout en étant conformes à la Charte, je vous rappellerais tout simplement que la Charte s'applique aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux également. Il y a quelques différences entre les provinces et les territoires au niveau de certains aspects des systèmes électoraux, mais dans tous les cas, ces systèmes respectent la Charte.

Il y a toujours de la place pour innover et pour tenir compte des intérêts des populations visées sans aller à l'encontre de la Charte. Il y a certainement une marge de manœuvre du point de vue de la politique publique.

Le sénateur Hubley : Une toute petite question : lorsque vous avez recommandé que le gouvernement fédéral transfère la responsabilité d'octroyer le statut aux communautés mêmes, est-ce que cela incluait les bandes également?

M. Peach : Oui.

Le sénateur Hubley : Ma question est donc la suivante : Est-ce que chacune de ces communautés et bandes établirait ses propres critères d'admission, étant donné qu'il y aurait des divergences entre les critères d'admission des différentes bandes ou communautés?

M. Peach : Effectivement, les bandes pourraient établir leurs propres critères. Toutefois, les bandes d'un même conseil tribal pourraient décider qu'elles accepteront toutes les mêmes règles que celles du conseil tribal, ce qui créerait un système unifié au sein de ce conseil. En fait, elles peuvent le faire dès maintenant. Sous cette loi, elles pourraient adopter n'importe quel critère, pour peu, bien entendu, que l'on traite les femmes et les hommes de façon égale, et j'ai par ailleurs suggéré que le système actuel soit adopté grâce à un processus légitime et démocratique.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Peach. Vous avez dit que l'article 15 remet en fait en question ces fausses distinctions parmi les peuples autochtones qui, d'après vous, ont été créées par le gouvernement fédéral. Si j'ai compris votre témoignage, vous estimez que le critère original dans l'article 15 mis à l'essai dans l'affaire Law a été érodé par les décisions subséquentes. Pourriez-vous nous en parler davantage et nous expliquer votre compréhension du critère de l'article 15?

M. Peach : Bien sûr. Ce qui m'inquiète avec l'affaire Kapp, qui remettait en question la stratégie des pêches autochtones par un groupe de pêcheurs non autochtones, c'est que la Cour suprême du Canada avait déclaré qu'il s'agissait d'un programme palliatif qui, si vous me pardonnez l'expression, représentait une perversion du litige discriminatoire.

Si vous avez un programme qui vise à aider un groupe désavantagé en redressant un désavantage, alors le gouvernement peut dire qu'il travaille pour pallier un désavantage. Ceci est tout à fait légitime en vertu du paragraphe 15(2) de la Charte. Depuis les affaires Kapp et Cunningham dont je viens de parler, les tribunaux n'ont plus le droit de statuer si la façon de pallier un désavantage est légitime ou si elle marginalise un autre groupe. Bref, une fois un programme déclaré palliatif, la façon de pallier au désavantage ne relève plus de la Charte.

En tant que spécialiste en politique et en droit constitutionnel, cet état de chose me déçoit, car sous l'ancienne façon de traiter les programmes palliatifs, ou la façon de traiter le paragraphe 15(2) de la Charte, l'on était obligé de se poser des questions sur la non-discrimination, à savoir que la non-discrimination ne se résume pas tout simplement à traiter tout le monde de la même façon. Parfois, il faut traiter les gens différents d'une façon qui les rende égaux aux autres sans pour autant brimer l'égalité d'autres groupes. Cette approche était beaucoup plus rigoureuse et exigeait une meilleure réflexion des décideurs politiques que sous les causes comme Kapp et Cunningham. Maintenant, il est tout simplement trop facile pour les gouvernements de choisir la solution évidente sans se poser des questions difficiles.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. Pour donner suite, la Cour suprême s'est exprimée sur ce que l'on appelle les groupes de comparaison, c'est-à-dire des groupes auxquels les demandeurs doivent se comparer pour prouver qu'ils sont désavantagés.

Le point de vue des tribunaux sur ces groupes de comparaison a-t-il également évolué? Et cette évolution aura-t-elle une incidence sur les revendications d'égalité des membres des Premières nations vivant hors réserve?

M. Peach : Pour répondre à votre dernière question en premier, je pense que cette évolution aurait certainement une incidence sur ces revendications. Ceci pourra vous paraître ingrat, mais il me semble qu'il y a confusion sur ce que sont les groupes de comparaison.

D'après la jurisprudence en matière de droits à l'égalité jusqu'à l'affaire Law et incluant celle-ci, les groupes de comparaison étaient choisis par le demandeur et les tribunaux ne modifiaient ce groupe de comparaison que lorsque le demandeur se trompait sur cette comparaison. Parfois, le remplacement d'un groupe par un autre qui est à l'avantage des demandeurs se fait un peu trop vite. À mon avis, j'estime que la Cour suprême du Canada donne une trop grande latitude aux tribunaux de remplacer un groupe de comparaison par un autre sans réellement se demander si ce remplacement est à l'avantage du demandeur ou non. Si ce remplacement était à l'avantage du demandeur, pas de problème; toutefois, si ce remplacement désavantage un demandeur, alors, d'après la jurisprudence, il ne faut pas effectuer ce remplacement.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Peach, je suis ravie de vous voir dans vos nouvelles fonctions. Nous nous sommes connus en Saskatchewan à l'époque où nous étions tous les deux associés au même institut.

Je veux revenir à un point. Vous dites que le tribunal aurait dû interpréter la loi de façon plus libérale, au lieu de l'interpréter étroitement. Est-ce ce que vous dites?

M. Peach : En fait non. Selon moi, en matière de litige en vertu de la Charte, les tribunaux à leur meilleur sont plus stricts et plus exigeants envers le gouvernement pour l'adoption ou la modification des lois, des politiques, ou des programmes. S'il y a un aspect de la jurisprudence qui me déçoit, c'est que les tribunaux ont permis aux gouvernements d'être moins stricts et moins analytiques. Ils ont rendu les choses trop faciles pour les gouvernements, à mon avis.

Le sénateur Andreychuk : J'essaie de comprendre comment vous avez tiré cette conclusion, c'est-à-dire que tout est trop facile pour les gouvernements. Il me semble que ni l'une ni l'autre des options n'est facile. Vous composez avec des gens ayant des problèmes de longue date. Vous essayez de trouver un équilibre en interprétant la Loi sur les Indiens de sorte à aider ces gens, au lieu de régler un problème et d'en rouvrir trois ou quatre.

M. Peach : Le paragraphe 15(2) et la récente analyse de l'effet d'amélioration des mesures législatives en est un exemple classique. Dans ces circonstances, les gouvernements ne sont plus obligés de justifier ce qu'ils font en montrant que les choix politiques aident ceux qui en ont le plus besoin. En vertu du paragraphe 15(2), la récente jurisprudence semble indiquer qu'aider quelqu'un est suffisant. Notre approche en jurisprudence ayant trait aux droits à l'égalité n'a pas toujours été ainsi au Canada. À l'époque, elle était en théorie plus gratifiante. Dans le temps, les tribunaux précisaient que si une administration gouvernementale faisait quelque chose pour aider un groupe, il fallait qu'elle pense sérieusement à la possibilité que d'autres dans une situation pareille pourraient en être lésés. De plus, ces administrations ne devaient pas s'occuper de ceux qui s'en tirent bien, lorsque d'autres méritent son attention. J'aime bien cette approche.

Le sénateur Andreychuk : Je me demande si les gouvernements ou les tribunaux sont les mieux placés pour déterminer qui a plus besoin d'aide lorsqu'on compose avec deux parties lésées. On peut régler la situation actuelle et prendre une décision en conséquence, mais il faut examiner le passé et faire des projections pour l'avenir. Je dirais qu'à moins d'avoir l'accord des personnes concernées qui vivent souvent côte à côte, ou du moins vivent en fonction du passé dans la réserve ou hors réserve, il faut se demander s'il incombe vraiment au gouvernement fédéral ou aux tribunaux d'assumer ce rôle? Les peuples autochtones, n'ont-ils pas un rôle à jouer dans ces déterminations?

M. Peach : Absolument. Votre suggestion constitue une des bases de la Loi constitutionnelle. J'enseigne à mes étudiants l'importance de bien réfléchir à cela. Les tribunaux sont-ils les mieux placés? Les gouvernements élus démocratiquement le sont-ils? Il s'agit d'un débat légitime.

Les collectivités autochtones et celles des Premières nations devraient avoir un rôle à jour quant à leur avenir. Selon moi, ces collectivités devraient assumer ce rôle elles-mêmes. L'autodétermination d'une collectivité occupe une place importante, mais dans le cadre de la prise de décisions au sein de ces collectivités, tous ceux qui se considèrent membres de ces collectivités ont un rôle à jouer, ont quelque chose qu'ils devraient dire ou devraient avoir le droit de dire. Si on s'entendait sur ces questions, on n'aurait pas de litiges, car il n'y aurait pas de justiciable. L'existence de ces litiges laisse croire que les efforts les plus honorables visant à obtenir l'accord des collectivités ont échoué quelque part. Tous les paliers de gouvernement que ce soit le fédéral, les provinces, les territoires ou les Premières nations, doivent s'arrêter et voir si leur action est vraiment ce dont la collectivité a besoin.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Peach, j'ai encore une question à vous poser. Manifestement, lorsque j'ai commencé à étudier la Loi sur les Indiens il y a de nombreuses années, j'en suis arrivée à la conclusion évidente que nous devrions nous en débarrasser. C'était une conclusion toute simple, et il semble que ce soit une conclusion à laquelle d'autres personnes aboutissent constamment. Reste à savoir avec quoi il faut la remplacer. Bien que cela permette de stopper certains types d'applications juridiques, nous en obtiendrions toute une nouvelle série si le gouvernement abrogeait unilatéralement la Loi sur les Indiens. J'ai entendu des leaders autochtones et d'autres personnes dire qu'il fallait bien sûr se débarrasser de cette loi. Mais avec quoi faut-il la remplacer? Comment trouver une autre structure de gouvernance? Voilà où le bât blesse. Chacun a son opinion, qui diffère quelque peu de celle de son voisin, quant aux meilleurs intérêts des personnes visées, et l'on s'entend encore moins sur qui sont ces ayants cause.

La première partie de votre exposé parlait de la suppression de la Loi sur les Indiens et du fait que le gouvernement devrait agir. Ne serait-il pas mieux avisé de dire qu'à un moment donné le gouvernement fédéral devra agir, mais de façon à ce qu'il puisse consulter les collectivités autochtones tout en tenant compte des diverses ramifications? J'ai tendance à croire qu'un geste unilatéral n'est pas souhaitable, mais qu'il faut d'abord qu'il y ait consensus et une orientation provenant de toutes les parties avant de pouvoir agir.

M. Peach : En fin de compte, je pense que vous avez raison sur ce point. Il ne faut pas agir unilatéralement. Lorsque j'étais en Saskatchewan au temps jadis de ma carrière antérieure, j'ai passé sept ans à participer à une négociation d'autonomie gouvernementale. Ce fut un processus très long, mais je pense que nous avons fait d'importants progrès sur la reconceptualisation de la façon dont nous communiquons les uns avec les autres — Autochtones et non-Autochtones — en Saskatchewan. Je pense que le remplacement de la Loi sur les Indiens par des ententes d'autonomie gouvernementale ayant des dispositions semblables aux dispositions à adhésion facultative comme celles qui se trouvent dans la Loi sur la gestion des terres des Premières nations constitue un bon moyen de procéder. Cela va-t-il transformer le monde d'un jour à l'autre et permettre l'abolition absolue de la Loi sur les Indiens à court terme? Il est fort peu probable que cela se poursuive avant la fin de mon mandat en tant que doyen. Néanmoins, c'est un processus qui en vaut la peine et qui permettrait aux collectivités de décider elles-mêmes, de façon tout à fait légitime, ce qu'elles veulent comme système de gouvernance futur.

Le sénateur Andreychuk : Merci, monsieur Peach.

Le sénateur Harb : Merci de votre exposé. J'ai ici un rapport de Statistique Canada datant de 2006, et je suis presque sûr que vous avez eu la chance d'y jeter un coup d'œil. C'est tout à fait effroyable que les Autochtones soient trois fois plus atteints du diabète que le Canadien moyen. Ils sont 1,5 fois plus susceptibles que la population générale d'être atteints d'asthme ou d'hypertension et ils ont deux fois plus de problèmes d'arthrite. Quarante-et-un pour cent des habitations dans les réserves ont besoin de réparations majeures. Le taux de chômage se situe à 31 p. 100, et pour ceux qui sont titulaires d'un diplôme universitaire, il se situe à 60 p. 100. Le rapport fait état de statistiques semblables les unes après les autres; c'est incroyable. Même certaines contrées africaines semblent être en meilleur état que certaines réserves au Canada, qui est un pays développé.

Les mêmes statistiques indiquent que lorsqu'un Autochtone quitte la réserve et fait des études universitaires, ses chances de trouver un emploi se situent presque au même niveau que celles du Canadien moyen. Pas besoin de la tête à Papineau pour savoir qu'un enfant autochtone et qu'un enfant canadien moyen ont les mêmes capacités de réussir s'ils jouissent des mêmes possibilités. Manifestement, les Autochtones ne jouissent pas des mêmes possibilités.

Connaissez-vous des pratiques exemplaires — dans un pays par exemple — dont nous pourrions nous inspirer? Avez-vous des recommandations précises pour nous en tant que comité dans le contexte du rapport que nous devons remettre au Parlement?

M. Peach : Pour ce qui est des collectivités indigènes, la Nouvelle-Zélande démontre probablement une des meilleures pratiques exemplaires du monde dans la façon dont elle a intégré le peuple Maori à la gouvernance et la société du pays ainsi que les relations intergouvernementales. Cela s'est fait de façon très sérieuse. D'après mon expérience des collègues maoris, les Maoris ont beaucoup profité au cours des dernières décennies d'une meilleure approche envers les rapports entre le peuple maori et la Couronne qu'ici au Canada dans notre rapport entre les Premières nations et la Couronne.

Je pourrais cependant vous suggérer quelque chose en tant qu'ancien responsable de la politique; et vous soulevez quelque chose de très important. Il nous faut éliminer la dichotomie que créent les distinctions fédérales en disant qu'un individu est un membre véritable et quotidien de sa communauté, et est perçu par le monde comme étant véritablement un membre des Premières nations s'il continue à vivre sur une réserve. Pourtant, trop souvent ces individus deviennent marginalisés sur le plan économique et souffre sur le plan social par conséquent. Alors que s'ils font preuve d'ambition, se trouvent des opportunités hors réserve et s'en vont faire une vie pour eux-mêmes et leur famille, ils perdent à toutes fins pratiques leur identité en tant que Première nation. Leurs liens avec la communauté qui leur donne leur identité sont coupés de manière significative.

Si nous pouvions faire une chose afin de créer des occasions véritables et significatives pour promouvoir l'égalité des Premières nations, ce serait de mettre fin à ce choix terriblement difficile : soit de devenir un participant économique et acquérir le pouvoir qui en découle, ou d'être reconnu et accepté en tant que membre d'une Première nation — mais de ne pas pouvoir faire les deux. Voilà la situation actuelle au pays; il faut que cela cesse.

La présidente : J'ai deux questions pour vous, monsieur Peach. Dans votre publication de 2004, The Charter of Rights and Off-Reserve First Nations People : A Way to Fill the Public Policy Vacuum?, vous proposez la possibilité que le gouvernement fédéral fournisse des services à tous les membres des Premières nations de façon équitable, peu importe le lieu de résidence, et que cela soit financé en réduisant les transferts canadiens en matière de santé et de programmes sociaux de la somme équivalente.

Quels devraient être les rôles respectifs des gouvernements provinciaux et fédéral par rapport aux Premières nations? Pourriez-vous nous expliquer davantage la proposition que vous avez faite dans cette publication?

M. Peach : Je propose toujours cela puisqu'en vertu des articles 91 et 92 de la Constitution, le gouvernement fédéral est responsable des « Indiens ». Depuis 1867, nos propos sont devenus plus nuancés lorsque nous parlons des peuples autochtones. Je dirais d'abord et avant tout que les Premières nations, quel que soit leur lieu de résidence, devraient être traitées de la même façon par le gouvernement fédéral dans ses lois.

Franchement, je pourrais aller plus loin encore en disant que le mot « Indien », aux fins de la compétence fédérale, dans une société moderne, devrait être interprété comme Autochtone. Comme je l'ai constaté en 2004, les provinces reçoivent à l'heure actuelle les transferts canadiens en matière de santé et de programmes sociaux pour tous les résidents de leur province, y compris les résidents autochtones de cette province, qui ne sont pas reconnus en tant que « Indiens » aux fins fédérales. Si le gouvernement fédéral devait modifier la façon dont les services offerts aux peuples autochtones sont financés, et assumer un rôle plus direct en matière de prestation de services, il serait juste d'empêcher les provinces d'obtenir un double versement, puisqu'elles ne seraient plus responsables de la prestation des services aux peuples autochtones tout en continuant de recevoir les transferts canadiens en matière de santé et de programmes sociaux pour ces individus.

La présidente : Vous avez beaucoup écrit sur l'affaire Misquadis. La semaine dernière, j'ai demandé au ministère de la Justice de nous offrir ses commentaires là-dessus. Malheureusement, il n'a pas pu le faire, mais nous fournira l'information. Connaissez-vous des arrêts importants dans lesquels les requérants ont utilisé comme motif le lieu de résidence des Autochtones en dehors du contexte électoral?

M. Peach : Que je sache, cela ne s'est pas encore produit, mais d'après moi il est logique qu'un de ces jours quelqu'un fera l'argument que si vous avez le droit de voter pour un gouvernement, ce gouvernement devrait par conséquent vous fournir les mêmes services qu'il offre à d'autres électeurs — à vos collègues. Un résident hors réserve dans cette circonstance devrait avoir le même accès aux programmes et services développés par son gouvernement des Premières nations que les résidents de la réserve, même s'ils résident hors réserve eux-mêmes. À ma connaissance, il n'y a pas eu de tels cas devant les tribunaux, mais j'imagine que cela se produira un jour, si le gouvernement fédéral ne modifie pas sa politique.

La présidente : Je suis très mal à l'aise de penser que les personnes autochtones non inscrites doivent intenter des poursuites pour obtenir leurs droits. D'après vous, s'agit-il d'un moyen efficace pour les gens des Premières nations hors réserve pour obtenir les programmes et les services qu'il leur faut? Doivent-ils se tourner vers les tribunaux pour obtenir leurs droits?

M. Peach : J'aimerais bien que cela ne soit pas ainsi. Pour citer un article que j'ai rédigé cette année, mon collègue Bradford Morse a décrit le processus des poursuites judiciaires pour faire évoluer ces questions comme étant très lent. Je le cite :

La considération judiciaire de la Loi sur les Indiens d'après la perspective de l'article 15 et des droits qui en découlent soulève de nombreuses incertitudes quant à l'avenir de cette loi. Le litige jusqu'ici suggère que la Loi sur les Indiens ne sera pas entièrement abolie; cependant, de nombreuses dispositions seront sans doute invalidées ou éviscérées au fil du temps au cas par cas.

À mon avis, ce n'est pas la meilleure approche pour établir l'égalité des résidents hors réserve. Hélas, jusqu'ici cela semble être la seule approche pour revendiquer leurs droits.

La présidente : Monsieur Peach, vous avez cité M. Morse dans votre publication de la même façon que vous venez de faire. Pourriez-vous nous dire ce que vous constatez par la suite, à savoir qu'il ne s'agit pas de la façon de procéder pour les personnes non inscrites. Pourriez-vous nous en dire plus long?

M. Peach : Je pense que nous savons tous que les litiges prennent beaucoup de temps. Il faut d'abord commencer par un tribunal de première instance, ensuite passer à la Cour d'appel et ainsi de suite, pour aboutir ultimement, à la Cour suprême du Canada, pourvu qu'on en ait les moyens, puisque l'autre facteur est que toutes ces poursuites coûtent très cher. Ces deux facteurs sont très frustrants, soit que pour obtenir ces droits, pour assurer son égalité, il faut intenter une poursuite judiciaire et passer plusieurs années devant les tribunaux, et ce faisant, dépenser énormément d'argent.

En tant qu'ancien responsable de la politique, j'ai toujours préféré que les fonctionnaires reconnaissent que la Charte leur impose l'obligation de l'équité, même si les tribunaux ne leur disent pas que dans un cas particulier, dans des circonstances particulières, ils doivent se comporter d'une façon quelconque. Cela donne le ton pour notre façon d'aborder ces questions en tant que gouvernements. Je trouve cela largement préférable plutôt que de se retrouver devant les tribunaux à tout bout de champ.

La présidente : Monsieur Peach, votre témoignage d'aujourd'hui est très apprécié. Vous nous avez éclairés par rapport à notre étude. J'imagine qu'en cours de route nous aurons d'autres questions à vous poser.

De la part du comité, je tiens à vous remercier d'être venu témoigner aujourd'hui. C'est avec plaisir que nous anticipons collaborer avec vous à l'avenir.

M. Peach : Merci.

La présidente : Nos membres n'applaudissent pas généralement les témoins, alors vous avez dû être exceptionnel. Votre présence aujourd'hui était vraiment très appréciée.

M. Peach : Je vous remercie beaucoup. Si jamais je puis vous aider davantage, n'hésitez surtout pas à me le demander. J'ai beaucoup apprécié pouvoir venir vous parler.

La présidente : Un grand merci. Nous allons maintenant prendre une pause avant de débuter notre réunion à huis clos sur la cyberintimidation.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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