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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 19 - Témoignages du 19 novembre 2012 (réunion de l'après-midi)


WINNIPEG, le lundi 19 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel.

Le sénateur Patrick Brazeau (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 25e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Je voudrais d'abord souligner que nous sommes sur un territoire du Traité nº1, traditionnellement occupé par les Saulteaux et les Moskégons.

Le comité est heureux de se retrouver à Winnipeg aujourd'hui. Merci beaucoup pour votre accueil chaleureux. J'aimerais aussi remercier l'aîné Gary Daneau pour ses sages paroles avant le début de notre réunion. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

[Français]

Le comité a été mis sur pied par le Sénat pour constituer un forum de discussion sur les droits de la personne, tant au niveau fédéral que provincial, et pour surveiller et garantir l'égalité des traitements des membres des minorités.

Au fil des ans, il a déposé des rapports concernant notamment les Canadiens, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, les enfants, les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et l'équité en matière d'emploi au sein de la fonction supplique.

[Traduction]

Je m'appelle Patrick Brazeau et je suis le vice-président du comité. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont présents ici aujourd'hui.

Je laisse aux autres membres du comité le soin de se présenter.

Le sénateur Jaffer : Bonjour, je m'appelle Mobina Jaffer et je préside le comité.

Le sénateur Harb : Je m'appelle Mac Harb et je suis membre du comité.

Le vice-président : En mars 2012, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a reçu l'autorisation d'étudier les questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel et d'en faire rapport.

En particulier, le comité va étudier les droits ayant trait à la résidence, à l'accès aux droits, à la participation aux processus de prise de décisions dans la communauté, à la transférabilité des droits ainsi qu'aux recours existants. Selon les données du recensement de 2006, les Autochtones représentent environ 3,8 p. 100 de la population canadienne. Dans les années 1940, presque tous les Autochtones vivaient dans les réserves en milieu rural. Ce n'est toutefois plus le cas. En fait, en 2006, 54 p. 100 des Autochtones vivaient dans des villes à l'extérieur des réserves. Ce chiffre continue à augmenter aujourd'hui. Il y a actuellement plus d'Autochtones et de membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves en milieu urbain que dans les réserves. Comme le nombre d'Autochtones et de membres des Premières nations habitant à l'extérieur des réserves est croissant, il faut de plus en plus s'assurer que tous les membres des Premières nations, qu'ils habitent dans les réserves ou à l'extérieur, ont accès aux mêmes droits de la personne et aux mêmes protections.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe. Il y a d'abord Robert Wavey, directeur exécutif à Affaires autochtones et du Nord du Manitoba. Eleanor Brockington est directrice, à la Direction de la politique et de l'initiative stratégique au ministère. James B. Wilson est commissaire aux traités du Manitoba. Enfin, Rhonda Forgues est directrice par intérim du programme Aboriginal Initiatives à la Ville de Winnipeg. Je vous souhaite tous la bienvenue au nom du comité.

Robert Wavey, directeur exécutif, Affaires autochtones et du Nord du Manitoba : Bonjour et merci, sénateurs. Nous sommes ici au nom du ministère des Affaires autochtones et du Nord pour vous présenter nos points de vue sur les questions que vous étudiez.

La vision d'Affaires autochtones et du Nord est l'amélioration de la qualité de vie et des possibilités des Autochtones et des résidents du Nord du Manitoba. Elle vise actuellement quatre buts : premièrement, réduire l'écart de qualité de vie qui existe entre les Autochtones et les résidents du Nord et les autres Manitobains, en particulier dans les domaines de l'éducation, de la santé, du logement et des débouchés économiques, et de l'emploi; deuxièmement, s'acquitter des obligations constitutionnelles et des autres responsabilités provinciales à l'égard des collectivités autochtones et du Nord; troisièmement, contribuer à la santé, la sécurité et la réussite des collectivités autochtones et du Nord; et quatrièmement, contribuer à l'autonomie, la responsabilisation et la pérennité des collectivités autochtones et du Nord .

Les responsabilités du ministère découlent principalement de la Loi sur les affaires du Nord, de la Loi sur l'aménagement du territoire et de la Loi sur le Fonds de développement économique local, qui sont administrées par la division du développement du gouvernement local et les bureaux du Fonds de développement économique local. Le Secrétariat des affaires autochtones a été créé en 1982-1983, en partie en réponse aux négociations constitutionnelles au Canada qui portaient notamment sur l'autonomie gouvernementale autochtone. Le secrétariat est devenu un chef de file dans tous les secteurs des services gouvernementaux qui touchent les Autochtones.

En plus d'être le défenseur des Autochtones au gouvernement, le secrétariat vise à influencer l'élaboration et l'exécution des politiques, programmes et services qui créent des environnements sûrs et sains pour les Autochtones dans les collectivités du Nord; à conclure des ententes sur les effets négatifs des aménagements hydroélectriques, sur les droits fonciers issus de traités et sur d'autres questions foncières, et à s'acquitter des obligations découlant de ces ententes et de ces travaux de mise en valeur des ressources.

Avant d'aller plus loin, nous faisons remarquer que la province du Manitoba n'a pas de politique particulière à l'égard des gouvernements des Premières nations et des membres des Premières nations qui vivent à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves. Mais si une telle politique était envisagée, cela supposerait la coopération et la participation des Premières nations, entre autres. Le Manitoba a choisi de collaborer avec les Premières nations, les autres gouvernements et d'autres organisations dans les dossiers et les domaines d'intérêt commun.

Le Manitoba estime que la principale responsabilité concernant les Autochtones incombe au gouvernement fédéral. Nous accordons donc la préférence à la collaboration intergouvernementale avec le gouvernement fédéral, en partenariat avec les gouvernements des Premières nations et les organisations autochtones.

Compte tenu du temps limité dont nous disposons pour notre exposé et plutôt que de présenter en détail les données démographiques sur les Autochtones au Manitoba, nous avons apporté des exemplaires du rapport intitulé Les Autochtones au Manitoba à titre d'information. Ce rapport se fonde sur les données du recensement de 2006 et il présente des données plus récentes (2010-2011) sur les programmes, fournies par les ministères de la province.

En mars 2012, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a indiqué qu'il y avait plus de 140 000 membres des Premières nations inscrits au Manitoba, dont près de 85 000 qui vivent dans les réserves, soit plus de 60 p. 100. Vu que le Manitoba compte plus de 1,2 million d'habitants en 2012, les données d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada signifient que 11,1 p. 100 de la population du Manitoba sont des membres inscrits des Premières nations, et qu'environ 40 p. 100 d'entre eux vivent à l'extérieur des réserves.

D'après ces données, les Indiens non inscrits représentaient 3,3 p. 100 de l'ensemble de la population autochtone d'environ 176 000 habitants, ce qui, en 2006 correspondait à environ 15,5 p. 100 de l'ensemble de la population du Manitoba, comparativement à 11,4 p. 100 à l'échelle nationale.

Étant donné l'importance de la population autochtone au Manitoba, ainsi que le nombre croissant et la diversité accrue des problèmes touchant les Autochtones, le gouvernement du Manitoba a créé un comité du Cabinet sur les questions autochtones afin de coordonner et d'uniformiser les décisions relatives aux questions autochtones. Ce comité est coprésidé par le premier ministre et le ministre des Affaires autochtones et du Nord, qui est aussi vice-premier ministre actuellement. Le comité est formé notamment des ministres des ministères suivants : Justice; Conservation et Gestion des ressources hydriques; Services à la famille et Travail; Logement et Développement communautaire; Éducation; Enseignement postsecondaire et Alphabétisation; et Santé. Il est le point de convergence des mémoires ministériels sur les questions autochtones et il fait des recommandations au Cabinet et au Conseil du Trésor.

De plus, afin de mieux répondre aux besoins autochtones, les ministères ont établi au cours de la dernière décennie des directions générales, des directions et des régies de services axés sur les services aux Autochtones comme Santé des Premières nations, des Métis et Inuits, la direction générale des relations avec les Autochtones au ministère de la Conservation, la direction générale de l'éducation des Autochtones, et les régies des services à l'enfant et à la famille. Même s'il y a encore beaucoup à faire en général, la plupart des ministères intègrent une perspective autochtone dans l'élaboration de leurs politiques et programmes.

En règle générale, tous les programmes et services d'application générale du Manitoba sont offerts aux membres inscrits et non inscrits des Premières nations, qu'ils vivent à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves. De nombreux programmes et services aux Autochtones sont appuyés par le gouvernement provincial, mais peu de programmes s'adressent expressément aux membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves.

Par exemple, à notre demande, la Direction générale de l'éducation des Autochtones a préparé un résumé des programmes et services d'éducation des Autochtones, que nous avons remis à votre comité. Nous avons fait remarquer qu'un seul programme, appelé Working Together Supporting Students in Transition : Sharing student information between First Nations and Provincial Schools (Travailler ensemble — Élèves en transition : communication de l'information sur les élèves entre écoles des Premières nations et écoles provinciales) s'appliquait expressément aux étudiants des Premières nations qui font la transition des écoles des Premières nations dans les réserves vers les écoles publiques du Manitoba.

Dans notre ministère, deux programmes subventionnés s'adressent expressément aux membres inscrits des Premières nations. Le premier est le First Peoples Economic Growth Fund, auquel le Manitoba a contribué près de 23 millions de dollars depuis six ans. Ce programme s'adresse aux membres inscrits des Premières nations qui vivent dans les réserves ou à l'extérieur et qui sont entrepreneurs et il vise le développement économique des collectivités des Premières nations. Deuxièmement, il y a le Eagle Urban Transition Centre, auquel le Manitoba verse 157 000 $ par année. Ce projet, lancé par l'Assemblée des chefs du Manitoba, vise à aider les membres des Premières nations qui viennent s'installer à Winnipeg à avoir accès à des services de logement et à d'autres services comme l'aide à l'éducation et à l'emploi. Le ministère fournit également du financement de base annuel à trois organisations représentant des Premières nations, soit l'Assemblée des chefs du Manitoba, Manitoba Keewatinowi Okimakanak et la Southern Chiefs Organization. Ces organisations ont affirmé la transférabilité des droits issus de traités et des droits ancestraux du fait qu'elles représentent les membres des Premières nations qui vivent dans les réserves et à l'extérieur.

Le ministère participe également à des ententes tripartites entre le Canada, le Manitoba et l'Aboriginal Council of Winnipeg, qui a été fondé en 1990, afin de répondre aux besoins prioritaires et de résoudre les problèmes cernés par la population autochtone de Winnipeg. Ce conseil est une organisation panautochtone, qui fait abstraction du statut et qui représente les Autochtones vivant à Winnipeg. À notre connaissance, c'est la seule organisation représentant des Autochtones au Manitoba qui inclut les membres des Premières nations non inscrits. Comme le gouvernement fédéral, le ministère verse 100 000 $ par année à cette table tripartite. Notre ministère versait auparavant ce montant au conseil, sous forme de financement de base, mais puisque le conseil ne représente que les Autochtones vivant à Winnipeg et qu'il n'a donc pas une envergure provinciale, il ne peut pas, semble-t-il, faire partie du Congrès des peuples autochtones et n'est donc pas admissible aux subventions de fonctionnement fédérales. La conversion du financement provincial en du financement tripartite a permis le partenariat et le versement de la subvention fédérale de contrepartie par l'ancien Bureau de l'interlocuteur fédéral responsable des Métis et des Indiens non inscrits.

Il y a eu parfois des demandes d'autres groupes souhaitant former des conseils autochtones dans d'autres centres urbains, mais aucun d'entre eux n'a réussi à s'organiser comme l'Aboriginal Council of Winnipeg. Cela s'explique peut- être du fait qu'un grand nombre de membres des Premières nations inscrits ou non qui vivent hors des réserves sont servis par les 11 centres d'amitié autochtones et métis, comme celui où nous sommes, qui existent partout au Manitoba. C'est à Winnipeg qu'a été fondé le premier centre d'amitié autochtone et métis au Canada, au début des années 1960.

Le Manitoba verse 1,2 million de dollars par année à la Manitoba Association of Friendship Centres afin qu'elle distribue et complète le soutien fédéral aux centres d'amitié.

Ce ne sont que quelques-uns des programmes et services que nous offrons. Si vous voulez des précisions sur d'autres programmes et services provinciaux, nous pouvons noter vos demandes et vous fournir les renseignements plus tard.

Nous sommes prêts à répondre aux questions. Merci.

James B. Wilson, commissaire aux traités du Manitoba, Commission des relations découlant des traités du Manitoba : Merci sénateurs, et merci au personnel. J'aimerais également remercier Gary pour sa prière d'ouverture.

Bienvenue sur le territoire du Traité nº 1. J'aimerais situer un peu notre dialogue d'aujourd'hui. Le Traité nº 1 est très important dans ce dialogue; tout comme l'ensemble des traités et la différence entre les traités et la Loi sur les Indiens. Un grand nombre des questions sur lesquelles nous nous penchons tournent autour des différences entre les traités et la Loi sur les Indiens.

L'une des femmes assises à l'arrière, Chickadee, a apporté son calumet. C'est significatif qu'un calumet soit présent lors de ce dialogue, parce que les traités ont été bien souvent négociés lors de cérémonies.

Le 3 août 1871, le Traité nº 1 a été signé dans la région et plus précisément à Lower Fort Garry, juste à l'extérieur de Winnipeg. Les traités ont réuni la Couronne et les Premières nations dans un partenariat négocié par les deux parties. La Couronne a approché les Premières nations et leur a dit qu'elle voulait avoir accès aux richesses de la terre et les Premières nations ont répondu qu'elles comprenaient ce que voulait la Couronne et qu'elles voulaient elles aussi tirer un certain nombre d'avantages de ce partenariat. Les traités ont essentiellement jeté les bases du partenariat entre les Premières nations et le gouvernement.

Ces négociations ont porté sur la garantie de chasser, de piéger et de pêcher sur le territoire ancestral, et sur des aspects comme l'éducation, parce que les Premières nations voulaient avoir accès aux possibilités dans la société canadienne.

Les traités étaient avant tout une question de possibilités. Les Premières nations voulaient avoir accès à des possibilités afin que leurs descendants puissent participer et s'intégrer dans la société canadienne tout en maintenant des aspects essentiels comme leurs communautés, leurs structures de gouvernance, leur culture.

L'analogie qu'on fait souvent à propos des traités est qu'ils sont comme un mariage : un couple s'unit. Le travail des époux ne s'arrête pas après la cérémonie du mariage, au contraire, c'est à ce moment-là qu'il commence. C'est un processus continu. Parmi les quelque 70 traités négociés avec les Premières nations au Canada et dans l'Ouest canadien, 11 sont des traités numérotés. Une mesure a été prise unilatéralement, lorsque des traités ont été négociés ou après, sans la contribution des Premières nations. Il s'agit de la Loi sur les Indiens. On confond souvent les traités et la Loi sur les Indiens, mais ce sont deux choses très différentes. Les traités jettent les bases de la relation.

La Loi sur les Indiens a été adoptée unilatéralement, sans la participation des Premières nations. C'est avec la Loi sur les Indiens que sont nés les pensionnats et les laissez-passer et qu'ont disparu les pratiques agricoles des Premières nations. C'est la Loi sur les Indiens qui a créé la dépendance. Le modèle législatif actuel est la Loi sur les Indiens.

Je crois que nous devons nous éloigner de ce modèle, de cette relation entre les Premières nations et la Couronne fondée sur la Loi sur les Indiens. Nous devons revenir à la relation entre les Premières nations et la Couronne fondée sur les traités, une relation de dépendance mutuelle, de responsabilité mutuelle, d'obligation mutuelle et d'avantage mutuel.

L'une des tâches de notre commissariat consiste à éduquer les gens sur le rôle que jouent les traités. Nous avons ici au Manitoba une campagne appelée « We Are All Treaty People », qui vise à faire comprendre que tous les Manitobains et pas seulement les Premières nations profitent des traités. Il y a des droits issus de traités des deux côtés. Si vous possédez un bien au Manitoba, par exemple, et que vous n'êtes pas Autochtone, vous exercez un droit issu de traités. Le droit de posséder un bien remonte aux traités. Vous ne pourriez pas posséder ce bien si les traités n'avaient pas été négociés.

Nous éduquons la population. Je pense que l'éducation est essentielle pour qu'on comprenne mieux ses droits et ses obligations. Nous commençons à nous adresser principalement aux élèves du Manitoba, pour les informer sur les traités. Il s'agit de les renseigner sur les traités, les relations découlant des traités, leur histoire, et la différence entre les traités et la Loi sur les Indiens.

À mesure que de plus en plus de gens seront sensibilisés et qu'ils comprendront la différence entre les traités et qu'ils connaîtront la relation en profondeur, nous pourrons avancer vers des solutions à des problèmes qui ne touchent pas seulement un groupe, mais tout le monde.

Rhonda Forgues, directrice par intérim, Initiatives autochtones, Ville de Winnipeg : Merci de nous avoir invités à vous présenter aujourd'hui les types de programmes et services qu'offre la ville de Winnipeg aux Autochtones qui vivent ici. Je m'appelle Rhonda Forgues et je suis gestionnaire d'Aboriginal Initiatives, à la Ville de Winnipeg. Je vais vous présenter quelques renseignements sur nos programmes et initiatives. Même s'ils ne s'adressent pas exclusivement aux Premières nations, ils sont offerts en fonction de l'approche panautochtone que nous appliquons à tout ce que nous faisons. J'ai apporté quelques trousses d'information que je pourrai vous remettre après notre témoignage. Elles fournissent des renseignements sur nos programmes, ainsi que des statistiques et des données démographiques sur la ville. Je commencerai d'abord par Oshki Annishinabe Nigaaniwak, soit la stratégie pour la jeunesse autochtone de la Ville de Winnipeg. En 2008, le conseil de la ville a décidé que nous participerions à une stratégie pour la jeunesse autochtone. En 2009, les anciens nous ont donné le nom d'un esprit ojibway, Oshki Annishinabe Nigaaniwak, qui signifie jeunes autochtones chefs de file. En 2010, un jeune Autochtone a créé le symbole de deux aigles tournés vers l'avenir et, en 2011 nous avons lancé une évaluation de notre initiative jusqu'ici.

La stratégie est un programme annualisé doté d'un budget annuel de 1 million de dollars et nous nous adressons aux adolescents et aux jeunes adultes de 15 à 30 ans. Quelques principaux secteurs d'activité de la stratégie sont l'emploi et le développement de l'emploi; les activités physiques, culturelles et récréatives; ainsi que l'alphabétisation et l'apprentissage continu. Ces priorités ont été établies par la communauté et par la ville, qui veut appuyer la communauté. Par exemple, le développement de l'emploi est lié à la priorité communautaire de trouver des possibilités de développement économique. Les activités physiques, culturelles et récréatives sont axées sur la priorité communautaire de promouvoir des familles en santé. L'alphabétisation et l'apprentissage continu sont axés sur la priorité communautaire de garder les enfants à l'école. Le mandat de la stratégie consiste à donner aux jeunes Autochtones des possibilités positives dans la communauté et les structures municipales en jetant des ponts et en offrant des programmes et appuis pertinents dans les domaines de l'emploi, de l'alphabétisation et des loisirs, afin de renforcer la résilience, l'autonomie, la fierté et les possibilités futures.

Parmi les partenaires communautaires avec qui nous travaillons dans le cadre de la stratégie, je signale le centre Ma Mawi Wi Chi Itata, le Ndinawe Youth Resource Centre, Indigenous Leadership Development Incorporated, l'Assemblée des chefs du Manitoba, Ka Ni Kanichihk, le Club des garçons et des filles, la Spence Neighborhood Association, les Broadway Neighborhood Centres, Just TV et RAY.

La stratégie consacre les trois quarts de son budget de 1 million de dollars aux partenaires communautaires qui y sont associés et le reste est dépensé à l'interne et en collaboration avec nos services municipaux pour créer des possibilités à l'intention des jeunes Autochtones.

Voici quelques exemples de réussites de la stratégie et de son processus de mobilisation. Dans le volet emploi et développement de l'emploi, depuis trois ans, nous avons réalisé 20 projets qui ont mobilisé plus de 990 jeunes Autochtones. Dans le volet des activités physiques, culturelles et récréatives, nous avons complété cinq projets et avons obtenu plus de 18 000 visites de jeunes. Dans le volet alphabétisation et apprentissage continu, nous avons eu cinq projets et obtenu plus de 900 visites de jeunes. Nous sommes très fiers de ce que nous avons fait avec la stratégie pour la jeunesse autochtone.

Une autre grande stratégie municipale est appelée « Notre Winnipeg ». Il y a un volet autochtone distinct dans le plan « Notre Winnipeg ». Il confirme que la Ville de Winnipeg reconnaît l'importance des Autochtones — Premières nations, Métis et Inuits — dans l'histoire de notre ville. Chacun de ces groupes a apporté sa culture, ses valeurs et sa vision, qui resteront importantes dans notre avenir commun.

De nos jours, les populations dynamiques et variées qui forment la communauté autochtone enrichissent et colorent le tissu social de Winnipeg : elles restent vitales pour l'avenir économique et culturel de la ville.

L'une des principales orientations du plan « Notre Winnipeg » qui mettent l'accent sur la communauté autochtone consiste à reconnaître que les Winnipégois autochtones apportent à notre ville une richesse variée de cultures, de traditions, de langues, d'enseignements, de valeurs, de compétences et de perspectives. Une autre grande orientation consiste accroître les possibilités que les Winnipégois autochtones, en particulier les jeunes, obtiennent un emploi enrichissant en renforçant les pratiques, processus et partenariats communautaires existants. Diverses lignes directrices sont reliées à chaque orientation. Là aussi, nous fournissons des renseignements dans les trousses que nous vous avons préparées, si vous souhaitez obtenir des précisions.

Nous sommes également heureux de vous informer que la Ville de Winnipeg est en train de mettre sur pied une division des relations avec les Autochtones. Nous sommes très emballés par ce projet parce qu'il réunira au même endroit toutes les initiatives propres aux Autochtones actuellement dispersées dans divers services et que des ressources seront affectées à cette division. Le mandat de la division sera que les relations avec les Autochtones appuient la Ville de Winnipeg en fournissant un leadership et des compétences dans une perspective d'intégration autochtone aux programmes, services et initiatives qui appuient et satisfont les besoins actuels et futurs de la communauté autochtone de Winnipeg.

Quelques rôles et responsabilités de la nouvelle division porteront sur des projets et initiatives internes. À l'interne, nous nous efforcerons de créer des relations plus solides, d'accroître la compréhension et la participation de tous les services municipaux, et de renforcer et améliorer les appuis et services aux employés autochtones. À l'externe, nous nous efforcerons de continuer à développer les partenariats et les relations avec les organisations communautaires afin d'améliorer les programmes et services qui s'adressent à la communauté autochtone.

Un grand secteur prioritaire de la division des relations avec les Autochtones sera la stratégie pour la jeunesse autochtone, dont je viens de vous parler. D'autres secteurs seront les initiatives intergouvernementales, notamment celle qu'a décrite M. Wavey au sujet des ententes tripartites, comme l'entente sur l'alignement stratégique des affaires autochtones, par laquelle nous collaborons avec la province, par l'entremise du ministère des Affaires autochtones et du Nord, les administrations locales, le gouvernement fédéral par l'entremise d'AANC, ainsi que les partenariats communautaires et les stratégies d'entreprises.

L'entente sur l'alignement stratégique vise à mieux aligner nos programmes, services et ressources pour appuyer les Autochtones qui vivent à Winnipeg et améliorer leur situation économique. Les quatre grands domaines prioritaires sont l'éducation, la formation et l'apprentissage continus; l'emploi et le développement de l'emploi; le renforcement des capacités, les soutiens communautaires et la mobilisation personnelle; la sécurité et le bien-être communautaires. À chaque domaine sont associés deux buts, en cours d'élaboration. L'entente tripartite est en vigueur jusqu'en 2015.

Enfin, j'aimerais vous décrire nos progrès, pour chacune de ces initiatives. Le travail actif de la ville auprès de la communauté autochtone a permis d'accroître la participation des jeunes Autochtones dans les services et les installations de la ville. Par exemple, la fréquentation des bibliothèques par les jeunes Autochtones a augmenté de 161 p. 100 de 2010 à 2011, et dans les programmes récréatifs, elle s'est accrue de 85 p. 100 pendant cette période. Les taux de réussite dans les programmes de développement de l'emploi ont monté eux aussi. Ce sont des tendances positives et encourageantes, mais notre travail énergique et notre engagement doivent se poursuivre dans ce domaine crucial.

Merci.

Le vice-président : Madame Brockington, voulez-vous ajouter quelque chose?

Eleanor Brockington, directrice, Direction de la politique et de l'initiative stratégique, Affaires autochtones et du Nord du Manitoba : Non. Robert et moi avons préparé notre exposé ensemble et je suis ici pour l'aider à répondre aux questions.

Le vice-président : Avant de céder la parole à mes collègues, j'aimerais poser quelques questions.

Monsieur Wavey, vous avez déclaré que la province du Manitoba n'a pas de politique, ni pour les membres des Premières nations qui vivent dans les réserves ni pour ceux qui vivent à l'extérieur, parce que la province estime qu'il incombe au gouvernement fédéral de s'occuper des affaires autochtones. À mon avis, il s'agit peut-être là du plus grand problème en ce qui concerne les Premières nations dans notre pays, parce que le gouvernement fédéral est toujours en train de se chamailler avec les gouvernements provinciaux au sujet de leurs compétences respectives.

Cela dit, comment aller au-delà de ces disputes sur les compétences? Sans entrer dans les détails pour expliquer les ratés de ces dernières années au sujet des compétences, comment passer par-dessus afin que, finalement, les membres des Premières nations qui vivent ou choisissent de vivre dans les réserves ou à l'extérieur obtiennent essentiellement les mêmes services auxquels ils ont droit?

M. Wavey : Je pense avoir dit que les membres Premières nations qui vivent hors des réserves ont accès aux programmes et services que la province offre à tous les résidants du Manitoba. La question la plus importante à régler, à mon avis, c'est comment améliorer les relations de travail entre les nombreux ministères et services de ces ministères à l'échelle intergouvernementale afin de pouvoir cerner plus clairement les problèmes, et je ne veux pas dire dans chaque ministère, mais plutôt à l'échelle pangouvernementale. Comme vous l'avez indiqué, ce ne sont pas nécessairement des problèmes intergouvernementaux; il y a aussi des problèmes entre les ministères. Je crois qu'il faut mieux communiquer entre nous et mieux travailler ensemble.

J'aimerais préciser que ce n'est pas parce que le gouvernement fédéral est responsable des Indiens et des terres réservées pour les Indiens que la province n'a pas de politique. Je voulais simplement clarifier ce point.

Voulez-vous intervenir, Eleanor?

Mme Brockington : Je signale que, si elle envisageait une politique relative aux Premières nations, la province du Manitoba n'agirait pas unilatéralement; elle consulterait les Premières nations. En mai 2011, l'une de nos activités avec la Commission des relations découlant des traités a visé à respecter les traités. De nombreuses Premières nations au Manitoba sont visées par des traités numérotés, et nous étions aussi en train de négocier une entente sur l'autonomie gouvernementale. C'est par respect du souhait des Premières nations de la province d'instaurer l'autonomie gouvernementale. Je pense que c'est pour cette raison que nous n'avons pas voulu créer de politique globale sur les Premières nations. Quand nous rédigeons une politique, nous collaborons avec les Premières nations, et nous travaillons avec les parties lorsque nous planifions de nouveaux programmes ou initiatives.

M. Wilson : Vous avez parlé de solutions. L'éducation est un domaine où les Premières nations, la province et le gouvernement fédéral ont très bien réussi à travailler ensemble. Au Manitoba, une entente tripartite a été signée par l'Assemblée des chefs du Manitoba, le gouvernement provincial, le ministère de l'Éducation du Manitoba, et le gouvernement fédéral afin de résoudre quelques problèmes de compétences qui entravaient l'éducation auparavant. Il y a encore de nombreux problèmes à résoudre, mais je pense que c'est un exemple positif qui a aidé à améliorer les relations.

Le vice-président : Ma deuxième question porte sur les dépenses provinciales, ici au Manitoba, à l'intention des Autochtones et des membres des Premières nations. Nous savons qu'au niveau fédéral — et il s'agit des chiffres d'AAND, autrefois AINC — les dépenses dans les réserves sont huit fois plus élevées que les dépenses à l'extérieur des réserves. Ce sont les chiffres du gouvernement fédéral en ce qui concerne les dépenses relatives aux Autochtones ou aux Premières nations. Premièrement, avez-vous une indication du financement provincial dans les réserves par rapport au financement à l'extérieur des réserves? Deuxièmement, connaissez-vous l'ampleur du budget du Manitoba pour les affaires autochtones et les Autochtones? Si vous n'avez pas les chiffres, pourriez-vous les communiquer au greffier du comité à notre intention?

M. Wavey : Nous prenons note et nous essaierons de vous communiquer les chiffres que nous pourrons trouver.

Le vice-président : Ce serait très apprécié.

Monsieur Wilson, vous avez évoqué l'importance des traités et vous avez ajouté que les traités sont comme le mariage. Je suis tout à fait d'accord. À mon avis, en ce qui concerne les traités, nous sommes un peu comme un couple après quelques années de mariage, des interprétations différentes de ce que représente ce mariage peuvent se développer et soulever des problèmes. Je pense que nous en sommes là. Pour situer un peu le contexte, je dirais qu'il y a évidemment des interprétations différentes selon la personne à qui on parle. Certains peuvent soutenir que les gouvernements vont plus loin que l'intention et l'esprit des traités, à l'origine. D'autres affirmeront que les traités ne sont pas du tout respectés.

Quels seraient vos points de vue ou vos recommandations? Vous dites qu'il faudrait s'éloigner de la Loi sur les Indiens et supprimer les étiquettes « dans les réserves » et « à l'extérieur des réserves », mais en même temps, la bonne solution serait-elle de respecter les traités historiques ou devrions-nous plutôt tenter de négocier des traités modernes qui reflètent les réalités modernes auxquelles sont confrontés certains de nos citoyens actuellement?

M. Wilson : Je pense qu'il incomberait davantage aux dirigeants politiques de répondre à la question des traités modernes.

La question des perspectives modernes et de ce qu'elles signifient est extrêmement importante parce que nous voulons voir ce dialogue tous les jours. Un sujet de discussion ces temps-ci est l'opposition entre les droits collectifs et les droits individuels — les différentes interprétations et les différents points de vue et perspectives dans le monde sur les droits. On s'est aussi penché sur cette question à l'échelle internationale après la Seconde Guerre mondiale, avec la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous avons des points de vue différents sur ce que signifient l'éducation, le logement, l'eau, les ressources naturelles. Ce qui importe, c'est qu'il y ait une table où nous pouvons exprimer ces points de vue.

Pendant longtemps un seul point de vue a été exprimé. Il est très important d'avoir une table autour de laquelle on peut discuter de ce que signifie l'éducation au XXIe siècle. Quelle est la différence par rapport au moment où les premières ententes ont été conclues? Quelles sont les différences par rapport à l'intention des ententes? Il doit y avoir une table autour de laquelle on peut en discuter de manière respectueuse, sans hiérarchie comme c'est le cas dans la Loi sur les Indiens, mais en tant que partenaires qui s'unissent.

Le vice-président : Pour réaliser des progrès à l'avenir, qui devrait prendre les devants selon vous? D'un côté, le gouvernement fédéral peut essayer de lancer un processus et alors l'autre partie prétend souvent qu'il n'y a pas assez de consultation, que le modèle est unique et qu'il ne répond pas à ses besoins. D'un autre côté, lorsque les dirigeants des Premières nations ou les Premières nations elles-mêmes présentent des options à un niveau de gouvernement pour aller de l'avant, ces propositions tombent souvent dans l'oreille d'un sourd. Qui doit prendre les devants à ces tables dont vous parlez pour amorcer un changement et créer un mouvement afin de résoudre les problèmes dont nous discutons actuellement?

M. Wilson : Je crois que tous les niveaux de gouvernement sont responsables. Les Premières nations, leurs dirigeants, les administrations municipales, les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral, et nous tous, comme citoyens, nous sommes tous responsables, et il nous incombe de promouvoir ce dialogue et de nous assurer qu'il existe. Je ne pense pas qu'une seule personne soit responsable, ni un groupe en particulier. Cela doit découler naturellement du partenariat, afin que tout le monde puisse y trouver un rôle. Ce n'est pas une confrontation. Personne ne doit dire, par exemple, que c'est une question qui touche les Premières nations et qu'on ne s'en mêle pas. Tout le monde doit sentir que nous jouons tous un rôle clé.

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie tous pour vos exposés, très réfléchis. Depuis que le sénateur Brazeau a suggéré cette étude et que le Sénat l'a acceptée, une question me tracasse et je vais vous l'exposer. Je ne veux manquer de respect envers personne et j'espère bien que vous ne me prêterez pas de mauvaises intentions.

J'imagine souvent un scénario où quelqu'un arrive d'ailleurs pour vivre au Manitoba ou à Winnipeg. Ce nouveau venu s'intègre dans la société, dans la communauté. Il achète des biens et paie des impôts. Il fait partie de la communauté. La question que je me pose, c'est comment se fait-il que nous, les Canadiens — pas les Manitobains, mais plutôt les Canadiens en général —, n'acceptons pas complètement les Autochtones qui quittent les réserves et qui viennent chez nous, comme nous acceptons d'autres personnes qui viennent chez nous, s'intègrent et contribuent à notre société. Nous les considérons encore comme des « non inscrits », en ce sens que nous ne leur offrons pas les mêmes services qu'aux autres Canadiens. Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, j'aimerais que vous me donniez vos arguments. Je comprends le contexte historique, mais j'ai beaucoup de mal à répondre à cette question et j'aimerais avoir votre opinion.

M. Wavey : Pour essayer de répondre à la question, je ne peux que revenir sur ce que j'ai déjà expliqué. Tout résident d'une réserve qui quitte la réserve a accès à tous les programmes et services qui sont offerts au Manitoba, parce qu'il est Manitobain. Je ne pense pas être libre de porter mon autre chapeau, pour le moment, alors je n'en dirai pas plus.

Mme Brockington : C'est une question qui s'est déjà posée et que nous avons examinée. Malheureusement, historiquement, lorsque les Premières nations ont signé les traités, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur les Indiens, et de nombreux Autochtones se sont retrouvés dans des réserves. Pendant de nombreuses années, ils n'étaient pas considérés comme des membres de la société canadienne. Ils ne pouvaient pas voter. Pendant de nombreuses années, ils ne pouvaient pas quitter leurs réserves, parce qu'ils avaient besoin d'une permission pour sortir et faire des affaires ou aller travailler. S'ils voulaient se battre pour le pays, ils devaient renoncer à leur statut particulier découlant du fait qu'ils étaient visés par la Loi sur les Indiens.

Pour bien des gens, tout découlait des traités. Dans notre histoire collective, les traités ont été l'accord conclu pour travailler et vivre et pour partager les ressources du pays. Lorsque la Loi sur les Indiens a été adoptée, bien des gens ont pensé que la loi découlait des traités, alors que c'était une décision unilatérale. Pendant de nombreuses années, lorsque le Canada s'est développé, un grand nombre de Premières nations ont été coupées du reste du Canada.

Au gouvernement provincial, comme nous l'avons indiqué, nous avons examiné la question des services aux Autochtones. Nous ne vous avons présenté qu'un bref aperçu des services qu'offrent les divers ministères pour aider les Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves. Très peu de ces services, je le répète, s'adressent expressément aux membres des Premières nations inscrits ou non inscrits. Un grand nombre de nos services sont considérés comme des services aux Autochtones. Je sais que certains ont comparé les services à l'intention des immigrants qui s'établissent au Canada et les services offerts aux membres des Premières nations qui s'urbanisent. Cette comparaison a effectivement révélé que les services et les ressources ne sont pas d'ampleur égale.

Nous savons qu'un grand nombre des immigrants ou des nouveaux arrivants au Canada et en particulier au Manitoba ont souvent une image très fausse des Premières nations et des autres peuples autochtones du Manitoba. Nous avons tenté de travailler avec diverses organisations pour lutter contre ces stéréotypes et cette discrimination. Nous nous sommes efforcés d'axer certains de nos services sur ce domaine.

Nous comptons sur nos partenariats avec les autres niveaux de gouvernement et aussi avec ceux qui travaillent avec l'Aboriginal Council of Winnipeg. L'arrêt Misquadis c, Canada a tranché essentiellement que le gouvernement fédéral devrait offrir des services aux Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, qu'ils ont droit aux mêmes programmes de formation et d'emploi des Autochtones que ceux qui sont offerts aux Métis ou aux Premières nations.

Je pense que c'était un travail de sensibilisation très important. Nous essayons d'appuyer ces changements fondamentaux dans la manière d'offrir les programmes et services à Winnipeg. Quelques-uns des modèles élaborés ont été acceptés ailleurs qu'à Winnipeg et ils ont même eu des répercussions nationales sur d'autres programmes. C'était ma longue réponse à l'impression que vous avez exprimée.

Le vice-président : Monsieur Wavey, ai-je bien compris que si vous pouviez porter votre autre chapeau, votre réponse serait un peu différente?

M. Wavey : Pas de commentaire.

Le sénateur Jaffer : J'ai une question pour Mme Forgues. Pendant de nombreuses années, avant de devenir sénateur, j'avais l'habitude de venir à Winnipeg et de travailler avec de nombreuses organisations d'aide aux immigrants. Je crois que le Manitoba et Winnipeg comptent certaines des meilleures organisations d'aide aux immigrants et elles sont appuyées par le gouvernement du Manitoba. Je suis convaincue qu'on y trouve certaines des meilleures et que l'intégration au Manitoba est beaucoup plus réussie à cause du travail que font la province et la ville auprès des communautés immigrantes.

Nous avons décidé de venir d'abord ici parce que vous avez déjà mis en place un modèle qui fonctionne. Si je ne m'abuse, environ 80 000 Winnipégois sont des Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves et ils n'obtiennent pas les mêmes services que les nouveaux arrivants.

Madame Brockington, vous avez donné une très bonne réponse, alors je ne vous mettrai pas sur la sellette, ni M. Wavey. Je pense qu'une question que doit se poser notre comité et que doit aussi se poser le pays est la suivante : Pendant combien de temps continuerons-nous de ne pas accorder aux Autochtones les mêmes droits qu'aux autres citoyens du pays? Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez. Je vous exprime seulement mon inquiétude et mes sentiments.

Madame Forgues, les jeunes sont évidemment notre avenir, et il y a de plus en plus de jeunes dans la communauté autochtone. Je pense qu'à l'avenir, ce seront eux qui paieront des impôts et qui aideront des gens comme moi à toucher une pension de vieillesse. Pour faire suite à vos explications sur la future division des relations avec les Autochtones, je me demande si vous connaissez l'Aboriginal Regional Office d'Edmonton et si vous discutez avec lui des pratiques exemplaires et des stratégies pour que votre travail réussisse?

Mme Forgues : Oui, nous nous parlons beaucoup, entre diverses municipalités, des différentes initiatives et stratégies dans tous les services municipaux. Les municipalités se réunissent environ tous les deux ans pour discuter des pratiques exemplaires, des programmes et des services que nous offrons aux Autochtones, afin de partager les histoires de réussite, les défis, et ainsi de suite. Une grande partie de ce que nous faisons se fonde sur ce qu'ont fait ou appris d'autres municipalités. Edmonton, Regina et Saskatoon comptent parmi les principales municipalités avec lesquelles nous sommes constamment en contact. Nous nous téléphonons pour demander aux autres comment ils ont abordé tel problème ou quelle est la meilleure solution. Nos modèles sont influencés par les leçons tirées et les pratiques exemplaires, non seulement du modèle d'Edmonton, mais aussi d'autres municipalités au Canada. C'est très utile et très bénéfique pour nous.

Le sénateur Harb : Merci pour vos exposés. Ma première question en est une de logistique. Monsieur Wavey, au haut de la page 7, vous indiquez que le ministère verse 325 $ à l'Assemblée des chefs du Manitoba, 100 $ à la Manitoba Keewatinowi Okimakanak et 70 $ à la Southern Chiefs Organization. C'est une somme incroyable pour les différents programmes qu'offrent ces organisations. Pouvez-vous donner quelques précisions sur ces montants et sur ce qu'on peut faire avec des sommes aussi « élevées »?

M. Wavey : C'est simplement une façon de présenter les chiffres. En réalité, nous versons 325 000 $ par année à l'Assemblée des chefs du Manitoba, et cetera.

Le sénateur Harb : Il me semblait bien.

À la page 6, vous décrivez éloquemment les divers programmes. Vous affirmez que très peu de programmes s'adressent expressément aux membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves. Vous donnez l'exemple du programme de communication de l'information sur les élèves entre les écoles des Premières nations et les écoles provinciales, qui s'applique aux élèves des Premières nations faisant la transition entre des écoles des Premières nations dans les réserves et des écoles publiques du Manitoba. Je crois que c'est le nœud de tout le problème, à savoir la transition de la réserve vers l'extérieur, c'est là que doivent se faire la majorité des interventions. Êtes-vous d'accord avec cette évaluation?

M. Wavey : Oui, et je peux probablement mettre mon autre chapeau temporairement pour vous expliquer pourquoi.

Le sénateur Harb : Je vous en prie. Mettez votre autre chapeau.

M. Wavey : M. Wilson vous a parlé des traités. L'un des aspects importants qui découlent de ces traités est le traitement des Autochtones, nos Premières nations en général, depuis ce temps-là, tous les traumatismes subis et les symptômes qui en ont découlé. Avec la transition de la réserve à l'extérieur de la réserve, ils ont subi tous ces symptômes, y compris les pensionnats, par exemple, et les conséquences intergénérationnelles de ces traumatismes. Ils apportent tout cela avec eux hors de la réserve, ils arrivent dans une société qu'ils ne connaissent pas bien et dont ils n'ont peut-être pas l'habitude. De nombreux autres soutiens sont nécessaires en plus du soutien à l'éducation pour s'assurer que ceux qui quittent les réserves peuvent réussir.

Le sénateur Harb : Estimez-vous que, s'il y a un domaine où le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial devraient travailler ensemble, ce serait concernant l'approche globale dont a parlé Mme Brockington au sujet des immigrants et des programmes d'intégration qui sont en place? Quand vous comparez ces programmes à ceux qui existent pour les membres des Premières nations et les Autochtones qui passent de la réserve à l'extérieur de la réserve, ils ne semblent pas avoir le même type d'appuis. Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait mettre l'accent sur cet aspect?

M. Wavey : Encore une fois, ce n'est pas le gouvernement fédéral tout seul, même s'il a une responsabilité principale en vertu de la Constitution. J'aime bien le terme « approche globale », parce que cela va plus loin que l'analyse de la question. Il faut englober toutes les ressources. En ce qui concerne les soutiens requis pour toute personne s'urbanise, par exemple, il faut aller plus loin que le seul volet de l'éducation. Il faut peut-être des services de garde des enfants et il faut intégrer le système de justice. Il faut réunir tous ces éléments pour mettre en place la pratique exemplaire bien adaptée, si je peux m'exprimer ainsi, afin d'assurer la réussite de la personne qui entre non seulement dans le réseau scolaire mais aussi dans une nouvelle vie.

Comme je l'ai déjà dit, il doit y avoir une meilleure façon de réunir les gouvernements et d'autres parties intéressées pour se diriger vers cette approche globale et ne pas se limiter à l'analyse particulière de l'éducation, ou de la santé et des services sociaux, mais plutôt voir tout cela dans un ensemble.

Le sénateur Harb : Ma dernière question porte sur le mandat particulier du comité. Comme vous le savez, le Sénat a autorisé le comité à aller dans trois provinces de l'Ouest canadien pour étudier les questions concernant les droits de la personne des Autochtones et des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, en accordant une attention particulière aux droits qui touchent aux pensionnats, à l'accès aux droits, à la participation au processus de prise des décisions dans la communauté, à la transférabilité des droits et aux recours existants, entre autres. Nous apprécions beaucoup vos exposés bourrés de faits et de chiffres qui nous sont très utiles, mais nous aimerions aussi que vous nous fassiez des recommandations précises que nous pourrions présenter au Sénat et au gouvernement dans notre rapport. Vous pouvez mettre le chapeau que vous voulez.

M. Wavey : Me donnez-vous une seconde? Quelqu'un d'autre veut peut-être répondre.

M. Wilson : Je répondrai. Ma recommandation portait sur cette approche globale et sur les progrès qui seront accomplis si nous envisageons tout cela comme un partenariat. Comme je le disais à propos des relations découlant des traités, ce seraient des relations fondées sur le respect mutuel, non hiérarchiques, puisque nous sommes tous ici ensemble. Nous avons tous les deux des obligations et des responsabilités dans ce domaine, et les solutions seront trouvées en travaillant ensemble. Ce serait ma principale recommandation.

Mme Forgues : De mon point de vue, dans un cadre urbain, ce que j'entends sans cesse de la part de la communauté et des partenaires communautaires c'est que, quels que soient nos engagements, quels que soient les domaines où nous affectons nos ressources, il faut une perspective à long terme. Les gens doivent savoir que nous les accompagnerons dans le long terme. C'est très difficile d'apporter un changement ou d'agir autrement quand on est dans le court terme ou dans un projet pilote. La communauté apprécierait que, peu importe ce que nous faisons, nous le fassions pendant longtemps, afin qu'elle sache que nous sommes des partenaires.

M. Wavey : Après délibération et discussion, je pense que nous en avons parlé brièvement du début et que d'autres en ont peut-être parlé eux aussi. Le gouvernement fédéral doit envisager sérieusement d'accorder aux Premières nations un financement égal à celui que fournit le gouvernement provincial à l'extérieur des réserves. L'éducation en est le plus bel exemple. Il y a un écart énorme entre les frais de scolarité versés à l'extérieur des réserves et dans les réserves. De cette façon, les membres des Premières nations qui vivent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves auront les mêmes possibilités et, s'ils choisissent de rester dans les réserves, ils seront mieux préparés s'ils décident un jour de vivre à l'extérieur des réserves.

Puis-je demander à Eleanor si elle veut ajouter quelque chose?

Mme Brockington : Nous avons fait un examen historique des programmes et des services. Nous avons constaté une tendance. De plus en plus de membres des Premières nations vont vivre dans des centres urbains, et nous offrons du financement et des services. C'est pour cette raison que les centres d'amitié indiens et métis ont été créés, et je crois que le Manitoba est la seule province qui fournit actuellement des ressources aux centres d'amitié indiens et métis. Ailleurs qu'au Manitoba, je pense que la plupart des centres d'amitié sont subventionnés par le gouvernement fédéral. Alors, nous offrons un soutien.

L'éducation est un domaine où il existe un grand écart entre le financement des écoles des Premières nations et les écoles provinciales, mais il y a aussi un énorme écart entre les types de services qui sont offerts. Par exemple, le Manitoba a conçu un programme de santé à l'intention des membres des collectivités de la Première nation de Island Lake — quatre collectivités qui comptent plus de 10 000 habitants. Nous savions qu'il était très pénible pour un grand nombre de ces familles de s'installer à Winnipeg ou ailleurs pour obtenir des traitements en cas de diabète ou de maladies rénales. Dans le cadre de la décentralisation des services de santé et des autres mesures prises par le gouvernement pour rapprocher les services de santé de la population, un centre a été établi à Island Lake, par l'entremise du centre de santé Neewin. Les collectivités de la Première nation de Island Lake, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral y participent.

Mais il y a encore des problèmes dans le secteur de la santé et certains sont reliés au financement. La province finance le centre de santé. Nous nous assurons qu'il est administré par l'entremise du Northern Medical Unit de l'Université du Manitoba. Je peux vous assurer qu'il est très difficile de recruter du personnel médical spécialisé et de maintenir ce centre médical.

Un grand nombre des problèmes que nous constatons dans les dispensaires établis dans ces quatre collectivités, qui sont administrés par le gouvernement fédéral, sont reliés à l'extrême pauvreté de la population. Certaines familles n'ont pas les moyens de payer les frais de transport pour venir d'une petite collectivité comme Wasagamack, qui compte un peu plus de 500 habitants. Ils doivent faire une heure de bateau ou d'avion pour se rendre au Centre rénal de Garden Hill. Winnipeg est plus proche.

La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits assume les frais de transport pour ces familles ou ces malades afin qu'ils viennent à Winnipeg pour la dialyse. Elle ne veut pas payer les 25 $ que coûte le trajet en bateau de Wasagamack à Garden Hill pour avoir accès au Centre rénal de Garden Hill. Nous avons tenté de les accommoder et nous avons réellement fait tout ce que nous pouvions dans de nombreux cas pour tenter d'offrir les services et programmes dans les réserves, sans aller à l'encontre de ce que nous percevons et appuyons comme une conviction des Premières nations, soit que la responsabilité principale incombe au gouvernement fédéral. C'est pourquoi nous avons déclaré que si le gouvernement fédéral examinait les services de logement, les services médicaux et de santé et s'il améliorait la qualité de vie dans les réserves, cela aiderait les membres des Premières nations à être mieux préparés pour vivre à l'extérieur des réserves, si c'est ce qu'ils choisissent de faire. Je sais que, compte tenu de leurs ressources limitées, les écoles des Premières nations s'efforcent de préparer leurs élèves pour qu'ils puissent poursuivre leurs études en ville.

Également dans le domaine de l'éducation, l'University College of the North a commencé avec un campus à The Pas. Nous en avons maintenant deux. Nous avons maintenant 12 centres régionaux dans le Nord qui offrent un enseignement collégial aux résidents de cette région. Nous avons pris de nombreuses mesures pour les accommoder et offrir des services de proximité, quel que soit l'endroit où l'on vit.

Le vice-président : Sur cette note et vu l'heure, ce sera tout pour notre premier groupe. Au nom du comité, j'aimerais remercier Mme Forgues, Mme Brockington, M. Wavey et M. Wilson d'être venus témoigner aujourd'hui. Évidemment, si vous avez oublié quelque chose, dans votre exposé peut-être, ou si vous voulez apporter d'autres précisions plus tard, vous pouvez toujours le faire par l'entremise du greffier du comité.

Honorables sénateurs, au cours de la prochaine heure, nous entendrons Walter Wastesicoot et Inez Vystrcil-Spence de Manitoba Keewatiinowi Okimakanak; Damon Johnston, président de l'Aboriginal Council of Winnipeg; ainsi que Steve Courchesne, membre du conseil de Circle of Life Thunderbird House, et Mme Sasha Marshall, directrice exécutive.

Bienvenue à vous tous.

Inez Vystrcil-Spence, directrice de la santé, Manitoba Keewatinowi Okimakanak : Merci de cette possibilité de nous adresser au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je m'appelle Inez Vystrcil-Spence, et je suis la directrice de la santé à Manitoba Keewatinowi Okimakanak. Je travaille par intermittence au sein de l'organisation depuis 1996. Je suis une Indienne au sens de la loi C-31. J'ai été inscrite en 1987 après les modifications. Je vis actuellement à l'extérieur de la réserve, dans le sud du Manitoba, mais je suis propriétaire dans la réserve de ma collectivité de Nelson House, au Manitoba. Je voudrais simplement vous décrire brièvement qui je suis et quelques points de vue que j'apporte à la discussion.

Je suis honorée de témoigner au nom de l'organisation et de nos membres du Nord. Manitoba Keewatinowi Okimakanak représente 30 collectivités des Premières nations du Nord du Manitoba, réparties sur les deux tiers de la masse terrestre de la province et qui comptent environ 65 000 habitants.

Il est important de souligner l'incapacité du Canada de respecter les obligations de la Couronne dans l'application des traités. Les politiques ratées du Canada continuent de contribuer à la pauvreté des Premières nations du pays. Les possibilités limitées de poursuivre des études, d'obtenir un logement, des soins de santé et un emploi poussent les membres des Premières nations à l'extérieur des réserves lorsqu'ils veulent faire des études secondaires et postsecondaires afin de se qualifier pour des emplois. Les seules possibilités d'emploi dans les réserves sont appuyées par des crédits du Conseil du Trésor insuffisants et assujettis tous les ans à l'approbation du Parlement. Les pratiques des gouvernements du Canada et du Manitoba peuvent se résumer à un terme médical, la « négligence supervisée », C'est ce qui arrive lorsqu'un problème est observé mais qu'on choisit de ne pas le communiquer ou de ne pas intervenir, autrement dit, un choix se fait à un certain niveau du système de ne pas communiquer de l'information à un patient ou de ne pas intervenir face à un problème de santé apparent. Les services d'égout et d'aqueduc dans les logements des réserves sont la plupart du temps inférieurs aux normes. Les soins de santé ne sont offerts qu'à l'extérieur des réserves, puisque les services de santé fédéraux actuels dans les réserves équivalent à un arrêt de mort si on s'approche du dispensaire local pour une urgence.

La colonisation dicte que le colonisateur impose les lois et règlements du souverain qu'il représente et qu'il le fasse de manière à ce que le colonisé s'assimile avec le temps dans la société des colons. La Loi sur les Indiens et le système des réserves facilite l'objectif du colonisateur. Les efforts en vue d'assimiler les Premières nations dans la société des colons ont compris les pensionnats, les adoptions des années 1960 et les actuels services à l'enfance et aux familles. Chaque fois, on a démantelé des institutions riches et dynamiques des Premières nations, notamment la gouvernance, la vie spirituelle et la langue. Les membres des Premières nations au Canada n'ont pas d'autre choix que de quitter les réserves s'ils veulent avoir accès à des biens et services pour ainsi dire inexistants dans les réserves.

Il semble maintenant que le gouvernement limite volontairement, par des lois et des règlements, l'accès à ce qui permettrait aux Premières nations de rester dans les réserves. Cette situation forcera les membres des Premières nations à demander et accepter l'assistance provinciale pour subvenir à leurs besoins fondamentaux, et accentuera le transfert aux provinces des obligations de l'État colonisateur en vertu des traités.

Les Premières nations ne veulent pas être les intendants du Canada ni les intendants des gouvernements provinciaux et territoriaux. Les Premières nations ont besoin et souhaitent que le gouvernement fédéral fasse preuve de transparence et de responsabilité en s'assurant que toute modification des lois fédérales qui touchent aux Premières nations est dirigée et appuyée par les Premières nations.

Je passerai le micro à mon collègue Walter Wastesicoot, qui fera d'autres déclarations.

Merci de nous laisser prendre la parole devant le comité.

Walter Wastesicoot, conseiller spécial, Projets de santé, Manitoba Keewatinowi Okimakanak : Je m'appelle Walter Wastesicoot. Je compte une trentaine d'années d'expérience auprès des Premières nations, dans des domaines qui les touchent directement. Personnellement, j'ai fréquenté la même école que le témoin précédent, soit le pensionnat Mackay à Dauphin, au Manitoba. Je me suis toujours appuyé sur cette expérience pour demander réparation en faveur des Premières nations.

Je suis propriétaire d'une maison à Thompson, au nord du Manitoba. Je paie des impôts depuis très longtemps et je sais ce que cela veut dire.

En ce qui concerne les effets lorsque des membres des Premières nations quittent les réserves, personnellement, je n'ai jamais eu le choix de vivre dans la réserve parce que j'ai passé une grande partie de ma jeunesse dans un pensionnat indien. Quand je suis sorti du pensionnat, je suis retourné dans ma famille. Eux aussi avaient fréquenté divers pensionnats. Je crois que Robert a fait allusion au dysfonctionnement que provoque le retour dans sa famille.

L'une des questions dont nous avons discuté pour préparer cet exposé est le fait que le racisme est normalisé dans notre pays. Par exemple, nous sommes ici aujourd'hui, nous sommes réunis autour de cette table pour discuter de la différence entre la vie dans les réserves et à l'extérieur des réserves pour les premiers citoyens de ce pays. C'est un exemple de la normalisation du racisme dans ce pays. D'après notre expérience, quand on discute de la différence entre la vie dans une réserve et à l'extérieur de la réserve, il y a toujours une connotation monétaire. Certains cherchent à se décharger de leurs responsabilités dans divers domaines afin d'économiser.

Il y a un certain temps, les dirigeants de notre communauté ont parlé de la différence entre la vie dans la réserve et à l'extérieur de la réserve. Pour tenter de comprendre moi-même la question, je me suis adressé à l'un des anciens qui vivait à l'extérieur de la réserve à l'époque, mais qui avait passé presque toute sa vie dans la réserve. La seule raison pour laquelle il vivait à l'extérieur de la réserve, c'était pour avoir accès à des soins de santé. Quand je l'ai interrogé sur la différence entre la réserve et l'extérieur de la réserve, il a été blessé, à cause de ses croyances concernant l'objectif du Créateur. Il m'a dit : « Quand je suis né, le Créateur a tout préparé sur cette terre pour que je puisse subvenir à mes besoins ». Il suffisait de respecter tout ce qui avait été préparé à son intention. Mais le Créateur ne lui avait jamais dit qu'il ne pouvait pas aller ici ou là. Il s'agissait de lois et de règlements imposés par l'homme.

Je m'en tiendrai là. Merci.

Le vice-président : Merci.

Nous entendrons maintenant notre prochain témoin, M. Johnston, de l'Aboriginal Council of Winnipeg. Monsieur, vous avez la parole.

Damon Johnston, président, Aboriginal Council of Winnipeg : C'est un plaisir d'être ici, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de me laisser prendre la parole devant vous aujourd'hui.

Ma déclaration se situe dans le contexte de la manière dont nous voyons les progrès des droits de la personne au Canada, en particulier les droits ancestraux et issus de traités. Je décrirai quelques mesures qui ont été prises ou ne l'ont pas été par le gouvernement du Canada.

Premièrement, le gouvernement du Canada a mis fin au Programme de contestation judiciaire. Ce programme était la principale source de financement pour les Autochtones qui voulaient intenter des poursuites judiciaires relatives aux droits de la personne en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Le conseil a profité directement de ce programme, dans la poursuite qui a été connue sous le nom de Misquadis et. al. Pour nous, c'est un important recul. Même si nous ne considérons pas les tribunaux comme le principal mécanisme pour donner un sens aux droits, nous devons parfois faire appel aux tribunaux lorsque nous ne pouvons pas progresser ailleurs, principalement à la table de négociation.

Deuxièmement, au Rassemblement des Premières nations et de la Couronne qui a eu lieu en 2012 à Ottawa, le premier ministre Harper n'a pas décrit de processus ni d'échéancier établi par le gouvernement du Canada pour abroger ou abolir la Loi sur les Indiens. Le conseil estime que cette loi doit être abrogée ou abolie afin de libérer les Autochtones du Canada.

Troisièmement, la déclaration officielle du ministre Duncan à l'occasion du deuxième anniversaire de la ratification par le Canada de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne fait pas vraiment allusion aux mesures prises par le Canada pour donner un sens aux droits affirmés dans ce document. Autrement dit, nous aimerions voir une espèce de rapport annuel dans ce contexte.

Je donnerai maintenant des exemples de problèmes ou d'entraves aux droits dans le cadre du mandat de votre étude. D'abord, les droits relatifs à la résidence. Aucune exigence législative ne prévoit qu'il faut vivre dans la réserve pour maintenir ou exercer ses droits issus de traités. Deuxièmement, quelques bandes exigent que tous leurs membres votent dans la réserve, mais elles ne prévoient pas de scrutin par la poste pour les membres qui vivent à l'extérieur de la réserve. Je fais partie de la Première nation de Fort William, à Thunder Bay, en Ontario, et je suis fier de pouvoir dire que ma bande s'efforce réellement de maintenir un lien avec ceux d'entre nous qui vivent à l'extérieur de la réserve, voire à l'extérieur de la province. C'est probablement un bon exemple de leadership des Premières nations concernant ce type d'efforts.

Je mets un bémol, parce que je suis convaincu qu'à l'avenir la plupart des Premières nations du Canada feront ces efforts. C'est beaucoup une question de compréhension et de capacité à un moment donné. Par « capacité », j'entends le niveau d'instruction des dirigeants des bandes, la base de connaissances qui existe, l'attitude ou la volonté d'apporter des changements positifs qui profitent à tous les membres de leur bande.

En ce qui concerne l'accès aux droits, il y a un grand manque de connaissance ou de compréhension des droits par rapport aux avantages dans les communautés autochtones en général. Autrement dit, il y a une réelle différence entre les droits et les avantages qui découlent de ces droits. En règle générale, les avantages sont ce qu'on négocie en s'appuyant sur les droits. Autrement dit, à un droit correspondent des avantages. Le coût de la reconnaissance réelle des droits est très réel. Il y a des limites aux budgets des gouvernements, aux budgets d'un pays, mais afin que les droits s'appliquent, nous devons aller à la table de négociation et leur donner un sens. J'apporterai des précisions dans mon prochain point.

Les droits issus des traités sont un peu plus définis que les droits ancestraux. Les droits issus des traités, en particulier les anciens traités, devraient être modernisés par négociation. Les traités modernes, tels que ceux qui ont été élaborés et qui ont obtenu un statut juridique en Colombie-Britannique et au Canada, comme les ententes signées avec les Tsawwassens et les Nisga'as, donnent une définition réelle des droits de ces deux Premières nations et apportent des avantages politiques, culturels, sociaux et économiques visibles et mesurables à ceux qui sont visés par ces ententes.

Parlons maintenant de la participation aux processus de prise des décisions dans la communauté. Elle varie d'une Première nation à l'autre, d'un océan à l'autre. Je suppose qu'elle se fonde principalement sur l'attitude et la volonté des chefs et des conseils d'examiner ces questions et de mettre en œuvre des mesures qui assurent un haut niveau de reddition des comptes et de service à tous les membres de leur Première nation. La capacité locale, les frais connexes, le lieu sont tous des facteurs qui entrent en jeu.

Venons-en à la transférabilité des droits. Là encore, il est important de faire la distinction entre les droits et les avantages. Une fois que les droits ont été clairement définis, on peut leur donner un sens en négociant les avantages qu'ils peuvent procurer, là aussi dans le contexte d'aujourd'hui. Il est également beaucoup plus facile ensuite d'évaluer le coût de ces avantages et la manière dont ils peuvent être offerts dans divers contextes — autrement dit, dans la réserve ou à l'extérieur de la réserve.

Enfin, les recours existants. Les recours existants sont fragmentés, il faut un certain niveau d'éducation pour pouvoir les comprendre, et ils peuvent être coûteux, surtout pour ceux qui vivent à l'extérieur des réserves. Faire appel aux tribunaux pour définir et qualifier les droits est un processus lent et la plupart du temps insatisfaisant pour tout le monde. La bonne foi de toutes les parties est la meilleure façon et la façon la plus efficace de donner un sens réel et pratique aux droits autochtones issus de traités.

Mesdames et messieurs les sénateurs, meegwetch. Je voudrais vous accueillir dans la région du Traité no 1. En tant qu'Ojibway et signataire du Traité no 1, comme l'est notre famille, merci d'être venus parmi nous et merci de nous permettre d'être présents ici.

Je siège au conseil d'administration de la Thunderbird House et au Native Addictions Council of Manitoba. Nous sommes ici pour évoquer les enjeux qui concernent les Autochtones urbains, à Winnipeg en particulier.

Permettez-moi de commencer par vous raconter une histoire, c'est ainsi que font les anciens chez nous. Je suis membre de la Première nation Sagkeeng. Chaque année dans notre réserve, nous faisons des danses du soleil. Ce n'était pas le cas quand j'étais enfant, dans les années 1960. Rien n'indique qu'il y a une cérémonie de danse du soleil, mais les gens, eux, le savent et ils y vont. La danse du soleil est une cérémonie sacrificielle. On se prive d'eau et de nourriture et l'on danse quatre jours durant. Les anciens nous disent que, pendant notre séjour sur Terre, jamais on ne s'approchera autant du Créateur, qui vient et s'assied. Il y a un arbre dans un cercle. On se lève, on danse et on regarde le cercle. C'est là que viennent les oiseaux-tonnerre, et c'est là que le Créateur vient et nous écoute. Il n'est pas question de bravoure, comme le prétendent les films, mais de sacrifice. On se sacrifie pour son peuple et pour sa communauté. C'est ce que nous faisons.

Un jour, dans notre communauté, après une danse du soleil, alors que la cérémonie était terminée, les drapeaux baissés et les offrandes enlevées, un de nos membres est allé jusqu'au pied d'un arbre et a déféqué. Quel est le rapport avec les Autochtones et avec nous aujourd'hui? Eh bien, en tant qu'Autochtones, nous nous chions dessus littéralement, pardonnez ma vulgarité, mon langage vulgaire, mais c'est le point de départ de notre situation actuelle. Globalement notre situation est la suivante : vous savez quoi? Nous sommes un peuple meurtri. Pourquoi sommes- nous meurtris? Regardons l'histoire, je ne vais pas citer les statistiques et tout rabâcher parce que notre peuple l'a fait encore et encore et a dit les choses très clairement. Ce que je veux dire, c'est que si vous marchez sur la toundra, cela laissera une marque. C'est ce qui est arrivé aux peuples autochtones. Les églises et le gouvernement ont marché sur les gens et ont laissé une marque. Certains ont réussi leur vie bien que l'on leur ait marché dessus, mais nombreux sont ceux qui n'ont pas pu s'en sortir.

Prenez la ville de Winnipeg. Nous sommes en plein exode, les gens quittent les réserves pour venir principalement dans les centres-villes. Pourquoi cela? Les raisons sont multiples : l'emploi, le logement et les ressources. Il y a une autre raison qui les pousse à venir là : la fuite des cerveaux. Les gens instruits vont chercher des débouchés ailleurs. Quelques personnes de bonne volonté restent et essayent d'aider la communauté, mais les occasions de le faire sont rares.

À Winnipeg, beaucoup de particuliers et d'organisations sont bien intentionnés, comme la secte chrétienne, par exemple. La Thunderbird House se trouve dans le cœur de Winnipeg dans la célèbre rue Main, au coin de Main et de Higgins. Dans les années 1970, je me souviens qu'il y avait là un bar, le Patricia. Il y avait une rangée de bâtiments à côté du bar et à l'emplacement actuel de la Thunderbird House, un lieu de spiritualité et d'accueil, il y avait une piquerie. C'était comme dans les films, on frappait à une lourde porte d'acier et on vous laissait entrer. Il n'y avait pas d'électricité. Il faisait sombre et ça puait. Il n'y avait pas vraiment de meuble, mais plein de gens et des seringues usagées partout. Il se trouve que je fréquentais cet endroit lorsque j'étais plus jeune.

En tout cas ça m'a ouvert les yeux. Les gens se roulaient en boule et essayaient de trouver une veine pour pouvoir s'envoyer du Talwin et du Ritalin — on disait T et R. C'étaient les drogues bon marché à l'époque. Les Indiens étaient pauvres. Ils devaient s'en contenter. Le T et le R étaient les drogues de choix dans les années 1970 et au début des années 1980. Je me souviens d'une fille, une amie à moi, ils n'arrivaient pas à trouver sa veine. Alors ils l'ont allongée sur un vieux matelas, et ont penché sa tête en arrière pour trouver une veine.

La Thunderbird House ainsi que d'autres organisations sont des havres de paix au milieu d'un océan de déchéance. Beaucoup arrivent en ville à la recherche d'espoir mais, la plupart du temps, ils ne trouvent que les gangs de rue et le chômage, il n'y a pas de débouchés.

Les gens parlent d'égalité. Eh bien, nous voulons l'égalité, nous voulons être égaux. Mais ce n'est pas le cas. Ce qui importe c'est l'équité, l'égalité des chances. Je vais vous donner un exemple. Si quelqu'un va aux Jeux olympiques pour, disons, disputer un 800 mètres, que se passe-t-il? Personne ne part du même endroit, les départs sont décalés pour créer une équité qui se transforme en égalité pendant la course. Mais pour les Autochtones, il n'y a pas d'égalité parce qu'il n'y a pas les mêmes chances au départ à cause des privilèges des Blancs, de l'éducation, du manque de ci et du manque de ça, vous connaissez la chanson. Si nous voulons être honnêtes avec nous-mêmes, nous connaissons l'histoire du peuple autochtone et nous connaissons l'histoire des initiatives gouvernementales. Au lieu de ressasser tout cela, parlons de la situation concrète.

Je fais du bénévolat dans de nombreux cercles différents. Beaucoup de mes amis en font aussi. Il y a beaucoup de bénévoles, beaucoup de bonnes personnes dans la communauté autochtone. Il y a aussi beaucoup de désespoir. On appelle ça le « facteur Indien ». Vous savez ce que c'est le facteur Indien? Cela veut dire que nous sommes très durs avec nous-mêmes. Pourquoi? Comme je l'ai dit, on nous a marché dessus, nous sommes abîmés. Il existe aussi beaucoup de ressources, le Aboriginal Council of Winnipeg, le MKO, le SCO. Alors que se passe-t-il? Eh bien, nous essayons de nous marcher les uns sur les autres pour parvenir en haut. C'est systémique, c'est un état d'esprit colonial.

Comme le dit ma fille : « Nous sommes endoctrinés par les Blancs. » C'est ainsi, beaucoup d'Autochtones sont dénaturés. Nous n'avons pas conscience de nos propres attitudes colonialistes les uns envers les autres, et envers les autres gens. Les Autochtones marchent sur les immigrés récents parce qu'ils reçoivent des aides. C'est ainsi, des petits bouts d'aides, de petites parts du gâteau, mais nombreux sont ceux qui en ont besoin — non pas qu'ils les veulent, mais ils ont besoin de ces ressources.

La Thunderbird House a été construite en l'an 2000. Il y a un contexte politique. Comme je l'ai dit, il y a le facteur « Indien ». Nous nous faisons du mal les uns les autres. Mais cette maison est un havre de paix et de sécurité. Les aînés autochtones disent que les organisations qui travaillent pour les gens travaillent en réalité pour le Créateur, parce ce que ce sont les enfants du Créateur qu'elles tentent d'aider. C'est ce qui se passe avec certaines des organisations que nous avons ici, pas seulement la Thunderbird House ou le Native Addictions Council of Manitoba, mais beaucoup d'autres aussi. Je suis ici parce que je veux vous faire ressentir ce que nous ressentons. Vous savez nous sommes des gens au grand cœur. Nous croyons au partage, à la gentillesse, à l'honnêteté et à la foi. Si l'on croit à ces quatre choses, ne serait-ce qu'un petit peu, alors le cercle fonctionnera.

Je voulais vous accueillir en Anishinabe, Ojibway. J'en suis incapable. Pourquoi? Parce que je suis abîmé. Il y a bien longtemps, a été mise en place la Loi sur la langue d'origine. Les langues autochtones faisaient-elles partie de cette loi? Bien sûr que non.

Les Autochtones sont dans cette situation à cause des fondements de notre relation avec la Couronne, avec les bureaucrates et avec l'Église. L'Église a agi comme un représentant. L'histoire que j'ai racontée au début nous amène à la situation actuelle.

Les Autochtones ont souffert d'une crise identitaire, mais il y a des gens forts qui gardent cette identité vivante et les gens s'y intéressent de nouveau. Ils prennent leur identité à bras le corps. Ce sont eux qui se lèvent pour dire : « Nous pouvons réussir en tant qu'Autochtones si l'on se trouve dans une situation d'équité. »

Je vais vous donner un exemple de ce qui n'est pas équitable. Le NACM est un centre de traitement de la dépendance pour les Autochtones. Cela fait 40 ans qu'il existe. Il reçoit peu de financement. Il se trouve dans un bâtiment dont le gouvernement dit lui-même qu'il est fichu, en gros, on est sur le fil. Pourtant, il existe une organisation comparable, la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendances qui a des ressources illimitées. C'est comme ça que ça se passe. Les Autochtones sont dans le fossé alors que les autres sont sur la route, ce n'est pas équitable.

Je voulais simplement dire que ce qui est en train de se passer avec les Autochtones, la Thunderbird House et tout cela, c'est que vous créez une décharge pour les services. Dans l'ensemble, le fédéral se désengage des affaires autochtones. Il crée une décharge pour les services. Le fédéral veut s'y débarrasser de ses responsabilités fiduciales. Prenez les Accords de transfert qui ont été initiés dans les années 1980. C'était exactement ça. Le fédéral voulait se désengager et laisser la responsabilité aux Autochtones. En réalité, c'était une « décharge fiduciale ».

Les Autochtones ne sont pas aussi stupides que beaucoup de gens le pensent. Nous apprenons à connaître le système comme tout le monde.

Pour terminer, je voudrais dire que beaucoup d'Autochtones urbains ont besoin d'endroits tels que la Thunderbird House ou le NACM. Il y a beaucoup d'organisations comparables pour les groupes chrétiens ou les groupes non autochtones. Il y en a un exemple juste en face de la Thunderbird House : Jeunesse pour Christ. Cette organisation a énormément d'argent, des millions qui viennent de la ville. Sasha, le directeur exécutif de la Thunderbird House travaille bénévolement. Nous n'avons absolument pas d'argent, pourtant les besoins existent et notre action est viable.

Il y a aussi l'aspect cérémonial de la Thunderbird House. Beaucoup d'Autochtones disent que la ville est sale et qu'ils ne peuvent pas y faire de cérémonies. Où ces gens pourront-ils faire leurs cérémonies? Prenez les gens dans les villes, combien d'entre eux possèdent une plume d'aigle? Je parie que l'un d'entre vous en possède une. Prenez l'Autochtone moyen, il n'en a pas, c'est inaccessible pour lui. Ils n'ont ni les moyens ni le réseau pour en obtenir une. Pourtant, il s'agit d'une chose désirable et sacrée. Beaucoup de gens n'en ont pas. C'est une chose basique. Ils n'ont pas de foin d'odeur. C'est comme ça.

Les gens comme Sasha et beaucoup de mes collègues ici; beaucoup d'Autochtones ici se battent pour changer cela. Je vais vous donner un exemple. Nous montons un partenariat avec une organisation qui s'appelle la Comprehensive Community...

Le vice-président : Pardonnez-moi, monsieur, je ne voulais pas vous interrompre, mais pourriez-vous conclure aussi rapidement que possible? Les sénateurs ont des questions à vous poser et, hélas, nous avons une contrainte horaire qui parfois nous déplaît, mais que nous devons malheureusement respecter.

M. Courchesne : Pour terminer, la Thunderbird House fait partie de ces organisations qui n'ont aucune ressource et qui font pourtant face à des besoins énormes. Meegwetch.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup pour votre exposé. Nous avons appris beaucoup de choses et vous nous avez fait réfléchir. Certains des mots que vous avez employés pour nous instruire, nous obligent à réfléchir à ce que vous avez dit.

J'ai une question pour Mme Marshall et Mme Vystrcil-Spence. Nous avons entendu parler des défis que rencontrent les Autochtones, mais nous savons que c'est encore plus difficile pour les femmes, lorsqu'elles élèvent seules leurs enfants ou rencontrent d'autres problèmes. Bien entendu, si un autre groupe de gens avait autant de femmes disparues que les Autochtones de l'Ouest, je crois qu'il y aurait eu une révolution. Pourtant, nous sommes tous silencieux, nous ne faisons pas tout notre possible. J'aimerais que vous nous en disiez plus sur les difficultés que rencontrent les femmes autochtones.

Mme Vystrcil-Spence : Merci pour votre question et merci de me donner l'occasion d'évoquer les problématiques hommes-femmes. Je vais m'exprimer à titre personnel. Je ne vais pas parler officiellement ni être trop politiquement correcte.

La vérité c'est que je travaille majoritairement avec des hommes. Cela ne signifie pas que j'ai à porter une voix particulière en matière de politique. Il me semble que nous nous entendons sur l'essentiel des affirmations d'ordre général, sur les prises de positions et les accords, dans les situations de travail que nous avons à traiter. Ce que j'apporte, c'est peut-être un regard différent sur les priorités. Le sentiment que certaines questions prédominent au détriment d'autres. Les questions de ressources et de chasse ont peut-être l'ascendant sur les questions de violence faites aux femmes et aux enfants, par exemple. C'est discutable me semble t-il, et donc nous en parlons.

D'après mon expérience de travail dans une organisation politique, il existe clairement un respect, et je ne pourrais pas dire que je n'ai pas la possibilité d'exprimer mon point de vue. On me demande de donner mon opinion, de dire comment je perçois les choses, mais il me semble que c'est peut-être seulement parce que je suis une travailleuse sociale, c'est mon parcours, c'est peut-être parce que je suis une femme. Je suis particulièrement sensible à ces questions. Est-ce parce que je suis une femme ou parce que je suis une travailleuse sociale, je l'ignore, mais je sais que je suis un peu plus sensible. Je me rends compte que j'essaie toujours de faire la part des choses entre le point de vue des hommes et ce que me disent les femmes. Elles parlent de leurs expériences de la violence et il semble que cela soit un problème majeur.

Je travaille actuellement sur le dossier des femmes assassinées et disparues. Bien que de nombreuses questions soient liées à ce dossier et au problème de la violence en général, nous tentons de mettre en avant l'idée que l'approche politique de cette question doit se fonder sur la nécessité d'une enquête nationale pour ouvrir ce dossier. Cela permettrait de partager les expériences, de voir comment les différents systèmes, judiciaire, pénal et social, ont géré cette question. Il existe un sentiment d'injustice et de discrimination. Les familles et les femmes ont le sentiment que leurs voix ne sont pas entendues, que personne ne les représente et ils ne sont pas informés quant aux résultats des enquêtes. Elles ont l'impression d'être muettes, que personne ne les entend. Voilà une expérience de discrimination sexuelle, voilà le dossier sur lequel je travaille en ce moment.

En tant que directrice de la santé, je peux vous parler de santé maternelle et infantile, de soins prénataux et de cancer, de toutes ces choses qui concernent les femmes. Les hommes pourraient aussi parler de leurs problèmes et je dois être juste et équitable. Je vous donne simplement un exemple de gestion du problème de la violence, ce que nous percevons comme étant de la part du gouvernement une réponse vraiment inappropriée et inadéquate à la crise que nous connaissons, alors que nous essayons de gérer et de soutenir les familles des 600 femmes qui sont victimes dans tout le pays.

Sasha Marshall, directrice exécutive, Circle of Life Thunderbird House : Je savais qu'elle serait merveilleuse sur cette question.

Mon expérience est différente. J'habite dans les quartiers nord, un des secteurs les plus pauvres de la ville. Des petites filles de 10, 11 ou 12 ans élèvent leurs frères et sœurs. Elles les emmènent à l'école et leur font à manger. Elles en sont responsables.

Il s'agit seulement de mon expérience. Si l'on se souvient du système des pensionnats les enfants y entraient disons à cinq ans, ils passaient 12 ans dans ce système puis retournaient chez eux et beaucoup ont eu des enfants assez rapidement. Ils ignoraient tout du travail de parents car eux-mêmes n'avaient pas été élevés par leurs parents. Ils ne savaient pas transmettre l'empathie car eux-mêmes n'en avaient pas reçue et le cercle vicieux a commencé. Les parents éduquent leurs enfants de cette manière parce qu'ils n'en connaissent pas d'autre. Il y a maintenant ces enfants qui s'occupent les uns des autres, qui font de leur mieux. Le cercle vicieux continue. On le voit encore des générations plus tard et parfois ce n'est pas si vieux. On doit encore gérer ce type d'effets. Je ne crois pas que cela va s'arrêter.

Si l'on met de côté tout l'aspect politique, de mon point de vue cela ne s'arrêtera pas avant que nous ne commencions la guérison, le retour à la culture et aux traditions. Nous devons apprendre à ces filles à se respecter, à former une cellule familiale saine. Nous voyons ça tout le temps avec ces jeunes filles. Elles n'ont aucune ressource. Elles n'ont aucun lien avec leur lieu d'origine, avec leur famille, avec leur communauté et elles se débrouillent avec ce qu'elles ont.

Voilà quelques questions que j'aimerais voir prises en compte de manière plus approfondie.

Parmi les programmes de la Thunderbird House, il y en a un pour les filles, pour ces filles en particulier. Ce programme ne reçoit pas beaucoup d'argent. Cela me fend le cœur chaque fois que je suis obligée de dire que nous n'avons pas assez de place pour telle ou telle fille. Nous essayons de leur apprendre à porter un regard critique sur les choses et à s'en sortir sur le plan pratique, tout en leur expliquant qui elles sont, d'où elles viennent et qu'elles doivent se respecter d'une façon traditionnelle.

En ce qui me concerne, je crois que l'un de nos échecs principaux est de ne pas réussir à établir un lien entre l'identité culturelle et ce que nous voudrions que ces filles deviennent.

Le sénateur Jaffer : Vous m'avez beaucoup fait réfléchir sur les témoignages que vous avez apportés cet après-midi. Il y a une chose que je voudrais vous demander, particulièrement lorsque vous parlez de la question du racisme — je ne vais pas être politiquement correct — il s'agit du fait, qu'à mon avis, les Autochtones étaient censés rester dans les réserves et non migrer vers les villes.

Lorsque les gens ont commencé à faire ce qui était leur droit, à s'installer où ils voulaient au Canada, ça a cassé le moule et compliqué les choses pour les Autochtones venant s'installer en ville. Vous avez soulevé la question du racisme, les gens subissent énormément de racisme.

En vous écoutant, monsieur Wastesicoot, il m'a semblé que vous pourriez suggérer des solutions à ce comité, et j'aimerais vous entendre à ce propos.

M. Wastesicoot : Je crois qu'il faut dire la vérité quant au système éducatif canadien. Quand vous dites qu'à votre avis les Autochtones devraient rester dans les réserves, cela me ramène à ma déclaration préliminaire dans laquelle j'ai raconté l'histoire de mon oncle qui était choqué par la distinction entre l'intérieur et l'extérieur de la réserve. Il était choqué parce qu'il croyait que la Terre avait été créée pour qu'il l'utilise quand son tour viendrait. Son Créateur ne lui a pas dit : « Tu ne peux pas aller ici ou là. » Son Créateur lui a donné tout ce dont il avait besoin pour subvenir à ses besoins sur la Terre. C'est avec ce que l'on appelle la Confédération que l'on a créé des lois qui disaient à mon oncle : « Tu ne peux pas aller ici; tu ne peux pas aller là; tu ne peux pas faire ceci ou cela. » C'était des lois créées par les hommes. Ce n'était pas les lois du Créateur. Voilà un point de départ solide — dire la vérité dans le système éducatif canadien.

Le sénateur Harb : Madame Vystrcil-Spence, vous avez dit dans votre exposé que les 30 collectivités des Premières nations du Nord du Manitoba représentaient les deux tiers de la surface de la province, et qu'elles comptent environ 65 000 habitants. Pouvez-vous nous en dire plus sur la nature de ces terres. Peut-on y cultiver du blé? Quelles sont les conditions là-bas? Y a-t-il des utilisations agricoles? Quelle est la situation?

Mme Vystrcil-Spence : Je voudrais qu'un homme réponde à votre question. Si vous voulez savoir ce qu'il en est de la géographie, du terrain et des possibilités, d'après ce que je comprends et ce que j'ai pu observer, je sais que nous avons beaucoup de richesses naturelles, de ressources minières et forestières, de grandes quantités d'eau douce, des espèces sauvages et d'autres ressources. Cela fait partie de l'essentiel du travail que nous fournissons dans le Nord. C'est ce que le MKO met toujours en avant lorsque nous faisons des exposés. On insiste beaucoup sur les ressources du Nord.

Votre question porte-t-elle sur les perspectives économiques de ces terres? Sur les possibilités?

Le sénateur Harb : Oui.

Mme Vystrcil-Spence : J'entends souvent mes collègues dire qu'il faut essayer d'avancer et de conclure un accord concernant la Convention sur le transfert des ressources naturelles, qui a mis en place le transfert des terres fédérales à la province, de manière injuste et sans consultation. Cela nous ramène, si je ne me trompe pas, aux années 1930. Depuis, nous essayons de négocier pour que cette convention soit amendée ou revisitée et pour qu'un processus de partage des ressources plus juste soit débattu.

Le sénateur Harb : Vous semblez tous penser que, jusqu'ici, les politiques canadiennes ont été vouées à l'échec. Vous soulignez les problèmes dans l'éducation, le logement, la santé et l'emploi dans les réserves, vous dites que les performances dans tous ces domaines sont mauvaises. D'ailleurs, en 2006, Statistique Canada a publié un rapport qui confirme ce que vous dites. Le fait est qu'il y a très peu d'emplois dans les réserves, les soins de santé y sont rares, et les gens qui vivent dans les réserves sont en beaucoup moins bonne santé que les autres. Les logements sont insalubres à 45 p. 100, et cetera. Je pense que c'est la raison pour laquelle les deux témoins ont conclu à ce que l'on pourrait appeler de la négligence supervisée. En substance, s'il incombe au gouvernement fédéral de fournir ce type de services, d'assurer l'organisation, l'assistance et le soutien, alors il est clair que c'est un échec. Je suppose que cela explique, selon vous, la migration irréversible des réserves vers l'extérieur. Vous pensez que si le gouvernement n'avait pas failli à ses devoirs dans les réserves, il y aurait eu beaucoup plus d'activité, de développement économique et tout ce dont vous avez parlé. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Wastesicoot : Oui, c'est bien cela.

Je voudrais ajouter quelques chiffres concernant l'exode des gens des collectivités des Premières nations. À l'heure actuelle, au Manitoba, environ 10 000 enfants des Premières nations sont confiés à des services de garde. Cela représente la population des quatre collectivités de la région d'Island Lake. Si la population entière de ces quatre collectivités disparaissait aujourd'hui, cela représenterait le même nombre de gens que les enfants des Premières nations de cette province qui sont placés à l'heure actuelle.

Pour l'essentiel, nous avons des difficultés avec les lois et les règles qui nous portent préjudice parce qu'elles nous empêchent de prendre en main nos propres problèmes. Il y a quelques années, un autre comité sénatorial a produit un document intitulé Un coup de main, pas la charité. Il contenait un certain nombre de recommandations censées aider les Premières nations à se sortir de la pauvreté. Rien ne montre que ces recommandations aient été suivies d'effets, elles pourraient d'ailleurs aller plus loin pour ce qui concerne la reconnaissance et la mise en œuvre par la Couronne des obligations découlant des traités.

Il existe encore aujourd'hui de nombreux obstacles au développement économique du Nord. Comme l'a dit Mme Vystrcil-Spence, le Nord est riche en ressources naturelles. Mais notre peuple a été placé de force dans de petites boîtes et il était censé y rester. Il fut un temps, dans l'histoire de ce pays, où mon grand-père devait fournir un laissez-passer pour quitter sa petite boîte. Comme c'est le cas, ou comme c'était le cas récemment en Afrique du Sud.

Le sénateur Harb : Êtes-vous d'avis qu'une des façons, si ce n'est la seule, dont le gouvernement fédéral peut traiter des questions des droits de la personne consiste à s'asseoir avec les Premières nations et revoir la loi avec elles pour déterminer s'il faut l'abroger, la modifier ou l'abolir? Damon Johnston semblait vouloir dire que la transparence et la reddition de comptes sont des conditions essentielles. Croyez-vous que ce comité devrait recommander au gouvernement de s'asseoir avec les Premières nations pour examiner la loi et se demander ce qui devrait être fait à son sujet?

M. Johnston : En bref, tout semble avoir changé en 1867, quand le Canada est devenu un pays. Avant cela, je crois comprendre que les Premières nations, les Métis et les Inuits étaient des peuples alliés. Les Français et les Anglais avaient alors tous deux des « alliés indiens », et il en a été ainsi à nouveau pendant la guerre de 1812, que nous avons commémorée cette année. Puis, en 1867, nous avons adopté cette loi qui a tout changé. Comme le soulignaient les anciens, elle nous a littéralement confinés aux réserves; il devenait impossible d'en sortir sans laissez-passer. Ensuite, on a tenté à plusieurs reprises de se mêler de notre développement, de notre développement humain, de ce que nous apprenions, de la façon dont nous l'apprenions, du lieu où nous apprenions et de qui nous l'enseignait. Si l'on regarde la transition entre la Confédération et l'époque qui l'a précédée, une importante question se pose : qu'est-il arrivé là? Pour moi, il ne fait pas de doute que la Loi sur les Indiens est une affaire de gestion — la gestion des Indiens et des terres qui leur sont réservées. Nous n'avons pas besoin d'être gérés, nous avons besoin d'être aidés.

Peu importe ce que dit la loi, c'est ce qui se produit. Par un drôle de hasard, je suis né à l'extérieur de la réserve. Ce n'est qu'en 1985 que j'ai obtenu mon statut d'Indien. Cela comportait des avantages, mais j'ai aussi perdu certaines choses à cause de ça. J'ai perdu toute chance de bien apprendre ma langue, d'apprendre sur ma culture et de la vivre, de vivre avec ma famille et mon peuple. L'avantage a été que j'ai reçu la même instruction que vous, ou presque. J'ai appris comment fonctionne ce grand monde qui se trouve à l'extérieur de la réserve. J'y ai plutôt bien réussi, mais le prix à payer a été considérable.

Encore aujourd'hui, quand je retourne chez moi, dans ma réserve, on m'accueille à un certain point, mais ça n'est quand même pas pareil. Je ne suis pas l'un d'eux au sens propre du terme et ça me blesse.

Cette loi me dégoûte. Elle n'existe nulle part ailleurs sur la planète. Pour autant que je sache, l'apartheid a vu le jour en Afrique du Sud en 1947, l'année de ma naissance. Je sais que des représentants sud-africains sont venus ici et qu'à leur retour en Afrique du Sud ils ont tenté de reproduire le modèle des réserves avec la création des bantoustans, mais que cela n'a pas fonctionné grâce à des gens comme Nelson Mandela. Le Canada a encouragé les autres États à appuyer la fin de l'apartheid, pourtant, nous avons encore cette loi ici, en 2012. Comme je le dis, ça dépasse l'entendement. Nous avons le pouvoir de changer cette situation. Nous pouvons commencer demain, mais les deux côtés doivent faire preuve de bonne volonté. Le premier ministre l'a dit, les racines sont profondes, mais elles ne sont pas très saines.

M. Courchesne : Je crois que tout cela se résume à un gros changement de mentalité. Je vais vous donner un exemple. J'emmenais quelques amis à Kenora. En route, nous avons pris un autostoppeur, un nouvel immigrant pakistanais. Quand il a appris que nous étions Autochtones, il nous a demandé si nous obtenions des choses gratuitement. Voilà exactement la conception qu'ont les gens. Je crois que beaucoup de gens ont cette fausse impression que nous obtenons beaucoup de choses gratuitement.

En même temps, ici, au Canada, beaucoup voient les Autochtones comme des citoyens de deuxième ordre. Je crois que c'est dans le rapport Hawthorn que nous sommes décrits comme des citoyens avantagés; voilà la conception que les Canadiens devraient avoir de nous. Les Autochtones sont les monarques de ce territoire et devraient être traités en tant que tel. La Fédération canadienne des contribuables dit : « Écoutez, nous savons que vous êtes des parasites. » C'est ce que les gens pensent de nous. C'est faux. Nous sommes les monarques de ce territoire. Vous vivez des richesses provenant des ressources du Nord. Voilà la réalité. La mentalité doit être changée, mais j'ignore si c'est quelque chose qui peut être fait par le biais de la loi. Il faut que cela se fasse dès le début de l'éducation.

Mme Vystrcil-Spence : Il y a une chose que je voulais vous dire par rapport à votre question sur l'abrogation ou à l'amendement de la Loi sur les Indiens. Nous avons eu une discussion avant de venir à la réunion. Ce matin, nous nous sommes rencontrés et avons discuté de toutes sortes de choses qui se passent et nous nous sommes demandé si elles constituaient des infractions ou des violations en ce qui a trait aux droits de la personne, à des lois ou s'il s'agissait d'omissions. Nous avions toutes sortes d'exemples. Si cela vous intéresse, nous pouvons vous indiquer beaucoup de choses. Par rapport à votre question en particulier toutefois, nous en avons discuté et je crois que l'abrogation de la loi ne réglerait pas tout. Aussi choquant que cela puisse être, je crois que nous serions tous d'accord pour dire que la Loi sur les Indiens est discriminatoire et que c'est une loi raciste. Elle vise un groupe en particulier, et en cela elle constitue probablement un cas de ciblage ou de profilage en ce qui a trait aux droits de la personne.

La réalité est que beaucoup de jurisprudences découlent de la Loi sur les Indiens. Cette loi contient de nombreux mécanismes qui pourraient faciliter l'amélioration des programmes et permettre des investissements plus efficaces, voire plus sensés. Je crois que l'état actuel des choses n'est pas convenable. En réalité, le cadre original, en ce qui concerne les nations visées par des traités, est le traité lui-même. La relation originale est définie dans le traité, qui est un accord de coexistence et de partage. Il y a ensuite eu l'article 91.24 de l'AANB, qui dit que les Indiens et leurs terres sont sous juridiction fédérale. De cela est tirée la Loi sur les Indiens, dans toutes les formes qu'elle a connues depuis la Confédération. Ensuite, nous avons eu des politiques qui servent essentiellement à orienter les investissements du gouvernement fédéral dans nos collectivités, et elles ne sont pas appropriées. La Loi sur les Indiens offre des mécanismes, comme je l'ai dit, et permet de réaliser de meilleurs investissements. C'est une question de réglementation. Pourquoi le gouvernement ne décide-t-il pas d'être plus créatif et novateur dans ses programmes et dans sa façon d'investir ou de gérer ses investissements, si c'est là qu'est le problème? Je l'ignore. Je crois que c'est cela qui nous amène à parler de « négligence supervisée ». Nous savons que de meilleurs arrangements sont possibles. Nous savons qu'il existe des moyens de rendre la participation plus juste et davantage de méthodes pour favoriser l'inclusion de notre opinion dans l'amendement et la création de lois.

C'est en toute conscience qu'est prise la décision de ne pas procéder comme nous le demandons constamment depuis des décennies et des générations. Les gens ont une vision commune de la façon dont ils veulent être gouvernés, de la façon dont l'argent pourrait être investi et des possibilités qui pourraient être créées, mais le gouvernement n'est pas à l'écoute. C'est ainsi qu'apparaissent et se perpétuent toutes ces failles et ces lacunes juridiques. Je crois que si le processus est juste, transparent, ouvert et sérieux — pour vrai — nous pouvons nous asseoir et parler, mais le processus doit être équitable et fructueux.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Johnston, vous avez mentionné la Loi sur les contestations judiciaires. Que se passe-t-il maintenant que le Programme de contestation judiciaire n'existe plus? Qu'en est-il de tout le bon travail que faisait votre organisation?

M. Johnston : Comme vous le savez, il y a toujours des solutions de rechange. La famille Asper a créé un fonds à l'Université de Toronto. Il est possible d'y avoir recours lorsqu'une cause revêt un intérêt juridique particulier. Si une personne croit détenir des preuves solides sur une question importante, elle peut demander des fonds pour les faire valoir ou l'aide d'avocats qui le feront pour elle.

Je continue toutefois de croire que c'était un pas en arrière. Le Canada prétend être fier de sa Charte des droits et libertés et il reconnaît qu'aucun gouvernement ou système n'est parfait. Il faut donc des recours, et c'est pourquoi l'élimination de ce programme m'a paru être un véritable pas en arrière.

Essentiellement, la démocratie, c'est avoir le droit de se plaindre et avoir le droit de chercher réparation. Lorsqu'un grand nombre d'individus appartenant à un groupe ou à une collectivité sont dans la pauvreté, où vont-ils trouver les ressources pour obtenir justice?

Le vice-président : Nous manquons de temps. Au nom du comité, j'aimerais tous vous remercier d'être venus ici aujourd'hui. Comme c'est le cas pour chaque témoin, rien ne nous empêche de poursuivre. Si pendant les jours ou les semaines à venir vous pensez à des choses dont vous souhaitez nous faire part, veuillez les envoyer au greffier du comité.

Je n'ai pas eu l'occasion de poser de question, mais j'aimerais rappeler à tous que le comité s'intéresse réellement aux droits de la personne des Indiens hors réserve. C'est le mandat qui nous a été confié. Que ça nous plaise ou non, les étiquettes « vivant sur les réserves » et « hors réserve » existent, elles font partie de la réalité. J'ai toujours été d'avis que même si nous ne pouvons pas changer le passé, nous pouvons certainement, ensemble, tracer l'avenir. C'est l'entreprise dont nous nous chargeons. Ce comité a le mandat et le pouvoir de recommander au gouvernement une façon d'aborder ces problèmes pour enfin les régler.

À ceux qui habitent hors réserve dans cette province ou ailleurs au Canada, je demande de réfléchir un peu et d'éventuellement nous faire part de leurs idées parce qu'il est très vrai que beaucoup de gens des Premières nations qui décident de quitter les réserves n'ont pas les mêmes droits en matière de mobilité que les Canadiens non autochtones en ce qui concerne le vote et l'accès aux programmes et aux services. Par où faut-il commencer pour régler cette situation? C'est un problème endémique dans ce pays. Mais nous devons le régler, c'est l'objectif derrière le mandat de ce comité. Nous devons donner une voix à ces personnes. Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent se battre jusqu'à la fin des temps, mais les gens doivent aussi se faire entendre, c'est ce que nous essayons de rendre possible.

Comment devons-nous travailler tous ensemble? Quelles recommandations feriez-vous à ce comité? Nous les étudierons et les utiliserons pour formuler des recommandations claires et nettes sur la protection des droits de la personne de tous nos peuples, qu'ils vivent dans des réserves ou non.

Honorables sénateurs, nous sommes prêts à écouter les témoignages du prochain groupe d'invités : Sharon Slater, codirectrice des Ressources humaines au Urban Circle Training Centre; Haven Stumpf, coordinatrice à l'accueil et à la liaison communautaire; et du Native Women's Transition Centre, Mme Bernice Cyr et Mme Sonia Prevost-Derbecker, directrice intérimaire, Soutien. Et pour finir, nous entendrons Marie Lands, directrice exécutive de l'Ikwe-Widdjiitiwin Shelter Inc.

Je vous donne la parole.

Sharon Slater, codirectrice des ressources humaines, Urban Circle Training Centre : Je m'appelle Medicine Woman et je suis du clan du chevreuil. Mes couleurs sont le bourgogne, le bleu, le jaune et le blanc. Meegwetch de nous permettre d'être ici. Vous nous avez demandé de vous présenter l'Urban Circle Training Centre et de vous expliquer ce que nous y faisons. Mme Stumpf a préparé un très beau document PowerPoint, mais comme on peut le voir, l'endroit ne s'y prête pas aujourd'hui. Nous vous avons remis des documents concernant l'objet de notre exposé.

Nous sommes un centre de formation pour les adultes autochtones de 19 ans et plus. Nous proposons actuellement cinq programmes. Trois d'entre eux sont de niveau postsecondaire. Nous avons un programme de 12e année pour les adultes et nous avons aussi un partenariat avec le programme Red River Early Childhood Education, qui mène à l'obtention d'un diplôme en deux ans. Nous offrons également un certain nombre de plus petits programmes, selon le financement disponible.

Notre centre est unique en ce qu'il offre de la formation complète. Nous nous occupons des aptitudes intellectuelles de nos étudiants, mais nous adoptons aussi une approche générale.

En ce moment, nous avons deux anciens pour nous guider. Notre centre dessert environ 150 étudiants autochtones, et 85 p. 100 de notre personnel est autochtone. Nous nous distinguons notamment des autres centres de formation parce que nous exigeons que tous nous étudiants participent au programme d'aptitudes à la vie quotidienne et de sensibilisation culturelle. Des professeurs et des conseillers en aptitudes de vie quotidienne participent à chacun de nos programmes pour aider les étudiants à réussir. Nous ne nous préoccupons pas que des aptitudes scolaires de nos étudiants, nous nous intéressons aussi à leur vie en général — leurs difficultés financières, le déménagement à Winnipeg, la recherche d'un logement et d'un service de garde convenables.

L'un des sujets que nous avons abordés est la différence entre les Autochtones hors réserve qui vivent en ville et les Autochtones qui vivent dans les réserves. Pour de nombreux étudiants, le financement est un gros problème. Certains de nos étudiants ayant un statut n'ont pas accès au financement, et la majorité de nos étudiants sont des mères monoparentales. Bon nombre habitent des logements inappropriés, vu leurs moyens financiers. Beaucoup de nos étudiants sont des enfants d'anciens pensionnaires. Cela a un effet important sur leurs aptitudes à régler des problèmes, leur confiance en eux et leur estime de soi.

Lorsqu'ils arrivent en ville, ils se butent à certaines choses comme l'absence d'appui et de leur famille. Au moment de faire une demande de financement, beaucoup d'étudiants se font dire qu'ils doivent d'abord essayer toutes les autres possibilités avant d'avoir l'aide de leur collectivité. Si la collectivité de l'étudiant offre un programme semblable au nôtre, elle va lui demander de revenir. Et lorsque les étudiants retournent dans leur collectivité, il n'est pas rare qu'ils ne trouvent même pas de logement. Ce sont là des problèmes réels.

Beaucoup de nos étudiants sont insuffisamment instruits à leur arrivée. Dans les réserves, bon nombre de professeurs enseignent en première ou en deuxième année et ne veulent pas s'occuper de ce qui se passe dans la vie des enfants. C'est un gros problème. Pour ce qui est d'élever des enfants, si l'on n'apprend pas ce qu'est un parent, il est impossible de le devenir à son tour. Nous ne pouvons élever nos enfants que de la façon dont nous avons nous-mêmes été élevés. Ainsi, nous enseignons aussi à nos étudiants certaines choses à propos de la vie de parent, des dépendances, des pièges de la vie et nous leur expliquons pourquoi certaines personnes choisissent un partenaire maltraitant. Ce sont tous des comportements acquis.

Je n'ai jamais vraiment eu l'impression d'être quelqu'un avant qu'on me donne un nom. C'était vraiment important d'avoir un attachement réel. En venant ici aujourd'hui je me demande pourquoi un conseil d'anciens n'a jamais guidé ce processus, parce que c'est très important. Nos anciens sont très sages et ils nous écoutent et nous disent ce que nous devons faire en tant qu'individus pour réaliser notre plein potentiel. Au centre Urban Circle, les conseils de nos anciens aident beaucoup le personnel à vraiment transformer ses paroles en action, parce que si nous ne passons pas aux actes, nous ne pouvons pas espérer que les autres vont le faire. Toutes ces cérémonies et ces enseignements sont importants. Ça ne concerne pas que les Autochtones, mais bien tout le monde. Lorsque nous parlons de respect, d'honnêteté, de franchise et de courage, tout le monde est concerné. Il faut que tout le monde nous entende et qu'on en vienne à un climat de respect mutuel.

Je vais céder la parole à Mme Stumpf. Meegwetch.

Haven Stumpf, coordonnatrice à l'accueil et à la liaison communautaire, Urban Circle Training Centre : Je suis sûre que ce fut un long après-midi pour vous qui avez écouté toutes ces histoires et ces témoignages. Je vais d'abord me présenter. Je suis non seulement une employée du centre Urban Circle, mais je suis également membre des Premières nations et on me considère comme une personne autochtone vivant en milieu urbain. J'ai habité dans cette partie de la ville toute ma vie. Je n'ai jamais vécu ailleurs. Je peux parler pour ceux qui vivent hors réserve, dans des régions urbanisées. J'ai personnellement vécu les divers scénarios que vous avez entendus à propos de parents célibataires qui reçoivent de l'aide sociale et qui luttent pour cheminer dans la vie. Ma mère et ma grand-mère sont des survivantes des pensionnats. Je me suis toujours demandé pourquoi j'avais grandi dans une telle pauvreté, pourquoi je devais vivre une vie pareille.

J'ai aussi étudié au centre Urban Circle il y a un million d'années, en 1995. Lorsque j'y suis entrée, j'ignorais complètement qui j'étais, quelle était mon identité. J'étais égarée. Vu le racisme dont les Autochtones sont victimes ici, en ville, j'étais dans le déni par rapport à qui j'étais et j'avais très honte de dire que j'étais Autochtone. J'étais tout sauf Autochtone. À la maison, l'éducation que nous donnait ma mère a été une véritable épreuve. J'ai un frère, et mes deux parents étaient alcooliques. Ils sont morts tous les deux. Je me suis toujours demandé pourquoi ma vie était si difficile. Jusqu'à ce que le centre Urban Circle m'aide à faire la lumière. J'y ai appris à comprendre pourquoi ma mère était comme elle était, pourquoi les choses s'étaient passées comme elles s'étaient passées et cela m'a aidée à pardonner à ma mère pour la vie qu'elle m'avait donnée.

Il n'en tenait qu'à moi d'apporter des changements. Le centre Urban Circle m'a donné de l'autonomie, pas seulement en me rendant mon identité d'Autochtone, mais aussi en m'enseignant des leçons de vie, des habiletés d'adaptation et de résolution de problèmes pour que je devienne responsable envers moi-même et que je sois une bonne mère. Le centre Urban Circle offre beaucoup plus que de la formation. Il aide ses étudiants à acquérir des aptitudes pour avancer dans la vie.

En tant que coordinatrice à l'accueil, je travaille directement avec nos étudiants dans leurs démarches pour obtenir du financement auprès de leur bande des Premières nations. J'ai été témoin de népotisme, de vieilles querelles entre familles qui durent depuis des années. Si une personne n'habite pas dans la réserve, son nom est en quelque sorte mis au bas de la liste. On s'occupe toujours des habitants de la réserve en premier. Je comprends bien cela, mais il faut aussi comprendre que nous migrons lentement vers les villes parce que les possibilités d'améliorer notre qualité de vie, par l'éducation et l'apprentissage, entre autres, y sont meilleures et plus nombreuses. C'est en travaillant avec des étudiants privés de financement que l'on peut vraiment constater le fonctionnement des choses, car ils nous font confiance et nous donnent ces informations pour que nous les aidions par tous les moyens dont nous disposons.

Bernice Cyr, directrice exécutive, Native Women's Transition Centre : Sénateurs Harb, Brazeau et Jaffer, merci de me recevoir ici cet après-midi. Je suis directrice exécutive du Native Women's Transition Centre. J'occupe ce poste depuis peu, mais j'ai travaillé dans le Nord et je suis dans le domaine des services sociaux depuis 20 ans. J'ai aussi été PDG de la Metis Child and Family Services Authority. J'ai enseigné les études urbaines, la gouvernance autochtone, et, ces cinq dernières années, la gestion et l'administration financière. Si je suis ici, c'est pour focaliser la discussion. Les exposés que j'ai entendus étaient généraux.

Le Native Women's Transition Centre existe depuis environ 30 ans et vient en aide à des femmes vivant dans la collectivité qui se définissent comme membre des Premières nations, Métis ou Inuits et qui sont aux prises avec la loi, qui luttent contre des dépendances, qui traitent avec les services d'aide aux enfants et à la famille, avec le Programme d'aide à l'emploi et au revenu, ou qui vivent des problèmes en matière de logement. En vérité le Native Women's Transition Centre est souvent l'étape qui suit l'échec des systèmes. Il est la ligne de départ du cheminement personnel de ces femmes. C'est là qu'elles entrent en jeu. Je crois que le plus important cas que j'ai eu à traiter dans ma carrière consistait à évaluer la sécurité d'une personne par rapport au risque auquel elle était exposée. Beaucoup de femmes qui ont été victimes de violence économique, systémique ou aux mains d'un homme sont jugées à risque, alors qu'on devrait plutôt voir à leur sécurité.

Du point de vue législatif, cela représente un important changement de mentalité. En ce qui concerne les changements à apporter, nous sommes très portés sur la notion de risque en Amérique du Nord. Nous devons envisager la création de réseaux de sécurité autour de nos familles, de nos femmes et de nos enfants. La solution ne consiste pas toujours à écouter les jeunes. Il faut travailler avec les familles pour élaborer ces réseaux de sécurité, parce que les jeunes finissent par retourner à la maison, c'est chez eux, que ce soit dans les réserves ou dans les collectivités urbaines. Si nous voulons que ce changement de mentalité se produise, c'est une donnée importante à garder à l'esprit lorsqu'on réfléchit au financement ou au choix des secteurs à desservir, à la construction de réseaux de sécurité et à l'aide à apporter aux organismes comme ceux qui se trouvent devant vous aujourd'hui.

L'autre sujet que je voulais aborder est la planification anticipée. Notre but est de ne pas emprisonner les femmes, de ne pas punir des femmes qui ont enduré une vie de violence. Notre but est d'aider des femmes à trouver des options où elles sont en sécurité dans leur collectivité, où elles apprennent à être des mères responsables et des personnes qui ne représentent pas un danger pour leur famille ou leur collectivité.

Il faut commencer à planifier plus tôt. Il faut qu'en cour on puisse déterminer plus tôt des solutions applicables au sein de la collectivité pour mieux aider les femmes. La violence que les femmes subissent, lorsqu'elles ont été exposées à la criminalité, représente un combat continu qui peut durer toute leur vie. C'est très difficile pour elles de s'en sortir.

Il y a d'autres sujets, et je pourrais en parler pendant trois heures, mais je vais garder mon intervention brève et à propos.

Je voulais également parler de la violence faite aux femmes par des hommes. Les cas sont extrêmement nombreux. Je pourrais citer plusieurs rapports, tous publiés et bien documentés. Il s'agit en fait de changer d'attitude par rapport à la victimisation des femmes. C'est l'approche que nous préconisons dans le cas de la violence faite aux femmes par des hommes, mais elle est tout aussi appropriée pour ce qui est de la violence faite aux hommes par d'autres hommes. Nous constatons qu'il n'y a pas suffisamment de programmes et de services pour aider les jeunes hommes et les jeunes pères à briser ces cycles.

J'aimerais qu'on parle d'un changement de paradigme à propos de ces questions. Je crois que notre objectif en tant que collectivité, pays, province, municipalité ou réserve devrait être la création et la mise en place de réseaux de sécurité, parce que les systèmes que nous avons en ce moment — et vous entendrez toutes sortes de témoignages — ont vraiment négligé nos familles. Ce sont de vieux systèmes que nous continuons de perpétuer. Il est temps de changer de mentalité.

Sonia Prevost-Derbecker, directrice intérimaire, Soutien, Native Women's Transition Centre : Merci de nous avoir invités ici aujourd'hui. Je m'appelle Sonia Prevost-Derbecker et je suis directrice intérimaire. Je m'apprête toutefois à quitter mon poste puisque le Native Women's Transition Centre a choisi sa nouvelle directrice. Monsieur Brazeau, nous nous sommes rencontrés au Chili, au Sommet des migrations, alors que j'étais directrice de Ndinawemaaganag Endaawad. J'ai porté plusieurs chapeaux alors je parle d'autant de points de vue, mais j'ai toujours un pied au Native Women's. J'ai aussi dirigé la Point Douglas Revitalization Initiative. Point Douglas est l'un des endroits les plus pauvres au Canada et son développement est de loin le plus limité au pays sur à peu près tous les plans. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.

Notre taux de réussite scolaire est de un pour six en comparaison du reste de la population. Nous avons le plus haut taux de maladies chroniques au Canada. Le taux de récidivisme criminel est parmi les plus élevés. Nous faisons partie des trois villes canadiennes les plus souvent mentionnées à titre de capitale nationale de la pauvreté infantile. On pourrait continuer.

En plus d'avoir été directrice exécutive, j'ai aussi été commissaire d'école. Sur une période d'environ 25 ans, j'ai été la seule commissaire d'école autochtone. Quelle triste affirmation. La vérité est que ces statistiques existent même si beaucoup de personnes compétentes travaillent très, très fort. En tant qu'ancienne directrice exécutive, et les autres directeurs exécutifs ici présents seront d'accord avec moi, je peux vous dire que les gens travaillent plus fort que par le passé, et pourtant, il y a des barrières et des problèmes systémiques. J'aimerais parler un peu de cela.

Il faut prendre connaissance des facteurs attractifs et répulsifs. Nous avons les moins bonnes performances au Canada, mais nous avons aussi la plus importante population d'Autochtones en milieu urbain au pays à l'heure actuelle. Les gens migrent pour de nombreuses raisons. Évidemment, beaucoup de familles vont emménager ici pour que leurs enfants reçoivent une éducation. S'il n'y a pas d'école secondaire près de chez eux, beaucoup de familles vont préférer déménager que d'envoyer leur enfant tout seul. Les soins de santé sont un autre facteur qui attire beaucoup de gens. Il y a aussi les emplois et le développement économique de la collectivité. On pourrait en nommer beaucoup d'autres. Dans certaines collectivités très éloignées, il n'y a pas d'emplois ni de développement économique, et il faut absolument se pencher sur cette question.

Le financement des services comme l'éducation et les soins de santé ne représente que deux tiers de ce qui est offert hors réserve; c'est un acte discriminatoire dont nous pourrions parler longtemps. Nous pouvons tous voir comment cela se traduit dans le développement des collectivités et dans le développement de notre principale richesse, le capital humain qui se trouve dans n'importe quelle réserve ou collectivité.

Nous estimons maintenant que d'ici 15 ans, 80 p. 100 de la population autochtone va habiter dans les centres urbains. Si tel est le cas, si toutes ces familles vont s'installer dans les centres urbains, comme l'ont fait ma famille et beaucoup d'entre nous, nous devons vraiment nous demander comment nous allons leur venir en aide. S'il est impossible de les aider en vertu des droits que leur confèrent les traités, il faudra se pencher sur la question.

Il faudra aussi discuter d'inclusion. Mon père a fréquenté un pensionnat et je me suis battue pendant des années, et avec plus d'insistance ces derniers temps, pour obtenir mon statut. Mais mon père était dans un pensionnat. J'ai une carte de Métis. Tragiquement, dans beaucoup de services que j'ai dirigés — j'ai aussi été directrice exécutive chez All Nations Child and Family —, bon nombre d'enfants que nous aidions étaient beaucoup plus foncés que moi, beaucoup plus pauvres que moi, ils n'avaient aucune éducation, mais j'étais plus admissible à un statut qu'eux.

Si nous faisons de la discrimination à l'endroit de nos citoyens les plus marginaux alors que je reçois davantage de privilèges, il existe un réel problème en ce qui a trait à l'inclusion. Je devais dire cela. Il faut que nous parlions d'inclusion. Je sais que vous avez dit que ça ne fait pas partie de vos travaux, mais je serai là pour soulever la question de toute façon.

Beaucoup de ces personnes s'installent dans nos collectivités, dans nos collectivités en milieu urbain. Elles arrivent avec des problèmes parce qu'elles ne sont pas nécessairement aidées, et notre système est devenu surtaxé alors ces personnes tombent donc entre les mailles, comme vous pouvez l'imaginer. Au bout du compte, elles coûtent au système 10 fois ce qu'elles lui auraient coûté normalement. J'ai une approche économique du phénomène. En ce moment, chaque prisonnier coûte 107 000 $ par an au Service correctionnel du Manitoba. La prise en charge d'un enfant coûte 35 000 $ par an aux Services à l'enfant et à la famille, et les frais s'élèvent à 170 000 $ par an dans le cas d'un adulte qu'on interne pour des raisons de santé mentale.

Beaucoup de services que reçoivent ces trois types de personnes pourraient être dispensés en milieu urbain par le biais de services autorisés et cela réduirait de beaucoup les cas de récidivisme. Autrement dit, si l'on s'abstient d'emprisonner les petits criminels, si l'on met sur pied des ressources d'aide dans les collectivités, on pourra faire beaucoup plus. Et si cela signifie aborder la question de la transition des droits conférés par les traités, je crois que nous en sortirons tous gagnants.

Ces services coûtent tellement cher... Il n'est pas étonnant que nous dépendions plus des services que le Canadien moyen puisque nos peuples ont été opprimés pendant tant d'années. Si nous voulons changer cela, il faut investir l'argent où vivent les gens. Je souhaite donc que ce dialogue se poursuive. Nous avons actuellement un système très raciste qui pénalise les plus marginaux. Meegwetch.

Marie Lands, directrice exécutive, Ikwe-Widdjiitiwin Shelter Inc. : Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de me donner l'occasion historique de communiquer mes idées, mes opinions et mes préoccupations sur la question des membres des Premières nations qui vivent hors réserve. Je m'appelle Marie Lands. Je suis directrice exécutive du Ikwe-Widdjiitiwin Shelter, à Winnipeg. Nous sommes un refuge pour les femmes qui fuient la violence familiale.

Je sais que le Sénat est bien renseigné sur l'histoire des Autochtones et des gens des Premières nations en particulier. Cela dit, je vais me servir du peu de temps que j'ai pour vous donner le plus d'informations possible.

Pour l'avoir vécue, sur le plan personnel et professionnel, je connais la réalité des femmes des Premières nations vivant hors réserve. Selon Statistique Canada, plus de gens des Premières nations vivent hors réserve que dans les réserves. Beaucoup d'entre eux vivent dans de grandes villes comme Winnipeg. L'effet colonial, c'est-à-dire la culture des pensionnats, du système d'aide sociale à l'enfance, des systèmes juridiques et de beaucoup d'autres choses, trop nombreuses pour qu'on puisse toutes les nommer, a causé du tort aux Premières nations. À cause de cette culture, bien des gens des Premières nations ont été privés de la qualité de vie et du bien-être dont tous les autres Canadiens peuvent profiter, une qualité de vie qui repose sur ce que j'appelle les trois « s » : la sûreté, la sécurité et la stabilité.

Dans le peu de temps qui m'est accordé, j'aimerais traiter des trois principaux éléments qui contribuent à notre sûreté, notre sécurité et notre stabilité. D'abord, l'éducation.

Notre statut de membre des Premières nations vivant hors réserve constitue un désavantage lorsque nous demandons de l'aide financière pour études postsecondaires en vue d'aller au collège ou à l'université. Les gens qui habitent dans les réserves passent avant nous. Nous devons avoir recours aux programmes d'assistance sociale. Par exemple, à Winnipeg, beaucoup de gens reçoivent de l'aide sociale pour suivre un programme qui va les mener à un emploi au salaire minimum au lieu d'étudier en vue d'obtenir une accréditation professionnelle en travail social ou dans n'importe quel autre domaine qui pourrait déboucher sur une carrière et les aider à améliorer leur qualité de vie.

Le processus d'accès aux études postsecondaires est injuste envers les Autochtones vivant hors réserve qui souhaitent obtenir un diplôme reconnu dans le domaine de leur choix. Nous ne devrions pas avoir à nous contenter de programmes qui nous permettent seulement de survivre. Être privé d'accès au financement pour les études postsecondaires et aux possibilités qui y sont liées va à l'encontre des droits individuels que nous confèrent les traités. Pour certains d'entre nous, il est impossible d'emprunter en vue d'obtenir un diplôme, comme si le « droit au prêt » était exclu des droits conférés par le traité.

La plupart des autorités scolaires des Premières nations ont un processus de sélection des demandeurs. Cela signifie que les gens qui vivent dans les réserves sont considérés en premier pour l'attribution de financement. Ce processus ne semble pas prendre sérieusement en compte l'inclusion des demandeurs qui vivent hors réserve. Il y a toujours une liste d'attente. Si on leur donne l'occasion d'obtenir un diplôme qui mène à une carrière, les membres des Premières nations qui vivent hors réserve auront un meilleur avenir. S'ensuivront un plus haut taux d'emploi et des revenus accrus, autant de bienfaits qui pourront régler les problèmes de pauvreté des gens des Premières nations vivant hors réserve.

En second lieu, le logement. Beaucoup de gens des Premières nations ont vécu presque toute leur vie, si ce n'est toute leur vie, hors réserve. Bon nombre d'entre eux ne peuvent même pas établir de liens avec les membres de leur collectivité des Premières nations. Ces gens ne souhaitent pas nécessairement retourner dans leur collectivité d'origine pour tenter d'obtenir un logement puisqu'ils ne connaissent pas cette collectivité et en sont déconnectés. Lorsqu'on vous inscrit sur une liste, vous n'êtes pas un candidat prioritaire. Encore une fois, les logements qui se trouvent sur les réserves sont réservés aux résidents des réserves. Ils ont un droit au logement. En nous trouvant hors réserve, nous avons un droit au logement par contrat de location, et beaucoup doivent se contenter de ce que leur permet leur budget. La majorité des membres des Premières nations n'ont pas les moyens d'être propriétaires à cause des barrières qui leur bloquent l'accès à l'éducation qui leur permettrait de gagner un meilleur salaire.

Troisièmement, au cours de ma carrière, j'ai constaté que la violence est très présente dans la vie des gens des Premières nations qui vivent hors réserve. Ayant été privées d'éducation, ces personnes se retrouvent dans l'impossibilité de faire des choix éclairés et de vivre sainement pour améliorer leur qualité de vie. Il suffit de regarder les statistiques des services à l'enfance, du système juridique, des refuges pour femmes et ainsi de suite pour comprendre que la situation des gens des Premières nations vivant hors réserve est problématique.

Au Ikwe-Widdjiitiwin Shelter, nous recueillons des informations sur les expériences vécues par certaines femmes, et c'est triste. La société doit offrir de l'espoir et un sentiment de sûreté, de sécurité et de stabilité. Le cycle de violence va se poursuivre de génération en génération pour ces personnes et leurs enfants si nous ne l'arrêtons pas. Le stress que vivent les familles des Premières nations qui tentent de survivre rend souvent les relations hostiles et malsaines au sein des couples et des familles élargies.

Enfin, je crois que nos problèmes peuvent être réglés par le biais de la transférabilité des droits individuels qui nous sont conférés par les traités en ce qui concerne l'éducation et le logement. Nous ne demandons que ce que le Créateur nous a donné, c'est-à-dire la vie. Dans ma langue, minopimiiwatsiwin veut dire : « une bonne vie ».

J'aimerais conclure mon témoignage en vous disant que je suis une survivante de deux pensionnats indiens, du système d'aide à l'enfance et du système juridique, et que le plus grand service qui m'a été rendu, c'est l'éducation. Tout au long de ce processus, j'ai dû redonner beaucoup aux gouvernements, malgré ce à quoi je devrais avoir droit en vertu d'un traité. Parce que j'ai aussi dû passer par beaucoup d'autres systèmes comme le système d'aide à l'enfance et le système juridique, j'avais beaucoup à aller rechercher. Vivre hors réserve complique encore plus les choses pour beaucoup de gens que nous tentons d'aider et de défendre au quotidien. Nos organisations sœurs ont bien illustré les problèmes avec lesquels nous devons composer jour après jour.

Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de m'exprimer. Meegwetch.

Le vice-président : Avant de laisser la parole à mes collègues, je vais poser la première question. Je m'excuse à l'avance, car elle est un peu biaisée. Nous avons entendu, aujourd'hui et avant, des témoignages portant sur le fait que les gens des Premières nations qui vivent hors réserve, par choix ou par obligation, n'ont pas toujours les mêmes droits et privilèges que leurs frères et leurs sœurs qui vivent dans les réserves, pas seulement en ce qui a trait à des choses comme l'accès à l'éducation ou au logement, mais aussi à des droits élémentaires comme celui de voter.

Nous pouvons parler des réalités du colonialisme et de tous les torts causés dans le passé, mais nous devons aussi parler de la réalité actuelle et de ce que les gens doivent endurer quotidiennement dans leurs efforts visant simplement à subsister. Je comprends très bien cela. Je suis passé par là, comme vous.

J'aimerais savoir quelles seraient vos recommandations à ce comité, parce que c'est un fait avéré que, souvent, les gens qui quittent les réserves renoncent à leurs droits à la sortie, en premier lieu, et se voient ensuite bloquer l'accès aux programmes et aux services. Certains chefs autochtones pourraient dire qu'ils ne reçoivent pas assez d'argent, ce qui n'est peut-être pas faux dans certains cas, mais il est aussi vrai qu'il existe également une formule de financement en fonction du nombre d'habitants et que l'argent leur est remis pour le bienfait de tous les membres, peu importe où ils vivent.

Le gouvernement fédéral consacre 10 milliards de dollars par année aux peuples autochtones, et il est aussi important de souligner que le gouvernement fédéral transfère également de l'argent aux gouvernements provinciaux au profit de leur entière population, autochtone ou non.

L'aspect financier est très présent dans cette question. Peut-être que c'est parce qu'il y a un manque de leadership politique dans le contexte hors réserve. C'est une bonne chose que nous ayons des organismes de prestation de services et des gens comme vous pour faire le travail essentiel en première ligne, parce que les gens n'ont nulle part d'autre où aller. Selon vous, que devrions-nous recommander dans notre prochain rapport pour que disparaissent ces inégalités, peu importe, je n'aime pas dire cela, mais peu importe de quel côté de la clôture vous vous trouvez? Êtes-vous du côté des réserves ou du côté hors réserves? À mon avis, chacun devrait être traité de façon juste et équitable.

Avez-vous des commentaires?

Mme Prevost-Derbecker : Je tiens à souligner que tous les organismes ici et les groupes que je vous ai vu interviewer ne font pas de distinctions en fonction du statut. Autrement dit, ils ne fournissent pas leurs services en disant : « Bon, tous les Indiens des traités s'alignent ici, tous les Inuits s'alignent ici et vous les Métis, placez-vous ici. » Je suppose que vous demandez si l'on est prêt à séparer ces populations?

Le vice-président : Non, absolument pas.

Mme Prevost-Derbecker : Je sais que ma réponse est un peu politique, mais bien entendu, nous servons notre communauté autant dans les réserves qu'à l'extérieur des réserves. N'est-ce pas? Ce que je veux dire, c'est qu'ayant été éducatrice, j'ai enseigné quand nous avons ouvert la Ndinawe Transitional School et nous acceptions les enfants, qu'ils soient Indiens inscrits ou pas. Les gens ont besoin qu'on respecte leurs droits, et c'est ma réponse personnelle.

Cependant, il faut que les Autochtones vivant à l'extérieur des réserves soient traités de la même façon. Je n'ai jamais connu d'organisme disant : « Désolés, vous ne faites pas partie du bon club, allez vous aligner là-bas. » C'est comme ça que nous faisons les choses ici à Winnipeg.

Le vice-président : Juste pour que tout soit absolument clair, parce que je ne veux pas qu'on déforme ce que je dis là- dessus. J'ai proposé cette étude, mais selon moi, que nous soyons d'accord avec ses conclusions ou non, quoi qu'on en dise, nos propres dirigeants font de la discrimination une fois que les gens déménagent à l'extérieur des réserves. Si nous abordons ces problèmes, il sera crucial de tenir un débat dans un parfait respect, mais en disant la vérité sur ce qui se passe, sinon cette discussion passera toujours inaperçue. Je ne veux absolument pas que ce soit le sort de cette étude. C'est pourquoi je demande des conseils et des recommandations sur la manière d'aborder ces problèmes, parce qu'il faut s'en occuper.

Mme Cyr : Je voudrais souligner un principe fondamental de la protection de l'enfance, le Principe de Jordan. Nous avons vu des questions de compétence créer des obstacles dans le système pour des familles, des femmes, des enfants et des hommes de toutes les régions du pays. Si vous visez la déségrégation des Métis, des Inuits et des Premières nations dans le cadre des pratiques de prestation de services et de création de politiques, les questions de compétence créent les pires obstacles à l'éducation, à la santé et aux services sociaux. Mais ce point de vue est très minime; il y a tant de facteurs qui contribuent à cette discussion et qui la compliquent.

Mme Stumpf : De mon point de vue de coordinatrice de l'accueil qui travaille directement avec les étudiants, je tiens les gens responsables de ce qu'ils disent aux étudiants. Je le leur fais écrire. Bien entendu, on peut aussi passer au-dessus d'une lettre écrite, mais les déclarations écrites sont un peu plus solides que ce qui se dit verbalement.

Je sais qu'on a dit à nos étudiants de revenir l'année prochaine parce qu'il n'y a pas de financement, parce qu'on se trouve maintenant à tel ou tel niveau de la liste d'attente. Il faut que nous exigions plus d'équité de la part de certains de nos dirigeants quand ils distribuent les fonds. Nous savons qu'ils reçoivent un centile pour chaque Indien inscrit. En fin de compte, c'est juste une question de reddition de comptes et d'équité.

Le vice-président : Que diriez-vous aux membres de Premières nations qui voudraient s'exprimer mais qui craindraient des représailles ou qui aurait peur que quelque chose leur arrive. C'est aussi une réalité à laquelle un grand nombre de membres des Premières nations font face.

Mme Stumpf : Je comprends cela aussi. J'aide tous les gens qui viennent à mon bureau pour résoudre des problèmes comme celui-là. Je suis tout à fait d'accord : nous devons nous tenir ensemble, nous défendre et agir avec honnêteté. Je m'exprime toujours très ouvertement, alors je me retiens. Je me retenais de parler là-bas et je me disais : « Ne laisse pas commencer à parler de ça. »

Pour aider nos gens à avancer, il faut un point de départ, et il faut que ce point de départ soit l'honnêteté. Ce sont les sept enseignements qu'on nous a donnés et que nous recommençons à apprendre parce qu'on nous les avait tous enlevés. Ce sont des paroles très vraies. Donc je le répète, nous les dirigeants, si nous voulons aider nos gens à avancer, nous devons être honnêtes. Nous ne devons pas avancer juste pour nous-mêmes, mais en pensant que le pouvoir d'une personne est le pouvoir de tous. C'est bien malheureux, et nous essayons d'habiliter nos étudiants en leur enseignant ces choses.

Nous avons eu un étudiant qui est revenu finir sa 12e année, puis qui est allé à Red River Community College suivre le programme sur la gouvernance. Quatre ans plus tard, il est retourné dans sa réserve, il a présenté sa candidature au conseil et maintenant il siège au conseil. Quand il a participé à l'une des réunions des chefs et du conseil à l'Assemblée des chefs du Manitoba, il s'est levé pour parler. Tout le monde l'a applaudi, et il se demandait pourquoi tout le monde l'applaudissait. C'est que les gens qui ont siégé à ce poste de chef au conseil ne s'étaient jamais levés pour dénoncer quoi que ce soit. Ce jeune s'est levé pour défendre une cause. Je vous dirais qu'un tel acte donne du courage à nos étudiants et à nos gens, et nous avons besoin de plus de gens comme ce jeune.

Mme Lands : Je veux juste ajouter une chose à mes commentaires sur la transférabilité de nos droits issus de traités. Il faut vraiment que nous examinions cette question.

Vous avez parlé en détail de la Loi constitutionnelle de 1982, et nous avons maintenant ce que les gens considèrent comme une approche panautochtone de la Constitution pour les Premières nations. Je crois que nous devrions vraiment commencer à examiner de près certaines de ces choses. Je n'ai pas peur de m'attaquer à ces défis. Je me suis souvent fait taper dessus en politique et dans ma carrière pour avoir demandé des comptes à nos propres dirigeants.

De plus, quand nous parlons de transférabilité et de droits de vote, nous avons déjà ces droits de vote. Nous les perdons de temps en temps, mais de quelle façon est-ce qu'on les examine à fond? Nous avons les mêmes dirigeants qui font toujours la même chose — ils produisent toujours les mêmes résultats. Oui, c'était un gain pour les peuples autochtones. Nous pouvons voter pour élire les dirigeants de nos communautés. Par contre, je pense qu'il y a encore beaucoup à faire pour assurer la transférabilité de nos propres droits issus de traités. Je suis ici en train de parler de mes propres droits issus de traités des Premières nations, mais les générations qui nous suivent, nos petits-enfants, devront continuer à respecter les traités que leurs ancêtres ont signés, et cela ne concerne pas que les Premières nations, mais les nouveaux arrivants aussi.

Nous devons aussi faire preuve de respect en veillant à ce que nous jouissions de sécurité et de stabilité et d'une bonne vie pour le reste de notre vie, et nous devons commencer à examiner cela sérieusement. Je pense que nous en parlons et que nous le faisons jour après jour. Nous qui offrons quotidiennement des services directs, nous en voyons chaque jour les répercussions, et jour après jour nous pensons à assurer la sécurité et la stabilité des femmes et des enfants pour qu'ils aient un logement et qu'ils puissent aller à l'école. Cependant, ils se trouvent tout au bas de l'échelle parce que comme n'ont pas accès à un logement, ils ne peuvent pas accéder à l'éducation. Ils sont les plus défavorisés. C'est au nom de ces gens que nous parlons.

Je suis une autochtone, et je ne prends pas ces choses à la légère. Je lutte chaque jour pour ces enfants et pour ces femmes. Je pense qu'il est temps que nous disions : « Et leurs droits? Ils sont bafoués quotidiennement par la violence directe et indirecte qu'ils doivent subir. »

Puis vous regardez ça à une plus grande échelle et vous regardez l'univers capitaliste et l'effet percolateur qu'il a sur le travail que nous effectuons. Nous pouvons considérer ça sous des angles différents, mais en fin de compte on en revient toujours au droit inhérent de l'Indien des traités qui est né dans ces circonstances.

Je tiens juste à dire qu'il faut que nous rendions les droits transférables. Je ne parle pas du Livre blanc de 1969, je parle de consulter chaque membre des Premières nations issu des traités. L'Assemblée des Premières Nations ne parle pas en mon nom. Mon conseil territorial ne parle pas en mon nom. C'est moi qui parle en mon nom.

Merci.

Le sénateur Jaffer : Si vous me permettez, je vais commencer par ce que vous avez dit, madame Prevost-Derbecker, et je vais répondre à vos commentaires sur le statut. Ce comité a entendu la proposition d'un témoin, M. Peach; vous avez probablement entendu parler de lui. Il est expert sur les questions autochtones. Il vient de la Saskatchewan. Il a dit que le gouvernement fédéral devrait cesser de définir le statut d'Indien à cause des divisions qu'il crée dans les communautés autochtones et parce que les distinctions qu'il produit risquent d'enfreindre la Charte canadienne des droits et libertés. Que pensez-vous de cette proposition? Est-ce qu'elle aiderait les membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves à accéder aux programmes qui leur sont destinés?

Mme Prevost-Derbecker : Eh bien tout d'abord, je ne connais pas tellement de programmes qui exigent le Certificat de statut d'Indien ou une quelconque adhésion. En fait, il n'est pas rare que les plus marginalisées d'entre nous n'aient pas toutes leurs cartes d'identité. Si nous fonctionnions ainsi ou si nous pensions de cette façon, nous refuserions une grande partie de nos services. Je ne connais pas ce M. Peach. Je n'ai pas lu son exposé, mais je me ferai un plaisir de le lire et de vous donner ma réponse. Il est vrai que depuis longtemps, nous débattons des raisons pour lesquelles nous sommes les seuls à avoir besoin d'une carte d'adhésion pour nous définir.

Vous vous souviendrez qu'on en a beaucoup débattu au Chili. Quels en sont les avantages, les fardeaux ou les obstacles qui créent des limites? Il est certain que dans les conversations entre Autochtones, on finit toujours par parler de sa communauté quand on ne vous demande pas d'où l'on vient au moment des présentations. En ce qui concerne l'exclusion, soit vous êtes Inuit, Métis ou Indien des traités, soit vous ne l'êtes pas et c'est un peu ridicule d'accorder des services ou même d'envisager de fournir des services en fonction de la catégorie à laquelle les gens appartiennent. Si vous êtes Autochtone, vous êtes Autochtone. Si vous voulez recevoir des services d'une unité de santé autochtone, parfait. Je pense que personne ne voudrait accorder ou refuser un service à quelqu'un en fonction de ce critère.

xQuant à la façon dont nous nous identifions nous-mêmes, c'est souvent par rapport à la communauté à laquelle nous appartenons. À l'avenir, je pense que cela va lancer un dialogue beaucoup plus animé à mesure que nous emménagerons dans les centres urbains et que le projet de loi C-31 perdra toujours plus de force.

Je pense que le prochain grand débat — et c'est peut-être moi qui vais le lancer — portera sur la manière de déterminer le pourcentage de sang indien qu'on a dans ses veines quand les ancêtres d'il y a trois générations se sont une première fois mariés à l'extérieur, avant de tous se remarier à l'intérieur? En quoi est-ce que tout ça détermine qui vous êtes et la communauté où vous vivez et quelle est votre identité? Dans bien des pays du monde, on vous identifie par la communauté où vous vivez. « Oui, elle est des nôtres. » C'est tout. Nous n'allons pas commencer à faire des tests génétiques, mais si c'est à ça qu'on en arrive, bon, alors qu'on fasse les choses génétiquement.

Je m'oppose à l'idée d'un document produit par un scribe appartenant à une église quelconque, qui a peut-être même brûlé, et au fait de devoir éventuellement jouer des coudes pour essayer d'obtenir un certificat de naissance détaillé. Ça devient un combat avec l'archiviste : « J'essaie d'obtenir le droit pour ma tantine avant qu'elle meure. » C'est tragique! Je ne veux pas dire que nous devrions limiter la façon dont nous nous identifions, mais ce modèle est vraiment faussé, et il faut que nous le révisions.

Le sénateur Jaffer : Nous vous enverrons son exposé et nous serons heureux d'obtenir vos commentaires.

Le sénateur Harb : J'ai une petite question au sujet de toute cette notion d'Indien des traités et d'Indien non inscrit et des droits qu'ont ou non les Indiens des traités de voter dans les réserves, et ainsi de suite. D'après ce que vous nous avez dit, cela ne semble pas causer de problèmes du tout, ce serait plutôt une chose du passé. Quels avantages un statut d'Indien des traités vivant à l'extérieur d'une réserve pourrait-il apporter? Selon vous, quels avantages ces personnes pourraient-elles en retirer?

Mme Prevost-Derbecker : Elles en retireraient énormément d'avantages.

Mme Lands : Je peux vous dire ce que nous n'avons pas. Nous n'avons que très peu de soins de santé et nous devons subir des tests pour y être admissibles, bien sûr. Nous devons demander l'approbation de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits pour obtenir une ordonnance. Comme je le disais, vous passez un test, et si le résultat est négatif, vous n'êtes pas admissible. On ne trouve pas toujours un commis qui ferme les yeux pour traiter votre demande. On se heurte vraiment à ces difficultés. Les gens qui ne vivent pas dans une réserve n'ont pas beaucoup d'avantages. Comme je le disais, un grand nombre de nos gens reçoivent une allocation de complément de ressources, alors ils sont couverts de cette façon, mais c'est trois fois rien. Nous ne jouissons d'aucun des avantages dont les Canadiens bénéficient.

Le sénateur Harb : Généralement parlant, comme Winnipeg a la plus grande communauté autochtone urbaine au Canada, est-ce qu'un grand nombre de vos membres se considèrent comme des Indiens des traités?

Mme Lands : Je parle justement des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves et qui ont un statut d'Indiens des traités. Selon la Constitution nous sommes répartis en quatre catégories. Nos discussions ici portent sur les Indiens des traités qui vivent à l'extérieur des réserves; nos droits ne sont pas transférables. Comme je le disais, je peux voter pour mon chef, mais je ne peux pas voter pour un conseiller. Dans chaque région visée par un traité, les choses se font différemment. Certaines bandes peuvent voter pour leur chef et pour les membres du conseil. Certaines bandes peuvent seulement voter pour un chef. Dans ma communauté je ne peux voter que pour mon chef, et nous ne pouvons pas nous présenter comme candidats. Je sais que nous pouvons faire campagne, mais la plupart sont beaucoup plus près, et nous avons le droit de vote. Il faut réviser ça et l'examiner plus en détail pour voir comme ça fonctionne vraiment. Si j'étais conseillère à l'extérieur d'une réserve, comment pourrais-je réellement rester en contact aussi au niveau des Premières nations. Il y a beaucoup de choses à réviser dans ce cas.

Dans cette province, nous devrions avoir l'occasion de former une communauté de Premières nations à l'extérieur des réserves où un grand nombre d'entre nous pourraient vivre — pas uniquement des gens qui font partie d'un traité ou d'une bande en particulier, mais un grand nombre d'entre nous. Nous allons dans différentes directions pour répondre aux besoins de nos gens, et si nous voulons conserver nos droits issus de traités de cette façon, il nous faut trouver des manières différentes de prendre soin de nos gens qui vivent à l'extérieur des réserves. Nous finirons par surpeupler nos communautés et nous n'aurons plus assez de terres.

Mme Stumpf : Je voulais dire une chose en ce qui concerne la vie à l'extérieur des réserves. Je sais que c'est très triste, mais je vais dire les choses honnêtement. Quand vous envisagez de rentrer dans votre communauté, l'important n'est pas ce que vous savez, mais qui vous connaissez. C'est la personne à laquelle vous vous adressez pour répondre à vos besoins. Ici à l'extérieur des réserves les fonds pour l'éducation sont très limités et il faut étudier à temps plein sinon on n'est admissible qu'à très peu de programmes.

Malheureusement, les gens qui travaillent, comme moi, ne peuvent pas étudier à temps plein grâce aux fonds minimes qu'on nous accorde. Je ne peux pas me permettre d'arrêter de travailler pour étudier. Le financement de l'éducation est minime. Le financement des soins de santé est minime.

Les Autochtones qui vivent en milieu urbain perdent beaucoup d'avantages quand ils vivent ici en ville. De nouveau, c'est le lien avec leur communauté.

Je ressens cette perte. Je suis obligée de mettre du temps de côté pour retourner dans ma réserve afin de rétablir les liens avec les membres de ma famille. Je ne sais pas du tout ce qui est arrivé à certains membres de ma famille. De nouveau, c'est une question de distance; je dois rétablir les liens avec mes racines et trouver qui est ma famille.

Mme Prevost-Derbecker : Personne n'a vraiment mentionné ça, mais les droits transférables représentent les droits fiscaux. C'est un avantage évident, n'est-ce pas? Inutile d'aller plus loin.

Le sénateur Jaffer : Madame Cyr, il y a très longtemps, j'ai travaillé pour un organisme quand je siégeais à un groupe d'experts sur la violence que subissent les femmes, et j'ai beaucoup apprécié que vous parliez de renforcer le réseau de sécurité. Il ne nous reste pas beaucoup de temps, mais pourriez-vous nous décrire exactement en quoi consisterait ce réseau? J'ai beaucoup aimé vous entendre dire que nous n'évaluons pas les risques, mais nous créons un réseau de sécurité. Depuis que vous avez dit ça, je me suis demandé ce qu'il faudrait mettre en œuvre pour établir ce réseau de sécurité.

Mme Cyr : Eh bien, le concept de risque et de réseau de sécurité, d'abord, le risque découle de la victimisation. Il force les femmes à rester dans ces endroits. Les réseaux de sécurité sont des éléments comme la famille élargie, les voisins, les fournisseurs de services communautaires, d'autres gestionnaires de cas et d'autres systèmes dans lesquels la femme se trouve au centre du dispositif. Quand un grand nombre de nos femmes quittent des logements de transition, des foyers de transition ou des centres de toxicomanie, nous savons qu'elles perdent des services. Nous savons que souvent, les femmes qui se trouvent dans une position très vulnérable ont de la difficulté à défendre leur cause. Ces femmes finissent par passer entre les mailles du filet, surtout dans le cas des grands établissements d'enseignement ou des services à l'enfance et à la famille. Ces systèmes sont vastes et l'on n'y défend pas la cause des femmes. Nous avons vu des femmes tomber dans un cycle chronique : la femme se trouve dans une relation violente dans sa famille ou avec un conjoint intime, il arrive qu'on lui retire ses enfants parce qu'elle a contre elle d'autres mandats ou ordonnances, ou alors il y a un mandat de protection si son conjoint vit encore avec elle. Logement Manitoba finit par l'expulser. Le PAER finit par mettre fin à ses services. Cette femme se retrouve sans abri et cherche nos services. On part du fait que cette femme est à risque, au lieu de rassembler des gens dès le début pour lui offrir des réseaux de sécurité. Ils ne doivent pas nécessairement tous être des fournisseurs de soins, ils s'agir de grand-mamans. Il faut que nous commencions à demander leur aide, parce que même si les femmes nous sont envoyées par les services correctionnels, par les Services à l'enfant et à la famille, ce que nous voyons c'est qu'elles cherchent des ressources communautaires.

C'est la même quête d'appartenance qui pousse les femmes à se joindre à des gangs, c'est parce qu'elles n'ont pas le sentiment d'appartenir à un groupe et qu'elles n'ont pas de réseaux de soutien dans leur vie ou dans leur famille. Il s'agit de rebâtir ces réseaux. Il faudrait changer les politiques. Regardez simplement la protection de l'enfance, ce qui gravite autour de l'article 76 de la loi, la confidentialité, les services correctionnels et les cotes de sécurité nécessaires à la communication d'information. Les services sont « cloisonnés ». J'ai quatre enfants et je vis dans une région du Nord, ils me considéreraient comme étant à risque élevé. J'ai des adolescents et je dois les défendre, et je suis très active. Je ne peux pas imaginer faire face à une multitude de problèmes tout en m'occupant de mes tâches quotidiennes.

Il y a une pilule à avaler que nous baptisons aussi de sainte trinité, soit la maîtrise de la colère, le traitement des toxicomanies et le parentage. On vous prend vos enfants et on s'attend à ce que vous continuiez à être de bons parents. On sépare les familles et on s'attend à ce qu'elles fonctionnent bien si elles avalent la pilule. C'est vraiment un point de vue du passé. Il perpétue des situations qui se reproduisent depuis des générations. L'idée et le concept d'élaboration de réseaux de sécurité reposent sur le rassemblement de tous ces soutiens et ressources avec la femme au centre du dispositif de cas, puisqu'on lui permet, à elle aussi, de contrôler le dispositif. Nous pouvons certainement discuter de cela. J'ai écrit, et même publié, des articles sur cela avec une collègue. Il est question d'indicateurs de succès et de sécurité ainsi que d'aménagement des conditions de sécurité et de réseautage de sécurité.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup. Ce que vous avez dit aujourd'hui restera imprimé dans nos mémoires. Je pourrais vous poser beaucoup d'autres questions, mais le temps file. Quand je vous ai vus assis ici tous les cinq, et je vous dis cela en toute humilité, le lourd fardeau que vous portez en notre nom m'est apparu.

Je vais vous raconter une petite histoire. Lors des Olympiques dans ma province, à Whistler, Vancouver, on a tenté d'empêcher la traite des femmes d'Europe de l'Est à destination de Vancouver. Vous savez que les Olympiques traînent dans leur sillage des hommes et des femmes dont on fait le commerce pour assouvir le plaisir nocturne des hommes. Nous avons réussi et nous en étions fiers. Par la suite, on a vu que les filles venaient des réserves et qu'on avait laissé tomber des filles de notre propre pays. Je sais par conséquent que je parle au nom de tous les membres du comité quand je vous remercie de tout le travail que vous accomplissez. Nous avons tous une lourde tâche à remplir. Évidemment, le dialogue va se poursuivre.

Le vice-président : Au nom du comité, je tiens à tous vous remercier de l'exposé que vous avez livré cet après-midi. Il a été très limpide et votre table ronde fut l'une des meilleures à ce jour. Félicitations et encore merci.

Maintenant, devant nous, il y a deux personnes qui demandent à faire une déclaration. Nous souhaitons la bienvenue à messieurs Elliott Cobiness et Robert Kakaygeesick Junior.

Messieurs, on m'a dit que vous souhaitiez faire une déclaration. Je vous cède donc la parole.

Robert Kakaygeesick Jr., Buffalo Point First Nation : Merci beaucoup. Je viens de Buffalo Point, une réserve du Manitoba. Parce que ce comité traite des droits de la personne, je souhaite porter à son attention les abus dont nous sommes victimes de la part des personnes à la tête de Buffalo Point.

J'ai ici un paquet pour chacun des sénateurs. J'aimerais partager cela avec vous. J'ai d'autres informations et, s'il y a lieu, je pourrai vous les communiquer par télécopieur pour que vous les étudiiez et pour que vous formuliez des recommandations pour résoudre la situation que nous vivons. Actuellement, c'est la filiation qui est déterminante, mais il n'y a pas de sang autochtone chez ces gens-là. Donc, à mon avis, parler de « filiation », c'est une injure. S'il n'y a pas de lignée, il n'y a pas de filiation. Des documents en notre possession étayent nos dires.

J'aimerais que ce comité, s'il le peut — et je suis sûr que vous pouvez —, recommande au ministre des Affaires indiennes, des Affaires autochtones, d'instituer des élections selon la coutume. C'est ce qui existait auparavant et ça fonctionnait merveilleusement. L'année 1969 marque l'ultime fois où une élection selon la coutume a été convoquée, et actuellement c'est la filiation paternelle, un pouvoir transmis de père en fils. C'est une des raisons pour lesquelles je suis devant vous, et je veux vous mettre au courant.

J'ai expédié des lettres par la poste et par télécopieur au ministre, mais je n'ai reçu aucune réponse. Je ramasse mon courrier tous les jours. J'aimerais que les sénateurs le mettent au courant. C'est ce que je veux. Après tout, vous avez le pouvoir de recommander et nous comptons sur vous.

La bande compte beaucoup de membres. Nous sommes 104 ou 105, je ne suis pas sûr du chiffre exact. Les décisions se prennent sans l'avis des membres de la bande. C'est ce qui se passe maintenant.

J'aimerais donner la parole à M. Elliott Cobiness pour qu'il en fasse un résumé. Nous souhaitons vous rencontrer après, peut-être en privé, parce qu'on en a long à dire. Merci.

Elliott Cobiness, Buffalo Point First Nation : Je m'appelle Elliott Cobiness et je viens de Buffalo Point. Je me présente devant vous aujourd'hui pour dénoncer l'aliénation de nos droits fondamentaux. Nous avons des aînés. La plus âgée a 91 ans et elle n'a jamais eu le droit de voter une seule fois dans sa vie. Nous voulons simplement nous faire connaître, obtenir qu'une sorte de motion soit mise de l'avant pour, comme le disait Robert, favoriser une élection selon la coutume à Buffalo Point. C'est à cause de toute l'injustice qui règne là-bas, la dictature, vous savez. C'est juste fondamental, aucun droit, quel qu'il soit. Nous aimerions proposer que le Sénat mette de l'avant une élection démocratique à Buffalo Point. Merci.

Le vice-président : Merci beaucoup à vous deux pour vos déclarations. Évidemment, je ne connais pas tout le dossier, donc je ne suis pas en mesure de commenter. Cependant, vous avez mentionné que la communauté avait l'habitude de procéder à des élections selon la coutume.

M. Kakaygeesick : Oui.

Le vice-président : Maintenant, c'est selon la filiation. Pouvez-vous préciser depuis combien de temps c'est comme ça, si cette pratique est essentiellement nouvelle ou si elle existe depuis plusieurs années?

M. Kakaygeesick : Les choses ont changé en 1969. Cette famille en a fait une affaire de filiation. Je ne connais pas toute l'histoire, mais les aînés et d'autres membres de la communauté pourraient préciser les choses.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que ça a commencé en 1969 et que depuis, nous n'avons plus aucun droit. Comme Elliott vous l'a dit, on nous a enlevé un certain nombre de droits. J'ai vécu à l'extérieur de la réserve pendant un bout de temps, pendant la majeure partie de ma vie. Je suis dans la réserve depuis près de 20 ans. Maintenant, je considère que nous n'avons plus aucun droit, quand je suis dans la réserve maintenant. La Première nation n'emploie aucun Autochtone, aucune personne membre des Premières nations. Personne. Savez-vous ce qui nous fait vivre? Nous dépendons de l'aide sociale. Nous sommes tous aptes à travailler, en tant qu'être humain. Je veux travailler, j'ai plus de 60 ans. Je ne vais pas cesser de travailler. C'est un droit en tant qu'être humain. J'ai des droits dans cette réserve et je veux les retrouver. S'il faut faire appel au ministre pour y arriver, c'est ce que je veux faire, non seulement pour moi, mais aussi pour mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants, qui vont habiter là, qui vont gagner leur vie là. Je ne veux pas qu'ils soient sous la coupe des mêmes personnes qui me briment moi, mon père et ma mère. Ma mère n'a jamais voté, et on ne le lui a jamais demandé. Ils disent qu'elle n'est pas membre de plein droit, mais elle l'est, tout comme moi. Ils disent que mes frères et sœurs ne font pas partie de la bande. Ce sont eux qui décident qui en fait partie.

Je sais qu'ils n'ont aucune lignée. Ils disent qu'ils ont un degré de parenté d'un seizième. Qu'est-ce que c'est que ça, la grosseur d'un ongle? Après tout, si cet homme est Hollandais par filiation, pas de problème, c'est super. Je suis Ojibway. Je suis Ojibway de père et de mère, et j'en suis fier. C'est comme si vous étiez dans une situation critique, que vous étiez sous la coupe de quelqu'un, et ça affecte votre santé. L'anxiété s'installe, avec toutes ces incertitudes.

Vous ne savez pas ce qui va se produire, ce qu'untel va faire ou ce que sera cette réunion du conseil tribal... vous n'en avez aucune idée. Les gens ne devraient pas être comme ça, ils ne devraient pas être obligés de vivre comme ça. Ce dont la bande a besoin, c'est de ce processus électoral, les élections selon la coutume. Nous sommes un peuple traditionnel qui vit là et nous ne renoncerons jamais à ça. Nous sommes très fiers de qui nous sommes. Nous avons des différends, mais c'est bien. C'est la concurrence et la concurrence, c'est toujours bon. Nous ne voulons pas vivre sous une dictature. Est-ce que ça répond à votre question?

Le sénateur Harb : Il est évident que vous traversez une période très difficile et nous y sommes sensibles. Nous aimerions beaucoup obtenir les documents que vous avez en main et tout autre que vous pourriez avoir.

M. Kakaygeesick : Nous vous les ferons parvenir.

Le sénateur Harb : Toute autre information sur la question nous intéresse beaucoup.

M. Kakaygeesick : Merci.

Le vice-président : Merci à vous deux pour l'information communiquée. Nous avons écouté et nous avons entendu. Bien sûr, il nous faut un peu de temps pour l'étudier et l'absorber. Un des objectifs de ces audiences et de l'étude consiste à examiner la discrimination présente partout au pays. Cela parce que les Premières nations sont dignes de leurs droits. C'est ça que nous faisons.

Merci beaucoup à vous deux.

M. Cobiness : Merci beaucoup.

Le vice-président : Avant de lever la séance, je veux rappeler à l'assistance que nous serons de retour à 19 heures pour entendre un dernier groupe de témoins. Ensuite, nous donnerons la parole aux personnes qui souhaitent formuler des observations durant trois minutes. Les personnes qui veulent le faire doivent simplement remplir le registre qui se trouve sur le bureau à l'arrière de la salle.

(La séance est levée.)


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