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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 19 - Témoignages du 19 novembre 2012 (réunion du soir)


WINNIPEG, le lundi 19 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 19 heures pour étudier des questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel.

Le sénateur Patrick Brazeau (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous accueillons six témoins ce soir : M. Jack Park, de la Manitoba Association of Friendship Centres; M. Greg Fidler, président et Mme Anita Campbell, directrice exécutive du Ma- Mow-We-Tak Friendship Centre. Nous accueillons aussi M. Jim Sinclair, de l'Indian and Metis Friendship Centre of Winnipeg.

Monsieur Park, vous avez la parole.

Jack Park, président, Manitoba Association of Friendship Centres : Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion de vous présenter le mouvement des centres d'amitié du Manitoba.

Je tiens d'abord à vous remercier d'être venus au premier centre d'amitié au Canada, l'IMFC de Winnipeg, qui a offert 52 ans de service à la collectivité de Winnipeg.

Si cela vous convient, monsieur le président, nous avons décidé de lire un rapport écrit. Je partagerai cette responsabilité avec Adam Blanchard, mon directeur exécutif, et Greg Fidler qui agit comme deuxième vice-président de notre organisme. Je commencerai par une brève introduction.

À la Manitoba Association of Friendship Centres, communément désignée du sigle MAC, nous sommes reconnaissants d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité sénatorial dans le cadre de votre étude des questions concernant les droits de la personne des Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, notamment la résidence, l'exercice des droits, la participation aux processus décisionnels communautaires, la transférabilité des droits et les recours disponibles.

La MAC est un organisme sans but lucratif. Elle a été créée en 1971 par un collectif de 11 centres d'amitié du Manitoba afin de permettre à ceux-ci de parler d'une seule voix en vue d'aplanir les obstacles à l'amélioration du sort des Autochtones qui migrent des milieux ruraux et des réserves vers des milieux urbains.

Je vais vous présenter notre raison d'être, en cinq points. Le premier est de servir d'organe de facilitation centralisé au moyen duquel les communications et le flot des idées seront favorisés; le deuxième, de promouvoir une compréhension plus approfondie de la culture, de l'importance historique et du rôle de prestation de services des centres d'amitié au Manitoba ainsi que du patrimoine et des contributions exceptionnels des peuples autochtones au sein de la population canadienne dans son ensemble; le troisième, se faire le porte-parole des centres d'amitié à l'égard de problèmes communs qui touchent leur collectivité et leur population; le quatrième, servir d'organe administratif centralisé au moyen duquel les programmes, les services, les politiques et la gouvernance peuvent être coordonnés, exécutés et mis en œuvre, en veillant à la responsabilité financière, la mesure et la responsabilisation à l'égard de nos résultats; et le cinquième et dernier, établir des partenariats qui offrent des possibilités de régler les problèmes auxquels les Autochtones en milieu urbain font face.

Depuis plus de 40 ans, la Manitoba Association of Friendship Centres a créé et mis en œuvre des processus administratifs et analytiques rigoureux, objectifs et bien documentés pour sa clientèle et ces processus font régulièrement l'objet de contrôles, d'examens et validations de la part de la province du Manitoba, de notre conseil d'administration et de l'Association nationale des centres d'amitié. Les membres de la MAC sont devenus des chefs de file reconnus en matière de programmes d'emploi, de soins de santé, de services à la famille, de promotion de la culture et d'éducation au Manitoba, obtenant même de meilleurs résultats que plusieurs initiatives financées par la province. La province du Manitoba leur a récemment octroyé le statut d'« organismes exemplaires » leur donnant droit à un allégement des exigences administratives en matière de présentation de rapports à la province.

Collectivement, les centres d'amitié du Manitoba possèdent une base d'actifs d'une valeur de 17 908 349 $ en infrastructures et en biens, d'après les états financiers vérifiés au 31 mars 2012. Le financement annuel des programmes généré par les 11 centres d'amitié au Manitoba et par la MAC représente 17 233 301,93 $ dans le même exercice.

Je passe la parole à Greg.

Greg Fidler, président, Ma-Mow-We-Tak Friendship Centre : Je vais vous fournir des renseignements généraux sur le mouvement des centres d'amitié.

La création des centres d'amitié il y a 50 ans revêt une importance historique exceptionnelle à l'égard de la revendication, de l'évolution et de l'enseignement des droits des Autochtones au Canada. Les centres d'amitié sont issus de groupes locaux d'Autochtones qui affirmaient leur droit à migrer des réserves vers des milieux urbains et à jouir d'un accès égal à des possibilités. Leur mouvement et leurs interventions ont fait prendre conscience aux Autochtones d'ici que leur culture et leurs traditions pourraient être intégrées dans des services d'éducation et de logement, des programmes et des activités.

À une époque où les États-Unis étaient aux prises avec des problèmes liés à la revendication de droits civils pour les populations afro-américaines, les Autochtones prouvaient leur capacité à défendre leur culture et à se tailler dans la société canadienne une place égale à celle de tous ses autres membres. Le changement est survenu grâce à la formation de collectifs qui ont réclamé la maîtrise de leur destin et la reconnaissance de leur capacité à gérer leurs propres affaires.

Il existait plusieurs organismes à la fin des années 1950 et au début des années 1960, mais les centres d'amitié étaient le seul groupe à se donner pour mission d'acquérir des actifs, de fournir des services, de veiller au développement durable et de militer à titre non représentatif pour trouver des solutions aux problèmes auxquels leurs collectivités urbaines faisaient face en aidant les Autochtones qui migraient des réserves vers les milieux urbains à faire la transition afin d'améliorer leur qualité de vie. Cette quête a engendré un réseau sans pareil de services, de personnel, d'infrastructures, de politiques et de pratiques. Il s'est maintenu depuis plus de trois générations en procurant un environnement social de confiance, psychologiquement confortable et culturellement pertinent. Les gens s'entraident pour régler les problèmes et surmonter les angoisses inhérentes à la discrimination, à la pauvreté et à l'aliénation vécues dans les milieux urbains. Ils reçoivent de l'aide pour planifier leurs études et leur carrière et participer à la société canadienne tout en préservant leur intégrité culturelle.

Depuis les débuts, les centres d'amitié ont évolué et ils ont engendré des générations de dirigeants et d'organismes politiques, sociaux et communautaires autochtones. De nos jours, les centres d'amitié offrent de nombreux programmes et services, de nombreuses possibilités aux Autochtones, et surtout aux jeunes et aux anciens Autochtones, et ils continuent de fonder leurs actions sur les principes de la responsabilisation, de la culture et de la compréhension. Aujourd'hui, les centres d'amitié sont devenus des militants pour l'accès à l'éducation et à des possibilités socioéconomiques et ils demeurent engagés à être au service de tous, peu importe la race, pour améliorer leur collectivité. Les centres d'amitié figurent parmi les fournisseurs de services aux Autochtones les plus anciens et les plus efficaces et demeurent la source de la culture et de l'histoire autochtones et le trait d'union avec celles-ci et ce, pour la plupart des peuples autochtones au Canada, comme en témoignent de nombreux rapports et évaluations. Nous croyons que les collectivités jouissent de droits inhérents à assumer la pleine maîtrise de tous les projets ou programmes les concernant.

Les droits en vigueur dans les réserves garantissent la jouissance à perpétuité de certaines terres et des droits de chasser et de pêcher, mais les membres de la population autochtone de plus en plus urbaine, par suite des scénarios de migration des réserves, jouissent des droits que leur confère la Charte canadienne des droits et libertés. Les centres d'amitié les aident dans cette autodétermination, ils leur offrent des services pour les aider à se familiariser avec ces droits en tant que citoyens du Canada de même que pour s'en prévaloir et les faire valoir.

L'accroissement des populations autochtones urbaines, et surtout des jeunes Autochtones urbains, engendre bien des possibilités et des défis pour le Canada. Les jeunes Autochtones qui vivent dans des milieux urbains hésitent à utiliser les services réguliers, préférant plutôt s'adresser aux organismes communautaires autochtones comme principaux fournisseurs de services et, dans certains cas, comme intermédiaires avec les services réguliers et les initiatives gouvernementales. Cette réticence découle en grande partie de l'héritage historique de la discrimination envers les Autochtones et de l'aversion pour les institutions créées par les répercussions durables que les pensionnats pour Indiens ont eues sur les générations précédentes.

Je vais donner la parole à Adam.

Adam Blanchard, directeur exécutif, Manitoba Association of Friendship Centres : Je suis le directeur exécutif de l'association. Je vais paraphraser ma partie, je pense.

J'ai l'impression que nous nous inspirons davantage d'une approche historique de reconnaissance à l'égard de la longévité des centres d'amitié et des politiques et programmes qu'ils ont élaborés sur cette période. J'ai pu retrouver les critères et les lignes directrices en vigueur depuis 1961. En examinant le portrait provincial ou régional des centres d'amitié, je constate que nous jouissons d'une confiance inhérente au sein des collectivités à cause de l'aspect générationnel, en ce sens que notre grand-mère a probablement fondé l'endroit et notre mère a participé à la programmation et aujourd'hui, nous participons au centre d'amitié local à cause de cette confiance. Nous avons constaté que les institutions qui offrent des programmes adaptés aux Autochtones se sont tournées vers nous pour établir un partenariat, créer une relation et apprendre ce qu'implique la prestation de services adaptés à la culture.

De façon générale, nous nous efforçons de donner autant de valeur et de participation à la société canadienne que nous le pouvons au moyen de nos programmes et activités éducatives et non forcément de prétendre représenter ces personnes. Notre intention est davantage de les aider à connaître et à faire valoir ces droits. Nous estimons que ces valeurs les aident à naviguer un peu mieux dans le paysage urbain. Nous avons de nombreux partenaires. Nous avons tissé de nombreux réseaux au fil du temps.

Bon nombre des directeurs exécutifs en poste au Manitoba sont là depuis environ 38 à 40 ans. Il y a là une mémoire organisationnelle, voire historique, utile pour établir des relations. Nous faisons aussi beaucoup de recherches avec l'Université du Manitoba. La plupart de nos programmes sont très élaborés : ils sont assortis de lignes directrices bien pensées, de mesures administratives bien définies, de normes de responsabilisation rigoureuses. Je trouve que la charge de produire un lot de rapports et ce genre de choses a été vraiment lourde, pour ce qu'elle est, mais en même temps, je mesure l'importance de rendre des comptes à l'égard de fonds publics.

Il reste encore beaucoup de travail. Nous avons obtenu beaucoup de succès et j'encourage clairement tout le monde à jeter un coup d'œil sur ce succès historique, sur l'importance historique des centres d'amitié dans le contexte d'un mouvement de revendication des droits civils autochtones à partir des années 1960.

Quant au travail qui nous attend, nous avons observé l'accroissement des populations autochtones urbaines. D'après la plupart des prévisions, cette tendance va très bientôt s'intensifier. Nous n'offrons pas grand-chose explicitement pour les adolescents. Par rapport au marché du travail, nos programmes provinciaux sont très en avance sur ce qui se fait dans le contexte fédéral, en ce sens que nous administrons depuis les 12 dernières années des programmes d'emploi provinciaux qui ont dépassé la plupart des attentes.

Nous n'avons pas beaucoup de données probantes ni d'études sur les politiques. Nous y travaillons, par exemple avec le Réseau de savoirs sur les Autochtones vivant en milieu urbain, des universités, des chercheurs et des universitaires. Nous commençons enfin à prendre conscience qu'il existe une lacune importante en matière de politique pour les Autochtones en milieu urbain.

Nous nous renseignons auprès de différentes institutions, comme l'Institut Vanier, à la grandeur du Canada. Toutes les projections concordent : le marché du travail des jeunes Autochtones verra arriver 400 000 jeunes dans la population active d'ici 2020. Nous savons donc qu'il y a un réel besoin d'assurer la participation des jeunes à des programmes d'amélioration de l'employabilité ou d'acquisition de compétences.

Les centres d'amitié ont besoin de beaucoup de choses qui, croyons-nous, faciliteraient la transition des Autochtones hors réserve et leur permettraient de participer à la société canadienne et à des programmes communautaires adaptés à leurs besoins. Une de ces choses concerne la prestation de nos services, en ce sens que nous avons la lourde responsabilité de servir nos membres dans les réserves; puis arrivent des choses comme l'arrêt Corbière, qui dit que nous sommes entièrement responsables de fournir aussi des services hors réserve, sans avoir pour autant l'infrastructure nécessaire. Notre infrastructure est là, notre cadre de responsabilisation est là. Il suffirait simplement de les renforcer, ou de les soutenir, ou du moins d'en reconnaître la contribution, pour nous aider.

Nous avons de grands déficits technologiques. Je suis un peu plus jeune que les autres et j'aime moderniser les choses. Afin de satisfaire aux exigences de la province en matière de rapports, nous avons mis en place un mécanisme de déclarations en ligne qui fonctionne très bien. Il y a des façons simples de communiquer sans se déplacer et d'éviter ainsi des coûts grâce à des choses comme Skype. Il suffit de familiariser graduellement les gens avec ces outils, de leur enseigner à les utiliser. Des membres de mon conseil d'administration sont relativement âgés et ne connaissent rien aux ordinateurs. Nous aurions donc besoin de les familiariser avec la technologie.

Le financement de nos programmes n'a pas été rajusté depuis au moins dix ans pour tenir compte de l'inflation, ce qui ne peut faire autrement qu'avoir des conséquences puisque les coûts d'il y a dix ans étaient relativement faibles comparativement aux affectations budgétaires.

Le soutien à l'analyse de nos politiques — je le rappelle, nous avons de grandes lacunes en matière de politiques — est compromis parce que trop peu de spécialistes se penchent sur le problème, ou analysent le problème dans un contexte historique.

Il y a aussi le renouvellement des immobilisations. Le mouvement a fondé ses assises, pour ainsi dire, sur l'acquisition d'actifs et l'édification d'une infrastructure pour servir sa clientèle. Cette infrastructure est au bord de l'effondrement. Tous ces éléments ont 30 ans. En ce qui concerne les édifices, nous dépensons beaucoup simplement pour entretenir des installations comme celle-ci à la grandeur de la province. Il faudrait aussi tenir compte de ces facteurs en arrêtant l'enveloppe budgétaire des programmes financés par le gouvernement du Canada. Les dépenses d'immobilisations n'ont tout simplement pas augmenté ou n'ont pas été prises en compte depuis au moins dix ans.

Nous observons des accroissements des populations autochtones urbaines. Les écarts deviennent évidents à l'examen des mesures de la disparité et du marché du travail, c'est-à-dire des indices de disparité. Nous voyons des écarts entre non-Autochtones et Autochtones, surtout dans les villes. Alors que la proportion d'Autochtones en milieu urbain augmente, nous constatons encore que leur niveau de revenu demeure inférieur à 40 000 $ par an. Nous aimerions créer une classe moyenne autochtone très dynamique et saine. Ce n'est pas ce que nous observons. Nous croyons pouvoir aider sous ce rapport en offrant des possibilités aux Autochtones.

J'ai acquis une très grande expérience des relations raciales à la Fondation canadienne des relations raciales. Il me semble très clair que nous sommes le mouvement pour les droits civils des Autochtones du Canada, sans l'aspect représentatif. En fait, nous représentons nos services et nous servons tous ceux qui entrent dans un centre d'amitié et nous leur offrons au moins les processus de même que l'éducation nécessaire pour assumer la gouvernance ou y participer et gérer leurs propres programmes adaptés aux besoins de leur collectivité. Je suis heureux d'avoir travaillé pour de nombreux organismes autochtones. Je mesure vraiment l'importance de la reddition de comptes dans ce que nous faisons, l'aspect financier de ce que nous faisons et l'observation des exigences en matière de rapport, surtout compte tenu de la longévité que nous avons. Nous avons un réseau très solide à la grandeur du Canada. Certaines régions s'en tirent mieux que d'autres, mais en général, nous nous entraidons, en mettant en commun nos pratiques exemplaires, en cernant ce qui fonctionne pour certaines collectivités, ainsi que les difficultés. Je suis convaincu que nous avons une base historique, une confiance historique et psychologique, l'infrastructure et le personnel. Nous nous occupons d'à peu près tout. Au fil du temps, nous avons donné naissance à presque tous les leaders autochtones au Canada, que ce soit parce que des chefs fréquentaient un centre d'amitié dans leur jeunesse, ou autre chose. Nous nous apercevons que notre histoire a beaucoup plus d'importance que nous le pensions et nous constatons qu'elle commence à nous rattraper. Nous sommes résolus à servir la population et à faire valoir pour elle son droit à l'autodétermination, ou à l'aider à le faire.

Pour conclure, je crois fermement que nous possédons le savoir-faire, l'infrastructure, l'administration et les mécanismes de responsabilisation nécessaires pour offrir des services aux Autochtones afin de les aider à connaître leurs droits et à les faire valoir. J'ai entendu plus tôt que pour 8 $ de financement octroyés aux réserves, il n'y a qu'un dollar de financement hors réserve. Nous avons tendance à prendre ce dollar et à le transformer en 8 $. Nous sommes très efficaces dans ce que nous faisons. Je crois sincèrement que l'établissement de la culture et de la tradition est un peu la pierre angulaire de notre mouvement, et tant que ce sera le cas, nous aurons la confiance de notre clientèle.

Je laisse Jack conclure notre déclaration et je vous remercie de l'occasion que vous nous offrez.

M. Park : Pour conclure, nous encourageons le Sénat à formuler des recommandations au gouvernement du Canada et aux provinces en s'inspirant des recommandations que nous avons présentées plus tôt et sur le renforcement du rôle et des ressources des centres d'amitié à la grandeur du Canada, tout en reconnaissant la contribution exceptionnelle et historique du mouvement des centres d'amitié dans le dossier des droits de la personne au Canada. Vu l'accroissement de la population autochtone urbaine, le soutien accordé pour régler les grands problèmes sociaux et économiques que cette croissance engendrera devrait aussi augmenter en parallèle. Il faudra préserver les droits des Autochtones, leur identité et leur accès à des services et les Autochtones devront exercer leur autonomie en participant à leurs propres processus.

Je vous remercie.

Anita Campbell, directrice exécutive, Ma-Mow-We-Tak Friendship Centre : Bonsoir. Je suis Anita Campbell, la directrice exécutive du Ma-Mow-We-Tak Friendship Centre à Thompson, au Manitoba. J'occupe ce poste depuis un peu plus de 19 ans. On m'a demandé de donner un bref aperçu du centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak et des programmes et services que nous offrons aux Autochtones, surtout aux membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves.

Depuis 1976, le centre Ma-Mow-We-Tak aide des Autochtones à faire la transition de la vie dans la réserve ou la collectivité à la vie urbaine de Thompson.

Le vice-président : Veuillez m'excuser, madame Campbell, mais pourriez-vous ralentir un peu pour nos interprètes?

Mme Campbell : On m'a dit que j'avais cinq minutes. Vous n'avez pas idée à quel point je suis excitée de pouvoir vous parler de mon centre d'amitié.

Il fonctionne à titre d'organisme sans but lucratif en accord avec la politique établie par le conseil d'administration. Le centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak offre des programmes et des services à tous les groupes d'âge, des nourrissons aux personnes âgées, dans un contexte formel ou informel. Son effectif compte plus de 50 employés. Le conseil d'administration bénévole est composé de membres de la collectivité, en majorité des Autochtones, soit environ 8 des 11 administrateurs élus par l'assemblée générale annuelle.

Le centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak élabore lui-même ses programmes et ses services afin de satisfaire aux besoins des Autochtones en milieu urbain, tout en maintenant une politique de la porte ouverte de sorte que tous sont bienvenus. Notre organisme est communautaire, en ce sens qu'il satisfait aux besoins exprimés par la collectivité, en particulier ceux des membres de la population cible ou des utilisateurs de nos programmes et services. Les programmes et services offerts au centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak sont spécialement conçus pour satisfaire aux besoins éducatifs, culturels, sociaux, récréatifs et professionnels des Autochtones. Les programmes et les services sont élaborés en fonction des lacunes ou des besoins recensés dans la collectivité.

Nous avons aussi établi de nombreux partenariats avec d'autres agences, organismes et groupes du Nord pour aider à maintenir et offrir des programmes et des services. Conformément à notre plan organisationnel, nous avons achevé la construction d'un nouveau centre d'amitié de 20 422 pieds carrés le 31 mars 2011. Il abrite tous nos programmes et services sous un même toit ce qui crée un système de prestation directe des services efficace et efficient. Les nouvelles installations du centre d'amitié nous aideront à répondre à la demande accrue pour offrir d'autres programmes et services nécessaires dans la ville de Thompson et dans les collectivités voisines. En plus d'améliorer l'efficacité du mécanisme de prestation du centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak, la prestation de nos programmes et services sous un même toit fournira aux membres autochtones et non autochtones de la collectivité un guichet d'accès unique pour recevoir de l'aide afin de satisfaire à leurs besoins particuliers, surtout pour les personnes à mobilité réduite, comme les personnes âgées ou les personnes handicapées.

Le centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak est propriétaire de l'édifice qui l'abrite, mais aussi de plusieurs autres propriétés dans la ville de Thompson. Nous avons rénové notre emplacement principal, où se trouvaient les bureaux et les services d'hébergement du centre d'amitié. Nous avons ajouté 14 chambres, pour un total de 28 chambres et de 44 places. Nous pouvons ainsi satisfaire à la demande accrue à laquelle nos services d'hébergement font face.

En plus de fournir des services de repas et d'hébergement à court terme à des Autochtones qui viennent des collectivités voisines pour se faire soigner ou aller à des rendez-vous, et cetera, ce projet de rénovation a aussi répondu aux besoins de transition à long terme de personnes qui arrivent dans notre collectivité pour différentes raisons, par exemple trouver un emploi ou poursuivre leurs études. Les rénovations ont été achevées le 1er juin 2011. La propriété du 23 Station Road, un ancien édifice à bureaux, a été vendue le 1er juin. Nous avions formulé le projet d'en faire une maison d'habitation pour les 55 ans et plus, mais nous n'avons pas réussi à trouver le financement nécessaire et nous avons dû vendre la propriété. Les produits de la vente ont été placés dans un compte à intérêts élevés jusqu'à ce qu'un plan obtienne l'approbation du conseil d'administration et de la collectivité.

La propriété du 23 Beaver Crescent est en voie d'être transformée en une garderie agréée du nom de Mini Muks Daycare. Dans le cadre de la stratégie pour les Autochtones en milieu urbain, le gouvernement provincial et la ville de Thompson ont approuvé notre demande de financement d'immobilisations. En plus des rénovations, nous avons amorcé l'élaboration de nos politiques et procédures en vue d'accueillir 50 enfants en tout — quatre bébés, 32 enfants d'âge préscolaire et 14 enfants d'âge scolaire. L'ouverture est prévue pour le 31 mars 2013.

Nous avons aussi des logements, les Fox Bay Dens, qui accueillent des étudiants et leurs familles. Il y a encore une pénurie de logements abordables, convenables et accessibles à Thompson, mais nous croyons que ces unités d'habitation ont apporté un certain soulagement aux étudiants qui veulent poursuivre des études postsecondaires à Thompson.

Nous avons récemment reçu la visite d'une sous-ministre adjointe du gouvernement du Canada dans notre nouveau centre d'amitié. Elle s'est dite impressionnée par notre nouveau centre et le fait que nous n'ayons pas oublié notre objectif original d'offrir des services de première ligne à la population. Nous continuons de fournir des services et des programmes tels New Beginnings, A Connection For Aboriginal Children, le Northern Circle of Youth, Partners for Careers, des services d'aide à l'emploi, des cours de formation de base pour adultes, le centre parents-enfants, des services d'emploi pour les jeunes, des programmes destinés aux personnes âgées, des cercles de guérison et de partage, des services d'aiguillage et de représentation, de l'aide au logement et à la préparation de déclarations de revenu et l'exécution d'ordonnances de travaux compensatoires et de services communautaires, pour n'en nommer que quelques- uns. Nous disposons maintenant de l'espace qui nous permettra d'offrir un jour d'autres programmes et services.

L'an dernier, nos 13 programmes ont servi 4 374 Autochtones, dont 3 616 membres de Premières nations, 403 Métis, 146 Indiens non inscrits et 190 autres personnes qui n'ont pas voulu préciser leur statut. En outre, nous avons fait 50 664 aiguillages au cours de l'exercice 2011-2012.

Pour vous faire le portrait de notre collectivité, je dirais que la ville de Thompson est située dans la région de Burntwook dans un coin isolé du Nord du Manitoba, la cinquième plus grande ville de la province avec une population d'environ 12 829 habitants. Thompson est située à 750 kilomètres au nord de la grande ville la plus proche, Winnipeg. On la surnomme le « Carrefour du Nord » et à ce titre, les habitants des collectivités nordiques éloignées, principalement des Autochtones, comptent sur la possibilité d'obtenir des services à Thompson, notamment des soins de santé et des services dentaires, d'éducation, de formation, d'assurance et d'emploi ainsi que des services juridiques et financiers. Ils peuvent aussi y faire leurs emplettes. En 2006, avec 4 930 habitants autochtones, la ville de Thompson affichait la plus forte proportion d'Autochtones dans sa population que toute autre ville au Canada, soit 36 p. 100. Les jeunes de moins de 25 ans représentent 57 p. 100 de la population autochtone dans son ensemble.

Les Premières nations constituent le groupe autochtone le plus représenté à Thompson. En 2006, 3 300 habitants de Thompson s'étaient identifiés comme membres d'une Première nation, soit les deux tiers, ou 67 p. 100, de la population autochtone de la ville. Parmi ceux-ci, une forte majorité, 93 p. 100, ont déclaré avoir le statut d'Indien visé par un traité ou d'Indien inscrit au sens de la Loi sur les Indiens du Canada. La population des Premières nations de Thompson a augmenté de 13 p. 100 sur cette période, tandis que la population métis a augmenté de 10 p. 100.

Les besoins des Autochtones vivant en milieu urbain sont nettement plus grands dans la ville de Thompson et ses environs que dans la plupart des autres régions ou collectivités du Manitoba. Des statistiques révèlent des pourcentages plus élevés de familles à faible revenu et monoparentales parmi les familles autochtones urbaines. En soi, cette statistique pourrait avoir de graves implications puisque le fait de vivre dans la pauvreté réduit les possibilités d'éducation et de loisir et peut vouloir dire que les besoins de base ne sont pas toujours satisfaits en conséquence.

Au fil des ans, le centre d'amitié Ma-Mow-We-Tak a beaucoup grandi et s'est taillé une place de chef de file dans la collectivité à force de respect, de responsabilité et de responsabilisation. Ce résultat est dû au travail acharné de nos administrateurs bénévoles et de notre personnel et à l'immense appui que nous avons réussi à obtenir de la collectivité.

Je tiens à vous remercier de l'occasion que vous m'offrez. J'espère vous avoir présenté un portrait fidèle. J'ai essayé d'être sélective en ce qui a trait à l'information et au thème abordé ce soir. Merci de m'avoir donné l'occasion de vous adresser la parole.

Le vice-président : Merci madame Campbell, votre déclaration était précise et concise, cela ne fait aucun doute.

Nous donnerons maintenant la parole à notre dernier intervenant, mais non le moindre, notre hôte ce soir, M. Jim Sinclair, directeur exécutif du centre d'amitié où nous nous trouvons.

Jim Sinclair, directeur exécutif, Indian and Metis Friendship Centre of Winnipeg : Merci beaucoup. Si je ne m'abuse, la venue de sénateurs dans un centre d'amitié est une première historique, et nous sommes très honorés que le nôtre soit le premier.

Le Winnipeg Friendship Centre dispute sans doute au Vancouver Friendship Centre le titre de plus vieux centre d'amitié au Canada. Il est l'un des premiers organismes autochtones nés des besoins de la population qui migrait vers les villes. Selon moi, la raison d'être d'un centre d'amitié, abstraction faite de tout ce qui est écrit ici, c'est d'aider des Autochtones à s'adapter à la vie urbaine tout en restant fiers de leur culture et de leur patrimoine. C'est ce que font les centres d'amitié, sans oublier que ce sont des organismes apolitiques, non sectoriels et autonomes. Ce statut engendre pour nous certaines difficultés : comment pouvons-nous défendre les droits des personnes que nous servons alors que nous sommes apolitiques?

Chose intéressante à signaler à la lumière de certains commentaires portant sur le mouvement des droits civils, j'étais petit garçon quand ma mère a obtenu le droit de vote en 1960. À mon sens, la différence entre la lutte pour les droits civils aux États-Unis et au Canada tient au fait que nous avons tenu rencontre après rencontre et que les groupes se sont emballés à l'idée de se rencontrer. Il n'y a pas eu de violence, personne n'a été blessé ou tué par balle. Nous ne mettions pas des villes à feu et à sang, mais nous faisions avancer notre cause.

Je me souviens d'une fois où ma mère était rentrée à la maison. Les gens cherchaient à se réunir, c'était peu de temps après que le projet des centres d'amitié s'était formé et concrétisé. Ma mère est rentrée à la maison et elle a dit que quelqu'un lui avait parlé d'une réunion à l'hôtel Lord Selkirk. Elle a dit : « C'est une réunion d'Indiens, donc j'y vais ». Elle y est allée et à son retour, je lui ai demandé : « De quoi a-t-il été question à la réunion, maman? » Elle m'a répondu : « Je ne sais pas, il y avait une drôle de sorte d'Indiens. Ils m'ont dit que si l'homme rouge s'éveillait un jour à la spiritualité, il illuminerait la terre ». « C'était quoi cette réunion? » « Je pense que c'était des Indiens Baha'i. » C'était une tout autre sorte d'Indiens, pas des Indiens du Canada. Cependant, nous sommes allés à des réunions un peu partout pour essayer de faire bouger les choses.

J'ai fait partie d'une organisation, le St. Peter's Boys Club, qui est devenu le germe du centre d'amitié. Plus tard dans ma carrière professionnelle, j'ai travaillé pour le centre d'amitié. Il ne cessait de grandir à pas de géant. Je me rappelle m'être rendu à Thompson, dans différents endroits, pour les aider à se mettre en branle. Le mouvement est né d'un besoin et les centres ont très bien satisfait à ce besoin.

Nous parlons d'argent, et le gouvernement n'obtiendra jamais un meilleur rendement de son investissement dans des organismes que celui qu'il obtient d'un centre d'amitié. On dit qu'à chaque 8 $ accordé aux Indiens, un dollar est investi à l'extérieur des réserves, mais pour chaque dollar investi dans un centre d'amitié, le gouvernement en a probablement pour 10 $ parce que c'est le genre de travail acharné qu'on y voit, et cela en dit long sur le genre de services que ces centres rendent à des gens de toutes sortes.

Les témoins qui m'ont précédé ont tous décrit les différents services qu'ils offrent. Nous offrons des services d'aide d'urgence, des services d'aiguillage, des programmes sociaux, éducatifs et récréatifs, des activités de sensibilisation à la culture et de développement communautaire. Par ailleurs, nous obtenons une bonne valeur financière pour les édifices que nous construisons ou que nous occupons, et il est difficile d'évaluer la valeur de notre présence dans un quartier et de toutes les activités de représentation que nous faisons.

À Winnipeg, 80 organismes se disputent le dollar investi afin de régler une partie des problèmes de la population autochtone. J'ai consulté le bilan pour relever l'aide financière que le centre d'amitié avait reçue il y a 14 ans, et nous recevons moins d'aide financière aujourd'hui qu'il y a 14 ans. Si nous prenons en compte les indices du coût de la vie et tout le reste, nous ne recevons même pas ça. Nous sommes chanceux si nous obtenons 1 p. 100 d'augmentation par année. Le financement est le même et pourtant, nos populations s'accroissent à toute vitesse.

J'écoutais l'un des conférenciers du ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien cet après-midi. Il disait qu'environ 54 p. 100 des Indiens visés par un traité vivent à Winnipeg, ou quelque chose du genre, ça semble beaucoup. Même à 54 p. 100, on parle de 60 000 personnes ou plus, et ce, seulement pour les Indiens visés par un traité. Si nous prenons les Autochtones, les Métis, les Indiens non inscrits, je crois que cela représente quelque 120 000 Autochtones qui vivent à Winnipeg. Il devient donc difficile d'essayer d'être utile à cette population quand notre financement est gelé depuis très, très longtemps et qu'on voit l'argent aller à d'autres organismes.

Cela dit, à mon avis, nous abattons un assez bon boulot. Nous devons compléter les subventions gouvernementales et couvrir le coût de l'édifice en organisant trois bingos par semaine ce qui, en soi, est très exigeant.

Cela représente beaucoup de travail. C'est ce que nous faisons, et nous abattons beaucoup de boulot. Nous ne pouvons pas faire tout ce que nous croyons que nous pourrions faire parce que nous offrons des services pour aider des Autochtones à s'adapter, sans recevoir d'argent à cette fin.

J'ai pris une assez grande quantité de notes en parcourant votre mandat à l'égard des droits de la personne, les alinéas a à e, les droits liés à la résidence, l'accès aux droits. Après examen, j'ai conclu qu'en tant qu'Autochtones ou membres de bandes, peu importe, vivant à l'extérieur d'une réserve, nous ne jouissons d'aucun de ces droits une fois que nous mettons le pied à l'extérieur de la réserve.

Je suis membre de la bande Peguis et je suis, de naissance, un Indien visé par un traité et je n'ai jamais aimé aucun des avantages que ce statut me donnait. L'un de ces avantages, c'est qu'on m'a enlevé et envoyé dans un pensionnat pour Indiens pendant sept ans, ce qui était loin d'être un avantage. Puis, quand on essaie de trouver un logement, il n'y en a pas de disponible, rien à l'extérieur de la réserve. Quant aux études, vous êtes au bas de la liste si vous n'avez pas une grosse famille dans la réserve qui participe au vote.

Participation : vous savez, il n'y a pratiquement aucune participation aux activités de la réserve. Nous comptons seulement lorsqu'ils ont besoin de nous pour faire reconnaître les droits fonciers issus de traités. La réserve Peguis, la plus grande réserve au Manitoba, compte 10 000 membres de la bande, dont 7 000 vivent à l'extérieur de la réserve, des membres de la bande non résidents. Lorsque nous avons obtenu la reconnaissance des droits fonciers issus par traité, parce qu'on nous avait volé nos terres en 1907, le gouvernement nous a accordé 126 millions de dollars pour la perte de l'utilisation de nos terres. Il nous a donné 54 millions de dollars pour les terres pour lesquelles il ne nous avait jamais payés. Il nous a alors dénombrés, mais aucun membre non résident de la bande n'a touché un sou, malgré nos démarches. Nous avons des parcelles de terre, mais nous n'avons pas touché un sou. Voilà le genre de choses avec lesquelles nous nous sommes démenés en tant qu'intervenants du centre d'amitié, en tant que membres d'une bande.

J'ai travaillé au centre d'amitié de Selkirk pendant 25 ans, un poste que j'ai quitté pour aller travailler à l'Assemblée des chefs comme coordonnateur de la stratégie urbaine. J'ai vu des choses des deux côtés — du côté du traité et du côté du centre d'amitié. Quand ils m'ont rendu hommage à mon départ en 1998, j'ai dit que je ferais toujours partie du centre d'amitié parce que je l'avais tatoué dans le dos. Quelqu'un m'a dit : « Tu t'es absenté pour prendre des vacances et je suis content de te voir de retour; remets-toi au travail. » On aurait dit que je n'étais jamais parti.

Si nous examinons les questions relatives aux droits de la personne du point de vue d'un membre d'une bande et d'un intervenant dans un centre d'amitié, nous et les personnes qui s'adressent au centre d'amitié ne jouissons d'aucun droit dans plusieurs de ces domaines : le logement, l'éducation, la participation.

Quant aux recours, il faut remédier au fait que 70 p. 100 de nous vivons à l'extérieur d'une réserve sans avoir le droit d'être représentés de quelque façon que ce soit. Comment y parvenir? Nous vivons pourtant en démocratie. Bien entendu, les chefs détiennent toute l'influence et tous les pouvoirs. Dans la ville de Winnipeg, rien n'est prévu par traité pour ces populations. Je crois que les gens voient la situation et se disent que ce n'est pas vrai, mais c'est vrai. Personne n'a de logement. Des groupes comme la tribu Dakota Ojibway offrent des logements locatifs à leurs membres. La bande Sagkeeng a un immeuble d'habitation, mais ses occupants n'en sont pas propriétaires et n'exercent aucun des droits qui leur sont conférés par traité.

Il n'y a pas non plus de représentation par la population pour les Autochtones qui vivent à Winnipeg. J'aimerais bien que nous puissions avoir un mandat pour offrir des services et le financement nécessaires parce que les centres d'amitié comblent le manque et nous sommes l'organisme le moins financé de tous. Prenons le financement de base de la plupart des centres d'amitié, 170 000 $. De nos jours, ce n'est pas beaucoup d'argent. Si je ne me trompe pas, on indique encore dans les documents à signer que nous sommes censés pouvoir maintenir six postes avec ces 170 000 $, plus les frais du service téléphonique et tout ce qui vient avec. Ce n'est pas réaliste et comme je l'ai dit, nous sommes un organisme apolitique. Nous n'avons pas beaucoup d'influence.

J'aime le fait que l'Association nationale des centres d'amitié est notre bailleur de fonds, mais cette situation pose certains problèmes parce que nous n'allons pas nous battre contre nos frères et sœurs, les autres centres d'amitié, pour un dollar. Nous sommes dans une situation difficile.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie de m'offrir la chance de m'exprimer sur ce sujet. J'espère que vous reviendrez parce qu'à mon sens, ce n'est que le début d'un dialogue avec les organes de gouvernance, le Sénat et nos organismes qui s'occupent de leur clientèle. J'aimerais vous inviter à revenir une fois que votre rapport sera prêt. Faisons le prochain pas ensemble.

Je vous remercie.

Le vice-président : Merci. Je vais m'abstenir de commenter pour le moment parce que je suis d'accord avec vous en grande partie. Vous avez raison de dire que c'est le premier pas d'un dialogue continu sur ces questions. Comme je l'ai dit maintes et maintes fois, bien des membres de notre peuple préfèrent balayer ces questions sous le tapis et faire comme si elles n'existaient pas. De toute évidence, elles existent.

Je dis aussi maintes et maintes fois ceci : « Nous devons être honnêtes au sujet de la situation et des besoins de notre peuple en ce qui concerne l'accès aux droits et même l'exercice de ces droits, peu importe où nos frères et sœurs vivent. Nous sommes donc ici pour vous écouter. » C'est un premier pas.

Le sénateur Zimmer : Désolé, j'ai un mauvais rhume.

Premièrement, je vous remercie pour vos déclarations préliminaires.

Deuxièmement, c'est agréable de revoir de vieux amis. Jim, ne manque pas de saluer le juge pour moi.

Anita Volker Beckman, je vois Stan derrière vous. C'est ce qu'on appelle l'amitié, et notre amitié remonte à 30 ou 40 ans, sans jamais être oubliée.

Vous parlez de prestation de services, de technologie, d'inflation, de politiques, de transférabilité et de renouvellement des immobilisations. Votre requête englobe-t-elle des partenariats d'affaires? La raison pour laquelle je pose la question est celle-ci : quand je fréquentais l'Université de Saskatoon il y a de cela plusieurs années, Sutherland était une banlieue de Saskatoon, mais aujourd'hui, les deux se sont soudées. La réserve urbaine est l'une des entreprises des plus prospères. Elle possède un poste d'essence, un relais routier et des restaurants. C'est l'une des entreprises et l'un des partenariats les plus efficaces et les plus civils qu'il m'a été donné de voir. Des non-Autochtones pourraient en tirer des leçons. Que faites-vous? Votre intervention s'étend-elle à l'établissement de partenariats d'affaires?

M. Blanchard : Sénateur, c'est une très bonne question. Quand j'évoque la technologie et les rajustements en fonction de l'inflation, c'est pour souligner qu'il faut renforcer la capacité des centres à suivre le rythme de la modernité ou à pouvoir rivaliser avec certains partenaires. Un rattrapage technologique s'impose pour que nous puissions offrir des possibilités à des jeunes de créer des entreprises, de se renseigner sur des débouchés dans le domaine de la technologie, de nouveaux secteurs d'activité ou les technologies nouvelles et émergentes. Où se situe notre capacité par rapport à l'inflation? Le rajustement nous permettrait simplement d'être plus efficaces dans ce que nous faisons et d'établir les partenariats que vous évoquez sans vivre le stress de la gestion. Il est vrai que nous essayons d'étirer un dollar jusqu'à environ 8 $ de résultats. Le rajustement en fonction de l'inflation nous procurerait la capacité supplémentaire de faire des démarches et d'établir des relations utiles, sans craindre de dépenser toutes nos ressources pour produire des rapports ou de ne pas avoir la capacité de faire ces démarches.

Le sénateur Zimmer : C'est vraiment un tremplin pour qu'ils puissent ensuite faire des choses comme la réserve urbaine de Sutherland. C'est vraiment davantage un lieu de formation pour qu'ils puissent former des partenariats à cette fin. Est-ce exact?

M. Blanchard : Tout à fait, sénateur. Nous envisageons les choses d'un point de vue éducatif. Si nous pouvons éduquer les gens qui arrivent d'une réserve ou qui migrent d'une réserve vers un milieu urbain, nous les aidons à s'y retrouver. Nous les aidons à faire valoir leurs droits. Nous ne prétendons pas les représenter pour protéger leurs droits, mais nous les aiderons à s'éduquer pour qu'ils puissent mieux participer à la société canadienne, ce qui fait partie de notre mandat.

Les choses peuvent changer. Dix anciens de Swan River m'ont raconté que dans les années 1960, ils avaient ouvert une maison dans leur collectivité. Une Autochtone avait ouvert cette maison. Beaucoup d'Autochtones sortaient des réserves à l'époque. Ce qui m'a frappé dans leur récit, c'est que cette femme disait : « Allez voir ce fermier parce qu'il embauche des Indiens, et n'allez pas voir ce fermier parce qu'il refuse d'embaucher des Indiens. Fréquentez cette quincaillerie parce qu'on y vend des clous et de la farine aux Indiens, tandis que cette autre quincaillerie s'y refuse. » En réalité, elle avait déjà pour rôle dans les années 1960 de naviguer dans le paysage urbain contre le racisme et des obstacles encore plus grands.

Nous essayons d'enseigner des valeurs comme l'altruisme et la générosité et des mécanismes de gouvernance tout aussi complexes que les vôtres, du type des règles de procédure Robert et la façon de participer dans un contexte communautaire. Nous sommes contre l'idée de faire des recherches sur des gens. Nous sommes pour l'idée de faire de la recherche avec les gens et d'aider les gens dans les collectivités, mais nous n'avons jamais prétendu les représenter, contrairement à ce que font les organismes autochtones représentatifs.

Cette philosophie nous crée bon nombre d'entraves mais aussi beaucoup de possibilités parce que nous ne sommes pas assujettis à ces restrictions. À mon avis, elle aide les gens à s'épanouir. Nous ne voulons pas vous offrir une entreprise clés en main, mais nous voulons vous enseigner à lancer une entreprise, à payer des impôts et à devenir un citoyen productif. Cela fait partie de notre vision de la citoyenneté. Je pense que personne ne souhaite recevoir l'aumône. Ils ont simplement besoin d'en savoir un peu plus parce qu'ils viennent de l'univers d'une réserve où parfois, on ne comprend pas très bien comment le monde moderne fonctionne. Ayant moi-même vécu dans de petites municipalités et dans un milieu rural, je comprends cette attitude. J'ai dû apprendre et lutter pour poursuivre mes études et pour revendiquer ce que je pourrais devenir. C'est ainsi que nous aidons les gens ou que nous adoucissons les angles pour eux, ce qui les aide à s'améliorer et à créer davantage de possibilités.

Le sénateur Zimmer : C'est l'adage bien connu : donnez à un homme un poisson, il aura de quoi manger pour une journée; enseignez-lui à pêcher, il aura de quoi manger toute sa vie. Qui que ce soit, quel que soit le centre d'amitié qui a formé les gens dans la région de Sutherland a fait un excellent travail.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Fidler, vous avez parlé de la réticence des jeunes Autochtones urbains à s'adresser aux services réguliers. Pourriez-vous expliquer plus en détail les raisons pour lesquelles il est important que les membres des Premières nations et les Autochtones puissent avoir accès à des services assurés par des fournisseurs de services autochtones avec un personnel autochtone?

M. Fidler : Bien sûr. C'est une bonne question. Je vais me contenter de décrire mon expérience personnelle au lieu de porter le chapeau d'un centre d'amitié.

Quand on grandit en institution, sans contact avec sa famille, on devient réticent à s'adresser à des personnes en position d'autorité. On veut se sortir de ce genre de structure. Quand nos jeunes s'adressent à des non-Autochtones en position d'autorité, ils ont tendance à devenir très passifs pour exprimer leurs demandes. Par exemple lorsqu'on travaille dans une collectivité des Premières nations et qu'un psychologue vient faire une évaluation de 20 minutes, les enfants surtout ont tendance à fixer le plancher, sans lever les yeux ni répondre aux questions parce qu'ils craignent les implications que leurs réponses pourraient avoir. Après les 20 minutes, la séance est terminée et on leur appose l'étiquette de schizophrènes, de bipolaires ou d'une autre forme de troubles psychotiques et ils n'ont pas prononcé deux mots tout au long de la séance. Cette étiquette les accompagnera tout au long de leur vie et chaque fois qu'ils entreront en rapport avec un système différent, on les traitera en conséquence. Je suis convaincu que le fait de grandir dans le système des pensionnats — se faire lancer des craies, se faire dire de s'asseoir dans le coin et recevoir sans cesse l'ordre de se taire — contribue aussi à la réticence à chercher de l'aide dans un contexte non autochtone. Disons que les gens sont plus à l'aise de s'adresser à un organisme autochtone pour chercher des services et de l'aide parce qu'ils traitent alors avec des intervenants qui ont eu un vécu similaire dans leur enfance.

Pour ma part, mon grand-père a déménagé notre famille de notre concession il y a des années et des années pour s'installer dans une colonie de Blancs. Nous avons grandi dans un milieu raciste, une société raciste où jour après jour, nous nous faisions cracher dessus, injurier méchamment et rouer de coups. Notre famille en a été divisée en deux, d'un côté ceux qui pouvaient passer pour des Blancs et de l'autre, ceux dont les traits autochtones étaient très prononcés. Mes frères blancs nous voyaient être intimidés et roués de coups et ils nous tournaient le dos et s'éloignaient de crainte de se faire eux aussi rouer de coups et injurier s'ils venaient à notre secours. Ce fut une source de division dans notre famille.

Si nous allions nous plaindre aux autorités de ce que nous vivions, cela se retournait toujours contre nous : tu es la cause, tu es la raison pour laquelle cela t'arrive, ce qui nourrit encore là une réticence à demander l'aide et le secours d'une personne qui ne fait pas partie de notre culture de crainte de se faire rejeter ou stigmatiser et d'être victime de discrimination. C'est la raison pour laquelle nous en parlons.

Le sénateur Jaffer : Prévoyez-vous que le rôle des centres d'amitié évoluera à mesure que la population des Premières nations et des Autochtones s'accroîtra? S'agira-t-il simplement de servir une plus grande clientèle ou votre rôle changera-t-il pour prendre en compte les changements qui surviennent dans la population?

M. Park : Votre question, madame, est pertinente et nous devons examiner plusieurs scénarios différents pour y répondre. En réalité, nous composons depuis des années déjà avec ce phénomène. La population s'est tellement accrue rien qu'au cours des dix dernières années que la demande de services augmente de jour en jour. Nous réussissons toutefois à répondre aux demandes adressées à nos bureaux à la grandeur de la province, voire à la grandeur du Canada, dans les 117 centres d'amitié du pays.

Ici, au Manitoba, nous constatons que les demandes de services sont plus nombreuses, surtout dans les grandes villes comme Thompson, Brandon et Winnipeg où l'influx de population dans les milieux urbains devient plutôt lourd. C'est pourquoi M. Sinclair vous a parlé des difficultés financières auxquelles nous faisons face dans les centres d'amitié. Nous ne pouvons pas recruter le personnel nécessaire au rythme de l'augmentation de la clientèle. Néanmoins, nous faisons de notre mieux.

J'aimerais revenir à ce que M. Fidler a dit, au sujet de la prestation de services aux Autochtones à l'extérieur des réserves, surtout nos jeunes. Notre jeunesse vit à une époque difficile — cela ne fait aucun doute — dans le mouvement autochtone à la grandeur du Canada. À notre avis, nos jeunes ont été traumatisés par la société en général et c'est pourquoi ils sont si réceptifs au mouvement des centres d'amitié, à un endroit où aller, où ils peuvent sentir qu'ils vont recevoir les services, les conseils et l'adaptation à la vie urbaine d'une façon plus respectueuse. Je voulais le souligner.

Pour en revenir à votre question, je crois que les chiffres ne cesseront pas d'augmenter. Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Je le constate à la grandeur du Canada, surtout ici au Manitoba. Pouvons-nous maintenir ce service? Absolument, et nous sommes plus que prêts à assumer cette responsabilité pourvu que nous occupions une plus grande place dans le mouvement autochtone et dans les plans futurs du gouvernement du Canada.

Le vice-président : Eh bien, je tiens à vous remercier tous d'être venus nous présenter vos arguments. Vous l'avez fait de brillante façon.

Si vous me le permettez, je vous laisserai sur ce conseil gratuit de mon cru. Nul besoin d'être un génie pour constater qu'il y a une migration des réserves vers les centres urbains parce qu'on y trouve davantage de débouchés. Notre peuple, surtout notre jeunesse, cherche à profiter de ces débouchés. Je vois clairement que les centres d'amitié ont un rôle à jouer à la grandeur du pays parce que vous disposez déjà de l'infrastructure nécessaire pour les aider.

Je vais vous laisser sur cette réflexion : j'ai eu le privilège et l'expérience de travailler des deux côtés, du côté autochtone et maintenant du côté non autochtone. J'en connais donc assez long sur la façon dont les choses fonctionnent. Je sais que, de façon générale, le mouvement des centres d'amitié a toujours eu pour position d'éviter d'être trop politique. Il ne s'agit peut-être pas d'être politique mais de présenter vos arguments et de le faire haut et fort. Je sais que bien des parlementaires où je travaille ne savent pas ce qu'un centre d'amitié fait ou offre aux Autochtones. À mon avis, vous pouvez collectivement monter un dossier pour présenter les besoins et montrer que, comme M. Sinclair l'a mentionné, beaucoup de membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves n'ont pas de droits. On les parque aux limites de la réserve. Pourquoi? C'est l'objet de notre étude. Nous avons besoin de vos recommandations pour que nous puissions à notre tour présenter des recommandations aux autorités afin d'apporter des changements majeurs.

Je vous le souligne parce qu'il ne s'agit pas d'être politique, il s'agit de s'exprimer avec plus de force. Si vous pouvez monter un dossier sur les besoins des Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, je crois que vous serez en très bonne posture à l'avenir.

M. Sinclair a dit que beaucoup de collectivités des Premières nations offrent des services à leurs membres qui vivent à l'extérieur de la réserve, mais beaucoup d'autres ne le font pas, et c'est une réalité. Elles ont peut-être le poids voulu. Comme vous dites, il ne s'agit pas de lutter contre nos frères et sœurs, mais d'exprimer avec plus de force les besoins de nos gens pour éviter qu'ils passent au travers des mailles du filet.

Au nom de tous les membres du comité ici présents, kitchi meegwetch.

Mesdames et messieurs, nous allons maintenant donner la parole aux membres du public venus témoigner devant le comité. Quelques-uns d'entre vous se sont inscrits en remplissant un formulaire auprès du secrétariat du comité à l'arrière. Je vais vous nommer et vous inviter à vous exprimer pendant trois minutes sur les droits des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves.

Faute de temps, je dois malheureusement vous demander de vous limiter à trois minutes parce que des sénateurs ont d'autres engagements peu de temps après la levée de la séance. Nous devons donc respecter l'horaire. Je m'en excuse, mais comme je l'ai dit tout au long de la journée, rien n'empêche qui que ce soit de remettre une déclaration écrite au greffier du comité et nous en tiendrons compte.

Quant à ceux parmi vous qui ne se sont pas inscrits et qui souhaiteraient prendre la parole, vous pouvez vous inscrire maintenant et nous vous appellerons quand le moment sera venu. Les renseignements demandés dans le formulaire d'inscription sont destinés aux registres officiels du comité.

Veuillez noter que la séance est publique et que vos propos seront transcrits et publiés.

Sans plus tarder, je donne la parole, sans ordre de priorité particulier, à Mme Cynthia Beardy.

Cynthia Beardy, à titre personnel : Bonjour, mon nom est Cynthia Beardy. Je suis une membre visée par un traité de la Première nation de Lake St. Martin, dans le district d'Interlake. Je n'y habite pas, je vis donc à l'extérieur de la réserve. Nous avons acheté notre maison.

L'objet de la rencontre me laisse un peu confuse, on dirait que nous parlons des droits de la personne, des droits conférés par un traité, d'urbanisation mais nous ne parlons pas des Indiens vivant à l'extérieur d'une réserve en milieu rural. Vous revenez toujours sur la transférabilité de nos droits dès que nous quittons la réserve.

Le point important que je voulais soulever, et je n'ai entendu personne en parler, c'est une quelconque forme de processus d'appel. Quand j'ai terminé mes études secondaires, j'ai dû attendre sur une liste d'attente pendant trois ans pour poursuivre mes études en vue d'obtenir mon diplôme d'infirmière. J'ai travaillé entre-temps. Je ne gagnais pas assez en travaillant comme commis sur la réserve pour retourner un jour sur les bancs d'école. Je suis passée par des périodes où ma paie était amputée si mon mari retournait travailler, parce qu'il était un travailleur saisonnier. J'ai traversé des périodes sans aucune forme d'aide, par exemple je ne pouvais pas me payer mon stéthoscope et mon université m'a suspendue parce que la bande n'avait pas acquitté mes frais de scolarité.

On ne cesse de répéter ici que l'éducation est l'un des déterminants de la santé et que nous devrions y accorder la priorité. Quand j'ai tenté de retourner aux études pour obtenir une maîtrise, que je tentais de la terminer — je ne travaille qu'un jour par semaine parce qu'on a évacué la population — je me suis retrouvée sur une autre liste d'attente. On dirait que poursuivre ses études est une affaire très politique.

Quand j'ai présenté une demande à AINC, le ministère des Affaires indiennes, pour poursuivre des études supérieures, on m'a dit d'en parler à la bande. Eh bien si je suis de ce côté-ci de la clôture, ils sont de l'autre côté et ils ne veulent pas me rejoindre à mi-chemin afin de m'inscrire sur une liste. Je peux continuer de faire la demande, mais cela ne me mènera nulle part. À mon sens, il ne devrait y avoir aucun problème de juridiction quand des gens quittent la réserve. Ça nous arrive trop souvent. Ce qu'on peut obtenir à l'extérieur de la réserve devrait être offert dans la réserve. Si le gouvernement fédéral et la province accordent des subventions à notre nom, comme vous l'avez dit aujourd'hui, pourquoi n'en sommes-nous pas informés? Où est l'éducation pour nous dire que la province reçoit tel montant en notre nom? Qu'est-ce qui m'empêche d'y avoir accès?

Par ailleurs, les Autochtones qui vivent à l'extérieur de la réserve en milieu rural n'ont pas de sentiment d'appartenance. Je l'ai souvent remarqué en travaillant avec les évacués à Winnipeg. Ils sont très dispersés, ils n'ont aucun sentiment d'appartenance. Quand nous essayons de les réunir, les bandes tiennent les cordons de la bourse bien serrés. Elles ne peuvent pas rassembler toute leur population. On a tenu tout un lot de forums ici, au centre d'amitié, ce qui est bien, mais on perd le sentiment d'appartenance dès qu'on quitte la réserve. Beaucoup de membres de ma Première nation m'en ont fait la remarque. Ceux pour qui je travaille sont stupéfaits de voir certains des services que nous pouvons obtenir pour eux à l'extérieur de la réserve. Pourquoi ne pouvons-nous pas les obtenir dans la réserve? Des choses comme l'ergothérapie et la physiothérapie.

Où en est le chronomètre?

Le vice-président : C'est malheureusement terminé.

Mme Beardy : J'ai entendu beaucoup parler aujourd'hui de choses comme le fait de grandir dans des pensionnats pour Indiens, tous les problèmes, la socialisation, les facteurs socioéconomiques. J'ai dû quitter Dauphin River, la collectivité d'où je viens, à l'âge de 11 ans. J'ai eu 12 ans en novembre de la même année. Comme j'étais intelligente, je suis rapidement passée d'un niveau à un autre. On m'a mise dans un pensionnat pour Indiens à Teulon. Je n'ai jamais obtenu d'indemnité pour ça parce que c'est Frontier qui m'y a placée et que Teulon n'est pas reconnu.

J'ai pensé : « Bon, d'accord, je suis allée à l'école ». Je m'en suis sortie facilement. Il le fallait, ce fut bon pour moi, mais on dirait que tout le monde dit que c'est négatif. Oui, il y a beaucoup d'aspects négatifs compte tenu des mauvais traitements que j'ai subis, mais il est possible de les surmonter. C'est ce que je ne cesse pas de me répéter. Peut-être que si je n'étais pas allée à l'école, je n'aurais pas obtenu mon diplôme et je n'aurais pas ma maison ni mon emploi. Voilà pourquoi je pousse sans cesse mes neveux. Je prêche toujours pour l'éducation.

Un autre point. En ce qui concerne l'éducation, j'ai dû conduire un de mes neveux à un bureau de la bande pour qu'il fréquente l'école de Lake St. Martin, parce que son école n'était pas encore en état; les élèves ont été relocalisés à cause des inondations. Que pouvons-nous faire pour eux? Je le pousse et je l'encourage à y aller. Je ne veux pas aller m'asseoir dans un bureau, mais qu'est-ce que je peux faire? Je suis ici; je leur prêche les bienfaits de l'éducation et c'est la priorité pour nous sortir de ces situations.

Je vous remercie.

Le vice-président : Merci.

Je sais que nous sommes pressés par le temps, mais ne croyez pas que vos observations et vos interventions vont tomber dans l'oreille d'un sourd. Elles seront inscrites au compte rendu. Notre prochain intervenant sur la liste est M. Albert McLeod. Bienvenue, monsieur.

Albert McLeod, à titre personnel : Ma déclaration porte sur les droits des Autochtones gais, lesbiennes, bisexuels ou transgenres.

De nos jours, nous utilisons un terme, la « bispiritualité », qui a été adopté dans de nombreux secteurs, une tentative en quelque sorte de décrire une vision autochtone de la diversité des sexes et de l'orientation sexuelle. Notre organisation s'appelle The Two-Spirited People of Manitoba. Nous faisons partie d'un réseau international de gais et lesbiennes autochtones qui œuvre à la défense des droits de la personne, pour nos amis et nos pairs de même que pour les jeunes GLBT aux États-Unis et au Canada. Notre mouvement de libération est en marche depuis 25 ans. Nous avons un rassemblement international des bispirituels qui se tiendra l'an prochain à Long Island, dans l'État de New York. C'est notre 25e rassemblement.

Quant aux déterminants sociaux de la santé, la représentation politique en est un. Par nos activités de représentation, nous nous sommes employés à joindre les représentants politiques des Premières nations pour qu'ils prennent en compte les droits de la personne des GLBT qui vivent dans les réserves et à l'extérieur.

En 2010, j'ai écrit une lettre au chef national Shawn Atleo pour lui demander comment il allait prendre en compte l'abrogation de l'article 67, l'exemption à l'application du Code des droits de la personne. C'était en 2010. Il n'y a pas eu de réponse.

L'été dernier, lors des élections nationales du chef national, j'ai écrit une lettre à chacun des huit candidats leur demandant comment ils allaient se faire le champion des droits des personnes gaies, lesbiennes et transgenres s'ils devenaient chef national, et il n'y a pas eu de réponse.

Tandis que nous nous penchons sur les droits individuels et collectifs par rapport à l'exercice de la compétence des Premières nations dans les réserves et à l'extérieur, nous devons considérer le fait que beaucoup de GLBT migrent vers les villes à cause de la discrimination, des mauvais traitements et de la violence. Ils aboutissent dans les grands centres urbains du Canada où beaucoup d'entre eux ont du mal à survivre à cause de l'homophobie, de la transphobie, du chômage et des conditions de logement médiocres. Dans bien des cas, il n'y a aucun service.

Beaucoup d'organismes autochtones à l'extérieur des réserves ne tiennent pas de données qui permettent de déterminer clairement la proportion de leurs clients qui sont GLBT, ce qui explique l'absence de services pour eux à l'extérieur de la réserve.

Des chefs et des conseillers de bandes à la grandeur du Canada sont gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres, ce n'est donc pas de l'inconnu dans notre collectivité, mais sur le plan politique, très peu de nos dirigeants prendront position et se pencheront sur la question. Bon nombre de nos dirigeants parlent des droits issus de traités, mais sous ce rapport, nous devons commencer par les droits de la personne fondamentaux en vue d'en arriver à ce genre de dialogue.

Nous avons récemment présenté une proposition à l'Initiative pour le logement et les sans-abri de Winnipeg dans laquelle nous décrivions les gais et les lesbiennes et les personnes vivant avec le VIH comme un groupe ayant besoin d'aide pour satisfaire à leurs besoins, et notre proposition n'a pas été financée.

J'ai aussi un dossier pour vous.

Le vice-président : Merci.

Je donne la parole à Ashok.

Ashok Salwan, à titre personnel : La plupart des gens en Amérique du Nord m'appellent Ashok.

Le vice-président : Bienvenue, monsieur.

M. Salwan : Combien avons-nous ici de représentants du Sénat canadien?

Le vice-président : Ce soir, quatre.

M. Salwan : Pourriez-vous vous lever? C'est une formalité dans une vraie société tribale. Bienvenue dans les territoires alliés des tribus unies du monde, à cette séance organisée par le peuple Anishinabe.

Je suis membre de la White Buffalo Calf Society ainsi que des Ogichidas, des Rainbow Warriors, des Shaolins et des clans du Japon. J'ai eu l'honneur d'être désigné par Tribes of the World pour me joindre à vous et vous honorer d'une chanson de mon peuple pour vous accueillir sur nos terres. Du point de vue de la compétence qui prévaut, comme les chefs et les mères du clan me l'ont enseigné, je sais que je fais partie du clan de l'Ours et que je suis membre de la bande de White Mud River et que mon peuple n'a pas signé de traité qui dépouillerait mon peuple de ses droits. Je suis un Amérindien citoyen du monde.

[Le témoin joue une chanson au pipeau.]

Merci d'avoir écouté ma chanson. Je suis ravi d'être ici. Je me suis attelé à cette tâche il y a déjà très longtemps. Je me suis déjà entretenu avec quelques-uns d'entre vous. Je vous ai dit que je suis l'homme chargé par mon peuple de veiller à leurs intérêts en ce qui concerne la protection de nos femmes et de nos enfants, ainsi que la victimisation, le meurtre et le vol de nos enfants. Je m'y emploie depuis 15 ans.

J'ai rencontré les représentants des plus hauts niveaux de votre gouvernement, de votre armée et de vos agences secrètes de contre-espionnage. Je leur ai tous fait face. Je leur ai fait front et je n'ai pas reculé. J'ai protégé mon peuple du mieux que j'ai pu. Je l'ai aimé, j'ai veillé à son développement et j'ai élevé nos enfants avec amour.

Mon peuple n'a signé aucun traité valide. Si vos traités ne portent pas la marque valide d'une mère du clan de l'Ours, ils ne sont pas légitimes.

J'ai déjà pris la parole aux Nations Unies sur les violations de la GRC, du service de police et d'autres organismes basés en Amérique du Nord qui ont tué et assassiné nos femmes pour le plaisir et l'appât du gain. Je ne le permettrais pas pour ma mère, mes sœurs ou mes enfants et les gens qui m'accompagnent sur cette terre ne le permettront pas non plus.

Chaque personne ici présente est visée par un traité qui a été établi à l'échelon international des nations souveraines. Je suis un membre reconnu de cette nation.

Je suis convaincu que la souveraineté du Canada a été compromise à plus d'une occasion par suite de dossiers traités aux Nations Unies et même de la perte de son siège au Conseil des Nations Unies. Des nations dans le monde entier nous appuient et apprécient le travail que nous avons fait pour protéger nos peuples.

L'atteinte portée à l'autorité de nos peuples ici a été manifeste. Je dis aux membres des tribus de nos nations ici présents que personne n'a décliné comme il se doit sa citoyenneté, sa tribu et son clan. Je l'ai fait aujourd'hui. Tout le monde veut s'identifier à des sociétés et, à un niveau subconscient, découvrir qui ils sont et qui est leur famille. J'aime ma famille et je la protège. Je suis un gardien de la Terre telle que nous l'avons connue et j'ai été désigné par le conseil mondial.

Je suis resté muet parmi mon peuple à écouter le cœur de chaque nation. J'ai prêté l'oreille aux larmes de beaucoup de femmes, à ce qui leur est arrivé et à leur douleur de perdre leurs enfants. Je me suis battu contre tous les ordres de votre gouvernement qui ont essayé de m'attaquer physiquement, et je suis toujours là.

Au nom de l'honneur qui m'a été donné de protéger mon peuple, des nations du monde entier nous ont écoutés et ont conclu une alliance avec mon peuple. La Bolivie, si je ne m'abuse, a nationalisé les exploitations minières canadiennes de ses ressources à l'appui de notre nation. Je le sais parce que je me suis occupé du dossier. J'ai créé des dossiers électroniques sur tout cela bien que vous ayez essayé de m'en empêcher.

Le 12 décembre et le 13 février sont des jours où des décisions seront rendues dans le dossier des femmes disparues et assassinées. Je le sais parce que j'ai participé à ces travaux. Il est stupéfiant de voir que ni l'Assemblée des chefs du Manitoba ni l'Assemblée des Premières Nations ne le savaient, mais moi je le savais. La réduction de 80 p. 100 de leur financement était l'une de mes recommandations vu leur incapacité à s'acquitter de leur rôle et de leur responsabilité d'agir comme porte-parole et comme chef et conseil.

Je vis dans le plus pur dénuement et on m'attaque constamment, mais je vis de la générosité de mon peuple. Quand je joue ma musique, on me donne de l'argent pour m'aider; vous diriez que je fais l'amuseur de rue. J'ai lavé des fenêtres dans cette ville en vivant avec presque rien pendant dix ans. Je n'ai pas eu de domicile pendant huit ans, pas d'emploi dans votre pays pendant cinq ans. Vous avez essayé de faire des victimes de nos anciens et de les assassiner. Je les ai protégés, j'ai été reconnu comme garde du corps royal et aussi comme médecin royal. De fait, ces titres de compétence m'ont été décernés par l'un des assistants du Dalai Lama. Donc, en matière de professionnalisme en commerce international et en droit, de même qu'en médecine et en protection des droits de mon peuple, je suis qualifié. Je suis très qualifié pour me prononcer à tous les niveaux sur les sujets que j'aborde aujourd'hui.

Sur ce territoire, nous n'y avons pas renoncé en signant quoi que ce soit, à moins qu'on me présente des documents établis par un Indien et signés par la Ville de Winnipeg. Je n'en ai pas vu, il vous est donc impossible d'exercer votre compétence sur ce territoire.

J'ai été bien élevé par Wapapiasu, un chef et un porte-parole pour les mères du clan. Pour qu'il n'y ait aucun doute en ce qui concerne mon éducation et ma compréhension des violations des droits de la personne qui se poursuivent quotidiennement sur ce territoire, j'ai passé sept ans à travailler avec cet homme. J'ai rencontré le chef de police à deux occasions pour traiter du dossier des femmes disparues et assassinées. Il n'a pas rempli son rôle. Il a dû démissionner, et je me suis adressé à lui comme je m'adresse à vous aujourd'hui. Si vous ne faites pas votre travail sur notre territoire, démissionnez. Je ne démissionnerai pas parce que j'ai fait mon travail.

J'ai une liste d'hommes, leurs adresses et où ils vivent, où ils font la fête. J'ai traversé le pays d'un océan à l'autre en autostop et je sais exactement où ces hommes ont amené ces femmes et ce qu'ils leur ont fait.

Le vice-président : Veuillez m'excuser, mais pourriez-vous conclure s'il vous plaît? Ce n'est pas par manque de respect à votre endroit, mais par respect pour ceux qui veulent aussi s'exprimer.

M. Salwan : Pour régler certains des problèmes qui doivent être réglés, je suggère de maintenir la coutume tribale et de rétablir la citoyenneté amérindienne, de protéger et de rétablir les titres de propriété sur les terres tribales à la grandeur de l'Amérique du Nord, la juste représentation de toutes les tribus et de tous les clans en matière commerciale localement ainsi que la désignation internationale des territoires des réserves tribales. C'est le premier pas : qu'on nous redonne notre citoyenneté. C'est notre terre. Nous avons combattu pour vous sur tous les plans et nous aimerions qu'on nous témoigne le respect de nous laisser nous représenter sur tous les plans, à tous les ordres de gouvernement et de commerce. Nous sommes des professionnels parfaitement qualifiés pour le faire.

Merci de votre temps.

Le vice-président : J'invite Rainey Gaywish à prendre la parole.

Rainy Gaywish, à titre personnel : Salutations à tous ceux que je considère comme des membres de ma famille. Mon nom spirituel est Cygne d'argent. Rainey Gaywish est mon nom colonial. Je suis du clan Martin, Midewiwin de la loge Midewiwin de Three Fires au troisième degré, Midewiwin étant la voie spirituelle ancestrale du peuple Anishinabe de cette partie du monde.

Je n'avais pas prévu prendre la parole, mais j'ai jugé important de venir vous rappeler que les problèmes dont les centres d'amitié s'occupent à la grandeur du Canada découlent tous de nos droits fondamentaux en tant que peuple autochtone, lesquels sont clairement énoncés dans la Déclaration internationale sur les droits des peuples autochtones. Le droit qui revêt une importance cruciale pour le travail des centres d'amitié est le droit pour nous d'être des peuples autochtones et de conserver nos langues et notre identité culturelle.

Je suis consciente qu'il y a un vaste mouvement au Canada sur le plan politique, une forte pression pour prendre en compte l'économie et la façon dont des populations contribuent à l'économie. Certes, tout au long de ma vie de femme Muskego Anishinabe, on m'a enseigné à travailler. Même forte de cette excellente éthique de travail, que m'ont enseignée ma famille et ma mère, les possibilités d'atteindre le niveau de scolarité que je possède et d'obtenir l'emploi auquel j'aspirais afin de pouvoir être un membre productif de la société ne m'ont pas toujours été ouvertes.

Le centre d'amitié de Winnipeg, où nous nous trouvons, est l'un des plus importants organismes qui m'a en quelque sorte aidée à passer du statut de mère monoparentale vivant dans la pauvreté à une situation où je pourrais trouver les ressources nécessaires pour parfaire mon éducation. Jeune femme, je suis venue au centre et je ne savais pas trop comment m'y retrouver dans la ville. Le centre d'amitié et le Native Club à l'époque m'ont offert les ressources qui m'ont permis d'obtenir des bases solides, non seulement les ressources dont j'avais besoin pour poursuivre mes études mais aussi celles dont j'avais besoin pour faire face aux cas de racisme incessants, systématiques, subtils et manifestes dont les Autochtones continuent d'être victimes chaque jour dans la ville et à la grandeur du pays.

Winnipeg est intéressante dans le contexte des analyses de la façon dont la ville est construite. Les Autochtones ici sont encore la cible des pires comportements racistes, tous peuples confondus. La population est assez multiculturelle, mais le racisme fondé sur la couleur de la peau est profondément ancré. En passant en revue certaines données récentes sur le traitement réservé aux Autochtones, on constate que les nouveaux immigrants au Canada bénéficient de plus de ressources que l'Autochtone moyen dans la province. Ce sont des éléments dont il faut tenir compte, parce que si on cherche des solutions à ce problème, les fondements des centres d'amitié au Canada sont bien documentés et bien étayés par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je vous recommande d'envisager comment vous pouvez soutenir ce que font les centres d'amitié, de toutes les façons possibles, afin de fournir aux centres d'amitié le genre d'aide dont ils ont besoin. Là où ces organismes n'existent pas, vous n'obtiendrez pas tous les succès et les réalisations que vous souhaitez dans la communauté autochtone, c'est-à-dire nous permettre de prendre soin de nos familles, faire en sorte qu'à l'avenir, nous soyons aptes à élever des enfants, à fonder des familles et à laisser des descendants capables de subvenir aux besoins de leurs familles de la bonne façon, et non aux dépens de notre culture, de nos langues ou de nos identités. Aho,meegwetch.

Le vice-président : Madame Lori Mainville, vous êtes la suivante sur ma liste.

Lori Mainville, à titre personnel : Je viens du territoire ancestral des signataires du Traité no 3, en Ontario, et je suis une membre hors réserve de troisième génération. Par respect pour nos chefs en Ontario qui ont demandé en 2011 à Patrick Brazeau de ne plus parler en notre nom, j'aimerais m'adresser au reste de la délégation du Sénat. De plus, si possible, si Mobina veut réagir, cela me convient parfaitement. Je respecte les mots que vous prononcez.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup. J'apprécie vraiment que vous soyez ici et que preniez le temps de nous parler, mais nous respectons beaucoup le travail du sénateur Brazeau. C'est grâce à lui que nous sommes ici, et si vous n'êtes pas capable de vous adresser à lui, avec le plus grand respect, vous ne pourrez pas vous adresser à nous. Nous sommes une équipe; nous travaillons en équipe.

Mme Mainville : Dans ce cas, vous ne parlez pas en mon nom; aucun membre du Sénat ne parle en mon nom. J'ai des liens avec des peuples qui remontent à bien avant qu'il y ait des frontières entre les provinces. J'ai des parents un peu partout. Le peuple Anishinabe couvre l'ensemble du Canada. Vous ne parlez pas pour moi ni pour ma fille ni pour ma petite-fille. Meegwetch.

Jo Redsky, à titre personnel : J'ai quelques mots à dire, et je m'adresserai à Patrick.

Je suis une femme ordinaire. Je viens de...

Le vice-président : Pourrions-nous connaître votre nom?

Mme Redsky : Jo Redsky.

Le sénateur Jaffer : Pour l'occasion, c'est au sénateur Brazeau que vous adressez.

Mme Redsky : C'est à lui que je parle. Je sens que je dois dire quelques mots parce qu'il me semble qu'il s'agit d'une consultation auprès de notre peuple dont bien des membres ne souscrivent pas au projet de loi C-45 ni aux tactiques consistant à diviser pour mieux régner en opposant la réserve au milieu urbain. Pour nous, le peuple Anishinabe, les frontières n'existent pas. Nous vivons sur un territoire. À notre avis, c'est encore une tactique pour diviser afin de mieux régner sur notre peuple et nous en avons assez de l'exploitation qu'il subit. Nous sommes ici parce que le Créateur l'a voulu et nous défendrons toujours cette terre.

Toute cette démarche qu'on propose à notre peuple est une question de ressources et de cupidité et de ce que le gouvernement du Canada a fait à notre peuple — tellement de cupidité. Je ne comprends pas comment vous pouvez être assis ici et parler en son nom. Vous êtes Anishinabe, n'est-ce pas? N'êtes-vous pas Anishinabe?

Le vice-président : C'est exact.

Mme Redsky : Je ne comprends pas. Vos origines sont ici, alors comment pouvez-vous être assis là et appuyer des choses qui vont blesser la Terre mère? Mon nom fait partie de la terre et ainsi, quand je parle, je le fais au nom de la terre. Je n'ai pas peur de prendre sa défense. Nous en avons assez de l'exploitation. Nous sommes les gardiens de cette terre et les femmes se lèvent et nous en avons assez des abus.

Les femmes disparues et assassinées sont l'un des génocides, et nos jeunes se suicident. Voilà ce que la colonisation a fait à notre peuple. Désormais, la terre va se défendre, la Terre mère se défendra elle-même.

Il est assez effrayant que nous devions dire la vérité — et c'est la vérité. Nous ne reconnaissons pas ce qui se passe ici. Nous ne le reconnaissons pas parce que vous fondez vos décisions sur ce que vous jugez bon pour nous. Nous savons ce qui est bon pour nous, c'est-à-dire la défendre et protéger les eaux. Ce sont des enjeux importants pour nous. Je sais que la mentalité moderne est à la cupidité et aux gains faciles. Voilà de quoi il est question, mais pas pour nous. Nous sommes les premiers peuples de ce territoire, et nous allons toujours le défendre.

Je n'ai pas peur de m'adresser au gouvernement parce que le gouvernement — parce que vous ne vous souciez pas vraiment de ce que nous pensons ou de ce que nous éprouvons. Sinon, vous vous pencheriez sur le dossier des hommes et des femmes disparus et assassinés. Vous vous pencheriez sur la question de l'eau. Le pétrole qu'on extrait de cette terre est un autre génocide pour elle. Je ne sais pas si vous le comprenez.

Le sénateur Jaffer : Sauf le respect que je vous dois, vous et moi en sommes venues à bien nous connaître aujourd'hui. Vous m'avez demandé de faire certaines choses, et je les ai faites sur-le-champ. Vous saurez que le sénateur Brazeau pilote le dossier des femmes assassinées au Sénat. Il fait pression en faveur d'une enquête nationale, le respect doit donc être mutuel.

Nous avons écouté toute la journée. Nous sommes venus ici parce que nous respectons vos idées. Nous sommes venus pour écouter, mais le premier pas de l'écoute du dialogue consiste à se rendre hommage mutuellement et à s'écouter. Quand vous venez nous dire : « Nous ne comprenons pas. » et surtout quand vous vous adressez à mon collègue comme vous l'avez fait, c'est difficile pour moi parce que je sais — je siège jour après jour — nous sommes ici grâce à son travail acharné. Il vient vous dire : « Vous êtes importants pour moi. » Il vient vous dire : « Votre problème est important pour moi. » Il siège au Sénat et il parle de l'importance d'une enquête sur les femmes disparues. Moi, sa collègue, je dois vous dire qu'il vous représente vraiment bien.

Mme Redsky : Je suis désolée madame, je ne le sens pas. Je ne sens pas que c'est juste. Le problème ne se limite pas aux femmes disparues et assassinées. Il s'agit aussi du problème des terres.

Le sénateur Jaffer : Vos trois minutes sont écoulées. Je respecte votre opinion, mais convenons que nous ne sommes pas d'accord.

Mme Redsky : C'est correct si vous n'êtes pas d'accord. Nous avions besoin d'exprimer notre opinion et nos peuples ont besoin de le faire. Nous n'allons plus nous taire.

Le vice-président : La prochaine intervenante sur la liste est Nina Wilson.

Nina Wilson, à titre personnel : Je m'appelle Nina et je suis une mère et une grand-mère. Je suis aussi une étudiante. J'ai porté bien des chapeaux mais aujourd'hui, je suis ici parce que j'estime qu'il est très important de parler. Comme elle l'a dit, nous avons trop longtemps été réduits au silence. Je suis ici pour parler de protection et de défense des générations à venir. Cela me touche directement, je le vis chaque jour. Je suis ici pour parler au nom de ceux qui ont trop peur de le faire et ils m'ont demandé de venir.

J'ai eu un cours intensif pour me renseigner sur certains projets de loi qui seront adoptés. L'un d'entre eux, s'il est adopté, changera radicalement nos vies au quotidien et nous n'avons eu aucun moyen de même participer à cette consultation. Ceci n'est pas une consultation. Il y a une chose qui s'appelle « l'obligation de consulter » par rapport au projet de loi C-45 et aussi le projet de loi C-428, un projet de loi d'initiative privée. J'ai mis beaucoup de temps à les lire. J'ai un baccalauréat en éducation et j'ai eu de la difficulté à passer au travers. J'ai dû consulter des amis avocats pour comprendre le jargon et la façon dont certains éléments sont intégrés à ce projet de loi.

La dernière fois où notre Loi sur les Indiens a été modifiée aussi radicalement, c'était à l'époque où nos cérémonies ont été déclarées illégales. Nous avons dû tenir nos cérémonies en secret. L'histoire se répète, et je ne peux la laisser se répéter sans dire un mot, parce que c'est de ma vie dont il est question. C'est de la vie de mes enfants et de mes petits- enfants dont il est question.

Ces projets de loi touchent aussi les gens ordinaires parce qu'ils réduisent la protection des eaux navigables à 1 p. 100. Comment pouvez-vous réduire la protection de l'eau à 1 p. 100? Où ce 1 p. 100 est-il situé? Il est intéressant de savoir où ce 1 p. 100 est situé — tout le long des régions où les circonscriptions conservatrices sont situées. L'eau ne bouge-t-elle pas? Si on pollue l'eau par ici, cela ne va-t-il pas vous toucher par là? Vous devriez en parler aux Cris d'Athabasca. Ils vous parleront de l'eau et de la façon dont la pollution contamine notre collectivité et les gens deviennent très, très malades.

Ce n'est pas d'hier que nos droits fondamentaux sont violés et bafoués. Nos droits inhérents fondamentaux issus de traités sont violés et bafoués jour après jour. La Déclaration des Nations Unies sur les droits de l'homme est violée. Ces faits sont non seulement documentés, mais les violations sont contraires à la démocratie la plus fondamentale, une démocratie que nos peuples n'ont pas inventée.

Nous nous demandons encore pourquoi nous devons encore venir présenter ces arguments aujourd'hui. Cela n'a aucun sens. La Loi sur les Indiens ne peut être modifiée qu'avec notre entière participation, de nation à nation, sans que nous ayons à venir quêter pendant trois minutes. Nous devons avoir des pourparlers de nation à nation parce que ces mesures ne touchent pas que les Indiens jouissant de droits issus de traités, et les droits issus de traités ne sont pas attachés à un statut. Ce sont deux choses très différentes. Si vous ne comprenez pas ça, vous devez vous renseigner.

Je viens du territoire ancestral des signataires du Traité no 4, mais je peux aller où bon me semble. Je peux être bien traitée par d'autres membres des Premières nations signataires du traité. Il ne s'agit pas de la Loi sur les Indiens, comme telle. C'est la question de savoir pourquoi nous ne sommes pas consultés et pourquoi nous devons nous battre avec autant d'acharnement pour défendre nos enfants et nos petits-enfants. C'est ce que je veux savoir. C'est mon rôle ici : agir comme protectrice et défenseure. C'est très important pour moi.

Les projets de loi à l'étude, ceux qui sont proposés, contreviennent à nos droits inhérents issus de traités. Ils sont contraires à la démocratie que nos peuples n'ont même jamais inventée, mais à laquelle nous avons participé. Nous sommes tous devenus des Autochtones visés par un traité. Les traités et le statut sont des choses très différentes, qui doivent être prises en compte. Il faut prévoir un temps qui permettra à nos peuples d'avoir l'espace et le temps nécessaires pour apprendre et se rassembler et ne pas avoir peur.

Savez-vous comment je me sens ici? Savez-vous comment on se sent en témoignant devant vous? Pourquoi nous sentons-nous ainsi? C'est bien réel. Nous entendons tous parler d'Indiens qui quittent la réserve parce qu'il y a plus de débouchés ailleurs. Savez-vous à quel point la situation dans les réserves est parfois déplorable? Le savez-vous? Je peux aller partout. Je vis dans la réserve, je vis à l'extérieur de la réserve. Nous la quittons parce que bien des fois, des choses tournent mal sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle. Ainsi, si nous quittons la réserve en nombre suffisant et qu'elle se vide, qu'arrivera-t-il? Qui a le pouvoir de dire à qui ces terres iront?

Il y a toujours des motifs inavoués, c'est ce que nous avons fini par apprendre. Analysez la dernière fois où la Loi sur les Indiens a été modifiée, analysez et découvrez ce que ce changement a vraiment entraîné.

Les membres de ma famille peuvent vous décrire les conséquences directes qu'ils ont vécues. Se cacher, devoir se dissimuler, dépêcher des éclaireurs, pour savoir quand quelqu'un allait découvrir ce qui se passait. C'est ce qu'on appelle un génocide culturel. Qu'arrive-t-il à la protection de l'eau et aux terres? Si le Parlement adopte le projet de loi C-45, nos terres seront un territoire libre et ouvert à quiconque veut y venir, notamment les grandes sociétés pétrolières et les sociétés de gestion des déchets nucléaires. C'est une mauvaise nouvelle.

Vous ne savez pas ce que les déchets nucléaires peuvent faire. Je connais des spécialistes qui me renseignent à ce propos. Je n'y connais rien. J'apprends, et ce qu'ils me disent me terrifie parce qu'ils ont en main des conclusions que des chercheurs et des médecins ont déjà publiées. Ce n'est pas comme ce qu'on voit dans les bandes dessinées, c'est bien réel — ils se proposent de s'en débarrasser dans ma cour arrière? Dans votre cour arrière? Quelle est la différence si j'ai la peau brune et mon voisin a la peau blanche? Qu'arrive-t-il si les choses tournent mal? Que va-t-il se produire si la catastrophe japonaise se répète ici? La couleur de votre peau n'importera pas une fois que la terre sera ainsi compromise. Nous sommes tous dans de beaux draps.

Nous devons commencer à nous parler tel que je l'ai décrit, de nation à nation, pas seulement en nous faisant accorder trois minutes. Nous devons avoir cette chance. Ces situations peuvent se produire, je crois que ces situations peuvent se produire. Je sais qu'elles peuvent se produire. Je les ai vues se produire.

Je tenais simplement à dire que je viens d'un endroit merveilleux, une terre merveilleuse. Je ne suis plus sûre que c'est encore le cas. Qu'arrive-t-il à nos terres et à notre eau? Quand vous dites que des gens quittent nos réserves pour saisir des possibilités, vous feriez mieux d'y réfléchir parce que ce n'est pas tout à fait vrai. Ça ne me dérange pas. Je serai une Indienne de la réserve et une Indienne de la ville. Vous n'allez jamais réussir à m'enlever cet esprit à l'intérieur de moi qui me dit qui je suis.

Le vice-président : Mesdames et messieurs, ainsi se termine notre soirée de délibérations. J'aimerais profiter de cette occasion pour vous remercier tous d'avoir pris le temps de venir, bien que ce soit dans des délais très courts, mais au moins nous avons eu la chance d'entendre vos points de vue. Je répète que ce sera consigné au compte rendu.

Comme je l'ai dit, d'autres possibilités s'offrent à vous de faire part de vos opinions sur d'autres sujets, que ce soit à notre comité sénatorial ou à vos députés et à d'autres parlementaires.

Je vous souhaite tous une bonne soirée.

(La séance est levée.)


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