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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 23 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 10 décembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 6, pour étudier des questions concernant les droits de la personne des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves, une attention particulière étant portée au cadre stratégique fédéral actuel.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 30e séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

[Français]

Le comité a été mis sur pied par le Sénat pour constituer un forum de discussion sur les droits de la personne, tant aux niveaux fédéral que provincial, et pour surveiller et garantir l'égalité de traitement des membres des minorités.

Au fil des ans, il a déposé des rapports concernant notamment les Canadiens, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, les enfants, les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et l'équité en matière d'emploi au sein de la fonction publique.

[Traduction]

Je m'appelle Mobina Jaffer et, en ma qualité de présidente du comité, je vous souhaite la bienvenue à la séance d'aujourd'hui. Je suis accompagnée du sénateur White. Tous nos collègues arriveront sous peu. Nous voulons vous donner le plus de temps possible pour témoigner, et je peux vous assurer que lorsque mes collègues arriveront, ils liront le compte rendu de votre exposé.

Comme le nombre d'Autochtones et de membres des Premières nations habitant à l'extérieur des réserves va croissant, il faut de plus en plus s'assurer que tous les membres des Premières nations, qu'ils habitent dans les réserves ou à l'extérieur, ont accès aux mêmes droits de la personne et aux mêmes protections.

[Français]

Nos premiers témoins, de l'Association des femmes autochtones du Canada, sont Mmes Michèle Audette, présidente de l'association et Teresa Edwards, directrice, Affaires internationales et droits de la personne. Nous recevons souvent Mme Audette à notre comité et nous apprécions beaucoup sa présence.

Michèle Audette, présidente, Association des femmes autochtones du Canada :

[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]

Pour commencer, je tiens à dire merci à la nation anishinabeg de nous accueillir sur leur territoire maintenant partagé avec plusieurs horizons, notamment les Femmes autochtones du Canada pour notre bureau ici.

Il est important de dire aussi merci d'avoir invité Femmes autochtones du Canada pour adresser, encore une fois, les maintes problématiques auxquelles on fait face à travers le grand territoire qu'on appelle maintenant le Canada.

Femmes autochtones du Canada est une belle organisation qui existe depuis 1974. Nous avons des organisations membres, et ce sur tout le territoire, dans chaque province et territoire, et ce sont des femmes qui travaillent bénévolement depuis plusieurs années pour l'amélioration des conditions de vie des femmes tant sur les plans social, politique ou culturel et, évidemment, les droits de la personne.

Avant de commencer ma présentation, j'aimerais citer le grand chef Konrad Sioui dont les propos m'avaient marquée, lors d'une rencontre, lorsque il a dit : je n'habite pas dans une réserve, mais j'habite sur le territoire Wendat.

Alors, peu importe où se retrouvent les membres de la nation huronne-wendat, que ce soit sur ce que l'on appelle selon la Loi sur les Indiens « hors réserve », c'est, pour ce grand leader, le territoire. J'abonde en son sens.

Historiquement, la tradition orale et plusieurs recherches ont démontré que les femmes autochtones sont les protectrices et les gardiennes du territoire, et évidemment de leur peuple, et qu'elles avaient des fonctions très importantes tant sur les plans social, économique, de la justice qu'au niveau des droits de leurs nations. Elles jouaient un rôle central extrêmement important. Malheureusement, ce rôle a perdu sa définition au fil des ans, lorsque la Loi sur les Indiens leur a été imposée — je dis bien imposée — par le gouvernement.

Cette loi s'appelait autrefois l'Acte pourvoyant à l'émancipation graduelle des Sauvages. L'objectif était alors de nous assimiler. Je suis fière de dire qu'aujourd'hui, en 2012, mon peuple de la nation innue, tout comme plusieurs peuples à travers le Canada, est encore très vivant et très fier d'être ici.

Je suis également fière de dire que les femmes autochtones, aujourd'hui, en 2012, jouent un rôle central. Nous reprenons la place que nous avions à l'époque, parfois difficilement et parfois plus facilement, selon les régions. Mais dans nos cœurs, nous tenons toujours le rôle central d'être porteuse et protectrice ainsi que gardienne du territoire, de la nation, de la langue, de la culture, et cetera. Pour nous, il s'agit d'un rôle qui est encore très présent et très important.

À travers ces rôles importants, je ne peux passer sous silence qu'une forte majorité d'entre nous continue à vivre et à subir des problèmes sociaux, politiques, au niveau des barrières économiques et, évidemment, éprouve de la difficulté à participer à la démocratie au sein de nos nations ou au sein de la société canadienne. Ce sont des problèmes auxquels on fait face de génération en génération.

À travers toutes ces réalités, plusieurs recherches faites au fil des années par Statistique Canada, par des universités ou au sein de nos institutions autochtones, ont prouvé mondialement que, malheureusement, les femmes autochtones sont les plus marginalisées, les plus pauvres et subissent une forme de violence, qu'elle soit systémique, économique ou physique. Nous sommes malheureusement les championnes de ces statistiques — et je le dis avec beaucoup de sarcasme. Je trouve malheureux de continuer à souffrir de cette réalité.

L'extrême pauvreté se retrouve dans les communautés à l'intérieur ou hors réserve. Les femmes ont un revenu moyen de 20 000 $, mais il peut n'être pour certaines que de 12 000 $ par année. Nous faisons face à ces réalités au quotidien.

Comme je vous ai dit plus tôt, la discrimination systémique causée par la Loi sur les Indiens est quelque chose qui fait mal au quotidien. C'est ce qui a créé les réserves, c'est ce qui gère les réserves et c'est ce qui gère également cette discrimination et cette violation latérale, que ce soit hors réserve ou sur réserve. Le grand chef Sioui dit que c'est le territoire et que peu importe où ses membres habitent, il en prend soin et les défend. Voilà pourquoi j'adhère à sa position.

À travers les années, il est malheureux de voir que les femmes autochtones au Canada sont rarement consultées. Par exemple, dès mon élection il y a quelques semaines, le comité consultatif du ministre responsable de l'environnement a carrément effacé le rôle des femmes autochtones du Canada au sein de ce comité.

Je trouve dommage de vous prouver, encore une fois, qu'on est souvent mises de côté lors des consultations alors que l'environnement est extrêmement important pour les femmes autochtones.

En ce qui a trait à la pauvreté, ce n'est pas par plaisir que l'on quitte nos communautés, c'est souvent pour améliorer nos conditions de vie. Si les conditions de vie dans nos communautés étaient favorables aux femmes, si elles pouvaient y parler de sécurité, de meilleure justice, de programmes adéquats pour les femmes autochtones et leur famille, si on pouvait dire aussi que ces communautés leur offrent ce à quoi elles ont droit à titre d'êtres humains, je ne crois pas qu'il y aurait autant d'allées et venues entre nos communautés et les centres urbains ou les milieux ruraux.

La violence et l'extrême pauvreté sont deux autres raisons pour lesquelles nous quittons nos communautés. Il y a également le surpeuplement des communautés. Jusqu'à 14 personnes peuvent vivre sous le même toit; beaucoup de femmes vont donc partir pour ces raisons.

Bonne nouvelle, cependant : de plus en plus de femmes quittent pour poursuivre une éducation, collégiale ou universitaire, que la communauté ne peut malheureusement pas leur offrir. Certaines communautés n'ont même pas d'écoles primaires, ce qui amène les enfants à quitter leur milieu, milieu où se retrouvent leur culture, leur langue, leurs traditions, leur histoire.

Il y a donc plusieurs raisons qui font en sorte que l'on quitte nos communautés. Il est important que je vous rappelle que ce n'est pas toujours par plaisir que l'on prend ces décisions.

Je vous ai donné plus tôt des chiffres en ce qui concerne l'extrême pauvreté. Nous avons des solutions à l'Association des femmes autochtones du Canada. Nos organisations provinciales et territoriales ont des solutions pour améliorer la qualité de vie des femmes, de leur conjoint et de leur famille. Près de 80 p. 100 des femmes autochtones sont des mères monoparentales. Ces chiffres assez alarmants montrent que même pauvres et discriminées, les femmes autochtones doivent répondre aux besoins de leurs enfants.

Vous avez un rôle important à jouer et j'espère que vous allez faire de fortes recommandations au gouvernement afin que les droits humains de ces femmes ne soient plus violés. Être pauvre, pour moi, est une violation des droits humains parce que cela m'empêche de faire les choix auxquels j'aurais droit, à titre de mère et pour le bien de ma famille. Et surtout au niveau de ma dignité et de celle de ma famille.

Trop souvent, des femmes se retrouvent dans la rue pour se prostituer. La formation 101 pour le travail du sexe n'est pourtant pas un cours offert par l'université.

Nous avons trop de femmes vulnérables qui, n'ayant pas d'autres choix, se retrouvent dans la rue.

Il y a quelques années, le projet Sisters in Spirit, mis sur pied par l'Association des femmes autochtones du Canada, a démontré au gouvernement fédéral et à la planète au complet que plus de 583 femmes ont disparu ou ont été assassinées en cinq ans. La plupart de ces femmes étaient des jeunes femmes qui se sont retrouvées en situation de vulnérabilité. Ces femmes et leur famille, qui auraient pu être protégées par leurs communautés si elles avaient disposé de programmes, de services et des instituts adéquats, se sont retrouvées sur les listes de Sisters in Spirit.

Aujourd'hui, on vous dit que ce chiffre n'est plus adéquat. On peut maintenant parler de plus de 3 000 femmes par année qui sont soit assassinées ou qui disparaissent.

En mon nom personnel et au nom de l'Association des femmes autochtones du Canada, on demande haut et fort au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux qu'une enquête nationale et publique soit tenue afin de faire la lumière sur ces cas de disparition et afin de faire en sorte qu'on change ce système qui nous discrimine. Il faut trouver des solutions pour contrer cette violence systémique; il faut amener le gouvernement, les Premières nations, nos gouvernements autochtones, nos organisations autochtones et nos familles à trouver de meilleures solutions afin de dire qu'ensemble, on a mis fin à ces disparitions et à ces meurtres.

La balle est dans votre camp ou la flèche est dans votre camp. C'est une belle flèche avec beaucoup d'espoir et beaucoup d'amour. Je vous le dis, nous sommes là, femmes autochtones du Canada, comme des alliées. Si on peut s'asseoir ensemble et dire qu'ensemble on fait des pas pour l'amélioration des conditions de vie de femmes autochtones sur tout le territoire, je vous garantis que les statistiques vont baisser et que les gens qui disent qu'on coûte cher sur le plan des taxes, je m'excuse, c'est faux. On va arrêter d'utiliser les services parce que nos communautés vont être protégées.

En conclusion, je vous dirais qu'en tant que mère de cinq enfants et entourée de femmes merveilleuses à travers le Canada, ça fait mal de voir que, lorsqu'on quitte nos communautés pour les raisons que je vous ai nommées, souvent nos enfants en sont affectés. Et lorsque je parlais de discrimination systémique, souvenez-vous de l'impact des écoles résidentielles sur les gens ma génération et celle de ma collègue.

Le taux de placement dans les écoles résidentielles des enfants de notre génération est tellement plus élevé que celui de nos grands-parents ou et de nos parents. Il y a peut-être un exercice majeur à faire sur le plan des droits de la personne. Comment se fait-il que les enfants autochtones sont beaucoup plus placés que les enfants de la société canadienne? Je vous répète qu'il y a beaucoup à faire : l'éducation pour nos frères et sœurs qui habitent à l'extérieur des communautés, la discrimination qui découle des projets de loi C-31 et C-3, toute la question qui entoure la division des biens matrimoniaux auxquels les femmes autochtones sont extrêmement vulnérables dans leurs communautés.

Depuis longtemps nous vous proposons des solutions qui émanent de nos communautés et de nos organisations. Nous sommes des gens brillants, des gens autodidactes, des gens passionnés et instruits. On est capables de le faire et on veut le faire. Alors, devenons des alliés dans ces changements.

La présidente : Merci beaucoup, madame Audette. Nous entendrons maintenant M. Thibault Martin, professeur au Département de travail social et des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais.

Thibault Martin, professeur, Département de travail social et des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais : Je remercie le comité sénatorial de me donner la parole. Je voudrais d'abord dire que ma présentation ne sera pas normative. Je ne compte pas faire des recommandations parce que je crois que les institutions des Premières nations et autochtones ont déjà un certain nombre de recommandations qu'elles aimeraient formuler.

En tant que sociologue, je me contenterai d'exposer les indicateurs de la problématique que vous cherchez à cerner, c'est-à-dire la discrimination des personnes autochtones en milieu urbain. Pour nous, sociologues, la prémisse c'est que la discrimination n'est pas simplement un acte, c'est un résultat. Une institution, une organisation peut être considérée responsable de discriminer des personnes, même si, en pratique, elle ne fait rien pour les discriminer. C'est le résultat d'un système.

Souvent, les étudiants me demandent : « Est-ce qu'on peut dire que le gouvernement fédéral est responsable de la discrimination ou du sort des Autochtones? » Évidemment, c'est une question qui se pose à l'université. On ne peut pas tenir un gouvernement responsable de ce qui s'est passé avant lui; il en a hérité.

Par contre, la responsabilité de tout gouvernement, c'est de mettre en place des mesures pour redresser, pour réparer les problèmes de discrimination. Donc, la responsabilité du gouvernement n'est pas jugée sur la situation dont il hérite, mais sur la situation qu'il va laisser. Le gouvernement fédéral, depuis longtemps, a pris connaissance et a admis qu'il y avait un problème de discrimination, notamment dans les milieux urbains. Une des solutions envisagées, suite aux consultations avec les Autochtones, ce serait de leur accorder l'autonomie gouvernementale. Cette dernière a été vue comme étant le moyen de permettre aux Autochtones de, premièrement, sortir de la misère économique et, deuxièmement, de lutter contre la discrimination.

Le gouvernement fédéral, puisque c'est de lui dont il s'agit ici, est prêt à collaborer régulièrement avec les gouvernements territoriaux ou provinciaux pour signer des ententes politiques. La plus connue est celle qui a donné naissance au nouveau territoire du Nunavut, mais il y a partout des ententes politiques qui permettent aux Autochtones de cheminer vers plus d'autonomie gouvernementale, voire vers l'obtention de gouvernements régionaux dans lesquels ils peuvent eux-mêmes prendre des lois qui contribuent à faire baisser la discrimination.

Le Nunavut, qui s'est inspiré de la loi 101 au Québec, a créé une loi qui fait que l'administration territoriale du Nunavut doit fonctionner dans les trois langues officielles et fait de l'Inuktitut la langue de travail de l'administration. C'est un changement important parce que lorsque les Autochtones doivent travailler dans une langue qui n'est pas la leur, cela contribue à rendre plus difficile leur ascension au sein de la fonction publique.

Le Nunavut a décidé d'instituer la langue des Autochtones comme langue de travail. Le gouvernement fédéral va dans le sens de l'autonomie gouvernementale lorsqu'elle se passe dans les territoires, voire dans les réserves. Par contre, en milieu urbain, le progrès de l'autonomie gouvernementale est plus ou moins nul.

Les arguments sont simples à la fois de la part du gouvernement, mais aussi de l'opinion publique. On se demande comment on peut devenir autonome en ville alors qu'on n'a pas de base territoriale. Bien que ça ne soit pas impossible, c'est une question fondamentale que le gouvernement fédéral ou ce comité pourrait peut-être étudier.

Il y a plusieurs demandes en provenance des Autochtones pour la création de réserves urbaines, même si la réserve est loin d'être une panacée. Cependant, lorsqu'ils demandent ce qui constitue un minimum, souvent ils obtiennent des réponses négatives. Par exemple, je me souviens d'avoir travaillé sur la question à Winnipeg. La population de Winnipeg était totalement hostile à la création d'une réserve urbaine, même si cette dernière n'était pas destinée à recevoir des gens, mais à permettre d'avoir une zone détaxée où les Autochtones auraient pu créer des entreprises.

Donc, c'est très difficile. Pourtant, une certaine volonté politique permettrait au gouvernement fédéral d'avoir un impact en milieu urbain sur lequel il pourrait permettre aux Autochtones de créer de l'emploi ou d'autres activités, comme l'installation de nouvelles institutions. Le village huron Bwendake est un bel exemple d'une communauté autochtone en milieu urbain qui a réussi à utiliser cette capacité de vivre dans le monde urbain et de rester en contact avec le reste du monde politique.

Mme Audette a beaucoup parlé du fait que dans la perspective autochtone il n'y a pas de rupture entre le monde rural — celui de la communauté — et le monde urbain. J'avais une autre citation qui allait un peu dans le même sens, d'un Autochtone que j'ai rencontré à Val-d'Or. Il me disait : « Ce n'est pas moi qui habite le territoire, c'est le territoire qui m'habite. Lorsque je vais en ville, j'amène mon territoire avec moi. »

Sachons aussi que, contrairement à ce qu'on pense, il y a une migration dans les deux sens. En ce moment au Québec, il y a autant d'Autochtones qui retournent dans leur communauté que d'Autochtones qui y viennent. Donc, la ville n'est pas en disjonction par rapport à la communauté. Beaucoup d'Autochtones vont en ville pour étudier, pour améliorer leur sort et il faut tenir compte de cela.

Par contre, l'autre raison pour laquelle les Autochtones viennent en milieu urbain, c'est parce qu'ils n'obtiennent pas les services dont ils ont besoin dans les communautés. Beaucoup d'Autochtones souffrent de diabète et n'ont pas de services de dialyse dans leur région et doivent venir en milieu urbain.

Il y a au Manitoba une communauté dont plus de la majorité de la population vit à Winnipeg, à environ 500 kilomètres en avion, parce que les gens souffrent d'un problème de diabète, et ils ont demandé pendant des décennies d'avoir un centre de dialyse que le gouvernement fédéral ne voulait pas payer, disant que la santé est de compétance provinciale. Le gouvernement fédéral devrait aussi penser que la ville n'est que la conséquence de la communauté. Donc, les politiques publiques fédérales en termes de questions autochtones devraient intégrer les deux.

Je serai maintenant plus spécifique en mettant en évidence quelques-uns des sujets importants. Il y a d'abord la santé des Autochtones en milieu urbain. Il y a une discrimination très importante. Il y a 60 p. 100 des Autochtones qui souffrent de diabète. La plupart, qui sont venus en ville pour bénéficier des services de santé, n'ont pas accès à un médecin ou, s'ils ont eu accès à un médecin, ils quittent leur médecin parce qu'ils se sentent maltraités ou parce qu'ils n'ont plus les moyens d'habiter dans la maison où ils habitaient. Ils changent de quartier et perdent leur médecin.

Tous ces Autochtones qui souffrent de diabète et qui n'ont pas accès à un médecin, c'est leur vie qui est à risque. Et même si le gouvernement fédéral dit que la santé est de responsabilité provinciale, le fédéral a une responsabilité. Parce que ces Autochtones qui sont en ville le sont seulement parce qu'ils n'ont pas la possibilité de recevoir des services de santé dans leur réserve. Il y a donc un lien de causalité que le gouvernement fédéral ne peut pas nier.

Je pense que le Comité sénatorial des droits de la personne devrait examiner cette question avec attention.

Évidemment, il y a d'autres enjeux, tels que le logement. Les Autochtones sont systématiquement discriminés lorsqu'ils cherchent un logement. Je me souviens que, récemment, j'interviewais un « Blanc », comme on les appelle à Val d'Or, un non-Autochtone. Il y a là-bas un boom minier incroyable, les gens arrivent du sud avec des hauts diplômes et des salaires élévés; et il me disait : « Il y a 1 p. 100 de logements vacants à Val d'Or. Si j'ai deux personnes qui veulent mon logement, un ingénieur et un Autochtone, toi, à ma place, est-ce que tu louerais le logement à l'Autochtone? »

La présidente : Professeur Martin, les sénateurs aimeraient vous poser des questions; pouvez-vous conclure votre présentation?

M. Martin : Certainement. Donc, l'accès au logement est difficile. L'accès à l'éducation dans la langue et dans la culture autochtone est difficile en ville, voire inexistant; l'accès au crédit également. J'ai fait une étude sur les Autochtones en milieu urbain à Winnipeg, qui se voient systématiquement refuser l'ouverture d'un compte bancaire parce qu'ils vivent du bien-être social. C'est de la discrimination pure et simple. J'ai des témoignages, tout le monde le sait, les associations autochtones le savent. Il y a donc un manque d'accès au crédit, ce qui n'est pas le cas pour les autres citoyens. Bien sûr, vous le savez, il y a aussi le problème de la justice, avec la sur-représentation des Autochtones. Un rapport du gouvernement fédéral dit que le système judiciaire, de l'officier de police dans la rue jusqu'au tribunal, a un problème de discrimination systémique.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci. J'ai une question pour Mme Audette.

Nous voyons un déplacement important de la population autochtone en milieu urbain. J'aimerais savoir quel pourcentage d'Autochtones, en particulier les membres des Premières nations, vont vivre à l'extérieur des réserves, en milieu urbain, pour avoir accès à l'éducation et aux soins de santé.

Mme Audette : Je dirais — et si je me trompe, ce n'est pas de beaucoup — que près de 70 p. 100 de nos femmes quittent la collectivité pour aller vivre à l'extérieur de la réserve. La majorité d'entre elles le font en raison de situations d'urgence, comme la violence familiale ou l'extrême pauvreté.

Comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon exposé, je suis fière qu'il y ait de plus en plus de femmes qui se servent de l'éducation comme solution pour contrer ces conditions défavorables.

Nous tentons actuellement de mettre en place un plan d'action pour le développement économique des femmes des Premières nations, des femmes autochtones et métisses. La réintégration sociale est un sujet qui me passionne et dont nous avons parlé au gouvernement.

Nous mettons aussi en place un réseau de femmes entrepreneures autochtones dans ce pays, ainsi qu'un fonds de microcrédit, car certaines femmes de la collectivité ne peuvent pas obtenir des fonds à cause de la Loi sur les Indiens. Nous sommes considérées comme des mineures, comme vous le savez; donc, la création de ce fonds de microcrédit permettra aux femmes de la collectivité d'améliorer leur vie. Ce sont là quelques-unes des solutions.

Le conseil d'administration s'est réuni cette fin de semaine. Nous avons effectué une enquête à l'échelle du Canada. Nous avons toutes besoin d'une formation en matière financière, tant les jeunes femmes que les femmes plus âgées, et celles qui se trouvent entre les deux, comme moi. Il y a des choses élémentaires que nous devons faire. Elles ne sont pas très coûteuses, mais ce sont des solutions intéressantes. De plus, nous voulons veiller à ce que les femmes autochtones puissent être aussi compétitives que les autres femmes canadiennes dans l'ensemble.

Le sénateur White : En ce sens, y a-t-il des effets positifs compte tenu de cette population autochtone croissante en milieu urbain, dans des villes comme Ottawa? J'ai été chef de police ici, et nous avons constaté une augmentation spectaculaire au cours des cinq dernières années, en particulier en ce qui concerne les Inuits, mais aussi les membres des Premières nations. Y a-t-il des effets positifs sur les niveaux d'éducation et, dans une moindre mesure, sur la santé? Je sais qu'Ottawa a connu un peu plus de difficultés en ce qui a trait au centre de santé Wabano durant les étapes de développement, mais qu'en est-il de l'éducation?

Mme Audette : Je vais laisser Mme Edwards répondre à cette question.

Teresa Edwards, directrice, Affaires internationales et droits de la personne, Association des femmes autochtones du Canada : Pour ce qui est de l'éducation, les statistiques indiquent que les femmes des Premières nations atteignent un niveau plus élevé d'éducation que leurs homologues masculins.

Le sénateur White : Parlez-vous du milieu urbain par rapport aux réserves, ou des hommes par rapport aux femmes?

Mme Edwards : Les deux. Les femmes atteignent un niveau d'éducation plus élevé; toutefois, le problème, c'est que cela ne se reflète pas dans leur revenu annuel. Les femmes ont encore un niveau inférieur de sécurité économique.

L'une des solutions, comme l'a dit Mme Audette, c'est de faire participer les femmes, au moyen du microcrédit, au marché mondial et tout le reste, et de les inclure dans le cadre de développement économique des Autochtones. Il nous faut davantage de femmes dans le commerce et les affaires si nous voulons combler le manque de main-d'œuvre que nous connaîtrons bientôt. Nous avons la population autochtone pour le faire, en particulier nos femmes. C'est le bon moment. Si le gouvernement voulait investir dans les jeunes femmes autochtones, cela permettrait aux gens plus âgés de prendre leur retraite de façon graduelle. Notre population affiche la croissance la plus rapide, alors nous devrions profiter de cette occasion pour faire participer les femmes au développement économique.

Mme Audette : Pour conclure sur ce point, j'ai rencontré la directrice d'un centre de formation, qui m'a dit que 97 p. 100 de ses élèves, principalement des femmes, obtiennent leur diplôme. Au sujet des 3 p. 100 qui restent, elle a indiqué qu'il s'agit en majorité de femmes ayant du mal à trouver un service de garde et un logement convenable.

Le sénateur White : Les répercussions socioéconomiques sur l'éducation, autrement dit.

Je vous remercie de votre témoignage.

La présidente : Madame Audette et madame Edwards, quels seraient les trois principaux problèmes touchant le plus les femmes autochtones? Dans quel ordre de priorité les placeriez-vous, en particulier pour les femmes vivant à l'extérieur des réserves? Vous en avez nommé quelques-uns — les services de garde, la violence, la pauvreté —, mais dans quel ordre de priorité les placeriez-vous?

[Français]

Mme Audette : Femmes autochtones du Canada a la volonté et le désir de travailler de concert avec le gouvernement et les gouvernements des provinces et territoires pour mettre en place un plan d'action pour les femmes autochtones, un cadre national, dans lequel on va parler du développement économique, de l'économie sociale, de l'accès à l'éducation ou d'encourager les femmes à rester sur les bancs d'école; évidemment, la lutte contre la pauvreté est la toile de fond.

Pour terminer, l'un n'est pas plus important que l'autre; ce sont les trois grandes priorités que, à titre de présidente, je préconise. C'est aussi de faire en sorte qu'on ait une promotion de la non-violence beaucoup plus présente aux niveaux fédéral et provincial, mais aussi dans nos communautés et dans les centres urbains.

[Traduction]

Mme Edwards : Mme Audette a tout dit. Quand nous avons la sécurité économique, nous avons moins de violence. Quand nous avons la sécurité économique, nous avons accès à des logements. Quand nous avons la sécurité économique, cela permet à nos femmes de s'ouvrir sur le monde. C'est ainsi que nous dirigeons. Au lieu de réagir à la violence, nous cherchons des moyens de la prévenir et de promouvoir la non-violence. Nous continuerons toujours à le faire. Cependant, nous savons que lorsque les femmes auront le choix et la sécurité économique, elles pourront certainement mettre fin aux situations violentes si elles ont cette possibilité; cela doit donc être un élément essentiel de la toile de fond.

[Français]

Le sénateur Harb : Merci beaucoup pour vos présentations, c'était très intéressant. Vous avez parlé un peu de la Loi sur les Indiens, et vous avez dit qu'elle causait des difficultés.

Selon vous, le gouvernement devrait-il abroger cette loi? Si c'est le cas, votre communauté est-elle prête à faire front commun concernant ce qu'il faudra faire ensuite à titre de premiers Canadiens et concernant ce que sera votre rôle?

Mme Audette : La Loi sur les Indiens, dans mon cœur à moi, c'est la meilleure définition de ce qu'est de la discrimination. C'est désuet et paternaliste. Mais si vous me dites que demain matin la Loi sur les Indiens est abrogée, ça veut dire que nous traitons enfin de nation à nation et que j'ai un droit de parole, un contrôle sur ce qui se passe sur le territoire, donc sur l'économie, l'environnement, le développement durable et les droits de la personne. J'ai ma propre constitution, donc je suis un gouvernement autonome tant économique que financier.

Mais ce n'est pas le cas, et si on me dit que demain la loi sera abrogée, quelles seront alors mes protections? Comment va-t-on me garantir que je suis toujours la première nation de ce territoire et que ce n'est plus seulement une réserve, mais que l'on parle de territoire? Il faut y aller de façon graduelle, mais il faut surtout engager et respecter la force de la Première nation et non imposer, comme c'est le cas de tous les projets de loi actuels. Il faut s'asseoir et se parler de nation à nation. Nous avons les solutions. C'est nous qui sommes constamment en mode de crise; si la loi disparaît, il ne faudrait pas que ce soit imposé, mais bien le désir de la nation ou des peuples autochtones. Si c'est le cas, c'est parce qu'on aura des garanties solides par lesquelles on va faire respecter nos droits issus de traités, nos droits ancestraux, nos droits inhérents. Tout cela est important à considérer.

Le sénateur Harb : Est-ce votre position que le gouvernement ne prend pas la question au sérieux et ne la traite pas de façon prioritaire?

Mme Audette : Ça fait 20 ans que je fais de la politique et, peu importe quel gouvernement est au pouvoir, il est malheureux que, 20 ans plus tard, je doive toujours m'asseoir ici et dire que nous ne sommes plus des enfants, que nous n'avons jamais été des enfants du gouvernement; nous sommes des gens instruits, autodidactes, passionnés et nous pouvons donc décider pour notre présent et nos aspirations de demain.

Malgré la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il est malheureux qu'encore en 2012, nous ne soyons pas en mesure de dialoguer et de dire que les projets de loi étudiés ici par la plus haute institution démocratique du Canada ne peuvent pas faire l'objet d'un travail collectif ou nous demander de proposer quelque chose.

La présidente : Monsieur Martin, vous voulez répondre?

M. Martin : Sur la question de la Loi sur les Indiens?

Le sénateur Harb : Voilà.

M. Martin : Je pense exactement comme Mme Audette, à savoir que les communautés autochtones, les leaders ne veulent pas qu'on abolisse la Loi sur les Indiens si c'est pour faire d'eux de simples citoyens comme les autres qui n'auraient donc plus aucun droit constitutionnel. Depuis 1969, on sait que c'est vraiment un cul-de-sac. Si on s'attarde justement à ce que dit Mme Audette, c'est qu'au Nunavut, les Inuits qui ont un gouvernement régional, donc qu'ils ne traitent peut-être pas nécessairement de nation à nation complètement, qu'ils ont une base pour s'autodéterminer. Ils n'ont pas de Loi sur les Indiens et ne disent pas qu'ils voudraient en avoir une. Je crois que si on offre une alternative, ils préfèrent l'alternative à la Loi sur les Indiens.

[Traduction]

Le sénateur Ataullahjan : Madame Audette, votre organisme a-t-il mis sur pied des projets ou des initiatives qui ciblent la santé des femmes et des enfants? Aussi, quel est l'état de la santé maternelle dans la communauté?

Mme Audette : J'aime beaucoup vos questions, sénateurs.

Nous avons perdu récemment la totalité de notre financement de Santé Canada — la totalité. Il est difficile de dire que nous avons quelque chose en place; nous avions 10 personnes ou plus qui se consacraient et se dévouaient à la santé de nos femmes et de nos enfants au Canada. J'aurais besoin de votre aide pour qu'on rétablisse cela, car c'est un besoin.

[Français]

La santé, c'est la pierre angulaire et nous sommes touchés par ces compressions budgétaires.

[Traduction]

Il y a des collectivités qui vont continuer de fonctionner, mais l'Association des femmes autochtones du Canada aimerait bien continuer son travail à titre de partenaire dans cette aventure. Vous pourriez peut-être recommander le rétablissement du merveilleux projet que nous avions avec Santé Canada.

Mme Edwards : Pour revenir à la question précédente, qui portait sur la Loi sur les Indiens, nous aimerions vraiment voir reconnue et mise en œuvre la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones, comme Mme Audette l'a mentionné, mais nous aimerions également que nos traités soient respectés. Je rappelle qu'il n'y a pas eu de consultation, même sur le projet d'initiative parlementaire qui suit son cours en ce moment et qui modifie la Loi sur les Indiens. On ne peut pas considérer les témoignages devant un comité comme des consultations.

Il faut donc être très prudent quant à tout changement qui pourrait être apporté. Ce type de démarche doit se faire en partenariat avec les Premières nations et dans le respect du rôle très distinct que jouent les femmes autochtones. Je tenais à le rappeler.

La présidente : J'ai quelques questions à vous poser. Comme vous le savez, cette étude porte sur les gens qui vivent en dehors des réserves, et nous voulons savoir en quoi les femmes des Premières nations seront touchées différemment des hommes des Premières nations. Pouvez-vous nous décrire comment les femmes des Premières nations seront touchées différemment? Ces enjeux préoccupent-ils beaucoup vos membres?

[Français]

Mme Audette : C'est sûr qu'il y a des différences hommes-femmes, mais je vous dirais que la plupart des gens qui vivent de la violence familiale conjugale, économique ou psychologique, ce sont des femmes autochtones. Pour la plupart des gens qui sont responsables des enfants, 80 p. 100 de ces personnes sont des femmes.

Toute la question de dialyse, des besoins de santé et des services qui ne sont pas offerts dans les communautés, la question du VIH-sida, les questions qui touchent la santé mentale et physique des gens, ce sont pour la plupart des femmes qui sont touchées et qui se retrouvent dans les centres urbains ou dans les milieux ruraux. Une fois qu'on arrive dans les centres urbains et les milieux ruraux — je l'ai vécu hier sur un coin de rue ici à Ottawa; j'adore Ottawa et je le vis aussi à Montréal —, nous vivons une discrimination par notre différence, mais aussi par l'histoire de nos nations et par ce que nous sommes en tant que peuple autochtone, ainsi qu'une autre discrimination en tant que femmes. Alors oui, il y a une différence.

Concernant l'aspect social, les femmes représentent 52 p. 100 de la population autochtone et, malheureusement, plus de la moitié de cette proportion vit dans l'extrême pauvreté. C'est donc beaucoup plus le cas des femmes que le cas de nos hommes et nos fils dans nos communautés et à l'extérieur des communautés.

Oui, il y a une grande problématique. De plus en plus, nous retrouvons des femmes autochtones dans les milieux carcéraux, et c'est souvent pour des raisons d'extrême pauvreté et des crimes d'extrême pauvreté. Ce sont des différences qui sont présentes. Il y a de nombreuses solutions, mais pourquoi ne pas changer l'histoire dans nos écoles, dans les communautés et dans la société canadienne? Pourquoi ne pas changer cela et arrêter d'hypothéquer nos jeunes, tant Canadiens que ceux des Premières nations, et les garder dans l'ignorance?

Ces jeunes plus tard seront assis à notre place, et on aura appris la vraie histoire des peuples autochtones, comment on vous a sauvé la vie, on vous a accueillis, on vous a montré comment vivre ici et comment aujourd'hui, on est complètement marginalisé. Je suis convaincue que la relation serait bien meilleure. Alors oui, il y a des différences entre hommes et femmes.

La présidente : Professeur Martin, vous dites que la migration vers la ville est souvent causée par le manque de services dans les réserves. Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait maintenir la responsabilité financière pour les Autochtones en milieu urbain?

M. Martin : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question.

La présidente : Je vais la répéter en anglais.

[Traduction]

Étant donné le manque de services dans les réserves, les gens migrent vers les villes, comme Mme Audette l'a dit. Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait continuer de financer les personnes qui quittent les réserves pour la ville en raison d'un manque de financement?

[Français]

M. Martin : Il y a des exemples où cela fonctionne bien, comme au Manitoba. Il y a eu un exemple où le gouvernement fédéral s'est associé avec le gouvernement provincial pour créer un centre de dialyse destiné spécialement aux Autochtones. Alors oui, je pense que le gouvernement fédéral devrait assumer sa responsabilité puisqu'il ne fournit pas les services nécessaires dans les réserves. Il doit donc fournir au moins l'équivalent de ces services, le montant que cela lui aurait coûté pour donner aux Autochtones le même service qu'à un citoyen non autochtone devrait être transféré soit à la province, soit à des centres cogérés par des Autochtones. Il me semble que c'est le minimum.

[Traduction]

La présidente : J'ai une question pour les représentantes de l'AFAC. Dans votre rapport de 2011 et les recommandations du groupe de travail sur la Loi canadienne sur les droits de la personne et les femmes autochtones, vous parlez de la nature patriarcale des gouvernements des Premières nations. Vous dites que ce patriarcat empêche les femmes des Premières nations vivant hors réserve de participer pleinement aux décisions des bandes et de faire valoir adéquatement leurs préoccupations aux conseils de bande.

Si elles ne peuvent pas bien défendre leurs préoccupations aux conseils de bande, quelles mesures pourrait-on mettre en place pour veiller à ce que les préoccupations des femmes soient prises en compte?

[Français]

Mme Audette : Je tiens tout d'abord à dire que, en juin ou juillet de l'an passé, l'abrogation de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été un pas en avant intéressant pour les femmes autochtones. Pourquoi je fais ce petit parallèle? Souvenez-vous que la Loi sur les Indiens nous a été imposée; c'est du passé. La loi est encore présente; c'est le présent. Cette loi a mis les hommes au pouvoir pendant des décennies, a changé nos modes de gouvernance par lesquelles les hommes et femmes avaient des rôles bien définis, où il y avait un respect mutuel. Tout à coup, la Loi sur les Indiens fait en sorte que les femmes n'ont plus du tout ce rôle. J'appelle cela un lavage de cerveau. Plus jeune, je tapais sur la tête de nos leaders. Mais aujourd'hui, en vieillissant, je réalise que cette loi nous a tous affectés.

Il est important que les organisations de femmes, de droits de la personne, à travers nos organisations membres, puissent offrir de la formation, des outils nécessaires pour faire connaître leurs droits, comment se prendre en main, comment on se lance en politique et comment prendre sa place et la garder. C'est ce qui est important.

De en plus de femmes se mobilisent à travers le Canada. Rappelez-vous qu'en 1985, les femmes n'avaient même pas le droit de participer à une réunion d'élus et encore moins de se présenter à des élections. L'année 1985, c'est récent dans l'histoire du monde et dans l'histoire des femmes.

Grâce à toute cette mobilisation qui s'est faite au fil des ans avec les organisations membres de la Fédération des femmes autochtones du Canada, on a de plus en plus de femmes en politique. Il faut maintenir ces programmes, du moins les soutenir lorsque la demande est là.

Je vous dirais que la participation des femmes est une obligation, parce que nous formons 52 p. 100 de la population. Après avoir présidé pendant huit ans l'Assemblée des chefs des Premières nations, je vois comment cela bouge avec les femmes en politique. Ce n'est pas un reproche pour nos hommes, on a toujours besoin d'eux, mais il est important de soutenir ce genre d'initiative.

[Traduction]

Mme Edwards : J'ajouterais qu'il y a de bonnes nouvelles, parce qu'il y a des progrès. Dans les collectivités des Premières nations, il y a plus de 118 femmes chefs et plus de 800 femmes conseillères, un taux de participation à la prise de décisions et au leadership plus élevé que le taux de participation des femmes à tout autre ordre de gouvernement : municipal, provincial, territorial ou fédéral. C'est un grand progrès pour les femmes en matière de leadership.

Pour ce qui est de l'article 67, l'AFAC travaille avec la Commission canadienne des droits de la personne et plusieurs Premières nations à concevoir des projets pilotes et des outils que nous pourrons offrir aux Premières nations pour les aider à se doter de mécanismes de résolution des conflits pour surmonter les difficultés qui se posent dans leur collectivité. Nous voulons ainsi faire en sorte que les populations vulnérables et les femmes marginalisées dans les réserves ne soient pas victimes de représailles quand elles déposent une plainte pour discrimination dans la réserve et qu'elles essaient de faire respecter leurs droits.

Le plus malheureux dans l'histoire, c'est que quand cet article a été adopté, aucun fonds de mise en œuvre n'a été prévu pour offrir de la formation aux chefs et aux conseils, aux dirigeants des réserves, sur l'application cette loi. Ce sont des organismes privés qui le font (l'AFAC et la Commission canadienne des droits de la personne). Nous avons produit plusieurs livrets et outils à l'intention des chefs et des conseils des Premières nations, comme je l'ai mentionné, pour assurer la protection des femmes et leur donner une voix, dans le respect des coutumes, de la culture et des structures de gouvernance des Premières nations.

Bref, nous nous l'approprions, nous faisons ce que nous pouvons pour protéger les femmes, afin qu'elles aient voix au chapitre et que leurs droits soient respectés.

La présidente : Sur le site de l'AADNC, on peut lire que la Direction des relations avec les Métis et les Indiens non inscrits entretient une relation bilatérale avec chacune des deux organisations autochtones nationales qui représentent les Métis et les Indiens non inscrits. Votre association échange-t-elle fréquemment avec la Direction des relations avec les Métis et les Indiens non inscrits?

Mme Edwards : Vous parlez d'AADNC?

La présidente : Oui.

Mme Edwards : Pas particulièrement. L'AFAC a des ententes de partenariat avec l'Assemblée des Premières Nations, les Pauktuutit Inuit Women of Canada et le Congrès des Peuples Autochtones, mais le groupe d'AADNC qui s'occupe des Indiens non inscrits travaille davantage avec le Ralliement national des Métis et le Congrès des Peuples Autochtones qu'avec l'Association des femmes autochtones du Canada.

La présidente : Je vous remercie tous d'être ici. Je sais que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour vous préparer.

Madame Audette et madame Edwards, nous sommes toujours heureux de constater que vous nous consacrez beaucoup de temps. Nous l'apprécions.

Monsieur Martin, je vous remercie d'avoir accédé à notre demande à si court préavis. Nous apprécions la présence de chacun d'entre vous et avons hâte de retravailler avec vous.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins : John Richards, professeur à l'École de la politique publique de l'Université Simon Fraser, qui participe à la séance par vidéoconférence de Vancouver; et Don N. McCaskill, professeur en Études indigènes à l'Université Trent.

Je vous remercie beaucoup de vous mettre à notre disposition. Nous allons commencer par M. McCaskill.

Don N. McCaskill, professeur, Études indigènes, Université Trent : Je vous remercie infiniment de me permettre de comparaître devant votre comité afin de contribuer à l'étude importante que vous effectuez. Je travaille avec les peuples autochtones et mène des recherches sur le sujet depuis 40 ans.

J'aimerais faire brièvement état de deux grands projets de recherche sur les Autochtones en milieu urbain, qui viennent de se terminer en Ontario. Le premier a été mené par le Groupe de travail sur les Autochtones vivant en milieu urbain, qui a étudié les Autochtones vivant dans cinq centres urbains de l'Ontario : Ottawa, Thunder Bay, Sudbury, Barry/Midland/Orillia et Kenora. Le deuxième est le projet de recherche sur les Autochtones de Toronto, le TARP. J'ai ici le rapport découlant de ce projet et je suis content de pouvoir en remettre un exemplaire au comité. Il y a quelques exemplaires supplémentaires des deux rapports disponibles.

Comme vous le savez, l'une des principales conclusions de ces rapports, c'est que le projet de recherche sur les Autochtones en milieu urbain a été largement négligé par les différents ordres de gouvernement, en partie à cause des conflits de compétence qui existent entre les gouvernements fédéral et provinciaux sur la responsabilité des peuples autochtones. La grande majorité des fonds octroyés sont attribués à des projets sur les Autochtones vivant à l'extérieur des réserves, malgré le fait que plus de 50 p. 100 des Autochtones du Canada vivent actuellement en milieu urbain.

Nous avons étudié plus de 1 500 personnes dans le cadre du projet de recherche sur les Autochtones de Toronto et avons observé des changements importants dans les populations autochtones urbaines au cours des dernières années. Par exemple, nous avons constaté que le tiers des Autochtones vivant dans les villes appartiennent maintenant à la classe moyenne, qu'ils connaissent un certain succès économique, c'est-à-dire qu'ils gagnent plus de 40 000 $ par année. Le niveau d'éducation associé à presque toutes les mesures de développement socioéconomique a donné lieu à de grandes améliorations au cours des dernières années. Le niveau d'éducation des Autochtones en milieu urbain et la plupart de leurs indicateurs de développement socioéconomique ont tendance à être quelque peu supérieurs aux indicateurs des Autochtones qui ne vivent pas en milieu urbain, mais quelque peu inférieurs aux indicateurs des non-Autochtones.

Nous nous sommes rendu compte qu'il y a différents types d'Autochtones et que la population autochtone est très complexe. Certains Autochtones sont la troisième génération de leur famille à vivre en ville. Par contre, nous avons découvert que pour 70 p. 100 des Autochtones, les collectivités métisses et des Premières nations restent très importantes, et ils continuent de rendre visite à leur famille et de participer à des cérémonies culturelles comme la cérémonie de la suerie et à d'autres activités spirituelles, à assister à des funérailles, à des mariages. Ils gardent des liens avec ces collectivités pour toutes sortes de raisons, comme vous pouvez le deviner. Un fort pourcentage d'entre eux conserve des liens importants avec des collectivités rurales, des Premières nations ou des Métis.

Je crois que l'un des principaux mandats de ce comité est d'étudier les droits des Autochtones. Nous avons découvert, comme d'autres témoins en ont parlé avant nous, que si environ le tiers des Autochtones avaient une bonne situation économique, un peu plus du tiers des Autochtones des villes vivaient toujours de graves problèmes comme la pauvreté, la monoparentalité, la dépendance et l'itinérance. Par exemple, selon les résultats de plusieurs études, on estime que plus de 25 p. 100 des itinérants de Toronto sont d'origine autochtone. C'est bien au-delà de leur proportion de la population générale.

Nous avons également constaté que la majorité des organisations autochtones se concentraient sur les services sociaux. Les services institutionnels offerts aux Autochtones ne sont pas aussi complets que les services offerts aux différents groupes ethniques qui s'établissent en ville. Par exemple, il n'y a pas de Chinatown, de communauté résidentielle, dans ce sens-là. C'est un peu différent dans d'autres villes de l'Ouest canadien comme Winnipeg et Regina, mais en Ontario, les Autochtones sont plutôt répartis sur l'ensemble du territoire urbain.

Pour ce qui est des droits juridiques et de la question connexe de l'autonomie gouvernementale en milieu urbain ou des relations officielles entre les collectivités des Premières nations et les Autochtones des villes, nous avons constaté que la majorité des Autochtones n'ont pas le sentiment de quitter leur collectivité d'origine lorsqu'ils quittent leur réserve. Ils n'ont pas le sentiment de devoir abandonner les droits, les privilèges et les responsabilités qu'ils ont dans les collectivités des Premières nations, même s'ils déménagent en ville.

Sur le plan juridique, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 s'appliquerait principalement aux Premières nations pour des choses comme les revendications territoriales, les développements et la poursuite de l'autonomie gouvernementale, selon l'interprétation des tribunaux. Il ne se transpose pas particulièrement aux droits des Autochtones vivant en milieu urbain.

Il y a quelques exemples de relations établies avec les provinces, qui revêtent un certain statut juridique. Par exemple, dans les centres urbains, certains organismes autochtones ont le mandat d'offrir les services garantis par la loi dans le domaine des soins à l'enfance. Il s'agit surtout d'ententes signées en matière d'éducation, entre autres, mais non de mesures officielles d'autonomie gouvernementale ou de transferts de droits juridiques aux Autochtones vivant en milieu urbain.

Cela dit, divers modèles ont été proposés pour favoriser l'autonomie gouvernementale des Autochtones en ville. On constate que les Autochtones ont de plus en plus la responsabilité de leurs propres affaires en région urbaine, notamment selon le modèle de la communauté d'intérêt, qui propose une autonomie politique accrue par la création d'organisations autogérées à l'intérieur de la ville. L'organisation même à la tête de la recherche menée à Toronto, le Toronto Aboriginal Support Services Council, est un bon exemple de groupe de services sociaux qui se rassemblent et qui ont tous le mandat de représenter leur collectivité, d'une certaine façon. Ils se composent tous d'Autochtones d'horizons différents qui vivent en milieu urbain. Ils ont également des conseils d'administration élus par leurs membres.

Le modèle de la communauté d'intérêt repose sur l'idée qu'il peut y avoir une organisation distincte des organisations existantes qui constitue une entité politique indépendante ou qui est liée d'une manière ou d'une autre à des organisations autochtones à vaste représentativité. Il pourrait être présenté comme un modèle d'autonomie gouvernementale, selon lequel les mêmes droits et privilèges accordés aux Autochtones vivant en dehors des villes seraient accordés dans les villes aussi. On a tenté en vain de mettre ce modèle en application en 2001. Un groupe a essayé d'établir un organisme politique représentatif indépendant, doté de droits de vote et d'une constitution, mais il n'y avait tout simplement pas suffisamment de consensus parmi les Autochtones pour que ce projet voie le jour.

Il y a un chapitre du rapport du TARP qui porte sur la gouvernance autochtone en milieu urbain, et l'une des conclusions qu'on y présente c'est que pour l'instant, il ne semble pas y avoir suffisamment de consensus pour que puisse s'établir une véritable structure d'autonomie gouvernementale en milieu urbain.

Un autre modèle qui s'applique directement aux Premières nations est celui de la nation hôte, un modèle qui permet à une collectivité autochtone d'offrir des services et une forme de gouvernance à ses citoyens, même s'ils migrent en ville. Il y en a quelques exemples. Par exemple, à Thunder Bay, les collectivités autochtones et les organismes provinciaux- territoriaux ont créé un certain nombre d'organismes de service, notamment dans le domaine du logement, pour aider leurs membres qui déménagent en milieu urbain.

Il y a des précédents juridiques. Bien sûr, il y a le jugement Corbiere, qui a établi le droit des Autochtones qui déménagent en ville de voter aux élections de leur Première nation. Mais il faut surtout souligner, en raison du lien très fort qui existe entre les collectivités des Premières nations et les milieux urbains, que beaucoup croient vraiment qu'il devrait y avoir une forme de collaboration entre les villes et les collectivités des Premières nations. Nous formulons 58 recommandations dans le rapport, et beaucoup portent sur la relation entre les deux.

Divers exemples montrent que ce type de relations existe de plus en plus. C'est bien sûr le cas dans d'autres parties du pays, comme à Saskatoon et à Vancouver, évidemment, où il y a des réserves urbaines.

Pour examiner la question des droits de la personne sous un angle différent, nous avons découvert qu'il y avait de véritables problèmes de discrimination et de racisme contre les Autochtones en milieu urbain. Il y a eu diverses études sur le sujet dans les villes.

Il y a des exemples de profilage racial dans l'appareil judiciaire et au sein des corps policiers, en particulier, ou du moins est-ce la perception de la majorité des gens.

Nous nous sommes rendu compte que c'était la perception de certains Autochtones dans leurs contacts avec des gardes de sécurité, des institutions d'enseignement, des magasins, des centres commerciaux, et cetera, mais je ne veux pas trop mettre l'accent sur ce point. Il y avait toutefois des exemples de discrimination et de non-respect des droits de la personne à l'égard des Autochtones en milieu urbain dans différents contextes.

Je vais m'arrêter là, sinon je ne finirai jamais de parler des conclusions de cette étude, puisque nous nous sommes penchés sur 14 sujets différents selon sept méthodologies de recherche différentes et que nous avions un échantillon de plus de 1 500 personnes. Je peux attendre jusqu'à la période de questions, et je répondrai avec plaisir à vos questions à ce moment-là.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur le professeur.

Nous allons maintenant entendre le professeur Richards, de l'Université Simon Fraser.

John Richards, professeur, École de la politique publique, Université Simon Fraser : Merci. Lorsque je me suis levé ce matin, je me suis habillé et par chance, j'ai décidé de porter ce vêtement du Bangladesh. C'est que je travaille aussi un peu au Bangladesh, où j'étudie l'éducation chez les groupes marginalisés. C'est une question très difficile, très complexe, et à mon avis, c'est au cœur des problèmes que vivent les Canadiens autochtones.

Pour les membres du comité qui ne connaissent pas mon travail, je suis un vieil universitaire. J'ai travaillé à l'Institut C.D. Howe. J'ai beaucoup travaillé sur l'éducation autochtone au Canada, ainsi que sur l'éducation au Bangladesh, qui n'est pas à l'ordre du jour de la réunion d'aujourd'hui.

Pour ajouter à ce qu'a dit le professeur McCaskill, j'aimerais mentionner également l'Étude sur les Autochtones vivant en milieu urbain, à laquelle j'ai participé activement. Il s'agit d'une étude réalisée par Environics il y a deux ans sur 2 500 Autochtones vivant dans les villes du Canada, de Halifax à Vancouver. Nous avons interrogé les répondants en long et en large, sur plusieurs heures, et j'ai eu le privilège de participer au comité consultatif qui a conçu le questionnaire en plus de prendre part à l'étude elle-même. Ensuite, l'Institut C.D. Howe a publié, l'été dernier, un rapport sur les questions que nous avons posées dans le cadre de cette étude sur la satisfaction que les Autochtones urbains ressentent à l'égard de leur vie.

Voici un bref résumé. Plusieurs constatations se dégagent de cette étude et d'autres sondages réalisés auprès des Autochtones sur leur degré de satisfaction à l'égard de leur vie au Canada. D'abord, la majorité des Autochtones vivant en milieu urbain veulent rester dans la ville. Ils s'y sentent chez eux et sont à peu près aussi satisfaits de leur vie que les Autochtones qui vivent dans les réserves.

Je ne veux pas dire par là que la situation est idéale, loin de là. Les Autochtones qui composent cet échantillon et qui se disent insatisfaits de leur vie sont à peu près deux fois plus nombreux que les non-Autochtones insatisfaits de leur vie. Autrement dit, il y a de la discrimination, il y a de la pauvreté, il y a des problèmes d'identité culturelle, des facteurs qui entrent tous en ligne de compte.

Personnellement, je suis d'avis qu'il doit y avoir deux possibilités pour les membres des Premières nations. Beaucoup voudront vivre leur vie dans les réserves, où il faudrait rénover les bâtiments et augmenter l'autonomie gouvernementale des gens, ce qui devrait être faisable.

D'autres membres des Premières nations (et de toute évidence, les Métis n'entrent pas dans cette catégorie) sont de plus en plus nombreux à vouloir vivre en ville. Comme le professeur McCaskill l'a dit, d'après le dernier recensement, qui date de 2006, environ la moitié de la population autochtone vit désormais en ville, et les villes seront probablement le lieu d'attache de la majorité des Autochtones de la prochaine génération. Ils doivent s'y sentir bienvenus, et la clé pour que cette transition se fasse en douceur, c'est les écoles. Il y a beaucoup de problèmes dans les écoles provinciales, mais la situation est loin d'être la même partout.

Ici, en Colombie-Britannique, où j'étudie de très près les écoles depuis des années, il y a des commissions scolaires où l'écart est très faible entre le rendement des enfants autochtones et celui des enfants non autochtones. Cependant, il y a aussi des commissions scolaires en Colombie-Britannique où l'écart entre les deux est très grand.

Au Manitoba et en Saskatchewan (je viens de la Saskatchewan), environ le tiers de la population en âge de fréquenter l'école est d'origine autochtone de nos jours. À mon avis, il n'est pas très logique d'envisager un système scolaire séparé pour cette population.

Il serait beaucoup plus logique que les gouvernements provinciaux consacrent temps et effort à prendre des mesures déterminantes pour qu'on discute de la culture autochtone en classe, non seulement dans les classes fréquentées par des enfants autochtones, mais aussi dans celles fréquentées par des enfants non autochtones. J'ai grandi à Saskatoon, et quand j'étais adolescent, on parlait très peu des cultures autochtones. J'en ai entendu parler beaucoup plus tard.

Je pourrais vous parler longtemps sur ce thème.

Il y a une grande transition qui s'opère en ce moment, parce qu'il y a beaucoup d'Autochtones qui migrent vers la ville, mais bon nombre d'entre eux retournent ensuite dans les réserves, pour ce qui est des Premières nations, ou dans leur village, pour ce qui est des Métis. Les collectivités rurales ont leur importance historique, comme le professeur McCaskill l'a dit. Quoi qu'il en soit, leur chez-soi est en ville. Il y aura inévitablement, dans les villes, un grand degré d'intégration des Autochtones aux non-Autochtones. C'est particulièrement important dans les villes de l'Ouest canadien, des Prairies surtout.

Il s'agit d'enjeux financiers complexes dont le comité souhaiterait peut-être discuter. L'enjeu financier le plus important pour les Premières nations, c'est-à-dire les Indiens inscrits qui quittent la réserve, ce sont les services de santé non assurés, qui représentent une valeur de 2 à 3 milliards de dollars. Il s'agit d'une part énorme de la facture totale des services de santé destinés aux Premières nations, et ces services sont offerts à la fois dans les réserves et à l'extérieur de celles-ci. Toutefois, je ne crois pas que l'on devrait tenter de reproduire le schéma des réserves et offrir de l'assistance sociale et de l'aide au logement aux Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves.

De nombreuses questions me viennent à l'esprit, mais je vais terminer sur le thème le plus important pour moi : comment nous assurer que les systèmes scolaires, et surtout les systèmes provinciaux, accordent suffisamment d'importance à la réussite des élèves autochtones à l'extérieur des réserves?

La présidente : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Zimmer : Mesdames et messieurs, merci d'avoir fait vos déclarations. Ma question porte sur Saskatoon, d'ailleurs vous en avez parlé un peu. Moi aussi, j'y ai fait mes études universitaires il y a quelque temps déjà, tout comme le sénateur Andreychuk. L'une des choses que nous avons remarquées, à cette époque lointaine, c'était que Sutherland était situé près de Saskatoon. Maintenant, Sutherland fait partie de cette ville.

Quel qu'il en soit, les Autochtones ont créé une réserve urbaine et ont mis sur pied des entreprises très rentables. On y retrouve notamment une station-service pour les camionneurs. Je vous assure que cette entreprise est exploitée très efficacement. On trouve un autre commerce près du ranch de mon frère, au sud de la ville, la station-service Esso de Grasswood Park, qui aura bientôt également un motel.

Selon votre expérience, constate-t-on plus d'intérêt à l'égard des réserves urbaines chez les Autochtones vivant en milieu urbain, et ce genre d'activité est-il encouragé par le gouvernement fédéral et la province au moyen de fonds de démarrage?

M. McCaskill : La réponse est sans doute oui. Plus de 30 000 entreprises autochtones au Canada sont maintenant dirigées par des Autochtones. Certaines se trouvent dans des zones urbaines.

Il y a quelques années, le gouvernement fédéral a établi comme priorité nationale le développement économique pour les peuples autochtones et a mis sur pied des programmes de formation et d'apprentissage et des agences de financement, telles que Miziwe Biik, un centre de formation et d'aide à l'emploi à Toronto. La mesure la plus importante a été d'offrir un soutien à de nombreuses petites entreprises.

Il y a effectivement eu de la croissance. Les entreprises autochtones ont maintenant leur association nationale. On retrouve des associations de commerçants autochtones. Le secteur des commerces autochtones a connu une croissance phénoménale. Je crois que le comité s'est déjà fait dire que des barrières s'opposent à la réussite des entreprises autochtones, notamment l'accès aux capitaux, les difficultés juridiques liées à la Loi sur les Indiens et les garanties.

Le gouvernement fédéral et les provinces ont cependant accordé des ressources considérables dans le passé afin de faciliter la création d'entreprises, de centres commerciaux autochtones, voire la gamme entière de commerces. Cela ne veut pas dire pour autant que la majorité des Autochtones participent à ce genre d'activité : il existe toujours de graves problèmes économiques et un manque de formation dans certaines régions. Toutefois, il y a certainement eu une grande accélération du développement économique. Cela se voit dans les statistiques dont je vous ai fait part sur le nombre d'Autochtones vivant en région urbaine et ceux qui réussissent sur le plan économique.

Les entreprises autochtones bénéficient peu du soutien de certaines organisations, par contre, lesquelles s'orientent plutôt vers les entreprises non autochtones qui réussissent déjà. Les entreprises autochtones ne sont pas aussi bien organisées. À titre d'exemple, les banques et bon nombre des organisations non autochtones offrent effectivement des services qui ciblent les Autochtones, mais il n'y a aucun équivalent du club Rotary. On retrouve plutôt un autre type d'association autochtone.

En faisant nos recherches, nous avons trouvé qu'il n'existe pratiquement rien actuellement pour la classe moyenne des Autochtones en milieu urbain. Comme je l'ai déjà mentionné, presque 90 p. 100 des organisations autochtones des milieux urbains sont orientées vers les services sociaux afin d'aider les gens pauvres confrontés à des problèmes, ce qui est logique compte tenu du fait que la majorité des Autochtones ont eu besoin de ce genre de services dans le passé.

Nous recommandons maintenant la création d'organisations récréatives, culturelles, sociales et artistiques pour les gens qui réussissent sur le plan économique, c'est-à-dire les entrepreneurs et la classe moyenne autochtones, afin de les aider, entre autres, à entretenir leur identité.

Nous avons utilisé l'exemple du Centre communautaire juif Miles Nadal à Toronto, qui est situé au carrefour des rues Bloor et Spadina, comme exemple du type d'organisation qui pourrait être créée afin d'aider la classe moyenne urbaine et les entrepreneurs autochtones, et ainsi favoriser encore plus la croissance économique dans l'avenir.

M. Richards : Puis-je intervenir brièvement?

La présidente : Oui, je vous en prie.

M. Richards : C'est sûr que la réussite économique est importante. Je suis ravi de savoir que la station Esso de Grasswood Park près de Saskatoon se porte si bien.

Toutefois, le taux d'emploi des Autochtones dans les entreprises, qu'il s'agisse d'entreprises dont les propriétaires sont autochtones ou non, dépend du diplôme d'études secondaires. Si l'on regarde l'ensemble des Canadiens, ceux qui n'ont pas terminé leurs études secondaires, qu'ils soient Blancs, Métis ou des Premières nations, ne trouveront probablement pas d'emploi. Il existe peu de différence entre le taux d'emploi des Blancs et celui des Premières nations pour ce qui est des décrocheurs : les deux taux se situent en deçà de 40 p. 100. Or, si la personne a un diplôme d'études secondaires en poche, qu'elle soit des Premières nations, métisse ou blanche, on constate alors que le taux d'emploi grimpe d'environ 25 points de pourcentage, et le taux est encore plus élevé si l'on obtient une certification professionnelle, ou encore un diplôme collégial ou universitaire.

Ce serait une erreur de se pencher sur les activités commerciales sans se poser des questions sur l'éducation. Dans une économie moderne, les décrocheurs, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas terminé leurs études secondaires, ont très peu de chance de trouver un emploi, que ce soit les Premières nations, les Métis ou les Blancs.

À mon avis, cela nous ramène aux problèmes en matière d'éducation. On retrouve des écarts énormes en ce qui a trait au rendement des systèmes scolaires, à la fois dans les réserves et à l'extérieur de celles-ci. Les provinces de l'Ouest canadien commencent à se rendre compte à quel point ce facteur est important. On retrouve de nombreux jeunes très intelligents parmi les Métis et les Premières nations dans les systèmes scolaires provinciaux, notamment dans les quatre provinces de l'Ouest, qui travaillent dur afin de surmonter le manque d'importance accordée à l'éducation dans le passé.

Les résultats les plus faibles sont de loin ceux affichés par les écoles des réserves. Ces écoles manquent énormément d'organisation. Il s'agit surtout d'écoles indépendantes, dépourvues des ressources nécessaires, dont le rendement est très faible.

Le sénateur Andreychuk : Je vais continuer sur le sujet de l'éducation. Les professeurs McCaskill et Richards pourraient tous les deux répondre, mais ma question s'adresse au professeur Richards. Oui, nous avons grandi à Saskatoon. Nous n'en parlions pas, mais le problème était déjà connu. Je me souviens que lorsque nous avons commencé à demander davantage de services sociaux en milieu urbain, il y a eu des conflits entre les ordres de gouvernement pour savoir qui devait payer les services offerts aux Autochtones à l'extérieur des réserves, et le problème perdure. Dans le domaine de l'éducation, qui me semble le plus important, on constate que le gouvernement fédéral fait l'objet de pressions énormes afin d'accorder davantage de ressources aux écoles des réserves. Et pourtant, on nous dit qu'il y a une migration naturelle vers les villes. Même si les gens sont autochtones et veulent en savoir davantage sur leurs racines, les villes exercent un pouvoir d'attraction indéniable. Comment peuvent-ils s'intégrer dans un milieu urbain lorsque les dirigeants disent : « Investissez dans les écoles des réserves, afin d'obtenir les mêmes résultats que dans les villes »? Il est très difficile d'offrir une scolarité comparable dans les réserves, lorsqu'on sait qu'il y a de petites réserves, des plus grandes, des réserves isolées et des regroupements de réserves. La situation est tellement complexe. On constate également cette migration vers les villes.

Voilà un problème. Où faut-il investir les ressources? Faut-il encourager les efforts en milieu urbain, là où il y a une concentration de la population? Cela ressemble beaucoup au débat que nous avons eu en Saskatchewan. Avec l'urbanisation, les exploitations agricoles se sont rétrécies. Il est devenu plus difficile d'obtenir l'éducation recherchée dans les petites villes, et on a donc créé les écoles régionales. On s'est ensuite orienté vers les centres urbains, en assurant le transport des élèves vers les écoles.

Comment aborder le problème de l'éducation des Autochtones lorsque les dirigeants disent qu'il faut y avoir un certain montant de ressources dans les réserves alors qu'en fait, il en faut également dans les villes?

Ce problème concerne autant les services sociaux. J'ai participé à bon nombre de projets. Il ne sera pas possible d'assurer la scolarisation d'un jeune Autochtone si l'on ne respecte pas sa culture, sa langue et son histoire. La Saskatchewan a des écoles ou des programmes spécialisés destinés aux Autochtones. Je crois que l'on devrait encourager ce type de projets. À mon avis, la question est complexe. Où faut-il cibler nos efforts? Lorsque nous avons créé l'Université des Premières nations du Canada, nous nous sommes concentrés sur la qualité de l'éducation dispensée, mais nous nous sommes vite rendu compte que les systèmes de soutien et les services sociaux étaient tout à fait nécessaires. Nous avons utilisé diverses stratégies pour intégrer les étudiants à la vie universitaire et aussi pour faire connaître les cours auprès des intéressés. Nous avons mené des activités de rayonnement dans les collectivités et les réserves autochtones afin de favoriser la compréhension et de stimuler la demande vis-à-vis de l'éducation. Je tourne peut-être en rond, mais c'est ce que me disent les gens. Je reçois des demandes des chefs autochtones en milieu urbain qui me disent qu'ils ont besoin de ressources. Il y a la question des réserves. On peut aussi se demander s'il faut offrir aux Autochtones un système d'éducation spécialisé qui soit légèrement différent de celui offert au reste de la population.

Les communautés d'immigrants se posent les mêmes questions à Toronto, par exemple, même si l'optique est différente. Comment agir et où concentrer les ressources actuellement?

M. Richards : Je vais commencer en vous donnant deux exemples d'initiatives en cours actuellement.

Le cas d'Edmonton est intéressant. C'est une ville de l'Ouest canadien qui a une des plus grandes populations autochtones. Elle a un système scolaire séparé, qui a des liens historiques avec l'Église catholique. Il y a aussi le système scolaire public, qui est laïc. Or, les deux systèmes ont quelque chose en commun, puisqu'ils sont tous les deux financés entièrement par le gouvernement provincial.

Le système scolaire catholique d'Edmonton est reconnu partout au Canada comme étant l'une des organisations scolaires les plus ambitieuses et les plus novatrices en ce qui concerne l'éducation des Autochtones. Ce système a choisi, à bon escient il me semble, d'offrir une programmation autochtone qui met l'accent sur la culture, comme le dit le sénateur Andreychuk, sans créer d'écoles séparées pour les Autochtones. Le programme est offert dans l'ensemble des 84 écoles, quoiqu'il y ait des variations selon le nombre d'enfants autochtones inscrits dans une école particulière.

Le système scolaire public d'Edmonton a connu moins de succès avec les écoles réservées aux Autochtones, dont les résultats scolaires ne sont pas très prometteurs. Ces écoles ont été victimes de problèmes sociaux, au détriment de l'apprentissage, voilà la difficulté. Si l'on tente de cantonner les enfants autochtones dans de telles écoles, les problèmes sociaux deviennent disproportionnés.

Il n'y a pas de solution rapide et facile. Les résultats scolaires des enfants autochtones d'Edmonton, de Saskatoon, de Regina ou de Vancouver ne sont pas brillants. En général, dans un contexte urbain, la solution n'est pas de créer des écoles réservées aux Autochtones. Vous avez également soulevé la question de savoir qui doit payer.

Moi-même, j'aimerais qu'Ottawa paie davantage pour soutenir les écoles situées à l'extérieur des réserves mais, soyons réalistes, les Métis et les Premières nations qui quittent les réserves sont des citoyens canadiens, comme vous et moi. Ces gens ont droit à une bonne éducation, et les gouvernements provinciaux ont la responsabilité de respecter la culture autochtone, d'offrir une programmation appropriée et de ne pas se soustraire à leurs obligations en la matière. Ce n'est qu'au cours de la dernière décennie que les ministères provinciaux de l'Éducation se sont rendu compte qu'ils devaient améliorer le rendement des enfants autochtones inscrits aux écoles provinciales. Il faut reconnaître les efforts louables consacrés par les ministères de l'Éducation de l'Ouest canadien à cette fin.

Si nous parlions un peu des écoles des réserves. Nous n'avons pas parlé d'une initiative, fort honorable à mon avis, qui a occupé quatre pages du budget fédéral déposé ce printemps. On y promettait de fournir environ 300 millions de dollars aux écoles des réserves et d'adopter un projet de loi en vue d'encourager les réserves des Premières nations à établir des organisations équivalentes aux conseils scolaires. Si vous avez suivi ce dossier de près, comme c'est mon cas puisque je fournis des conseils au gouvernement fédéral, le projet a dérapé en octobre lorsqu'un groupe de chefs ont indiqué leur désaccord vis-à-vis de la proposition initiale du gouvernement fédéral. Or, cette initiative a beaucoup trop d'importance pour tomber à l'eau. J'espère que votre comité se penchera sur la question de l'organisation des écoles des réserves. Mis à part le travail de quelques enseignants extrêmement doués, il est presque impossible d'obtenir de bons résultats scolaires dans une école de réserve indépendante. Nous deux sommes natifs de la Saskatchewan, où on a compris qu'il fallait changer le système, au milieu du XXe siècle, pour abandonner la petite école des Prairies et créer les districts scolaires.

J'ai suffisamment dit là-dessus.

M. McCaskill : Je travaille sur le dossier fort complexe de l'éducation des Autochtones depuis 40 ans. Il faut souligner le conflit des compétences, et si votre comité était en mesure de le faire, ce serait extrêmement utile. Nous éprouvons toujours d'énormes problèmes du fait que le gouvernement fédéral et les provinces ne s'entendent pas sur leurs responsabilités à l'égard des Autochtones qui quittent la réserve et des sphères d'activités qui relèvent principalement des provinces, telles que l'éducation.

Comme je l'ai déjà indiqué, les provinces ont consacré des efforts importants. À titre d'exemple, la province de l'Ontario reconnaît que les étudiants autochtones postsecondaires inscrits aux collèges et aux universités ont besoin de services de soutien supplémentaires. La province accorde désormais à chaque collège et université de 500 000 $ à 1 million de dollars afin que ces établissements puissent offrir des services de soutien supplémentaires, tels que des conseillers, des mentors et des programmes de formation spéciaux.

Il reste à savoir également si l'on doit établir des programmes spéciaux destinés aux élèves autochtones ou s'il faut intégrer ces élèves et incorporer au cursus de plus en plus de contenu propre aux Autochtones. Sachez qu'au Nunavut, on exige maintenant que toutes les écoles enseignent aux élèves l'histoire des écoles résidentielles. Plus on enseignera aux jeunes non autochtones les sujets qui sont chers aux Autochtones, tels que la contribution des Autochtones à la société canadienne et encore l'histoire et la situation actuelle des Autochtones, plus le système en sera amélioré.

Mon collègue a soulevé un point valide. Bon nombre des programmes spécialisés offerts dans les centres urbains aux Autochtones, comme l'École des Premières nations à Toronto, ont connu des problèmes, car de nombreux élèves ayant des besoins spéciaux ont été inscrits aux écoles autochtones. Ces écoles ne sont donc pas des écoles publiques typiques. Nous recommandons donc, à l'instar des écoles afro-centriques établies à Toronto, qu'une école secondaire autochtone des Premières nations, où les attentes seront très élevées en ce qui concerne le rendement scolaire, soit établie à Toronto, surtout pour les enfants de parents autochtones ayant réussi sur le plan économique. Les enfants et les jeunes Autochtones de la classe moyenne perdent leur culture et ne connaissent pas les enseignements traditionnels, ce qui constitue un énorme problème.

Certaines écoles ont bien réussi. Il y a par exemple l'école parallèle pour la survie culturelle Joe Duquette, en Saskatchewan, qui réussit très bien sur le plan de l'éducation des Autochtones. Une grande partie de son programme porte sur les questions touchant les Autochtones et est destinée à aider les élèves autochtones à renforcer leur identité et leur culture, tout en leur offrant une solide éducation. Un bon nombre d'initiatives ont été mises en place par les provinces, mais le gouvernement fédéral devrait probablement financer davantage les écoles autochtones en milieu urbain et faire fi de cette question touchant les compétences qui semble l'empêcher constamment de régler un grand nombre des problèmes concernant les Autochtones qui vivent dans les régions urbaines.

Le sénateur Ataullahjan : Monsieur Richards, vous avez affirmé récemment que le niveau de bonheur et de bien-être des Autochtones vivant en milieu urbain est élevé. Cependant, les données qu'on nous présente continuellement sur les Autochtones qui vivent dans des régions urbaines révèlent qu'ils sont moins en santé, moins éduqués et ont généralement un revenu moins élevé. Pouvez-vous nous expliquer cette contradiction?

En passant, cette chemise du Bangladesh est très jolie.

M. Richards : Merci.

Il s'agit en effet d'une contradiction, madame le sénateur, et je ne suis pas certain d'avoir une réponse satisfaisante à vous donner. Je crois que j'ai une réponse partielle.

Premièrement, les questions que nous avons posées dans le cadre de l'étude sur les Autochtones en milieu urbain, qui a été menée en 2009 et publiée en 2010, sont les mêmes que celles posées lors de l'étude effectuée par Patrimoine canadien six ans auparavant, mais qui n'a jamais été publiée. Dans le rapport, je parle de cette étude non publiée de Patrimoine canadien lors de laquelle on a posé des questions similaires à des Autochtones vivant en milieu urbain ou rural dans les Prairies, dont certains habitaient dans une réserve. Les résultats sont les mêmes. En général, les Autochtones affirment être aussi heureux que les non-Autochtones. Les Autochtones en milieu urbain sont également à peu près aussi heureux que ceux qui habitent dans une réserve. Je devrais parler de leur niveau de satisfaction, question d'utiliser la bonne terminologie. Cependant, parmi ceux qui affirment ne pas être satisfaits de leur vie, on compte un bien plus grand nombre d'Autochtones que de non-Autochtones.

Par ailleurs, comment se fait-il que les Autochtones en milieu urbain affirment être relativement heureux alors que leur niveau d'éducation, de revenu et d'emploi n'est pas aussi élevé que celui d'un Canadien moyen non autochtone? C'est en partie parce que de nombreux Autochtones en milieu urbain comparent leur situation économique à celle de cousins ou d'oncles qui habitent encore dans une réserve; par rapport à eux, ils réussissent mieux. C'est ce à quoi M. McCaskill fait référence quand il parle de la réussite des Autochtones en milieu urbain.

Un des faux stéréotypes est celui selon lequel les Autochtones qui vivent en milieu urbain sont principalement ceux qui ont sombré dans l'itinérance, que ce soit dans le centre-ville de Toronto ou celui de Vancouver. C'est un grave problème, mais ce n'est pas le cas de la moyenne des Autochtones en milieu urbain. Comme M. McCaskill l'a affirmé, il existe maintenant une classe moyenne d'Autochtones en milieu urbain, qui est petite mais prospère, et c'est tant mieux.

Je ne sais pas si cette réponse est satisfaisante. Vous obtiendrez peut-être une meilleure explication.

Le sénateur Ataullahjan : Peut-être que oui, mais votre réponse me satisfait.

M. McCaskill : Peu importe le groupe, il existe toujours un ensemble très complexe de situations et les gens vivent tous des circonstances différentes. Même s'ils sont confrontés à certaines difficultés, s'ils se comparent aux gens des régions rurales, ils s'estimeront plus heureux qu'eux. C'est une situation difficile. Toutes sortes de problèmes complexes entrent en jeu. Les études sont toutes menées différemment et la méthodologie qui est utilisée varie également. Je pense que l'étude effectuée par Environics portait plus sur la perception, tandis que le TARP, portait davantage sur les comportements. Il s'agit de deux types d'études différents, mais les deux soulignent qu'un certain nombre d'Autochtones réussissent bien. Nous entendons par contre rarement parler d'eux. Nous avons eu du mal à trouver des Autochtones qui réussissent bien sur le plan financier parce qu'ils habitent à Scarborough ou à Milton, par exemple. Nous avons eu davantage de difficultés à les trouver.

D'un autre côté, il a aussi été difficile d'étudier les itinérants. Nous avons rencontré 150 personnes itinérantes et nous avons dû faire appel à des gens possédant des compétences particulières pour être en mesure de les interviewer. La nature des études est un élément important.

La présidente : Notre comité s'est rendu à Winnipeg, à Saskatoon et à Vancouver il y a quelques semaines. À Saskatoon, nous avons rencontré M. Ray Ahenakew, le président intérimaire de l'Université des Premières nations. Il a dit quelque chose qui m'est resté en tête. Il a souligné que la période la plus importante de l'éducation des élèves autochtones qui vivent dans les réserves, c'est celle allant de la maternelle à la 12e année. S'ils n'ont pas reçu une bonne éducation dans la réserve de la maternelle à la 12e année, ils n'ont aucune chance de réussir par la suite. Cela m'est resté en tête, et je constate que vous avez parlé de façon éloquente de l'importance de l'éducation.

Nous avons parlé d'écoles distinctes et d'autres écoles. Doit-on mettre sur pied des écoles ou des programmes d'aide à l'intention des Autochtones qui viennent des réserves — j'hésite beaucoup à dire cela ainsi, mais je ne trouve pas d'autre façon de le dire — comme un programme de rattrapage de sorte qu'ils puissent bien suivre au niveau postsecondaire et bénéficier des mêmes possibilités que nos enfants? Ce n'est pas de leur faute s'ils reçoivent une piètre instruction.

Voulez-vous répondre en premier, monsieur McCaskill?

M. McCaskill : Certainement.

Je crois que vous soulignez là un point très important. Au terme de leurs études secondaires, les résultats scolaires des élèves des communautés des Premières nations, particulièrement celles du Nord, sont beaucoup moins élevés.

En raison de ce problème, nous avons établi en 1974 un programme menant à l'obtention d'un diplôme. Nous avons constaté que le niveau d'intelligence des élèves autochtones était équivalent à celui des élèves non autochtones, mais que le taux de diplomation était inférieur, pour diverses raisons, notamment la pauvreté, le manque de soutien et la piètre qualité du système d'éducation. De nombreux professeurs ne voulaient pas enseigner dans ces communautés ou ne parvenaient pas à s'y intégrer. Ils ont donc choisi d'aller enseigner ailleurs. Par conséquent, le taux de roulement du personnel était très élevé. Je suis certain que vous êtes au fait d'un grand nombre des problèmes.

Il faut établir des programmes pour permettre aux élèves de ces écoles où le taux de réussite scolaire est moins élevé d'accéder à l'éducation postsecondaire. Nous constatons souvent que le taux de réussite scolaire des étudiants autochtones qui fréquentent l'Université Trent est moins élevé que celui des autres étudiants. Nous avons mis en place des programmes de mentorat et d'orientation, toutes sortes de programmes, mais il demeure que si, par exemple, un étudiant autochtone a des problèmes à la maison, il est rare qu'il bénéficie du même soutien qu'un étudiant non autochtone de la classe moyenne. Si les problèmes sont trop importants, l'étudiant autochtone abandonnera ses études universitaires parce qu'il n'a pas le soutien nécessaire.

Le problème est moins important qu'auparavant, mais il n'est pas facile pour eux de s'adapter durant cette première année d'université, car l'environnement est très différent. De nombreux étudiants autochtones ont beaucoup de mal à satisfaire aux attentes sur le plan de la lecture et de l'écriture, des rédactions, des exposés, et cetera. Ce genre de transition est essentiel. Nous reconnaissons de plus en plus, à l'instar des provinces, qu'il s'agit d'un problème important.

M. Richards : Paul Martin, quand il n'était plus premier ministre, a continué de s'intéresser activement aux questions touchant les Autochtones. Il a mis sur pied une fondation, qui finance un certain nombre de projets pilotes dans des écoles secondaires, notamment à l'école Britannia, qui se trouve dans l'est de Vancouver, près de chez moi. Je me suis entretenu avec M. Martin il y a quelques semaines à ce sujet, et il m'a avoué que, si c'était à refaire, il se serait concentré d'abord sur le préscolaire et le début du primaire. Je crois qu'il a raison.

Le Comité directeur de l'éducation des Premières nations de la Colombie-Britannique joue un rôle qui s'apparente à celui d'une commission scolaire auprès des écoles des réserves de la province. Il compile les résultats des élèves qui fréquentent les écoles des réserves et il en effectue une bonne analyse. Les résultats montrent notamment que très tôt, en 1re, 2e et 3e années, les élèves des Premières nations de ces écoles commencent à prendre du retard sur le plan de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Je suis un fervent partisan de l'éducation préscolaire. Il existe un programme très fragmenté, le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones, mis en œuvre à l'échelle du Canada, qui n'est pas très bien développé dans les réserves et qui devrait l'être.

Quant à la façon de s'attaquer aux problèmes qu'éprouvent les élèves des Premières nations et des communautés métisses au niveau postsecondaire, madame le sénateur Jaffer, je dirais qu'il faut mettre l'accent sur la petite enfance et le début du primaire. Tant qu'on ne fera pas cela, je crois que nous continuerons tous de ressentir un fort sentiment de frustration. Il ne s'agit pas de réinventer la roue.

Quand j'étais jeune, il y a de nombreuses années, et que j'étais un étudiant des cycles supérieurs à St. Louis, au Missouri, St. Louis était l'une des grandes villes américaines aux prises avec un énorme problème de discrimination à l'égard des étudiants afro-américains. On a commencé à mettre en place des programmes d'aide destinés aux élèves du début du primaire et même aux enfants d'âge préscolaire. Il s'agissait d'un groupe marginalisé qui ne connaissait pas beaucoup la réussite dans le système scolaire et qui essayait d'y parvenir par de nombreux moyens.

J'espère que vous parlerez dans votre rapport du rôle, tant dans les réserves qu'à l'extérieur des réserves, des programmes destinés aux enfants d'âge préscolaire et aux élèves du début du primaire, car ces programmes visent à faire en sorte que les élèves des Premières nations et des communautés autochtones en général soient à l'aise dans le système scolaire.

Le sénateur White : Vous avez parlé des taux de diplomation au secondaire. Je pense qu'on effectue des recherches — vous pourrez probablement le confirmer — pour déterminer si le diplôme d'études secondaires que reçoivent les Autochtones est équivalent à celui qu'obtiennent les élèves non autochtones. Je veux parler du Nunavut en particulier. Au début des années 2000, on a constaté que le nombre de finissants des écoles secondaires de cette région qui auraient pu obtenir un certificat de formation générale, par exemple, était beaucoup moins élevé — en fait je crois que la différence était très grande — que n'importe où ailleurs au Canada. Je ne sais pas si la situation est la même au sein d'autres Premières nations ou communautés autochtones, mais je sais qu'au Nunavut, c'était un problème.

M. McCaskill : Je crois que c'est ce qu'on a constaté en général, surtout dans les réserves éloignées, par exemple dans les réserves du Nord.

Dans certaines réserves urbaines, par exemple la réserve Six Nations, près de Brantford, ou même dans certaines réserves pas très loin d'ici, comme celle de la Première nation de Curve Lake, près de Peterborough, les niveaux d'instruction sont considérablement équivalents, quoique les élèves doivent souvent quitter la réserve après avoir terminé le cours primaire.

En général, il est juste de dire que le taux de réussite scolaire des finissants des écoles des Premières nations est moins élevé que celui des finissants des écoles secondaires non autochtones.

La présidente : Il y a tellement de questions que nous voulons vous poser parce que l'éducation est un sujet sur lequel nous nous attardons beaucoup, tout comme vous, et que nous voulons en savoir davantage, mais nous n'avons plus de temps. Je vous remercie tous les deux. Nous allons étudier ce sujet pendant quelques mois encore, et peut-être que nous vous consulterons à nouveau. Je vous remercie de nous avoir consacré un peu de votre temps.

Honorables sénateurs, je suis ravie d'accueillir maintenant M. Richard Missens, directeur exécutif du Service des relations avec le public de l'Université des Premières nations. Ceux d'entre nous qui ont visité cette université, à Saskatoon, ont bien aimé s'entretenir avec des étudiants et découvrir le travail de M. Missens. L'expérience a été très agréable.

Je sais que vous allez nous parler aujourd'hui de votre programme, alors allez-y, monsieur Missens.

Richard Missens, directeur exécutif, Service des relations avec le public, Université des Premières nations : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Vous m'excuserez, car je suis un peu enrhumé. C'est la première fois que je m'adresse au Sénat, et il fallait que je sois enrhumé; mais je vais essayer de faire de mon mieux. Je m'appelle Richard Missens, et je suis professeur à l'École de commerce et d'administration publique. Actuellement, j'occupe le poste de directeur exécutif du Service des relations avec le public de l'Université des Premières nations.

Avant de parler de l'université, je vais parler de moi-même. Mon histoire vous permettra de comprendre l'incidence qu'a eue cette institution sur la vie des peuples des Premières nations et la façon dont nous pouvons tous mieux jouir de nos droits de la personne.

Je suis membre de la Première nation Pasqua, qui vit dans une réserve située dans le sud de la Saskatchewan. J'ai grandi dans cette réserve dans les années 1960 et 1970, et j'y habite aujourd'hui. J'ai quitté la réserve en 1980 pour faire des études et trouver un travail. J'y suis revenu il y a environ 11 ans. Durant les années que j'ai passées dans la réserve, j'ai vu bien des choses changer. J'ai aussi vu bien des choses qui n'ont pas changé. La situation est la même pour les membres de notre Première nation qui vivent à l'extérieur de la réserve. De nombreuses familles continuent d'éprouver des difficultés sur le plan de la santé, de l'emploi, de l'éducation et de la culture, que nous sommes en train de perdre.

Quand j'ai quitté la réserve, c'était pour entreprendre des études au Saskatchewan Indian Federated College, qui est devenu depuis l'Université des Premières nations du Canada. Je me souviens d'avoir trouvé cette expérience assez difficile. Je devais habiter chez un membre de la famille et trouver un emploi à temps partiel. Même si j'y étais bien accueilli, le logement de ma tante était très petit et surpeuplé; j'occupais une petite chambre dans le sous-sol dans une aire de travail improvisée. En 1993, j'ai été embauché comme professeur à l'Université des Premières nations. Au cours des 20 dernières années, j'ai eu l'occasion de travailler avec de nombreux jeunes Autochtones. J'ai aussi occupé pendant sept ans le poste de président de l'autorité scolaire de ma bande. Nous nous occupions de tous les aspects de l'éducation dans la réserve, notamment du Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire.

En tant que professeur et administrateur, j'ai été témoin de la difficulté avec laquelle les peuples des Premières nations effectuent leur parcours scolaire. Ils éprouvent même de la difficulté à combler leurs besoins de base, comme se loger, se nourrir, se vêtir et veiller à leur santé. Leur cheminement scolaire est souvent marqué par des problèmes d'ordre culturel, comme les séquelles laissées par les pensionnats indiens et l'effritement de l'identité culturelle; des problèmes liés au rôle parental, à l'éducation des enfants et à la mobilité; des problèmes de nature financière, comme le revenu, le coût de la vie et l'emploi; et des problèmes liés à la santé, à l'éducation et au logement.

L'Université des Premières nations a été créée en 1976 par les Premières nations de la Saskatchewan en partenariat avec l'Université de Regina. Ayant pour mission d'offrir une éducation postsecondaire de qualité tout en améliorant la qualité de vie des Premières nations et en préservant et en interprétant leur histoire, leur langue, leur culture et leur patrimoine artistique, l'université offre un ensemble unique de programmes de premier, deuxième et troisième cycle entièrement agréés. L'université n'est pas administrée par l'Université de Regina. Elle possède son propre conseil d'administration et elle est membre à part entière de l'Association des universités et collèges du Canada — le seul établissement autochtone à faire partie de cette association.

Nous constatons qu'à l'instar de nos programmes, notre clientèle est également unique. Environ 85 p. 100 de nos étudiants sont des Autochtones, principalement des membres des Premières nations; à peu près 76 p. 100 sont des femmes, dont la majorité sont des mères seules; la moyenne d'âge de nos étudiants est plus élevée que celle des étudiants d'autres universités; approximativement 72 p. 100 sont des étudiants qui n'ont pas fait d'études depuis plus de deux ans; et la majorité de nos étudiants, environ 67 p. 100, ont des enfants. Nous accueillons tous les ans entre 2 000 et 3 000 étudiants provenant d'autres universités.

Nos études ont révélé que les taux de rétention des étudiants autochtones sont généralement 50 p. 100 plus bas que ceux des étudiants non autochtones. Au sein de notre institution, après la première année, le taux de rétention s'élève à 42 p. 100. Cela signifie que durant la première année, nous perdons plus de la moitié de nos étudiants. La plupart du temps, les étudiants abandonnent leurs études pour des motifs qui sont navrants à mon avis, comme le logement, les services de garde, la pauvreté, le transport, et cetera. Toutefois, notre taux de rétention après la deuxième année est beaucoup plus élevé. Il s'établit entre 70 et 75 p. 100. Après la troisième année, il se situe entre 80 et 85 p. 100. L'université enregistre un taux de réussite de plus de 95 p. 100 durant la dernière année. Nous savons que si nous pouvons aider les étudiants à terminer leur première année, nous pouvons considérablement augmenter la probabilité qu'ils terminent leurs études.

À cet égard, nous avons récemment élaboré deux stratégies. La première est l'établissement d'un programme de bourses d'urgence, qui permet aux étudiants de demander un soutien financier pour des besoins urgents. Nous sommes d'avis que si nous pouvons aider les étudiants à répondre à leurs besoins les plus urgents, nous pouvons les aider à persévérer dans leurs études. Au cours de la session d'automne, nous avons versé environ 12 000 $ à des étudiants pour les aider à assumer les coûts liés à la nourriture, au logement, à la garde d'enfants, à l'achat de vêtements d'hiver, de manuels et d'ordinateurs portables, aux services publics et au transport en commun.

Notre deuxième stratégie comporte une approche plus directe. Nous avons mis en place un programme pour la transition et la rétention, qui s'adresse directement aux étudiants de première année. Les premiers résultats sont très encourageants. Le taux de rétention chez les étudiants qui participent à ce programme a été de 75 p. 100. Nous voulons maintenant encourager davantage d'étudiants à participer à ce programme et nous envisageons de l'étendre aux étudiants de deuxième année.

Jusqu'à maintenant, nous comptons plus de 3 500 diplômés. Ces diplômés représentent la réussite de notre institution. Nous avons constaté qu'ils se sont établis dans tous les territoires et provinces du Canada et qu'un certain nombre d'entre eux vivent même dans d'autres pays.

Je suis actuellement en train de planifier avec notre association des anciens des retrouvailles, qui devraient avoir lieu le 5 avril 2013, ce qui coïnciderait avec la tenue de notre pow-wow du printemps. L'association reçoit des demandes de la part d'anciens étudiants qui souhaitent devenir membres, mais qui ne savent pas s'ils peuvent adhérer à l'association. Ce sont des étudiants qui ont suivi des cours à l'Université des Premières nations, mais qui n'ont pas nécessairement terminé un de nos programmes. Puisque pour chaque diplômé on compte quatre anciens étudiants de cette catégorie, nous pouvons envisager que notre association pourrait compter plus de 15 000 anciens et amis.

Mon expérience à l'université a changé ma vie. J'espère que nous avons réussi à faire en sorte qu'il en soit de même pour d'autres étudiants et que nous continuerons, avec nos anciens et amis, de les aider à réaliser de grands rêves et à apporter une contribution utile à la société. Je vous remercie beaucoup de m'avoir permis de m'exprimer.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Missens. J'ai une question à vous poser.

Le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord aide financièrement les membres des Premières nations ayant le statut d'Indien inscrit qui souhaitent effectuer des études postsecondaires, grâce au Programme préparatoire à l'entrée au collège et à l'université et au Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire. Avez-vous une connaissance pratique de ces programmes, et, le cas échéant, pouvez-vous nous donner votre point de vue sur leur mise en œuvre et leur efficacité?

M. Missens : Oui, je connais particulièrement bien le Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire. Ma bande a participé à la gestion de ce programme. Je sais que c'est un programme qui offre un soutien très limité à nos étudiants. Au sein de ma communauté, entre 40 et 50 étudiants figuraient sur la liste d'attente chaque session; ils attendaient d'avoir la possibilité de faire des études. Nous offrions de l'aide seulement pour les droits de scolarité et les manuels, ce qui représentait en moyenne une somme d'à peu près 1 200 $ par étudiant, et nous offrions également une allocation de subsistance de 1 000 $ par étudiant pour huit mois de l'année. Cela a permis à notre communauté de financer environ 46 étudiants chaque session. C'est une aide importante, mais je sais que le financement est très limité. Nous encourageons les étudiants à demander des prêts et à trouver un emploi à temps partiel pour la durée de leurs études.

La présidente : J'aimerais aussi savoir si certains de vos étudiants sont des membres des Premières nations qui n'ont pas le statut d'Indien inscrit, et si on leur offre également une aide financière étant donné qu'ils ne sont pas admissibles à ces deux programmes fédéraux?

M. Missens : Oui, environ 20 p. 100 de nos étudiants ne sont pas des Autochtones. Je sais que certains d'entre eux profitent d'un prêt étudiant et que tous les étudiants, y compris les non-Autochtones, sont admissibles aux bourses que nous offrons. Je sais que certains en ont reçu.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Andreychuk : Comme vous le savez, je travaille pour l'université depuis ses débuts. Je me souviens que la première présidente, Ida Wasacase, a fait preuve de clairvoyance en affirmant qu'il est absolument nécessaire pour les Autochtones d'obtenir un diplôme. Au début, on comptait peu de diplômés autochtones, mais maintenant, il y en a beaucoup. L'université offre maintenant des programmes dans les domaines des langues, du travail social, de l'éducation et d'autres domaines courants. Elle offre même des programmes en administration des affaires.

À l'époque, la difficulté consistait à obtenir des étudiants parce que beaucoup d'élèves ne terminaient pas leurs études secondaires. Ceux qui obtenaient un diplôme d'études secondaires devaient faire du rattrapage, alors des programmes à cet égard avaient été mis en place pour les aider. Une autre difficulté était de les amener à persévérer dans leurs études. Vous avez fait remarquer que cela constitue encore un problème. Durant la première année, un grand nombre abandonne.

Que devons-nous faire, avant les études universitaires, mis à part ce que nous avons fait jusqu'à maintenant? Je sais que des professeurs de l'université se sont rendus dans des communautés pour donner des cours. Je suis moi-même allée dans le nord de la Saskatchewan et j'ai donné des cours le samedi afin d'habituer les étudiants à l'idée de faire des études universitaires et de leur montrer à quel point ces cours sont différents de ceux qu'ils suivent à l'école secondaire. C'est une initiative qui s'est révélée profitable. Tout ce que nous avons fait a été utile, mais que pouvons-nous faire avant le niveau universitaire pour favoriser la persévérance scolaire et la préparation aux études supérieures pour assurer la réussite des étudiants? Vous avez parlé de logement et de finances. Ces problèmes concernent autant les non- Autochtones que les Autochtones. C'est pourquoi il existe des prêts étudiants. Que pouvons-nous faire, dans les réserves en particulier, dans les écoles primaires et secondaires pour que les Autochtones puissent arriver à l'université aussi bien préparés que les autres étudiants, qui eux aussi connaissent des difficultés de toute façon? Que pourrions- nous au moins faire?

M. Missens : C'est une très bonne question. D'après mon expérience, et à mon humble avis, ce que nous devons faire notamment, c'est améliorer le système scolaire, à partir de la maternelle jusqu'à la 12e année, que ce soit dans les réserves ou à l'extérieur des réserves. Un grand nombre des étudiants qui entrent à l'université — et je ne parle pas seulement de notre université — ne possèdent pas les compétences qu'il leur faut pour réussir leur première année. Nous consacrons beaucoup de temps et d'énergie pour aider les étudiants à atteindre le niveau de connaissances qu'ils doivent avoir pour réussir. Il faut donc miser sur la préparation. Comme j'ai été président du conseil de ma propre communauté, je sais que le niveau de financement des écoles gérées par les bandes dans les réserves n'est pas le même que celui des écoles qui se trouvent à l'extérieur des réserves. À mesure que la population autochtone augmente, en particulier en Saskatchewan, elle occupe une place toujours plus importante au sein de la population globale de la province. J'aimerais qu'on modifie le programme afin de permettre aux Premières nations de conserver leurs langues, leur culture et leur identité, de comprendre leur histoire et d'acquérir toutes ces connaissances d'une manière appropriée pour elles.

Nous avons constaté que, lorsque nos étudiants commencent à lutter contre la perte d'identité, ils ressentent un sentiment d'accomplissement et de fierté et ils ont davantage confiance en eux. Cela les aide grandement à réussir lorsqu'ils doivent relever des défis importants, particulièrement des défis d'ordre scolaire.

J'ai aussi parlé du financement. Quand les étudiants quittent la réserve ou même quand ils vivent déjà dans une région urbaine, il faut les aider financièrement pour qu'ils puissent continuer leurs études. Comme je l'ai dit plus tôt, beaucoup d'étudiants abandonnent pour des raisons navrantes, à mon avis, mais néanmoins importantes pour eux, comme le transport, le logement, la garde d'enfants, la nourriture, un emploi, et cetera. Ces éléments font vraiment une différence. Si nous parvenons à les maintenir aux études durant la première année, le taux de réussite augmente considérablement.

Le sénateur Andreychuk : Mis à part la question du financement — parce que souvent si on a les moyens nécessaires, on peut réussir — vous avez parlé de la nécessité de renforcer l'identité culturelle à partir de la maternelle jusqu'à la 12e année. Pendant cette période du parcours scolaire, que peut-on faire d'autre?

Peut-être puis-je aborder un point en particulier. Quand j'étais juge au tribunal de la famille à Regina, il semble que je parvenais mieux à aider les jeunes dont les parents valorisaient l'éducation. Certains avouaient ne pas avoir fait d'études mais affirmaient être conscients de l'importance de l'éducation de nos jours. Il y a très peu d'emplois qui n'exigent aucun diplôme ou aucune compétence particulière, qu'il s'agisse d'un diplôme universitaire ou d'une formation technique. Par contre, d'autres parents voulaient aider leur enfant, mais ne valorisaient pas du tout l'éducation. Comment faire pour changer cette mentalité?

M. Missens : Ce sont d'autres excellentes questions. La façon dont les enfants sont éduqués par les parents a une influence, entre autres choses, sur leur réussite scolaire. Les valeurs enseignées à la maison sont déterminantes. Le niveau de pauvreté, l'état de santé, la situation financière et sociale, ce qui inclut la discrimination, et la qualité de l'éducation ont une grande influence quand vient le temps d'aider les enfants à voir l'intérêt de travailler pour se préparer aux études.

Il est difficile de déterminer lequel de ces éléments est le plus important, mais nous savons que lorsque nous pouvons aider les enfants nous pouvons favoriser leur réussite. À l'heure actuelle, en Saskatchewan, environ les deux tiers de tous les enfants qui sont pris en charge par la province sont des enfants autochtones. C'est donc dire qu'il y a toute une multitude de problèmes qui touchent les familles, notamment sur le plan financier. Ces problèmes se répercutent sur les enfants qui fréquentent les écoles.

Dans nos communautés, le nombre d'élèves qui terminent la douzième année augmente, mais c'est principalement en raison de l'accroissement de la population, et pas nécessairement parce que nous réussissons mieux à les faire persévérer. Au sein des communautés, nous continuons de travailler avec les parents, car ils jouent un rôle essentiel dans la persévérance et la réussite scolaires. Nous espérons faire comprendre aux enfants l'importance de la persévérance scolaire afin d'éviter qu'ils n'abandonnent l'école en 10e, 11e ou 12e année, comme c'est habituellement le cas.

Le sénateur Andreychuk : J'ai une dernière question à vous poser. Vous avez parlé des anciens, de l'aide financière et des bourses. Dans quelle mesure avez-vous établi un programme de mentorat pour les nouveaux étudiants? Quand je fréquentais l'université, les anciens étaient habituellement les premiers diplômés de leur famille. Je me souviens d'avoir rencontré beaucoup d'étudiants qui étaient les premiers à obtenir un diplôme de votre université, et leurs familles étaient incroyablement fières qu'ils aient fait des études universitaires. Comment faire pour que cet exemple ait une influence sur la communauté?

M. Missens : Nous avons mis en place à l'université un programme de mentorat dans le cadre duquel des étudiants de troisième et quatrième année servent de mentors à des étudiants de première année. Je travaille avec l'Association des anciens, qui cherche des moyens d'apporter une contribution et de redonner à l'université. Elle a évoqué l'idée d'établir un programme de mentorat. Nous n'avons pas encore établi un programme dans le cadre duquel les anciens feraient du mentorat, mais c'est une des suggestions que l'association a formulées.

Durant les retrouvailles au mois d'avril, les premières qui auront lieu à ma connaissance, nous rencontrerons nos anciens et nous leur présenterons certaines de ces idées. Notre plan stratégique prévoit la création d'un programme pour les anciens. Quand nous avons commencé à travailler à ce projet, nous nous sommes rapidement rendu compte que nous n'avions pas une liste complète de tous les anciens. Nous avons d'abord dressé une telle liste et nous avons ensuite amorcé l'élaboration du programme.

Le sénateur Brazeau : Merci, monsieur Missens. Je suis ravi de vous voir ce soir. Au nom des membres du comité qui étaient à Saskatoon il y a quelques semaines, je tiens à vous remercier de nous avoir accueillis. Nous avons effectué une excellente visite de l'établissement, qui nous a certes ouvert les yeux.

Comme vous le savez, nous menons cette étude en partie parce que malheureusement il y a encore de la discrimination à l'égard des membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves. Que ce soit le gouvernement fédéral, en raison de ses politiques, les gouvernements provinciaux et même les gouvernements des Premières nations qui fassent preuve de discrimination, ce qui importe, c'est qu'elle existe encore. Vous vous souvenez sans doute qu'une des étudiantes qui fréquentent votre université nous a expliqué qu'elle n'avait pas pu obtenir d'aide financière pour ses études postsecondaires en raison d'une décision discrétionnaire rendue par les dirigeants de sa réserve. Je suis certain que vous vous souvenez de cette conversation.

Cela dit, entendez-vous des étudiants des Premières nations parler d'autres formes de discrimination fondée sur le simple fait qu'ils vivent à l'extérieur de la réserve, par choix ou par obligation? Y a-t-il d'autres problèmes auxquels sont confrontés les membres des Premières nations qui sont victimes de discrimination parce qu'ils habitent à l'extérieur de la réserve?

M. Missens : J'ai entendu une seule histoire liée à la discrimination. J'ai entendu beaucoup d'histoires sur les difficultés que les Autochtones doivent surmonter. Cette histoire en question concerne le logement. Une famille d'une réserve devait s'installer à Regina. Elle a téléphoné au propriétaire d'un appartement à louer, qui l'a invitée à venir le visiter. Quand le propriétaire a constaté qu'il s'agissait d'une famille autochtone, il lui a fait savoir que l'appartement venait tout juste d'être loué. Aux yeux de la famille, c'était là de la discrimination.

Outre la discrimination, on entend souvent parler des difficultés que les Autochtones doivent surmonter. Ces difficultés sont en bonne partie propres aux membres des Premières nations et liées à l'aspect financier. Ils doivent présenter différentes demandes d'aide financière dans la réserve et à l'extérieur de la réserve aux divers ordres de gouvernement, y compris leur propre gouvernement.

Le sénateur Brazeau : Lorsque nous étions à Saskatoon il y a plusieurs semaines, nous avons eu une vaste discussion avec certains étudiants. Il est vrai que le gouvernement fédéral effectue des transferts importants aux provinces pour l'éducation, le logement et d'autres domaines d'ordre social. Cependant, il me semble que souvent les gouvernements provinciaux n'ont pas à rendre des comptes au sujet des fonds qui devraient être destinés aux Autochtones qui vivent dans leur province. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Missens : J'ai un exemple à vous donner. Quand je siégeais au conseil scolaire, nous voulions que la langue des Nishnawbe soit enseignée à l'école située à l'extérieur de la réserve, à Fort Qu'Appelle. Nous avons communiqué avec l'école, qui nous a répondu qu'elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour mettre en place un tel programme d'enseignement. Nous avons alors communiqué avec le gouvernement fédéral, précisément le ministère des Affaires autochtones, qui nous a répondu que les provinces recevaient des fonds pour l'éducation des Autochtones vivant à l'extérieur des réserves. Nous nous sommes alors adressés au gouvernement de la Saskatchewan, qui nous a affirmé qu'il ne recevait aucuns fonds à cette fin. Nous devions donc financer nous-mêmes ce programme.

Les membres des Premières nations qui habitent à l'extérieur des réserves sont confrontés à cette situation où le gouvernement fédéral et les provinces se renvoient constamment la balle, et ils ne savent pas quelle compétence relève de quel ordre de gouvernement. Il est parfois facile pour les gouvernements de se refiler sans cesse les dossiers qui nous concernent.

Le sénateur Brazeau : Vous êtes une personne très intelligente. Vous avez habité dans la réserve. Vous avez fait la majeure partie de vos études postsecondaires à l'extérieur de la réserve. Dans un environnement non autochtone, vous avez réussi. Quelle devrait être la solution à votre avis? Comme vous venez de le dire, il y a beaucoup de querelles politiques, et pas seulement au sujet des questions qui touchent les Autochtones, mais à bien d'autres égards. Toutefois, ceux qui passent entre les mailles du filet sont les Autochtones. Quelle est la solution selon vous? Peut-être que nous ne parviendrons jamais à mettre un terme aux querelles entre les gouvernements au sujet des compétences. Dans le domaine de l'éducation, dans lequel vous évoluez, que devrait-on faire?

Notre étude ne consiste pas à faire une comparaison entre la situation dans les réserves et celle à l'extérieur des réserves. Cette étude vise à déterminer si les Autochtones, peu importe où ils habitent au pays, bénéficient tous des mêmes droits de la personne, des mêmes programmes et des mêmes services. Pour ce faire, il faut être franc et honnête. Nous voulons être en mesure de présenter plus tard au gouvernement de solides recommandations. Quelle serait selon vous la solution pour l'avenir? J'aimerais que vous formuliez une ou deux bonnes recommandations que nous pourrions inclure dans notre rapport que nous transmettrons au gouvernement fédéral et peut-être à d'autres gouvernements.

M. Missens : Je pense que les Premières nations devraient obtenir le pouvoir de gérer leur système d'éducation et les programmes scolaires.

Je suis devenu la personne que je suis pour trois raisons. Il y a premièrement ma mère. Elle valorisait l'éducation et m'a fait comprendre à quel point c'était important. Deuxièmement, ma communauté, notre chef et notre conseil ont trouvé des moyens novateurs de m'aider à poursuivre mes études postsecondaires et à surmonter certaines des difficultés auxquelles j'étais confronté. Troisièmement, j'ai eu de bons mentors. À l'université que j'ai fréquentée, l'Université des Premières nations, qui s'appelait à l'époque le Saskatchewan Indian Federated College, il y avait des membres des Premières Nations qui étaient des modèles et qui valorisaient l'éducation auprès des jeunes.

Je crois fermement que la solution consiste à confier aux Premières nations la compétence en matière d'éducation. Les Premières nations se préoccupent des jeunes. À mesure qu'elles développeront leurs capacités et qu'elles amélioreront leur propre régime de gouvernement, on constatera qu'elles sont capables de réalisations remarquables en matière d'éducation.

Le sénateur Brazeau : Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais, étant donné la réponse que vous venez de me donner, je dois vous poser une question tendancieuse. Vous parlez de donner aux Premières nations le pouvoir de prendre des décisions en matière d'éducation. Vous savez que de nombreux membres des Premières nations ne peuvent pas obtenir d'aide financière pour leurs études postsecondaires, soit en raison de décisions discrétionnaires prises par les conseils de bande, soit parce que leurs noms figurent sur la liste générale du ministère des Affaires autochtones, car ils ne sont pas membres d'une bande, mais il demeure qu'ils sont des membres des Premières nations et qu'ils n'ont pas accès aux études postsecondaires. Si vous parlez d'attribuer des pouvoirs, croyez-vous que les fonds pour l'éducation devraient être versés directement aux personnes ou qu'ils devraient être gérés par les conseils de bande?

M. Missens : Il faut aider financièrement les étudiants des Premières nations. Il faut pouvoir leur offrir cette aide aux moments cruciaux de leur parcours scolaire et elle doit être suffisante pour leur permettre de terminer leurs études. Les gouvernements des Premières nations sont mieux placés pour prendre les décisions en matière d'aide financière qui vont dans l'intérêt supérieur de leur peuple. Ils ont l'expérience et la compréhension nécessaires.

En outre, si nous supposons que nous choisissons cette voie, les Premières nations ont la capacité d'élargir les formes d'aide à offrir. Si nous laissons le soin à un ministère ou à un organisme du gouvernement de gérer ces fonds, il aurait une vision restreinte d'un programme d'aide financière et des moyens d'aider les étudiants. Un gouvernement de bande est en mesure d'offrir non seulement une aide financière, mais aussi du soutien grâce à la communauté, aux aînés, aux familles, aux dirigeants et aux conseils tribaux. Il peut aussi avoir recours aux programmes sociaux et à d'autres ressources qui sont à sa disposition. L'aide financière n'est qu'un des moyens d'aider les étudiants des Premières nations à réussir. Néanmoins, je crois que les Premières nations devraient gérer cet aspect.

Le sénateur Brazeau : Les communautés des Premières nations?

M. Missens : Les gouvernements des Premières nations.

Le sénateur Brazeau : J'ai donc une dernière question à vous poser. Beaucoup de dirigeants des Premières nations affirment qu'en vertu de l'article 91.24, les peuples des Premières nations et leurs terres relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, tandis que l'éducation relève de la compétence des provinces. Ils estiment donc que le gouvernement fédéral ne devrait pas s'occuper de l'éducation des Premières nations car, d'une part, ce domaine ne relève pas de sa compétence, et, d'autre part, il n'est pas un spécialiste de ce domaine.

Comment justifiez-vous la proposition de donner le pouvoir décisionnel aux chefs des Premières nations dans le secteur de l'éducation? C'est une question piège, comme je l'ai déjà dit. Nous marchons sur des œufs peu importe notre point de vue. Les chefs des Premières nations ne sont pas non plus des spécialistes de l'éducation. J'ai toujours été d'avis que les spécialistes, peu importe le domaine — qu'il s'agisse de l'éducation, du développement économique ou du logement — sont les particuliers. Pourquoi ne pas donner le pouvoir aux particuliers?

M. Missens : L'article 91.24 est une déclaration unilatérale faite par le Canada. Pour les Premières nations, l'éducation relève plutôt de l'article 35 de la Constitution. C'est un droit, un des droits des Autochtones. Chez nous, on nous enseigne qu'il s'agit d'un droit issu des traités, et pour cette raison, l'obligation incombe à tous les Canadiens, et non seulement aux Premières nations. Toutefois, puisque les gouvernements des Premières nations s'occupent de l'éducation autochtone, ils sont mieux placés pour aider à la comprendre, à la guider et à l'orienter. Les particuliers ont besoin d'appui et ils ont besoin que les gouvernements soient en mesure de les aider à réussir. La clé du succès réside dans les gouvernements des Premières nations et dans la collaboration avec les autres administrations pour veiller à ce que les droits issus des traités, y compris l'éducation, soient compris et respectés.

Le sénateur Zimmer : Merci de votre présence. J'ai une seule question pour vous.

Je m'aventure un peu en terrain inconnu. Habituellement, lorsque nous parlons de discrimination, nous la dissimulons, nous la discréditons ou nous la plaçons sous le couvert d'organismes. Personnellement, avez-vous déjà été témoin ou avez-vous entendu parler de cas dans lesquels des professeurs ou des enseignants faisaient très discrètement de la discrimination contre des étudiants autochtones, comme dans votre exemple de l'appartement, ou le voit-on surtout du côté institutionnel? Il y a des moyens subtils de faire de la discrimination dans une salle de classe, comme en évitant les étudiants autochtones ou en ne leur accordant pas d'attention, ou encore en ne répondant pas directement à leurs questions ou en les détournant.

M. Missens : Notre conseil universitaire supérieur s'occupe régulièrement de dossiers de ce genre. Des étudiants se soucient de la manière dont on parle, par exemple, des femmes autochtones dans la classe et du langage employé pour décrire les familles autochtones ou la vie dans les réserves. Nous avons régulièrement des questions de ce genre à régler. Elles concernent surtout des professeurs non autochtones. Dans la plupart des cas, je ne pense pas qu'ils le font exprès, mais il s'agit de discrimination marginale en ce sens qu'ils ne comprennent pas pleinement la situation et l'histoire des Premières nations. Ils tentent de s'exprimer de manière significative, mais leurs propos semblent péjoratifs. Lorsque nous parlons aux professeurs de ce qu'ils disent et de la façon dont ils le disent dans la classe, nous découvrons souvent qu'il s'agit plutôt d'un malentendu que de discrimination volontaire. Toutefois, certaines de leurs descriptions ressemblent à de la discrimination.

La présidente : Lorsque nous avons visité votre université, nous avons observé l'approche holistique adoptée pour offrir les services aux étudiants. Nos conversations avec les étudiants et nos observations ont révélé clairement que votre université est unique en son genre. Une professeure pleurait parce qu'une de ses étudiantes n'arrivait pas à régler ses difficultés financières auprès de la bande. C'était évident que l'université était déterminée à aider ses étudiants à réussir, peu importe les obstacles qu'ils avaient à surmonter. Je vous en félicite. L'école a adopté une approche holistique pour fournir ses services aux étudiants.

Pouvez-vous nous décrire les raisons de ce choix et les avantages de cette approche pour vos étudiants?

M. Missens : Oui, notre approche à l'éducation est holistique et nous appuyons nos étudiants. Les aspects les plus importants de notre université, ce qui nous guide, ce sont nos cérémonies et nos aînés. Sur chacun de nos campus, des aînés servent de guides et de conseillers auprès des étudiants et des professeurs. Nombre d'entre nous ont apporté du tabac aux aînés et leur ont demandé de l'aide pour surmonter des difficultés.

Lorsque les aînés orientent l'aide et l'éducation que nous fournissons aux étudiants, ils adoptent une approche holistique. Les travaux et les cours ne sont pas les seules préoccupations des étudiants; il y a aussi la famille, la maladie, le bien-être économique, ainsi que tous les facteurs émotionnels, spirituels et physiques connexes. Lorsque l'école comprend qu'elle doit s'occuper de l'étudiant dans son intégralité, elle saisit qu'elle doit offrir des programmes et des services qui vont bien au-delà des programmes universitaires, de la recherche, du tutorat, et cetera.

Par exemple, notre programme de bourses d'urgence aide à donner de l'argent aux étudiants; il est très flexible. Nous avons recueilli 47 paniers et des fonds que nous remettons aux étudiants. Nous célébrons des cérémonies, des mariages et des funérailles à l'université, et nous venons en aide aux familles dans le deuil. Nous faisons partie de la communauté et nous offrons une vaste gamme de services. La plupart des universités fonctionnent en vase clos : les étudiants font une demande d'inscription et une fois qu'elle est acceptée, ils restent à l'université pendant quatre ans ou plus, après quoi ils reçoivent leur diplôme. Nous devons ouvrir nos portes et tendre la main à nos voisins pour que la préparation de nos étudiants aille au-delà des exigences universitaires. Nous les aidons à réussir par la suite et puis, comme le sénateur l'a dit, nous les ramenons au sein de la famille afin qu'ils deviennent des modèles et des soutiens pour l'avenir.

Le système ainsi créé est beaucoup plus ouvert et holistique, et il permet d'aider encore davantage les étudiants à réussir.

Le sénateur Ataullahjan : J'ai trouvé intéressante votre observation selon laquelle votre mère a eu la plus grande influence sur vous. Je crois sincèrement que tout commence par la famille. Souvent, quand nous parlons de solutions, nous ignorons le rôle colossal de la famille. Merci d'avoir souligné ce fait.

La présidente : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous rencontrer. Vous avez dû déployer le double des efforts : lorsque nous sommes allés vous rencontrer pour la première fois, vous nous avez accueillis gracieusement; et aujourd'hui, vous nous avez donné plus de votre temps. Nous vous en sommes reconnaissants et nous espérons que nos chemins se recroiseront.

(La séance est levée.)


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