Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 4 - Témoignages du 13 février 2012
OTTAWA, le lundi 13 février 2012
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier et faire rapport au sujet des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale.
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous. Je m'appelle Pamela Wallin, et je suis présidente du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je souhaite un bon retour à tous, puisque c'est notre première réunion de l'année 2012. Bienvenue à tous les membres du comité ainsi qu'aux visiteurs. Nous avons une journée très occupée qui nous attend. Plusieurs personnes importantes sont installées à l'avant de la salle. Comme d'habitude, je demande aux sénateurs de faire des interventions précises et d'éviter les longs préambules. Nous allons tenter de poser autant de questions que possible. Nous ferons un second tour de table s'il le faut, mais j'aimerais que les choses aillent rondement.
Nous traiterons aujourd'hui de deux sujets. Nous commencerons par examiner la campagne aérienne de l'OTAN en Libye, qui a duré sept mois et qui a été largement reconnue comme un énorme succès. Cette campagne a permis d'atténuer la violence des pires actes de répression du dictateur Mouammar Kadhafi à l'endroit de sa propre population. L'Opération Unified Protector, menée par l'OTAN et sanctionnée par l'ONU, comportait trois volets : embargo sur les armes, zone d'exclusion aérienne et protection des civils contre les attaques ou les menaces d'attaque. Toute l'opération de l'OTAN, Unified Protector, était commandée par un Canadien, le lieutenant-général Bouchard, qui a été qualifié de véritable héros pour avoir organisé et géré une telle opération en aussi peu de temps. Le Canada a contribué à l'Opération Unified Protector aux côtés de plusieurs autres pays, plus d'une dizaine. Chez nous, notre contribution à l'intervention s'appelait Opération Mobile.
Nous recevons aujourd'hui le lieutenant-général Charles Bouchard, ancien commandant de l'Opération Unified Protector de l'OTAN, qui vient nous parler des opérations multinationales et des opérations canadiennes dans le cadre de cette intervention. Le lieutenant-général Bouchard s'est joint aux Forces canadiennes en 1974. Il a piloté des hélicoptères tactiques pendant la plus grande partie de sa carrière, et il a accumulé une somme impressionnante d'expérience avant d'en arriver à occuper la double fonction de commandant adjoint du Commandement allié de la force interarmées à Naples et commandant des opérations en Libye.
Nous recevons également le major-général Jonathan Vance, directeur d'État-major à l'État-major interarmées stratégique. Le général Vance est bien connu de notre comité. Il a dirigé deux fois la mission du Canada en Afghanistan, et il est maintenant principal conseiller stratégique du chef d'État-major de la Défense. Je me permets d'ajouter que, cette année, on lui a remis le prix Vimy, qui est décerné à un Canadien ayant contribué de façon exceptionnelle à la défense et à la sécurité du Canada, et à la préservation de nos valeurs démocratique. Félicitations et merci pour votre service distingué.
Nous recevons aussi aujourd'hui M. Marius Grinius, directeur général de la politique de sécurité internationale. M. Grinius est responsable, au MDN, de la gestion de la défense bilatérale et multilatérale dans le secteur des relations sécuritaires internationales. Il s'occupe notamment de la représentation du Canada à l'ONU, à l'OTAN et au sein d'autres organismes. Il offre conseils et soutien au ministre et à la direction pour ce qui touche ces relations établies à des fins de défense internationale.
Nous avons aussi avec nous le lieutenant-colonel Robin Holman, assistant juge avocat général adjoint en charge du droit opérationnel. Le lieutenant-colonel Holman offre des conseils juridiques sur des questions touchant les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale relativement à tous les accords internationaux, y compris la Convention de Genève, par exemple.
Je vous souhaite la bienvenue, messieurs.
Général Bouchard, je pense que vous avez une déclaration préliminaire à faire.
[Français]
Lieutenant-général Charles Bouchard, ancien commandant de l'Opération Unified Protector de l'OTAN, Défense nationale : Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de comparaître devant ce comité pour vous donner un aperçu des faits saillants de l'Opération Unified Protector de l'OTAN et répondre au plus grand nombre de questions possible cet après-midi. Comme la présidente l'a indiqué, vous avez rencontré mes collègues qui sont ici aujourd'hui avec moi.
Cette discussion est pertinente étant donné que le 17 février prochain, les Libyens fêteront le premier anniversaire du soulèvement contre leur ancien dictateur Mouammar Kadhafi.
[Traduction]
Mes commentaires cet après-midi porteront sur trois aspects : principalement la Libye avant et après, l'OTAN aujourd'hui et demain, et les leçons que nous devrions sérieusement étudier quand notre regard se tourne vers l'avenir. Je voudrais insister sur le fait que notre mission, menée en conformité avec les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, était de protéger les civils et les zones habitées qui étaient attaqués ou menacés d'attaque, d'appliquer l'embargo sur les armes et d'établir une zone d'interdiction aérienne. Encore pendant la première semaine d'octobre, le régime continuait d'ordonner à la population de décapiter toute personne soupçonnée d'appuyer le Conseil national de transition, qui avait été reconnu à l'échelle internationale comme le représentant légitime du peuple libyen. La chute du régime n'était pas notre objectif, mais la violence et la menace de violence se sont poursuivies jusqu'à la mort ou la capture de Kadhafi et de ses fils. Il ne peut y avoir aucun doute que l'intervention en Libye était juste et justifiée.
Tandis que l'Opération Unified Protector était mise sur pied, le 31 mars 2011, les forces du régime avançant sur Benghazi avaient l'ordre de tuer tout mâle ayant entre 17 et 40 ans. Misrata était sous un bombardement constant. Ayant le dos tourné à la Méditerranée, les habitants de la région de Jebel-Nafusa subissaient des pressions semblables, et la population de Tripoli était sous l'emprise des Forces de sécurité libyennes dirigées par Abdallah Senoussi.
La situation sur le terrain en Libye a évolué en quatre étapes durant la campagne du Conseil national de transition. La première a été la stabilisation de la situation. Il s'agissait de la première étape, qui a empêché la chute des grands centres urbains les plus menacés par les forces du régime.
La deuxième étape a été le renforcement des forces du Conseil national de transition. Il s'agissait de médecins, de compagnons d'apprentissage et d'étudiants luttant pour leur liberté. Ils étaient mal dirigés, organisés et équipés, et il a donc fallu un certain nombre de semaines pour les renforcer. Durant son règne de 42 années, Kadhafi avait veillé à ce qu'aucun autre dirigeant ne puisse le déposer.
La troisième étape a été l'offensive. Un retournement de situation s'est produit lorsque les trois régions principales ont étendu leur avance, un effort couronné lors de la chute de Tripoli.
Enfin, nous avons assisté au nettoyage et à la chute de Sirte et de Bani Walid, ce qui assurait la sécurisation des dépôts de munitions et de produits chimiques et a entraîné la chute du régime.
[Français]
Il reste aujourd'hui un certain niveau d'incertitude en Libye. En tant que commandant militaire pour cette opération, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un problème de religion, mais plutôt d'une discorde régionale qui ne sera pas résolue tant qu'il n'y aura pas un gouvernement représentatif dûment élu en Libye. Certains actes de violence persistent. Toutefois, à mon avis, les choses suivent leur cours normal et ce pays apprend à faire la transition entre une dictature brutale et une démocratie libyenne. Je crois que la clé de la réussite, au cours des mois et des années à venir, sera d'aider les Libyens à organiser des élections, à instituer les règles de droit, et encourager le retour du commerce pour assurer un revenu national et le retour au travail de la population. Je crois fermement que les Libyens souhaitent la paix et la prospérité.
Ce fut une victoire pour la Libye et pour les Libyens. Pour l'OTAN, je dirais que ce fut un succès retentissant. En trois semaines à peine, des plans ont été élaborés et approuvés à l'unanimité par le Conseil de l'Atlantique Nord. En une semaine seulement, un commandant a été nommé, trois quartiers généraux furent mis sur pied et les opérations ont été lancées dans le cadre d'une transition harmonieuse avec la coalition Odyssey Dawn, dirigée par les États-Unis. Des opérations antérieures de l'OTAN avaient nécessité près d'an pour obtenir des résultats similaires. L'alliance et ses partenaires sont devenus forts et unis en peu de temps, tous les pays étant décidés à assurer le succès de la mission. Nous avons appris d'importantes leçons, lesquelles font l'objet d'un examen attentif en vue d'une intégration possible lors de futures opérations.
[Traduction]
J'emploie le mot restrictif « possible » parce que le succès de l'OTAN en Libye n'est pas, et ne doit pas être, une feuille de route pour la conduite de missions futures. Nous nous sommes adaptés à l'environnement et à la situation sur le terrain. Les prochains commandants feront face à des défis analogues lors du prochain conflit. Il ne serait pas prudent de croire que la stratégie utilisée en Libye fonctionnera efficacement ailleurs dans le monde. Nous espérons sincèrement, toutefois, que nous retiendrons les leçons de la mission et que nous saurons les appliquer, au besoin, au cours des mois et des années à venir.
L'OTAN d'aujourd'hui n'est pas l'OTAN d'il y a 10 ans. L'Opération Unified Protector a validé le concept stratégique et la nécessité d'une réaction militaire rapide au moment et à l'endroit opportuns. La clé de la réussite dans le futur sera de maintenir l'agilité mentale et physique, sur les plans aussi bien politique que militaire. À l'heure où je vous parle aujourd'hui, les membres de l'OTAN travaillent à la mise en œuvre de la nouvelle Structure de commandement de l'OTAN, et un lieutenant-général canadien validera dès cette année la prochaine Force d'intervention de l'OTAN dans le cadre de la nouvelle structure. J'estime que l'OTAN est plus forte aujourd'hui qu'il y a un an et qu'elle demeure une alliance indispensable pour le Canada, les États-Unis et l'Europe.
[Français]
En dernier lieu, je tiens à indiquer au comité que le rendement des membres des Forces canadiennes qui ont participé à cette opération a été tout simplement exceptionnel.
Vous avez raison d'être fiers des hommes et des femmes militaires qui ont réagi en un temps record à une situation complexe et qui ont exécuté leur mission avec bravoure et professionnalisme.
[Traduction]
Je voudrais clore mes remarques préliminaires aujourd'hui en vous faisant part de quelques réflexions personnelles sur ce que j'estime être des questions importantes, tandis que les Forces canadiennes continuent de définir la voie à suivre. Les expériences vécues dans les Balkans, en Afghanistan et en Libye nous mènent à la conclusion que le Canada a besoin de Forces canadiennes équilibrées pouvant agir en mer, dans les airs et au sol, dotées d'équipement à la hauteur des exigences des futurs lieux de bataille. Nous devons nous doter de meilleures capacités en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, en répondant notamment à la nécessité de lier les systèmes entre eux aux échelles nationale et internationale.
Il nous faut des armes de plus faible puissance entraînant moins d'effets collatéraux. Nous devons être en mesure d'opérer dans des zones bâties où il est de plus en plus difficile de distinguer les adversaires des non-combattants. Qu'elles soient utilisées au sol, en mer ou dans les airs, les ressources devraient avoir les capacités de recueillir de l'information, de la retransmettre en temps réel et d'engager des cibles valides, le cas échéant.
En dernier lieu, nous devons continuer d'investir dans le perfectionnement de nos futurs chefs, des chefs qui seront capables d'opérer aussi bien à Ottawa qu'outre-mer, aussi bien en temps de paix que dans le cadre de combats. L'agilité mentale est la clé du succès, appuyée par des Forces canadiennes équilibrées, souples et polyvalentes.
Je vous remercie beaucoup. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie. J'apprécie votre franchise et votre honnêteté dans ce domaine.
Vous avez terminé votre intervention en parlant des chefs, de la direction. Je sais qu'il n'y a pas de modèle tout fait, mais vous semblez heureux que l'OTAN, qui n'est pas reconnue pour son agilité et sa rapidité, intervienne résolument dans cette affaire. Certains ont dit — et ce n'est pas de la flatterie, mais une véritable question — qu'ils croyaient que vous étiez l'homme de la situation, et que vous étiez au bon poste au bon moment. À quel point ce facteur a-t-il joué dans la situation?
Lgén Bouchard : Merci pour cette observation. N'importe quel général portant deux ou trois étoiles aujourd'hui en poste dans les Forces canadiennes aurait pu diriger cette mission avec le même succès. En fait, le Canada a désigné quelqu'un qui répondait aux exigences de la situation. Les États-Unis ne souhaitaient pas avoir un rôle de direction officiel, et la France et le Royaume-Uni non plus.
Par rapport à d'autres pays, je pense que le Canada était bien placé pour assumer ces fonctions. C'est vrai que, comme j'ai travaillé sept ans en collaboration avec les États-Unis, de nombreux chefs me connaissaient déjà, mais permettez-moi de répéter, madame, que n'importe quel général des Forces canadiennes aurait été en mesure de diriger cette mission.
La présidente : Merci.
Je donne la parole au vice-président, le sénateur Dallaire, pour la première question officielle.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Ma question a trois volets. Vous avez indiqué que les armes doivent être plus chirurgicales, il faut donc avoir quelque chose de moins de 500 livres. Mais en même temps, dans le contexte de la responsabilité de protéger — bien qu'on n'ait pas utilisé ce terme —, est-ce qu'on n'aurait pas dû déployer des troupes sur le terrain afin de minimiser les combats entre les rebelles et les forces gouvernementales?
Le niveau opérationnel revient à la coalition. Est-ce qu'on n'aurait pas pu considérer de continuer la coalition sous le paragraphe 8 en renforçant une capacité régionale? Est-ce qu'il fallait utiliser l'Union africaine, le Ligue arabe ou est- ce qu'il faudra les utiliser dans le futur même au sud du Sahara? Et l'OTAN est-ce qu'elle y ira?
Le Conseil de sécurité s'est plaint de ne recevoir aucune information sur ce qui se passait, ce qui l'empêchait d'influencer la situation qui, selon certains, débordait le mandat.
Est-ce que vous croyez que le Conseil de sécurité devrait peut-être avoir une capacité stratégique militaire afin d'être une entité pour influencer les opérations stratégiques dont vont déployer les troupes?
Lgén Bouchard : Ce sont toutes de bonnes questions, sénateur. Premièrement, en ce qui a trait au choix des armes que nous avons, on a encore besoin de bombes de 2 000 livres et de bombes de 500 livres, mais on a aussi besoin d'armes ayant une portée beaucoup moins grande.
La question n'est pas d'utiliser une arme ou l'autre mais plutôt la famille des armes que l'on doit utiliser. J'étais très impressionné avec le Predator et leur habilité avec le missile Hellfire et le missile britannique Brimstone. Ce dont on parle ici, c'est d'avoir le choix des armes.
La décision d'avoir les troupes au sol fut prise dès le début. Alors que la résolution 1973 parlait de force d'occupation au sol, ceci fut très rapidement traduit par aucune force de l'OTAN au sol. Il y avait des troupes au sol, les troupes libyennes, les docteurs, les étudiants, tous étaient au sol et ont combattu lors de cette campagne.
Devrait-il y avoir des forces militaires aussi de l'OTAN? C'est une décision politique. De notre coté, nous avons pu faire cette campagne sans troupes au sol, en trouvant des méthodes alternatives de passer les renseignements, de comprendre la situation au sol et de s'adapter de telle façon qu'on n'en ait pas besoin pour la mission.
Il est important de comprendre que nous n'étions pas la composante maritime ou aérienne des forces libyennes; nous avions plutôt un mandat bien déterminé qui était de protéger les civils. Nous étions capables de prendre les décisions qu'il fallait.
Ceci nous a aussi permis, dans ce scénario, de se défaire de la situation relativement facilement à la fin. En fait, alors que l'horloge est passée de 23 h 59 à minuit, le déclenchement des forces de l'OTAN en Libye a pris trois secondes. L'avion a viré de côté et est parti. Ce fut un déclenchement très rapide, sans aucune difficulté.
Si je comprends bien votre question, est-ce que les forces auraient dû ou auraient pu continuer? Ici encore, du côté militaire, on s'est demandé ce que l'on devrait faire si on nous disait de rester après avoir reçu une demande d'un cessez-le-feu envers les civils. Parce que, fin septembre début octobre, on avait établi quatre conditions qui nous permettraient de dire que nous avions atteint nos objectifs : premièrement, la cessation de la violence contre les civils; deuxièmement, l'absence de forces conventionnelles qui pourraient revenir et reposer le même problème, nous obligeant, par la même occasion, de revenir; troisièmement, le manque d'un système de commandement et de contrôle qui pourrait continuer à influencer la violence envers les civils; et finalement que le Conseil national de transition en place ait le contrôle complet de toute la côte de la Libye.
Alors que nous avions atteint ces objectifs, on nous a demandé quelle serait la prochaine étape. Il est évident que sans troupes au sol, c'est difficile d'en faire plus. Il devient très difficile de vérifier les armes ou de s'assurer que les frontières sont fermées parce qu'on ne peut le faire en haute altitude ou en mer. Mais d'après mon évaluation, il était évident que l'OTAN n'avait aucun intérêt à mettre des troupes au sol, donc pour nous, la prochaine étape logique était justement la fin de la mission.
Et si je comprends bien votre dernière question concernant les discussions entre l'OTAN et les Nations Unies, ceci demeure surtout une fonction du quartier général à Bruxelles et des Nations Unies.
De mon côté, je crois que les communications entre mon quartier général — Force opérationnelle interarmées à Naples, SAKER et SHAPE — et le Conseil de l'Atlantique Nord étaient bonnes, et que nous étions en communication constante.
Je crois qu'il serait difficile de demander à un commandant opérationnel d'entrer en communication directe avec les Nations Unies parce que cela pourrait créer des situations difficiles. Je recommanderais de laisser le commandant opérationnel s'occuper de son point opérationnel et de laisser au Conseil de l'Atlantique Nord et au secrétaire général et son équipe de parler aux Nations Unies. J'espère répondre à vos questions.
Le sénateur Dallaire : Mon but n'était pas que vous parliez au Conseil de sécurité. Au contraire, c'est l'information entre l'OTAN et le Conseil de sécurité qui semble manquer. D'ailleurs, les Brésiliens sont en train d'apporter une nouvelle modification à cela. Je ne sais pas si M. Grinius est impliqué dans cela?
[Traduction]
Marius Grinius, directeur général, Politique de sécurité internationale, Défense nationale : Je ne collabore pas directement sur ce plan. Bien sûr, beaucoup de leçons ont été apprises, non seulement du côté de l'OTAN, mais aussi du côté des Nations Unies.
Comme vous le savez, les Nations Unies ne peuvent fonctionner que dans la mesure où les membres le permettent, surtout au Conseil de sécurité. Je soupçonne que les cinq membres permanents ont dû partager une certaine quantité d'information avec les Nations Unies. Je ne le sais pas, mais ils ont certainement pu le faire, surtout que trois des cinq membres permanents participaient à l'opération.
L'autre élément important à considérer, c'est que, contrairement à ce qui se passe souvent, il n'y a pas eu de veto contre la nature de l'opération et les résolutions du Conseil de sécurité. Pour moi, cela signifie que beaucoup d'information a été fournie, si ce n'est que de façon informelle ou non officielle.
Le sénateur Lang : Je souhaite la bienvenue à nos invités d'aujourd'hui.
Lieutenant-général Bouchard, je trouve important que vous ayez parlé non seulement de l'Afghanistan et de la Libye, mais aussi des Balkans, ce qui a certainement été le début de ce que nos Forces canadiennes ont connu au cours des dernières décennies. Pour certains d'entre nous, au Canada, cela semble déjà loin, mais il importe de rappeler à ceux qui nous écoutent que, en tant que pays, nous sommes très engagés.
Je voudrais approfondir une question que vous avez abordée à la fin de votre exposé. Vous avez parlé de la structure de commandement et de l'examen de cette structure. Vous pourriez peut-être nous en dire un peu plus long sur cette question dans la perspective de la responsabilité que vous avez assumée et dont vous vous êtes manifestement acquitté fameusement bien. Parallèlement, on a l'OTAN, un organisme qui réunit un bon nombre de pays, et les règles varient bien sûr d'un pays à l'autre, ainsi que les objectifs.
Vous pourriez peut-être nous dire exactement comment cela fonctionnait pendant que vous assumiez cette responsabilité. Étiez-vous libre de décider, après avoir consulté vos collègues, de passer à l'offensive et de prendre les mesures que manifestement vous avez prises, ou avez-vous été la cible d'ingérence? S'il y a eu de l'ingérence, qu'est-ce que vous changeriez pour l'avenir?
Lgén Bouchard : Premièrement, en préparant les forces en vue de cette mission et pendant la plus grande partie de la campagne, je suis demeuré commandant adjoint du Commandement de la force interarmées à Naples, ce qui m'a permis essentiellement non seulement de commander la mission, mais aussi d'avoir accès à la structure de commandement de l'OTAN pour obtenir ce dont j'avais besoin au moment voulu.
J'entretenais une étroite relation avec le commandant du Commandement de la force interarmées à Naples, l'amiral Locklear. J'ai aussi discuté à l'occasion avec l'amiral Stavridis, du SACEUR, le Commandant suprême des Forces alliées en Europe. En fait, j'ai eu plusieurs discussions avec les ministres de la Défense et avec les ambassadeurs du Conseil de l'Atlantique Nord ainsi qu'avec le secrétaire général. Ce que je veux faire valoir, c'est que j'ai eu accès à bien des gens, et que je ne me suis jamais senti victime d'ingérence.
De la même façon, et je l'ai déjà dit publiquement sur d'autres tribunes, une fois que les ordres et la stratégie ont été approuvés, il ne m'est pas arrivé une seule fois de recevoir des conseils ou des instructions contraires à ce qui avait été entendu. En fait, j'avais passablement de liberté concernant les décisions que je prenais dans les limites de mon mandat. Pour moi, le mandat était clair, et nous avions à faire ce qui était établi. J'ai expliqué à mes supérieurs que ma stratégie était de viser tel objectif et, ensuite, j'étais passablement libre de faire ce que je jugeais bon pour accomplir la mission.
Évidemment, même si j'étais libre de mes actes, je devais aussi respecter l'exigence d'informer la chaîne de commandement de ce qui se passait.
Réellement, la transition d'un poste de commandant adjoint d'un commandement d'une force interarmées à celui de commandant d'une force interarmées multinationale s'est faite naturellement. En fait, nous avons agi ainsi pour pouvoir vraiment concentrer l'attention de l'équipe sur notre mission, qui était de protéger les civils et les zones habitées, de faire appliquer l'embargo et de faire respecter la zone d'interdiction aérienne. J'avais ainsi accès à tous les intervenants.
Je n'ai jamais senti d'ingérence venant d'en haut. J'avais plutôt l'impression d'avoir le soutien de tous les niveaux, sur les plans politique et militaire, pour l'accomplissement de la mission.
Le sénateur Lang : Vous avez parlé de la structure de commandement et vous avez dit qu'elle faisait l'objet d'un examen. Qu'est-ce qu'on modifie au juste, alors, si tout a fonctionné aussi bien que vous le dites?
Lgén Bouchard : Premièrement, la structure de commandement de l'OTAN sera modifiée. Dans l'ensemble, au lieu d'avoir trois commandements régionaux du Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe, basés essentiellement à Lisbonne, à Naples et à Brunssum, nous n'en aurons plus que deux — Brunssum et Naples. C'est la première partie.
La deuxième partie a trait au fait que nous nous déplaçons. Par le passé, un commandant était nommé et l'effectif était constitué non seulement à partir de Naples, mais le personnel venait parfois d'aussi loin que de 500 ou 1 000 kilomètres de là. La nouvelle structure du quartier général permettra d'avoir l'ensemble de l'effectif au même endroit. En fait, la mission du quartier général sera de rassembler un effectif à déployer comptant jusqu'à 500 membres.
Nous avons rassemblé l'effectif assez rapidement. La nouvelle structure du quartier général permettra à un commandant de diriger une mission en ayant des effectifs intégrés à sa disposition, ce qui compte beaucoup.
À mon avis, le deuxième point se résume à la mise en place de nouvelles structures qui permettront d'avoir, au lieu d'un quartier général morcelé, un quartier général qui est conçu, organisé et structuré pour fonctionner de façon opérationnelle. Essentiellement, on aura des organisations de combat permanentes qui pourront assumer rapidement une mission et la réaliser aussi rapidement que possible.
[Français]
Le sénateur Nolin : Bonjour à tous, et toutes mes félicitations, lieutenant-général Bouchard, pour votre bon travail accompli.
Je voudrais poursuivre sur cette lancée de la réforme de l'OTAN. Vous avez, entre autres, parlé des prédateurs. De plus en plus, dans les théâtres d'opérations, on va utiliser les drones. J'aimerais vous entendre parler de votre expérience à ce sujet. Il n'y a pas de doute qu'il s'agit d'un outil qui peut être très efficace, qui ne se fatigue pas beaucoup, qui est au bon endroit au bon moment et qui peut remplir la fonction qu'on lui demande. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Sur le plan du commandement, est-ce que c'est tout aussi efficace de ne pas avoir de pilote et de plutôt faire affaire avec des intervenants à distance de l'équipement? Est-ce que vous y voyez un problème? Ou pour vous, cela a été tout aussi efficace, sinon plus, que d'avoir l'équipement habité?
Lgén Bouchard : Pour moi, ce n'était pas un ou l'autre.
Le sénateur Nolin : C'était la combinaison des deux.
Lgén Bouchard : C'était la combinaison du groupe ensemble. Si vous me le permettez, j'aimerais le rendre un peu plus loin.
Pour nous, étant donné qu'il n'y avait pas de troupes au sol, la collecte de renseignements venait, premièrement, des nations qui partagent l'information, et aussi des ressources internes à la mission, que ce soit Predator Global Hawk ou des avions avec pilote. Également, ce que nous avons appris à travers la collecte de renseignements et la capacité à développer une idée globale de la situation au sol, nous a amené plus loin. On parle du Predator, du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance, mais une chose que nous avons apprise durant cette campagne également c'est la place des médias sociaux tels que YouTube, Facebook ou autres. On s'aperçoit aujourd'hui que tout un chacun peut prendre des photos ou filmer des images avec son téléphone et les partager. Skype est aussi un moyen de discussion.
Quant à dire si un des ces éléments est plus déterminant que les autres, pour ma part c'est plutôt l'ensemble de ces ressources qu'il faut prendre en compte, non seulement celles qui sont traditionnellement militaires, mais également celles issues des nouveaux comportements de la population, aujourd'hui, impliquant Internet et les médias sociaux.
Le sénateur Nolin : Vous avez devancé ma deuxième question, c'est là que je voulais vous amener. Comment avez- vous réussi à contrôler les forces militaires? Vous êtes un expert, la chaîne de commandement est supposée être capable de faire cela. Mais quand il y a des intervenants autres que militaires — vous venez de faire référence aux médias sociaux — et que, quand on parle de collecte d'informations qui vient des pays membres, on sait tous que les pays ne partagent pas toujours toutes leurs informations, comment pouvez-vous amalgamer tout cela et obtenir le résultat que vous avez obtenu, avec brio d'ailleurs? Comment fait-on pour conjuguer tout cela efficacement?
Lgén Bouchard : Confiance et respect entre chaque pays, pour commencer. Il était évident que, au début, comme vous l'avez dit, on ne partageait pas tous l'information de la même façon. On ne partageait pas tous l'information. On a passé beaucoup de temps au début — je dis « on » au sens pluriel, au sens de l'équipe — à créer une confiance et un respect entre chacun de nos pays. On a passé beaucoup de temps à discuter avec les quartiers généraux nationaux. Vous avez connaissance de réseaux d'information nationaux qui gardent l'information au niveau national, que ce soit EU's, Secret/No Foreign, « les yeux canadiens » ou « confidentiel français », peu importe. De là, on a avancé.
On avait le système Five Eyes, mais il n'était peut-être pas assez grand. En dehors de ces cinq pays membres, le Canada, les États-Unis, l'Angleterre, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, bien d'autres pays ont pris part à cette opération. Il a donc fallu aller plus loin, discuter avec chacun des pays et demander la permission d'aller plus loin.
Pour moi, c'était une des leçons les plus importantes, à savoir qu'il n'était pas question qu'on mette la vie de nos pilotes, de nos équipages, maritimes ou aériens, en danger si un pays avait de l'information et qu'il ne la donnait pas aux autres. Nous avons établi cela clairement dès le début pour tous. Nous avons parlé des besoins de partager. Nous en avons parlé avec les chefs d'état-major de chacun des pays et nous avons travaillé très fort au début pour établir cela.
La première chose était de savoir, du côté conventionnel, combien on pouvait partager. De là, je dois aussi vous dire que nous avons créé, dans notre quartier général, un centre de fusion.
Le sénateur Nolin : Quand vous dites « dans votre quartier général », voulez-vous parler de celui que vous avez bâti spécifiquement pour la mission?
Lgén Bouchard : Oui, c'est ça.
Le sénateur Nolin : On ne parle pas de Naples, on ne parle pas de Brunssum, on parle de vous spécifiquement, n'est- ce pas?
Lgén Bouchard : C'est cela. On a construit un groupe de fusion qui prenait toute l'information. Ce groupe s'est agrandi par la suite pour inclure les systèmes de média sociaux, YouTube et autres.
Le sénateur Nolin : C'est cette partie qui m'intéresse. Vous avez accès aux Five Eyes — et il y a peut-être des réponses que vous ne pouvez pas me donner — mais comment peut-on récupérer l'information qui circule sur la toile? Est-ce que la technologie vous permet de le faire et de fusionner ça avec de l'information stratégique que vous obtenez des Five Eyes? Est-ce que c'est fait ailleurs que chez vous ou est-ce vous qui faites ça directement?
Lgén Bouchard : C'est là l'importance d'avoir l'appui des alliés arabes qui travaillent avec nous, les nations arabes qui pouvaient, justement, sur leur propre ligne nationale ou au sein de mon quartier général, faire cette recherche sur la toile et aussi faire ressortir les point saillants qu'ils pouvaient ensuite nous communiquer.
Le sénateur Nolin : C'est une question de culture et de langue.
Lgén Bouchard : Il s'agit effectivement de comprendre la culture, la langue, la religion, les mœurs, et de pouvoir mettre tout cela ensemble. Pour moi c'est très important de comprendre cela, mais également de comprendre les problèmes sociaux, ce qui inclut, par exemple, de faire passer le satellite au-dessus du pays la nuit pour voir où il y a de l'électricité et où il n'y en a pas; s'assurer que les infrastructures d'eau, de gaz naturel, d'essence, et également les routes, demeurent en place aussi. Ce côté culturel, qui venait de nos alliés, nous aidait aussi et était inclus dans ce centre de fusion.
Finalement, les médias : Al Jazeera, BBC, CNN, CBC, nous donnent aussi des renseignements, mais ce sont des renseignements qui ne sont pas raffinés. Pour nous c'était important, si nous recevions de l'information d'une source, d'être capables de la confirmer par une autre source et, de là, d'être capable d'arriver à avoir vraiment un système de renseignement.
Le sénateur Nolin : De là vous preniez une décision et vous étiez convaincu que l'information que vous aviez était valable.
Lgén Bouchard : Oui.
Le sénateur Nolin : Félicitations et encore bravo.
[Traduction]
La présidente : Avant d'aller plus loin, j'aimerais entendre brièvement l'avis du major-général Vance sur ce point, du point de vue canadien. On nous explique la façon dont les choses fonctionnaient là-bas. Pouvez-vous nous donner brièvement votre perspective de la situation?
Major-général Jonathan Vance, directeur d'État-major, État-major interarmées stratégique, Défense nationale : C'est une question terriblement importante étant donné la façon dont nous faisons la guerre aujourd'hui. La seule chose que je peux ajouter à ce qu'a dit le lieutenant-général Bouchard, c'est que, pour que nous puissions fusionner l'information, il faut que l'effectif professionnel soit en place avant le début de la crise. Comme l'a expliqué le lieutenant-général Bouchard, il a fallu constituer le quartier général à partir duquel il commanderait, puis amener des effectifs des quatre coins du monde pour le compléter.
Qu'on parle d'opérations « réseaucentriques » ou d'« infodominance », nous avons constaté que, au bout du compte, l'objectif est d'avoir des forces en campagne aussi brillantes, ou intelligentes, ou ayant autant de recours, que tous les autres niveaux de la force. Nous ne pouvons plus réserver les connaissances relatives au champ de bataille aux plus haut gradés et envoyer des militaires effectuer une mission unique. Nous devons pouvoir partager l'information en tout temps. Cela exige beaucoup d'efforts et de moyens, par exemple de la technologie à large bande et la capacité de télécharger des choses — www.mywar.com. On doit pouvoir le faire. Tous les pays en arrivent là. C'est le seul progrès notable qu'il nous reste à faire. Je réaffirme ce qu'a dit le lieutenant-général Bouchard, parce que c'est très important.
Nous avons pu avoir une très bonne connaissance de la situation en raison de l'endroit où se trouvait le lieutenant- général Bouchard. Nous avons aussi dû rester au courant de notre situation ici, non seulement par Al Djazira, par exemple, comme tout le monde, mais aussi au moyen de rapports militaires. Nous combinons ainsi différents moyens.
Le sénateur Plett : Félicitations, messieurs, pour l'excellent travail que vous avez accompli.
Le major-général Vance vient de répondre à ma première question. J'allais vous poser la même question. J'ai toutefois une autre question pour le lieutenant-général Bouchard.
Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que le principal objectif était de protéger les civils dans les zones habitées visées par des attaques, ou risquant d'être attaquées, et de faire tomber le régime. Le régime n'était pas notre objectif. Le problème était la violence et la menace de violence constantes jusqu'à la mort ou à la capture de Kadhafi et de ses fils.
Ma question porte sur les règles d'engagement. Vous avez dû subir d'énormes pressions de la part du Conseil national de transition de la Libye. Je ne crois pas que tous avaient les mêmes motivations que l'OTAN et les Forces canadiennes. Je suis sûr que le principal objectif de bien des intervenants était de se débarrasser de Kadhafi et de renverser ce régime.
À quel point les rebelles étaient-ils une source de pression? À quel point ont-ils tenté de vous obliger à faire certaines choses? Vous avez certainement dû avoir à traiter avec eux régulièrement. Pourriez-vous nous parler un peu de cette facette de la question, s'il vous plaît?
Lgén Bouchard : Les officiers de l'OTAN n'avaient pas le droit de converser ou de communiquer directement avec des membres du Conseil de transition.
Le sénateur Plett : Exerçaient-ils des pressions ou non?
Lgén Bouchard : Non. Nous n'avions pas le droit de discuter directement avec eux. Les membres de l'OTAN ne discutaient d'aucune de ces questions.
Évidemment, il existe bien des moyens d'obtenir de l'information de nos jours. Cela va des médias sociaux aux interlocuteurs en passant par les tierces parties intéressées au conflit. Il y avait des moyens de recevoir de l'information, directement ou indirectement.
Vous demandiez si je subissais des pressions. La réponse est non. Évidemment, il y avait des gens qui voulaient certaines interventions dans la capitale d'un pays, ou d'autres qui espéraient que des activités particulières soient menées. Mon mandat était extrêmement clair, je l'ai déjà dit. Nous nous en sommes tenus à l'exécution du mandat. J'avais une solide équipe chargée des affaires juridiques, politiques et publiques, et un bon groupe de conseillers culturels. Nous évaluions constamment ce que nous faisions en fonction de la protection des civils, vérifiant si les tâches permettaient d'atteindre les buts de la stratégie. Chaque tâche doit être pensée en fonction de la stratégie. C'était un élément à considérer dans la détermination des cibles. Je me demandais toujours si ce que j'allais faire demain, ou dans les trois prochains jours, ou éventuellement, était pertinent relativement au but de protéger les civils, de faire appliquer l'embargo ou de faire respecter la zone d'exclusion aérienne. Si nous ne pouvions établir de lien indéniable, nous nous abstenions.
Pour ce qui est de la protection des civils dans le contexte du soutien au forces rebelles — qu'il s'agisse du Conseil de transition ou de n'importe quel groupe opposé au régime, quel que soit le nom que vous lui donniez — nous ne cherchions pas à influer là-dessus. Même si nous avions essayé, le danger c'était que nous soyons tenus responsables des activités qui en auraient résulté. Or, on ne peut pas être tenu responsable d'activités sur lesquelles on n'a aucun contrôle, et il était évident que nous n'en avions pas à voir la façon dont ces groupes se comportaient à certains moments durant le conflit. Nous nous en sommes tenus à notre mandat et nous avons veillé à tenir compte de ce facteur dans ce que nous faisions. En même temps, nous prenions soin de surveiller ce qui se passait. À partir de là, nous faisions de notre mieux. J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Plett : Oui, mais comme je ne suis pas très connaissant et que j'ai assisté aux événements à partir d'ici, je persiste à penser que cela a dû être extrêmement difficile. Vous étiez sur un théâtre d'opération où des milliers de rebelles menaient leur propre campagne, et vous deviez composer avec cela. Vous avez peut-être répondu à ma question, mais il se peut que je ne comprenne toujours pas comment vous avez pu mener vos opérations sans avoir la moindre communication avec eux. Évidemment, vous vouliez éviter de vous ingérer dans ce qu'ils entreprenaient. Ils avaient eux aussi leur mission. Vous ne vous opposiez pas à leur mission, vous deviez essayer de protéger les civils, je comprends cela.
Lgén Bouchard : Tout à fait. Il y a des moyens de parler aux gens. Les Qataris avaient déjà fait savoir qu'il y avait des gens sur le terrain. L'OTAN a bien des canaux d'information. Un chef de commandement opérationnel a bien des moyens d'obtenir de l'information, bien des sources. Certains moyens sont accessibles au commandant dans les limites de son mandat. Dans d'autres cas, on peut étirer les limites de ce qu'on a le droit de faire, en empruntant des moyens détournés et en communiquant avec les tierces parties avec qui l'on travaille. Nous pouvions créer suffisamment de réseaux pour obtenir l'information dont nous avions besoin pour accomplir la mission.
Il importe aussi de comprendre que, tout au long de la campagne, les messages circulaient dans les deux sens en ce qui a trait à la mort de civils. Nous avons établi très clairement, à l'intention du Conseil de transition, surtout à la fin de cette campagne, à l'époque de la chute de Bani Walid, que si le conseil mettait la vie de civils en danger, il serait aussi la cible de l'intervention de l'OTAN. Notre mission était de leur faire savoir clairement que nous ne conclurions pas d'entente si cette condition n'était pas respectée. Nous avons travaillé de manière à nous faire entendre des deux parties, et une part du message a été communiquée au moyen des médias sociaux. Des communiqués d'affaires publiques, nos sites Web et d'autres moyens ont servi à cette fin. Nous avons aussi obtenu beaucoup d'information en surveillant différentes discussions.
Le sénateur Plett : Merci. Encore une fois, je vous félicite tous les deux.
Le sénateur Eggleton : Merci d'être ici, et félicitations pour vos efforts extraordinaires.
Lieutenant-général Bouchard, vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que Kadhafi s'était assuré qu'aucun autre dirigeant ne pourrait le déposer. Je m'interroge au sujet des dirigeants de la Libye. À ma connaissance, ce pays n'a aucun antécédent démocratique. La situation — et celle de bien d'autres pays arabes — pourrait se transformer en lutte de pouvoir et aboutir à une autre dictature. Nous ne voulons certainement pas cela et, compte tenu des efforts que vous avez investis dans ce pays, vous ne voudriez pas cela non plus. Nous espérons que ce pays pourra instaurer une démocratie.
J'ai une question semblable à celle du sénateur Plett. Comment pouviez-vous faire la différence entre les bons et les méchants, sur place, distinguer les rebelles des civils, afin que ceux qui allaient acquérir une sorte de pouvoir temporaire avant les élections soient ceux qui allaient ensuite chercher à atteindre les résultats que nous voulons tous?
Lgén Bouchard : Avec le temps, nous avons développé la capacité de décoder les intentions de chacun et leur fonctionnement. Les forces du régime, qui avaient alors changé de tactique et qui utilisaient du matériel civil et des véhicules banalisés, par exemple des camionnettes, pouvaient aussi avoir recours à un imposant système d'armement, pièces d'artillerie, lance-roquettes et j'en passe. En exerçant la surveillance et les contrôles appropriés, nous pouvions remonter la chaîne logistique jusqu'aux centres névralgiques, aux dépôts de munitions et le reste. En travaillant fort, nous avons pu analyser cette chaîne et détecter les points de contact des forces du régime aux fins du commandement et de la surveillance, qui créaient du tort aux civils. À partir de cette information, nous pouvions passer à l'attaque.
En fait, la stratégie consistait en partie à ne jamais s'engager en combat rapproché quand il était impossible de différencier les camps. Cette partie du travail ne relevait pas de l'OTAN, du moins pas des forces assignées à cette mission. Nous nous concentrions plutôt sur les secteurs à forte concentration — les lignes de communications, les dépôts, les caches d'armes et autres éléments d'intérêt — ainsi que sur les points névralgiques du commandement et de la surveillance. Nous concentrions nos activités là-dessus et laissions aux effectifs postés sur le terrain le choix de s'engager ou non dans un combat. C'est ainsi que nous avons pu définir bien des facettes de la situation. C'était difficile au début. En fait, nous avons dû relever de très grands défis, parce que nous n'avions pas la capacité voulue pour la surveillance. Nous n'avions pour commencer que deux Predator en orbite, dans un pays de la taille de l'Afghanistan. Par comparaison, l'Afghanistan en avait près de 50. Nous étions ainsi limités. Il suffit de dire que, à ce stade, nous avons pu établir les priorités et décider que nous protégerions Benghazi en premier lieu. Misrata était notre prochain objectif. Nous allions protéger ces deux villes, puis l'ensemble de la région de l'Ouest, pour en arriver éventuellement à Tripoli. Nous avons pu établir des services de renseignement et des réseaux pour parvenir à nos objectifs. Ce fut une évolution intéressante. Nous y avons passé bien des nuits, et j'ai eu l'aide de bien des gens intelligents qui ont trouvé des solutions. Nous avons pu y arriver, et nous avons de toute évidence envoyé les messages qui convenaient à ceux qui avaient besoin de savoir.
Le sénateur Eggleton : Craignez-vous un recul de la situation et le renversement du régime actuel aux mains des mauvaises personnes?
Lgén Bouchard : C'est un point intéressant. Je crois que Kadhafi a veillé à ce que personne ne puisse se retourner contre lui. Nous avons vu M. Jibril faire preuve au début d'un certain leadership pour rassembler les forces mondiales, et il l'a fait de l'extérieur du pays. C'est maintenant M. Jalil qui est en charge du gouvernement national de transition, et quelques représentants de ce pays sont en poste. Cependant, je pense que pour éviter un recul, nous devrons nous assurer que des représentants soient dûment élus dans toutes les régions et qu'il y ait un gouvernement élu par le peuple. Cela dépend certainement en partie de l'élection d'un gouvernement.
Je crois vraiment que le peuple de Libye ne veut pas d'un retour à la dictature et que des élections finiront par s'y tenir. Je crois aussi que la Libye, contrairement à beaucoup d'autres endroits qui ont des difficultés financières, a des ressources naturelles qu'elle peut exporter. Par ailleurs, une certaine infrastructure est toujours en place. L'une des leçons que nous avons tirées de la campagne menée en Serbie et au Kosovo, c'est que, si l'on détruit la structure, il faudra la reconstruire pour qu'un pays puisse se développer. Notre stratégie a été de ne pas toucher à l'infrastructure et de nous concentrer plutôt sur les militaires et ceux qui faisaient du tort à la population. Cela permettra au pays de se remettre sur pied, et facilitera le rétablissement des relations commerciales et le retour à la prospérité. Je pense que, quand nous en serons là, et une fois qu'un gouvernement transparent et représentatif aura été élu, nous verrons naître une démocratie libyenne.
Le sénateur Eggleton : Il semble pourtant y avoir des indésirables au sein du régime actuel. Médecins sans frontières a apparemment quitté la Libye parce que son personnel était appelé à traiter des victimes de torture qui, une fois guéries, retournaient en prison où elles étaient de nouveau torturées. Il y a aussi, apparemment, un camp de réfugiés près de Tripoli qui serait occupé essentiellement par des Africains chassés d'une ville assiégée par les forces rebelles, et le camp aurait également été attaqué. Que devrait-on faire de plus pour protéger ces gens? Devrions-nous continuer à travailler avec la population au cours de cette période de transformation?
Lgén Bouchard : Vous comprendrez que cette information a été rapportée par l'un des officiers qui commandaient la mission.
Le sénateur Eggleton : Vous y étiez; vous êtes au courant.
Lgén Bouchard : Selon moi, nous sommes en présence d'une démocratie naissante instituée par des gens qui ne savent peut-être pas tout ce qu'il faut faire et qui ne comprennent peut-être pas toutes les questions en jeu relativement aux droits de la personne. Il faut maintenir le soutien offert par la communauté internationale, qu'on pense aux Nations Unies, sous la direction de M. Martin, maintenant soutien de mission en Libye, ou à bien d'autres organismes. Nous devons continuer à travailler avec ce régime pour l'aider à assurer la primauté du droit, à organiser des élections, à comprendre les droits de la personne et tout cela. Nous devons les aider à partir de là, mais nous devons faire preuve de subtilité. Nos normes occidentales doivent être adaptées à leur expérience et à leur expertise culturelles et sociales.
Je sais très bien qu'il y a encore des cas de torture, et je sais que le sort des habitants de Tawergha n'a pas changé. Bon nombre de ces personnes sont d'anciens mercenaires qui doivent quitter le pays, et ils devront partir à un moment donné parce qu'il ne sert à rien de les garder. Il faudra les renvoyer chez eux et se tourner vers l'avenir, et non vers le passé. Faudra-t-il une commission de vérité et de réconciliation? Il subsiste des problèmes régionaux et tribaux, à Benghazi, à Misrata et dans l'Ouest. L'organisation n'est pas homogène, pas plus que ne l'est notre beau pays. Il faudra chercher à réunir ces différentes régions et arriver à créer une Libye unie.
Le sénateur Mitchell : Je m'intéresse aussi à cette question. Lieutenant-général Bouchard, vous sembliez optimiste, dans votre exposé, quant au potentiel de la Libye de s'en sortir et de se rétablir. Diriez-vous que cette possibilité est plus grande en Libye que dans certains autres pays arabes? Dans l'ensemble, nous entendons dire qu'il existe un véritable problème. Vous semblez dire que, en Libye, il n'y en a pas. Pouvez-vous nous donner une idée des différences?
Lgén Bouchard : Je ne veux pas embellir la situation, parce qu'il subsiste des conflits et qu'il reste du travail à faire. Si j'établis une comparaison avec l'Afghanistan, dont j'ai une expérience limitée, je pense que la Libye a du pétrole, du gaz naturel et la capacité de produire un revenu permettant de prendre soin de son peuple. La Libye est une nation très moderne. On y trouve Internet, un réseau de télécommunications, la télévision, un système d'éducation et des universités. Pour moi, c'est ce dont une nation a besoin pour amener une classe moyenne instruite à prendre le dessus et à se retrouver aux commandes. Le pays est organisé. Il reste à faire un bon usage de l'organisation, et à veiller à ce que les bonnes personnes se retrouvent aux commandes.
On assiste dans cette société à une évolution du rôle des hommes, mais aussi des femmes, de sorte que les Libyens assument des responsabilités croissantes pour gérer l'avenir de leur pays. C'est ce que nous voyons aujourd'hui. Quand je fais la liste des ressources de la Libye, notamment en ce qui concerne les finances, la culture, la société, l'infrastructure et l'information, j'en conclus que ce pays a tous les piliers requis. Peut-il maintenant susciter la synergie nécessaire pour la mise en place d'une démocratie? Je crois que tous les ingrédients sont présents et qu'il reste maintenant à établir les liens nécessaires. Peut-être faut-il aussi aider les Libyens en ce sens.
Le sénateur Mitchell : Ma question dépasse peut-être la portée du mandat de l'armée ou de votre rôle en particulier, mais quel genre d'aide le Canada pourrait-il offrir à cet égard? Peut-être faudrait-il une forme d'aide militaire. Conviendrait-il, par exemple, de mettre en place une police militaire ou d'envoyer des formateurs?
Lgén Bouchard : Il est difficile pour moi d'évaluer ce qu'il faudrait faire à ce point-ci. Je préférerais laisser la parole à mon collègue. De mon point de vue, la mission militaire est essentiellement terminée et nous devons plutôt nous intéresser à la sécurité ou à l'éducation, ou encore au commerce et à la primauté du droit.
M. Grinius : Le lieutenant-général Bouchard a énuméré tous les secteurs qu'il nous faut appuyer. Cette question s'adresse davantage au ministère des Affaires étrangères qu'au ministère de la Défense nationale. À l'occasion de sa deuxième visite en Libye en octobre, le ministre Baird a annoncé un programme d'aide humanitaire d'environ 10 millions de dollars. Une partie de cette aide ciblait en fait les armes de destruction massive, les munitions explosives non explosées et les missiles surface-air tirés à l'épaule, ce qui s'apparente au domaine militaire. Par ailleurs, il a aussi annoncé qu'on appuierait la société civile, notamment le rôle que peuvent jouer les femmes et les organisations de femmes pour renforcer le tissu social du pays.
Comme le lieutenant-général Bouchard l'a dit, la Libye dispose déjà de solides atouts et elle présente un potentiel intéressant. Je le répète, il s'agit d'une entreprise de longue haleine et, à mon avis, le Canada et d'autres pays poursuivront leurs efforts.
Le sénateur Mitchell : Je ne saurais trop insister sur l'importance du rôle des femmes après un conflit. Cet aspect est- il conforme aux travaux effectués dans le cadre de la résolution 1325 de l'ONU ou s'agit-il de quelque chose que vous avez soulevé à l'extérieur de ce cadre?
M. Grinius : Je crois que c'est conforme à la résolution. Il faudra déployer des efforts soutenus. Évidemment, on ne doit pas oublier non plus qu'il s'agit du pays voisin de la Tunisie et on doit tenir compte de ce qui se passe en Égypte et ailleurs.
La présidente : Le major-général Vance pourrait-il lui aussi nous parler de la suite des choses? Le lieutenant-général Bouchard nous a dit en quelque sorte de nous adresser aux Affaires étrangères. Cependant, quand nous prenons part à de telles missions, à quoi doit-on s'attendre, dans un deuxième temps, en termes de mesures à prendre et d'interventions militaires?
Mgén Vance : En gros, nous intervenons strictement quand on nous le demande. Je m'attends à ce que la communauté internationale soit attentive aux demandes du CNT qui formera le gouvernement. S'il éprouve des difficultés qui nécessiteraient une aide internationale, militaire ou autre, la communauté internationale sera bien disposée à son égard, particulièrement les pays qui sont intervenus dans ce conflit. Tout le monde veut que les choses se passent bien. Pour recevoir de l'aide du Canada, des États-Unis ou de nos principaux alliés, le CNT devra en faire la demande. Nous examinerons les différentes possibilités dont nous disposons pour renforcer les capacités ou pour faire autre chose, si nous recevons une demande d'aide.
La présidente : Nous savons que la sécurité est nécessaire pour bâtir un pays; c'est tout ce que je dis.
Mgén Vance : Oui, tout à fait.
Lgén Bouchard : Nous examinons ce que le Canada peut faire. Vers la fin de la mission, l'organisation des amis de la Libye a vu le jour. Nous savons que le Qatar dirige cette organisation et que d'autres pays y participent. Il est important de reconnaître l'influence que peuvent avoir les pays arabes voisins aux fins de l'acception culturelle et sociale. L'Occident pourrait lui aussi avoir un rôle à jouer, mais il est important de voir ce que les Arabes et les Nord- Africains peuvent faire.
La présidente : J'en appelle à l'indulgence de nos témoins et je leur demanderais de bien vouloir rester avec nous encore 5, 6 ou peut-être même 10 minutes. Quatre sénateurs ont des questions complémentaires. Merci.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Concernant le volet stratégique canadien pour cette opération et les opérations futures — et sans trop mettre l'accent sur la Syrie —, quelle déficience opérationnelle principale a ce jour été découverte concernant la participation canadienne?
Est-ce le nombre évoqué, qui était de 18? Y a-t-il eu des problématiques concernant la capacité, le contrôle ou même des problématiques de nature décisionnelle au niveau politique ou militaire pour le déploiement des forces?
Avez-vous décelé des faiblesses opérationnelles de cette nature?
[Traduction]
Nous avons aussi examiné tant les aspects positifs que négatifs qui sont ressortis. Il y a toujours deux côtés aux choses. La principale déficience, pour répondre directement à votre question, c'est que cette opération s'est déroulée dans un contexte où les États-Unis n'assumaient pas un rôle de direction prépondérant. Nous en avons tous tiré d'importantes leçons. Le mot « déficience » est plutôt péjoratif et je n'utiliserais pas une expression qui a une telle connotation dans le cas présent. Comme le lieutenant-général Bouchard l'a mentionné, l'alliance — à savoir les Britanniques, les Français, les Canadiens, les Danois et les autres — s'est mobilisée pour rassembler en peu de temps la capacité nécessaire pour exécuter cette opération. Je soupçonne qu'au départ, l'opération reposait sur des bases moins solides que nous l'aurions souhaité. En fait, l'OTAN et tous les pays participants ont appris qu'il était très important de pouvoir compter sur une structure de commandement, peut-être moins importante en nombre, mais capable de mener à terme les opérations. C'est là une grande leçon pour nous.
Pour ce qui est du reste, je ne peux pas dire qu'il a eu tellement de déficiences. Évidemment, certaines choses pouvaient être améliorées et nous savons lesquelles. Le Canada voudrait bien sûr disposer d'une meilleure capacité de RSR pour voir où ses forces sont déployées. Nous le savons et nous avons d'ailleurs un programme à cette fin. Nous souhaitons aussi conserver à l'étranger un commandement canadien d'expérience pour des raisons évidentes. Outre l'influence qu'il peut avoir dans un premier temps, ce commandement donne au Canada une expertise de gestion et la capacité d'intervenir dans la gestion des opérations. Le lieutenant-général Bouchard l'a d'ailleurs prouvé.
Nous avons appris qu'il est très utile de déployer des ressources à l'avance et d'occuper une position stratégique. Par exemple, il est très utile pour le gouvernement du Canada et pour les Canadiens d'avoir dans la Méditerranée un navire doté d'un capitaine et d'un équipage bien formé pouvant évacuer des Canadiens en péril puis, sans préavis, participer à une opération de combat et un embargo.
Cette mission nous a permis de tirer de précieuses leçons et de déceler des améliorations possibles. Certaines de ces mesures font l'objet d'un suivi et nous ne relâcherons pas nos efforts tant que nous n'aurons pas atteint nos objectifs.
La présidente : Merci, cela a été très utile.
Le sénateur Lang : Je voudrais revenir à la question du plan. Le lieutenant-général Bouchard a déclaré qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'un plan, mais que deux objectifs avaient été atteints : le principal était de protéger les civils pendant que ceux-ci réglaient leurs problèmes avec le gouvernement et le second, de minimiser les pertes humaines dans les forces armées du Canada, des États-Unis ou des autres pays. Ces objectifs ont été atteints. Vous avez parlé de l'Afghanistan et des Balkans. Nous sommes restés sur le terrain là-bas pendant des années. Par contre, nous sommes demeurés très peu de temps en Libye. Nous avons atteint les objectifs fixés et, comme vous l'avez dit, nous avons quitté les lieux dans les jours qui ont suivi la décision de partir.
Selon vous, pourrait-on recourir davantage à ce type d'opération à l'avenir compte tenu du succès obtenu et de la technologie dont nous disposons comparativement à ce qu'on a pu voir dans le passé, notamment au Vietnam, dans les Balkans et en Afghanistan?
Lgén Bouchard : Il est toujours dangereux de tenter d'adapter une formule qui a fonctionné dans le passé à une situation future. Cela peut nous amener à poser des gestes que nous regretterons. Dans ce cas-ci, nous avons atteint nos objectifs en bombardant par air et mer la Libye. Il serait dangereux d'appliquer systématiquement cette approche à l'avenir, car chaque commandant à qui l'on confie une mission militaire, quelle qu'elle soit, effectue sa propre évaluation. Chaque commandant établit ce qu'il faut pour atteindre les objectifs visés et ce qui peut être fait avec les moyens à sa disposition. À partir de là, on peut mobiliser la force requise, qu'il s'agisse d'une force terrestre, maritime ou aérienne ou que des soldats doivent fouler le sol ou non.
Je ne voudrais aucunement comparer la Libye aux Balkans ou à l'Afghanistan, car il s'agit de cas différents qui comportaient des problèmes très différents. Il faut à mon avis retenir les principes que nous avons appris et les adapter comme il se doit au conflit suivant. Ne tentons pas de reproduire le modèle de la Libye dans un autre scénario, car cela pourrait s'avérer difficile. Je vous avouerai que nous avons essayé d'appliquer le modèle de l'Afghanistan à la Libye au départ et que cela n'a pas fonctionné. Nous avons eu vite fait d'apprendre qu'il ne faut pas tenter de reproduire la même stratégie d'un conflit à l'autre, et nous avons aussi tiré d'autres leçons. En bout de ligne, ce sont les leçons tirées qu'on peut appliquer dans l'avenir. Nous ne devons pas perdre de vue que nous aurons encore besoin d'une organisation capable de procéder à des interventions aériennes, maritimes ou terrestres en fonction de la situation. Voilà ce qu'il nous faut viser.
[Français]
Le sénateur Nolin : Parlons des leçons tirées des opérations dans les Balkans. L'OTAN avait alors découvert un gros problème d'interopérabilité, de planification et des lacunes dans l'état des troupes.
Lorsque vous avez assumé le commandement, vous étiez déjà à Naples, donc vous aviez une bonne idée de l'état des lieux. J'aimerais entendre vos commentaires sur l'état des troupes. L'état des troupes canadiennes ne me préoccupe pas, je crois qu'ils font leur travail. J'aimerais savoir ce qui en est des troupes des 27 autres pays alliées. Les Américains, pour leur part, ne s'y trouvaient pas. Entre la crise des Balkans et aujourd'hui, on a mis sur pied l'opération Norfolk et la transformation. Tous ont investi beaucoup d'argent pour être en mesure de faire face rapidement et avec agilité à un ou des conflits. Le conflit actuel surgit et on a réussi grâce à vous. J'aimerais savoir quel était l'état de préparation de nos alliés? Je comprends que les 28 pays alliés n'étaient pas tous présents, on n'en comptait que 14.
Lgén Bouchard : Bien sûr, les 28 pays alliés ne sont pas tous égaux quant à la quantité et la qualité des troupes. Toutefois, il est difficile de dire qu'un pays est meilleur qu'un autre car on parle davantage de chaque individu concerné.
Le sénateur Nolin : Vous comprendrez que je ne vous demande pas de noms.
Lgén Bouchard : Le plus important n'est pas seulement l'habilité. On confond parfois l'habilité et la culture des individus. Les différences entre les cultures nous font agir d'une façon ou d'une autre. Le commandant et son personnel exécutif doivent comprendre les limites de chacun des groupes et aussi des cultures à savoir pourquoi certains individus agissent ou se comportent d'une façon quelconque. Une fois qu'on découvre les forces et faiblesses, on peut s'assurer de mettre en valeur les forces et affecter le personnel en conséquence. Ce qui est important, c'est de s'assurer que tout le monde fasse partie de l'équipe et a un rôle à jouer. Que le contingent de ces pays compte trois personnes ou 300 personnes, chacun joue un rôle important basé sur ses capacités et sa culture.
Pour moi, il importait peu qu'un groupe d'individus ou un pays ait une certaine habilité en particulier. Si chaque individu, qui fait partie de l'opération, est prêt à s'entraîner et démontrer sa force, on peut unifier le tout et assurer le succès. C'est ce sur quoi je me suis basé et c'est ce que j'ai appris, après un an et demi d'observation en tant que commandant adjoint au quartier général de l'OTAN. J'avais donc une bonne idée de la contribution de chacune des nations.
L'expérience du personnel senior de l'OTAN est importante pour créer ce niveau de connaissances qui permet de poser des jugements et agir en conséquence au besoin.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Nous savons maintenant pourquoi il était un si bon commandant.
Le sénateur Plett : Je serai bref, car la réponse fournie au sénateur Nolin a répondu en partie à ma question.
Je veux toutefois aller un peu plus loin. Le Canada a participé très activement aux missions en Afghanistan et en Libye et a même envoyé son meilleur général là-bas pour le compte de l'OTAN. Le Canada en a fait beaucoup, mais certains de nos alliés n'ont tout simplement pas participé. Je reconnais que les pays ne peuvent pas tous fournir le même effort, mais certains ne se sont pas présentés.
Quelle est l'incidence de cette situation sur le moral des militaires sur le terrain, qui savent qui sont nos alliés et qui mettent leur vie en péril pendant que d'autres pays, pour quelle que raison que ce soit, décident de ne pas prendre part à la mission? Est-ce que cela affecte le moral de nos militaires là-bas?
Lgén Bouchard : Je parlerai de ce que j'ai pu observer en Libye et je céderai la parole au général Vance, qui a lui aussi une vaste expérience en ce qui concerne l'Afghanistan.
Il faut regarder ce qu'il en est sur une longue période et non à un moment précis, parce que notre propre pays a déjà choisi de ne pas intervenir. Cela ne me pose aucun problème, ainsi va la vie. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'un pays décide de ne pas participer à une mission dans une période de 20 ans ou plus.
Certains pays qui ont choisi de ne pas intervenir directement ont pu assumer des responsabilités accrues en Afghanistan ou dans d'autres théâtres d'opération. Ils ont ainsi allégé la tâche des pays qui sont allés en Libye. Il y a eu beaucoup de coopération. Quand je regarde la situation sur une longue période et la façon dont nous avons réussi à équilibrer la structure de la force opérationnelle, je ne vois pas de problème à ce qu'un pays prenne la décision souveraine de ne pas participer à une mission. En fait, du point de vue militaire il n'y a jamais eu de ressentiment sur ce plan. Nous nous sommes toujours appuyés à cet égard.
Mgén Vance : Je ne peux que renchérir. Le moral des troupes ne tient pas à un attachement viscéral à la mission en cours. Je ne crois pas que le moral soit affecté par les grandes stratégies aux termes desquelles les pays participent ou non à une mission. Par contre, si quelqu'un sur place ne fait pas du bon travail, alors le moral est affecté. Si ce que vous faites compromet la sécurité des forces, le moral prendra alors un dur coup.
Il arrive qu'on critique les alliés qui ne participent pas ou qui font les choses différemment, mais quand nous nous retrouvons sur le terrain sous un même commandement et que nous commençons à travailler, tout fonctionne généralement très bien. Je sais que, dans le cadre de l'OTAN, certains souhaiteraient voir un peu plus d'équité pour ce qui est de la participation, ce devrait être le cas. Cependant, de notre point de vue, ceux qui participent font habituellement de l'excellent travail et nous leur en sommes reconnaissants.
Le sénateur Plett : Je vous remercie de vos témoignages et je vous félicite à nouveau tous les deux, ainsi que nos militaires qui ont servi là-bas.
La présidente : Merci beaucoup. Vos témoignages nous donnent une compréhension plus globale de l'importance des leçons tirées en Libye.
Nous espérons pouvoir être aussi optimistes que vous l'êtes quant à savoir si l'OTAN a tiré les leçons qui s'imposent en ce qui concerne sa structure.
Merci beaucoup, messieurs.
Nous examinerons maintenant nos opérations en Afghanistan. Comme nous le savons tous, nous avons joué un rôle de combat dans ce pays pendant une dizaine d'années. Nous avons ensuite dû quitter Kandahar pour Kaboul en vue de participer plus activement à la mission de formation, même si nous savons bien que nos militaires donnaient tous les jours de la formation aux Afghans. Nous examinerons aussi séparément les centres de formation établis à Kaboul. Nous verrons également les liens entre ces trois éléments et les leçons que nous avons tirées.
L'opération ATTENTION à Kaboul s'inscrit dans le cadre de nos engagements permanents à l'égard de l'OTAN en ce qui concerne la formation. Nous reviendrons sur des questions abordées plus tôt, notamment sur des leçons qui ont été tirées et sur le fait d'évoluer dans la structure de l'OTAN en pareilles situations.
Des membres importants des Forces canadiennes se joignent maintenant à nous. Le lieutenant-général Stuart Beare est commandant du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada. Le brigadier-général Charles Lamarre est l'ancien commandant de la Force opérationnelle de transition de la mission, et il a été rapatrié après avoir bouclé nos opérations de combat. Nous sommes contents que le général Vance puisse demeurer des nôtres pour cette discussion, car, comme nous le savons tous, il a dirigé et commandé nos forces à deux reprises en Afghanistan. Il est actuellement conseiller stratégique du chef d'état-major de la Défense, ce qui l'amène à se pencher régulièrement sur toutes ces questions.
Nous commencerons avec vous, général Beare.
Lieutenant-général Stuart Beare, commandant du Commandement de la force expéditionnaire du Canada, Défense nationale : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de faire le point sur la présence des Forces canadiennes en Afghanistan. On m'a demandé de venir vous parler aujourd'hui de cette présence, notamment de la Force opérationnelle de transition de la mission, qui a quitté Kandahar en décembre 2011, et de la contribution actuelle à la mission d'institutionnalisation et de renforcement des capacités de l'OTAN en Afghanistan, connue sous le nom d'opération ATTENTION.
[Français]
La présence des Forces canadiennes en Afghanistan a commencé en 2002 avec l'opération APOLLO : la contribution canadienne à la campagne internationale de lutte au terrorisme, et s'est poursuivie avec l'opération ATHENA : la participation du Canada aux opérations des forces de combat de la FIAS, qui ont débuté en juillet 2003.
En 2005, les Forces canadiennes ont été déployées à Kandahar pour diriger le renforcement de la sécurité en menant des opérations de tous les types afin de contrer les talibans.
[Traduction]
En 2006, alors que nous combattions dans le district de Panjwayi, dans la région de Kandahar, nos troupes n'avaient pu rassembler que 128 soldats de l'armée nationale afghane pour se battre à leurs côtés. Ces soldats non entraînés étaient mal équipés et mal organisés. À l'époque, les Forces de sécurité nationale afghanes comptaient en leurs rangs seulement 95 000 personnes dans tout le pays.
Cinq ans plus tard, en 2011, lorsque nous nous sommes retirés du district de Panjwayi pour mettre fin aux opérations de combat à Kandahar, les effectifs de la police et de l'armée afghanes comptaient désormais, dans le district de Panjwayi seulement, plus de 2 500 soldats bien entraînés, bien équipés et bien organisés. À l'échelle du pays, plus de 290 000 personnes faisaient dorénavant partie des Forces de sécurité nationale afghanes.
[Français]
Au cours des six années d'opérations dans le centre du spectre à Kandahar, nous avons commencé par combattre pour les Afghans pour ensuite combattre à leurs côtés et enfin, dans la plupart des cas, leur confier la responsabilité d'assurer eux-mêmes la sécurité de leur province.
[Traduction]
À la fin des opérations des FC dans le Sud de l'Afghanistan, la Force opérationnelle de transition de la mission, qui comptait 1 500 membres, s'est vue confier la tâche de mettre fin à la mission à Kandahar. Il s'agissait de l'une des plus importantes et des plus complexes opérations de logistique des temps modernes exécutées par les Forces canadiennes.
À Kandahar, nous possédions environ 260 unités d'infrastructure permanente dont nous devions nous départir, sans compter les quelque 1 000 véhicules et 1 400 conteneurs maritimes d'équipement que nous devions faire rentrer au pays. Une partie de l'équipement est déjà arrivé et le reste s'en vient.
[Français]
La mission s'est conclue dans les délais prévus et dans les limites budgétaires accordées. Contrairement à l'époque où nous sommes arrivés à Kandahar, nous n'avons pas eu besoin d'aide de nos alliés; nous avons été en mesure de récupérer notre matériel par nos propres moyens ou en ayant recours à des entrepreneurs canadiens. Cette mission a prouvé que les Forces canadiennes sont capables de mener des opérations de logistique à l'échelle mondiale.
Les Forces canadiennes poursuivent leur présence en Afghanistan dans le cadre de l'opération ATTENTION.
Aujourd'hui, nous nous concentrons sur la mission de formation de l'OTAN qui vise à faire croître les Forces de sécurité nationale afghanes en quantité, en qualité et en capacité à l'échelle nationale.
[Traduction]
Lorsque la mission de formation de l'OTAN en Afghanistan a été lancée en novembre 2009, l'effectif des Forces de sécurité nationale afghanes s'élevait à 190 000 personnes. Aujourd'hui, l'effectif combiné de l'armée et de la police afghanes est de 310 000 personnes et est en voie d'atteindre l'objectif de 352 000 personnes d'ici l'automne 2012.
La mission de formation de l'OTAN est l'initiative qui permettra à l'armée et à la police afghanes de connaître une croissance en termes de quantité, de qualité et de capacité dans les 34 provinces de l'Afghanistan pour que d'ici la fin de la transition, en 2014, la protection et la sécurité du peuple puissent être assurées par les Afghans eux-mêmes, et ce, dans l'ensemble du pays.
Grâce à la mission de formation de l'OTAN, nos quelque 900 soldats et 40 agents de police civile produisent des résultats stratégiques cruciaux. La réussite de cette mission est essentielle pour préserver les efforts qu'a investis la communauté internationale dans l'Afghanistan. L'opération ATTENTION fait fond sur nos réalisations à Kandahar, contribue aux efforts de nos alliés et jette les bases du transfert des responsabilités en matière en sécurité aux autorités afghanes d'ici 2014.
Pour conclure, la présence des Forces canadiennes en Afghanistan a été — et continue d'être — une expérience enrichissante. Depuis 2001, plus de 30 000 membres des Forces canadiennes ont été affectés en Afghanistan, et certains y sont même allés à plusieurs reprises. Beaucoup d'autres s'y rendront dans le cadre de l'opération ATTENTION pour terminer la formation des Forces de sécurité nationale afghanes. Nos militaires continuent de faire preuve d'héroïsme, et les Canadiens leur accordent un appui inestimable et fort apprécié.
[Français]
Cette mission a modelé la prochaine génération de dirigeants militaires tout en faisant des Forces canadiennes une organisation souple, polyvalente et apte à répondre aux exigences du gouvernement en déployant ses effectifs et ses ressources en cas de conflit ou de crise.
[Traduction]
La présidente : Merci. Je ne saurais mieux dire. Par ailleurs, je crois que les militaires ont réussi à rétablir des liens avec les Canadiens et c'est également un aspect important de cette mission.
J'ai eu la chance de me rendre sur place récemment et de constater par moi-même le déroulement de la mission de transition, ce qui est réellement impressionnant, ainsi que la progression de notre mission de formation. J'y reviendrai d'ailleurs aujourd'hui, mais avant de passer aux questions comme telles j'aimerais que vous nous précisiez l'échéancier. Plusieurs de nos alliés, notamment les États-Unis, devancent le calendrier prévu. La France, quant à elle, rapatriera des militaires. Aurons-nous tout le temps nécessaire pour terminer cette mission?
Lgén Beare : Pour répondre à cette question, j'utiliserai 2009 comme point de départ de la mission en cours et la fin de 2014 comme échéance. Je comparerai ce qu'il reste à faire avec ce qui a été fait dans les deux dernières années et quelque depuis le début de la mission de formation de l'OTAN et l'arrivée de renforts en Afghanistan.
En 2009, d'importants changements ont été apportés à la stratégie ainsi qu'aux ressources connexes devant en assurer la mise en œuvre en Afghanistan. Les États-Unis se sont livrés à un examen qui a donné lieu à l'évaluation stratégique du général Stanley McChrystal. On a alors intégré à la stratégie la protection des Afghans et le renforcement des forces de sécurité nationale. Ces changements ont entraîné l'envoi de 30 000 soldats américains supplémentaires et de 10 000 autres militaires de l'OTAN. Des milliards de dollars américains et autres ont aussi été investis pour aider à constituer des forces de sécurité afghanes qui pourraient s'acquitter des fonctions de sécurité à notre place.
De 2009 à aujourd'hui, étant donné les changements apportés à la stratégie et aux ressources, 120 000 ou 130 000 soldats ont joint les rangs des Forces de sécurité nationale afghanes, ce qui signifie qu'elles peuvent couvrir un plus vaste territoire. Des progrès considérables ont été faits au chapitre de la qualité, et je pourrai en dire plus à ce sujet pour ceux qui veulent comprendre comment les forces afghanes se sont améliorées. De plus, les Afghans se prennent de plus en plus en main.
Lorsque le général Habibi, commandant de la 1re brigade du 205e corps de l'armée afghane, a fait ses adieux aux Forces canadiennes dans le Panjwayi en juillet, il était pleinement aux commandes d'une brigade afghane active, ce qui dénote des progrès sur le plan qualitatif également. Tout cela s'est produit en un peu plus de 24 mois. Or, il nous reste encore trois ans.
Le calendrier publié est en fait le cadre établi par la FIAS de l'OTAN et approuvé par le CAN pour mettre en place au cours des trois prochaines années la nouvelle approche qui consiste à permettre aux Afghans d'être plus indépendants, grâce à des forces plus nombreuses et une capacité accrue. La coalition appuiera cet exercice jusqu'à la fin de 2014.
Nous ne voulons pas tout faire à leur place, puis les laisser en plan en décembre 2014. Nous voulons qu'ils développent la capacité nécessaire et qu'ils l'appliquent sous la surveillance de forces militaires professionnelles et en collaboration avec celles-ci. Nous souhaitons qu'ils finissent par diriger complètement les opérations d'une armée de plus de 250 000 militaires, avec un peu d'aide en arrière plan en bout de parcours. Comme ils auront pu mener leurs opérations pendant un certain temps, ils pourront se débrouiller seuls par la suite.
En deux ans, nous avons été témoins d'une croissance marquée en termes de quantité, de qualité et de capacité. Comme nous pourrons compter, dans les trois années à venir, sur des investissements équivalents non seulement de la part des pays étrangers, mais des Afghans eux-mêmes, il est probable que nous réussissions. Ce n'est plus une simple possibilité.
Mgén Vance : Je ne peux qu'être d'accord avec le lieutenant-général Beare. Le contraire serait malsain.
La présidente : C'est bien vrai.
Mgén Vance : Il est intéressant que vous nous demandiez si nous aurons suffisamment de temps. Nous avons sans aucun doute le temps voulu pour atteindre les objectifs fixés, et ces objectifs ainsi que le financement prévu changeront quelque peu dans les mois à venir étant donné le sommet de Chicago. Nous ne savons pas ce qui découlera de ce sommet, mais nous savons qu'il entraînera certains changements.
Ce qui n'a pas encore été abordé dans cette réponse, c'est ce qui se produira après 2014. Tous les pays qui sont intervenus en Afghanistan, y compris le Canada, ont un intérêt dans cette région et souhaitent que les acquis soient conservés. Il nous reste encore à déterminer la nature et la forme des rapports que nous entretiendrons de même que les mesures que nous prendrons.
Le gouvernement a signalé à différentes occasions qu'il continuerait de jouer un rôle, mais nous ne savons pas ce qu'il compte faire au juste. Nous nous penchons actuellement sur la question. Il faudra, bien sûr, consulter les Afghans pour voir ce dont ils auront besoin à compter de 2014 et comprendre ce qu'il en est.
Arriverons-nous à faire tout ce qu'il faut faire d'ici 2014? Je crois que oui, mais il y a des risques. Nous devons tous tenir compte du fait que nous continuerons d'avoir des intérêts stratégiques dans cette région du monde après 2014.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Le plan d'entraînement, cela fait tout de même quelques années que l'OTAN y travaille. Il y avait un plan très détaillé, tant pour les militaires que pour la police. On avait remarqué que le côté police était très faible et qu'il traînait derrière le côté militaire. On a centré notre étude sur le côté militaire. Êtes-vous en mesure de nous parler de l'évolution du côté policier dans ce pays? La police est bien intégrée, tout de même, dans le besoin de sécurité.
De plus, on a décidé d'envoyer 950 personnes pour trois ans. Quelle a été l'évaluation du besoin qu'on avait à combler? Est-ce quelque chose qui a été étudié en profondeur? Est-ce qu'il fallait en envoyer 1 500? Est-ce que c'était 300? Quel est l'impact sur la force régulière et sur la réserve maintenant qu'on est de retour des opérations de combat?
Lgén Beare : En ce qui concerne la formation de la police nationale afghane, de 2003 à environ 2009, on a vu des investissements non équilibrés entre les différentes forces de police autour du pays.
[Traduction]
De façon générale, la formation des policiers s'est effectuée dans le cadre de différents accords bilatéraux entre les pays donateurs et le gouvernement national afghan.
Autrement dit, des dizaines d'approches ont été utilisées pour former la police de l'Afghanistan et autant de formes d'investissements ont été consenties. Certains ont formé des policiers, mais ils ne leur ont pas fourni d'équipement. D'autres ont fourni l'équipement, mais n'ont pas rémunéré les policiers. D'autres encore ont rémunéré les policiers sans les superviser. Faute de plan, le développement des forces policières ne s'est pas fait de manière uniforme, loin de là. Tous les pays ont déployé énormément d'efforts, mais dans un pays de 30 millions de personnes, 34 provinces et 365 districts, les résultats ont été on ne peut plus disparates.
Il s'agissait de la première mission de formation dans laquelle l'OTAN s'engageait à former des forces de sécurité comprenant des policiers et à leur fournir des ressources selon une approche descendante.
Comme vous le savez, j'ai été commandant adjoint de cette mission pendant un an. J'ai servi aux côtés de professionnels incroyables — des policiers de corps multinationaux, des gendarmes, des carabinieri, des policiers canadiens, des policiers britanniques et j'en passe. Je me sens maintenant comme un des leurs, du moins en partie. Ces professionnels estimaient qu'il était essentiel d'appliquer une approche descendante pour constituer des forces policières. Ce programme a de trois à quatre ans de retard par rapport à l'effort militaire en raison du temps qu'il a fallu pour uniformiser les pratiques et fournir les ressources adéquatement.
Les forces de police nationale afghanes — police frontalière, police de l'ordre public, police en uniforme et police spéciale — ont vu leurs effectifs augmenter considérablement. De plus, elles disposent maintenant de mesures nationales uniformes de contrôle de la qualité. Il existe dorénavant des programmes d'alphabétisation à l'échelle du pays et la participation à ceux-ci n'est pas volontaire, mais bien obligatoire. On n'a toutefois pas à convaincre les Afghans illettrés qu'ils veulent apprendre à lire et à écrire; ils sont très motivés.
Bien des choses ont changé depuis 2009. Il existe maintenant une approche nationale descendante plutôt qu'ascendante : des normes ont été établies par les Afghans avec l'appui des intervenants internationaux et des fonds sont prévus depuis le recrutement jusqu'à la retraite pour l'ensemble de la police afghane. Si une personne qui met sa vie en danger doute que vous puissiez prendre soin d'elle, elle risque de ne pas bien vous servir. Si vous ne l'équipez pas correctement, vous ne maintiendrez pas sa loyauté. Si vous n'assurez pas une bonne direction, personne n'offrira ses services et ne voudra prendre de risque. Si vous ne versez pas aux gens une rémunération adéquate pour nourrir leur famille, ils ne serviront pas le pays en priorité. Voilà ce qu'il en était avant les efforts déployés à l'échelle nationale en 2009. On est sur la bonne voie. Les défis sont nombreux, et je peux en parler d'expérience. Toutefois, les progrès réalisés vont dans le bon sens.
Pour terminer, en ce qui concerne le programme de formation des policiers, je préciserai que le leadership ne vient pas seulement des autres pays, il vient aussi de l'Afghanistan. L'actuel ministre de l'Intérieur, Bismullah Khan Mohammadi, ancien chef d'état-major de l'armée nationale afghane, est un meneur. Deux jours après avoir été nommé ministre de l'Intérieur, il a établi six priorités pour ses forces policières. Nous n'avions alors jamais vu cette liste. La première priorité est la formation et l'éducation; la deuxième, le leadership; la troisième, la transparence et la reddition de comptes; la quatrième, la réforme structurelle; la cinquième préconise de prendre soin des policiers et, enfin, la sixième prévoit un système de récompenses et de sanctions. Il a mis en œuvre ces priorités au sein de la police nationale afghane comme seul un Afghan pouvait le faire pour ses compatriotes. Les progrès vont dans le bon sens, mais les défis sont nombreux.
Tous les rapports parlent des défis. Malheureusement, il est difficile de voir les résultats des bons coups au jour le jour. Il faut normalement compter de six mois à un an pour voir les résultats. Nous sommes toujours en mode rattrapage à cet égard. Les policiers du Canada et des autres pays sont présents à toutes les étapes du programme afghan depuis le cabinet du ministre jusqu'au centre de recrutement et au centre de formation. Il s'agit d'un engagement complet à l'échelle nationale de la part de 34 pays qui concertent maintenant leurs efforts. Je laisserai au major-général Vance le soin de vous entretenir à ce sujet. L'an dernier, je me suis rendu sur place à peu près à ce temps-ci de l'année et je me suis réjoui d'entendre le chiffre 950. Il y avait à ce temps-ci l'an passé 950 Canadiens parmi les 4 000 étrangers qui participaient à la mission de formation en Afghanistan. Il y a actuellement 950 Canadiens parmi les 6 000 étrangers. La contribution du Canada est la deuxième en importance, après celle des États-Unis, dans cette mission qui ne compte que 6 000 participants, mais qui a réellement des répercussions nationales. En tout, l'OTAN a déployé 130 000 soldats dans le pays. Les Afghans seront outillés pour conserver leurs acquis dans les années à venir.
[Français]
Mgén Vance : J'aimerais ajouter quelque chose. Au départ dans le projet, en 2002-2003, les États-Unis appuyaient les forces militaires, et l'OTAN et UPOL appuyaient les forces policières. Le point de départ était très différent. À mon avis, ils ont mal évalué le problème avec la police.
[Traduction]
Les États-Unis ont bien appuyé l'armée. La police, quant à elle, n'a pas reçu l'attention voulue en raison de l'incertitude qui régnait, mais personne n'est à blâmer. Nous avons pris conscience de l'ampleur du problème avec le temps. Il importe de toujours bien se préparer; nous avons tiré les leçons qui s'imposent.
C'est à la suite de l'analyse effectuée dans le cadre de l'énoncé des besoins en forces interarmées multinationales qu'on a établi qu'il fallait 950 Canadiens pendant trois ans. L'OTAN a calculé les besoins de l'année à venir dans un contexte où le nombre de participants à la mission de formation passerait de 4 000 à 6 000. La mission allait grossir. Ils ont été chanceux.
De deux choses l'une, ou nous quittions en laissant derrière nous un commandement crédible mais moins expérimenté, ou nous souscrivions au maintien de la mission. L'OTAN a opté pour une mission plus importante et, une fois les calculs faits, il a été établi que le Canada fournirait 950 participants; le gouvernement, quant à lui, avait dit qu'il accepterait de déployer jusqu'à 950 personnes. Nous n'y sommes pas tout à fait, je crois que 925 Canadiens sont actuellement en Afghanistan. D'autres pourraient se joindre à ce nombre.
J'ajouterai enfin que nous nous employons à former les Afghans pour nous libérer de différentes tâches. Les pays participants souhaitent tous pouvoir mener à bien cette mission. Notre succès pourrait en amener certains à se retirer du processus. Évidemment, les forces qui se retirent, notamment d'un rôle de combat, offrent également des ressources aux fins de la formation. D'autres participants pourraient donc venir gonfler les rangs de la mission d'ici 2014.
Le sénateur Lang : Votre exposé préliminaire était des plus instructifs, général, et il nous a tous rassurés quant aux résultats positifs qui sont constatés chaque jour là-bas.
J'aimerais m'attarder un peu sur la qualité de la formation. D'après ce que je comprends, les gens que nous recrutons dans la police sont généralement de jeunes Afghans, analphabètes, qui reçoivent une formation d'environ trois mois. Or, dans les pays occidentaux, il faut compter au moins six mois de formation rudimentaire, puis des années de pratique avant d'avoir un agent de police capable de faire tout ce qu'on lui demande.
Pourriez-vous nous préciser pourquoi la formation est si courte, du moins la formation de base? Les postes de police un peu partout là-bas offrent-ils d'autres programmes de formation sur le terrain de sorte qu'on obtienne la qualité voulue — c'est-à-dire celle attendue par la population en général — tout en étant en mesure de payer les policiers?
La présidente : Peut-être pourriez-vous nous expliquer la différence entre l'ANA, l'armée nationale afghane, et la police.
Lgén Beare : Les ressources que le système de recrutement de la police nationale afghane va chercher sont ce qu'elles sont. La police recrute, à même une population de 30 millions d'habitants, des gens âgés de 18 à 38 ans environ, et cette cohorte affiche un taux d'alphabétisation de 15 p. 100 ou un taux d'analphabétisme de 85 p. 100. Néanmoins, ces chiffres ne disent rien sur les aptitudes des gens ou leur capacité d'apprendre ou de servir. Ils ne font que décrire les connaissances de base des recrues.
Il y a deux ans et demi, ni l'armée ni la police ne disposaient de programme d'alphabétisation obligatoire. En fait, il existait des programmes, mais ils n'étaient pas appliqués à l'échelle nationale. Si je me fie aux dernières statistiques que j'ai vues avant Noël, 130 000 membres de l'armée ou de la police afghane participeraient à des programmes d'alphabétisation à temps plein, offerts dans le cadre du système de recrutement. Amener quelqu'un au premier niveau de compétences en lecture et en écriture, ne serait-ce que lui permettre de reconnaître un chiffre ou une lettre, est un investissement indescriptible dans le capital humain. Faire passer une personne du niveau 1 au niveau 2 se traduit par un ratio rendement-investissement de 2; le passage du niveau 2 au niveau 3 donne un ratio de 0,6. Cet investissement initial dans l'alphabétisation à elle seule permet une fabuleuse amélioration des capacités. Les membres des forces ont accès à des programmes d'alphabétisation à temps plein, lesquels procurent des occasions de développement, d'apprentissage et de renforcement des capacités cognitives de base.
Après la formation de base, le soldat ou le policier est prêt à participer à d'autres activités de formation ou à entreprendre sa première période de service. Il s'agit là d'une norme généralement reconnue et acceptée tant par les forces internationales de sécurité que par leurs partenaires afghans.
Le policier afghan, sous la surveillance de ses supérieurs, s'acquitte des tâches pour lesquelles il a été formé. Quiconque fait preuve d'une bonne capacité d'apprentissage et de solides compétences en lecture et en écriture est rapidement pressenti pour des postes de direction.
Il y a trois ans, il n'existait aucun programme national de formation de chefs subalternes dans l'armée ou la police. Il n'y avait que des programmes régionaux. Aujourd'hui, des programmes nationaux sont en place et, en tout temps, de 2 000 à 3 000 policiers et de 8 000 à 10 000 sous-officiers de l'armée suivent une formation en vue d'occuper un poste de chef. Ils n'étaient que quelques centaines il y a trois ans.
Les participants aux programmes de formation des officiers savent lire et écrire. Ce sont des gens instruits et intelligents qui sont en mesure de suivre des cours de niveau secondaire ou universitaire. Ils reçoivent dès leur entrée en fonction une formation en vue d'occuper un poste de professionnel de la police ou de chef militaire. Des partenaires comme le FBI, la CIA et d'autres corps de police spécialisés leur dispensent toute une gamme de cours spécialisés. Les participants ont accès à tous ces cours. La difficulté, c'est d'intéresser la population à cette expérience. Les efforts de recrutement doivent rejoindre l'ensemble de la population.
Il n'en demeure pas moins que la tendance est encourageante et que les gens ont une grande faculté d'apprentissage. L'inconvénient réside en fait dans le manque de partenaires pour accompagner les policiers lors d'opérations sur le terrain. En Afghanistan, ce sont les forces armées qui peuvent compter sur le plus grand nombre de partenariats tandis que les forces de police sont celles qui effectuent le moins d'opérations en collaboration. Le manque d'activités en partenariat effectuées au sein de la police représente un problème réel. En effet, la police n'est pas organisée en garnisons, en brigades et en garnisons de base, et il y a entre 5 000 et 10 000 villages et districts en Afghanistan. L'éparpillement des forces internationales de sécurité et des forces policières complique les choses.
On travaille en partenariat là où on peut et du mieux qu'on peut dans les districts et les provinces où des gains sont nécessaires et où la collaboration peut être durable. Vous voyez le tableau. On veut recruter des gens, les former, puis leur faire appliquer ce qu'ils ont appris dans le cadre d'opérations réalisées sur le terrain avec des partenaires, mais on n'arrive pas à répondre à la demande.
Le sénateur Lang : Les femmes sont-elles acceptées dans l'armée ou la police?
Lgén Beare : Oui. La police, surtout, s'attache à recruter davantage de femmes, car certaines fonctions, notamment celles liées aux passages frontaliers, aux contrôles de sécurité et aux fouilles, exigent un traitement qui tienne compte des besoins des femmes. Les forces de police comptent plus de 2 000 policières aujourd'hui. Ce n'est pas suffisant, mais les choses progressent.
L'armée, quant à elle, fait des efforts. Il reste que c'est très difficile de recruter des femmes, pour des raisons culturelles, organisationnelles et géographiques. Il n'est pas facile d'intégrer des femmes à une force militaire dont la forte composition d'hommes est attribuable à des facteurs culturels et ethniques, sans compter que les soldats vivent en garnisons et non dans les villages.
Le sénateur Plett : Vous avez parlé de la fin de la mission à Kandahar. La présidente et d'autres intervenants ont parlé de cette merveilleuse opération de clôture de la mission, mais d'après ce que nous avons pu lire, il y a divers problèmes. Vous avez dit que certains conteneurs n'étaient pas encore revenus au Canada; or, vous affirmez que la mission s'est conclue dans les délais prévus et dans les limites budgétaires.
J'ai lu dans nos notes d'information que 10 conteneurs maritimes avaient été dérobés, mais que le matériel volé n'était pas d'une importance cruciale. J'ai aussi lu que le Pakistan continuait d'interdire le passage de convois de l'OTAN à sa frontière avec l'Afghanistan, et que le refoulement à la frontière s'intensifiait. Je suis convaincu que les talibans se trouvent tout près de la frontière et je pense qu'ils pourraient avoir un rôle à jouer dans sa fermeture.
D'après vous, la mission s'est conclue dans les délais prévus et dans les limites budgétaires. La perte de 100 conteneurs ne va-t-elle pas entraîner des coûts? Pourriez-vous nous en dire plus sur les problèmes de fermeture de la frontière? Que ferons-nous pour rapatrier nos conteneurs qui renferment du matériel de valeur?
Lgén Beare : Je vais demander au brigadier-général Lamarre de vous donner des précisions. Je suis sûr qu'il meurt d'envie de vous raconter une histoire au sujet de la Force opérationnelle de transition de la mission.
Sa mission s'est déroulée avec succès. La récupération du matériel, sa préparation et sa transmission par voie aérienne au Koweït — auparavant, nous utilisions le Camp Mirage — ont été menées à bonne fin. Le commandement de soutien a retenu les services d'une entreprise pour acheminer par liaison terrestre le matériel qui présente moins de risques de vol ou de chapardage. La différence de coût entre un déplacement terrestre et un déplacement aérien est énorme. Il a réalisé la mission en temps voulu et dans les limites budgétaires.
Pour les raisons que vous avez mentionnées, nous n'avons pas encore fini de rapatrier le matériel, mais le plan suit son cours. Notre force opérationnelle au Koweït, qui s'occupe d'envoyer les véhicules et les munitions par navire, met la dernière main aux préparatifs.
Les véhicules de combat et les munitions s'en viennent au Canada. Pour ce qui est du matériel de moindre valeur, nous avons accepté les risques de chapardage ou de retard que peut poser la voie terrestre. Ce matériel est encore entre les mains responsables de l'entreprise avec laquelle nous faisons affaire. Nous savons où il est. Quand la frontière rouvrira, ce qui est dans l'intérêt de tous les acteurs dans la région, le matériel pourra poursuivre son chemin.
Sans vouloir entrer trop dans les détails, je vous dirai que les responsables de cet incroyable exercice de logistique, que la présidente a vu de ses yeux, nous ont très bien servis.
Brigadier-général Charles Lamarre, ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan HQ 5- 11, Force opérationnelle de transition de la mission, Défense nationale : Je vous remercie de la question. Il est rare que nous parlions de logistique, pour toutes sortes de raisons. C'est un sujet qui peut en endormir plus d'un, disons. Je vous remercie de me donner l'occasion de l'aborder.
On nous a avertis à l'avance de nous préparer en vue de cette mission et nous l'avons planifiée en détail. Nous avons donc pu procéder étape par étape de manière logique, et je crois que nous avons atteint les résultats voulus. Nous sommes convaincus que l'entreprise dont les commandants du soutien opérationnel ont retenu les services a bien en main les conteneurs maritimes. Elle attend encore de pouvoir traverser la frontière, ce qu'elle pourra faire dès que celle- ci sera rouverte. Et elle le sera, car, là-bas comme ailleurs, il y a des pressions commerciales.
La même situation s'est produite quand les routes ont été fermées le long de la côte en Croatie. Dès que les bombardements ont cessé, des camions en provenance de l'Allemagne sont arrivés dans les 48 heures. Beaucoup de personnes vivent du camionnage là-bas et le transport va reprendre quand la frontière va rouvrir.
Nous avons accordé la même attention au type de matériel dont il est question; nous avons veillé à ce que rien ne puisse compromettre nos activités ou être source de préoccupations. Nous avons chargé plus de 70 conteneurs maritimes de munitions, pour un total de 450 tonnes. Nous devions ramener ces munitions au Canada pour les protéger et parce que nous en avions besoin ici pour la prochaine mission. Nous avons expédié les conteneurs par avion jusqu'au terminal d'étape au Koweït, puis nous les avons mis dans des navires et le matériel est désormais au Canada.
Nous avons fait la même chose avec tous nos véhicules de combat blindés. Nous avons envoyé la vaste majorité par la voie des airs soit au terminal d'étape intermédiaire à Chypre ou à celui du Koweït afin de pouvoir les rapatrier sans risque au Canada par navire. Les quatre navires que nous avons affrétés pour transporter tout l'équipement sont déjà rentrés au pays en toute sécurité.
En revanche, l'équipement placé dans des conteneurs maritimes, et dont une partie est déjà revenue au Canada ou arrivera tôt ou tard, est de moindre valeur et il ne s'agit pas de matériel sensible, comme l'a précisé le lieutenant-général Beare.
Comme vous vous en doutez sûrement, qui dit importante flotte de véhicules blindés dit beaucoup de pièces de rechange. Ce sont des pièces d'équipement très lourdes, mais ayant peu de valeur. C'est ce genre de matériel qu'on rapatrie par la voie terrestre.
Nous supposons toujours qu'il y a des risques de vol, comme c'est le cas sur toutes les routes commerciales du monde. C'est pourquoi nous n'avons utilisé des moyens de transport terrestre que pour l'équipement dont la perte ne poserait pas problème.
Le sénateur Plett : Je suis profane en la matière et mes connaissances sont limitées, mais il m'apparaîtrait logique, étant donné que nous entraînons les Afghans pour le combat, que nous leur laissions de l'équipement. En avons-nous laissé là-bas? Pouvez-vous nous en parler?
Bgén Lamarre : Certainement. Pour être franc, certaines pièces d'équipement ne valaient pas la peine d'être rapatriées au Canada, car le coût d'expédition était prohibitif. Nous devons évaluer si c'est rentable de renvoyer du matériel. Cela vaut-il la peine? Nous avons utilisé des matrices pour déterminer s'il était avantageux de rapatrier l'équipement. Nous nous sommes demandé si nous en avions besoin ici et si c'était possible de racheter le matériel au Canada, le cas échéant.
À la lumière de notre évaluation, nous avons décidé de nous départir sur place d'une certaine quantité de matériel. Ce faisant, nous avons tenu compte de ce que le Canada essaie d'accomplir, c'est-à-dire outiller et préparer les Forces de sécurité nationale afghanes pour qu'elles puissent assurer la sécurité de la population. Lorsque c'était judicieux de le faire et qu'il s'agissait de matériel qu'il n'était pas utile ou qu'il était trop cher de renvoyer au Canada, nous avons soit transféré l'équipement à un autre ministère, un des nôtres, soit essayé de le vendre, ou nous en avons fait don aux Forces de sécurité nationale afghanes.
Le général Beare a parlé d'une brigade avec laquelle nous travaillions en partenariat et avec laquelle le général Vance et son successeur ont collaboré quand ils étaient commandants là-bas. Nous avons à maintes reprises cédé du matériel à ces organisations pour qu'elles soient en mesure d'équiper leurs soldats. Ce n'était rien de bien perfectionné souvent, mais tout le monde a besoin de poêles pour faire cuire sa nourriture dans les campements. Parfois, il s'agissait d'équipement haut de gamme, par exemple de véhicules utilitaires sport que nous ne voulions pas renvoyer au Canada en raison de leur usure. Nous avons tout simplement cédé ces éléments d'équipement aux autorités locales, qui ont pu s'en servir.
La présidente : Vous avez d'ailleurs dû inventer un modèle informatique. J'ai vu les programmes. Est-ce que ce sera utile à l'avenir? Avez-vous appris quelque chose là-bas? Cela fait longtemps que nous sommes rentrés.
Bgén Lamarre : L'expérience s'est révélée très utile, en fait. Ma force opérationnelle compte une cellule d'activité d'influence chargée d'examiner les moyens d'atteindre nos objectifs tout en aidant nos partenaires sur le terrain. Une équipe de spécialistes du matériel est venue sur place en Afghanistan, après que le Conseil du Trésor eut délégué les pouvoirs nécessaires au ministre et à Dan Ross, sous-ministre adjoint aux matériels. Nous avons créé un modèle informatique nous permettant, pour chaque pièce d'équipement qui ne serait pas renvoyée au Canada, d'utiliser une liste de contrôle pour faire en sorte que la pièce aboutisse au bon endroit. Nous prenions en considération la valeur monétaire de l'article et tâchions de déterminer quelle en serait la meilleure utilisation et qui en profiterait le plus. Nous avons donné beaucoup de matériel à l'armée nationale afghane, mais aussi parfois, par l'entremise de nos partenaires américains, à des organisations locales qui œuvrent pour le peuple afghan.
Si vous me le permettez, je peux vous donner des détails. Nous avions du matériel de tente que nous utilisions pour construire des structures semi-permanentes. Nous avons rapatrié l'armature des tentes au Canada, où elle sera remise en état pour être utilisée lors de notre prochain déploiement et nos prochaines opérations, mais la toile posait problème, car à cause de toute la poussière accumulée, nous ne souhaitions pas la ramener avec nous. La détruire sur place aurait coûté environ 150 000 $. Nous avons plutôt opté pour la donner, avec le concours de la sustainment brigade de l'armée américaine, qui exploite une installation d'aide humanitaire, à un organisme de charité afghan qui se sert de ce genre de toile pour construire des abris pour les Afghans. Cette décision nous a permis d'aider le peuple afghan et d'économiser de l'argent. C'est le genre d'initiatives qu'a prises l'équipe de dessaisissement de ma force opérationnelle.
La présidente : Je voulais que les gens comprennent que vous avez fait les choses de façon très judicieuse et que ce matériel est allé là où il était le plus nécessaire. Je vous en remercie.
Le sénateur Eggleton : Je me rappelle bien du premier déploiement de forces canadiennes en Afghanistan qui remonte à il y a dix ans maintenant. J'étais ministre de la Défense quand nous y avons envoyé des troupes dans le cadre de l'opération Apollo. J'aimerais toutefois poser une question au sujet de l'opération ATTENTION. Le sénateur Lang a posé une question sur le faible niveau d'alphabétisation et sur les mesures qui sont prises pour remédier à ce problème. J'avais l'intention de poser une question là-dessus. Permettez-moi de poser une question sur un autre enjeu, en l'occurrence celui du taux d'attrition élevé. Un officier de la marine américaine aurait apparemment dit que l'édification de l'armée afghane se comparait pour lui à l'idée de verser de l'eau dans un tamis. Parlez-moi du taux d'attrition. Vous avez brossé un tableau passablement positif au sujet des chiffres ici. Gère-t-on mieux le taux d'attrition? Avez-vous des chiffres à cet effet et que fait-on de différent maintenant? Plus tôt, vous avez parlé des mesures que vous estimez nécessaires pour assurer la loyauté et la participation. Prend-on effectivement de telles mesures? Les chiffres l'indiquent-ils?
Lgén Beare : Les rapports sur le taux d'attrition dans la police indiquent que le mois dernier, les totaux annuels se situaient entre 16 et 17 p. 100, ce qui ne constitue pas un grand problème dans un pays comme l'Afghanistan. En fait, ce taux n'est que de 2 p. 100 au-dessus de la cible. Les autorités souhaitent que le taux d'attrition se maintienne à 14 p. 100. En général, les forces policières recrutaient et formaient les nouveaux éléments dans leur région pour que ceux-ci soient à proximité de leur foyer. Il y a bien des années, le taux d'attrition était nettement pire parce que les policiers n'étaient ni équipés, ni formés, ni dirigés, ni payés, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Le taux d'attrition dans l'armée nationale afghane est encore nettement plus élevé que ne le souhaiteraient les Afghans et l'OTAN pour assurer la viabilité; ils se situent entre 15 et 35 p. 100, selon la région du pays. Les facteurs qui ont une incidence sur le taux d'attrition sont généralement de nature géographique — lieu de travail par opposition au lieu de résidence —, les différences de rythme d'une région à une autre de l'Afghanistan, une demande plus grande dans une région et surtout les dirigeants de la région.
C'est aux autorités militaires afghanes qu'il incombe de régler le problème du taux d'attrition dans l'armée nationale afghane et, dans un premier temps, de mettre en place une structure permettant non seulement de déployer des soldats sur le site d'une opération et de les y laisser, mais également de gérer le déploiement en prévoyant des périodes de service de huit semaines en alternance avec des périodes de repos de quatre semaines, de façon à établir un rythme opérationnel permettant aux soldats de planifier leurs périodes de repos et le séjour chez eux.
Dans un deuxième temps, les autorités afghanes doivent mettre en place un service aérien offrant des vols en Afghanistan pour permettre aux soldats et aux policiers de rentrer chez eux. Comme vous pouvez l'imaginer, les Afghans sont très attachés à la famille et ils doivent raviver les liens familiaux au moins une fois par année. À défaut de le leur permettre, les soldats trouveront eux-mêmes le moyen de le faire, ce qui aura vraisemblablement un effet d'attrition. Ces mesures sont déjà en place et elles ont un effet modérateur, mais elles sont bien loin d'atteindre les cibles souhaitées.
Dans un troisième temps, mais qui n'est pas moins important, les commandants doivent être tenus de rendre des comptes sur le comportement et le rendement des forces sous leurs ordres et, comme vous savez, il est assez difficile de créer un climat et une culture de reddition de comptes au niveau du commandement à l'égard de bien des éléments, notamment les opérations, l'attrition et la transparence. Nous nous employons à favoriser la reddition de comptes à ces trois niveaux en même temps, et il faudra du temps pour y arriver.
C'est un défi et personne n'est satisfait des chiffres, pas même les Afghans à l'heure actuelle; nous nous y attaquons donc. Néanmoins, il y a tout de même une croissance et une amélioration de la qualité, spécialement pour ce qui est de la formation élémentaire, mais il serait bien de réduire le taux d'attrition et d'investir davantage de temps dans la formation plutôt que de constamment combler les effectifs.
Si vous me le permettez, j'aimerais signaler en dernier lieu qu'il y a un nombre élevé de retours. Je ne peux pas vous donner un chiffre de mémoire, mais le nombre d'hommes qui reviennent après avoir quitté les rangs est également très substantiel. C'est important à maints égards; premièrement, parce qu'ils veulent être payés, deuxièmement, parce qu'ils souhaitent peut-être encore servir, et, troisièmement, cela indique une tendance. Les forces nationales de sécurité de l'Afghanistan sont en fait en train de gagner du terrain, si on peut dire. Elles enregistrent maintenant des réussites qu'elles n'auraient jamais pu imaginer il y a un ou deux ans. Les forces nationales sont maintenant établies dans des collectivités qui, il y a un an ou deux ans, constituaient le bastion des talibans. Cette situation donne un sentiment de progrès et l'impression d'être du côté gagnant et elle a une incidence sur le taux d'attrition et incite les hommes qui ont quitté les rangs à revenir. Il y a en quelque sorte une amnistie pour inciter ceux qui sont partis à rejoindre les rangs; on ne les pénalise pas pour leur départ et on les accueille de nouveau sans problème.
Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il de l'effort pour obtenir une représentation régionale? Les Pachtounes du Sud sont généralement sous-représentés dans l'armée afghane et surreprésentés au sein des forces talibanes. Que se passe-t-il à cet égard? La situation s'améliore-t-elle?
Lgén Beare : La situation s'améliore, mais les autorités sont loin de leurs objectifs. Au niveau national, la représentation pachtoune dans l'armée et dans la police est assujettie à des normes nationales, mais dans le Sud, l'élément pachtoune est sous-représenté par rapport à la population de la région, qui demeure la plus menacée pour ce qui est de la sécurité des collectivités, compte tenu des tensions qui durent depuis plusieurs années, comme on a pu le voir. Nous avons remis de l'ordre et nous sommes repartis à plusieurs reprises, nous avons dû revenir pour rétablir l'ordre encore une fois et nous sommes restés plus longtemps; maintenant, ce sont les Afghans qui restent sur place. Les Pachtounes du Sud peuvent maintenant participer en ayant une plus grande assurance que les forces de sécurité seront encore présentes l'an prochain. La situation semble évoluer dans la bonne direction, mais je n'ai pas de détails pour le moment.
Le sénateur Eggleton : Le général Dallaire vous a posé une question au sujet des 950 hommes et vous a demandé d'où venait ce chiffre. J'aimerais savoir quel pourcentage de ceux-ci sont des réservistes.
Lgén Beare : Monsieur le sénateur, je devrais pouvoir vous répondre immédiatement, mais je dois vous revenir là- dessus. La proportion est considérable; je vous donnerai sous peu le chiffre exact.
Le général Vance me dit qu'elle est d'environ 25 p. 100, ce qui me semble tout à fait juste, mais je vous fournirai le chiffre précis.
Mgén Vance : La proportion est d'environ 25 p. 100.
Le sénateur Plett : Ma question fait suite à ce que le sénateur Eggleton disait au sujet du taux d'attrition. Je pose donc la question que voici. Comme je l'ai dit, les talibans sont vivants et se portent bien. Nous avons réussi à les faire battre en retraite, mais je suis certain qu'ils sont de l'autre côté de la frontière pakistanaise ou ailleurs. Que pensez-vous qu'il arrivera au taux d'attrition une fois que toutes les troupes étrangères se seront retirées et que les talibans commenceront à revenir? Cela aura-t-il une incidence et, le cas échéant, quelle en sera l'ampleur?
Lgén Beare : Je conviens avec vous qu'ils sont bien vivants.
Le sénateur Plett : Bon, ce n'est pas très réjouissant.
Lgén Beare : Je peux affirmer avec une certaine assurance que la situation des talibans n'est pas aussi bonne qu'ils le souhaiteraient ou qu'elle l'a été dans le passé. Il y a eu une véritable transformation dans les territoires qu'ils occupaient il y a deux ou trois ans et sur lesquels ils n'ont plus d'emprise. On peut maintenant traverser la Corne de Panjwayi, normalement sous le contrôle des Afghans, mais qui est actuellement protégée par les forces de sécurité afghanes. Par conséquent, les talibans n'ont plus la même liberté de mouvement qu'auparavant.
Les talibans n'ont pas moins de visées qu'auparavant, mais leur capacité n'est plus nécessairement ce qu'elle était, notamment à cause du renforcement de la capacité des forces de sécurité afghanes, de la persistance de la communauté internationale à former des partenariats, non seulement en nombre, mais également en qualité et en capacité, et de bâtir la capacité des forces afghanes pour qu'elles puissent elles-mêmes assurer la sécurité et, finalement, pour que tout le monde comprenne que 2014 marque une transition, non la fin du changement.
Le terme transition n'est pas bien compris; il ne signifie pas abandon, il signifie changement. Nous remettons aux Afghans la direction de la situation, de la pointe de notre baïonnette à la pointe de la leur. Nous envisageons la poursuite des négociations ou des délibérations, pour utiliser le même terme que le général Vance, concernant un partenariat durable, bien au-delà de 2014, entre l'Afghanistan et les intervenants internationaux, qui portera notamment sur une force de sécurité conjointe, le développement administratif, la formation et le mentorat, la formation professionnelle, la primauté du droit et la justice. Toutes ces initiatives sont des messages aux talibans.
À l'heure actuelle, les talibans ne peuvent pas manœuvrer librement dans les 350 districts de l'Afghanistan. Les forces de sécurité afghanes les pourchassent. Évidemment, les talibans continuent de lancer des attaques spectaculaires pour produire de l'effet, parce qu'ils souhaitent faire passer leur message.
Entretemps, la capacité des forces de sécurité afghanes continue de s'accroître et la transition de la sécurité du territoire au profit des autorités afghanes se poursuit. Aujourd'hui, 50 p. 100 de la population de l'Afghanistan vit dans un cadre de sécurité dirigé par les Afghans et appuyé par la FIAS. Il s'agit de la deuxième étape de la transition. Au terme de la troisième étape, 75 p. 100 de la population de l'Afghanistan sera sous le contrôle des autorités afghanes appuyées par des forces de sécurité internationales.
Le sénateur Plett : Les forces afghanes pourchassent-elles les talibans de façon proactive?
Lgén Beare : Certainement. La paix et la réconciliation sont les derniers éléments qui érodent la position des talibans, si on peut dire, et qui rend inutile le sursis qu'ils cherchent à obtenir jusqu'en 2014. Lorsqu'on parle de réconciliation, on fournit une autre possibilité à ceux qui préféreraient ne pas continuer à se battre.
Les chiffres sur la réintégration sont vraiment étonnants. À ce temps-ci l'an dernier, moins de 300 insurgés officiellement reconnus se ralliaient au processus de paix et de réconciliation de l'Afghanistan et réintégraient la société civile. Aujourd'hui, on en compte plus de 3 000. Chaque fois qu'un insurgé afghan réintègre la société, c'est toute sa famille qui fait ce choix parce que, pour les Afghans, la famille et la tribu sont fondamentales. Il ne s'agit pas d'un choix individuel, mais bien d'un choix de population. Voilà des tendances qui nous mènent dans une certaine direction.
Madame la présidente, vous m'avez demandé au début si nous disposions de suffisamment de temps. Voici ma réponse. Si nous persistons, nous passerons d'une possibilité de succès qui se traduirait par une force de sécurité afghane assez solide et un pays — l'Afghanistan, qui aurait encore besoin d'aide en 2014 — à un succès presque assuré.
La présidente : Merci. Voilà une observation fort pertinente.
Le sénateur Manning : Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui. Il va sans dire que je félicite et remercie les membres des Forces canadiennes du travail qu'ils font au nom de l'ensemble des Canadiens. En toute franchise, il est fort intéressant d'écouter les témoignages, même lorsqu'ils portent sur des questions logistiques. La façon dont vous abordez et traitez les différences culturelles et sociétales et le fait que différentes forces armées soient capables de collaborer honorent vraiment le secteur militaire.
Nombre de mes collègues ont posé les questions que j'avais soulevées plus tôt. Je voulais simplement me renseigner sur le centre de formation de Kaboul, pour avoir une idée du genre de formation qui y est actuellement donnée. Il s'agit du centre des opérations, mais, comme vous l'avez mentionné, le pays compte un grand nombre de provinces et de districts. La formation est-elle dispensée partout au pays ou y a-t-il des centres spécialisés à cet effet? Comment assurez-vous la formation dans différentes régions du pays, sachant que dans certaines la situation est moins explosive? Comment abordez-vous la situation? Comment donnez-vous dans les districts et les provinces la même formation que celle qui est donnée au centre des opérations?
Lgén Beare : Monsieur le sénateur, l'Afghanistan compte plus de 30 centres de formation dont les plus grands se trouvent à Kaboul. Certains centres de formation militaire régionaux sont en train de devenir des centres stratégiques permanents pour la formation de l'armée dans l'avenir. Certains centres sont encore en construction, mais je crois que, à l'heure actuelle en Afghanistan, environ 25 000 militaires et entre 10 000 et 15 000 policiers sont en formation.
La formation élémentaire est offerte partout où c'est possible parce qu'il n'est pas nécessaire de la donner à Kaboul. Elle peut être offerte à bien des endroits différents. De nombreux centres de formation relèvent du centre principal de Kaboul qui offre donc une formation militaire, de la base jusqu'à l'alphabétisation, aux officiers, aux sous-officiers et aux conseillers culturels, notamment en matière de religion. D'autres centres relèvent également de celui de Kaboul, notamment ceux qui offrent une formation en transmissions et en artillerie. Le centre de formation Kaboul est pour ainsi dire la centrale de formation militaire. Il est logique de l'avoir installé à Kaboul, la capitale du pays, et d'y offrir les programmes nationaux et de donner la formation élémentaire dans les centres régionaux.
La formation des membres de l'armée afghane ne se termine pas là. Elle va jusqu'à la spécialisation ou jusqu'à la formation d'officier. Si je réussis une formation de soldat et que je suis alphabétisé, je peux devenir communicateur. Apparemment, il faut savoir lire et écrire pour être communicateur.
La présidente : Ça reste à voir.
Lgén Beare : Les soldats suivent un programme d'alphabétisation, puis un cours de base sur les transmissions. Au terme de cette formation, ils sont dirigés vers le Centre consolidé de mise en service, où ils reçoivent tout l'équipement nécessaire et où ils rencontrent les soldats et les officiers en charge qui les affectent à leur nouvelle unité d'artillerie ou de batterie ou à un escadron de génie. Les soldats suivent une formation de six à seize semaines, selon les compétences à acquérir, en compagnie de leurs compagnons d'unité avec lesquels ils seront ensuite déployés.
Au terme de cette formation, les forces afghanes peuvent déployer sur le terrain une toute nouvelle unité forte d'un commandement, d'officiers, de sous-officiers et de soldats ainsi que de l'équipement, du matériel de communication, des armes et des véhicules nécessaires. Grâce à la contribution des Canadiens qui travaillent au Centre consolidé de mise en service, il sera possible de déployer chaque année des unités équivalentes à celles de l'armée canadienne comptant un commandement et des soldats bien formés et disposant d'équipements, d'armes et d'outils de communications neufs.
C'était là un aperçu des efforts de formation. Le Canada est l'un des principaux participants à cette initiative. En fait, les Canadiens qui assurent le soutien principal au Centre de formation militaire de Kaboul — le colonel Mike Minor et le colonel canadien qui appuie le commandant afghan du Centre consolidé de mise en service — ont une influence à l'échelle de tout le pays parce qu'ils forment non seulement les soldats afghans, mais également les dirigeants de ces institutions.
Le sénateur Manning : Vous avez parlé plus tôt des défis auxquels vous êtes confrontés. D'après vous quel est le plus grand défi dans cette étape de transition de la mission? Pourriez-vous nous faire part de votre point de vue ou de celui de n'importe quel autre intervenant?
Lgén Beare : Chacun peut avoir un point de vue distinct sur la question parce que notre expérience sur le terrain diffère. Avant 2009, les principaux défis étaient liés à une pénurie de ressources et au fait que la vision ou la stratégie n'était pas adaptée à l'ampleur de la tâche. Nous avons réglé ces problèmes en 2009 et en 2010. De notre point de vue, je dirais que le défi est de persévérer s'il y a amélioration de notre capacité de fournir des résultats raisonnables et satisfaisants pour l'Afghanistan dans l'avenir et que ces résultats justifient l'investissement que nous avons fait. Le défi consiste à préserver nos intérêts dans la région et à faire en sorte que toute initiative additionnelle soit profitable pour les Afghans et pour nous. Force est de reconnaître que la persévérance constitue un défi pour la communauté internationale dont le Canada fait partie. Pour les Afghans, le défi consiste à croire dans notre persévérance. Ils participent si nous participons. Le général Habibi illustre bien ce principe qui s'applique n'importe où dans le monde. Nous participons et ils dirigent. Il faut préserver la confiance que les Afghans nous ont accordée. Il n'est pas nécessaire de déployer le même nombre de soldats ou autant d'argent; il suffit que le nombre de soldats soit suffisant et que le niveau d'effort soit approprié pour faire en sorte que la mission se poursuive au-delà de la phase actuelle.
La présidente : Passons maintenant au témoignage du lieutenant-général Vance, puis à celui du brigadier-général Lamarre.
Mgén Vance : Voilà une question fort pertinente. Je partage l'avis du brigadier-général Beare. Lorsqu'on examine la situation de l'Afghanistan de façon réaliste, ce qu'il faut d'ailleurs toujours faire, on constate que tous nos efforts convergent vers un but. Nous estimons faire la bonne chose; la rétroaction est généralement positive et les tendances indiquent que nous sommes sur la bonne voie. Néanmoins, c'est aux Afghans qu'il revient de décider. Au cours des dix dernières années, nous leur avons donné le temps et la marge de manœuvre nécessaires pour décider, à l'abri de toute menace existentielle. Nous avons arrêté et éliminé certains éléments dangereux, mais il en reste encore. Les Afghans ont encore un pays; voilà la réalité. Cependant, l'Afghanistan doit tenir compte de certaines réalités aussi problématiques que l'existence des talibans, notamment les divisions internes et le fait que les Afghans doivent faire une prise de conscience et accepter d'instaurer la primauté du droit. Une telle acceptation permettra non seulement éduquer la population mais elle leur donnera également l'occasion d'utiliser leur éducation, de prendre les bonnes décisions et de faire en sorte que la corruption ne soit plus la norme. Ce sera aux Afghans qu'il reviendra de décider. Concrètement, les tendances indiquent que nous sommes sur la bonne voie. La communauté internationale a proposé à maintes reprises à l'Afghanistan de relever le défi.
C'est aux Afghans qu'il incombe de relever ce défi de façon à éviter que leur pays ne se retrouve de nouveau dans une situation périlleuse. Il y a de fortes chances que les Afghans s'attellent à la tâche, mais de nombreuses menaces persistent. L'Afghanistan demeure toujours une région particulière. Les éléments dangereux qui constituent une menace pour l'Afghanistan se sont réfugiés dans des zones protégées qui sont hors de portée puisqu'elles se trouvent de l'autre côté de la frontière, au Pakistan.
Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, la communauté internationale appuie l'Afghanistan en lui fournissant des ressources humaines et financières et une grande expertise; c'est une contribution extraordinaire. L'Afghanistan doit saisir cette occasion en or et s'en servir à bon escient. Nous resterons engagés jusqu'à un certain point, mais il faudra que ce soit dans le cadre d'un partenariat avec l'Afghanistan. De nombreux changements stratégiques auront lieu, notamment suite aux élections présidentielles de 2014. La réussite n'est pas assurée et il serait déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle le soit. Le défi est incroyablement complexe. Néanmoins, je peux vous assurer que nous prenons les mesures appropriées et que nous nous efforçons de faire les bons choix. Le partenariat avec les Afghans doit se renforcer et porter fruit. Les Afghans pourront alors être maîtres de la destinée de leur pays.
La présidente : Brigadier-général Lamarre, quel est votre point de vue, mais non en ce qui concerne l'aspect logistique?
Bgén Lamarre : J'abonde dans le même sens que les deux intervenants précédents; les nombreux progrès dont nous sommes témoins en Afghanistan sont encourageants. La première fois que je suis allé en Afghanistan en 2005, je me trouvais dans un convoi le jour même où les filles ont été autorisées à fréquenter l'école. La fréquentation scolaire chez les filles ne cesse d'augmenter. De plus, à l'époque, il y avait matière à s'inquiéter lorsqu'on voyait quelqu'un avec un téléphone cellulaire à la main. Aujourd'hui, tout le monde en a un et il y a de nombreux postes de radio et de télévision. Il est encourageant de voir toutes les avancées là-bas. Compte tenu de la force des communications qui circulent à l'intérieur même du pays, on s'imagine mal qu'il serait possible de faire marche arrière. La situation est encourageante.
Le problème de la corruption dont a fait mention le lieutenant-général Vance constitue un autre élément important auquel j'ai peut-être été davantage exposé compte tenu de la nature de la mission confiée à ma force opérationnelle. La corruption est sans contredit une source d'inquiétude et pose un énorme défi. Il est important d'instaurer la primauté du droit, mais la corruption est endémique. Il va sans dire que je trouve encourageant d'être conseillé par des officiers et des sous-officiers afghans lorsqu'il y a des dons et lorsqu'on réunit un certain nombre de signatures. J'ai discuté avec des officiers supérieurs. L'un d'eux m'a dit : « Lorsque vous allez quelque part, assurez-vous de faire signer ces trois formulaires; c'est la seule façon de procéder. » Ces formulaires suivent ensuite la chaîne de commandement jusqu'au quartier général de l'armée à Kaboul. Malheureusement, nous laissons des traces documentaires, mais, d'un autre côté, c'est une question de probité et de responsabilité que de faire rapport des transactions et des activités qui ont lieu. D'ailleurs, les activités indiquent qu'il y a des résultats positifs, ce qui suscite certainement de l'espoir pour l'avenir.
Le sénateur Manning : Les témoignages que nous avons entendus ici aujourd'hui sont encourageants. Je me suis entretenu avec un soldat qui est revenu de l'Afghanistan l'an dernier. Comme je suis un civil, je lui ai demandé quel était le genre de travail le plus important à faire en Afghanistan. Je m'attendais à ce qu'il me réponde être pilote ou artilleur, ou qu'il désigne une autre fonction dans l'armée, mais il m'a répondu enseignant. Voilà la réponse qu'il m'a donnée. Il est intéressant que vous ayez fait mention des écolières. Ce soldat pensait que l'enseignement était très important. L'éducation s'adresse à tout le monde.
Le sénateur Mitchell : La présente question fait suite à la première que j'ai posée. La transition vise à former les soldats et les policiers afghans pour le combat et pour le maintien de l'ordre, respectivement, pour que le Canada n'ait plus à exercer ces fonctions. La prochaine étape sera de nous retirer de la formation. Formons-nous également des instructeurs qui pourront prendre la relève?
Lgén Beare : Certainement, monsieur le sénateur. La transition s'effectue sur le terrain et dans les institutions. À l'heure actuelle, de nombreux centres de formation relèvent exclusivement des Afghans, qui en assurent notamment la direction, la dotation, l'approvisionnement et la sécurité. Comme le lieutenant-général Vance l'a expliqué, nous avons donné cette possibilité et nous avons fait en sorte qu'elle soit durable. De plus, il faut élaborer les systèmes de gestion de la main-d'œuvre dans une institution. Peut-on imaginer une organisation qui ne possède pas de système de paie ou de logistique? En fait, je peux me l'imaginer. Voilà certains des problèmes que ces institutions ont dû essayer de régler seules pendant de trop nombreuses années. Je répète encore une fois que, du sommet jusqu'à la base, du bureau du ministre jusqu'aux dirigeants et aux institutions qui assurent le lien entre le ministère et les soldats ou les policiers, des services comme ceux des finances, de la paie, des communications, des affaires publiques et des politiques, par exemple, sont à la fois assurés par des civils et par des militaires. Certaines forces multinationales regroupant environ 34 pays participent encore avec à la Mission de formation de l'OTAN en Afghanistan. Voilà le genre d'initiative qui renforce la capacité des Afghans. Les centres de formation sont en grande partie dirigés par des Afghans et la majorité des instructeurs sont également des Afghans. Si vous alliez visiter un de ces centres de formation, vous constateriez que ce sont des Afghans qui forment leurs compatriotes. Un conseiller de la coalition est chargé de guider et d'appuyer deux instructeurs afghans. Le commandant du camp bénéficie lui aussi de l'appui d'un formateur de la coalition. Voilà un autre exemple de renforcement de la capacité.
Le sénateur Mitchell : Lorsqu'on a entrepris cette transition, on a discuté de la question, et certaines préoccupations ou suggestions ont été mentionnées à ce sujet. Est-ce qu'un formateur peut préparer les gens au combat, mais ne pas se rendre sur les lieux de combat avec eux pour les observer et leur offrir un soutien? Qu'en est-il dans ce cas? Je suppose que le formateur ne participe pas directement au combat avec eux?
Lgén Beare : C'est exact. Quelqu'un d'autre prend la relève après la formation. Lorsque ces gens quittent le centre de formation, ils entrent au service de leur force opérationnelle, si elle existe déjà. Sinon, ils se rendent au Centre consolidé de mise en service, s'engagent dans une nouvelle unité et sont jumelés à l'équipe de liaison et de mentorat opérationnels d'une autre nation qui se trouve dans la région géographique où les opérations auront lieu. Nous ne sommes pas là, donc, ce n'est pas un problème pour nous. Les équipes de liaison et de mentorat opérationnels viennent au Centre consolidé de mise en service afin de former une équipe avec leurs partenaires afghans avant le départ. Ainsi, au moment du déploiement, ils sont accompagnés de personnes qu'ils connaissent déjà. C'était un problème lorsqu'il n'y avait pas assez de gens sur le terrain, mais comme le nombre de membres de la coalition sur le terrain est maintenant augmenté, beaucoup d'entre eux font aujourd'hui équipe avec des membres de la coalition provenant d'autres pays.
Le sénateur Mitchell : Vous avez souligné qu'en 2005, à Panjwayi, il n'y avait que 128 policiers afghans, et que maintenant, on en compte 2 500. Est-ce exact?
Lgén Beare : Oui, c'est ainsi à Panjwayi.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais que nous apportions une précision. Il ne fait aucun doute que les talibans éprouvent avec leurs soldats les mêmes problèmes que nous éprouvons avec nos soldats afghans. Ils doivent composer avec l'analphabétisme, des problèmes de commandement et contrôle, des problèmes de leadership et ainsi de suite, mais par le passé, à tout le moins, ils semblaient être très efficaces. Est-ce que c'est parce qu'il n'est pas nécessaire pour eux d'en faire autant pour obtenir des résultats et qu'il est donc moins complexe pour eux de prévoir des attaques comme celles qu'ils mènent?
Par ailleurs, quelle est maintenant l'incidence des engins explosifs improvisés? Les soldats et les policiers afghans sont-ils moins visés qu'ils ne l'étaient auparavant?
Lgén Beare : Je vais grandement simplifier une question complexe et dire que l'analphabétisme est un avantage pour les talibans. En recrutant des gens peu éduqués, ils peuvent les informer comme ils le veulent, faire pression sur eux ou faire pencher leur opinion en leur faveur. Il est clair qu'une population alphabète et éduquée ne présente aucun intérêt pour eux.
En ce qui concerne la sécurité en général, la majorité des membres des forces de sécurité que l'on trouve aujourd'hui sur le terrain sont afghans. Les forces de la coalition comptent 130 000 militaires, tandis qu'il y a maintenant 300 000 Afghans, alors qu'ils étaient moins de 150 000 il y a quelques années. Par conséquent, la majorité des incidents relatifs à la sécurité sont liés aux Forces de sécurité nationale afghanes, plutôt qu'à la coalition.
Pour vous donner un aperçu de la tendance, à l'heure actuelle, les forces de sécurité comptent près d'un demi-million de personnes, ce qui comprend les Afghans, alors qu'elles comptaient moins d'un quart de million de personnes il y a deux ans. Malgré cela, la tendance observée sur une période de 12 mois montre que le nombre d'incidents diminue. Les statisticiens peuvent vous fournir toutes les données à ce sujet. Comme ces gens se trouvent à un plus grand nombre d'endroits et sont plus nombreux, on pourrait s'attendre à ce que le nombre d'incidents augmente, mais au lieu de cela, il diminue. C'est parce que les Forces de sécurité nationale afghanes remplacent les forces de la coalition et que nos forces spéciales sur le terrain restent tout juste assez longtemps pour que ceux qui les attaquent n'aient pas la possibilité de revenir sur les lieux où ils avaient l'habitude de se rendre.
Je ne peux pas dire à quel moment s'est produit le dernier incident important dans la ville de Kaboul. Les Afghans assurent aujourd'hui la sécurité dans cette ville.
[Français]
Le sénateur Nolin : Lieutenant-général Beare, ma question touche également au degré ainsi qu'à la capacité de retenir le personnel de sécurité. Ai-je bien compris que 50 p. 100 du territoire est sous contrôle afghan?
Lgén Beare : Pour être précis, le commandement et le contrôle des forces de sécurité sont sous le contrôle des autorités afghanes et non sous le contrôle des forces de la coalition.
Le sénateur Nolin : Alors que signifie ce 50 p. 100?
Lgén Beare : Lorsque vous comptez les provinces et les districts afghans, 50 p. 100 de la population afghane se trouve à l'intérieur de ces districts et provinces.
Le sénateur Nolin : Et l'autre 50 p. 100 est sécurisé par qui?
Lgén Beare : Toujours par les Afghans et la coalition, mais la coalition fournit le leadership.
Le sénateur Nolin : J'avais mal compris. Je croyais que nous pouvions garantir aux 34 millions d'habitants une sécurité sur la moitié du territoire.
Lgén Beare : Oui, ce sont les autorités afghanes qui s'occupent quotidiennement du leadership et de la sécurité.
Le sénateur Nolin : Le général Vance a utilisé les termes « anticipation d'une crise existentielle ». Est-ce que les agents des services de police quittent parce qu'ils craignent pour leur sécurité personnelle? Je présume que ça doit être une des causes de départ, ils ont peur pour leur vie et pour celle de leur famille, donc ils quittent l'armée — ou la police.
Ici ou en Afghanistan, je me souviens avoir parlé avec des militaires canadiens au sujet de ce problème de sécurité existentielle. Est-ce une statistique que vous examinez? Je présume qu'elle diminue, mais à quel rythme?
Je voudrais également savoir quelles mesures ont été mises en place par, je présume, les autorités afghanes pour tenter de prévenir ce genre de situation?
Lgén Beare : Je n'ai pas en main les mesures précises en ce qui concerne les facteurs qui poussent les gens à quitter la force de police.
[Traduction]
Le sénateur Nolin : Est-ce que c'est l'une des raisons qui les poussent à quitter?
Lgén Beare : Il ne fait aucun doute qu'il s'agit de l'un des nombreux facteurs qui motiverait un Afghan à quitter les forces de sécurité. Malgré cela, d'autres entrent quand même au service des forces. On n'entre pas nécessairement au service des forces si on sait qu'on court un risque.
J'aimerais vous donner rapidement deux exemples. La ville de Marja, qui est située dans la province d'Helmand, au sud-ouest de l'Afghanistan, a été la capitale des talibans dans cette région de l'Afghanistan pendant des années. Elle a finalement été libérée à peu près à la même période l'an dernier, et en quelques mois, on avait recruté les huit premiers policiers de Marja. Il s'agit de personnes qui étaient habituées de voir les forces de la coalition arriver et repartir, puis de voir les talibans revenir pour soutirer de l'argent et imposer des sanctions à la population. Ces huit habitants de Marja sont entrés au service des forces, et maintenant, plus de 80 habitants de cette petite ville font partie des 300 policiers qu'elle compte. Encore une fois, le fait d'entrer au service des forces de sécurité ne constitue pas une décision personnelle, mais bien une décision familiale. Tout le monde doit donner son avis.
Dans le même ordre d'idées, malgré les risques, des Afghans choisissent d'assurer leur sécurité par l'entremise d'une institution afghane, que ce soit la police ou l'armée du gouvernement de l'Afghanistan. Je parle de la Police nationale afghane locale. Étant donné que les militaires et les policiers ne peuvent être présents partout en assez grand nombre, les collectivités peuvent demander au gouvernement de créer leur propre force policière locale. Une telle force ne peut être créée que dans les trois conditions suivantes. Tout d'abord, les membres de la collectivité doivent faire une demande au gouvernement et le convaincre qu'ils veulent une telle force et en ont réellement besoin. Deuxièmement, cette force doit relever du chef de police d'un district afghan. Ainsi, elle n'est pas une milice puisqu'elle relève d'une organisation policière. Troisièmement, elle est jumelée à la Force internationale d'assistance à la sécurité et un partenariat est ainsi créé.
Chaque fois qu'un village demande la permission de créer une force policière locale, ou Police nationale afghane locale, comme ils l'appellent, la collectivité désavoue les talibans. Les talibans détestent la Police nationale afghane locale, car la collectivité les désavoue en la choisissant.
Après toutes ces années, on commence à voir apparaître une certaine résilience chez les Afghans qui ont maintenant une nouvelle possibilité, et ils perçoivent eux-mêmes les tendances. Les défis sont nombreux. Encore une fois, toutes les tendances pointent en direction d'un avenir différent de celui offert par les talibans. Ils ne font pas que parler; ils agissent, par choix. C'est le genre d'indicateurs que nous voyons.
De nombreuses raisons font en sorte qu'ils quittent les forces. Le danger et les risques pour leur famille sont l'une de ces raisons, mais ce n'est pas le principal facteur ayant des répercussions sur le rendement des forces de sécurité dans leur ensemble.
[Français]
Le sénateur Dallaire : David Bercuson a produit un rapport rédigé par le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, Lessons Learned? What Canada Should Learn from Afghanistan.
Faites-vous partie d'un groupe qui examine les leçons à retenir aux niveaux stratégique et opérationnel afin que dans le futur, on puisse mettre en application un concept pangouvernemental? Qui mène cet exercice?
Mgén Vance : Oui, je gère un projet actuellement pour faire un exercice de leçons retenues.
Parmi tous les agents du gouvernement, nous avons terminé une première étape et déposé un rapport au greffier du Conseil privé. On continue également, aux niveaux opérationnel et stratégique, de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer le succès de nos projets futurs.
[Traduction]
Le sénateur Lang : J'aimerais maintenant aborder les choses sous un angle tout à fait différent.
Le président : Vous voulez aborder un nouveau sujet?
Le sénateur Lang : Non, il ne s'agit pas d'un autre sujet.
Général, j'ai une question à vous poser. En tant que membres du comité, nous avons entendu au fil des ans des témoignages sur l'Afghanistan, les progrès qui y ont été marqués ainsi que les problèmes et les difficultés auxquels nos militaires se heurtent là-bas. Nous avons discuté entre nous de la possibilité de nous rendre là-bas afin de constater par nous-mêmes comment les choses s'y passent. À votre avis, croyez-vous qu'il serait bon que les membres d'un comité comme le nôtre se rendent là-bas, rencontrent les troupes, voient ce qui se passe sur place et constatent par eux-mêmes les réussites dont vous avez fait mention?
Lgén Beare : Chaque visite est une expérience transformatrice. Il est bon de voir de nos propres yeux la façon dont les choses se passent. Cependant, nous devons faire plus pour être en mesure d'offrir aux gens qui s'intéressent à la mission en général une visite en bonne et due forme, car ce n'est pas tout le monde qui peut participer. Il est évident que nous pouvons améliorer la façon dont nous décrivons non seulement les activités de nos militaires, qui agissent de façon héroïque, tant individuellement qu'en groupe, mais aussi ce qu'ils font avec nos partenaires, la coalition, les civils et les militaires et, en bout de ligne, les résultats dont profitent les Afghans, car c'est pour eux que nous sommes là-bas. Nous sommes ouverts aux visites, car il s'agit d'une expérience transformatrice qui revêt une grande importante. J'invite les leaders qui doivent s'assurer que leurs points de vue reposent sur des renseignements précis, élaborer des stratégies politiques et faire d'autres choix importants et difficiles à venir voir ce qui se passe de leurs propres yeux.
Lorsque les gens font une visite, j'insiste toujours sur certaines choses. Tout d'abord, le fait de rencontrer les troupes est l'une des raisons pour lesquelles on fait une visite, mais on peut aussi faire une visite pour comprendre la campagne, l'endroit où elle se déroule et ce qui se passe dans le cadre de celle-ci. Nous devons voir le tout dans le contexte général de la campagne, car c'est notre objectif ultime ou le résultat que nous cherchons à atteindre qui est la raison pour laquelle nos militaires sont là-bas, et il faut aussi savoir ce qu'il en est de nos partenariats, de notre coalition ainsi que de nos partenaires civils et militaires. Au bout du compte, où en sommes-nous en ce qui concerne nos plus importants partenaires, les Afghans? Vers quoi se dirigent-ils et que perçoivent-ils?
Soit dit en passant, n'oubliez surtout pas de visiter tous les centres de formation que vous croiserez et d'aller à la rencontre de nos militaires canadiens, pour savoir comment ils vont et comment ils participent à tous ces efforts. Ce qu'ils raconteront lorsqu'ils rentreront chez eux, ce sera non seulement ce qu'ils ont eux-mêmes fait, mais aussi ce qui s'est produit pendant qu'ils étaient là-bas, c'est-à-dire ce qu'ils devaient faire et ce qu'ils ont fait. C'est dans cette voie qu'on se dirige. Je m'en réjouis, et j'apprécie grandement les visites intéressantes.
Mgén Vance : Je vais situer les choses dans leur contexte. En ce moment, toutes sortes de visites de ce genre sont organisées, plus particulièrement par les États-Unis. Le Canada a été l'un des deux premiers pays à créer ce que les Américains appelleraient une puissante délégation, dans le cadre de la commission d'enquête dont le président faisait partie. Cette commission d'enquête a donc eu des répercussions extrêmement importantes, car tous ceux qui en faisaient partie savaient ce qui se passait, étant donné qu'ils étaient sur place. Nous ne pouvons pas sous-estimer les répercussions que cette visite a eues sur le Canada, les Forces canadiennes et, en fait, la voie suivie par Kandahar. Un groupe de gens qui, autrement, n'auraient pas vu la mission, sont venus sur place pour l'étudier, ont vu ce qu'ils avaient à voir, sont repartis et ont formulé des recommandations. Il s'agissait du plus important engagement du gouvernement, qui était déterminé à prendre les bonnes décisions en ce qui concerne l'Afghanistan, point.
Le président : Je dois dire que ce fut pour moi une expérience transformatrice. Chaque fois que je m'y suis rendu par la suite, j'ai ressenti la même chose que la première fois. Nous avons constaté que si nous ne retirions pas nos troupes, nous allions continuer, entre autres, de perdre des hommes au combat. En ce qui concerne la question soulevée par le sénateur Manning, si on examine la mission de formation, on constate qu'à la suite de celle-ci, lorsqu'ils rentrent chez eux, ces jeunes hommes, et quelques jeunes femmes, ne sont pas seulement bien instruits et formés et ne sont pas uniquement devenus de meilleurs soldats ou policiers; ils sont également des héros dans leur collectivité. Ils sont des leaders dans leur propre collectivité. Ils supplantent les barons de la drogue et les talibans, ce qu'il ne faut pas sous- estimer, compte tenu du travail qu'ils accomplissent.
Messieurs, je vous remercie. Une fois de plus, la discussion a été intéressante et importante. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous rencontrer.
(La séance est levée.)